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ÉPISODES DE LA TERREUR
TRIBUNAL RÉVOLUTIONNAIRE
D'ORANGE
P A R V.
DE
B A ÜME FOR T
Membre de Sociétés savantes.
Cecy est un livre île bonne foy.
Montaigne.
AVI GNON
VU. SKGUIN AÎNÉ,
IMPRIM13UR-ÉDITKUR
11. rue Bouquerie, 13.
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�EPI SODES DE LA T E RRE UR
TRIBUNAL RÉVOLUTIONNAIRE D’ORANGE
Gecy est un livre de bonne foy.
M o n t a ig n e .
I
Si l’écrivain qui s'occupe de questions historiques doit éviter de
réveiller des haines que le temps finit par assoupir, il ne peut
oublier qu’il a un devoir sacré à remplir, celui d’éclairer et d’ins
truire par les enseignements du passé. L’exemple des autres pro
file rarement, il est vrai ; et comme l’a dit un moraliste, l’expé
rience seule enseigne la sagesse. Mais faut-il pour cela renoncer
à faire prévaloir les principes et les vérités qu’on croit utiles?
Non sans doute ; et la raison, comme l’amour du bien, peuvent
nous tracer la ligne de conduite que nous devons suivre.
C’est de cette pensée que nous avons voulu nous inspirer; et
pour être complètement impartial, cherchant à nous placer à l’a
bri de l’esprit de parti et des passions politiques qui n’ont qu’un
temps, nous envisageons les événements au point de vue des lois
éternelles de la justice, de la morale et de l’humanité.
Nous nous contentons, la plupart du temps, de présenter simple
ment et sous leur véritable jour les faits qui parlent souvent plus
haut que l’historien lui-même. Toutefois, nous joignons à ce récit
quelques réflexions, surtout quand il s'agit de faire comprendre
aux hommes bons et faibles, que c’est autant par un manque d’en-
�— 2 —
tenle entre eux qui les laissait dans un état complet d’isolement,
que faute d’énergie et de résolution, que nos pères ont subi la
domination d'une minorité turbulente et d'autant plus audacieuse,
qu'on semblait redouter sa force et sa puissance ; en même temps
que nous mettons sous les jeux du lecteur le sort de ceux qui ont
marqué d'une manière déplorable dans ces temps désastreux, morts
presque tous misérablement, laissant après eux une mémoire exé
crée.
Quelques historiens de l'Ecole moderne, pour légitimer, autant
qu’on peut le faire, une telle conduite, invoquent en leur faveur
l’entraînement auquel ils n’ont pu résister, comme les anciens le
faisaient à l’égard de la fatalité. Mais si l’on admet que ces hom
mes, au début de leur carrière, ne pouvaient prévoir les consé
quences de ces premiers pas dans la vie politique, et que sans
doute dans des temps calmes et sous le règne des lois conserva
trices, ils auraient mené une vie régulière, exempte de tels crimes ;
il n’en est pas moins vrai qu’ils avaient le germe des mauvais ins
tincts, des passions perverses, dispositions que les circonstances
n’ont fait que développer, comme la foudre qui n’attend que le
choc électrique pour éclater.
Nous n’avons rien négligé dans nos recherches, consultant avec
soin les ouvrages publiés sur cette époque de notre histoire, et
différents manuscrits qu’on a mis à notre disposition. Nous avons
reçu de nombreuses marques de sympathie de personnes qui ont
bien voulu s'associer à notre œuvre, en nous venant en aide par
d’intéressantes communications, et que nous nous ferons un plai
sir de citer dans le courant de ce récit. Il en est d’autres, au
contraire, qui désirent ne point être nommées. En respectant
leur volonté, nous devons du moins leur exprimer ici notre grati
tude pour leur utile cl bienveillant concours.
Parmi ces dernières il s’en trouve qui nous ont confié des docu
ments précieux qu’on doit croire perdus, sous condition d’une
extrême réserve, à cause d’un fâcheux retentissement pour des
familles honorables, qui verraient à regret reparaître sur la scène
des personnages qu’elles cherchent à faire oublier. Nous tiendrons
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notre engagement, et tout en citant des faits liés essentiellement
à notre sujet, nous aurons soin de passer sous silence des noms
compromis qui, en blessant des susceptibilités faciles à compren
dre, n’ajouteraient qu’un médiocre intérêt à la narration. Notre
appréciation sur ce point, loin d’être un acte de faiblesse ou de
complaisance, est un acte de stricte justice ; car si la loi mosaïque
fait peser sur les enfants jusqu'à la quatrième génération les fautes
des pères, la morale du Christ marque plus d’indulgence et de
miséricorde, et le lils n’est responsable de la conduite de son père
qu’autanl qu’il cherche lui-même à justifier les excès qu’il a com
mis.
Dans nos recherches nous n'avons pas négligé la partie anecdo
tique, qui nous fait connaître les mœurs, l’esprit de l’époque à
laquelle se rattachent les faits que nous reproduisons, lorsque ces
faits s’appuient sur des pièces authentiques, ou sur le témoignage
de personnes dignes de foi. Pour cela nous avons dû recourir à la
tradition orale ; et nous avons recueilli des particularités consa
crées par l’opinion publique, qui tantôt ajoutent les couleurs les
plus sombres à ce lugubre tableau, tantôt reposent lame par la
peinture d’actes nombreux d’héroïsme et de dévouement.
Cette méthode, d’ailleurs, en jetant de la variété sur un sujet
aussi grave, fait oublier, un moment, des crimes qu’on ne se rap
pelle qu’à regret.
Évitant des détails inutiles, nous présentons une analyse rapide
des événements antérieurs au sujet dont nous avons à nous occu
per, et qui servent, en quelque sorte, d’introduction.
Ainsi, nous cherchons à montrer succinctement quel était l’état
de la France, et en particulier de Paris, à la chute de la monar
chie.
Nous rappelons en peu de mots la prise d’armes des Marseillais,
dont la réussite pouvait amener, sinon une contre-révolution, du
moins un grand changement dans le système politique; circons
tance qui explique la vengeance exercée avec tant d’acharnement
sur les fédéralistes du midi.
Nous ne pouvons passer sous le silence non plus l’expédition de
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—
Bedoin, ou l’on voit les actes féroces du proconsul et de son
entourage rivaliser avec les exécutions de Nantes et de Lyon : pro
logue du drame terrible qui doit bientôt ensanglanter Orange.
■Nous renvoyons aux pièces justificatives tout ce qui aurait pu
nuire à la rapidité du récit. Ces notes, assez volumineuses et con
sidérées comme une seconde partie de l'ouvrage, confirment les
faits, et doivent leur donner les développements nécessaires.
Afin de mieux nous éclairer sur tous les points, nous ne nous
sommes pas contenté des descriptions qu’on a pu faire des lieux
dont nous avons à parler, et nous avons voulu les visiter nousmême.
Les personnes qui s’attendent h ne trouver dans cet ouvrage que
des faits en rapport avec le titre qu’il porte, pourront s’étonner d’y
lire des actes d’extravagance et de folie. Mais il nous a paru utile
de donner un aperçu des mœurs, de l’esprit de la France révolu
tionnaire. D’ailleurs, ne fallait-il pas laisser reposer le lecteur de
l'impression que lui cause la lecture de tant de forfaits?
Telle est la marche que nous avons cru devoir suivre. Si dans
ce travail on cherche en vain le talent de l’historien et du publi
ciste, on y verra du moins l’impartialité de l’auteur dans les juge
ments, et son exactitude dans les moindres détails des événements
qu’il rapporte.
Il
Nous sommes en l’an II de la république. Les scènes delà place
Dauphine, la prise de la Bastille, les massacres du G octobre, de la
Glacière, et ceux de septembre qui suivent de près les actes de bar
barie exercés sur les soldats suisses, le 10 août, montrent jusqu’où
peut aller la fureur de la démagogie. Mais ce n'est pas encore
assez, car les sicaircs stipendiés n’osent pas avouer leurs crimes.
Il faut donner à l’assassinat une forme légale. Le jugement de
Louis XVI inaugure l’ère funeste de ces attentats juridiques.
Un parti issu de cette faction îi laquelle Mirabeau adressait cette
apostrophe hautaine: Silence aux trente ! forme la majorité de
l’assemblée et gouverne la France.
Les Montagnards et les Girondins, unis d’abord pour renverser
le trône, se divisent ensuite pour jouir du pouvoir, mettant tou
jours en avant, les uns et l.es autres, le bonheur du peuple. La
perte de ces derniers était décidée par leurs rivaux, et le complot
aurait éclaté le 9 mars 1793, si, prévenus à temps par suite de la
révélation du perruquier Sirel, ils ne s’étaient absentés de l'as
semblée. Mais leur chute n’était que retardée, et le 31 mai ils
sont arrêtés au sein même de la Convention, pour être condamnés
il mort cinq mois après, sur l’acte d’accusation rédigé par Amar.
Prud’homme estime qu’il y avait autant d’intrigue du côté des
Brissolins, nom sous lequel on désignait aussi le parti de la Giron
de, que du côté des Montagnards ; que les premiers étaient moins
sanguinaires, mais plus lâches, ce sont ses propres expressions.
Ce dernier point dans le jugement de l’hislorien-gazctier manque
de vérité ; car parmi les vaincus l’un se frappe de son poignard, et
les autres vont ù la mort avec courage.
En voyant leur condamnation on se demande ce que les vain
queurs pouvaient avoir ù leur reprocher. N’avaient-ils pas tous
concouru au même but? Si ceux-ci avaient organisé les journées
de Septembre, leurs adversaires, pour se rendre maîtres du pouvoir
sous une minorité prolongée, comme le dit un historien, n’avaient-ils pas préparé le 10 août et livré la monarchie ù la révo
lution ? Réunis pour accomplir l’acte inique qui laisse une tache
ineffaçable dans notre histoire, n’avaient-ils pas envoyé ensemble
le roi à l’échafaud ? Ils avaient agi, il est vrai, moins par fana
tisme politique, moins par conviction, que par le désir de con
server leur popularité? L’un d’eux, Gensonné, donne la preuve
de l’esprit qui les animait quand, voulant montrer son impartia
lité, il poussa l’oubli des convenances et du respect qu’inspire une
auguste infortune, au point de demander la condamnation des assas
sins du 2 septembre en même temps qu’il demande la mort du
roi : injuste et ignoble comparaison qui mérite d’être flétrie. Ils
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étaient donc tous au même niveau ; et comme ils sc trouvaient les
plus faillies, ils devaient succomber.
Quelle était la cause de cette persécution ? Leurs intrigues plus
ou moins prouvées a\ec Dumouriez? nullement : ce n’était là que
le prétexte. Le véritable, motif, c’était leur brillante éloquence,
quand, du haut de la tribune, ils écrasaient leurs adversaires. Ils
étaient donc condamnés d’avance. Les vainqueurs jaloux même de
cette renommée qu'ils laissaient après eux, pour faire disparaître
tout ce qui pouvait rappeler leur souvenir, voulaient donner au
département de la Gironde le nom de Bcc d’Ambès. Ainsi sc
trouvait vérifiée la prédiction de Saint-Just quand il disait : « Ah !
ils veulent la république ! Eh bien ! elle leur coûtera cher! »
Toutefois, dans les départements méridionaux, les hommes mo
dérés cherchaient à s’opposera cet envahissement de la Montagne.
Mais partout il y avait un fâcheux antagonisme qui neutralisait les
efforts des amis de leur pays.
Marseille, irritée contre la Convention dont la politique contra
riait ses intérêts, surtout après le décret du 25 juin qui détachait
le Comtat Venaissin des Bouches-du-Rhône pour en former le dé
partement de Vaucluse, Marseille cherchait un moyen de se ven
ger de ces sentiments hostiles.
Cette occasion ne larda pas à se présenter. Un projet de fédéra
tion avait été concerté dès le commencement de 1793 entre celle
ville, Lyon, Nîmes, Caen et Bordeaux, pour renverser la Con
vention et établir à Bourges le siège du gouvernement. Ce nou
veau plan, conçu dans de plus vastes proportions que celui qui
avait échoué à Jalès en 1790, présentait de grandes chances de
succès.
Dans un élan spontané, les Marseillais, sans se préoccuper do
la loi du 16 décembre 1792 qui punissait de la peine de mort qui
conque tenterait de rompre l’unité et l’indivisibilité de la répu
blique, mettent sur pied les forces dont ils peuvent disposer. Ces
troupes, commandées par le général Rousselet, devaient se porter
sur Lyon, atin d’y opérer leur jonction avec les fédéralistes de cette
ville et les renforts qu’on attendait des provinces de l’Ouest, pour
sc diriger de là vers Paris, en entraînant à leur suite tous ceux qui
voulaient sc délivrer d’une odieuse tyrannie.
L’armée marseillaise marche sur Avignon, où les partis, de force
à peu près égale, se faisaient une guerre acharnée. Celle ville était
depuis quelques années dans une continuelle agitation. La poli
tique sc compliquait de différentes questions qui rendaient difficile
le retour île cet étal de calme et de tranquillité qu’on goûtait sous
le pouvoir paternel des Souverains Pontifes. Au premier cri de
liberté une partie de la population avait adopté les principes répu
blicains, tandis que l’autre tenait encore pour l’ancien régime.
Mais parmi les partisans des idées nouvelles, les uns voulaient
devenir français, les autres cherchaient à conserver leur autono
mie. Pour ajouter à ces éléments de discorde, au milieu de ces
opinions contraires, on voyait surgir l’ancienne rivalité d’Avignon
et de Carpenlras, celte dernière ville alléguant pour juslilier sa
prétention à la prééminence, sa position centrale et son titre de
capitale du Comtat Venaissin ; l’autre, la grandeur cl la gloire
qu’elle devait au séjour dos Papes. De cette rivalité devaient naître
nécessairement des troubles et des réactions chaque fois que les
choses changeaient de face.
Avignon avait eu beaucoup à souffrir des excès de ces hommes
appelés Marseillais, sortis pour la plupart des galères. MortimerTernaux les désigne sous le nom de bandits émérites, expédiés par
les sociétés secrètes du midi pour renverser la constitution et
plonger la France dans l’anarchie. Louis Blanc et Michelet ne les
traitent pas d’une manière plus flatteuse. On les avait vus'accom
pagner Louis XVI à l’échafaud. A leur retour, amenant avec eux
deux pièces de canon, ils faisaient tout trembler sur leur passage.
Néanmoins dans cette ville le parti de la réaction était-il assez puis
sant pour neutraliser les efforts des révolutionnaires. Nous lisons,
en effet, dans la lettre qu’un membre de la société des amis de la
Constitution d’Orange écrivait aux démocrates de Carpenlras, que
l’aristocratie avignonaise triomphante, soutenue par le régiment
de Lamarck et par des hussards, insultait aux malheureux
patriotes, obligés de s’expatrier. Dans cette lettre on citait le soin
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qu’on avait de creuser les fossés autour des remparts et de les
remplir d’eau, comme moyen de défense préparé d’avance. Les
habitants de celte ville étaient donc disposés, en grande partie, à
seconder celle tentative des Marseillais, qu'il ne faut pas confon
dre avec ceux dont nous avons parlé plus haut, sortis, comme on
l’a déjà vu. des bas-fonds de la société. Les fédéralistes, après avoir
traversé un pays qui n’oITrait de résistance qu'au passage de la
Durance, font leur entrée à Avignon le T juillet, et leur avantgarde pousse jusqu’à Orange.
Mais ils avaient eu le tort de prolonger leur séjour à Arles, lais
sant ainsi à la Convention le temps de prendre ses mesures. Aussi
Cartaux part-il immédiatement de Grenoble pour établir son quar
tier général à Valence afin de s’opposer à leur passage et les empê
cher de faire leur jonction avec les Lyonnais. Là il trouve des
Allobroges, commandés par Doppct, brave militaire, à qui l’on peut
reprocher son excessive sévérité à la prise de l'Isle, et ce qui est
moins grave, mais peu digne d’un chef militaire, sa lettre du
5 août datée de Cadenct, qui se termine par les mots : Vive la sans
culotterie !... Mais tel était l’usage de l’époque. Cet officier se met
en marche, arrive à Lapalud. Ensuite, avec un bataillon du MontBlanc, un escadron des Allobroges, deux pièces de canon et quel
ques compagnies du régiment de Bourgogne, il prend position à
Orange, après s’être emparé de Mornas et de Bollène. En même
temps Cartaux s’avance avec le reste de ses forces, et occupe le PontSt-Esprit, que les volontaires du Gard avaient abandonné.
Le général Rousselet, voyant que les renforts qu’il attendait
de la Provence n’arrivaient pas, trop faible pour attaquer l’ennemi,
quille Avignon, après une occupation de sept jours, mais il y rentre
bientôt après pour protéger ceux qui s’étaient compromis pour lui,
et annonce l'intention de s’y défendre. On trouve peu de rensei
gnements sur cet officier. MM. Soullier et l’abbé André s’occupent
à peine de lui. L’auteur des Souvenirs de 1780 à 1815 par un
vieux marseillais, s’exprime ainsi sur son compte : « On mit à la
tête du bataillon hétérogène un ancien troupier, tailleur d’habits de
son état, nommé Rousselet, brave homme s’il en fut, très-capable
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de commander une compagnie de grenadiers et de la conduire vail
lamment au feu, mais dépourvu des qualités qui constituent un
bon officier général ; il l’avouait lui-même avec une rare modes
tie. » J.-Et. Michel et Lourde en parlent à peu près dans les mêmes
termes. Dans tous les partis, en temps de révolution, le choix des
chefs n’est pas toujours heureux.
III
En ce moment se trouvait en convalescence à Avignon un jeune
capitaine au 4m0 régiment d’artillerie, pâle et maladif. Cet officier
était Napoléon Buonaparle (1). On lui offrit, dit-on, le commande
ment de l’artillerie des fédéralistes, proposition qu'il refusa, soit
par opinion, soit par prudence, en voyant la mauvaise organisation
de celle armée. D’après une autre version, il paraît que, chargé de
conduire un convoi à l’armée d’Italie, en apprenant que les Mar
seillais occupaient les bords de la Durance, il s’était arrêté à Avi
gnon, où il avait pris logement chez M. Bouchet, négociant, rue
Calade. Tout porte à croire qu’il dut quitter cette ville avant l’en
trée des ennemis du gouvernement qu’il servait, et que par consé
quent une offre semblable n’a pu lui être faite. Au surplus, les
idées émises dans le Souper de Beaucaire, annoncent qu’il ne pen
chait pas vers le fédéralisme ; sentiments modérés si on les com
pare à ceux qu'il manifestait, plus tard, dans une dépêche à
Robespierre jeune et à Fréron (2). Aussi fut-il suspendu de ses fonc
tions comme terroriste par le ministre de la guerre Aubry, et mis
en état d’arrestation après la réaction thermidorienne, ainsi que
le constatent les actes officiels cl ses états de services.
Quoi qu’iFcn soit, il se trouvait alors en même temps que Cartaux
dans la ville d’Orange, où il faillit avoir une affaire d honneur
avec un autre officier, et que des amis communs parvinrent à
arranger. Le général républicain, s’étant avancé vers Avignon,
somme la ville de se rendre. Sur la réponse négative qu’il reçoit,
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—
— H
—
il établit son camp devant les remparts, entre la porte Limbcrt et
celle St-Lazare. Le 57 il commence l’attaque. On se bat avec
énergie de part et d’autre. Canaux, voyant une défense aussi vigou
reuse, renonçait déjà à l’espoir île se rendre maître de la ville,
quand tout à coup la résistance cesse, et l’artillerie placée sur le
Rocher éteint son feu. Quelle était la cause de ce changement ?
Le futur Empereur, qui avait reconnu qu’Avignon ne pouvait être
attaqué avec avantage qu’en se plaçant sur la rive droite du fleuve,
demande deux pièces d’artillerie de i, avec quelques artilleurs ; et
après avoir passé le bac à traille de Roqucmaure, arrive à Villeneuve où, de la monlacjne de la Justice, il démonte la batterie éta
blie sur le Rocher.
Alors l’armée fédéraliste quitte définitivement la ville, harcelée
sur la roule par les troupes républicaines, et rentre à Marseille, où
elle est dissoute.
Celte malheureuse expédition occasionna des désastres et des
exécutions sanguinaires à Avignon.
Parmi les victimes on cite M. de Millaudon (Joseph-Didier),
ancien trésorier du gouvernement pontifical, qui jouissait de l’es
time générale. Mis en état d’arrestation, les juges cherchèrent à le
sauver en lui disant qu’il n’avait pour cela qu’à nier sa signature,
qui se trouvait sur un acte officiel. Mais incapable de faire un
mensonge, M. de Millaudon préféra la mort à un parjure. Il fut
jugé par le tribunal criminel de Vaucluse, dit M. l’abbé Guillou
dans les Martyrs de la Foi, au commencement d’octobre 1703, et
exécuté le 0 du même mois.
A Marseille les principaux citoyens qui avaient pris part à celte
tentative, sont décrétés d’accusation. Puis joignant à la vengeance
une. stupide ironie, Fréron, de son autorité privée, enlève à celle
ville son nom, comme on va le faire à Lyon dans des flots de
sang, à la lueur des torches, et plus tard à Toulon au milieu des
échafauds et des mitraillades,
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IV
Pendant que dans la province on cherchait à étouffer le feu de
la révolte, à Paris les Montagnards ne négligeaient rien de ce qui
pouvait consolider leur puissance. Exerçant déjà toute leur influence
sur le tribunal révolutionnaire, ainsi que sur les comités de sur
veillance établis dans toutes les communes de la république à l’effet
d’accueillir les dénonciations, pour mieux concentrer à leur profit
toute l’autorité, ils avaient obtenu de la Convention nationale la
création du comité de Salut public, auquel devait bientôt aussi sc
montrer soumis même le comité de sôreté générale ; pouvoir mons
trueux qui, au moyen de la loi des suspects et de celle du 57 ger
minal, an II, disposait arbitrairement du sort des citoyens. Cette
redoutable assemblée sc réunissait aux Tuileries, dans les petits
appartements du Roi, occupés, sous la restauration, par le duc et
la duchesse d’Angoulème. La principale entrée était interdite Ceux
qu’on recevait dans ce sanctuaire où se décidaient les destinées de
la patrie, y pénétraient par des corridors obscurs, éclairés jour et
nuit par un pâle réverbère. Quant à l’extérieur, des canons, mèche
allumée, en permanence, donnaient toute sécurité à ceux qui fai
saient trembler la France entière. Une fois arrivé dans la salle des
séances, dit Prud'homme, on voyait un ameublement qui contras
tait singulièrement avec l’austérité apparente des sans-culottes.
Rien, dans le confortable et dans le luxe n’était oublié : tapis,
marbres, bronzes, pendules, riches fauteuils, moelleux canapés où
les sombres tyrans goûtaient parfois un peu de repos. Mais ce qui
n’était rien moins que Spartiate, c’était un buffet somptueusement
fourni pour prendre leurs repas sans sortir, quand ils étaient rete
nus par leurs travaux. Georges Duval, dans ses ouvrages sur la
révolution, pleins de renseignements curieux, confirme ces détails.
Or, avec celle omnipotence à laquelle rien ne résistait plus, que
voulaient les Montagnards? Anéantir la propriété ? Telle notait
pas leur intention ; ils cherchaient seulement à la déplacer et à la
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faire changer de main, comme on le voit dans toutes les révolu
tions, quels que soient les mots dont on se sert pour faire agir les
niasses.
Des faits isolés, — le meurtre de Marat, comme avait fait celui de
Lepellclier de St-Fargeau, — loin d’intimider les fauteurs de désor
dres, ne servaient, au contraire, qu’à ranimer le fanatisme de celle
lie de la nation qui ne demandait qu’à se livrer à l’assassinat et au
pillage.
Des tentatives sérieuses dans les départements viennent échouer
devant les mesures des proconsuls. Les gens paisibles, amis des
lois, se montrent pleins d’hésitation en présence d’événements
qu’ils ne pouvaient prévoir et en dehors, pour ainsi dire, des
enseignements de l’histoire moderne ; car si les Anglais avaient tué
juridiquement leur Roi, ils avalent ensuite accepté le despolismo
du Lord protecteur, et l'on n’avait guères eu à déplorer que le sang
versé sur le champ de bataille.
En France il n on est pas ainsi; la faulx révolutionnaire ne s’ar
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nement qui fit avorter la tentative projetée par quelques amis fidèles
et dévoués pour sauver le malheureux prince ; — Charlotte Corday,
en venant de Rouen pour poignarder Marat, cet enfant perdu de
l'assassinat, comme l’appelait Louvet, aux gages de l’Angleterre,
assure un historien, pour faire détester, par ses propres excès, la
révolution, cl peut-être aussi pour amoindrir la France ; mesure
par laquelle l’ami du peuple pouvait satisfaire sa passion de l’or,
tout en donnant carrière à scs penchants sanguinaires.
Les Girondins, après cinq mois de prison, expient les crimes du
10 août, des journées de septembre et l’exécution du 21 janvier.
Bailly, ancien maire de Paris, l’homme de la science, malgré les
gages qu’il avait donnés au parti républicain dans le principe, et
Lavoisier, quelques mois plus tard, qui demandait avec instance
un sursis pour terminer, avant de mourir, un travail qu'il avait
entrepris, ne peuvent trouver grâce devant leurs bourreaux.
Pélion, qu’on appelait
l’idole du peuple, va mourir, comme
Buzot, au milieu des landes de Bordeaux.
rête pas, mais elle fonctionne avec trop de lenteur au gré de ceux
Barbaroux, fuyant ces terribles conventionnels dont il avait
qui rêvent l’anéantissement de tout ce qui leur résiste : Carrier
d’abord partagé les principes, porte sa tête sur l’échafaud dans celte
invente à Nantes les noyades et les mariages républicains ; Collot
d'IIerbois fait sentir aux Lyonnais tout h' poids de son ressenti
ment, et par les fusillades des Brolleaux, le représentant tout puis
même contrée.
L ’armée paye aussi son tribut : Custines, Houchard, Biron, W esterman sont exécutés comme traîtres à la patrie.
sant venge le méchant acteur sifflé ; Euloge Scheidcr, prêtre défro
Mais ce ne sont pas seulement les hommes qui excitent la fureur
qué, savant helléniste, oublie, dans sa fureur démagogique, en
de la Montagne. Le IG octobre, Marie-Antoinette, heureuse de
Alsace, les préceptes de l'Evangile et la morale de Platon ; Tallien
rejoindre un martyr, voit Unir scs souffrances et sa misère.
et Lacombe, à Bordeaux, Joseph Lebon, à Arras, se montrent à la
hauteur de leur mission sanguinaire.
Bientôt après arrive le tour de M,ne Roland, cette Egérie de la
Gironde, (pii voulait faire de son mari le premier magistrat de la
Les ennemis de la république ne manquaient pas de résolution,
république pour gouverner elle-même la France en son nom.
mais celle résolution était purement négative, puisqu’elle consistait
à aller avec courage à la mort. Quelques-uns, néanmoins, avaient
M. Jules Courte!, dans un excellent ouvrage publié récemment, rap
pelle qu’elle écrivait à son ami Robbc : > Vous n êtes (pie des en
montré une sauvage énergie : — PAris, ancien garde du corps, en
fants; \otre enthousiasme est un feu de paille ; et si l'Assemblée na
vengeant par un meurtre le vote de la mort du Roi sur Lepellclier
tionale ne fait pas le procès à deux illustres têtes, vous êtes tous
de St-Fargeau, ancien magistral comblé des faveurs de la Cour et
1’......! » C’ct écrivain cite encore sa diatribe contre la Reine, quand
des dons de la fortune, qui disait qu’avec cinq cent mille livres de
elle recommandait le Dauphin à l’Assemblée. Nous ne devons pas
rente il devait être à Coblcnlz ou à la tête de la révolution ; évé-
oublier non plus, pour compléter le dossier de celte femme célè-
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bre, que, discutant un jour, à table, comme on le voit dans l'Histoire
de la Terreur, sur la question du salaire promis aux septembri
seurs, elle donnait froidement son avis sur le ministère auquel
devait incomber le payement de cette somme (*) : ûère républi
caine, qui se montrait digne des beaux jours de Rome......moins,
toutefois la rigidité de mœurs de l’épouse de Collatin, s'il faut en
croire les mémoires du temps. Mais elle est morte avec courage et
dignité, et cette lin malheureuse sert d’expiation aux torts qu’on
croit pouvoir lui reprocher.
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Camille Desmoulins, justifiant à ses dépens celte phrase cruelle
de son Vieux Cordelier ■« Les dieux ont soif ! », Fabre d’Églantine et
Danton, ces organisateurs ou complices des massacres de septem
bre, subissent le même sort. Ce dernier disait, au moment de son
arrestation: « Il y a un an, à pareil jour, q u ej’ai institué le tribu
nal révolutionnaire; j ’en demande pardon à Dieu étaux hommes. »
Ce tribunal, dont le nom seul rappelle des jours de deuil et de
sang, se composait de 2 présidents, de 16 juges, de 60 jurés, d'un
accusateur public et de ses substituts au nombre de 5, et des
commis greffiers.
Citons d’abord Herman, président, qui, nommé commissaire des
V
administrations civiles, fut remplacé par Coflinhal, et arrêtonsnous un moment sur Dumas, président aussi. Ce dernier était
connu par ses facéties et par scs cruautés; — ses facéties, lorsqu’il
disait de la maréchale de Noailles, qui ne pouvait se défendre à
Robespierre ne s'endormait pas dans une fausse sécurité, malgré
cause de sa surdité : « Écrivez qu’elle a conspiré sourdement ; » à
la conliancc que pouvait lui inspirer la réussite de tous ses plans.
Donnadieu, maître d’armes des princes de sang : « Tu es prévôt,
Dominant la Convention, moins par son éloquence claire, mais
mon vieux, lâche donc de parer celte botte ; » à un accusé qui ne
sentencieuse et sans élévation, que par ses menées au club des
pouvait lui répondre, ayant la langue paralysée : « Ce n’est pas la
Jacobins, son pouvoir à la commune, son influence au comité de
langue, mais la tête qu'il nous faut ; » — ses cruautés, par la ma
sûreté générale, qui avait succédé au comité des recherches, chargé
nière dont il présidait le tribunal où il montrait une partialité qui
de la police et du soin d’alimenter le tribunal révolutionnaire des
amenait toujours la peine de mort, et ses instructions au concierge
malheureux que Fouquier-Tinville appelait le gibier de la guillo
du Luxembourg, quand il lui recommandait de dire ce qu'il savait
tine, par son ascendant, enfin, sur le comité de salut public dont
à la charge des prisonniers, et de se taire s’il avait quelques ren
nous avons déjà parlé ; Robespierre prenait d’avance ses mesures,
seignements favorables à donner.
sachant qu’il avait des ennemis au sein même de la Montagne.
Là se faisaient remarquer, comme vice-présidents : Coflinhal,
Tous ses efforts maintenant devaient donc tendre à parer le danger
Sellier, Naulin, Ragmey ; comme substituts de l’accusateur pu
le plus pressant, celui de se délivrer de quelques rivaux dont il
blic : Grebauval, Royer, Liendon, Givois ; comme juges ou jurés,
redoutait les talents et la popularité.
des noms qu’on doit livrer aussi à la vérité vengeresse de l’his
Bientôt Hébert, ancien laquais, contrôleur de contre-marques
toire : Masson, Denisot, Foucauld, Bravet, Royer, Liendon, Da
aux théâtres, l’auteur du Père-Duchêne, qui forgeait des accusa
vid (de Lille), Besnard, Fleuriot, Vilain d’Aubigny, Verteuil, Re-
tions contre Marie-Antoinette ; Chaumette, inventeur de la fête de
naudin, Vilale,
la Raison, sont sacrifiés à sa jalousie.
(ex-marquis le roi de Monltfabert), Didier, Benoit Trey, Tapino-
(¥) On payait les assassins un louis par jour. Une femme reçut 30 francs
parce qu’elle avait bien travaillé.
leslin fils, Ganey (presque idiot), Fauvety, Deliège, Maire, Barbier,
Lumière, Desboisseaux, Sonberbielle, Dix-août
Lebrun, Laporte, Rousselin, Trinchard, Granier, Ànlonelle, Cé-
�—
Ilarni, Paillet,
16
—
—
Félix, Benorlrois, Feneaux, Gauthier,
Meyer,
Châtelet, Pijot, Pclil-Tresscn, Girard, Pressclin, Brochet-Aubry,
Gémont, Prieur, Dupley, Dcvèse, Nicolas, Gravier, Billon, Subleyras, Laveyron, Fillion, Poitherel, Masson, Marbel, Laurent, V illcrs, Moulin, Dupréau, Emraéry, Lafontaine, Blachct, Lebcaux,
Gouillard, Dreys, Duquesnel, IUtmayer, Butins, DeclU, Magnin,
Fualdës. Ce dernier, mort misérablement à Rodez, a ligure dans
le procès de Charlotte Corday.
Parmi ces jurés, qui se donnaient tous l’épithète de solides, on
distinguait les enragés étalés brutes. Au nombre de ces derniers il
s'en trouvait un qui avait proposé de faire assommer, par la main du
bourreau, le chien de l’invalide St-Prix, décapité, qui venait tous
les jours pleurer sur son maître dans le lieu ou il avait péri.
Mais l'homme le plus en relief dans ce redoutable tribunal était
Fouquier-Tinville, dont chaque parole amenait un arrêt de mort ;
—
A ces fougueux démagogues que dévorait la Révolution, succède
Jourdan coupc-tête, condamné à mort à Paris comme fédéraliste,
ainsi que l’annonçait Fouquier-Tinville aux administrateurs du
département de Vaucluse. Et cependant quels gages il avait donnés
à la Révolution. Nous allons rappeler quelques traits de la vie de
cet homme dont les actes criminels ont précédé les événements
que nous avons k faire connaître, en ayant soin de rectifier quel
ques erreurs commises sur son compte. L ’histoire de la Révolution
avignonaise, de M. l’abbé André, celle de M. Charles Soullier, le
Dictionnaire de Barjavel, les Biographies de Michaud, de Firmin
Didot, et divers écrits du temps, nous fournissent les matériaux né
cessaires.
Jourdan (Mathieu-Jouve) était né à St-Just, auprès du Puy-enVelay. Successivement boucher, garçon maréchal-ferrand, contre
bandier, soldat au régiment d’Auvergne, il avait été condamné k
mort par contumace k Valence. Après s'être échappé des prisons
car ce pourvoyeur de la guillotine, comme on le nommait, lâchait
de celle ville, pour se soustraire aux recherches il rentra comme
rarement sa proie, même quand il s’agissait de scs anciens amis.
palefrenier dans les écuries du maréchal Devaux, d’où il se fit
Ne devrait-on pas stigmatiser de même les administrateurs de
chasser. Il s’établit alors marchand devin k Paris sous le nom de
la police de celte époque néfaste: Beaurieu, Bergot, Benoit, Bi-
Petit, et vécut de son commerce pendant les années 1787 et 1788.
gand, Dupaumicr, Faro, Junquoy, Henry, Lelièvre, Guenct, Guyot,
En 1789 il fut employé aux premiers assassinats volontaires. Diffé
Grépin, Michel, Remy, Teurlot, W itlchcritz, Cresson, Tanchon,
rentes personnes l’ont entendu se vanter d’avoir arraché les cœurs
Dumonliez ? — Les agents provocateurs des prisons, appelés mou
de MM. Foulon et Bcrlhier. On assure qu’il avait été le meurtrier
tons : Capif, dit canonnier breton, manœuvre ; Cruau, savetier; La
de M. de Launay lors de la prise de la Bastille, où il se trouvait,
tour, déserteur des dragons; Caron, domestique ; Touanel, domes
non comme combattant, mais dans l’intérieur en qualité d’ouvrier
tique; Folâtre, ancien officier de la garde nationale; Schaff, horlo
forgeron. Il montrait même avec orgueil le sabre avec lequel il
ger ; Roger, dit le sot ; Verncr ; Laflottc ; Brichet, ancien laquais ;
lui avait tranché la tête, en disant aux Avignonais qu’il était prêt
Pépin Desgroucttes, commis et juge ; Vanchelet ; Ju lien ; d’Hil-
k s’en servir pour abattre celles des aristocrates : arme qu’il s’était
liers ; Barjouval, tailleur ; Beausire, noble et mari d’Olivia du col
lier de la reine; Lenain ; Amans, aide de camp, 3° volontaire de
sans doute procurée pendant faction k laquelle il avait pris part,
disait-il. En effet sur une gravure grossière en bois il est repré
Robespierre; Manini, comte milanais; Coqueri, serrurier; Jaubert,
senté en costume militaire, l’air farouche, brandissant son sabre
liégeois, ancien officier; Allain ; Selles;
Annand ; Valagnose ;
de la main droite, tandis que de la gauche il tient une lête san
Gauthier, président de la section Lepcllelicr ; Maillard, huissier,
glante. La bibliothèque de Carpcntras possède aussi son portrait.
juge des massacres de septembre ; Labourcau, espion de Robes
Une ancienne gravure a servi de modèle k cette peinture k l’huile
pierre.
comme k la lithographie qu’on trouve en tête d’un volume de l’ou-
Revenons à notre sujet, en suivant la marche des événements.
k ll
17
H)
2
�—
18
—
vrage de M. l'abbé André. Ici on le voit en uniforme, armé d’un
sabre et de deux pistolets, avec la tournure que lui donnent les
Mémoires de l’époque.
On l'accuse aussi d’avoir coupé la tête aux deux gardes du
corps, Des Huiles et Varicourt, ces héroïques jeunes gens, comme
les appelle Thicrs, qui, dans la nuit du 5 au 6 octobre, se dé
vouèrent pour sauver la reine. On l’a confondu évidemment avec
l'homme à la grande barbe, queM. Laurentie, dans son Histoire
des ducs d’Orléans, appelle Nicolas, qui se plaignait qu’on l’eût
19
—
de soldats du régiment de Soissonnais, renvoyés pour leur incon
duite, et commandée par le général Patrix, ex-contrebandier, ayant
sous ses ordres Minvielle, Duprat aîné, Tournai, Ravère, en qua
lité d’adjudants-généraux. Un orage qui survint, le 20 janvier, au
moment ou l’on commençait le siège, lit échouer la première
expédition.
Vers ce temps,«comme nous le voyons dans un manuscrit que
M. Général a bien voulu nous communiquer, les frères et amis
d’Avignon firent une expédition d'un autre genre à Lanerlhe,
fait venir à Versailles pour couper seulement deux têtes. Ce can
chez le commandeur de Villefranche, à.qui ils enlevèrent 43 ton
nibale accompagnait le malheureux Roi quand on l’amenait à
neaux d’excellent vin. On avait moins de peine à enfoncer les
Paris, coi Ho d'un bonnet élevé, tenant sur scs épaules une hache
portes d’une cave que celles de Carpentras.
ensanglantée, les mains, les vêtements, le visage ainsi qu’une barbe
La seconde tentative, le 18 avril suivant, ne fut pas plus heu
qui lui descendait jusqu’au milieu de la poitrine, couverts de sang,
reuse, grâce à l’énergie et au courage des Carpenlrassiens. Mais les
placé entre Denos et un autre acolyte, lesquels portaient sur des
Avignonais prirent irtie facile revanche à Sarrians ou les vain
piques les têtes de ces nobles victimes, que, par une affreuse et gros
queurs se livrèrent aux plus horribles excès. Non contents du
sière plaisanterie, on lit raser et friser, en passant il Sèvres, par le
perruquier Gelée, selon le récit de Georges Duval, témoin oculaire.
pillage, ils eurent la barbarie’ de couper les oreilles au vénérable
curé qui venait implorer leur pitié, et de les placer sur son front
Ce misérable assommait les aristocrates en disant : Tiens, voilà pour
en guise de cocardes, avant de lui donner la mort, et tout cela en
les Albigeois, les Vaudois, pour la Sl-Barlhélemy, pour les proscrits
chantant gaîmcnl le ça ira ! Ces scènes ne devaient-elles pas faire
des Cévennes ! C’est encore le même individu qui, le 21 janvier,
pressentir celles de la Glacière?
ayant pris dans la main du sang du Roi, s’écriait : Peuple, je te
C’est pendant cette dernière expédition que Palrix, accusé d’a
baptise au nom de la liberté !... Ne chargeons donc pas Jourdan
voir favorisé la fuite du chevalier de Tourreau, fut tué d’un coup
des crimes qu'il n’a pas commis, quand il en existe déjà tant de
de feu par ordre de deux de ses adjudants-généraux, dit Charles
réels sur son compte.
Soullicr. Cébu lui trancha la tête; Jourdan lui coupa la main, et
Du reste, après les journées d'octobre, ceux qui l’avaient fait
comme le raconte Commin dans ses Mémoires, il lit le tour du
agir, — et ici l’accusation a trop de gravité pour répéter des noms
camp en tenant à la bouche ce trophée sanglant. Il obtint alors le
que les ouvrages du temps cl des Mémoires secrets indiquent d’une
grade de commandant en chef, et de ce jour il prit le titre de géné
ral. On connaît le courage que les habitants de Carpentras mon
manière précise, — ceux qui l’avaient fait agir, disons-nous,
craignant d’être compromis par quelque indiscrétion, l’envoyèrent
à Avignon, ou il s’établit comme marchand de garance.
trèrent dans cette lutte, oü se distinguèrent deux femmes, Mmo d’Alissac et Marie-Anne Arnaud.
Né pour le désordre, il prit une part active aux événements
Viennent ensuite les massacres de la Glacière, auxquels il pré
qui agitaient le Comtal Vcnaissin lors de la réunion de celle pro
side en sa qualité de gouverneur du palais, qui servait alors de pri
vince à la France. Il fil partie, en 1701, de l’armée avignonaisc,
son. Joachim Raynard a certifié, dans les informations juridiques
destinée à agir contre Carpentras ; troupe dont le noyau était formé
du 27 novembre 1793, que Jourdan avait dit devant lui qu'il avait
�20
—
donné sa parole que tous les prisonniers périraient, et qu’il ne
devait y avoir de grâce pour personne. L ’Assemblée législative,
des propriétés d’émigrés. Pour cela il avait soin d’arriver à la salle
pour punir tant de forfaits, l'ayant décrété d’accusation, il fui
d’audience entouré d’individus armés de gros bâtons pour effrayer
arrêté par le jeune Bigonet au moment où, fuyant sur son cheval,
les acquéreurs, et empêchait ainsi toute surenchère. Cette manière
il se disposait à franchir la Sorgue.
d’agir s’accordait peu avec sa lettre du 3 frimaire, an II, où, après
Amnistié, ainsi que scs complices, il revint à Avignon triom
avoir flétri la conduite d’un concussionnaire qu’il voulait renvoyer,
phant, avec le grade de commandant de la gendarmerie, par la
il disait, dans le style qui lui était particulier: «... D’ailleurs, il
protection de Rovère et de Poultier. Nous devons ajouter que ces
existe parmi nous des borgnes ; la république n’a pas besoin de
égorgeurs éprouvaient si peu de regrets de leur conduite, qu’ils
pareilles gens ; il lui faut des gens qui y voient clair et qui soient
avaient pris le nom de Compagnons de la Glacière.
purs et sans tache ; car cette condition manque dans cet individu,
Nous ne nous arrêterons pas ici sur ces horribles assassinats
et il doit être proscrit de tout emploi, ainsi que tous les membres,
commis dans le palais des Papes, et que nous font connaître les
comme incapable de faire le bien. » Il est vrai qu’alors sa fortune
pièces officielles du procès et diiïérenls ouvrages estimés. Faisons
était faite, et que ces principes de morale lui paraissaient tout
observer seulement que la politique eut moins départ à ces crimes
naturels. Aussi, le voyait-on rendre aux aristocrates des services
que les vengeances particulières.
qu’il ne tenait pas trop chers, pour nous servir d’une expression
On a dit que Jourdan était au nombre des septembriseurs ; mais
de Bussy-Rabutin en parlant de Mmo de Sévigné.
les Mémoires de l’époque ne font pas mention de lui. Ils sont tous
On a cru aussi devoir attribuer celle conversion aux avances
bien connus. L ’histoire a conservé les noms, parmi les organisa
que lui avaient faites quelques personnes qui voulaient se ména
teurs, de Danton, Marat, Bentabole et quelques autres membres de
ger sa protection, telles que certaine invitation par laquelle un
l’Assemblée ; et au nombre des assassins, ceux de Leclerc, Dufort,
homme bien posé l’invitait à venir manger un gigot à l’ail avec
Cally, Duplain, Pollet, l’Enfant, Jourdcuil, Desforges, Guermeur,
lui. Revenu à de meilleurs sentiments, comme le disait une
Hanriot, Lazouski, Panis, Sergent, Ceyrat, Lhuillier, Charlat,
femme d’esprit, circonstance que rappelle une lettre d’Agricol
Monier, Dutertre, le nègre Delorme, Prière, Vialette, Tenche et
Maillard. Ce dernier, ancien huissier au Châtelet, plus tard n’ayant
Moureau (3), cet ours furieux s’était laissé apprivoiser dans un monde
distingué qu’il n’avait pas connu jusque-là. Pour se montrer digne
plus de meurtres à commettre, désignait au tribunal révolution
de sa nouvelle position et agir en gentilhomme, un jour il avait
naire les victimes qu’il fallait immoler.
provoqué en duel, lui qui se tenait, dit-on, volontiers loin du dan
Iléron, employé au comité de sûreté générale, marchant sur ses
traces, se vantait de faire guillotiner qui il lui plaisait. On a dit
aussi que le savetier Salendon fournissait des notes à FouquierTinville sur ccu\ qu'il jugeait convenable d’envoyer à la mort.
Lors de la prise d’armes des fédéralistes, Jourdan fut arrêté il
Marseille, mais bientôt après mis en liberté par Cartaux.
C’est de ce moment qu’il parut renoncer aux mesures de cruauté
qu’on avait à lui reprocher, appliquant son activité à acquérir de la
fortune. Il secondait Rovère, son protecteur, dans l’achat à vil prix
ger, Rémusat, ancien juge à Apt, qui l’avait attaqué dans son
honneur !
Il ne s’en tenait pas à ces actes de forfanterie : il visait aussi à
l’esprit. Voyant passer, un jour, dans la rue, un personnage dont
la position sans doute lui faisait envie, il s’écrie : Petit noble de
quatre jours, avec ton petit chapeau et ta petite épée, je te ferai
passer le cou dans la petite lunette !
Comme on le voit, ce n’était plus le même homme. Ce change
ment dans ses manières et dans son langage, surprenait à tel point,
que scs ennemis le signalaient comme « un patriote encroûté dans
�—
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—
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—
les principes de 89, un modéré, un fédéraliste, un obscur manne
celte ville le tribunal fait de nombreuses victimes. Or, n’ayant pas
quin, bon tout au plus à être brûlé vif, ou guillotiné sur la sainte
de bourreau à sa disposition, Barjavel, accusateur public, écrit à
Montagne. » Tant il est vrai qu’en révolution il faut avancer et
son collègue du Gard pour avoir l’exécuteur et la guillotine. Sâ
toujours avancer.
demande ayant été accueillie, il invite les administrateurs du
Celte prédiction ne tarda pas à se vérifier. Dans ces moments de
département de Vaucluse à faire prendre, pour nous servir de sa
dictature où tout lui semblait permis, cherchant à se venger do
propre expression, cet instrument salutaire (4). Cherchant à avoir
ceux qui, dans l'enquête sur les massacres de la Glacière, avaient
de nouveau ce funèbre appareil, il adresse à Bertrand, ce même
déposé contre lui, et surtout heureux de trouver l’occasion d’oppri
accusateur public du département du Gard, une nouvelle lettre, que
mer les républicains opposés à son parti, un jour, il fit saisir, en
nous trouvons dans le recueil des Documents officiels pour servir
pleine séance de l'Assemblée populaire d’Avignon, Robinaux,
à l’histoire de la Terreur, à Nîmes. La voici :
Moultet, Quinchc, La Ruelle, tous de la faction Maignet; Barjavel
lui échappa par la fuite. Dès lors sa perte fut résolue. On prit pour
« Avignon, 30 brumaire, an II, (20 novembre 1793).
prétexte l’arrestation de Pélissier, porteur d’un congé de la Con
« Je le prie de me prêter pour quelques jours l'exécuteur des
vention, mesure qu'il avait ordonnée lui-même. Par l’intermédiaire
jugements criminels de ton département ; j ’ai écrit pour m'en
de Couthon, on s’adressa à Robespierre, qui, pour plaire à ses par
procurer un en titre, mais avant qu’il arrive j ’aurai des exécutions
tisans, et continuer son rôle d’homme incorruptible en donnant
à faire. Dernièrement, faute d’exécuteur, j ’ai été réduit à faire
satisfaction à la vindicte publique pour tant d’actions criminelles
fusiller un ci-devant seigneur, aide de camp du traître Prècij (sic)
et de déprédations, sur un mandat d’arrêt du comité de sûreté
dans Lyon, aujourd’hui ville affranchie.
générale, livra Jourdan au tribunal révolutionnaire. Malgré la
« Ça eût fait meilleur effet qu’il eût été guillotiné. Envoie-moi *
réception chaleureuse que lui avait faite le club des Jacobins,
tout, de suite cet homme nécessaire. Si tu n’en as pas dans ton
malgré une énorme image de Marat qu’il portait sur lui, il ne put
département, fais-moi venir celui de l'Hérault, le plus tôt possible.
éviter le supplice.
Il sera, suivant la loi, payé de ses frais de voyage, comme s’il
Mais laissons ce sinistre personnage, pour lequel nous avons fait
une longue digression à cause du rôle qu’il a joué dans une con
trée qui devait voir bientôt s’élever la commission populaire d'Orange ; et occupons-nous des hommes qui, comme lui, ont figuré
dans cette sanglante période de la Révolution.
En vain la Vendée tient en échec la vaillante armée du Rhin ;
en vain les puissances étrangères menacent nos frontières, rien
ne peut abattre la farouche énergie de la Convention et mettre un
terme à cette rage de dévastation, commandée par les chefs, et
exécutée avec non moins de fureur par les agents subalternes. Ce
n’est pas à Paris seulement que règne la Terreur ; comme dans le
reste de la France, à Avignon, on en éprouve le contre-coup. Dans
conduisait la guillotine ; nous en avons une à notre usage. »
Le nom d'homme nécessaire s’accorde parfaitement avec l’épi
thète de salutaire donnée à l’instrument de mort, quand il exprime
le regret d’en avoir été réduit à faire fusiller un accusé, ce qui ne
produit pas, dit-il, le même effet sur le public. Quel affreux
besoin de mise en scène ! Aussi, l’échafaud était-il en perma
nence, à Avignon, sur la place de l’Horloge, où l’on vit tomber
38 têtes depuis le mois d'octobre 1793 jusqu’à l’installation du Tri
bunal révolutionnaire d’Orange, le printemps suivant.
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—
Après la prise de cette ville, il seconda Couthon dans son affreux
VI
vandalisme, quand celui-ci s’écriait, en donnant le premier coup
de marteau pour la démolition des bâtiments de la place Bellecour :
Je te condamne à être démolie au nom de la loi ! Il présida ainsi
Cependant, malgré les actes dignes des peuples sauvages, par
aux dévastations, dont il pouvait s’applaudir plus tard (5).
lesquels on cherchait à les intimider, les ennemis de la Révolu
Il est à remarquer, à propos d’une ville qu’on condamne à être
tion, reconnaissant enfin que c'était par la réunion de leurs forces
démolie, que, sous un gouvernement régulier, on pose, en grande
qu’ils pouvaient se soustraire à. la tyrannie qui pesait sur eux, se
pompe, la première pierre d’un monument qu’on veut élever, et
tenaient sur la défensive, et n’attendaient que le moment favorable
qu’en temps de révolution on met le même appareil pour détruire,
pour se venger de leurs oppresseurs. La Convention, qui, par l’es
ce qui caractérise la différence entre ces deux régimes.
pionnage établi dans toutes les communes, connaissait l’état des
En 1794 Maignet fut envoyé dans les départements des Bouches-
esprits, jugea nécessaire de nommer un représentant pour gouver
du-Rhône et de Vaucluse. Plus tard, vers la fin de messidor, il eut
ner révolulionnairemenl les départements des Bouches-du-Rhône
aussi l’Ardèche sous sa direction. Il put alors faire preuve de son zèle,
et de Vaucluse. Elle fixa son choix sur Maignet, qui, ayant déjà
au moyen de la loi des suspects, rendue le 17 septembre 1793,
fait scs preuves ;i Lyon avec Coulhon, Collot-d’Herbois et Fouché,
laquelle donnait une autorité sans bornes à ceux qui gouvernaient.
ne devait pas se montrer au-dessous de la tâche qui lui était
Dès qu’il fut installé, il s'appliqua sans relâche à remplir le
imposée. Nous allons dire quelques mots sur ce représentant qui
mandat qu’on lui avait confié. C’était l’homme aux instructions
a joué un rôle funeste dans les contrées qu’il a administrées.
administratives, car du 19 pluviôse au 29 thermidor il a lancé
* Ses proclamations, ses arrêtés, ses lettres, le feront mieux connaî
tre encore.
Maignet (Antoine-Christophe), né à Ambert, dans l’Auvergne, en
1758, était petit-fils d'un boucher. Suivant l’auteur de la Viepoliti-
environ 80 arrêtés ou proclamations, sans compter ses lettres et ses
discours. Nous citerons celles de ces pièces dont la lecture peut
présenter quelque intérêt, parmi lesquelles il s’en trouve de mena
çantes, qui annoncent d’avance tous ses projets (6).
que des députés à la Convention nationale, il s’était destiné d’a
A Marseille il existait un tribunal révolutionnaire qui, entre au
bord à l’état ecclésiastique et avait même été tonsuré. N’ayant pas
tres actes, avait mis en accusation un enfant de 9 ans, fait digne
persisté dans celte réso’ jtion, il s’était fait recevoir avocat en 1782.
de ce qu’on vit à St-Malo, au rapport de M. Berriat St-Prix, quand,
Partisan des idées nouvelles, il fut nommé en 1790 un des admi
sous la pression du représentant Le Carpentier, on voulait juger
nistrateurs du Puy-de-Drôme ; ensuite député à l’Assemblée légis
des conspirateurs de 9, de 8, et même de 5 ans. Maillet, prési
lative en 1791, et enfin à la Convention en 1792. Il vota la mort
dent, et Giraud, accusateur public dans les Bouches-du-Rhône,
du Roi sans appel et sans sursis. Il ne parut guère à la tribune,
sont mandés à Paris pour rendre compte de leur conduite. Mais
et s’il a marqué dans la politique, c’est par ses missions dans les
comme la justice ne peut rester inactive, Maignet établit une com
départements.
mission militaire composée de trois membres, privée d’accusateur
Au mois d’août 1793, il fut envoyé à l’armée des Alpes; ensuite
public, qui condamne 66 personnes sans trop de formalités. Les
dans les départements du Rhône et delà Loire pour activer, avec
juges, après avoir demandé -aux accusés leur nom, leur profession,
Chalcauneuf-Randon, la levée extraordinaire destinée à faire le
l’état de leur fortune, les faisaient descendre pour être placés dans
siège de Lyon.
une charrette au milieu de la cour, et du haut du balcon ils pro-
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nonçaient leur sentence de mort. Ces mots seuls : « Considérant
quer. Aussi avait-il acquis la sympathie de Robespierre, qui répon
que, sous un gouvernement révolutionnaire, dans un temps où la
dit un jour à Rovère, lequel se plaignait des cruautés dont étaient
masse entière des amis de la République est en guerre ouverte
victimes scs amis : « Maignet remplit bien sa mission, car il fait
avec ceux qui conspirent contre elle, la juslico qui punit les atten
beaucoup guillotiner » ; propos que rappelle la pétition des habi
tats commis contrôla souveraineté du peuple, doit avoir une mar
che aussi prompte que celle des autorités pour déjouer et prévenir
tants d’Avignon, du 19 brumaire, an III.
Ces marques d’approbation dans tous ses actes en avaient fait le
les complots libertieides, » traçait aux' membres de cette commis
séide du chef de la Montagne, qu’il cherchait à imiter en tout. Les
sion la conduite qu’ils devaient tenir.
Maillet et Giraud ayant été acquittés, reprennent leurs fonctions.
On peut voir par la note (7) quel était le caractère de ce dernier.
Doué d’une activité fiévreuse, Maignet, quand il ne préparait
flagorneries de quelques flatteurs, car il avait aussi ses flatteurs ,
lesquels lui donnaient volontiers l’épithète de vertueux, ajoutaient
encore à son illusion, si bien qu’on avait fini par l'appeler le sin
ge de Robespierre.
pas scs "arrêts ou ses discours, allait dans les sociétés populaires
Que pouvait-on attendre de cet homme ? Ne devait-on pas pré
réchauffer le zèle et le civisme des patriotes. Après les travaux de
voir les moyens qu’il emploierait pour réussir chez les populations
la journée, au lieu de chercher quelque repos dans le sommeil, il
qu’il voulait régénérer ? Rien ne devait le faire dévier des princi
veillait souvent jusqu’à quatre heures du matin, non dans des par
pes qu’il avait adoptés ; et si, contre son ordinaire, il sentait un
ties de plaisir, comme le faisait son modèle Robespierre à Mai-
mouvement d’humanité, comme le prouve la lettre de la note (8),
sons-Alforl chez Deschamps, aide de camp de son protégé le géné
il savait aussitôt le refouler dans son cœur.
ral Hanriot, où se réunissait joyeuse compagnie, mais solitaire,
Du reste, il était parfaitement secondé par le citoyen Lavigne,
et plongé dans de sombres méditations. Pendant son séjour à Avi
ancien notaire à Ambert, dont il avait fait son secrétaire. C’était
gnon, logeant dans une maison voisine du tribunal criminel, sa
un aller ego, qui avait toute sa confiance, et qui passait pour n’ê-
seule distraction était la société de Barjavel, Moureau et autres
tre pas étranger aux actes de cruauté qu’on est en droit de lui re
coryphées de la démagogie. C’est un de ces hommes sanguinaires
procher (9). Il l’envoyait même souvent en mission, comme le
qu’il aimait à avoir en sa compagnie, qui a déclaré qu’il voulait
prouvent sa lettre à Couthon (10), sa démarche auprès des mem
faire périr plus lard dix mille personnes dans le département de
bres du comité de Salut public, et sa lettre à Robespierre (11).
Vaucluse. Tout porte à croire que les lauriers de Fréron l’empê
C’est lui qui, dans une réunion populaire, fit l’apologie des hom
chaient de dormir, quand ce dernier écrivait de Toulon à Moïse
mes qui s’étaient élevés à la dictature les pieds dans le sang, et
Bavlc : « Tout va bien ici ; nous avons requis douze mille maçons
qu’il dépeignait comme des grands hommes, des hommes ver
de^ départements environnants pour démolir et raser la ville. Tous
tueux, ajoutant, en forme de péroraison : Il y a vingt-quatre mil
les jours, depuis notre entrée, nous faisons tomber des tètes; il y
lions d’à mes dans la France ; qu’importe que quatre millions
a déjà huit cents Toulonnais de fusillés. »
Aimant à montrer son zèle, Maignet cherchait à faire du pays
qu’il venait pacifier une nouvelle Vendée. C’était chez lui une
idée fixe, une véritable monomanie, qu’il exprimait à chaque oc
casion et aimait à voir partager aux autres. Par là, d’ailleurs, il
voulait justifier les mesures de rigueur qu’il ne cessait de provo
soient égorgés pourvu que la République triomphe ! Avec un tel
conseiller on pouvait s’attendre aux événements qui ont porté le
deuil dans nos contrées.
Dès son arrivée dans le Midi, Maignet demande aux administra
teurs des communes des tableaux sur les sentiments et la con
duite des citoyens.
�—
28
29
—
—
Par un arrêté du 20 pluviôse il ordonne que les détenus des pri
d’achever, dans l’espace de quinze jours, l’arrestation des person
sons d'Avignon seront jugés révolutionnaireracnl, de la même ma
nes suspectes.
Le premier germinal il prononce, à Marseille, lors de la fête de
nière que ceux des Bouches-du-Rhône, par une commission mili
la Fraternité, un discours sur le triomphe de la raison et de la
taire établie par le représentant du peuple.
philosophie : c’était alors l’expression de la libre pensée.
Le 22, en même temps qu'il annonce sa venue h Avignon au
Le 10, à la société populaire d’Avignon, il préconise l’égalité
nom du peuple français, il envoie une circulaire aux comités de
entre les citoyens. C’est lui cependant qui écrivait sur la porte de
surveillance à l’effet d’obtenir les différentes dénonciations dont
sa chambre : « Personne n’entre chez le représentant du peuple
ils pouvaient être saisis. Ces instructions ne faisaient que confir
sans être introduit » ; ce qui annonçait chez lui des allures quel
mer le droit que s’arrogeaient les sociéLés populaires de désigner
que peu aristocratiques, ou la crainte de subir le sort de Marat.
les suspects et de provoquer leur mise en accusation. Ces sociétés,
Le 3 floréal, il installe le comité de surveillance d’Avignon.
sous la présidence de François Payan, avaient leur centre, pour le
Le lendemain, il écrit à Couthon pour lui faire connaître l'état
Midi, à Valence, où se rendaient les députés de celles des Bou
des esprits dans les départements qu’il administre, et lui démontre
ches-du-Rhône, des Basses-Alpes, de l’Ardèche, de la Drôme, du
en même temps la nécessité des mesures les plus énergiques.
Gard, de l’Isère, de Vaucluse, et même de la Nièvre et de Paris.
Le 25, il se plaint du retard qu’on met à lui envoyer les rensei
Préoccupé du soin de connaître l’opinion publique, que ses
conseillers intimes lui peignaient sous les couleurs les plus som
gnements qu’il réclame pour l’épuration des autorités. Dans cette
bres, il demande la liste de tous ceux qui avaient occupé des
lettre il montre l'impatience du grand roi, qui n’aimait pas à at
emplois pendant la réaction
tendre (12).
prescrit par une circulaire des comités de Salut public et de sûreté
fédéraliste , système d’espionnage
Le 2 ventôse, il donne avis aux citoyens administrateurs du dé
générale réunis (14), où les révolutionnaires se livraientà qui mieux
partement des Bouches-du-Rhône que la Convention, par un dé
mieux à la délation et au mensonge. Avec de pareilles dispositions
cret, a conservé à Marseille son nom.
chacun devait craindre pour sa vie, car une simple dénonciation
Le 6, il enjoint à ceux qui ont eu recours aux officiers publics pen
pouvait perdre celui qui n’avait pas la réputation d’un patriote
dant l’expédition des Marseillais, l’ordre de renouveler les actes
éprouvé. Aussi, Marino, administrateur delà police, disait-il qu’il
faits devant l’autorité illégale, sous peine d’être regardés comme
aimerait mieux être accusé de vol et d’assassinat, que d’être sus
suspects et mis en état d’arrestation jusqu’à la paix.
Maignet avait dépouillé les églises de Marseille pour faire hom
pecté d’incivisme. Outre les dénonciations que des misérables fai
saient pour de l’argent, d’autres, plus lâches et non moins coupa
mage des richesses qu’elles renfermaient à la Convention, et mé
bles, pour chercher à se sauver, inventaient des complots et signa
riter le nom d’incorruptible et de vertueux qu’on donnait à celui
laient à l’autorité des gens paisibles, comme des conspirateurs.
qu’il avait pris pour modèle. La municipalité d’Avignon crut
Personne n’était à l’abri de ces sourdes menées, les riches, comme
devoir imiter cet exemple. On remarque dans la lettre d’envoi,
les cultivateurs et les simples artisans, quand ils étaient ennemis
dont nous donnons un extrait, toute la phraséologie révolution
particuliers des chefs de ces sociétés populaires, et surtout s’ils
naire (13).
avaient le malheur de déplaire aux femmes de ceux-ci, lesquelles
Le 29, il recommande à tous les magistrats de redoubler de vigi
se montraient souvent plus cruelles encore que les hommes lors
lance pour enchaîner, au moment décisif, tous ceux qui peuvent
qu’il s’agissait de punir une injure personnelle, ou de se venger
inspirer des craintes ou des soupçons, ordonnant, en même temps,
�50
d'une rivalité. On voit quel était l’esprit de ces assemblées, où, mal
gré l’absence des citoyennes, les rancunes féminines dominaient
—
51
—
Deux autres dépêches (18,19) annoncent l’insuccès de scs re
cherches pour découvrir les auteurs du délit.
souvent au sein des villes comme dans les communes rurales : es
Le commandant du quatrième bataillon des volontaires de l’Ar
prit qu’on a toujours vu et qu’on verra toujours ; car si les lois, les
dèche, qui joue un rôle actif dans cette malheureuse circonstance,
mœurs, les usages changent, les passions ne changent pas.
écrit au représentant deux lettres qu’il a dû vivement regretter plus
tard (20,21).
Le 16 floréal, Maignet avait rendu un arrêté par lequel le tribu
Y II
nal est investi des pouvoirs nécessaires pour juger révolutionnairement dans celte circonstance, attendant les ordres ultérieurs qu’il
donnera, comme le marque sa dépêche du 24 prairial, pour com
Le calme momentané dont jouit la population durera-t-il long
mencer les poursuites (22).
temps ? Armé des instructions du comité de Salut public, et assuré
Ce tribunal, qui ne demandait qu’a seconder ces dispositions
du concours de la Montagne, Maignet n’attend qu’une occasion
sanguinaires, fait une proclamation où l'on voit d'avance qu’il
pour frapper un grand coup.
sera inexorable (23). D'ailleurs, les ordres sont précis : du moment
Pendant qu’il se prépare à mettre ce plan à exécution survient un
que les coupables ne se font pas connaître, les habitants seront
événement qui lui permet de réaliser ses projets. Dans la petite
punis en masse. Il s'installe donc sur la place publique, en plein
ville de Bedoiu, située au pied du Mont-Venloux, on avait, dans la
air, pour donner plus de pompe à ses jugements, cl attend le mo
nuit du 12 au 13 floréal, abattu l'arbre-dela liberté, jeté le bonnel
ment où il pourra fonctionner. La copie d’un autographe qu’on
qui le surmontait dans un puits, et traîné dans la boue les décrets
trouve à la note (24), nous montre quelle était alors l’instruction
de la Convention, qu’on avait arrachés de la porte de la maison
des magistrats dans l’ordre judiciaire.
commune.
A peine cette nouvelle parvient-elle au représentant, qu’il fait
A son arrivée Le Goavail fait prendre les habitants, qu’on avait
enfermés dans l’église paroissiale. Là, entassés, privés d’air et
un rapport foudroyant à l’Assemblée nationale, dans lequel il an
presque asphyxiés, ils attendaient avec impatience le moment de
nonce les mesures qu'il vient de prendre pour punir cet attentat (15).
leur délivrance, car ils se sentaient innocents. Mais celte délivran
11 adresse des instructions aux membres du tribunal révolution
ce, pour un grand nombre d’enlre-eux, devait être la mort.
naire qui était déjà parti pour Bedoin (16). Ce tribunal était com
Cependant Maignet, malgré son audace, hésitait à commander
posé de Fouque, de Crcst, fabricant de poteries à Apt ; de Boyer,
une mesure aussi monstrueuse. Mais la réponse du comité de Sa
cabaretier à Piolenc ; de Rémusat et Robinaux, juges ; de Barja-
lut public, qu’il avait cru devoir consulter à cet égard, l’ayant en
vel, accusateur public, et la Ruelle, greffier.
couragé dans l’cxéculion du châtiment qu’il voulait infliger, il
En même temps, par son ordre, Le Go, agent national du dis
trict de Carpcnlras, banqueroutier, ancien notaire à Paris , sc
transporte à Bedoin avec deux cent cinquante hommes du qua
trième bataillon des volontaires de l’Ardèche, cinq chasseurs, le
lieutenant de gendarmerie, cinq gendarmes, eL fait un rapport qui
prouve qu’il était digne de la confiance qu’on lui accordait (17).
donna ordre de sc conformer aux dispositions de son arrêté.
Les formes de la justice sont à peine observées; les juges ne
constatent pas l’identité des prévenus ; et si les infortunés cher
chent à prouver leur innocence, des roulements de tambour les em
pêchent de se défendre. Soixante-trois personnes sont condamnées
à mort. Par une hiérarchie dérisoire dans l’application de la pei-
�—
52
—
ne, les prêtres, les nobles, les hommes de loi, au nombre de seize,
truire à l’avenir sur cette enceinte aucuns bâtiments, ni d’en cul
portent la tête sur l'échafaud ; et les quarante-sept autres sont fu
tiver le sol (25). Le fougueux représentant voulait, dans ses souve
sillés dans un pré voisin de la place publique, supplice bon pour
nirs de l'histoire, renouveler 1g campus sceleralus de Rome. Ordre
une vile plèbe, qu’on punissait sans appareil.
est donné en même temps aux habitants qui ont trouvé grâce de
vant les juges, de se transporter dans les communes environnantes
Mais celte expiation ne suflît pas ; il faut anéantir une ville cou
pable du crime de lèse-nation. Cinq jours après, quand les pre
reconnues comme patriotes, et de ne point abandonner les nou
miers accès de cette rage de destruction avaient pu se calmer; alors
velles demeures qu’on leur désigne, s’ils ne veulent être considérés
que les habitants épargnés par le fer ont quitté leur demeure, em
comme émigrés, et île se présenter toutes les décades devant les
portant avec eux ce qu’ils ont de plus précieux , — les uns, des
autorités, à peine d’être déclarés suspects et traités comme tels.
meubles, des hardes, des provisions de bouche; les autres, leur ré
En vertu de son arrêté qui statuait qu’on ne pourrait élever aux
colte de vers a soie qui n’était pas encore terminée, — l'agent na
fonctions municipales aucun membre de cette commune liberlicide,
tional, les juges, le commandant de la force armée et quelques
il la fait administrer par six étrangers d’un républicanisme connu,
démagogues des communes voisines, chacun muni d’une torche,
payés chacun six livres par jour, bien entendu aux frais des vain
mettent le feu de tous côtés, en se livrant à des danses frénétiques,
cus, invoquant celte fois les dures paroles du fier Gaulois : Væ victis!
aux cris de Vive la République ! Quatre cent trente-trois maisons
Pour arriver sans doute au même résultat, pareille tentative avait
ou édifices publics sont incendiés. M. Berriat Si-P rix, qui a visité
eu lieu à Monleux. Ici la municipalité, mieux avisée, avait fait
les lieux, nous est garant de l’exactitude de ce chiffre. Tout doit
des recherches actives ; et par le plus heureux des hasards, on
tomber; ce que respecte le feu est renversé par la mine, et dans ce
avait trouvé des fragments de l’arbre coupé chez deux des démo
tumulte les trésors et le linge de l’hôpital deviennent la proie des
crates les plus ardents de la commune.
pillards. On voulait justifier le nom qu’on lui donna de Bedoin
l’anéanti, qui avait succédé à celui de Bedoin l'infâme.
La nouvelle de ce désastre se répand aussitôt. On ne veut pas y
acte. Il part aussitôt et vient à Avignon pour en rendre compte au
croire ; car si une place emportée d'assaut est saccagée par l’armée
représentant, qui lui ordonne de faire fusiller sur-le-champ les au
victorieuse; si Lyon, après une héroïque résistance, a subi les con
teurs d’une telle profanation. Sur l’observation de quelques pa
séquences déplorables des lois de la guerre, l’histoire n’offre pas
triotes présents à cet entretien, lesquels connaissant le civisme
d’exemple, dans un pays civilisé, d’un fait semblable à celui qui
des citoyens inculpés, trouvaient les preuves insuffisantes, il fait
se passe à Bedoin : une cité paisible entièrement détruite, une
une réponse qui caractérise bien la justice révolutionnaire, et dit
partie de ses habitants envoyés de sang-froid à la mort pour ven
qu’en semblable occasion une demi-preuve suffit. Le maire dut
ger un délit dont les auteurs restent inconnus ! On voudrait pou
se conformer à cet ordre. Un des trois coupables s’échappa, mais
voir en douter; mais les flammes qu’on aperçoit de plusieurs lieues
de distance, comme l’atteste la lettre déjà citée (3), ne laissent plus
On ne s’en tient pas là. Maignel ordonne qu’une pyramide sera
érigée au milieu du territoire de Yinfdme Bedoin pour rappeler le
crime de ses habitants, et fait défense à qui que ce soit de cons
i
Tï)-
les deux autres furent passés parles armes. Depuis ce jour, Crillon,
débarrassé de ces hommes turbulents, jouit d’une entière tran
quillité.
de doute à cet égard.
U
A Grillon, il en fut de même. Le maire, sur quelques indices, dé
couvre que ce sont trois bons républicains qui ont commis cet
—
Malheureusement, à Bédoin on n’avait pas pris la même pré
caution, et nous venons de voir quelles en avaient été les consé
quences.
3
�r
—
31
La vérité n’csl point encore connue sur les auteurs du délit qui
amena celte effroyable catastrophe. S ’il faut en croire Prud’hom
—
35
—
avec tous les autres prisonniers, trouvant cette mesure de prudence
me, dont tout le monde connaît les écrits sur la Révolution, et
par trop prolongée, tremble, pâlit et se récrie, en disant dans son
patois : Mc, es dou bouan ? (mais est-ce tout de bon ?) Un roule
Georges Duval, dans scs souvenirs sur l’époque de la Terreur,
ment de tambour l’empêche de continuer, et ù quelques pas plus
Maignel n'était point étranger à l’arrachement de cet arbre.
loin il tombe sous les balles des soldats. N’esl-ce pas la meilleure
Nous ne sommes pas du même avis, bien que les apparences
explication qu’on puisse donner d’un secret si bien gardé (26).
soient contre lui. Si ce représentant était fanatique et cruel, son
Quelques mois plus tard Bedoin était réhabilité au milieu des
caractère décidé et plein d’énergie doit le mettre à l’abri du
fêles et de la joie générale par les ordres du représentant Jean De-
soupçon d’une telle duplicité. Toutefois, en vengeant l’affront fait
bry. Le 24 frimaire an III, la Convention, par un décret accorde
aux insignes de la République, il donnait en même temps satisfac
trois cent mille francs aux citoyens les plus nécessiteux. Mais
tion à son amour-propre blessé; car il était humilié de voir qu’un
qu’était celle somme en comparaison des pertes qu’on avait à dé
acte de ce genre se fût produit au temps de sa toute-puissance.
plorer ? Nous trouvons, d’après les registres de cette municipalité,
Aussi, Jupiter tonnant faisait-il entendre sa foudre.
que l’estimation, pour les bâtiments seuls, sans parler des fourra
Mais il n en était probablement pas de même de scs agents subal
ges mis en réquisition pour l’armée d’Italie et consumés dans les
ternes. Tout porte à croire que ceux-ci, pour donner au terrible
magasins, sans compter les meubles et autres objets qu’on n’avait
représentant l’occasion de se livrer h son penchant h la violence,
pu emporter; nous trouvons, disons-nous, d’après les registres que
avaient ourdi cette trame machiavélique ; car on ne peut raison
M. Paul Achard, le savant archiviste d’Avignon, a bien voulu nous
nablement supposer que les habitants de cette commune auraient
communiquer, que l’estimation des bâtiments seuls, pour les dom
gardé le silence sur les auteurs d’une action aussi audacieuse qu’ex
mages qu’ils avaient éprouvés, se porte à la somme de 1,239,770 fr.
travagante s’ils les avaient connus, en présence du danger auquel
La destruction de cette riche cité, amenée par la basse intrigue
ils étaient exposés, eux et leurs proches. Il paraît donc démontré
de quelques démagogues et la trahison de l’un de ses enfants,
qu’on avait gagné un misérable pour commettre celle action par la
remplissait les vues du représentant, dont les prévisions se trou
promesse d’une forte récompense, et l’assurance qu’il aurait la vie
vaient ainsi justifiées auprès du comité de Salut public, qui ne
sauve. C’est l’opinion la plus accréditée dans le pays, adoptée par
pouvait qu’approuver sa conduite, aux termes de sa dernière ins
Soullier et par l’abbé Sauve, vicaire de Bedoin, ce dernier surtout
truction (27).
en position d'être bien informé, opinion que M. Berriat St-Prix,
dont on apprécie à bon droit le jugement, est loin de contredire.
D'ailleurs la promptitude des dispositions prises en celle circons
tance semble en fournir la preuve.
Continuons nos citations , qui feront mieux comprendre les
moyens qu’il employait pour arriver â ses fins.
Le 20 germinal il écrivait à Pavan, administrateur du départe
M. le marquis de Laincel, dans son Voyage humouristique dans
ment de la Drôme, pour avoir des renseignements. Nous donnons
le Midi, où l’on reconnaît une plume si fine, si spirituelle, rap
celte lettre (28), et la réponse qui l’accompagne (29), moins par
porte, à ce sujet, un propos qu’il lient du fils de l’une des victi
leur importance réelle, que par un sentiment d’équité ; car si nous
mes. Le traître, qu’on avait placé parmi les condamnés pour ne
mettons à découvert les crimes de ces grands coupables, nous de
pas le compromettre, lui disait-on, aux yeux de ses concitoyens,
vons produire tout ce qui peut les atténuer. Il en est de même
et qu’on devait faire évader au dernier moment, quand on l’amène
pour la note (30). Dans cette correspondance, qui certainement
/
■ U,„ X
�—
36
—
n'était pas destinée à la publicité, on remarque, au milieu de quel
longtemps soumise à la maison de Nassau, qui professait, comme
ques appréciations inexactes sur le caractère de certains individus,
on sait, la religion réformée, était un centre de protestantisme.
des principes de droiture et d'honnêteté, malgré le fanatisme qu’on
Les habitants, qui après la prise do possession par Louis XIV , en
voit à chaque mot, qui contrastent avec leurs actions.
1702, avaient vu tomber le château fortifié, dernier rempart de
Muni des renseignements qu'il avait demandés à Payan et des
leur indépendance, subissant ainsi les conséquences de la révoca
conseils qu’il reçoit de son entourage, Maignet écrit, le 4 floréal,
tion de l’édit de Nantes, donnaient des garanties suffisantes de
il Coulhon (31) pour lui faire part de la situation du pays qu’il ad
leur dévoûment à la Révolution.
Quelques familles, il est vrai, s’étaient ralliées à la France ;
mais d’autres, fortement attachées à leur croyance qu’on persécu
ministre ; et parlant de la nécessité d'épouvanter les populations
par des mesures révolutionnaires, il lui démontre l’impossibilité
de faire conduire à Paris, pour y être jugés, selon les décrets de la
tait, n’attendaient qu’une occasion pour manifester des sentiments
Convention, les douze ou quinze mille détenus dans les départe
hostiles à la Monarchie, opposition à laquelle il faut ajouter celle
ments des Bouches-du-Rhône et de Vaucluse. Après avoir compli
de nombreux catholiques fanatisés par les idées nouvelles. Ce
menté le comité de sûreté générale sur l’arrestation de Jourdan et
choix fut consacré par le comité de Salut public qui, dans un ar
de Dupral, il demande l’autorisation d’établir un tribunal révolu
rêté du 21 floréal, établit la commission populaire dans cette ville.
tionnaire dans le Midi pour juger les fédéralistes. 11 envoie en
Par celte mesure les comités avaient outrepassé leurs pouvoirs.
même temps des notes (32), d’après lesquelles on voit sous quelle
Michelet lui-même le déclare nettement dans son Histoire de la
influence les nominations ont été faites. On trouve dans cette
Révolution, car la Convention, d’après le décret du 10 floréal,
même lettre des détails d’économie domestique, qui tranchent sin
avait seule désormais ce droit-là.
gulièrement avec le sujet qu’elle traite, quand il lui parle du su
cre, du café cl de l’huile qu’il doit lui faire parvenir.
Le 15 floréal, Lavigne, s^on secrétaire, écrit à Coulhon dans le
même sens. Il insiste principalement sur l’urgence de la création
de ce tribunal, qu’il demande au nom de la prospérité de la Répu
blique.
D’après ces instances, Payan adresse ccs notes à Robespierre,
dont il réclame le concours, en lui disant que Coulhon n’attend
plus que son avis pour faire sou rapport.
On ne perd pas de temps. Mais on est indécis sur le lieu où
siégera le tribunal. En voyant l’insuffisance de celui de Marseille
dans la punition des coupables des Bouches-du-Rhône, on ne dut
pas songer à cette ville. Avignon, à cause du mauvais esprit de ses
habitants, comme le disait Lavigne, secrétaire de Maignet, fut ex
clu aussi. Un moment il fut question de Monlélimar, qui eut le
bonheur de se soustraire à un pareil privilège. Les frères Payan
firent pencher la balance en faveur d’Orange. Celle antique cité.
Merlin (de Douai) disait même le 17 nivôse, an III, que la
création de l’atroce commission d’Orange était un crime. Mais
alors on ne s’arrêtait pas à des vices de forme. On s’empressa donc
de mettre à exécution l’arrêté du comité de Salut public.
Le 15 prairial, au moment où Bédoin était en flammes, Mai
gnet se rendait à Orange pour procéder à l’installation du nouveau
tribunal. Il arrive un grand appareil, vêtu en représentant —
chapeau empanaché, habit bleu, gilet blanc à pans renversés, bot
tes à* revers, écharpe tricolore, et grand sabre au côté, — costume
(pii lui donne plutôt l’air d’un chef militaire que d’un législateur.
Là, au milieu de son cortège, entouré d'une foule nombreuse,
il ordonne la lecture de divers actes relatifs à la création et à
l’organisation duv^a commission populaire, qui se fait dans l’ordre
suivant :
�-
38
—
Paris, 23 floréal, an II, de la République Française, une et indivisible.
59
—
—
Les membres de cette comynission seront les citoyens:
F auvety , juré du tribunal révolutionnaire.
Le comité de Salut public,
M etlleret , du département de la Drôme.
R oman- F onrosa, président du tribunal du
A Maignet, représentant du peuple en mission dans les départe
ments des Bouches-du-Rhône et de Vaucluse.
F ernex , juge au tribunal de Commune affranchie.
Le citoyen Lavignc, ton envoyé, lo remettra, avec celte lettre,
R agot, menuisier, rue d’Auvergne, à Commune
citoyen collègue, une expédition par ampliation de l’arrêté du co
mité qui établit une commission à Orange. Tu demeures chargé
de l'installation de celte commission. Le comité attend du zèle
dont tu as donné constamment des preuves dans ta mission, que
tu ne perdras pas un instant à mettre cet établissement nécessaire
en activité. Il faut que justice prompte et sévère soit faite de tous
les scélérats qui. par divers moyens, ont tenté de perdre le Midi.
affranchie.
Le citoyen M aignet, représentant du peuple, est chargé d’insti
tuer cette commission sans délai.
Le commissaire des administrations civiles fera exécuter le pré
sent arrêté.
Signés au registre : R obespierre , C arnot, C ollot
La société formée pour l’accaparement des biens nationaux ne
d'II erbois ,
doit pas être oubliée. Quand les preuves certaines de son exis
C outhon, C .-A . P rieur .
punir les infâmes qui sont entrés dans celle coalition... Le comité
Signés: C ollot
Salut et fraternité.
d’II erbois ,
Pour copie conforme :
Le commissaire des administrations civiles, police et
tribunaux,
Signé : H erman.
Les membres du comité de Salut public,
Signés à l’original : C outhon, R o bespierre , C arnot,
C outhon, R obespierre ,
R . L indet.
faitement bien répondu à la confiance de la Convention natio
nale. Je l’invite à marcher toujours sur la même ligne.
B illaud-V arenne, B. B arèrë , R . L indet,
Pour extrait :
tence seront entre tes mains, il n’y aura pas à délibérer pour faire
a vu avec satisfaction que dans toutes les opérations tu avais par
dis
trict de Die.
(Papiers trouvés clics Robespierre).
B illaud- V arenne.
Paris, 29 floréal, l'an deuxième de la République Française, etc.
Extrait des régistres du Comité de Salut Public de la Convention
nationale, du 2 i floréal, an deuxieme de la République fran
çaise une et indivisible :
Le Comité du Salut Public arrête qu’il sera établi à Orange une
commission populaire composée de cinq membres pour juger les
ennemis de la révolution qui seront trouvés dans les pays envi
ronnants et particulièrement dans les départements de Vaucluse et
des Bouches-du-Rhône.
Le comité de Salut publie,
Au citoyen M aignet représentant du peuple à Avignon.
Cher collègue,
Nous le faisons passer une expédition de l’instruction qui va
régler la conduite et les devoirs des membres de la commission
établie à Orange et dont tu es chargé de Cinstallai ion (sic), par
notre arrêté du 20 floréal.
�—
40
—
%
Salut cl fraternité;
Les membres du comité de Salut public,
Signés k l’original : C arnot, B illaud-V arenne, Cou-
Les membres du comité de Salut public,
thon.
Signés k l’original : R obespierre, B illaud-V arenne,
C arnot.
Instruction des membres (sic) de la commission populaire éta
blie à Orange par arrêté du comité de Salut public.
Du 20 tloréal l’an deuxième de la République française une et
indivisible.
Les membres de la commission établie h Orange sont nommés
pour juger les ennemis de la révolution.
Les ennemis de la révolution sont tous ceux qui, par quelque
moyen que ce soit, et par quelques dehors qu’ils soient couverts,
ont cherché h contrarier la marche de la révolution et à empêcher
l’affermissement de la république.
La peine duc à ce crime est la mort. La peine requise pour la
condamnation sont (sic) tous les renseignements, de quelque nature
Extrait du registre des arrêtés du comité de Salut public de rAs
semblée nationale.
Du premier prairial l’an deuxième de la République française.
Le comité de Salut public arrête que le représentant du peuple
M aignet, chargé d’installer à Orange la commission révolution
naire, est également chargé d’organiser tout ce qui est nécessaire
pour qu’elle soit en activité sans délai, ainsi que pour l’exercice
de différentes fonctions que doivent exercer les membres qui la
composent ; le citoyen F auvety , président, étant autorisé à établir
comme premier huissier, le citoyen N appier , actuellement huissier
au tribunal révolutionnaire de Paris.
Signés au registre : C ollot
qu'ils soient, qui peuvent convaincre un homme raisonnable et
d’H erbois ,
B. B arère ,
C arnot, C outhon, B illaud -V arenne, C.-A. P rieur ,
ami de la liberté.
R . L indet, R obespierre .
La règle des jugements est la conscience des juges, éclairés par
Pour extrait :
l’amour de la justice et de la patrie ;
Signés : C ollot d’H erdois, B. B arère , B illaud- Va-
Leur but, le salut public et la ruine des ennemis de la patrie.
renne,
Les membres de la commission auront sans cesse les yeux fixés
R obespierre .
sur ce grand intérêt ; ils lui sacrifieront toutes les considérations
particulières.
Ils vivront dans l’isolement salutaire qui est le plus sûr garant
de l'intégrité des juges, et qui pour cela même leur concilie la con
fiance et le respect. Ils repousseront toutes les sollicitations dan
gereuses ; ils fuiront toutes les sociétés et toutes les liaisons parti
culières qui peuvent affaiblir l’énergie liés défenseurs de la liberté,
.
.
<■'1
et influencer la conscience des juges.
Ils n'oublieront pas qu’ils exercent le plus utile et le plus res
pectable ministère, cl que la récompense de leurs vertus sera le
triomphe de la république, le bonheur de la patrie et l’estime de
leurs concitoyens.
Au nom du peuple Français.
Le représentant du peuple envoyé dans les départements des
Bouches-du-Rhône et de Vaucluse,
Considérant que les devoirs importants qui sont confiés à la
commission populaire commandent impérieusement qu’il n’y ail
pas le moindre intervalle entre l’installation et l’exercice des fonc
tions,
Arrête ce qui suit :
a r t ic l e
p r e m ie r
Le président de la commission populaire recueillera, au nom
�42
—
—
du tribunal, toutes les pièces à charge et il décharge qui seront
déposées au greffe de la commission.
ARTICLE II
11 en donnera la lecture publique aux prévenus, et leur fera tous
les interrogatoires qu'il croira nécessaires.
ARTICLE III
43
ARTICLE X
Les juges régleront le traitement de ceux qu’ils nommeront par
un arrêté pris entre eux. Ils seront également payés par le rece
veur du district.
Fait à Orange, le 15 prairial,l’an second de la République française,
une et indivisible,
Signé :
Chaque juge pourra lui adresser ceux qu’il aura il leur faire.
ARTICLE IV
M
a ig n e t .
Celle lecture faite, il prononce un discours (34) modéré dans la
Quand la majorité des juges qui se trouveront sur le siège décla
forme, froid, sentencieux comme ceux de son maître Robespierre,
rera être suffisamment instruite, le président recueillera,sur le siège
qui parlait sans cesse de sa vertu et de sa probité, mais énergique
même et il voix basse, les suffrages, et prononcera de suite publi
par les mesures qu’il prescrit. Il attaque indirectement Rovère et
quement et devant les prévenus le jugement rendu.
ses partisans avec une grande force; puis paraphrasant les instruc
ARTICLE v
Le tribunal pourra juger avec trois membres.
ARTICLE VI
Le jugement sera de suite mis il exécution.
ARTICLE VII
Le citoyen
B
en et,
greffier an tribunal criminel du département
de Vaucluse, est nommé pour remplir les fonctions de greffier
auprès de la commission populaire. Il lui est permis de nommer
un substitut pour occuper, pendant la durée de ses nouvelles fonc
tions, auprès du tribunal criminel.
ARTICLE VIII
Le traitement des membres qui composent la commission sera
tions du comité de Salut public, il fait sentir aux juges que si des
devoirs immenses leur sont imposés, ils disposent aussi de moyens
sans bornes, et leur dit expressément qu’ils ne relèvent que de leur
conscience (part la plus large qu’on puisse faire h l’arbitraire), et
leur fait comprendre qu’on doit arrêter tous les suspects ; et insiste
sur les mesures à prendre contre le fédéralisme, d'où il croit voir
sans cesse surgir une nouvelle Vendée, son idée fixe, comme nous
l’avons déjà fait entendre.
Avec de pareilles instructions le tribunal pouvait-il faire grâce?
D’après la circulaire des comités de Salut public et de sûreté géné
rale réunis adressée aux citoyens composant les comités de surveillanée, pouvait-il manquer de victimes?...
Le citoyen Fauvety, président de la commission, après avoir
obtenu la parole, s’exprime ainsi :
le même que celui du tribunal révolutionnaire de Paris ; il sera
Citoyen représentant, les membres qui composent la commission
payé, chaque mois, par le receveur du district d’Orangc sur les
jurèrent, dès l’aurore de la Révolution, de vivre libres ou de mou
états qu'en fournira le greffier, ordonnancé par le président (33).
a r t ic l e ^
rir. Ce qu’ils ont fait depuis pour la patrie leur a valu l’honorable
suffrage des représentants du peuple. Ils feront tous leurs efforts
nommés par le comité de Salut public, le nombre d’adjoints, cl de
pour mériter la confiance dont le gouvernement les a investis, ils
demandent par mon organo à prêter lo serment entre tes mains.
prendre le nombre de commis, garçons de bureau et autres per
Tandis que nous ferons notre possible pour remplir dignement
sonnes dont il aura besoin.
rengagement solennel que nous allons contracter, le peuple, qui
Le président aura le droit de donner au greffier et à l’huissier
�—
44
—
—
a le droit imprescriptible de tout surveiller, de tout juger, fera son
devoir comme nous voulons faire le nôtre.
45
s’arrêta quelque temps h Uzès, où il séduisit Auffan, maîtro d’hôtel
renommé, en flattant son amour-propre de cuisinier, et enrôla en
El à l’instant les membres de la commission ont prêté entre les
même temps, sous la bannière de la Montagne, Subleyras, ainsi
mains du représentant du peuple, le serment prescrit par la loi.
que Fauvety, lequel comme on vient de le voir, avait déjà fait ses
Ils ont reçu l’accolade fraternelle et ont pris place.
preuves. Il écrivit en faveur de ce dernier h Robespierre, qui, sur
La commission a ordonné,au nom de la République,la transcrip
celte recommandation, le fit entrer au tribunal révolutionnaire de
tion, sur les registres, de toutes les pièces qui ont été lues, et lo
Paris, où Fouquier-Tinville disait qu’il était un des jurés solides.
président lève la séance.
La lettre de Voulland (35) renferme quelques autres détails qu’il
Signés :
yety
,
M
a ig n e t ,
président,
représentant du peuple, F auB
en et,
greffier.
(Recueil officiel des actes de la commission).
est bon de connaître.
Nommé ensuite, par le crédit de Payan, président de la commis
sion populaire d’Orange, Fauvety devait se montrer digne de secon
der Maignet, qui faisait juger sans instruction écrite et sans assis
tance de jurés, pensant qu’on pouvait se passer de preuves. Le
IX
nouveau président quitte Paris le 30 floréal, après avoir reçu une
somme de dix-huit cents francs, qui lui était allouée par le comité
de Salut public à titre d’avances et de frais de voyage. M. Berriat
Donnons quelques détails sur les membres de cette commission
et sur les hommes qui les ont secondés dans leurs travaux.
St-Prix pense qu'il emportait avec lui l'instruction envoyée par ce
comité, dont la rédaction, selon cet écrivain, appartenait à Cou-
Fauvety (Jean), fié h Uzès en 1762, était fils d’un fabricant de
thon, et d'après Louis Blanc, à Robespierre. Nous penchons pour
bas. Il fit ses études à Bagnols-sur-Cèze, dans le collège tenu par
la première de ces deux interprétations, car celui qui gouvernait la
les Joséphins. 11 embrassa avec ardeur les principes de la Révolu
France n’aurait pas fait les fautes contre la syntaxe que nous avons
tion. Tout en lui annonçait qu’il porterait cette opinion à l’extrê
indiquées. Mais un point sur lequel les historiens s’accordent,
me, car un de ses compatriotes, en parlant de lui, disait qu’il avait
Louis Blanc et Michelet en tète, c'est que de cette instruction est
une tète de feu et un cœur d’acier.
sortie la loi du 22 prairial, où se trouvent les mêmes pensées, pres
Nommé directeur de la poste aux lettres de sa ville natale, il fut
destitué dans un moment de réaction par le Directoire de Nîmes,
que les mêmes termes, et dans laquelle on aperçoit aussi la guillo
tine.
et mis en prison dans le fort, aujourd’hui la maison centrale. 11
Agricol Moureau, dans sa correspondance avec Payan, fait con
s'échappa en sautant d'un second étage, et vint se réfugiera Paris.
naître les tiraillements qui existaient au sein de la commission,
Il avait eu occasion de voir Voulland, son compatriote, fixé h
où se trouvaient deux membres un peu tièdes. Mais Fauvety mon
Nîmes, ou il exerçait la profession d’avocat avant d'être envoyé aux
tre un caractère qui ne se dément pas. Dans une lettre h cet agent
Etats-généraux, au tribunal de Cassation, et h la Convention.
national de la Commune, il signale ceux de ses collègues qui sont
Ce représentant, qui eut la plus grande influence sur la destinée
au-dessous de leur position (36). Il ajoute, à ce sujet, que si les
de Fauvety, parcourant, en 1793, le département du Gard en qua
deux autres venaient à tomber malades, le tribunal ne ferait plus
lité de membre du comité de Sûreté générale, pour faire triom
que de l’eau claire! mot d’une grande justesse, car c’est du sang
pher l’idée républicaine,dit Baragnon dans son Histoire de Nîmes,
qu’il leur fallait. Enfin, dans la lettre de Moureau à ce même Payan
�—
46
—
du 18 prairial, on lit un post-scriptum qui donne le dernier coup
—
47
questions qui touchent aux choses pratiques, lorsqu’il croit pou
de pinceau à ce lugubre tableau. « La commission, écrit-il, est
voir remplir les fonctions qui lui sont confiées dans une période
installée ; encore quelques jours, et tu entendras dire qu’elle est
révolutionnaire comme dans des temps ordinaires. Entraîné dans
aussi terrible que juste. Il faut qu’elle fasse trembler les malveil
le tourbillon, il paraît, d’après les paroles qu’on lui f>rêle au mo
lants de tout le Midi ; qu’elle extermine ceux qui lui tomberont
ment où il recevait sa nomination, qu’il ne se faisait pas illusion
sous la main et tue les autres d'épouvante. » Les actes ont répondu
sur son sort ; « Si je n’accepte pas, disait-il, je serai compromis
aux menaces ; et nous verrons plus loin, dans un écrit de Pays
aux yeux des révolutionnaires ; si j ’accepte, comme c’est un état
d’AfissaC, que Fauvely avait emprunté il CofTinbal celle expres
de choses qui ne peut durer, il est probable que je ne reviendrai
sion, quand il voulait faire taire les accusés : Tu n’as pas la parole !
plus. » Triste exemple des conséquences qui résultent d’un pre
manière expéditive de couper court aux débats. On prévoit d’a
mier pas dans une mauvaise voie ; car il n’était pas cruel ; et l’on
vance le sort destiné il ceux que devait juger un tribunal sous l'in
rapporte qu’en se promenant seul,un soir,sur la route de Paris, une
fluence de ce redoutable président.
personne,qui se reposait sous l'arc de triomphe de Marius, l’enten
dit qu’il disait : « Mon Dieu! encore des exécutions! n’y a-t-il pas
Roman (Pierre-Michel-François), né à Die le 8 mars 1733, avait
déjà assez de sang répandu ! »
ajouté à son nom celui de Fonrosa, d’une propriété qu’il possédait
Ajoutons quelques traits d’humanité qui l’honorent. Il a fait re
h Chapia, dans la même commune, pour se distinguer de son frère
tenir dans les prisons de Valence, sous prétexte que celles d’O
aîné, avocat comme lui. Mais il y avait peu de rapports entre eux :
range étaient encombrées, différentes personnes de scs compatrio
l'un, doux et paisible, vécut à l’écart et ne lit jamais parler de lui ;
tes, entre autres, MM. Bouvier, deRoquebrune, et deChambon.ee
l’autre, d'une imagination ardente malgré son âge avancé, em
dernier plus tard évêque d’Amiens, pour leur sauver la vie. Nous
brassa les idées nouvelles avec enthousiasme. Nommé maire de Die
devons ajouter à cette liste les noms de Mesdames Bouvier, née
le 14 mars 1790, il devint juge-président du tribunal de justice le
Louise Blache, Benoît, Guiori, renfermées aussi dans la même pri
1er décembre de la même année. Il fut choisi par Maignel pour
faire partie de la commission d’Orange sur la recommandation de
Pavan, qui avait la haute main dans toutes ces nominations.
Quoique instruit et capable, il ne répondait pas h l’attente du
président qui le blâmait de trop s’attachera la forme et de ne pas
mettre assez de célérité dans les jugements. Aussi, Payan, d’après
la lettre de Fauvety, où celui-ci lui faisait part de l’esprit qui ani
mait les juges, crut-il devoir lui donner quelques conseils (37).
La réponse de Fonrosa prouve qu’il voulait connaître à fond le
degré de culpabilité des accusés avant de les condamner. Celle
lettre (38), quoique bien raisonnée, est prolixe et annonce un ju
risconsulte qui ne veut déroger en rien à ce qu’il croit le droit;
mais elle nous montre, en même temps, malgré des connaissan
ces en jurisprudence incontestables, un esprit peu éclairé dans les
son par arrêté révolutionnaire du 22 prairial, an II ; détails que
nous devons aux démarches de M. L ’abbé Perret et à l'obligeance
de M. Armand, officier de l’instruction publique à Die. On est
heureux de rappeler les traits d’humanité du juge d’Orange. Ses
collègues sans doute n’en auraient pas fait autant.
Il règne quelque confusion sur Mellerel, qu’on nomme géné
ralement Meilleret. Nous allons Lâcher de découvrir la vérité au
moyen des renseignements que nous nous sommes procurés.
Antoine Mellerct père était avocat à Etoile avant la Révolution.
Commandant la garde nationale de sa commune, il assista, en 1790,
à la fédération de Romans, puis fut élu administrateur par l’As
semblée de Chabcuil, et réélu en 1791. Il devint président du
conseil du département de la Drôme, pendant que Payan était
�49
—
procureur général syndic. Il fui dénoncé à Méaulle, représentant,
Fernex (Joseph), né à Lyon, était ouvrier en soie selon l’abbé
le 20 thermidor, an II.
Il avait plusieurs enfants, dont quatre se trouvaient sous les dra
Guillon, Broghot du Lut et Péricaud aîné, et prenait le litre de
passementier. D’après un acte authentique intitulé : Noyau de la
peaux, ce qui fit exempter, en 1793, du service militaire, Antoine
société populaire de Commune affranchie, il avait adopté celui de
Melleret, fils aîné. Celui-ci, ayant embrassé l’état ecclésiastique,
dessinateur. On voit dans la collection Melville-Glovcr qu’il fai
était vicaire h Étoile et recteur de la chapelle de St-Jean . Quand
sait partie de la commission révolutionnaire établie dans celte
la Révolution éclata, il rentra dans la vie laïque, et
ville, composée de cinq membres, laquelle fonctionna depuis le 8
fit peu
parler de lui, vivant au sein de l’étude, surtout sur ses vieux jours,
frimaire, an II, jusqu’au 17 germinal suivant (du 28 novembre
où il ne sortait pas de sa riche bibliothèque.
1793 au 6 avril 1794), espace de temps où il prit part à la condam
Un de ses frères fut nommé commandant de la gendarmerie
d'Avignon après l'incarcération de Jourdan. C’est probablement le
même qui faisait partie de l’expédition de Bédoin.
nation de mille six cent quatre-vingt-quatre individus.
Sauvage, vivant seul, dit l’abbé Guillon dans son Histoire du
siège de Lyon, évitant toute intimité avec ses collègues, il était
Jean-Pierre Melleret, le second des enfants, médecin, commis
sans pitié pour l’homme riche et pour celui qu’il ne croyait pas
saire surveillant à Étoile, fut envoyé à Die par le département, en
dévoué à la République. Il avait l’habitude de dire : Je donne ma
1793. On a dit qu’il était simplement officier de santé après avoir
vie pour que la Révolution triomphe (39).
été tailleur de pierres. Quoi qu’il en soit, on Yoitson nom dans un
Il devait donc accepter avec empressement un emploi conforme
acte, sous la date du 21 mars, an II, où il signe médecin-grenadier,
à ses goûts. A Orange il ne se montre pas moins sanguinaire, et
sans doute en souvenir de ses campagnes, ou pour imiter Latour-
on le regardait comme le plus impitoyable de tous les juges. Sa
d'Auvergne-Corret.
lettre à Robespierre (40), en même temps qu’elle témoigne de sa
Mais parmi tous les Melleret quel est celui qui a fait partie de
haine contre les classes élevées de la société, fait connaître la po
la Commission d’Orange ? Nous allons chercher à le découvrir à
litique du chef do la Montagne, qui, toujours soupçonneux, ne se
l’aide de quelques pièces qui nous ont été communiquées.
contentait pas des rapports officiels de la commission, et cherchait
Antoine Melleret, fils aîné, comme on vient de le voir, était dans
des renseignements auprès de l'un de ses membres les plus obs
les Ordres. El cependant lors de l’inventaire des papiers de son
curs. C’est par ce système d’espionnage qu’il maintenait sa supé
père, on a trouvé une lettre.datée de Sablet le 13 thermidor, signée
riorité sur ses collègues, étant mieux instruit qu’eux de l’esprit
Antoine Melleret (ci-devant prêtre), employé dans l’enregistrement
public et des événements journaliers. Si en province il se servait
et alors attaché à la commission d’Orange. Or, sur la feuille d’é
d’individus subalternes, à Paris sa police secrète était montée sur
margement des employés, ne figure d’autre Melleret que le juge.
un tout autre pied : c’étaient Salés, son agent favori, employé au
De plus l'acte d’accusation et le jugement de messidor an III, por
ministère de la justice à cette époque, et même sous la Restaura
tent Jean-Pierre Melleret. C’est le docteur, ainsi que l’indique
tion; Héron, la femme Chalabre, Beausirc, mari d’Oliva, du collier
d’ailleurs la note de Payan, qu’on doit considérer comme faisant
de la Reine ; Meunier, Boyenval, Vauchelet, d’IIilliers, placés au
partie de la commission populaire, dont il était, toutefois, avec
près des prisonniers du Luxembourg comme moutons-, et sur un
Fonrosa, un des membres les plus modérés,— autant que pou
rang plus élevé Latour-Lamontagne, Bacon, et autres qui, parleur
vaient être modérés ceux qui remplissaient ces cruelles fonctions.
adresse à cacher leur conduite, ont pu se soustraire ù celle hon
teuse renommée.
4
jm
�50
—
—
D'après celle correspondance on voit combien la réputation de
51
cruauté de Fcrnex était connue, puisqu’il est obligé de justifier la
moins avouable, et dont nous devons la connaissance à un ami,
habitant de Lyon, qui a bien voulu nous donner de nombreux
conduite qu’il a tenue à Lyon, et cela devant un Robespierre !
renseignements sur le sujet dont nous nous occupons. Il paraît que
Enfin, comme dans cette lettre il n’est question ni de Fonrosa, ni
Ragot faisait partie des dénonciateurs, en compagnie de Loupy,
de Melleret, tandis qu’elle renferme des souvenirs do Fauvcty cl
tous les deux qualifiés de commissaires. C’étaient là des titres
de Ragot, on doit en conclure qu’il n’y avait pas entente complète
pour la faveur qu’il avait obtenue : à Lyon il dénonçait les ci
entre les membres de la commission, comme l’établissent d’ail
toyens, entre autres Brossy et Marion Lacour ; à Orange il les ju
leurs les lettres qu’on a déjà lues.
geait. On cite la lettre qu’il écrivait de cette ville à Maignet :
« Réjouis-loi, mon ami, bientôt les têtes vont tomber par milliers;
Ragot (Gaspard), nom que les actes officiels écrivent ainsi, tan
dis qu’il signe Ragod, n’a joué qu’un rôle secondaire, mais tou
jours actif, dans le mouvement révolutionnaire. Simple menuisier
dans la rue d’Auvergne, nous pensions qu'il avait dû sa nomina
tion à ses sentiments exaltés, ou à quelques services particuliers
rendus à Maignet pendant sa mission dans cette ville. Mais il
les murs viennent d’être dressés pour la fusillade. »
Plus tard il est encore question de lui. La citoyenne Eulalie
Rocher, de Bollène, sœur d’une religieuse exécutée le 22 messidor,
déclare devant le comité révolutionnaire d’Orange, à la date du 6
frimaire, an III, « que le 30 messidor elle a entendu le citoyen
Ragot, causant avec plusieurs citoyens qui s’entretenaient de la
avait d’autres titres, que nous allons faire connaître. Il était atta
rigidité de la commission populaire, répondre que les ordres étaient
ché au comité des travaux publics de Lyon, comme le prouve la
clairs, qu’elle ne devait laisser exister aucuns nobles, prêtres, reli
lettre du 20 floréal, an II, qu’il adresse à ses collègues pour leur
gieuses, notaires, avocats, et aucune personne tant soit peu éclai
donner sa démission, lettre dont M. Vacher, chef de bureau des
rée. L ’exposante, à ces mots, montre toute son indignation. Alors
archives de. la ville, a bien voulu nous donner une copie avec la
Ragot s’approchant d’elle pour l’embrasser, elle lui dit qu’elle de
plus grande obligeance. La voici :
vait bientôt passer sous sa barre, et que ce baiser ne fût pas celui
« Citoyens,
de Judas !... »
« Le comité de Salut public de la Convention nationale m’a
nommé membre de la commission des cinq qui va être établie à
Orange pour juger les ennemis de la République de Vaucluse et
Nous reviendrons sur son compte en parlant de sa tenue pen
dant les séances.
Passons aux officiers ministériels.
des Bouches-du-Rhône. Celte fonction m’appelle au plus tôt; je suis
toujours prêt à voler où la patrie m’appelle.
« Si je peux avoir quelques regrets, ce sont seulement ceux de
m'éloigner pour quelque temps de mes vrais amis. Je vous prie
d'accepter la démission d’une place que je ne puis plus remplir.
*
« Vive la République, salut et fraternité.
« Signé R agod. »
Viot (François-Charles), de Charleville, déserteur du régiment
de Penthièvre-Dragons, était membre du Directoire de la Drôme,
à Valence. Placé par Maignet à la direction de la poste aux lettres
à Avignon, il quitte cet emploi pour celui d’accusateur public au
tribunal révolutionnaire d’Orange, auquel il fut nommé par un
simple arrêté du représentant. Il annonce à Payan, dans sa lettre
du G messidor, qu’il est chargé de Vhonorable fonction d’accuser
Le motif qui avait dicté ce choix n’avait de blâmable que la
les conspirateurs devant la commission. Nous ferons connaître
position qu’il avait prise dans la politique ; mais il en est un autre
plus loin les divers actes qui souillent sa vie. On peut juger de son
�—
52
—
zèle par l'empressement qu’il met à lancer des mandats d’arrêt
pour le plus léger prétexte (41), et de la cruauté de son caractère
par les instructions qu'il donne aux comités de surveillance (42).
Mais c’est surtout aux partisans du fédéralisme qu’il fait une guerre
acharnée (43). Dans une seconde lettre à Payan, en date du 9 ther
midor, il se glorifie d’avoir fait tomber plus de trois cents têtes, en
même temps qu’il annonce la mise en jugement , dans la même
séance, de soixante chiffonniers d’Arles (qu’il confond avec les
siphonniers, opposés aux monnaidiers , dont nous parlerons dans
un autre chapitre), en attendant, ajoute-t-il, quelque autre fournée
du même nombre, préparant ainsi de nouvelles hécatombes.
On le voit, après la séance, suivant la narration de Chaussy et
l’adresse des officiers de la garde nationale d’Orange, en date du
20 pluviôse, an III, le sabre nu à la main, les manches retroussées,
conduisant, en compagnie de l ’huissier, les condamnés il la prison,
où il les dépouillait de leur argent, de leurs bijoux, de leurs effets
les plus précieux. Il revenait ensuite, pour les mener au sup
plice, chercher ces malheureux, que le bourreau liait parfois de
manière à leur briser les poignets, lorsque leurs vêtements ne ré
pondaient pas à son attente et à sa cupidité. L ’accusateur public,
qui n’aurait dû être là que pour l’observation de l’ordre, tolérait
—
53
—
greffier de la commission populaire. On a dit que Cottier-Julian
lui servait de secrétaire, bien qu’attaché à l’accusateur public.
Le certificat suivant, délivré par la municipalité d’Orange sur
la demande de la citoyenne Gardiole, sa femme, en date du 18
vendémiaire, an III, pendant qu’il était en fuite, confirme ce que
nous venons de dire :
« Le conseil général, voulant rendre hommage à la vérité, at
teste que, depuis le moment où l’aurore de la liberté a commencé
à luire sur la France, Claude Benet s’est montré l’un des apôtres
les plus ardents ; qu’il n’a cessé de propager les principes de la
Révolution par sa conduite et par ses discours ; et que dans toutes
les occasions il a donné les preuves du civisme le plus pur, et qu’il
s’est toujours montré l’ami du peuple ; qu’il n’a cessé de le prému
nir et de l’éclairer sur les horreurs du fanatisme. »
Pour faire mieux connaître encore ce greffier de la commission,
nous n’avons qu’à citer deux lettres, devenues célèbres, trouvées
dans les papiers de Robespierre, et adressées à Payan. Les voici :
« Marseille, quintidi frimaire, an second républicain. Encore
un triomphe de la liberté sur l'esclavage, de la raison sur le fana
tisme, mon cher procureur général. Un ci-devant prêtre , curé
de Salon, passe sous mes fenêtres en robe rouge (*), escorté de la
ces actes de cruauté, comme il permettait les impudiques regards
gendarmerie. Devine où va le cortège... Demain on en annonce
de ce prétendu vengeur du peuple , ses paroles libertines, ses lu
sept ou huit, et après demain relâche au théâtre. Mon ami, l ’es
briques attouchements sur des femmes que leur position, comme
prit public se vivifie dans celte commune. La vérité, l’égalité com
leurs vertus, devaient mettre à l’abri de ces brutales insultes.
mencent à y établir leur empire.
La déclaration d’Antoine Paquet, l’exécuteur des jugements cri
minels, du 18 frimaire, an III, donne aussi sur ce sujet des détails
qui confirment les actes qu’on reproche à ce farouche accusateur
public, comme on le verra à la note (69).
Benet (Claude), contrairement aux instructions du comité do
Salut public, qui ne voulait, dans la commission, que des étran
gers à la localité, était d’Orange. Ayant, dès le principe, manifesté
les sentiments d’un chaud patriote, il fut nommé juge au tribunal do
l’armée d’Italie, ensuite receveur du district d’Avignon, et enfin
« Signé B enet . »
Celle-ci est un digne pendant de la première.
« Commission populaire "établie à Orange. Egalité, Fraternité,
Liberté ou la mort.
« Orange, le 9 messidor, l'an deuxième de la République
Française, une et indivisible.
« Je t’envoie ci-joint, mon cher ami, quelques exemplaires des
(*) Un morceau do sergo rouge couvrait ceux qui allaiont à l’échafaud,
commo on le faisait à l’égard dos condamnés à mort pour assassinat.
�—
54
55
—
premiers jugements de la commission. Tu les recevras exactement
à l’avenir. Je me charge d’autant plus volontiers de cette lâche,
qu’ayant été toi-même acteur anlifédéraliste dans le Midi , tu no
pourras voir qu’avec plaisir tomber les têtes des contre-révolu
—
leur salle, avant l’audience, et leur disait : « Je vous en donne
aujourd’hui... (il déterminait le nombre) à juger, et pas un seul
là dedans qui ne soit un vrai gibier de guillotine : ainsi, feu de
tionnaires. Neuf conspirateurs orangeois ont déjà subi la peine
file ! » mot d’ordre de Robespierre pour condamner tous les accusés.
Une dépêche de Barjavel aux administrateurs du district de Car-
due à leur crime : le peuple a applaudi avec transport à leur chute.
pcnlras, dévoile son zèle pour les exécutions, comme elle fait con
Tu connais la position d’Orange ; la guillotine est placée devant
naître le peu d’importance qu’il attache aux règles de la gram-
la Montagne. On dirait que toutes les têtes lui rendent, en tom
mairo (44).
bant, l'hommage qu’elle mérite : allégorie précieuse pour de vrais
On lui prête aussi col horrible propos : « 11 nous faut du sang
amis de la liberté. Les deux Chieze, prêtres, sont au nombre des
et du sang! » imitant encore, en cette occasion, David, qui s’é
conspirateurs punis. Ça va et ça ira ! Adieu, mon ami, rappelle-
criait, au sein du comité de Salut public : « Mes enfants, aujour
moi au souvenir de ton frère. Je t'embrasse.
d'hui il faut broyer beaucoup de rouge !... »
« Le greffier de la commission, signé Benêt.
Puisque nous en sommes à cet homme aussi renommé par sa
« Depuis primidi plus de soixante scélérats ont courbé la tête. »
politique sanguinaire que par ses tableaux, nous devons rappeler
Il ne se contentait pas d’écrire ces affreuses lettres; on l’accu
qu’il disait aux jurés révolutionnaires, quand ceux-ci ne trouvaient
sait aussi de charger le dossier des religieuses insermentées.
pas les charges suffisantes pour condamner les prévenus : « Vous
êtes des lâches ; et si vous hésitez encore, je vais vous dénoncer
Maignel, par un arrêté du 18 prairial, avait nommé Barjavel,
assesseur de Viot, avec la charge de lui porter et de lui remettre
comme incapables d’exercer vos fonctions. »
Ce peintre célèbre, à qui l’on doit un portrait, à la plume, de
tous les papiers qui constateraient les crimes des fédéralistes et
Marie-Antoinette au moment où, sur la fatale charrette, elle mar
contre-révolutionnaires du département de Vaucluse, et de classer
che à la mort, a voulu par là faire une dernière insulte à cette
les papiers sur chaque genre de délit. Il conservait, en même temps,
reine infortunée. Ilavait trouvé des imitateurs dans Prieur cl Châ
la place et le traitement d’accusateur public du tribunal criminel
telet qui s'amusaient à dessiner les caricatures des accusés.
de cc département, suspendu momentanément, ce qui explique
Revenons à Barjavel. Les paroles attribuées à l’ancien accusa
l’absence de son nom sur la feuille d’émargement de la commis
teur public du tribunal criminel d’Avignon, n’étaient, du reste,
sion. C’est pendant l’exercice de ces dernières fonctions qu’il fait
que la conséquence de ce qu'il écrivait : « Tous les traîtres,
mettre en état d’arrestation, à Avignon, le citoyen Latour-Vidau,
tous les conspirateurs périront par la guillotine ; je les poursui
pour avoir payé ses domestiques avec de l’argent, comme il le leur
vrai avec acharnement. » Aussi, Chaussy assure-t-il avoir entendu
avait promis, au lieu d’employer le papier-monnaie.
dire à des prisonniers qu’il avait aposté des faux témoins^tiur les
S ’il faut en croire une dénonciation signée Rochetin, Trie, Béri-
faire condamner après les avoir mis sur sa liste de proscriptions.
don, Galdebaze, Blahié, Souchon, c’était lui qui dirigeait les opé
Ajoutons à ces accusations un des traits qui doit le plnsTlétrir
rations du tribunal. On le voyait, assure-t-on, après avoir assisté
sa mémoire, trait que nous “tenons d’un magistrat recommandable ;
à la lecture de l’acte d’accusation, s’approcher des juges pour sti
c’est lorsque, voyant scs avances repoussées par la jeune femme
muler leur zèle çt leur dicter les condamnations , suivant en cela
d'un perruquier, il envoie cette malheureuse et^on mari au sup
l’exemple de Fouquier-Tinville, qui allait trouver les jurés dans
plice.
�—
56
—
57
—
Les pièces officielles mentionnent la lettre suivante h son collè
offert de remplir les fonctions d’exécuteur des jugements du tri
gue de Nîmes, lequel lui avait prêté pour quinze jours la guillo
bunal criminel et autres, vacantes par l’option du précédent exé
tine cl l’exécuteur :
cuteur par lui faite pour le service du tribunal criminel de l’Hé
« Avignon, 15 octobre 1793.
rault. Le dit tribunal a donné acte au dit Dominique Vachale, et
faisant droit sur la réquisition de l’accusateur public, a nommé le
« Cher collègue,
« Je vous adresse la guillotine que le département du Gard a
dit Dominique Vachale pour faire les fonctions d’exécuteur des
bien voulu me prêter. Elle a délivré la République d’un émigré,
jugements criminels, laquelle nomination et lesquelles fonctions
de trois contre-révolutionnaires qui avaient mis cette ville en état
il a acceptées.
de révolte en refusant d'ouvrir les portes à l’armée de Carlaux.
« De suite nous lui avons fait prêter le serment en tel cas requis,
a Le comité a fait parvenir au département de Vaucluse la guil
et mis en possession du logement attribué à l’exécuteur des juge
lotine dont il a besoin. Je vous remercie des services que vous
ments criminels, et ordonné qu’il jouira de tous les droits et émo
m’avez rendus.
luments attachés à la place d’exécuteur des jugements criminels.
« Vive la République !
« B arjavel, signé. »
Il parle en son nom comme s’il s’agissait de son propre intérêt,
tant il s’identifiait avec son rôle, et semblait se complaire dans
ces exécutions. Un semblable langage, comme nous l’avons fait re
« A Nîmes, ce 1er frimaire, l’an II de la République
Française, une et indivisible.
« Le président provisoire,
« J . A. G uizot, signé.
« B ertrand, accusateur public, signé. P. C.
« M illion, greffier, signé.
marquer au chapitre VI, est en rapport avec ses autres dépêches.
Sa conduite répondait à ses paroles ; car ît l'exemple des Carrier,
« 21 novembre 1793. »
Le Bon, Lequinio, il faisait sa société du bourreau, et l’admettait
Voici une petite anecdote concernant cet exécuteur , que ra
à sa table. Il lui donnait sans doute alors, comme on le faisait nu
conte l’auteur des documents officiels pour servir à l'histoire de
tribunal révolutionnaire de Rochcforl, le nom de frère guilloti-
la Terreur, à Nîmes, et qu’il tenait de M. Saulet lui-même, juge
m u r. On trouve à la note (45) un fait qui confirme ce que nous
au tribunal civil : « J ’étais bien jeune, lui disait celui-ci avec son
disons.
sourire d'homme d’esprit, je suivais la rue du Collège, lorsque je
On sait que dans ces malheureux temps l'exécuteur des arrêts
vis venir à moi un homme de taille moyenne, coiffé d’un énor
criminels était un personnage important par la sympathie qu’il
me tricorne, habit de garde national, avec de petites épaulettes,
trouvait chez les uns, et la crainte qu’il inspirait aux autres. Nous
des culottes de peau jaune, guêtres noires jusqu’aux genoux , un
voyons dans les pièces et documents officiels pour servir à l'his
sabre sous le bras, le tout rougi par d’énormes taches de sang.
toire de la Terreur à Nîmes, les formalités qu’on remplissait
Enfant que j ’étais ! je me mis îi rire en le montrant du doigt :
pour sa nomination. Voici la copie textuelle :
cet homme était Vachale le bourreau. Il venait de travailler !...
« Dominique Vachale, génois, âgé de quarante ans, demeurant
Il jeta sur moi un regard sinistre-, j ’eus peur, je pris la fuite, et
en France depuis vingt ans, et depuis les trois dernières années
je fis bien. »
On comprend quel était l’aspect de ces fonctionnaires redoutés.
étant au service de l’exécuteur des jugements criminels du dépar
tement de l’Hérault, a comparu devant le tribunal assemblé et a
David, qui cherchait à embellir, h poétiser la guillotine, s’était
�—
58
—
—
59
—
occupé à dessiner un costume de bourreau, comme il l’avait fait,
javel dirigeait dans scs détails, tout en laissant en lumière son
disait-on, à l’égard des membres do la Convention, dont quelques-
chef d’emploi, mais que dominait en réalité Fauvety, non par ses
uns ont joué un rôle qui ne laisse pas que d’avoir de l’analogie
connaissances de légiste, mais par son énergie et sa persistance
avec celui de l’exécuteur des hautes œuvres, et auxquels il avait
dans l’accomplissement do ses funestes desseins. Ce n’est pas,
donné l’habit bleu et la culotte de daim, costume auquel Robes
néanmoins, que celui-ci manquât d’instruction : une pièce auto
pierre ne s’assujettissait pas, préférant les couleurs claires avec
graphe, que nous avons eue à notre disposition, le prouve d’une
des nuances tranchantes. Des particularités de ce genre servent à
manière irrécusable. El si, comme le pensent quelques physiolo
nous faire connaître les minuties auxquelles s’attachaient parfois
gistes, l’écriture est une image de l’Ame qui conduit la main, on
les hommes de la Révolution (46).
reconnaît chez lui autant de force que de hardiesse et de résolu
tion dans le caractère.
Collier-Julian avait été nommé secrétaire en chef do l’accusa
Examinons leur conduite en dehors de leurs fonctions.
teur public (47). Dans une lettre qu’il écrit h Viol au sujet de cet
Quand les interprètes delà loi doivent avoir une vie austère, que
emploi, on peut juger de l'entraînement des esprits dans des mo
dire de gens qui, à partir de trois heures, immédiatement après la
ments d’effervescence politique , par les marques de familiarité
séance, se livraient k des orgies scandaleuses, si déjk quelques-
qu’elle renferme envers un semblable personnage (48). Il est vrai
uns d’entr’eux n’étaient pris de vin avant de siéger au tribunal,
de dire, à la justification du joune avocat, qu’il pouvait ne pas
faits relatés dans une brochure ayant pour titre : l'Homme rouge,
connaître le caractère du redoutable accusateur public, qui n’avait
où il est dit, en parlant des juges d’Orange : « Dans la boucherio
pas encore fonctionné au tribdnal révolutionnaire.
d’Orange les juges assassins, gorgés de vin et perdus de raison,
sortaient pour aller ordonner le supplice de la vieillesse et de
*
Napier, dont nous verrons l’ignoble conduite à l’article des pri
l’enfance ; » actes que rappellent les témoignages de leurs contem
sons d’Orange, avait été nommé huissier de la commission popu
porains, transmis jusqu’à nous par les dénonciations juridiques
laire sur la recommandation de Fouquier-Tinvillo. Il avait pris
inscrites sur les registres du comité de surveillance d’Orange, et
part aux grands drames juridiques de Paris. Comme huissier
consacrés par le jugement du 7 messidor, an III. Rien ne man
royal, il avait accompagné Marie-Antoinette jusque sur les mar-
quait à leurs plaisirs. Leur table était couverte de tout ce que pou-
cbes de l’échafaud, et avait signé le procès-verbal de l’exécution,
vent produire de plus recherché la mer, Vaucluse et les forêts.
reproduit par Campardon.
Attaché au tribunal révolutionnaire lors du procès des Giron
Là, au milieu de la gaîté que faisaient naître les vins, les li
queurs, dit l’arrêt que nous venons de citer, ils prononçaient les
dins, il prit une mesure qui empêcha les suprêmes adieux de ces
condamnations à mort des personnes qu’ils allaient juger, sans
victimes de la Montagne.
avoir entendu les témoins, ni même quelquefois vu les prévenus.
Il assistait aussi à la scène où les guichetiers de la Conciergerie
Ils avaient l’audace criminelle, dans ces scènes ignobles, do rire
insultaient Bailly de la manière la plus révoltante au moment où
des réponses, des gestes, de la faiblesse, ou de la fermeté qu’a
l’on allait le conduire au supplice, et les encourageait mémo,
vaient apportés leurs victimes dans les.interrogals, ou pendant
ainsi que Bault, son collègue, à ces affreuses railleries. Il avait
la prononciation de. leur jugement. Bientôt repus do sang et de
donc bien des litres à l’obtention de l’emploi qu’on lui avait confié.
vin, lisons-nous encore, ils allaient, en compagnie de leurs fem
Telle était la composition du tribunal révolutionnaire, que Bar-
mes , insulter par leur présence au public et aux condamnés ,
�—
60
61
—
cl sc repaîtrè la vue des massacres qu'ils venaient d’ordonner.
lieu du district et en déposséder Nyons, car les plus purs démo
Nous devons recueillir ces faits, quelque pénible qu’il soit de
crates ne négligeaient pas leurs intérêts privés (49). Par une autre
les rappeler, en désirant toutefois qu’il y ait exagération dans ce
lettre écrite au même, un mois après, en exaltant la sainte guil
lotine, il lui fait part de l’exécution de sept habitants de Grillon
sombre récit.
Disons un mot des personnages q u i, sans faire partie, de la
et de cinq de Valréas, avec une telle exactitude dans les détails,
commission, ne laissaient pas que d’avoir de l’influence sur ses
qu’on voit qu’il avait assisté à celle exécution et qu’il n’était pas
décisions. De ce nombre sont les frères Payan, de Saint-Pault rois-Châteaux : amis de la plupart des juges, qu’ils avaient dési
étranger à l’arrestation de ses compatriotes (50). On connaîtra
plus lard, par les déclarations juridiques, les crimes dont on l’ac
gnés au choix de Maignet et h celui du comité de Salut public,
cusait.
ils ne sont pas étrangers aux excès commis par eux. Nous devons,
toutefois, sauvegarder leur probité, qui n’a jamais été mise en
question. L’un, d’abord juré au tribunal révolutionnaire de Paris,
puis agent national de la Commune, était un des partisans les plus
dévoués de Robespierre. Le 16 germinal il attaque avec violence
la mémoire des membres de la Convention qui viennent de suc
comber, et cherche à démontrer leur lâcheté par l’audace et l’in
solence qu’ils ont montrées, disant que les vrais patriotes eussent
laissé voir plus de calme et de dignité. Il reproche h Danton et
à Camille Desmoulins leur modérantisme ; à Fabre d’Églantine
son manque de délicatesse ; K Chabot et à Bazire, des actions pro
pres à déshonorer la Convention. C’est là l’oraison funèbre des
amis de la veille. Quant à son frère, attaché à l'instruction pu
blique, chef du Directoire de la Drôme, il sc trouve dans une po
sition secondaire.
Juge, notaire à Valréas, membre de la société de surveillance
de celte commune, et qu’on appelait le grand juge, à cause de sa
haute stature, ne restait pas inactif et fournissait au tribunal de
nombreux accusés. Aussi, quand, par devoir, en sa qualité de té
moin, ou par plaisir comme bon sans-culotte , il assistait aux
séances, on lui réservait dans l’enceinte une place de faveur.
Dans une lettre à Payan jeune, où, tout en cherchant à l’éclairer
sur l’esprit du pays, il attaque avec aigreur les ci-devant prêtres,
et ceux qui observent les ci-devant dimanches, il a soin de plai
der en faveur de Valréas, sa ville natale, pour y placer le clicf-
rrjy
—
—
J
T
ia * i
Nous ne devons pas oublier, dans cette liste dos patriotes auxi
liaires du tribunal, Agricol Mourcau, qui, bien que simple prési
dent de la société populaire d’Avignon, jouissait d’un certain cré
dit auprès des juges. 11 était en rapport avec Robespierre par l’in
termédiaire de Payan.
On peut voir à la note (3) sa lettre du 16 prairial , où il est
question de l’incendie de Bédoin et de la mort de Jourdan, qui
fait connaître les sentiments qui l’animaient.
Le 18, il parle des visites domiciliaires faites à Avignon, à la
suite desquelles on a mis en état d’arrestation tous les ci-devants,
les prêtres, les parents d’émigrés. Mais comme sans doute il fal
lait faire nombre, il ajoute qu’on a incarcéré aussi des femmes de
mauvaise vie, bien étonnées sans doute, pensons-nous, de trou
ver tant de moralité chez les hommes du jour. Il explique les mo
tifs de celte mesure, qu’il approuve en tous points.
Le 2 messidor, il envoie à la Convention une adresse de la so
ciété populaire, dans laquelle il attaque vivement Jourdan, atta
ché au parti Rovère, ennemi de Maignet.
Deux jours après il applaudit à la chute de Danton, qui appar
tenait à la faction des immoraux ; et tout en désirant voir frapper
les appitoyeurs (sic), il se déchaîne contre Tallien, dont il devine
peut-être les secrets desseins.
Le 9 messidor, il écrit à Payan que Meillerct et Fonrosa sont
esclaves de la forme, tandis que les trois autres juges puisent leur
conviction dans leur conscience (51).
�—
Le 17, il annonce h son correspondant que Maignet est chargé
63
—
n’approuvaient pas certaines mesures, s’étaient débarrassés d’eux
en les faisant arrêter, au milieu de l’Assemblée, par le comman
d’aller épurer l’Ardèche.
Toutes cos lettres étaient destinées il Robespierre, chez qui on
dant du bataillon des volontaires de l’Ardèche, pour être conduits
les a trouvées après le 9 thermidor; la seule qu’il lui ait adressée
dans la prison d’Avignon. Les mesures de rigueur n’en suivront
directement est celle du 19 pluviôse, oîi il se plaint de Rovêre et
que mieux leur cours.
de Poullier, qui l'ont fait arrêter.
Dans la séance du 15, on établit, en vertu d’une délibération
Le 12 messidor, en signalant Bourdon (de l’Oise), Le Gendre,
du 8, qu’un registre sera ouvert pour y inscrire les noms des gens
Tallien comme dangereux pour le pouvoir dominant, il écrivait :
suspects et celui des prisonniers, avec indication du motif de leur
« La commission populaire marche bien. Hier sur douze accusés,
détention. Il est délibéré que le lendemain chaque membre fera
neuf ont été condamnés à mort, deux à la déportation, un à six
un rapport, et qu’on dressera de suite une liste pour procéder
mois de détention. Je croyais, d’après le décret du 22 prairial,
aux arrestations. La veille on était convenu des moyens à prendre
qu’il n’y avait plus d’autre peine que la mort pour délit contre-
pour que les accusés ne pussent échapper aux mesures qui de
révolutionnaire. » Aussi lui avait-on donné le nom de l’homme
vaient les frapper. On peut voir dans les pièces justificatives (52,53),
que rien n’était négligé, même les choses d’une importance se
rouge.
Avec des hommes de ce caractère pour l’éclairer et la guider, la
condaire, pour atteindre ce but, et que de simples propos étaient
commission ne pouvait que persévérer dans la voie fatale où elle
incriminés (54). Nous ajoutons le tableau, qu’on avait soin de
était engagée.
remplir (55).
Le 23, le comité fait part au représentant en mission du résul
tat de ses opérations, parmi lesquelles on remarque des mesures
X
de rigueur commandées par les membres de la commission popu
laire, qui leur défendait de s’apitoyer sur le sort des condamnés,
et même de manifester la moindre douleur sur la perte d’un pa
Maintenant qu’on avait le tribunal il fallait fournir les victi
rent, d’un ami, laissant ainsi opérer leur destruction avec le froid
mes. Cependant on comptait déjà un grand nombre de prisonniers.
stoïcisme de Brutus. Nous verrons plus loin l’empressement que
Si les différentes communes montraient de l'empressement à sc
met ce comité ù sc conformer aux instructions de Maignet ; et
conformer aux instructions du comité de Salut public, celle d’O-
disons, en passant, que tout en s’occupant de la chose publique,
range entre autres répondait à l’attente des Montagnards.
ces citoyens dévoués pensaient aussi à eux, car ils avaient décidé
Comme Venise , où le conseil des dix , laissant au Doge une
autorité fictive, gouvernait de fait la sérénisshne république, Oran
que les membres qui le composaient seraient exempts du service
militaire.
ge avait son comité de surveillance, composé de douze membres,
Le IG prairial, le représentant lance, de son côté, un arrêté pour
appelé le comité des douze, qui faisait sentir aux citoyens le poids
opérer des visites domiciliaires à Avignon (56). Stimulé par le
d’une odieuse tyrannie.
zèle de ceux qui l’entourent, cl voulant aussi pourvoir il ces appro
Observons d’abord que l’union ne régnait pas toujours dans son
visionnements humains, il prend des dispositions pour se procu
sein, car le 12 floréal, les membres influents, après une vive dis
rer les dix mille têtes qu’il a promises à la justice. Dès le lende
cussion avec Justin Issarlel et Sonchon, leurs collègues, lesquels
main de l’installation du tribunal, il publie son arrêté, qu’il fait
�64
—
—
exécuter sous le prétexte que les auteurs du récent assassinat d’un
patriote dans les environs, s’était réfugiés h Avignon.
A cet effet il mettra en vigueur le décret du 27 germinal, an II,
volé par la Convention sur la proposition de Robespierre, en vertu
duquel les individus qui porteraient ombrage seraient traduits au
tribunal révolutionnaire. Mais, au lieu de les envoyer k Paris, il
les livrera à la commission populaire d’Orange.
Il ordonne que ces visites domiciliaires, appuyées par la force
armée, et présidées par des commissaires civils faisant partie de
la municipalité épurée depuis peu, commenceront dans la soirée
du même jour.
En conséquence, à six heures, le bataillon de la Corrèze, le dé
tachement de celui de l’Ardèche, les chasseurs k cheval et la gen
darmerie se réuniront devant la place de la Liberté, ci-devant
Loulle.
Au moment de la publication du présent arrêté tout habitant,
d’Avignon, tout étranger qui s’y trouve, doivent se rendre dans
la maison qu’ils habitent et y rester pendant la durée de la visite.
11 est défendu à quelque personne que ce soit de sortir d’Avi
gnon.
A neuf heures précises toutes les maisons seront éclairées, et les
visites commenceront.
65
—
Chaque commissaire sera accompagné, lors de son inspection,
au moins de six hommes de la force armée, afin de lui prêter
main-forte en cas de besoin.
S ’il se trouve, pendant les recherches, un individu non porté
sur le tableau, il sera arrêté.
Si la personne arrêtée était déjà hors de la loi, tous les citoyens
de la maison seront traduits devant la commission populaire pour
y cire punis de mort.
Quiconque oserait, pendant la recherche, soustraire le plus pe
tit objet cl se permettre tout autre délit, sera également envoyé à
la commission populaire.
Dans la journée du lendemain et autres suivantes, le comité de
surveillance s’occupera d’examiner toutes les personnes qui seront
reconnues suspectes ou prévenues de délits, et fera son rapport au
représentant du peuple sur ceux qu’il croira devoir être mis en
liberté.
Les étrangers qui seront dans une auberge, se réuniront dans
la salle commune et produiront les actes nécessaires pour se faire
reconnaître.
Les aubergistes en contravention seront provisoirement mis en
étal d’arrestation.
Rappelant la loi du 29 mars 1793, il ordonne que dans chaque
Les instructions données aux commissaires (57) et au général
maison il y aura un tableau de tous les citoyens qui l'habitent.
Dauvergne (58) complètent ce programme d’omnipotence et d’il
Il en sera remis un double au commissaire quand il se présentera
légalité. Sans tenir compte des formalités exigées, pour les visites
pour la perquisition. L ’autre tableau, écrit en gros caractère, sera
k domicile, par les décrets de 1790 et 1791, il outrepasse, dans les
placé sur le seuil de la porte.
mesures qu’il commande, tout ce que permet la loi des suspects.
Chaque habitant de la maison est responsable de la sincérité
de ce tableau.
A neuf heures les individus habitants de la maison se réuniront
dans un appartement et attendront l’arrivée du commissaire.
Celui-ci fera l’appel de chaque individu et mettra en arrestation
ceux qui lui paraîtront suspects.
On se livrera ensuite aux recherches. Tous les appartements se
ront tenus ouverts dès les neuf heures.
Nous joignons à ces pièces quelques lettres ou reçus autographes
de cet adjudant général (59), qu’une adresse de la municipalité
d’Avignon, en date du 19 brumaire an III, et qu’on verra plus loin,
a couvert de blâme.
Nous connaissons le résultat de scs visites domiciliaires par
Agricol Moineau qui, dans sa lettre k Payan, le 18 prairial, écrit
ces propres mots : « 11 y a plus de cinq cents coquins ou coqui
nes d’arrêtés. Un de ces jours on en extraira ce qui aura pu être
5
�—
66
67
arrêté injustement. » Il ajoute, h ce sujet, clans une autre lettre :
« Maignet a ordonné au comité de surveillance de faire la triaille,
et s’est réservé de statuer définitivement. »
Le général Dauvergne, qui a pris une grande part il ces mesu
res, dans une lettre adressée à Yiot, en date du 7 messidor, ajou
te à ce chiffre, en disant qu’il y a mille cinq cents détenus dans
les prisons du palais, et lui témoigne le désir de seconder la
commission de tous ses efforts. (Collection de M. de Crozet, 1I°
2€.)
Ces malheureux furent renfermés, les hommes dans l’église do
Saint-Didier et les femmes dans celle de la Principale.
Selon Berriat Si-Prix le nombre des prévenus avait dépassé le
chiffre que nous venons de mentionner, puisque Rovère disait h la
Convention (Moniteur du 16 thermidor, an II) : « Il n’y a point
de vexations qui n’aient été commises dans les départements du
Midi : h Avignon il y a dans une église deux mille personnes in
carcérées; savez-vous pourquoi ? parce que leur fortune s’élève à
plus de quinze mille livres. »
Que va-t-on faire maintenant de ces gens qu’on a arrachés il
leurs familles, à leurs affaires ? Ceux qui ne seront pas élargis,
en attendant que leur tour vienne de paraître sur le banc des ac
cusés, seront entassés dans le palais des Papes, dont on a fait
une prison, et que les patriotes, dans leur argot, appellent plai
samment la boutique.
En même temps qu’il remplissait les prisons d’Avignon, Mai
gnet, qui ne négligeait rien, recommandait, par un arrêté du 18,
une grande surveillance sur les détenus de Carpenlras.
Or, la
municipalité de celle ville, dit l’auteur de VHistoire de la Révolu
tion avignmaise, voulant se mettre au niveau des circonstances,
projeta une arrestation en masse de tous les citoyens qui ne par
tageaient pas l’enthousiasme des vrais sans-culottes. Le représen
tant, consulté il ce sujet, fil la réponse suivante : « Tous les cidevant nobles sont atteints d’un soupçon qui n’a été que trop
fondé et qu’ils ne peuvent faire cesser qu’aulant qu’ils auront don
né des preuves de leur dévoûment à la patrie pendant tout le temps
mr*
de la Révolution. Ceux qui se sont contentés de se renfermer
dans leur nullité, doivent être détenus, parce qu’ils ont laissé
subsister sur leur tête ce soupçon. Les parents d’émigrés sont éga
lement soupçonnés d’avoir participé, ou par leurs conseils, ou
par leur négligence, à cette émigration. Tous, de l'une ou l’autre
classe, qui n’apportent point de preuves qu’ils sont étrangers à l’é
migration, sont dans le cas de réclusion. Les membres de l’an
cienne municipalité doivent être jugés ; il n’y a pas à balancer de
les faire arrêter. »
Rien ne pouvait ralentir cette activité dévorante chez un hom
me qui voyait partout des complots. Le 29 prairial, il écrivait de
Marseille la lettre suivante aux membres de la commission popu
laire d’Orange, qui ne fonctionnait pas encore :
« Je vous envoie, citoyens, les tableaux des détenus de deux
sections de Marseille, que le comité de surveillance m’a remis. Ils
comptent sous peu de jours terminer leur travail (sic). En atten
dant vous pourrez ordonner la translation de ceux qui, compris
dans les deux tableaux, seront dans le cas d’être mis par vous en
jugement.
« Vous lirez attentivement les pièces relatives à Bergassc (ou
Pergasse), Duchir et Lepeaux. La lettre du 6 prairial me paraît
surtout écrite en style énigmatique et faire craindre quelque com
plot. Le voyage à Tarascon près d’Eguières (sic) et d’Eygalières, qui
étaient les rendez-vous des contre-révolutionnaires, mérite de fixer
toute votre attention lors de l’interrogatoire. Je crois que vous de
vez mettre la plus grande diligence à faire conduire à Or-ange ces
prévenus. Peut-être feriez-vous bien d’instruire cette procédure en
même temps que celle des personnes arrêtées à Eguières et Eygalières, qui sont détenues îi St-Remy.
4
Je vous envoie les pièces relatives aux conspirateurs d’Eguières
qui m’ont été apportées par les commissaires de celte commune.
J ’écris îi Avignon pour qu’on vous fasse passer de suite le régistre
des délibérations de cette commune, qui contient la preuve de tou
tes les manœuvres que ces scélérats se sont permises pour empê
cher l’acceptation de l’acte constitutionnel.
�—
68
—
Salut et fraternité,
« Signé : M aignet . »
(N° Il de la collection de M. de Crozet.)
Viot, de son côté, comme on a pu s’en convaincre par les pièces
déjà produites, voulant prouver qu’il était digne de la confiance
69
—
nairo, que nous pourrons compléter par des récits oraux cl par des
renseignements que nous avons acquis en visitant les lieux.
Nous commençons par la relation de Dominique Chaussy, qui,
de brigadier de gendarmerie, était devenu lieutenant dans le même
corps, à cause de ses sentiments républicains et de son dévoîlmcnt
à la faction Rovêre.
Do là l’origino, dit-il, des persécutions qu’il a eu à souffrir. Ce
qu’on avait en lui, le secondait dans tous ces actes de rigueur. On
récit, d’après certains actes de sa vie privée, quand on se rappelle
pouvait en prévoir le résultat.
le rôle qu’il avait joué avec Molin, dans une affaire scandaleuse,
que fit connaître une plainte portée contre eux le 13 décembre 1792;
XI
ce récit ne présenterait pas turc garantie suffisante de vérité, si la
plupart des faits qu’il renferme n’étaient de notoriété publique.
Dans celle communication adressée aux sociétés populaires de
la République, il raconte comment, malgré son patriotisme mé
Les visites domiciliaires, où Maignet laissait bien loin derrière
lui le représentant Borie, qui, dans le département du Gard avait
fait arrêter trois cents personnes le même jour, devaient nécessai
rement augmenter outre mesure le nombre des prisonniers, qu’on
ne savait déjà plus où loger. Les prisons d’Avignon en renfer
maient trois mille, et ne pouvaient en contenir davantage. Celles
d’Orangc, appelées avec raison le vestibule de la mort, étaient au
connu par Maignet, que circonvenaient scs ennemis, il part pour
l’armée d’Italie; mais le 15 floréal, il est arrêté à Nice avec deux
de scs amis, lesquels sont traduits à Paris, tandis qu’il est con
duit, avec un autre patriote, de brigade en brigade, dans les pri
sons d’Avignon, la chaîne au cou et aux mains.
Laissons-le parler lui-même, et l’on verra comment les frères et
amis parfois sc traitaient entre eux.
nombre de six, sans compter le couvent des Cordeliers, qui ne ser
« A Orgon, dit-il, un ami trouva moyen de me faire savoir les
vit à renfermer les accusés qu’après le coup d’Etat de thermidor.
vexations cl les atrocités que Maignet exerçait contre les patriotes
Elles étaient ainsi désignées :
de 89. Arrivé de nuit à Avignon, j ’approchais déjà des prisons,
Le cirque, ancien théâtre ;
lorsque, passant dans la rue où je suis domicilié, je parvins à m'é
La prison des Dames Religieuses de l’Enfant Jésus;
chapper, et me réfugiai dans une maison où je pouvais être en
La maison Chieze ;
sûreté. Mais une proclamation de Maignet, qui ordonnait des vi
L ’ancienne maison curiale;
sites domiciliaires, m'engagea à choisir une autre retraite. Ce fut
La prison près du Temple de l’Être Suprême ;
là que deux cents brigands, armés de toutes pièces, vinrent me
L ’hôtel de la Baronne;
saisir. Ils me dépouillèrent ignominieusement, et je fus traîné aux
Le couvent des Cordeliers ;
prisons du fort, sans habit, sans chapeau, sans bottes et presque
On peut remarquer que tout était prison en France en ce temps
de liberté. Orange en avait sept, la moitié moins qu’à Paris où
nu
« Mes lâches conducteurs me prodiguaient toutes les injures que
elles étaient au nombre de quatorze.
leur dictait la rage la plus effrénée, lorsque, au détour de la rue
Bonparti, j ’entendis dire : Pour le coup, lu ne t’échapperas pas ! Je
Donnons quelques détails sur le régime de ces tristes demeures,
puisés dans des brochures publiées après la tourmente révolution-
M
i» >1 £2S8SSS2&
�—
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—
—
lève les yeux, et j ’aperçois la guillotine dressée, l’exécuteur dessus.
Je crois mon dernier moment arrivé. Je criai: Vive la République !
Mort aux conspirateurs ! Je lis des vœux ardents pour la prospé
rité de la patrie, et j ’allais mourir avec le regret de n'y avoir pu
contribuer de ma personne.
« Je me trompais, les factieux voulaient ajouter à ma mort les
horreurs qui pouvaient la rendre plus cruelle. Le lendemain, 19
prisonniers. Bientôt l’hôpital regorge de malades et fait craindre
une maladie épidémique.
« Ces monstres ont fait comparaître devant eux et condamner à
mort deux citoyens de l’Isle, dont un mourant, cl l'autre paralyti
que. Deux malades, hors d’état de se soutenir et de parler, sont
arrachés de l’hôpital pour entendre leur arrêt de mort. Une ci
toyenne, âgée de 85-ans, dont l’esprit était aliéné depuis plus de
6 ans, est condamnée à mort. La mort était le seul mot qui sortait
saire des guerres, et tous les deux nous fûmes conduits à la prison
de la bouche de cos bêtes féroces : ils avaient juré d’égorger la
du cirque d’Orange, accompagnés de vingt-cinq gendarmes.
moitié des habitants du Midi.
« C'était dans la petite cour, en avant de mon cachot, qu’on
pétrie de vermine, nous fûmes oubliés jusqu’à dix heures du soir,
déposait les prisonniers arrivants. Mais, avant de les confondre
mourant de faim et de soif. Enfin, les portes du cachot s’ouvrent,
avec les autres, l'huissier de la commission venait lui-même les
mais ce n’est que pour remplacer mes menotes par dos fers pesant
dépouiller de leurs meilleurs effets, et surtout de leurs portefeuil
cinquante livres, qu’on met à mes pieds avec la dernière barbarie.
les, qui auraient pu leur procurer de quoi les aider à manger un
« Dès le lendemain je fus traduit devant la commission popu
pain noir et presque toujours amer.
laire composée des plus cruels ennemis des patriotes de 89. Que
« C’était aussi dans cette cour qu’on menait les condamnés en
d’insultes, que d’outrages n’ai-je pas eu à essuyer de ces lâches
attendant l’heure de leur supplice. L ’accusateur public Viol les
assassins! L ’un m’accablait de questions perfides et insidieuses;
accompagnait, les manches retroussées, le sabre nu à la main.
l’autre me reprochait mes liaisons avec les meilleurs patriotes;
Là, assisté de l’huissier, il les faisait dépouiller et se rendait lui-
un autre voulait faire le tableau de ma vie. Je reconnus bientôt
même le dépositaire de l’argent et des effets que les parents ou
que tous ces traits parlaient de la main de Barjavel, l'âme du tri
amis de ces infortunés leur avaient fait passer, ou qui avaient
bunal, et pour qui Maignet leur avait recommandé d’avoir la plus
échappé aux premières perquisitions. Une ou deux heures après il
entière déférence.
revenait, dans le même appareil, les conduiro au supplice avec
« Malgré l’acharnement qu’ils mettaient à me perdre ot la per
le ton le plus insultant et le plus féroce.
fidie de leurs manœuvres, ne trouvant pas encore de prétexte plau-
« Que n ai-je pas souffert chaque jour en entendant les mal
sible pour colorer la noirceur de leur projet, ils me renvoyèrent
heureuses victimes prendre le ciel à témoin de leur innocence, et
dans mon cachot, où je fus de nouveau chargé de fers.
gémir sur le sort réservé à leurs familles et à leurs concitoyens !
« Arrive le jour des proscriptions. Chaque jour depuis, le nou
j ’en ai entendu un grand nombre criant que c’était Barjavel qui
vel appel, fait le malin, désigne les victimes qui doivent être sacri
les avait mis sur la liste de proscription, et avait aposté do faux
fiées le soir. Bientôt les prisons d’Orange ne peuvent plus contenir
témoins. Tous disaient que le tribunal n’avait pas voulu enten
les malheureux qu’on y traîne de toutes parts. A la prison du cir
dre leur justification et n’avait admis que les témoins à charge,
que plus de cent malheureux de tout âge, de tout sexe, sont ré
et aucun à décharge. De sorte que deux scélérats suffisaient pour
duits à coucher dans les basses-cours jonchées de vermine et in
faire périr le citoyen le plus innocent, et le meilleur patriote.
fectées de l’air pestilentiel qu’exhalent les ordures amoncelées des
*
f c J J Tf)y
—
prairial, je fus chargé de fors, ainsi que le secrétaire du commis
« Là, jetés dans un cachot affreux, couverts d’un peu de paille
,
71
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f J'ai passé quarante-sept jours dans les angoisses, et j ’ai vu
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72
—
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—
périr dans cet intervalle trois cent trente-deux personnes, atten
vons ù Pays d’Alissac (Clément-Joscph), né ù Valréas en 1746,
dant h chaque instant celui où je devais être sacrifié.
mousquetaire, ami do Parny, auteur d’une traduction en vers des
« Le 17 thermidor, j ’apprends que mon nom est sur la liste fa
Métamorphoses d’Ovide. Il était victime d’un jugement qu’il avait
tale du lendemain, avec ceux des patriotes Titan (de l'Islc), Trie,
porté sur Robespierre, en disant devant une nombreuse assem
Béridan, Bruny et Rochetin (d'Avignon). Barjavcl, instruit sans
blée qu’il n’aimait pas son style lâche et diffus, appréciation lit
doute de la chute de Robespierre, et prévoyant que les commis
téraire qui faillit lui coûter la vie, car ce n’était pas impunément
sions de sang que ce monstre avait créées allaient être supprimées,
qu’on attaquait la personne et les écrits du fétiche républicain. Si
voulut se lutter de nous immoler. Le IS les quatre patriotes d’A
l’on y trouve quelques détails semblables à ceux que nous ve
vignon étaient près d’Orange ; ils allaient être conduits directe
nons de citer, c’est que, dans les différentes prisons, le régime
ment au tribunal ; je n'attendais que le moment d’y être traîné
était à peu près le même. Nous transcrivons colle relation, qu’on
moi-même avec Tiran, qui, quelques heures plus tard, était arrivé,
!
et qu’un nouveau crime allait être consommé. Le génie de la li
berté devait faire un miracle en faveur des patriotes persécutés :
trouve dans une brochure publiée le 25 brumaire, an III :
...
« Mis en prison le 25 germinal, j'arrivai à Orange, où je
fus conduit dans le ci-devant couvent des Dames de la Croix. Une
îi neuf heures arrive un courrier portant la suspension de la com
cour assez vaste, un jardin latéral, une fontaine, une allée d’arbres
mission. » (Rédigé par le frère de Dominique Chaussy et sous
élevés, me firent espérer quelques jouissances. Un logement spa
sa dictée. Bibliothèque du Musée Calvet.)
cieux et conunodo s’offrit ù ma vue ; trois ou quatre vieux gardes,
Si cet homme avait pu se soustraire à la mort, grâce h la réac
tion thermidorienne, il n’en devait pas moins succomber plus ;
tard sous les coups des Montagnards, soutenus par Fréron, en
mission dans le département de Vaucluse. Ayant
dénoncé, |
comme terroriste, Chariot, déserteur du régiment de Pcnlhiêvrc-dragons, alors capitaine de gendarmerie,
afin d’avoir sa
place, ce dernier lui avait voué une haine implacable. Cherchant
à assouvir sa vengeance, il le poursuivait vainement. Mais un
jour, au moment où il allait même lui échapper en traversant le
Rhône sur un bateau, auprès de la Petilc-IIôtesse, il lit tirer sur
lui quelques coups de fusil qui l'atteignirent et le tuèrent. Ainsi
finit un des héros de la Glacière qui, en accusant les autres d’ac
tes sanguinaires, oubliait sans doute ce
qu’il avait fait lui-
même.
Ces divisions entre les révolutionnaires nous prouvent qu’en
province, comme à Paris, ils se dévoraient entre eux.
Voici un autre récit qui doit inspirer toute confiance par la
réputation d’honorabilité dont jouissait son auteur. Nous le de-
assis dans la cuisine autour d’un flacon de vin, me parurent de
bonnes gens, plus empressés de nous servir que de nous garder.
« Le nombre des détenus ne s’élevant guère au-dessus de soi
xante, il nous fut d’abord facile de maintenir la propreté , et la
salubrité de l’air. Mais au bout de quelques jours la prison se
remplit. A chaque instant on amenait des prisonniers de tous les
lieux des départements des Bouches-du-Rhône et de Vaucluse, et
mémo des départements voisins. Nous fûmes bientôt au nombre
de deux cent cinquante, et par conséquent les uns sur les autres.
Parmi les détenus, plusieurs, sortant des cachots, nous apportaient
toutes les horreurs qui -peuvent blesser la délicatesse et détruire
le germe de la vie. Cette immense population nécessita des pré
cautions cruelles : l’usage de la cour et du jardin nous fut inter
dit ; les fenêtres furent murées aux deux tiers de leur élévation ;
les portes furent hermétiquement fermées ; une garde de vingt
hommes fit le service de ce poste. La chaleur insupportable de la
saison rendit la privation d’air plus funeste et produisit l ’infection
dans celle demeure. Des latrines placées au centre du bâtiment
répandaient un méphytisme affreux, fixé, sans issue, dans toutes
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—
—
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—
les parties de la maison. La difficulté d’avoir de l’eau, la saleté
vrais motifs de leur détention. Il y avait une foule d’agriculteurs,
de celle qu'on apportait strictement deux fois par jour, dans des
d’artisans, de jeunes volontaires couverts de blessures, qu’un man
baquets ou tout le monde trempait les mains pour y puiser, nous
dat d'arrêt avait arrachés à leurs bataillons.
faisait trouver dans cet élément salutaire un nouveau germe de
« Pour finir le tableau de cette prison, j ’y ai vu trois mendiants
corruption. Les habitants d’Orange craignant de se compromettre
dont la nudité était à peine couverte de haillons les plus dégoû
en fournissant des aliments aux détenus, notre nourriture était dif
tants ; j ’y ai vu quatre aveugles, cinq estropiés, ne faisant depuis
ficile à trouver, très-malsaine et horriblement chère. On nous
plusieurs années quelques pas dans leurs chambres qu'au moyen de
priva de nos rasoirs, couteaux, ciseaux ; des vieillards et des gens
leurs béquilles; j ’y ai vu deux hommes exactement nonagénaires,
privés de leurs dents mouraient de faim sur des tas de pain et de
ne pouvant sans danger se remuer sur leurs chaises ; enfin, j ’y ai
viandes dures. Ce ne fut qu'après dix-sept jours de supplications
vu deux insensés, dont la démence était aussi ancienne que l’exis
que nous obtînmes d'être rasés. On nous interdit toutes commu
tence. Tels sont les suspects que j ’ai vus dans la prison d’Orange
nications avec nos parents et nos amis, même par lettres; cl à
où je me trouvais.
l’horreur d’ignorer le sort de ceux que nous aimions,se joignait celle
« Accablés de souffrances et de douleur morale, si nous implorions
de .ne pouvoir les instruire de notre existence, leur exposer nos
les secours de la médecine, il fallait plusieurs jours do maladie et
besoins et leur demander des pièces justificatives, si nécessaires à
de supplications pour les obtenir. Lassés d’une telle existence,
la veille d’un jugement. Nos écriloires, papiers et plumes nous
nous demandions souvent : Quand est-ce qu'arrive la commission
furent enlevés.
populaire? Celte commission fut installée le 20 prairial (*). Nous
« Tant de dégoût, tant d'ennuis, nous rendant les journées aussi
apprenons aussitôt que la guillotine est établie en permanence et
longues qu’insupportables, nous faisaient désirer la nuit et implo
que quatre mille nuiids de chaux ont été commandés aux commu
rer le sommeil comme notre unique consolateur. Mais le bruit des
nes voisines pour consumer les cadavres de ceux qui tomberaient
verrous, des écrous et des clés qu’un épouvantable geôlier faisait re
sous la hache nationale. Cos funestes préliminaires répandirent
tentir en fermant nos chambres, nous rapportait le réveil et le sen
l’alarme dans notre cachot.
timent de nos maux. Si la fatigue nous permettait de nous ren
< D'après le tableau que j'ai fait de la prison, on n’imaginerait
dormir, les portes se rouvraient au milieu delà nuit avec un épou
pas que les juges de cotte commission eussent pu augmenter l’hor
vantable fracas ; une douzaine de gardes, les uns avec des torches,
les autres avec des fusils, ou des sabres nus, entraient dans nos
reur de son régime ; ce fut pourtant ce qui arriva. Dès lors tous
chambres avec des cris cl des jurements effroyables, entouraient
ment dépouillés. Des hommes accoutumés à un superflu devenu
nos lits et y louchaient insolemment pour s’assurer que nous y
nécessaire par habitude, apportaient des portefeuilles très-bien gar
ceux qu’on y amenait furent fouillés à. leur entrée et impitoyable
étions encore : celle affreuse clarté, ces hurlements de la rage, ce
nis, ils leur étaient enlevés ; les montres, les étuis, les boucles,
cliquetis des armes, l'épouvantable figure de la plupart de ces
les tabatières avaient le même sort. Tous étaient soumis ù ce rè
hommes, l’heure de celle scène, le sursaut du réveil, tout redoublait
glement, le pauvro comme le riche.
l'horreur de nos sensations.
« Celui que les malheureux n’implorent jamais en vain fut no
« ..... J ’ai vu quelques hommes plongés dans celto prison par
tre seul secours. L ’esprit et le ton de cette maison otTrail l’image
quelque vil calomniateur : un reproche juste, une résistance cou
O II y a erreur ; ce fut le 15 prairial quo l'installation out lieu. Le pre
mier jugement fut rendu le primidi do la première décade do mossidor,
rageuse, une fortune aisée, une jolie femme, tels étaient souvent les
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—
d’un stoïcisme religieux. Lo silence, le recueillement, la méditation
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—
ot le courage y régnèrent généralement ; et j ’altcsto ici que pen
résolution au-dessus de tout éloge. Il contrefaisait l’insensé, et
dant deux mois de crise que j ’ai â peindre, je n’ai entendu aucun
manifestait une folie furieuse. Les gardiens qui savaient qu’avant
propos brutal, ni aucune dispute ; je n’ai eu connaissance d’au
son incarcération il jouissait de toute sa raison, craignant d’être
cune action malhonnête ; parmi 250 infortunés, la plupart sans
pris pour dupes, tentaient sans cesse de nouvelles épreuves, mais
éducation, presque tous étrangers les uns aux autres, le plus grand
jamais on ne le trouvait en défaut.
nombre habitant des provinces méridionales, ont invariablement
Souvent, malgré la faim qui le dévorait, il jetait à la tête de ses
régné la douceur, la tolérance, ot l'envie continuelle de se servir
geôliers la nourriture qu’on lui apportait. Un jour, il fit pis en
les uns les autres. Pendant tout cc temps aucun mouvement de dé
core, et leur lança ce que le fameux mot de Cambronne explique
sespoir, aucune menace contre leurs persécuteurs, aucun blas
suffisamment; action que l’instinct de la conservation peut seule
phème contre la Providence n’a échappé à leur âme déchirée :
excuser.
l'égalité d’humeur, la douceur, la gailé même, faisaient de ces
victimes entassées un spectacle digne des égards et du respect d'un
philosophe. »
L’auteur termine ainsi :
« J'ai vu entraîner les victimes à ce tribunal de sang. .Tous les
prisonniers savaient le sort qui les attendait, et ils ne se fai
saient aucune illusion. A peine l’huissier de la commission était-il
venu faire l’appel, que le geôlier s’emparait de tous les effets de
ceux qui devaient être condamnés à mort. Les prévenus étaient
encore dans la cour de la prison, que leurs effets étaient enlevés à
leurs yeux ; et cette mesure les instruisait, eux et leurs compa
gnons d’infortune, du jugement qui devait être prononcé. Non-seu
lement les hommes, mais les femmes montraient de la fermeté
dans ces moments suprêmes. La plupart de ces victimes étaient de
jeunes personnes aimables cl intéressantes, ou des mères de fa
mille vertueuses. Quels étaient leurs crimes? il est aisé de le
deviner. »
Ne semble-t-il pas qu’on assiste aux souffrances de ces pauvres
prisonniers? Celles de d'Alissac eurent un terme à la révolution
de thermidor.
Son fils Titus d’Alissac ne fut pas épargné: on le mit en pri
son à Avignon en attendant sa translation à Orange. Mais il sut
échapper 'a la mort par une énergie et une persistance dans sa
Il lui arriva même de mordre jusqu’au sang la main du médecin
qui venait pour examiner son état mental.
Une autre fois, après lui avoir bandé les yeux, on l’amène dans
la cour du palais pour le fusiller. On le place contre le mur, et le
commandant du peloton commande : Feu ! Mais les fusils ne par
tent pas, car on voulait seulement l’effrayer. On s’approche de lui,
et on le trouve calme, sans émotion, le pouls dans un état normal.
Voyant que les épreuves rigoureuses ne peuvent réussir, on veut
en tenter une h laquelle on pense qu’il ne résistera pas après
avoir fait courir le bruit de sa mise en liberté, un matin le di
recteur vient en grand appareil lui apporter sa grâce. Mais lui qui
se méfie, car à cette époque Injustice rendait rarement sa proie,
prend la pièce officielle qu'on lui présente, la déchire en mor
ceaux et la foule aux pieds, en disant qu'il veut rester en prison.
De ce moment on veilla moins sur lui ; il parvint à s’échapper, et en
recouvrant la liberté il recouvra la raison.
Il se cacha dans les montagnes de la Drôme ; et on le vit plus
tard, avec ce courage dont il donna des preuves dans toutes les
circonstances, seconder les efforts du baron de St-Christol, que
M. le marquis de Laincel, dans son intéressante étude sur la Ter~
reur rouge et la Terreur blanche, nous fait connaître sous un as
pect brillant et chevaleresque.
Nous terminerons ce chapitre par le tableau que présentait la
prison d’Avignon, d’après une adresse des citoyens de cette ville
à la Convention nationale, le 19 brumaire an I I I :
�—
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—
« Saillard, ami de Maignct, suivi de Dauvergne, commandant de,
la force armée, disent les signataires, venait pendant la nuit trou
bler le repos des détenus, faisant lever les femmes en sursaut, leur
laissant h peine le temps de prendre un jupon, les faire ranger en
ligne, et, les passant en revue le sabre à la main, les accabler des
injures les plus atroces, les plus grossières, les plus indécentes,
souvent les frapper d’une main lourde et brutale, faire ployer à leurs
yeux des chaînes, ordonner aux sbires qui les entouraient de les
enchaîner pour les conduire à Orange ; et après avoir joui quelque
temps avec le féroce Dauvergnc de l'effroi qu’il leur inspirait, dire
froidement h ses satellites ; Retirons-nous, c’est trop tard aujour
d'hui, ce sera pour demain. »
On comprend que les détenus devaient attendre avec impatience
leur jugement, quel qu’il put être.
—
blancs par les noms des personnes portées sur la liste des accusés
qui devaient paraître devant le tribunal. Il était même de notoriété
publique que ces actes de décès étaient dressés et signés avant la
fin de l’audience.
Roman-Fonrosa, il est vrai, ni même Melleret, ne se seraient
sans doute pas prêté à cette illégalité, le premier surtout qui s'at
tachait aux formes de la justice ; mais ils faisaient partie de la
minorité. D’ailleurs Fonrosa rédigeait-il toujours les jugements ?
Il est permis d’en douter quand on les lit avec attention, et qu’on
peut les comparer. Il est facile de s’apercevoir que la rédaction
n’est pas toujours la même et que par conséquent plus d'un indi
vidu concourait à ce travail, selon la circonstance. On croit recon
naître, en effet, dans les jugements qui présentent une déclamation
ampoulée, le style de l ’avocat de Die. Nous allons fournir quelques
preuves à l’appui de notre opinion sur le soin qu’on avait de pré
parer à l’avance les pièces de la procédure.
XII
Le citoyen Dulac, agent national d’Avignon, répondant à Viol,
accusateur public de la commission, qui lui demandait, d’urgence,
l’envoi de deux prisonniers, lui disait :
« Un gendarme est arrivé à onze heures avant midi, apportant
Le tribunal n’était pas encore entré en fonction, mais l’accusa
teur public ne négligeait rien de ce qui pouvait lui procurer des
accusés. Il préparait d’avance son travail pour faciliter aux juges le
une lettre par laquelle tu me demandes que je fasse partir de suite
Louis Biscarral, et Gaudiberl, notaire à Yacqueyras, résidant à
Camarcl.
moyen d’en faire autant ; car il est généralement reconnu que les
« J ’ai de suite pris des mesures nécessaires pour leur départ.
jugements étaient dressés bien avant les séances. Un magistrat,
Mais ces deux individus ne pouvant aller à pied, la difficulté de
dont on cite le caractère élevé autant que la science de juriscon
trouver une voiture retardera les vues, et il ne me paraît guère
sulte, en mesure par sa position et ses nombreuses relations d’être
possible qu’ils puissent, ce soir, être mis en jugement. Je ne négli
instruit sur les événements de cette époque, qu’il a pu étudier d’une
gerai cependant rien pour qu’ils arrivent encore à Orange aujour
manière particulière, penche vers cette opinion. Il a toujours en
d’hui.
tendu dire que le tribunal révolutionnaire, certain de la décision
dans le sens qu’il l’enlcndait, minutait d’avance le jugement qui
devait être prononcé, ayant soin de laisser en blanc la pénalité,
dans le cas où une circonstance imprévue aurait changé les dispo
sitions déjà arrêtées. L ’officier de l’état civil, de son côté, pour se
conder la commission dans la rapidité de ses opérations, avait fait
imprimer un registre pour les actes de décès, et remplissait les
« Salut et fraternité.
« Signé D ulac. »
Quoique arrivés fort lard à Orange, ce même jour Gaudiberl lut
condamné à mort et Biscarrat à la détention. Ne fallait-il pas que
le jugement fût prêt, et qu’il n’y eût que des blancs à remplir, pour
que la pénalité pût être appliquée de suite aux prévenus?
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—
jugements étaient préparés quinze jours à l’avance. Deux autres
Une autre fois Viol demande à Carpenlras plusieurs détenus,
entre autres trois frères, Jacques et Antoine Durand. Le citoyen
témoins ont entendu ce propos.
Cette pièce authentique, que nous avons eue entre les mains,
Liely, administrateur du district, lui répond, le 30 messidor :
nous éclaire parfaitement sur ce point, comme le feront d’autres
« Tu ne demandes qu’un Durand, et cependant il s’en trouve
deux, dont l’un est l’oncle, l’autre le neveu. Comme je
11
e sais celui
dénonciations reçues légalement par-devant le comité de surveil
lance d’Orange sur d’autres questions dont nous nous occuperons
des deux que tu désires, je te les envoie tous les deux pour ne pas
plus tard.
retarder les opérations. Tu auras soin de renvoyer l’autre dans le
cas où tu n'en aurais rien à faire.
voir participé aux jugements, disait qu’ils étaient fabriqués d’avance
« 11 se trouve une erreur parmi les noms des Jacques frères; ne
Cotlier-Julian, secrétaire de la commission, en se défendant d’a
par le greffier Benet.
sachant pas les deviner, tu en recevras un de plus que tu ne me
Le 18 thermidor, comme le rapporte Chaussy, la commission,
demandes. »
L’administrateur du district imitait en cela Fouquier-Tinville
voulant profiler du peu de temps qu’elle a encore à vivre, donne
qui, voyant que deux prévenus avaient répondu à l’appel au nom
l’ancienne municipalité d’Avignon pour être jugés immédiatement.
de Gamache, lorsqu’on n’en demandait qu’un seul, pour ne pas faire
Or, comment aurait-on pu exécuter cette mesure si le jugement
d’erreur, les envoya l’un et l’autre au tribunal, et delà à la guillo
n’avait pas été prêt ?
tine. L'un était un cultivateur de Bourges, l’autre Tex-comte de
Gamache.
La commission écrivait au comité de Salut public, avant l’ouver
ordre de faire comparaître sur-le-champ à Orange les membres de
Enfin, le verdict du 7 messidor, an III, qu’on trouvera plus
loin, aux pièces justificatives, établit que ce tribunal révolution
naire a laissé plus de deux cents jugements tout préparés.
ture du tribunal : « Un comité, celui d’Orange, s’est exécuté. Ce
Mais un cas fortuit pouvait parfois déranger ces combinaisons.
n’est pas notre faute si nous n’allons pas plus vite. Cependant nous
C’est ce qui arriva à la séance du 17 messidor, an II, comme on
commencerons primidi (messidor), ayant préparé quelques affaires ;
le verra, où un incident imprévu changea la physionomie des débats
nous tâcherons ensuite de regagner le temps perdu. »
en mettant en évidence l’embarras du tribunal qui, tenu de refaire
Celle précaution, non-seulement de l'accusateur public, mais de
l’actc déjà libellé, fut obligé de renvoyer au lendemain le prononcé
la commission, de tout préparer d’avance, annonce aussi la promp
du jugement, afin d’opérer les modifications indispensables. Pareil
titude qu’on voulait mettre dans les décisions.
Le 28 frimaire, an III, le citoyen Bonet, de la commune de
fait ne se renouvela plus, car les juges n’avaient pas l’habitude
d’hésiter dans leurs décisions ; justifiant ainsi l’opinion de Giraud,
Visan, a déclaré devant le comité révolutionnaire que, vers le com
accusateur public du tribunal criminel de Marseille, quand il
mencement de brumaire dernier, se trouvant à Orange dans l’au
■répondait à la personne qui lui demandait un exemplaire des décrets
berge du citoyen Mure, il entendit le citoyen Cœur, huissier au tri
de la Convention pour les membres de la commission d’Orange :
bunal du district d'Orange cl de service auprès de la commission
« Ces gens-là n’ont pas besoin de lois. »
soi-disant populaire établie dans cette ville, discourir avec un
On peut ajouter à ces preuves la précaution qu’avait le geôlier,
citoyen qui devait passer au tribunal soi-disant populaire, lequel,
aussitôt que l’huissier avait fait l’appel, selon la relation de d’Alis-
dit Cœur, assure que s’il voyait le tableau il serait dans le cas de
sac, de s’emparer des effets des accusés qui allaient comparaître
lui faire voir qu’il ne devait pas être guillotiné ; et il ajouta que les
6
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8°2
—
devant le tribunal, malheureuses victimes dont il connaissait d’a
vance le sort.
Dans cette manière de procéder on ne faisait que suivre l’exem
ple de Fouquier-Tinvillc qui, vers minuit, de concert avec Amar,
Voulland, David, du comité de sûreté générale, arrêtaient le nom
bre des victimes qui devaient comparaître devant le tribunal révo<
lulionnairc, c’est-à-dire monter sur l’échafaud, en laissant toute
latitude pour prendre les premières personnes venues parmi les
prisonniers, de manière à atteindre le chiffre déterminé d’avance.
A l'exemple de ce sanguinaire accusateur public, qui, après avoir
commandé les charrettes pour le lendemain, allait ensuite se livrer
tranquillement au repos, les membres de la commission populaire
d’Orange pouvaient aussi invoquer le sommeil du juste.
En un mot, dans la prévoyance de creuser des fosses à Laplane
et de se procurer de la chaux pour jeter sur les cadavres des sup
pliciés, n’acquierl-on pas une entière certitude à cet égard? Nous
croyons donc avoir démontré l’existence des monstrueuses illéga
lités qui font le sujet de ce chapitre. Au surplus, ce n’est pas le
seul exemple de faits semblables qu'on pourrait citer : dix ans
plus tard, quand il semblait que la justice devait régner en Fran
ce, puisque l’ordre existait déjà, n’a-t-on pas creusé, à Vincennes,
la fosse du due d’Enghien avant que le noble et malheureux prince
eût comparu devant ses juges? Le méchant est partout le même,
quel que soit le masque dont il sè couvre.
83
—
de Maignet il serait fait dans la soirée du même jour des visites
domiciliaires dans tout le territoire, et que les citoyens seraient
tenus, sous peine d’être déclarés suspects, de laisser librement agir,
et d’aider même, en cas de besoin, les commissaires nommés pour
faire les dites visites, afin que les coupables ne pussent échapper à
ces recherches. Il enjoignait, en même temps, aux membres du
comité de signer individuellement un certificat constatant qu’il
n'existait plus en liberté dans la commune des gens désignés
comme suspects aux termes de la loi du 17 septembre 1793 et des
arrêtés du représentant du peuple. Il terminait en disant qu’il
serait donné les ordres les plus sévères aux commandants de la
gendarmerie et de la garde nationale pour l’exécution de ces mesu
res, déclarant suspect et passible d’être traité comme tel, tout ci
toyen qui connaîtrait la retraite d’un accusé et ne la déclarerait
pas.
Cet arrêté, calqué sur celui de Maignet, ne pouvait que préoc
cuper les esprits. Mais une autre question venait les agiter aussi :
ce même jour avait lieu l’ouverture des séances de la commission
populaire, — les grands jours de la démocratie, — cl les citadins,
comme les étrangers , voulaient assister au premier jugement.
Aussi, dès le matin, les rues voisines du tribunal étaient encom
brées ; et aussitôt que les portes s’ouvrent, la foule se presse pour
entrer.
D’après de nombreuses recherches, au moyen de renseignements
puisés dans quelques écrits, des indications fournies par des habi
XIII
tants d’Orange, qui tiennent ces faits de ceux qui ont assisté aux
scènes dont nous avons à parler, et surtout à l’aide des souvenirs
de personnes dont le concours nous a été précieux et que nous
Le priraidi messidor, an deuxième de la République française,
une et indivisible, il régnait une grande animation dans la ville
d'Orangc. Le comité de surveillance de celte commune, se félicitant
de la marque de haute confiance que le comité de Salut public
venait de donnera son patriotisme par l’établissement de la com
mission populaire dans scs murs, décidait qu’en vertu des ordres
nommerons plus tard, nous allons chercher à donner la description
de la salle d’audience telle qu’elle était alors.
Rappelons d’abord que celle enceinte était l’ancien temple pro
testant, élevé en 15G0, sous Guillaume de Nassau. Après la réunion
de la principauté d’Orange à la France, Jean d’Obeilh, docteur en
Sorbonne, nommé evêque d’Orange, cherchant à rétablir les bon
nes études et à relever l’université de cette ville, proposa à la com-
�—
84
—
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85
—
pagaie du Jésus la direction du collège, que le roi avait agrandi
bune aux anciennes pour augmenter le nombre des places desti
en y ajoutant le temple et les revenus du consistoire. Les Jésuites
nées aux spectateurs.
n’ayant point accepté celle olire, cet établissement fut donné aux
A la partie méridionale , une balustrade en bois à jour, d’un
pères de la Doctrine chrétienne, appelés aussi pères de Sl-Jcan,
beau travail, formant un hémicycle au moyen de trois dcmi-cer-
lesquels firenl consacrer le temple pour en former une église sous
cles, avec une porte au milieu, élevée de deux marches au-dessus
le vocable de saint Louis. A la révolution de 1789, la nation s’en
du sol, séparait le chœur du reste de la nef. C’est là que les pro
empara et l’église devint le temple de la raison, nouveau panthéon
testants allaient faire la cène, et que plus tard les catholiques s’a
destiné aussi h renfermer les dépouilles mortelles des hommes
genouillaient pour recevoir la communion. Au fond, contre le
illustres de l’endroit. C’est là qu’avaient lieu les fêles civiques, les
mur, à la place de l’autel en bois, s’élevait le tribunal, au-dessus
cérémonies d’apparat. Plus tard le même bâtiment servit à l’éta
duquel on voyait le buste de la Liberté coiffée du bonnet phry
blissement d’un collège communal. Aujourd'hui il appartient à une
gien. Celle enceinte avait été prolongée dans l ’intérieur de la salle
communauté religieuse de l’ordre des Dames de la Présentation de
au moyen de planches d’un mètre de hauteur pour y établir le
Marie. Pour l’approprier à sa nouvelle destination, l’église a été
siège du greffier, les quatre bancs pour les accusés, les huissiers,
partagée en deux parties : l'une consacrée à former la chapelle,
les gendarmes et les défenseurs. Ces derniers n’existaient que no
l’autre à agrandir les logements du couvent. L ’autel a été changé
minativement et pour la forme ; car, ni les avocats, ni les té
de place, et l’on n’a conservé que la chaire en bois pour remplacer
moins à décharge, d’après la jurisprudence alors en vigueur, n’é
celle en pierre, qui existait primitivement, appelée chaire blan
taient admis à l’audience. Quant à l’accusateur public, il était ins
che, à cause de la blancheur de la pierre, et qu’on a fait disparaî
tallé dans la chaire, d’où il lançait ses foudroyants réquisitoires.
tre par suite du nouveau plan architectural. Mais malgré ces chan
Le reste de la salle était occupé par la force armée, chargée de
gements, il est facile de se rendre compte de l’ancienne disposition
maintenir l’ordre, et par le public. Mais on avait soin , comme
des lieux.
au tribunal révolutionnaire de Paris, de ne laisser arriver que les
La salle, avant les dernières réparations, formait un carré par
bons patriotes, toujours prêts à applaudir à chaque sentence de
fait. Il régnait un grand arceau de l’Est à l’Ouest pour soutenir
mort qu’ils entendaient prononcer. Quelques amis des juges, par
la toiture, portant la date de 1700. Au Nord, à 1 Est, à l’Ouest, et
un privilège spécial, car dans ce temps d’égalité il y avait aussi
en retour sur les deux angles du Midi, on voyait un double rang
des distinctions, occupaient des places réservées auprès d’eux,
de tribunes superposées, en planches parfaitement travaillées et
comme on le faisait pour le comité de surveillance d’Orange,
soutenues par des piliers, garnies de balustrades percées à jour
dont les membres ont assisté, en corps, aux séances du 5, 6, 8,
qui, d’après l’opinion générale, remontaient à l’époque de la fon
9, 12, 17, 28 messidor, et à celles du 5, 1i, et 16 thermidor.
dation de cet édifice. On y arrivait par un escalier en pierre placé
On pénétrait dans le Palais de Justice révolutionnaire par trois
dans la partie Est, en dehors de l’enceinte. Cette description pa
portes : au Midi, celle de l’ancienne sacristie , transformée en
raît exacte. Cependant un ancien professeur du collège, qui a bien
salle de délibérations, où se tenaient les témoins, ayant une is
voulu nous donner quelques détails à ce sujet, croit se rappeler
sue, par une terrasse élevée de quelques pieds, dans une cour, et
qu’il existait un troisième rang de tribunes. Si scs souvenirs ne le
de là sur la voie publique ; à l’Est, celle qui aboutit, par la ruelle
trompent pas, il est probable qu’on avait ajouté une nouvelle tri-
St-Louis, à la rue du Mazeau ; à l’Ouest, la porte qui s’ouvre sur
la rue de l’ancien Collège. La première de ces portes était alfec-
�*
—
86
—
tée aux membres de la commission ; par la seconde entraient
nomie une grande force de caractère, une volonté devant laquelle
les accusés qui devaient comparaître ; et par la troisième ils sor
tout doit plier (60).
taient pour être conduits à la prison du Cirque, et delà k la guillo
tine.
Nous avons cru que celte description, un peu longue peut-être,
Roman-Fonrosa est déjà un vieillard, bien étonné sans doute
de se trouver le collègue de jeunes hommes dans la fougue de l’Age
était utile pour bien connaître un lieu témoin de tant de décisions
cl des passions, lui que la'sagesse et la prudence auraient dû re
iniques.
tenir loin des agitations populaires. Sa tenue est digne et conve
La salle est déjà pleine. L'huissier, après avoir réclamé le si
nable comme celle d’un ancien magistrat ; mais celui qui l ’exa
lence, introduit Fauvety, Roman-Fonrosa, Meilleret, Fernex et
minerait attentivement lirait sur ses traits le regret de coopérer k
Ragot, qui viennent prendre place.
dos sentences arbitraires qu’il n’approuve pas toujours, et qu’il ne
Ces juges, comme on le voit dans l'excellent ouvrage de M. l’ab
peut empêcher.
bé André, portaient les cheveux plats, un chapeau rond k aile re
pliée sur le devant, orné d’un immense panache aux trois cou
Tout en partageant, la plupart du temps, les convictions de ce
leurs, un habit noir cl un grand sabre au côté, avec une écharpe
dernier, Meilleret montre plus de décision. On reconnaît, en le
tricolore, détails que cet historien tenait d’une personne qui avait
voyant, celui qui signait : Médecin-grenadier!.
assisté aux séances de la commission.
Soulüer* écrivain dont on estime le talent et la véracité, les peint
Fernex avait voué sa vie k la réalisation de scs principes répu
k peu près de même : « Les voyez-vous, dit-il, aux cheveux gras
blicains. Rien ne lui a coûté pour chercher k arriver au but vers
et aplatis , k l’œil terne et farouche, au teint livide et basané,
lequel il tendait ; laissant voir à Orange le même caractère qu’il
n’écoulant rien, n écoulant qu’eux en présence de leurs victimes
montrait au tribunal criminel de Lyon ; et dans cet air concentré,
chancelantes, et ne se répondant l’un k l’autre que par le signe
ce regard farouche qui lui sont habituels, on reconnaît en lui le
perpendiculaire de haut en bas, et jamais horizontalement ! » En
juge qui n’absout jamais. L ’événement qui causa sa mort, comme
effet, ils prononçaient presque toujours la condamnation.
on le verra, achève de le faire connaître.
Nous avons donné, dans un chapitre précédent, la biographie
succincte des membres de ce terrible tribunal. Essayons de les dé
Quant k Ragot, qui de simple menuisier est devenu juge crimi
peindre sur leur siège k l’aide de pièces officielles, de quelques
nel. ce n’est pas le plus méchant de tous, bien qu’il vote toujours
opuscules du temps, et des souvenirs traditionnels des personnes
pour la peine capitale. L ’ivrognerie, k laquelle il est adonné, ne
Agées du pays, en ayant soin de ne pas donner un coup de crayon
l’excuse pas, mais explique cette conduite sans pitié. A l ’audience
qui ne soit justifié par des actes ou des témoignages irrécusables.
il s’endort, et il faut que. son voisin le pousse du coude pour le
Nous pourrons ainsi les mettre en scène.
réveiller. Aussitôt, sans prononcer une parole, et, se distinguant
de ses collègues dans la manière d’opiner, par un mouvement ho
Fauvety, qui occupe le fauteuil de la présidence, est un homme
rizontal de la main il imite l’action du glaive quand il tranche la
de trente-quatre ans, taille moyenne, figure brune, pâle et allon
tête, et indique ainsi son vote de mort. Cependant, comme le
gée, avec des marques de petite vérole, nez long et aquilin, bou
constate une dénonciation légale, la vue d’une femme l humanise
che petite, menton pointu, portant dans l’ensemble de sa physio
parfois ; et s’il montre une aveugle férocité, c’est plus encore
�—
89
pour obéir à des ordres donnés, que pour suivre l'impulsion de
manière la plus grossièro, au rapport de Proussinaillc, dans sou
son caractère.
ouvrage sur les tribunaux révolutionnaires.
11 n’existe rien de particulier sur Viot, dont nous avons déjà
Cottier-Julian, Agé de vingt-sept ans, d’une taille moyenne, la
parlé longuement. Nous savons quel était le costume officiel des
figure brune, animée, a la tenue réservée qui convient au poste
juges pendant les séances, mais nous ignorons si l’accusateur pu
qu’il occupe. Il est, connue Barjavel, un des membres les plus in
blic, à Orange, était revêtu de celui que mentionne Challamel
fluents do la commission par ses connaissances en jurispruden
dans son ouvrage des Français sous la Révolution : — cravate
ce. L ’ironie qui parfois vient effleurer ses lèvres, l’esprit qui ani
rouge, gilet vert, habit noir-violet, «à collet renversé, pantalon
me son regard, l'ont reconnaître on lui l’accusé qui plus tard, par
blanc, grand sabre au côté, attaché par un ceinturon en cuir jau
sa dextérité et son intelligence, saura se tirer de la position la
plus périlleuse.
ne. Toutefois, d’après ce que nous connaissons de lui, on peut se
représenter le soudard, quand, avec la parole vulgaire, mais impé
rieuse, le geste menaçant, il fait condamner ceux qu’il accuse.
Le greffier Claude Benet n’a rien qui puisse le faire remarquer.
Nous nous sommes déjà occupés de lui en citant un certificat
qui constate son civisme et sa tendance à la libre pensée, cl ses
deux lettres plus caractéristiques encore. Par la nature de scs
fonctions, jouant un rôle passif pendant les débats, il devrait at
tendre, calme et impassible sur son siège, le résultat de la déci
sion des juges. Mais avec un peu d’attention on voit sur son vi
sage l’intérêt qu’il prend à la discussion. Dans sa pose, sur scs
traits, dans toute sa personne, se manifeste l’homme emporté,
entier dans son opinion républicaine, ce qui lui avait fait don
ner le surnom de Carra, — en langue vulgaire, raide, inflexible.
Barjavel, bien que ne cherchant pas k se mettre en relief, con
serve cet air d’autorité que lui donne la confiance dont il est in
vesti. On lui reproche, après.avoir préparé les actes d’accusation,
toujours rédigés dans les termes les plus violents, d’aller encore,
pendant les débats, stimuler le zèle des juges, lorsque, faute do
preuves suffisantes, il les croit indécis sur l’application de la loi.
Nous ne disons rien des huissiers qui, malgré le rôle actif
qu’ils jouent, n’ont qu’une position subalterne.
Voilà les hommes qui vont disposer de la vie des citoyens.
L ’huissier ayant réclamé le silence, la séance s’ouvre.
L ’accusateur public prend la parole, expose les délits sur les
quels repose l’accusation, et formule ses conclusions.
Les témoins à charge viennent faire leur déposition ; ceux à
décharge ne sont pas entendus.
Les accusés cherchent vainement à se défendre; on ne leur en
laisse pas le temps.
Enfin, après une courte délibération, le président fait connaître
la décision du tribunal.
Nous reproduisons ici le premier jugement d’après les pièces
officielles.
a Du primidi messidor, an II de la République Française, une et
indivisible ;
« Au nom du peuple Français, la commission populaire établie
à Orange a rendu le jugement suivant.
En voyant l’intérêt qu’il prend à la condamnation des accusés,
« Entre l’accusaLeur public, demandeur en accusation de délits de
surtout si ceux-ci sont au nombre de ses ennemis, on reconnaît
conspiration tendante à rompre l’unité cl l’indivisibilité de la Ré
l’accusateur public qui, à Avignon, insultait les prisonniers de la
publique, portée publiquement à l’audience contre Aimé-Louis
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Clozcau-Piloy, aîné, natif de Genève, habitant h Avignon, fabri
des en qualité de président de l’un de ces comités infâmes, dont
cant d'étoffes de soie, Agé d’environ cinquante-quatre ans ; Jean
les manœuvres avaient poussé la France A sa perte. Bonnet aîné
Sage, natif et habitant d'Avignon, ouvrier en soie, Agé d’environ
a trahi la patrie ; il a conspiré contre 1 unité et l’indivisibilité de
cinquante-quatre ans, membre du comité général des sections avi-
la République; il s’est transporté, comme commissaire nommé par
gnonaises en juillet 1703 (vieux- style); Bonaventure Mas, aîné,
les sections contre-révolutionnaires, A l’une des prisons d’Avignon
natif cl habitant d’Avignon, laffelassier, Agé d’environ soixante-
pour y installer un nouveau concierge ; il a, au moyeu de ce,
treize ans, adjoint Al'administration de la Commune d’Avignon, en
usurpé des fonctions qui n’appartiennent qu’aux autorités légale
viron le 6 dudit mois de juillet (vieux style) ; Vincent Ricard, na
ment créées, cl insulté A la souveraineté du peuple et concouru au
tif et habitant d'Avignon, ci-devant sous-brigadier des chcvaux-
vaste plan de conspiration tendant A établir en France la guerre
légers, administrateur de la dite Commune d’Avignon à la même
époque, Agé d’environ quarante-cinq ans ; Agricol Bonnet, aîné,
civile.
« Vu et lecture faite des pièces formant la preuve matérielle de la
natif et habitant d'Avignon, imprimeur, Agé d’environ cinquante-
dite accusation , A l’appui desquelles est la preuve testimoniale
neuf ans, défendeurs. La dite accusation ainsi conçue: J ’accuse
produite contre le dit Bonnet aîné : les accusés sus-nommés ayant
Clozcau-Piloy de s’être montré l’un des chefs de la révolte qui a
été ouïs en leurs réponses, le débat ouvert sur chacun d’eux, et
eu lieu en juin cl juillet dernier 1793 (vieux style) ; il a été un des
après les avoir entendus séparément en leurs moyens de défense
administrateurs provisoires de l’une îles autorités formées par les
pendant le temps nécessaire A leur justification, la commission
sections en révolte ; il a, en cette qualité, répandu des écrits ten
déclare qu’il est constant qu’il a existé dans la Commune d’Avi
dants A exciter la fureur des brigands armés pour détruire la re
gnon, département de Vaucluse, A l’époque des mois de juin et
présentation nationale, et a rallié contre elle le restant des mau
juillet 1703 (vieux style), une conspiration tendante A rompre l'u
vais citoyens ; il s’est rendu par IA complice et l’agent de la tyran
nité et l’indivibililé de la République, A avilir et dissoudre la re
nie. Jean Sage a conspiré contre l’unité et l’indivisibilité de la
présentation nationale ; déclare encore que Aimé-Louis Clozeau*
République, la tranquillité et la sûreté du peuple français; il a été
Pitoy, aîné, Jean Sage, Bonaventure Mas, aîné, Vincent Ricard
un des membres du comité général des sections Aqui la Commune
et Agricol Bonnet, aîné, tous accusés ci-devant nommés, sont
d'Avignon doit tous ses malheurs ; il a donné et signé en cette
convaincus d’être auteurs ou complices de la dite conspiration.
qualité des billets de sortie A certains individus; enfin il est l’un
« En conséquence, au nom de la République et en vertu de l’ar
des signataires delà réponse insolente qui fut faite au général par
ticle unique de la loi du IG décembre 1702 (vieux style), dont sui
les Avignonais et les Marseillais réunis. Mas aîné s’est montré
vent les dispositions : « La Convention Nationale décrète que qui
l’apôtre du fédéralisme-, il a -été l’un des provocateurs de la ré
conque proposera ou tentera de rompre l’unité de la République
volte des Avignonais contre la représentation nationale ; il a ac
Française, ou d’en détacher des parties intégrantes pour les unir
cepté et exercé les fonctions d'officier public chargé de l'enregis
A un territoire étranger, sera puni de mort » ; condamne le dit
trement des actes de naissance, mariages et décès ; enfin il a été
le complice de la soi-disant administration provisoire de la Com
mune qui s’était emparée des pouvoirs du peuple, qu’elle égarait
pour le perdre. Ricard a également tenté de rompre l’unité et
l’indivisibilité de la République ; il a signé des arretés liberlici-
Pitoy, Jean Sage, aîné (*), Ricard et Bonnet, aîné, A la peine de
mort -, déclare leurs biens acquis et confisqués au profit de la Ré
publique conformément A l’art. 2. lit. 2. do la loi du 10 mars 1793
C) Oubli du nom do Bonavonturo Mas par l'imprimeur.
�—
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—
—
(vieux style), dont suivent les dispositions : « Les biens de ceux
Nous produisons aussi dans son entier le jugement du 17
qui seront condamnés à la peine de mort seront acquis à la Ré
messidor, où s’est élevé l’incident dont il a été question dans un
publique ; il sera pourvu à la subsistance des veuves et des enfants
chapitre précédent, et qu’on trouvera aux pièces justificatives (61).
s’ils n’ont pas de biens ailleurs. » Ordonne que le présent juge
Nous agissons de même pour celui du 17 thermidor (62), séance
ment, qui a été publiquement prononcé par le président aux cinq
sur laquelle nous avons des détails rapportés par un témoin ocu
accusés, sera imprimé et affiché dans toute l’étendue de la Répu
laire, comme nous le raconterons plus tard, et où l’on voit que,
blique, et qu’à la requête de l’accusateur public il sera mis à exé
malgré les bruits qui devaient circuler sur la chute de Robes
cution dans les vingt-quatre heures sur la place de cette Com
pierre, quoique la nouvelle officielle ne fut pas encore arrivée, le
mune, appelée Justice.
tribunal voulait remplir jusqu’au bout sa détestable mission.
« Fait à Orange en audience publique de la commission popu
laire établie dans la dite commune, ce jourd’hui 1er messidor, l’an
2mc de la République Française, une et indivisible.
h
Présents : Jean Fauvetv, président; Pierre-Michel-François Ro*
man-Fonrosa, Jean-Pierre Mclleret, Gaspard Ragot, Joseph Ferncx, juges composant la dite commission, qui ont signé à la mi
Nous nous contenterons, pour les autres jugements, de signa
ler les circonstances les plus importantes des débats.
Nous avons soin de porter aux notes le tableau des victimes
jour par jour, nécrologe où tant de familles peuvent trouver de
pieux souvenirs (63).
La commission populaire voulait, une fois entrée en fonctions,
avoir sous la main des accusés pour ne pas rester inactive. Nous
nute du présent jugement.
« Au nom du peuple Français il est ordonné à tous huissiers sur
ce requis de faire mettre le présent jugement à exécution ; aux
commandants de la force publique de prêter main-forte lorsqu’ils
trouvons parmi les pièces officielles ce modèle d’accusation en
voyé aux comités de surveillance :
« Orange, ce...
en seront légalement requis, et à l’accusateur public d’y tenir la
l’an II de la République
une et indivisible.
« Égalité, liberté ou la mort.
main.
En foi de quoi le présent jugement a été signé par le président
cl le greffier.
« Citoyen,
« Je l’envoie ci-inclus la liste des témoins à faire assigner dans
* F auvetv, président, B e.n et, greffier. »
l'affaire de.... ensemble l’ordonnance à cet effet, l’original et les
{Recueil des pièces officielles de la commission populaire.)
copies à faire donner aux témoins y dénommés pour le...... jour
indiqué ; je t’invite à faire mettre à exécution celle ordonnance
sitôt la présente reçue, et de me renvoyer l’original d’assignation
XIV
et l’ordonnance après l’opération consommée. Je compte sur ta
diligence, observant que les frais seront payés par le receveur du
district sur le mandat que tu lui feras passer, attendu que cette
On peut apprécier par cet acte la forme qu’employait alors la
justice qui, d'après Maignel, devait juger sans instruction écrite ;
où Fauvely trouvait étrange que Mcillcrct voulût des preuves com
opération est pour l’intérêt général de la République.
« Salut cl fraternité. #
Avec de telles précautions pouvait-on manquer de victimes?
me dans les tribunaux ordinaires de l’ancien régime, ainsi que le
marque sa lettre à Payan.
Suivons maintenant le cours des décisions du tribunal, qui eut
ï
�—
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—
une double audience les deux premiers jours de messidor, el
n’interrompit ses séances que les décadis et le 2G messidor, an
niversaire de la prise de la Bastille.
On a reproché à quelques-uns des juges, comme nous l’avons
déjà vu, de venir siéger en état d’ivresse, imitant en cela Cofllnhal et son collègue Renaudin, du tribunal révolutionnaire de Pa
ris. Ce dernier, qui ne savait souvent pas même le nom des accu
sés qu’il condamnait, avait proposé, dans des moments lucides,
de faire saigner les détenus dans les prisons, afin de leur enlever
toute leur énergie, proposition qu’avait faite aussi le juré Dixaoût. Les jurés du tribunal criminel d'Avignon avaient donné le
même exemple d’intempérance, car, selon Commin, ils ne se ren
daient à l’audience qu’après s’êlre bien repus. Un jour qu’on leur
faisait des observations sur le grave devoir qu’ils avaient à rem
plir, car s’ils jugeaient aujourd’hui, ils pouvaient être jugés de
main, l’un d eux fit cette réponse que nous copions textuellement
dans les Mémoires de cet écrivain : « Eh ! nous autres, disait-il,
nous n’y regardons pas de si près ; avant de nous rendre à la séan
ce nous nous rassemblons au cabaret, et nous décidons ce que
nous devons prononcer. Le bon vin nous donne du courage, quel
quefois trop, cela est vrai, car nous sommes souvent obligés de
conduire nos collègues ivres. » Et les juges, que disent-ils, lui dimandait-on ? « Ils rient et s’en amusent, » répliqua-t-il ? Les
membres de ce tribunal si tolérant envers les bons patriotes étaient
les mêmes que nous avons déjà vus fonctionner à Bédoin.
A Orange on n’avait pas de ces jurés qui pouvaient quelquefois
se laisser attendrir, mais des juges inexorables. Aussi, la commis
sion, écrit d’Alissac, jetait-elle le deuil el l’effroi. Laissons parler
cet auteur, qui nous explique leur manière de procéder simplé cl
uniforme.
« Le tribunal, dit-il, ordonnait, pour ainsi dire, un duel entre
l’accusateur et l’accusé; mais les armes n’étaient pas égales. Celuici, affublé de toute la nomenclature des crimes révolutionnaires, se
voyait bientôt assailli par quelques témoins qu’il ne connaissait que
trop. Une grêle de faits dénaturés, ou absolument faux, commen-
; S'
çait à l’étonner et à l’indigner même. S’il se troublait le moins
du monde, voilà, s’écriait le président, le caractère ineffable du
crime; la conscience crie plus fort que le coupable; la tienne t'a
jugé !... Si l’accusé, au contraire, courageux de son innocence et
éloquent à force d’indignation, était sur le point de confondre
l’imposteur, lais-loi, lui criait le président; lu n’as pas la parole !
Ces redoutables mots, synonimes d’un arrêt de mort, étaient sou
vent accompagnés de quelques épithètes comme celles-ci : Tu es
un muscadin ! lu es un arrogant ! Lu es un scélérat !
« L'accusateur public, de son côté, leur prodiguait les plus gros
sières insultes ; et de véritables sbires, habillés en gendarmes, les
emmenaient el les maltraitaient.
« D’autres fois le président adoucissait sa gravité pour égayer
les femmes qui assistaient à son audience. C’est ainsi qu’ayant
trouvé une discipline sur un vieux capucin, il se permit mille plai
santeries cyniques, dignes de figurer dans l’ouvrage le plus licen
cieux, el dont ces dames admiraient la finesse.
« Un jour il fait paraître un malheureux prêtre, habillé en fem
me , lui lient, avant de le condamner, les propos les plus obscè
nes, et l’envoie à la mort sous le même costume.
« Il n’était pas toujours aussi plaisant, el la moindre contra
riété excitait sa colère. Un honnête agriculteur détenu, qui com
paraissait comme témoin, ne convenant point de ce qu’on voulait
le forcer à déposer, va, lui dit-il en fureur, tu me le payeras ! »
Du reste, dans les tribunaux révolutionnaires tout se passait à
peu près de même. Si à Marseille on envoyait les accusés au sup
plice sans la moindre formalité judiciaire ; si à Toulon, comme
nous le voyons dans les Mémoires publiés par Z. Pons, on trou
vait sur la liste des proscrits, en marge de chaque nom : a payé,
ou doit, pour indiquer que b' malheureux avait déjà subi son sort,
ou que son exécution ne se ferait pas attendre, inscription en
partie double de ce commerce de sang ; à Bordeaux, Laeombe se
contentait de dire : Le tribunal est fixé sur ton compte, el la sen
tence était rendue ; à Nîmes, on agissait d'une manière plus soin-
�—
96
—
maire encore, car on voit, d’après le procès du 29 messidor, an III,
que des citoyens étaient amenés de la prison, et souvent même de
leur maison, mis hors des débats, jugés et conduits il l’échafaud
dans l’espace d'une heure.
Ajoutons une particularité qui nous fait connaître que le but de
battre monnaie, comme on le disait à Paris des exécutions sur la
place de la Révolution, était pour beaucoup dans les jugements
qu’on rendait. Un jour le président de la commission populaire
d’Orange refuse d’entendre une femme qui vient produire une péti
tion en faveur d un accusé, en lui disant, pour motiver son refus,
qu’elle n’est pas assignée comme témoin. Sur les instances decclle-ci, qui plaide chaudement la cause d’un homme connu par sa
charité envers les pauvres, il lui répond qu’il sait, en effet, que l’ac
cusé fait beaucoup de bien, mais qu’il est aristocrate et riche...
inde iræ !
Parmi tous ces actes d’iniquité, peut-on oublier Rivoire, con
damné pour son frère ; Rosly, père, exécuté il la place de son fils ;
Meynier, père, envoyé à la guillotine alors que les témoins avaient
été assignés pour juger son lils ?
Les accusés appartenaient h toutes les classes de la société, car
devant le sanglant couperet régnait la plus parfaite égalité.
C’est Commin-Gauffridi, d Orange, vieillard moribond, porté à
l’audience sur une chaise à bras.
C’est le chanoine Sylvestre, plus qu’octogénaire, que sa vieil
lesse ne préserve pas du supplice. Navait-on pas l’exemple de Pa
ris, oïl Maldent, âgé de quatre-vingt dix-huit ans, avait été exécuté;
celui de Toulon, ou Bcaussier, vieillard de quatre-vingt quatorze
ans, avait subi le même sort ?
La jeunesse ne peut trouver grâce devant des juges inexorables :
c’est Agricol Gallet, boulanger à Avignon, âgé de quinze ansdeux
mois, exécuté quoiqu’il n’eût pas encore seize ans, âge mûr pour
la guillotine, selon la jurisprudence révolutionnaire. Ce pauvre
jeune homme, mourant gaiment à la fleur de l’âge, rappelle un en
fant de Nantes, âgé de treize ans, qui, placé sous la hache, demande
au bourreau avec douceur : Mc feras-tu bien de mal ?
Ce sont deux citoyens de l’Isle, l’un mourant, l’autre paralyti
que, qu’on arrache à l’hôpital pour leur faire entendre leur arrêt
de mort.
C’est Teste, condamné à la peine capitale pour avoir reçu de son
frère, établi il Rome depuis longtemps, une lettre datée de cette
ville et totalement étrangère à la politique.
C’est Tcyssère, peintre, supplicié aussi parce que dans une let
tre qu’on lui avait envoyée, et qu’il n’a jamais lue, était renfermée
une autre lettre adressée à une religieuse.
C’est Mouriês, ex-capucin, âgé de soixante-cinq ans, qui, se trou
vant sans asile par suite de la suppression des couvents, est ar
rêté comme vagabond, porté sur la liste des émigrés, et finale
ment exécuté.
C’est leliaron de Malizai, chevalier de St-Louis, à qui l’on ne
reproche d’autres crimes que son titre de conseiller du ci-devant
tyran Capet, et celui de Viguier du château de Sorgues pour le ty
ran à tiare.
On devait en venir, comme à Paris, à mettre en accusation des
personnes qui avaient des figures suspectes.
Et puis trente prêtres immolés pour le repos de la patrie ! Qu’a
vait-on à leur reprocher aux uns comme aux autres ? aux premiers
trop de tiédeur dans leur civisme, à ceux-ci, le refus d'un serment
contraire à leur foi. On redoutait même la mémoire que ces der
niers pouvaient laisser après eux, car il arrivait parfois que le ju
gement ordonnait de brûler leurs effets, propres, croyait-on, à pro
pager la superstition.
Une chose digne de remarque, c’est que, faute de délits réels, si
l’on voulait perdre un homme on mettait en avant une question
de moralité que la loi même n’avait pas prévue. Ainsi Barjavel
fait condamner un citoyen de C’arpentras, parce qu’il avait, dit
l’acte d’accusation, un fils mauvais sujet. Un père est responsa
ble, il est vrai, des actes d’un enfant quand il est mineur, mais en
est-il de même pour des sentiments dont il ne doit compte à per
sonne, et encore moins si celui-ci a atteint l’âge de la majorité ?
Lorsque la justice agissait de la sorte â l’égard des hommes,
7
î
�—
98
—
quel nom donner à la rigueur déployée envers les femmes ? L’éga
lité. devant l’instrument de mort régnait dans toutes les classes.
Ici, comme le constate l’adresse des olTieiers de la garde natio
nale d'Orange, du 20 pluviôse, an III, c'est la femme d’un labou
reur, dont les baillons annoncent la misère, qu'on traîne devant
la commission, ayant un jeune enfant de quatre ans à ses pieds,
pendant qu’elle donne à un autre suspendu à son sein la der
nière goutte de son lait, qui est exécutée le jour même, tandis que
les pauvres enfants sont conduits à la bienfaisance, ou ils expirent
vingt-quatre heures après.
Là, c’est Mmu de Vidcau-Lalour, Agée de quatre-vingt-quatre ans,
en état de démence depuis plusieurs années,. d’après les certificats
des médecins cl l'affirmation de nombreux témoins : pauvre vic
time qui, soutenue pieusement par son fils, destiné comme elle
à la mort, lui demande s’il la conduit en voiture faire des visites,
et à laquelle celui-ci fait celle sublime réponse : Non, ma mère,
nous allons au ciel !
Henriette de Chaussande clGabricllo de Javon-Chaussandc sont
condamnées par le seul motif qu’elles sont ennemies de la Répu
blique.
Marie Mazel, Euphrosine Yiollès, femmes de cultivateurs, Fran
çoise Bencvady, couturière, sont exécutées pour le même motif.
Le crime de Rosalie Clerc, c’est d’être munie des signes de la
Vendée; celui de Marie Sage, pauvre femme travaillant à la jour
née, d’être ennemie de la Révolution.
Trente-deux religieuses perdent la vie pour les mêmes délits.
C'est parmi ces dernières surtout que la commission aimait à choi
sir ses victimes. On les condamnait aussi sur les motifs les plus
futiles : le désir de voir revenir la royauté, le dessein d’attenter à
la sûreté de l’Etal et de tramer, depuis le commencement de la
Révolution, la perle de la République. Sœur St-Martin est sé
rieusement accusée par Maignet d’avoir fait partie d’un rassem
blement. Une autre est arrêtée pour avoir dit, un jour, en riant,
que les religieuses et les curés marcheraient sur Paris pour ren
verser la Convention, plaisanterie qui lui coûta la vie
—
99
Pour rendre encore plus longue leur agonie, on leur annonçait,
avant le jugement, le sort auquel elles devaient s’attendre ; mais
rien ne pouvait les intimider, et elles marchaient au martyre avec
autant de joie que de courage.
Nous devons à l’obligeance de M. le docteur Martial Millet,
d’Orange, la communication d'un mémoire, écrit évidemment de
la main même de l’une des saintes recluses qui échappèrent à la
mort par la chute de Robespierre. Ce manuscrit, qui nous fait as
sister aux scènes d'intérieur de la prison, commence par l’expli
cation des sept dons du St-Esprit. Nous donnons ici un extrait
de ces souvenirs ou respire la plus louchante et la plus naïve
piété :
« Explication des sept dons du St-Esprit.
« La sagesse est un don du St-Esprit qui nous détache du
inonde et nous fait goûter et aimer uniquement les choses de Dieu.
« L'intelligence est un don qui nous fait comprendre et pénétrer
les vérités et les mystères de la religion.
« Le conseil est un don qui nous fait toujours choisir ce qui
contribue le plus à la gloire de Dieu et à notre salut.
« La force est un don qui nous fait surmonter courageusement
tous les obstacles et toutes les difficultés qui s’opposent à notre
salut.
« La science est un don qui nous fait voir le chemin qu'il faut
suivre et les dangers qu’il faut éviter pour arriver au ciel.
« La piété est un don qui fait que nous nous portons avec plai
sir et avec facilité à tout ce qui est du service île Dieu.
« La crainte est un don qui nous inspire un respect pour Dieu
mêlé d’amour, et qui nous fait appréhender de lui déplaire. »
« Le 14 août 1794.
« Le 2 mai 1794, quarante-deux religieuses de Bollènc, ayant
été transférées en réclusion à Orange, ont commencé à >e prépa
rer à leur grand sacrifice par l’exercice de toutes les vertus reli
gieuses et par une prière continuelle, ne prenant que bien peu de
repos en silence et bien peu de nourriture. Leur conduite édifiante
�—
100
—
—
mérite trop de devenir le modèle des personnes qui leur survivront,
pour ne pas en faire un mémoire.
« Leurs exercices de piété commençaient à cinq heures du ma
lin, savoir : une heure d’oraison, 1'ofïicc, et l’exercice récité de la
Sainte Messe.
» A sept heures, les exercices étant achevés, elles prenaient un
peu de nourriture.
« A huit heures on se rassemblait encore et on récitait les lita
nies des Saints, la préparation à la mort, la confession en géné
ral, la communion spirituelle en viatique, et les prières de l'extrèmc-onclion ; on renouvelait les vœux du baptême, de la con
tinuation et de la religion.
» A neuf heures, c’était l'heure de l'appel, et chacune se prépa
rait à marcher au tribunal avec la plus douce satisfaction, s’of
frant souvent d’ellcs-mêmes h passer les premières.
« Celles qui restaient se mettaient en prières au moment où
leurs chères sœurs leur étaient enlevées, pour leur obtenir les for
ces nécessaires au moment d’un tel combat. On intéressait le se
cours de la sainte Vierge par la récitation de mille Ave Maria ; on
récitait des litanies sans nombre; on faisait des prières sur les
paroles de Jésus-Christ en croix ; enfin, il n'y avait presque point
de relâche jusqu'au soir h cinq heures, qu’on récitait l’office.
« Lorsque les tambours annonçaient que les patientes étaient
conduites au supplice, on récitait les prières de la recommanda
tion de l'Ame, espérant avoir bientôt la même récompense.
« Après six heures on se félicitait réciproquement, surtout cel
les qui étaient de la communauté dont quelques-unes venaient
de monter au ciel, et l’on récitait Laudate Dominum, omnes gentes, avec une joie toute céleste. Cette joie courte, mais pure, leur
donnait le moyen de souper avec un peu plus d’appétit qu’k l’or
dinaire.
« Chacune des victimes de ce troupeau d’élite lâchait do se pré
parer à son sacrifice par la plus grande pureté de conscience,
s’accusant k leurs supérieures de leurs moindres fautes, gardant
une retraite étroite et un silence continuel.
101
—
« Quoique de différentes communautés elles vivaient en commun
comme les premiers chrétiens. Elles avaient mêlé leur linge, leurs
provisions, leurs assignats. Parmi ces quarante-deux victimes des
tinées à la mort pour s’être refusées à prêter serment, le Seigneur
s’en est choisi trente-deux. Les dix restantes sont très-affligées de
n’avoir pu suivre leurs compagnes.
« La joie que l'on voyait sur leur visage après le jugement en
courageaient les autres et leur faisait désirer la mort. »
Nous allons ajouter à ce récit quelques faits puisés dans l'excel
lent ouvrage de M. l’abbé Granget, — l'Histoire du diocèse d’Avi
gnon, — dont la source n’offre pas moins de garantie, car il pa
rait qu’ils viennent de l’abbé Tavcrnicr, qui avait fait sur ce sujet
un travail pour le Pape. Les deux relations sont k peu près identi
ques, ce qui prouve leur authenticité. Nous avons évité les répé
titions, et ne faisons d’autres changements que la rectification de
quelques noms propres, indiqués par les actes officiels même de
la commission.
Voici ce qu’on lit dans le second volume de l’ouvrage précité
sur la vie si sainte des religieuses pendant leur réclusion, et qui
fait une vive opposition avec tous les crimes qui se commettaient
au nom de la nation :
« Suzanne Deloye, de Sérignan. fut la première victime.
« Jeanne Romillon, qui n’était pas appelée en même temps que
sa sœur Agnès, lui dit : Comment, ma sœur, vous allez au mar
tyre sans moi ! — Ne perdez pas courage, lui répond eclle-ci, votre
sacrifice ne sera que différé. La prédiction s’accomplit deux jours
après.
* Elles récitaient les prières de l’extrême-onction, et s'écriaient
avec un saint transport : Oui, nous sommes religieuses et nous
avons une grande joie de l’être ! Nous vous remercions, Seigneur,
de nous avoir accordé cette grâce.
« Les religieuses dont les sentences n’étaient pas encore pro
noncées suivaient par leurs désirs celles que le martyre avait déjà
couronnées dans le ciel, et, au lieu de prier pour elles, les invo-
�—
102
—
quaient et demandaient à Dieu, par leur intercession, la grâce
d'imiter de si beaux exemples. Elles répétaient, à cette intention,
les paroles de Jésus-Christ sur la croix, les litanies de la sainte
Vierge, la salutation angélique et les paroles des agonisants. Le
jugement une fois porté, elles ne revoyaient plus les condamnées.
Celles-ci étaient jetées au milieu du cirque (la prison), avec les
autres personnes dont on avait prononcé la sentence. Là, ces
chastes amantes de la croix exerçaient à l’égard des autres victi
mes une sorte d’apostolat, fortifiant les faibles, instruisant les
ignorants, relevant le courage de ceux qui étaient abattus et leur
montrant dans le ciel la couronne qui les attendait.
« Fidèles nu règlement qu’elles s’étaient donné , ces vierges
chrétiennes avaient changé leur prison en une sorte de temple,
et ne s'occupaient que de louer le Seigneur et de faire connaître
ses miséricordes à ceux qui partageaient leur captivité.
« Elles allaient, un jour, dire leurs vêpres ; la voix du geôlier
se fait entendre ; plusieurs sont appelées au tribunal : Nous n’a
vons pas encore dit nos vêpres, s’écrie l’une d’elles 1 Sa compa
gne lui répond : Nous les dirons au ciel !
« Sœur Rocher aurait pu se cacher avant son arrestation, mais elle
préféra partager le sort de sa compagne Madeleine de Guilhermier.
« Agnès Romillon et Gertrude d’Alauzicr allèrent à la mort
avec tant de joie, qu’elles baisèrent l’instrument de leur supplice,
et remercièrent leurs juges cl leurs bourreaux.
« Sœur Rosalie Bès, condamnée, sortit une boîte pleine de dra
gées et les distribua à ses compagnes en disant : Je les gardais
pour le jour de mes noces !
« Madeleine Justamonl, montée avec trois de scs compagnes sur
le char delà mort, disait à scs gardes : Nous avons plus d’obliga
tion aux juges qu’à nos pères et mères; ceux-ci nous ont donne
une vie temporelle et périssable, nos juges nous procurent une vie
éternelle. Ces paroles firent tant d’impression, qu’un soldat en fut
touché jusqu’aux larmes, et qu’un pauvre cultivateur, plein de foi,
voulut baiser la main de celle sainte religieuse. »
Ce suprême sacrifice accompli avec tant d’abnégation, n’était
—
105
—
que la suite de celui qu'elles s’imposaient journellement par de
continuelles mortifications. On nous a montré, comme une sainte
relique, le cilice de (il de fer, en forme de cœur, ayant appartenu
à l’une de ces noblos victimes, que Mmc de Ea Fare, fondatrice du
couvent du Si-Sacrement d’Avignon, était parvenue à se procurer,
et qu’elle a transmis aux religieuses de cet ordre, comme un pieux
et louchant souvenir.
On voit la force que donne la religion au sexe le plus faible.
Nous allons montrer maintenant, par un dernier trait, comment la
présence d’esprit, jointe à la fermeté de caractère, peuvent conju
rer le plus grand danger. Si l’on admire tant de vertus chrétien
nes, on ne peut qu’applaudir à la conduite de sœur Emilie Nogarcl, religieuse du couvent de Saint-Laurent d’Avignon, qui, non
moins animée de sentiments de piété que ses compagnes , sut
échapper à la rigueur du tribunal. Le 1er thermidor, au moment
où sa sentence allait être prononcée, elle s’approche du président
et lui dit : « Je sais que vous voulez me condamner à mort, mais
vous ne l'oserez pas ; si vous ignorez la loi, je vais vous la faire
connaître. » Tirant alors de son sein un imprimé, elle lit à haute
voix l’article concernant les religieuses insermenlées, qui, en at
tendant le moment d’être déportées, devaient subir la peine de la
détention dans les prisons de l'État. Les juges, surpris, confon
dus en présence d’une foule immense, qui semblait encourager
cet acte de résistance, se voient obligés de se conformer au texte
de la loi, et la sœur, condamnée à la réclusion, sauve sa tête. Mais
après une telle décision comment les membres de la commission
pouvaient-ils légitimer leurs jugements à l’égard des vingt-six
malheureuses qu’ils avaient déjà envoyées au supplice ?... On a
dit que depuis ce jour-là on n’exécuta plus de religieuses. C’est
une erreur, car on en voit figurer encore cinq dans le nécrologe
du 8 thermidor. Seulement cette fois, pour ne pas s’exposer à un
pareil affront, on avait chargé un peu plus les dossiers.
�—
104
—
Transportons-nous maintenant au cours St-Martin, appelé alors
place de la Justice.
A la partie méridionale s’élevait l’échafaud , dressé avec un
grand appareil pour frapper les esprits d’épouvante.
Chaque jour, au moment de l'exécution, les troupes de la gar
nison formaient le carré autour de l’instrument fatal, décoré, au
sommet et aux quatre coins, de drapeaux aux couleurs nationales,
profanant ainsi les insignes de la patrie.
Le bourreau, qu’on reconnaissait à son chapeau rond orné d’un
large ruban tricolore, attendait, calme et impassible, sur cet autel
couvert de sang, les nouvelles victimes qu’il allait immoler.
Les accusés, arrivés à la séance à neuf heures du matin et ra
menés, immédiatement après leur condamnation, au cirque, étaient
conduits, vers six heures, au cours St-Martin, en suivant la rue de
Tourre, par la force armée, tambours en tête. C’est pendant ce
trajet que le chef des sbires chargés de les escorter commandait
le pas de la mort, marche funèbre qui les accompagnait jusqu’au
lieu du supplice.
Pour mieux impressionner la foule, au bruit que faisait la bâ
che en tombant, succédait le roulement des tambours, auquel les
spectateurs répondaient par le cri de Vive la République ! au mo
ment où l’exécuteur montrait au public la tète sanglante qu’il tc-‘
nail à la main.
Ces exécutions se faisaient le soir. Quelques-unes seulement ,
entre autres celles du 9 et du 12 thermidor, ont eu lieu le matin à
dix heures.
Presque tous les habitants d’Orange assistaient à ce spectacle af
freux, ceux-ci par crainte, ceux-là par ordre do l’autorité, qui
forçait même les instituteurs à y conduire leurs élèves ; d’autres
enfin par fanatisme politique, car cette ville fournissait, au milieu
de beaucoup d’honnêtes gens, des Montagnards dignes d’être com
—
105
—
parés aux Varlel, Vincent, Leclerc, Jacques Roux, Gonchon,
Bourgeois, Grisou, Rodi, Mannin, qu’on citait a Paris parmi les
plus exaltés démagogues.
Les membres de la commission s’y rendaient aussi avec leurs
femmes, dit Raphel, président du tribunal criminel d’Avignon ap
pelé à les juger, pour se repaître de la vue des massacres qu'ils
venaient d'ordonner ; à l’exemple de Robespierre, qui se faisait
un plaisir de voir tomber les têtes de ses ennemis, caché dans un
cabinet particulier qu’on lui réservait au café du pont tournant des
Tuileries. On sait que les représentants du peuple à Lyon avaient
fait abattre une maison de la place des Terreaux qui leur cachait
la vue de la guillotine. Rappelons encore, comme le constate le
recueil des Documents officiels pour servir à tHistoire de la Ter
reur à Nîmes, que dans cette ville les chefs du pouvoir prenaient
aussi leurs repas dans une pièce d'où l’on était témoin des exécu
tions. Celle action n’a donc rien d’invraisemblable, et le fait que
nous citons, auquel se rattache une particularité d’un brutal déver
gondage dont nous parlerons plus loin, semble en confirmer l’exac
titude.
A Paris figuraient dans ces exécutions Théroigne de Méricourt, Jeanne Le Duc (*), Rose Bélair, Aspasie Carlemigelli, aux
séances de la Convention et aux clubs ; on a vu autour de l'ins
trument du supplice les furies de la guillotine qui, au moment de
l’exécution, entonnaient l'horrible ça ira, élevant les bras, frap
pant du pied, et criaient : Mort aux traîtres ! à chaque tète que
sans farine, — faisant une double allusion à la disette qui régnait
alors à Paris, et au nom de Sanson, — chaque fois que ce bour
reau faisait passer les victimes dans la trappe, comme elles le di(*) Théroigne do Méricourl, qui a pris part à tous les excès de la Révo
lution et a poignardé elle-même Suleau pour s; veuger d’une plaisanterie
du malheureux journaliste, est morte folio à la Salpétrière, à la suite d’une
scène violente où elle fut fouettée par ses anciennes compagnes, membres
comme elle do la Société fraternelle, qui lui reprochaient scs grands airs et
l’accusaient d’ètro devenue girondine ; et Jeanne Le Duc a été assassinée,
on 1807, par des chiffonniers, ses amants, dans un moment de jalousie.
�i
—
saieut dans leur sauvage gaîté, ot demandant toujours bis à chaque
exécution.
On trouvait aussi à Orange des femmes non moins dégradées,
la honte de leur sexe. Parmi les gens qui arrivaient journelle
ment de la campagne, soit par curiosité, soit pour jouir des souf
frances do ceux à la mort desquels ils n’étaient pas étrangers, on
remarquait une de ces mégères qui se plaisait h accompagner les
charrettes remplies de cadavres. Arrivée au lieu de celle triste sé
pulture, prenant d’une main la tête d’un prêtre, de l’autre celle
d’unc religieuse, elle les laissait tomber dans la fosse en disant :
Je viens de faire un mariage !... Carrier, dans les mariages répu
blicains sur la Loire, dont parlent Prud’homme, et le comte
Walsh dans ses Lettres vendéennes, et en dernier lieu Challamel, mettant ainsi on pratique cos mots célèbres : Nous ferons de
la France plutôt un cimetière que de ne pas la régénérer à notre
manière ; Carrier du moins, au milieu de ses actes de barbarie,
ne profanait pas la mort.
On a vu une autre femme, d'une commune voisine d’Orange,
qui pour mieux savourer le plaisir de la vengeance, en même
temps qu’elle pouvait satisfaire sa soif, provoquée par la marche
et par la chaleur du jour, mangeait une poire avec délices à cha
que tête de scs ennemis qu’olle voyait tomber. La malheureuse
ne s’arrêta qu’à la neuvième poire ! Ce n'est pas tout encore : le
soir le parti vainqueur donna une sérénade aux parents de ceux
qui venaient de succomber. Ces traits que nous rapportons ne
sont pas faits à plaisir et nous pourrions citer les noms de ces
deux furies, s’il ne valait pas mieux les laisser dans l’oubli.
Mais une personne que nous pouvons nommer parce qu’il y
avait chez elle plutôt de la monomanie que de la cruauté, c’est
la Bouirone, qui occupait un logement sur le chemin que suivait
le convoi en portant les suppliciés dans le lieu du repos. Elle
aimait à voir ces corps mutilés, attribuant ce besoin insurmonta
ble à l étal de grossesse dans lequel elle se trouvait. Chaque fois
que le char funèbre passait, elle faisait arrêter les conducteurs et
leur offrait à boire. Or, qu’arriva-t-il ? Quelques mois après elle
107
—
mit au monde un enfant acéphale. Celle histoire, que racontent
les anciens habitants d’Orange, est passée déjà k l'état légendaire.
Un fait analogue s’esl produit à Avignon, alors que les nou
veaux iconoclastes brisaient les statues de nos temples religieux
en l’honneur de la déesse Raison. Le citoyen Narnur, marchand
quincaillier dans la rue des Fourbisseurs, chargé d’emballer la sta
tue en bois doré de l’Ange Gardien, qui ornait une des chapel
les de l’église St-Didier, et ne pouvant la faire entrer dans la
caisse à cause d'un bras qui dépassait, ne trouva rien de mieux
que d’abattre le poignet d’un coup de sabre. La citoyenne Narnur,
enceinte en ce moment, accoucha, quelques mois après, d’une fille
à laquelle il manquait un poignet, bien qu’elle n’oût pas assisté à
celte profanation. Cette enfant, qu’on appelait la manchote, est
devenue institutrice à Avignon, où elle a toujours joui de l’estime
de ceux qui l’ont connue. Les personnes, de qui nous tenons celte
anecdote, méritent une entière confiance : elles n’ont fait, d’ail
leurs, que confirmer un événement connu de tous ceux qui s’oc
cupent des souvenirs historiques de cette ville.
Le T décembre 1793, S***, se trouvant k l’église de Notre-Damo
de Rochefort, dans un accès de lièvre républicaine, aidé de deux
adeptes, allume une lampe, monte sur l'autel cl assène deux coups
de marteau k la statue en pierre de la Vierge. La tête tombe. Mais
quelle n’est pas sa surprise en voyant autour du cou une ligno
sanglante comme si cette tête venait d’être tranchée par lo fer du
bourroau ! Peu de temps après sa femme donne le jour k un enfant
acéphale, avec la même tache de sang qu’on avait remarquée k la
statue. Le père alors, revenu d’une erreur coupable, témoigne de
pieux sentiments do foi cl de repentir, qu'il a conservés jusqu'k
la fin de ses jours.
Quelle explication peut-on donner de ces différents faits ? Dans
le dernier, attesté par de nombreux témoins, doit-on reconnaître
k ces marques de sang un avertissement du ciel, ou, simplement,
une hallucination, renouvelée k deux mois de distance, chez les
personnes qui ont assuré avoir vu celle tache sur la statue et sur
Venfant ?
�—
108
—
Quaul à la question physiologique, l’homme de la scienoo, qui
nie l'existence des monstres dans la création normale des êtres
animés, reconnaît néanmoins oes phénomènes, qu’il attribue à une
action qui contrarie la nature. Telle était l’opinion de l’illustre
Geoiïroy-Sl-lIilaire. Le peuple, lui, n’y voit qu’une punition de
Dieu.
Chacun peut donc donner à ce que nous venons de raconter l’in
terprétation qu’il jugera convenable.
Revenons à notre sujet. Ce n’étaient pas seulement les person
nes d’une classe inférieure qui descendaient à cotlo dégradation
dont nous avons cité quelques exemples ; des femmes de la société
de Maignet se rendaient aussi, en parties de plaisir, d’Avignon à
Orange pour jouir de la souffrance des pauvres condamnés, non
les pieds dans la boue comme les tricoteuses pendant la course à
Versailles, mais dans les chars les plus élégants du pays. Elles sc
plaçaient avec leurs compagnons de voyage dans l’ancien couvent
des Orphelines, dont la nation s’était emparé, où, d’une pièce si
tuée en face de l’échafaud, il était facile d’assister à cet horrible
spectacle. La chronique locale a conservé, sur ces ignobles réu
nions, le souvenir d’un fait caractéristique, que nous ne pouvons
passer sous silence, malgré l’impossibilité de le raconter dans
toute sa cynique nudité : à chaque tête qui roulait h terre, ce n’é
tait pas un fruit qu’on mangeait, comme la misérable dont nous
avons parlé; mais c’était une lape que l une de ces belles dames,
sans doute habituée à celte honteuse familiarité, recevait de la
main d’un homme de sa société !
Du reste des actes de cette nature se sont passés publiquement
dans le district d’Apt et dans celui de Forcalquicr, sur des femmes
sans pudeur, dont la tradition locale a conservé le nom.
Ces scènes, comme celles où les amies des assassins de la Gla
cière sc livraient à de folles orgies pendant le temps de ces mas
sacres, ainsi que les danses, certains jours de fête à Orange, ou
des jeunes gens, oubliant la voie pieuse dans laquelle ils avaient
d’abord été engagés, formaient des farandoles échevelées, couverts
j
—
109
—
seulement du vêtement le plus indispensable; ces scènes, disonsnous, sont un signe des temps !
Nous voudrions jeter un voile sur ces hideuses peintures, mais
la sévérité de l’histoire nous oblige h ajouter encore quelques traits.
Le jour de l’exécution des habitants de Vénasque, un citoyen
de cette Commune, arrivé trop lard, s’approche du bourreau, avec
qui il était en relation, et lui demande du ton le plus naturel :
Soun fa aquelei de Venasco ? ( ils sont faits ceux de Vénasque ? )
L’exécuteur, qui a compris, bien qu’il ne soit pas méridional, fait
un signe affirmatif, et lui montre en même temps les vêtements
des suppliciés. 11 demande la permission de prendre quelque efTet
à son usage, cl, sur l’assentiment qu’on lui donne, choisit une
veste et un gilet à sa convenance. Puis, avisant une culotte d’une
couleur tranchante, fort à la mode à cette époque, qui avait appar
tenu à M. Verger, il s’en empare aussitôt, et, se dépouillant de sa
vieille défroque, fait sur le lieu même un changement complet de
toilette. Il se regarde alors avec complaisance et dit : .4co me vai
ben ! [ cela me va bien ! ) Voyant après l’habit du citoyen Courtasse, fabricant de draperie, qu’il connaissait beaucoup, il fouille
dans les poches et prend sa tabatière sans plus de façon.
Puis, fier de son nouveau costume, il va se montrer h Vénas
que. Mais il ne s’en lient pas là : rencontrant la malheureuse
veuve de celui à qui appartenait la tabatière, il lui offre une prise
en disant : Prends, es outaîi buon qu'avant ! (Prenez, il est aussi
bon qu’auparavant). Cet exécuteur des arrêts criminels, Antoine
Paquet, n’avait pas l’habitude cependant de faire de tels actes de
générosité, et se montrait, au contraire, très-rapace. 11 était sans
doute l’obligé de ce quémandeur, ou bien il se trouvait ce jour-là
mieux disposé qu’à l’ordinaire. Nous verrons plus loin qu’il était
incapable de l’action généreuse qu’on lui a attribuée à l’égard
d’une accusée.
Un brigadier de gendarmerie, ancien caporal au régiment de
Soissonnais, conduisait des accusés d’Avignon à Orange. Un vieux
prêtre, atteint d’une grave infirmité, lui demande la permission de
s’arrêter un instant. Mais il le pousse avec brutalité sur la fatale
�— HO —
111
charrette en lui disant: Allons, en route, lu p..... à la guillotine!...
Cet agent de l’autorité était-il le même que Peyrcmorte, caporal
de grenadiers du régiment de Soissonnais, qui disait, quelques
jours après les massacres de la Glacière, suivant la déclaration de
Marie Boudrat, femme Grand, dans les informations juridiques du
27 novembre 1792, qu'il avait vu bien des morts, mais qu’il n’avait
jamais vu, ce sont ses propres paroles, qu’on leur eût fait soulTrir
des tourments aussi cruels qu’il celle canaille qu’on avait fait périr
dans le palais! Le dit Peyrcmorte, ajoute la déclarante, riait aux
éclats pendant qu’il tenait ce propos.
Oserons-nous rappeler la férocité de trois cannibales qui man
gèrent le foie du curé de Sarrians ? Scène horrible, renouvelée à
Mazan sur des prisonniers de l’armée de Carpentras, s’il faut en
croire le bruit public, consigné dans l'Histoire de la Révolution
d’Avignon ?
On douterait de faits aussi monstrueux si des crimes semblables
n’avaient signalé celte sanglante époque. Citons l’ouvrage d’un
auteur estimé, dont nous rapportons textuellement les passages
suivants :
« Voici ce qui m’a été rapporté par une personne digne de foi,
que cependant il m’est impossible de croire. Mais que répondre à
celui qui vous dit affirmativement : Voici ce qui m’est arrivé?
« Celle personne, que j’ai beaucoup connue, et qui sans contre
dit ne fut pas ennemie de la révolution, mais incapable d’en ap
prouver les horreurs, s’était enfuie de Paris, déguisée en marchand
porte-balle, n’osant s’arrêter nulle part, et voyageant continuelle
ment en vendant du lil et des aiguilles dans les petites villes et
dans les villages. Arrivée dans une hôtellerie d’Orange, h l’époque
où celte cité était une des plus horribles Lueries de nos régénéra
teurs politiques, on lui servit, pour son souper, en guise de rouelle
de veau, une portion d’humérus d’un homme rjne le tribunal révo
lutionnaire venait de faire assassiner avec un grand nombre d’au
tres. Celte personne, poussée par un grand appétit, en mangea
plusieurs morceaux ; mais enfin un goût étrange lui souleva le
coeur; elle repoussa l’horrible repas, et apprit que le bourreau d’O
range vendait de la chair humaine, et qu’il trouvait des acheteurs. »
Le même écrivain ajoute :
« Dans la journée du 10 août, deux furieux, que je ne nommerai
pas, quoiqu’ils n’existent plus, firent brûler dans l’eau-de-vie le
cœur d’un Suisse qu’ils venaient de tuer. Dans la prison du Luxem
bourg, où j ’ai été détenu, j ’ai vu des individus, qui avaient appar
tenu au club des Cordeliers, se nourrir de chair crue ; le sang leur
ruisselait de la bouche, et ils se plaisaient à donner ce spectacle
aux contre-révolutionnaires et aux aristocrates. » (C.-F. Beaulieu :
La Révolution de France dans ses effets sur la civilisation des
peuples. Paris, 1820, p. 85.)
Un des rédacteurs les plus estimés do la Biographie universelle
nous donne ces derniers renseignements, que nous ne pouvons ré
voquer en doute. Cherchons à expliquer ce qui peut paraître obs
cur. La vente de chair humaine par le bourreau, tout invraisem
blable qu’elle parait, est confirmée néanmoins par la lettre du
comité révolutionnaire d’Avignon à celui d’Orange (64), car nous
ne supposons pas que les expressions que renferme cette pièce offi
cielle puissent être prises au figuré. Il ne fallait rien moins, en
effet, qu’un acte de cette nature pour motiver la démarche dont il
est question, lorsque les autres exécuteurs criminels étaient tran
quilles dans le reste de la France sous la protection de la loi.
Quant aux deux cannibales que l'auteur ne veut pas nommer,
nous croyons les connaître d’après quelques écrits du temps :
l'un est Arthur Riche, fabricant de papiers peints ; l autre, Folliel,
sonneur de cloches. Ce dernier, au nombre des frères rouges de
Danton, continuait ses affreux exploits du 10 août, aux journées de
septembre, pendant lesquelles il tenait tout sanglant, à la main,
le cœur d’un aristocrate, tandis que d’autres égorgeurs buvaient le
sang des victimes.
On peut se rappeler encore que dans une séance des Jacobins un
des assistants proposa de saler ou de faire mariner les chairs des
suppliciés qui seraient reconnues saines, afin que les aristocrates
pussent devenir utiles ù quelque chose après leur mort. Cette mo
tion dans son but utilitaire, s’accordait avec la création d'une
—
�—
112 —
tannerie de peau humaine qui, selon Mont-Gaillard, existait à
Meudon. On assure meme que la graisse des cadavres servait
pour les lampes à 6mailleur. Rappelons-nous, à ce sujet, que StJust, suivant l’assertion de Dauban, portail une culotte faite avec
la peau d'une jeune personne qu’il avait fait périr parce qu’elle lui
résistait. On voit où peut conduire un fanatisme aussi cruel que
dépravé.
XVI
11 serait difficile de croire à tant de crimes s’ils n’étaient pas
gravés sur les tables néfastes de la Révolution. Sans nous éloigner
de notre sujet, car il y a une liaison intime entre les faits produits
par le même système politique, nous allons continuer nos citations
en ce qui concerne le reste de la France. Remarquons en même
temps, que ce n’était pas seulement dans les basses classes de la
société qu’on trouvait de pareils sentiments, mais chez des gens
que leur éducation et la position qu’ils occupaient dans le monde,
devaient mettre ù l’abri de ces excès.
Eu effet, Javoques ne disait-il pas, dans un discours à Lyon,
que'dénoncer son père était une vertu d’obligation pour un bon
patriote ; ajoutant qn’il ne reconnaissait comme bons républicains
que ceux qui, comme lui, pouvaient boire un verre de sang? Sa
conduite ne démentait pas ces affreuses dispositions, car il fil guil
lotiner ceux qui avaient contribué ù la mort de Challier, même le
bourreau et son aide -, ce qui lui lit donner par Couthon, dont on
connait pourtant la cruauté, le nom de nouveau Néron.
A Bordeaux, Jullien ne s’écriait-il pas : Le lait est la nourriture
des enfants; le sang, celle des enfants de la liberté, qui ne repose
que sur des cadavres !
Le représentant Bo, à Reims, enseignait aux patriotes qu’en
Révolution il ne faut connaître ni parents ni amis ; que le fils peut
égorger son père s’il n’est pas ù la hauteur des circonstances. Le
—
IV a
m
■
—
même répondait ù la fille d’un détenu, qui lui demandait la grâce
de son père : Je prendrai la tête, et te laisserai le tronc.
Le Carpentier, qui appelait les exécutions capitales des purgatifs
révolutionnaires, écrivait de St-Malo au comité de Salut public :
* Je vous envoie 29 détenus, parmi lesquels sont 12 femmes. Voilà
dii gibier ! »
Carrier, à Nantes, faisait entendre ces horribles paroles : Vingtcinq mille têtes doivent tomber, et l’on n’en voit pas encore une !
Il s’écriait après les fameuses noyades : Quel torrent révolution
naire que la Loire !
Collot d’IIerbois, nommé à bon droit le bourreau de la patrie,
qui donnait le nom de transpiration salutaire aux ravages que
faisait la guillotine, disait qu’il faudrait mettre des barils de pou
dre sous les prisons, cl à côté une mèche en permanence.
Amar, en mission dans l’Ain, disait : Dénoncez ! Le fils doit
dénoncer le père, le père dénoncer le fils.
Ligerct, accusateur public au tribunal criminel de Dijon, voulait
faire tomber une tête dans chaque famille.
Duret, adjudant-général de l’armée révolutionnaire, se vantait de
pouvoir faire verser le sang selon sa volonté, car il était ù la fois
dénonciateur, témoin, juré et juge. Il avait fait ses exploits aux
environs de Lyon.
Piorry, envoyé ù Poitiers, assurait qu’avec le citoyen Ingrand,
son collègue, les patriotes pouvaient tout faire, tout casser, tout
briser, tout obtenir, tout infirmer, tout juger, tout déporter, tout
guillotiner, tout régénérer.
Duquesnoy fit condamner à mort un prêtre qu’il avait appelé,
pendant une maladie, pour le consoler, ne voulant pas laisser en
vie un témoin de ce moment de faiblesse.
Au Puy en Vclay on obligeait les femmes qui voulaient voir
leur mari en prison, à marcher sur la ligure du Christ.
Cambon disait : « Voulez-vous faire vos affaires? Guillotinez.
* Voulez-vous payer les estropiés, les mutilés? Guillotinez.
« Voulez-vous payer les dépenses immenses de vos armées?
Guillotinez.
8
t
s
113
�—
114
—
* Voulez-vous amortir la dette? Guillotinez. »
Bertrand, maire de Lyon, se vantait d’avoir fait guillotiner d’an
ciens amis, et même son neveu.
Joseph Lebon, qu’on appelait le bien nommé il cause de sa bien
veillance envers ses élèves, devint un furieux démagogue il la Ré
volution. Le 19 floréal, an II, il écrivait: Les sans-culloles se
dérident, ils s'enhardissent en se sentant appuyés. Patience, et ça
ira d'une jolie manière ! Il ajoutait : Les tètes des accusés vont bien
tôt tomber comme grêle ; ma mission est de faire couper des tètes.
Il imitait certains représentants, farouches proconsuls, qui, livrés
tour il tour au libertinage et à une afl'reuse cruauté, ainsi qu’on le
voit dans l'ouvrage de Proussinaille, faisaient passer de jeunes filles
de leurs bras à la guillotine. Joignant à ces actes sanglants des
actes d'une stupide ironie, il plaçait un orchestre à côté de l’écha
faud. Un jour il suspendit l’exécution d’un condamné pour lui lire
la gazette.
A Metz les têtes des guillotinés étaient portées devant leurs pro
pres maisons.
Taillefer, représentant en mission à Cahors, faisait amener les
prisonniers habillés dérisoirement en rois, en reines, et les obli
geait à rendre hommage à la guillotine comme si elle était le
trône, pendant que le bourreau s’occupait des exécutions.
A Laval, la tête de Laroche, député à la Constituante, fut expo
sée par ordre de Lavallée, représentant du peuple, sur la maison
habitée par la femme du malheureux supplicié.
Le représentant Lejeune amusait ses luisirs à décapiter les ani
maux avec une guillotine en miniature. 11 s’en servait pour les
volailles destinées à sa table. Souvent, au milieu du repas, il faisait
apporter ccl. instrument de mort pour en faire admirer le jeu à ses
convives.
Isoré écrivait du chef-lieu du département du Nord : Nous avons
tué hier un troupeau entier d’émigrés dans le moulin do Wcrvick ;
un seul a été envoyé à Lille pour entretenir la guillotine. Triomphe
et joie pour les sans-culottes !
André Dumont, dans la Somme, annonce au comité de Salut
—
115
—
public qu’il a tendu son large filet et qu’il va prendre tout le gibier
de la guillotine.
Dartigoyle faisait attacher les détenus à des crèches et les nour
rissait de la manière la plus dégoûtante, s’il faut en croire Pru
d’homme.
Lors de la réunion du Comtat Venaissin à la France, un des
partisans de cette mesure politique, proposait, dans un clnb, d’a
battre autant de têtes qu’il y avait d’opposants, et de faire ensuite
une partie de boules avec ces têtes.
Galtcau, employé dans les subsistances militaires, écrivait de
Strasbourg à Daubigné, le 27 brumaire, an deuxième : t St-Just
a tout vivifié, ranimé, régénéré ; et pour achever cet ouvrage, il
nous arrive de tous les coins une colonne d’apôtres révolutionnai
res, de solides sans-culottes. Sainte guillotine est dans la plus
brillante activité, et la bienfaisante Terreur produit ici, d’une ma
nière miraculeuse, ce qu’on ne pouvait espérer que d'un siècle au
moins pour la raison et la philosophie. Quel maître b..... que ce
garçon-là ! La collection de ses arrêtés sera sans contredit un des
plus beaux monuments historiques de la Révolution. » Cet admi
rateur de St-Just aurait pu ajouter que ces actes rigoureux du beau
représentant lui étaient d’autant plus faciles, qu'il se vantait luimême de n’avoir jamais versé une larme.
Mais il arrivait que ces grands hommes de la démocratie des
cendaient jusqu'à la facétie. Goyre-Laplanche, représentant, di
sait gaiment, en parlant du supplice de la guillotine : Éternua'
dans le sac !
Quelques beaux esprits, imitant ces sauvages plaisanteries, se
servaient de l’expression : Faire le saut de la carpe ! Saluer la
statue de la Liberté ! (statue placée devant l’échafaud) ; jouer à la
main chaude ; regarder par petite fenêtre.
Barère, revenant de sa petite maison de Clichy, ou l'on déci
dait, à la suite d’une orgie, comme le rapporte l’auteur des Révolulionnaires, du sort des accusés, se glorifiait, dans son langage
toujours fleuri, mais après boire quelque peu réaliste, d'avoir
taillé de l'ouvrage au tribunal. Un jour il crut devoir eompren-
�—
—
116
dre au nombre de ses victimes son ami intime Vilatc , dont il
avait à craindre les indiscrétions.
Cette gaîté se manifestait aussi en danses joyeuses, car on sait
que Boric faisait la farandole, à Nîmes, autour de la guillotine,
en costume de représentant.
Enfin, le croirait-on ? ces austères républicains joignaient par
fois la sensualité la plus raffinée à des actes d’une monstrueuse
cruauté : témoin Albittc, ce furieux conventionnel, la lerrcurdes
contrées où il était envoyé en mission, qui, un jour, h la repré
sentation de Caïus Gracclius de Chénier, osa s’élever contre le
public qui applaudissait cet hémistiche : Des lois, et non dusang.
en s’écriant : Du sang, et non des lois ; Albittc, prenait des bains
de lait comme l'impératrice Poppée.
Pouvons-nous, dans ces tristes souvenirs, oublier le département
du Gard ? A Nîmes, les membres du tribunal révolutionnaire,
comme les représentants en mission à Lyon, se plaisaient à assis
ter aux exécutions. Dans la maison de Gourbis, maire de la ville,
située sur l’esplanade, leur table était dressée vis-à-vis de l’écha
faud, et ils faisaient coïncider l'heure de leur repas avec le mo
ment où avait lieu Cet affreux spectacle. C’est là que, tout en voyant
tomber les victimes, ils formaient la liste de celles qui devaient
succomber le lendemain. Les pièces et documents officiels pour
servir à l'histoire de la Terreur, à Mmes, où nous trouvons ces
renseignements, nous fournil d’autres détails, que nous ne pou
vons nous dispenser de produire aussi pour remplir la tAclie que
nous nous sommes imposée.
Semblable à Chouvely, un des égorgeurs de la Glacière, lequel
disait qu’il n était jamais plus content que lorsqu’il assistait à une
exécution, Béniqué, administrateur du district à Nîmes, s’écriait
à chaque tête qui tombait : Elle a bien sauté, allons boire ! Il
ajoutait : Plus il tombe de têtes, plus la mienne et la République
s’affermissent. Vous n’avez encore rien vu ; vous verrez des choses
qui vous feront frémir, et dont on ne peut se faire une idée. 11 di
sait aussi : Quand on aura coupé les têtes des hommes, on sciera
celles des femmes. Il s’écriait encore à l’occasion de l’exécution
117
de Dumas : Cela vous fait peur ! ce sera bien autre chose lorsque
vous en verrez périr dix, quinze, vingt à la fois !
Giret, juge au tribunal révolutionnaire à Nîmes, ancien prêtre,
qui avait aposlasié, comme Nogaret et Larovère, et s’était marié,
tout en conservant une ancienne concubine, écrivait de Paris : Si
cet éternel rapport n’est pas fait, je vais retourner à Nîmes pour y
organiser une insurrection et faire massacrer les prisonniers. Le
sang qui coulera dans notre département vous en fera repentir ;
il n’y a que le premier pas qui coûte, et quand on en a bu une
goutte, on veut s’en abreuver.
Moulin, un des coryphées du parti démagogique, témoignait le
désir d’avoir une guillotine dans son jardin, pour y voir couler le
sang. C’est lui qui disait : Vous êtes étonnés qu'on incarcère tant
de citoyens ; on n’a encore rien vu ; il faut que Nîmes devienne
un désert et que l’herbe y croisse. En enfermant un grand nombre
de citoyens, surtout des riches, je procure des ressources à la Ré
publique.
Meyère, de Laudun, juré au tribunal révolutionnaire de Paris,
adressait à son ami Bertrand, accusateur public, près le tribunal
criminel du Gard, une lettre où le cynisme le dispute à la cruauté,
et dans laquelle se trouve ce passage : Courage, f..... le tribunal
révolutionnaire va bien, cl i! y a des b ..... à p.. .., et autres ex
pressions de celte nature. 11 copiait, dans ce langage ignoble et
grossier, lo fameux Ilanriol, qu’on nommait terrible gueule, nonseulement à cause de ses propos, mais aussi pour le sang humain
qu’il avait bu, dit-on, pendant les massacres de septembre, dont
il avait été un des principaux auteurs.
Un mol sur cet homme, qui, pendant quelque temps, par sa po
sition militaire, a été maître de Paris. Ilanriol, espion de police,
avait eu un passé digne de la lin qu'il a faite. Mis à Bieètre pour
vol, rendu à la liberté, il se signale au 10 août, et dans les jour
nées de septembre, comme nous venons de le dire, où parmi ses
victimes se trouvait la princesse de Lamballc, dont il avait dé
chiré les entrailles. Nommé chef de la force armée dans la section
des sans-culottes, il devient, un mois après, général de la garde
�—
m
—
nationale. Il repousse la Convention quand elle se présente, le31
mai 17.93, le président entête, pour haranguer le peuple, et lui
arrache le décret d’arrestation contre les Girondins, Le 9 thermi
dor, arrêté, il est délivré par Coflinhal. 11 veut sauver Robes
pierre et ses complices, mais ivre sur son cheval, il ne peut se
faire obéir. Il se retire alors à l’Hôtel de Ville, d’où on le jette par
une fenêtre. Il se cache dans un égout, est pris, et exécuté le len
demain.
Terminons ces citations par uuo lettre que Dalsan, accusateur
public dans la Lozère, écrivait à son collègue à Nîmes : « Il y a
maintenant un grand nombre de prêtres renfermés dans la maison
de réclusion ; le glaive en a frappé sept ou huit dans la décade
dernière, et je suis occupé à en travailler deux qui ont été con
duits en dernier lieu dans la prison. » Est-il permis à un magis
trat de caractériser d’une manière plus triviale et plus cruelle des
fonctions d’où dépend la vie des citoyens ?
Lorsqu’on lit ces actes de folie furieuse on est fondé à croire,
comme le dit M. l’abbé André, que les nations, comme les hom
mes, sont quelquefois atteintes de maladies épidémiques. La ré
ponse de La Source à ses juges après sa condamnation, quand il
leur dit : « Je meurs dans un moment où le peuple a perdu la
raison ; et vous, vous mourrez le jour où il l’aura recouvrée, » en
attribuant ces accès de frénésie à une aliénation mentale, se rap
proche de cet aperçu où l’on reconnaît la sagacité de l’auteur île
YHistoire de la Révolution aviynonaise. Mais il est à croire que
cette fièvre, que ce vertige proviennent plutôt de la démoralisa
tion des esprits, de l’abaissement du sens moral, de l’oubli des
principes religieux ; et cette cause, même en l’admettant, ne peut
servir d’excuse à de tels forfaits, et diminuer l’horreur qu’ils ins
pirent.
XVII
Cependant les exécutions se succédaient. Pour faire face à l'ac
tivité de la guillotine, Viot, par une circulaire du 7 messidor, in
vite de la manière la plus pressante les comités de surveillance à
envoyer dans les prisons d’Orange tous les suspects.
Le 15, on condamne à la peine capitale, dix-huit citoyens de
Vénasque pour ce seul fait, que la nouvelle administration avait
trouvé, parmi divers papiers de la mairie, une liste sans caractère
officiel, dans laquelle on indiquait les noms des habitants de celte
commune qu’on pourrait mettre au nombre des membres de la
municipalité s’il survenait un changement dans la politique. Par
mi eux se trouvaient plusieurs personnes honorables, entre au
tres M. Verger, dont il a été parlé, et trois frères Morel, jouis
sant de l’estime générale, accusés surtout comme nobles, et qui
payèrent un tribut de sang a la Révolution, après avoir payé un
tribut de dévoûment à leur pays par les emplois qu’ils avaient
occupés.
Des sociétés révolutionnaires, on l ’a déjà vu, avaient été éta
blies dans chaque Commune pour faire connaître les fédéralistes
et les suspects. A la tête de celle de Cabrières, se trouvait le ci
toyen Tiran, exerçant en même temps les fonctions de Maire. Par
son civisme il avait su capter la bienveillance des membres de la
commission. Mais tout en s’occupant de la chose publique , il
n’entendait pas négliger les siennes ; et secondé par quelques
associés, il rançonnait de son mieux ses administrés. Comme il
fallait envoyer des prévenus sous peine de passer pour un mo
déré, il prenait ses mesures pour ne pas se trouver en défaut. 11
agissait avec discernement : au moyen d’une somme convenue, il
laissait en repos ceux de ses concitoyens qui s'exécutaient de
bonne grâce, et faisait partir sans pitié les récalcitrants. Personne
n’osait se plaindre en voyant le crédit dont il jouissait auprès du
tribunal.
Or, un jour Tiran prévient un de ses voisins, Amable Bourdon,
que, pour fournir son contingent à la prison, il se voit force de le
dénoncer, à moins qu’il ne lui compte deux cents livres. Celui-ci
trouve la somme un peu élevée, surtout avec sa conscience de bon
républicain qui ne lui reproche rien. Lo premier persiste dans sa
�120
—
demande, en lui disant que c'est à prendre ou k laisser; l’autre
met la même résistance dans son refus, et termine par ces paro
les : « Prends garde ! tu connais l’animal domestique qui ne se
laisse pas tuer sans crier ; je te préviens que je ferai de même. »
Ils se quittent alors, bien décidés k ne pas céder. Chacun lient
sa parole ; l'un est incarcéré, l’autre attend le résultat du juge
ment, dans lequel lui et ses affidés doivent paraître oommo té
moins.
Le jour de l'audience arrive. L'aflairo se complique, les débats
s'enveniment, et de révélations en révélations, on arrive k la dé
couverte de la vérité. Mais comment condamner ccu\ qui ne ligurenl pas dans l'acte d'accusation préparé d’avance ? On a déjà
vu dans un chapitre précédent que la cause fut renvoyée au len
demain pour ne pas mettre k découvert de telles irrégularités.
Le tribunal lève donc la séance, après avoir mis en état d'ar
restation Jacques Tiran, Antoine Courage, Joseph Imbert, Pierre
Aillaud. Le 18, l’acte d’accusation ayant été refait, ou modifié
dans la nuit, les juges, honteux d’avoir été joués par d’obscurs
villageois, prononcent aussi contre eux la peine de mort. Mais pour
remplir le vide de cette journée, le tribunal traduit k sa barre des
prévenus contre lesquels il n’existait pas de charges suffisantes,
et les acquitte après les avoir jugés sommairement. De cette ma
nière on indiquait au comité de Salut public, auquel était adres
sée une expédition de chaque jugement, l'emploi de la séance du
18, séance qui en réalité était liée k celle de la veille. On trouve
en entier dans les pièces justificatives ce jugement curieux à
connaître. Maignet, par une lettre autographe que nous avons lue,
complimente la commission sur cette punition exemplaire, qui, à
vrai dire, n'était qu’un acte de vengeance (65).
Des témoins salariés, qu’on verra figurer dans les déclarations
légales, avaient établi leur domicile k Orange, et déposaient in
distinctement contre les accusés. D’après les Mémoires de Comrnin, et les pièces contenues dans la collection des manuscrits Requien, ils étaient payés cinq livres par jour. A ces hommes qui
dénonçaient par cupidité, il faut joindre ceux, non moins mépri
i
—
121
—
sables, que faisait agir un sentiment de haine ou d’envie. Ces mi
sérables ont payé souvent fort cher leur infâme conduite, nonsculemont après la réaction de thermidor, mais même au temps
de la Terreur. On cite le fils d’un propriétaire de Cadcrousse qui,
un jour, en rencontrant le dénonciateur de son père, aux bords
du Rhône, l’attaque résolument, et après l’avoir terrassé et meur
tri de coups, le précipite dans le fleuve, où il se noie.
Celte action, qu’on ne saurait excuser, car c’est la loi seule qui
doit punir le crime, rappelle celle d’un jeune garçon de douze
ans, qui, après le massacro de Bedoin, partait de la maison d’un
parent, oii il se trouvait alors, muni de la première arme qui lui
était tombée sous la main, pour aller venger la mort de son père,
lorsque quelques personnes arrêtèrent en route le courageux enfant.
Cependant le rasoir national, nom que los terroristes donnaient
au funeste appareil de Guillotin, malgré l’activité qu’on mettait à
le, faire fonctionner, ne donnait pas les résultats qu’on en atten
dait. La dextérité même des exécuteurs de Paris, dont l'accusa
teur public Lazary Giraud, fait l’éloge dans un style léger et ba
din (7), était insuffisante pour contenter cette soif do sang qui dé
vorait la démagogie. En vain on avait voulu l’armer de quatre et
même de neuf tranchants, la tentative avait échoué. Le procédé
d’avoir deux guillotines, commo k Lille . paraissait insuffisant.
Et cependant on sentait la nécessité de Lenif le public en haleine
par du nouveau. ColluL d'Herbois, dont l'opinion fait autorité, di
sait un jour k Fouquier-Tinville : Le pouple commence k se bla
ser, il faut réveiller scs sensations par de plus grands spectacles.
Arrange-toi maintenant pour qu’il passe cent cinquante personnes
par jour. Aussi, pensait-on k renouveler les mitraillades de Lyon,
dont Piot, l’ancien directeur de la poste, donne la description. Il
est donc résolu qu’on emploiera ce nouveau mode de destruction,
déjà expérimenté avec succès k Bedoin.
Ce n'était point un vain projet : pendant que les villes voisines
expédiaient des prisonniers par centaines, k Orange, comme on
l’a vu dans la lettre de Ragot, on s’occupait k élever un mur pour
procéder à cct affreux carnage.
�~
Maignet était à la hauteur de son mandat. On en trouve la
preuve dans cette réponse aux députés de l'Ardèche, venus pour
lui demander du blé , (fui manquait dans ce département. En
avez-vous encore pour une décade, leur demandc-l-il ? En pres
surant ceux qui peuvent en avoir, répondent-ils, peut-être pour
rons-nous aller à deux décades. Eh bien ! réplique-t-il, retournez
chez vous, et dans moins de quinze jours vous aurez dix mille
personnes de moins â nourrir. Bô, représentant du peuple, faisait
la même réponse aux habitants de Cahors qui lui disaient qu'ils
manquaient de subsistances. Vous en aurez, leur dit-il ; douze
millions d’hommes suffisent pour la France, nous ferons périr le
reste. Ces réponses sont à peu près semblables. Quel est celui
des deux proconsuls qui était le plagiaire ? Supposons plutôt que
le même esprit de destruction les animait l’un et l’autre.
Mais pendant qu’on préparait ces exécutions sur une grande
échelle, que devenait Maignel ? Sachant que l’homme supérieur
peut tout faire marcher de front, il s'occupait de différentes me
sures administratives, notamment en ce qui concerne les travaux
de l'agriculture. Il rendait un arrêté pour engager les habitants
de la campagne à s’entr’aider pour les moissons, sorte d’idylle
digne du gouvernement de Sa’hmte. Etait-il de bonne foi ? tout
porte à le croire. Au milieu des actes barbares qu'il commettait
dans son fanatisme, il pouvait se trouver quelques sentiments
d’humanité. Sa lettre aux habitants d Eguilles, au sujet d’une pe
tite montagne qui avait été renversée dans leur église, auxquels il
prêchait la concorde, la conciliation, et qu’il appelait ses frères,
semblerait en donner une preuve. Le cœur humain renferme
tant de mystères !
XVIII
La commission, dont la correspondance journalière forme l’ap*
123
—
pendicc des jugements, rendait un compte détaillé de ses opéra
tions au comité de Salut public, obéissant à l’arrêté delà main de
Robespierre, qui portait : Les tribunaux, ou commissions popu
laires, enverront chaque jour au comité de Salut public, la notice
de tous les jugements qu’elles rendront, de manière qu’il puisse
connaître les personnes jugées et la nature des affaires. Elle en
agissait de même avec Maignct. Nous allons citer différentes let
tres que l’auteur de La Justice révolutionnaire a reproduites d’a
près les registres déposés au greffe du tribunal de Carpentras.
La commission écrivait le 28 prairial : « Un seul comité, celui
d’Orangc, s’est exécuté. Ce n’est pas notre faute si nous n’allons
pas plus vite. Cependant nous commencerons primidi messidor,
ayant préparé quelques affaires. Nous lâcherons ensuite de réparer
le temps perdu. »
Il paraît que si toutes les classes étaient frappées par les édits
de proscription, les gens de robe surtout étaient maltraités. On
voit dans la dépêche du 2 messidor : t II est bien fâcheux pour la
commission qu’elle commence ses travaux par des gens qui, quoi
que coupables de différents assassinats, pillages et excès envers les
bous citoyens, indépendamment de ce qu ils étaient vraiment
contre-révolutionnaires, ne sont pas les vrais chefs dont la tête
devrait tomber avec celle des artisans, qui n ’auraient jamais été
conspirateurs sans les manœuvres des nobles, des prêtres et de la
robinaiUe, qui ont la perfidie de se tenir derrière le rideau. •
Attaquer la noblesse et le clergé, c’était à l’ordre du jour, mais les
hommes de loi, quand trois membres du tribunal étaient eux-mê
mes jurisconsultes, cola s’explique difficilement.
Dans le rapport du 3 messidor, c'est le commerce qu’on prend
aussi à partie. Après la liste des condamnations il se termine ain
si : « Lorsque la commission sera dans sa pleine activité, elle dé
sire, elle compte, elle veut beaucoup plus ; elle mettra eu juge
ment tous les prêtres, les cx-nohles, les gros négociants. Quant à
présent, elle fait, non pas ce qu’elle voudrait, mais qe qu’elle peut. »
Suivons par rang de date.
« 6 messidor. Dans ce pays peuplé de tous points de contre-réxo-
�—
124
—
lutionnaires, il est des municipalités, des comités de surveillance
de Communes d’une population de treize cents à trois mille âmes
qui ont déclaré impudemment n’avoir personne de suspect.
« 13 messidor. Aujourd'hui quatorze personnes seront mises en
jugement, demain dix-sept, après demain trente-deux. Si nous
avions tous les agents qu'il nous faudrait et que le pays ne fournil
point, nous irions vile et nous remplirions les vues du gouverne
ment.
« li messidor. Hier treize personnes ont été mises en jugement.
Deux onl été acquittées et néanmoins détenues pour un an, at
tendu que leur conduite, pendant la Révolution, a été équivoque.
Les onze restants ont été condamnés à la peine de m ort, étant
accusés d'avoir conspiré contre la République. C’était une troupe
de scélérats qui, quoique nés dans l’honorable classe du peuple,
étaient aussi fanatiques en aristocratie que les plus orgueilleux des
ci-devants. Quelques-uns ont porté l’audace jusqu’à danser sur l’é
chafaud. L’un de ces misérables avait été trouvé saisi d’une lettre
écrite par soi-disant Jésus-Christ. Le Pèro Eternel l’avait, dit-on,
envoyée à Pic VI ; elle avait été remise en présence de tous les
cardinaux. Ce coquin avait encore les sept béatitudes : ce devait
être quelque initié de Dom Gerle et de la bienheureuse Pagode, sa
camarade.
« Les montagnes qui nous avoisinent sont peuplées d’une grande
partie de scélérats échappés à la justice du peuple. Favorisés par
certaines municipalités, ils vivent dans les bois, ils font des trous
en terre.
« On nous rapporte que parmi les scélérats encore arrêtés ce
jour dernier, se trouvent des personnes nanties d'immunités du
représentant Rovère ou Poullicr. Oh ! bon Dieu ! bon Dieu !
« 20 messidor. Un ami nous écrit de Paris qu'un assassin a oncorc attenté à la vie de Robespierre. Le sang des républicains
bouillonne. Gare les nobles, les prêtres et leurs amis ! Nous al
lons redoubler de vigueur. Si nous avions tous les agents qu’il
nous faut, si les comités de surveillance cl les autres autorités nous
aidaient, ça irait mieux et plus vite.
—
125
—
« 22 messidor. En fouillant les religieuses (sœur Guilhermier
et sœur Rocher) nous avons trouvé des signes des brigands de la
Vendée, des morceaux d’étofte de la robe du saint corps de Jésns-Chrisl, des chapelets etc... (nous ne pouvons transcrire) ; et
encore une lettre de la mère de Dieu qui préserve de la peste, de
la guerre, de la mort subite et de la famine. Malgré la sainte lettre
les religieuses ont trépassé-.
« 23 messidor Un prêtre assermenté, qui s’est rétracté publi
quement aux premières interpellations.
« 2i messidor. Mort d’un prêtre et de quatre religieuses »
Sans interrompre le récit des faits que relate celle correspon
dance officielle, remarquons que si les ecclésiastiques surpre
naient les juges par leur énergie dans celle redoutable épreuve,
ces saintes lilles, au milieu de leur mépris pour la mort, ne les
étonnaient pas moins quelquefois par les moyens de défense qu'el
les faisaient valoir. Revenons aux pièces officielles.
« 25 messidor. Les béates (sœurs Lambert, Verchère, Minute,
Faurie, Peyre, Rocard), ont déclaré qu’il n’était pas au pouvoir
des hommes de les empêcher d’être religieuses; que le serment
était contre leur conscience et leurs vœux A l’observation que
parmi ces vœux se trouvait celui de l'obéissance, que St Paul luimême avait dit, en rapportant ces paroles du Cbrist, qu’on devait
obéissance au souverain même injuste ; et qu’ainsi leur refus de
serment pourrait bien être considéré comme une révolte envers le
peuple souverain, elles ont répondu qu’il n’v avait plus de souve
rain , qu’on l’avait tué , et que c’était affreux de voir six cents
rois à la Convention !... et mille insultes pareilles. La commis
sion et l’auditoire étaient justement indignés.
« 23 messidor. Lorsque Bondis, d’Orange, ex-noble, est monté
à l’échafaud, chacun voulait être son bourreau. La multitude l’ac
compagnait de huées, et dès que si tête est tombée, les citoyens de
�—
120
—
—
crier : Vive la République! et les chapeaux de voler pendant un
quart d’heure.
* 29 messidor... Les sept religieuses ont dit publiquement que
la souveraineté du peuple n'était pas légitime, et cent autres hor
reurs semblables. Elles ont bravé le peuple et la justice, mais elles
ont trépassé et pourront être en esclavage dans l’autre monde
tant qu’il leur plaira.
» 2 thermidor. On a trouvé dans les effets des quatre frères
Jacques, ecclésiastiques, un plein sac de reliques, des os des
Saints, des portraits de Pie VI. du tyran d'Angleterre, des mé
dailles d’autres tyrans, des chapelets, des cœurs de Vendée etc...
le tout a été consumé par les flammes. Quoique ces monstres, qui
faisaient tous les soirs parler une vierge, fussent déjà jugés dans
l’opinion des juges, la commission a fait durer les débats long
temps pour avoir celui {sic) de jeter sur les prêtres et sur leurs
saintes reliques tout le ridicule que ces objets méritent. Celle
manière d’éclairer le peuple est des meilleures, elle produit de trèsbons effets. A mesure qu’on interrogeait ces càffards sur les méri
tes de ces reliquaires, et surtout d’un mouchoir qui avait frotté
l’occiput d’un très-grand saint, l’auditoire riait de bien bon cœur,
tandis que les prêtres scélérats, levant les yeux au ciel, semblaient
appeler la sainte Mère à leur aide. Heureusement que ces grima
ces ne leur ont attiré que le mépris et ensuite l’exécration des
habitants. A peine ce jugement de mort a-t-il été prononcé sur
ces demi-saints, que les cris de Vive la République ont retenti de
toutes parts.
« 5 thermidor. Marie Durand, sœur hospitalière, a été condam
née à la détention comme inscrmcnlée. Le président lui a expli
qué ce que c’était que le serment. Il a saisi celte occasion pour
foire ressortir les vices des prêtres. Il s’est adressé aux trois qui
étaient présents ; il leur a parlé des abus, des brigandages, des cri
mes dont les ecclésiastiques avaient couvert la terre au nom d’un
Dieu qui est tout vertu ; il a provoqué l’exécration publique sur
tout ce qui tient à celle classe d’hommes. Son discours a été ho
noré de l’assentiment de l’auditoire. »
127
Il thermidor. La commission écrivait à Maignel : . . . « Nous
apprenons qu'il nous arrive à l'instant cent prisonniers de Mar
seille, qui vont repartir de suite pour Avignon, attendu que les
prisons sont pleines, et que nous ne pouvons les loger. Nous t'in
vitons à donner des ordres aux autorités de Marseille pour qu’el
les ne nous en envoient pas ici, mais bien à Avignon, ou autre
lieu où on pourra les loger. >>
Pendant ce temps, Viol, de son côté, écrivait à Payan : « Nos
opérations, mon cher ami, continuent avec une activité qui, j ’ai
me à le croire, ne servira pas peu à rendre la paix et la tranquil
lité à ces contrées trop longtemps déchirées par l’anarchie. Nos
travaux nous mériteront la reconnaissance des bons citoyens, et
des représentants qui siègent à la Montagne. Nos vœux alors se
ront remplis et notre ambition satisfaite, parce que nous ne som
mes jaloux que de l’estime publique, cl que nous saisissons tous
les moyens qui peuvent nous conduire à ce but.
* Déjà plus de trois cents contre-révolutionnaires ont payé de
leurs têtes les crimes qu’ils ont commis; bientôt ils seront suivis
d’un bien plus grand nombre.
« Soixante chiffonniers (*) seront traduits en jugement, et ju
gés à la même séance ; un pareil nombre les suivra peu de jours
après, et tu vas juger par là que nous employons bien nos mo
ments, etc. »
Dans celle lettre l’accusateur public ue faisait que répéter ce
que la commission avait écrit le mois précédent au comité de
Salut public, en lui disant avec orgueil qu'en dix-huit jours elle
avait rendu cent quatre-vingt-dix-sept jugements.
*
P) Les Siphoniers, appelés improprement Chiffonniers, et les Monnaidiers
formaient doux partis rivaux, qui divisaient la population d'Arles. Ceux-ci
étaient républicains, et lira ont leur nom do lllù tc ld o la Monnaie où ils se
réunissaient, et d’une petite pièce do monnaie suspendue par uu ruban tricoloro. Les premiers étaient royalistes et étaient appelés Siphoniers parce
qu’ils s’assemblaient dans une maison qui avait pour enseigne uu siphon.
Pour se distinguer do leurs ennemis, les hommes île cette réunion portaient
une sorte do médaille d’argent représentant un siphon, attachée à la bouton
nière par un ruban blanc, et les femmes, cette mémo image en forme do bou
cles d’oreille. (Histoire Ue la guerre civile en France; traditions locales).
h•%
!
V
�—
128
—
Maignet n’était point étranger à cette activité. Mécontent du co
mité de surveillance de Carpenlras, il le supprime. Depuis la raz
zia opérée h Avignon, il voit qu’il peut tout oser, cl donne une
impulsion, qu’on n’est que trop disposé à seconder.
Cependant, tout en accomplissant ces actes barbares, les mem
bres du tribunal étaient peut-être moins cruels que les hommesqui
les dirigeaient du sein du comité public. C’est l'opinion de M. Berrial St-Prix, que nous ne contredirons pas. En effet, le 22 messi
dor, la commission, en parlant de jugement de la veille, disaient
que quatre cultivateurs avaient été condamnés à la détention seu
lement, ajoutant : « Si la calomnie nous présentait comme des
juges peu révolutionnaires, c’est dans nos cœurs que nous trouve
rions notre réponse; nous sommes jurés et républicains; notre
conscience nous dit que nous avons fait le bien. »
Remarquons encore, car nous devons dire tout ce qui est à la
décharge de. ces hommes coupables, que, le 7 thermidor, Fauvely
acquitte, sur la question intentionnelle, cinq autres agriculteurs,
qui, après une année de détention, pourront servir encore la pa
trie. Puis il essaie de pallier celte décision en disant, dans un
langage qui doit être reproduit textuellement : « C’est de quoi, si
nous avons bien jugé , nous n’aurons pas de répondre. Nous
avons cru devoir entrer dans quelques détails sur les motifs de
notre jugement, voulant que la représentation nationale connaisse
non-seulement le résultat de nos opérations, mais encore qu’elle
puisse lire dans nos âmes. »
Pourquoi n’a-t-il pas toujours montré les mêmes sentiments?
XIX
Au milieu de ces scènes de barbarie on voyait des actions si ex
travagantes, si grotesques, qu’on ne savait ce qui devait l’empor
ter, de l’odieux ou du ridicule. D’abord, pour effacer entièrement
les traces de la tyrannie, on voulait, en quelque sorte, travestir
—
129
—
notre histoire nationale, et, par les changements opérés dans les
choses présentes, anéantir les souvenirs des temps passés. Nous
allons entrer dans quelques détails pour mieux faire connaître
l’esprit de l’époque.
Non-seulement la Royauté n’existait plus, mais les titres, les
qualifications qui établissaient des privilèges étaient supprimés,
et tous les Français, égaux devant la loi, l’étaient aussi devant
la dénomination de citoyens et de citoyennes. Avec ces principes
la domesticité devait être abolie par la Révolution comme l'es
clavage l’avait été par le Christianisme. Or, il y avait des répu
blicains riches qui voulaient se faire servir, et des républicains pau
vres que l’État ne pouvait nourrir sans rien faire. Qu'arriva-t-il?
par un abus de mots, comme cela arrive si souvent, tout s’arran
gea à la satisfaction générale ; un serviteur devint un officieux, et
la dignité du citoyen fut sauvegardée.
La divinité ne préoccupait que médiocrement les esprits. Cepen
dant on avait créé un décalogue, que l’on récitait dans les socié
tés populaires. Il y avait en outre les commandements révolution
naires de la Montagne; on peut voir par ces prières quelle était
la ferveur des néophytes dans le Midi.
Décalogue lu dans la société populaire d’Avignon.
Au peuple seul tu jureras
D’obéir religieusement.
Les lois qu’il sanctionnera.
Observe-les fidèlement.
A tout roi lu déclareras
Haine et guerre éternellement.
Ta liberté lu maintiendras
Jusques h ton dernier moment.
L’Égalité tu chériras
En la pratiquant constamment.
Egoïste point ne seras
De fait ni volontairement
Les places tu ne brigueras
9
�Pour les remplir indignement.
La raison seule écouleras
Pour te guider dorénavant.
En républicain lu vivras
Afin de mourir dignement.
Les commandements révolutionnaires de la Montagne:
Jusqu’à la paix tu agiras
*
Révolutionnairement.
Tous les suspects enfermeras
Sans le moindre ménagement.
Les prêtres tu déporteras
Loin de ton sol incessamment
Tout émigré qui rentrera,
Raccourcis-le-moi promptement.
Dans tes clubs tu ne recevras
Aucun modéré ni feuillant.
L’accapareur lu poursuivras
El le fripon pareillement.
Nulle foi tu n’ajouteras
Au serment d’aucun ci-devant.
Chaque jour au club le rendras
Pour l’instruire fidèlement.
A Paris, on avait les six commandements de la liberté, et le
décalogue du m i républicain, pièces citées dans la Démagogie de
Paris, par Dauban, où l'on retrouve à peu près les mêmes pensées
et le même style.
On ne craignait pas d’attaquer la religion de la manière la plus
révoltante. Au Luxembourg il existait un reposoir, où quelques
dévots démagogues invoquaient le cœur de Jésus et le cœur de
Marat : le premier, un prophète; celui-ci, un Dieu; et tous les
deux d’excellents sans-culottes.
Sur les tréteaux, comme le rappelle un écrit récent, on annon
çait le spectacle sacrilège d’Arlequin Jésus-Christ, du Pape aux
—
131
enfers, du jugement dernier des rois, de la guillotine d’amour.
Un jour cependant il prit fantaisie au chef delà Montagne, qui
voyait que la France ne pouvait pas vivre dans ce honteux et stu
pide athéisme, de remplacer la fête de la Raison par celle de l’Ê
tre Suprême. Par là, en même temps qu’il mettait en pratique la
maxime d’alors : Les rois sont mûrs, mais Dieu ne l’est pas en
core, il détruisait la popularité que Chaurnctle s’étajj acquise. Le
peintre David fut chargé de dessiner les costumes et de régler la
marche d’une cérémonie dans laquelle on cherchait à rappeler les
panathénées et les théories de l’ancienne Grèce. Une solennité
religieuse eut lieu à Paris, et fut imitée dans le reste de la France.
Alors fut chanté à Marions, dans la Gironde, un Te Deum avec
toute la pompe de l’église constitutionnelle, en l’honneur de Ro
bespierre. Celui-ci prenait son rôle au sérieux : peut-être avant
de ceindre la couronne sous le nom de Maximilieu Ier, comme
le lui conseillaient ses intimes, voulait-il être le grand-prêtre du
nouveau Dieu qu’il faisait adorer à la multitude. Aussi, il ne par
lait que de probité, de vertu. Ses partisans cherchaient à l imiter,
et renchérissaient même sur lui, au point que Joseph Lebon, pour
lui plaire sans doute, avait mis hors de la loi, — ou plutôt hors du
répertoire, — les Fourberies de Scapin, sous prétexte d’obscénité.
Génissieu, député de l’Isère, de son côté, proscrivait Mérope, à
cause du scandale que causait la veuve de Cresphonte pleurant
son royal époux. Mieux eût valu un peu moins de rigidité poul
ie théâtre, et un peu plus d humanité envers les malheureux ac
cusés.
Celte tentative vers le retour des idées religieuses , lit qu’on
mêlait la divinité à la célébration du mariage, comme le prou\e
une lettre de faire part citée par Dauban. Mais le culte nouveau
était-il bien compris quand, un jour, un sans-culotte répondait à
son camarade, qui lui parlait de Dieu : Tais-loi, il n’y a plus de
Dieu, il n’y a qu’un Être Suprême I
Celte croyance, sorte de déisme, était donc loin de la foi de nos
pères. Aussi, les Saints étaient-ils fort négligés, et c’est par habi
tude seulement qu’on prononçait leurs noms, quand au plus fort
�—
—
132
—
J ’en porterais en fêle
Une de chaque main
Vive la guillotine
Qui fait si bonne mine
Et qui coupe si bien
Le cou à tous oes chiens.
—
de la Terreur on s'écriait à la tribune des Jacobins : Sainte guil
lotine, guillotine sacrée !
Lorsque Maignel, comme on le voit dans un de ses discours, en
courageait la sainte délation !
Quand Fabre et Moureau exaltaient la sainte Montagne ! Que
Robert Lindet demandait la sainte inquisition politique, comité
composé de neuf bons républicains, origine du tribunal révo
lutionnaire !
Lorsque, enfin, les crieurs des rues, pour désigner les victimes
de la journée, publiaient la liste des gagnants de la très-sainte
guillotine !
On avait même fait des litanies où Ton marmottait :
Sainte guillotine, protectrice des patriotes, priez pour nous.
Sainte guillotine, effroi des aristocrates, protégez-nous.
Machine aimable, ayez pitié de nous.
Machine admirable, ayez pitié de nous.
Sainte guillotine, délivrez-nous de nos ennemis.
Des chanteurs publics aux gages des Jacobins, dit Georges Duval, témoin de la plupart des scènes de la Révolution, faisaient
entendre ces litanies dans les rues, dans les carrefours, et même
aux Tuileries sous les fenêtres de la Convention.
Ces prières, rien moins que chrétiennes, étaient une aiïaire de
mode comme la guillotine que certaines femmes, lièresde montrer
le courage de leur opinion, avaient à leurs pendants d’oreille,
comme celle que Sl-Just portait en épingle, et que Gattcau avait
gravée à son cachet.
Ajoutons à ces détails l’habitude qu’avaient quelques prêtres as
sermentés de dire la messe en bonnet rouge, en rappelant aussi
cet évêque qui officiait avec une pique et en bonnet rouge, au lien
de crosse et de mitre.
Tout tendait à entretenir des dispositions sanguinaires, même
sous la forme légère de la chanson. On entendait des gens avinés
crier :
J ’achèterais des têtes
Si j’avais les moyens :
133
Ou encore :
'
Mes beaux aristocrates,
Dans le sac à Sanson
Crachons, crachons...
Dans le parti royaliste celte verve satirique frappait parfois les
révolutionnaires. Le publiciste Gorsas, qui prétendait que tout ce
que possédaient les princes du sang appartenait à la Nation, avait
été jusqu’à dire que Mesdames, tantes du Roi, en quittant Bellevue, n’avaient pas même le droit d’emporter leurs chemises. Cette
inconvenante sortie fut bien vite relevée, et le lendemain circu
lait dans Paris celte complainte, d’autant plus sanglante, que le
député de Seine-el-Oise appartenait à une famille pauvre du Li
mousin :
Avait-il des chemises, Gorsas,
Avait-il des chemises ?
11 en avait trois grises, Gorsas,
11 en avait trois grises.
S’il avait des chemises, Gorsas,
Où les avait-il prises ?
Ce n’était guères que par uno opposition de ce genre que les
opprimés pouvaient se venger de leurs tyrans. Le journal Les actes
des Apôtres renferme différentes productions curieuses de ce gen
re, notamment la liste des membres de l’Assemblée groupés d une
manière originale, sur l’air du menuet d Exaudet.
Quelques esprits forts évitaient d'employer des expressions qui
pouvaient rappeler les anciennes croyances. Ainsi le commandant
de la force armée, chargé par la société populaire d’Orangc de
�—
134
—
faire évacuer une chapelle où l'on célébrait secrètement les céré
monies du culte catholique, disait dans son rapport : « Ayant
pénétré dans la ci-dcvant chapelle de Lapalud, nous avons en
tendu des gens qui chantaient les ci-devant Vêpres. »
Dans les registres du comité de surveillance de la Commune
dont nous venons de parler, on pouvait lire aussi une dénoncia
tion contre le citoyen Benjamin, ci-devant ju if. Ne disait-on pas
le ci-devant Jésus-Christ, la ci-devant Vierge ?
On cherchait, en un mot, à faire de continuels changements
dont quelques-uns blessaient la raison et causaient de l’embarras
dans les usages journaliers de la vie. Les mois nouveaux étaient
d'une invention assez heureuse; mais les décades dérangeaient
les habitants de la campagne pour les jours de repos. Puis le ca
lendrier républicain, essentiellement réaliste, remplaçait les Saints
du paradis, que le chrétien aimait à invoquer, par les produits de
la terre ; et à St-Jean, St-Huberl, Sl-Luc, Sl-Jérôme, Sl-François, succédaient le romarin, le topinambour, le piment, le pa
nais et le potiron.
Les dangers dont on était journellement entouré n’avait pu ban
nir et la vieille gaîté gauloise et la chanson épigrammalique : c’est
au sujet de ce calendrier qu’on avait fait le couplet suivant, peu
connu aujourd'hui :
Les Français auront des dieux
A leur fantaisie ;
Le sang coulera pour eux
Plus que l’ambroisie ;
Et nous verrons un oignon
A Jésus damer le pion !
La bonne aventure, o gué !
Des gens cependant acceptaient sans difficulté ces innovations.
Nous voyons dans le n° IX de la Justice révolutionnaire que les
membres du tribunal criminel de l’Hérault s’étant transportés à Bé
ziers, où ils condamnèrent ù mort quatre personnes du nom de La
Serre pour crime de contre-révolution, signèrent au procès-verbal
— 135 —
Salsilis Gras, président,
Betterave Dévie
j
Tournesol Escudier
juges.
Raisin Peylal
j
On dirait une plaisanterie digne des tréteaux de la foire, si le
fait n’était mentionné dans un acte officiel, qui constate le sup
plice des quatre malheureux condamnés.
En haine des tètes couronnées, on avait changé le nom des nou
velles cartes : les rois étaient des génies; les dames, des libertés;
le valet était l’égalité ; l’as, la loi ; le trèfle s’appelait la paix; le
pique, lesarts; le carreau, le commerce; le cœur, le culte. On pou*
vait annoncer, en jouant un piquet, comme dit Georges Duval,
chez qui l’on trouve ces détails : Quinte à la liberté, quatorze de
génies, et trois lois.
Les villes aussi avaient éprouvé des métamorphoses. Ou com
prend qu’il fallait effacer tout ce qui pouvait rappeler un gouver
nement déchu, maladresse commise sous tous les régimes après une
Révolution. Mais à quoi bon changer ce qui n’avait aucune signi
fication politique ? Pourquoi, au lieu de Lyon, Toulon, Marseille,
disait-on Commune-affranchie, Port-la-Montagne, et, ce qui est
plus risible encore, Ville-sans-nom !... Si l'on croyait devoir les
illustrer par des épithètes patriotiques, comme Uzès-la-Montagne, Beaumes-Marat, Cécile-la-Monlagnarde ; ou effacer les noms
de Saints, comme à Pont-sur-Rhône, Pont-sur-Cèze, Monlagne-debel-air, Armcville, Franciade, Uéracléc, Brion-du-Gard, Bellevisle, pour désigner le Pont-Saint-Esprit, St-Ambroix, Sl-Germainen-Laye, St-Éticnno, St-Denis, Sl-Gilles, Sl-Jean-du-Gard, StGervasy, à quoi bon remplacer Montmorency, Dunkerque. Monlfort-rAmaury, Roeroy, par Emile, Dunlibre, Montforl-Brutus et
Roc-Libre!
La rue de Richelieu était la rue de la Loi ; le faubourg SlAntoine, faubourg Gloire.
Aux échecs on faisait échec au tyran !
On disait un habit bleu tyran (bleu de roil ; et dans les con-
�-
136
tredanses, — car on dansait aussi à cette époque, — en avant le
citoyen, en avant la citoyenne !
Les sans-culottes croyaient aussi devoir changer de nom, lors
que celui qu’ils portaient pouvait compromettre leur réputation
de civisme. Le citoyen Le Roi, mort vétéran aux invalides, se fai
sait appeler le citoyen Libre; le représentant Le Roi, avait adopté
le nom de La Loi; le ci-devant marquis le Roi de Monlflaberl,
l’un des jurés les plus ardents du tribunal révolutionnaire, qui
condamnait toujours à la peine de mort, quoiqu’il ne pût prendre
part aux débats à cause de sa surdité, prenait celui de Dix-août.
Dans les actes publics les patriotes, quand ils voulaient dési
gner une année appartenant a l’ancien calendrier, avaient soin
d’écrire : vieux style ; ceux plus avancés dans leurs opinions met
taient : style d’esclave; et pour abréger : style esclave. C’est à ces
légères nuances qu’on reconnaissait les sentiments plus ou moins
exaltés. On cite à ce sujet qu’un jour Dubuisson, commençant
un discours par ces mots : Je vais avoir l’honneur, citoyens.....fut
violemment interrompu par Dobsènt, qui s’écria : Il n’y a plus
d’honneur !...
Dans cette succession rapide d’événements tragiques, dans ec
tohu-bohu d'idées extravagantes, quelques personnes, prenant la
vie en dégoût, ne cherchaient que la fin de leurs peines. On a vu
même des citoyens demander au tribunal révolutionnaire de les
délivrer d’une existence qui leur était h charge. Il fallait que celte
tendance, qui pouvait dégénérer en monomanie, fût bien marquée
pour que Collot d’IIerbois, dans sa lettre du 17 brumaire, an II,
au comité de Salut public, crût devoir signaler les dangers de
semblables dispositions si elles se propageaient dans une popula
tion énergique.
Et comment pouvait-il en être autrement quand chacun, trem
blant pour le présent, n’entrevoyait pas dans l’avenir la lin de
ses maux ! tout était sombre, lugubre; et ces hommes, même dans
leurs plaisanteries, que nous répétons lorsqu’elles nous tombent
sous la plume, montraient un caractère féroce et cynique. Ainsi,
le comédien Trial, digne confrère de Grammont, un des assassins
—
137
—
des prisonniers d'Urléans, qui insultait la Reiuo pendant qu’on la
conduisait à l’échafaud; Trial, lors du jugement des Girondins,
quand Boileau dit : Je suis innocent ! s'écrie aussitôt : Vous ver
rez qu’ils le sont tous ! Le même, acteur comique au théâtre,
mais odieusemcnL tragique sur la scène révolutionnaire, qui avait
rappelé à son ami Robespierre les indiscrétions qu’il avait commi
ses h un souper chez les dames de Ste-Amaranlhe, sur ses projets
à venir, causant ainsi la mort de cette famille et des personnes
qui se trouvaient à la même réunion ; Trial, en voyant passer le
convoi des condamnés, qui étaient revêtus de la chemise rouge,
disait gaiment h Vadier : « No trouves-tu pas que cela ressemble
à une fournée de cardinaux ! » Vadier, cel inquisiteur de Pamiers,
devait comprendre cette plaisanterie, lui qui, avec Voulland, se
transportait souvent au bureau de Fouquier-Tinville et disait :
Ça ne va pas assez vite !
Fouquier-Tinville s’écriait aussi à. ce propos, car il ne se con
tentait pas de faire condamner, il voulait aussi jouir de l’agonie
de ses victimes : « J’ai été douze ans procureur au Parlement, et
je n’ai jamais vu une aussi belle messe rouge : allons au maitreautel de la place du Trône la voir célébrer ! »
Observons, h ce sujet, que si l’exécution des vingt-un Girondins
eut lieu en trente-une minutes, celle où ces soixante malheureux
furent immolés ne dura que trois quarts d'heure, tant Sanson, dont
quelques écrivains ont cherché ù vanter les sentiments d’humanité,
avait perfectionné la fatale machine. Remarquons en outre qu au
nombre des suppliciés dans cette journée, se trouvaient Froidure,
Soulès, Danger, Marino, administrateurs de la police, bons pa
triotes, mais à qui Robespierre, toujours ombrageux, faisait ex
pier le zèle qu’ils avaient montré en faveur de Collot d’Herbois, à
la suite de la tentative d’assassinat contre lui par Ladmiral.
Et le lendemain, lisons-nous dans les mémoires de Georges Duval, la Convention faisait célébrer la fêle du genre humain !...
Barère de Vieuzac, que, dans ces affreuses saturnales où les
ris se montraient si souvent au milieu des larmes, on nommait
�—
vieux sac ; cot Anacréon de la guillotine, comme on le désignait
uussi, appelait gaîment la bière des vivants, la charrette qui transportait les condamnés à l’échafaud.
Mais A côté do ces reparties sanguinaires que les puissants du
jour pouvaient se permettre sans danger, on cite dos mots éner
giques qui devaient amener la mort de oeu\ qui les prononçaient,
et qni souvent leur sauvaient la vie. L’abbé Maury n’a-t-il pas
imposé A la populace qui le menaçait fie la lanterne, en disant :
Quand je serai à la lanterne y verrez-vous plus clair ? Et Marlainville, à qui le président du tribunal révolutionnaire donuait
la particule nobiliaire, n'a-t-il pas désarmé ses juges par celte
hère et spirituelle réponse : Citoyens, vous m’avez fait comparaî
tre devant vous pour me raccourcir, et non pour m ’allonger !
On retrouvait encore cet esprit français, léger, insouciant, qui
avait survécu à tant de maux, à tant de désastres, soit dans dos
actes de dévouement, soit dans des parties de plaisir. Les fem
mes n’étaient pas les dernières à payer ce tribut à la mode du
jour. Ainsi, les citoyennes de Cambrai, dans leur zèle patrioti
que, avaient demandé à la Convention la faveur d’être armées
pour se défendre contre l’étranger. Afin do seconder ces disposi
tions belliqueuses, qui existaient aussi dans d'autres parties de la
République, on avait songé à former un corps d’amazones fran
çaises, projot sur l’organisation duquel une brochure , fort rare
aujourd’hui , qu’on trouve à la bibliothèque du musée Calvot,
donne les détails suivants :
k La colonelle générale ne doit pas dépasser l’Age de trentedeux ans.
« Son cheval doit être Isabelle (*), à crins noirs, et à grande
queue; et dans le harnachement, la housse et les parements des
pistolets seront en velours couleur bleu de ciel, brodés or et rose.
« Le reste de l’état-major aura environ le même Age.
• Les places de scrgenlcs et caporales seront données aux fem
mes qui auront de trente à trente-cinq ans,
(*) Avait-on choisi cclto robe qu’on voit à certains coursiers pour rappe
ler l’énergio d’Isabelle d'Autriche, au siège d'Üsteude ?
139
—
Voici l’uniforme des jeunes guerrières :
« Casques recouverts de gazo bleue, avec des ornements or et
azur.
« Habit de gaze, rose tendre et argent, ou bleu de ciel, vertpomme, lilas et paille (probablement selon la décision qui aura
été prise au grand conseil féminin).
« Corset et jupon de gaze blanche, la manche de même étoile,
retroussée avec un nœud élégant en forme d’épaulettes, sur les
deux épaules.
« La partie gauche de la poitrine découverte, comme les ancien
nes héroïnes des bords du Thermadon.
• Ceinture à la grecque pour soutenir un petit sabre élégant à
manche d’or ou d’argent.
« Longs bas couleur de chair pour servir de pantalon.
• Cothurne sur les modèles de l’antiquité.
• Carquois attaché par deux bandoulières en rubans.
« Le bras gauche garni d’un bouclier très-léger. »
On comprend l’effet qu'aurait produit la vue d’un pareil régi
ment, dont nos Vésuviennes de 1848 n ’étaient que la contrefaçon.
Si ce caractère porté à rire de tout, inhérent à notre nation, se
produisait à Paris, — dans les prisons, où l’on s’exerçait à monter
avec grAce à la guillotine, et plus tard à assister au bal des victi
mes, — A Orange les détenus, dans les rares moments de tran
quillité que leurs laissaient leurs bourreaux, cherchaient à se dis
traire par quelques saillies. Des cultivateurs, dit d’Alissac, appe
laient loubérou, nom qu’on donne, dans le Midi, au mouton qui
conduit les antres h l’abattoir, l’huissier chargé de venir chercher
les prisonniers pour les amener au tribunal. La comparaison n’était
malheureusement que trop juste, car ils allaient aussi à la bou
cherie. Cette disposition d’esprit leur venait-elle de l’espoir qu’ils
avaient de voir finir bientôt un ordre de choses en horreur A la
partie saine de la nation ? Ce qui peut le faire supposer, c’est le
moyen qu’avaient les détenus d’avoir des nouvelles du dehors,
malgré la rigoureuse surveillance des gardions. En effet, un billet
�—
140
—
—
caché dans la belle chevelure d'un jeune enfant, qu’on laissait
pénétrer sans défiance dans les prisons, les tenait au courant de
tout ce qui se passait. Ce gentil messager, qu'on regardait comme
un petit ange descendu du ciel, est devenu dans sa vioillosso le
concierge du théâtre antique.
On s'amusait aussi aux dépens de ceux qui n’avaient pas une
politique franche, un caractère prononcé, penchant tantôt d’un
côté, tantôt de l'autre, en leur donnant l’épithète d'escambarlats
qui les caractérisait parfaitement.
Mais ce n’était pas uniquement dans ces tristes demeures, où
chacun avait déjà fait le sacrifice de sa vie, qu’on voyait régner
cette gailé, même chez les hommes qui, pour la plupart, ne par
tageaient pas les idées du jour. A Avignon il existait une société
de la bombance, que rien ne pouvait distraire de ses plaisirs culi
naires, et qui se réunissaient dans des banquets, tandis qu’à Oran
ge l'instrument du supplice était en pleine activité. Ne dirait-on
pas une des scènes du grand tragique anglais : les sarcasmes des
fossoyeurs, dans Mamlet , ou les froides plaisanteries des musi
ciens dans la salle voisine du lit de mort de Juliette; la joie à
côté de la douleur ? Par celte frivolité, qu’on est tenté de flétrir
d une manière sévère, ils imitaient, dans leurs réquisitions (66),
les représentants en mission à Lyon dont il a déjà été parlé.
Mais ne nous hâtons pas de juger ces convives de joyeux festins,
qui sans doute ne riaient que du bout des lèvres. Il n’y avait
probablement chez eux ni égoïsme ni mauvais cœur : ils voulaient
détourner les soupçons d’un pouvoir dictatorial, et cherchaient à
s’étourdir sur leur sort en profitant d’un jour qui pour eux n’au
rait peut-être pas de lendemain.
XX
Nous avons dit dans le chapitre précédent que Robespierre visait
au souverain pouvoir. Par l’austérité qu’il all’eclait dans sa conduis
141
—
le, surtout dans sa vie politique, on voit qu’il cherchait à jouer le
rôle de Cromxvell. Mais n’ayant pas, comme celui-ci, le prestige des
armes, il croyait pouvoir y suppléer par l’éloquence et la ruse.
Jaloux de Collot d’Herbois, à qui une tentative d’assassinat avait
donné de la popularité, il avait trouvé moyen de faire passer la
jeune Renaud, qui cherchait à le voir par curiosité, pour une nou
velle Charlotte Corday.
Les publicistes de celte époque, qui ont suivi les discussions de
la tribune, et les hommes en position de connaître la vie privée de
Robespierre, s'accordent tous sur l’existence de ce dessin. Nous
lisons chez un écrivain judicieux, qu’il avait, pour nous servir de
ses propres expressions, le courage de l’âme, mais manquait du
courage des nerfs, de celle énergie que donne le tempérament.
C’est ce qui explique l’hésitation qu’il a montrée dans certaines
circonstances de sa vie. Si son ambition le poussait à se rendre,
comme quelques-uns de ses collègues, aux armées, un sentiment
qu’il ne pouvait surmonter contrariait tout ce qui pouvait ressem
bler à une action audacieuse. Cependant, il connaissait combien
notre nation attache de prix aux choses qui frappent l’imagination
et nattent l’amour-propre. Si dans les derniers temps il s'abstenait
de mettre une particule devant son nom, il n’avait pas renoncé
pour cela à scs prétentions à la noblesse, car il était très-aristo
crate. En effet, il ne craignait pas de désigner l’accusateur public
du tribunal révolutionnaire par la qualification qu’il avait adoptée
lui-même avant la Révolution, en lui écrivant : Au citoyen Fou
quier de Tainville.
Enfin, ne voulant rien négliger pour pouvoir paraître avec avan
tage dans des circonstances d'apparat, il prenait secrètement des
leçons d’équitation. Mais une crainte instinctive, ou le manque
d’aptitude, lui avait fait abandonner cet exercice. Toutefois il
persévérait dans un plan qu'il préparait de longue main. 11
avait déjà sa cour, car on nommait pages de Robespierre les
jeunes élèves de l’Ecole de Mars. Il avait aussi ses gardes du corps,
de véritables séides. Outre Salés et Bacon-Tacon, chargés de sa
police secrète, on comptait parmi ceux-ci les fils de Duplav, son
�—
142
—
hôte, menuisier dans la rue St-Honoré ; Renaudin, ancien luthier,
membre du tribunal révolutionnaire ; le chef de brigade Boulan
ger ; Chrétien, Nicolas, Didier, Girard, Châtelet, Vachereau, Re
verdi, Garnier Delaunay, qui veillaient sur sa personne. Ces hom
mes, qu’un historien appelle une troupe de coupe-jarrets, étaient
armés chacun d’un gourdin appelé alors constitution, parce que
les membres de la société des Amis de la constitution en portaient
toujours avec eu*.
Rappelons que cette réunion avait pris d’abord le nom de Club
breton; puis celui de club des Quatre-vingts, ou de la Propagande ;
ensuite celui de Cercle social, ou de Bouche de fer ; enfin de club
des Jacobins, qui tenait ses séances dans le couvent de ces reli
gieux. On a remarqué que c’est de ce même couvent qu'était sorti
Jacques Clément ; cl par une étrange coïncidence, le président de
celle assemblée, qui a eu une si grande influence sur le crime du
21 janvier, avait pour cabinet de travail la cellule du moine régi
cide.
Robespierre était amené là par la force des choses, se trouvant
le chef de la démocratie, ou plutôt de l’ochlocralie, expression peu
usitée, mais qui détermine encore mieux cette position. S’il s'é
carta des lois de la prudence cauteleuse qu’il observait avec tant
de soin en se tenant éloigné des comités et des sociétés populaires
dans les derniers temps de sa puissance, c’est qu’il avait un but
caché : il voulait pouvoir rejeter sur ces réunions, après son triom
phe, tout l’odieux des exécutions qui ensanglantaient la France,
et arriver sur les ailes de la paix et de la concorde comme le deus
ex machina des anciens. Manqua-t-il d’énergie au moment décisif?
Nous ne pouvons le croire en nous rappelant la manière dont il
s'est défendu pendant deux jours à la Convention devant ceux qui
avaient juré sa perte, et sa contenance jusqu’au moment où sa tète
roula sur l’échafaud, circonstances que Georges Duval, comme
témoin oculaire, rapporte dans ses moindres détails. Seulement il
eut le tort de se laisser prévenir par ses ennemis. Mais il y a là
une autre cause, qui a tant d’influence sur les destinées humaines:
le hasard, ou pour mieux dire la Providence. Dans les événe
ments de thermidor le succès a tenu à un fil : à l’état d’ivresse
du général Hanriot, et à l’indécision et à la lenteur de CoiTinhal.
Comme le disent les Mahométans, c’était écrit ! Les choses devaient
done arriver ainsi pour lo salut de tant de malheureux voués à une
mort certaine.
Il n’en est pas moins vrai de dire que si Robespierre n’a pas été
le roi de la Terreur, comme on se plaisait déjà à le nommer, ce
n’est pas que les encouragements lui aient manqué. Nous allons
citer quelques-unes de ces plates adulations qui devaient bien le
surprendre lui-même, et lui faisaient oublier des lettres anonymes
remplies de menaces qu'on lui adressait journellement, et qui
ne laissaient pas, dit-on, que de le préoccuper. Voici un échan
tillon de l’encens qu’ou brûlait sur l’autel du nouveau Dieu •
Besson, président de la société populaire de Manosque, lui disait
dans une lettre ; « Toi qui éclaires l’univers par tes écrits, saisis
d'effroi les tyrans, et rassures le cœur de tous les peuples, tu rem
plis le monde de la renommée ; tes principes sont ceux de la na
ture ; ton langage, celui de 1 humanité ; et fécond créateur, tu régé
nères ici-bas le genre humain. »
Le citoyen J ..... lui écrivait : « Béni soit Robespierre, digne
imitateur de Brutus. La couronne et le triomphe vous sont dus et
ils vous seront déférés, en attendant que l’encens civique fume
devant l’autel que nous vous élèverons et que la postérité honorera
tant que les hommes connaîtront le prix de la liberté. »
Sl-Just avant d’être son collègue était déjà son admirateur
enthousiaste. 11 lui écrivait de Blérancourt, en 1790 ; « Vous qui
soutenez la patrie contre le torrent du despotisme et de l’intrigue,
vous que je ne connais que comme Dieu, par des merveilles... je
ne vous connais pas, mais vous êtes un grand homme. Vous n’êles pas seulement le député d’une province, vous êtes celui de la
République et de l lmmanité. »
« Salas et honor ! Salut à l’incorruptible Robespierre ! lui écri
vait la société «le Caen. Ce nom qui fait ta gloire, et qui porte l’ef»
�—
144
—
froi dans l’Ame des tyrans, sera le mol d’ordre qui nous ralliera
pour les coruballrc. »
Une adresse de Vcsoul : « Citoyen, vous respirez encore pour le
bonheur de voire pays, en dépit des scélérats qui avaient juré votre
perte. Grâces immortelles en soient rendues à l’Être Suprême qui
veille sur vos jours ; il sait qu'ils sont précieux pour la patrie, et
veut que vous ne cessiez de lui consacrer vos travaux et vos veilles
que lorsque la liberté n’aura plus d’ennemis. Voilà votre tâche
écrite dans les livres du destin ; elle est digne de votre grande
âme. #
Une lettre de Tours : « Admirateur des talents du généreux Ro
bespierre... prêt h verser tout mon sang plutôt que de voir porter
atteinte à sa réputation. »
Le citoyen Brincourt : « Fondateur de la République, ô vous,
incorruptible Robespierre, qui couvrez son berceau de l’égide de
votre éloquence. »
Thorné, évêque constitutionnel de Bourges, lui écrivait : t Com
bien je serais heureux si je pouvais mériter le surnom de petit
Robespierre ! »
Un commissaire des guerres lui disait, dans un Mémoire : « Ro
bespierre, républicain vertueux et intègre, ferme appui et colonne
inébranlable de la République française une et indivisible, permets
aujourd’hui qu’un vrai citoyen, pénétré de tes sublimes principes
et rempli de la lecture de les illustres écrits ou respirent le patrio
tisme le plus pur, la morale la plus touchante et la plus profonde,
vienne à ton tribunal réclamer la justice qui fut toujours la vertu
innée de ton Ame. »
Cadillol lui écrit : « Quel sublime rapport ! combien il fait aimer
la République ! quelle profondeur de vues ! il n’appartient qu’à
quelques membres du comité de régénérer la France. Restez, résis
tez aux intrigues, et écartez de vous ceux qui n’en sont pas dignes.
Voilà le vœu d’un vrai républicain. Vous embrassez tout, divinité,
politique, agriculture, commerce. » Plus loin il y a cependant quel
ques vues sages et humanitaires.
Un ancien employé le félicitait sur l’inappréciable réputation
—
145
—
qu’il s’était faite par scs actions et ses écrits de vrai citoyen qui
réunit en lui et l’énergie d’un ancien Spartiate et d’un romain des
premiers temps de la République, et l’éloquence d’un athénien.
Un jeune homme de 87 ans, ainsi qu’il s’écrit lui-même, lui
dit : « Je vous regarde, citoyen, comme le messie que l’Ètre-suprême nous a promis pour réformer toute chose. » Il lui dit en
suite qu’il a remercié Dieu d’avoir sauvé ses jours.
Un membre du Directoire de Montpellier lui écrit : « La nature
vient de me donner un fils ; j’ai osé le charger du poids de ton
nom. Puisse-t-il être aussi cher à la patrie que toi. »
Un ancien maire de Vermanton : « Je me suis dit à moi-même:
Robespierre a toujours été et sera regardé dans les siècles futurs
comme la pierre de l'angle du superbe édifice de notre constitu
tion... Plaise à Dieu que pour finir ton ouvrage tu ne confies qu’à
Loi-même l’exécution de ton plan et de les desseins. »
Le citoyen Niveau lui écrivait d’Amsterdam : « Encore quelques
têtes à bas et la dictature vous est dévolue, car nous reconnaissons
avec vous qu’il faut un maître aux français; »
Tandis qu’un habitant de Sl-Aignan le rassure sur les tentatives
des assassins en lui disant que l’Étre-Suprêmc, dont il vient de
prouver l’existence, veille sur ses jours.
Un citoyen d’Amiens lui donne des conseils pour se soustraire
au danger, non par crainte, mais par la nécessité de consa'ver à la
patrie son plus ferme soutien. Il lui demande ensuite un rendezvous pour rassasier ses yeux et son cœur de ses traits, afin que,
l’âme électrisée de toutes scs vertus républicaines, il puisse rem
porter chez lui de ce feu sacré dont il embrase tous les bons répu
blicains. « Tes écrits le respirent, dit-il en terminant, et je m’en
nourris. »
Un écrivain lui témoigne son admiration pour sa conduite poli
tique et ses beaux discours prononcés à la Convention, qui lui
avaient inspiré une si tendre estime pour sa personne, qu’il ne
pouvait résister au plaisir de la lui témoigner. Il ajoute qu’il est
aussi aimable par son caractère, qu’il lui parait admirable par son
10
�—
talent. 11 termine en exprimant le désir de faire avec ses vertus la
connaissance qu’il n'a faite qu’avec son talent.
Pcvs et Rompillon, qu’on appelait les élus de Robespierre, écri
v it à celui-ci de Sl-Calais : « Colonne de la République, protec
teur des patriotes, génie incorruptible, montagnard éclairé, qui
vois tout, prévois tout, déjoues tout, et qu’on ne peut tromper ni
séduire, c’est à toi, homme éloquent et vraiment philosophe, que
s’adressent deux hommes qui, sans, avoir ton génie, possèdent ton
Ame tout entière. »
Dans sa lettre du 13 floréal an II, Lavigne, secrétaire de Maignet, lui disait : «... Plusieurs fois, citoyen représentant, tes lumiè
res, ton énergie et ta mAle éloquence ont sauvé la liberté. »
Un ingénieur: « La patrie, la nature et la divinité te donnent
une triple couronne. »
Un astronome : « L’estime que j’avais pour toi dès l’Assemblée
constituante, me fit le placer au ciel à côté d’Andromède dans un
projet de monument sidéral que je proposai pour immortaliser no
tre Révolution. »
M. de Weiss, bailly de Mondon, lui disait que la vaste étendue
<le ses occupations était au-dessus de la capacité des hommes.
Mais ce n’étaient pas seulement les hommes qui parlaient de la
sorte ; quelques femmes aussi s’étaient engouées de lui : l'une van
tait son génie ; l’autre, son éloquence ; celle-là, ses vertus.
La femme Chalabre lui écrivait : Non, je ne trouve pas d’expres
sion qui puisse rendre à l’inimitable Robespierre la surprise, l’émolion que m’a causées la lecture de son intéressant et utile dis
cours dans la dernière révolution de Paris. »
La même lui disait une autre fois : * Patriote ami, je sèche d’im
patience dans l’attente de votre discours, que mille incidents ont
reculé. »
La sœur de l’illustre orateur, la citoyenne Riquelti, lui écrivait :
« Non, je ne te quitterai jamais ; j’aurai des vertus en suivant tes
conseils et tes exemples... lu es un aigle qui plane dans les airs;
ton esprit, ton cœur, sont si séduisants ! »
147
Des dévotes montagnardes récitaient des litanies en l’honneur
de Robespierre. Catherine Théot l’annonçait comme le fils de l’Ê
tre Suprême, le Verbe éternel, le Rédempteur du genre humain, le
Messie annoncé par les pruphèles. Trois jeunes filles, qu’on appe
laient l’Éclaireuse, la Chanteuse, la Colombe, servaient de prêtres
ses et assistaient la prophélesse. Vadier fait mention des sept bai
sers que les adeptes donnaient à la mère de Dieu.
Unfranglaise, miss Thuman Seplien, se distinguait aussi par ses
adulations (G7).
Nous nous arrêterons-là dans des citations, déjà trop multipliées,
mais qui nous démontrent que ce n’était point un homme ordinaire
que celui qui exerçait une telle fascination sur la France entière,
et nous terminerons par un trait qui résume tout, en rappelant
qu'un membre du comité de surveillance d’Orange, un jour qu’il
présidait la société, avait défendu de se moucher et de cracher
pendant qu’il lisait un discours de Robespierre. N elait-ce pas là
du véritable fétichisme?
Telles étaient les louanges par lesquelles on cherchait à célébrer
sa puissance et sa vertu. Devons-nous en être surpris ? Comme
nous l’avons dit de Maignet, quel est l’homme influent qui n’a pas
ses flatteurs? Marat avait les siens ; et si l’on fouillait dans les pa
piers laissés par Jourdan coupe-tête, peut-être trouverait-on des
lettres de personnes haut placées qui sollicitaient sa bienveillance
et sa protection.
Au surplus, ce n’est pas seulement au temps de sa puissance que
Robespierre a trouvé dos admirateurs; il a eu des panégyristes
aussi après sa mort. Des écrivains, à différentes époques, ont cher
ché à réhabiliter sa mémoire et son système de gouvernement.
Sans parler de ceux qui, dans les commotions politiques, ont invo
qué son nom comme un symbole, nous pouvons citer un rédacteur
de la Pelile Presse qui, le l i novembre 1869, pendant des temps
calmes, affirmait que les tribunaux révolutionnaires suivaient les
mêmes formes que les autres tribunaux. Ce n’est pas tout: il dit.
deux jours après, dans le même journal, que Tallien. pour avoir
�—
renversé l’ordre existant sous la Terreur, avait éprouvé le premier
châtiment de la part qu'il avait prise à la chute de Robespierre.
A la première assertion nous opposerons les instructions de Maignet pendant sa mission dans les départements méridionaux ; quant
à la seconde, nous demanderons simplement si Ton doit regretter
la révolution du 9 thermidor quand elle a renversé les commis
sions populaires qui envoyaient journellement tant de victimes à
l’échafaud?
Et puis écrivez l'histoire avec de tels matériaux !
XXI
Nous n’avons pas craint, pour nous conformer à la vérité histo
rique, de donner quelques développements au récit des actes de
cruauté qui peignent cette période de la Révolution. Nous allons
maintenant rapporter des traits qui reposent l’Ame au milieu de
toutes ces poignantes émotions.
Deux ecclésiastiques, dont l’un était l’abbé Berlhout, avaient
trouvé un asile chez M. Pierre Deloye, l’un des hommes les plus
marquants de Sérignan par sa position sociale et la juste considé
ration dont il était entouré. Son fils le plus jeune, remplaçant l’aî
né, qui se trouvait renfermé dans la prison du Cirque, à Orange,
leur tenait compagnie dans une cachette pratiquée, avec beaucoup
d’habileté, dans les combles de l’habitation. M,nc Deloye et les au
tres enfants, qui étaient aussi dans le secret, connaissant le carac
tère très-impressionnable du chef de famille, avait cru devoir lui
faire un mystère de celte pieuse action, dans la crainte que son
émotion ne le trahît pendant les visites domiciliaires qu’on venait
faire souvent chez lui. La surdité dont il était atteint prêtait par
faitement à celte ruse. Du reste, la précaution n’était pas inutile,
car, malgré les soins qu’on prenait de cacher la vérité, il en trans
pirait toujours quelque chose, bien que les pauvres proscrits rais-
149
—
sent la plus grande prudence dans les visites que, dans leur saint
zèle, ils allaient faire à quelques malades. Mais quand les agents
de l’autorité croyaient devoir faire des recherches, M. Deloye, qui
ne savait rien, les conduisait dans les moindres recoins de la mai
son, les engageant toujours à mieux fouiller encore ; ce qui fit dire,
un jour, à l’un d’eux : Je crois que le bon papa se... moque de
nous!
Sur ces entrefaites Mmc Deloye tombe malade ; et son étal s’ag
gravant subitement, elle demande qu'on lui amène un confesseur.
Son mari, religieux comme elle, donne des ordres en conséquen
ce. quoique persuadé de l’inutilité de cette démarche. Mais quelle
n'est pas sa surprise lorsqu’il voit arriver peu après un des deux
prêtres cachés, A son insu, dans la maison, et qui assiste sa fem
me jusqu'à sa mort. Les vœux du bon vieillard sont comblés -, et
ignorant comment tout s’est passé, il reconnaît dans cet événement
une intervention divine, dont il marque sa reconnaissance par des
actions de grâces qu'il adresse au ciel dans une prière écrite en
suite et conservée religieusement dans la famille... N'élait-ce pas
déjà un miracle pour les honnêtes gens que d’échapper au fer des
bourreaux ?
L'anecdote suivante est racontée de deux façons, soit qu il y ait
confusion, soit qu’elle ait réellement eu lieu dans l’une et l’autre
circonstance. Commençons par le récit de d’Alissac, que confirment
d'autres écrivains.
Mmc de Chaussandc, née de Baroncelli-Javon, et sa fille, Mlle Hen
riette de Chaussande, étaient en prison. Antoine Paquet, l’exécu
teur des arrêts criminels, épris de la rare beauté de celle-ci, lui pro
pose de la sauver. — Comment cela, lui demande-t-elle?— En con
sentant à devenir ma femme, répond-il. A ces mots elle éprouve une
émotion facile à comprendre. Mais puisant dans son amour filial une
inspiration sublime, elle lui dit : En vous épousant, ma mère serat-elle mise aussi en liberté ? — Non, réplique-t-il, je ne puis sauver
que \ous. Alors, fait-elle, n’en parlons plus. Et la pauvre martyre
préfère mourir avec sa mère que de l'abandonner.
�—
150
—
Dans la famille de eetle noble victime on conserve une tradition,
d’après laquelle, voulant échapper h la rage du bourreau, qui, pour
se venger de son refus, la menaçait de la donner, au moment de
l'exécution, en spectacle au peuple, privée d'une partie de scs vête
ments, elle use d’un stratagème héroïque, qui impose même à eel
homme de sang. Mais faute de preuves authentiques nous ne pou
vons rapporter celle particularité, bien que l’exemple des religieu
ses du couvent de St-Sauveur, à Marseille, qui se mutilent et se
défigurent d'une manière affreuse pour échapper aux insultes des
Sarrasins, maîtres de la ville, nous montre la force que donne le
ciel à ceux qui l'implorent. Nous dirons seulement que le bour
reau, voyant qu’elle avait coupé sa belle chevelure, lui reprocha
brutalement de l’avoir privé d’une dépouille qui lui appartenait.
Voici l’autre version que nous tenons de M. le marquis de Seguins-Vassieux, qui, d’après des renseignements puisés à une bonne
source, attribue cette aventure à un jeune officier. Celui-ci ayant
fait à Mlle de Chaussande la demande de sa main, en disant qu’il
n’avait besoin, pour réussir, que de la mettre cil réquisition, elle
oppose un refus plein de délicatesse, et répond, en voyant qu’elle
ne peut soustraire sa mère à la mort, qu’elle veut partager son
sort.
Peut-être trouvera-t-on étrange qu'un officier ail cru pouvoir
soustraire la femme qu’il épousait au jugement dont elle était me
nacée. Pour répondre à cette objection il suffit de se rappeler
qu’alors les formes de la justice étaient rarement observées, et
que l’homme au pouvoir, au temps du bon plaisir de la démocra
tie, ne connaissant d’autre loi que sa volonté, pouvait dire com
me ce personnage d’une comédie de Piaule :
Sic volo, sic jubco, sit pro ratione voluntas.
Du reste, celte proposition n’a rien d’invraisemblable, carXougaret rapporte qu’un officier, à Lyon, avait sauvé la vie d’une
jeune personne condamnée à mort en l’épousant.
Ces deux versions, (pii varient dans les détails, s’accordent
pour le fond. D’ailleurs une double démarche de ce genre a pu se
produire. Toutefois, nous croyons devoir aller au-devant d’une
—
151
—
ditlieulté qui se présente. On voit sur son passeport, en date du 30
fructidor, an II (68), qu’Antoine Paquet voyageait avec son aide
et sa femme, et que par conséquent il n’était pas libre alors. Il
est facile de répondre qu’il avait pu se marier dans l’intervalle
du temps écoulé entre la proposition faite à la malheureuse pri
sonnière et la délivrance de son passeport ; ou que s’il était alors
établi, il avait l’enlention de divorcer pour contracter cette union.
Nous considérons donc cet acte admirable de dévoument comme
incontestable, tant par la garantie qu'il présente d’après l’assertion
d’écrivains judicieux, que par celle qu’on trouve dans les souve
nirs de la tradition locale.
Les mémoires de cette époque font mention d’un fait qui n'est
pas sans analogie avec celui que nous venons de raconter, mais
dans lequel le bourreau montre une sensibilité qui devait faire
rougir les juges. M. le marquis de Laincel rapporte, dans son
Voyage humouristique, d'après une pièce authentique qu'il a eue
entre les mains, que Figon, exécuteur des arrêts criminels il Mar
seille, fut traduit devant le tribunal révolutionnaire des Bouchesdu-Rhône par Lazary Giraud, accusateur public, et exécuté le 1A
janvier 1703, pour avoir, sur l’échafaud, laissé voir dans ses yeux
une larme de pitié au moment où la tête d'uuc jeune fille allait
tomber. C’est que dans ce temps où le mot fraternité était écrit
partout, il fallait bien se garder de montrer la moindre commisé
ration pour ceux qu’on martyrisait !
On trouve un autre trait de piété filiale chez une jeune personne
âgée de douze ans, appartenant à l’une des familles les plus dis
tinguées de France. Nous transcrivons ces quelques lignes, consa
crées par M. le marquis de Seguins à la mémoire d'une mère vé
nérée et à de précieux souvenirs sur un vaillant officier, qui eut
le bonheur de se soustraire à la justice des démagogues :
« Mlle de Cohorn. dit-il, avait été témoin des dernières splen
deurs de la cour de France ; ses souvenirs lui représentent encore
aujourd’hui le tableau de la famille royale réunie tout entière, et
les jeux du Dauphin dans le jardin réservé. De même elle devait
�153
assister au convoi de la monarchie et traverser toutes les crises de
la Terreur. Le baron de Cohorn. ancien ofïîcier de marine, qui
avait exposé sa vie le 10 août, pour son roi, cl n’avait échappé
que par miracle aux massacres de septembre, contraint de se
cacher pour sauver sa tête, erra en Dauphiné et en Languedoc1,'
puis crut pouvoir se retirer en sûreté dans son pays natal.
Mais bientôt il fut incarcéré avec les suspects. C’est alors que la
jeune Flavic de Cahorn, sa tille, échappant à la surveillance de la
gouvernante dévouée qui lui tenait lieu de famille, quand elle voit
qu’elle ne peut obtenir par scs supplications la permission de re
joindre son père, avec un courage au-dessus de son Age, pénètre
jusqu’à lui, malgré les violences des gardes, et se voit condam
née à la réclusion, objet de ses vœux, pour avoir force la garde. »
La chute de Robespierre rendit à la liberté le noble vieillard et
son héroïque tille.
Cette histoire touchante, dont parle la Chronique de Montfavel
au sujet du tombeau du chef do la famille renfermé dans l’église,
acquiert un nouvel intérêt par une lettre fort remarquable de SilvioPellico, qui figure dans celte relation.
Une anecdote peu connue, dans laquelle Maignet apparaît d’a
bord comme un sauveur, ensuite comme un mauvais génie, est
celle qui concerne M. de L’Église. Ce dernier était détenu à Oran
ge. Ses deux jeunes fils se présentent devant le proconsul, un
jour qu’il se trouvait dans celle ville, pour demander la grAce de
leur père. Maignet les comble de caresses et s’engagea examiner
avec intérêt cette affaire. Mais sans tenir compte de cette pro
messe, et de celle qu’il leur avait faite de les recevoir plus tard,
il part; et deux jours après, le 5 messidor, l’exécution du malheu
reux prisonnier avait lieu. Que pouvait-on attendre d’un homme
qui non-seulement refuse à une jeune fille de dix-sept ans la vie.
de son père, mais la renvoie à Bédoin mourir avec lui C2G) ? Ces
jeunes gens, si intéressants par leur dévouement, rappellent les
Enfants d’Edouard devant le futur tyran de l’Angleterre.
M. le marquis de Seguins rapporte dans ses Mémoires le fait
—
suivant qu’on ne peut lire sans émotion. Laissons parler l'auteur.
« La ville de Carpenlras possédait un monastère de la Visita
tion, fondé en 1670 par le vénérable chanoine Paul d’Andrée,
secondé par la mère Françoise de Changy, qui avait reçu l’habit
de saint François de Sales.
* La Révolution expulsa les Religieuses , et cette maison de
retraite et de prières devint une prison où les suspects furent en
tassés. C’est là que venaient puiser les pourvoyeurs de l'échafaud
dressé en permanence à Orange. Deux frères s’y trouvèrent
écroués en même temps. Mathieu Maynard, père d’une nombreuse
famille, était pour Jean, son aîné, l’objet de la plus affectueuse
tendresse. Simples ouvriers, honnêtes, irréprochables, Jean était
chapelier, Mathieu maréchal-ferrant. Quel crime avaient-ils com
mis ? Ils avaient refusé de concourir au supplice du chevalier de
Bayet, pendu au balcon de l’Hôtel-de-Ville de Carpentras, dans
nue émeute.
« Le jour où le premier lut désigné pour aller à Orange, c'està-dire à la mort, ils se précipitèrent dans les bras l’un de l'autre
et s’embrassèrent avec des sanglots; puis, tandis que Mathieu re
commandait sa femme et ses enfants à son frère, celui-ci, qui sans
doute couvait dans son cœur une idée sublime, s’efforça de faire
comprendre à Mathieu qu’il avait mal entendu et que le nom
prononcé était celui de Pierre. Une lutte généreuse s'établit alors
outre eux. Mais il faut se hâter ; Pierre l’a compris il devance
son frère, offre de suite ses mains à lier, et on l'emmène avant
que l’on ail pu, au bas de l’escalier, distinguer les récriminations
déchirantes de Mathieu dévoilant l’erreur qui vient d’être commi
se -, et le lendemain, 8 thermidor, la tête du frère martyr tombait
sous la hache.
* Le père de famille, ainsi conservé à la vie, a élevé de nom
breux enfants, héritiers de ses vertus. #
Là finit le récit. La famille Maynard, nous a-t-on dit, existe à
Carpentras, où elle jouit de la considération que donne une si
noble et si sainte illustration.
�155
La citoyenne Menu, de Caderousse, se rendait tristement à
Orange, par une matinée de messidor, pour avoir des nouvelles de
son mari, qui venait d’être incarcéré. Elle suivait un chemin de
traverse, accompagnée de scs deux fils, dont l’un est mort .le 1"
novembre 1871. Arrivée au quartier des Mians, où elle avait une
terre, elle entend un roulement de tambour. Sachant qu’on an
nonçait ainsi l'exécution des malheureuses victimes, elle tombe à
genoux en disant : Mes enfants, prions pour celui qui vient de
mourir, c’est peut-être votre père ! Cependant elle a la force de
continuer sa marche, et arrive au cours St-Martin.
Les corps des suppliciés venaient d’être emportés dans la fatale
charrette, et déjà la foule, après avoir joui de l’affreux speclaclr
qu elle avait journellement sous les yeux, s’était écoulée. 11 ne
restait plus que l’exécuteur. Elle s’approche de lui en tremblant et
la mort dans le cœur pendant qu’il est occupé à laver les vêlements
ensanglantés, craignant de reconnaître ceux que portait son mari;
mais elle ne voit rien qui lui ait appartenu. Pleine d’espoir, car
un jour de gagné souvent peut sauver la vie, elle se dirige alors
vers la rue pour se rendre à l’hôtel de la Baronne. Mais comment
voir le pauvre détenu ? Le bonheur qui la suit lui fait rencontrer
son ancien valet de ferme, attaché actuellement à la prison. Ce
lui-ci la rassure aussitôt ; et pour ajouter à son bonheur, après
l’avoir fait cacher dans l’enfoncement d’une porte, il va prévenir
le mari, qui paraît à l’instant à la fenêtre. Ils échangent alors un
rapide regard où se peint tout ce que I Aine peut renfermer de bon
heur et d’espérance. André Menu échappa à la mort, n’ayant été
condamné qu’à six mois de détention.
On a vu que c’était avec un grand appareil que les victimes
étaient conduites au supplice. Un jour oïi le concours des curieux
était plus considérable que d'habitude, le char funèbre se trouve
arrêté dans sa marche. Les gendarmes, le sabre à la main, vont
en avant pour déblayer le terrain. Mais celte foule compacte a de
la peine à se dissiper. Pendant que les pauvres condamnés voient
d'un œil indifférent ce qui se passe autour d’eux et prennent à
peine part à cet incident," — celui-ci recommandant son Ame à
Dieu dans une fervente prière, celui-là donnant une larme, furtive
aux personnes aimées qu’il laisse sur la terre, — l'un d'entre eux.
homme jeune, énergique, à qui l’approche de la mort n’enlève
pas la présence d’esprit, se place avec adresse sur barrière de la
charrette. Voyant que personne ne fait attention à lui, il se laisse
glisser légèrement à terre, bien qu’il ait les mains liées, et de l’air
le plus tranquille s’éloigne, en se dirigeant vers une rue peu pas
sagère, presque déserte en ce moment. Après avoir fait quel
ques pas il s’appuie contre une maison, le dos tourné au mur,
comme s’il était fatigué, mais alin de cacher la fâcheuse position
où il se trouve, et attend le moment favorable pour se débarras
ser de ses liens. Il n’ose se confier au premier venu, et cherche
parmi les rares passants celui dont il pourra implorer l'assistan
ce. Voyant enlin venir à lui un homme à la ligure douce et sym
pathique, il lui dit : « Citoyen, rendez-moi un service ; j ’ai fait
une gageure à la légère qui aurait pu inc coûter cher -, j ’avais pa
rié d’aller jusqu’à l’échafaud en me glissant parmi les prisonniers,
et de revenir, ma tête sur les épaules, en disant que je n'apparte
nais pas à la fournée, sur laquelle mon nom d'ailleurs n’était pas
porté. Mais comme nous approchions de la place j’ai compris que
c’était une folie et je n'ai pas voulu persister dans cette dange
reuse épreuve. » 11 se retourne alors, et l'honnête passant, qu’il fût
sa dupe ou non, défait la corde qui retenait ses mains. Après
avoir remercié chaudement son libérateur, il s’échappe à la hâté,
sort de la ville, et marchant à travers champs, gagne le départe
ment de la Drôme, où il se cache quelque temps pour se faire ou
blier.
Celte évasion, qui a beaucoup de rapports avec celle de M. de
Chateaubrun, dont parle M. de Vaublanc dans ses Mémoires,
avec des circonstances à peu près semblables, ear le même dan
ger inspire le même expédient pour y échapper, peut être révo
quée en doute faute de preuves certaines à l'appui, malgré la ga
rantie que doit offrir le témoignage de la personne honorable à
laquelle no.us devons ces détails ; et cela par la difficulté qu’on
éprouve à croire que des condamnés, dont le nombre était compté.
�aient pu tromper la surveillance des hommes qui en répondaient
sur leur tête. A cette objection, toute spécieuse qu’elle paraît, la
réponse est facile. Observons que les jugements du lor messidor
au 17 thermidor, portent trois cents trente-deux condamnations
capitales, tandis que l’exécuteur des arrêts criminels n’en men
tionne que trois cent dix-huit devant le tribunal d'Avignon (69).
Le prisonnier dont nous parlons ne pouvait-il pas être au nom
bre de ceux qui avaient échappé miraculeusement à la mort, tout
en étant compris sur la liste des suppliciés ? On ne peut guère,
supposer que le bourreau se soit trompé dans son calcul ; et tout
porte à croire, au contraire, que si les gardiens se sont aperçus
de celte disparition, ils ont eu la prudence de se taire.
Mais voici la fin de cette singulière aventure. Quelques jours
après le fugitif éprouve le besoin de revoir sa famille, à qui il n’a
vait pas donné signe de vie, dans la crainte de la compromettre
et de s’exposer lui-même. 11 revient donc au toit conjugal nuitam
ment, pâle, exténué, couvert de vêlements en lambeaux. 11 frappe,
on lui ouvre, et sa femme, qui le croyait dans la fosse commune,
le prend pour un revenant et se sauve sans vouloir le reconnaître.
Enlin tout s’explique, et le bonheur revient dans la maison. Mais
sa résurrection fut tenue secrète jusqu’à la révolution thermido
rienne.
Un soldat réfractaire avait demandé du travail chez un proprié
taire d’une commune rurale, en lui cachant sa position. On dé
couvre la ruse. Le militaire s’enfuit , et peu de temps après le cul
tivateur est dénoncé et conduit à Avignon dans la prison du Pa
lais, ou plutôt du Fort, comme on l’appelait dans ce temps d’éga
lité où l’on voulait effacer tout ce qui rappelait l’ancien régime.
Il prévoyait déjà le sort qui lui était réservé, mais quelle est sa
surprise quand il se sent frapper sur l’épaule par un porte-clé,
qui lui dit à l’oreille de se cacher au fond de la salle et de se te
nir prêt à le suivre aussitôt que la nuit sera venue. Cet homme
était l'ancien soldat qu’il avait recueilli dans sa maison. Celui-ci,
après l’avoir fait passer au milieu des malheureux entassés pêle-
mêle, lui dit, en lui faisant franchir le seuil de la porte : Je suis
la cause de votre incarcération, et je vous rends à la liberté -, je
m’acquitte de mon mieux. Des évasions de ce genre étaient d’au
tant plus faciles, qu’avec la masse des prisonniers qu’on envoyait
parfois, comme on le vit à la suite des visites domiciliaires du
IG prairial, les registres des écrous ne pouvaient être tenus régu
lièrement.
Il survenait parfois des incidents comiques qui auraient pu prê
ter à rire, si tout alors n’avait pas tourné au tragique. Un homme,
poursuivi par des gardes nationaux, se sauve dans la campagne. Il
parvient d’abord à leur échapper. Mais on est sur ses traces, et
il sent qu’il est perdu s’il ne trouve pas une retraite avant que le
jour paraisse. Il s’avance vers une ferme, qu’il voit à peu de dis
tance. Les moments sont précieux; il entre sans faire de bruit,
monte un escalier et pénètre dans la première pièce qui se pré
sente. 11 se trouve alors dans une petite chambre où dormaient
deux lillettes de ce bon sommeil de la jeunesse. Il prend la coiffe
de l’une d’elles et se met sans façon sous la couverture. On fait
des recherches dans toute la maison, mais on ne songe pas à
troubler le repos des petites dormeuses. Si ces hommes avaient
mis plus de persistance, quelle eût été leur surprise à la vue de cc
travestissement, à une époque où la femme à barbe n'était pas
encore connue ? Heureusement ils s’arrêtèrent à temps, et par ce
stratagème notre homme fut sauvé.
Des faits de cc genre où l’on voit la ruse et la présence d'es
prit suppléer à la force, s’ils n’offrent pas un intérêt réel, ont du
moins l’avantage de faire connaître les mœurs de celle époque
dans les événements les plus ordinaires, comme dans les circons
tances les plus critiques. Nous allons citer deux anecdotes fort
connues dans le département de l’Ardèche, à l’appui de ce que
nous disons.%
La ville de Joyeuse, comme les plus petites Communes, avait
son club. Le président, homme paisible, qui n’avait accepté ces
fondions que par le désir d’empêcher le mal, apprend qu'on doit
faire, à la prochaine séance, une motion incendiaire. Ce bruit avait
�159
—
Circulé, et tout le monde voulait voir les débuts oratoires du ci
toyen que.nous appellerons X., l’un des apôtres les plus fervents
de la Révolution. En un instant la salle est comble. L'orateur,
dès son arrivée, demande la parole. Il monte aussitôt à la tribu
ne, qui n’était autre que la chaire à prêcher, car la réunion avait
lieu dans l’église paroissiale. Mais à peine installé aux rostres,
le nouveau Gracchus, voyant celle nombreuse Assemblée qui a les
yeux fixés sur lui, perd la tête, et sans prononcer un seul mot,
descend de la tribune, fend la foule et s’échappe. Un des frères
et amis, voyant cette déconvenue, pour l'honneur du sans-culottisme, veut reprendre la motion, et dit : Citoyen-président, je le
demande la parole. Celui-ci lui répond avec le plus grand sérieux :
Citoyen, je ne puis te la donner ; tu as vu que je l’avais accordée
au préopinant, qui l’a emportée !... Les uns trouvent la réponse
péremptoire -, les autres se contentent de rire, et qui rit est désar
mé. Pour la tranquillité de ceux qu’on allait attaquer, la motion
reste donc en chemin.
Dans le même district un poète démocrate avait fait une chan
son qui enseignait la manière de se débarrasser des contre-révolu
tionnaires. Le refrain, si notre mémoire est fidèle, était :
Des quiproquos de ce genre devaient se produire souvent. Proussinaille raconte que Dupaumier, administrateur de la police à Pa
ris, entre un jour dans la chambre d’un prisonnier qui lisait. Ne
pouvant s’assurer de l’ouvrage qu’il a entre les mains, étant illettré,
il lui demande : Qu’esl-ce que tu fais-là ? — Vous le voyez. — Ce
n’est pas ainsi qu’il faut répondre. — Je lis. — Vais encore, quoi ? le
prisonnier lui présente le livre. Le visiteur, ne voulant pas avouer
son ignorance, lui dit : Tu es un insolent, réponds-moi, f.....
sans cela ces b.....-là sont si insolents, qu'on aura bien de la
peine à venir à bout d’eux. — Je lis Montagne. — Oh ! puisque
c’est la Montagne, continue ; voilà ce qu’il faut, f..... ! un livre
fait par la Montagne ! bravo !
À Lyon, au tribunal, on demande à un accusé : Aimes-tu l’ar
gent ? — Comme vous. — As-tu porté les armes pendant le siè
ge ? — Comme vous. — Es-tu bon patriote ? — Comme vous.
Il fut acquitté.
On le voit, le besoin de se soustraire à cette force brutale, qu’il
était difficile d’attaquer de front avec l’apparence de l’égalit é dont
elle était entourée, inspirait des stratagèmes, souvent couronnés
de succès. En voici d’autres exemples :
Allons, fidèles sans culottes,
Chantons gaiment le ça ira,
Guerre à mort aux faux patriotes ,
Et tuez-moi ces pigeons-là !...
Le docteur Mercurin, à qui la ville de St-Reiny doit l’établisse
ment du bel hospice de St-Paul, avait été mis au nombre des sus
pects, ainsi que d'autres personnes honorables de cette ville, par
mi lesquelles on peut citer M. G***, avocat distingué. Chacun dut
songer à se mettre en sûreté, car alors un simple soupçon d'in
civisme pouvait conduire à la mort. M. G*** se rend à Paris. Là, ca
ché dans une imprimerie, partageant les travaux des typographes, il
parvient à se soustraire au péril qui le menace, malgré le mauvais
vouloir d’uli conventionnel, son compatriote, qui voulait le faire
incarcérer, et dont il s’est vengé en lui pardonnant la mauvaise
action qu’il méditait.
Quant au docteur, il émigre en Espagne. Mais bientôt à bout
de ressources, il rentre en France en cachant son nom. et s’établit
Un honnête républicain, ami de ceux qu’on désignait ainsi à la
fureur populaire, se met à tirer des coups de fusil à tort et à
travers sur tous les pigeons qu’il voit dans les champs. Quand on
lui demande le motif de celle chasse acharnée il répond qu’il veut
faire ce que conseille la chanson. Son exemple entraîne les déma
gogues, et bientôt on ne voit plus un seul pigeon dans la campa
gne. Les innocents volatiles avaient peut-être sauvé la vie à un
grand nombre de propriétaires de colombiers.
En temps de révolution un mot vous perd, un mot vous sauve.
�—
160
-
sur la frontière, où par son travail il pourvoit largement à son en»
tretien.
Or, à cette époque, les comités révolutionnaires exerçaient une
surveillance active jusques dans les moindres Communes de la
République. M. Mercurin ne larde pas à être dénoncé. L’agent
national décide qu’il sera traduit à Orange, où il pourra établir
son identité. Toutefois on lui accorde, par faveur spéciale et à
cause de sa santé, la permission de faire le trajet en voiture, ac
compagné de deux gendarmes.
On se met en route. Les premiers moments passés, grâce à son
air résigné et à quelques libéralités faites à propos, il inspire une
entière confiance à ses conducteurs, évitant, par la réserve qu’il
met dans ses paroles et dans ses actions, de donner l’éveil sur un
plan d’évasion qu’il a conçu.
Dès la seconde journée il se plaint d’un dérangement d’esto
mac, qui l’oblige à s’arrêter souvent, indisposition simulée, à la
quelle il donne les apparences de la réalité au moyen de légers
drastiques qu’il prend sans qu’on s’en aperçoive.
On arrive ainsi à Tarascon, où le convoi passe le Rhône. On
avance encore, en se dirigeant sur Avignon et Orange, où devait
se terminer le voyage.
Auprès de St-Remy, M. Mercurin, qui a tout préparé pour celle
tentative, simule un mal plus violent encore, et se tord dans les
douleurs jusqu’au moment où, se trouvant dans un lieu inhabité,
auprès d'un pont établi sur un large fossé, fait arrêter le véhicule
et en descend précipitamment, malgré une pluie qui tombait par
torrents. Dans son empressement, que semble lui commander l’im
périeuse loi de la nécessité, il ne prend pas même son chapeau,
et laisse le vêlement dans lequel se trouve son argent, qu’ilasoiu
de faire tinter bruyamment, dans la précipitation qu’il met à sor
tir. Les gendarmes, accoutumés à ces différents temps d’arrêt, re
marquent à peine que celle absence est d’une plus longue durée
qu’à l’ordinaire. Les effets, d’ailleurs, qu’il a laissés en gage, sont
pour eux un sujet de sécurité. Néanmoins comme cet étal se pro
longe, le plus ancien dit à son subordonné : Va donc voir ce qu’il
— 161 —
devient. Celui-ci, qui n’a pas l’obéissance passive du célèbre
Pandore, décline l’obligation d’une telle mission par l’orage qu’il
fait.
En attendant le temps s’écoule. De guerre lasse, ils se déci
dent enfin à connaître la vérité. Ils vont sous la voûte du pont où
le pauvre malade est entré. Déception ! ils ne le trouvent pas ; et
ils ont beau appeler, personne ne répond à leurs voix. Reconnais
sant alors qu’ils ont été joués, ils prennent un parti fort sage,
que n’eût point désavoué le plus fin diplomate : ils vont faire leur
rapport à l’autorité, eu disant que le prisonnier, pour éviter l’é
chafaud, s’est noyé au passage du Rhône ; et fournissent, comme
preuves à l’appui de ce fait, son habit, son chapeau et sans doute
sa bourse aussi.
Pendant ce temps le fugitif a fait bien du chemin. Connaissant
la localité, il n’a pas de peine à gagner, à travers les bois, la de
meure de braves campagnards qu’il a souvent obligés. Il arrive
chez un pauvre homme, qui lui offre de grand cœur l’hospitalité.
Là il est à l’abri des recherches, mais il trouve à peine le néces
saire. Pour le mieux cacher on le loge dans un petit grenier.
Quant à la nourriture, il doit se contenter du frugal ordinaire de
ses hôtes, car il serait imprudent d’aller aux provisions.
Il était dans ce misérable taudis depuis trois mois, quand un
jour il voit sur un fragment de journal, qui enveloppait un mor
ceau de fromage qu’on lui offrait pour régal, des nouvelles qui lui
paraissent étranges. En effet il lit : Révolution du 9 thermidor...
Chute de Robespierre... Exécution du tyran et de ses partisans...
A l’instant il frappe sur le plancher, appelle les bons villageois,
qui ne se rendaient pas compte de ces événements, tant alors les
commotions politiques étaient fréquentes. Il se fait ouvrir la porte
de sa cachette, et va de suite à la découverte des nouvelles. Il
apprend dans tous ses détails le changement survenu dans le gou
vernement, et se réjouit, avec ses amis, d'un nouvel ordre de cho
ses qui leur fait espérer le bonheur et la tranquillité.
Telle fut la petite odyssée du docteur Mercurin, qu’il racontait
volontiers lui-même, moitié en français, moitié dans la langue
�— 162 —
poétique de nos félibres, toujours avec sa verve méridionale où
l'esprit, la gaîté, s’unissaient à la science et h l’érudition.
On put dire aussi de lui : Encore un de sauvé miraculeusement !
Uu ami» dont le témoignage ne peut être contesté, nous a ra
conté, au sujet de cet établissement justement renommé, uneanecdole qui trouve ici sa place, puisqu’elle concerne une de nos célé
brités révolutionnaires.
L’administrateur supérieur des Bouches-du-Rhône sous le Con
sulat, pour mieux connaître le département qu’il venait adminis
trer, voulut le visiter sans se faire annoncer et presque incognito,
comme les anciens monarques orientaux qui cherchaient à tout
voir par eux-mêmes. Il arrive à St-Remy, pénètre dans l’hôpital,
et pendant que son secrétaire va prévenir le chef de l’établissement,
il entre dans une cour, presque déserte en ce moment. Il y trouve
seulement un des pensionnaires, grand, bel homme, qu’il aborde
en lui demandant comment il se trouve, et s’il est content des soins
qu'on lui donne. — De quel droit, lui répond-il, en se redressant et
le regardant d’un air hautain, m’interrogez-vous ? — Du droitque me
donnent mes fonctions, réplique-t-il, car je suis le préfet. — Ah !
vous êtes M. T*'*, fait-il alors, je vous connais ; et il ajoute im
médiatement, d’un ton impératif : Chapeau bas! Le haut fonction
naire, comprenant qu’il a affaire h un fou, qui peut se porter à la
dernière extrémité, se découvre aussitôt, A peine a-t-il accédé à
cette demande, que son redoutable interlocuteur lui dit, d’un tou
qui ne souffre pas de refus : A genoux ! Ne voyant personne dont
il puisse réclamer le secours, il doit se conformer à cette nouvelle
injonction, pour éviter quelque acte de fureur du pauvre insensé,
(/est bien , dit alors celui-ci ; c’est la posture qui convient à
l’homme qui a fait périr son roi ! Et il lui tourne le dos.
Revenons à notre sujet, dont cet épisode nous a éloigné mo
mentanément.
Mais ce n’était pas uniquement par l’adresse qu’on cherchait il
échapper à la guillotine. Un propriétaire établi sur les bords du
163 —
Rhône, grand chasseur devant le Seigneur, reçoit un jour la visite
du maire de sa commune, qui lui dit : Citoyen, on vous a dénoncé
comme contre-révolutionnaire. Si vous ne faites pas quelque dé
monstration civique, je me verrai forcé de vous signaler à l’accu
sateur public, qui, par une circulaire récente, nous ordonne les
mesures les plus promptes et les plus sévères. — Citoyen maire, lui
répond celui-ci, je ne cherche pas à contrarier le gouvernement,
contre lequel d’ailleurs des efforts isolés seraient impuissants. Vi
vant tranquillement, je n’entends pas m’astreindre à fréquenter les
clubs et les réunions publiques. Voici mon dernier mot, et je suis
homme de parole : Si l’on ne me tracasse pas, je vivrai paisible
comme je l’ai fait jusqu’ici ; si, au contraire, on vient m’arrêter,
les premiers qui se présenteront, tomberont sous les balles de mon
fusil. Je ne les manquerai pas, car, vous le savez, je suis bon ti
reur. Réfléchissez !... — Ma réflexion est toute faite, réplique le ma
gistrat municipal, qui peut-être n’aurait pas voulu être chargé
d’une semblable arrestation ; montrez-vous le moins possible, et
je vais vous porter sur la liste des émigrés. Quant au séquestre
des biens, nous le retarderons autant que possible. Ainsi dit,
ainsi fait. Par cette détermination énergique, notre Nemrod con
tinua tranquillement ses exercices cynégétiques pendant que l’o
rage de la Terreur grondait autour de lui.
Les opprimés savaient prendre parfois les mesures les plus éner
giques, sinon les plus légales. Mais alors c’était le règne de la
force.
M. de R***, ayant appris qu’un habitant de Laudun devait se
rendre au chef-lieu du district pour l’adjudication de sa propriété,
mise en vente pour cause d’émigration, se poste sur son passage,
armé de son fusil, et après l’avoir mis en joue, lui dit : Je sais
pourquoi tu vas à Bagnols ! Retourne chez loi ! Le futur acqué
reur, qui connaissait le caractère décidé du châtelain, prend le
parti le plus sage, et rebrousse chemin. Le bien ne fut pas vendu.
D’autres fois les choses se passaient d’une manière plus tragi
que ; et ceux qui avaient h souffrir des exactions et de la tyrannie
de leurs ennemis, ne se contentant pas d’user de force d'inertie.
�—
164
—
imitaient leurs actes de cruauté. Dans la commune de Gordes,
des membres de la société de surveillance opprimaient sans pitié
quelques-uns de leurs concitoyens. Pour mettre fin à cet état de
choses, ceux-ci portent plainte à l’autorité. Le parti de Robes
pierre alors dominant, qui , tout sanguinaire qu'il était, tenait à se
montrer sévère et incorruptible en ce qui touchait aux concus
sions, fait appréhender les accusés et donne ordre de les conduire
à Apt. Leurs parents et leurs amis, prévoyant les conséquences
d’une telle mesure, parviennent, par leur influence dans le pays,
à séduire les gendarmes chargés de les conduire, lesquels promet
tent de les laisser échapper pendant le trajet. Les gens sortis à
peine de l’oppression sous laquelle ils gémissaient, prévenus de
ces dispositions de la force armée, et voyant par cette évasion
leur tranquillité troublée de nouveau, et peut-être leur vie compro
mise, pour se soustraire à un danger qu’il leur sera difficile d’é
viter, se concertent, et se rendent secrètement en armes sur le
chemin que doit suivre le détachement. Arrivés au lieu appelé
vallon de Véroncle, qui sert de lit à un torrent, ils attendent les
prisonniers, et après avoir fait feu sur eux, prennent la fuite.
L’un des assaillants, pendant que les gendarmes vont chercher du
secours, revient sur ses pas pour visiter le champ du meurtre. Il
trouve des cadavres étendus par terre, et entend derrière un mur
la voix suppliante d’un blessé qui demande un verre d’eau. Il s’ap
proche, et qui voit-il ? Son mortel ennemi ! Il n’a pas la généro
sité de lui faire grâce ; et incapable de résister à un sentiment de
vengeance il l’achève d’un coup de feu. Cet acte, qu’on doit flé
trir énergiquement, malgré la conduite de ceux qui en furent les
victimes, eut un grand retentissement dans le pays et fil donner
le nom de Véronelade aux expéditions de ce genre. Déplorable
effet de la guerre civile, ou, quand l’autorité est impuissante à
maintenir l’ordre, on croit avoir le droit de se faire justice soimême.
Dans ces temps de troubles, les patriotes les plus exaltés ne
laissaient pas que d’avoir des craintes relativement aux gens de
leur parti. Un citoyen, dont les biens étaient sous le. séquestre
comme émigré, va trouver Minvielle. avec une lettre d'un de ses
amis, afin d’obtenir son appui pour rentrer dans ses droits. Celuici le reçoit bien, et lui fait cette simple réponse : « Vous m’êtes
chaudement recommandé et je dois vous parler franchement.
Voulez-vous un bon conseil ? Cachez-vous et faites le mort jus
qu’à ce que ce moment d’efiervescence soit passé; car nous som
mes à une époque où l’on n’est sûr de rien, et où chacun peut
trembler pour sa vie. »
Au plus fort de la Terreur on a vu des hommes généreux s'ex
poser aux plus grands dangers pour sauver leurs semblables. L’his
toire a consacré la noble conduite de l’acteur Gouville, qui, à
Nantes, délivra quatre cents prêtres prisonniers, qu’on voulait
égorger en amenant une émeute, et les fit embarquer pour l'Espagne.
L'abbé Boussier, curé de Notre-Dame, à Orange, avait dû par
la fuite se soustraire il la mort. Où s’étail-il réfugié ? On l’igno
rait. Si quelques personnes connaissaient sa retraite, le secret était
bien gardé, car l'autorité faisait vainement des recherches. Ses
amis agissaient avec une extrême prudence ; et les condamnés à
mort apprenaient seulement, quand ils allaient au supplice, qu'un
ministre de. Dieu leur donnait l’absolution in extremis. Cette pen
sée soutenait leur courage au moment de supporter cette suprême
épreuve. Ce saint prêtre n’était autre que le curé Boussier, caché
dans une maison sur le cours, au coin de la rue de Tourre. où du
haut d’une fenêtre et derrière un rideau qui le dérobait à la vue.
il pouvait exercer son pieux ministère.
Il y avait dans cette ville un homme connu par son dévoûment
à la République. Il avait fondé l’esprit public dans sa commune
organisé les sociétés populaires à Orange et à Carpentras. Voyant
la patrie en danger, il avait déposé l’écharpe tricolore pour voler
vers nos frontières. A son retour, pour utiliser ses connaissances
militaires, il avait formé un bataillon de jeunes élèves révolution
naires. Croyant avoir payé son tribut au pays, il avait repris son
ancien état, celui de boulanger. Mais il ne laissait pas pour cela
que de s’occuper de la chose publique.
Cependant, malgré toutes ces preuves de patriotisme, il avait
�—
été incarcéré par reflet d’une dénonciation de quelques soldats du
régiment de Lamark, avec lesquels il avait servi. Mais les mem
bres de la société populaire et montagnarde de la commune d’Orange, dans la séance du 29 messidor, tirent une motion pour
obtenir son élargissement, signée par Godefroy Bouvier, Ondra,
Olivier, Durand, Esprit Benel, Reyne, Pélissier, La Rouvière,
Fauchier, Dumas, Dugal, Riben, à la suite de laquelle il fut mis
en liberté.
Pour détourner les soupçons qu’on pouvait encore avoir sur lui,
un jour il annonce au comité de surveillance qu'on lui a indiqué
la retraite de l’abbé Boussier, et demande quelques hommes de
bonne volonté pour aller faire cette capture. Il se rend avec son
détachement à Mornas où on lui avait dit que se trouvait le fu
gitif. On fouille la maison indiquée; et après les plus minutieuses
recherches, il revient sans avoir rien trouvé : par une bonne rai
son, c’est que le digne curé était caché chez lui. C’était jouer gros
jeu, car alors on ne pardonnait pas un acte de clémence, encore
moins une mystification.
Oui, ce généreux citoyen, à ses risques et périls, donnait asile
à un proscrit ; et celui qu’on regardait comme un terroriste for
cené, était un homme bon, serviable, cherchant à faire le bien et
à empêcher le mal. Pendant le temps du maxim um il avait rendu
de nombreux services. Une personne très-recommandable de cette
ville, appartenant à une famille qu’il avait obligée dans ces mo
ments de détresse, nous a donné sur ce sujet d’autres renseigne
ments qui offrent de l’intérêt ; les voici :
Dans l’hôtel Pluvinal, rue Calade, à Avignon, se tenaient cachés
quatorze prêtres. Là on avait pu les soustraire à toutes les recher
ches ; mais la difficulté était de leur fournir des aliments, sans
éveiller les soupçons de la police qui se faisait d'une manière trèsactive depuis les visites domiciliaires de Maignet. Quelques per
sonnes charitables d’Orange, en tête le brave boulanger, se coti
saient pour subvenir à la nourriture des pauvres fugitifs. Mais
comment leur faire passer ces subsistances ? La charité, toujours
ingénieuse, usait d’un moyen, que nous allons faire connaître.
167
Il se trouvait alors dans le pays un mendiant, qui, sous des
guenilles sordides, portait un noble cœur ; on le voyait constam
ment avec un grand sac où se trouvait le pain de l’aumône, qui
lui couvrait une prééminence qu’il avait sur le dos. Mais cette
hosso était factice et cachait une petite statue de la Vierge, qu’il
portait pour se préserver de tout funeste accident. C’était là le
commissionnaire qu’on chargeait du soin d’approvisionner ces
ecclésiastiques, de pain qu’on prenait pour celui de la charité pu
blique. Jamais l’autorité n’eut la pensée de le fouiller, et il rem
plit cette mission jusqu’à la mise en liberté de ceux' dont il était
la seconde Providence.
Et ce mendiant, demandera-t-on, comme je l’ai demandé moimême, que devint-il après ? Dès qu’on n’eut plus besoin de lui il
disparut comme par enchantement, sans réclamer un salaire qui
lut était si légitimement dû ; et depuis on ne le revit plus. Ce
personnage, devenu légendaire, ne serait-il pas digne de figurer
à côté des types poétiques créés par le barde écossais ? — A la
différence toutefois que là est la fiction, ici la vérité.
XXII
De tout temps on a vu des divisions parmi les habitants d une
même contrée; mais jamais peut-être elles n’ont existé avec autant
de violence que pendant la Révolution. On prêchait bien l’égalité,
mais chacun voulait dominer. Dans les petites communes comme
dans les grandes villes on était témoin de ces rivalités qui sou
vent ont les conséquences les plus funestes ; car pour arriver au
pouvoir on cherche à terrasser ses adversaires ; et pour s'y main
tenir, à les exterminer s’il le faut.
Bédarrides n’élail pas à l’abri de ces dissensions. Là il y avait
aussi deux partis : l’un qui d’abord avait penché vers le fédéralis
me, l’autre qui voulait conserver l’unité de la République. Mais
plus tard il n’était plus question de ces distinctions dans la politi-
�—
168
—
que, et si au fond l’opinion était différente, pour la forme on
adoptait le même drapeau, attendu qu'il eût été dangereux de ma
nifester des principes autres que ceux des Montagnards.
La scission était bien prononcée. On s’accusait réciproquement,
on échangeait les épithètes les plus injurieuses, aménités révolu
tionnaires que fait comprendre le déchaînement des passions po
pulaires.
Deux adresses à la Convention, l’une du 25 brumaire, an III.
l’autre du 10 frimaire suivant, nous font connaître l’esprit qui
animait la population de celte petite ville.
Dans la première, plusieurs habitants sont accusés de faire
mettre en arrestation, comme fédéralistes, leurs concitoyens du
parti contraire pour avoir ensuite la charge de les garder, aux
frais des détenus comme de raison, ce qui procurait un grand
avantage à ces geôliers officieux. Le passage suivant donne l’ex
plication de leurs manœuvres : « Servons-nous mutuellement de
témoins, est-il dit dans celte pièce ; nous en mettrons beaucoup
dedans, et puis nous les ferons sortir, et avec les frais de garde
nous passerons un bon hiver. # C’était de la fraude plutôt que delà
cruauté.
L'autre adresse, dans ses reproches, est plus accentuée. Les si
gnataires de l'acte du 10 frimaire ne manquent pas de dire de leurs
adversaires « que ces flagorneurs de tous les partis se réjouis
saient avec les juges de la commission au bruit lugubre des tam
bours lorsqu’on conduisait les victimes au supplice ; se visitaient
réciproquement; mettaient toutes les friandises de Bédarrides en
réquisition pour la commission ; étaient les serviles instruments
de leurs passions ; encensaient leurs vices ; et s’ils ne buvaient
pas ensemble, dans leurs orgies, le sang des suppliciés, du moins
ils mangeaient leurs dépouilles.
Nous avons transcrit fidèlement l’expression des griefs exposés
de part et d’autre, tout en faisant la part, sinon du mensonge, du
moins de l’exagération. Pour mieux faire comprendre la cause
des désordres qui agitaient celte malheureuse commune, au mi
lieu de ce chaos, entre les allégations et les contredits qu'on voit
dans les doux mémoires publiés après la chute de Robespierre, et
dont nous venons de donner un extrait, il est nécessaire de nous
reporter au moment où la commission populaire était dans sa
toute puissance.
Alors, dans les municipalités, les hommes au pouvoir cher
chaient à.opprimer leurs adversaires. Mais les changements étaient
fréquents, et chacun avait son tour : Hodie milii, cras tibi !
Or, les citoyens, aux dépens desquels cherchaient à vivre leurs
compatriotes, songent h prendre leur revanche. Ils font entendre
leurs plaintes au tribunal, qui écrit à Maignel la lettre suivante,
sous la date du 3 thermidor, an II :
« Il nous arrive de toutes parts des dénonciations contre le co
mité de surveillance de Bédarrides. Il est prouvé que plusieurs
membres vendent impudemment la justice. Ils ont fait contribuer
plusieurs individus. Ils font trembler tous les bons citoyens. Il
faudrait un exemple terrible. Nous voudrions arrêter tout le co
mité dans une seule nuit. Approuverais-tu cette mesure ? Voudrais-tu en prendre (une) préalablement ? C’est sur quoi la com
mission t’invite à répondre. L'audace de ces coquins est au com
ble, et la mort seule peut les corriger. »
La réponse n’a pas été retrouvée ; mais la dépêche ci-après, du
13 thermidor, prouve qu elle était affirmative. La voici :
* Sur ce que lu répondis k la commission relativement aux
mesures de rigueur à prendre contre les autorités qui trafiquent
de leurs pouvoirs et vexent les citoyens, nous avons fait partir,
celte nuit, pour Bédarrides, un de nos huissiers, escorté de douze
gendarmes, de quatre-vingt k cent hommes d’infanterie, pour met
tre en étal d’arrestation et traduire dans nos prisons, pour y être
jugés, tous les membres du comité de surveillance de celle com
mune. »
« P. S. — Nous t’annonçons que tous les membres du comité
de Bédarrides sont dans les prisons de cette commune. »
L arrestation de vingt-quatre des citoyens les plus marquants de
Bédarrides avait répandu la terreur au sein de la population. Les
�170
—
parents, les amis de ceux que vient de frapper celle mesure, s’oc
cupent des moyens de conjurer l’orage. Sachant que le citoyen
Portai, homme estimé de tous les habitants de Bédarrides, où il
était lixé depuis quelques années, connaissait beaucoup Fauvety,
son compatriote, ils pensent que lui seul peut sauver les prisonniers.
Ils vont donc le trouver pour faire une démarche* auprès du
président de la commission.
Portai, bon et serviable, était d’un caractère faible, indécis, cl
la marche des événements ne pouvaient qu’ajouter à sa circonspec
tion naturelle. Il leur répond qu’en effet il a été l’ami d’enfance
de Fauvety, mais qu’il ne l'a pas revu depuis leur sortie du collè
ge de Bagnols, où ils avaient fait leurs études ; que si celui-ci sc
souvient encore de lui, ce doit être sous de fâcheux auspices, at
tendu que la veille même de leur séparation ils s’étaient pris de
querelle, dispute violente suivie de coups, dans laquelle le redou
table juge avait eu le dessous. Il termine en leur disant que, mal
gré son vif désir de les obliger, il ne peut consentir à une démar
che inutile pour les prévenus, et probablement dangereuse pour
lui. en s’exposant à paraître devant un homme dont il devait
chercher h se faire oublier.
Ne jugeons pas légèrement cette hésitation d’un père de famille
dans une telle conjoncture, et reportons-nous à ces jours néfastes
oii le moindre mot mal compris, l’action la plus inoffensive mal
interprétée, pouvaient mener à l’échafaud.
Ces pauvres gens ainsi éconduits reviennent donc chez eux la
mort dans l’âme.
Le bruit de ce refus se répand aussitôt. Alors les parents, les
amis des détenus se transportent chez Portai et lui font une obli
gation de celte tentative, sous peine d’encourir l’animadversion
générale.
A la vue d une telle manifestation il comprend la nécessité de
s’exécuter, et promet de faire ce qu’on lui demande.
Mais ce caractère prudent dont nous venons de parler ne l'a
bandonne pas. Après avoir mûrement réfléchi, il prend une réso
lution, qui, en donnant satisfaction à ses concitoyens et lui permet
—
171
—
tant d'accomplir un acte d’humanité, ne peut compromettre sa sû
reté personnelle. Il part sans perdre de temps pour Uzès, et va
trouver le père de Fauvety, qu’il connaissait de longue date. Après
avoir exposé le but de sa visite, il lui explique le motif qui le fait
hésiter à se charger lui-même de celte mission. En conséquence
il le prie de servir d’intermédiaire dans celle négociation.
Celui-ci lui répond qu’il ne peut satisfaire à sa demande d’a
près la recommandation expresse de son (ils de ne s’occuper en
rien des questions de ce genre ; mais il ajoute que ce dernier le
recevra à merveille, car il lui a toujours parlé de lui en bons
termes, et que d'ailleurs une querelle d’écoliers ne pouvait altérer
une amitié d’enfance
Rassuré par ce qu’il vient d'entendre, il quitte son compatriote
et se rend aussitôt a Orange II se présente chez le président de
la commission, qu’il trouve occupé de quelques détails relatifs à
ses fonctions.
Laissant de côté son travail, Fauvety le reçoit avec ee senti
ment de joie que nous éprouvons toujours à la vue d’un ancien
condisciple qui nous rappelle nos jeunes et belles années.
D’après cet accueil Portai lui déclare sans hésiter le sujet qui
l’amène. Mais le président lui répond qu’il ne peut s'occuper de
celte question. Toutefois, pressé par l'insistance du visiteur, et
dans le but sans doute de rompre cette conversation, il lui pro
met d’en causer de nouveau à Bédarrides, où il ira le voir, la
prochaine décade.
Portai retourne chez lui et annonce à ses amis que leur cause
sans être gagnée, n'est pas perdue non plus. Ceux-ci, sachant le
jour où l’homme de qui dépend le sort de tant d’infortunés doit
arriver, se mettent en quête pour lui faire une splendide réception.
Chacun s’empresse de fournir son contingent : qui apporte du
poisson, qui des poulets, celui-ci du gibier, celui-là des fruits et
des primeurs, un autre de cet excellent beurre de la pradarié, re
nommé dans le pays. Enfin ils voulaient tous sacrifier à la divi
nité pour se la rendre favorable,
�—
172
—
—
Fauvety tient sa promesse et arrive au jour indiqué... Mais lais
sons parler M. l'abbé Gr&nget :
« Après le dîner Portai conduit son hôte à Laverne, délicieuse
promenade que les anciens viguiers de Bédarrides avaient formée
au Nord de la cité. Ils causaient depuis longtemps sous les ma
gnifiques ormeaux qui alors formaient la principale allée, aujour
d’hui remplacés par des platanes. M. Portai, tout entier à son
dessein, amena la conversation sur ses compatriotes, prisonniers
à Orange. Ce sont d’honnêtes gens, disait-il h Fauvety, de bons
pèresde famille; il faut les sauver. — Impossible, répondit Fauvety,
les ordres sont formels. — Ne pourrait-on pas les éluder ? —
Non, il y va de ma tète. — Si l'on différait le jugement de ces
pauvres gens ? — Tu as raison, mais comment faire ?
« Ces paroles firent tressaillir M. Portai. Il se contint toutefois
et maîtrisa son émotion, quelque difficile que cela lui fût à la vue
des femmes, des enfants, des parents de ces malheureux détenus,
qui assiégeaient les avenues de la promenade, et épiaient toutes
ses démarches. Puis il ajouta d’un ton aussi naturel que possible :
La chose n’est pas difficile ; on pourrait passer outre pour cette
fois, et avant que leur tour revienne... — C’est une idée !... De
nouvelles instructions peuvent arriver ; la corde est si tendue,
qu’elle peut se rompre au premier moment. — Tu me promets
donc de passer outre pour cette fois ? — Oui, répondit laconique
ment Fauvety. Le feu sombre qui animait ses regards, les traits
de son visage crispés remplirent d’épouvante tous les parents des
pauvres prisonniers ; mais le calme et la joie qui brillaient sur le
visage de M. Portai, les rassura; leur cause était gagnée.
« Pendant qu'ils causaient de la sorte, un vieux bénédictin dé
guisé vint à passer. Le prêtre est toujours prêtre, et les déguise
ments les plus raffinés ne sauraient empêcher qu’on ne le recon
naisse. Les habitudes de gravité, de modestie qu’il a contractées,
le trahissent toujours, quelque intérêt qu'il ait à se cacher. Quel
est cet homme, dit Fauvety, chez qui la présence du moine avait
réveillé les instincts sanguinaires ? — C'est un moine, répondit Por
tai. — Envoycz-le-moi à Orange, répliqua le monstre !... Le bon
175
—
religieux entendit ces paroles et rentra chez lui plus mort que
vif. »
Ici se termine le récit de M. l’abbé Granget, d’après lequel nous
voyons que le jugement des détenus de Bédarrides put être retardé
au moyen du changement de place des dossiers, qu’on avait dû
glisser au fond des casiers, comme l’a fait, dit-on, sous la Ter
reur, un employé dans les bureaux du comité de Salut public, qui
par la même manœuvre a pu soustraire à la mort quelques-uns
de ses amis. Mais ces actes d'humanité étaient-ils des actes de
justice, si l’on faisait périr l’un à la place de l’autre, car à chaque
journée il fallait ses victimes ? On savait donc qui on sauvait sans
connaître celui qu’on sacrifiait.
Du reste la démarche de Portai devint inutile par l'effet de la
révolution thermidorienne qui suivit de près celte dernière expé
dition. Cet heureux événement, en les rendant les uns et les au
tres à la liberté, ne les rendit pas plus sages ni plus unis, comme
on peut en juger par les pièces publiées en l’an III, où l’on voit
qu’ils n'attendaient qu’une occasion pour manifester des haines les
plus violentes. Ils oubliaient que les vainqueurs de la veille avaient
été souvent les vaincus du lendemain.
On verra, plus loin, dans quelles circonstances Fauvety alla
pour la dernière fois à Bédarrides chez son ancien condisciple
XXIII
Le 17 thermidor la foule se pressait comme d’habitude pour as
sister aux jugements de la commission, et en quelques instants
avait envahi la salle. Les corridors étaient encombrés par ceux
qui attendaient leur tour pour pénétrer dans l’enceinte. Malgré
une chaleur suffocante chacun restait à son poste, les uns pour
connaître le sort d'un parent, d’un ami, les autres par un senli-
♦
�—
174
—
ment de curiosité barbare qui voit sans peine le malheur d'autrui,
et le plus grand nombre par cet entraînement qu’on éprouve mal
gré soi pour les scènes émouvantes où la vie est en jeu.
Le tribunal entre en séance. Nous donnons en entier ce juge
ment (62), afin qu’on puisse établir un terme de comparaison avec
ceux que nous avons déjà produits. C’est toujours la même partia
lité chez l’accusateur public, la même rigueur de la part des ju
ges, avec quelques rares acquittements pour montrer un semblant
d’équité.
Robespierre avait déjà subi sa peine, et le tribunal fonctionnait
encore. Celle absence de nouvelles s’explique facilement. A celle
époque le télégraphe aérien, établi sur la ligne du Nord par les
frères Chappe, n’existait pas dans le Midi de la France Les pre
miers jours on ne pouvait donc rien savoir à Orange. El puis, à
Paris on ne s’occupait, après ce succès inespéré, que des mesures
les plus urgentes , la punition immédiate des vaincus, et les
changements les plus essentiels à faire dans le gouvernement. La
province était donc oubliée.
Cependant le 11 thermidor, la Convention avait décrété la sus
pension des tribunaux révolutionnaires, et arrêté l’exécution des
jugements rendus ; et le 13 le comité de Salut public avait fait
paraître un arrêté portant que les pouvoirs des commissions ré
volutionnaires établies dans les départements de Vaucluse et du
Gard étaient provisoirement suspendus. Mais ce ne fut que deux
jours après que le comité de Salut public put expédier des ordres
à cet effet. Les dépêches pour Marseille, pour Nîmes, arrivèrent
dans le délai prescrit, tandis que celles destinées à Orange éprou
vèrent un retard de vingt-quatre heures, par an événement que
nous allons bientôt expliquer.
Les jugements devaient donc recevoir leur exécution, et cette
circonstance causa la mort de cinq condamnés. Parmi eux se
trouvait M. de Biliolli, qui montra autant de charité chrétienne
que de fermeté et de grandeur d’âme, en pardonnant à ses bour
reaux, et en disant à ceux qui l’entouraient : « J ’ai tâché de faire
le bien autant qu’il m’a été possible ; mais si je ne vous ai pas
—
175
—
toujours enseigné à bien vivre, je veux du moins vous apprendre
à bien mourir ! »
Cependant sans avoir des nouvelles officielles, dès ce jaiême
jour il circulait un bruit qu’on osait à peine se confier, tant était
grande la terreur qui régnait partout : rumeur vague, incertaine ,
que le vent semble apporter avec lui dans son vol rapide, et qu'on
ne sait souvent comment expliquer. Ici, toutefois, il était possible
de connaître la vérité, si des lettres particulières avaient été ex
pédiées après les événements. Toujours est-il qu’un des prison
niers trouva dans un pain, qu’on lui fil parvenir adroitement, ces
quelques mots : Courage, tout va finir ! Si on prononce votre nom,
ne répondez pas à l’appel ; cachez-vous, et vous êtes sauvé !
Tout le inonde était donc sur le qui vive ! Malgré la secrète sa
tisfaction qu’éprouvaient les honnêtes gens, ce n’était qu’au foyer
domestique , loin de l’œil inquisitorial des terroristes , qu ils
osaient exprimer leurs sentiments. L’Orangeois, jadis énergique,
dit l’adresse du 20 pluviôse, se cachait pour verser des larmes de
sang sur tant de victimes immolées sur son sol. Il se rappelle
avec indignation qu’au moment où les exécutions allaient com
mencer, on exigea de la société populaire (les membres de la
commission présents), de ne jamais s’apitoyer sur le sort que leur
préparait ce tribunal de sang , de ne point manifester de douleur
sur la perte d’un parent, d’un ami; et de laisser tranquillement
s'opérer ces actes de destruction.
L'administration, malgré les bruits qui circulaient déjà, ne se
croyait pas autorisée à arrêter le cours de la justice. Mais pendant
la nuit, l’agent national ayant reçu les instructions du nouveau
gouvernement, sans perdre de temps signifie en ces termes les or
dres qu’il doit faire exécuter :
Orange, 18 thermidor, à G heures du matin.
L’agent national près le district aux citoyens juges et accusateur
public de la commission populaire, à Orange.
Je reçois à l’instant, citoyens, l’arrêté du comité de Salut pu
blie et la lettre du dit jour qu’il y a jointe. Je vous envoie copie
�■ii- +
—
176
—
—
collationnée et certifiée du tout pour qu’en les connaissant, vous
vous y conformiez.
Signé : A brigeon,
Paris, 13 thermidor.
Le comité de Salut public à l’agent national du district d'Orange.
Citoyen, le comité entend par son arrêté ci-joint que les juge
ments commencés et même rendus, n'auront point d’exécution dès
l’instant où l'arrêté te sera parvenu.
Signés : C ollot dT I erbois , C arnot, B illaud - V arenne, B arère.
Collationné par nous, agent national, le 18 thermidor, an 11
Extrait du registre des arrêtés du comité de Salut public de la
Convention nationale du 13 thermidor, an II de la République.
Le comité de Salut public arrête que les pouvoirs des commis
sions révolutionnaires, établies à Orange et dans le département
du Gard, seront provisoirement suspendues. L’agent national du
district dans lequel les dites commissions sont établies, fera exé
cuter sans délai le présent arrêté. Il fera parvenir de suite au co
mité de Salut public la liste des prévenus de conspiration et de
contre-révolution pour les faire traduire au tribunal révolution
naire d’après les ordres ultérieurs qu’il recevra du comité.
Signés : C ollot, C arnot, B. B arère , B illaud - V arenne, C. A.
P rieur , R odert L indet .
Les juges sont d'abord surpris, confondus de cette mesure, bien
que la veille ils eussent été instruits des événements survenus à
Paris, par des amis officieux de Lyon, qui avaient arrêté dans.cetle
ville le courrier d’Orange, lequel paya cher cette infraction à ses
devoirs, afin qu'ils eussent le temps de prendre leurs précautions
pour leur sûreté personnelle, comme l’indique le récit d’un soldat,
qu’on trouvera dans un chapitre suivant.
Puis, connaissant mieux l’état des choses, ils se remettent de
cette première impression, et se rassurent sur les suites de ce
177
—
changement en voyant qu’il n’y a dans cette décision aucun blâ
me de leur conduite.
Leur confiance augmente encore quand aux noms des anciens
membres du comité de Salut public : Collot d’Herbois, Carnot,
Barère, Lindet, Prieur, Billaud-Varenne, on ajoute ceux de
Bréard, Tallien, Treilhard, Eschassériaux, La Loy, Thuriot, qui
ont donné des gages à la Révolution.
Ils savent aussi que Fouquier-Tinvillc, là plus haute expression
du parti de la Montagne, et dont Barère, le 14, avait demandé le
maintien, est encore en place ; ils supposent donc avec raison que
les conventionnels, en se débarrassant du futur triumvirat de Ro
bespierre, Couthon et St-Just, conservent la même politique ; et
que ce changement de personnes n’est point un changement de
principes, et peut être comparé aux révolutions de palais dans les
anciennes monarchies.
Enfin, voyant toujours Maignet h son poste, malgré la dénoncia
tion de Rovêre (70), ils sont fondés à croire qu’ils n’ont rien ù
craindre personnellement, et que ce premier moment passé, ils
pourront même reprendre leurs fonctions, et continuer leurs sa
crifices sanglants au Moloch républicain.
Cette pensée était si naturelle, qu’Agricol Moureau, à la nouvelle
de la chute de Robespierre, supposant qu’il n’y a rien de changé
dans le système qui domine, monte à cheval, part pour Orange et
arrive, le 18 matin, avec une liste d’accusés où figurent Trie, Rochetin, Bérindon, Blahié, Godebaze et Souchon, anciens officiers
municipaux, qui étaient déjà en route, quand la municipalité d’O
range envoie un gendarme pour leur faire rebrousser chemin.
Mais si les fauteurs du régime de la Terreur croient encore à la
stabilité de ce système, chez les populations opprimées il n’en est
pas de même. Tous ceux qui se trouvaient sous le poids des soup
çons ombrageux des comités, se félicitent, s’embrassent en se pro
mettant des jours meilleurs ; et dans cet élan irrésistible du senti
ment national contre des hommes dont le nom seul répandait l'é
pouvante, ils font entendre des chants de triomphe, auxquels se
12
�—
178
—
—
mêlent des cris de haine et de vengeance qui semblent annoncer
de cruelles représailles, déplorables conséquences des discordes
civiles.
Après un pareil événement, que faisait Maignel, l’ami du despote
tombé et sou bras droit dans le midi ? Oubliant la reconnaissance
qu’il devait à son protecteur, il déserte le soin même de sa mé
moire en l’accusant de complot contre la patrie, et accepte sans
hésiter les faits accomplis. Sa proclamation, dans laquelle il re
commande l’union entre les citoyens, se ressent de la nouvelle
position où il se trouve, et ne renferme plus les* sombres menaces
qu’il lançait naguères à tout propos (71).
Le comité de surveillance d’Orange croit devoir suivre cet exem
ple. Le 18 thermidor un des membres de celte assemblée ayant fait
connaître, à la séance de huit heures du matin, que la commission
était suspendue, propose d’envoyer à la Convention une adresse de
félicitations, qui est votée le 21 (72).
Ce même jour les administrateurs et l’agent national du district
de Carpenlras envoient une adresse de félicitations il l’Assemblée
sur la chute de Robespierre.
Pour sortir de l’état d’incertitude qui ne pouvait se prolonger,
Fauvely écrit, le 24, à Maignet (73) au sujet de l’ordonnancement
de quelques mémoires de fournisseurs, pour savoir, en même temps,
si la suspension du tribunal doit se prolonger, ou si la commission
sera définitivement supprimée, en le priant de lui faire connaître
la ligne de conduite qu’il doit suivre. Dans cette lettre il parle de
la gêne dans laquelle se trouvent ses collègues, qu’il ne peut guères aider lui-même, quoiqu’il soit plus riche qu’eux. On se demande
ce que les juges faisaient de leur argent, quand on sait qu’ils
étaient mieux rétribués encore que ceux des tribunaux criminels
ordinaires (74). Dans cette même lettre il est question de l’arresta
tion de Viol, dont il semble ne pas se préoccuper beaucoup ; indif
férence qui prouve le peu de cas qu'il faisait de cel homme vénal.
Le 26, la sociélé populaire d’Orange, dans une délibération re
vêtue de 528 signatures, prend parti pour la commission, qui n’était
probablement pas étrangère il celle manifestation.
179
—
Ce même jour le directoire du département de Vaucluse envoyait
une adresse à la Convention pour exprimer ses vœux sur la lutte de
la Convention avec celui qui voulait jouer le rôle de Cromwell.
Signés A reat , Gurox, J ean, L aforet .
Le 29 le comité de surveillance, se ravisant quand il voit qu’il
ne s’opère pas de changement dans la politique, revient sur sa dé
termination du 18, et reprend toute son assurance dans sa réponse
à l’adresse des républicains du Gard (75). Le danger passé, le vieil
homme reparaît.
Le 30, le représentant confirme les membres de la commission
dans leur poste (76), sans entrer dans aucun détail. Ce retard que
l’on mettait à prendre une décision à leur égard, avait fini par
rendre à ceux-ci toute leur confiance.
Dans le département du Gard l’esprit pnblic n’était pas moins
favorable à la Montagne. On voit, en effet, dans l’histoire de
Baragnon , que Boudon, juge au tribunal criminel révolution
naire, osa dire que la Convention avait fait assassiner Robes
pierre et St-Just ; et le 22 thermidor les membres de la société
populaire de Nîmes envoyaient une adresse à l’Assemblée natio
nale pour obtenir que le pouvoir ne fit pas un mouvement rétro
grade. Enfin, plus de trois mois après on vendait encore à l’encan
de cette ville les meubles d’un citoyen condamné par le tribunal
révolutionnaire.
Le 29 fructidor, il s’opère encore un revirement dans les prin
cipes de la société populaire d’Orange, qui envoie une nouvelle
adresse de félicitations à la Convention sur la chute de Robespierre
et de ses complices.
•
Toutefois, l’autorité municipale, dans la séance du 2i ventôse,
an III, arrêtait un projet d’adresse relative au progrès de la raison
contre le fanatisme. Cet acte, opposé h celui du 20 pluviôse, fait
voir l’esprit de division qui régnait dans la ville.
Cet état de choses semblait se continuer ; car une adresse des
patriotes d’Orange de 1789, au conseil des Cinq Cents et au Direc
toire exécutif, accuse le royalisme impur et l'affreux fanatisme
*
m
�de la morl de patriotes immolés par ceux qu'ils appellent les conti
nuateurs de la Terreur. Suivent des diatribes contre les royalistes,
les papistes, les émigrés, les parents des prêtres réfractaires, les
fanatiques, qui empêchent les soussignés de se présenter aux assem
blées primaires.
En opposition, une adresse, sans date, du comité militaire d’Orange, exalte le patriotisme des bons citoyens, disposés k défendre
énergiquement la nouvelle constitution. Ils signalent la municipa
lité comme veillant sans cesse aux intérêts du pays, par le soin
qu’elle prend d’arrêter, à diverses reprises, des caisses d’armes, qui
peuvent servir aux ennemis de la tranquillité publique.
Une autre pétition, sans date aussi, est envoyée à l’Assemblée
nationale par les épouses, enfants, frères et sœurs des malheureuses
victimes du tribunal d’Orange, en implorant la justice et la clé
mence pour faire oublier la tyrannie de Robespierre.
Ces trois dernières pièces, que nous devons à l’obligeance de
M. Barrés, l’éminent conservateur du musée et de la bibliothèque
de Carpenlras, et celles que nous venons de produire plus haut,
par les tergiversations qu'elles présentent, nous prouvent que la ville
d’Orange était partagée en deux camps : celui des amis de l’ordre et
de la tranquillité, et le camp des patriotes fanatiques. C’est à ces
derniers, parmi lesquels se trouvaient beaucoup d’étrangers, que
Fernex fait allusion dans sa lettre à Robespierre, et que désigne
aussi Claude Benet en écrivant à Payan. Nous devons en conclure
que les citoyens paisibles, dans ces temps néfastes, étaient oppri
més par une faction que soutenait l’autorité révolutionnaire, et que
les honnêtes gens ont vu tomber
bonheur un pouvoir qui les
opprimait. Enfin l’empressement qu’on mil à brûler la guillotine,
dans la rue des anciennes arènes, après la révolution thermido
rienne, vient à l’appui de notre opinion.
Pour mettre fin k tous ces conflits, les vainqueurs, s’ils vou
laient profiler de leur succès devaient abattre complètement leurs
ennemis. La conduite de Maignet dans les départements de Vau
cluse et des Bouches-du-Rhône, dit Bûchez, fut un des griefs qu’ils
firent valoir contre eux. Dans leur impuissance d’attribuer aux
chefs de parti les crimes de Carrier, de Collot d Herbois, de Fou
ché, de Fréron, de Barras, ils insistaient sur les actes de la mission
de Maignet. Celui-ci, en effet, était l’ami de Couthon et de Robes
pierre. On voulait donc en faire le bouc émissaire. Mais tout dépen
dait des mesures qu’allait prendre la Convention, qui, en arrêtant
l'effusion du sang, devait, par le changement de ses mandataires,
donner satisfaction k la partie honnête de la nation.
XXIV
Le tribunal, qui du 1er messidor au 17 thermidor avait fonctionné
tous les jours, excepté les décadi et le 26 messidor, anniversaire
de la prise de la Bastille, et avait eu même deux séances le primidi
et le duodi de ce même mois, venait de prendre fin, après 332 con
damnations capitales, selon le tableau officiel. Mais rien n’était
encore organisé, et il régnait la plus grande confusion dans l'ad
ministration départementale. Le 2 fructidor, le comité de surveil
lance d’Orange délibérait pour écrire k Maignet, toujours consi
déré comme le représentant en mission. Celte opinion était d’au
tant plus fondée que, deux jours après, Goupilleau, en arrivant k
Avignon pour prendre possession de son poste, disait dans une
assemblée populaire que, malgré le décret qui rappelait k Paris tous
les membres de la Convention en congé, son prédécesseur n’en
continuait pas moins ses fonctions dans le département de Vau
cluse, ce qui ne peut s'expliquer que par l’appui que ce dernier
trouvait dans l’Assemblée nationale.
Bientôt sans doute ce représentant reçut de nouvelles instruc
tions ; car voyant, par l'effervescence qui régnait dans le pays,
qu’il fallait donner satisfaction k la vindicte publique par la mise
en jugement des membres de la commission, seul moyen d’ailleurs
de les sauver de la vengeance d’une population irritée, se décida k
les mettre en état d’arrestation.
Ceux-ci, par les raisons que nous avons exposées, loin de songer
�—
182 —
à fuir, se livraient aux plaisirs de. la bonne chère, bien que l’arri
vée du nouveau représentant dût leur donner des craintes, surtout
s’ils avaient connu la manière dont Maignot était attaqué, lo 8 fruc
tidor. à la Convention, par une pétition, dans laquelle on lui repro
chait d’avoir abusé de son pouvoir pour désoler les patriotes : Les
pères de famille, disaient les pétitionnaires, sont emprisonnés; cha
que jour le sang coule. Ils le peignaient comme un bourreau dévoué
à Robespierre. Rovèrc soutenait l’accusation, en disant que dans le
midi les patriotes étaient persécutés, guillotinés, qu’il y avait
3,500 personnes incarcérées à Tarascon ; et que tel était l’état où
se trouvaient les citoyens do ces contrées, qu’ils se donnaient la
mort pour échapper au supplice all'rcux que leur préparaient les
continuateurs de Robespierre. Malgré la défense de Monestier cl
d'Elie Lacoste, on devait voir que le temps de sa puissance était
passé.
Le 10 fructidor, le comité de surveillance d’Orange avait connais
sance du rappel de Maignct, en vertu d’un décret de la Convention
du 26 thermidor, et d’un arrêté du comité de Salut public, qui en
ordonnait l’exécution.
Le 11, le citoyen Abrigeon, agent national, reçoit l'ordre de
mettre les membres du tribunal en état d’arrestation et de les tra
duire à Paris. S’étant transporté au logement qu’ils occupaient, il
les trouve à table, les manches de chemise retroussées jusqu’au
dessus du coude, et leur dit : Au nom de la loi je vous fais mes pri
sonniers. A ces mots ils sont atterrés et pAles de frayeur. Mais lo
mandataire de l’autorité, s’apercevant alors que, dans sa précipita
tion, il a négligé les précautions les plus indispensables, car seul,
n’ayant pas meme les insignes qui rendaient sa personne inviola
ble, il pouvait trouver une vive résistance chez ces hommes, sus
pendus de leurs fonctions, il est vrai, mais dont l’emploi n’avait
point été supprimé et qui exerçaient toujours une grande influence;
M. Abrigeon, disons-nous, ne perd pas la tête, et avec un ton d’au
torité les consigne dans leur domicile. Il sort et revient bientôt
après, ceint de son écharpe, cl suivi d’un détachement de dragons.
*
,
—
185
—
Il s’empare de leurs personnes, les fait monter en voiture, et les
dirige aussitôt sur Paris.
Cos détails ont été donnés par M. Abrigeon lui-même k l’un de
ses parents, AI. Jules Courtet, de qui nous les tenons.
Nous ne suivrons pas les prisonniers dans cette translation, cl
nous dirons qu’ils coururent le plus grand danger en passant k
Lyon, où la populace voulait les immoler à sa fureur. Ce fut pen
dant ce désordre qu’en passant sur le pont de la Guillolière, Ferncx, étant parvenu k se débarrasser de ses liens, saule de la char
rette, se précipite dans le Rhône, gagne k la nage le rivage, se
cache dans les arbres et se sauve ensuite dans la campagne.
Pendant quelque temps il échappa aux recherches de l’autorité.
Réfugié dans le département de l’Ain, il fut repris et ensuite am
nistié. Il devait se croire hors d’atteinte ; mais il était destiné k
finir d’une manière pins misérable encore que scs collègues. Ayant
voulu traverser en plein jour la place des Terreaux, une limona
dière, M,u0 Grand, veuve d’une de ses victimes, l’ayant rencontré,
lui reproche ses crimes ; il lui répond par de grossières injures-, elle
lui donne un soufflet ; il riposte -, le peuple prend fait et cause pour
elle; une rixe violente s’engage; Fernex, foulé aux pieds, expire
sous les coups des assaillants, qui jettent son corps dans le Rhône.
Mais on pouvait remarquer, dans cette arrestation, l’absence de
deux mombros du tribunal, — le président et le greffier, — qui,
mieux avisés que les autres, s’étaient échappés, celui-ci pour se
rendre k Paris, le premier pour se cacher dans le pays. Fauvety
avait-il pressenti le danger, ou bien s’était-il rendu sur l’autre rive
du Rhône pour passer la nuit dans une forme, comme il en avait,
dit-on, l'habitude? C’est là une circonstance peu importante, mais
qui annonce sa prudence en prévision de tout événement.
Dans ce moment critique, se rappelant le service qu’il avait rendu
au citoyen Portai, il part pour Bédarrides aussitôt que la nuit est
venue.
Celui-ci était un des plus riches propriétaires de cette petite
ville, et pouvait facilomcnl cacher le fugitif dans sa vaste et belle
maison.
7\
�Il était tard. Tout le monde dormait déjà, et lui-même venait
dese retirer dans sa chambre pour se livrer au sommeil, quand
il entend frapper à la porte. Il va ouvrir; et quel est son éton
nement en voyant l’ancien président, son camarade de collège,
qui lui dit : Je t’ai obligé, je viens à mon tour te demander un ser
vice d’où dépend ma vie: celui de me donner asile chez toi ; car jo
suis poursuivi.
Le maître du logis le rassure et promet qu’il sera en sûreté chez
lui. Il s’empresse de lui rendre les soins qu’on doit à un voyageur,
quand ce voyageur surtout est proscrit et malheureux. Combien de
temps resta-t-il dans celle retraite? Ce sont là des détails de la vie
intime qui ne nous ont point été communiqués. Nous savons seu
lement qu’un soir, au moment où l’on s’y attendait le moins, on
vint frapper à la porte à coups redoublés. C’était un des amis de
Portai, qui arrivait hors d’haleine pour lui annoncer que les gen
darmes arrivaient dans la commune pour faire des visites domici
liaires.
Prévenu de ce qui se passe et persuadé que pendant la nuit il
pourra échapper facilement aux premières recherches, Fauvety se
décide aussitôt à partir ; et traversant le jardin attenant à l’habita
tion, il sort par une petite porte qui donne sur les anciens rem
parts.
Précaution inutile ; c’était une fausse alerte, et rien ne vint trou
bler le repos de la ville.
Quelques ennemis de M. Portai ont prétendu que c’était un coup
monté, et que la nouvelle qu’on apportait de l’approche do la force
armée n’était qu’une ruse pour éloigner Fauvety. Mais ceux qui
connaissaient cet excellent homme n’ont jamais eu une semblable
pensée. Toutefois, il peut bien se faire que, réfléchissant à la peine
qu’il encourait par sa bonne action, il ait éprouvé une secrète satis
faction en voyant que, sans manquer aux saintes lois de l’hospita
lité, il se trouvait débarrassé d’un hôte aussi incommode.
De quel côté se dirigea le fugitif? Ici nous perdons ses traces;
mais nous savons, comme le constate M. Bcrriat St-Prix, qu’il fut
arrêté à Paris, avec Benêt, dans les premiers jours de brumaire sui
vant .
Bientôt nous le retrouverons, cherchant encore à fuir le danger
qui le menace.
XXV
Après la chute d’un gouvernement, les gens opprimés, non
contents de se réhabiliter, tâchent encore de se venger de leurs
persécuteurs. Ici l’action avait été violente; la réaction devait l’ê
tre aussi. Ceux qui ne pouvaient atteindre leurs ennemis, voulaient
du moins mettre au grand jour les actions condamnables ou les
crimes qu’on avait à leur reprocher. On arrivait à ce résultat au
moyen des dénonciations faites à la réquisition des nouveaux comi
tés de surveillance, en dehors des délibérations ordinaires et qui
avaient un caractère légal. Ce n’étaient point là des délations : c’é
taient des plaintes, des réclamations qu’on formulait d’une manière
juridique. Nous donnons plus loin la copie des cédules.
Ces registres des délibérations des sociétés populaires ont été
égarés, en grande partie, par suite de l’incurie des autorités muni
cipales, ou enlevés par les personnes qui avaient intérêt à les faire
disparaître. Les volumes qui restent encore renferment de curieuses
révélations. On y trouve les projets, les motions, les actes des prin
cipaux meneurs de ces assemblées et les motifs qui ont guidé les
accusateurs quand ils ont dénoncé au tribunal révolutionnaire les
victimes destinées à la guillotine : tout ost mis au grand jour.
Si, dans les provinces, ces réunions de citoyens, qui avaient acca
paré le pouvoir, ne pouvaient se comparer à celles de Paris où les
Jacobins, les Cordeliers exerçaient leur influence sur les comités
de Salut public et de Sûreté générale, lesquels à leur tour domi
naient la Convention ; si, disons-nous, ces assemblées n’avaient pas
la même importance, elles ne laissaient pas que de peser sur les
décisions des agents de l'autorité. Nous produisons quelques-unes
�—
186
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—
—
de ces dénonciations, qui nous éclairent sur des événements, dont
la cause sans cela resterait cachée à nos yeux, et nous montrent le
mobile de toutes les actions de ceux qui s’occupaient des affaires
publiques. En un mot, comme dans une glace où se reflètent les
traits avec fidélité, on voit l’homme dans sa vie intérieure, cl non
l'homme dans le monde où il cache presque toujours scs secrètes
pensées. Pour mieux constater l’exactitude de ces dénonciations,
nous avons soin de conserver, autant que possible, les tournures
de phrases et les expressions dont se servent les déclarants.
Nous ajoutons à ces citations des lettres, des pétitions, des adres
ses relatives au même sujet. Mais le principal intérêt porte sur
quelques pièces, qui, pouvant compromettre des personnes haut pla
cées, ne verront probablement jamais le jour, et dont nous ne fai
sons usage qu’avec une extrême réserve.
Deux citoyens de Suze-la-Rousse, le père et le fils, se vantaient,
d’après une déclaration faite à Orange le 9 nivôse an III, d'avoir
dénoncé 94 personnes en ajoutant qu’ils voulaient faire tomber la
tête à tous les braves gens. A Paris on agissait à peu près de même.
Un individu avait déclaré, lorsque la guillotine était en perma
nence à Orange, qu’on n’exécutait pas assez de monde, cl qu’il n’au
rait pas de plus grand plaisir que de voir livrer 25 personnes pour
les bien faire souffrir.
Le 25 nivôse, une adresse des citoyens d’Avignon à la Conven
tion, établit que Maignet a causé la disette dans le pays (77).
Le 3 ventôse, un maréchal des logis de gendarmerie est accusé de
concussion. On le dénonce comme ayant reçu de l’argent à Sérignan, et faisant main-basse sur la.volaille dans les basse-cours par
tout où il se trouvait. Telle était la moralité de certains agents de
l’autorité. Heureux quand on n’avait pas des délits plus graves à
leur reprocher !
Le k ventôse, on dénonce un ancien officier municipal de Piolenc
pour avoir servi de faux témoin contre M. de Biliotli après l’avoir
fait contribuer de 1,200 livres.
Dans la même séance on signale deux frères de celle commune,
comme ayant servi de faux témoins contre M. de Biliotli, et on les
accuse, en même temps, d’avoir fait contribuer la citoyenne Mornas de 1,200 livres, et le citoyen Gand de 200 écus.
Une femme d’Orange déclare, lo 6 ventôse, qu’un citoyen de
Courlhézon s’était présenté dans la boutique do son père, perru
quier, pour se faire raser. Là elle lui avait dit : Vous venez sans
doute pour témoigner au tribunal ? — Oui, répondit-il, j’ai même
déjà reçu 25 livres pour ma première déposition. Nous avons encore
trois têtes à faire tomber, ajouta-t-il ; après quoi nous serons tran
quilles.
Le 7, le comité révolutionnaire d’Avignon écrivait à celui d’O
range pour l’engager à expulser le bourreau Paquet. La manière
dont on le traite prouve qu’on n’était déjà plus au temps où on l’ap
pelait le vengeur du peuple.
On trouve dans ce même registre quo le ci-devant procureur
général syndic du département du Gard avait instruit, Imberlon,
l’un des administrateurs du district d’Orange, que les nommés Guinet, Madicr, Martinel, Lauzière, habitants de Bagnols, Tailland, de
Coudoulet, tous suspects, étaient actuellement sur le territoire d’Orange.
Le 17 ventôse, il est dit qu’une femme s’est vengée d’un homme
recommandable et de ses parents, qui la blâmait d’avoir divorcé
avec son mari estimé de tout le monde, pour épouser un comédien ;
dénonciation qui eut du retentissement à cause de la position so
ciale des époux.
Dans la séance du 26 ventôse an III, un citoyen, sur la réquisi
tion de la veuve et des enfants d’un supplicié, déclare que lorsque
celui-ci était encore en liberté, mais menacé d’être compris au
nombre des suspects, un do ses collègues vint lui proposer de de
mander au prévenu quarante mille livres pour sauver sa tête, faute
de quoi il serait condamné comme fédéraliste. Sur l’observation du
déposant que le représentant Maignet avait accordé une amnistie
pour ce fait, et que d’ailleurs les présidents et secrétaires des sec
tions étaient aussi coupables que lui, il avait répondu que ces der
niers sauraient se tirer d’affaire,et qu'il persistait dans sa demande :
�—
188
sachant que plusieurs membres de la Convention travaillaient à
s’enrichir, il voulait faire,comrae eux.
Sur ce refus du déolarant de se charger d'une telle mission, il
ne s’était pas tenu pour battu, car il avait fait agir aussi un de ses
amis, lequel avait dit que de gré ou de force on finirait par avoir
cette somme. II lui fait comprendre alors qu’il serait facile d’arri
ver à ce résultat, sans craindre plus lard la moindre indiscrétion ;
qu'il suffirait, quand ce citoyen aurait compté l’argent, de se trou
ver sur son passage au moment où il se retirait, le soir, de son
jardin, de lui passer une corde au cou, de le mettre dans une caisse,
qu’on achèverait de remplir de pierres, et de le jeter ensuite dans
la Maine. Il dit, en terminant, qu’il aura sa part du bénéfice. Le
déclarant se relire justement indigné.
Cette proposition n'avait pas été renouvelée ; mais on gardait au
déclarant rancune de son refus. Comme il s’opposait, ainsi qu’un
autre de ses collègues, à l’incarcération d’un homme à qui l’on n’a
vait rien h reprocher, ils sont l'un et l’autre, sous prétexte de cor
ruption, arrêtés en pleine séance par le commandant du bataillon
de l’Ardèche, et conduits dans la prison d’Avignon, ainsi que nous
l’avons déjà dit. Celui qu’on voulait ainsi dépouiller, fort de son
innocence, ou n'ayant pas la somme qu'on exigeait de lui, fut exc*
cuté le 2 messidor.
Le 19 brumaire, deux citoyens de Valréas accusent Juge d’avoir
été l’un des agents les plus dévoués de Robespierre ; d’avoir composé
la société populaire de ses partisans, en disant que ceux qui ne sc
rangeraient pas sous les étendards de Robespierre et de Payan, se
raient anéantis ; d’avoir composé le conseil de surveillance de Val
réas de onze membres ignorants et grossiers, pour les gouverner plus
facilement ; d’avoir enfreint les lois ; d’avoir fait arrêter et guil
lotiner des gens de la même classe que d’autres qu’il avait pris
sous sa sauvegarde et qui sont restés tranquilles en le comblant de
présents et même en sc prêtant à ses désirs dépravés ; d'avoir fait
incarcérer quelques-uns de ses parents pour se venger de leurs
procédés à son égard ; d’avoir envoyé à l’échafaud des gens
—
189
—
qui s’opposaient à ses désirs ; d’avoir été dans une grande intimité
avec les membres de la commission d’Orange, qui lui donnaient
une place distinguée quand il allait témoigner à ce tribunal ; d’a
voir été chez sa sœur, femme de Morin, horloger d’Orange, pour
décider sur le sort et préjuger ceux qui avaient le malheur de lui
déplaire, et de diriger de cette maison les mandats d’arrêt contre
ceux qu’il voulait immoler à sa vengeance et à son ambition ; d’a
voir été dans les maisons d’arrêt d’Orange pour y jouir du specta
cle qu'offraient les détenus ; d’avoir été la cause de la condamna
tion de 17 de ses concitoyens qui, pour la plupart, ne méritaient
pas leur sort ; d’avoir témoigné sa joie par des bals qu’il donnait
aux dépens de la commune, et pour insulter au malheur de ceux
qu’il avait fait condamner à mort ; d’étaler un luxe de grand sei
gneur avec cinq chevaux dans ses écuries, et de s’être exempté de
toute réquisition ; d’avoir fait payer, sous forme de don patriotique,
mille écus à un citoyen riche, comme devant servir pour l’embel
lissement de la place publique, mais n’employant cet argent qu’à
faire rebâtir sa maison, qui s’y trouve placée, en se servant des
décombres d’une tour qu’il avait fait abattre, et des bancs placés
dans les promenades publiques.
Dans un extrait d’une adresse à la Convention sur l’état des pri
sons, on trouve les détails que nous connaissons déjà. « On y
voyait, y est-il dit, des vieillards de plus de 80 ans, des enfants,
une femme octogénaire et dans l’imbécillité de l’enfance depuis
plusieurs années, des malheureux perclus de leurs membres, d’au
tres dévorés de la fièvre cl hors d’état de parler, qui n’avaient pu
se défendre et qu’on portait à l’échafaud. On y voyait d’ex-religieuscs donl plusieurs avaient prêté senuent et étaient munies de cer
tificats de civisme. Les monstres, qui trouvaient que le sang ne cou
lait pas assez vite à leur gré, délibéraient déjà pour faire le même
jour deux sacrifices, l’un par le fer et l’autre par le plomb meur
trier qui devait, à la fois, faire périr les victimes par centaines ; la
muraille à laquelle devaient être adossés les malheureux condam
nés à la fusillade, était déjà construite. »
�190
On peut juger, par les faits que dévoilent ces dénonciations, de
la facilité qu’on avait alors à se défaire d’un ennemi, soit par hai
ne, soit par intérêt, car les accusations étaient toujours accueillies
quand on avait des relations avec les patriotes influents auprès de
la commission. Si nous avons cru devoir mettre au grand jour des
actes, dans le grand nombre desquels la soif de l’or le dispute à la
soif du sang, du moins nous avons évité d’y faire figurer les noms
propres qui ne sont pas acquis à l’histoire comme nous l’avions
annoncé en commençant.
Terminons ce chapitre par quelques détails sur Maignet, qui
pendant sa misssion de sept mois, a fait tant de mal h ces popula
tions qu’il venait gouverner.
Le 17 nivôse, il parle pour sa justification, et les trois comités du
gouvernement prononcent qu’il n’y a pas lieu à poursuivre.
Nous avons vu l’adresse du 25 nivôse. Vers le même temps il
paraît un écrit sanglant contre lui.
Il se défend, dans un mémoire, contre Rovère, qu’il accuse de
mettre en liberté les aristocrates.
Goupilleau, dans son rapport à la Convention, fait connaître les
actes de ce représentant, qui le 16 germinal est mis en accusation
par Tallien. Outre sa conduite dans les départements des Bouchesdu-Rbône et de Vaucluse, on l’accusait d’avoir été l'un des fauteurs
de l’insurrection du 12 germinal an III, des faubourgs contre la
Convention.
Le 3 floréal, dans une adresse du directoire de Vaucluse, on l’ap
pelle le bourreau du Midi.
Il profite de l’amnistie et sc relire à Ambert, oîi il reprend sa
profession d’avocat.
Après les Ccnl-Jours il est compris dans la loi des régicides re
laps et condamné à l’exil ; mais, dit-on, il ne quitte pas le pays,
caché chez son lils, qui était à la tête d’une usine considérable.
En 1834 il est frappé d'une attaque d’apoplexie. Le curé de sa
paroisse est appelé, mais quand il arrive, le malade ne donnait
plus signe de vie.
—
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XXVI
Le 28 prairial an III, dans une séance publique extraordinaire
du district du Tanargue, département de l’Ardèche, les officiers
municipaux de la commune de Joyeuse donnent lecture d’une lettre
adressée à la municipalité par Pousard, lieutenant des grenadiers
gendarmes de la Convention, chargé de la conduite à Avignon des
membres de la commission dite d’Orange, portant que le nommé
Viol, accusateur public, et Fauvety, président de la dite commis
sion, se sont évadés ce matin à 3 heures de l’auberge de la Blachère, près de Joyeuse (78).
Le procureur syndic entendu,
Le directoire adresse des instructions aux différentes municipa
lités du district h l’elfet de rechercher les fugitifs, de les arrêter
s’ils sont découverts, et de les traduire sous bonne escorte à Joyeuse,
chef-lieu du district (79-80).
Pendant la séance un nouvel avis de Pousard annonce que Viol
vient d’être découvert et arrêté (81).
Le maire de la commune de St-Alban-sous-Sampzon reçoit
ordre, le même jour, de mettre en réquisition les gardes nationaux
pour faire des patrouilles et se saisir de Fauvety.
Comment cet événement était-il arrivé ? D’après un décret de la
Convention en date du G prairial an III, et un ordre du comité de
Sûreté générale du 9 du même mois, les membres de la commis
sion populaire ifOrange avaient été extraits de la prison Du Ples
sis, pour être traduits îi Avignon, oîi ils devaient être jugés par le
tribunal criminel du département de Vaucluse. Le convoi, com
posé de 24 personnes, prisonniers ou gendarmes, était parti de
Paris le 16 prairial, 5 une heure du malin, pour sa destination.
Pourquoi n’avait-il pas suivi la route de Lyou ? Craignait-on, dans
cette ville, où régnait encore une effervescence réactionnaire, d’ex-
�—
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poser les prisonniers au danger qu’ils avaient déjà couru dans la
translation d’Orange à Paris? Quoi qu’il en soit du motif qui avait
déterminé l'autorité dans ce choix, on avait dû traverser NevcrsI
Clermont-Ferrand, Le Puy, Pradelles, pour arriver à Langogne.
Là se trouvent trois voies de communication avec Avignon.
D’abord la grande route, au Nord, par la côte de Mayre, Thueyls,
Aubenas, Joyeuse. Mais si le convoi l’avait suivie, on ne saurait
expliquer le temps d’arrêt au village de La Blachèrc, à quelques
kilomètres seulement de distance du chef-lieu du district qu’on
venait de quitter, et ou il y avait des ressources de tout genre. 11
est donc probable que ce n’est pas cette direction qu’on avait prise.
11 y a ensuite, au Midi, la route allant à Villefort, où elle se
partage en deux embranchements, l’un sur Alais et Nîmes, l’autre
vers les Vans et Barjac. Dans ce cas, pourquoi se serait-on arrêté
à La Blachère, qui n’est pas sur le trajet direct qu’en a dû faire?
Tout porte à croire que ce n’est pas non plus celte voie qu’on a
suivie.
Reste, entre ces deux routes, un chemin plus direct, mais peu
praticable pour les voitures, allant, par Luc, la Veyrunc, La Bas
tide, Sl-Laurent-les-Bains, Planzoles, à la Blachère, et de là à
Barjac. De ce point on peut se rendre à Avignon par le PontSt-Espril ; ou bien, si l’on veut éviter Orange, par Bagnols, Roquemaure et Villeneuve, où l’on traverse le Rhône. C’est probablement
cet itinéraire que suivit ce nombreux convoi, à travers des pays
perdus, dont les habitants devaient être bien étonnés à la vue de
tout cet appareil.
Quoi qu’il en soit, le passage imprévu des prisonniers dans cette
partie du Languedoc, où les moyens de communication étaient dif
ficiles et rares, préoccupait moins le public, on le pense, que la
nouvelle de cette évasion. Les habitants de l’Ardèche, comme le
disait Agricol Moureau, dans deux de ses lettres, étaient loin
d’approuver ces exécutions qui portaient le deuil et l’épouvante
dans les familles. Aussi étaient-ils disposés à seconder l’autorité
dans les mesures qu’elle prescrivait, tout en doutant du succès de
ces recherches dans un pays accidenté où il était si facile de se
cacher.
Le lendemain du jour où l’on avait reçu ces communications
officielles, le citoyen Chalvel La Chambonne, un des habitants les
plus estimés delà commune de Sl-Alban-sous-Sampzon, qui avait
dans sa famille un chevalier de St-Louis, ce qui prouve que sous
la Monarchie les classes privilégiées n’avaient pas toutes les fa
veurs et que le mérite était récompensé aussi; le citoyen Chalvet
faisait moissonner un champ de seigle dans le lieu appelé Roncd'aven, auprès du Chassézac, afiluent de l’Ardèche. Il était luimême à la tête de ses journaliers. La conversation, naturellement,
roula sur ce qui venait de se passer à La Blachère.
Parmi les moissonneurs se trouvait un volontaire du quatrième
bataillon de l’Ardèche, Louis Boulle, dit Oustaoa Noou, en gar
nison à Orange pendant le temps que siégeait le tribunal révolu
tionnaire , et qui avait obtenu l’année suivante une permission
pour se rendre dans son pays natal (82). Souvent il parlait des
scènes dont il avait été témoin. Mais en ce moment l’évasion de
Fauvety donnait un nouvel intérêt aux souvenirs qu’il en avait
conservés. Aussi l’inlerrogeait-on sans cesse ce jour-là, pendant
les instants de repos. Le dîner, qui a lieu à onze heures sur le lieu
même du travail, selon l’usage du pays, venait de finir. Ces hom
mes, malgré la lassitude dans la forte chaleur, loin de se livrer à
la sieste, appelée durmido en patois de l’ancien vivarais, écou
laient le narrateur avec la plus grande attention. Celui-ci, en
courage par son auditoire, fait alors le récit, que nous allons
chercher à rendre avec exactitude, le tenant nous-même d’une per
sonne à laquelle il l’avait répété plus lard.
t Je vous ai souvent raconté, dit-il, ce que j ’ai vu à Orange, et
le spectacle auquel mes camarades et moi étions forcés d’assister.
Le soldat, toujours prêt à combattre l’ennemi, est indigné à la vue
du supplice de ses concitoyens, quand il semble qu’ils n’ont rien
à se reprocher. Mais la discipline est là, et il faut obéir à ses chefs.
Je ne vous parlerai pas de ces exécutions qui ont fait périr tant de
13
•
�s
I
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194
—
monde, je vous dirai seulement ee que j'ai vu au dernier juge
ment, auquel j’ai assisté.
« C’était le 17 thermidor. Ma compagnie, ce jour-là, fournissait
le piquet chargé de maintenir l’ordre au tribunal. El celle pré
caution n'était pas inutile, car si la crainte et la désolation ré
gnaient chez une partie des habitants, qui cherchaient à se faire
oublier en restant renfermés chez eux, les autres, pris de vin, alté
rés de sang, parcouraient les rues en chantant des hymnes patrio
tiques, entremêlés de cris de mort, et venaient à l’audience pour
exciter les jugés.
« Mon tour de faction était arrivé que la séance était déjà com
mencée depuis longtemps. On me place dans l’intérieur, à l’une
des portes, avec la consigne de ne plus laisser entrer personne.
« La peine que j ’avais à me maintenir à mon poste, avec la
foule du dehors à chaque instant croissante, ne me permettait guères d'entendre ce qui se disait. Cependant il me semblait voir une
grande sévérité chez les juges envers les accusés, à qui ils laissaient
à peine le temps de sc défendre.
« Tout à coup il se fait un grand bruit dans la rue : c’était un
cheval arrivant au galop, au risque d'écraser les passants, et qui
s’arrête soudain devant la porte. Un homme cherche aussitôt à
pénétrer dans la salle, et ne pouvant y parvenir à cause de la ré
sistance que j ’opposais, par un violent eflort parvient à montrer
une dépêche, qui doit être pressante. Alors l’huissier, à qui le
président a fait un signe, va prendre celte lettre et la lui remet ù
l’instant, sans même attirer l’attention du public, occupé des dé
bats. Moi, que cet incident avait frappé, observais Fauvetv avec
attention. Il décacheté cette lettre, et à peine a-t-il lu les pre
miers mots, que je crois voir un peu plus de pâleur sur ses traits,
toujours pâles, et une légère émotion dans toute sa personne. Il se
remet de suite, achève sa lecture ; puis il donne connaissance de
cette lettre, qu’il tient à la main, aux deux juges ses voisins de
droite ; il en fait autant avec ceux à sa gauche, et la met dans sa
poche, sans rien laisser connaître au public. Peu après, les causes
étant entendues, d’une voix assurée il prononce son jugement, qui
condamne à la peine de mort cinq accusés, et acquitte les autres,
ou les condamne à la détention. Il lève ensuite la séance et sort
avec ses collègues par une petite porte à leur usage particulier.
Enlin tout se termine, comme à l’ordinaire, par les cris de : Vive
la République !
* Nous rentrons alors au quartier. Pendant le chemin je rencon
tre des personnes que je connaissais de vue, et qui, au lieu de cet
air triste et abattu que je leur trouvais journellement, laissaient
voir sur leur ligure l’espoir et la confiance. Ce changement me
surprit. Que se passait-il donc ?
« Le lendemain malin, 18 thermidor, nous apprenons la chute
de Robespierre, et la suspension du tribunal.
* Quelque temps se passe, et tout change de face à Orange. Il
arrive un nouveau représentant qui cherche à réparer le mal qu’a
vait fait la commission populaire, dont les membres sont envoyés
à Paris.
« La ville étant tranquille depuis ce grand événement, et la
force armée n’étant plus aussi occupée, j ’ai demandé une permis
sion pour venir au pays. Quoiqu’il y ait près d’un an écoulé de
puis cette époque, je n’ai rien oublié de tout ce que j’ai vu dans
ces triâtes circonstances. »
Il finissait de parler, et les moissonneurs, la faucille à la main,
se disposaient à se remettre au travail, lorsqu’il arrive un voya
geur accablé de fatigue, les vêtements en désordre, qui, après les
avoir salués, leur demande comment il pourra se rendre sur PauIre rive. Ceux-ci lui répondent que, la rivière ayant éprouvé une
forte crue par suite de l’orage de la veille, il est impossible de la
passer à gué ; l’un d’eux ajoute que, le bateau deSl-Alban ne fonc
tionnant pas durant l'été, il n’a d’autre moyen de traverser le
Chassézac qu’en se rendant au pont de la Maisonneuve, par un
sentier qu’il lui indique, après avoir gravi la colline de Rone-d’aven (83), et dépassé le village de Chandolas ; qu’une fois arrivé,
par la grande route, à la Croisière de Jalès, il ira, en marchant
�—
196
—
devant lui, à St-Ambroix-, en prenant à gauche, h Barjac ; et à
droite, aux Vans et dans les Cévennes.
L’étranger les remercie cl s’éloigne. A l'instant Louis Boulle
s’approche du citoyen Chalvel et lui dit : L'homme qui nous quitte
n'est autre que Fauvety, dont nous venons de parler. En es-tu
bien sûr, lui demande celui-ci ? Comment voulez-vous que je me
trompe, répond-il ; je l’ai vu bien souvent, et sa figure a fait sur
moi une trop vive impression pour que je puisse faire erreur.
Dans ce cas, prends un des moissonneurs avec loi,, ajoute le pro
priétaire du champ, et allez l'arrêter.
Ceux-ci partent aussitôt, convenant entre eux du moyen qu'ils
devront employer pour se rendre maîtres du fugitif. Préférant em
ployer la ruse plutôt que la force, l’un prend une bouteille et lui
crie : Eh ! citoyen, nous ne vous avons seulement pas proposé de
vous rafraîchir. Il s’arrête, ceux-ci s'approchent, et lui passant si
multanément leur serpe autour du cou, de manière à le retenir
dans un cercle d'acier, lui disant : Nous vous arrêtons au nom de
la loi, car vous êtes Fauvety ! Ils le ramènent alors auprès du
groupe des travailleurs, sans lui laire le moindre mal. Là ils lui
offrent quelque nourriture, dont il avait le plus grand besoin,
n’ayant mangé, depuis deux jours qu'il so trouvait errant dans les
bois de La Blachère et de Bourbouillet, que des mûres de ronces,
ou une part du frugal repas des bergers.
Malgré l’état ou il se trouvait, Fauvety faisait bonne contenan
ce. Outre qu’il avait un caractère fortement trempé, il espérait
sans doute s’échapper encore. Mais il était bien gardé. Une fois
restauré, on l’amène à Sl-Alban, d’où on le fait partir pour Joyeuse
à cheval, lié et garrotté. Comme il arrivait dans celle ville, la
foule, proférant toutes sortes de menaces et de malédictions, lui
aurait fait un mauvais parti, sans la gendarmerie et les hommes
de son escorte. On le traduit immédiatement à Avignon, où il ar
rive un jour après ses collègues, comme le constate le verbal d’é
crou, pour subir avec eux son jugement.
—
197
—
XXVII
Le peintre, pour donner de la couleur et de la vie à ses tableaux,
cherche les sites pittoresques, les belles lignes de montagnes, les
vastes horizons.
L’écrivain militaire parcourt les champs de bataille où se sont
accomplis les faits mémorables qu’il doit raconter.
L’antiquaire, dans sa ferveur, examine les vieux monuments
qu’il veut décrire, alors même qu’ils laissent à peine quelques tra
ces.
L’auteur occupé à préparer une page d’histoire, pour être dans
le vrai jusque dans les moindres détails, aime à étudier tout ce
qui se rattache au sujet qu’il veut traiter. C’est ce que nous avons
fait dans notre modeste sphère, afin de mieux nous identifier avec
les événements que nous devons faire connaître.
Nous sommes allé à Bédarrides, où se passent, comme on l’a
déjà dit, deux scènes de ce drame de sinistre mémoire.
Nous avons vu la promenade de La Verne, qui faisait partie au
trefois des jardins de la famille de Montréal, à laquelle appartient,
selon un écrivain, Fra Moriale, d’abord chevalier de St-Jean-deJérusalem, puis Condottiere on Italie, où.il s’était rendu célèbre
par scs expéditions, mettant à contribution Riinini, Dise, Sienne
èl même Florence; enfin décapité à Rome par ordre de Rienzi,
jaloux de sa gloire, et peut-être plus encore de ses richesses. Cette
promenade rappelle Fauvety, quand on venait lui demander la
grâce des habitants de la ville, détenus à Orange.
Nous visitons ensuite la Viguerie, édifice dans un bon étal de
conservation, malgré les divers changements qu'il a subis -, tandis
que de l’ancien palais des archevêques d’Avignon, seigneurs de
Bédarrides, il reste à peine une porte ; et que des deux colonnes
élevées à la mémoire de Domilius Œnobarbus et de Fabius Maximus, pour leurs victoires sur les Allobroges, et qui se trouvaient
à quelques pas, sur la petite place, on ne voit plus vestige. Cette
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108
-
habitation, achetée en seconde main, pendant la Révolution, par
Portai, rappelle le luxe des anciens Viguiers. C’est là que le
président de la commission populaire d’Orange vint chercher un
asile. On nous a montré la chambre, au second étage, au-dessus
de laquelle se cachait le fugitif, dans un grenier ou il arrivait en
soulevant une trappe, et au moyen d’une échelle qu’on enlevait
ensuite. Il nous a été facile de le suivre à son entrée par la rue,
pendant son séjour dans la maison, et à sa sortie à travers le jar
din, par la petite porte donnant sur le barri , comme on dit
dans le pays.
Dans le Vivarais nous connaissions, depuis nos jeunes années,
le bourg de La Blachère, d’où il s’échappa pendant sa translation
de Paris à Avignon ; les bois, dans lesquels il erra pendant qua
rante-huit heures, ainsi que le champ où il fut arrêté par des
moissonneurs, comme on vient de le dire. Nous avons vu aussi
avec un vif intérêt l'ancien couvent de Carpentras, où se passa le
touchant événement que nous avons raconté sur la jeune Flavie
de Cohorn. Ce bel édifice, qui a changé de destination, est occupé
en partie, aujourd’hui, par le cercle de l’Ordre.
Nous avons pu nous assurer, à Avignon, de l’exactitude des
faits que renferme notre récit en ce qui concerne cette ville.
Venons à Orange.
Nous n’avons pas à nous occuper des beaux monuments de
cette antique cité, si ce n’est sous le rapport de la destination
qu’on leur avait donnée dans ces moments de troubles.
Parlons d’abord des prisons, dont il a été dit un mot dans un
chapitre précédent.
En première ligne nous devons citer le cirque., l’ancien théâtre
romain, remis aujourd’hui, autant que possible, dans son premier
étal. Les cachots du rez-de-chaussée n’existent plus, et les prisons
établies au-dessus, avec les petites ouvertures circulaires qui ser
vaient à donner un peu d’air aux malheureux prisonniers, ont
disparu aussi.
La prison des Dames religieuses de l'Enfant Jésus, appelées à
—
199
—
Paris sœurs de St-Maur, à Orange sœurs de SlerCroix, occupait
l’emplacement du tribunal actuel.
La maison Chiezc appartient aujourd’hui à la Congrégation de
Notre-Danie-de-Stc-Garde. D’après l'étendue des bâtiments, il était
facile d’y loger un grand nombre de détenus.
L’ancienne maison curiale, sur la place des Claslres, est ados
sée au mur méridional de l’Eglise. Elle était habitée par le Capiscol. Elle est occupée maintenant par M. Gaudibert. Elle pou
vait contenir au moins cinquante prisonniers. C’est là qu’étaient .
renfermées les religieuses avant d’être transférées à la maison
Chieze pour faire place aux Monnaidiers d Arles, dont nous avons
déjà parlé, qui y furent renfermés le 30 messidor, an IL
La prison du Temple de l’Être Suprême était l’ancien couvent
des Pères de St-Jean. La chapelle était affectée au tribunal révo
lutionnaire, et le reste des bâtiments servait à loger les accusés.
Aujourd’hui cet édifice appartient en entier aux Dames delà Pré
sentation de Marie. Ces lieux, qui virent couler tant de larmes,
n’entendent plus que des prières et des actions de grâces.
L’hôtel de la Baronne, possédé autrefois par la baronne de Sau
nier, est la propriété de M. Meissonnier, comme il a déjà été dit.
Les grandes salles où l’on entassait les prisonniers, cl que nous
avons pu visiter, grâce à la courtoisie du propriétaire, nous a re
mis en mémoire ces temps de calamités.
Le couvent des Cordeliers n’a servi de prison qu'après le *21
thermidor, an II, pour y renfermer cent accusés qui se trouvaient
dans celle du cirque.
On le voit, tout était prison en France, alors que l’on ne par
lait que de liberté !
La maison Dumas, où se tenait le comité de surveillance, est
colle qu’on voit dans la rue de l’Evéché, et sur les murs de la
quelle on lisait encore dernièrement les mots, à demi effacés :
Liberté, Égalité. La ville l’a achetée de M. Monier.
La maison située à l'angle formé par la rue de Tourrc et le cours
St-Martin, et qui vient d’être rebâtie, n ’avait rien de particulier.
Mais elle dirait le pieux souvenir du ministre de Dieu qui expo-
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200
sait sa vie pour donner une dernière bénédiction à ceux qui allaient
au martyre, et le souvenir non moins touchant de l’estimable
artisan, le citoyen Laurent, qui bravait la mort pour lui donner asile.
L’ancien epuvent des Orphelines, à peu de distance, sur le cours
St-Martin, a éprouvé aussi quelques changements par suite de
réparations. Nous rappellerons que c'est là que du haut d’une fe
nêtre, des membres du tribunal et leurs amis venaient jouir, aux
premières loges, d’un spectacle si cher aux sans-culottes.
La maison de Jonc est une des plus belles d’Orange. Aussi,
fixa-t-elle le choix des membres de la commission quand ils vou
lurent se loger. La'manière dont, ils prirent possession mérite
d’être racontée.
Un beau jour, leur nomination en poche, ils arrivent à Orange.
Mais où établir leur résidence ? Dans un hôtel ? Ils ne le pouvaient
pas, d’après les instructions qui les obligeait à vivre seuls entre eux,
loin de, la société de personnes qui auraient pu les influencer par
des prières et des obsessions. Ils parcourent la ville pour faire euxmêmes un choix. Ils voient la maison de Jonc, grande, d’une belle
apparence, et c’est sur elle qu’ils jettent leur dévolu.
Après s'être concertés, étant d’accord sur ce point, ils frappent
à la porte. La domestique les introduit auprès de la maîtresse de
la maison, femme Agée, veuve, et dont le fils est à l’armée. Ci
toyenne, dit l’un d’eux, il nous faut La maison pour la commission
populaire.—Et moi ? répond-elle, comment ferai-je?—Seule avec ta
domestique, il te sera facile de te loger dans la ville, réplique son
interlocuteur. Le ton avec lequel ces paroles sont prononcées, lui
prouve qu’elle n’a qu’à obéir. Elle part, n’emportant avec elle
que ce qui lui est strictement nécessaire.
Le lendemain matin quelle est la surprise des juges en voyant
Mrao de Jonc assise sur un banc devant la maison, où elle avait
passé une partie de la nuit, avec sa domestique portant le petit
panier aux provisions. Tu n’as donc pas trouvé de logement, ci
toyenne ? — Non, la ville est encombrée. — N’as-lu pas une au
tre maison ? — J'en ai bien une petite, mais elle est louée, et je
ne puis déposséder de pauvres artisans qui l’occupent. — Ce n’csl
—
201
—
que cela ! rassure-toi ; la nation ne veut pas que lu sois à la rue,
et nous allons à l’instant signifier à tes locataires qu’ils aient à
déguerpir. Ce qui fut dit fut fait, et des gens du peuple furent
mis à la porte par ceux qui faisaient tout au nom du peuple et pour
le peuple.
Les juges restèrent là tout le temps qu'ils passèrent à Orange,
se servant du linge, de l’argenterie, comme s’ils eussent été chez
eux. Mais ce qu’il y a de plus caractéristique dans ce sans-gêne,
c’est qu’ils envoyaient leur linge sale à la propriétaire pour le
faire blanchir.
Leur départ fut si précipité, qu’ils n’eurent pas le temps d’a
dresser un remercîment à leur hôtesse, et laissèrent toutes choses
fort en désordre, mais intactes. Là se trouvaient tous leurs papiers,
qui furent brûlés en grande partie par un scrupule peu raisonné.
On a perdu ainsi des documents précieux pour les annales de la
Révolution.
Nous avons encore à parler du cours St-Martin, situé au bout
de la ville. C’est une place rectangulaire. A la partie la plus élevée,
dans la direction du Midi, comme il a déjà été dit, se dressait, l’é
chafaud.
Sous la restauration, MM. deVidcan et Rosty prirent l'initiative
de l'érection d’une chapelle expiatoire dans laquelle devaient être
déposés les restes de ceux qui avaient péri d’une manière si déplo
rable là où se faisaient les exécutions. Cette généreuse pensée
trouva de l’écho dans le pays, et de nombreuses souscriptions per
mirent de réaliser ce projet.
Mais survint la révolution de 1830. Les gens qui avaient intérêt
à faire oublier les crimes de la Terreur renversèrent, pendant la
%
nuit, au moyen de pétards, les deux colonnes de la porte d’entrée.
L’autorité locale, secondaut ce commencement de destruction,
finit par faire disparaître entièrement ce monument, sous le pré
texte qu’il ne fallait pas rappeler des souvenirs néfastes, sans
songer même à placer dans une église une simple pierre commé
morative en l’honneur des martyrs de nos discordes civiles. Si
l’on doit désirer que les haines s'effacent, on doit voir aussi à
�L
—
202
—
*
regret disparaître ce qui peut nous servir d’enseignement, en
encourageant les bons et flétrissant les méchants; car, si l’on vou
lait mettre en oubli ce qui parfois blesse les sentiments et froisse
les sympathies, il faudrait supprimer l’histoire. Partout il n’en a
pas été ainsi : on voit encore aux Broteaux la pyramide consacrée
aux vaillants défenseurs de Lyon. Nous i vons visité nous-même,
auprès d’Auray, la chapelle élevée à la mémoire des victimes de
Quiberon, parmi lesquelles reposent deux braves officiers dont
s'honora notre famille. Le voyageur qui passe devant des monu
ments de ce genre, quelle que soit son opinion, salue avec res
pect les restes de ceux qui sont morts pour leur foi politique.
M. Millet du Gabet n'a pas écouté de mesquines considérations,
et laisse subsister à la Plane, la chapelle qui consacre ce pieux
souvenir. Pourquoi n’en a-t-il pas été de même au cours Sl-Mnrtiu? Mais il est une justice au-dessus de Injustice des hommes,
— l’opinion publique, — et l'on peut appliquer à cette place, telle
qu’elle est maintenant, les belles paroles de Tacite au sujet des
funérailles de Junie, où l’on voyait les images de vingt familles
illustres, parmi lesquelles Cassius et Brutus brillaient par leur
absence : Sed præfulgebant Cassius et Brutus eo ipso qm d effigies
eorum non videbantur. Ici le monument expiatoire brille aussi
par son absence.....
XXVIII
Cependant la nouvelle de l’arrivée à Avignon des membres de
la Commission s’étalt répandue avec rapidité, et avait produit une
grande agitation chez les habitants de la ville, et surtout parmi
ceux des communes environnantes qui avaient vu leur population
décimée par de journalières exécutions.
On rencontrait dans les rues que devaient suivre les accusés,
pour aller du palais où ils étaient incarcérés au tribunal criminel,
—
203
—
des gens à la figure irritée, fc la parole menaçante, qui voulaient
voir ceux qui naguère faisaient trembler tout le monde.
L’autorité, devant cette effervescence, cherchant à éviter les cri
mes commis dans quelques villes du Midi aux premiers moments
de la réaction, avait publié une proclamation aux citoyens pour
les inviter au calme, au respect à la loi, à qui appartient le droit
de faire justice ; et en même temps redoublait de vigilance.
Le 2 messidor, an III, commencèrent les débats. On avait auto
risé les accusés à prendre des défenseurs officieux, eux qui n’en
souffraient pas quand ils siégeaient ù Orange. Mais aucun avocat
ne voulut se charger de ce mandat, en apprenant les motifs que
ceux-ci comptaient faire valoir, tant était grande l’horreur pour
les principes qn’ils cherchaient à légitimer. Ils furent donc obligés
de présenter eux-mêmes leur défense.
Barjavel, pendant sa détention à Paris, avait rédigé un mémoire
justificatif (84), dans lequel il e Hquait sa conduite depuis le
commencement de la révolution jusqu’au jour de son incarcéra
tion : on y trouve des renseignements utiles. A Avignon, pendant
le peu de jours qu’il passa en prison, il rédigea un second mémoi
re, qu’il avait dû préparer pendant le trajet de Paris dans cette
ville, où il présente sa défense, ainsi que celle de Ragot, de Benet
cl de Collier-Julian ; sans s’occuper du sort des autres membres
de la commission (85). On trouvera aux notes ces deux pièces,
copiées exactement sur les manuscrits.
On y verra aussi le jugement du tribunal criminel d’Avignon
(88), le rapport du président (87) ; le rapport du juge de paix,
chargé de recueillir les déclarations des condamnés (88) ; le verbal
du jugement (89) ; le jugement, d’après lequel Collier-Julian est
condamné à 20 ans de fers (90); le jugement du tribunal de cas
sation qui casse celui rendu h Avignon (91) ; un arrêté du comité
de sûreté générale et do législation réunis, déclarant le jugement
du 22 messidor, an III, nul et de nul effet (92).
On trouvera aussi parmi ces pièces une cédule et une assigna
tion à témoin, qui serviront à faire connaître les formes de la jus
tice d’alors (93).
�—
204
—
Nous ne rapportons pas le réquisitoire de 1accusateur public,
reproduit par le jugement, qui démontre l’illégalité de l’existence
des juges d'Orange, auv termes du dernier décret de la Conven
tion, dans les 23 chefs d’accusation, et dans les attentats commis
pendant qu'ils ont siégé.
Il est à remarquer, dans celte circonstance, que Goubert el
Tcxicr, compromis dans l’affaire de Bédouin, amenés avec lesaulres
prisonniers, ne sont pas mis en cause, par la raison que, si l’on
avait décrété d’accusation les auteurs de cet acte sauvage, il fallait
faire figurer en tête Maignet et les autres complices. On s’est
contenté de réhabiliter des innocents, en laissant dans l'impunité
les coupables.
Le 8 messidor, an III, à trois heures de l’après-midi, les mem
bres du tribunal révolutionnaire d'Orange étaient exécutés sur la
place du Palais d’Avignon.
Nous n’avons rien pu savoir sur les derniers moments de Fauvety, de Roman-Fonrosa et de Meillerct. Mais nous avons le
devoir de faire connaître quelle a été la fin de trois autres de
ses collègues. Nous trouvons ces renseignements dans une lettre
de l’abbé Garilhe, en date du 17 juillet 1797, dont M. Bonncl,
vicaire de l’église de Notre-Dame d'Orange, a bien voulu nous
donner communication avec une obligeance parfaite. Suivant
cette lettre, il est constant que Ragot, après sa condamnation à la
peine de mort, a demandé à ceux qui l'entouraient s’il ne pouvait
pas, avant l'exécution, recevoir les secours de la religion. Celle
demande ayant été renouvelée dans sa prison, M. Garilhe, prêtre
catholique insermenté, entendit sa confession, qu’il avait déjà
faite à un prêtre assermenté.
Ragot fit partager ses sentiments religieux à Viol et à Barjavcl.
Tous les trois demandèrent à ce vénérable ecclésiastique la faveur
de les accompagner jusqu’à l’échafaud, après s’être recommandés
à ses prières, el lui avoir remis des fonds pour des messes, en le
priant, en même temps, d’écrire à leurs femmes pour leur faire
connaître les dispositions ou ils étaient au moment de leur mort,
et les engager de leur part à élever leurs enfants dans les principes
205
—
de la religion catholique. Les condamnés récitaient, en allant au
supplice, le Miserere et autres prières, avec une grande componc
tion.
Ragot, quoique le dernier dans la marche, courut pour monter
le premier à l'échafaud, sans doute, dit l’abbé Garilhe qui connais
sait son repentir, pour encourager ses compagnons à mourir avec
courage. Il est fâcheux, ajoute-t-il, que le public ait pris pour un
acte de scélératesse et de misérable jactance, dans ce moment
suprême, cet empressement qui avait un noble but.
Barjavel avait été engagé à parler, au moment de mourir, en
faveur de la religion. Comme il se disposait à le faire, le peuple,
croyant qu’il allait chercher à se justifier, ne lui laissa pas la pos
sibilité de prendre la parole.
La pièce que nous venons de ciler el dont nous donnons ici un
résumé, présente tous les caractères de la vérité. La lin de ces
trois condamnés ressemble peu au reste de leur carrière politique-,
mais la grâce, qui change les cœurs qu’elle louche, explique par
faitement ces conversions.
Collier-Julian, au moyen d’un certificat de médecin et de l'in
fluence de M. Abrigeon et de quelques autres amis, obtint le ren
voi de sou jugement à quinzaine, afin de séparer sa cause de celle
de ses coaccusés. Il est condamné à 20 ans de fers par arrêt du
22 messidor, an III, par le tribunal criminel dV'vignon, avec
exemption de l’exposition, qu’il voulait éviter à tout prix. Le 20
brumaire, an IV, une décision du tribunal de cassation casse ce
dernier arrêt, établissant qu’il n’a joué qu’un rôle purement passif
dans la commission populaire, etque, par conséquent, il se trouve
compris dans l’amnistie accordée pour délits politiques, aux ter
mes du décret de la Convention nationale du 4 brumaire ; inter
prétation de la loi sanctionnée par un arrêté du comité de sîlreté
générale el de législation réunis. Rentré dans la vie privée, il s'oc
cupe uniquement de sa profession d’avocat, qu'il exerce avec dis
tinction. A la Restauration, pour faire oublier des souvenirs qu’on
pouvait invoquer contre lui, et éviter tout conflit .avec le parti
�—
dominant, il prend la particule nobiliaire, que lui donne son
litre de docteur en droit, en vertu des anciens statuts du ComtatVénaissin, non abrogés. Il se livre, jusqu'à sa mort, arrivée en
1852, aux pratiques de la religion et aux bonnes œuvres. Si nous
avons cru devoir mentionner des actes qui appartiennent à l’his
toire, et blAmer la part qu’il peut avoir prise, quelque minime
qu’elle soit, aux travaux d’une commission révolutionnaire, nous
constatons avec empressement le changement qui s’était opéré
dans ses idées ; et nous ne voyons plus dans l’ancien secrétaire
de l’accusateur public, que le savant jurisconsulte qui a laissé à
une honorable famille la mémoire d’un homme de bien.
Quant à Napier, huissier, condamné à 12 ans de fers et à l’ex
position, il dut subir sa peine. Mais il n’eut pas un destin plus
heureux que Fernex. Attaché au poteau, une fleur à la bouche, il
narguait le public. Ayant répondu par des invectives grossières
aux plaisanteries outrageantes de quelques enfants, un jeune
homme s'élance sur l’échafaud, détache ses liens, et le précipite à
terre. La populace qui ne connaît plus de frein quand elle est
exaspérée, l’entoure, l’accable de coups, et quand il a expiré, va
jeter son corps dans le fleuve. Triste lin pour un coupable ! action
détestable et malheureuse pour une cité !
XXIX .
Nous avions terminé celle étude, quand on nous a confié deux
lettres d’un grand intérêt pour nous. L’une est de Mme V.....petitehile de Fauvely (94) ; l’autre est la copie, certifiée conforme, d’une
lettre que celui-ci écrivait à sa femme quelques instants avant sa
mort (95). Ayant l’autorisation de les publier, nous les reprodui
sons aux pièces justificatives, en ajoutant seulement quelques
observations sur des points qui nous ont frappé.
La première, qui se distingue par la forme élégante du style, a
pour but de faire connaître les causes qui ont provoqué, chez le
207
—
président de la commission populaire d’Orange, une conduite
politique, jugée par l’histoire avec sévérité. Si les liens du sang
excusent jusqu’à un certain point les appréciations que renferme
cette lettre, l’ignorance, où était sans doute la personne qui l’écrit,
de la relation de Pays d’Alissac, de la correspondance journalière
des juges du tribunal avec le comité de Salut Public, reproduite
par l’auteur de la justice révolutionnaire, et de quelques pièces
authentiques, peu connues, qui nous ont été confiées ; enfin de la
lettre môme de Fauvety à Payan, déjà citée ; l’ignorance, disonsnous, de ces documents, où se dévoile le caractère de Fauvety,
explique l’interprétation favorable qu’a dû adopter la piété filiale.
Sans exprimer d’une manière précise la pensée que la religion
n’était pas étrangère aux principes républicains de Fauvety, un
passage de celle lettre, où il est dit qu’il fût obligé d’aller à Genève
pour se marier, le donne suffisamment à entendre, et semble éta
blir qu’en France on ne pouvait le faire que d’une manière irrégu
lière. Examinons la question.
Depuis la révocation de l’édit de Nantes, les personnes attachées
à la religion réformée avaient trois manières de procéder à la célé
bration du mariage.
1° Le mariage devant l’église catholique avec les épreuves
qu’elle exigeait.
2° Le mariage au désert, ou clandestin, béni par un ministre, et
qui, aux yeux de la loi, n’était qu’un acte purement religieux.
3° Le mariage contracté en vertu de l’arrêt de Louis XIV, en
date du 15 septembre 1685, qui ordonnait que ceux des protestants
qui se trouvaient dans les pays où l’exercice de leur religion était
interdit, pourraient sc marier devant le principal officier de justice
de la résidence où demeuraient et oîi auraient été établis les minis
tres préposés pour les baptêmes cl les mariages des protestants ; et
que la publication des bans serait faite au siège le plus prochain
du lieu de la demeure de chacune des deux personnes qui voulaient
se marier.
Voilà donc des mariages validés par la présence des magistrats
�—
208
—
et par la publication des bans à faire dans un tribunal dû justice.
C'était notre mariage actuel devant l’état civil.
Quant à la partie religieuse, on ne pouvait procéder à cette
cérémonie avec la pompe qui régnait dans la religion de l’Etat ;
mais, dans la vie privée, il était facile de lui donner tout l’éclat
qu’on pouvait désirer. Bien qu’on pût arriver ainsi au même résul
tat, il n’en est pas moins vrai qu’il existait dans la législation une
inégalité qu'on ne saurait trop blâmer, car la liberté de conscience
est inhérente à la dignité de l’homme.
Toutefois, ces mesures rigoureuses, qu’on attribue uniquement à
Louis XIV et à ses successeurs, étaient dans les mœurs de celle
époque, si l’on s’en rapporte à un grand nombre d’arrêts des par
lements, contraires à la liberté religieuse chez les protestants.
Mais celte position tendait à s’améliorer de jour en jour. Déjà
l’édit de Louis XIV était tombé en désuétude sous le régent ; fait
que contredit, selon un écrivain moderne, l’édit de 1697, et la
déclaration du 12 décembre 1698. Toujours est-il que le pasteur
Antoine Court put rétablir les synodes et réorganiser les églises
réformées.
Malesberbes, dans un mémoire éloquent avait demandé, en 1785,
l’état civil pour les protestants. Ce droit leur fut accordé par l’édit
de 1787, sur le rapport du baron de Breteuil. Tout porte à croire
que la liberté religieuse, comme la liberté civile et l’égalité devant
la loi, auraient été accordées par ce bon roi à tous les Français,
progressivement cl sans secousses, quand la révolution vint tout
niveler d’une manière violente, au milieu des massacres et des
exécutions sanglantes.
En un mot, pour en finir sur cette question, en l’an 2 de la
république ces obstacles avaient disparu, et des lois contraires aux
sentiments de la nation ne pouvaient revenir. Rien donc ne
devait légitimer l’animosité qu’on montrait contre les membres du
clergé.
Il en est de même d’autres inégalités, d'oppressions, d'injustkes,
comme il est dit dans cette lettre, qui avaient pu pousser Fauvety
aux dernières conséquences des idées de régénération, quand cet
étal de choses avait cessé d’exister. Celle opinion n’avait dune
plus de raison d’être, si personne ne contestait les droits acquis,
pour la conservation desquels il n'était plus nécessaire de vaincre
ou de périr! Enfin, alors que l’on combattait à outrance le fédé
ralisme, qui voulait la République moins l’omnipotence sangui
naire de Paris, comment comprenait-on dans cette vengeance de
pauvres gens de qui l’on n’avait rien à craindre?
Nous croyons avoir répondu aux arguments invoqués avec l’élo
quence du cœur on faveur de Fauvelv.
Passons maintenant à la lettre de celui-ci. Sans nous arrêter à
l’épithète d’assassins, que les partis, à cette époque, s’adressaient
réciproquement, observons qu’il ne devait pas se montrer si étonné
devoir que scs ennemis envoyaient à la mort un homme dange
reux,jeune, entreprenant comme il l’était, quand lui-même condam
nait, sans hésiter, à la peine capitale, des femmes, des vieillards,
des enfants, des prêtres, des religieuses, qui ne pouvaient nuire h la
République : ce n’était plus la nécessité du supplice, c’était le luxe
du supplice.
Mais h coté de ses récriminations envers ses juges, qu’il regarde
comme ses ennemis personnels, on trouve dans cette lettre l’ex
pression la plus touchante de l’amour delà famille dans les adieux
qu’il adressa à sa femme, en lui recommandant son enfant et son
vieux père. Celte communication de sa correspondance, en nous
montrant les qualités de l’homme privé, nous fait regretter la voie
funeste dans laquelle il s’était engagé, mais ne peut modifier notre
opinion sur l’homme politique. Nous avons jugé Fauvety avec
impartialité, comme nous l’avons fait h l’égard des autres mem
bres de la commission populaire, plus encore par des actes offi
ciels et par leurs écrits, que par des faits qui reposent sur de sim
ples témoignages; car bien que, d’après l’honorabilité des personnes
de qui nous les tenons, ces témoignages nous paraissent irrécu
sables, nous avons cru néanmoins ne. devoir les accueillir qu’avec
une extrême réserve et après un mûr examen. Nous ne changeons
donc rien à ce qui est déjà écrit, convaincu que nous ne nous
Ii
�—
210
—
sommes jamais écarté, clans nos appréciations, de la justice et de
la vérité.
Ajoutons, on forme d’épilogue, quelques éclaircissements qui
nous paraissent nécessaires.
Nous devons répéter ici que l’épigraphe tirée de Montaigne:
« Cccij est un livre de bonne foy, » exprime notre intention et
rend toute notre pensée.
Comme on peut s’en convaincre par ce qui précède, outre les
pièces officielles que nous avons dû produire, nous nous sommes
entouré de documents nouveaux, autant que possible, mais puisés
toujours aux sources les plus estimées et les plus authentiques.
Peut-être, entraîné par le désir de faire connaître non-seulement
les événements, mais l’esprit de l’époque dont nous nous occu
pons, avons-nous multiplié des faits, qui parfois peuvent paraître
peu importants. A ce reproche, si l’on nous l’adressait, nous répon
drions que dans une œuvre d'imagination on doit éviter les lon
gueurs, alors que l’auteur cherche plus à plaire qu’à instruire;
mais que dans un livre qui peut fournir des matériaux à l’histoire,
on ne doit omettre rien de ce qui peut lui donner de la valeur et
de 1 intérêt, dans les limites d’une saine critique ; car telle parti
cularité qui semble hors de propos aux uns, devient utile aux
autres, dans un sujet qui exige des recherches spéciales.
Nous avons évité des réflexions, presque toujours superflues quand
les faits portent avec eux leurs enseignements. Mais lorsque nous
avons cru devoir émettre une opinion, formuler un jugement,
quelles que fussent nos sympathies ou nos répulsions, nous avons
toujours cherché à être juste, car l’écrivain doit avoir pour devise:
Amiens Pinto, sed ma gis arnica veritas.
Ce sentiment d'équité fait que nous établissons une distinction
entre les hommes probres que le fanatisme politique et le génie du
mal ont poussés à de tels excès, cl les hommes non moins cruels,
qui par cupidité se sont fait un marche-pied de leur patriotisme
pour arriver à la fortune. Ceux-là peuvent exciter la haine ; ceuxci doivent ajouter à ce sentiment le dégoût et le mépris. Dans le
crime il y a des degrés : c’est ce que nous avons cherché à établir,
tout en ne perdant pas de vue que les bonnes intentions ne peu
vent absoudre ceux qui ont participé à des actes dont les résultats
ont été déplorables.
Il est juste de dire aussi que des gens, sous l’empire des passions
les plus fougueuses, ont sauvé, au risque de leur vie, des victimes
vouées au supplice. Le ciel qui les éclairait alors d'un rayon de la
lumière divine, a dû leur tenir compte de ces nobles élans de
miséricorde et d’humanité.
Une dernière réflexion. Dans les moments de troubles cl de
désordres, l’homme doit se rappeler les préceptes de la sagesse qui
nous vient d’en haut, quand clic dit que celui qui s'expose au péril
périra! Car si Dieu ne lui accorde pas la force nécessaire pour
résister, emporté par le souille brûlant des tourmentes révolution
naires, une fois les pieds dans le sang et dans les larmes, selon
l’expression de Sl-Jusl, il se voit entraîné malgré lui sur une pente
fatale, au bout de laquelle il ne trouve souvent que l’ignominie et
l’échafaud (96.)
FIX
�notes et pièces justificatives
N o te
1
Les historiens ne sont pas d'accord sur le grade qu'il avait alors
dans l’armée. Voici le relevé de ses états de service d’après un
acte oITiciel :
29 avril
1779, élève à l'école de Brienne ;
22 octobre 1784, élève à l’école militaire de Paris ;
lcrscplcmbre 1785, lieutenant en second au régiment d'artillerie
de la Fèrc;
1er avril
1791, lieutenant en premier au régiment d’artillerie
de Grenoble -,
6 février
1792, capitaine en second an même régiment ;
25 février
1792, lieutenant-colonel en second au 2n,c bataillon
des gardes nationales volontaires delà Corse-,
2 avril
1792, passé en cette qualité au 1er bataillon ;
10 janvier
1793, lieutenant-colonel en premier, commandant
l'artillerie à l’expédition de la Madeleine ;
8 mars
1793, capitaine en premier au'2me régim. d artillerie;
19 octobre
1793, chef de bataillon au 2mc régim. d’artillerie;
30 novembre 1793, nommé provisoirement adjudant-général, chef
de brigade, à Toulon ,
0 février
1794, confirmé dans cc grade ;
0 août
1791, suspendu et mis en arrestation , élargi le
20 août suivant ;
27 mars
1095, commandant l’artillerie îi l’armée de l'Ouest.
(Moniteur de l'Année. 1869, n° 50.)
�— 214 —
N o te 2
Dépêche de Napoléon Bonaparte aux représentants Robespierre
jeune et Fréron, de Toulon, le K décembre 1793 :
« Citoyens Représentants,
« C'esl du champs de la gloire, marchant dans le sang des traî
tres, que je vous annonce avec joie que vos ordres sont exécutés et
que la France est vengée : ni 1âge ni le sexe n’ont été épargnés ;
ceux qui avaient été seulement blessés par le canon républicain
ont été dépéchés par le glaive de la liberté et par les bayonneltcs
de l’égalité. Salut aux représentants Robespierre le jeune et Fréron.
n Signé : B rutus B uonaparte,
« Citoyen sans-culotte. »
N o te 3
Lettre d’Agricol Mourcau à Payan.
Avignon, le IG prairial an II de la République.
Je suis arrivé hier ici, mon cher Payan, après quatre jours de
courses consécutives. J’avais eu soin de cacher le moment de mon
arrivée; cela n’a pas empêché que je n’aie trouvé mon beau-frère
à une lieue en avant : il est vrai qu’il y venait tous les jours.
J ’ai vu hier, de quatre lieues, les flammes révolutionnaires qui
consumaient l’infâme Bédoin. La contre-révolution y avait éclaté
avec toutes ses horreurs et son audace. On a trouvé les cocardes
blanches et les chaperons pour messieurs les consuls, J1 y a eu
soixante-trois guillotinés ; le reste des habitants a été partagé entre
quatre communes environnantes, oii ils seront traités comme les
—
215
—
ci-devants qu’on a forcés de partir de Paris. Hier, j’ai assisté, sans
être aperçu, h l’installation du tribunal populaire d’Orange. Les
patriotes sont contents, mais leurs ennemis ont la mine allongée.
Tu n’a pas d’idée de la joie que la mort de Jourdan a occasionnée
ici. Un fait bien positif, c’est que messieurs de la noblesse et mes
dames surtout étaient pour lui. La marquise d’Eyragucs, avec
toutes les femmes de sa cour, disait : À présent que M. Jourdan
se rapproche des principes, vous verrez qu’on nous l’enlèvera! On
a trouvé à Marseille une lettre de lui à Rebecqui, dans laquelle ce
monstre lui disait que si on voulait le faire sortir des prisons de
Marseille, il viendrait rallier au drapeau des rebelles tous les par
tisans d’Avignon cl de Vaucluse. Cette lettre doit être arrivée à
Paris le 10 de ce mois. Son parti, qui est celui de Rovère et de
Dupral et de tous ceux à qui on pourrait reprocher quelque chose
au sujet de la fédération, n’était pas celui d’Hébert, mais bien posi
tivement celui de l’infâme Danton. On doutait encore du crime de
ce perfide ; je dis, on doutait, et, dans ce cas, je parle de la clique.
Tous mes amis sont venus m’embrasser. Oh ! que j’aurais voulu
que quelqu’un fut témoin de l’esprit public qui se manifesta hier!
Le faubourg Saint-Antoine d’Avignon fut beau, fut grand : A bas
la tyrannie ! Vive la montagne! Voilà les cris répétés. Mon nom
ne fut pas prononcé, ce qui me fit plaisir; mais le peuple est pour
la chose et non pour les mots. J ’ai vu avec peine parmi ceux qui
sont venus m’embrasser, quelques personnes que je ne crois pas
amies du gouvernement ; mais je dis, dans ce cas, ce que
Maximilien disait à Legendre ; Ne crois pas que je sois la dupe
de les discours patriotiques. Adieu, je t’écrirai plus à loisir demain.
Salut à l’ennemi des traîtres ; qu’il se hâte de les frapper, car ils
conspirent sans cesse. Il n ’y a pas quinze jours, à ce que l'on m’a
assuré, que le marquis de Fonvielle mandait à ses adulateurs de
tenir ferme, qu’ils n’auraient pas longtemps à lutter. On a trouvé
sur un prêtre guillotiné à Bédoin, un sauf-conduit de ce traître.
Ce fait est possilif. Adieu, salut à ton frère, à Fourcade cl à mes
mes amis, qui sont les tiens.
Signé : Agricol M oureal .
�—
Viol, Faure, Meillerel, qui entrent à l’instant, vous saluent.
Mcilleret, l’oncle, te prie de lui faire passer l'acte d’accusation
contre Jourdan.
Ma sœur t’embrasse un milieu de fois. Oh ! qu’elle a versé de lar
mes en m’embrassant !
Papiers trouvés chez Robespierre1
N o te 4
Avignon, le 3 octobre 1793 an II de la République une et indivisible.
L'accusateur public près le tribunal criminel du département
do Vaucluse, aux citoyens administrateurs du département de Vau
cluse :
Le département du Gard, sur ma demande, prête pour quinze
jours «à ce département la guillaulinc (sic) en attendant que celle
que nous a annoncée le ministre des contributions publiques nous
soit parvenue. Je vous prie de faire fournir une voiture à trois
colicrs (sic) pour aller demain prendre à Nîmes cet instrument
salutaire.
Signé :
B a r ja v el .
Guintrandi, président, enjoint à la municipalité de faire pren
dre à Nîmes la machine à décapiter.
[Manuscrits de la collection Requien.)
N o te 5
Vingt mille individus au moins sont employés : le canon et la
mine aident, et, suivant le rapport d’un des agents de Robespierre,
on consacre 400,000 francs par décade pour ces travaux. De quel
que côté que l’on se tourne, ce sont partout des tourbillons de
poussière qui accompagnent le fracas des murailles qui tombent, et
217
—
les cris victorieux des démolisseurs. En Bellecour non-seulement les
belles façades qui ornaient cette place, mais encore d'autres mai
sons, qui contribuaient à l’embellir, sont renversées. Sur le quai
du Rhône, déjà si maltraité par les batteries ennemies, plus de
vingt édifices sont démolis. Tout un côté des rues de Flandre et de
Bourgneuf est jeté dans la Saône, et, dans l’intérieur de la ville, on
ne voit que renversement. La place des Terreaux est inondée de
décombres. Le quai Saint-Clair ressemble à des ruines. Les
murailles de la ville, anciennes et trop imparfaites fortifications,
sont obstruées. Les charmantes promenades qui se trouvaient sur
leurs terrasses et dans leurs fossés, depuis le Rhône jusqu’à la
Saône, ne présentent plus à l’œil effrayé qu’une suite de débris, à
demi-couverts par les terres éboulées. Le long de ce chaos prolongé
s’ouvrent horriblement, de distance en distance, les restes caver
neux des vieilles casemates, qui ne sont plus que le refuge des
hiboux, le repaire des scélérats, l’asile ténébreux du libertinage.
C’est l’ouvrage de Coulhon (l’auteur oublie le nom Maignet), c’est
le trophée de Collot.
L’autre partie des murailles de la ville, depuis Yaise jusqu’à la
porte Saint-George, fut soumise au même sort ; elle offre le même
spectacle. El ce château de Pierre-Scise, qui, par sa structure et sa
position pittoresque sur un rocher taillé à pic au bord de la Saône,
avait mérité d’être dessiné par les étrangers, ne se retrouve plus
que dans leurs portefeuilles, parmi les recueils des vues agréables
et curieuses. {Lyon tel qu'il était et tel qu'il est, par A. Guillon.)
Vis-à-vis du palais Saint-Pierre, place des Terreaux ou se fai
saient les exécutions, on voit une grande maison portant le n° 6,
plus récente que celles du même côté. Pendant la Terreur, les
Représentants du peuple, logés dans la rue Sainte-Catherine, n° 11,
voulant jouir du plaisir de voir tomber les tètes des malheureux
condamnés, sans se déranger,firent abattre cette maison qui gênait
leur vue, et qui, plus tard, fut rétablie telle qu elle est aujourd’hui.
Dans ce hideux tableau qu’ils avaient devant eux, par un raffine
ment digne d’une horde de sauvages, en voyant couler des Ilots de
�—
sang, ils sc plaisaient à verser en même temps des Ilots de vin. La
pièce authentique ci-après en fournit la preuve.
« Au nom du peuple, les représentants envoyés en mission à la
Commune Affranchie (Lyon) pour faire le bonheur de ses habitants,
ordonnent au Comité des séquestres de leur envoyer immédiate
ment deux cents bouteilles de Bordeaux de première qualité pour
leur table. A cet elTcl, la Commission est autorisée à lever les
séquestres où ledit vin pourra être trouvé.
« Commune Affranchie, le 13 nivôse an II.
« Signé : A lbitte , F ouché. »
(Journal Le Français.)
N o te 6
Oui, trop longtemps le modérantisme a régné dans celte com
mune; trop longtemps l’aristocratie y a trouvé asile et protection.
Il faut que cet atl'rcux système d’une meurtrière clémence dispa
raisse; que l’énergie républicaine échauffe toutes les Ames, qu’elle
électrise tous les cœurs, qu’elle abatte toutes les têtes orgueilleuses
qui n’ont pas su de bonne heure s’abaisser devant le niveau de
l’égalité. Il faut enfin que le peuple soit heureux, et il ne peut
l'être que quand nous serons débarrassés de tous ceux pour qui
celle idée de bonheur du peuple est un supplice.
(Recueil officiel des arrêtés de Maignct.j
N o te 7
Prud’homme rapporte, au sujet de la lenteur de la guillotine en
province, cette lettre de Giraud à un commissaire du Comité de
salut public :
« Je citerai toujours Paris, car Paris peut servir de modèle à
219
—
tout. A Paris donc, l’art de guillotiner a acquis la dernière perfec
tion :Sanson et ses élèves guillotinent avec tant de prestesse, qu'on
croirait qu’ils ont pris des leçons de Cornus, à la manière dont ils
escamotent leur homme : ils en ont expédié douze en treize minu
tes. Envoyez donc à Paris l’exécuteur des hautes œuvres de Mar
seille pour faire un cours de guillotine auprès de son collègue
Sanson, car nous n’en finirons pas. Tu dois savoir que nous ne le
laisserons pas manquer de gibier de guillotine et qu’il faut en
expédier un grand nombre. En outre, je ne voudrais pas que tu fis
(sic) accompagner ces bougres-lù avec un tambour, mais avec un
trompette, ce qui annonce mieux la justice du peuple. Il faut sup
pléer à la promptitude de la guillotine pour électriser le peuple en
conduisant ses ennemis à. l’échafaud. Il faut que cela soit une
espèce de spectacle pour lui. Les chants, la danse doivent prouver
aux aristocrates que le peuple ne voit de bonheur que dans leur
supplice. Il faut, en outre, faire en sorte qu’il y ail un grand con
cours de peuple pour les accompagner à l’échafaud. »
N o te 8
Lettre de M. le chevalier de l’Église à M. le marquis de SeguinsVassicux :
Carpentras, ce 5 janvier 1859.
Voici, mon cher cousin, selon vos désirs, le narré fidèle de ce
qui s’est passé entre mon frère Félix et moi, d’une part, et le repré
sentant Maignet de l’autre, en juin 1794, c’est-à-dire au moment
du plus fort de la Terreur.
La scène, comme vous savez, se passait à Orange. Mon père et
mon frère Auguste y étaient depuis plusieurs mois sous les verroux,
ce qui avait déterminé ma mère, qui s’était retirée à sa maison de
campagne à Sarrians, et que l’on avait voulu arrêter et conduire dans
les prisons de Carpentras, à aller s’y fixer avec ce qu’elle avait
autour d’elle de sa famille pour sc trouver, quoi qu’il pût arriver
�—
220
—
dans la même ailie que son mari cl son lils. Il n'y axait pas encore
on mois qu'elle y était, qu’elle fut elle-même emprisonnée avec
mes trois sœurs, et nous fûmes abandonnés, mon frère Félix et
moi, aux soins d’une servante.
Nous avions accès dans la prison de ma mère à tous les instants
du jour -, mais nous n’étions guère admis dans celle de mon père
qu'aux heures de repas. L’entrée nous en fut même interdite dès
l’installation de la Commission populaire, que le représentant Maignet était venu organiser à Orange.
Nous venions, un matin, d'y pénétrer, quand mon père nous dit :
« Mes enfants, un représentant du peuple vient d’arriver, il faut
aller le trouver et lui demander la liberté de vos parents. » 11 était
alors un peu moins de neuf heures, nous partîmes incontinent. Lo
représentant était descendu à l’ancien hôtel de la Poste, de la
porte duquel on aperçoit à cent cinquante ou deux cents pas, l'arc
de triomphe c//7 de Marins. Nous montons au premier étage, nous
traversons par son extrémité une grande salle garnie de banquettes,
sur lesquelles tout ce qu’il y avait de plus terroriste à Orange et
dans la banlieue attendait, en tablier de maçons, de cordon
niers, etc., l’audience du mandataire de la Convention. Celui-ci
était occupé à faire sa toilette dans un petit cabincl attenant à la
salle en question ; nous arrivons jusqu'à lui. Il était assis et ache
vait de mettre les boucles de ses jarrières. Il sc lève cl nous
demande ce que nous voulons. Quoique plus jeune, de trois ans
que mou frère (je n’en avais encore que onze), je prends moi-même
la parole et je réponds à sa question en lui disant : « Nous venons,
citoyen représentant, le demander la liberté de nos parents, qui
sont injustement détenus dans les prisons de la ville. » Je n’ai pas
besoin de rappeler que le tutoiemonl était alors de rigueur. Sans
nous rien dire d’abord, le proconsul se baisse, embrasse mon frère,
qui élail tout près de lui, et puis il m’en fait aulanl. Il nous
adresse ensuite, sur notre nom et sur notre famille, des questions
auxquelles nous répondons avec toute la naïveté de notre âge,
quoique ce ne fût pas là, dans ce moment, le plus beau côté de
notre affaire. Enfin, il nous congédie en nous disant : « Mes
S
221
enfants, j ’ai beaucoup de monde à recevoir ; revenez à midi. »
Ravis, comme bien vous pensez, d’un tel accueil, nous nous
empressons de retourner auprès de mon père, que nous pouvions
encore aller voir ce jour-là, et de lui en rapporter tous les détails.
11en lira tout naturellement le plus heureux augure, et nous dit en
présence de plusieurs prisonniers : « Voilà un représentant qui
s'annonce sous des formes humaines, il faut espérer que notre
captivité cessera bientôt. » Ce sont ses propres expressions, que je
me suis toujours irès-cxactemcnl rappelées. Mon père ajouta :
i N’oubliez pas, mes enfants, de retourner chez le représentant à
midi. » Oh ! nous n'eûmes garde de l’oublier! A midi sonnant,
nous arrivons devant l’hôtel de la Poste. Le représentant, se dis
posant à partir, y était descendu, il avait même en ce moment le
pied sur le marchepied de sa voiture, et, dans celle position, il par
lait à un tiers, ce qui retardait son départ. Sans celle circonstance,
nous l’aurions trouvé parti, et c’était même, très-probablement,
sur quoi il comptait en nous donnant rendez-vous pour midi. Il
nous aperçut tout de suite et nous dit : « Mes enfants, une affaire
pressante m’appelle à Avignon ; mais, soyez tranquilles, cl, sous
trois jours, je nous rendrai justice. » C’était le 18 juin qu’il nous
parlait ainsi ; le lendemain 19, la Commission populaire qu’il avait
créée entrait en fonction, cl. le 23, mon père, traduit devant elle,
élail condamné cl exécuté. Voilà la justice que nous rendait le
représentant Maignet après nous avoir embrassés tous les deux.
Les plus grands scélérats, mon cher cousin, ont quelquefois des
retours d’humanité. Il est possible que le citoyen Maignet ail
éprouvé quelque chose de semblable à la vue de deux enfants qui
venaient l’implorer pour leurs parents ; mais les brigands qui
avaient été témoins des caresses qu’il nous avait faites, n’auront
pas manqué de lui faire honte de sa faiblesse en lui apprenant à
qui nous appartenions, et c’est indubitablement alors que la mort
de mon père a été résolue. Au surplus, les monstres de son espèce
n’avaient pas besoin d’être excités pour commettre les plus grands
crimes, témoin l’incendie et les massacres de Bédoin par lui
ordonnés.
�—
222
—
Depuis l’époque fatale de la condamnation de mon père, je
n’avais presque plus entendu parler du représentant Maignet,
quand, en novembre 1834, sa mort fut annoncée daus les jour
naux. Le Constitutionnel, citant le Peuple souverain du Puy-deDôme. rappelait, sans doute comme un titre aux regrets de tout le
monde, que cet ex-conventionnel était proscrit sous la Restaura
tion. Qui le croirait ! Malgré ses horribles antécédents, cet homme
est mort bâtonnier des avocats du barreau d’Ainbert !
Adieu, mon cher cousin, je suis tout à vous.
Signé : Cb. de I’E gmse.
(Tiré du cabinet de M. le marquis de Scguins-Vassieux-)
N o te 9
Avignon, 22 ventôse an II de la République une et indivisible.
Lavigne, commissaire du représentant du peuple aux adminis
trateurs du District :
Il n’y a pas de comité de surveillance dans cette commune. La
municipalité qui en fait les fonctions ne peut pas s’en acquilter
avec rexacliludc que prescrivent les lois révolutionnaires ; et la
localité, sans enlever aux autres fonctions administratives dont
elle est exclusivement chargée un temps infiniment précieux, il
importe de donner aux mesures révolutionnaires la plus grande
activité, et, pour cela, il faut un comité desurveillance : il existera
lorsque le représentant du peuple connaîtra les citoyens les plus
propres à le composer ; et, pour cet effet, je vous demande dans la
journée de demain une liste de trentes (sic) patriotes purs, éclairés
et énergiques. Faites celte désignation avec loyauté. Considérez la
chose publique en la faisant. Sur cette liste cl sur les autres ins
tructions que prendra le représentant du peuple, seront choisis les
membres du comité, et ça ira !
Salut et fraternité.
223
—
—
Signé : L avigne.
{Collection Requien. — D’après l’autographe.)
N o te 10
Lettre de Lavigne, secrétaire de Maignet, h Coulhon.
Paris, 15 floréal, deuxième année républicaine.
Lavigne au bon et brave Coulhon,
Ton concitoyen, l’envoyé de ton ami Maignet, te rappelle, bon
montagnard, la conversation d’hier et les précédentes. Il s’agit
d’obtenir pour le département de Vaucluse un tribunal révolution
naire, composé d’étrangers h ce département.
La nécessité de purger la terre de neuf ou dix mille contre-révo
lutionnaires qui infestaient le pays, l'impossibilité de transférer il
Paris un si grand nombre de coquins (translation qui exigerait une
armée pour escorte), l’inconvénient de déplacer trente mille
citoyens qui seront appelés en témoignage, et parmi lesquels se
trouveront et le petit nombre des fonctionnaires publics restés
lidèles, et ceux qui ont été régénérés ; la désorganisation politique
qui en résulterait, l’inconvénient de déplacer aussi les registres, et
minutes de tous les corps constitués cl les papiers détachés ou
volants, recueillis depuis la réduction des rebelles; la nécessité de
ranimer l’esprit public, par des exemples, sur les lieux témoins
des crimes qu’il faut punir ; le salut d’une partie du midi, qui tient
à celte mesure ; la conscience connue de Maignet, qui en fait la
demande : tout cela a paru déterminer, en faveur de l’établisse
ment, le Comité de salut public et celui de sûreté générale réunis,
dans la séance du 11 soir. Il a été seulement trouvé quelque
inconvénient h faire, siéger le tribunal à Avignon, à cause du mau
vais esprit des habitants. On a désiré entendre, comme Maignet le
demande, les citoyens Payan qui out des connaissances locales.
J’ai vu les citoyens Payan; ils sont venus au Comité de salut
public dans la séance du 13 soir, où d'autres affaires ont empêché
que celle-ci fut traitée ; mais les citoyens Payan, qui ont concouru
avec Maignet ù la recherche des moyens de gagner à la Républi-
�— 224 —
que un pays qui était perdu, qui leur uni fournis un pclil conseil de
palrioles énergiques, probes et éclairés (je joins à cel égard deux
copies de lettres'', ont pensé que l’établissement est nécessaire, et
qu’il doit être fait à Orange, commune qui ne participe pas à-la
corruption d'Avignon. Ils ont pensé que plusieurs membres de ce
tribunal pourraient être pris dans la Drôme ; ils les connaissent,
ils les désigneraient : ceux qui manqueraient pourraient être pris
dans d'autres départements, et même à Paris.
La mesure que Maignet .sollicite est urgente; elle doit régénérer
une partie de la République, précieuse par son sol et son climat.
Le Comité a de grandes affaires, mais celle-là aussi est grande :
rappelle-la, s’il est possible ; je te le demande au nom de la pros
périté de la République, seul mobile de ma demande.
J ’attends à la porte pour savoir de toi, quand lu te retireras, s’il
a été décidé quelque chose.
Salut et amitié au bon Coullion.
Signé : L avigne.
iPapiers trouvés chez Robespierre.)
N o te 11
Paris, 13 floréal, an II de la République, etc.
L'envoyé à Paris par le représentant du peuple Maignet.
A Robespierre, représentant du peuple, membre du Comité
de salut public,
Dans la séance d’avant-hier, citoyen Représentent, le Comité de
salut public a pris connaissance des demandes du représentant
Maignet, envoyé dans les Bouches-du-Rhône et Vaucluse, et dont
le principal objet est l’établissement momentané d’un tribunal
révolutionnaire à Avignon, ou dans quelque autre lieu voisin. La
décision du Comité fut ajournée jusqu’à ce que les citoyens Payan
(de la Drôme) auraient été entendus, à cause de leurs connaissan-
Par une lettre du 18 de ce mois, je vous ai demandé, citoyens,
votre avis par écrit sur les qualités civiques ou inciviques de tous
les menbres (sic) des comités île surveillance et conseils généraux
des communes de votre District. Sept jours se sont écoulés,
citoyens, et vous ne m’avez pas répondu. Cependant l’épuration
des autorités constituées est une des bases principales sur les
quelles repose le salut de la chose publique, et les renseignements
particuliers que j ’ai reçus depuis mon arrivée dans ce département,
m’ont fait appercevoir (sic) qu’ici plus qu’ailleurs celle mesure était
pressante. Vite donc ; et demain une réponse.
Salut et fraternité.
Signé : M aignet.
(Copié sur l'original,de l'écriture de Maignet,collection Chambaud )
15
;
�—
226
—
N o te 13
Extrait d’une lettre de la municipalité d’Avignon il la Conven
tion :
Citoyens représentants, recevez les derniers hochets que la
superstition entretenait encore à Avignon. Les temples dédiés à la
fourberie des Papes pour établir leur domination et grossir leurs
tinances, y ont tous été fermés. Nous vous envoyons 203 marcs
d’argent et environ 60 karals de diamants attachés aux ostensoirs,
grâces te soit (sic) rendues, o montagne sacrée ! La pureté de tes
principes a pénétré jusqu’il nous. C’en est lait, les sans-culollcs
d'Avignon ne veulent plus avoir d’autres églises que celles élevées
en l’honneur de la liberté et de la raison. Suivent les signatures.
[Autographe, collection Chambaiul.)
N o te 14
Egalité fraternité.
Les Représentants du peuple, membres du Comité de salut public
et du Conseil de sûreté générale réunis,
Aux citoyens composant le Comité de surveillance de la section.
Citoyens,
Le Comité de salut public vous a déjà envoyé une première cir
culaire ; nous vous adressons une nouvelle instruction.
Notre but est de prévenir toutes les difficultés, de lever les
doutes, d’éclairer votre marche, de la dégager d’obstacles, de lui
imprimer la rapidité, élément nécessaire des mesures révolution
naires, et de préciser vos opérations.
La vérité, la justice impassible doivent y présider.
Vous remplirez ces tableaux avec une justice scrupuleuse.
Vous observerez que l’ordre et la clarté demandent que chaque
tableau soi! rempli séparément pour un seul détenu.
Vous réduirez, en général, le modèle du tableau au format
iu-4°; par-là, vous économiserez les matières, les paroles, le tems.
Ce sont des faits, des indications précises, et non des observa
tions diffuses, que le Comité vous demande.
Soyez laconiques et concis; supprimez les détails étrangers, les
panégyriques; mais dites ce qu’il importe à la République de
savoir.
Il importe d’énoncer d’une manière précise les revenus des
détenus, atin d’établir le gage de la République.
Il importe de désigner le nombre des enfants, le lieu de rési
dence de leur famille, de donner la nature de leurs liaisons, afin
que nul coupable n'échappe à la vengeance nationale.
Il importe qne les détenus n’aient aucune connaissance de la
confection des tableaux, pour éviter que l’intrigue et l’aristocratie
environnent votre religion de sollicitations, de pièges, de men
songes.
Dans le cas où votre conscience ne serait pas suffisamment
éclairée, vous pourrez demander des éclaircissements à l’assem
blée de vos concitoyens, et vous les inviterez à vous les procurer,
en exposant le tableau ainsi qu’il vous a été indiqué.
Le Comité abandonne à votre prudence le soin de prononcer sur
cette mesure purement supplétive, et que vous ne prendrez qu’aulanl qu’elle vous paraîtra indispensable.
Vous vous occuperez aussi de rechercher avec un soin particu
lier les patriotes éprouvés et purs, victimes des dénonciations nées
des vengeances ou des intrigues de l’aristocratie.
Un patriote persécuté intéresse et associe à son malheur tous les
bons citoyens.
Vous vous référerez en tout, citoyens, à cette dernière instruc
tion ; elle doit être seule votre guide.
�228
—
—
Les membres du Comité de salut public et de la sûreté générale
réunis :
Signés : R obespierre, B illaud- V arenne, C arnot,
C.-A. P rieur , B. B arère , C ollot d’II erbois ,
S t-J ust, C outhon, V adier , L a V icom-
terie , Rhul, L ouis (Bas-Rhin), J agot ,
M. B ayle, D ubarrau, Élie L acoste, D avid,
L e B as, V oullahd, A mar.
(Pièce officielle, collection Chambaud.)
N o te 15
J’aimais à croire que je pourrais trouver quelques individus qui,
pénétrés d’horreur du crime commis dans celte commune, s’em
presseraient de soustraire leur nom ù l'infamie et indiqueraient les
coupables ; mais un silence absolu me prouva qu’ils ont tous par
ticipé au crime.
Alors, ne voyant dans cette commune qu’une horde d’ennemis,
j'ai investi le tribunal criminel du pouvoir révolutionnaire pour
faire tomber de suite la tête des plus coupables; et j ’ai ordonné
qu’une fois les exécutions faites, les flammes fissent disparaître
jusqu’au nom de Bédoin.
Puissent périr ainsi tous ceux qui oseront braver la volonté
nationale et méditer de nouveaux complots contre la liberté fran
çaise.
Salut et fraternité.
Rapport de Maignet à la Convention nationale :
C’est au moment où la République, l’effroi des trônes, que l’infûme commune de Bédoin, plus audacieuse que tous les despotes,
ose se soulever contre la volonté nationale, fouler aux pieds les
décrets de la Convention, renverser le signe auguste de notre régé
nération, l’arche de la liberté.
Depuis longtemps Bédoin a manifesté sa haine contre la révolu
tion ; cinq commissions successives ont été envoyées pour punir
les crimes des scélérats ; mais le germe aristocratique a toujours
fécondé et produit de nouveaux forfaits.
Située au pied du Mont-Ventoux, entourée de collines, coupée
de défilés nombreux, cette contrée présentait tout ce qu’il fallait
pour former une nouvelle Vendée.
Il ne faut pas en douter, tel était le projet, puisque les brigands
ont, dans leur coup d’essai, été aussi loin que l’ont fait, au milieu
de leurs plus grands succès, les scélérats qui les ont précédés.
Aussitôt que j’ai appris cet attentat horrible contre la majesté
du peuple, j ’ai envoyé trois cents hommes du 4° bataillon de l’Ar
dèche qui, dans toutes mes opérations civiques, m’a si bien secondé.
J’ai fait enchaîner prêtres, nobles, parents d’émigrés, autorités
constituées.
Signé : M aignet.
(Pièces officielles.)
N o te 16
Avignon, 4 prairial.
Précis d’une lettre de Maignet aux membres du tribunal révolu
tionnaire à Bédoin.
Maignet, représentant du peuple français, envoyé dans les
départements des Bouches-du-Rhône et de Vaucluse pour organi
ser le gouvernement révolutionnaire.
Aux citoyens composant le tribunal révolutionnaire
à Bédoin.
Le 18 floréal, j ’ai instruit la Convention nationale de l’attentat
horrible commis à Bédoin et des mesures que j’avais prises.
Je reçois aujourd’hui la lettre officielle dont je joins ici égale
ment la copie. La commission des dépêches m’apprend que la Con
vention a approuvé ma conduite, ordonné l’impression de ma lettre
�231
au bulletin et son renvoi au Comité de salut public et de sûreté
générale.
Les obstacles qui momentanément avaient rabattu votre marchesont levés; il faut que vous ressaisissiez dans le moment même le
glaive do la loi, qui malheureusement avait demeuré trop longtems suspendu, et que la justice se fasse dans le plus court délai.
Salut et fraternité.
Signé : M aignet.
(Pièces officielles.)
N ote 17
Copie d’une lettre de Le Go, agent national à Carpenlras, à
Maignet.
Jetais arrivé hier avant le jour devant Bédoin avec 550 hommes
du bataillon de l’Ardèche, 5 chasseurs, le lieutenant de gendarme
rie et 5 gendarmes.
En cinq minutes cette infâme commune a été investie. J’y suis
rentré avec cent hommes. J ’ai requis le maire de faire rassembler
le Conseil général de la commune et le Comité. Il a voulu s’enfuir
par la porte de derrière, mais il n’était plus temps : un volontaire
l'aperçut, lui cria d’arrêter et lui lâcha son coup de fusil. Il ne fut
pas atteint; mais la peur le saisit, les jambes lui manquèrent, on
l’arrêta et me l’amena en chemise et pieds nus. Je le fis consigner
dans la maison commune, ainsi que tous les municipaux et nota
bles, le comité de surveillance, le juge de paix et son greffier.
J’ai fait donner le logement et la nourriture à la troupe chez
l’habitant, conformément à les ordres. J ’ai veillé à cc que la muni
cipalité donnât la bonne part de la distribution aux plus riches.
L’intrépide et bien précieux chef de bataillon a pris des mesures
avec une sagesse étonnante. Le volontaire s’est comporté avec une
fermeté et un ordre admirables. La terreur est peinte sur tous les
—
visages, et l’outrage fait au plus cher attribut de notre liberté et
aux lois, sera vengé d’une manière éclatante.
J’ai donné aux autorités constituées vingt-quatre heures pour me
faire connaître les coupables. J ’ai arrêté, en leur présence, leurs
registres de délibération, que je vais scruter.
Dans le même moment l’ordre fut donné à tous les habitants de
se constituer prisonniers dans la ci-devant paroisse. On hésitait ;
le cri : aux armes! suffit pour faire exécuter sur le champ cet
ordre.
J’ai fait aussi arrêter dans le même instant tous les ci-devant
nobles, prêtres, religieuses et notaires : ces derniers étaient d’au
tant plus suspects, qu’ils tenaient leur certificat de civisme de la
coupable municipalité de Bédoin. Je leur ai associé les pères et
mères d’émigrés, frères et sœurs, et autres désignés par la loi et tes
arrêtés.
Nous avons occupé la tribune successivement, le commandant,
Mcilleret le jeune et moi. J'ai fait lecture des quatre premiers arti
cles de ton arrêté du li de cc mois, en annonçant que les dernier
étaient les plus sévères ; qu’il ne dépendait que des habitants d<
Bédoin de s’épargner la honte dont ils sc couvriraient ; qu’un seul
moyen s’offrait; c’était la déclaration des coupables, dont la jus
tice nationale demandait la tête. Tous nos ellbrts ont été infruc
tueux, et les traîtres sont encore inconnus.
J’ai cependant quelque espoir d’obtenir d’autres renseignements,
mais cc ne sera pas par des déclarations civiques ; personne, dans
ce maudit pays, n’aurait le courage d’en faire une : cc sera en met
tant les suspects en opposition les uns avec les autres.
Le juge de paix a fourni un procès-verbal aussi insignifiant que
celui de !a municipalité.
Quant à tout ce qui n’était pas ni ci-devant prêtre, ni religieuse,
ni noble, ni parent d’émigré, nous l'avons questionné l’un après
l’autre; nous espérions par lit obtenir la vérité. Inutile espérance!
Nous eussions fait main basse sur tous les contre-révolutionnaires,
si nous n’eussions écouté que notre indignation. Nous avons mis
en arrestation tout ce qui nous a paru le plus coupable. J’ai fait
�—
.
232
saisir les chefs de la garde nationale, que le devoir de leur place
rendait responsables du défaut de patrouilles et de surveillance
lors de l'insulte faite aux décrets de la Convention cl à l’arbre de
la liberté, le Conseil ayant déclaré que la garde nationale avait
depuis quelque tems refusé le service.
Hier soir, je me reportai h la ci-devant paroisse, pleine encore
des ordures du fanatisme; tous les saints,saintes,croix et autres outils
de prêtres, ont été livrés aux flammes, et je Iis ouvrir les portes à
ceux qui avaient été épurés, pour qu’ils se joignissent au bataillon
qui assistait à cet auto da fe et faisait retentir l’air du cri de vive
la République !
Nous avons trouvé dans une sacristie des ustensiles de toute
nature en argent et en cuivre, dont je vais faire dresser inventaire,
et que je ferai transporter au District.
J ’ai fait conduire la municipalité et le comité de surveillance
avec les autres suspects dans la ci-devant paroisse, ou tous se trou
vent en ce moment réuuis et sous bonne cl sûre garde.
J’ai fait proclamer le soir que toutes les façades des maisons
fussent éclairés, les habitants tenus de rester chez eux passé
9 heures du soir, sous peine d etre arrêtés et résignés avec les sus
pects : cette mesure a donné un peu de relâcheà nos braves volon
taires, qui étaient épuisés de fatigue.
Ce matin, des patrouilles font des recherches dans la campagne,
et la gendarmerie les seconde pour arrêter les fuyards.
Celle commune ayant été déjà désarmée à trois reprises différentes,
il ne résultera pas beaucoup d’armes du désarmement que j'ai
ordonné. Néanmoins, j’ai recommandé la plus grande exactitude
dans les recherches.
Jetais aujourd’hui m’occuper d’écrire aux six membres qui doi
vent former la commission municipale, que je ferai en sorte d’éta
blir demain. Je t’observe que la municipalité n ’a aucunes res
sources, aucuns fonds dans ses mains, que la commission a besoin
que tu m’autorises à lever une taxe révolutionnaire, qu’on pourrait
porter à six ou huit mille livres, sans quoi elle serait à chaque ins
tant, embarrassée dans sa marche, et ne saurait ou trouver ses pro
pres honoraires. Cette somme lui serait par moi remise, et elle
fournirait aux premiers besoins.
Signé : L e Go.
P. S. — Je compte demain faire un emballage de nos suspects et
les adresser à l’accusateur public avec le verbal.
(Pièces officielles.)
N o te 18
Lettre de Le Go, le 18 floréal, au citoyen Maignet :
Nos soins, nos demandes multipliées, citoyen représentant, nos
instructions, nos menaces n’ont rien produit de nouveau. Le même
silence continue à recéler les coupables auteurs du crime inouï qui
s’est commis à l’infAmc Bédoin,
Meilleret et le commandant parlaient pour solliciter de toi des
mesures révolutionnaires que ton arrêté prescrit. Il n’est que ce
moyen pour inspirer la terreur, que l’État des communes voisines
rend nécessaire ; il n’est que ce moyen pour venger le peuple et les
lois qu’il s’est données.
Notre satisfaction est telle que nous ne pouvons t’en dire davan
tage, et nous laissons le soin au citoyen Suchet le jeune d’aller le
certifier que lu viens d’assurer le triomphe de la République dans
celle contrée. Salut et fraternité. Vive la République, ses braves
et vertueux montagnards !
Signé : L e Go.
(Pièces officielles.)
N o te 19
Lettre de Le Go à Maignet, le 19 floréal.
L’état de cette abominable commune, citoyen représentant, est
�—
234
—
toujours à peu près le meule, puisque mes soins et nos recherches
ne nous ont encore procuré aucun aveu, aucune connaissance des
véritables coupables, etc.
Signé : L e G o.
(Pièces officielles.)
N o te 2 0
Lettre écrite le 17 tlorial par le commandant du 41,10 bataillon
des volontaires de l'Ardèche au citoyen Maignet, représentant du
peuple.
Le citoyen Le Go te communiquant tout ce qui s’est passé,
citoyen représentant, je ne puis t’ajouter aujourd’hui mon opinion
sur cette infâme commune. J’espère conduire à Avignon bon nom
bre de ces gens-là. 11 n’existe pas dans cette commune la moindre
étincelle de civisme ; et des mesures violentes cl sur les lieux sont
indispensables. Nous agissons révolutionnairement ; mais cela ne
louche pas du tout ces âmes toutes papisées : une prompte exécu
tion peut seule réveiller d une manière efficace tcutes les commu
nes circonvoisines, qui ne valent guère mieux. Ah ! comme les
Vendéens seraient aimés dans ces contrées ! Ils trouveraient tous
les habitants pour compagnons. Adieu, nous allons prendre la
liste des scélérats qui, sous l’habit des sans-culottes, nourrissent
le fanatisme, l’aristocratie et tous ses crimes. Salut et amitié. Ça
va et ça ira.
Signé : S uchet, soldai, chef de bataillon
(Pièces officielles.)
N o te 21
Lettre de Suchet à Maignet, représentant du peuple.
Il est impossible, mon cher représentant, de te témoigner toute
—
235
-
mon admiration pour les arrêtés salutaires que tu viens de lancer
contre l’infâme commune de Bédoin. Tu es vraiment digne de la
montagne, car tu connais bien ses principes. Tu sais punir avec
sévérité comme récompenser avec justice. Meillerct et moi allions
monter à cheval au moment où ton arrêté est arrivé, pour le pro
poser de faire fusiller sur les lieux. Mais ton génie révolutionnaire
surpasse tous nos désirs : tu réponds à l’énergie du peuple, que tu
représentes, et tu sauves par ces mesures rigoureuses le département
de Vaucluse de son penchant à se vendéiser. C’est pour le coup que
tu assujétis le Comtal à la République française, c’est-à-dire, que tu
rends à sa liberté. Craignant de ne pas l’exprimer d’une manière
assez vive notre satisfaction, nous le députons mon frère: il te
pressera sur son cœur au nom de tous ; car, je te l’avoue, des lar
mes de joie ont coulé de nos yeux lorsque nous nous sommes
dit : c’est un représentant du peuplt^1 Ah ! combien la nation ne
doit-elle pas..... tout à la République. Ton ami,
Signé : S uchet, chef du bataillon de l’Ardèche,
(Pièces officielles,)
N o te 2 2
Le représentant du peuple envoyé dans les départements des
Bouches-du-Rhône et de Vaucluse.
Instruit que dans la nuit du 12 au 13 de ce mois des contrerévolutionnaires ont commis à Bédoin, district de Carpentras, un
de ces crimes qui appellent toutes les vengeances des lois ; qu’ils
ont osé porter leurs mains sacrilèges sur l’arbre de la liberté, qu’ils
ont renversé ; qu’ils ont poussé l’audace jusqu’à arracher les décrets
de la Convention, les fouler aux pieds et les plonger dans la boue ;
Considérant que la commune où un pareil délit s’est tranquille
ment commis, ne peut qu’exeiler les plus vives inquiétudes et
appeler toute la surveillance de ceux qui sont chargés de soumet
tre au joug de la loi tous ceux qui osent la braver ;
�—
236
Considérant que le soupçon doit tout envelopper dans un pays
où les ennemis de la patrie, des ci-devant nobles, ont vécu jus
qu'ici tranquillement au mépris des décrets qui condamnaient leur
arrestation -, que la commune ne pourra le fixer sur quelques indi
vidus qu’en indiquant elle-même les coupables ; que dans tous les
cas les officiers municipaux et les membres du comité de surveil
lance seront toujours, avec raison, regardés comme les premiers
auteurs d'un crime aussi abominable, par leur coupable négligence
à remplir leurs devoirs ;
leurs fonctions, pour n’avoir pas exécuté la loi du 17 septembre,
et mes arrêtés sur les arrestations des suspects.
ARTICLE VI
L’accusateur public est chargé de faire informer de suite du délit
et d’instruire la procédure jusqu’au jugement définitif et révolutionnairement, lui attribuant, ù cet clTet, et au tribunal criminel,
tous les pouvoirs nécessaires.
Avignon, 16 floréal, an II de la République.
Arrête ce qui suit :
Signé : M aignet.
ARTICLE PREMIER
L’agent national du district de Carpentras donnera sur le champ
ordre aux compagnies du bataillon de l’Ardèche qui se trouvent à
Carpentras, de se transporter à Bedoin, au nombre suffisant pour
imposer à l’aristocratie.
'
[Pièces officielles.)
N o te 2 3
ARTICLE II
La force armée sera logée et nourrie chez les habitants de la
commune tant qu’elle y restera.
ARTICLE III
Elle n’en sortira que quand tous les coupables du délit de lèscnation qui y a été commis, seront saisis et conduits dans les pri
sons du tribunal criminel du département, cl d’après les ordres du
représentant.
ARTICLE IV
Tous les ci-devant nobles, prêtres et autres suspects, qui se
trouveront dans la commune seront conduits et saisis dans les pri
sons du tribunal, comme présumés être les auteurs de ce complot
liberlicide.
a r t ic l e
v
Les membres de la municipalité et du comité de surveillance
seront également saisis et conduits dans les prisons comme présu
més les complices de cc délit, et jugés comme prévaricateurs dans
Proclamation du tribunal criminel du département de Vaucluse,
chargé de se transporter à Bédoin en vertu de l'arrêté du représen
tant Maignet en date du 17 floréal, an II de la République.
Appelé dans une commune rebelle pour y venger la nation fran
çaise de l’insulte la plus outrageante faite à la loi et à la liberté ;
Pénétré d’indignation à la vue d’un attentat qui offense la.
République entière dans ses principes les plus sacrés ;
Considérant que la marche du gouvernement révolutionnaire ne
permet ni les lenteurs ni les renvois usités dans les formes judi
ciaires, et que des mesures de salut public exigent qu’un exemple
terrible apprenne aux mal intentionnés qu’on n’outrage jamais en
vain une grande nation qui veut, par-dessus tout, le maintien de
la liberté et des lois ;
Considérant néanmoins qu’avant de prononcer sur le sort des
habitants de la commune de Bédoin, il ne faut négliger aucun des
moyens de procédure et de justice qui peuvent s’allier avec l’intérêt
des circonstances, pour distinguer de la masse des rebelles ceux
qui n’auraient d’autres torts à se reprocher que le malheur d’être
nés dans cette maudite commune ;
�—
238
—
Que le sort de l'ancienne Sodônic étant réservé à l’infâme
Bédouin, il faut, h l’exemple de l’Etre suprême, avertir le juste qui
pourrait s’y trouver, d’abandonner les coupables et les égarés;
Au nom de la loi, de la justice et du Salut public, les membres
du tribunal criminel demandent des instructions il tous les habi
tants de Bédouin, et autres communes environnantes qui pour
raient lui faire connaître les coupables des délits de lèse-nation
commis k Bédouin depuis la Révolution, et particulièrement dans
la nuit du 12 au 13 de ce mois,, en détruisant le symbole auguste
de la liberté, et foulant aux pieds les décrets de la Convention
Nationale à qui nous devons notre existence civique, le triomphe
de la République, et l’espoir de la prospérité des races futures.
Habitants de Bédouin, si vous étiez sourds à ce dernier avis de
vos magistrats, si plus longtemps vous restiez immobiles aux cris
de la patrie outragée, chaque instant de silence serait un nouveau
forfait. Vous ajouteriez par celle criminelle indifférence, à la scé
lératesse des contre-révolutionnaires ; comme eux vous seriez trai
tés eu ennemis déclarés, et sous peu de jours vos voisins diraient à
la France entière : il existait près de nous une cité rebelle ; la ven
geance nationale en a fait justice ; le fer a moissonné ses habitants,
et les flammes ont dévoré leurs demeures; plus corrompus que
ceux de Sodùme et de Gomorrhe, il ne s’est pas trouvé un seul
homme qui ne fût un criminel.
A Bédouin l’infâme, le 21 floréal l’an II de la République une et
indivisible.
Signés : F oüque, président ; F aure, B oyer,
R émusat, juges ; B arjayel, accu
sateur public; D ucros, greffier.
(Pièces officielles.)
N o te 24
Autographe de Fouqilc, président du tribunal criminel d’Avi
gnon.
—
239
Je l’envoi la procedure que tu me demande et que j’aves oublié
de t’adressé pleutol. J ’y joins la lettre et la délibération de la
société de Cavaillon pour te mettre k portée de sa conduite, et
t’invite de donner par écrit au porteur un récépissé du tout pour
la réglé du greffier.
Avignon, le 19 pluviôse, l’an deux.
Signé : F ouque.
Il n’est pas nécessaire de faire observer que la proclamation aux
habitants de Bcdoin n’est pas de lui : on l’attribue k Barjavel.
m
l \ t
Note 2 5 J
Au nom du peuple Français.
Le représentant du peuple envoyé dans les départements des
Bouches-du-Rhône et de Vaucluse,
Considérant que la justice ne saurait donner trop d’éclat à la
vengeance nationale dans la punition du crime abominable qui
s’est commis à Bedoin ; que ce n’est qu’en frappant sur le lieumême où il a été commis et au milieu de ces contrées que l’aristo
cratie tourmente depuis si longtemps, que l’on pourra porter l’é
pouvante dans l’âme de ceux qui oseraient encore méditer de nou
veaux attentats ;
Considérant que l’opiniâtreté que les individus saisis comme les
plus fortemcnls compromis de ce crime, mettent k ne faire con
naître les principaux auteurs, fait présumer que toute la commune
est criminelle ;
Considérant qu’une commune qu’une pareille suspicion poursuit
ne saurait exister sur le sol de la liberté ; que le pays qui a osé
s’élever contre la volonté générale du peuple, méconnaître les
décrets de la Convention, fouler aux pieds les lois qu’une nation
s’est faites, renverser le signe auguste de la liberté, est un pays
que le fer cl la flamme doivent détruire;
�241
Ordonne que le tribunal criminel du département de Vaucluse,
chargé de juger révolutionnairement ce crime de lèse-nation, sc
transportera dans le plus court délai à Bedoin pour instruire la
procédure, et y faire exécuter les jugements qu’il rendra ;
Ordonne qu’aussilôl après l’exécution des principaux coupables,
l’agent national notifiera à tous les autres habitants non détenus
qu’ils aient à évacuer dans les 24 heures leurs maisons et à en
sortir tous les meubles ; qu’après l'expiration du délai il livrera la
commune aux flammes et en fera disparaître les bâtiments ;
Ordonne qu’au milieu du territoire où existe cette infâme com
mune il sera élevé une pyramide qui indiquera le crime dont ses
habitants se rendirent coupables, et la nature du châtiment qu
leur fut infligé.
Fait defense à qui que ce soit de construire à l’avenir, sur celte
enceinte, aucun bâtiment, ni d’en cultiver le sol. Charge l’agent
national de s’occuper de suite de la répartition des habitants dans
les communes voisines reconnues patriotes.
Enjoint aux habitants de ne point abandonuer la demeure qui
leur aura été désignée, à peine d’être traités comme émigrés; comme
aussi de se présenter toutes les décades devant la municipalité des
dits lieux à peine d’être déclarés et traités comme émigrés: comme
aussi de sc présenter toutes les décades devant la municipalité des
dits lieux, à peine d’être déclarés et traités comme suspects, et
renfermés jusqu’à la paix.
Le présent arrêté sera imprimé, publié et aiïiché dans l’étendue
des deux départements aux frais des habitants de la commune.
Fait à Avignon, le 17 floréal l’an II de la République Française, une
et indivisible.
Signé : M aignet.
(Recueil officiel des arrêtes de Maignet.)
N o te 2 6
Le citoyen Lefébure, qui avait assisté à la prise de la Bastille
l’un des quatre députés nommés par la commune pour accompa
gner l'armée parisienne à Versailles, a publié un écrit intitulé
Justice contre Maignet où se trouvent les passages suivants :
.... « Mais non content d’être l’instituteur de ces boucheries.
Maignet sentait le besoin de se charger d’un meurtre direct : rnppellc-loi, monstre, celle jeune fille que la piété liliale amena
devant loi pour sauver les jours de son père. Comment l’as-tu
reçue? Qu’en as-lu fait ?..... Ciel, c’est par son exécution qu’au
nom du peuple français lu as récompensé sa vertu ! » (1)
Dans celle même pièce il l’accuse de n’êtro point étranger à
l’acte plus inconsidéré que sacrilège qui motiva la destruction de
liédoin, puisque la vengeance fut si rapide, qu’on a dû croire que
les mesures avaient été prises d'avance, surtout par la précipita
tion qu on avait mise à envelopper deux individus coupables dans
la proscription de soixante innocents.
N o te 2 7
Lettre de Maignet.
• L’expédition de Bédoiii est faite, chers collègues. La copie de
la lettre de l’agent national que je vous envoie, vous instruira du
succès qu’elle a eu. Elle vous apprendra, en même temps, que les
individus qui ont été arrêtés s’obstinent à garder un profond
silence, et que la commune entière ne craint pas de partager l’in
famie dont les faits vont la couvrir. Tout ce qui avoisine celle
commune est aussi détestable. Il n’y a que de grands exemples qui
puissent cil (sic) imposer aux scélérats qui habitent ces contrées,
et étoull’er ce nouveau germe vendéen qui semble se manifester,
■l’ai cru, citoyens collègues, qu'il fallait donner à la vengeance
nationale un grand caractère ; j ’ai investi le tribunal criminel du
département du pouvoir révolutionnaire, parce que la punition ne
saurait être trop prompte. Le 20 de ce mois le tribunal se trans
it/ Gel honimo quo la démarche do sa noble fille ne pal sauvor, s’appe
lait Saumon.
16
�242
portera dans cette commune. La guillotine sera dressée sur le
lieu-même où l'outrage a été commis. Les têtes des plus scélérats
seront abattues... Si vous trouvez cette mesure trop rigoureuse,
faites-moi connaître vos intentions. Supprimez ma lettre à la
Convention, et instruisez-moi au plus lot de votre décision. Calcu
lez bien quelles peuvent être les suites île l’indulgence pour un
délit aussi grave... »
« P. S. Je reçois dans ce moment une lettre de l’agent natio
nal du district et du commandant du bataillon de l'Ardèche. Vous
voyez qu’ils regardent la destruction de l’infâme Bédoin, où il a
déjà été envoyé cinq commissions, comme le seul moyen de pré
server toutes ces contrées des complots qui depuis longtemps y
sont tramés... »
Maignet appuie ensuite son argumentation d’une considération
du tribunal criminel révolutionnaire d’Avignon, où Barjavel, accu
sateur public, exerçait la plus grande influence, afin de légitimer
sa conduite.
(Pièces officielles.)
N o te 2 8
Copie de la lettre de Maignet au citoyen Pavan, administrateur
du département de la Drôme, et envoyée par Lavigne à Coutbon.
que pour l'autre, je méconnaisse ceux qui peuvent mériter la
confiance publique.
La place que tu as occupée, les liaisons qu’elle t a données dans
ce pays-ci, doivent t’avoir fait acquérir sur les individus des ren
seignements précieux ; donne-les moi ; indique-moi une douzaine
de francs républicains, hommes de mœurs et de probité. Si tu ne
les trouves pas dans ce département, cherche-les, soit dans celui
de la Drôme, soit dans celui de l’Isère, soit dans tout autre. Je
voudrais que les uns fussent propres à entrer dans le tribunal
révolutionnaire ; je voudrais même que certains d’entr’eux pus
sent, en cas de besoin, avoir les qualités nécessaires pour devenir
agents nationaux.
Tu vois ma confiance. Le franc Montagnard appelle de toute
liait du secours pour sauver la chose publique : tu la sers d’une
manière utile en combattant le fédéralisme. Continue ton ouvrage
en me fournissant les moyens de purger et notre sol et nos auto
rités constituées, des fédéralistes, des hommes improbes qui les
déshonorent.
Le courriei porteur de ma lettre attendra la réponse. Donne à
la réflexion tout ce que demande l’importance du choix : le
courrier est à les ordres.
(Papiers trouvés chez Robespierre.)
N o te
29
Du 20 germinal.
Je m’adresse avec confiance à toi, mon cher administrateur,
pour t’associer au succès de mes travaux. Tu connais l’urgence
de l’épuration des autorités constituées de ce département. Tu
sais combien il est indispensable d’assurer enfin la vengeance du
peuple. Mais tu connais la disette des sujets que l'on éprouve ici;
lu sais mieux que moi le peu de ressources que je dois y trouver:
s’il y en a, il n’est pas étonnant que moi, étranger à ces contrées,
ne connaissant personne, ne pouvant encore m’adresser à aucun
citoyen, crainte de persuader que je penche pour un parti plutôt
Copie de la réponse de Payan à Maignet, envoyée par Lavigne
îi Coulhon.
Valence 22 germinal, an II de la République.
Payan à Maignet.
Ta lettre, citoyen représentant, me parvient au moment d’un
départ imprévu et précipité pour Paris, où je suis appelé par le
comité de Salut public en toute diligence. Cette circonstance me
prive du temps et de la réflexion qui me seraient nécessaires pour
remplir l’objet important pour lequel tu as recours à moi. Je me
�—
244
—
—
suis cependant recueilli quelques instants pour être en étal de le
donner une note, non pas absolument telle qu’elle m'est inspirée
par ma conscience, et par mes reconnaissances locales: je n’en ai
pas sur les hommes publies, et surtout sur les citoyens probes et
purs du département de Vaucluse autant que tu parais m’en sup
poser. C'est là, d’ailleurs, une matière si délicate, qu’un homme
honnête et sincèrement dévoué à la République ne donne son
opinion qu’en tremblant. Je conçois ta position, j’en partage tou
tes les peines ; j’apprécie ton caractère vraiment montagnard, la
droiture de tes intentions, et c’est là ce qui me rend plus scrupu
leux encore dans mes indications ; mais je t'invite spécialement à
consulter les bons citoyens désignés à la lin de ma noie. Tu pour
rais appeler momentanément auprès de toi Marilon La Gardetlc
pour toute la partie du district de Carpentras, ci-devant l'Ouvèse;
il te servirait bien dans un pays où il n’est pas toujours aisé de
voir clair.
La probité et les vertus morales étant à l’ordre du jour, il faut
des choix qui répondent à celte altitude républicaine, et je ne vois
pas dans ce premier moment, que dans l’Isère et dans la Drome
il y en ait de ce caractère, qui y réunissent l’intelligence, et la
volonté ou les moyens de se déplacer.
•
Si dans ma route il me vient quelque idée, je te l’adresserai
directement ; je suis jaloux de servir la République et le gouver
nement révolutionnaire de tous mes moyens et de toutes mes
facultés : c’est dans ce sens que je demanderai, à mon arrivée à
Paris, à mon frère Claude, agent national de la commune, ce
qu’il peut savoir sur le district de rüuvèze, oîi il a été adminis
trateur et missionnaire ; c’est encore dans ce sens que je crois
devoir l’adresser la note particulière ci-incluse, au sujet d’un
homme qui paraît généralement dénoncé, même pour cause d’in
fidélité, et qui n’a été placé que par un intermédiaire peu délicat,
d’après ce que m’assure le comité de*surveillance.
Salut et fraternité.
Signé : P ayax.
(Papiers trouvés chez RobespierreJ
245
—
N o te 3 0
Notes indicatives des citoyens du choix de Payan, jointes à la
lettre ci-dessus, et envoyées par Lavigne à Couthon.
Citoyens actuellement dans le département de Vaucluse et qu'on
peut employer.
Faure, natif de Grignan, district de Monléliinar, ex-administra
teur du département de la Drôme, juge au tribunal du district de
Carpentras, el de service au tribunal criminel d’Avignon: un
patriotisme pur, de la probité, des intentions droites et de l’apti
tude.
Dandré, administrateur du district de Carpentras : patriote,
homme moral, honnête, intelligent et rédacteur.
Juge, de Valréas, administrateur du district d’Orange, excellent
patriote, bon missionnaire et surveillant les abus.
Imbert, de Vaqucyras, administrateur du district de Carpentras:
patriote ferme et de l’aptitude. Voilà ceux du département que je
puis t’indiquer comme les connaissant personnellement.
Eu voici quatre autres sur lesquels on m’a donné, dans le
temps, de bons renseignements.
Imbert, du Thor, secrétaire de la commission de Carpentras,
patriote moral, et beaucoup d'aptitude.
Chabrot aîné, notaire à Buisson, district de Carpentras, etc.
Eslève, à Enlrevaux, district de Carpentras, etc.
Dans la Drôme les bons sujets manquent comme à peu près par
tout, cl l’on n’en connaît pas qui pussent ou voulussent se dépla
cer pour aller surtout dans le département de Vaucluse.
On ne peut indiquer que Mcilleret fils, médecin à Étoile, près
Valence: l’on ne sait s’il voudrait accepter le poste qu’on pourrait
lui confier ; il serait très-bon dans la partie administrative, comme
dans un tribunal révolutionnaire.
Je connais beaucoup trois citoyens, patriotes purs, qui sont par-
�—
246
—
faitement en élal tle te donner, sur le département de Vaucluse, et
principalement sur les districts d’Orange, Avignon et Carpenlras,
les plus utiles renseignements.
1° Le citoyen Viot, patriote pur et ferme, membre du directoire
du département de la Drôme, résidant à Valence.
2° Le citoyen Mari ton La Gardelte, de Crest, chef-lieu de l'un
des districts du département de la Drôme, qui en mai et juin 1793,
fut délégué par ce département dans les districts de l’Ouvèze
qu’il connaît à fond ; c’est un bon patriote, plein d’intelligence et
de probité.
3° Le citoyen Benel. d’Orange, ci-devant secrétaire de ce dis
trict, et maintenant juge militaire près l ’armée d’Italie, à Port-laMonlagne. ou à Marseille ; il connaît les districts d’Orange et
d’Avignon à fond ; c’est un patriote pur, et sur lequel on peut
compter.
Mais aucun de ces trois citoyens ne quitterait son poste pour en
accepter un autre dans le département de Vaucluse.
Pour toutes les communes des districts d’Orange et de Carpentras, qui avoisinent les districts de Montélimar et de Nyons, telles
que Suze, Bollènc, Mornas, Mondragon, VillalulelLe, Lapalud.
Vauréas, etc. Tu peux t’adresser avec confiance, pour les instruc
tions dont tu pourrais avoir besoin, au comité de surveillance de
Paul-les-Fontaines, ci-devant Sl-Paul-lrois-châteaux, ma patrie,
et particulièrement au citoyen Jean-Baptiste Favier, membre de
ce comité, patriote incorruptible et qui connaît les hommes.
(Papiers trouvés chez Robespierre).
N o te 31
Lettre de Maignet et Coût lion.
Tu verras, mon bon ami, notre brave compatriote le- citoyen
Lavigne ; il va exposer la situation du département de Vaucluse:
tu liras le tableau que j ’en fais, et tu te diras, toi qui sais que je
n’aime pas à peindre trop en noir, qu'il est urgent d’y porter de
247
—
grands remèdes. Il en était un puissant, le premier, le seul que je
voulais que vous portassiez vous-mêmes, l’arrestation de Jourdan
et Duprat -, le comité de sûreté générale vient de lancer lui-même
le mandat, et je vous assure que par là il a puissamment concouru
à sauver le midi : il n’y a plus qu’une seule chose que je vous
demande, c’est de m’autoriser à former un tribunal révolution
naire ; il est indispensable pour nous de suivre promptement des
chefs de fédéralistes qui fourmillent dans nos deux départements.
*’il fallait exécuter, dans ces contrées, votre décret qui ordonne
la translation à Paris de tous les conspirateurs, il faudrait une
armée pour les conduire, des vivres sur la roule, en forme d’éta
pes -, car il faut dire que dans ces deux départements je porte à douze
ou quinze mille hommes ceux qui ont été arrêtés. Il faudra faire
une revue, afin de prendre tous ceux qui doivent payer de leurs
tètes leurs crimes ; et comme ce choix ne peut se faire que par le
jugement, il faudrait tout amener à Paris. Tu vois l’impossibilité,
les dangers et les dépenses d’un pareil voyage ; d’ailleurs il faut
épouvanter, et le coup n’est vraiment effrayant qu’aulant qu’il est
porté sous les yeux de ceux qui ont vécu avec le coupable.
En m’obtenant ce point, maintenant que le comité de sûreté
générale a fait le pas que je lui demandais, vous pouvez vous
tranquilliser, je vous rendrai bon compte de ce département, où il
faut tout créer, mœurs, esprit public, probité.
Ton sucre, ton café, ton huile d’olive sont en route -, lu recevras
le tout sous peu de jours : la citoyenne Rameau te le fera parve
nir.
Ne me taxe pas de négligence, mon cher ami, si je ne l’écris
pas aussi souvent que je le voudrais ; mais sois bien assuré qu’on
ne se fera jamais d’idée de ce qu’est la mission qui m’est confiée.
N’importe, j’ai la certitude d’y faire quelque bien; j’y donnerai du
moins la paix et la consolation aux patriotes.
Rappelle-moi au souvenir de ta chère moitié, une embrassade à
Ion petit Hippolyte. Tout à toi,
Signé : M aignet.
Avignon, ce i floréal, l'an II de la République, etc.
iPapiers trouvés chez Robespierre.)
�—
motifs de l ’établissement
■
H
Neuf ou dix mille prévenus de rébellion h mettre en jugement ;
l'impossibilité de les transférer h Paris, puisque cette translation
exigerait, dans une distance de deux cents lieues, une armée pour
escorte ; l'inconvénient de déplacer trente mille citoyens au
moins, qui seront appelés en témoignage, et parmi lesquels se
trouveront le petit nombre de fonctionnaires publics restés fidèles,
et ceux qui ont été régénérés ; la désorganisation politique qui en
résulterait.
En second lieu, le tribunal révolutionnaire qui existait il Mar
seille pour le département des Bouches-du-Rhône, est anéanti par
le décret du 27 germinal. Ce tribunal n’avait jugé qu’une partie
des prévenus de ce département ; il s’était attaché à frapper les
chefs ; il avait particulièrement jugé ceux de Marseille : mais h
Arles, à Tarascon et dans les autres districts des Bouches-duRhône, les prisons sont encore remplies, les rebelles de Tarascon
surtout n’ont été saisis et incarcérés qu’en même temps que ceux
du département de Vaucluse, avec lesquels ils avaient des rapports
beaucoup plus immédiats qu'avec ceux de leur propre département
(les Bouches-du-Rhône.)
Les mêmes motifs de difficulté dans la translation et l’économie
qui font juger le tribunal nécessaire dans le département de Vau
cluse, doivent le faire autoriser à juger aussi les prévenus du
département des Bouches-du-Rhône, qui ne l’ont pas encore él \
organisation
Ainsi on propose au comité les articles suivants :
1° Créer un Irihunal révolutionnaire qui siégera h Orange, à
249
l elfel de juger les prévenus de rébellion contre-révolutionnaire du
département de Vaucluse, et ceux des Bouches-du-Rhône qui
n’ont pas encore été jugés;
2° Que ce tribunal soit composé d’un accusateur public et de six
juges, qui pourront juger au nombre de.....
3° Qu’il soit examiné s’il y aurait quelque inconvénient d’auto
riser ce tribunal h se diviser en deux sections, en cas de surcharge
de travail ;
4° Que ce tribunal juge révolutionuaircinent, sans instruction
écrite et sans assistance de jurés, mais que les témoins soient
entendus, les interrogatoires faits, les pièces à. charge lues, l'accu
sateur public ouï, et le jugement prononcé en présence du pré
venu et du public ;
5° Que tous les jugements soient motivés, et qu’ils soient impri
més et affichés ;
6° Nommer pour le composer :
l. Trichard
jurés au tribunal révolutionnaire de P aris,
2. Fauvely (l)
désignés par le citoyen Payan.
3. N..... (2)
i. Meilleret fils, médecin
to n s deux de la Drôme, Connus par
3. Fonrosa, président du
l les citoyens Payan.
tribunal de Pie
6, Crosmarie, secrétaire
du district de Ramberl
connus du citoyen Couthon et dési
7. Rouilhon, tilsaîné, de
gnés par lui.
Pont sur Allier.
Désigner un des sept pour accusateur public. Rouilhon ou
Meilleret conviendraient h ces fonctions.
7° Qu’il soit dit que, si par maladie ou quelque autre événement
le tribunal était privé de quelqu’un de ses membres, le représen
(t) C’est ce Fauvely pour lequel Vouttamt s’est vivement intéressé, comme
le prouve la lettre de ce représentant ci-après.
(2) Girard, du Jura, pournit-ètre le troisième juré si les citoyens Payan
n’en ont pas indiqué un autre.
�—
250
—
tant du peuple dans les départements des Bouehcs-du-Rlmne et de
Vaueluse, sera autorisé à les faire remplacer provisoirement par
des patriotes pris hors de ces deux départements.
(Papiers trouvés chez Robespierre.)
N o te 33
Compte des indemnités dues aux membres de la commission
populaire à compter du 15 thermidor jusques et y compris le
15 fructidor deuxième année républicaine, et des fournitures faites
par le citoyen Benet, greffier de la commission.
Au citoyen Fauvety, président, à raison de
8,000 liv. par an, pour un mois d’indemnités. 666 I. 13 s. i il.
Au citoyen Roman-Fonrosa, juge, pour un .
mois d’indem nités......................................... 5i0
Au citoyen Fernex, juge, pour un mois d'in
demnités .........................................................
540
Au citoyen Ragot, juge, pour un mois d’in
demnités ......................................................... 540
Au citoyen Meilleret, juge, pour un mois
d’indem nités.................................................. 540
Au citoyen Viol, accusateur public pour
18 jours, à raison de 666 1. 13 s. 4 d. par
mois, jusqu'au 3 fructidor, jour de son arres
400
tation .......................................................... ...
Au citoyen Benct, greffier en chef, un mois
d’indem nités.................................................. 500
Au citoyen Laffont, secrétaire adjoint, un
mois d’indem nités......................................... 300
Au citoyen Collier, secrétaire, pour un mois
300
d’indem nités..................................................
Au citoyen Coste, secrétaire commis, pour
un mois d’in d e m n ité s..................................
.4 reporter
251
—
Report...........................................................
45761. 13 s.
Au citoyen Gide, secrétaire commis, pour
un, mois d’in d e m n ité s .................................. 250
Au citoyen Frédéric Benet, pour un mois
d’indemnités....................................................
100
Au citoyen Laflanon, pour un mois d’in
demnités ........................................................
100
Au citoyen Nappier, officier ministériel ,
pour un mois d’in d e m n ité s..........................
300
Au citoyen Dubousquel fils, officiel minis
tériel adjoint ................................................. 200
Aux trois garçons de bureau (11 à raison
de 100 liv. c h a c u n .........................................
300
Ports de lettres jusqu’au 15 fructidor . . .
46
18
5873 1.
13 s. 4 d.
i d.
{Etal d'émargement, ,V° de la collection de Crozet.)
N o te 3 4
Discours de Maignel.
Vous venez de l’entendre, citoyens! une grande nation outragée
dans ce qu’elle a de plus cher ; un peuple qui sent fortement le prix
de sa conquête, et français par dessus tout, veut être libre ; et
cependant, par la plus profonde conspiration, s’est vu an moment
de perdre le fruit de cinq années de peines et de sacrifices, nous
confie le soin de le venger.
Quelle est honorable la fonction que vous allez exercer! Affermir
les destinées de la République française en faisant disparaître ses
ennemis intérieurs, combattre les despotes étrangers dans tout ce
qu’ils ont eu jusqu’à présent do plus intéressant ; leur enlever l’es
poir de nouveaux troubles, en anéantissant tous ceux qui pourraient
250
45761.
Ils .
i d.
(t) François Laugier. Joseph .lullicn, Jérôme Durninique.
�—
252
253
—
les favoriser; prévenir les complots en portant, par la sévérité de
vos jugements, l’effroi jusques dans la conscience de ceux qui pour
raient en concevoir la seule idée-, purger le sol français de tous
ces êtres immoraux, dont la conduite était pour l'aristocratie un
argument continuel contre le gouvernement républicain, qui ne
prospère que par les mœurs; rendre au peuple le bonheur en le
rendant à la vertu : telle est la part qui vous est réservée dans
l'édifice élevé à la félicité publique! ("est être associé tout à la fois
aux sublimes destinées de la Convention, et aux glorieux triomphes
de nos armées.
Mais ne vous le dissimulez pas, citoyens ! plus la confiance dont
on vous honore est grande, et plus on exigera de vous. Vos devoirs
sont immenses, mais les moyens que l’on vous fournit pour les rem
plir sont sans bornes. Le contre-révolutionnaire a pris mille
formes pour réussir; mais l’on vous débarrasse de toutes celles qui
pourraient entraver votre marche; on vous donne toute facilité
pour le suivre dans tous#ses détours : l’on ne met entre lui et vous
que votre conscience. Envisagez donc dans toute leur étendue les
devoirs que vous avez à remplir et la grandeur du compte que vous
aurez un jour à rendre.
De grands maux ont affligé les départements ou vous êtes char
gés d'assurer l’épuration. Chez eux l’épidémie fédéraliste qui nous
tourmenta l’année dernière, avait fait les plus grands ravages.
Presque toutes les autorités, que la loi avait établies pour préserver
le vaisseau de la République, y ont introduit la contagion. C’est
au milieu d’elles qu’il faut aller chercher les premiers auteurs des
calamités publiques et des dangers que nous avons courus. Déjà
plusieurs ont péri sous le glaive des luis. Quelques-uns attendent
encore le supplice qui leur est réservé; niais d’autres, à la honte
des mœurs publiques, ont trouvé les moyens de se maintenir jus
qu’à présent en place. Je les en arracherai pour les mettre entre
vos mains. Vous punirez tout à la fois et le crime et l’insulte
qu’ils ont faits à la morale en se perpétuant aussi effrontément dans
des postes dont la vertu seule doit approcher.
Vous savez, citoyens, quelle influence a eue de tous les tems et
chez tous les peuples, sur celte morale publique, l’exemple de ceux
qui gouvernent. Vous ne vous étonnerez donc pas quand vous ver
rez la torche incendiaire dans les mains d’une grande majorité îles
administrés au moment même où on l’aperçoit dans celles des admi
nistrateurs; quand vous apprendrez que l’on n’a entendu presque
partout que les cris de la fédération et dcla’révolte, dans ces mêmes
moments où l’on ne devait entendre que ceux de la vénération
pour une Assemblée qui venait de donner le plus bel exemple,
quoique le plus rare, celui de se purger de ses traîtres.
Quelque nombreuse que soit celle classe d’hommes sur lesquels
vous avez à prononcer, il en est d’autres tout aussi dangereux pour
la République, et qu’il importe autant pour le bonheur de la patrie
de faire disparaître.
Tel est l’effet de notre étonnante Révolution, qu’elle se consolide
par les moyens mêmes que scs ennemis avaient imaginés pour la
détruire. L’aristocratie ne peut faire un pas qu’il n’en résulte un
avantage pour la patrie.
Le fol entêtement du Clergé nous a remis en possession de ces
vastes domaines qu’on ne peut lui pardonner d’avoir possédé si
longtemps, que quand on les voit ainsi accumulés pour fournir à
la liberté scs premières ressources. La sotte vanité de la noblesse
nous a fourni un supplément précieux. 11 n’y a pas jusqu’au ridicule
orgueil mercantile qui, pour avoir voulu singer les premières
castes, ne soit venu grossir d’une manière consolante du produit de
sa banque, le trésor national.
Ilsdevaient être recueillis avec intérêt, conservés avec soin tous
ces objets qui avaient une destination aussi respectable. Chaque
citoyen devait veiller précieusement à leur conservation, puis qu’il
voyait le gage de la félicité individuelle dans ce qui devait établir la
félicité publique.
Cependant, citoyens, les domaines nationaux sont devenus, dans
la plupart des districts et des départements, la proie d’une foule
d’hommes qui se sont promis d’enlever à la nation les moyens de
terminer sa révolution, ou qui ont voulu établir leur fortune parti
culière sur les débris de la fortune publique.
�—
254
—
255
—
—
Parcourez les maisons nationales, et vous y trouverez écrites les
preuves des dilapidations les plus effrayantes.
Fréquentez la barre des adjudications, et vous ne la verrez occu
pée que par les mêmes hommes. Ouvrez les registres des admi
nistrations, et vous n’y trouverez inscrits que les noms des mêmes
individus; rapprochez le prix des ventes de celui de l'estimation,
à peine trouverez-vous quelque légère différence entre les deux
prix ; consultez les baux à ferme, et presque toujours vous verrez
les domaines nationaux vendus au-dessous de la moitié de leur
valeur. Voudrez-vous apprendre la cause du mal dont vous verrez
ainsi les malheureux effets? interrogez l’opinion publique, et elle
vous dira que, presque partout, il s’est formé une société qui a
pour objet d’accaparer tous ces biens. Elle a eu l’impudeur de s'or
ganiser publiquement ; elle a ses trésoriers, le public les désigne.
Elle a une caisse qui reçoit.les bénéfices énormes qu’elle obtient
de ceux à qui elle revend les domaines qu’clle s’est fait adjuger à
vil prix, en écartant par la terreur et la menace tous les enchéris
seurs.
Ainsi s’évanouissent les trésors de la nation ; ainsi s’éclipsent
pour enrichir quelques hommes, l’écume de leur pays, les ressour
ces que la République devait trouver dans ses domaines; ainsi se
dégrade la morale publique; ainsi se corrompent les mœurs dans
les campagnes ; ainsi l’amour du travail se perd par l’oisiveté et
par la facilelé d’amasser d’une manière aussi commode, d’immenses
richesses qui se dissipent aussi facilement dans la débauche qu’elles
font naître.
Cherchez, cherchez encore dans les administrations les auteurs
de cet attentat Hberticide. Vous y trouverez des hommes qui, éta
blis par la loi les gardiens et les conservateurs de ces richesses,
les livrent audacieusement à leurs complices, et ne font usage de
leur autorité que pour légaliser leur brigandage et assurer il l’in
fâme tripot, dont ils font partie, les dépouilles de la nation.
Après cet affligeant tableau, vous croiriez avoir parcouru toutes
les classes d’hommes sur lesquels votre vigilance devra s’exercer.
Votre cœur aimerait sans doute à acquérir la certitude que là se
trouve le terme des maux qui affligent ces contrées, le terme des
obstacles qu’y rencontre raffermissement de la République; mais,
citoyens, il est d’autres ennemis de la patrie qu’il est de mon
devoir de vous dénoncer, et du vôtre de poursuivre.
Vous le savez, citoyens, les ennemis de notre révolution se sont
distribué les rôles. Les uns ont jeté audacieusement le masque et
ont été soulever contre nous les puissances étrangères ; les autres
ont eu la lâche moins ostensible, mais bien plus utile à leur parti,
mais plus dangereuse au nôtre, de fomenter les troubles intérieurs.
Ici les rôles varient à l’infini. Les autres ont fourni la Vendée,
nourri les troubles de la Lozère, alimenté le camp de Jalés, contre-révolutionné Lyon, Toulon, fédéralisé le Midi. Les autres ont
été chargés de faire exécrer le patriotisme en rendant sa figure aussi
hideuse que celle du despotisme. Ils n’ont eu qu’à se laisser voir
au naturel pour épouvanter tous ceux gui, témoins de leur immo
ralité et de leurs brigandages, n’ont pas senti que ces hommes,
quoique couverts de bonnet rouge, appartenaient entièrement au
despotisme, dont ils étaient l’infâme produit.
Peuple bon et crédule! ils ont profité de ton inexpérience et de
ta bonne foi pour te faire servir k leur élévation et à ta ruine.
Quelques tours de souplesse ou d’audace ont fait tout leur mérite.
Tu les as entendus parler patriotisme, -vanter leurs exploits dans
la révolution, s’en dire les plus ardents amis et les plus dévoués
défenseurs ; s’ils ont disparu dans les occasions où les dangers de
la patrie les appelait à sa défense, c’était pour ménager à la Répu
blique des hommes qui lui étaient les plus utiles : ils le disaient,
et tu les a crus ! tu leur as donné ta confiance ! Les misérables 1ils
ne s’en sont servi que pour faire le procès à la révolution. Il a fallu
donner une idée de leurs pouvoirs : ils les ont exercés sur
l’homme infortuné. C’était un avertissement à l'homme opulent
de venir déposer à leurs pieds ses richesses pour s’épargner un
pareil sort. Alors quelques mois ont suffi pour voir étaler le luxe
le plus insultant à ceux que l’on venait de voir entrer dans ces pla.
ces presque couverts des respectables haillons de la misère ; aussi
audacieux dans leur crapuleuse jouissance qu’il/» l’ont été dans les
�—
256
—
moyens employés pour les satisfaire, on les a vus trafiquer publi
quement de leur autorité, afficher tous les vices, insulter à toute
morale, exercer un despotisme presque aussi pesant que celui que
l’on venait de renverser.
Le mal-intentionné, le complice des premiers s’est empressé de
saisir avec soin les vices dont sc pavanaient ces derniers, pour ver
ser sur la révolution elle-même les crimes personnels de ces
hommes, pour faire reporter sur le nouveau régime une haine qui
ne devait retomber que sur ceux qu’il rejetait.
Vous les saisirez encore, citoyens, les mains pleines de leurs
larcins. Entrez dans leurs foyers, ou failes-les arracher de ces lieux
de débauche ou ils passent leur vie entière, où ils ne rougissent
pas même d’exercer les fonctions publiques; dcmandez-leur un
compte rigoureux de leur fortune avant la révolution et de celle
dont ils jouissent actuellement ; qu’ils vous indiquent les moyens
qu'ils ont employés pour la grossir aussi subitement et dans un
lems où tous les vrais amis de la patrie n ’auraient qu’à montrer
la liste de leurs sacrifices, si tous ceux faits à la République
n’étaient par eux aussitôt oubliés. Vous aurez bientôt acquis la
preuve trop convaincante des maux all’reux qu'ils ont faits à la
chose publique.
Le décret qui a mis la vertu et la probité à l'ordre du jour les
épouvante, et ils ont recours à l’hypocrisie... Et eux aussi ils osent
parler de vertu! Rien assurés qu’ils .ne peuvent échapper à la loi
qui les poursuit, ils cherchent à égarer le peuple pour se sauver au
milieu des troubles qu’ils voudraient faire naître -, ils lui font ciaindre une seconde contre-révolution ; ils lui disent que c’était aussi
en parlant vertu que les fédéralistes ont produit le mouvement
contre-révolutionnaire qui lui a causé tant de maux.
Les fédéralistes ont fait la contre-révolution en parlant vertu !
Mais s’il faut vous en croire, ajoutez donc, ajoutez que c’était en
mettant en opposition et en publiant les vices de ces faux patrio
tes; et alors si vous convenez vous-mêmes que c’est en les mon
trant tels qu'ils étaient que l’on est parvenu à soulever ce pays,
lassé de leurs brigandages, vous annoncez la nécessité de purger
V
—
257
—
enfin ce sol de leur présence, et de mettre un terme à leurs cri
mes, si l’on veut éviter les malheurs que préparerait la continua
tion de leurs rapines et de leur immoralité. Ce n’était pas parce
qu’on avait parlé vertu que l’on aurait fait la contre-révolution,
mais parce que ce mot aurait offert aux malheureux réduits à la
misère l’idée consolante de voir un terme aux maux dont ils l'ac
cablaient, et qu’il l’a saisi sans examiner I llumine qui lui parlait
le langage de la probité.
N’esl-ce pas en parlant vertu au peuple français, en lui mon
trant à nu les forfaits du despotisme, que nous avons fait la Révo
lution ? Pourquoi, pour se sauver «lu naufrage, le despotisme ne
songerait-il pas aussi à prouver les maux qui résulteraient d’un
régime qui serait fondé sur la vertu ? Ou plutôt, comment ren
verserait-on, en fondant la vertu, ce que ridée seule du bonheur
qu’elle présente a fait naître?
Ah ! qu’ils n’espèrent plus en imposer au peuple ces hommes
qui trop longtemps l’ont égaré, mais dont l’immoralité excessive
l’a enfin désabusé. 11 examinera maintenant la conduite et le but
de ceux qui ont pu autrefois lui parler l hypocrisie de la probité,
et la conduite et le but de ceux qui viennent fonder aujourd’hui
au milieu de lui la morale publique.
Les premiers étaient des hommes à fortune et qui avaient passé
leur vie entière dans les plaisirs et les débauches. Il ne fallait pas
de grands efforts pour sentir que le mol n’était que sur leurs
lèvres, que ce n’était qu’un talisman pour se ménager des richesses
qui faisaient tout leur bonheur ; que la vertu de ces hommes n’é
tait qu’un tissu de crimes, n’était qu’un masque. Ils parlaient
vertu, et ils protégeaient les hommes les plus corrompus, les cons
pirateurs ; ils parlaient vertu, et ils assassinaient les hommes les
plus probes, ils parlaient vertu, et la pratique eût été pour eux
le plus cruel des supplices.
Mais aujourd'hui c’est une société entière qui a jeté les fonde
ments de celte morale dans son propre sein en sc purgeant de tous
ses traîtres; qui a lié ses destinées à celles du peuple en mettant
dans le succès de la Révolution le salut de tout ce qu’un bon
17
�citoyen a de plus cher après sa patrie, celui de la famille entière;
d'une assemblée d'hommes à qui les privations que la vertu
impose ne sont point étrangères, qui les pratiquaient même sous
l’ancien régime, et qui sont les premiers à en donner l'exemple;
d'une assemblée qui a déclaré solennellement qu'un patriote était
un objet sacré sur lequel elle ne cessait de veiller; mais qu’elle ne
fera ni paix ni trêve avec aucun traître : et ils oseraient, les mal
heureux, la calomnier au point de l’assimiler avec les premiers!
qu’ils songent que c’est un nouveau crime dont ils sc rendraient
coupables et dont ils devraient bientôt compte à la commission
populaire à qui je le dénonce.
Pourquoi donc ne manifestez-vous pas aussi des craintes sur ce
système né au milieu de vous, Parisiens, que l'on a toujours vus
donner l’éveil du danger? Ah ! c’est que vous connaissez le prix
de la vertu, et que vous savez bien quelle seule peut terminer la
Révolution et fonder la République.
L'aristocratie, dit-on, sourit d’avance au supplice qui menace
l’homme improbe. Ils mentent bien impudemment ceux qui
sèment de pareils bruits. L’on ne sc réjouit point de sa propre
destruction. Mais si cela était, c’est à vous, citoyens magistrats, à
lui répondre. Envoyez-la dans quelques jours calculer au milieu
des cadavres que le glaive des lois aura abattus, ceux qui appar
tiennent à chaque classe de contre-révolutionnaires: que tous y
lisent à la fois leur arrêt de mort.
Vous vous rappellerez, citoyens, que le fanatisme a été l’élément
de ces contrées ; qu’il les agile encore d’une manière violente, et
qu’il vous appartient d’étoufler de bonne heure tous les germes de
soulèvement qui pourraient s’y manifester.
Vous vous apercevrez aussi que la loi sur le maximum est à
peine connue ; que nulle part elle n'est exécutée, et que c’est h ce
défaut d’exécution qu’il faut attribuer en partie les maux qui affli
gent le peuple. Vous le ferez jouir de l’abondance que la Provi
dence lui offre en anéantissant tous ces infâmes accapareurs qui
n’attendent que le moment de faire disparaître les bienfaits
qu’elle va lui prodiguer.
Le coup qui a failli vous enlever à la République, vous ses zélés
défenseurs, a retenti jusqu’à nous. Tous les amis de la patrie se
sont cru menacés dans vos personnes. Tous se réunissent pour
demander une vengeance éclatante. Vous l’obtiendrez, législa
teurs, en voyant frapper du Midi au Xord cette nouvelle espèce
d’ennemis que vos vertus ont fait naître.
De grands moyens vont être employés pour vous arracher tous
les hommes que la justice nationale réclame.
Les moins dangereux pour le fonctionnaire probe seront ceux
qui avaient autrefois le plus de succès, qui en auraient encore
plus aujourd’hui pour une de ces classes d'hommes que vous devez
poursuivre : mais redoutez nos vertus même. Ce sont c lic s que l’on
fera agir, dans l’impossibilité de pouvoir employer utilement les
antres.
Quand une famille viendra toute éplorée vous parler de ses
malheurs et réclamer la liberté de son chef, jetez les yeux sur la
grande famille qui veut aussi la liberté, cl qui ne peut l’obtenir que
quand le dernier des traîtres aura disparu. Quand vous verrez
couler les larmes de ses enfants, portez vos regards sur les fron
tières, et Voyez-y couler à grands flots le sang de nos républicains.
C’est là, citoyens, que l’on apprend à être véritablement humain.
Quand des communes entières, cédant à de fausses impressions
ou à un sentiment peu réfléchi, viendront, à la sollicitation des
parents d’un coupable, vous parler en sa faveur, écoutez les cris
de ces contrées entières pillées, incendiées par leurs complices ;
prononcez entr’clles.
Forcez ceux qui oseront blâmer la rigidité de vos jugements et
de Vos principes à calculer eux-mêmes s'ils on ont le courage,
les victimes qu’a faites le système de celle meurtrière clémence
qui trop longtemps domina au milieu de nous, et qu’ils n o u s délinissenl enlin ce qu’ils appellent l'humanité.
Justice, citoyens magistrats, justice! c'est le seul sentiment
auquel vous devez céder.
El qu’aurait-il donc d’épouvantable ee mol de justice pour
qu’on n’osàl pas le prononcer devant toutes sortes de prévenus,
�—
260
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261
—
—
pour qu’il fallut le modifier par celui d’humanité ? Si la justice est
la terreur du coupable, n'esl-cc pas l’égide de l’innocence? La
justice n’esl-elle pas pour un tribunal cc qu'est le patriotisme pour
la société? L'un n’est-il pas la réunion de toutes les vertus qui
seules assurent le bonheur du peuple, comme l’autre le concours
de tous les moyens nécessaires pour confondre le crime et sauver
l'innocence ?
Déjà sans doute ce sentiment de justice, qui est profondément
gravé dans vos Ames, vous aura dit qu’au milieu de cette foule
d'hommes qui comparaîtront devant vous comme coupables des
mêmes délits, il peut y en avoir, et même plusieurs, à qui l’on
n’aura à reprocher que leur ignorance et leur crédulité. C’était sur
ceu\-lA que l’ancien régime aurait fait tomber tout le poids de sa
vengeance, en les rendant responsables d’une faute qu’ils auraient
commise sans la connaître, pour épargner l’homme du lion ton,
opulent et instruit, mais possédant une assez grosse fortune pour
faire taire la loi. Eli bien ! malheureux cultivateurs ! pauvres arti
sans! A qui l’aristocratie tremblante à la vue du tribunal qui va
la juger, ne manquera pas de vouloir inspirer le même sentiment,
rassurez-vous ; le règne des grands est lini, celui de l’impassible
justice est arrivé. C’est elle qui examinera ce que vous aviez déjà
fait pour la Révolution avant celle époque fatale ; c’est elle qui
inspirera à vos juges ce cri favorable, quand ils auront acquis la
certitude qu’amis de votre patrie, amis de la vertu, décidés encore
à les servir l'une et l’autre, vous ne pourrez qu’être utiles à la
société en vous laissant au milieu d’elle. Laissez l'effroi et la ter
reur pour celui qni a voulu perdre son pays. Abandonnez-vous à
la eonliance, c’cst le seul sentiment que vous devez connaître.
Si la calomnie osait poursuivre jusqu’auprès de vous l'innocence,
ah ! déployez, citoyens magistrats, déployez tout ce que la ven
geance des lois peut avoir de plus terrible. Chaque instant qui
prolongerait l’existence d’un pareil monstre serait une injure à la
Providence. Que l’instant qui l’aura vu paraître dans ce sanctuaire
soit le même qui le voit monter A l’échafaud.
Mais s’il ourdissait dans quelque moment le coupable projet de
soustraire au supplice un traître, qu’un grand exemple apprenne
également que nul n’a le droit de ménager Asa patrie de nouveaux
maux, et que l’on devient le complice des conspirateurs que l’on
protège.
Peuple ! magistrats ! vous avez des devoirs réciproques et bien
importants Aremplir ; vous devez concourir mutuellement Asauver
laRépublique. Peuple, qu’une continuelle surveillance déjoue tous
les projets de les ennemis, qu'une sainte dénonciation conduise A
ce tribunal lous les trailrcs : le silence, dans des circonstances
aussi difficiles, est un véritable crime ; et vous, magistrats, armezvous d’une impassible sévérité pour délivrer A jamais les départe
ments. Ce n’est pas assez que vos jugements se fassent remarquer
par leur sagesse ; il faut encore qu’ils étonnent par la célérité avec
laquelle ils atteindront le crime. C'est la foudre dont vous êtes
armés: dirigez-la sagement, mais pulvérisez le scélérat au moment
même où il médite ses complots.
iPièces officielles.)
N o te 3 5
Lettre de Voullant A Robespierre.
Voullanl, représentant du peuple, membre du Comité de sû
reté générale, au citoyen Maximillien Robespierre, son collègue,
membre du Comité de salut publie.
Je t’ai remis ce malin, citoyen collègue, une note oii j’ai écrit
le nom du citoyen Fauvely, de la ville d’Uzôs, département du
Gard, avec prière de le comprendre dans la liste des jurés qui doi.venl être nommés incessamment.
Voici les titres de mon compatriote, dont je réponds comme je
répondraisde toi-même.
Le citoyen Fauvety était directeur de la Poste aux lettres d’Uzès, et membre du conseil général de la commune. Un Comité
de salut publie établi A Nîmes dans les derniers mouvements
�-
contre-révolutionnaires éprouvés dans celle ville, le destitua de
ses fonctions . l’accusateur public prés du tribunal criminel du
département du Gard, décrété d’accusation par la Convention na
tionale. le lit enlever pour un prétendu délit révolutionnaire ; il le
jeta dans un cachot, d’où il ne se sauva qu’en sautant d'un se
cond étage, au péril de sa vie.
Le peuple, pour récompenser les injustes persécutions éprouvées
par le citoyen Fauvéty, le nomma son représentant pour porter,
au 10 août, le vœu de la section des sans-culottes d’Uzès : il se
trouve dans ce moment, à Paris, où les'douleurs de la chute qu’il
fit pour recouvrer sa liberté, l’ont retenu.
Le citoyen Fauvely connaît parfaitement toutes les manœuvres
contre-révolutionnaires pratiquées dans le département du Gard.
Je pense, dans mon opinion, qu’il sera très-bien placé auprès du
tribunal révolutionnaire, étant bien au fait de toutes les intrigues
des fédéralistes du midi.
Salut et fraternité.
Signe : V oüllant.
IPapiers trouvés chez Robespierrei.
N o te 3 6
Orange, tu messidor, an II de la République, etc.
Fauvely, président delà Commission populaire établie à Orange
au citoyen Payan, agent national de la Commune de Paris.
Citoyen camarade,
Les grandes occupations que j ’ai eues depuis mon arrivée en ce
pays, ne m’ont pas laissé le teins de t’écrire, ainsi qu’à ton frère,
auquel je voudrais bien présenter mes excuses, et lui dire que j’ai
reçu les divers paquets qu’il m’a adressés.
La Commission m’a coûté beaucoup de soins et de veilles
pour l’organiser : on manque de sujets qui réunissent au
263
-
patriotisme les talents nécessaires et l’exacte probité dont on a
besoin dans les affaires importantes. Roman-Fonrosa et moi som
mes ce qu’on appelle vulgairement chez nous, les bardots de la
Commission. Il a fallu, pendant longtems, tout voir, tout dicter.
Enfin, nous avons trouvé un sujet qui peut conduire et surveiller
en partie, différents bureaux; quoiqu’il nous manque au moins
dix personnes pour que la Commission puisse aller selon mes dé
sirs, nous allons pourtant, et nous avons plus fait, dans les six
premiers jours, que n’a fait dans six mois le tribunal révolution
naire de Nîmes ; enfin, la Commission a pourtant rendu cenlqimtre-vingl-dix-sept jugements dans dix-huit jours. Hier nous
avons condamné quatre faux témoins, surpris en audience-, ils
ont subi la peine de mort. L’un d’eux a avoué en allant au sup
plice, qu’il était bien jugé et qu’il avait eu tort de déposer à faux
pour de l’argent
Je le promets que nous mettrons, dans le diabolique Comtat, la
vertu et la probité à l’ordre du jour.
Ragot, Fcrnex et moi sommes au pas ; Roman-Fonrosa est un
excellent sujet, mais formaliste enragé et un peu loin du point
révolutionnaire où il le faudrait; Meilleret, mon quatrième collè
gue, ne vaut rien, absolument rien au poste qu’il occupe; il est
quelquefois d’avis de sauver des prêtres contre-révolutionnaires;
il lui faut des preuves, comme aux tribunaux ordinaires de l’an
cien régime. Il inculque celle manière de voir et d’agir à Roman ;
il le tourmente, et tous les deux réunis nous tourmentent à leur
tour. Nous avons quelquefois des scènes très-fortes. Meilleret, en
fin, est patriote, mais il n’est pas à sa place. Dieu veuille que Ra
got, Fernex ou moi ne soyons jamais malades! Si ce malheur ar
rivait, la Commission ne ferait plus que de l’eau claire ; elle serait
tout au plus au niveau des tribunaux ordinaires de départe
ment.......
Je te salue fraternellement ; mes amitiés à ton frère, je l’invite
à continuer ses envois.
Signé : F.yuvety.
(Papiers trouvés chez Robespierre.)
�—
264
N o te 3 7
Lettre corrigée delà main de Payan, l’agent national, et adres
sée à Roman-Fonrosa.
J ’ai été longlems, mon cher ami, membre du tribunal révolu
tionnaire, et je crois, à ce titre, te devoir quelques observations
sur la conduite des juges ou des jurés. 11 est bon de t’observer
d'abord que les commissions chargées de punir les conspirateurs,
n’ont absolument aucun rapport avec les tribunaux de l’ancien
régime, ni même avec ceux du nouveau. Il ne doit y exister au
cunes formes, la conscience du juge est là et les remplace. Il ne
s'agit point de savoir si l’accusé a été interrogé de telle ou telle
manière, s’il a été entendu paisiblement et longtemps lors de sa jus
tification ; il s’agit de savoir s'il est coupable. En un mol. ces com
missions sont des commissions révolutionnaires,c’esl-à-dirc des tri
bunaux qui doivent aller au fait cl frapper sans pitié les conspira
teurs: elles doivent être aussi ees tribunaux politiques ; elles doivent
se rappeler que tous les hommes qui n’ont pas été pour la révolution,
ont été, par cela même, contre elle, puisqu’ils n’ont rien fait pour
la patrie. Dans une plaee de ce genre, la sensibilité individuelle
doit cesser ; elle doit prendre un caractère plus grand, plus auguste,
elle doit s’étendre à la République. Tout homme qui échappe à la
justice nationale est un scélérat qui fera, un jour, périr des répu
blicains que vous devez sauver. On répète sans cesse aux juges:
Prenez garde, sauvez l’innocence ; et moi je le leur dis, au nom de
la patrie : tremblez de sauver un coupable.
Dans la position où tu le trouves, je soutiens qu’il est impossi
ble, avec la plus grande sévérité, que tu condamnes jamais un
patriote. Le tribunal est entouré d’hommes probes, de citoyens du
pays-même, et la démarcation est tellement établie entre les amis
de l’humanité et les ennemis, que lu ne frapperas jamais que ses
ennemis. Je t’en conjure, au nom de la République, au nom de
l’amitié que je t’ai vouée, je l’en conjurerais au nom de ton inté-
—
265
rét particulier même, si [l’on devait en parler lorsqu’il s agit de
l’intérêt général, laisse des formes étrangères à ta place ; n’aie de
l’humanité que pour la patrie -, marche d’un pas égal avec les collè
gues. Fauvetysail l’impulsion qu’il faut donner au tribunal; il a ac
quis l’estime et l’amitié de tous les républicains. On applaudit toujoursà sa justice, et les aristocrates seuls, dont il détruisait les parti
sans, lui reprochèrent sa vigueur. Il n’y a pas de milieu, il faut être
totalement révolutionnaire, ou renoncer à la liberté. Les demimesures ne sont que des palliatifs qui augmentent sourdement les
maux de la République. Tu as une grande mission à remplir:
oublie que la nature te fit homme et sensible. Rappelle-toi que la
patrie l’a fait juge de ses ennemis : elle élèvera un jour sa voix
confie loi, si lu as épargné un seul conspirateur; el dans les com
missions populaires l’humanité individuelle, la modération qui
prend le voile de la justice, csl un crime. Je n’ai vu dans ces
genres dé Iribun&ux que deux sortes d’hommes, les uns qui trahis
saient les intérêts de la liberté, et les autres qui voulaient la faire
triompher. Tous ceux qui prétendaient être plus sages el plus jus
tes que leurs collègues, étaient des conspirateurs adroits, ou des
hommes trompés, indignes de la République. Choisis entre l’amour
du peuple et sa haine. Si lu n’as pas la force et la fermeté néces
saires pour punir les conspirateurs, la nature ne t’a pas destiné à
être libre. Tu sens, mon ami, que ces réflexions me sont inspirées
par l’amour de la patrie et par l’estime que j ’ai conçue pour loi ;
elles sont jetées à la hâte sur le papier, mais elles sont bonnes.
Lis-les sans cesse, et surtout avant le jugement des scélérats que
vous avez à frapper. (Ces derniers mots sont raturés).
Salut et fraternité.
(Papiers trouvés chez Robespierre.)
N o te 3 8
Réponse de Roman-Fonrosa à Payan.
Orange, 30 messidor, an II de la République Française, etc.
J’ai reçu, citoyen el ami, la lettre du '20 du courant . et je le
�—
266
remercie bien sincèrement des avis que ton attachement pour moi
t’inspire, bien que je croie être à cet égard à l’abri de tout repro
che : mais soit qu’on ait présenté quelque tableau bien éloigné de
la vérité, soit que je croie devoir éclairer ton amitié et la conliance
sur ma manière de penser, je t’observe qu’il est dans mon cœur
qu’il ne suffît pas de mériter la conliance, qu’il faut encore clans
tous les teins, la justifier. Appelé par la confiance de mes conci
toyens ?i diverses fonctions publiques, dès l'aurore de la Révolu
tion je me suis imposé la plus étroite obligation de les remplir
avec la plus sévère exactitude, et j ’ose dire que si celle sévérité
m’a fait des ennemis, elle a pleinement justifié la confiance dont
on m’avait honoré auprès des amis de l’ordre et des lois : honoré
de celle du comité de Salut public, je ne me suis pas dissimulé
qu elle exigeait de moi encore plus d’exactitude, et je crois jusqu'à
présent avoir rempli son vœu.
Conformément à son instruction, je me suis bien pénétré que,
pour acquérir dans mon Ame la conviction des délits des prévenus
mis en jugement, je n’avais besoin d’aucune des instructions prépa
ratoires, auxquelles les autres tribunaux sont asservis : mais comme
le xerlueux Maignet, j’ai cru qu’il fallait faire nue différence entre
les coupables; distinguer les coupables, c’est-à-dire les ci-devant
nobles et les prêtres, lotis les riches, les hommes d’affaires et autres
gens instruits, de ceux de la classe des artisans, inanouvriers ou
journaliers, dont la grande majorité sont illétrés, qui avaient été
égarés ou trompés. J ’ai cru, sur ces derniers, que conformément
aux vues du représentant Maignet, souvent manifestés, notamment
dans son discours, lors de l’installation de la commission, et d’a
près les instructions politiques qu’a été à même de nous fournir le
citoyen Meillerel, mon collègue, (pii bien franchement avait été
nécessité d’acquérir les plus grands renseignements pour concourir
à organiser une partie des corps constitués dans ce département,
notre sollicitude nous imposait la plus étroite obligation de recher
cher avec le plus grand soin si le prévenu de cette dernière classe
n’avait pas été égaré ou trompé ; et, j’ose le dire, lorsque dans mon
/line j’ai acquis celte conviction, j’ai voté de moindres peines ou
—
267
—
l’absolution, sauf toutefois les cas où la conduite du prévenu ne
m’a jamais laissé douter de son intention. J ’avoue que, pour arri
ver au but, la tâche est d’autant plus pénible que, d’après les con
naissances générales que j’avais de ce département, des insurrec
tions diverses qui dans ces contrées avaient nécessité des parèis
opposés, les renseignements que nous a donnés Meillerel, et ceux
que j’ai cherché à acquérir d’ailleurs, il nous faut êlro sans cesse
en garde sur la nature des charges que nous présentent les témoins
qu’on nous produit, souvent et trop souvent dictées par des animo
sités particulières, un esprit de parti, ou quelquefois inspirées par
un intérêt particulier ; en sorte que, sous ces divers rapports, il ne
faut point être surpris que parmi nous, nos opinions sur cette
dernière clause de prévenus, varient quelquefois, puisqu’elles dépen
dent csscnliellonient de notre manière de saisir ou d’apprécier les
déclarations des témoins ; et c’est à cet égard, malgré que je sois
occupé trois ou quatre heures par jour plus que mes collègues,
pour la rédaction des jugements, nous n’avons cessé, Meillerel et
moi, de réclamer une assemblée préalable, pour connaître les
accusés qu’on mettait en jugement, ainsi que les charges maté
rielles qu’il y avait contre eux, pour rendre notre opinion plus
uniforme. Nous avons réclamé surtout qu’on s’attache à purger les
grands coupables, parce que nous espérions que dans l’instruction
de leur procès, nous parviendrions à acquérir des renseignements
favorables à ceux qu’ils avaient induits, égarés ou trompés; mais
jusqu'à présent nos tentatives ont été inutiles. Voilà, cher ami,
quelle est ma conduite dans celle partie jusqu’à ce moment.
La commission ayant cru, dans quelques circonstances, pouvoir
découvrir quelque complot ou quelques complices dans des délits
majeurs, j’ai été chargé de prendre des réponses personnelles ou
d'entendre des témoins, comme en ayant plus l’usage que mes
attires collègues ; nous n ’avons pas eu d’autre instruction prépara
toire, encore est-elle bien bornée, tandis que j’aurais cru qu’elle
eût dû être infiniment plus étendue, parce que nous axions décou
vert des fils,qu’il eût été intéressant de suivre pour nous éclairer
sur une classe d’hommes qui, sous le voile du patriotisme, ont fait
�—
268
-
le plus grand mal dans ces contrées, en faisant contribuer des
citoyens, sous prétexte de les soustraire au glaive de la loi.
Si pour porter le jugement, nous n’avions pas besoin d’instruc
tion préalable, je n’ai pas cru qu'il en fut de même pour assurer
nos opinions dans le dépôt qui doit, dans tous les teins, justifier
ma conduite : j’ai cru qu'il était indispensable de retenir note
légale de l'interrogatoire public qu’on fait subir au prévenu en
audience, c’est-à-dire, de ce qui constate ses nom. prénom, Age,
qualité et demeure. Il eût même fallu, ce me semble, constater,
autant qu'on le pourrait, sa fortune ; sans insister beaucoup, je
pensais aussi qu’il eût été intéressant de retenir même note des
témoins qu’on faisait entendre. J ’ai cru être d’autant plus fondé
sur la partie relative au prévenu, que, sur le régistre qu’on a for
mé, contenant le nom des prévenus mis en jugement et jugés jour
par jour, il s'y trouve quelque légère différence dans les qualités
avec celles désignées par les jugements; tandis que s’il y avait
note retenue, signée par le président et le greffier, tout devrait
nécessairement s’y référer. Plus versé dans celte partie que mes
autres collègues, même que ceux employés au greffe de la commis
sion, je leur avais communiqué ce qui se pratiquait ailleurs ; mais
l’excès du travail et le petit nombre de commis leur avait fait
envisager mes vues comme superflues. Je me lais, espérant que le
mode de travail qu’on pratique sera approuvé, ou qu'on nous
tracera une route quelconque. La loi m’ayant servi, dans tous les
teins, de guide pour mes devoirs et mon opinion, j'ai cru égale
ment que dans la dispensation des peines, nous ne pouvions nous
écarter de la disposition des lois pénales, et même do l’obligation
’rnposée aux autres tribunaux d’en rapporter le texte. Si, sur tous
ces objets, la nature de notre tribunal pouvait nous en dispenser,
j’ai toujours cru qu’il était avantageux d’édifier le public sur les
motifs qui dirigent nos opérations.
Si, clans cette conduite, je n’avais pas rempli les \ues du comité,
que ton amitié veuille bien m’éclairer sur ce que lu crois que je
doive faire. De plus, harassé de travail, à désespérer de le soutenir
longtemps, je te laisse à décider si, quand je suis décidé à ni’ira-
—
269
inoler pour tout ce qui pourra être avantageux à la patrie, il pourra
jamais naître un doute contre moi que je veuille favoriser ses
ennemis.
Rappelle-moi au souvenir de ton frère.
Salut et fraternité,
Signé : R oman- F onrosa.
P. S. — Je joins ici un exemplaire du procès-verbal d’installation,
et un exemplaire du tableau des individus mis en jugement dans la
première et seconde décade de ce mois, qu’on nous rend dans l'ins
tant.
iPapiers trouvés chez- Robespierre.)
N o te 3 9
Fernex (Joseph), ouvrier en soie, un des cinq juges de la com
mission révolutionnaire de Lyon. 11 s’étail réfugié, vers la fin de
1694, à Miribel, ou il fut arrêté et ramené prisonnier à Lyon ;
mais on le relâcha comme tant d’autres, parccque la loi ne l'attei
gnait pas. Ayant eu l’audace de passer en plein jour sur la place
des Terreaux, il fut reconnu par la veuve d’une de ses victimes, et
massacré par le [couple, le dimanche 14 février 1795. (Lyonnais
digues de Mémoire par Breghol du Lut et Péricaud aîné, 1839).
Autre Noie 30
Fernex, ancien ouvrier en soie, est le seul des cinq juges de la
commission révolutionnaire à qui on ne put jamais arracher la
moindre marque de sensibilité. Sauvage, vivant seul, n’ayant pas
même de liaison d’intimité avec aucun des quatre autres, il était
sans pitié pour l’homme riche et pour celui qu’il ne croyait pas
dévoué à la République. Son mol ordinaire était : je donne ma
vie pour que la Révolution triomphe. (Aimé Guillon. Siège de
Lyon. in. p. 5).
Il fut envoyé plus lard, en qualité déjugé à la commission d’Orange.
�270
—
271
—
—
Autre Note 30
Fernev faisait partie de la commission révolutionnaire de Lyon
composée de cinq membres, laquelle fonctionna depuis le 8 fri
maire an deux jusqu’au 17 germinal (du 28 novembre 1793 au
6 avril 1794), pendant ce court espace de lems elle condamna à
mort seize cent quatre-vingt quatre individus. (Collection des juge
ments de la commission révolutionnaire établie à Lyon par Us
représentants du peuple en 1780 et I70ï, publiés par Melville
Glaver, 1869.)
N o te 4 o
Lettre de Fernex à Robespierre.
Brave sans-culotte, si j’ai dill'éré longlems à le remercier d’avoir
bien voulu te charger de mon affaire, c’est que lu me témoignes
un vif désir de connaître ceux qui cherchent leur tête, et que j’at
tendais pour cela de pouvoir t’en faire passer la liste, dans laquelle,
malgré que la majorité de la commission soit animée des mêmes
sentiments et guidée par les mêmes principes que toi, lu verras
encore une quantité de ceux que lu crois n’avoir été que des
mannequins, et qui le sont effectivement scion moi. Malgré la
répugnance que l’on éprouve à les condamner, néanmoins on ne
peut s’en dispenser tant ils sont compromis ; mais aussi quand
nous trouvons l’occasion de nous en venger sur ceux qui oui cru
se tenir derrière le rideau, tels que messieurs les gens d’affaires,
les prêtres, les nobles cl ce qu’on appelait les ci-devants, ces
messieurs de la première volée, nous ne les manquons guères,
comme tu verras, et nous lâchons de les punir de leur periidie, en
leur faisant pressentir, dès l’ouverture des débats, quel sera pour
eux le résultat.
Je ne puis m’empêcher de le dire que j’ai été un peu affecté de
l’espèce de reproche que lu me fais relativement à Commune-
Affranchie ; car indépendamment qu’il y a eu trois commissions
et que je n’ai été que de la dernière, j’atteste ici le témoignage,
non-seulement de tes collègues Fillon et Emery, mais encore d’Achàrd, de Pi Ilot et de tant d’autres, qui tous ont été à portée de
voir que j’étais plutôt le défenseur que le juge de ceux qui pou
vaient être présumés avoir plutôt agi par erreur que par méchan
ceté, et je puis l’assurer qu’il n’en est guères péri que de ceux qui
persécutaient les patriotes, soit en les dénonçant, soit en indiquant
leur retraite, soit en les désarmant ou en les forçant de prendre
les armes. Permets-moi, en passant, cette petite justification,
car il me serait dur d’être connu de toi pour autre que ce que je
suis.
Revenons à Orange. Je le dirai qu’il est étonnant que l’esprit
public soit ici à la hauteur ou il est, attendu la proximité du Com
tal, qui est gangrène d’aristocratie à 36 karals ; et il suffit de savoir
quel en était le ci-devant souverain pour en être convaincu. C’est
un pays tel, que sans les soins et les talent# du brave Maignet, on
serait parvenu aisément à en faire une petite Vendée, ainsi que de
tout le département de Vaucluse, qui ne vaut guères mieux. Eh
bien ! Orange, au sein du fédéralisme, a eu le bon esprit de s’en
préserver. Il n'y point eu ici de sections ; ils ont non-seulement
résisté aux Marseillais, mais ils ont marché contr’eux pour s’oppo
ser h leur passage à la Durance, et ont protégé de tout leur pou
voir tous les patriotes des environs, dans les circonstances malheu
reuses qu’ils ont éprouvées.
Rien des choses de ma part à tes deux collègues. Dis-leur aussi
qu’Auris, en me parlant de nos diplômes, m’apprit qu’ils recevront
sous peu les leurs, ainsi que les nôtres. Je ne te parle pas de
Ragot, pareeque je sais qu’il t’écrit. Fauvely me charge de te faire
scs amitiés, et moi je le prie de me conserver la tienne et de me
croire aussi.très-fraternellement ton ami.
Signé : F ernex.
(Papiers trouvés chez Robespierre — édition de 1828.)
�—
272
—
—
Note 41
Mandat d’arrêt contre Michel le jeune, à Roquemaure.
Liberté. Égalité. De par la loi,
François-Charles Viot, accusateur public près la Commission
populaire établie à Orange, mande et ordonne à tous exécuteurs
de mandat de justice d’arrêter et de faire conduire dans la maison
de justice d'Orange le nommé Michel le jeune, habitant de Ro
quemaure.
Prévenu d’avoir entretenu des correspondances libcrlicides avec
les ennemis extérieurs de la République.
Charge l'huissier ou gendarme qui mettra le présent à exécu
tion, soit qu'il saisisse ou non le prévenu, de se conformer en tout
point à ce qui lui a été prescrit par l’art, XI de la loi du 26 fri
maire, d’appeler l’agent national de la commune du lieu pour
faire apposer les scellés sur les effets et papiers dudit prévenu et
établir séquestre.
Mande au gardien de le recevoir, le tout en se conformant à la
loi, et requiert tous dépositaires de la force publique auxquels le
présent mandat sera nolilié, de prêter main forte pour son exécu
tion en cas de besoin.
Fait à Orange, ‘23 prairial, an II de la République, etc.
Signé :
V iot .
[Cabinet de M. de Crozet).
Note 42
Orange, le 7 messidor, l’an second de la République Française, etc.
L’accusateur public près la commission populaire
séante à
Orange, aux municipalités et comités de surveillance des com-
273
—
imines dés départements d e s Boliches-du-Rhone et de Vauclüse.Vous avez vu s’organiser au milieu de vous, citoyens, le système
le plus perfide, un système subversif, dévastateur, qui ne tendait à
rien moins qu’à avilir aux yeux du peuple Français la Représenta
tion nationale, dissoudre la Convention, jeter de nouveau la
France entière dans les fers mille fois plus pesants que ceux que
vous avez brisés ; qu’à opérer enfin la contre-révolution la plus
complète. Les complots des scélérats ont été déjoués, et le Fran
çais, qui veut être libre, n*a pas cessé de l’être malgré les périls
dont on l’a environné ; il les a bravés et a dissipé aisément ses lâ
ches ennemis. La nation veut être vengée de toutes les insultes
faites à sa souveraineté, de tous les attentats commis contre sa li
berté. Vous êtes les instruments immédiats qu’elle a chargé de la
lâche sacrée de désigner les prévenus. Les mesures de sûreté vous
ont été confiées ; si vous les avez prises en francs et loyaux répu
blicains, les maisons de justice, de détention, de réclusion de votre
ressort doivent renfermer tous les coupables de vos contrées, tous
les suspects à la révolution. Vous devez avoir entre les mains tou
tes les pièces de conviction qui serviront à diriger sur eux la bâ
che de la loi : déjà vous avez, j’aime à le croire, eu soin de faire
procéder à la levée des scellés apposés sur les papiers de tous les
détenus ; vous en avez dressé l’inventaire ; vous avez gardé soi
gneusement par devers vous tous les écrits contre-révolutionnai
res, toutes les correspondances avec nos ennemis, soit en dedans,
soit en dehors ; ccs pièces deviennent en ce moment nécessaires à
la Commission ; hâtez-vous de me les adresser ; désignez-moi les
maisons de détention ou se trouvent placés ceux contre lesquels
vous me fournirez des preuves ; indiquez-moi, en même tems, le
nom des citoyens dont le témoignage pourrait être nécessaire pour
constater les actes ou les propos contre-révolutionnaires des déte
nus. Connaître le coupable, l’arrêter, le convaincre et le punir,
telle est la tâche de tous les français ; et les différents actes, quoi
que confiés à des autorités différentes, doivent se succéder avec la
rapidité qui caractérise le gouvernement révolutionnaire ; c’est
pour vous, c’est pour vos enfants que vous opérez ; c’est pour sau-
�L’accusateur public de Vaucluse aux administrateurs du district
de Carpenlras.
Note 4 3
L’accusateur public près la commission populaire établie
Orange.
Égalité, Fraternité, Liberté ou la mort.
Orange, 25 prairial, l'an deuxième de la République Française, etc.
Dans le nombre des personnes suspectes arrêtées par l’effet de
l’arrêté du représentant du peuple Maigncl, il s’en trouve beau
coup, citoyens, coupables de conspiration contre l’unité et l’indi
visibilité de la République, que la loi doit atteindre et frapper. Il
existe surtout parmi eux des fédéralistes et des contre révolution
naires ardents que l’opinion publique a depuis longtems désignés
et qui doivent être traduits en jugement au nom de la loi. Je vous
requiers de me faire parvenir le plus incessamment possible, tous
les renseignements, pièces, documents que vous pourrez recueillir
contre eux, el de me transmettre le nom des témoins qui devront
déposer contre chacun de ces individus.
Vive la République !
Signé : V iot .
VL
(Autographe, collection Chambaud).
Je vousai demandé il y a plusieurs moi létal nominatif des émi
grés de la republique qui résidaient dans votre district, vous ne
me l’aucs pas envoyé ; je vous réitère cette demande. Si la loi
vous établit d’un collé pour avoir soin des biens des enfants dé
naturés qui ont quitè leur mère, de l’autre le tribunal criminel est
proposé pour anvoi/er a la guillotine ceux de ces messieurs qui
enfreignent leur bannissement. Il faut a cet etlel que vous fassiés
connaître les bannis. Leur nombre doit s’être accru depuis peu.
Tous les sectionnaires qui ont fui ces contrées pour éviter les pei
nes de leurs crimes, ont grossi, ou doivent avoir grossi les listes
des émigrés de la République.
Salut et fraternité.
Signé : B arjavel.
(Lettre autographe, collection Chambaud.)
N o te 4 5
Nous tenons de source certaine qu’un citoyen d’Orange, voulant
célébrer la naissance d’un enfant, guidé par la peur crut devoir
inviter les membres du tribunal. Parmi eux se trouvait Barjavel.
Celui-ci accepte l’invitation il condition qu'on inviterait le premier
citoyen d’Orange, le meilleur patriote. Le père crut qu’il s’agissait
du président et assura qu’il était au nombre des convives. Ce n’est
pas de lui que je veux parler, répondit Barjavel, mais du bourreau!
11 le dit de manière à 'aire comprendre que toute hésitation deve
nait impossible. S’il s’élevait le moindre doute sur l'exactitude
d'un fait aussi étrange, nous citerions le témoignage d’un vieillard
d’Orango dont la véracité n'a jamais été contestée.
�—
276
—
N o te 4 6
Ce peintre avait dessiné pour Monsieur de Paris, un costume
qui ne fut pas adopté. On le trouve dans l’ouvrage Les Français
sous la Révolution : — bonnet phrygien orné d’une cocarde, man
teau, tunique serrée à la taille par une écharpe, maillot ou pan
talon collant, cothurne orné de rubans rouges.
277
—
remplir les dispositions. Tu sais mieux que personne que je suis
chargé pour ainsi dire exclusivement de tous les travaux du dépar
tement et que je suis seul au courant.... etc. » Il termine sa lettre
par ces mots: « Adieu, mon cher, je t’embrasse de tout mon cœur
en attendant de te voir de près pour te tirer les oreilles.
« Signé: François C ottier.
« Tu seras peut-être étonné de trouver cette signature au lieu de
celle que lu connaissais ; mais depuis le 12 courant j ’ai déposé le
surnom de Julian, et j’ai adopté la signature que j ’emploie à pré
sent. »
(Cabinet d e .)/. Crozet)
N o te 4 7
v. '
Liberté, Égalité.
La Commission populaire établie à Orange : Égalité, fraternité,
liberté, ou la mort.
Orange, le 13°“ messidor l'an second de la République une et
indivisible.
Reçu de la municipalité du Thor les procès-verbaux constatant
les arrestations faites dans ladite commune.
Le secrétaire en chef de l'accusateur public,
Signé : François C ottier .
(Pièces officielles.)
N o te 4 8
« Avignon, ‘13 prairial, l’an deux de la République Française
une et indivisible.
< François Cottier à ton ami Yiot.
« J’ai reçu avec étonnement, mon cher, l'arrêté de la Commis
sion populaire qui me place auprès de toi. Il m’est impossible d’en
i:
N o te 4 9
Juge, membre, du Comité de surveillance, au citoyen Payan, à
la Commission d’instruction publique, à Paris.
Tu trouveras ci-joint, cher ami, le résultat des renseignements
que j’ai pris relativement au district de Nyons, en suite de la
lettre du 6 prairial. Si tu ne l'a pas reçu plus tôt, c’est que j’ai été
très-occupé auprès de Maignel, et que d’ailleurs j ’ai voulu pren
dre tous les moyens possibles pour avoir des notes exactes.
Dans tous les lems, tu me trouveras très-empressé à le fournir
les éclaircissements que tu pourras désirer, soit pour ta propre sa
tisfaction, soit pour la chose publique, à laquelle je ne cesserai d’ê
tre entièrement dévoué, ainsi qu’à loi et k ton frère. Ce district ne
paraît pas marcher d’une manière parfaitement révolutionnaire ;
il paraît que l’on tient encore au fanatisme par l’exacte observa
tion des fêtes secondaires, et la cessation des travaux les jours
des ci-devant dimanches. Il est fort étendu dans la montagne ;
les chemins en sont escarpés et difficiles. Dix cantons compren
nent quatre-vingt communes dont la plupart reçoivent tard les dé
pêches, malgré l’établissement des piétons, offrent une population
�—
278
—
de trente-deux mille cinq cents Ames, dont les diverses communes,
qui n'ont pas encore retranché de leurs dénominations les mots
saints qui les infectent, n’ont pas même balayé tous les ci-devant
prêtres.
Les habitants étaient divisés en deux sectes, l’une catholique,
l’autre protestante ; et ce qui est étrange, c’est que le fanatisme
affecte autant cette dernière,
Le chef-lieu du district me parait absolument mal situé, puis
qu'il est h l’extrémité du district; et je ne vois pas de commune
qui puisse être préférée h Nvons. 11 me paraît qu’à une nouvelle
organisation des districts, il vaudrait infiniment mieux joindre aux
districts de Die, Serres et Carpcntras, les communes qui les avoisi
nent, et former un district de toutes celles environnant Nyons et
Valréas: lu sens quo cette dernière serait, à tous égards, beaucoup
mieux propre à renfermer les établissements publics, que Nyons,
qui est un pays très-resserré, manquant de bâtiments. Il nous fal
lut, dans ce département, tout comme dans celui des Bouches-duRhône, un patriote tel que Maignet, pour le faire aller au pas. Il
travaille jour et nuit pour l’améliorer, et il emportera, en le
quittant, le regret de tous ceux qui le connaissent. Suivant les ap
parences, il tombera plus de trois mille têtes dans ce département.
Les prisons regorgent de fédéralistes et de suspects, et tu sens
qu’il est tems sans doute, de purifier un des plus beaux pays de la
république, trop longtems souillé par la présence d’une horde de
scélérats qui conspirent contre elle.
Rappelle-moi dans le souvenir de ton frère.
Salut et fraternité.
Signé : J uge.
An deuxième de la République, etc.
Ami, la sainte guillotine va tous les jours. Ces jours derniers, le
frère de Maury, l’ex-consliluant, monta le premier en lAche. Puis
madame Pialat des Isles-, notre ancien procureur de la commune;
le marquis d’Aulane, cousin de Rovèrc, notre ancien maire ; un
autre mauvais sujet de Valréas, sept de Grillon, et notre général
Grelly, qui monta le dernier, furent ensemble guillotinés.
Valréas en fournira plusieurs.
J’ai vu par le courrier le jugement de Barbier et autres contrerévolutionnaires du Buis. Monsieur Candcyron, j’imagine, arri
vera vers le trois août. (Vieux style).
Ce sera pour le sûr, les premiers jours de septembre ou au mi
lieu, que j’aurais le plaisir de l’embrasser, et de continuer à débar
rasser la république d’un scélérat. Je reçois toujours Les imprimés,
sans lettre, que je lis à la société. Tu ne me dis plus rien de Fa
raud.
Je ne te parle point des troubles de Montélimar, tu dois les sa
voir.
Maignet est toujours à Marseille ; il a été bien malade; il doit
bientôt venir à Orange.
Tu verras, par la lettre, comme il travaille : tout ira bien dans
nos contrées.
Partage la présente avec ton frère Claude, si cher à tous les ré
publicains. Donne une relation.
Salut et fraternité.
(Papiers trouvés chez Robespierre) .
•
Signé : J uge.
P. S. — Clément est bien ; ne l’oublie pas ni toi, ni ton frère,
tPapiers trouvés chez Robespien-e).
�—
280
—
Note 51
Lettre d’Agricol Moureau à Payah.
Avignon, 9 messidor, an II de la République, etc.
Je suis arrivé hier soir d’Orange, mon cher Payan, où j'avais
été passer deux jours. Les choses y vont assez bien. Voici ce
qui en est : Meillerel et Roman-Fonrosa sont excellents citoyens;
mais pour juger révolutionnairement ils ne valent pas Fauvety et
les deux autres juges de Commune Affranchie. Le bien public
demanderait donc qu’à leur place on mit deux hommes de la trempe
des trois autres. Si Fauvety était malade, ce qui ne lardera pas à
arriver, car il est impossible qu’il tienne avec le travail qu’il fait
et la peine qu’il est obligé de prendre, il échapperait bien des cou
pables, et alors le but du gouvernement serait manqué, les divi
sions régneraient encore, et avec elles le trouble ; et le germe de
la contre-révolution ne serait pas anéanti. Meillerel et Fonrosa sont
esclaves des formes ; les trois autres ne veulent d’autres formes
que la conviction de leur conscience. Les deux juges de CommuneAffranchie sont excellents, et celui qui les a choisis se connait en
hommes. Meilleret et Fonrosa sont de très-vrais patriotes, .mais
tous les bons patriotes ne sont pas également propres à remplir
les fonctions de juges révolutionnaires. Ce que je te dis ne doit
pas diminuer l’estime et l’amitié que tu leur portes ; mais je crois
en mon Ame et conscience, qu’ils pourraient être plus utiles
ailleurs que dans la commission. Les renseignements que je te
donne, je les tiens de Viot, Fauvety, Barjavel, Benet, et je ne leur
ai pas laissé ignorer que je t’écrirais les craintes qu’ils me témoi
gnaient. Viol doit l’avoir écrit, il v a trois jours; c’est moi qui
lui ai servi de secrétaire dans cette occasion. Maignet n’est pas
encore de retour de Marseille. Je vais travailler à mon adresse
dans le sens que tu me parles. J ’avais bien prédit cette insurrection
—
281
des cendres du perfide Danton ; et si le comité de salut public ne
frappe ferme quelque jour, il sera écrasé par les agents de l'Angle
terre, et alors la liberté est perdue... Si nous avions le moindre
échec sur les frontières, tu verrais alors les agents de Cobourg,
qui font des vœux pour nos défaites, s’appiloyer sur nos malheurs
qu'ils auraient provoqués, et tenter pour la troisième fois de renver
ser le gouvernement. Les choses vont assez mal dans l’Ardèche ;
il y a des communes où U n’y a que des aristocrates, et dans les
quelles le coupable est à l’abri des lois et des mandats d’arrêt.
Adieu. Salut à Maximilien. Je t’embrasse de toutes mes forces.
Signé : Agricol M oureau.
Rappelle-moi au souvenir de ton frère et de Fourcade.
(Papiers trouvés chez Robespierre).
N o te
52
Liberté. Egalité.
Nous membres du comité de surveillance d’Orange, district
d’Orange, département de Vaucluse, mandons et ordonnons à tous
exécuteurs de mandement de justice, de conduire à la maison
d’arrêt du district d’Orange la nommée Bastet, veuve Millet,
demeurant à Orange, quartier St-Martin, prévenu d’avoir un fils
prêtre réfractaire émigré, et d’être suspecte.
Mandons au gardien de la recevoir, le tout en se conformant à
la loi, et requiert tous dépositaires de la force publique auxquels
le présent mandat sera notifié, de prêter main-forte pour son exé
cution en cas de besoin.
Orange, le 7 floréal, an deuxième de la République, etc.
Signés : N ogent, président ; T raVAILLON, D uGAT, D e VAL fils,
ron ,
M outtet , J ustin .
(Cabinet de M. de CrozctJ
P e Y-
M oine , D ’quemannas, S oucuon,
�283
—
Signés : N ogent, président ; R aby,
N o te 5 3
V olan, D uoat, N icolas, T ravaillon,
M outtet , fils aîné.
Nous administrateur du district d’Orange, requiers (sic) le
commandant de la garde nationale de transférer les femmes qui
sont au cirque dans l’autre maison d'arrêt.
(Cabinet de M. de Crozet.)
A Orange, le 17 floréal, an deuxième de la République, etc.
Signé : O nde.
4
Le citoyen Allier est requis de transférer de la maison d’arrêt
du cirque dans celle du citoyen Chieze cinq femmes de Mornas.
Signé : P oulas, com m issaire.
ï
ICabinet de M. de Crozel.)
(Suit la note 55).
N o te 5 4
Liberté. Égalité.
Nous membres du comité de surveillance d’Orange, district d’Orange, département de Vaucluse,0 mandons^ et ordonnons à tous
exécuteurs de mandement de justice de'conduire à la maison d’ar
rêt du district d’Orange le nommé Noble, ci-devant geôlier, prévenu
d’avoir tenu des propos liberticides et de s’être apitoyé sur le
sort des contre-révolutionnaires.
Mandons au gardien de le recevoir, le tout en se conformant à
la loi, et requiert tous dépositaires delà force publique auxquels le
présent mandat sera notifié, de prêter main-forte pour son exé
cution en cas de besoin
V
�—
284
— 285
—
Note
TABLEAU A R E M PL IR PA R LE COMITÉ DE
sors
sa
rk
d a n s le d é la i d e h u it jours à
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LIEU
so n d o m ic ile , so n âg e le
OU IL EST DÉTENU
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s ’il est v e u f, g a rç o n , ou
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CARACTÈRE
NOM DD DÉTENU
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P0SSAB1LITÈ
ET
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SA PROFESSION
SON REVENU
a v a n t et depuis la
avant et depuis la
révolution.
révolution.
quel
SES RELATIONS
SES
L IA IS O N S
o r d r e : p o u rq u o i.
m a rié .
Jean-Baptiste Canard.
A Orange ordinairement, au moment
où il a été arrêté revenant de l’armée des
Pyrénées ou de Narbonne.
Environ 45 ans.
Un enfant en bas
Age.
A Orange.
Marié.
Orange , maison
d’arrêt du district.
Le 26 prairial.
Comité de surveillance révolutionnaire
comme prévenu d’avoir prêté, à Tarascon, le serment de fédéraliste , et pour
avoir, muni d’un fusil, suivi les Marseillais rebelles et fédéralistes lors de leur
fuite de celle com
mune.
Marchand de tabac
et de vins étrangers.
Avant la Révolulion a résidé pendant
environ 10 ans en
Espagne.
Certifié par nous, membres du comité de
Orange, le 27 prai
Signés : N ogent, pré
(Cabhiel de M. de Crozetj
Vivant de son corntnerce.
Souvent en voyage,
par conséquent peu
connues, excepté celles qu’on lui connaît
avec le citoyen Fabre,
ofïicier municipal.
O P IN IO N S P O L IT I Q U E S
qu'il a montrées dans les
mois de mai, juillet et
octobre 1789 ; au 10 août;
à la fuite et à la mort
du tyran ; au 31 mai. et
dans les crises de la
guerre ; s’il a signé des
pétitions et arrêtés
liberticides.
Fédéraliste à l’époque du fédéralisme.
Le comité ignore
s’il a signé ou non
des pétitions liberticides.
surveillance.
n#*'an deuxième de la République Française, une et indivisible.
'■'dent ; T bavaillon, B russet , N icolas, R ady, D uoat, V olan , D eval fils.
�—
286
—
287
—
—
Note 56
Par un arrêté du 16 prairial an II de la Répnblique Française,
Maignet ordonne :
1* Il sera fait dans la soirée de cette journée des visites domici
liaires dans toutes les maisons d'Avignon.
2° Elles seront présidées par des commissaires civils et ap
puyées par la force année.
3* A six heures précises, le bataillon de la Corrèze, le détache
ment de l’Ardèche, le détachement des chasseurs h cheval et la
gendarmerie nationale se trouveront réunis sur le quai du Rhône,
en face de la porte de la Liberté, ci-devant l'Oulle.
4° Elles y recevront des ordres de l’adjudant général, chef de
brigade commandant les troupes qui sont dans le département et
dans celui des Bouches-du-Rhône, hors Marseille.
5* Il est enjoint, au moment même de la proclamation du pré
sent arrêté, à tout habitant d'Avignon ou h tout étranger qui s’v
trouverait, de se rendre dans la maison qu’il habite, et d’y rester
pendant toute la durée de la visite.
6° Il est expressément défendu à quelque personne que ce soit
de sortir d’Avignon ; toute personne qui se présenterait hors des
murs et qui voudrait forcer la consigne sera de suite arrêtée, même
par les moyens de force, s’il ne pouvait l'être autrement. Les sen
tinelles sont même autorisées à tirer dessus s’il ne leur restait pas
d’autres ressources pour s’en saisir.
7° A 9 heures précises toutes les’ maisons seront éclairées, et à
cette époque la visite commencera.
8° Dans chaque maison, ceux qui l’habitent, s’occuperont dans
l’intervalle qui s’écoulera entre la rentrée de chaque citoyen dans
leur domicile cl la visite domiciliaire, à former le tableau de tous
les citoyens, quel que soit leur âge, qui habitent la maison. Ils en
remettront un double au commissaire qui se présentera chez eux
pour la perquisition, et afficheront sur le champ l’autre, qui sera
écrit en gros caractère et placé de manière à être lu sur le seuil de
la porte.
9* Chaque individu qui habile la maison est responsable de la
sincérité de ce tableau ; ils seront tous regardés comme suspects et
mis en arrestation jusqu’à la paix en cas de résistance, si le délit
commis ne mérite pas une plus grande peine.
104 À 9 heures tous les individus qui habitent une même mai
son sc réuniront dans le même appartement et y attendront l’arri
vée du commissaire civil.
Il4 Ils se présenteront au commissaire qui, sur le tableau qui
lui sera remis, fera l’appel de chaque individu, et mettra en arres
tation tous ceux qui paraîtront suspects.
124Après cette inspection des personnes présentes, les militai
res se livreront aux recherches et perquisitions dans toute la mai
son. Tous les appartements seront, en conséquence, tenus ouverts
dès les 9 heures.
13* Chaque commissaire sera accompagné, lors de celte inspec
tion, au moins de six hommes île la force année, afin de lui prêter
main-forte en cas de besoin.
14* Si dans cette recherche il se trouvait quelque individu non
porté sur le tableau, il sera arrêté, ainsi que tous les citoyens qui
habitent la maison, déclarés suspects et mis en état d’arrestation
jusqu’à la paix.
154 Si la personne cachée était déjà mise hors de la loi, soit pour
un jugement, soit par les places qu'il a occupées pendant la
contre-révolution, ou par les autres délits dont elle s’est rendue
coupable -, ou si elle est frappée d'un mandai d’arrêt, tous les ci
toyens de la maison qui l’ont soustrait à la justice en lui donnant
asile, sont déclarés ses complices et seront traduits devant la com
mission populaire pour y être punis.
164 Tous ceux qui s'opposeraient à l’exécution du présent ar
rêté, ou qui chercheraient de quelque manière que ce soit à sous
traire un homme suspect à son arrestation, seront également tra
duits devant celle commission et punis de mort.
�—
288
289
—
17» Quiconque oserait, pendant le cours de la recherche,soustraire
le plus petit objet et se permettre tout autre délit, sera également
livré h la commission populaire.
18* Les hommes qui seront arrêtés seront traduits dans la cidevant église St-Didier, et les femmes dans la ci-devant principale.
19* Dans la journée de demain et autres suivantes, le Comité
de surveillance s’occupera à examiner toutes les personnes qui ont
été arrêtées. Il enverra dans la maison de réclusion toutes celles
qui seront reconnues suspectes ou prévenues de délits, et fera son
rapport au représentant du peuple sur ceux qu’il croira devoir être
mis en liberté.
20» Les commissaires nommés pour présider sont.....
21* Les autorités constituées seront toutes à leurs postes et res
teront eu permanence jusqu'à ce que les visites soient terminées.
22» Les personnes suspectes seront désarmées ; leurs armes se
ront apportées à la municipalité. Le commissaire fera l’inventaire
des des armes et en donuera un récépissé au suspect.
23° Les étrangers qui seront dans une auberge se réuniront dans
la salle commune.
24* Ils présenteront au commissaire tous les actes nécessaires
pour se faire connaître, et que la loi exige de tous les voyageurs.
S’ils n'en sont pas pourvus, ou s’il s’élève des suspicions sur leur
sincérité ou sur le civisme de ceux qui les ont inscrits, ils seront
provisoirement arrêtés.
25° Les commissaires se feront représenter le régistre des auber
gistes pour s’assurer de leur exactitude ; s’ils sont en contravention,
ils seront provisoirement mis en arrestation, sauf à examiner plus
particulièrement leur conduite.
26“ Ils mettront également en arrestation les jeunes citoyens de
la réquisition qui ne justifieront pas d’une exemption approuvée
par le représentsnl du peuple, ou émanant d’un Comité de la Con
vention.
27° Ils arrêteront également tous les citoyens attachés à un ba
taillon qui ne justifieraient pas d’une permission revêtue des for
malités indiquées par la loi.
—
28* La municipalité fera, à 6 heures précises, proclamer par
quatre de ses membres et avec solennité, le présent arrêté.
Fait à Avignon, 16 prairial an deuxième, etc.
(Pièces officielles.)
Signé : M aiqnet.
N o te 5 7
Instruction pour les commissaires.
Au moment ou les ennemis intérieurs méditaient de nouveaux
crimes, et que les assassinats des meilleurs patriotes sont à l’ordre
dujour, le législateur chargé d’assurer la tranquillité publique, doit
doit y mettre sans cesse les mesures rigoureuses, qui seules peu
vent déjouer leurs complots et assurer raffermissement de la Ré
publique.
Les commissaires sont chargés, sous leur responsabilité personsonnelle, d’arrêter tout ce qu’ils trouveront de suspect dans le ter
ritoire de la commune d’Avignon.
Cinq années de révolution doivent avoir donné à lous les bons
citoyens une espèce de tact qui fait aisément distinguer l’homme
ami de sa patrie de celui qui médite en secret sa ruine. Qu’ils con
sultent le sentiment de leur conscience, et si elle leur fait voir
dans l’homme qui se présente devant eux, un suspect, qu’ils l’ar
rêtent; puisqu’il ne s'agit que de le mettre au pouvoir du comité
desurveillance pour qu’il examine sa conduite pendant la Révo
lution.
Ils doivent faire main basse sur lous les parents des émigrés, des
condamnés, des hommes mis hors de la loi dans les degrés indiqués
par le décret. Qu’ils se rapppellenl que d’en laisser échapper un
seul c’est un ennemi qu’ils ménagent à leur patrie.
La loi a ordonné l’arrestation de tous les ci-devant nobles qui
n’auraient pas donné, pendant tout le temps de la révolution, les
preuves les plus authentiques de leur dévouement à la patrie. Il
faut que dans le cours de celte visite tous les nobles soient saisis :
on examinera ensuite ceux qui méritent une exemption.
19
�—
291
290
Des lâches abandonnent tous les jours les frontrières ou refusent
de s’y rendre sous mille prétextes. La loi n’en reconnaît point. Il
faut que tous ceux qui ne présenteront point des exemptions ap
prouvées par le représentant du peuple ou par des comités de la
Convention, soient arrêtés.
Tout prouve que dans un pays où le fanatisme a si fortement do
miné, les prêtres conservent dans le fond de l’âme l’espoir de la
résurrection du régime papal. Les commissaires se rappelleront
que sur dix prêtres qui out été guillotinés à Bédain, tous ceux qui
avaient prêté le serment, l’ont révoqué, et ont demandé pardon du
scandale qu’ils disaient avoir donné en obéissant aux lois. Cette
circonstance leur fera connaître combien peu l’on doit compter
sur ceux qui ont paru embrasser la cause de la liberté. Aussi, a-ton de fortes présomptions que la plupart de ceux qui se trouvent
ici trempent dans les nouveaux complots qui se trament. Les com
missaires arrêteront tous les prêtres qui n’auraient pas donné des
preuves, dans toutes les époques les plus critiques de la révolution,
d’un dévouement absolu à la patrie.
Ils se rappelleront également que les mauvaises mœurs seront
un obstacle éternel à l'affermissement de la République, et qu’il
est indispensable pour terminer la révolution, de faire cesser les
obstacles qui enlèveront les causes qui les produisent. Ils mettront
la plus grande sévérité à faire enlever toutes les personnes du sexe
non mariées connues dans la commune pour mener mauvaise vie.
Ils feront conduire les hommes arrêtés dans la ci-devant église
Sl-Didier et les femmes dans la ci-devant Principale.
S’ils éprouvent de la résistance dans l’exécution, ils feront
arrêter tous ceux qui la leur opposeraient, ainsi que ceux qui favo
riseraient l’évasion d’un suspect. La force publique est, en consé
quence, à leur disposition. En déployant tout ce que l’énergie a de
plus brûlant, ils mettront dans leur conduite tout ce que la sagesse
et la prudence ont de plus rassurant.
Fait à Avignon, le 16 prairial an II de la République.
(Pièces officielles.)
Signé: Maionet.
—
N o te 5 8
Instruction pour l’adjudant général, chef de brigade.
A six heures précises l’adjudant général Dauvergne se rendra
sur le quai du Rhône, en face de la porte de la Liberté, ci-devant
de Loulle. Les troupes l’y attendront, et il se fera reconnaître en
qualité de commandant.
Sa qualité étant ainsi reconnue, il attendra le moment où la
municipalité fera sortir ses quatre commissaires chargés de la
proclamation de l’arrêté qui ordonne les visites domiciliaires.
Au moment même de leur sortie et avant que l'arrêté soit lu,
il fera investir Avignon par la cavalerie, et tout ce qui restera dis
ponible en infanterie, qu’il disposera en dehors, de manière que
personne ne puisse sortir.
11 donnera les ordres les plus sévères pour que rien ne puisse
sortir d’Avignon.
Il avertira toutes les sentinelles qu’elles doivent laisser libre
ment entrer tous ceux qui se présenteront.
Il donnera cent cinquante hommes d’infanterie pour faire la
visite dans chaque section.
Chaque commissaire dans chaque section sera accompagné au
moins de six hommes de cette force armée lorsqu’il entrera dans
chaque maison.
Le commandant profitera du surplus pour placer dans les sec
tions, à chaque bout de rue au moins, une sentinelle pour que
nulle personne ne puisse aller d’une rue à l’autre, ni même sortir
de sa maison. Celte consigne sera expressément donnée à ces
sentinelles.
Pendant toute la durée des visites domiciliaires, le commandant
de la force armée fera continuellement des visites soit en dedans,
soit en dehors d’Avignon, pour s’assurer de la tranquillité et de
l’exécution de ses ordres.
Il réservera une partie de la force armée mise dans chaque
�293
292
—
—
—
section pour accompagner les personnes arrêtées dans les maisons
destinées à les recevoir. Les hommes seront conduits à la ci-devant
église St-Didier, et les femmes à la ci-devant Principale. Il y aura
un fort piquet pour veiller à la sûreté des maisons.
Le commandant avertira la force armée qu’elle doit se rendre
au lieu d’où elle est partie aussitôt que les visites domiciliaires
seront terminées.
Il prendra deux cents hommes du bataillon de l’Ardèche, ainsi
que toute la cavalerie.
Il leur fera distribuer le pain pour la journée, et partira de suite
avec eux pour faire dans tout le territoire de la commune d’Avi
gnon les mêmes visites que dans la ville.
Il s’assistera également des mêmes commissrires. Il disposera
sa troupe de manière que tout le territoire soit cerné à la fois, et
que tous les hommes suspects puissent être saisis.
L'on s’en rapporte à sa prudence et ù son zèle pour tout ce qui
n’est pas prévu dans ces instructions, et on lui donne tous les
pouvoirs pour l’exécution de ce que lui suggérera son dévouement
à la chose publique.
Autre
J’ai reçu une lettre de l’accusateur public près la commission
populaire d’Orange, qui m'a été remise aujourd’hui par le citoyen
Brémondy, gendarme de la brigade d'Orange.
Avignon, le 7 messidor, an deuxième de la République, etc.
L'adjudant général, chef de brigade, commandant, etc.
Signé : D auvergne.
ICabinet de M. de Crozet.)
Dans une troisième lettre d’Auvergne écrit à la commission
d’Orange qui lui demandait des troupes, qu’il ne put dégarnir
Avignon, où il doit veiller à 1,500 prisonniers répartis dans les
prisons du palais, et dans des maisons de réclusion et de déten
tion. Daus cette dépêche, du 7 messidor an II, il témoigne à la
commission son regret de ne pouvoir faire ce qu’elle lui demande,
et lui exprime, en même temps, le désir de la seconder dans ses
efforts pour arriver ù faire marcher de front toute la machine.
Fait à Avignon, 16 prairial, an deuxième de la République, etc.
(Pièces officielles.)
Signé : M aignet.
N o te 6 0
N o te 5 9
Du 28 prairial, an III.
Avignon, le 20 messidor, l'an second de la République, etc.
Dauvergne, adjudant général, chef de brigade, commandant
des troupes hors de Marseille dans les départements des Bouchesdu-Rhône et de Vaucluse.
J’ai reçu un pli venant de la commission populaire établie à
Orange et qui m’était adressé, du citoyen Ronchard, chasseur à
cheval du 19me régiment établi à Orange.
(Cabinet de M. de Crozet.)
Signé : D auvergne.
Les administrateurs du directoire du district du Tanargue, à
l’administration du département de l’Ardèche.
Nous vous envoyons, citoyens administrateurs, un extrait de
l’arrêté de notre district en date de ce jourd’hui. Nous en avons
fait passer copie aux principales communes de notre ressort, en
les requérant de prendre toutes les mesures qui sont en leur pou
voir pour se saisir de la personne de ce scélérat, ainsi qu’aux
districts du Coiron, d’Uzès, de Villefort, Langogne et le Pont
St-Esprit, nous joignons ici son signalement.
�294
—
Le citoyen Fauvety, président de la ci-devant commission d'Orange, âgé d'environ trente-quatre aus, taille d’environ cinq pieds,
vêtu d’un habit bleu, boutons poil de chèvre même couleur, gilet
rouge en drap ainsi que l'habit, culotte de silésie gris mélangé,
guêtres de peau de chèvre noires, une houpelan.de brune, collet et
revers de peluche rouge, chapeau à trois cornes, figure hrunc et
allongée et pâle, creusée de la petite vérole, nez long et aquilin,
bouche petite, menton pointu.
(Archives de Privas.)
N o te
295
—
—
61
Jugement du 17 messidoran II de la République Française, etc.
Jugement de la commission populaire établie à Orange qui
condamne à la peine de mort Joseph Bernard Amable Bourdon,
Pierre Imbert, Joseph Imbert, Barthélemy Janselme, Barnabé
Bernard, Joseph Bérard, Joseph Véran Signoret, Antoine Joseph
Lusignan, Suzanne Agathe Delove, habitants il Cabrières, tous
convaincus d’attentats à la liberté et de conspiration contre l’u
nité et l’indivisibilité de la République, et qui condamne aussi à
la peine de mort Jacques Tiran, Antoine Courage, Joseph Imbert,
fils à Michel, et Pierre Alliand, aussi habitants de Cabrières, con
vaincus d’avoir taxé et fait payer des contributions forcées à des
coupables pour les soustraire au glaive de la loi, et d’avoir porté
de faux témoignages contre quelques-uns des condamnés ci-des
sus, dans les mêmes vues; et en acquittant Jean-Baptiste Bourdon
et François Imbert de l’accusation portée contre eux par l’accusa
teur public, ordonne qu’ils seront détenus dans la maison de
réclusion et qu’ils y seront gardés, savoir : le dit François Imbert
père, eu conformité de la loi qui y soumet les pères, mères des
enfants émigrés, et le dit Jean-Baptiste Bourdon jusqu’à la paix:
acquitte Jean Antoine Devaux, habitant d’Orange, et ordonne qu’il
sera mis sur le champ en liberté.
Entre l’accusateur public demandeur en accusation de délits de
conspiration tendante à renverser la liberté et depuis l’établisse
ment de la République, à rompre son unité par toutes sortes de
moyens portés publiquement en audience, contre Joseph Bernard,
Amable Bourdon fils, âgé d’environ 35 ans, né à Cabrières, y rési
dant, cordonnier et cultivateur, officier municipal jusqu’au 22 juil
let 1793, reconnu administrateur provisoire, nommé par la section
fédéraliste de sa commune, membre du comité de salut public,
nommé par la même section et signataire d’une pétition à la muni
cipalité pour demander la formation des sections ; Jean-Baptiste
Bourdon, père au précédent, âgé d’environ 65 ans, né à Cabrières,
y résidant ; Pierre Imbert, âgé d’environ 37, né à Cabrières, y
résidant, cultivateur à la journée-, Joseph Imbert, âgé d’environ
36 ans, né à Cabrières, y résidant, cultivateur, vivant de son revenu,
administrateur provisoire de sa commune, nommé par la section
des fédéralistes et membre du comité de salut public, nommé par
les dites sections ; François Imbert père, âgé d’environ 79 ans,
né à Cabrières, y résidant, cultivateur; Barthélemy Janselme, âgé
d'environ 36 ans, né à Cabrières, y résidant, maréchal-ferrant,
reconnu secrétaire de la section fédéraliste, membre de l’adminis
tration provisoire créée par la dite section ; Barnabé Bernard,
âgé d’environ 46 ans, né à Roubion, département de Vaucluse,
y habitant, procureur de la commune, assesseur du juge de paix,
reconnu enrôleur pour joindre les Marseillais ; Joseph Bérard,
âgé d’environ 65 ans, né à Lagnes, y résidant, cultivateur à la
journée, maire de sa commune, président du comité de salut
public, nommé par les sections ; Joseph Véran Signoret, âgé d’en
viron 24 ans, né à Lagnes, y résidant, cultivateur, vivant de son
revenu, officier municipal, ensuite juge de paix, président de la
section formée en juin 1793, député à l’assemblée électorale de
Marseille pour nommer une Convention à Bourges ; Antoine
Joseph Lusignan, âgé d’environ 66 ans, ex-chanoine de ci-devant
St-Paul-trois-châteaux, né à Suze, département de Vaucluse,
habitant à Sérignan, ex-prêtre insermenté ; Suzanne Agathe
Deloye, âgée de 52 ans, née à Sérignan, y résidant, ex-religieuse
�—
296
—
du ci-devani ordre de St-Benoîl, à Caderousse, insermentée ;
Jean-Antoine Devaux, Agé d’environ 42 ans, né à Taulignan,
département de la Drôme, résidant A Orange, aubergiste, préve
nus , détenus et défendeurs; la dite accusation ainsi conçue:
Citoyens juges, je traduits devant vous et j ’accuse Amable Bour
don de s’étre déclaré l’ennemi de la révolution ; il a été l’un des
chauds partisans des sections en révolte ; il a accepté de la con
fiance des révolutionnaires, la place de scrutateur dans sa section;
il a prêté serment en cette qualité, il a usurpé les fonctions de
magistrat du peuple, qui ne pouvaient appartenir qu’aux seules
autorités constituées légalement ; il a exercé les fonctions d’admi
nistrateur provisoire de la commune, après avoir chassé la muni
cipalité nommée par le peuple ; il a conspiré enfin contre l’unité
et l'indivisibilité de la république ; Jean-Baptiste Bourdon a aussi
joué un rôle dans les sections, partisan du fédéralisme et par
conséquent ennemi de la révolution et des patriotes ; il les a pour
suivis, vexés et incarcérés ; il a rempli, enfin, au nom de la sec
tion en révolte de son pays, une mission qui avait pour but d’eulever à la municipalité patriote les boites* appartenant à la com
mune, dont elle se serait servie pour repousser lee ennemis de la
patrie et les fédéralistes ; il a conspiré par là contre l’unité et l’in
divisibilité de la république ; Joseph Imbert fils s’est déclaré l’en
nemi de son pays et le partisan de la contre-révolution ; il s’est
montré l'un des sectionnaires les plus anarchés de la commune ;
il a accepté de la confiance des rebelles la place d’administrateur
provisoire après avoir destitué la municipalité légale ; il a signé
en cette qualité des écrits liberticides ; il a conspiré contre l’unité
et l’indivisibilité de la république ; François Imbert s’est rendu
coupable de délits contre-révolutionnaires en acceptant de la
confiance des rebelles et remplissant à leur satisfaction la place
de président de l’infâme section de sa commune ; il a voulu aussi
allumer la guerre civile ; il a conspiré contre la sûreté du peuple
français, l'unité et l'indivisibilité de la république ; Barthélemy
Janselrne a servi le fédéralisme et la contre-révolution de tout son
pouvoir ; il a secondé de tous ses moyens les projets liberticides
—
297
—
des Marseillais révoltés ; il a occupé dans une section la place de
secrétaire ; il a signé en cette qualité des arrêtés tendant à exciter
la révolte ; il a partagé la rébellion et conspiré contre l’unité et
l’indivisibilité de la république ; Barnabé Bernard est, de tous les
habitants de sa commune, le plus coupable et le plus fortement
prononcé en faveur de la contre-révolution, dont il a été l’artisan ;
c’est lui qui a excité le fédéralisme ; c’est lui qui a contribué le
plus efficacement à exciter l’insurrection ; c’est lui enfin qui a
sollicité les jeunes gens de la commune à prendre les armes avec
les Marseillais pour repousser l’armée commandée par Cartaux,
pour les égarer ; il leur a offert de l’argent, il a conspiré la perte
de la République par les moyens des guerres civiles qu’il a attirées
avec acharnement ; Joseph Bérard a constamment donné des preu
ves d’incivisme, complice des Marseillais révoltés contre l’autorité
légitime de la Convention nationale ; il a accepté de leur confiance
la place qu’il a exercée de président du comité infâme de section ;
il a signé en cette qualité des écrits liberticides tendant à propa
ger la rébellion ; il a aussi conspiré contre l’unité et l’indivisibilité
de la République ; Joseph Véran Signoret, implacable ennemi de
la République a tout tenté pour la détruire et rendre à ses ancien
nes chaînes, la France libre ; il a reçu des rébelles Marseillais la
place de président de la section de sa commune ; il a plus fait, il
a été à Marseille en qualité de député pour voter avec les contrerévolutionnaires de la prétendue assemblée électorale réunie en
cette commune, la formation d’une nouvelle Convention à Bour
ges, et la dissolution de la représentation nationale ; il a par là
conspiré contre l’unité et l’indivisibilité de la République ; An
toine Joseph Lusignan, ci-devant prêtre, et Suzanne Agathe
Deloye, ci-devant religieuse, sont tous les deux coupables de
mêmes délits, trop ennemis de la liberté, ils ont tout tenté pour
détruire la république par le fanatisme et la superstition ; réfrac
taires à la loi ; ils ont refusé de prêter le serment qu’elle exigeait
d’eux ; ils n’ont pas voulu devenir citoyens ; ils ont voulu allumer
la guerre civile ; ils ont conspiré contre la république ; Devaux a
desservi la cause du peuple et de la liberté, après s’être montré le
�—
298
—
partisan de la révolution, il s’est déclaré tout-à-coup protecteur
du fédéralisme au moment où il paraissait devoir dévorer cl
engloutir la république ; par là il ost devenu le complice des maux
qu’il a produits ; ouï Josepb-Bernard-A niable Bourdon en ses
réponses aux interrogatoires qui lui ont été faits publiquement,
vu et la lecture publiquement faite des pièces produites contre lui
par l’accusateur public, et ouï publiquement en leur déclaration
les témoins produits contre lui, un débat ayant été ouvert entre
l’accusé et les témoins, et notamment Jacques Tiran, âgé d’environ
48 ans, né et habitant à Cabrières, cultivateur, vivant de son
revenu, ci devant officier municipal, ensuite maire et actuellement
maire de sa commune ; Antoine Courage, Agé d’environ 33 ans,
né à Gordes, département de Vaucluse, habitant à Cabrières, cardeur de laine, notable de sa commune ; Joseph Imbert, fils à
Michel, Agé d’environ 36 ans, né à Cabrières, y habitant, cultiva
teur ; Pierre Alliaud, Agé d’environ 48 ans, né à Gordes, habitant
à Cabrières, cardeur et cultivateur, officier municipal de sa com
mune ; et Joseph Félix Dauphin, Agé d’environ 32 ans, né à
Cabrières, y résidant, cultivateur, président de la société populaire
établie la commune ; l’accusateur public a dit : j’ai appelé en
témoignage pour déposer contre des prévenus de crimes contrerévolutionnaires de la commune de Cabrières, les nommés Jac
ques Tiran, Antoine Courage, Joseph Imbert, fils de Michel, et
Pierre Alliaud. Vous avez ordonné, citoyens juges, qu’il leur
serait fait lecture de la loi contre les faux témoins ; ils ont juré
de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité : au mépris de
ce serment et du témoignage de leur conscience, ils vous ont
caché la vérité la plus importante, ils ont trahi leur conscience
pour enlever à la justice de grands coupables ; je les accuse
devant vous de s’être portés à Avignon auprès du comité dit de
sûreté générale pour obtenir l'élargissement des prévenus de cri
mes de fédéralisme, qui au moment où la contre-révolution s’or
ganisait, avaient occupé dans les sections des places de président,
de secrétaires, de membres de comité, ou qui s’étaient emparé des
pouvoirs du peuple pour exercer en son nom les fonctions des
—
299
—
magistrats qu’ils venaient de destituer; je les dénonce, enfin, pour
avoir levé des contributions arbitraires sur les individus qu’ils
venaient de soustraire à la vengeance des lois, et de s’être par
tagé entr’eux et leurs créatures le produit de leurs exactions ; je
les accuse de tous ces faits, même d'avoir trahi la vérité au mépris
de la loi sur les faux témoins : ces crimes sont prouvés, les cou
pables viennent de les avouer devant vous et en présence du peu
ple : au nom de la loi et de l’intérêt public, je demande que les
sus-nommés soient à l’instant mis en état d’arrestation, et de suite
traduits en jugement, et que toute la sévérité des lois s’appesan
tisse sur la tête de ces grands coupables; Joseph Félix Dauphin
s’est aussi rendu coupable d’un délit dont la nature est infiniment
grave; il a consenti, comme président de la société populaire de
sa commune, que la proposition qui a donné lieu à la levée de
cette contribution arbitraire, fut faite dans son sein ; c’est par de
semblables manœuvres qu’ils ont suscité à la république de si
nombreux ennemis, que l’on tente chaque jour de détruire la
révolution ; je requiers que la commission ordonne à l’instant
l’arrestation de ces prévenus, qui seront traduits en jugement : la
commission faisant droit au réquisitoire de l’accusateur public,
après avoir de nouveau entendu les dits Jacques Tiran, Antoine
Courage, Joseph Imbert, Pierre Alliaud et Joseph Félix Dauphin ;
considérant qu’il résulte des débats que les dits Tiran, Courage,
Imbert et Alliand sont prévenus d’avoir taxé et fait lever une
contribution forcée sur ceux de leurs concitoyens qui avaient rem
pli des places dans les sections formées au dit lieu de Cabrières,
ou s’étaient rendus coupables de complicité à la révolte des Mar
seillais rébclles, sous prétexte de les soustraire à la vengeance
nationale, que concurremment avec la société populaire de leur
commune ou quelques intrigants qui en étaient membres, ils
avaient disposé d’environ cinq mille livres de fonds qu’ils avaient
retirés, à acquitter la dépense qu’avaient faite chez les habitants
de la dite commune les Marseillais rébelles qui avaient été appe
lés dans leur sein ; considérant aussi que Joseph Félix Dauphin
est prévenu d’y ayoir concouru, en facilitant en qualité de prési-
�—
300
—
dent de la dite société, la levée, garde et distribution de la dite
contribution ; qui tous sont encore prévenus, malgré le serment
qu’ils avaient prêté de dire et déposer la vérité, toute la vérité,
rien que la vérité ; après avoir ouï la lecture de la loi du 5 plu
viôse dernier sur les faux témoins et s’être bien convaincus par
les questions que leur ont faites les juges, des obligations que leur
imposait cette loi et des peines qu’ils encouraient d’avoir cons
tamment trahi la vérité dans les déclarations qu’ils ont faites con
tre Joseph-Bemard-Amable Bourdon, ordonne que les dits Tiran,
Courage, Imbert Alliaud seront aussi sur le champ mis en juge
ment avee les autres prévenus ci-dessus nommés : la commission
aussi, après avoir ouï publiquement Jean Baptiste Bourdon, Pierre
Imbert, Joseph Imbert, François Imbert, Barthélemy Janselme,
Barnabé Bernard, Joseph Bérard, Joseph Véran Segnoret, An
toine Joseph Lusignan, Suzanne Agathe Deloye et Jean Antoine
Devaux en leurs réponses aux interrogats qui leur ont été faits;
vu et lecture publiquement faite des pièces produites contr'eux
par l’accusateur public, formant la preuve matérielle de la dite
accusation contre quelqu’un d’entr’eux , ouï aussi publique
ment en leurs déclarations les témoins produits contr’eux parle
dit accusateur public, un débat ayant été ouvert sur chacun des
dits accusés individuellement et séparément, l’accusateur public a
porté publiquement l’accusation contre les dits Jacques Tiran,
Antoine Courage, Joseph Imbert, fils à Michel, et Pierre Alliaud,
prévenus et détenus présents -, la dite accusation ainsi conçue:
citoyens juges, je traduits devant vous et j’accuse les nommés Jac
ques Tiran, Antoine Courage, Joseph Imbert, fils à Michel, et
Pierre Alliaud, tous coupables des délits les plus graves pour
enlever à la justice la connaissance de leur propre crime ; ils ont
trahi leur conscience et altéré la vérité des faits sur lesquels ils
devaient déposer contre les prévenus, de crimes contre-révolution
naires ; ils ont été à Avignon en qualité de commissaires députés
de la société populaire de leur commune, pour solliciter d’un
comité dit de sûreté générale, la liberté ou le non emprisonne
ment de ces mêmes prévenus; ils ont plus fait à leur retour, ils
301
—
uni levé sur les coupables des contributions arbitraires et illégales,
dont le produit a été partagé entr’eux et leurs complices ; il est
constant par tous ces faits que les prévenus se sont rendus coupa
bles du crime de faux témoignage, qu’ils ont voulu soustraire à la
rigueur de la justice, des conspirateurs contre la liberté et la
république ; enfin, il est constant qu’ils ont commis des concus
sions défendues par la loi, qu’ils ont suscité à la France de nou
veaux ennemis ; ils ont voulu allumer la guerre civile; ils ont
attenté à l’unité, h l’indivisibilité de la république : la commission
après avoir entendu publiquement les dits Jacques Tiran, Antoine
Courage, Joseph Imbert, fils à Michel, et Pierre Alliaud, accusés,
en leurs réponses aux interrogats qui leur ont été faits, desquelles
il résulte l’aveu des dits délits dont ils sont accusés; après avoir
ensuite entendu publiquement Joseph-Bernard-Amable Bourdon,
Jean Baptiste Bourdon, Pierre Imbert, Joseph Imbert, François
Imbert, Barthélemy Janselme, Barnabé Bernard, Joseph Véran
Signoret, Antoine Joseph Lusignan, Suzanne Agathe Deloye et
Jean Antoine Devaux, séparément en leurs moyens de défense et
de justification, desquelles il résulte également la preuve des délits
imputés aux dits Jacques Tiran, Antoine Courage, Joseph Imbert
et Pierre Alliaud, par le détail des sommes qu’ils ont été obligés
de payer ; après avoir également entendu séparément et indivi
duellement les dits Jacques Tiran, Antoine Courage, Joseph Im
bert et Pierre Alliand, en leurs moyens de défense et de justifica
tion : la commission s’étant retirée pour délibérer en conseil, étant
rentrée en audience, a sursis la séance jusqu’au lendemain 9 heu
res du matin, et ordonné que les accusés ci-présents seraient con
duits sous boune et sûre garde en la maison de justice.
Fait à Orange en audience publique de la commission popu
laire établie dans la dite commune, ce jourd’hui 17me messidor,
l’an deuxième de la république française une et indivisible.
Présents: Jean Fauvely, président, Pierre Michel François RomauFonrosa, Jean Pierre Melleret, Gaspard Ragot et Joseph Fernex,
juges, composant la dite commission, qui ont signé à la minute
du présent jugement.
�—
302
—
La séance ayant été reprise dans l’accusation portée par l’accuteur public contre Joseph-Bernard-Amable Bourdon, Jean Bap
tiste Bourdon, Pierre Imbert, Joseph Imbert, François Imbert,
Barthélemy Janselme, Barnabé Bernard, Joseph Bérard, Joseph
Véran Seignorel. Antoine Joseph Lusignan, Suzanne Agathe
Deloye, Antoine Devaux, Jacques Tiran, Antoine Courage, Joseph
Imbert, fils à Michel, et Pierre Alliaud, les accusés ayant été préa
lablement amenés, l’accusateur public a persisté aux accusations
portées contre les accusés sus-nommés ; la commission après avoir
de nouveau entendu publiquement les dits accusés susnommés en
leurs réponses aux interrogatoires qui leur ont été faits successive
ment et individuellement en leurs moyens de défense et de justifica
tion; déclare qu'il est constant qu'il a existé en France et notamment
dans les départements méridionaux, une conspiration tendante à ren
verser liberté, rétablir le despotisme, et depuis l’établissement delà
République, à rompre son unité par tous les moyens possibles, à
dissoudre la représentation nationale, méconnaître et avilir les
autorités constituées ; elle déclare encore qu’il est constant qu’il a
existé dans la commune de Cabrières, district de Carpentras,
département de Vaucluse, une conspiration tendante à dissoudre
par la corruption le gouvernement républicain, et à soustraire au
glaive de la loi plusieurs coupables en exigeant d’eux des sommes
sur une taxe arbitraire -, qu’il est constant encore qu’il a été porté
de faux témoignages dans les déclarations qui ont été faites publi
quement par les témoins produits par l’accusateur public contre
Joseph-Bernard-Amable Bourdon, tendante à soustraire des pré
venus du glaive de la loi ; enfin, que nombre de ci-devant prêtres
et de ci-devant religieuses n’ont pas prêté le serment prescrit par
la loi ; elle déclare aussi que Jean Baptiste Bourdon, François
Imbert et Jean Antoine Devaux ne sont pas convaincus d’être
auteurs ou complices d’aucune des dites conspirations, en consé
quence, au nom de la république et en vertu des pouvoirs à elle
délégués, la commission acquitte les dits Jean-Baptiste Bourdon,
François Imbert père et Jean-Antoine Devaux de l’accusation por
tée contre eux par l’accusateur public, ordonne que le dit Jean
Antoine Devaux sera sur le champ mis en liberté, sauf s’il est re
tenu pour autre cause ; ordonne encore que le dit François Im
bert père, restera en état d’arrestation en conformité de la loi qui
y soumet les pères et mères des enfants d’émigrés ; et attendu
qu’il résulte des débats que Jean Baptiste Bourdon peut être envi
sagé comme suspect, la commission, en vertu de l’art. 10 de la loi
du 17 septembre 1793 (vieux style) qui est ainsi conçue:
« Les tribunaux civils et criminels pourront, s’il y a lieu, rete« nir en état d’arrestation comme gens suspects et envoyer dans
« les maisons de détention ci-dessus énoncées, les prévenus des
« délits à l’égard desquels il serait déclaré n’y avoir pas lieu à
« accusation, ou qui seraient acquittés des accusations portées
< contre eux, » condamne le dit Jean Baptiste Bourdon à la dé
tention jusqu’à la paix, ordonne qu’il sera retenu en état d’arres
tation, et qu'en conformité de l’art. 6 de la loi du 17 septembre
1793 (vieux style) qui est ainsi conçu :
« Dans la huitaine suivante ils seront transférés dans les bAtii ments nationaux que les administrateurs de département seront
t tenus, aussitôt après la réception du présent décret, de désigner
* et faire préparer à cet effet, » sera transféré dans le bâtiment
national désigné par le département de Vaucluse pour la réclusion
gens suspects, et qu'il y sera gardé jusqu’à la paix. La commission
déclare aussi que les dits Joseph-Bernard-Amable Bourdon, Pierre
Imbert, Joseph Imbert, Barthélemy Janselme, Barnabé Bernard,
Antoine Bourdon, Pierre Imbert, Joseph Imbert, Barthélemy Jan
selme, Barnabé Bernard, Joseph Bérard, Joseph Véran Seignoret
et Suzanne Agathe Deloye sont convaincus d’être auteurs ou com
plices de la dite conspiration ; que le dit Antoine Joseph Lusi
gnan, ci-devant chanoine, la dite Suzanne Agathe Deloye, ex
religieuse, sont aussi convaincus de n ’avoir pas prêté le serment
prescrit par la loi ; que les dits Jacques Tiran, Antoine Courage,
Joseph Imbert, fils à Michel, cl Pierre Aillaud, sont convaincus
d’être auteurs ou complices de la dite conspiration qui a eu lieu à
Cabrières, en taxant et faisant payer des contributions forcées à des
coupables pour les soustraire au glaive de la loi ; enfin d’avoir
�—
304
—
porté un faux témoignage dans les déclarations qu'ils ont faites
publiquement à l'audience contre le dit Joseph-Bernard-Amable
Bourdon fils ; en conséquence, au nom de la République, et en
vertu de l’art, i l , section deuxième, titre premier de la loi, code
pénal, du 6 octobre 1791 (vieux style) ainsi conçu :
« Toute conspiration et complot tendant à troubler l'État par
« une guerre civile en armant les citoyens les uns contre les au« très, ou l’exercice de l’autorité légitime, seront punis de mort. »
Et en vertu de l’art, unique de la loi du 16 décembre 1792 (vieux
style) ainsi conçu : « La Convention nationale décrète que qui« conque proposera ou tentera de rompre l’unité de la républi« que Française, ou d’en détacher des parties intégrantes pour les
« unir à un territoire étranger, sera puni de mort ; » et en vertu
encore de l’art, 14 et 15 delà loi du 29 et 30 vendémiaire dernier,
ainsi conçu : « Art. XIV, les ecclésiastiques mentionnés en
« l’art. X, qui cachés en France n'ont point été embarqués pour la
« Guyanne Française, seront tenus, dans la décade de la publicat tion du présent décret, de se rendre auprès de l’administration
« de leurs départements respectifs, qui prendront des mesures né« cessaires pour leur arrestation, embarquement et déportation,
<» en conformité de l'art. XII et art. XV. Ce délai expiré, ceux qui
« seront trouvés sur le territoire de la république,seront conduits à
« la maison de justice du tribunal criminel de leur département
« pour y être jugés conformément à l’art. V. » Et encore en vertu
de l’art. III delà loi du 5 pluviôse, ainsi conçu : « Si néanmoins
« les accusations capitales sur lesquelles il aura été déposé à dé« charge ont pour objet des crimes révolutionnaires, les faux té« moins seront punis de mort, comme s’ils avaient déposé à char« ge. » Et enfin, en vertu de la loi du 23 ventôse dernier ainsi
conçu : « Sont déclarés traîtres à la patrie et seront punis comme
« tels ceux qui seront convaincus d’avoir, de quelque manière que
« ce soit, favorisé dans la république le plan de corruption des
« citoyens, de subversion des pouvoirs et de l’esprit public. La
« Convention nationale étant investie par le peuple Français de
a l’autorité nationale, quiconque usurpe son pouvoir, quiconque
—
305
.. attente à sa sûreté, ou à sa dignité directement ou indirecle« ment, est ennemi du peuple et sera puni de mort, la résistance
« an gouvernement révolutionnaire cl républicain dont la con« vention nationale est le contre, est un attentat contre la liberté*
« publique, quiconque s’en sera rendu coupable, quiconque ten« lera par quelque acte que ce soit de l’avilir, de le détruire ou de
« l’entraver, sera puni de mort. »
La commission condamne à la peine de mort les dits Joseph
Bernard Amable Bourdon, Pierre Imbert, Joseph Imbert, Barthé
lemy Janselme, Barnabe Bernard, Joseph Bérard, Joseph Véran
Seiguoret, Antoine Joseph Lusignan, Suzanne Agathe Deloyc,
Jacques Tiran, Antoine Joseph Imbert, fils à Michel, et Pierre
Aillaud ; ordonne que dans les 24 heures ils seront livrés à l'exé
cuteur des jugements criminels et mis h mort sur la place de celte
commune appelée la Justice ; déclare leurs biens acquis et confis
qués au profit de la république, en conformité de l’art. Il du li
tre II delà loi du 10 mars 1793 (vieux style), ainsi conçu :
« Les biens de ceux qui seront condamnés à la peine de mort
« seront acquis à la République ; il sera pourvu à la subsistance
« des veuves et des enfants s’ils n’ont pas du bien ailleurs ; » or
donne que le présent jugement, qui a été publiquement prononcé,
par le président aux accusés, sera imprimé et affiché dans toute
l’étendue de la république, et qu’à la requête et diligence de l’ac
cusateur public, il sera m isa exécution.
Fait à Orange en audience publique de la commission populaire
établie dans la dite commune, ce jottrd’hui dix-huitième de mes
sidor l’an deuxième de la république française une et indivisi
ble. Présents : Jean Fauvety, président, Pierre Michel-François
Roman Fonrosa, Jean Pierre Meilleret, Gaspard Ragot, Joseph
Fernex, juges composant la dite commission, qui ont signé à la
minute du présent jugement.
Au nom du peuple français il est ordonné à tous huissiers sur
ce requis, de faire mettre le présent jugement à exécution, aux
commandants de la force publique de prêter main forte lorsqu’ils
en seront légalement requis, et à l'accusateur, public d’y tenir la
20
�~
306 —
îuaiu. En foi de quoi le présent jugement a élé signé par le pré
sident et greffier.
A Orange, chez Esprit Nicolau, imprimeur de la commission
populaire.
(Jugements de la commission populaire d'Orange).
N o te 6 2
Jugement de la commission populaire établie à Orange, qui
condamne à la peine de mort Joseph Joachim Billotli, Pierre
Gabriel Florens. Joseph Marie Ducamp tïls, Jean Baptiste Joseph
Bruno Granier. et Joseph Liolard, habitant à Piolenc, tous con\aincus d’attentats à la liberté et de conspiration contre l’unité
et l’indivisibilité de la république; et en acquittant Jean Claude
Alexis Granier, habitant à Piolenc, de l'accusation portée contre
lui par l’accusateur public, ordonne qu’il sera détenu dans la mai
son de réclusion et qu'il y sera gardé jusqu'à la paix ; acquitte
Jeanne Sautel, femme Jean, François Bonloux, Thérèse Granet,
femme Lauron, habitans à Piolenc, Antoine François Joseph
D’hugues, habitant à Euqhau, Etienne Chaberge, Esprit Joseph
Biscarat, habitant à Piolenc, Etienne Clément, habitant à Mornas,
Claude Vincenti, Jean Pierre Pellet, Jean Louis Aubert et Pierre
Devèze, habitans à Piolenc, et ordonne qu’ils seront sur le champ
mis en liberté.
Du dix-septième thermidor an second de la république française
une et indivisible.
Au nom du peuple français,
La commission populaire établie à Orange, a rendu le jugement
suivant :
Entre l’accusateur public demandeur en accusation de délits de
conspiration tendante à détruire la souveraineté du peuple et la
307
—
liberté, et depuis l’établissement de la république, à rompre son
unité et son indivisibilité, portée publiquement à l’audience con
tre Joseph-Joachim Billotli, Agé d’environ 68 ans, ci-devant noble
et marquis, né à Piolenc, département de Vaucluse, y résidant,
maire de la commune en 1790 et 1791 ; Jeanne Sautel, femme
d’Esprit Jean, cardeur de laine, Agée d’environ 55 ans, née à Pio
lenc, y résidant ; François Bonloux, Agé d’environ 44 ans, né à
Piolené, y résidant, cultivateur ; Thérèse Granet, femme Joseph
Lauron, officier de santé, Agée de 53 ans, née à Rochefort, dépar
tement du Gard, résidante à Piolenc ; Jean Claude Alexis Granier, âgé d’environ 34 ans, né à Piolenc, y résidant, ci-devaiil
clerc tonsuré, arpenteur, cultivateur; Antoine François Joseph
D’hugues, Agé d’environ 48 ans, né à Piolenc, résidant à Euchaux,
département de Vaucluse, ci-devaut notaire et à présent cultiva
teur; Pierre Gabriel Florens, Agé d’environ 21 ans, né à Piolenc,
y résidant, ci-devant clerc tonsuré et ensuite instituteur, ayant
refusé de prêter le serment ordonné parla loi ; Joseph Marie Dueamp 111s, âgé d’environ 29 ans, né à Euchaux, résidant à Pio
lenc, moulinier de soie ; Jean Baptiste Joseph Bruno Granier,
âgé d’environ 36 ans, né à Piolenc, y résidant, propriétaire fon
cier, membre et secrétaire d’un comité formé par les sections fé
déralistes de la commune; Jean Baptiste Liolard, Agé d’environ
31 ans, né à Brignac, département de l’Hérault, habitant à Pio
lenc, propriétaire foncier, secrétaire de la municipalité et secré
taire de la section de la commune ; Etienne Chaberge, Agé d’en
viron 53 ans, né à Mornas, résidant à Piolenc, cultivateur journa
lier; Esprit Joseph Biscarat, Agé d’environ 59 ans, né à Piolenc,
y résidant, cultivateur et moulinier en soie ; Etienne Clément,
âgéd’environ 61 ans, né à Orange, résidant à Mornas, département
de Vaucluse, fermier-métayer ; Claude Vincenly, Agé d’environ
53 ans, né à Piolenc, y résidant, cultivateur à la journée, notable
de sa commune ; Jean-Pierre Pelet, Agé d’environ 47 ans, né à
Piolenc, y résidant, cultivateur à la journée ; Jean-Louis Au
bert, âgé d’environ 68 ans, né à Piolenc, y résidant, ancien orfè
vre, cultivateur, procureur de sa commune en 4791 ; et Pierre
�—
308
Devèze, Agi5d’environ 36 ans, né à Brenoux, déparlement du Gard,
résidant à Piolenc, huissier sergent , nommé par le ci-devant sei
gneur de sa commune, prévenus, détenus et défendeurs, ladite
accusation ainsi conçue : Citoyens juges, je traduits devant vous
et j’accuse les nommés Joseph Joachim Bilotly, ex-noble, ci-de
vant maire de sa commune, depuis le commencement delà révolu
tion de s etre montré son ennemi le plus acharné ; il a tout tenté
pour détruire la liberté; il s'est montré,dans toutes les circonstan
ces, l’ami, le partisan et le protecteur des aristocrates ; il a vexé
les bons citoyens lorsque élevé à la place de maire par la contiance des amis de l’ancien régime et de la tyrannie, il lit attrou
per ses esclaves, leur remit des armes, mit en fuite et fit jeter
dans des cachots les plus chauds patriotes ; enfin, partisan pro
noncé île l’ancienne noblesse et de scs privilèges, au moment du
fédéralisme il a fait désarmer les meilleurs citoyens; il s’est armé
lui-même pour opérer la contre-révolution avec les rebelles mar
seillais ; il a, par tous ces faits, tenté d’allumer la guerre civile,
perpétuer l’anarchie ; il a conspiré contre la république et son
unité; Jeanne Sautel s’est déclarée l'ennemie de la révolution et
delà liberté ; elle a tout tenté pour les détruire cl faire triompher
l'aristocratie ; elle a calomnié les patriotes d’une manière atroce
dans les crises de la révolution ; elle a poursuivi les bons citoyens;
elle les a menacés de la mort ; à l’époque du fédéralisme elle a
cherché il faire rentrer les aristocrates dans sa commune ; elle, a
voulu aussi allumer la guerre civile, perpétuer l’anarchie; elle a
conspiré contre la sûreté publique et le salut de l’Etat; Français
Bonloux est l’ennemi juré de la République et partisan de la ty
rannie; il s’est rendu coupable d’attentats contre la sûreté et la
tranquillité du peuple en vexant les bons citoyens, en les désar
mant à l’époque du fédéralisme et en les précipitant dans les ca
chots ; il a ainsi conspiré contre la république et son unité;
Thérèse Grand, la plus implacable ennemie de la liberté et de la
révolution, a tenu des propos atroces tendant h avilir la souverai
neté nationale ; elle a dit publiquement que si elle avait su de
n’ètro pas bientôt payée des grains qu’elle avait vendus h la fou-
—
309
—
lac république française, elle les aurait jetés dans un puits;
ainsi, elle a conspiré contre le peuple, la république et son
unité ; Alexis Granier. ci-devant prêtre, Antoine François d’Hu
gues, Pierre Gabriel Florens, instituteur el Joseph Ducamp, se
sont rendu coupables d’attentats contre la souveraineté nationale
et la prospérité publique ; ils onl cherché h corrompre l'esprit pu
blic, à égarer les bons citoyens en prêchant le plus dangereux fa
natisme, en refusant de prêter le Serinent ordonné par la loi, en
provoquant l’établissement dés sections, en prêchant dans leur
sein le meurtre des membres de la Convention nationale, en tirant
sur les gardes nationaux qui venaient les saisir, en écrivant aux
aristocrates lors de la rébellion marseillaise pour les engager à
rentrer dans la commune, en louant les projets contre-révolution
naires sortis de Marseille, en cherchant à exciter la haine de la
révolution, et en publiant que la religion était perdue; ainsi, ils
ont tcntéd’allumer la guerre civile ; ainsi, ils ont voulu perpétuer
l'anarchie-, ainsi, enfin, ils onl conspiré contre l ’unité cl l’indivi
sibilité de la république ; Joseph-Bruno Granier, Jean-Joseph
Liolard, Etienne Chaberge et Esprit Joseph Biscaral se sont mon
trés depuis son commencement, les ennemis de la révolution, les
partisans de l’aristocratie cl «lu fédéralisme ; ils l’ont servi de tout
leur pouvoir ; ils ont tout mis en œuvre pour le faire triompher
et détruire la liberté; Bruno Granier, ainsi que ses collègues, a
usurpé los pouvoirs du peuple en remplissant les fonctions de se
crétaire d'un comité nommé par les sections en révolte-, Jean C’haberge et Joseph Liolard ont occupé les places de membres du
meme comité, cl Esprit Joseph Biscaral, celle de président du co
mité général. tous se sont servi de leur pouvoir pour vexer les
bonscitoyens, les désarmer, les mettre en fuite, ou les incarcérer
en même Ions qu’ils firent triompher l'aristocratie, qu’ils remirent
à ses suppôts des armes cl dos munitions pour s’en servir contre les
patriotes; il est constant par tous ces laits qu’ils ont tous ensemble
conspiré contre l’unité et l’indivisibilité de la république, la tran
quillité, la sûreté du peuple français et sa souveraineté; Etienne
Clément, Claude Yincenly, Jean Pierre Pellet, Jean Louis Aubert
�—
310
—
et Pierre Devèze ont tous donné des preuves de leur haine pour la
révolution et de leur amour pour la tyrannie et l'ancien régime ,
ils ont servi de tous leurs moyens la cause de la contre-révolution
et du fédéralisme en louant publiquement les projots criminels des
rebelles marseillais, en manifestant une joie insolente que leur
inspirait le désir et l'espoir île la contre-révolution, en prenant les
armes avec les fédéralistes contre la république, en vexant, persé
cutant et désarmant les bons eitoyeus, en provoquant les citoyens
à s’armer contre leur patrie, en se prononçant les partisans zélés
du régime des sections, et en prêchant dans les sections la révolte
contre la Convention ; il résulte de tous ces faits, dont la preuve
est acquise, que les prévenus se sont tous rendus coupables d'at
tentats contre la sûreté du peuple français, qu’ils ont voulu allu
mer la guerre civile, perpétuer l'anarchie et renverser la répu
blique et son unité ; la commission après avoir ouï publiquement
les accusés sus-nommés en leurs réponses aux inlerrogats qui
leur ont été faits; vu et lecture publiquement faite des pièces pro
duites par l'accusateur public à l’appui de son accusation, après
avoir ouï aussi publiquement en leur déclaration les témoins pro
duits contre les dits accusés par le dit accusateur public, un débat
ayant été ouvert sur chacun d’eux séparément et individuellement
et les témoins -, la commission après avoir entendu les dits Joseph
Joachim Bilolti, Jeanne Saulel, femme d’Esprit Jean, François
Bonloux, Thérèse Granet, femme Lauron, Jean Claude Alexis
Granier, Antoine François Joseph d’IIugues, Pierre Gabriel Florens, Joseph Marie Ducamp fils, Jean Baptiste Joseph Bruno Gra
nier. Jean Joseph Léotard, Etienne Chaberge, Esprit Jean Biscarat, Étienne Clément, Claude Vincenly, Jean Pierre Pellct, Jean
Louis Aubert et Pierre Devèze, chacun séparément en leurs
moyens de défense et de justification, déclare qu’il est constant
qu’il a existé en France depuis la révolution et notamment dans
les départements méridionaux, une conspiration tendante à dé
truire la liberté et rétablir le despotisme, et depuis l’établissement
de la république, à rompre son unité par toutes sortes de moyens,
à dissoudre la représentation nationale, et avilir les autorités cons
tituées, en protégeant, en qualité de magistrats du peuple, lesanstocrates, en vexant les patriotes, en les persécutant et les désar
mant, en calomniant le patriotisme, et correspondant avec les
ennemis extérieurs tic la république, en calomniant le gouverne
ment républicain, en prêchant le plus dangereux fanatisme, en
cherchant par des correspondances liberlicidcs à corrompre, îi
détacher des volontaires du service des armées de la république,
en conseillant la désertion, en acceptant, des sections en révolte,
dos fonctions de membres de comité formé par elles, en concou
rant, comme secrétaire des dites sections, aux mesures liberlicidcs
par elles prises, en manifestant de la joie sur les succès des ar
mées rebelles, en déclarant devant les autorités constituées no
vouloir pas reconnaître les lois -, enfin, en cherchant à armer les
citoyens les uns contre les autres et contre l’exercice de l’autorité
légitime; elle déclare encore que Jeanne Saulel, femme d’Espril
Jean, François Bonloux, Thérèse Granet, femme de Joseph Lau
ron. Antoine François Joseph d’Hugues, Etienne Chaberge, Es
prit Joseph Biscarat, Etienne Clément, Claude Vincenti, Jean
Pierre Pellet, Jean Louis Aubert et Claude Alexis Granier, ne
sont pas convaincus d’être auteurs ou complices de la dite conspi
ration ; en conséquence, au nom de la république et en vertu des
pouvoirs à elle délégués, la commission acquitte les dits Jeanne
Saulel, femme Jean, François Bonloux, Thérèse Grand, femme
Lauron, Antoine François Joseph d’Hugues, Etienne Chaberge,
Esprit Joseph Biscarat, Etienne Clément, Claude Vincenti, Jean
Pierre Pellet et Jean Louis Aubert, de l’accusation contre eux por
tée par l’accusateur public, et ordonne qu’ils seront sur le champ
mis en liberté s’ils ne sont détenus pour autre cause ; la commis
sion acquitte aussi Jean Claude Alexis Granier de l’accusation
contre lui portée par l’accusateur public; mais attendu qu’il ré
sulte des débats qu’il s'est rendu suspect par sa conduite, la com
mission, au nom de la république et en conformité de l’art. X de
la loi du 17 septembre 1793 (vieux style), ainsi conçu :
« Les tribunaux civils et criminels pourront, s’il y a lieu, rele» nir en état d’arrestation tous gens suspects, et envoyer dans les
�—
512
—
» maisons de détention ci-dessus énoncées, les prévenus de délits
a h l'égard desquels il serait déclaré n’y avoir pas lieu à ftecusa« tion. ou qui seraient acquittés des accusations portées contre
« eux . » Condamne le dit jeune Claude Alexis Granier à la déten
tion jusqu’il la paix, en conformité dos art. v et vu de la même
loi ainsi conçus :
« Les individus arrêtés comme suspects seront d’abord conduits
* dans les maisons d’arrêt du lieu de leur détention ; à défaut
• de maisons d’arrêt, ils seront gardés à vue dans leurs demeures
a respectives. »
« Les détenus pourront faire transporter dans ces bâtiments les
« meubles qui leur seront d’une absolue nécessité; ils y resteront
« jusqu’il la paix. » Ordonne, en conséquence, qu'il sera retenu
en état d’arrestation, et qu’en conformité de l’art, vi de la même
loi, ainsi conçu :
« Dans la huitaine suivante ils seront transférés dans les bâti« menls nationaux que les administrateurs du département seront
« tenus, aussitôt après la réception du présent décret, de désigner
« et faire préparer à cet elle! : » Il sera transféré dans lé-bâtiment
national désigné par le département de Vaucluse pour la réclusion
des gens suspects, pour y être gardé jusqu’il la paix : La commis
sion déclare encore que Pierre Dcvèzc est convaincu de s’être
trouvé à Orange avec les Marseillais en révolte pendant le règne
du fédéralisme du midi ; mais attendu qu’il résulte des débats qu’il
n'a pas participé à leurs actes liberlicides méchamment et à dessein
et dans des intentions contre-révolutionnaires, la commission, au
nom de la République, acquitte ledit Pierre Devèzede l’accusation
contre lui portée par l'accusateur public, et ordonne qu’il sera sur
le champ mis en liberté, s’il n’est détenu pour autre cause; la
commission déclare aussi que Joseph Joachim Bilolti, Pierre Ga
briel Florens, Joseph Marie Ducarup (ils, Jean Baptiste Joseph
Bruno Granier et Jean Joseph Liolard sont convaincus d'être
auteurs ou complices de la dite conspiration ; en eonséqncnce et
en conformité l“de l’art, ir section 2m* litre premier, seconde par
tie de la loi code pénal du 6 octobre 1791 (vieux style) ainsi conçu:
—
515
—
* Toute conspiration et complots tendant h troubler l’Etat par
» une guerre civile, en armant les citoyens les uns contre les
« antres en l’exercice de l’autorité légitime, seront punis de mort : «
2* de l'art, unique de la loi du 16 décembre 1792 (vieux style) ainsi
conçu :
« La Convention nationale décrète que quiconque proposera ou
« tentera de rompre l’unité et l’indivisibilité de la. république.
« française, ou d’en détacher des parties intégrantes pour les unir
« à un territoire étranger, sera puni de mort : » de 3° la loi du 23
ventôse dernier, ainsi conçu :
« Sont déclarés traîtres îi la patrie et seront punis comme tels
« ceux qui seront convaincus d’avoir, de quelque manière que ce
* soit, favorisé dans la république le plan de corruption des
« citoyens, de subversion des pouvoirs et de l’esprit public, la
c Convenlion nationale étant investie par le peuple français de
« l’autorité nationale, quiconque usurpe son pouvoir, quiconque
« attente à sa sûreté ou à sa dignité, directement ou indirectement
« est l’ennemi du peuple, et sera puni de mort, la résistance au
i gouvernement révolutionnaire et républicain dont la Convention
i nationale est le centre, est un attentat contre la liberté publi« quo, quiconque s’en rendra coupable, quiconque tentera par
* quelque acle que ce soit de l'avilir, de la détruire ou de l’enlrai ver, sera puni de mort. »
La commission, au nom de la république, condamne à la peine
de mort les dits Joseph Joachim Bilolti, Pierre Gabriel Florens,
Joseph Marie Ducamp lils, Jean Baptiste Joseph Bruno Granier,
et Jean Joseph Liolard ; ordonne que dans les 24 heures ils seront
livrés à l’exécuteur des jugements criminels et mis à mort sur la
place de cette commune appelée la justice ; déclare leurs biens
acquis cl conlisqués au profil de là ré publique en èonformilé de
l’art. n, titre n de la loi du 10 mars 1793 (vieux style), ainsi
conçu :
« Les biens de ceux qui seront condamnés è la peine de môr
* seront acquis ?i la république ; il sera pourvu à la subsistance
<des Veuves et des enfants, s'ils n’ont pas du bien ailleurs : «
�—
314
—
.
Ordonne que le présent jugement, qui a été publiquement pro
noncé à l'audience par le président en présence des accusés, sera
imprimé et affiché dans toute l’étendue de la république, et qu’à
la requête et diligence de l’accusateur public, il sera mis à exécu
tion.
Fait à Orange, en audience publique de la commission populaire
établie dans la dite commune, cejourd’hui dix-septième thermidor,
l’an deuxième de la république française une et indivisible. Pré
sents : Jean Fauvety, président, Pierre François Roman Fou-rosa,
Joseph Fernex, Jean Pierre Mellerel, Gaspard Ragot, juges, com
posant la dite commission, qui ont signé la minute du présent
jugement.
Au nom du peuple français il est ordonné à tous huissiers sur ce
requis de faire mettre le présent jugement à exécution ; aux com
mandants de la force publique de prêter main-forte lorsqu’ils en
seront légalement requis, et à l’accusateur publie d’y tenir la main ;
en foi de quoi le présent jugement a été sigué par le président cl
le greffier.
F auvety, président. B enet, greffier.
N ote 63
SÉANCES DU TRIBUNAL RÉVOLUTIONNAIRE
1er messûlor, an 11
— -
—
315
—
lolfos, de Genève, domicilié à Avignon, 44 ans ; Sage, Jean, d'A
vignon, ouvrier en soie, 74 ans ; Mas, Aimé Bonaycnture, d’Avi
gnon, latletassier, 73 ans ; Ricard, Vincent, d'Avignon, sous-bri
gadier de chevaux légers, 45 ans ; Bonnet, Agricol, d’Avignon,
imprimeur, 59 ans.
2 messidor
(2 séances le même jour)
Commin Gaufl'ridi, Pierre Joseph, d’Orange, propriétaire ; Ber
nard, Pierre François Agricol, d’Avignon, notaire, 72 ans; Cappeau dit Bovis, d’Avignon, négociant, 53 ans ; Guillermont,
François, d’Avignon, moulinier de soie, 18 ans ; Morel, Marc
Antoine, d’Avignon, fondeur en cuivre, 44 ans; Bruny d’Entrecastcaux, Jean Paul, président à Mortier du parlement d’Aix,
résidant à Avignon, 66 ans ; Glotte, Etienne, dit Languedoc,
d’Avignon, maréchal, 46 ans.
3 messidor
Bioulès, Jean Jacques, d’Avignon, menuisier, 64 ans ; Félix,
Jean Michel, d’Avignon, marchand de fourrures ; Jonc dit deSalos;
Louis Nicolas, d’Orange, maire de la dite ville, 64 ans; Silvestre,
Jean Louis François, d’Avignon, notaire, 66 ans ; Serre, Joseph
Alexis, greffier au tribunal de police d’Avignon, 57 ans; Gaillard,
Jean, d’Avignon, fabricant d’étoffes, 52 ans ; Ruffier, Joseph, de
Villeneuve, concierge des prisons, 63 ans.
(HJ juin
(2 séances le même jour)
Gallet, Agricol, d'Avignon, Agé de 15 ans 2 mois; Borty, Louis
Agricol, d’Avignon, charpentier, 54 ans ; Le Gendre, André, d’A
vignon, cordonnier, 39 ans ; Serville, Pierre, d’Avignon, cordon
nier, 45 ans; Tulon, Jérôme, d’Avignon, charpentier, 54 ans;
Sorbière, Guillaume, natif de Monfrin, domicilié à Avignon,
taillandier, 36 ans ; Clauseau Piloy, Louis Aimé, fabricant d'é-
4 messidor
Fouquet, Agricol, d’Avignon, taflclassier, 28 ans; Rodi. Jean
Houoré, de Nice, domicilié h Avignon, orfèvre, 44 ans ; Niel,
Jean Joseph, d’Avignon, imprimeur, 55 ans ; Teste, Antoine Jo
seph Augustin, d’Avignon, avocat, 52 ans ; D'André François
Adrien, ancien commandant de la gendarmerie à Avignon, 84 ans;
Teyssôre, André, d’Avignon, peintre, 41 ans ; Long, François, de
�—
317
—
H messidor
Fregièr, Daniel, d’Orange, chanoine, 72 ans ; Javon, Gahriellc,
veuve Chaussande, de Carpentras, 68 ans -, Chaussande, Henriette,
sa fille, 28 ans; De l’Église, Joseph Sebastien, de Courthézon,
64 ans ; Chieze, Frédéric, chanoine de St-Ruf; Chieze, Jérôme,
prêtre ; Morel, Antoine François Sixte, de Vénasque, prêtre. 34
ans.
6 messidor
j
J
Toulouse dit Sl-Prival, Louis François Marie, d’Orange, 46 ans,
Solive, Jacques, suisse d’origine, domicilié à Orange, pâtissier,
45 ans ; Falque, Jean Louis Florent, receveur des domaines »
Orange, 57 ans ; Dauvergne, Laurent, d’Avignon, ouvrier en soies,
40 ans ; Boulogne, Jacques Laurent, talTetassier d’Avignon ; Ber
nard. François, prêtre capucin, de Valréas, 54 ans; De Florens,
Louise Marthe Adélaïde, de Carpentras, 40 ans ; Croze, Pierre,
dit Ducros, de Jonquières, cordonnier, 33 ans ; Jouval, Joseph,
de Sl-Saturnin, propriétaire cultivateur, 59 ans.
7 messidor
Icard, Jérôme, d’Orange, homme do loi, 43 ans; Latour de
Videau, Jean Jacques, de Grenoble, domicilié à Velleron, 56 ans;
Gallet, Jeanne Marguerite, de Mondragon, veuve Vidau, 84 ans;
De Villario, Thérèse Catherine Marguerite, née Rosty, de Velle
ron, 51 ans ; Liolard, Etienne, de Velleron, chirurgien, 38 ans;
German, Etienne, de Valence, domicilié à Velleron, menuisier
53 ans-, Armand, Pierre, de Die, domicilié à Velleron, domestique
de Vidau-Latour, 53 ans; Roslv, Etienne, propriétaire à Velleron,
44 ans ; Chauvet, Pierre, de Velleron, maréchal, 41 ans ; Dan,y,
Pierre Jacques, de Velleron, ménager.
Vincent, René, d’Avignon, sellier, 42 ans ; Vachet, Claude,
marclianjl-quincaillier à Avignon, 54 ans; Montaud, Félix, d’Avi
gnon, salpélrier, 40 ans ; Maria, Antoine Joseph, d’Avignon, taffelassier, 40 ans ; Praticoux, Joseph, d'Avignon, ouvrier en soies,
56 ans -, Gros, Charles, ménager à Robion.
.9 messidor
Bouchet, Étienne, d’Avignon, avoué, 67 ans ; Vinccnli, Esprit,
abbé, instituteur, 69 ans ; Devaux, Jacques Joseph, perruquier à
Avignon, 64 ans ; Allégier Chance!, de fcbâtillon, curé de Visan,
■26ans.
/ / messidor
Guigues, Benoît Théodore, de Sorgues, cordonnier, 31 ans;
Tassy, Chérubin, de Sorgues, cultivateur, 64 ans -, Avy, Augustin,
de Sorgues, cultivateur, 26 ans ; Guigues, Pierre Basile, de Sor
gues, cultivateur, 32 ans ; Bédoin, Jean Baptiste, de Sorgues, prê
tre carme, 36 ans ; Légier, André, de Sorgues, chevalier de StLouis, seigneur de Malizay, de Monlfort, 58 ans; Bourdy, Jean
Baptiste, de Sorgues, cultivateur, 45 ans ; Pons, Pierre, de Sor
gues, cultivateur, 44 ans; Léonard, Étienne, de Sorgues, fonlannicr, 52 ans.
i i messidor
Meynier, dit Bàudran, Jérôme, d’Avignon, fermier, 61 ans ;
Allier, Félix Nicolas, d’Avignon, cordonnier ; Pical, Christophe
Guillaume, propriétaire, 38 ans; Roustan, Antoine Joseph Marie,
de Mondragon, ex-maire, 63 ans ; Rive, Jean François, de Mon
dragon, cultivateur, 57 ans ; Belonge, Sébastien, d’Orange, avo
cat, 43 ans; Limoges, Joseph, d’Orange, négociant, 34 ans.
�13 messidor
Blanehet. Joseph, de Mondragon, fabricant d’^tofïes, 58 ans;
Guichard, Georges, de Mornas, proprietaire, 51 ans -, Blanehet,
Jean-Michel, de Mondragon, fabricant d'étoiles, 58 ans ; Revnaud,
Guillaume, de Mornas, entrepreneur de ponts cl chaussées, 74 ans;
Mazet, Marie-Anne, femme Novenne, cultivateur, 44 ans ; Benevadi, Françoise, de Mornas, couturière, 23 ans ; Pourchet, Jean
Pierre, de Mornas, marchand de soies, 58 ans; Argelier, François,
de Mornas, cultivateur, 24 ans -, Brun, Clément, de Mornas, pro
priétaire, 17 ans; Tournillon, Michel, de Salelte, résidant à Mor
nas, 62 ans ; Salignon, Jean Joseph, deMornas, marchand, 54ans,
U messidor
Berbiguier, François Siiuéon, de Caderousse, prêtre, 66 ans;
Berbiguier, dit Lamage, Jérôme François Joseph, de Caderousse,
prêtre et chanoine, 27 ans ; Poujol, Pierre, de Caderousse, chirur
gien, 40ans ; Castion, Henri Biaise, de Caderousse, prêtre. 48ans;
Bouc, François, de Caderousse, cordonnier, 28 ans; Ferragus, (1)
Jean Nicolas, de Caderousse, propriétaire, 64 ans ; Suret, André,
de Caderousse, boulanger, 24 ans ; Genin, Jean Baptiste, de Cade
rousse, boucher, 40 ans ; Castion, Constantin, de Caderousse,
notaire, 54 ans.
15 messidor
Puy, François, de Vénasquc, propriétaire, 65 ans ; Dumont,
Jean Claude, de Vénasque, propriétaire, 51 ans; Tournefort, Joseph
François, de Vénasque, chirurgien, 18 ans ; Courlasse, Jean Jo
seph, de Vénasque, fabricant, 40 ans ; Morel, Jean Joseph, de
Vénasque, tailleur d'habits, 49 ans; Tournefort, Charles Joseph,
de Vénasque, prêtre, 68 ans ; Charpini, André, de Vénasque, chi
rurgien, 70 ans; Barraud, Joseph, de Vénasque, cultivateur,
30 ans ; Roussel, Alexis, de Vénasque, cultivateur, 43 ans ; Fabre,
(1) Le véritable uono est Ferragul.
Laurent, de Vénasque, charron, 38 ans; Viaud, Jean Étienne, de
Vénasque, propriétaire, 41 ans ; Jean, Joseph François, de Vé
nasque, fileur de soie, 43 ans ; Tourelle, Jean Baptiste, de Vénas
que, instituteur, 64 ans ; Morel, Marie Anne, de Vénasque, cou
turière, 25 ans ; Morel, Paul François Xavier, de Vénasque, pro
priétaire, 62 ans ; Morel, Jean Antoine Sixte, de Vénasque, pro
priétaire, 68 ans ; Ortholan Xavier, de Vénasque, cultivateur,
54 ans ; Verger, Denis François, de Vénasque, propriétaire,
64 ans.
16
mesiidor
Liély, Gaspard, de Flsle, maçon, 27 ans ; Villard, François
César, de l’Isle, fabricant, 60 ans ; Homage, Bernard Laurent, de
l’Isle, ex-capucin, 64 ans; Maille, Antoine, de l’Isle, marchand,
40 ans; Milon, François, de Carpenlras, cuisinier, 36 ons ; Rose,
Joseph Véran, de l’Islc, marchand ; Rose, Jean Joseph, de l’Isle,
négociant, 28 ans.
17 et 18 messidor
Bernard, Joseph, de Cabrières, propriétaire, 36 ans ; Bourdon,
Amable, de Cabrières, agriculteur, 35 ans; Imbert, Pierre, de
Cabrières, agriculteur, 37 ans ; Janselme, Barthélemy, de Cabriè
res, maréchal-ferrant, 30 ans ; Bernard, Barnabé, de Robion,
assesseur du juge de paix, 46 ans; Bérard, Joseph, de Lagnes,
cultivateur, 65 ans ; Seignaret, Joseph Véran, de Lagnes, proprié
taire, 65 ans ; Lusignan, Antoine Joseph, de Sérignan, prêtre ;
de Loye, Suzanne Agathe, de Sérignan, religieuse, 52 ans ;
Tiran, Jacques, de Cabrières. cultivateur, maire de la commune,
48 ans ; Courage, Antoine, de Cabrières, cultivateur, 33 ans ;
Imbert, Joseph, lils de Michel, de Cabrières, cultivateur, 36 ans;
Alliaud, Pierre, de Cabrières, cultivateur, 48 ans.
1 i) messidor
Yiany, Laurent Jean Baptiste, d’Aix, conseiller à la cour des
comptes, 54 ans ■.Forest. Joseph, d’Apl, avocat, 47 ans; Laugier,
�—
520
—
Jean-Baptiste, de la Tour d’Aigues, propriétaire, 51 ans; Ripert,
Pierre Joseph, de Roussillon, avocat, 71 ans; Gaillard, Marie Su
zanne, de Bollène, religieuse, 33 ans; Rive, Jean André Simon,
d'Apt, orfèvre, 57 ans ; Argaud, Louis, d’Apl, serrurier, 40 ans;
Barbery, Jean Baptiste François, d’Apt, commis au district, 27
ans ; Perrin, Joseph Elzéar, d’Apt, prêtre diacre, 20 ans -, Grand,
Matthieu, d’Apt, maçon, 47 ans ; Dauphin, Joseph Félix, de Cabrières,cultivateur, 32 ans ; Roubaud, Louis Joseph,de Cabrières.
prêtre, 46 ans.
21 rqessidor
d’Aulrich, Louis Augustin, d’Apt, propriétaire, 51 ans ; d’Autrich, Joseph Juste, d'Apt, propriétaire, 50 ans ; Brun, Joseph,
d’Apt, maçon, 35 ans ; Chaix, Elzéar, d’Apt, fabriquant de bri
ques, 72 ans; Peyrouard, François Elzéar, d’Apt, avocat, 66 ans;
Fiteau, Jean Matthieu Simon, prêtre à Bollène ; Guilhermier,
Marie Anne Madeleine, de Bollène, religieuse, 01 ans; Rocher,
Marie Anne Marguerite, de Bollène, religieuse, 39 ans.
22 messidor
Gontard, Joseph Etienne, de Courthézon, propriétaire, 37 ans ;
Reboul, Bruno Marie, de Courthézon, notaire, 44 ans ; Morel,
Félix François Hyacinthe, de Courthézon, propriétaire, 26 ans;
de Conseil, Alexandre Agricol, juge à Avignon, résidant à Courlhézon,20 ans ; Spinardi, Joachim André François, de Courthézon,
avocat, 00 ans ; Ripert d’Alauzier Marie Gertrude, de Carpentras,
religieuse, 30 ans ; Roumillon, Sylvie Agnès, de Bollène, reli
gieuse, 45 ans.
23 messidor
Beaussand, Jean Joseph, de Courthézon, instituteur, 30 ans;
d’Augier, Victor, d'Avignon, rentier, 27 ans ; Jamet, Gabriel, de
Courthézon, notaire, 03 ans ; Reboul, Théophile, de Courthézon,
propriétaire, 33 ans; Marcel, Benoit, né A Malaucène, domicilié
521
—
à Courthézon, prêtre, 45 ans ; Bès, Marie Rosalie, de Bollène, re
ligieuse, 53 ans ; Marguerite d’Albarede, née à St-Laurent de Carnol, Gard, domiciliée A Bollène, religieuse, 53 ans.
54 messidor
Gonnet, Pierre Louis, de Sarrians, domicilié à Jonquières, prê
tre, 51 ans ; Tissot, Jean Pierre Joseph, de Jonquières, secrétaire
du juge de paix, 61 ans; Tailleu, Thérèse Marguerite.de Bol
lène, religieuse, 49 ans ; Roumillon, Jeanne, de Bollène, reli
gieuse, 41 ans ; Cluze, Marie, de Bollène, religieuse, 33 ans ; Justamond, Eléonore, née A Bollène, Agée de 37 ans.
25 messidor
Gros, Joseph, secrétaire de la commune de Tarascon, né à Avi
gnon, 46 ans; Allègre Jean Baptiste, dit Mignot, né A Avignon,
résidant à Carpentras, maçon, 54 ans ; Grosson, Jean Pierre, fa
briquant d'étoffes, né à Rochegude, domicilié A Avignon, 41 ans ;
Messin, Joseph Ignace, d’Avignon, greffier au comité de surveil
lance, 50 ans ; Terras, Ignace Xavier Antoine, de Carpentras, no
taire, 58 ans ; Lambert, Marie Anne, née APierrelatte, domiciliée
h Bollène, religieuse, 52 ans ; Verchère, Elisabeth, de Bollène,
religieuse, 25 ans ; Minute, Anne, de Sérignan, religieuse, 5i ans ;
Faurie, Henriette, de Sérignan, religieuse, 71 ans; Peyre, Ma
rianne, de Tulette, religieuse, 38 ans ; Roquart, Marie Anatasie,
de Bollène, religieuse, 46 ans.
27 messidor
Vilalis, Joseph Silïrein, de Carpentras, notaire, 69 ans; de Yillario, Rolland, de Carpentras, notaire, 56 ans ; Morel, Genest
François Victor, de Carpentras, propriétaire, 46 ans ; Blanchet,
Silïrein, de Carpentras, propriétaire, 66 ans ; d’Augier, Malachie,
de Carpentras, officier de marine, 33 ans; Fortunet, Jacques Ma
rie, de Carpentras, négociant, 57 ans ; Allégier, François Joseph
Marie, de Carpentras, cirier, 70 ans ; Calamel, Etienne Denis,
de Carpentras, propriétaire, 67 ans ; David, François Marie, de
21
�—
322
Carpentras, épicier, 52 ans ; Curel, Antoine François Hippolyte.
de Carpentras, notaire, 50 ans ; Soubirats, Louis François Ga
briel Thomas Sitïrein, de Carpentras, capitaine de cavalerie, 73
ans; Ours la Marlinière, Jean André, de Bollène, ex-noble, vo
lontaire dans la légion de Lorraine, 54 ans ; Farnaud, André de
Carpentras, üleur de cotons, 53 ans; Ilérard, Laurent, de Car
pentras, maçon, 32 ans ; Gilles, François Régis, de Carpentras,
notaire, 25 ans.
28 messidor
Rivoire, Jacques, marchand à Avignon, 60 ans ; de Brousset,
Louis Augustin, d’Orange, officier de dragons, 46 ans; de Bonfils,
Jean François, viguier d'Orange, chevalier de Sl-Lauis, 70 ans ;
Doux, Marie Annne, de Bollène, religieuse, 56 ans ; Laye, Marie,
de Bollène, religieuse, 36 ans; Charensol, Marie Thérèse, née à
Rieherenchc, domiciliée à Bollène, religieuse, 36 ans; Justamond,
Julie Dorothée Madeleine, de Bollène, religieuse, 59 ans : Justa
mond, Françoise Madeleine, de Bollène, religieuse, 40 ans; Bé
guin, Marie Anne, de Bollène, religieuse, 62 ans ; Gordon,
Marguerite Rose, née à Mondragon, domiciliée à Bollène, reli
gieuse 61 ans.
29 messidor
Aubert, Pierre, dit Cambron, de Valréas, cultivateur, 30 ans;
Maury, Pierre, de Valréas, cultivateur, 46 ans; Grély, Charles Jo
seph Louis, de Valréas, chevalier de St-Louis, 60 ans ; Pialat Desilles, Antoine Joachim, juge de paix du canton de Valréas, 46
ans ; Fournier, marquis d’Autane, Jean Baptiste, de Valréas, 60
ans; Sauvan, André, de Grillon, cabarelier, 54 ans; Goubie,
François Simon, de Grillon, voiturier, 39 ans ; Bellan, Joseph
Laurent, de Grillon, propriétaire, 54 ans ; Bovery, Pascal, de
Grillon, propriétaire, 63 ans ; Turc, Michel, de Grillon, cabaretier, 38 ans ; Rivier, Pierre Joseph, de Grillon, propriétaire, 39
ans ; Buey, Esprit,de Grillon, marchand, 58 ans.
—
323
—
Ier thermidor
Jacques, Charles Thomas, de Caromb, prêtre, 68 ans ; Jacques,
Félix Arnould François Xavier, de Caromb, prêtre, 61 ans ; Jac
ques, Chrysogone François, de Caromb, prêtre, 56 ans , Gérin,
Jean Claude, de Caromb, meunier, 56 ans; Curnier, François Ma
rie, de Caromb, notaire, 72 ans : Clerc, Louise Rosalie, veuve de
Joseph Bourguignon, cordonnier h Caromb, 33 ans; Jacques,
Jean Joseph Marie Thadée, de Caromb, propriétaire, 64 ans ; Favier, Alexis, né à Barroux, domicilié à Caromb, propriétaire, 22
ans; Dol, Joseph Libéral, de Caromb, cultivateur, 28 ans ; Gondois, Pierre Louis, de Caromb, propriétaire, 40 ans.
2 thermidor
Gilles, Barthélemy, de Caromb, cultivateur, 65 ans; Sage, Ma
rie, femme de Pierre Jaume, de Caromb, 36 ans ; Cordet, Mau
rice, de Caromb, cultivateur, 40 ans ; Cornu, François, de Ca
romb, cultivateur, 30 ans; Constantin, Félix, de Caromb, pro
priétaire, 51 ans ; Gilles, Maurice, de Caromb, cultivateur, 21
ans; Roubin, Joseph, dit Maniclou, de Caromb, cultivateur, 56
ans; Ladet, Pierre François, de Caromb, propriétaire, 65 ans.
3 thermidor
Veyrier, Maurice, de Caromb, menuisier, 26 ans ; Veyrier,Jean
Joseph, de Caromb, mennisier, 35 ans ; Morard, Biaise, de Ca
romb, cultivateur, 42 ans ; Imbard, Joseph, dit Besson, de Ca
romb, cultivateur, 40 ans; Dufour, Laurent, de Caromb, cullivatcurà la journée, 44 ans ; Durand, Alexis, de Caromb, cultivateur,
39 ans; Roux, Jean Etienne, de Caromb, cultivateur, 60 ans ;
Jouet, Maurice, de Caromb, salpétrier, 50 ans ; Charles, de Ca
romb, 44 ans.
4 thermidor
Maû’rein, François, dit Fonsmarie, de Caromb, propriétaire, 31
ans;Aulard, Joseph, de Loriol, domicilié h Caromb, propriétaire,
�—
325
8 thermidor
5 thermidor
Saint-Roman, Barthélemy, de Piolenc, fabricantd’étofies,25ans;
Mourier, Philippe, de Ville, ex-capucin, vagabondant depuis la
suppression des couvents, 65 ans; Fubis, Joseph, de Carpentras,
prêtre, 59 ans ; d’Olivier, Ignace Michel, d’Avignon, prêtre, 69
ans.
6 thermidor
Ghabus, Jean Jacques, de Mondragon, moulinier de soies, 54
ans ; Argelier, Laurent Hilarion, de Mondragon, aubergiste, 38
ans ; Fède, Etienne, de Mondragon, propriétaire, 44 ans ; Mouret,
Joseph, propriétaire, assesseur du juge de paix, 48 ans; Raymond
Joseph, de Mondragon, aubergiste, 38 ans ; Blazy, Joseph, de
Mondragon ; Joseph Débat, né à Paris, domicilié à Orange, insti
tuteur, 39 ans ; Sylvestre, Joseph, de Mondragon, chanoine à l’é
glise de St-Agricol, 81 ans ; Gombette, Antoine, d’Avignon, prê
tre récollet, 57 ans ; Bresson, Pierre, d’Embrun, prêtre récollel,
69 ans ; Puy, Agricol, dit Dragonet, d’Avignon, peintre, 35 ans.
7 thermidor
Marcel, Hyacinthe, de Courlhézon, propriétaire, ci-devant
homme de loi, 56 ans; Mandin, Jean Baptiste, de Courlhézon,
tailleur d’habits, 49 ans ; de Remuel, Jacques, curé de Jonquiôres, 62 ans.
Meynard, Jean, de Carpentras, chapelier, 32 ans ; Ferrand,
Jean Baptiste, de Carpentras, boulanger, 31 ans ; Lombard, Fran
çois, de Carpentras, boucher, 44 ans ; Bouethav, Joseph Marie
SilTrein Félix, de Carpentras, orfèvre, 48 ans ; Berthot, Joseph,
de Carpentras, horloger, 50 ans ; Berbiguier, Alexis, de Carpen
tras, avocat, 58 ans; Cartier, Anne, de Livron, domiciliée à Bollène, religieuse, 61 ans ; Dubac, Marie Claire, de Laudun, domi
ciliée à Bollènc, religieuse, 48 ans ; Justamond, Madeleine, de Bollène, religieuse, 70 ans; Bonnet, Marguerite, née à Sérignan, do
miciliée h Bollène, religieuse, 77 ans; Consolin, Thérèse, de Courthézon, religieuse, 58 ans ; Wolet, Etienne, de Carpentras, cafe
tier, 46 ans ; Duclaux, Rosalie, femme Walet, 47 ans.
9 thermidor
Abril, Louis. d’Arles, administrateur du district, 40 ans ; Brun,
André, d’Arles, propriétaire, 58 ans ; Tinet, Antoine, de Barbenlane, prêtre, 39 ans.
t l thermidor
Saurel, Jean François, de Mormoiron, propriétaire, 38 ans ;
Moine, Joseph François, de Mormoiron, prêtre, 54 ans ; Accarie,
Louis, de Valréas, orfèvre, 34 ans ; Peyron, Jean André, de Valréas, 54 ans ; Roumilier, Pierre Joseph, de Valréas, cultivateur,
53ans;Naud, Jean Baptiste, de Valréas, tailleur, 57 ans; Lacour,
Pierre Félix, de Valréas, tailleur, 49 ans ; Cosle, Joseph André,
deCamaret, perruquier, 35 ans; Gaudibert, Martin Alexandre
François, de Vaqueyras, notaire, 36 ans ; Courbier, Nicolas ;
Richaud, François ; Gaudibert, François, Alphonse.
/ 2 thermidor
Point de condamnations h mort.
�—
327
N ote 64
U
thermidor
Raymond, Louis, de Camaret, propriélaire, 56 ans ; Lalour,
Jean Pierre, de Camaret, 52 ans.
15 thermidor
Collet, Bernard, de Camaret, prêtre récollet, 66 ans ; Teissier,
Étienne Raymond, de Camaret, propriétaire, 76 ans ; Fabre Jo
seph, de Camaret, notaire, 42 ans.
10 thermidor
Rilly, Marie Agathe, veuve Chanaleille, de Mornas, 54 ans ;
Boyer, Jean Pierre, de Rochegude, vicaire de l’évêque d’Orange,
68 ans.
Le 7 ventôse an 3 de la république, le comité révolutionnaire
d’Avignon écrivait à celui d’Orange : Citoyens collègues, l’être le
plus vil, le plus infôme qui ait jamais souillé la surface de la terre,
empoisonne encore votre commune de son souille impur. Vous
jugerez facilement que nous voulons parler du nommé Antoine
Paquet, ci-devant bouclier de chair humaine, qui tenait son étau
à la place de la Justice d’Orange. Extraordinairement qu’un scélé
rat qui doit suer le sang par tous les pores respire encore, nous
venons de découvrir un mandai d'arrêt contre lui, que vous trou
verez ci-inclus, ainsi que la dénonciation qui nous a été faite et
qui ne contient qu’une e-quisse des actions les plus barbares et
les plus atroces qui aient jamais pu être commises par un mortel.
Nous nous flattons que vous voudrez bien prendre à son égard les
mesures qu’il est bien étonnant qu’on n’ait pas adoptées plutôt en
vers cet anthropophage. Salut et fraternité.
[Pièces officielles.)
65
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N ote
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17 thermidor
Biliotti, Joseph Joachim, ci-devant noble et marquis, de Piolenc, 68 ans; Florens, Pierre Gabriel, de Piolenc, clerc tonsuré,
21 ans; Ducamp, Joseph Marie, de Piolenc, moulinier de soie,
29 ans ; Granier, Jean Baptiste, de Piolenc, propriélaire, 36 ans ;
Liolard, Jean Joseph, né à Brignac (Hérault), domicilié à Piolenc,
31 ans;
(Pièces officielles de la commission populaire d’Orange).
Égalité. Liberté.
A Marseille, le 21 messidor, an second de la république fran
çaise une et indivisible.
Maignet, représentant du peuple français, envoyé dans les dé
partements des Bonches-du-Rhône et de Vaucluse pour organiser
le gouvernement révolutionnaire.
Aux citoyens juges et accusateur public formant la commission
populaire établie à Orange.
J’applaudis, citoyens, j ’applaudis de bien bon cœur à votre ju
gement rcudu contre, les quatre scélérats qui moyennant cinq mille
�—
livres voulaient ménager les ennemis de la république. Vous ve
nez de donner une grande leçons aux fripons qui pourraient être
tentés d'imiter cet exemple ; et cet exemple pour être salutaire,
mérite d’être connu. En conséquence, je vous demande que ce ju
gement, qui sans doute contient les motifs de cette condamnation,
soit imprimé en nombre suffisant d’exemplaires pour être affiché
dans toutes les communes des deux départements des Bourhes-duRhône et de Vaucluse. Je vous demande de plus et indépendam
ment (sic) des cent exemplaires in-4° comme de tous les autres,
trois cent (sic) exemplaires en placards de ce jugement pour que je
le fasse afxcher (sic) moi-même le plutôt possible dans la com
mune de Marseille. Nous ne devons rien épargner de tout ce qui
peut faire trembler les coquins et former l’esprit public.
J'ai reçu avec la correspondance exacte que vous entretenus avee
moi les cent exemplaires de chacun de vos jugements des 3, 4, 5
et 6 de ce mois, et j ’attends ceux des jours subséquents. Mais je
présume que vous n'aviez pas fait imprimer vos jugements anté
rieurs au 3 de manière à me fournir le nombre d’exemplaires, et
comme il est utile que j'aie quelques recueils complets de vos opé
rations, vous voudrês bien faire imprimer vos premiers jugements
pour me fournir de même cent exemplaires in-4° de chacun.
Salut et fraternité.
Signé : Maignet.
(Autographe ; cabinet de M. de Crozet.)
Note 66
11 thermidor an 2.
Nous président et secrétaire de la société de la bombance, re
quérons, au nom de la société, le citoyen Requicn de donner 4
bouteilles de bon vin blanc sec pour la réparation de tous nos ven
tres, sous peine de payer le double s’il occasidnne le moindre re
329
—
lard. A Avignon, séance permanente de‘la société du ventre. Le
12 thermidor an deuxième républicain.
Signé : B ergen, président, Jean R ochet™, secrétaire.
(Manuscrits Requien) .
N ote 67
Comment exerçait-il ces séductions ? Etait-ce par ses avantages
physiques ? Un auteur contemporain fait de lui le portrait suivant :
i Son visage livide porte l’empreinte d’un tempérament bilieux ;
son regard est sans expression ; ses manières sont brutales; sa
taille au-dessus dq la médiocre, est mal dessinée, sans justesse dans
les proportions, sans grAee dans les contours; sa démarche est
brusque et pesante ; enfin, dans son front, qui se plisse sans cesse,
dans ses mains, dans ses épaules il règne un mouvement convul
sif qui se communique à sa physionomie. Quant à son talent ora
toire, lesinflexions aigiies de sa voix frappent désagréablement l’o
reille, car il crie plutôt qu’il ne parle. Dans ses discours, longue
ment travaillés, s’il a une éloquence claire et souvent incisive, elle
est semée de sentences qui sentent plutôt le rhéteur que l’homme
de la tribune. »
Un autre écrivain en parle en ces termes : « Démarche brusque,
souvent les mains crispées par une espèce de contraction de nerfs ;
même mouvement dans les épaules et dans le cou ; teint bilieux ;
yeuxmornes et éteints'; clignement fréquent ; il porte presque tou
jours des conserves ; il sait adoucir sa voix, d’ordinaire aigre et
criarde, et donne de la grAce à son accent artésien. Il ne va jamais
à la promenade que suivi de cinq A six personnes qui épient ses
démarches, et marche dans les rues entouré de deux ou trois sbires
armés. Tous les soirs on lui porte la liste des* accusés qu’on doit
juger le lendemain : il marque d’un A pour absoudre, et d’un G
pour guillotiner. »
Ajoutons h ces portraits un coup de crayon de l’un de ses bio-
�—
330
—
graphes, qui dil qu'il était petit de taille, d’une ligure mesquine,
fortement marquée de la petite vérole, avec un clignement conti
nuel et pénible dans les yeux, qui lui avait fait adopter l’usage des
lunettes de couleur. Quand il parlait il faisait entendre une voix
criarde, toujours sur le diapason de la violence. On peut juger du
degré de ressemblance par runiformité des récits.
Et cependant il exerçait un incontestable ascendant sur tout ce
qui renlourait.il est vrai qu’il avait fait d’excellentes études à Louisle-Grand, et avait obtenu des succès dans 'différents concours, ce
qui l’avait fait nommer président de l’Académie d'Arras. On avait
remarqué son mémoire contre la peine de mort, ainsi que sa plaidoi
rie dans un procès contre les échevins de St-Omer, où il lit un
éloge pompeux du malheureux Roi, qu’il devait plus tard envoyer
à l’échafaud. Quant aux sympathies féminines, on peut les com
prendre quand on se rappelle que le chef de la Montagne n’avait
pas toujours été aussi terrible qu’au moment où il arriva à la tête
de la révolution, et que même au milieu de ses travaux, il trouvait
le tems de sacrifier aux grAces, comme le prouve sa liaison avec
Eléonore Duplay, la fille de son hôte. Il avait même avec le beau
sexe une sorte de coquetterie, où l’on reconnaît la duplicité de son
caractère, en faisant emprisonner des femmes pour avoir ensuite
le mérite de les rendre à la liberté, mais ne se livrant ù cet acte de
clémence qu’autant que sa sûreté personnelle et sa réputation de
civisme et d’incorruptibilité ne pouvaieut en souffrir.
Il
avait le sentiment des arts et le goiît de la bonne littérature.
Malgré ses ambitieuses préoccupations, on le voyait souvent dans
sa loge de la Comédie française, où, dès qu’il paraissait, il se fai
sait autour de lui un silence de mort, chaque spectateur évitant
d’attirer son attention, tant était grande la terreur qu’il inspirait.
On remarquait, à côté de ses instincts sanguinaires, des habitu
des d’une bonne nature. Esquiros, dans les Montagnards, nous le
montre, aux champs Elvsés, jouant, pendant la promenade, aveo
son chien Brount, quil affectionnait. Comment expliquer ces con
trastes ? Par les bizarreries du cœur humain, comme on peut le
faire à l’égard de quelques hommes chargés de crimes, qui ont fi-
—
331
garé dans cette fatale époque. En effet, Marat versait des larmes
à la lecture de Paul et Virginie, ce hideux pamphlétaire qui, en
demandant 300 mille têtes, se plaisait à caresser des tourlourelles,
dont il prenait soin lui-même ; Chaumette avait une volière ;
Panis s’occupait à élever des faisans dorés; Fournier, du tribunal
révolutionnaire, s’amusait avec un écureuil apprivoisé ; Couthon,
tenait sur ses genoux un petit épagneul aux longues soies, dans
lesquelles il passait délicatement les doigts, pendant que de l’autre
main il signait des arrêts de mort ! Enfin, Simon l’affreux geô
lier de l’infortuné Dauphin, dans une lettre que nous transcrivons
textuellement de la Démagogie de Paris par Dauban, laisse voir
quelques éclairs de tendresse :
« Je te coilte bien le bonjour mois et mon pousse, jean Brasse
las cher est pousse est peliste bon amis la pelisle fils cent au blier
la cher sœur que jan Brasse, je tan prie de ne pas manquer à mas
de mande pour te voir ces las presse pour mois.
Simon ton amis pour la vis. »
Mais ce que Robespierre semblait préférer à tout, c’étaient les
fleurs et la verte campagne. Georges Duval.dans ses Souvenirs de la
Révolution, rapporte une anecdote qui fit snr lui une vive impres
sion, quand dans une promenade au bois et aux jardins de Meudon avec St-Just, il l’avait vu fixer sur lui son regard froid et in
vestigateur par-dessus ses lunettes vertes, comme Alfred.de Vigny
le représente dans Stello, simple coup d'œil qui lui semblait de
mauvais augure. Mais il dut se rassurer lorsqu’il l’avait entendu,
un instant après, à la vue de ce splendide paysage,'s’écrier comme
le poète de Mantoue :
Rura mihi et riguiplaceant in vallibus amnes.,..
Fortunatus et illc Üeos qui novit agrestes.
Il faisait plus qus citer, il composait lui-même des chansons, qui
n’élaient pas des meilleures, dit un de ses biographes, mais qu’il
chantait d’une voix louchante dans les réunions de la société ba
chique d’Arras, dont il faisait partie avec Carnot, alors en garni
son dans cette ville comme officier de génie. Parmi ses produc
tions, on cite à tort la jolie romance : Te bien aimer, 6 ma chèt'c.
�332
—
Zèlie! qui est d’Osselin,conventionnel régicide comme lui,car chez
ces poètes-législateurs l’onde pure de l’Hippocrène devait se chan
ger plus tard en ruisseaux de sang. On peut en dire autant de Fa
bre d’Eglantine, à qui l’on doit la naïve pastorale, digne de Mme
Deshoulières : U pleut, il pleut bergère! Si la poésie adoucit les
mœurs, on doit convenir que Pégase parfois se permet de singu
liers écarts !
Note 68
30 fructidor an 2, etc.
Nous membres du comité révolutionnaire du district d’Avignon,
ayant appris que le citoyen Antoine Paquier (sic), vengeur du
peuple, était dans cette ville, nous l’avons requis par un billet de
venir nous dire pourquoi et par quel ordre. En conséquence, le
citoyen étant comparu, nous a dit qu’il était venu depuis trois
jours, c’est-à-dire, le jour du 27 fructidor ; que c’était par ordre du
directoire du district et de la municipalité d’Orange pour conduire
la guillotine au département de Vaucluse.
A lui demandé qu’il nous exhibe les ordres dont il nous parle
qui lui ont été donnés.
A répondu qu’il avait un passeport, qu’il nous a exhibé, de la
commune d’Orange, daté du 27 et signé Moutet, officier munici
pal, Jacques Jourdan, Pollier Duplessy, officiers municipaux et
Benel, secrétaire greffier.
Et ensuite est écrit, vu et renouvelé à la maison commune d’O
range le 27 fructidor l’an deuxième, bon pour aller à Avignon avec
son épouse et son aide.
N ote 69
Extrait d’une déposition faite devant le tribunal d’Avignon.
« Le 18 frimaire an 3 (8 décembre 1794) est comparu Antoine
Paquet, exécuteur des jugements criminels de ce département, na
tif de la commune de Lyon, âgé d’environ 30 ans, lequel a déclaré
moyennant serment, que sur les différentes réquisitions qui lui ont
été faites par Viol, accusateur public de la ci-devant commission
dite populaire, ci-devant établie à Orange, il a mis à mort 318
personnes de sexes divers dans le séjour que cette commission à
fait à Orange ; que pendant ce temps il a vu et su que Viot, accu
sateur public, et Napier, officier ministériel, attachés à cette com
mission, se portaient dans les maisons d’arrêt ou de détention,
avant que le déclarant fut se saisir des condamnés à mort ; et
qu’ils les fouillaient dans toutes leurs poches et goussets et dans
les malles, et enlevaient tous leurs effets, bijoux, montres, bagues,
boucles d’oreilles, chaînes en or au col des femmes ; de manière
que lorsque le déclarant s’emparait des personnes condamnées,
leur dépouille ne consistait qu’à la chemise, culotte, bas et habits,
s’ils étaient mauvais. Déclare encore que les dits Viot et Napier
apportaient les bijoux aux juges de la commission, et qu’ils fai
saient le partage entr’eux. »
(Prudhomme, erreurs et crimes de la révolution).
N ote 7 0
Signé : Jacques J ourdan, officier municipal.
(Pièces officielles.)
Maignet fut attaqué pour la première fois devant la Convention,
le 2 août 1794 (15 thermidor, an 2). Rovère le dénonça ; mais le
motif qui le faisait agir n’était ignoré de personne. Aussi la ven
geance qu’il poursuivait fut-elle mollement secondée. La dénon-
�—
534
—
—
dation fut renvoyée au Comité de salut public. Le lendemain, à
la séance des jacobins, Dubois de Crancé invita la société à sur
veiller Yinestimable Maignet, l’ami et le complice de Coulhon.
B
ach et
335
—
N ote 72
et Roux.
18 thermidor.
N ote 71
Proclamation du représentant du peuple aux citoyens des dépar
tements des Bouches-du-Rhône, de Vaucluse et de l’Ardèche.
Un grand complot était formé contre la patrie. La vigilance des
Comités de salut public et de sûreté générale vient de le décou
vrir, et la Convention nationale de l’abattre.
C’est dans ces moments d’orage où les bons citoyens doivent se
réunir auprès de la Convention, se serrer auprès des deux Comités
qui en sont les sentinelles.
Habitants de ces départements, que ces mouvements ne vous
allarment point. Voyez la boussole que vous vous êtes choisie ;
elle est placée sur celle montagne que rien ne saurait ébranler ni
détruire. Les vagues viennent se briser auprès d’elle, et elle frappe
de la massue nationale tous les montres qui voudraient renverser
l’arbre de la liberté qui y est planté.
Ralliez-vous donc, citoyens, plus fortement que jamais autour
d’elle ; qu'elle soit dans tous les temps votre refuge. Soyez calmes,
ne voyons tous que la patrie, et elle sera sauvée.
Fait à Marseille, le 17 thermidor an deuxième de la République
française une et indivisible.
Signé : M aignet.
(Collection des arrêtés de Maignet.)
Un membre donne connaissance, dans la séance de 8 heures du
matin, que la commission vient d’être suspendue.
Le Comité vote l’adresse suivante à la Convention, le 21 ther
midor :
Représentants du peuple, grâces vous soient rendues, sauveurs de
la patrie ! Le despotisme est anéanti ! Ils périront ces hommes
ambitieux, ces hommes à réputation usurpée, qui plâtrés des
vertus républicaines, ont tous les vices de la tyrannie. Nous vouons
à la reconnaissance nationale les intrépides représentants, qui par
leur courage et leur énergie ont sauvé la patrie. Nous vouons à l’exé
cration de la postérité ces infâmes conspirateurs qui ont si long
temps trompé- le peuple, et qui ont osé déployer l’étendard de la
rébellion. Respect et réunion à l’Assemblée nationale, haine éter
nelle aux ennemis de la patrie !
(Manuscrits communiqués.)
N ote 73
Copie de la lettre écrite le 24 thermidor an deuxième, par le
citoyen Fauvely, président de la Commission provisoirement sus
pendue, au représentant Maignet.
Représentant du peuple, à l’instant où la Commission reçut
l’arrêté du Comité de salut public qui suspendait tous ses pouvoirs,
son président se hâta d'assembler le Conseil qui délibéra la cessa
tion de ses fonctions, et les régislres furent clôturés. On aurait ren
voyé de suite tous les secrétaires, commis, ainsique les garçons
de bureau ; mais on ignorait, comme on le fait encore, si la sus-
�—
536
—
pension serait de longue durée, ou si enfin la Commission serait
définitivement supprimée. Comme il serait possible que le ternie
de cette incertitude ne fut pas bien prochain, je vkms te prier de
de vouloir bien régler ma conduite à cet égard. Faut-il renvoyer
ou garder notre monde? oui, ou non. Dans le cas où je retien
drais tout, faudrait-il s’adresser à toi pour faire ordonner les
mandats, pour leur traitement ? C’est ce que je te prie de décider.
Tu trouveras ci-joint le compte du citoyen Geoffroy, se portant
à la somme de 990 liv. 1 s. pour fournitures et constructions faites
depuis que la Commission existe. Ce pauvie sans-culotte ne fut
pas à teins de faire régler le dit compte avant la suspension, et il
se trouve dans l’impuissance de payer une infinité d’ouvriers qu’il
a employés. Il vient m’emprunter aujourd’hui une petite somme
pour payer les plus pressés. Je ne saurais trop l’inviter à lui
ordonnancer le dit compte et de me le renvoyer. Il est fidèle, et
tous le ouvrages y sont mentionnés.
J’avais été passer, n’ayant rien à faire ici, deux ou trois jours à
Bédarrides chez un de mes pays. J ’y vis arriver hier, sur les 10
heures du soir, Viol, accusateur public, qui a été mis en arresta
tion par Meaulle, représentant du peuple dans le département de
la Drôme. J'ignore absolument les motifs de celte arrestation ;
s’il est coupable, tant pis pour lui. Je l’avoue que c’est avec peine
que je vois quelques intrigants chercher à faire dévier l’opinion
publique. Mais, au reste, je pense bien que la vertu du peuple
sera toujours plus forte. On a cherché à m’inspirer des craintes;
on n’a pas pu y parvenir. Un homme comme moi ne peut craindre
qu’autanl que le crime triompherait. Je te fais mon compliment
bien sincère sur la dénonciation portée contre toi. Le grand repré
sentant Rovère, que je déteste de tout mon cœur, s’il voit les
lettres que la Commission a écrites au Comité de salut public sur
son compte, n’en sera pas contenl ; mais il faut qu’il se mette
bien dans la tête que les républicains disent tout ce qui les choque.
Si je pouvais devenir victime de ma franchise, j ’en serais fâché,
mais je n’aurais pas la bassesse de m’en repentir
Tu trouveras ici les comptes de dépense de quelques-uns de mes
—
337
—
collègues, que je t’inviterai pareillement à ordonnancer. Ils ne
sont pas riches, mes collègues. Ce ne sont pas les hommes purs
qui amassent en révolution. Je suis le plus riche d’enlr’eux. Mon
cher père pourrait te dire comment cela se fait. Cependant mon
portefeuille ne lire que mille livres. Mais avec l’honneur, il y en
a encore assez de cette somme pour la partager avec un ami,
Prends, s’il le plait, sur tes occupations, un instant pour remplir
le but de ma lettre. Un mot de réponse surtout sur les premières
questions.
Au nom des membres de la Commission provisoirement sus
pendue,
Signé : F auvety.
P. S. —Je te préviens que nous avons encore exigé de l’imprimeur
qu'il continue d’imprimer les jugements qui étaient en arrière. Colla
tionné conforme, Sourrelle, commis greffier.
(Papiers trouvés chez Robespierre, édit, 1828J
Note 74
Traitement des membres du tribunal criminel extraordinaire,
d’après un décret du 7 mai 1793 an deux, dressé le 9 mai :
Accusateur public..............................
Huissiers, chacun...............................................
Gages des garçons de bureaux...........................
Traitement du greffier et du commis greffier .
Commis greffiers expéditionnaires...................
Gages du concierge.............................................
3,600 liv.
1,200
900
3,000
1,500
1,500
Tribunaux criminels militaires, d’après un décret du 11 mai
1193 an deux :
Accusateur public..............................................
Chaque officier de police auxarmées...............
6,000 liv.
2,000
22
�—
358
339
—
Indemnité de logement.....................................
Accusateur, frais de bureaux...........................
400
600
Traitement de l’exécuteur des hautes œuvres :
Le bourreau de Paris........................................ 10,000 liv.
Celui des villes de 100,000 à 300,000 âmes . . 6,000
Celui de 50,000 ................................................. 2,400
Note 75
Orange 29 thermidor.
Frères et amis, applaudissant aux principes que renferme votre
adresse du 21 thermidor, nous devons relever des erreurs défait
qu’elle paraît vouloir consacrer. Nous y lisons : « que les listes
de proscriptions avaient été dressées, que les patriotes allaient
tous périr à Nîmes ou à Orange; que le glaive de la loi était de
venu le poignard des assassins. » Notre position nous met hors
d’état de prononcer sur ce qui s’est passé à Nîmes, cl d’apprécier
conséquemment le silence que vous avez gardé jusqu'à ce jour;
mais nous nous devons à nous-mêmes, nous devons à la républi
que entière de rendre compte des opérations de la commission po
pulaire établie à Orange. La publicité des séances, le concours
tonjours constant des citoyens de cette commune, de toutes les
communes environnantes, ou plutôt des deux départements des
Bouches-du-Rhône et de Vaucluse et d’autres départements que
l’intérêt public ou des intérêts privés y attiraient ; la prolongation
des débats, tout réunissait à rendre le peuple lui-même le pre
mier juge. Partageant la conviction du tribunal, son jugement a
toujours précédé celui de la commission. El comment la commis
sion aurait-elle pu prévariquer? les patriotes les plus purs de ces
contrées, (les comités de surveillances) lui avaient signalé les cou
pables. Les scélérats qui ont péri étaient d’avance dévoués au sup
plice par l’opinion publique : s’il avait pu exister des doutes sur
sur quelque uns d’entre eux, ils auraient disparu lors des débats.
Les uns ont eux-mêmes avoué leurs crimes et reconnu la justice
du châtiment ; les autres les ont aggravés en conspirant sur les
bancs, en présence du peuple, en y exprimant leur attachement
pour Capet et pour le despote ultramontain. Sonl-ce là des pa
triotes? Les patriotes devaient cependant 'périr, dites-vous, sur
des échafauds dressés à Nîmes et à Orange. Pourriez-vous penser
qu’Orauge, depuis cinq ans le foyer du plus ardent civisme, la
pépinière des apôtres de la révolution, qui ont électrisé le cidevant Comtal et ont aidé à y planter l’arbre sacré de la liberté,
ont laissé périr un seul patriote; que les habitants eussent vu coulerfroidemenl le sang de leurs frères; que pactisant avec le crime,
ils n'eussent pas dénoncé les assassins à toute la république ? Ah !
frères et amis! nous aimons à le croire pour vous estimer encore.
Non, celte calomnie ne part pas de vos cœurs ; nous ne devons
l’attribuer qu’à une nouvelle manœuvre que les ennemis de la ré
publique ont ourdie pour se saisir du mouvement révolutionnaire
quia terrassé les nouveaux conspirateurs. Mais qu’ils ne l’espèrent
pas, tous les contre-révolutionnaires périront. L’aristocratie n’a
d’autre partage que la mort ou la déportation. Avec la masse du
peuple français nous délesterons toujours la tyrannie, nous en
poursuivrons les agents, nous nous presserons autour de la con
vention, notre unique guide ; fidèles à la liberté, l’égalité, nous
serons toujours prêts à mourir s’il le faut, pour la défense et la
prospérité de la république.
Salut et fraternité.
A lliez, vice-président, B orel fils, B eau , secrétaire.
{Registresdu comité de surveillance d’Orange).
�N ote 77
N ote 76
Au nom du peuple français.
Le représentant du peuple envoyé dans les départements des
Bouches-du-Rhône, de Vaucluse et de l’Ardèche.
Considérant que la suspension de la Commission populaire
séante à Orange ne dépouille point de leurs qualités les citoyens
qui la composaient ; qu’elle les oblige, au contraire, à se tenir il
leur poste pour y attendre la décision de la Convention nationale ;
qu’elle n’a l'ait que suspendre de l’exercice de leurs fonlions judi
ciaires, mais qu elle laisse au président la qualité suffisante pour
pouvoir arrêter, comme par le passé, les différents comptes des
ouvriers par elle employés, et ordonnancer les étals de traitement
dûs à tous les citoyens appelés au tribunal ;
Arrête que le citoyen Fauvety continuera, comme par le passé,
à ordonnancer les dits états, et que le receveur du district payera
sur son visa comme cela se pratiquait auparavant.
Fait à Marseille, le 30 thermidor l’an deux de la République fran
çaise une et indivisible.
Le représentant du peuple,
Signé : M aignet.
Certifié conforme à l’original par nous président de la Commis
sion populaire provisoirement suspendue.
Orange, 10 de (elïacé) fructidor l’an deuxième de la République une
et indivisible.
Par le président,
Signé : B enet, greffier.
(Collection Requien.)
Par une pétition du 25 nivôse, an III, les citoyens d'Avignon
accusaient Maignet :
1* D’avoir amené la disette en enlevant h la moisson les bras de
quatre mille cultivateurs, incarcérés la veille de la révolte.
2° D’avoir empêché le transport des fourrages à l’armée d’Italie
et d’en avoir fait brûler plus de douze mille quintaux en réquisi
tion dans les greniers de Rédoin.
3e L’arrêté barbare et arbitraire des visites domiciliaires.
La création de la Commission populaire d'Orange.
5* D’avoir fait, emprisonner les salpélriers et de faire diminuer
la fabrication du salpêtre que la Convention recommandait, or
donnait sans cesse d’augmenter.
6a D’avoir protégé les fripons et d’avoir confié l’autorité à des
hommes du sang, qui d’avance faisaient creuser les fosses où
devaient être précipités les cadavres, et la chaux qui devait les
consumer.
7* D’avoir préparé dans les derniers tems de son proconsulat,
l’arrestation de dix mille victimes dans l’Ardèche ; car ù une
députation de ce département qui lui demandait du bled, il avait
répondu : en avez-vous pour une décade ? En pressurant ceux qui
peuvent en avoir, répondent les députés, peut-être y en aurait-il
pour deux décades. Eh bien ! réplique le monstre, retournez dans
vos foyers : dans moins de deux décades il y aura dix mille têtes
de moins dans votre département, et vous ne serez plus embar
rassés pour les subsistances. Voulait-il imiter les noyades de
Nantes ou les mitraillades de Lyon? car la guillotine était trop
lente pour de telles exécutions.
8» D’avoir livré aux flammes la commune de Bédoin. D’avoir
voulu en faire autant de celle de Bonnieux, parce que c’était la
patrie de Rovère, son ennemi personnel.
�—
9° D’avoir fait exécuter une jeune fille qui venait lui demander
la grâce de son père détenu à Bédoin, ainsi qu'on le voit dans
une pièce imprimée intitulée : Justice contre Maignet, où l’on
l’on trouve ce passage : « Mais non content d’être l’instituteur de
ces boucheries, Maignet sentait le besoin de se charger d’un
meurtre direct. Rappelle-toi, monstre, celle, fille que la piété filiale
amena devant toi pour sauver les jours de son père.- Comment
l’as-lu reçue? qu’en as-tu fait? ciel, c’est par son exécution qu’au
nom du peuple français tu as récompensé sa vertu ? »
10° Den’êtrepas étranger ù l'acte plus inconsidéré que sacrilège
qui motiva la destruction de Bédoin, puisque la vengeance fut si
rapide, qu’on a dû croire que les mesures avaient été prises d’a
vance, surtout par la précipitation qu’on avait mise à envelopper
deux individus coupables dans la proscription de soixante inno
cents.
Cet acte n’est pas d’un aristocrate, mais d’un républicain qui
avait vu la chute de la Bastille, qui fut nommé par la commune
un des quatre députés pour accompagner l’armée parisienne à
Versailles, etc.
343
-
mission d’Orange, s’est évadé ce matin, à trois heures de l'au
berge de la Blachère, près Joyeuse, et que toutes les municipa
lités du canton sont requises de mettre sur le champ les gardes
nationales en activité pour faire des patrouilles à l’efTet de faire
la recherche du dit Fauvety dont on a donné le signalement, et s’il
peut être découvert, de l’arrêter et de le mener sous bonne es
corte à Joyeuse, chef-lieu du district.
Le procureur de la commune entendu, la municipalité arrête
que le citoyen Jean Chalvet, capitaine de la garde nationale, est
requis de mettre de suite une garde de trente hommes les plus vi
goureux sous les armes et de faire des patrouilles par tous les en
droits où pourrait être découvert Fauvety, ex-président de la dite
commission d’Orange, cl s’il pouvait être arrêté, l’amener à la
maison commune pour être traduit devant qui de droit, et de suite
l’ordre a été remis au dit Chalvet, capitaine, avec le signalement
dudit Fauvety, avec la réquisition expresse, et ont les membres
de la municipalité présents signé.
Chalvet, officier m. ; CounBrER, officier m. ; C halvet,
officier m. ; C halvet, procureur ; N ouet, secrétaire.
(Archives de la commune de St-Alban-Sous-Sampzon).
Note 78
N ote 79
Du vingt-huit prairial, troisième année de la république une et
indivisible, la municipalité d’Alban-sous-Sampzon étant assemblée
extraordinairement à l’endroit où ils ont coutume de tenir leurs
séances, le citoyen Jauzion Graverolle, président, présents les ci
toyens Georges fils, Thomas Courbier, Chalvel Jondet, Chalvet
Magnaud, officiers municipaux, Chalvet fils, procureur de la com
mune et Antoine Nouet, secrétaire.
S’est présenté le citoyen Maigron fils venant de Joyeuse et nous
a rapporté l'extrait du procès-verbal du directoire du district,
séance extraordinaire du vingt-huit prairial, troisième année,dont
l’arrêté porte que Fauvety, ex-président de la soi-disant dite cora-
L’agent national du district du Tanargue, aux municipalités de
Chandolas, Beaulieu et St-André de Cruzières.
L’antropophage Fauvety traduit par décret de la convention
avec ses dignes collègues au tribunal criminel du département de
Vaucluse, pour y être jugés et subir la peine due à leurs innom
brables forfaits, Fauvety s’est évadé de la commune de Lablachère,
il n’a pas pu être découvert malgré les perquisitions qui ont été
faites de sa personne ; je vous requiers, citoyens, au nom de la
loi, de faire monter de suite, et surtout pendant la nuit, sur un
�—
344
—
grand nombre de chemins, une garde de six hommes qui se fera
représenter le passeport des passants, arrêtera ceux qui lui paraî
tront suspects et notamment le dit Fauvety, dont le signalement
nous a été donné et que je renouvelle dans la présente. (Suit le
signalement comme uu N° 62).
(Archives de Privas.)
Note 80
Du dit même,
Aux municipalités des cantons de Joyeuse, les Vans, Largcnlière, Vallon et Banne.
Je vous transmets, citoyens, extrait de l'arrêté du directoire de
cejourd’hui et vous requiers, d’après ses dispositions, de faire faire
de suite dans toute l’étendue de votre territoire la recherche du scé
lérat Fauvely, président de la soi-disant commission d’Orange, dont
suit le signalement. (Suit le signalement).
(Archives de Privas).
Note 81
District du Tanargue.
Séance publique extraordinaire du vingt-huit prairial, troisième
année de la république française, une et indivisible, à six heures
du matin, présents Gasque, vice-président, Plane, Dcsarcis, viceprocureur syndic, et Baissac, secrétaire.
Il est fait lecture du procès-verbal de la dernière séance.
Les citoyens Cartier et Plagnol, officiers municipaux, de la
commune de Joyeuse, se présentent et donnent lecture d'une let
tre adressée aujourd’hui à sa municipalité par Pousard (ou Ponsard) lieutenant des grenadiers gendarmes de la convention, chargé
—
345
—
de la conduite à Avignon des membres de la commission dite
d’Orange, portant que les nommés Viot, accusateur public, etFau*
vety, président de la dite commission, se sont évadés ce matin à
trois heures de l’auberge de Lablachère, près Joyeuse.
Le vice procureur syndic entendu.
Le directoire arrête que les municipalités des cantons de Joyeuse,
Les Vans, Largenlière, Banne et Vallon sont requises de mettre
sur le champ les gardes nationales de leurs communes respectives
en activité pour faire des patrouilles sur leur territoire k l’effet de
faire rechercher les dits Viot et Fauvety, les arrêter s’ils sont dé
couverts et les traduire sous bonne escorte à Joyeuse, chef-lieu du
district.
Arrête qu’il sera donné avis de l’évasion des dits prisonniers
aux districts de Coiron, de Sl-Esprit, d’Uzès, d’Alais, Villefort,
et Langogne, avec invitation de prendre des précautions pour les
découvrir et faire arrêter -, auquel effet leur signalement contenu
dans la même lettre sera envoyé aux districts, ainsi qu’aux muni
cipalités des cantons ci-dessus.
A l’instant deux gendarmes entrent et remettent aux citoyens
Plagnol et Cartier, officiers municipaux, un nouvel avis du dit
Ponsard portant que ledit Viot vient d’être découvert et arrêté.
Sur la proposition d’un de ses membres, le directoire, ouï le
vice-procureur syndic, arrête que le citoyen Plane, autre de ses
membres, se rendra sur le champ en la commune de Lablachère
pour y prendre connaissance des moyens que les nommés Viot,
accusateur public, et Fauvety, président de la commission dite
d’Orange, lesquels étaient conduits k Avignon avec plusieurs au
tres, ont pris pour s’évader la nuit dernière de l’auberge où ils
étaient gardés ; informer de la conduite des gendarmes chargés de
la traduction de ces prisonniers et dresser procès verbal de ses
opérations.
Le vice-président lève la séance.
Gasque, vice-président, P eane, D esarcis, B aissac, signés.
(Archives de Privas),
�-
Note 82
Du neuf therminor an irois de la République une et indivisible,
la municipalité de St-Alban-sous-Sampzon, étant assemblée au
lieu où ils ont accoutumé de tenir leurs séances : président, le
citoyen Jauzion Graverolles ; Chalvet Jondet, Jean Georges fils,
Thomas Courbicr. Julien Taulelle, Chalvet Magnaud, officiers
municipaux ; Chalvet fils, procureur de la commune, et Nouet,
secrétaire.
S’est présenté le citoyen Louis Boulle, volontaire de la première
réquisition dans le quatrième bataillon de l’Ardèche, et a mis sur
le bureau un extrait du procès-verbal des séances du directoire du
district du Tanargue, du deux thermidor, et après en avoir fait
lecture, a été enregistré comme suit, après avoir entendu le pro
cureur de la commune :
Extrait du procès verbal des séances du directoire du district du
Tanargue, séance publique du deux thermidor, l’an trois de la
République française une et indivisible, présents : Gasque, viceprésident : Desarcis, Plane, Bastide, procureur syndic, et Baissac,
secrétaire.
Vu le certificat du citoyen Audibert, officier de santé, du 13
messidor dernier, et celui du citoyen Bérard, ex-officier de santé
du quatrième bataillon de l’Ardèche, de cejourd’hui, le tout visé
par la municipalité de Joyeuse le même jour, portant que le
citoyen Louis Boulle, delà commune de St-Alban, volontaire dans
le dit quatrième bataillon, est atteint d’une affection asthmatique
provenant d’une pleurésie qu’il vient d’essuyer depuis quelques
jours et qu'il a besoin d’aller prendre les eaux thermales de
St-Laurent ;
Le procureur syndic entendu ;
Le directoire arrête qu’il est permis audit Boulle de se trans
porter à Sl-Laurent-les-Bains pour y faire usage des eaux ther
347
males, et lui accorde «à cet effet un délai de trois décades, à l'é*chéance duquel il sera tenu de retourner au poste où la patrie
l'appelle pour sa défense ; charge la municipalé du dit St-Albansous-Sampzon, sous sa responsabilité, de surveiller l’exécution du
présent.
Pour extrait conforme :
Signés : le Vice-Président et le Secrétaire,
et avons signé :
J auzion, officier m. ; C halvet, officier m. ;
J ulien, officier m. ; C ourbier, officier
m. ; G eorges, officier m.; C halvet, offi
cier m. ; C halvet, procureur; N ouet,
secrétaire.
(Archives de la mairie de St-Alban-sous-Sampzon )
Note 83
Ronc-d'Aven (rocher-eau),non loin du village de Chandalas (champ
du double meurtre), mots qui annoncent une origine celtique
incontestable, surtout quand on voit un beau dolmen en ruine au
sommet de la colline et un second monument du même genre sur
une éminence voisine. Au flanc de celle immense roche se trouve
une caverne, habitée, sans nul doute, parles druides pendant l’ère
gauloise, et qui rappelle un bandit connu par le peuple sous le
Dom de Fély, la terreur des environs, lequel s’y réfugiait vers la
fin de la guerre des camisards. La force armée, ù cette époque de
troubles, mal organisée dans ces contrées, était impuissante à le
prendre. Un événement mit un terme aux brigandages du nou
veau Cacus, qui menaçait de devenir légendaire. Un des aïeux de
l’auteur de ce récit, suivi de quelques ouvriers qu’il occupait ù la
plantation d’une vigne, va bravement l’attaquer, monte le premier
dans son repaire, se rend maître de lui malgré la plus vive résis-
�—
Liberté, Égalité, ou la mort.
'W f/
1
Mémoire justificatif pour François Barjavel, ex-accusateur public
près le tribunal criminel du département de Vaucluse, aux repré
sentants du peuple composant le Comité de sûreté générale.
Arrêté le 12 fructidor en vertu d’un ordre du représentant du
peuple Goupilleau de Monlaigu, je suis traduit devant vous en
exécution du même ordre.
Dans toutes les crises de la révolution, j'ai été en but (sic) aux
persécutions de mes ennemis. Ils in’onl appelé successivement
brigand, maratiste, hébertiste, et me nomment aujourd’hui conti
nuateur de Robespierre.
Né à Carpentras, dans un pays qui faisait partie du domaine du
prêtre à triple couronne, je n'avais rien avant la révolution ; une
femme sans fortune et deux enfants sont aujourd’hui toutes mes ri
chesses. En 1789 j’ai écrit contre les abus de la cour d’Italie, j’en
ai sollicité le redressement. En 1790 j ’ai contribué puissamment
à faire expulser de chez nous l’envoyé du tyran mitré. Ces faits
peuvent être certifiés par le représentant Martinel ; j ’ai conspiré
avec lui à asseoir la liberté dans nos contrées. En 1791, et au
commencement de 1792 j’ai été proscrit, insulté, honni, menacé,
frappé par les suppôts du papisme, pour avoir manifesté comme
électeur, le vœu de la réunion du ci-devant Comtat Vénaissin à la
France. En 1793, dans le mois de mai, j ’ai été précipité de la tri
bune de la société populaire par les partisans du fédéralisme, les
officiers du bataillon d’Aix alors en garnison il Carpentras, pour
avoir parlé contre les sections de Marseille, pour m’être récrié sur
le crime commis par les officiers qui, ce jour-là, avaient déchiré
349
—
et foulé dans la boue une proclamation anti-fédéraliste des représenlantants Moïse Bayle et Boisset, alors en mission dans ce dé
partement. Les républicains de Carpentras, et notamment les ci
toyens Flandrin, receveur du district, et Maon, officier munici
pal, peuvent certifier la vérité de mon assertion, je ne dus, à cette
époque, la conservation de mes jours qu’à la célérité de ma fuite et
au soin que j’eus de rue cacher.
J’ai contribué à fonder, à installer, à épurer ensuite la plupart
des sections populaires du district de Carpentras ; les républicains
des communes de Cécile la Montagne, de Caromb, de Pernes, de
Monteux, etc., peuvent le certifier.
J’ai toujours obtenu la confiance du peuple. Dans toutes les
assemblées primaires j ’ai toujours été nommé président ou secré
taire, j’ai été élu et confirmé électeur à quatre différentes époques ;
j’ai été successivement secrétaire du district, commissaire natio
nal et accusateur public. J ’ai servi la république dans toutes ses
phases, j’en appelle à mes concitoyens, non à ces royalistes qui
n’ont pris le masque du patriotisme que pour s’enrichir et tyran
niser leurs semblables, mais aux amis des principes, aux républi
cains de nos contrées. J ’habite Avignon depuis le 4 décembre
1193 (vieux style). Mes fonctions d’accusateur public près le tribu
nal criminel du département de Vaucluse, ont nécessité mon do
micile dans cette commune. Les maux qui l’affligeaient ne tardè
rent pas à m’être dévoilés. J ’appris qu’une société de voleurs y
achetait exclusivement tous les biens nationaux, et vivait au caba
ret du prix de cet agiotage ; j ’appris que plusieurs administra
teurs du district et le procureur général syndic Duprat aîné parta
geaient ces dilapidations, en trafiquaient et vendaient leur com
plaisance en achetant ou faisant acheter pour leur compte à moi
tiéprix et même au-dessous, des biens nationaux d’une valeur
très conséquente (sic). J ’appris que cette société avait donné nais
sance à d’autres qui s’étaient formées dans les autres communes
du district, et que ces dernières avaient acheté de la société pri
mitive le pouvoir de faire des oll'res sans qu’elles fussent surdites
par des sociétaires avignonais. J ’appris que les est imateurs des
�—
Meus nationaux étaient choisis par le district parmi les sociétaires,
et que la république avait déjà perdu plusieurs millions pour
cette (sic) monopole. (Les preuves de tous ces crimes ont été ac
quises au représentant du peuple Maignet, et je les ai dénoncés
dans le mois de pluviôse aux comités de salut public et de sûreté
générale).
Un tel état de choses excita mon indignation ; je voulus prévevenir les maux incalculables qui en étaient la suite inévitable. Je
fus, avec le président du tribunal criminel, communiquer mes in
certitudes aux représentants Rovère et Poullier, alors à Avignon,
et leur demandai de faire cesser ce brigandage. Rovère me répon
dit que le mal était trop grand pour qu'il pussent eux-mêmes y
apporter le remède efficace, et que son collègue Poultier, de re
tour à Paris, dénoncerait ces vols à la convention, et s’engageait à
prendre les moyens de les faire cesser.
Le représentant Poultier fit, il est vrai, ce que son collègue
avait promis ; mais dans ce même temps-là Rovère acheta, par
par l'intermédiaire des secrétaires, et étant présent lui-même à la
délivrance, un effet national au terroir de Sorgues, pour le prix de
90 mille livres. Cet effet, traversé par les eaux de la Sorgue, est
susceptible, moyennant de légères dépenses, d’améliorations con
sidérables ; on peut y établirdes moulins et des manufactures.
Quelques jours après, le citoyen Moureau, dont l’intégrité et le
patriotisme sont généralement connus, fut arrêté en vertu d’un
ordre du représentant Poultier, de retour alors à la convention,
dans le département de Vaucluse. Je ne vis dans cette arrestation
qu’une vengeance de Rovère. Moureau, dans le Courrier d’Avi
gnon, dont il était le rédacteur, avait parlé de la protection accor
dée par ce représentant aux ci-devant nobles, aux contre-révolu
tionnaires qu’il avait fait élargir.
A cette même époque il existait à Avignon un comité départe
mental de surveillance créé par Rovère. Rochelin nommé maire
par ce représentant en était, en même tems, le président. Ce
comité laissait les ci-devant nobles, les parents d’émigrés tran
quilles chez eux, les faisant mettre en liberté lorsqu’ils étaient
351
—
arrêtés par les comités de surveillance établis dans les communes,
(l’agent national du district de Carpentras pourrait le certifier), et
se bornait à faire renfermer quelques artisans.
Dans le lieu des séances de la société populaire je pris ouverte
ment la défense des patriotes persécutés; j ’invoquai avec les autres
bons citoyens l’exécution littérale d e là loi du 17 septembre; je
tonnai contre les dilapidations de la fortune publique. L’énergie
que j’ai déployée m’a valu de la part de ceux qui s’obstinaient à
persécuter les patriotes et à protéger les suspects, et de la part des
voleurs, la qualification d’agitateur qu’ils renouvellent aujourd'hui
contre moi.
Le 13 ventôse on voulut, dans la société, excuser le représentant
Rovère; je rappelai les principes, j ’invoquais l’ordre du jour
sur les flagorneries. Le lendemain, les patriotes Laroche, Robinaux, Guincbe, Moulet furent, d’après les ordres arbitraires de
Jourdaa, chef d’escadron de la gendarmerie, arrêtés dans le sein
même de la société populaire par vingt gendarmes. Ces mêmes
hommes vinrent pour m arrêter ; je n’évitai celte persécution, je
ne me suis soustrait à cette tyrannie que par la fuite. Les scellés
furent apposés sur nos papiers d’après les ordres de la municipalité
d’Avignon, et celle même municipalité dont Dupral était le me
neur, reçut contre moi des dépositions pour constater ce que j ’a
vais dit la veille dans la société populaire. Notre arrestation avait
été arrêtée dans une tabagie, chez Jourdan, par ce dernier, Du
pral l’aîné, Rochelin, le prêtre Trie, président du district, et les
lieutenants de la gendarmerie nationale Tiran et Chaussy, qui fu
rent chargés de l’exécution.
Lanouvelle de celte arrestation parvint au représentant Rovère
quelques jours après les supplices des Hébert et des Ronsin. Ce
représentant me dépeignit alors à la convention nationale comme
un de leurs complices. Celte calomnie fut relevée par la société
populaire d’Avignon, qui fit connaître les faits dans une adresse
à la représentation nationale, (je joins ici les pièces qui constatent
la vérité de ce que j’avance). Cependant le représentant Maignet
lit mettre en liberté les patriotes persécutés, et s’informa alors de
�—
352
—
353
—
—
notre conduite : il pourra vous instruire du résultat de ses recher
ches contre moi.
La véritable situation d’Avignon, les maux qui affligeaient celte
commune furent connus à ce représentant. Il a fait arrêter les
trésoriers de la société dilapidalrice des biens nationaux, les ad
ministrateurs qui avaient toléré et partagé ces brigandages ; il a
fait arrêter à Orange des hommes qui faisaient de la révolution un
objet de spéculation pécuniaire, se faisaient redouter de tous, pour
vendre ensuite fort cher leur protection aux ennemis de la répu
blique. Les comités de surveillance, épurés parce représentant,
ont, de leur côté, fait mettre en état d’arrestation les royalistes, les
fédéralistes, les assassins des patriotes et ceux qui étaient dans
de la loi du 17 septembre ; à cette même époque Jourdan, Tiran
de l’Isle et Duprat l’aîné ont été arrêtés d’après les mandats du
comité de sûreté générale. Les aristocrates, les fédéralistes ont
été jugés, la plupart par la commission populaire établie à
Orange. Condamné par le tribunal révolutionnaire, Jourdan a
péri sous le glaive de la loi. Tous les autres, après la révolution
des 9 et 10 thermidor, se sont dits patriotes; ils ont appelé conti
nuateurs de Robespierre les sans-culottes qui veulent sincèrement
le triomphe de la liberté et des principes ; ils ont crié à la calom
nie, ont obtenu leur élargissement et ont provoqué du représen
tant Goupilleau l'ordre en vertu duquel j'ai été traduit du midi au
nord de la république pour comparaître devant vous. Ces hommes
qui sont familiers à tous les crimes, parlent de vertu, et il n'est
pas surprenant qu’un représentant nouvellement venu dans nos
contrées et qui n’a pas pu juger encore par leurs actions les en
nemis du peuple qui s’empressent de l’entourer, ait ajouté foi à
leurs délations calomnieuses.
J ’ignore celles qui me concernent ; la lecture de mon mandat
d’arrêt et de quelques pamphlets répandus dans le public pour em
poisonner l’opinion, a pu seule m’instruire des griefs que m’impu
tent les ennemis de la patrie.
Il est énoncé dans mon mandat que je suis prévenu d’avoir
agité la commune d’Avignon depuis six mois ; d’avoir dit dans la
société populaire qu'il fallait du sang cl du sang, et d’avoir voulu
réduire à dix les patriotes d’Avignon.
Toutes ces accusations sont vagues, invraisemblables ; je vais
les réfuter et y répondre par des faits.
Il était de mon devoir de fréquenter les sociétés populaires ; j ’ai
rarement manqué les séances de celles d’Avignon. Là j ai sans
cesse développé avec mes frères les sentiments patriotiques qui
animent les républicains : dénoncer les abus, rappeler aux autori
tés constituées l’exécution des lois qu’elles négligeaient, ranimer
le patriotisme des tièdes, rallenlir l'ardeur ultra-révolutionnaire de
quelque-uns, rappeler aux principes ceux qui s’en écartaient, telle
aété la tâche que j’y ai remplie avec les autres citoyens d’Avignon.
Est-ce là agiter la commune ? C’est inquiéter les ennemis du peu
ple, c’est déranger leurs spéculations et leurs complots ; et les
ennemis du peuple ne pardonnent jamais aux patriotes ce qu’ils
font pour le maintien de nos droits. Qu’on consulte les régislres
de la société, je neveux pas d’autres juges.
On me dépeint comme un homme sanguinaire; on m'accuse
d’avoir dit qu’il fallait du sang et du sang. Dans toutes mes ac
tions, j’ai constamment en vue le bonheur de l’humanité. J ’ai dit,
j'ai pensé qu’il fallait que le sang impur fut répandu par le glaive
delà loi pour que celui du peuple fut épargné. Ma haine contre
le méchant ne tire son origine que de l'humanité. J ’ai combattu le
système homicide de ces hommes qui se taisent sur la mort de
nos guerriers expirant à la Vendée et sur les frontières sous les
coups des royalistes, et qui gémissent sur le supplice des contrerévolutionnaires de l’intérieur. J ’ai parlé en public et en particu
lier contre la barbarie de ceux qui voulaient laisser dans la so
ciété les ennemis prononcés du régime républicain. Ce que j ’ai dit
je le pense et je le penserai jusqu’à ce que le peuple soit délivré
de tous ses ennemis, de tous ceux qui aspirent à lui donner des
fers.
Ami du peuple, je l'ai constamment été de l’individu. Les pri
sons d’Avignon étaient malsaines; le condamné à la réclusion y
était confondu avec le prévenu sur lequel la loi n ’avait pas pro-
23
�noncé encore ; des cachots créés par les italiens étaient ouverts
aux accusés de vol et à l'indigent : mes premières démarches en
ma qualité d’accusateur public, ont été pour réclamer la salubrité
des prisons. Qu’on consulte les lettres que j’ai écrites h cct effet
h l’administration du département, de Vaucluse ; les cachots ont
été murés d’a]près mes sollicitations.
Une femme Agée de 24 ans fut dernièrement condamnée pour
crime de vol à 12 années de réclusion dans la maison de force ;
elle se vil enceinte de trois mois. D’après son jugement elle de
vait rester exposée pendant deux heures aux regards du peuple. Je
requis que cette exposition n’eut lieu qu’après son accouchement,
et qu’il fut écrit au comité de législation pour que la peine qui
d’après la loi ne pouvait dater que du jour de l’exposition, datât
de celui du jugement, et que pour provoquer une loi h ce sujet, le
tribunal lit droit à ma réquisition. Serait-ce là les démarches d’un
sanguinaire ?
J’ai voulu, dit-on, réduire à dix les patriotes d'Avignon et de
Carpentras. Que, je serais insensé si je m’étais rendu coupable
d’un pareil crime ! Mais quelles démarches me préle-t-on pour
parvenir à cet attentat nationalicide ? je l’ignore, on n’en cite au
cun dans le mandat ; ce qui est vrai, ce qui peut être attesté par
tous les bons citoyens de ces deux communes que j’ai le plus longtems habitées depuis la révolution, c’est que j’y ai constamment
propagé l’instruction par mes écrits et par mes discours; c'est que
j’ai toujours prêché le pardon des égarés ; c’est que j’ai sans cesse
contribué de tout mon pouvoir à faire des sectateurs à la révolu
tion. Les ennemis du peuple étaient nombreux dans le départe
ment de Vaucluse ; j’ai gémi sur leur grand nombre, et pour pré
venir les maux de la patrie, j’ai coopéré avec les bons citoyens à
opposer le peuple à ses ennemis. A ces fins, j’ai combattu le sys
tème des flagorneries qui voulait déifier les hommes ; j’ai démas
qué les dominateurs, je me suis constamment opposé à leur sys
tème égaliticide. Plusieurs cultivateurs n’étaient pas encore reçus
dans la société populaire d’Avignon ; ils réclamaient, j’appuyai
leurs demandes, et sur ma proposition un comité de douze fut
nommé pour proposer à la société ceux qui demanderaient à y être
admis. Les patriotes s’étaient récemment désunis à Carpentras ;
l’aristocratie s’en réjouissait. J ’ai été le 10 fructidor dans cette
commune, et j’ai prêché efficacement la réunion parmi les sansculottes. Est-ce là vouloir réduire à dix les patriotes de Carpentras et d’Avignon ?
Dans un pamphlet signé Rochetin, Trie, Béridon, Galdebaze,
Blahié, Souchon, on avance que j’ai dirigé les opérations de la
commission populaire d’Orange, qu’on appelle sanguinaire, et les
signataires m’accusent d’avoir été un des auteu-rs de leur traduc
tion à Orange. Celle commission a été sévère envers les ennemis
dupeuple, indulgente pour les égarés, juste envers tous ; aucun
patriote n’a été victime de la haine du méchant ; le faux témoin
y a été jugé et puni. Le peuple d’Orange, spectateur des juge
ments, a applaudi à tous. La société populaire de cette commune
aattesté ce que j ’avance par une circulaire que j ’ai entendu lire
dans la société d’Avignon. J ’ai resté plusieurs décades auprès de
cette commission ; j ’y étais en exécution d’un arreté du représen
tant Maignet, du 18 prairial, qui me chargeait de porter et de re
mettre à l’accusateur public près cette commission Lous les pa
piers qui constataient les crimes des fédéralistes et des contre-ré
volutionnaires du département de Vaucluse, et de classer ces pa
piers sur chaque genre de délit, (je joins ici cet arrêté). Je me
suisoccupé de ce travail dans le grelle de la commission ; je ne
me suis jamais permis de parler aux juges sur tel ou tel prévenu.
La translation dans les prisons d’Orange des signataires du pam
phlet, ordonnée par l’accusateur public près la commission cl exé
cutée le 17 thermidor, est une suite des opérations de ce tribunal ;
les signataires étaient accusés et détenus ; ils devaient être jugés
et mis en liberté s’ils étaient trouvés innocents, comme ils affir
ment l’être.
Les mêmes hommes qui m’accusent aujourd’hui m’ont persécuté
après le supplice des Hébert et des Ronsin. Je m’honore de leur
haine; je leur répondrai en leur prouvant par mes actions que je
t n’ambitionne que le triomphe de la liberté, qui ne peut s’asseoir
�—
356
que par l’union des bons citoyens, par la destruction des méchants
et par le sacrifice de nos passions et de nos haines personnelles.
J ’ai souffert pour la cause du peuple, je suis satisfait.... Je réclame
mon élargissement pour continuer h le servir.
(Autographe, collection Requien.)
N ote 85
Mémoires de défense : Barjavel, Benet, Ragot, Collier-Julian,
écrit de la main de Barjavel.
J’étais chargé naguères, au nom du peuple français, de pour
suivre et d’accuser les ennemis de la république. Ami de ma pa
trie, je me suis déchaîné contre ceux qui voulaient l’asservir. Le
zèle que j’ai mis dans l’exercice de mes fonctions, mon inflexibi
lité envers tous ceux qui voulaient annihiler les efforts du peuple
pour conserver ses droits, étaient applaudis de tous: ils étaient des
vertus, ils sont aujourd’hui transformés en crimes.
Lorsqueje fus appelé aux fonctions d’accusateur public, le sang
des bons citoyens, victimes dans Avignon par les Marseillais qui
marchaient sur la convention nationale à la suite de la journée du
31 mai, le sang qui fumait encore, la trahison de Toulon, opérée
par la plupart de ces mêmes hommes qui avaient plongé le fer
assassin dans le cœur des patriotes avignonais, celle trahison in
fâme révoltait tous les esprits contre les aristocrates et les fédéra
listes. Dans ces circonstances, comme tous les bons citoyens, j’é
tais pénétré d’indignation contre les assassins de la république.
J ’en ai fait arrêter plusieurs dans ce département ; je les ai accusés,
et le tribunal criminel auprès duquel j’étais attaché, en a fait jus
tice. Dans l’espace de dix mois environ, 170 prévenus ont été ju
gés par le tribunal criminel de Vaucluse pour crime de contre-ré
volution. Parmi eux sont compris les prêtres réfractaires soumis
aux dispositions de la loi du 11 vendémiaire. 10 ont péri sous le
glaive de la loi ; les autres ont été rendus à la république ou à leur
357
famille. 21 envoyés à la convention nationale, ont ensuite été jugés
par la commission établie à Orange. Des défenseurs officieux ont
étédonnés à tous les accusés nonobstant que la loi du 19 mars ne
le prescrit pas cl que l'usage contraire pour le jugement des mê
mes crimes fut pratiqué .à celle même époque devant le tribunal
criminel du département des Bouches-du-Rhône. Les accusés ont
eu toute la latitude possible pour se défendre. L’homme équitable
n’accusera pas sans doute les jugements qui sont intervenus ; la
justice a présidé à tous.Cependant les parents,les amis des condam
nés s’élèvent aujourd’hui contre moi. Ils se lient à la cause de tous
les parents des victimes de la révolution, et la condamnation de
leur partie est par eux appelée assassinat juridique. Ils m’accusent
delà morlde leurs parents, tandis qu’elle n’est que l’ouvrage de la
loi dont j'ai requis l’application.
La loi du 11 frimaire est rendue par la convention nationale.
Le gouvernement,sous les motifs spécieux de salut public, est concentrédans les mains de quelques hommes. Dès cette époque les
lois les plus sévères émanaient de la convention ; les discours les
plus énergiques prononcés dans son sein, sont répandus en pro
fusion d’après ses ordres et dans les départements et dans les ar
mées. Les adresses, les lettres les plus violentes, toutes prêchant
la mort des ennemis de la patrie désignés sous les noms d’aristo
crates, de fédéralistes, sont partout envoyées à la convention natio
nale et honorablement accueillies. Toutes les têtes sont voleanisées
du feu révolutionnaire. Des représentants envoyés en mission,
lidèles à la voix de ceux qui les cboississenl, prêchent partout la
sévérité contre les opposants à la révolution. Les dénominations
de modérés sont inventées et prodiguées à ceux qui, ayant la sa
gesse en partage, ont eu l’inappréciable avantage de juger, sans
être entraînés, les mouvements révolutionnaires qui entraînent
tout et qui portent avec eux l’épouvante et la mort. Des distinc
tions s’opèrent souvent parmi les amis de la liberté.
Dans ces temps malheureux, Maignet est envoyé dans le dépar
tement de Vaucluse. Il prêche, suivant l’esprit du jour, la mort
des aristocrates et de tous ceux qui entravent la marche du gouver-
II
�—
358
—
nement. L’arbre de la liberté est arraché à Bedoin, commune
composée d'hommes qui n’ont rien oublié pour faire détester la
révolution par les excès les plus criminels. Cachés sous le voile du
patriotisme, d'autres hommes, mettant à profit ces excès, trompè
rent les ignorants et n’oublièrent rien pour leur prêcher le despo
tisme et la tranquillité de l’ancien régime transformés par eux en
bonheur. Les décrets de la convention étaient foulés dans la boue
h cette même commune. Tous ces attentats provoquent l’arrêté de
Maignet, qui charge le tribunal de se transporter à. Bedoin pour
en juger les auteurs, et ceux qui s’y sont montrés contre la conven
tion h l’époque du fédéralisme, et généralement tous ceux qui ont
amené par leur conduite les attentats contre-révolutionnaires qui
se sont commis dans celle commune. En exécution de ces arrêtés,
le tribunal se transporte à Bedoin le 20 prairial. 11 commence son
instruction, il entend quelques témoins et les accusés. Sur ces
entrefaites la convention, par son décret du 19 prairial, défend
aux représentants en mission, d’investir les tribunaux criminels
du pouvoir de juger révolulionnairement. Ce décret ne lui parvient
que par les papiers publics. C'est assez pour les juges; ils se
réjouissent de cette loi et s’empressent à faire savoir au représen
tant Maignet qu’ils ont suspendu leurs fonctions. Mais quelques
jours après, la convention nationale approuve par un décret les
arrêtés de Maignet, et le tribunal est forcé de ressaisir le glaive de
la loi. La nouvelle de ce décret, envoyée, par un courrier extraor
dinaire, nous parvint le 24 prairial par l’intermédiaire de ce repré
sentant. D’après les décrets de Maignet, qui étaient convertis en
loi, d'après les lettres plus pressantes encore qu’il écrivait au tri
bunal, il lui était prescrit de ne pas s’arrêter aux formes dans
l’instruction de cette atl'aire, et de suivre la loi de leur conscience
et leur conviction pour prononcer contre les prévenus.
Le 9 prairial, le tribunal, après avoir transmis l’instruction qui
devailameuer la conviction des juges qui le composaient, pronon
çait le jugement qui envoyait à la mort 63 contre-révolutionnaires ;
déclarait hors de la loi 10 habitants de cette commune, pour s’être
soustrait aux poursuites de la justice ; en condamnait 12 à la fé*
359
clnsion et en acquittait 52. Ce jugement fut exécuté le même jour.
La conduite de Maignet, celle du tribunal furent alors approu
vées par un grand nombre de Sociétés voisines : (ces deux lignes
bâtonnées dans l’original.)
Le représentant en mission dans ces malheureuses contrées,
sollicite auprès du Comité de salut public, l’établissement d’une
commission populaire. Il fait valoir le nombre des prévenus et les
dépenses qu’entraîneront leur transfèrement à Paris. Il est écouté.
Des juges sont envoyés à Orange pour juger les contre-révolution
naires des départements des Bouches-du-Rhône et de Vaucluse.
L’instruction qui leur est donnée, est calquée sur la loi du 22
prairial, qui n’était point encore rendue, mais qui était publiée
le 1er messidor, jour auquel cette commission commençait ses
jugements.
Un arrêté du représentant Maignet m’oblige à me tenir auprès
de l’accusateur public de cette commission, pour lui transmettre
les renseignements généralement quelconques que j ’ai acquis
contre les prévenus du département de Vaucluse, persuadé que la
mort des ennemis de la patrie est un bienfait, une nécessité pour
elle. J’obéis à cet arrêté qui est une loi : dix années de fer, la
mort même auraient été mon partage si j’eusse refusé.
Le 9 thermidor, le masque de popularité dont s’étaient couverts
les membres du gouvernement leur est arraché. Les lois cruelles
sont abrogées, les commissions révolutionnaires disséminées sur
la surface de la république sont suspendues. L’humanité, non
cette humanité que les tyrans nous avaient persuadé exister dans
l'effusion du sang de tous ceux qui étaient opposés d’opinion à
l’établissement de la république, mais la véritable humanité est
mise à l’ordre du jour. Grâces vous soient rendues, législateurs !
par cette journée mémorable, vous avez sauvé des milliers de vic
times que le fer eut moissonnées.
Cependant l’enthousiasme révolutionnaire s’apaise. L’etïusion
du sang des opposants de la révolution, excite la sensibilité et fait
des prosélytes h leur cause. Tous les hommes qui, dupes de leur
bonne foi, ont cru aux vertus de Robespierre, ouvrent les yeux ; ils
�360
—
aperçoivent l'abîme dans lequel ce tyran et ses complices allait
jeter la république. Les parents dçs victimes du gouvernement
(biffé le mot de la révolution) se réunissent, et ceux qui en avaient
été les agents, qui avaient fait exécuter les lois qui étaient son
ouvrage, sont jetés dans les fers. La convention prononce sur les
principaux coupables et les déporte.
Cependant dix mois de détention, lorsque la haine légitime des
parents des condamnés à la peine de mort est à son comble, je
suis traduit devant les juges, les mêmes parents réclament ma
mort. Tous ceux qui ont souffert sous le régime de Robespierre
sont déchaînés contre moi.
Je ne viens pas me défendre d’avoir fait exécuter les lois. Elles
sont toujours regardées comme la manifestation de la volonté géné
rale ; et si ces lois ont été nuisibles h la révolution, c’est la faute
de ceux qui ont influencé pour les faire rendre. Je les ai crues
salutaires à la patrie ; et si j’eusse pu penser qu’elles tendissent à
anéantir la révolution, j’aurais préféré la mort à les faire exécuter.
Telle est ma profession de foi.
On m’accuse d’avoir influencé la commission d'Orangc... (Il
faut avoir l’acte d’accusation et l’interrogatoire pour répondre sur
tous ces chefs).
Je n’ai jamais parlé aux juges sur aucun des accusés traduits
devant eux. J ’en appelle à leur témoignage. Lorsqu’après l'ins
truction des affaires ils voulaient prononcer, ils se renfermaient
préalablement dans un appartement attenant au lieu des séances,
où ils étaient toujours seuls. De là impossibilité qu’ils fussent
influencés par qui que ce soit.
Il faut terminer par un récit sommaire de nia vie privée, avant
et depuis la révolution.
J ’aurais une foule de témoins à faire citer, mais la plupart sont
en fuite ou détenus.
Erne, administrateur du disLrict d’Orange, est pour moi un
témoin essentiel. Je lui ai sauvé la vie ; il faut s’informer où il
est.
Il faut savoir si je puis, sausles compromettre, citer des témoins
—
361
—
de Carpentras : ils sont tous instruits de ce que j’ai fait pour les
patriotes persécutés.
Il faut citer les Barrière frères, de Bédarrides. Je me suis exposé
à la fureur de Jourdan, qui était tout puissant, pour faire opérer
leur mise en liberté par le tribunal.
Le principal de ma défense qui doit porter sur les délits qui sont
minutés, ne peut être fait que d’après les dépositions des témoins
entendus contre moi. Mon défenseur officieux doit prendre note
de tout ce qui pourra porter et qui sera dit par les témoins.
J’étais persécuté quand Maignet est venu dans ce département.
Une foule de pièces lui ont attesté ma conduite patriotique. La
perte de ce représentant me prive de ces pièces.
Si Raphel l’aîné veut rendre témoignage de ma conduite, il le
peut. Un cœur lui a toujours été ouvert.
Tous les faits énoncés contre moi dans l’acte d’accusation sont
faux. L’accusateur public énonce que j’étais le conseil des juges.
Non jamais je n’ai manifesté aux juges mon opinion sur les pré
venus qui ont été traduits devant eux. Je les interpelle sur ce fait :
non jamais je n’ai siégé à côté d’eux dans les jugements. J ’ai
assisté seulement à trois ou quatre, et je n’ai parlé aux juges que
lorsque j’ai été cité à témoin et que j ’ai eu à attester des faits
contre les accusés. Lorsque j’ai été oui en témoin, j'ai siégé sur
les bancs où les autres témoins étaient assis. J ’en appelle au témoi
gnage de ceux qui ont déposé dans les mêmes causes que moi, et
à celui des assistants.
On m’accuse d’avoir été le doit (sic) de Maignet. Non jamais je
n’ai été consulté par lui sur les arrêtés qu’il a rendus. Ceux-là
pourraient être le doit de Maignet, qui ont fait prendre l’arrêté
qui ordonna la réclusion du comité de surveillance de Carpentras.
arrêté que ce représentant révoqua d’après les réclamations de la
société populaire de celte commune, réclamations auxquelles je
joignis les miennes. J ’ai écrit à cette époque à ce représentant
qu’il avait commis une injustice.
L'incendie de Bedoin dont on m’accuse, n’est point mon ou
vrage ; c’est le résultat d’un arrêté de Maignet, approuvé par un
�—
décret de la convention, arrêté mis en exécution par l’agent na
tional du district. J ’avais quitté celle commune depuis cinq jours,
lorsqu'elle a été incendiée.
On m’accuse d’avoir englobé dans la punition des auteurs de
l’arrachement de l'arbre de la liberté de Bedoin, des citoyens qui
étaient en réclusion à Carpenlras et à Avignon depuis six mois.
Je réponds victorieusement il cette accusation parla lecture des
arrêtés de Maignet. Ces arrêtés portent que tous ceux qui ont com
mencé les mouvements contre-révolutionnaires qui se sont mani
festés dans celle commune, seronL aussi jugés par le tribunal ; et
qu’on ne s’étonne pas après Vaubone et les Thomas Belisy, mère
et fille, aient été jugées. Chez ces dernières furent trouvées des
cocardes blanches prêles à être arborées. Elles avaient fourni à
leur fils et frère, émigrés, armés contre la patrie, le moyen d’aller
chez les puissances ennemies, se joindre à la horde affreuse qui a
provoqué la guerre contre la France. Vaubone était considéré par
ceux-même qu'il avait égarés, comme un des chefs de l’aristocratie
dans la commune. Les lettres signées Capet trouvées chez lui dans
des caches, tous les signes de la féodalité soigneusement gardés
par lui, ses propos contre la convention et contre la république,
et plusieurs autres motifs puissants qui ont échappé à ma mé
moire. décédèrent les juges à prononcer contre lui la peine de
mort. Le jugement qui est intervenu est l’ouvrage du tribunal, et
pourquoi, accusateur public, suis-je seul arrêté et accusé sur ce
motif ?
On m’accuse d’avoir fait mettre hors de la loi un individu sous
prétexte qu’il s’était soustrait aux poursuites de la justice, tandis
qu’il était prouvé par un certificat que ce citoyen était au service
de la patrie. Les individus qui ont été déclarés hors de la loi pour
s’être soustrait aux poursuites de la justice étaient accusés, les uns
de l’arrachement de l’arbre de la liberté, les autres des crimes
commis dans celte commune avant cette époque, crimes sur les
quels le tribunal a prononcé dans le même jugement ; et sa rési
dence en France était d’autant moins prouvée, que sur dix, sept
au moins étaient sur la liste des émigrés dressée par l’adrainistra-
365
—
tion du district de Carpentras. La résidence en France des trois
autres n’était pas prouvée au tribunal, et les mandats lancés contre
eux étaient sous ses yeux.
Je suis accusé d’avoir dit dans la Société populaire d’Avignon,
qu’il fallait du sang et du sang et encore du sang pour consolider
la révolution, et qu'il ne fallait laisser que dix sans-culottes comme
Mouliu. J’ai parlé dans la société populaire d’Avignon, et en par
ticulier, de la nécessité de punir les ennemis de la liberté et de
l’égalité. Ce que j ’ai dit, on le répétait tous les jours dans la con
vention ; toutes les sociétés populaires en retentisssaient. J ’ai
émis en cela mon opinion politique qui était de partout mise en
pratique. Mais avoir dit qu’il ne fallait dans Avignon que dix pa
triotes comme Moulin, non je n’ai jamais manifesté une pareille
absurdité ; je ne l’ai jamais commise. J ’ai toujours désiré que
FunanimiLé de la France fut patriote, c’est-à-dire amie de la
liberté et de l’égalité dans les lois. Ce qui m’a engagé à me vouer
tout entier à la révolution, c’est l’unique espoir de voir la répu
blique former une seule famille de frères. Puisse-t-il se réaliser
bientôt cet espoir ! c’est tout ce que je veux.
J’ai eu, dit-on, des correspondances avec les Payan et le co
mité dictatorial de Robespierre. Je n’ai jamais écrit aux Payan, ni
à aucun représentant du peuple depuis que j ’exerce les fonctions
d’accusateur public. Des dilapidations sans nombre des biens
nationaux se commettaient dans le district. Chargé par la loi du
7 frimaire d’en poursuivre les auteurs, j'étais dans l’impuissance
de faire exécuter cette loi. Pour mettre ma responsabilité à cou
vert, j’ai fait connaître l’état des choses dans le département, aux
comités de salut public et de sûreté générale. La minute de la
lettre que j’ai écrite se trouve dans mes papiers. Je parle dans
cette lettre du représentant Rovère. J ’y dis ce qui est connu de
tous, qu’il a acheté à bas prix l’effet de Genlilly, à Sorgues.
(Mémoire autographe, collection Requicn.)
�—
364
-
N ote 86
Au nom de la République française ; vu par le tribunal criminel
du département de Vaucluse séant à Avignon, la loi du 6 prairial
an trois, portant : La convention nationale décrète que les indi
vidus composant la commission dite populaire établie à Orange,
département de Vaucluse, par arrêté de l’ancien comité de salut
public, seront traduits de suite au tribunal criminel du départe
ment de Vaucluse pour y être jugés, charge le comité de sûreté
générale de l’exécution du présent décret.
Visé par le représentant du peuple inspecteur aux procès-ver
baux. signé J. G. Manuel. Collationné à l'original par nous prési
dent et secrétaire de la convention nationale à Paris, le 6 prairial
de l'an troisième de la république française. Signé : Boissy, pré
sident; Peyre et St-Martin, secrétaires. Pour copie conforme, la
commission des administrations civiles, police et tribunaux, le
chargé provisoire, signé : Aumont.
Vu l’arrêté du comité de sûreté générale en date du 9 prairial
portant : Les nommés Pierre Michel François Fonrosa, Jean
Pierre Meillcrel, François Charles Gabriel Léonard Viol, Joseph
Marie Victor Collier. Claude Benet, François Barjavel, Gaspard
Ragot, le nommé Xappier, le nommé Fauvety, Nicolas Goubert,
tous membres de la commission d’Orange, et le nommé Teyssier,
membre de la commission de Bedoin, et prévenus d’avoir fait
incendier celte ville, seront sur le champ extraits des maisons où
ils sont détenus, pour être transférés au chef-lieu du département
de Vaucluse.
Vu l’acte d’accusation dressé par l’accusateur public près le tri
bunal criminel de Vaucluse, contre Viol, Fauvety, Roman-Fonrosa, Meilleret, Ragot, Fcrnex, Benet, Barjavel, Collier-Julian,
Nappier et Dubousquet, du 2 messidor an troisième, déposé au
greffe du tribunal, dont la teneur suit : Jean Charles Curnier,
accusateur public près le tribunal criminel du département de
Vaucluse, expose que depuis que les hommes sont réunis en société,
la justice n’avait pas eu h prononcer sur le sort de plus grands
coupables que Viol, Fauvety, Roinan-Fonrosa, Meilleret, Ragot,
Fernex, Benet, Barjavel, Collier-Jullian, Napier et Dubousquet,
ci-devant accusateur public, juges, greflier, officiers ministériels au
conseil de la commission populaire d’Orange, qu’il accuse aujour
d’hui, puisque c’est au nom de la loi, de tout ce qu’il y a de plus
sacré, de plus religieux sur la terre, que les prévenus ont fait
assassiner en violant toutes les lois, en joignant l’insulte à la rail
lerie, une foule innombrable de victimes, puisque c’est au nom de
la loi qui protège le malheur, qui compatit aux misères de l’hu
manité qui respecte la vieillesse, qu’ils ont outragé la nature et fait
égorger des malades qui n’avaient plus qu’un souille de vie, qui
ne pouvaient ouvrir la bouche pour se défendre, auxquels la fai
blesse refusait le secours de leurs jambes, et qu’il fallait porter
devant eux ; qu’ils ont outragé la nature et fait égorger des vieil
lards infirmes plus qu’octogénaires et dont* quelques-uns étaient
dans la démence depuis plusieurs années.
En effet, le tribunal criminel de Vaucluse avait renvoyé à la
convention plurieurs accusés de contre-révolution, tels que Ber
nard, Légier, Bourdy de Sorgues et autres, dont les faits qu’on
leur imputait n’avait pas été prévus par la convention et contre
lesquels la loi n’avait prononcé aucune peine. Viot, accusateur
public, les emmène devant le tribunal de sang qui les condamne
à mort sans que lu convention se fut expliquée à leur égard, par
conséquent les juges de la commission d’Orange ont entrepris sur
l’autorité de la convention, par conséquent ils ont assassiné les
individus en les condamnant à la mort dès que la loi ne leur iniligeail pas celle peine.
Les religieuses étaient soumises à prêter le serment, leur refus
les condamnait h la perte de leurs pensions et à être regardées et
traitées comme suspectes ; mais aucune loi ne prononçait contre
elles la peine de mort ; les juges de la commission d’Orange ont
condamné il la peine de mort une foule de religieuses insermen-
�506
tées ; el pour trouver prétexte à prononcer ces assassinats, ils oui
chargé leurs jugements de faits ridicules, absurdes, insignifiants,
tels que ceux-ci : qu’elles aimaient mieux l’ancien régime, qu’elles
parlaient religion et autres choses de cette nature, comme si les
propos que le tribunal d’Orange leur prêtait, eussent-ils été vrais,
pouvaient motiver le jugement à mort.
Ils ont condamné u mort beaucoup de prêtres insermentés,
quoique la loi n’eût prononcé contre eux que la peine de la dépor
tation.
Ils ont condamné à mort de prétendus secrétaires de sections,
malgré qu’aucune loi n'eut prononcé celte peine contre eux.
Ils ont condamné à la peine de mort Jean Michel Félix, manchonnier d’Avignon, sur l’accusation qu’il avait chanté une faran
dole avec les marseillais : A la guillotine Marat ! Ce fait était
faux, mais*eût-il été vrai, aucune loi n’avait prononcé la peine de
mort contre ceux qui chantaient: A la guillotine Marat!
Ils ont condamné à la peine de mort Borly fils, d’Avignon, et
fait exécuter Louis Agricol Borly père, pour les prétendus crimes
que l’on imputait dans le jugement à son fils, qui avait échappé à
la vigilance de leurs satellites el contre lequel il n’y avait aucune
preufe, puisque les témoins ne furent assignés el ne déposèrent
que contre le fils.
Ils ont condamné à mort Christophe Pical, pour avoir été dans
une patrouille dont il n’était pas le chef el avoir voulu assassiner
des patriotes, tandis qu’ils avaient sous leurs yeux la preuve qu’au
lieu de faire du mal, il avait lui-même préservé la femme du pré
tendu patriote dont on parlait ; la déclaration de celte femme était
au procès, ils l’avaient vue.
Ils ont condamné à mort le citoyen Rivoire, chapelier, comme
secrétaire de section ; il ne l’avait jamais été, el ils avaient mis
sur le dossier du malheureux la note suivante : Rivoire frères; on
ignore quel est le coupable. A un autre endroit ces mots : on dit
que c’est laine qui est coupable. Quand même un des frères Ri
voire aurait été secrétaire de section, ce qui n’était pas, sans savoir
quel était le coupable el sur un on dit, ils l’ont condamné tt mort,
—
367
—
malgré encore que la loi ne prononçât pas cette peine pour ce
délit.
Ils ont condamné à mort la citoyenne Galet, veuve Latour
Vidau, pour prétendus propos contre-révolutionnaires. Cette
femme était Agée de 84 ans, et il était généralement reconnu que
depuis plus de cinq ans, elle était dans une démence parfaite.
Aussi, demanda-t-elle à son malheureux fils qui l’accompagnait
au supplice, lorsqu’on lui fit monter les escaliers de l’échafaud, si
on allait la mettre en carosse. Aussi, tint-elle des propos si
contraires au sens commun, lorsqu’on l’attacha sur la planche
fatale, que tous les assistants, quoique accoutumés à voir répandre
le sang, versèrent des larmes sur cet assassinat horrible.
Viol, Fauvely, Roinan-Fonrosa, Ferncx, Ragot et Meilleret, ne
se sont pas contenté de commettre presque autant d’assassinats
qu’ils ont rendu de jugements, ils insultaient aux victimes, ils les
jugeaient sans vouloir leur permettre de faire entendre des témoins
à décharge, quoique la loi le leur permit ; ils leur enlevaient la
faculté de se justitier, ils refusaient de leur donner des défensftrs
officieux, et s’ils ouvraient la bouche pour repousser les calomnies
qu’on vomissait contre eux, s’ils avaient encore le courage d’élerer
la voix pour faire éclater leur innocence et en convaincre le pu
blic, puisqu’ils savaient qu’ils ne touchaient pas l’Ame de ces
tigres, lais-toi, scélérat, lui disaient-ils, tu n'as pas la parole.
Benet et Cotlier-Jullian, greffiers de ce tribunal infAme, et qui
rédigeaient ces jugements, les chargeait de mille absurdités, de
mille sottises ; croyant tromper plus facilement le public et faire
supposer leurs victimes coupables.
Ce sont eux qui ont laissé plus de deux cents jugements tout
préparés, el qui prononçaient la peine de mort contre des citoyens
qui n’avaient pas été entendus, qui n’avaient pas encore été mis
en jugement, tels que ceux de Catherine Marie el Thérèse Rouslan, contre des citoyens qui n’avaient pas encore été incarcérés.
Ce sont eux, enfin, qui étaient les instigateurs, les fauteurs et
complices de tous ces assassinats juridiques.
Barjavel était le conseil de la commission populaire d’Orange.
�-
-
368
—
—
Il assistait il tous les jugements, siégeait avec les juges, était à
côté d’eu\, leur dictait les arrêts de mort. Il servit de témoin en
presque toutes les occasions, surtout contre les habitants de Carpentras, et notamment contre la municipalité, qui fut toute guillo
tinée. Et après avoir servi de témoin, il allait s’asseoir ù côté des
juges, dont il dirigeait les intentions perverses.
Il a fait incendier Bedoin. Il était le bras droit de Maignet , il a
englobé dans la punition des auteurs de l’arrachement de l’arbre
de la liberté de cette commune, une infinité de citoyens qui étaient
en réclusion à Avignon ou à Carpenlras depuis plus de six mois,
qui par conséquent ne pouvaient être coupables de ce délit, tels
que Balbany Vaubone et les Thomas, mère et fille.
Il a fait mettre hors de la loi un citoyen de Bedoin, sous pré
texte qu’il s’était dérobé aux poursuites de la justice à raison de
ce délit, et il avait sous les yeux certains certificats qui prouvaient
que ce citoyen était au service depuis plus d’une année.
Il a dit en pleine société populaire qu’il fallait du sang, toujours
dtrsang et encore du sang pour consolider la révolution, et qu’il
ne fallait laisser dans Avignon que dix sans-culottes comme
Molin.
Il a manifesté les sentiments les plus atroces et n’a cessé de
prêcher le meurtre et le carnage, et de menacer les citoyens de les
faire guillotiner.
Nappier, officier ministériel, de service près le tribunal de sang
d’Orange, insultait aux malheureuses victimes, les maltraitait, et
de compagnie avec Viol, il entrait dans les prisons armé d’un
sabre, cl avant que les prévenus dussent être jugés et qu’ils
fussent conduits au tribunal, il les fouillait, leur enlevait leurs
bijoux, leur argent, leurs assignats, répétait ces larcins au moment
où l’on allait les conduire au supplice, et se partageaient ensuite
enlr’eux les dépouilles de ces infortunés.
Dubousquet fils, de service auprès du tribunal, assignait les
témoins qui devaient déposer contre les victimes, et lorsqu’il n’en
avait pas, il faisait tous ses efforts pour s’en procurer. Il disait
publiquement que ce que l'on voyait n’était rien, cl que plus de
369
—
quinze cents personnes d’Avignon passeraient encore à la guillo
tine. Enfin Viol, Fauvely. Fernex, Roinan-Fonrosa, Meilleret,
Benet, Coltier-Julliun et Barjavel, avaient une correspondance,
soit avec Payan, soit avec les membres du gouvernement dicta
torial de Robespierre, qui ne respirait que le sang et la soif d’en
répandre ; dans laquelle ils ont insulté les représentants Rovère
et Poultier, qu’ils ont accusés d’être des contre-révolutionnaires.
Ils faisaient des orgies scandaleuses dans leur maison, se gor
geaient de vin, de liqueurs, prononçaient à table les arrêts de
mort des personnes qu’ils allaient juger sans avoir entendu les
témoins, ni même quelquefois vu les prévenus, et se rendaient à
l’audience dans cet étal all’reux, pour confirmer publiquement les
assassinats qu’ils avaient résolus, et allaient ensuite avec leurs
femmes, se repaître de la vue des massacres qu’ils venaient d’or
donner.
11 résulte de tous ces faits, que les délits imputés aux accusés,
sont de ceux qui appellent parmi toutes les nations, même les
plus sauvages, la punition la plus exemplaire. Il en résulte que
ces accusés ont conspiré et attenté à la sûreté publique, puisque
les citoyens étant sous la sauvegarde de la loi, ils ont été assas
sinés par ceux qui devaient la faire respecter et observer, quoique
la loi ne prononçai aucune peine contr’eux. Il en résulte encore
que tous ces délits ont été commis par eux, méchamment à dessein
et avec préméditation.
Fait à Avignon, le deux messidor an troisième de la République
française, une et indivisible.
Signé : C urnier.
Vu l’interrogatoire
Vu l'interrogatoire
Vu l’interrogatoire
Vu l’interrogatoire
Vu l’interrogatoire
Vu 1interrogatoire
Vu l’interrogatoire
Vu l’interrogatoire
de
de
de
de
de
de
de
de
Viol, du 2 messidor an trois ;
Fonrosa, en date du 3 messidor an trois ;
Fauvely, du même jour ;
Meilleret, du même jour ;
Ragot, du même jour ;
Barjavel, du 4 messidor an trois ;
Claude Benet, du même jour;
Collier-Jullian, du même jour ;
24
�—
370
—
Vu l'interrogatoire dp Nappier, du même jour ;
Vu l'interrogatoire de Doit msquel, du 5 messidor an trois,
Vu l'interrogatoire de Jean Darduen, concierge do la maison do
réclusion des femmes, dite la maison Cliieze, à Orange, du 5
messidor an trois ;
Vu l'interrogatoire d’André Nicolas, concierge du cirque, à
Orange, du même jour ;
Vu l'interrogatoire de François Teyssère. d’Orange, concierge
en l’année dernière de la maison île réclusion des ci-devant Cor
deliers, h Orange, du (3 messidor an trois ;
Vu l'interrogatoire de Jeanne Marie Julie Sl-Laurent, épouse
du citoyen Nogenl, d’Orange, du mémo jour ;
Vu l inlerrogotoire de Joseph Bouche, concierge de la maison
d’arrêt du cirque, à Orange, du même, jour ;
Vu les inlerrogats et réponses des citoyennes Marie Laurent,
femme d’Antonin Polel. aubergiste; de Madeleine Félide, épouse
de Pierre Travaillon ; d’Anne
Françoise Pluinail ; Marie Elisabeth
%
Plumail ; Gabrielle Fabre; Laurence Arnoux ; Marie Thérèse
Bouveron : Louise Ecarbet, en date des 6 cl 7 messidor;
Vu le verbal d'écrou mis sur le registre de la maison de justice
des personnes de Viol, Bagol, Mcillercl, Roman-Fonrosa, Claude
Benel, Euslaehc Napier, Joseph-Marie-Viclor-François Collier,
Pierre Nicolas Gaubert, François Barjavel oh Joseph Tcixier, du
1er messidor ;
Vu le verbal d'écrou do la personne de Fauvely, du 2 messidor;
Vu le mandat d’arrêt de Claude Duhousquct, ofïicier ministériel
près la commission populaire, du P r messidor, et son verbal d’é
crou sur le registre de la maison de justice, du même jour;
Vu cinq cédules d’ass’gnalion à témoins, avec les exploits sur
chaque cédule, assignés tant à charge qu’à décharge, tant à Avi
gnon qu'à Courlhézon el à Orange,
Vu le verbal de signification des témoins assignés sus-nommés ;
Vu le verbal de signification de la liste des jurés spéciaux qui
doivent procéder au jugement des dix accusées, du 6 messidor,
signé Martin, officier ministériel ;
—
371
Va le verbal de signification de l’acte d’accusations au* dits
accusés, du même jour ;
Lecture faite en présence des témoins, des accusés cl du public,
du décret du 5 pluviôse, relatif aux faux témoins, en conformité de
l’art, iv du meme décret ;
Les témoins entendus, tant à charge qu’à décharge, les accusés
eux mêmes dans leur défense, aucun défenseur n’ayant voulu s’en
charger, après avoir été présent à l 'information et quoique mis en
réquisition par le tribunal, les débats étant fermés d’après la décla
ration des jurés, qu’ils étaient su iïi sa mm cul instruits;
Vu l’art. x\i de la loi du li septembre 1791 (vieux style), ainsi
conçu : le président posera les questions relatives à 1 intention
résultante de l’acte, d’accusniion, ou qu’il jugera résulter de la
défense de l’accusé ou des débats;
Vu l’art, iv de la loi du 12 prairial dernier ainsi conçu : néan
moins les accusés traduits par un décret du corps législatif pour
fait de conspiration, ou d'attentat à la sûreté publique, seront jugés
par le tribunal auquel ils ont été renvoyés, dans la forme déter
minée par la loi du 8 nivôse ; les jugements seront exécutés sans
recours au tribunal do cassation.
Considérant que les membres de la ci-devant commission dite
populaire, sc sont rendus coupables d’attentats contre la sûreté
publique, en condamnant à la peine de mort une foule de citoyens
sans avoir acquis aucune preuve légale qu’ils fussent coupables des
délits qu’on leur imputait, en jugeant pour ainsi dire en masse,
les accusés traduits devant eux, et semblant indiquer par là qu’il
suffisait de leur amener des accusés pour les luire traîner au sup
plice.
Qu’à peine ils permettaient aux prisonniers d’ouvrir la bouche,
que les débats se fermaient d’abord ; qu’aucun témoin à décharge
n’était reçu, et que les accusés avaient encore moins des défen
seurs officieux.
Que le système d’attentat à la sûreté publique résulte particu
lièrement des débats qui ont eu lieu entre les accusés el les
témoins; qu’il est résulté encore de ces mêmes débats qu’ils ont
�—
572
condamné à la peine de mort une personne dont la démence a été
constatée exister depuis plus de cinq ans, et qui était âgée alors
de 84 ans.
Qu’ils ont condamné des jeunes gens de 15 à IG ans.
Qu’ils ont condamné à mort Louis Agricol Borly, lils, ainsi
qu’il résulte de l’imprimé du jugement rendu le 1er messidor an
deux, lequel a été paraphé ne varietur par le président cejourd’hui et du régistre même des jugements o'u l’on trouve le mot
le fils ell’acé, et qu’ils ont fait exécuter Borly père, quoique suivant
les notes mises par eux sur le dossier, ainsi que sur la cédule, les
témoins eussent été assignés pour déposer contre le lils.
Qu’ils ont condamné à la peine de mort d'autres individus quoi
que aucune loi ne la prononçât à raison des prétendus délits qu’on
leur imputait.
Considérant enfin que d'après la loi du 16 septembre 1791 cidevant citée, le président est autorisé à poser les questions relati
ves à l’instruction qu’il jugera résulter de la défense des accusés
ou des débats.
En suite de la déclaration individuelle et unanime des juges
spéciaux portant :
1* Il est constant que dans le courant de l’année dernière il a
existé un complot d’asservir la France et d’attenter à la sûreté pu
blique.
2° Il est constant que ce complot a été formé par les membres
du comité du salut public (le la convention, alors composant ce
comité.
3° Que les auteurs de ce complot avaient des agents répandus
dans le département de Vaucluse.
4* Que les membres qui composaient la ci-devant commission
d’Orange étaient des agents des auteurs de ces complots.
5° Que les membres de celte commission ont concouru de tou
tes leurs forces à accomplir les vues des auteurs de ce complot.
6° Que le système des auteurs de ce complot devait s’établir par
la terreur.
7° Que les membres de cette dite commission nommés Fauvety,
Romnn-Fonrosa. Meilleret et Ragot, juges, Viol, accusateur pu
blic près la dite commission, Barjavel, accusateur public près le
tribunal criminel du département de Vaucluse, et nommé conseil
de Viol par arrêté de Maignet, ont concouru activement à secon
der les auteurs du complot.
8* Que les membres de celte commission ont eu une existence
illégale.
9' Que les jugements qu'ils ont rendus ont été l’effet et la suite
du système de terreur et d’attentat à la sûreté publique.
10° Que les accusés que l’on traduisait devant eux n’ont pas eu
la liberté de se défendre.
11° Que les juges ont refusé d’entendre les témoins à décharge.
12® Que les juges ont refusé de leur donner des défenseurs offi
cieux.
13° Que les juges ont attenté à l’autorité de la convention na
tionale en faisant traduire devant eux des individus qui avaient
été envoyés à la convention par le tribunal criminel du départe
ment de Vaucluse, pour être statué sur leur sort.
14° Que les jugements rendus, contre ces individus sont autant
d’assassinats.
15° Qu’ils ont prononcé arbitrairement la peine de mort contre
un grand nombre d’individus sans qu’il y eut aucune loi qui pro
nonçât celle peine contre le genre de délit qu’on leur imputait.
16° Que Barjavel a participé directement à tous ces jugements
en influençant les juges, et qu’il a été leur complice.
17° Qu’ils ont commis ces délits méchamment et h dessein pré
médité et dans l’intention de seconder les projets des auteurs du
complot contre la sûreté publique.
18° Qu’ils ont conspiré par là contre la sûreté publique.
19° Que Benet, greffier, a participé directement à ces délits et
s’est rendu complice des juges.
20® Que les détenus d’Orange ont été dépouillés avec barbarie de
leurs ctlels, bijoux et assignats par Viol et par Nappier, officier
ministériel près la dite commission.
21° Qu’il n’est pas constant que les bijoux, assignats, aient été
�—
374
déposés au greffe de la commission et ensuite rendus aux détenus
acquittés, ou remis h la caisse du receveur du district d’Orangc.
22° Qu’il est constant que Nappier s'est approprié partie de ccs
effets, bijoux, assignats, et qu’il les a par conséquent volés.
23° Qu’il n’est pas constant que Claude Duhousquet, officier mi
nistériel près la dite commission pour assigner les témoins hors de
la commune d’Orange ait participai tous ces délits.
Sur la réquisition de l’accusateur public, le tribunal a renvoyé
le jugement de Collier-Julian à huitaine.
Ouï l’accusalcur public sur l'application de la loi.
Le tribunal condamne François Charles Gabriel Léonard Viol,
âgé de 28 ans, originaire de Cbarlcvillc, accusateur public près la
dite commission populaire d’Orangc, sans profession depuis lors;
Jean Fauvcty, àg ' de 32 ans, originaire cl habitant d’Uzès. dépar
tement du Gard, fabricant de bas, ci-devant président de la com
mission ; Pierre Michel François Uoman-Fonrosa. âgé de ü3 ans,
originaire cl habitant de Die. d'parlement de la Drôme, ci-devant
hommedeloi ; Jean Pierre Meillerel, âgé de 33 ans. originaire cl
habitant de l’Éloilc, district de Valence, médecin, cl Gaspard Ra
got, menuisier, âgé de 42 ans, originaire et habitant de Lyon, tous
trois ci-devant juges de la dite commission ; Joseph François Barjavel, Agé de 31 ans, ci-devant lumine de loi, originaire cl habi
tant de Carpentras, ayant ensuite habité Avignon, où il exerçait
les fonctions d accusateur publie près le tribunal criminel du dé
partement de Vaucluse, nommé conseil de l'accusateur public
Viol par arrêté de Maigneldu 18 prairial an deuxième ; cl Claude
Benct, âgé de 31 ans, natif cl habitant d'ürangc, ci-devant homme
de loi cl greffier de la dite commission, à la peine de mort comme
atteints et convaincus d avoir clé les agents du système de terreur
qui régnait dans la république, dans le courant de I année der
nière • d’avoir attenté à la s.ïrelé publique ; d’avoir attenté à l’au
torité de la convention, en jugeant desin lividus renvoyés à la con
vention par le tribunal criminel du département de Vaucluse, pour
statuer sur leur sort avant que la convention se fut expliquée à leur
égard, cl le dit François Barjavel d’avoir participé directement à
—
375
—
tous ccs jugements en intluençanl les juges, et s’étant rendu ainsi
leur complice, cl le dit Claude Benot. greffier, atteint et convaincu
d’avoir participé directement à cos délits et de s'élre rendu com
plice des juges, en exécution de l ’art. XI de l a loi, Ire section,
titre II de la seconde partie du code pénal, dont il a été fait lec
ture et qui est ainsi conçu : Art. XI L'homicide commis avec pré
méditation s^ra qualilié d'assassinat et puni de mort : et en exécu
tion de l'art. 1er du titre III de la seconde partie du code pénal
des complices des crimes ainsi conçu ; Lorsque le crime aura été
commis, quiconque sera convaincu d’avoir par des dons, promes
ses, ordres ou menaces provoqué le coupable ou les coupables h le
commettre.
Ou d’avoir sciemment et dans le dessein du crime, procuré au
coupable ou aux coupables les moyens, armes ou instruments qui
ont servi à son exécution.
Ou d’avoir sciemment et dans le dessein du crime aidé et assisté
le coupable ou les coupables, soit dans les faits qui ont préparé ou
facilité son exécution, soit dans l’acte même qui l’a consommé,
sera puni de la même peine prononcée par la loi contre les au
teurs du dit crime, ordonne qu'ils seront conduits au lieu de l'exé
cution revêtus d une chemise long* en conformité des art. 111. IV,
clVdu litre lcr du code pénal ainsi conçu : Tout condamné aura
la tête tranchée. IV. Quiconque aura été condamné* à mort pour
crime d’assassinat, d’incendie ou de poison, sera conduit au lieu
de son exécution revêtu d’une chemise rouge. V. L’exécution des
condamnés à mort se fera dans la place publique de la ville où le
juri d’accusation aura été convoqué. Déclare acquis et confisqués
au prolit de la république les biens, meubles, immeubles des sus
nommés, en exécution de l’art. L.W1I1 de la loi du 8 nivôse ainsi
conçu: Toute condamnation à la peine de mort emportera la con
fiscation des biens du condamné
Ht attendu qu’il résulte de la déclaration des jurés que Nappier,
officier ministériel près la dite commission, s’est approprié partie
des effets, bijoux et assignats dont les détenus à Orange étaient
dépouillés avae barbarie, condamne le dit Eus tache Xappier,
�—
376
377
—
de 46 ans, nalif de Monlreuil-l’Argillé, département du Calvados,
habitant Paris depuis l’Age de 14 ans, huissier près les tribunaux
du département de Paris, h la peine de douze années de fers, en
exécution de l’art. XII de la section V, partie seconde, titre 1er du
code pénal ainsi conçu • Tout fonctionnaire ou officier public qui
sera convaincu d’avoir détourné ou soustrait des deniers, effets,
actes, pièces ou titres dont il était dépositaire à raison des fonc
tions publiques qu'il exerce et par l’effet d’une confiance néces
saire, sera puni de 12 années de fers.
Ordonne que le dit Nappier sera préalablement attaché à un
poteau placé sur un échafaud, où il demeurera exposé aux regards
du peuple pendant 6 heures, et qu’au dessus de sa tête un écriteau
où seront écrits en gros caractères ses noms, sa profession, son
domicile, la cause de sa condamnation et le jugement rendu con
tre lui en exécution de l’art. XXVIII du titre 1er des délits et
peines.
Et attendu qu’il résulte de la déclaration du jury qu’il n’est pas
constant que Claude Dubousquet, officier ministériel près ladite
commission, ait participé à tous ces délits.
Ouï l’accusateur public,le tribunal acquitte le dit ClaudeDubousquet de l’accusation portée contre lui, ordonne, en conséquence,
qu’il sera mis en liberté, s’il n’est pas détenu pour autre cause, et
son écrou barré.
Ordonne que le jugement sera exécuté dans les 24 heures, et
charge l’accusateur public de son exécution,
Ordonne que l’exemplaire imprimé du jugement rendu le 1er
messidor contre Louis Agricol Borty fils, paraphé [>ar le président
du tribunal, sera annexé à la minute du présent.
Faisant droit à la réquisition de l’accusateur public du tribunal,
ordonne que le jugement sera imprimé au nombre de deux mille
exemplaires, et envoyé à toutes les communes des départements
des Bouches-du-Rhône et de Vaucluse pour y être affiché, ainsi
que la lettre écrite au comité de salut public, le 3 messidor au
deux par les membres de la commission d’Orange dont lecture a
été faite à l’audience.
Fait et prononcé ù Avignon, h l’audience publique,le 7 messidor
l’an troisième de l’ère républicaine par Louis Alexis Raphel,
président; les citoyens Joseph Ignace Félix. Joseph Collet et Jo
seph Ignace Oluais, juges présents et opinants, qui ont signé avec
le commis-greffier.
L A. Raphel, président; Félix, Collet, Gluais, juges; Bourellv, commis-greffier.
Au nom delà république, il est ordonné h tous les officiers mi
nistériels de faire mettre le présent jugement à exécution, h l’ac
cusateur public près le tribunal d'y tenir la main, et à tous com
mandants et officiers de la force publique de donner main-forte
pour son exécution lorsqu’ils en seront légalement requis. En foi
de quoi le présent jugement a été signé par le président et par le
greffier.
L.A. R aphel, président; B ourelly, com m is greffier.
{Pièces officielles.)
N ote 87
Rapport du président du tribunal criminel du département de
Vaucluse sur le procès et le jugement des membres de la commis
sion dite populaire d’Orange.
Maximilien Robespierre affectait depuis plusieurs mois la puis
sance suprême. Sous quelque nom qu’il la possédât, il avait formé
le projet insensé de former en France une nouvelle dynastie. Sans
se rappeler le sort de ses pareils (pii avaient tenté d’asservir leur
patrie et de lui donner des fers, il ne voyait que la couronne dont
il voulait ceindre sa tête.
L’exemple des Gracehus, des Marius. des Catilina, des César,
des Cromwel ne l’effrayait pas.
Il lui fallait des agents qui pussent seconder utilement ses vues.
11 se connaissait en hommes, et il organisa le comité de salut
public dans le sens de la révolution qu’il voulait ••mener
�—
La vie des hommes notait rien pour lui, quand il s’agissait de
ses intérêts, et il avait résolu de fonder son trône sur des mon
ceaux de cadavres.
Dès lors ses agents se répandirent par ses ordres, dans les diffé
rents points de la république.
Au moment même où il avait fait paraître celle fameuse cons
titution, ouvrage de huit jours, et dont l'acceptation fut l'effet de
la terreur, il avait organisé un gouvernement révolutionnaire -, dès
lors, tous les agents du gouvernement furent à sa disposition.
C’est alors que l’on vit se former sous les plus noirs auspices ce
tribunal de sang qui s’établit à Paris pour juger les prétendus con
tre-révolutionnaires et ennemis de la patrie. C’est alors que tant
de victimes innocentes commencèrent à cimenter de leur sang le
trône, futur de ce tyran.
Ce n’élait pas assez pour lui de faire verser du sang à Paris ; il
lui fallut les noyades, les fusillades de Nantes ; il lui fallut les
échafauds d’Orange, de Marseille, de Nîmes; il lui fallut des Car
rier, des Joseph Lebon, des Borie et des Maignet.
Ce dernier fut envoyé dans les départements des Bouches-duRhône et de Vaucluse pour y organiser le gouvernement révolu
tionnaire, et dans le fait pour y mettre la terreur cl l'assassinat h
l’ordre du jour.
11 ne réussit que trop bien : on vit presque aussitôt remplir les
maisons de réclusion d’une foule de citoyens dont les délits étaient
pour le moins problématiques.
On ne faisait distinction ni de l'Age, ni du sexe : hommes, fem
mes, enfants, étaient amoncelés dans différentes maisons, où I on
ne les abreuvait que de liel et d’absinthe.
Cette opération faite, il fallait organiser un tribunal pour juger
les contre-révolutionnaires, tous les ennemis de la révolution.
Orange lut choisi pour être le siège de ce tribunal. Les sujets
qui devaient le composer furent désignés par Maignet au comité
de salut public, qui les nomma, en établissant, le -21 floréal. la
commission dite populaire.
Le 19 du même mois la convention avait, par une loi,aboli tous
379
—
les tribunaux, toutes les commissions révolutionnaires et ordonné
qu’il ne pourrait en être établi que par un décret exprès de la con
vention.
Mais le comité de salut public, accoutumé depuis longtemps à
faire la loi, ne s’arrêta pas aux dispositions de celle que nous
venons de rappeler.
La commission fut donc nommée cl ensuite installée le lô prai
rial suivant. Voici les noms des juges : Fauvety, juré au tribunal
révolutionnaire de Paris ; Roman-Fonrosa, président de l'admi
nistration du dislrieL de Die ; Fernex, juge dn tri' inal du district
de Lyon, qui avait joué un si grand rôle dans lac omission tem
poraire dont il était membre; Meillerel, du dépaiem ent de la
Drôme, et Ragot, menuisier de Lyon.
Le comité de salut public n’avait point nommé ■ accusateur pupublic. Maignet fut chargé d’y nommer un si ici qui put remplir
dignement les vues qu’on se proposait. El ce I
— Viol, déser
teur du régiment ci-devant Penlhièvre-draguns qo i jeta les yeux.
Il était hors d’état de remplir la fonction d’aet-nsaleur public.
Les opérations de la commission auraient néce-^ai ement langui
par l’effet de son inaptitude et son incapacité. Maignet para en
core à eel inconvénient: un arrêté du 18 pmi r: d nomma Barjavel,alors accusateur public près le tribunal c \ nincl du départe
ment de Vaucluse, conseil de Vaccusateur pub1 près la commis
sion.
D’après celle formation, il ne fut plus question que de mettre
le tribunal en activité.
Dès lors le> comités de surveillance organisés dans le sens delà
commission, eurent ordre de faire parvenir à l’accusateur publie
les renseignements et les dépositions qu’ils pouvaient avoir en
mains.
Un arrêté barbare de Maignet transformait tous les eiloyeqs eu
délateurs; chacun était obligé daller dénoncer ce qu il savait re
lativement au prétendu fédéralisme ; et d’autres, plus complai
sants, allaient souvent dire ce qui n’était pas.
Dix mille habitants du département de Vaucluse devaient être
�580
—
581
—
—
immolés par ordre de celle commission qui sc disait populaire.
Les listes de proscription étaient déjît faites, et l’on nommait d’a
vance les victimes.
Les instructions données par le comité de. salut public et par
Maignet, étaient précises ; tout ennemi de la patrie devait être
puni de mort, et les juges ne devaient mettre que leur conscience
entre eux et l'accusé.
Lisons les instructions de Maignet, celles du comité du salut
public, et nous y trouverons la preuve la plus complète du plan
bien combiné, bien réfléchi, de jeter la désolation dans une infi
nité de familles en faisant tomber toutes les têtes que la passion,
vengeance, ou tout autre sentiment pourraient vouloir frapper.
Le comité, dans ces instructions du “21 floréal leur dit ce* paro
les remarquables: « Sont ennemis de la révolution tous ceux qui
par quelques moyens que ce soit et de quelques dehors qu’ils se
soient couverts, ont cherché à contrarier la marche de la révolu
tion cl à empêcher raffermissement de la république.La peine due
à ce crime est la mort. »
A quelle marque les juges pouvaient-ils reconnaître qu’un ac
cusé avait cherché h contrarier la marche de la révolution? Nous
la trouvons dans la suite de l'instruction : « La preuve requise
pour la condamnation sont tous les renseignements de quelque na
ture qu’ils soient, qui peuvent convaincre un homme raisonnable
et ami de la liberté. »
« La règle des jugements est la conscience des juges éclairés
par l’amour de la justice et de la patrie. #
Ainsi le comité de salut public (de ce teins) dispensait, comme
s’il l’eut pu, de toutes les lois, de toutes les formes, et autorisait
lés juges ;t prononcer arbitrairement la peine de mort contre tous
les individus accusés, puisqu’il ne leur donnait pas d’autre règle
que leur conscience cl leur ordonnait d’admeltre au nombre des
preuves tous les les renseignements, de quelque nature qu’ils fus
sent, qui pourraient convaincre un homme raisonnable.
La mort pouvait couvrir d’un voile funèbre le département en-
lier de Vaucluse et les départements environnants, d'après une
instruction aussi barbare.
Desjuges vertueux amis de l’humanité et ennemis du crime au
raient rejeté avec horreur une instruction qui ne pouvait être bonne
que pour une bande de scélérats, d’assassins publics -, ils auraient
de suite abdiqué des fonctions dont on ne les chargeait que pour
commettre de grands crimes ; mais Robespierre et les triumvirs
se connaissaient en hommes; ils avaient su faire leur choix, et
aucun de ceux qui furent nommés, ne se refusa à seconder leurs
vues tyranniques.
Maignet aussi scélérat que ses collègues et dont la présence
souille encore la terre de la liberté ; Maignet avait renchéri, si
on peut le dire, sur 1 instruction du comité.
11 n'est pas possible de rappeler dans ce rapport toutes les hor
reurs insérées dans son discours lors de l’installation de la com
mission. En voici cependant un fragment : 1os devoirs sont im
menses, les moyens que l'on vous fournit sont sans bornes. Le
j contre-révolutionnaire a pris mille formes pour réussir, mais
c l'on vous débarasse de toutes celles qui pourraient entraver votre
marche. On vous donne toute facilité pour la suivre dans tous
ses détours.
Qu’on juge d’après cela quelle devait être, quelle pouvait être la
conduite de juges dont l’humeur sanguinaire était excitée par des
leçons de ce genre.
Suivons-les dans leurs opérations, et nous y trouverons qu’ils
n’ont été que trop fidèles à suivre ces instructions.
A peine la commission était-elle installée, qu’elle s’empressa de
remplir l’honorable et vertueuse mission qui lui était donnée.
Sensibles h la préférence que leur avait donnée le comité, h la
sollicitation du proconsul Maignet, les membres qui la compo
saient voulurent justiticr sa confiance.
Je ne parlerai pas de tous les jugements qu’ils ont rendus depuis
le premier messidor jusqu’au 17 thermidor inclusivement ; ils sont
tous également criminels.
Je rappellerai seulement les faits les plus importants, afin de
�—
382
—
—
mettre le public dans le cas d’apprécier ces monstres, que l’hor
reur et l’indignation publique vouent depuis longlems à l’exécra
tion des siècles h venir.
Les actes d’accusation étaient tous calqués sur le même modèle:
tantôt c'était un individu qui avait conspiré contre l'unité et l'indivilibité de la république, parce qu’il avait assisté sans armes à une
patrouille ; tantôt on trouvait la même conspiration dans un indi
vidu, qu’on accusait, sans le prouver, d’avoir chanté : A la guillo
tine Marat ! comme si Marat eut été la république.
Ici vous trouviez un jeune homme de 15 ans, que le tribunal du
département n’avait pas condamné, parce que la loi du llj septem
bre (vieux style), en parlant de l'influence de l’Age, le mettait à
l’abri de toute condamnation, quand même il aurait commis un
délit matériel, et qui cependant a été traduit A Orange, où les
juges de la commission ont trouvé le moyen de le trouver coupa
ble et l’ont cond nné à la peine de mort. (Agricol Gallet, Agé de
15 ans 2 mois.) (
Plusieurs ciloy ms d’Avignon et du département avaient été
renvoyés à la commission pour statuer sur leur sort : aucune loi
n’avait prononcé la peine pour le prétendu délit qu’on leur im
putait.
Ou ne les a isi.it p is d’avoir commis de nouveaux délits dans,
la maison de, .lice où ils étaient détenus : le tribunal du dépar
tement n’avai trouvé dans les lois aucune peine qu’il put leur
appliquer. Ce, rndanl les juges de la commission d’Orange les
condamnent à ia peine de mort, à raison de ces prétendus délits
non prévus pai la convention, et pour lesquels elle n’avait pro
noncé aucune peine. (Dans le nombre de ces infortunés sc trou
vent Cappeau 1’• ■vis et Bernard, d’Avignon; Légicr, deSorgues,
etc.)
Diront-ils ces hommes avides du sang humain, que d’après leurs
instructions, ils pouvaient condamner ceux que leur conscience
leur désignait comme coupables ?
(I) La jurisprudence do 17Ui disait en effet, dans un langage aussi cruel
que cynique, qu'on n’était mûr pour la guillotine qu'à seize ans.
383
—
Ah ! montres ! Aviez-vous donc cru que le comité de salut
public put disposer à son gré de la vie des Français ? Avez-vous
jamais pu vous persuader que des pouvoirs de celle nature vous
autorisaient à assassiner les citoyens? Eli quoi ! votre conscience
ne vous a-t-elle jamais parlé ? Est-elle toujours restée muette pen
dant que vous commettiez toutes ces horreurs ?
Mais les instructions du comité, celles de Maignel étaient-elles
une loi ? El si elles ne l’étaient pas, comment avez-vous pu vous
permettre tant de crimes ?
Je reviens à ma narration. Ces assassinats prétendus juridiques
ne sont pas les seuls que les juges aient commis.
La citoyenne Galet, veuve Latour Vidau, était dans la démence
depuis plus de cinq ans; elle était Agée de 8i ans ; elle était riche,
et elle est traduite à Orange avec son lils : on l’accuse d’avoir tenu
de prétendus propos contre-révolutionnaires, d’avoir enrôlé pour
les émigrés ; et cette malheureuse qui n’entend pas seulement ce
qu’on lui dit, est conduite à la guillotine, croyant entrer dans son
carrosse pour aller faire les visites.
Commin Golïïidi, d’Orange, était moribond. Son état de ma
ladie ne donnait aucune espérance de guérison, mais s’il meurt
dans son lil ses biens ne pourront être confisqués en faveur des
bas valets rie Robespierre. Il faut qu’il soit jugé. Une chaise à liras
est bientôt trouvée ; on le porte dans cet état au tribunal, où il
est jugé de suite et condamné à mort. Villard, de l lsle, malade
à l’hôpilal d’Orange, éprouve le même sort.
Jean Michel Félix, d’Avignon, est condamné à mort pour avoir,
disait-on, chanté une farandole avec les marseillais : A la guillo
tine Marat! Ce fait est reconnu faux aujourd’hui. Mais eut-il été
vrai, qu’avait de commun Marat avec la république ? Marat était-il
la république ?
Teste, ci-devan! homme de loi, a été condamné à la peine de
mort, pour avoir reçu une lettre de son beau-frère, banquier, qui
réside à Rome : il s’agissait dans celle lettre d’alTaires d’intérêt.
Teyssère, peintre, a subi la même peine, parce qu’il vint de
Rome une lettre A son adresse, qu’il n’a jamais vue, et dans
�—
584
—
laquelle se Irouvait une lettre adressée, à ce qu’on prétend, à une
religieuse.
Ou connaît les lois relatives aux religieuses inscrinenlées, aux
prêtres réfractair s : aucune n’a prononcé la peine de mort contre
eux. La réclusion, la perle de la pension pour les unes, la dépor
tation pour les autres était la peine prononcée par la loi.
Mais comme si ces barbares avaient cru devoir s’écarter ouver
tement de tous les principes et de toutes les notions et frauder
ainsi toutes les lois, ils ont condamné à la peine de mort des lilles
dont tout le crime était d’avoir cru qu’elles ne devaient pas prêter
serment, et des hommes contre lesquels la loi ne prononçait que
la déportation
L’accusateur public prés celte Commission anti-populaire, inter
pellé d’expliquer en vertu de quelle loi il avait requis la condam
nation des religieuses, quand il n’en existait aucune qui prononçât
ce délit, l'accusateur public, dis-je, a répondu qu’il avait été averti
qu’elles conspiraient.
Ah ! malheureux ! voilà donc ce que vous vouliez reproduire à
Orange, toutes les atrocités qui se commettaient à Paris sous les
ordres de votre chef. Elles conspiraient ! Et Fouquier-Tinville
accusait aussi les prisonniers de conspirer à Paris. Et Robespierre
les faisait guillotiner par son tribunal de sang ; mais du moins ils
savaient encore se procurer des preuves telles quelles, tandis que
vous avi'Z été démenti par ceux que vous avez invoques en témoi
gnage. (Interrogatoire de Jean Darduen, concierge delà maison de
réclusion des religieuses).
Louis Agricol Borly lils est mis en jugement ; les témoins sont
assignés pour déposer contre lui, et cependant c’est le père qui est
exécuté.
Il sufTit de voir l’imprimé du jugement qui porte la condamna
tion de son lüs, le jugement transcrit sur le registre où on lit le
mot fils effacé après. Tous les témoins avaient été assignés contre
te lils, ainsi que le prouve la cédule délivrée par le président, le
28 prairial an deux, et l’exploit d’assignation du lendemain.
Jérôme Meynicr, dit Baudran père, est mis en jugement le 2
—
585
—
messidor. On lit sur le dossier la note suivante : les témoins qui
avaient été assignés dans celle affaire, étaient pour le fils et non
pour le père.
Les témoins assignés le 20 prairial, déclarent au bas de l’exploit
que les dépositions qu’ils avaient à faire, ne portaient point contre
Jérôme Baudran dénommé dans la cédule, mais bien contre André
Meynicr, dit Baudran, lils dudit Jérôme détenu.
Celte circonstance n’arrête pas les juges ; il leur fallait des vic
times. Jérôme Baudran passait pour riche, et Jérôme Baudran est
condamné à mort.
Guillaume Christophe Pical est accusé d’avoir assisté à une pa
trouille pendant le séjour que firent les marseillais à Avignon, et
d’avoir menacé la femme d’un patriote. Los juges avaient sous
les yeux la déclaration de cette femme portant : que Pical n’était
pas chef de cette patrouille ; qu’au lieu de l’avoir maltraitée, il
avait empêché qu’on lui fit le moindre mal. C’était là toute l’accu
sation formée contre lui ; elle était démentie judiciairement par
la personne intéressée, qui en lit la déclaration à l'audience, et
Jérôme Christophe Pical n'en est pas moins condamné à mort.
Les lois qui avaient suivi les journées du 31 mai, 1er et 2 juin,
n’avaient prononcé de peines que contre les chefs, qu’elles avaient
classés cl désignés. Pical ne pouvait sous aucun rapport être
compris dans celte désignation ; cependant Pical a été condamné
par la commission d'Orange.
Aucune de ces lois n ’avait prononcé la peine de mort contre
les secrétaires des sections qui eurent lieu après celle époque, et
les juges ne pouvaient pas suppléer au silence de la loi. Cepen
dant ils ont condamné à mort plusieurs individus accusés d’avoir
rempli les fonctions de secrétaires : de ce nombre sont Vincent,
sellier ; Bouchet, vieillard de 78 ans; et Rivoire, chapelier.
Cet infortuné savait à peine écrire son nom ; il n’avait jamais
été en état de tenir des livres de commerce ; il n’avait pas été
secrétaire de section, et cependant on le condamne comme tel.
Mais ce qu’il y a de plus criminel dans son jugement, c’est que
les juges eux-mêmes ont été incertains sur I identité du prétendu
23
�—
386
—
coupable. (On lit sur le dossier de cet infortuné : Anloine Rivolre
et Jacques Ri voire sont détenus tous les deux ; on ignore quel est
le coupable ; Rivoire, chapelier, secrétaire de section, arrêté à
Avignon ; et à coté : On dit que Jacques Rivoire est le coupable ;
et c’est sur cet on dit, que Jacques est condamné il mort comme
s’il avait été secrétaire de section.)
Je ne parlerai pas des jugements rendus contre tant d’individus
de Carpentras et d'ailleurs; je rappellerai seulement la condam
nation de tous les membres de la municipalité de 1792, qui furent
tous condamnés en masse, et sur la déposition unique de Barjavel,
conseil de l’accusateur public ; et qui a avoué, lors des débats,
qu'il avait fait condamner un des membres illilérés de celte mu
nicipalité quoiqu’il 11e put rien lui reprocher personnellement,
mais uniquement parce qu’il avait un lils qui était un mauvais
sujet.
Tels sont parmi les crimes dont se sont rendus coupables les
juges d’Orange, les principaux qui leur ont été reprochés pendant
l’instruction de leur procès. Ils suilisaient pour motiver un juge
ment qui vengeât l’humanité outragée pendant longtems par leur
scélératesse.
Mais si les juges qui ont prononcé leur jugement, si les jurés
qui ont prononcé sur des questions à eux soumises avaient pu avoir
quelque inquiétude, quelque doute, il ont eu de quoi se rassurer
pleinement en entendant ces monstres dire avec cette tranquillité
et cette froideur qui ne devrait jamais accompagner que la vertu,
qu'ils n’avaient aucun compte à rendre de leurs jugements ; qu'ils
avaient été autorisés à prononcer comme ils avaient fait, et qu’ils
avaient reçu leurs instructions qui faisaient la règle de leur con
duite.
Aux reproches qui leur étaient faits sur l’injustice de leurs juge
ments, ils répondaient que le tribunal criminel n’était pas chargé
de les réviser, et que le décret de la convention n’en ordonnait
pas la révision.
Ainsi, selon eux, on ne pouvait leur demander aucun compte
de leurs jugements, et c’était par leurs jugements qu'ils avaient
—
387
—
assassiné tant d’innocents ! On ne pouvait pas leur parler de leurs
jugements qui étaient le dépôt et la preuve la moins équivoque de
leurs crimes !
Le jour des débats entre les témoins et les accusés, fut le jour
du triomphe de la vertu sur le crime. On entendit des témoins
leur reprocher l’assassinat de la citoyenne Gallet, veuve Latour
Vidau, dont la démence depuis cinq ans, fut prouvée par une
nuée de témoins ; l’assassinat de Comin-Goffridi, moribond, qui
n’articula pas une seule parole ; celui de Villard, moribond comme
le précédent.
L’assassinat de Félix, de Rica], de Jérôme Meynier dit Baudrah, d’Agricol Gallet, de Borty.
On entendit les témoins faire passer en revue tous ces monu
ments d’iniquité, et ce qu’on ne saurait trop peindre, ce fut l’in
dignation des assistants au récit de toutes ces scènes d’horreur.
Là, on leur reprocha leurs orgies scandaleuses avant d’aller au
tribunal, ces profusions indécentes de vins étrangers, de liqueurs;
on leur reprocha le peu de temps qu’ils mettaient à tenir leurs
audiences, qu’un quart d’heure leur suffisait le plus souvent pour
prononcer sur le sort d’une vingtaine de malheureux.
On leur reproche que les victimes qu’on leur envoyait, n’a
vaient pas le temps de se défendre ; qu’à l’exemple de Coflinbal,
on ôtait la parole «à celui qui était assez hardi pour oseï*se dé
fendre ; qu’on fermait les débats aussitôt, et qu’aucun témoin à
décharge n’avait été entendu, qu’ils avaient encore moins laissé
paraître des défenseurs officieux.
Les jurés à jugements 11 c lardèrent pas de déclarer qu’ils étaient
suffisamment instruits sur le compte des aceusés, un seul excepté;
le jugement de celui-ci fui renvoyé à huitaine, et les débats fer
més entre les témoins et les accusés.
L’accusateur public prit alors la parole, et avec cette éloquence
de sentiment qui caractérise ce vertueux magistrat, il peignit en
caractères de feules crimes dont ces monstres s’étaient rendus cou
pables ; il ne négligea aucune circonstance, aucun des faits qui
pouvaient fixer l’opinion publique sur le compte des aceusés.
�Le tribunal avait mis en réquisition tous les défenseurs officieux
d’Avignon* Trois s'étaient présentés dans la maison de justice
pour prendre communication des défenses des accusés ; mais à la
lecture du mémoire qu’ils avaient fait pour leur justification, des
principes qu’ils y établissaient, ils se refusèrent à devenir les or
ganes du crime, et déclarèrent au président qu’ils ne porteraient
pas la parole.
Les accusés étaient en étal de se défendre. Chacun plaida suc
cessivement sa cause pendant tout le tems que lui parut exiger sa
défense.
Les débats ayant été fermés, le président résuma l’aiïaire im
portante sur laquelle il s’agissait de prononcer ; rappela les faits
les plus saillants, l'attentat commis par les juges sur l'autorité de
la convention nationale en condamnant un grand nombre d’indi
vidus que le tribunal criminel du département de Vaucluse lui
avait envoyé pour statuer sur leur sort, attendu qu’il n’existait
aucune loi qui eut prononcé de peine à raison des prétendus délits
qu’on leur imputait.
L’illégalité de leur existence, qu’ils ne devaient qu’à un arreté
du comité du salut public, quoiqu’une loi antérieure de deux jours
à leur création eut ordonné expressément qu’il ne pouvait être
établi de commissions révolutionnaires que par un décret delà
convention.
Les jugements iniques dont on vient de parler, les différentes
horreurs dont ils s’étaient rendus coupables, leurs orgies crimi
nelles dans le momeni même oîi ils allaient prononcer sur le sort
des malheureux accusés; rien, en un mot, ne fut oublié.
Mais ce que je ne pourrais pas peindre, ce fut le mouvement
d'indignation, de rage, de fureur que manifestèrent les assistants
en entendant le détail de tous leurs crimes ; le désir bien prononcé
qu’ils ne pussent pas échapper à la juste punition qu’ils avaient
méritée.
Les jurés se rendirent dans leur salle pour délibérer sur les
questions qui leur furent soumises parle tribunal. L’impatience du
public se faisait aisément remarquer pendant leur absence.
Kntin, étant rentrés dans la salle, ils firent tous individuelle
ment leur déclaration ; elle calma les esprits, et le tribunal, sur la
réquisition de l’accusateur public, condamna à la peine de mort
Fauvety, président, Roman-Fonrosa, Meilleret et Ragot, juges de
cette commission ; Viot, accusateur publie, Barjavel, son conseil,
et Benel, greffier.
A peine le jugement eut-il été prononcé, que toute la salle
d’audience retentit de mille cris répétés : Vive le tribunal ! Vive
la république ! Vive la convention !
La séance avait duré depuis deux heures et demie de relevée
jusqu’à onze heures.
C’est ainsi que s’est terminée l’importante affaire delà commis
sion d’Orange après avoir occupé le tribunal pendant cinq jours.
De grands coupables qui avaient attenté à la sûreté publique en
faisant.égorger des milliers de citoyens; qui se jouaient de leur
vio avec le plus grand sang froid, ont subi la peine qu’ils méri
taient à juste litre, et ils ont justifié celle vérité, qu’il existe un
être suprême qui punit le crime tôt ou tard, et que la justice, quoi
que tardive, atteint toujours le coupable, quelques efforts qu’il
fasse pour s’y dérober. Rarb ahtecedentem scelestum desemit pede
pana claudo.
Ils ont subi leur jugement le 8 à trois heures et demie de rele
vée, et ce qu’il y a de bien singulier, c’est que ces mêmes hommes
qui donnaient à peine une heure de tems 'pour juger quinze et
lingt personnes, qui ne leur accordaient pas la parole, qui ne
voulaient ni témoins à décharge ni défenseurs officieux ; ces mê
mes hommes, dis-je, se sont plaints de la précipitation de leur ju
gement, dont l’instruction avait duré cinq jours, de ce qu’on ne
leur a point dominé de défenseurs officieux, et qu’on n’a point
entendu de témoins à décharge.
Leur réclamation sera imprimée à la suite de ce rapport avec les
observations du tribunal, et le public pourra alors prononcer avec
connaissance de causé, cl juger de la bonté de leur réclamation.
Vû le rapport ci dessus, le tribunal assemblé en conseil ouï, et
ce que requérant l’accusateur public ordonne qu’il sera annexé au
�390
jugement rendu contro les juges de la commission dite populaire
d’Orangc, le 7 de ce mois, comme contenant l’analyse exacte des
faits dont l’information verbale et les pièces écrites ont donné la
preuve la plus complète -, qu’il fera partie du procès, et qu'il sera
imprimé et envoyé à la convention nationale, à tous les comités et
à tous les tribunaux et corps administratifs de la capitale.
Fait à Avignon, le treize messidor an troisième de l’ère républi
caine.
Signés : L. A. R aphbl, président.
G mjais, C ollet, F élix , juges.
CunxiEn, accusateur public.
(Pièces officielles.)
N ote 88
Ccjourd’hui 8 messidor de l’an troisième de 1ère républicaine,
nous Jean-Joseph Sagnier, juge de paix,officier de police et de siireté, d’après une réquisition du directoire du district d’Avignon,
dont la teneur suit : Le directoire du district d’Avignon invite, et
en tant que besoin requiert le citoyen Sagnier, juge de paix, de se
transporter sur le champ à la maison du fort, dans la prison où
sont les ci-devant juges d’Orange et autres, pour y recevoir les dé
clarations qu’ils ont dit vouloir faire, le rendant personnellement
responsable etc. Fait à Avignon, le 8 messidor l’an troisième de la
république une et indivisible, à midi. Les administrateurs du di
rectoire du district d’Avignon, signé : Blaze, administrateur; Liotard, administrateur ; Brunenu, administrateur ; F. A. Gudin, ad
ministrateur.
Nous nous sommes, en conséquence, tout de suite transporté à
ladite prison, oü étant, se sont présentés les nommés Fauvety,pré
sident, Roman-Fonrosa, Ragot, Meillerct, juges ; Viol, accusateur
public ; Benel, greffier de la ci-devant commission populaire d’O
range, et Barjavel, adjoint à l’accusateur public ; lesquels effrayés
391
de la célérité que l’on met dans l’exécution du jugement rendu
contre eux le jour d’hier par le tribunal criminel du département
de Vaucluse, et privés des moyens de faire adopter à son grelTe la
déclaration que la loi autorise de faire, déclarent par le présent,
en exécution de la loi du 16 septembre 1791 (vieux style), recourir
au tribunal de cassation, du jugement rendu contre eux le jour
d’hier par le susdit tribunal criminel de ce département, at
tendu qu’il fourmille de nullités, et particulièrement qu’il a été
rendu contre la disposition textuelle des art. II et III de la loi du
12 prairial dernier sur la suppression du tribunal révolutionnaire -,
attendu encore qu’ils ne sont pas dans la disposition de l’art. IV,
vu qu’ils ne sont pas accusés par le corps législatif qui seul a le
droit, suivant ce même article, de délciminer le tribunal spécial
où les accusés peuvent être jugés ; que ce n’est qu’à ce seul article
que se rapporte la disposition du Ve, qui n’admet que dansce seul
cas d’accusation par le corps législatif, que le recours des juge
ments au tribunal de cassation ne pourra avoir lieu; que leur hy
pothèse est d’autant plus favorable,que le décret qui prononce leur
renvoi au tribunal criminel de Vaucluse, qui ne leur en a été
donné aucune connaissance officielle, se trouvant antérieur de six
jours, il s’en suivrait qu’en regardant celle détermination comme
un tribunal spécial délégué, on voudrait donner à loi du 12 prairial
un effet rétroactif qu’elle ne peut avoir contre la disposition tex
tuelle des droits de l’homme, art. XIV ; et. qu’à supposer même
qu’ils fussent dans la disposition de l’art. IV qui dispose qu’on
suivra dans ce cas les formes prescrites par loi du 8 nivôse der
nier, ou a violé cette loi dans toutes ses dispositions de la ma
nière la plus claire et la plus expresse, puisqu’elle exige d’abord
l'interrogatoire secret des prévenus par l’un des juges ; qu’il soit
lancé contro eux un mandat d’arrêt ; que dans cet interrogatoire
on devait leur donner connaissance à chacun d’eux du décret de
renvoi -, qu'il fallait faire tirer onze jurés au sort sur la liste géné
rale des jurés du département, communiquer celle liste et l’acte
d'accusation aux accusés pour qu’ils pussent récuser aucun des
jurés, amener ensuite tous] les accusés h l’audience, faire prêter
�592
—
serment aux jurés en leur présence, en les appelant individuelle
ment, et entendre ensuite les prévenus en leurs noms, prénoms,
Age, lieux de naissance et qualités, tant avant qu’après la révolu
tion ; tandis qu’on a fait subiraux accusés un interrogatoire public
et individuel, et que si tant est qu’on ait fait prêter serment aux
jurés, ce n’a été qu’en présence du premier interrogé individuelle
ment et non des autres; qu’après avoir réuni à l’audience du jour
d’hier tous les accusés sur les 8 à 9 heures du matin, on y a fait faire
lecture de la loi sur les faux témoins, quoique la totalité des té
moins ne fussent pas présents quoique assignés ; on a pris le ser
ment avant de les entendre, quoique plusieurs d’entr’eux arrivant
seulement, n’eussent pas entendu la lecture de la loi ; que les té
moins ont tous resté h l’audience et ont été entendus, les uns en
présence des autres, ce qui est contraire à la disposition textuelle
de la loi ; que sur l’invitation du président aux citoyens composant
l’auditoire qui auraient h déposer quelque chose contre les accusés,
ils vinssent se présenter quoique non assignés. Le nombre des té
moins assignés à charge étant d’environ 60, ceux des citoyens
témoins volontaires d’environ 30, indépendamment de ceux A
décharge, dont la liste avait été donnée d’environ 40 à l'accu
sateur public pour les faire assigner, lequel a assuré y avoir sa
tisfait; après l’audition d’environ 30 témoins il charge, le pré
sident a averti les jurés qu’ils avaient la faculté, en vertu de la
loi, de déclarer s’ils étaient suffisamment instruits sur les accusés
ou quelqu’un d’entre eux ; les jurés ayant déclaré que non, après
l’audition de 8 ou 10 nouveaux témoins à charge, et sur deux
nouvelles interpellations du président, les jurés ayant déclaré être
suffisamment instruits sur le compte des réclamants, quoique nul
témoin A décharge n’eut été entendu, et que partie d’entr’eux fut
domiciliée dans cette commune, et que suivant la loi du 10 nivôse
ce n’est qu’après trois jours pleins que le président est autorisé à
faire la réquisition et les jurés à y adhérer-,que quoique l’actcd’accusation portât sur 13 à 14 chefs, et qu’acun témoin n’ont déposé
sur plus de la moitié, néanmoins entre les débals entre l’accusa
teur public et les accusés, qui n’ont été assisté d’aucun défenseur
393 _
officieux, après le résumé du président, qu’il n’a fait ressortir que
sur l’acte d’accusation, sans faire mention d’aucun des moyens
justificatifs qu'ils avaient présentés à l’audience, et. après avoir
présenté vingt cl quelques questions qu’il n'a soumis ni aux accu
sés ni aux juges, les ayant remises aux jurés ; eux retirés et ren
trés ont fait leur déclaration individuelle sur toutes les dites ques
tions et conséquemment sur tous les chefs d’accusation énoncés en
l’acte do l’accusateur public affirmativement, et quoique ainsi
qu’on l’a annoncé précédemment, les témoins n’avaient pas dé
posé sur la majorité des dits chefs et n’avaient conséquemment pu
avoir pour guide que l’acte d’accusation même, puisqu'il n’y avait
aucune preuve matérielle; enfin que ce même acte n’avait pas été
lu à tous les témoins, puisque nombre d’entre ceux qui ont dé
posé n'étaient pas présents h l’audience lors de la lecture qui en fut
faite, après laquelle déclaration cl l’avis des juges ils ont été con
damnés il la peine de mort, dont la prononciation leur a été faite
à l’audience par le président sans énoncer dans quel délai l’exécu
tion aurait lieu, cl dans quel endroit, attendu que tout se prépare
pour celle exécution, sans néanmoins qu’ils aient reçu aucune co
pie du jugement ; nous requièrent acte de leur présente déclara
tion de recours au tribunal de cassation, et que le présent leur
serve de requête au tribunal de cassation h cet effet ; nous requiè
rent encore de nous transporter auprès de l’accusateur public
chargé de l’exécution dudit jugement, ainsi qu’auprès du prési
dent du tribunal criminel pour leur donner connaissance de la pré
sente déclaration; protestant en cas de refus d’y adhérer, d’assem
bler ses collègues, de leur en faire part, de les rendre responsa
bles tant individuellement que collectivement, de tous les événe
ments que leur précipitation pourrait occasionner ; et en cas
d’adhésion, nous requérant de leur donner l’extrait du présent
pour servir de requête au tribunal de cassation, et clans tous les
cas, d'en fournir un extrait, moyennant salaire, à chacune des
familles d’un de nous pour s’en servir et le faire valoir ainsi
qu’elles aviseront ; ayant les dits déclarants signé avec nous, et le
citoyen Badet, en qualité de pro-secrétoire greffier.
�—
Verbal de ce qui s'est passé lors du jugement des membres de
la ci-devant commission d’Orange, servant de réponse ït leur ré
clamation.
Une loi du 6 prairial a renvoyé les individus ayant composé la
ci-devant commission populaire d’Orange, au tribunal criminel
de Vaucluse pour y être jugés.
L'art. IV de la loi du 12 prairial porte : Que les accusés qni se
ront renvoyés par décret du corps législatif, seront jugés suivant
les formes établies par la loi du 8 nivôse.
Celte loi a-t-elle été violée ? Le verbal des opérations du tribu
nal en présence des jurés de jugement éclaircira cette question.
La loi du S nivôse n’exige pas l'interrogatoire secret, elle l’auto
rise lorsqu’il est nécessaire. Le tribunal a eu besoin de l'interro
gation des accusés, et il y a procédé à l'audience en présence du
public. Il a voulu que toutes les opérations fussenl connues ; au
cune loi ne l’oblige à s’envelopper sous le voile du mystère.
Un jury spécial avait été formé, et onze jurés ont été tirés au
sort en présence de deux officiers municipaux ; les jurés ont prêté
serment à la première séance, la loi a donc été exécutée.
Le président a donné connaissance du décret de la convention à
tous les accusés. Il en a été fait lecture à ceux qui l’ont demandée.
L’acte d’accusation a été lu à chacun d’eux, et leur a été signifié,
en exécution de la loi.
La liste des jurés a été signiliée à chacun des accusés, vingtquatre heures avant qu’on les mit en jugement, avec sommation
de déclarer s'ils on récusaient quelqu’un. Ils n’ont fait aucune ré.
>. I
395
—
cusalion ni avant, ni après l’ouverture des débats, pas même
avant le jugement.
Les prévenus ont été interrogés conformément à la loi, sur leurs
noms, prénoms, Age, qualités, professions et demeures.
Le jour de, l’ouverture des débats entre les témoins et les accu
sés il a été fait lecture de la loi du 5 pluviôse sur les faux té
moins.
Ici les accusés se plaignent que tous les témoins n’étaient pas
présents. Mais l’absence de plusieurs témoins ne devait pas empê
cher l’ouverture de la séanco ; et la peine prononcée p arla loi
n’affectait pas moins les absents que ceux qui en avaient entendu
la lecture.
Chaque témoin a prêté serment avant d’être entendu , et il sem
ble que les accusés s’en plaignent.
Les témoins ont été entendus publiquement à l’audience ; les
uns sont sortis, les autres sont restés, à leur gré ; mais tout le
monde a droit d’assister à une audience publique, et personne ne
peut l’en faire sortir s’il ne trouble pas l’ordre.
Ils auraient raison de se plaindre si un témoin était resté à côté
du déposant pour influencer son témoignage.
Ils avancent dans leur écrit que le président a invité tous ceux
qui auraient quelque chose à dire contre eux de se présenter quoi
que non assignés.
S'ils avaient jamais connu le langage de la vérité, ils auraient
dit que ce fut l’accusateur public qui lit celle invitation, et non
le président, qui se contenta d'entendre ceux qui se présentèrent.
Mais l'accusateur public avait le droit de faire cello invitation.
Ils disent encore qu’après l'audition de trente témoins le prési
dent avertit les jurés qu'ils avaient la faculté en vertu de la loi,
de déclarer s’ils étaient suffisamment instruits sur les accusés,
ou quelqu’un d’entre eux.
Le président lit ce qu'il devait, instruisant les jurés des disposi
tions de la loi qu’ils ignoraient.
Les accusés ajoutent qu’après l’audition de 8 ou 10 autres té
moins les jurés déclarèrent qu’ils étaient suffisamment instruits^
�—
596
-
sur le compte de plusieurs accusés, quoique il cette époque on n’cut
entendu aucun témoin à décharge.
Les jurés ayant déclaré qu'ils étaient instruits, n'avaient plus be
soin d’entendre des témoins contre les prévenus. Mais aucun té
moin b décharge ne fut repoussé. Tous ceux qui se présentèrent
furent entendus. L’accusateur public avait fait assigner tous ceux
qu'on lui avait désignés, il n’avait rien de plus à faire ; car on n’a
vancera pas qu’il devait les faire venir de force, ou suspendre les
séances du tribunal jusqu’il leur arrivée.
Suivant la loi du 8 nivôse, disent-ils encore, ce n’est qu’après
trois jours pleins que le président petit fermer les débats.
Voilà encore une nouvelle infidélité de leur pari. Si les débats
ont duré trois jours, dit la loi, le président interpellera les jurés
de déclarer s’ils sont instruits; mais elle n’ordonne pas qu’ils con
tinuent pendant trois jours, si les jurés sont instruits plutôt. La
loi n’a pas voulu que des accusés pussent éterniser une alTairc en
faisant durer les débats ; elle a voulu mettre (in aux chicanes aux
quelles pourraient avoir recours des accusés pour éloigner leur ju
gement ; et lorsque les jurés sont instruits, ils peuvent et doivent
même faire fermer les débats.
Les accusés n'étaient assistés d’aucun défenseur officieux, cela
est vrai ; mais ont-ils ignoré que le tribunal leur en avait nommé
d'office ? Avaient-ils oublié que ces défenseurs leur firent plusieurs
visites dans les prisons? Et n’ont-ils pas entendu le président, lors
de l’ouverture des débats, dire que les défenseurs officieux lui
avaient déclaré, la veille, ne vouloir pas plaider?
Ils se plaignent du résumé que lit le président de leur allaire, et
du jour sous lequel il la présenta.
Sous quelle couleur voulaient-ils donc que le président présen
tât cette foule d’assassinats qu’ils avaient ordonnés sans examen,
sans preuves, sans vouloir entendre les prévenus, sans défenseurs
officieux, sans avoir même voulu ouvrir des débats, et sans loi qui
prononçât la peine de mort ?
Comment voulaient-ils qu’il présentât leurs attentats contre la
sûreté publique, leurs attentats sur l’autorité de la convention en
—
597
-
jugeant des accusés qui leur avaient été renvoyés pour statuer sur
leur sort ?
Comment voulaient-ils que le président rappelât la mort de la
veuve Latour-Vidau, âgée de de 84 ans, dont la démence depuis
cinq ans a été constatée par une nuée de témoins ?
Comment voulaient-ils qu’on présenlâ le tableau des agonisants
qu'ils faisaient paraître à leur tribunal, et de suite conduire au
supplice ?
Comment voulaient-ils qu’il présentât la condamnation du fils
et l’exécution du père ?
De quelle couleur voulaient-ils qu’on peignit toutes les horreurs
sont ils s’étaient rendus coupables ?
Que l’on cesse de se plaindre du rapport, quelque force qu’il ait
eu ; quelque énergie que le président y ail mise, il a été encore
bien au dessous de leurs crimes.
Les questions posées par le président résultaient de l’acte d'ac
cusation, des débats et des réponses des accusés ; et la loi au
torisait le président à les poser sur tous les faits résultant des dé
bats et de leurs réponses.
Ils sc plaignent que le président n’a pas dit le lieu de l’exécu
tion, ni fixé le délai. L’accusateur public était chargé de faire
exécuter le jugement dans les 24 heures,
On ne leur a donné aucune copie du jugement, mais il leur a
été annoncé en face, c’est tout ce qu’exige la loi. Et en deman
daient-ils eux-mêmes des copies ?
Et n’ont-ils pas été témoins de l’indignation du public, de la
fureur.de la rage des victimes de leur férocité? n’ont-lls pas vu
les clforls qu’il a fallu faire pour les soustraire aux vengeances lé
gitimes qu’ils avaient provoquées ?
N’avaienl-ils pas vu quelle force armée il avait fallu employer
pour pouvoir les conduire et les ramener dans les prisons ? Et
n’avaient-ils pas regardé comme un prodige d’avoir échappé jus
qu'au moment ou une punition bien méritée leur a fait connaître
que le crime ne se commet jamais impunément?
Résumons. Un décret du corps législatif renvoie expressément
�les juges île la ei-devant commission d'Orange au tribunal criminel
du département de Vaucluse pour y être jugés.
L’art. IV de la loi du 12 prairial ordonne que ceux qui sont
renvoyés par le décret du corps législatif, seront jugés d’après les
formes établies par la loi du 8 nivôse.
Les dispositions générales des premiers articles de la loi du 12
prairial ne s’appliquent qu’aux individus qui étaient traduits de
vant le tribunal criminel extraordinaire qui a été supprimé, et
non à ceux qu’un décret du corps législatif renvoie expressément.
Le tribunal criminel du département de Vaucluse n’a donc com
mis aucune violation des lois en jugeant les membres de la cidevant commission qui ont rempli de deuil tous les départements
méridionaux par leur férocité et leur barbarie.
A Avignon, le 9 messidor an troisième de l’ère française républi
caine.
Signés : L. A. R aphel, président,
F élix , C ollet, G luais, juges.
(Pièces officielles).
N ote 90
Jugement rendu par le tribunal criminel du département de
Vaucluse, séant à Avignon, qui condamne Cotliev-Julian, de Carpenlras, à 20 ans de fers.
Du 22 messidor, an troisième de la république française.
An nom du peuple français.
Vu par le tribunal criminel du département de Vaucluse, séant
à Avignon, le jugement rendu par le tribunal du 7 du courant
contre François Charles Gabriel Viot, de Charleville ; Jean Fran
çois Fauvely, d’Uzès ; Pierre Michel Roman-Fonrosa, de Die ;
Jean Pierre Meillerel, d’Eloile ; Gaspard Ragot, de Lyon ; Claude
Benel, d’Orange, tous membres de la ci-devant commission dite
populaired’Orange ; François Barjavcl, de Carpcntras, adjoint au
dit Viot, accusateur public près la dite commission, et renvoie à
la huitaine, Joseph Marie Victor François Cottier, ainsi que toutes
les pièces visées dans le dit jugement,
Vu de plus deux cédules d’assignation à témoins contre le
dit Cottier et a décharge, du 20 messidor courant mois, et les ex
ploits des assignations tant à charge qu’à décharge.
Vu le verbal de signification faite au dit Cottier de la liste des
jurés qui doivent assister à son jugement, du même jour.
Lecture faite en présence des témoins, de l’accusé et du publie,
du décret du 5 pluviôse relatif aux faux témoins, en conformité de
l’art. IV du même décret.
Les témoins entendus tanta charge qu’il décharge, l’accusé luimême dans ses défenses, aucun défenseur n’ayaut voulu s'en char
ger après avoir été présenté à l’information et quoique mis en ré
quisition par le tribunal, les débats étant fermés d’après la décla
ration des jurés qu’ils étaient suffisamment s instruits.
Vu l’art. XXI, de la loi du IG septembre 1791 (vieux style), ainsi
conçu : « Le président posera les questions relatives à l’intention,
résultantes de l’acte d’accusation, ou qu’il jugera résulter de la dé
fense de l'accusé ou des débats. »
Vu l’art IV de la loi du 12 prairial dernier ainsi conçu : « Né
anmoins les accusés traduits par un décret du corps législatif pour
faits de conspiration ou d’attentat à la sûreté publique, seront
jugés par le tribunal auquel ils auront été renvoyés dans la forme
déterminée par la loi du 8 nivôse ; les jugements seront exécutés
sans le recours au tribunal de cassation.
En suite de la déclaration individuelle et unanime des jurés
spéciaux portant : 4° qu’il est constant que Joseph Marie Victor
Cottier, secrétaire de Viot, accusateur public près la ci-devant
commission dite populaire d’Orange, a participé directement aux
délits et assassinats commis par les juges ayant composé cette
commission, et s’est par là rendu leur complice ; 2° qu’il n’est
pas constant qu’il ait participé à tous ccs délits méchamment et à
dessein prémédité.
Ouï l’accusateur public sur l’application de la loi.
Le tribunal condamne à la peine de vingt années de fers le dit
�—
400
—
Joseph Marie Victor François Collier, Agé de 28 ans, ci-devant
homme de loi, natif el originaire de la commune de Çarpenlras,
comme atteint et convaincu d’avoir participé directement, en sa
qualité de secrétaire de Viol, accusateur public près la ci-devant
commission populaire d’Orangc, aux assassinats commis par les
juges ayant composé cette commission, et de s’être par là rendu
leur complice, en exécution de l’art. VIII du litre II du code pé
nal crimes contre les particuliers ; première section, crimes et
attentats contre les personnes, lequel article est ainsi conçu :
« L’homicide commis sans préméditation sera qualifié de meur
tre et puni de la peine de 20 années de fers. » Du litre III art. 1er
des complices des crimes, ainsi conçu : « Lorsqu’un crime aura
été commis, quiconque sera convaincu d’avoir aidé ou assisté le
coupable ou les coupables, soit dans les faits qui ont préparé ou
facilité l’exécution, soit dans l’acte même qui l’a consommé, sera
puni de la même peine prononcée par la loi contre les auteurs du
crime. »
Ordonne qu’en exécution de l’art. XXVIII du titre 1er partie Ire
du code pénal, ledit Collier sera attaché à un poteau placé sur un
échafaud, ou il demeurera exposé aux regards du peuple pendant
six heures. Au-dessus de sa tête, sur un écriteau seront inscrits en
gros caractères ses noms, sa profession, son domicile, la cause de
sa condamnation el le jugement rendu contre lui.
Ordonne, en outre, que le présent jugement sera imprimé et
affiché dans toute l’étendue du département, el charge l’accusateur
public de son exécution.
Ainsi prononcé à l’accusé en présence du public à l'audience#
22 messidor l’an troisième de la république française une et indi
visible par les citoyens Louis Alexis Raphel, président ; Joseph
Ignace Félix, Joseph Collet, et Joseph Ignace Gluais, juges et opi
nants, qui ont signé avec le commis greffier.
Au nom de la république, il est ordonné à tous les officiers mi
nistériels de faire mettre le présent jugement à exécution, à l’ac
cusateur public près le tribunal d’y tenir la main,et à tous les com
mandants el officiers de la force publique de donner main-forte
—
401
—
pour son exécution lorsqu’ils en seront légalement requis. En foi
de quoi le présent jugement a été signé par le président et par le
greffier.
Signé: L. A. R aphel, président, B ourelly, commis greffier.
(Pièces officielles).
N ote 91
Jugement du tribunal de cassation qui casse celui rendu par le
tribunal criminel du département de Vaucluse, contre Joseph
Marie Victor François Cottier-Julian, de Carpentras, et ordonne
sa mise en liberté.
Du 26 brumaire quatrième année républicaine.
Extrait des registres du tribunal de cassation.
En l’audience de la section criminelle, le 26 brumaire l’an quatre
de la République française une et indivisible ;
Sur le mémoire de François Collier en cassation du jugement
criminel du département de Vaucluse, du 22 messidor dernier ;
Ouï le rapport de Dominique Robert, commis par ordonnance
du 11 courant, el Lasaudade, substitut du commissaire national en
ses conclusions ;
Vu le décret de la Convention nationale du 4 brumaire présent
mois, portant amnistie pour tous les faits purement relatifs à la
révolution, lequel porte art. in : « La Convention nationale
abolit, à compter de ce jour, tous les décrets d’accusation ou d’ar
restation, tous mandats d’arrêt mis ou non en exécution, toutes
procédures, poursuites et jugements portant sur des faits pure
ment relatifs à la révolution ; tous détenus à l'occasion de ces
mêmes événements, seront immédiatement élargis, s’il n’existe
point conlr’eux des charges relatives à la conspiration du 13 ven
démiaire.
Attendu qu’il résulte évidemment des pièces de la procédure et
jugement rendu contre François Collier, qu’il n’a été accusé, mis
en jugement el condamné que pour un fait puremment relatif à
26
�—
la résolution, puisque c’esl pour avoir rempli les fonctions de
secrétaire (le l'accusateur public près la commission populaire
d’Orange. fonctions absolument passives ; sans entrer, d’ailleurs,
dans l'examen des vices de la procédure et de la fausse applica
tion de la peine prononcée par le jugement dont il s'agit, puisque
la déclaration des jurés portant qu’il n’était pas constant que
♦
Collier eut participé à tous ces délits méchamment et îi dessin
prémédité, le jugement devait l’acquitter.
Le tribunal faisant droit sur le mémoire de François Collier,
dit qu’il n’y a lieu de statuer, en exécution de l'art, ni du décret
du 4 brumaire ci-dessus transcrit.
G. H om.
(Pièces officielles.)
405
—
sont permise annonce la partialité la plus révoltante et détruit lé
jugement qui la contient ;
Déclarent le dit jugement nul et de nul effet ; ordonnent que
le dit Collier sera mis en liberté au vu du présent arrêté, et que
tout séquestre et scellé apposés sur ses biens seront levés.
La commission des administrations civiles, police et tribunaux,
est chargé de l’exécution du présent arrêté.
Les représentants du peuple, membres du Comité de
. sûreté générale :
Signés : Cqi.LO.MBBL (de la Meurthe), Monmayou,
P ierre G uyomar, P ons (de Verdun), B ar,
R oger - Ducos, C ales, P. M. D elaunay
B oroas.
Pour copie conforme :
N ote 92
La commission des administrations civiles, police, tribunaux,
Le chargé provisoire*
A umont.
Arrêté des Comités de sûreté générale et de législation réunis.
Du 11 brumaire an quatrième de la République française une
et indivisible.
Le comité de sûreté générale et les membres du comité de
législation qui lui ont été adjoints par le décret du 3 brumaire,
délibérant en vertu de l’art. 6 de la loi du 22 vendémiaire dernier,
sur la pétition du citoyen Joseph Marie Victor François CotlierJulian, tendante à obtenir la nullité d’un jugement rendu contre
lui, le 22 messidor an trois de la République, par le tribunal cri
minel du département de Vaucluse séant à Avignon, qui le con
damne à 20 ans de fers.
Considérant que c’est par l’interprétation la plus fausse de
l’art. 8 du titre ii du Code pénal, qu’une pareille condamnation a
été prononcée contre ledit Collier ;
Que la déclaration du jury l’ayant acquitté quant à l’intention
des délits qui lui étaient imputés, il n’y avait plus aucune appli
cation de peine à faire aux dits délits ; que celle que les juges se
(Pièces officielles.)
Note 93
Cédule pour appeler témoins.
Louis Alexis Raphel, président du tribunal criminal du dépar
tement de Vaucluse séant à Avignon, mandons et ordonnons au
premier huissier ou gendarme national requis, d’assigner et com
paraître à jour et heure préfix par devant nous et les juges du tri
bunal, tous les témoins qui lui seront indiqués par l’accusateur
public près le tribunal, pour donner leurs déclarations sur les
faits et les circontances contenus en l’accusation contre les mem
bres composant la commission dite populaire ci-devant établie à
Orange, détenus dans la maison de justice du département, à
�404
—
—
peine d’amende et d’y être contraints par corps conformément à
la loi.
Donné à Avignon, le 5U,° jour du mois de messidor, an trois de
l’ère républicaine.
Signés : A lexis R aphel , président.
Par le tribunal,
Signé : B ourrelly, commis greffier, à l’original.
Assignation à témoin.
L’an trois de l’ère républicaine et le cinquième jour du mois de
messidor, je Louis Martin, officier ministériel près le tribunal
criminel du département de Vaucluse séant à Avignon, y domi
cilié, soussigné, au requis du citoyen accusateur public près le
tribunal criminel du département de Vaucluse, et en vertu de la
cédule ci-dessus, ai donné assignation au citoyen Augustin Bouge,
officier de santé du Vigan, à comparaître demain courant mois de
messidor, à 9 heures du matin à Avignop. par devant le citoyen
président et juges du dit tribunal, pour y faire la déclaration sur
les faits et circonstances de l’accusation énoncée en la dite
cédule : lui déclarant qu’à défaut de comparaître, il y sera contraint
par corps et condamné à l’amende ; à quel effet j’ai au dit sus
nommé laissé copie, tant de la dite cédule, que du présent exploit,
en son domicile en cette commune, parlant à sa personne.
Signé : Martin.
(Pièces officielles.i
Note 94
Garches, près St-Cloud, 13 juin 1870.
Voici les renseignements que vous m’avez demandés par votre
lettre du mois dernier sur notre grand père. J ’ai mis quelques se
maines à vous les envoyer parce qu’il a fallu chercher dans de
V
vieux papiers de famille. Vous en ferez l'usage qu’il vous plaira.
Je souhaite que l’histoire de votre correspondant soit faite à un
point de vue impartial : jusqu’à présent on a fait des hommes de
la révolution des héros ou des scélérats, des vengeurs ou des bour
reaux. Ils ne furent ni l’un ni l’autre, mais il nous est difficile de
les juger; nous sommes encore bien près de cette grande lutte
pour la résumer, et trop loin pour nous placer au point de vue de
nos pères : nous n’avons pas eu comme eux à lutter contre des
oppressions, des inégalités, des injusticesqui, grâce à eux ont dis
paru, et contre des dangers tels qu’il fallait vaincre ou périr.
Enfin, quel que soit le point de vue oîi se place l’auteur, nous
devons dire le peu ([ue nous savons sur notre grand père. Voici la
réponse aux questions qui nous ont été posées : si elles ne lui suf
fisent pas, nous sommes tout à sa disposition pour les renseigne
ments qui pourraient lui manquer.
1° Ce fut un mouvement contre-révolutionnaire et des causes
purement politiques qui amenèrent l’arrestation du jeune Fauvcly
et son emprisonnement à Nîmes.
2° Fauvety était protestant, et avait été obligé pour se marier
comme tel d’aller faire célébrer son mariage en Suisse.
3° Il dut quitter Orange peu de temps après le 9 thermidor (15
jours ou un mois au plus), devant la réaction triomphante et re
vint à Paris.
4° Mis en étal d’arrestation, il fut tiré de prison le lfi prairial an
trois à une heure du matin et conduit en poste avec d'autres pri
sonniers politiques dans la direct ion de Lyon et d’Avignon.
L’escorte était nombreuse (le convoi se composait, prisonniers
et gendarmes, de 24 personnes). Cependant Fauvety parvint à s'é
chapper en route près de Joyeuse. Bientôt repris, il fut incarcéré à
Avignon. Il était dans la prison de cette ville le 3 messidor. Son
jugement fut prononcé entre le 3 cl le 7 messidor.
L’auteur parait ignorer la cause par laquelle J. Fauvety quitta
les fonctions qu’il remplissait à Uzès. Ce fut pour remplir à Paris
les fonctions de juré du tribunal révolutionnaire, après quoi il fut
choisi pour présider la commission d’Orange.
�—
Je joins à ees renseignements copie de la dernière lettre qu’il
écrivait à sa femme quelques instants avant sa mort.
(Copie de la lettre de madame V....).
Note 95
Avignon, 7 messidor, an troisième d e là république fran
çaise. une et indivisible.
Ma chère amie,
Tu seras veuve lorsque lu ouvriras celte lettre. Je suis con
damné à mort après la procédure la plus inique, instruite par
un tribunal composé de contre-révolutionnaires nos ennemis per
sonnels. Mon crime est, d’avoir fait exécuter les loys de la con
vention, mon crime est d'avoir agi de bonne foy. Si j’eusse été un
fourbe, je vivrais au milieu de mes concitoyens ; mais j'aurais le
remords d’avoir eu le visage à deux faces. J ’ai été franc et loyal
républicain, je meurs avec la consolation d’avoir fait mon devoir.
Ce que je regrette, c’est de ne pouvoir rendre à mon digne père
et à ma respectable mère les soins qu’ils ont pris de moi. Ecoule,
ô ma Fanchetle, ce que je ne puis faire tu dois l'accomplir :
mon père est bon, je L’invite à le respecter, à prendre soin de
luy, parce que lu es ma femme lu dois remplir vis à vis de mes
parents les devoirs que je leur dois. Tu es mère, Fanchettc,
prends soin de ton nourrisson, mon père sera le sien, élève cette
jeune plante de manière à ce qu’elle puisse un jour faire l’honneur
de la famille, lie pauvre enfant n’a pas connu son père. Tu luy
parleras quelquefois de moi, lu l’élèveras dans des principes répu
blicains. Tu luy apprendras que son père fut victime de son zèle
pour la république ; et que cependant il mourut en bénissant cette
même république. Adieu, ma chère amie, je meurs innocent, que
ma mort ne fasse point courber la tête à ma veuve. Je ne la crois
pas déshonorée parce que des scélérats, nos ennemis des rova-
407
—
listes infâmes ont été nos juges et que nous sommes patriotes.
Adieu, ma mie, adieu, je t’embrasse. Prends soin de mon enfant.
Respecte pour l’amour de moi mon père et ma mère. Venge si tu
le peux ma mémoire, mes assassins ne seront pas toujours puis
sants, un teins viendra où il sera démontré que nous sommes as
sassinés. Venge ma mémoire, mais cependant pardonne à mes
assassins. Je le quitte, dans quelques heures je n’auray plus de
vie; tandis quej’cn jouis encore, je l’invite à penser quelquefois à
moi, encore un coup, prends soin de l’enfant et sois le soutien de
la vieillesse de mon père et de ma mère. Embrasse pour moi mon
pauvre enfant.
Adieu, adieu, ton ami, ton époux,
F auvety.
(Pourcopie conforme, veuve Verdier, née Fauvety).
N ote 96
Cette appréciation est conforme à l’histoire. En effet, on a tou
jours vu une révolution dévorer ses enfants. El pour ne parler
que des membres de la Convention, nous pouvons citer la fin
misérable de Cl présidents de celte assemblée. L’Epoque, journal
de Marseille, donne à ce sujet le tableau suivant :
Guillotinés..............................................
S uicidés..................................................
Déportés.................................................
In carcérés..............................................
Fous à lie r ..............................................
Mis hors de la lo i..................................
18
3
8
0
4
22
FIN
<1
�ERRATA ADDENDA
ERRATA
PAGE
38
63
:
PAGE
i
33
-17
49
72
80
108
129
163
176
179
347
LIGNE
26
44
13
33
5
0
29
13
19
24
33
15
AU LIEU DE
LISEZ
plus flatteuse
Væ victis
l’entendit qu’il disait
Bacon, et autres qui
Beridan
trois frères
du reste des actes
comme cela arrive
autant que possible
surpris, confondus
1789
Cbandalas
moins sévère
Yœ victis
l’entendit qui disait
Bacon-Tacon et autres qui
Beridon
deux frères
du reste, des actes
comme cela se voit
autant que nous pourrons
étonnés
1798
Chandolas
72
72
I
I
SU
220
269
28!
315
315-316
316
316
316
316
LIGNE
en tête
30
8
II
2
23
15
29
17
30
0
3
i
8
316
9
316
16
316
| 317
1 317
317
318
319
319
30
5
20
23
1
18-19
AU LIEU DE
de la page..............
Issartel . . . .
Le 18 les q u a tre ..............
avec Tiran, qui quelques
heures plus tard était
arrivé, et qu’un nouveau
crime.
trois frères, Jacques el . .
jarrières.....................
1694 ..................................
Moine. D'quemannas. . .
Félix, e tc ..........................
Long, e tc ..........................
Joudon ..............................
Philip, etc.........................
Frégier, etc..., chanoine. .
Ghièze, Frédéric, etc . . .
USEZ
VIII.
Eyssartel.
Déjà le 18, les quatre.
avec Tiran : quelques heures plus tard, un nonveau crime.
trois frères Jacques, et.
jarretières.
1794.
Morin, D<i»e Morénas.
Félix, etc..., âgé de 54 ans.
Long, etc.... âgé de 42 a ns.
Joudon.
deleatur.
Frégier, etc..., négociant.
Cliieze. Frédéric, etc....
âgé de 69 ans.
Ghieze, Jérôme, etc . . . Cliieze, Jérôme, eLc..., âgé
de 72 ans.
Boulogne, e tc ................... Boulogne, etc..., Agé de 41
ans.
Dany, etc..., âgé de 58 ans.
I)àny, e tc ..........................
Gros, e tc .......................... Gros, etc..., Agé de 52 ans.
Léonard, etc..., l'ontannier. Léonard, etc... foulonnier.
Allier, etc...,âgéde 57ans.
Allier, e t c . ......................
Blanchel, e t c ................... Blanchet..., Agé de 36 ans
Bernard, Joseph, de Ca- Bourdon, Joseph-BernardBarnabé-Amable, de Cabrières, propriétaire, 36
brières, cordonnier-agrians; Bourdon, Amable,
culteur, Agé de 35 ans.
de Cabrières, agriculleur, 36 ans
Imbert, Joseph, deCahrières, Agé de 36 ans.
�PAGE
LIGNE
320
320
0
A ü LIBÜ DE
prêtre diacre......................
320
320
323
324
324
324
324
325
325
12
27
26
Charles, de Oaromb . . .
Jacques, François-Nicolas, prêtre
Vincent, de Sailli, prêtre.
65 ans
l ubi s ..................................
M arcel...................
• •
Oaudibert , F r a n ç o i s - A d o l p h e
i
extraordinairement. . . .
27
5
5-6
325
327
332
8
22
découvrir..........................
Pollier Duplessv...............
U SEZ
Diacre.
Reboul, François, de Cour
thézon, âgé de 43 ans.
Pélissier, Marie-Elisabeth,
religieuse,âgéede53an$.
Blanc, Marie-Claire, reli
gieuse, âgée de 53 ans,
Chabrier, de Caromb.
Jacques, Polycarpe, prêIre, âgé de 65 ans.
deleatur.
fabis.
Morel.
deleatur.
Courbier, Nicolas, perru
quier, âgé de 35 ans.
Richaud, François, eultivaleur, âgé de 36 ans.
extraordinairement sur•pris.
décerner.
Potier Duplessy.
X. H. Les pièces ollieielles des noies 64 el 68 sont tirées du régislredes
correspondances du Comité révolutionnaire de surveillance d’Orange.
��
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Monographie imprimée
Description
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Ouvrages imprimés édités au cours des 16e-20e siècles et conservés dans les bibliothèques de l'université et d'autres partenaires du projet (bibliothèques municipales, archives et chambre de commerce)
Dublin Core
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Title
A name given to the resource
Episodes de la Terreur : tribunal révolutionnaire d'Orange
Subject
The topic of the resource
Jurisprudence après 1789
Histoire
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Baumefort, Victor De. Auteur
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque de droit Schuman (Aix-en-Provence), cote RES-259174
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Seguin (Avignon)
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domaine public
public domain
Relation
A related resource
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Vignette : https://odyssee.univ-amu.fr/files/vignette/RES-259174-Episodes-Terreur_vignette.jpg
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
1 vol.
407 p.
21 cm
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
text
monographie imprimée
printed monograph
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/320
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
Orange. 17..
Alternative Title
An alternative name for the resource. The distinction between titles and alternative titles is application-specific.
Tribunal révolutionnaire d'Orange
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence)
Description
An account of the resource
L'époque de la Terreur à travers l'histoire d'un tribunal révolutionnaire. L'auteur, s'appuyant essentiellement sur des faits et de nombreuses pièces justificatives, revendique l'objectivité de son analyse
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1875
Abstract
A summary of the resource.
L'analyse historique et l'exposition des évènements sont corroborés par près d'une centaine de notes et de pièces justificatives
Spatial Coverage
Spatial characteristics of the resource.
<p>Episodes de la Terreur : tribunal révolutionnaire d'Orange <br />- Feuille <i>Orange</i> ; 210 ; 1867 ; Dépôt de la Guerre (France) ; Chartier (graveur)/Gauché (graveur)/Hacq (graveur)/Lorain (graveur), ISBN : F802101867. <br />- Lien vers la page : <a href="http://www.cartomundi.fr/site/E01.aspx?FC=27397" target="_blank" rel="noopener">http://www.cartomundi.fr/site/E01.aspx?FC=27397</a></p>
France -- 1789-1799 (Révolution)
France -- 1793-1794
France. Tribunal révolutionnaire (1793-1795)