À chaque rentrée solennelle, le procureur général (exceptionnellement son substitut) ou l'avocat général prononce un discours inaugural sur un thème particulier (jamais deux fois le même sur la période traitée de 80 ans) :
- d'abord en matière juridique, des réflexions et des analyses approfondies sur le droit, ses fondements, ses procédures, comme la réparation due aux victimes des erreurs judiciaires, l'indépendance du barreau et du droit de libre défense, le juge d'instruction et les droits de la défense, le problème des récidivistes, la juridiction des prud'hommes pêcheurs de la Méditerranée. Sans dévoiler d'emblée s'il s'agit des preuves présentées par les parties adverses ou d'un questionnement déontologique sur sa propre pratique, l'un de ces discours s'intitule "
le magistrat doit savoir douter".
Le Palais de justice d'Aix-en-Provence (Wikimédia)
- ensuite des questions d'ordre historique sur les institutions et les pensées politiques comme le Parlement de Provence, les plaidoyers de Mirabeau devant la sénéchaussée, les tribunaux révolutionnaires dans les Bouches-du-Rhône, sur Fourier, un ancêtre du socialisme, ou encore sur l'influence de Marseille sur le droit maritime français. Façon de souligner que la justice n'est pas atemporelle, que la mission de rappeler le droit ou le devoir de l'interpréter (il s'agit d'une juridiction d'appel) ne peut pas être déconnectée de la réalité et qu'un arrêt est toujours pris
ici et maintenant.
Le Palais de justice d'Aix-en-Provence (vers 1920, carte postale acquise par le SCD printemps 2022)
- enfin, des questions contemporaines, parfois brûlantes, sur des sujets de société, de mœurs, de morale comme la condition civique et politique de la femme, la littérature récente face aux lois de répression, la presse, le suicide. A l'occasion du discours sur le suicide du 16 octobre 1891, le substitut du procureur général déclarera à l'assemblée "
Messieurs les avocats, les grands problèmes sociaux ne sauraient vous laisser indifférents". Comment le pourraient-ils alors que depuis plus d'un demi-siècle, toutes les rentrées solennelles, parfois aux accents de leçon inaugurale, rappellent à la magistrature son rôle et ses engagements dans toute son ambition et dans toutes ses limites.
Le paradoxe d'une institution judiciaire, symbole de procédures longues et austères du recours face aux décisions de justice et qui, à son plus haut niveau, développe des réflexions originales qui ne se cantonnent pas aux discours convenus et consensuels, qui interroge la société et ses propres pratiques professionnelles et qui n'évite pas les questions sensibles et potentiellement polémiques : un corpus salutaire et sans tabou de 55 discours réfléchis et argumentés (60 p. en moyenne), sans préjuger de leur teneur politique.
D'autres discours de rentrée solennelle sont accessibles en ligne.