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DE MARSEILLE
PAR AUG USTIN FABRE
TOME PREMIER
MARSEILLE
IMPRIMERIE ET LITHOGRAPHIE DE JULES BARILE
RUE PARADIS
��0610187183
����DE MARSEILLE
PAR AUG USTIN FABRE
TOME PREMIER
MARSEILLE
IMPRIMERIE ET LITHOGRAPHIE DE JULES BARILE
RUE PARADIS
��HISTOIRE
DES HOPITAUX
ET
DES INSTITUTIONS DE BIENFAISANCE
DE MARSEILLE.
��HOPITAUX
ET
DE MARSEILLE.
PAR A U G USTIN FA B R E.
TOME PREMIER.
MARSEILLE.
<»•
IMPRIMERIE ET LITHOGRAPHIE DE JULES BARILE ,
RUE PARADIS , 1 5 .
1854.
4MW4
��INTRODUCTION.
Mes goûts, mes convenances, le caractère de mes études,
j’ose dire encore l’amour de mon pays, m’ont fait entreprendre
des travaux historiques sur Marseille, et j’y consacre, depuis
plus de vingt ans, tous les moments de liberté que me
laissent mes diverses fonctions publiques. Je ne me suis pas
pressé assurément, convaincu que ce qui est rapide est.
superficiel d’ordinaire. Il en est des œuvres de l’homme
comme de celles de la nature. Une chose n’est bonne et
durable qu’à la condition d’être mûrie par le temps. Cette
loi semble faite surtout pour les travailleurs qui défrichent le
champ de l’histoire.
Je m’y suis soumis librement. Durant mes patientes
explorations, j’ai réuni d’immenses matériaux, lesquels se
pressent tellement sous ma main , qu’ils ne me laissent plus
que l’embarras du choix.
J’ai remué bien des bibliothèques ; j’ai consulté bien des
ouvrages imprimés et j’ai lu tout ce qui, de près ou de loin,
�VI
INTRODUCTION.
pouvait avoir quelque rapport avec les sujets que j’ai traités.
J’en imposerais si je déclarais que je n’ai tiré aucun profit
de ces lectures ; mais je dois avouer avec une entière franchise
que je n’ai trouvé là que des ressources d’un avantage assez
médiocre. L’art de faire des livres avec des livres est une
chose usée, en nos jours d’investigation, de critique , je
dirai même de satiété intellectuelle. Laissons la littérature
industrielle et facile se traîner dans ces voies vulgaires, et
cherchons dans des routes moins battues, mais plus escarpées,
j’en conviens, un but plus utile et plus lumineux.
Une bonne histoire locale est une œuvre bien difficile,
d’autant qu’il faut éviter la sécheresse de la dissertation qui
semble plus particulièrement appartenir au domaine d’une
composition de ce genre, et qu’en même temps il n’est pas
permis, sous peine de tomber dans la déclamation et le
mauvais goût, de mettre à son service cette largeur de vues,
ces grandes proportions que comportent des sujets d’une
portée plus générale et d’un caractère plus imposant.
Il y a là, je le sais, bien des écueils pour l’écrivain. Mais
quel que soit le goût qui domine ; que l’on adopte la manière
des chroniqueurs qui racontent et ne démontrent pas, ou
que l’on donne la préférence à l’école historique qui expose
philosophiquement les causes et les effets, toujours on
conviendra que l’histoire locale 11e se fait pas avec des
�INTRODUCTION.
VII
livres. Pour moi, je n’hésite pas. L’instinct, l’observation,
l’expérience m’ont démontré cette vérité qui, je le pense ,
est en dehors de toute discussion pour les hommes sérieux
qui n’attachent du prix qu’aux ouvrages instructifs et de bon
aloi. Pourquoi dire ce que d’autres ont dit avant nous? Le
changement de forme n’est pas même une excuse. Les
ornements de détail, les fleurs de l’imagination , les artifices
du style n’y font rien. C’est l’indigence parée de quelques
oripeaux.
Le temps n’est plus où l’esprit humain s’endormait, au
bruit des poétiques mensonges. Notre siècle sceptique et
calculateur veut tout examiner, tout approfondir, cherche à
se rendre compte de tout, remonte aux sources dignes de
confiance, exige des certificats d’origine. Ces conditions nous
font la vie bien dure ; mais il faut s’y soumettre sans murmu
rer, car, après tout, elles sont justes.
J’ai donc fini par mettre de coté les livres qui n’avaient
plus rien à m’apprendre et ne pouvaient plus que m’égarer,
et c’est ailleurs que j’ai demandé des secours , des lumières
et des inspirations. Je me suis même efforcé de me séparer
des traditions anciennes , de rompre avec mes premières
études, d’imposer silence à mes souvenirs de jeunesse , pour
me réfugier sur un terrain jusqu’ici sans culture, qui m’a
offert une nature vierge, des horizons nouveaux et des
trésors inconnus.
�Les sujets d’histoire que j’ai à publier, je les ai tirés pièce
à pièce de nos archives locales ; j’ai fouillé le passé avec une
ardeur persévérante , et je n’accorde créance dans mes récits
qu’à des textes originaux et qu’à des titres authentiques.
Par système autant que par goût, je suis , je veux être
l'homme des petites choses et des détails minutieux. Si ces
choses et ces détails semblent insignifiants ou puérils lorsqu’on
les isole les uns des autres, ils ont, quand on les groupe et
quand on leur donne du relief, un corps qui n’est pas sans
charmes, une âme pleine de chaleur. Sur cette scène mou
vante apparaissent l’esprit, les mœurs, le caractère, les cou
tumes et les croyances de nos ancêtres. Tout leur état poli
tique , administratif et social vient s’y peindre avec les
couleurs qui lui sont propres, car alors seulement l’histoire
se montre avec ses aspects variés, ses circonstances intimes,
ses formes saisissantes, sa physionomie véritable. Entre un
portrait ressemblant, mais fait sans art , et un simple
portrait de fantaisie exécuté avec talent, mon choix n’est
pas douteux : le premier a ma préférence.
Je n’aime que ce qui est naturel et vrai. Je respecte
toutes les convenances sociales, mais je ne puis souffrir, au
point de vue historique et moral, les choses de convention
et d’emprunt. Loin de moi tout ce qui a du fard, tout ce
qui se drape dans une attitude théâtrale. Voulez-vous bien
�INTRODUCTION.
IX
connaître un homme ? gardez-vous de le voir quand il pose
en public; étudiez-le dans son intimité, au sein de son mé
nage , si c’est possible ; prenez-le en déshabillé. Tous avez
chance, j’en conviens, de surprendre en sa personne plus de
faiblesses et de ridicules que de grandes et belles facultés ;
mais ce sera lui.
L’histoire des mœurs et des intitulions n’est, après tout,
que celle des hommes. Elle se forme à l’aide des chroniques
du temps , des chartes contemporaines , des manuscrits
poudreux , des monuments municipaux , de tous ces débris
épars que les veilles laborieuses de l’érudit et du paléographe
parviennent à sauver de l’abîme des âges où tout se préci
pite et périt.
Je me propose d’offrir à mes concitoyens , dans des publi
cations successives et distinctes les unes des autres, l’histoire
des institutions et des mœurs de Marseille. Ces mots com
prennent tout ce qui concerne une ville antique et célèbre
sur laquelle on a déjà beaucoup écrit, mais sur laquelle aussi
presque tout reste encore à dire. J’ai à parler de ses corpo
rations , c’est-à-dire de toutes ses classes de citoyens ; de ses
usages civils, de ses coutumes domestiques, de ses fêtes
publiques, de son langage. Le théâtre , les arts, les sciences
et les lettres, auront dans ces annales la place qui leur est
due. Je ne puis passer sous silence le régime judiciaire, le
�INTRODUCTION.
siège épiscopal, les établissements religieux ; l’état des juifs
attirés à Marseille par l’instinct du trafic et par l’amour du
lucre. Je n’ai rien à dissimuler dans mes tableaux véridiques.
Tout y entre naturellement, le bien comme le mal, et le beau
et le laid, les grandeurs aussi bien que les petitesses. J’ai à
décrire tous les désordres moraux et les honteux ravages
de la prostitution.
Comment évoquer les vieux souvenirs de Marseille, sans
s’étendre sur son commerce qui fit toujours sa gloire et sa
prospérité ?
Je dirai aussi tout ce qu’a d’attachant l’histoire de l’an
cienne administration d’une ville si long-temps agitée par
tous les mouvements de la vie communale. J’exposerai le
système de ses finances et de ses impôts ; l’organisation de sa
police ; ses magistratures consulaires ; les variations de ses
réglements électoraux ; les luttes et les divisions de ses prin
cipales familles ; l’état de la noblesse, les habitudes de la
bourgeoisie, la condition du peuple ; ces changements de
toute sorte , cette mobilité, cet esprit d’inquiétude qui
travailla nos pères et les tint en haleine. Oui, je raconterai
leurs joies et leurs douleurs ; je révélerai toute leur existence,
car je crois en avoir surpris tous les secrets.
Je décrirai l'état matériel de la cité à diverses époques, les
changements de sa physionomie, et ses agrandissements
�INTRODUCTION.
XI
successifs; j'indiquerai l’origine du nom de ses rues ; j’es
quisserai leur histoire ainsi que celle des édifices publics, et
je ferai aussi une promenade historique dans les quartiers de
la banlieue.
Je commence par l’histoire des hôpitaux et des institutions
de bienfaisance. Ma position officielle me commande , en
quelque sorte, de donner la priorité à ce travail, objet plus
spécial de mes prédilections et de mes soins. Le titre seul a
de l’aridité ; le fond des choses, quand on y pénètre, met en
lumière les plus curieuses richesses. C’est une mine inépui
sable, surtout pour l’étude du moyen-âge vers laquelle se
portent de nos jours tant d’esprits investigateurs qu’anime le
feu de la science historique. Le génie de la bienfaisance, mis
à l’œuvre en des temps si divers et selon l’esprit de chaque
époque, n’offre-t-il pas un spectacle plein d’intérêt ? Ah !
plus que nous, sans doute, nos aïeux eurent besoin de se
lancer dans la noble et libre carrière des sentiments miséri
cordieux , car l’imagination recule devant les tableaux qu’ils
nous ont laissés de leurs misères. On verra tout ce qu’ils ont
fait pour soulager la plaie du paupérisme , plaie incurable qui
fut leur plus grand tourment, comme elle est encore le plus
grand embarras et le plus grand souci de notre société brillante
de civilisation, de luxe et d’élégance. On suivra la marche et
les progrès de l’assistance publique qui, de nos jours, s’est
�XII
1NTR0DUTI0N.
élevée au rang d’une science administrative de premier ordre,
grosse de questions obscures et de redoutables problèmes.
J’ai mis à contribution les archives de l’Hôtel-Dieu de
Marseille, qui renferment celles des anciennes maisons de
charité de cette ville. Un vide des plus regrettables s’y remar
que pourtant. Il n’y a rien touchant l’ancien hôpital des lépreux
de Saint-Lazare, et je n’ai pu savoir ce qu’étaient devenus
les papiers et les titres de cette œuvre importante. Les par
chemins des autres maisons ont en général disparu ; il n’en
reste que quelques-uns, rares épaves d’un grand naufrage.
Cependant une circonstance heureuse est bien faite pour
diminuer nos regrets : des livres d’inventaire de titres,
du quatorzième siècle et du quinzième, nous indiquent les
actes et les chartes que l’hôpital Saint-Esprit et celui de
Saint-Jacques-dc-Galice possédaient depuis leur fondation ,
et tout y est énoncé avec assez de développement pour nous
faire connaître l’origine , la nature et la portée précise de ces
titres perdus. L’analyse en est faite d’une manière assez
satisfaisante.
Des inventaires d’objets mobiliers m’ont, d’un autre côté,
fourni d’abondants secours. Le plus vieux est de l’année
1306, et l’Hôtel-Dieu ne possède aucun document original
d’une date antérieure.
J’ai aussi fait une riche moisson dans des livres de recettes
�INTRODUCTION.
XIII
et dépenses qui se rapprochent de cette époque. Le prix des
denrées alimentaires, la valeur et l’usage des divers objets,
l’organisation des services, le régime des.enfants trouvés,
les salaires de leurs nourrices, le traitement des malades,
les fondations pieuses, tout, dans ces livres, se dessine de
la façon la plus attachante. On y remarque une foule de
faits qui intéressent toujours, quand ils servent à peindre,
en ces temps reculés, les tendances morales de nos aïeux,
aussi bien que les affaires et les besoins de leur vie matérielle.
À tout prendre, les archives de l’Hôtel-Dieu ont une haute
importance. Elles forment une de nos collections les plus
précieuses.
Rouleaux, cartons , dossiers, registres, papiers de toute
espèce, j’ai tout exhumé, dépouillé, classé avec une exactitude
rigoureuse. Mes transcriptions et mes notes en ont pris la
substance.
Il fallait bien aussi recourir aux archives de la Mairie de
Marseille , car il y a dans ce grand dépôt, où l’on voit éga
lement de malheureuses lacunes produites par des mains
ignorantes ou spoliatrices, quelques chartes et plusieurs
délibérations du conseil municipal, relatives aux affaires des
hôpitaux, au moyen-âge et dans les temps qui le suivirent.
J’ai rapproché ces textes inédits de ceux de l’Hôtel-Dieu, et
je les ai fondus dans une œuvre d’ensemble à laquelle j’ai
cherché à donner des proportions harmoniques.
�XIV
INTRODUCTION.
Je viens donc aujourd’hui, avec une patriotique confiance,
exposer au grand jour de la publicité ce fruit de longues
recherches et d’études absolument neuves. O Marseille, ma
ville natale, accepte ce tribut d’amour filial ! Mon ambition
sera satisfaite, si tu me sais gré de mes intentions et si tu
m’accordes quelque estime.
�HISTOIRE
DES
HOPITAUX
ET
DES INSTITUTIONS DE BIENFAISANCE
DE MARSEILLE.
HÔTEL-DIEU SOUS LE TITRE
d ’ h OPITAL
GÉNÉRAL SAINT-ESPRIT
ET SA IN T-JA C Q U ES-D E-G A LIC E .
CHAPITRE I«\
Les Peuples anciens n’eurent point d’hôpitaux. — Les Gentils et les
Juifs. — Rome sous les empereurs.— Influence du christianisme
sur les Établissements de Bienfaisance.— Hôtels-Dieu de Lyon et
de Paris.— Esprit de charité des anciens Marseillais.— Hôpitaux
du Saint-Sépulcre, de Sainte-Marthe, de Saint-Cannat, de SaintMichel, du Château-Babon , de Saint-Antoine, de Saint-Benoît,
de Notre-Dame-d’Humilité, de Saint-Étienne, de Saint-Vincent.—
Hôpital de l’Annonciation , fondé par Giraud Aymeric. — Son
mobilier dans le quatorzième siècle.— Ses revenus, son adminis
tration et son régim e.— Hôpitaux de Notre-Dame-de-l’Espérance,
de Saint-Étienne, de Saint-Maur.— Maison des pauvres veuves. —
�Hôpital de Saint-Raphaël pour les teigneux. — Toutes ces maisons
ne furent que des institutions particulières. — La puissance
publique n’eut pas à s’en occuper,— Graves abus dans leur
régime. — La plupart d’entr’elles ne purent se soutenir.
On s’accorde à reconnaître que les nations anciennes
n’eurent pas d'hôpitaux et que l’institution des asiles
ouverts aux souffrances humaines leur fut tout-à-fait
inconnue. 1 Sous ce rapport, le peuple d'Israël ne se
distingua pas des Gentils. Il pratiqua, il est vrai,
l’hospitalité avec un religieux empressement. Les livres
saints nous montrent les patriarches recherchant les
nécessiteux, courant au-devant des voyageurs et met
tant leur gloire à les servir eux-mêmes. La loi mosaïque
vint au secours de l’indigence. Elle voulut que les prêts
faits aux pauvres le fussent sans intérêt. 2 Après avoir
tâché d’établir entre les citoyens l’égalité de fortune,
elle comprit que cette égalité, minée insensiblement
1. De la Bienfaisance Publique, par M. de Gérando. Paris, 1859,
t.. 2 , p. 136.— Annales de la Charité, revue mensuelle, l re année.
Paris, 1845, p. 13 et sniv.
2. Lévitique, ch. 25, v. 56 et 37.— Deutéronome, ch. 23, v. 19
et 20.— Exode, ch. 2 2 , v. 25.
Ces prescriptions ne furent établies qu’en faveur des Juifs indigents.
La législation mosaïque permit le prêt à intérêt dans les contrats passés
avec les étrangers.
Voyez encore, sur ce sujet, Josèphe, Antiquités Judaïques, liv. 4 ,
ch. 8. — De Pastoret, dans son ouvrage intitulé : Moïse considéré
comme législateur et comme moraliste. Paris, 1788, p. 451 et suiv.
�1. Ldvitique, ch. 25, v. 24.
2. Lêvitique, ch. 25, v. 10, 11 et 13.
5. Deutéronome, ch. 15, v. 1 et 2 — voyez aussi le second livre
d'Esdrus, ch. 8, v. 51. Les Hébreux pouvaient cependant exiger ce qui
leur était dû par les étrangers qui habitaient leur pays. Deutéronome,
ch. 15, v. 3.
4. Deutéronome, ch. 14, v. 28 et 29. Ch. 26, v. 12.
5. Lêvitique, ch. 19, v. 9 , et ch. 2 3 , v. 22. Voyez aussi l’E xode,
ch. 2 3 , v. 10 et 11. Cette dernière loi abandonne, tous les sept ans,
les productions naturelles de la terre à l’indigent, à la veuve, à
l’orphelin, à l’étranger.
jM | -!
par la différence des esprits et des caractères, par le
mouvement du travail, parla nature même des choses,
ne résisterait pas à tant de causes de destruction,
et Moïse y pourvut par quelques mesures de politique
et de bienfaisance dont la curieuse législation des
Hébreux nous offre seule le tableau. Les ventes ne
furent que des cessions d'usufruit et on ne put les faire
que sous la condition du rachat. 1 L'année jubilaire
restituait à l’ancien possesseur ou à sa famille les terres
aliénées 2 et l'année sabatique libérait les débiteurs. 5
La loi établit tous les trois ans une dîme au profit du
pauvre, de la veuve, de l’orphelin et de l’étranger. 4
Elle fit leur part en ordonnant aux propriétaires de
ne pas cueillir jusqu’au dernier les fruits de leurs
champs, de leurs vignes et de leurs vergers. 5
Mais la plupart de ces dispositions remarquables à
�18
tant de titres, qui recommandaient 1aumône comme
l’œuvre la plus méritoire aux yeux du Seigneur,
étaient plutôt des préceptes moraux que des prescrip
tions coercitives et revêtues d une sanction pénale.
Elles furent sans doute bien insuffisantes, et le légis- .
lateur des Israélites , pas plus que ceux des nations
payennes, n institua des asiles hospitaliers pour les
vieillards infirmes, les enfants délaissés et les pauvres
malades.
D'ailleurs, en dépit de tant de beaux préceptes, le
peuple d’Israël, par système sinon par inclination,
n’avait qu’une aversion profonde pour tous ceux qui
n’obéissaient pas à ses lois religieuses. Au milieu de
la modération des autres cultes, le Judaïsme, élevé
dans le mépris des nations étrangères, se montrait
insociable, exclusif, inhumain, fier de ses annales
pleines d'inconstances, de souillures, de meurtres, et
dont tant de pages,semblent écrites avec le sang qui
coulait du glaive de l’ange exterminateur. Un grand
poète romain dit do l’Israélite : « Il n’indiquerait pas
» la route au voyageur qui n’est pas de sa secte; il
» ne montrerait pas la fontaine à un incirconcis. » 1
Au reste, la haine que ce peuple portait aux étrangers
\.
Non monstrarc vias, eadem nisi sacra colenli;
Quæsitum ad fonlcni solos dèducere verpos.
Juvenal. Satira xiv. Exemp.
�— 19 —
lui était rendue avec usure, et le peu que les anciens
historiens ont dit de lui témoigne qu’il était générale
ment détesté.
Athènes érigea des autels à la Pitié, divinité misé
ricordieuse que Pausanias proclame la plus utile de
toutes dans les vicissitudes de la vie. 1
D’admirables maximes de philanthropie brillent dans
les écrits des philosophes de l'ancienne Rome, et ses
poètes empruntent bien des fois la beauté de leurs sen
timents et l’éclat de leurs couleurs à l’expression d’une
sensibilité naturelle et touchante. Le plus véhément et
le plus acerbe d’entre eux, Juvénal, se demande quel
est l’homme de bien qui peut voir avec indifférence les
maux de ses semblables.2 II dit encore que la nature,
en nous donnant des larmes, témoigne assez qu’elle
nous a doués d’un cœur compatissant, et que c’est le
plus beau présent qu elle ait fait au genre humain. 5
�—
20
—
Plusieurs causes concoururent , chez les Romains ,
à rendre moins nécessaire l’existence des hôpitaux.
Le lien du patronage unissait les nobles aux plébéiens
et faisait un devoir aux uns et aux autres de se secourir
mutuellement dans leur détresse. 1 Les grands distri
buaient quelquefois à leurs clients de l'argent et des
vivres. 2 Le droit d'hospitalité établi entre les familles,
les villes, les provinces, était religieusement observé.
Il assurait aux voyageurs la subsistance et le logement.
Rome,sous les empereurs, suppléait aux établissements
de bienfaisance par des distributions fréquentes de
blé, 5 par la remise de l’arriéré des impôts ou d'une
partie des dettes particulières. 4
Sous la république, comme sous l’empire, l'escla1. Gravina, Esprit des lois Romaines, traduit du latin par Requier.
Amsterdam, 1766, t. 1, p. 116 et suivantes.— Antiquités Romaines/par
Alexandre Adam, traduites de l’anglais, 2me édition. P aris, 1826)
t. 1, p. 48 et 49.
2. Ces distributions s’appelaient Sporlula. Voyez Juvénal, Satire 1,
Cur saliras scribat, vers 72; Satire 3, Urbis Incommoda, vers 249;
Satire 10, Vola, vers 46; Satire 13, Depositum , vers 53.
3. Sur la Distribution de blé aux citoyens indigents, voyez les lois et
les auteurs romains cités par Alexandre Adam , ouvrage ci-dessus men
tionné , t. 1. p. 505, 315, 316 et 542.
4. Suétone, Vie de César, § 3 8 ; Auguste, § 35, 41, 42; Tibère, 20,
48; C aligula, 17, 18, 37 ; Claude, 21 ; Néron, 11 ; Domitien, 4.
Voyez aussi Dion Cassius , livres 55 et 57.
�21
vage, ce droit monstrueux, cette source de tant de
maux physiques et de tant de dégradation .morale,
n'était pourtant pas sans quelque compensation de
bien. La plupart des hommes libres trouvaient, à l’om
bre des lois nationales et des fortes institutions de
famille, un abri contre la misère, et les esclaves, dans
leurs besoins et leurs maladies, attendaient tout de
leurs maîtres qui avaient à pourvoira tout.
L abolition de la servitude et surtout les invasions
des Barbares, deux causes bien différentes assurément,
ouvrirent au monde un abîme de maux inouïs jus
qu’alors, 1 en même temps qu elles imposèrent à la
charité de nouvelles et plus grandes obligations. Alors
naquit la nécessité d’organiser les secours publics.
Le christianisme y prit une grande part. Son esprit
favorisa toutes les idées d’assistance, d’aumône et
d’hospitalité. 2 C’est là sans contredit un de ses titres
de gloire. Mais gardons-nous de tout attribuer à sa
1. Statistique des Etablissements de bienfaisance. Rapport au ministre
del’intérieur sur l’administration générale des Hôpitaux et des Hospices,
i re partie, par Ad. Wateville, inspecteur-général des établissements
de bienfaisance. Paris, 1851, p. 1.
2. Fleury, Mæurs des chrétiens, p. 200 et suivantes. — Ancienne ci
nouvelle discipline de l’Eglise touchant les bénéfices et les bénéficiers, par
Louis Thomassin. Paris, 1725, t. 1, p. 574, 1,095 et s u iv .-L m espen
opéra. Jus eccles.iasticum m ivcrsum , t. 1, edilio novissima. Lovanii,
1721, p. 8.74 el seq.
�seule influence et de croire sur parole ces esprits en
thousiastes ou systématiques lesquels ne tiennent pas
suffisamment compte, clans cette question, des faits
politiques et sociaux qui, en dehors des idées chré
tiennes, concoururent aussi à rénover le monde. La
religion, devenue maîtresse des affaires humaines, dut
prendre l’initiative des œuvres de miséricorde et les
placer sous sa sauvegarde. Elle ne manqua pas à ce
devoir dont l’accomplissement servait d’ailleurs fort
bien ses désirs et ses plans de domination temporelle.
Le docte et pieux Thomassin avoue de bonne foi que
tous les hôpitaux ne furent pas l'ouvrage de l’Église.
Il y en eut beaucoup qui ne furent fondés que par la
piété des laïques, et plusieurs de ces hommes charita
bles s’adonnèrent à l’exercice de l’hospitalité avec un
zèle si ardent et signalé par tant de sacrifices qu’ils atti
rèrent sur eux la jalousie et quelquefois même la per
sécution des évêques et des prêtres. 1
Ce fut à la sollicitation de saint Sacerdos,archevêque
de Lyon, que Childebert Ier, fils de Clovis, et la reine
Ultrogothe, son épouse, fondèrent, clit-on, en l’année
542, le grand Hôtel-Dieu de cette ville, l’un des
hôpitaux les plus anciens , les plus vastes et les plus
complets que la France possède. 2
i
•
1. Thomnssin, ouvrage c ité , t. 1, p. 1109.
2. Histoire littéraire de la ville de Lyon , par le P. de Colonia , de
la Compagnie de Jésus, t. 1. p. 3 10 .— Histoire topngraphigue et
médicale du grand Hôtel-Dieu de Lyon, par Pointe, 1842, p. 1 et 2 ,
�— 23 —
Presque tous ceux qui ont écrit sur l’Hôtel-Dieu de
Paris en ont attribué ia fondation à saint Landri,
évêque de cette ville, qui vivait au septième siècle ;
mais cette opinion n’est appuyée sur aucun monument
historique et ne résiste pas à un examen sérieux. Ce
n’est là qu’une ancienne erreur. 1 L’Hôtel-Dieu de
Paris est mentionné pour la première fois dans un
titre de l’an 829. 2
Les Provençaux, tout pétris de passions mobiles ,
mais facilement entraînés par des émotions généreu
ses, furent toujours sensibles au spectacle de la misère
et des douleurs; et quant aux Marseillais en particu
lier, la bienfaisance forma l’un des traits distinctifs de
leur caractère. Cette vertu éclata sans doute de bonne
heure dans des œuvres de charité dont les témoi
gnages officiels sont malheureusement perdus. Il est
probable que par suite des relations du commerce
marseillais avec le Levant, des maisons d’assistance
publique furent plus tard fondées à Marseille sur le
modèle des hospices établis à Jérusalem durant les
croisades.
L’histoire nous a conservé le souvenir de plusieurs
de ces maisons hospitalières de Marseille.
.1 Histoire de la ville et du diocèse de P aris, par l’abbé Lebeuf,
t. 1, p. 25.
2. Histoire physique, civile et morale de P aris, par Dulaurc, l mc
édition, t. 2, p. i8 1 et 182.
�— n —
Celle du Samt-Sépulcre, l’une des plus anciennes,
était administrée par des directeurs dont l’un rem
plissait les fonctions de chapelain, et elle était servie
par des frères qu’on appelait, du nom de l'hôpital, les
frères du Saint-Sépulcre. En l’année 1204 , les direc
teurs achetèrent des moines de Saint-Victor quinze
cent cannes de terrain pour le prix d’une masmodine
neuve d’or, monnaie fabriquée en Orient par les
Sarrasins, et sous la cense dune livre de poivre,
payable chaque année à l’abbaye, la veille de la fêle
de son saint patron.1 C'est à peu près tout ce que nous
savons de cet établissement de charité.
L’hôpital de Sainte-Marthe, fondé par le&moines de
Cruïs de l'ordre de Saint-Augustin, au diocèse de
Sisteron, existait à Marseille au commencemenl du
treizième siècle. 2
La fondation de l’hôpital de Saint-Cannat remontait
à la même époque. Celle de l’hôpital Saint-Michel,
au-dessous de la colline de ce nom, avait été faite en
1214 par Bremond, prévôt du chapitre de la Majorée
Marseille, et par un de ses parents nommé Itier, tous
les deux membres de la maison seigneuriale de Roque
fort. Cet établissement, fut richement doté par ses
fondateurs; il possédait des maisons, des censes et
1. L'antiquité de ier/lise de Marseille et la succession de ses évê
ques. Marseille, 1747, t. 2, p. 24 et 25.
2. Ruffi, Histoire de Marseille, t. 2, p. 111.
�— 25
d’autres biens, mais il était servi avec une extrême
négligence par des frères hospitaliers d'Hyères, et c'est
ce qui en fit changer la destination. En 1242 il avait
pour juspatrons trois seigneurs de la famille de Roque
fort, Aicard, Raimond et Pierre Bremond. Ces deux
derniers étaient frères de Nicole de Roquefort, abbesse
de Sl-Pons de Gémenos, et le premier était son cousin.
Le 3 du mois d’avril de la même année, ils donnèrent,
avec la permission de Benoit d’Alignano, évêque de
Marseille, l’hôpital de Sf-Michel à l’abbesse de SaintPons, pour qu’elle y instituât un prieuré ou une abbaye,
selon sa convenance. L’acte de donation fut passé
dans la chapelle du palais épiscopal, en présence de
l’évêque et de deux témoins, Guillaume de la Mer et
sa femme Alasatie. 1 Nicole de Roquefort établit dans
l’hôpital Saint-Michel l’abbaye de Notre-Dame-deSion. Les fondateurs s’étaient réservé le patronage de
la fondation nouvelle, o’est-à-dire le droit de nommer
la prieure ou l'abbesse; mais ce droit ne fut jamais
exercé, caries religieuses deNotre-Dame-de-Sion élu
rent leur abbesse jusqu’en 1687. Cette année,LouisXIV
fit choix de la dame Thérèse d’Arcussia du Revest,
et depuis lors la place d'abbesse fut à la nomination
du roi. 2
î . Voyez le texte de cet acte de donation dans le Gallia chrisliana
dionysii Sam m artliani, t. 1, p. 700 Voyez aussi la page 652 du
même tome.
2. L’antiquité de l’éylisc de Marseille ci la succession de scs' évêques.
Marseille, 1747, t. 2 , p. 169.
�— 26 —
On voyait à Marseille, en 4230, un hôpital près du
Château-Babon, grand palais que les anciens vicomtes
de Marseille avaient fait bâtir et qui était situé dans
le voisinage de l’église Saint-Laurent. 1 Un autre
hôpital que l’on avait dédié à la Sainte-Trinité.2 Un
troisième sous le titre de Saint-Antoine.
La déplorable condition du peuple et sa mauvaise
nourriture, en ces temps d’ignorance, de misère et
d’affreuses mœurs, avaient engendré une cruelle mala
die inconnue dans les siècles plus heureux et plus civi
lisés. On l’appelait indistinctement le mal de saint
Antoine , la maladie des ardents ou d’enfer, le feu
sacré, parce qu’il paraissait au-dessus de la puissance
humaine, et que la multitude attribue toujours à des
causes surnaturelles les fléaux meurtriers qui l’acca
blent.3 Dans les années 945, 4 041 et 4 429, toute la
France fut affligée de cette horrible maladie laquelle
corrompait la masse du sang et nourrissait un feu in
térieur qui dévorait le corps entier couvert d’ulcères
incurables. Comme le feu d’enfer attaquait aussi les
organes de la génération, on crut qu’il était le fruit
d’une débauche honteuse, et au commencement du
t. Ruffi, Histoire de M arseille, t. 2 , p. 301.
2. Ruffi, même ouvrage, t. 2 , p. 111.
5. Le nom de feu sacré était ancien. Virgile s’en sert en parlant
de la peste des animaux : Conlactos arlur sacer if/nis edebat. Georg.
lib. 5.
�règne d’Henri III on se prit à dire que Dieu, pour châtier
les coupables, « espandit son ire sur eux, les affligeant
» d une ardeur extravagante et feu nuisible qui leur
» rongeait misérablement les membres avec lesquels
» ils avaient failly et lesquels ils avaient employés au
» service du diable ». 1
L’origine de l’ordre des religieux de Saint-Antoine
remontait à l’année 1095. Ces religieux ne formèrent
d’abord qu’une communauté séculière d’hospitaliers
voués au service des pauvres malades du feu d’enfer.
C’étaient de simples laïques vivant, sans faire aucun
vœu, sous la dépendance de l’abbaye de Montmajour,
qui les avait placés dans son hôpital du prieuré de
Saint-Antoine, à laMothe-Saint-Didier, près de Vienne
en Dauphiné. Plus tard ils se rendirent indépendants de
Montmajour et s’érigèrent en congrégation religieuse.
Le Pape Boniface VIII, par une bulle de 1297, les fit
chanoines réguliers. 2
On ne sait pas précisément en quel temps ils furent
reçus à Marseille. Leur maison y était établie en 1180,
1. Histoire de la ville de Paris, par D. D. Félibien et Lobineau,
prêtres, religieux bénédictins de la congrégation de Saint-Maur, t. 1,
p. 156.
2. Histoire de la ville de P aris, par l). I). Félibien et Lobineau ,
prêtres, religieux bénédictins de la congrégation de Saint-Maur, t. 1,
p. 663 et 666.
�' — 28
sous le titre de commanderie. 1 Le relâchement s’étant
introduit dans l’ordre de Saint-Antoine, comme dans
la plupart des autres instituts monastiques, cet ordre
fut réformé au commencement du dix-septième siècle.
Dans le treizième siècle et sans doute beaucoup
plus tard, l’hôpital des religieux de Saint-Antoine de
Marseille recevait les malheureux frappés du feu d’en
fer. 2 C’est tout ce que nous en savons.
L’hôpital Saint-Benoît était ouvert à Marseille en
l’année 1302, et en 1360 Isnard Eiguesier fonda celui
de Notre-Dame-d’Humilité. Il y avait, dans le quin
zième siècle, les deux hôpitaux de Saint-Etienne et de
Saint-Maur, le premier en 1420, et le second en 1471.
On voyait aussi, dans la banlieue, près de l’Huveaune,
un hôpital qui portait le nom de Saint-Vincent. 5
Par testament du 13 octobre 1372, Giraud Aymeric,
honorable jurisconsulte marseillais, 4 fit un legs de
1. Archives de la maison de Saint-Antoine de Marseille, citées .par
les auteurs de l’antiquité de l’église de Marseille et la succession-, de
ses évêques, t. 2 , p. 12 et 15.
2. Ruffi, Histoire de Marseille , t. 2 , p. 111.
5. Ruffi, ouvrage cité, t. 2 , p. 111 et 112,
4. Discret home savi en drect. Telle est la qualification qui lui est
donnée dans un acte de quittance délivré, en 1590, à Nicolas Novel
et Hugues Thomas, recteurs de l’hôpital de l’Annonciade, chapelains
de la chapelle de Saint-Barthélemy , établie dans l’église des Accoulcs,
par Giraud Aymeric. Cette quittance est annexée au registre des
recettes et dépenses de cet hôpital pour l’année 1589, registre in-4",
coté AA , aux archives de l’Hôtel-Dieu.
�— 29 —
cent florins a Guillaume Aymeric, son neveu, laissa
des sommes moins considérables à quelques autres
personnes, et fonda à la rue de l’Annonerie-Haute, 1
aujourd’hui la rue Sainte-Marthe, l’hôpital de NotreDame de l’Annonciation qu’il institua son héritier
universel.2 11ne paraît pas que cet hôpital ait jamais
eu beaucoup d’importance. Nous en trouvons le
témoignage dans l’inventaire de son mobilier fait le
19 du mois d’août 1384 par le notaire Guillaume
Tornatoris, d’apres les ordres de ses deux recteurs
Raymond de Fuveau et Artaud d’Esparron, en présence
du baille Raymond de Laugier. On y voit que l’hôpital
de l’Annonciation , ou pour mieux dire de TAnu onciade,
car c’est ainsi qu’on l’appela toujours , avait vingt-six
lits de bois, mais qu'il ne possédait que treize mate
las, tant bons que mauvais , et une seule couverture
d’un prix modique. On y trouvait soixante et treize
draps de lit de diverse valeur. 5
1. Lespital de Nostra Dona Lanonciada que es pausat a la carriera
de Lanonaria sobeyrana. Registre des recettes et dépenses de cet hôpital,
in-4°, coté B B , fol. 1, aux archives de l’Hôtel-Dieu.
2. Livre-trésor, ou inventaire des actes, titres, droits et 'propriétés
de l’hôpital Saint-Esprit de Marseille, 1399, fol. 99 verso , aux archives
de l’Hôtel-Dieu.
3. Et primo tam in habitatione hominum quam mulierum ipsius
hospitalis lectos fuste xxvi.
Item in eisdem lectis xm mathalassia tam bona quam debilia.
Jtem unum copertorium pauci valoris.
Item lx xiii linteamina tam bona quam debilia.
Transcriptum inventarii bonorum mobilium hospitalis beate Marie de
nunciata, etc. In-4° de quelques pages, aux archives de l’Hôtel-deVille de Marseille, 4e Division.
�30 —
Au mois de juin 1389 il fit confectionner dix-huit
matelas qui lui coûtèrent une livre dix sous, à raison
de vingt deniers la pièce, 1 et le 19 décembre de la
même année il acheta chez le juif Davinet de la toile
pour trente-deux autres draps, le tout au prix de dixneuf livres. 2
Les revenus annuelsde cet hôpital étaientd’environ
trois cent soixante-six livres à la fin du quatorzième
siècle. 3 Ils ne consistaient qu’en censes.
Giraud Aymeric voulut que l’administration de son
hôpital fût confiée à deux recteurs nommés chaque
année par le conseil municipal, lequel ne manqua pas
de remplir ce devoir. Un agent, sous le titre d’économe
ou de baile, était chargé de toute l’économie domesti
que de la maison. Il recevait de petites sommes des
mains des recteurs, au fur et à mesure des besoins ,
et pourvoyait ainsi aux dépenses ordinaires. Jean
1. A ni de jun avem pagat per far xvm matalassas à xx d. la pessa
i lib. x s. Registre des recettes et dépenses de l’hôpital de l’Annonciade,
1389, in -4°, coté AA. sans pagination , aux archives de l’Hôtel-Dieu.
2. A xviiii de décembre avem pagat a Davinet jusieu per xi cordas
de telo mens ii palms que n’avem fach xxxii lansols montan xviiii lib.
Même registre coté AA.
5. En 1389, les revenus de l’hôpital de l'Annonciade furent
de 565 liv. 8 s. 6 d.
Ses dépenses de 368
2 «
Déficit.
2 liv. 13 s. 6 d.
C’est ce qu’on peut voir dans le registre coté AA.
�Breton exerçait cet emploi en 1389 et 4390. Il demeu
rait avec sa femme dans l’hôpital, et recevait annuel
lement neuf livres de gages, seize émines de blé et
quatorze milleroles de vin. 1On l’habillait de plus lui
et sa femme aux frais de la maison.
L’hôpital de l'Annonciade secourait quelquefois
des malades à domicile. Du moins le 5 mars 4389 il
donna seize sous à la femme Douce Sabatier qui avait
à sa charge, à la rue des Gavotes, une malade nommée
Daurline; 2 et le 3 août 4390 il compta, pour éviter
une plus grande dépense, huit sous à un pauvre homme
que l’on se proposait d’y porter. 3
Un jurisconsulte marseillais, nommé Guillaume
Lauthaud, dit de Carris, suivit l’exemple d’Aymeric.
En 4385, il laissa par testament la somme nécessaire
1. Avem dat per vi mes per companage per Johan Breton e per sa
mollier nu lib. x s.
Avem dat à Johan Breton per la provihon de si et de sa molher per
vi mes vm emina deblat vin lib.
Mai li avem dat per vi mes per si et per sa molher vii milayrolas de
vin a i flori la milayrola motan xi lib. mi s. Registre coté AA , cidessus cité.
2. A v de mas avem donat a Dousa Sabatiera resebent en nori Daurlina malauta estant en la cariera de las Gavotas per sotiniment de son
mal xvi s. Même registre AA.
3. A ni dahost avem baylat a i paure homme que esta en la payrolaria que lo voliam portar a lespital et per squivar mayor despensa vin s.
même registre AA.
�— 32 —
pour la construction de 1hôpital de Notre-Dame-del’Espérance, 1 sur le compte duquel nous ne savons
rien, sinon qu’il était situé près la fontaine de Rodeoux, aujourd’hui Radeau.
Des titres anciens mentionnent encore l’hôpital
Saint-Etienne en 1420, et celui de S’-Maur en 1471.
Une dame charitable, appelée Douce Fouquière, or
donna par ses dispositions testamentaires, en 1469,
que sa maison, sise au quartier deBlanquerie, servît
d’asile aux veuves indigentes. A peu près à la même
époque, l’hôpital de S^Raphaël paraît avoir été des
tiné aux teigneux. Il était dans l’enclos du couvent des
Carmes d’Àigalades, où l’on voyait une source d’eau
merveilleuse guérissant, selon la croyance populaire,
les malades qui avaient foi aux mérites du saint pa
tron. Comme cette maison tombait en ruine en 1491,
Jacques de Remezan, maître d’hôtel du roi de France,
lui fit un legs pour qu’on la réparât. 2
On donnait alors, comme beaucoup plus tard, le
nom d’hôpital à tous les établissements en faveur des
pauvres, quels qu’en fussent d’ailleurs le titre de fon
dation , la nature et l’usage. La plupart de ces œuvres
si multipliées n’étaient que des institutions particu
lières dont la direction avait été réglée par les fonda
teurs. Les bienfaits des personnes charitables les sou
tenaient, sous la surveillance de Lévêque, protecteur
1. Ruffi , Histoire de M arseille, t. 2, p. 112.
2. Ruffi, même ouvrage, t. 2, p. 115.
�33
de toutes les œuvres de piété. A vrai dire, toutes ces
maisons, décorées du nom d’hôpital, ne furent jamais
considérables et ne purent soulager les douleurs hu
maines que dans une étroite mesure.
Chose digne de remarque dans la naissance des ins
titutions de charité ! La puissance publiquè n’y fut
jamais pour rien. On ne demanda rien aux finances
municipales. Tout fut fait par le zèle des hommes secourables aux malheureux, par l’expansion des idées
religieuses et des sentiments de miséricorde, par la
sympathie des âmes sensibles, compatissantes, saisies
d’une sainte tristesse à la vue du mal débordant sur
une société mal ordonnée. Le pouvoir, immobile et
silencieux, se contenta de laisser faire. On ne le vit
jamais jouer un rôle actif.
De graves abus se cachèrent, sous le voile du bien
public, dans le régime de quelques-uns de ces hôpitaux .
Les canons d’un concile provincial tenu à Arles en 1260
nous apprennent qu’il existait en Provence un grand
nombre d’établissements charitables , mais qu’ils
étaient presque inutiles aux malheureux, parce qu’il
y avait des clercs, et même des séculiers, qui s’en
faisaient donner l’administration et s’en.appropriaient
ensuite les revenus, sans s'embarrasser des besoins
des pauvres. 1 Le scandale était général, et, dans le
1 Harduiui acta conciliorum et épistolæ décrétâtes ac constitutiones
summorum pontificum, t. vu, p. 514 et a lo , de Regimine hospilalium.
TOM. I.
3
�— 34 —
relâchement de la discipline, la plupart des membres
du clergé parvinrent à convertir cette administration
en titres de bénéfice dont ils ne rendaient aucun
compte. Ils dissipaient les biens et laissaient périr les
bâtiments. 1
Plusieurs de ces maisons, ne pouvant se soutenir,
furent supprimées. D’autres, telles que celle de NotreDame-d’Espérance, de Notre-Dame-de-l’Annonciade,
de Saint-Jacques-des-Épées , de Saint-Jacques-deGalice dont je n’ai encore rien dit parce que je dois
placer ailleurs ce que j’ai à en dire, furent, à diverses
époques , réunies à l’hôpital du Saint-Esprit dont je
vais parler. C’était l’une des plus anciennes maisons de
charité de Marseille ; c’en était sans contredit la plus
importante et la plus utile, et c'est la seule qui, après
avoir vu tant de ruines amoncelées autour d’elle, tant
de débris jetés à tous les vents, ait eu le privilège de
résister au temps qui dévore tout.
I. Institution au droit ecclésiatique, par l’abbé Fleury, nouvelle
édition, augmentée de notes par Boucher d’Argis. Paris 1707, t. 1 ,
p. 50ti.
�CHAPITRE II.
Institution des frères hospitaliers du Saint-Esprit de Montpellier.—
Importance de cet ordre; ses règles et son costume.— Les enfants
trouvés chez les anciens. — Influence de la Charité chrétienne
sur l’amélioration du sort de ces enfants.— Les frères du SaintEsprit de Montpellier fondent un hôpital à Marseille. — Leur
organisation dans ce dernier établissement.— L’hôpital Saint-Esprit
de Marseille institue celui du Pont Saint-Geniez. — Diverses
puissances placent l’hôpital de Marseille sous leur protection
spéciale. — 11 a sous sa dépendance l’hôpital d’Aubagne. —
Description de ce petit hôpital.— Les frères Donats consacrés à
l’hôpital Saint-Esprit de Marseille.— Divers faits qui les concernent .
— Recteurs de l’hôpital Saint-Esprit.— Leur nomination, leurs
attributions et leurs droits.— L’autorité municipale s’immisce
quelquefois dans l’administration de l’hôpital.— Diverses délibé
rations à ce sujet.— Statuts de la maison.
q
[
ceux qui ont parlé de Tordre du Saint-Esprit
de Montpellier ne sont pas d’accord sur son origine.
Quelques-uns lui ont donné une antiquité chimérique,1
Tous
1. Histoire des Ordres Monastiques, Religieux et M ilitaires, et des
Congrégations séculières de l'un et de l'autre sexe. Paris 1714, t. 2 ,
p. 195 et suiv.— Arrêts notables des différents tribunaux du royaume,
pour servir de suite au journal du Palais, par Mathieu Augeard.
Paris 1756, t. 1, p. 528 et suiv.
�36 —
et dans cette question, comme dans toutes celles qui
sont controversées, les écrits se multipliant ajoutent à
l’incertitude.
Cependant il paraît que vers le milieu du douzième
siècle vivait à Montpellier ou dans les environs un
homme de la famille et de la vie duquel nous ne savons
rien , sinon qu’il aima les pauvres et travailla beau
coup à leur soulagement. Les chroniques du temps
l’appellent indifféremment frère Guy ou maître Guy. 1
Quelques-uns, trompés par la similitude des noms et
plus encore par la grandeur des établissements, le font
fils de Guillaume, seigneur de Montpellier,^2 comme
si la gloire avait quelque chose de commun avec la
naissance. Après tout, les témoignages historiques
résistent à cette filiation. 3 Guy fonda près de Mont
pellier, hors la porte de Saint-Gilles, quelques années
avant la fin du douzième siècle, un hôpital qu’il plaça
sous le vocable clu Saint-Esprit et dans lequel on
reçut les malades et les enfants trouvés. Cet ordre, qui
en peu de temps s’étendit dans plusieurs endroits, fut
1. Des hospices d'enfants trouvés, en Europe et principalement en
France, depuis leur origine jusqu à nos jo u rs, par Remacle. Paris 1838,
p. 54.
2. Histoire de la ville de Montpellier, seconde partie, contenant
l’origine de son église, par messire Charles d’Aigrefeuille. Montpellier
1739, p. 321.
■ 5. Histoire générale de Languedoc, par un religieux bénédictin de
a congrégation de Saint-Maur, t. 3 , p. 43 et 546.
�— 37
d’abord mixte, c’est-à-dire composé d:ecclésiastiques
engagés dans la vie religieuse par des vœux solennels,
et de laïques ne faisant que des vœux simples. On le
regarda dans la suite comme militaire; mais rien ne
prouve que les frères du Saint-Esprit aient pris les
armes dans les croisades, comme les autres hospita
liers. 1
Quoiqu’il en soit, ils portaient sur le côté gauche de
leur soutane et de leur manteau une croix de toile
blanche à six pointes dans la forme de celle de Lorraine.
Durant l’été, lorsqu’ils étaient au chœur, ils avaient
un surplis avec une aumusse de drap noir doublé de
drap bleu sur lequel se dessinait une croix de l’ordre.
En hiver ils portaient un grand camail avec une chappe
noire doublée d’une étoffe bleue, les boutons du camail
étant de cette dernière couleur. En France, les hos
pitaliers du Saint-Esprit mettaient toujours sur le bras
l’aumusse de drap noir bordée et doublée d’une four
rure de couleur semblable. En Italie ils la portaient
quelquefois sur les épaules, et en Pologne ils ne se
servaient pas d’aumusse, mais ils mettaient sur leur
surplis une espèce de mozette violette sans capuce,
qui n’était pas ronde, comme les autres, mais des
cendait en pointe par derrièréf Ils changèrent plus
tard la forme de leur croix et lui donnèrent douze
pointes. 2
1. Histoire des Ordres Monastiques, Religieux et M ilitaires, etc. ,
t. 2 , p. 205.
2. Même ouvrage, t. 2 , p. 216, 217 et. 218.
�— 38 —
L'ordre des hospitaliers du Saint-Esprit entretenait
des nourrices pour allaiter les enfants trouvés.
Presque tous les peuples anciens, les plus civilisés
aussi bien que les plus barbares, avaient donné le
scandale de l’exposition et de l'infanticide. Us avaient
même exercé cette pratique épouvantable avec l’ordre
et l'indifférence qui s’attache aux choses les plus
simples et les plus naturelles. Le principal complice
de ce crime fut le droit de vie et de mort dont les
pères étaient armés, et la plus grande facilité fut la
corruption des esprits et des caractères. Ensuite les
législateurs, dans leurs méditations sur le méca
nisme des sociétés, regardèrent comme un mal une
population trop considérable. Quelques-uns voulurent
qu elle se réglât sur les moyens de subsistance ; d’au
tres , que le nombre des citoyens fût à peu près
invariable, pour qu'ils ne tombassent pas dans l in
digence qui inspire de mauvais conseils 1 et pousse à
des actes désespérés; qui donne aux heureux du
monde de l’embarras, de l'inquiétude, et souvent
même des remords. Le but commun était de n’avoir
que des hommes robustes qui pussent au besoin
devenir soldats. 2
1. Et metus, et nialesuada famés, ac turpis egestas. Œneidos.
lib. vi.
2. Essai sur Fhistoire des Enfants trouvés, depuis les temps les plus
anciens jusqu’à nos jours, par M. de Gouroff. Paris 1829, passim.
�39 —
La charité chrétienne n’attendit pas la naissance de
l'ordre des hospitaliers du Saint-Esprit pour s’émouvoir
à la vue du triste sort des enfants abandonnés. 1 Dans
les Gaules, le code Théodosien et les canons des
conciles pourvurent à cette misère , mais d’une ma
nière incomplète qui accusait encore l’état d’une
société flétrie par les abus de la force et de l’esclavage.
Les hommes étaient encore si peu disposés à mettre
des vertus bienfaisantes au service de l’enfance dé
laissée, qu’il fallut donner à la pitié publique l’appât
de l’intérêt particulier. Le concile de Yaison en 442, 2
le second concile d’Arles tenu dix ans après, et celui
d’Agde, en 306,5 ordonnèrent diverses mesures pour
la conservation des nouveaux nés, qui furent les
esclaves de ceux qui les élevaient. Childéric III ne fit
pas autre chose. Ce roi des Français, qui avait défendu
le meurtre des enfants sous peine d’homicide, publia,
vers l’année 744, un capitulaire semblable aux décrets
des conciles, 4 et pendant la plus grande partie du
moyen-âge les enfants trouvés devinrent, par le con
cours des deux puissances, la propriété des personnes
1. Fleury, Mœurs des Chrétiens, p. 558.
2. Harduini Acta conciliorum et Epistolœ décrétâtes et constitutianes
summorum pontificum, t. 1, p. 1790.
5. Harduini, ibid. t. 2 , p. 777.
Baluzius, Capitularia regum francorum. Nova cditio. Parisii, 1780,
t. 1. Capitularia Childerici n i, de exposito infante, p. 151.
�— 40 —
qui en prirent soin. 1 C’était faire payer bien cher à
ces pauvres et frêles créatures la conservation de la
vie ainsi acquise aux dépens de la liberté.
L’ordre du Saint-Esprit de Montpellier compléta la
bonne oeuvre que d’autres temps et d’autres mœurs
n’avaient pas permis d’accomplir dans sa plénitude.
Cet ordre, un des mieux dotés de la chrétienté, prit,
comme je l’ai dit, un accroissement considérable, 2
et la ville de Marseille fut une des premières qui eut
une de ses maisons. Y appela-t-on les compagnons du
frère Guy, ou ceux-ci y vinrent-ils spontanément,
mus par cet esprit d’expansion et de prosélitisme qui
travailla toutes les communautés religieuses en ces
jours de ferveur voisins de ceux de leur naissance?
Nous ne le savons pas. Seulement l’histoire témoigne
que ces frères hospitaliers obéissaient à un chef qui
portait le titre de commandeur et avait la direction
de 1hôpital.
Au commencement de 4188 ils achetèrent de
l’abbaye Saint-Sauveur une maison dans laquelle ils
reçurent, conformément à leurs règles, les malades et
les enfants abandonnés, avec la permission de Barrai,
1. De Gouroff, ouvrage cité, p. 100 et suiv.
2. Il y a en France un grand nombre d’hôpitaux qui ont retenu
jusques à nos jours le nom de Saint-Esprit, lequel leur assigne une
origine commune. Le service des enfants trouvés ne s’est pas maintenu
dans tous, mais il y a existé.
�— 41 —
vicomte de Marseille, qui leur accorda des privilèges.
Mais comme cet hôpital, dès son origine, fut regardé
comme insuffisant, un habitant, nommé Hospinell,
donna aux fondateurs, au mois de décembre de la
même année, avec le consentement de l’abbesse de
Saint-Sauveur, un terrain contigu qui relevait de
l’abbaye à laquelle le nouvel hôpital fut obligé de
payer annuellement, la veille de Noël, une cense de
quinze sous royaux couronnés. 1
A peine se vit-il soumis à cette redevance qu’il
voulut la diminuer. Le commandeur n’offrit que treize
sous. Hermeline des Baux, abbesse du monastère,
exigea le paiement de la cense entière, et il y eut un
procès que l’on soumit au jugement de deux arbitres,
Guillaume Yivaud et Guillaume de Sainte-Marie, les
quels déboutèrent, en l’année 1203, le commandeur
du Saint-Esprit et rétablirent dans tous leurs droits
les religieuses de Saint-Sauveur. Ils ordonnèrent de
plus qu'à l'avenir les frères hospitaliers n’auraient
1. Cette précieuse charte de donation est malheureusement perdue,
mais elle est sommairement énoncée, avec d’autres titres d’un grand
intérêt, dans le livre-trésor de l’hôpital Saint-Esprit de Marseille, 1399,
f° 57 recto, aux archives de l’Hôtel-Dieu. Una carteta facha lan 1188
del mes de desembre, contenent lo comensament del hospital de SantSprit de Masselha comsi alcun appellat Hospinell donet la luega...........
per far e fondai’ lo dicli hospital am consentiment de la donna abbadessa de Sant Salvador e de son covent, e la donation facba per
Mossen Barrai del Bans scnhor adovcs e vcscomc de Masselha.
�42 —
pas besoin du consentement de ces religieuses pour
nommer leur commandeur, mais que celui-ci, immé
diatement après son élection, serait obligé de porter
les clés de l’hôpital à l'abbesse qui les lui rendrait
aussitôt en signe de mise de possession. 1 .
En 4246, le commandeur Durand ne voulut pas
se soumettre à cette cérémonie. Il prit possession par
lui-même et prétendit s’affranchir, lui et l’hôpital, de
toute dépendance à l'égard de l’abbesse. Celle-ci,
nommée Dulcine, fit présenter une supplique au Pape
qui nomma le prieur de Sainte-Marie de Manosque
pour entendre les parties et prononcer sur leurs dif
férends, selon les canons de l’église, avec pouvoir
d’employer les censures pour l’exécution de la sen
tence que nous ne connaissons pas. 2
Les noms de quelques autres commandeurs de l’hô
pital Saint-Esprit de Marseille nous ont été conservés.
1. Ruffi, Histoire de Marseille, t. 2 , p. 91 et 92.
2. Archives de Saint-Sauveur, citées par les auteurs de l’histoire des
évêques de Marseille, t. 2 , p. 183.
Nous voyons qu’en 1330 l’hôpital Saint-Esprit payait encore à l’ab
besse de Saint-Sauveur la cense de xv s. Item per la sensa que fa lespital a labadessa de Sant Salvador xv s. Registre des recettes et dé
penses de cet hôpital, 1330, in-4°, aux archives de l’Hôtel-Dieu.
On lit dans une autre page du même registre :
Avem donat per la sensa que fa lespital a labadessa de Sant Sal
vador c près zo Mossen Raimon Blateiras sagrestan de nostra dona
de Aquoas xv s.
�43 —
Nous voyons dans des titres anciens que le frère
Pierre Serena et le frère Jean exerçaient cet emploi,
l'un en 1296 i , et l’autre en 1306. 2
Les autres frères hospitaliers étaient, en la même
année 1306 : Estève, Marcel, Pierre, Hugues et
Pierre Giraud. 5
Le frère Jean Lombard était commandeur en 1311. 4
I,e commandeur avait un lieutenant choisi parmi
les frères. Cette charge de lieutenant existait du moins
en 1277, car un acte du 1er août en donne le titre
à Bertrand Scalona. 5
L’un des frères exerçait les fonctions de baile,
c’est-à-dire d’économe et d’employé aux écritures et
aux détails économiques de la maison. Une charte
du 26 août 1300 fait mention du frère Chabert, baile
de l’hôpital. 6 En 1306, le frère Pierre Sergual tenait
les écritures et le livre des recettes et des dépenses. 7
Un acte du 13 juin 1338 parle du frère Atmeneron,
investi de la même charge. 8
1. Livre-Trésor de l'hôpital Saint-E sprit, 1399, fol. 50 verso et 53
recto, aux archives de l’Hôtel-Dieu.
2. Registre des recettes et dépenses du même hôpital, 1306 , fol. 1.
5. Même registre, 1306, passim.
4. Livre-Trésor, 1599, fol. 50 verso et 53 recto.
5. Frayre Bertran Scalona lieutenent del comandayre del hospital do
Sant Sperit de Masselha. Même livre-trésor, fol. 48 recto.
6. Même livre-trésor, 1399, pages indiquées ci-dessus.
7. Registre des recettes et dépenses de 1306, fol. 1.
8 Livre-Trésor, 1599, fol. 48 recto.
�44
Il ne paraît pourtant pas que, dix ans après, cet
emploi fût occupé par l’un des frères hospitaliers,
car le 19 octobre 1348 l’hôpital Saint-Esprit mit à
son service un écrivain nommé Pierre de la Fargue,
aux gages de dix livres par an. 1
Les religieux du Saint-Esprit, pleins de foi dans
la fécondité de leurs œuvres et dans la puissance de
leurs destinées, recherchaient toutes les occasions
de créer des établissements de leur ordre. Ceux de
Montpellier avaient fondé l’hôpital de Marseille, et
l’hôpital de Marseille, peu de temps après son ins
titution, fonda l’hôpital de Saint-Geniez, c’est-à-dire
du Martigues, 2 et y construisit une église et un pont.
Les érudits n’ont pas connu ce fait considérable dans
les annales particulières de l’Hôtel-Dieu de Marseille
et dans l’histoire générale de l’institut du SaintEsprit. 3
1. Avem fag covenent am P. de la Fargua per eser escrivan de Iespital per 1 an e presen lo a xviin octobre e deu aver dun an x lib. Re
gistre des recettes et dépenses, 1348-1349, in 4«, marqué N, sans pa
gination chiffrée, aux archives de l’Hôtel-Dieu.
2. Castrum Sancti Genesii, insula S. Genesii, Pons S. Genesii. Voyez
sur leMartiguesla chorographie de Provence par Honoré Bouche, p. 321.
3. Les deux Ruffi, dans leur histoire de Marseille (première édition,
p. 594. Deuxième édition, t. 2 , p. 112) parlent, il est vrai, de l’hô
pital de Saint-Geniez, mais ils ne disent pas qu’il fût fondé par l’hôpital
Saint-Esprit de Marseille, et d’ailleurs ils paraissent croire qu’il était
situé à Saint-Geniez, dans le territoire de cette ville, ce qui est une
grave erreur.
�— 45 —
L’îlede Saint-Geniez 1 appartenait alors à l’arche
vêque d’Arles. Telle était du moins la prétention de ce
prélat, duquel relevèrent, dès leur origine, le nouvel
hôpital et la nouvelle église. Les hospitaliers du SaintEsprit cultivèrent dans l'île deux terres à fourrage,
sous la cense annuelle d’une livre de poivre payée
à l’archevêque. 2
Le 14 janvier 1211, Hugues des Baux, vicomte
et seigneur de Marseille, prit sous sa sauvegarde
l’hôpital Saint-Esprit de cette Ville et celui du pont
de Saint-Geniez. 5 Par une lettre, du 6 août 1212
l’évêque d’Aix accorda cinq jours d’indulgence à
tous ceux qui feraient des dons à ce dernier hôpital,
et l’évêque de Marseille
accorda, aux mêmes fins,
lif
1. Celte île et les deux presqu’îles, nommées Jonquière et Ferrière,
formèrent d’abord trois communautés bien distinctes qui furent réunies
en une seule par lettres-patentes du mois de juin 154-9.
2. Ità quod nomine arelatensis ecclesiæ conslructa erat ibi ecclesia
ethospitale, quam ecclesiam et hospitale bospitalarii lenuerant longuo
tempore ab ecclesia arelatensi, in tantum quod infrà ipsam insulam
prœfati hospitalarii excolerant et redegerant ad agriculturam duas ferragines nomine ipsius hospitalis, prœstando ecclesiæ arelatensi censum
videlicet unam libram piperis.Acte d’échange, passé le 5 janvier 1223,
entre Raymond Béranger, comte de Provence et l’archevêque d’Arles.
Registre pergamenoram, arm. A, fol. 67 verso, aux archives du roi.
Cet acte a été imprimé en 1779, à Aix, chez Mouret, in-4°, de 10
pages.
3. Livre-Trésor de l’hôpital Saint-Esprit de Marseille, 1599 , fol. 58
verso.
�une indulgence de trois jours seulement. 1 T/évêque
d’Uzès, légat apostolique, exhorta aussi par lettre
tous les fidèles à secourir de leurs aumônes 1œuvre
de l’église, du Pont et de l’hôpital de Saint-Geniez. Enfin le roi d’Aragon, marquis de Provence, pu
blia une lettre datée du château de Fos, au mois de
février 1304, pour se déclarer le protecteur de cet
hôpital. 3
Quant à l'hôpital Saint-Esprit de Marseille, il reçut
aussi de hauts témoignages de l’intérêt puissant qu'il
inspirait. Le 6 septembre 1255 l’évêque de cette ville,
Benoît d’Alignano, le recommanda à la bienfaisance
de ses diocésains, et le 1er octobre de la même année
l’évêque d’Avignon suivit cet exemple. En 1322 et
et 1341, l'évêque de Toulon exhorta ses ouailles à ne
pas l’oublier dans leurs libéralités. Enfin, les papes
Innocent IV et Grégoire IX mirent cet hôpital, ses
personnes et ses biens sous la protection de SaintPierre et sous la leur en particulier. 4
1. Livre-Trésor, 1599 , fol. 58 verso.
2. Una letra en pergamin de Moss l’évesque d’Usez, légat apostolical, exortant un cascun de subvenir e far almorna a lobra de la gleza
del Pont e del bospilal de Sant Ginieys quai es del hospital Sant Sperit
de Mass. Même liv. fol. 59 recto.
3. Una letra en pergamin data en lo castell de Fos lan 1504. del mes
de fébrier contenent comsi lo senbor Rey Daragon marques de Prohensa près en sa protection e salva garda la maison e lespital del Pont
de Sant Ginieys, Ibid. fol. 57 verso.
4. Même livre-trésor, fol. 59 recto.
�On a dit que quelques habitants d’Aubagne com
prirent de bonne heure la nécessité d’un asile public
pour leurs pauvres concitoyens malades ; mais que,
comme leurs moyens ne leur permettaient pas de
fonder une maison dans leur petite ville, ils léguèrent
à l’hôpital Saint-Esprit de Marseille des biens dont
les revenus devaient être appliqués au soulagement
de leurs compatriotes forcés de recourir à la bienfai
sance publique ; que dès lors Aubagne envoya à Mar
seille ses malades et ses enfants abandonnés. 1
Nous ne savons quelle foi mérite ce récit, ni sur
quels titres il repose. Les documents originaux et
pleins d'authenticité qui nous servent de guides nous
apprennent au contraire que, dès le commencement
du quatorzième siècle, il y avait à Aubagne même
un hôpital dont celui de Marseille avait la direction.
Aussi bien la maison de Marseille était appelée l’hô
pital Saint-Esprit de Marseille et d’Aubagne, espital
de Sant Sprit de Marselha e d’Albaha. 2 L’hôpital
de Marseille retirait les revenus de celui d’Auba
gne, en faisait cultiver les biens et pourvoyait à
ses dépenses. Les preuves abondent sur ce point.
1. M. Masse, statistique de la commune d’Aubagne, dans le réper
toire des travaux de la Société de Statistique de Marseille, tome 2 ,
page 165.
2. Ce titre lui est donné dans un grand nombre d’actes, et notam
ment dans celui du 50 novembre 154.1 qui figure au nombre des pièces
�— 48 —
En l’année 1330, la maison de Marseille fit quel
ques réparations à l’établissement d’Aubagne; elle
en répara aussi les lits, et il lui en coûta douze
sous trois deniers. 1 Huit ans après elle lui envoya
deux lits neufs, faits à Marseille par le menuisier
Esteve de la Serda, qui reçut en payement une
livre seize sous. 2 On fournit en même temps à
l’hôpital d’Aubagne un grand nombre d’autres objets.
C’était en 1338. Cette année là l’hôpital de Mar
seille ne négligea rien pour placer l’hôpital d’Au
bagne dans les meilleures conditions. Il acheta
pour sa convenance, au prix de onze livres, un
terrain, ou Casai, qui lui était contigu et qui appar
tenait à Barthélemy Augier, habitant du pays. 3
Il y avait à la maison d’Aubagne une liospita
ies plus importantes et les plus curieuses des archives de l’Hôtel-Dieu
de Marseille. C’est l’inventaire exact et précis du mobilier de l’hôpital,
l’état des revenus, des droits, des censes, des recettes et dépenses de
l’exercice administratif 1340-13d t . 11 est fait par les recteurs sortant de
charge qui le remettent aux recteurs entrant.
1. Registre de recettes et dépenses de l’hôpital Saint-Esprit de Mar
seille, 1530.
2. Donem à Esteve de la Serda fustier per 11 lietz de fusta que fezem far que mandem Alhagna e costeron 1 lib. xvi s. Registre des re
cettes et dépenses de 1558-1359, in-4° coté H , aux mêmes archives5. Mais avem donat a Bertolmieu Augier d’Albagna per la quonpra del
quazal que es costa lespital d’Albagna e quostet de prima quonpra xi lib.
Même registre coté H. 1! est sans pagination chiffrée.
�luire qui de temps en temps recevait de la maison
de Marseille l’argent nécessaire aux besoins jour
naliers, et qui de plus était chargée de tous les
soins intérieurs. En l’année 4330, l’hospitalière
était la sœur Alazaïs. Elle vendit trois vaisseaux de
vin au prix de quarante-sept livres cinq sous, et
le treize mars de la même année l’hôpital SaintEsprit de Marseille reçut le prix de cette vente. 1
Il reçut encore, le cinq avril suivant, vingt-huit li
vres huit sous pour la vente de deux vaisseaux de
vin faite par la même Alazaïs. 2
Cette hospitalière exerçait sa charge en 4338,
concurremment avec le frère Guillaume Armon, le
quel fut installé, cette même année, par les rec
teurs de l’hôpital Saint-Esprit de Marseille, qui se
transportèrent à Aubagne pour cette cérémonie, aussi
bien que pour y faire l’inventaire des effets mobi
liers et y reconnaître les propriétés de l’œuvre.
Leurs frais de voyage, de séjour et d’inventaire
furent d’une livre onze sous huit deniers. 3 Les
1. Avem resemput a xm de mars per ni vaisclls de vin que vendet
Alazaïs donada de lespital attot xlvji lib. v s. Registre des recettes et
dépenses de 1530.
2. Avem resemput a dabril de ii vaissells de vin que vendet Alazaïs
donada de lespital attot xxvm lib. vin s. Même registre.
5. Avem donatpermesion quant anem Albagna per métré en posesion
fraire Guilhem Armon e per resebre laventari e per requonaiser las
TOME î.
4
"M
iÉfÉfl
�— 50 —
recteurs de la maison de Marseille allaient visiter
quelquefois leur succursale d’Aubagne. En 1331 ,
Pellegrin Cristol, l’un d’eux, dépensa quatre sous
quatre deniers pour le louage du roussin qui lui
servit de monture dans le voyage, et il se fit rem
bourser cette somme par l’hôpital. 1 La confection
des inventaires était placée en première ligne dans
les obligations des administrateurs d’hôpitaux. Le
sixième canon du concile d’Arles de l’année 1275
leur avait prescrit cette formalité dans le mois de
leur entrée en charge. 2
La sœur Hugues était hospitalière de la maison
d’Aubagne en 1349, et en 1363 un nommé Pons
Rainaud, auquel on ne donnait pas cette qualifica
tion de frère, tenait cette maison. 3
Il y avait deux salles, l’une basse, et l'autre
haute; une cuisine et un cellier.
posesions costet tôt i lib. xi s. vm d. Registre des recettes et dépenses
de 1538-1359.
1. Mais si despendet anant a Zalbanha per 1 rosin que menet en Pel
legrin Cristol un s. nu d. Registre des recettes et dépenses de 13311332, fol. 63 recto.
2. Statuimus quod priores et rectores ecclesiarum et hospitalium
pauperum et omnes alii bénéficia ecclesiastica obtinentes, faciant inventorium de omnibus bonis immobilibus et mobilibus, in principio sui
regiminis infra mensem. Harduini Acta Conciliorum etc., t. 7 , p. 728.
3. Mais avem resemput de Pons Rainaut que ten lespital d’Albanha a
xvn de novembre mi lib. vmi s. Registre des recettes et dépenses de
1363-1364, in-4° coté R , fol. 12 verso, aux archives de l’Iiôtel-Dieu.
�On y voyait dix-sept lits de bois, chacun avec
une paillasse sans matelat; une civière pour porter
les malades, trente-cinq draps de lit, trente-une
couvertures et divers objets de literie. Entre autres
choses inventoriées se trouvait une caisse pour ren
fermer le pain de la quête, 1 caissa a tenir lo pan
de la quista. 1 On quêtait donc du pain à Aubagnc
pour les besoins de son hôpital. Il y avait aussi
dans cet établissement une boîte destinée à recevoir
les aumônes des personnes charitables. On l’ouvrit
le 4 novembre 1338 et on y trouva sept sous qui
figurèrent dans les articles de recette de l’hôpital
Saint-Esprit de Marseille, 2 lequel percevait les re
venus de la maison d’Aubagne, chargé qu’il était
de pourvoir à son entretien.
L’hôpital d’Aubagne était encore sous l’adminis
tration de celui de Marseille à la fin du quinzième
siècle. Le dix novembre 1498, l'économe de la
maison de Marseille compta à l’hospitalière d’Au
bagne la somme d’une livre dix sous huit deniers
qu’elle porta à Hugues Rogier pour des réparations
qu’il avait faites à cette succursale. 5 Quatorze
4. Registre des recettes et dépenses de 154.9-1350, in-4u, coté P ,
fol. 101 et suivants, aux mêmes archives.
2. Avem agut que atrobem en la quaiseta que es a lespital d’Albanha
e fon a mi jorn de novembre s. Registre coté II, déjà cité.
3. Lo luns a x del mes de novenbre paguiey a lespitaliera d’Albanba
que portet a sen Hugo Rogier per so que on dévia de la reparacion que
v ii
�— 52 —
jours après, l’économe paya à la même hospitalière
quatre sous pour la dépense des porchers venus de
Cuges. 1
Tels sont les derniers vestiges de l’existence du
petit hôpital d’Aubagne, qui fut une dépendance de
l’hôpital Saint-Esprit de Marseille pendant plus de
cent cinquante ans. Comment cessa-t-il de lui appar
tenir? Commença-t-il alors d’avoir une existence
propre? Fut-il, au contraire, supprimé? Les archi
ves de FHôtel-Dieu de Marseille ne nous fournissent
rien pour résoudre cette question, et la seule chose
qu’elles nous apprennent, c’est qu’à partir de la fin
du quinzième siècle il n’est plus dit un mot de l’hô
pital d’Aubagne.
Les religieux du Saint-Esprit desservirent-ils long
temps l’hôpital de Marseille dont ils étaient les fon
dateurs? Cette question présente quelques difficultés.
Dès le commencement du quatorzième siècle, nous
voyons que le service des malades de cet hôpital
était confié à des frères donats qui appartenaient
probablement à l’ordre du Saint-Esprit de Montavia facha fayre en lespital d’Albanha i lib. x s. vin d.— Livre des re
cettes et dépenses de l’hôpital du Saint-Esprit de Marseille, tenu par
Suffren Palhol, économe de cette maison, 1498-1499, registre in-4°,
fol. 83 recto, aux archives de l’Hôtel-Dieu.
1. Lo luns a xxiiii del dicb mes de novembre paguiey a la espitaliera
d’Albanha per los despens que foron los porquies que vengueron de
Cuias un s. — Même registre , fol. 85 recto.
�pellier, mais nous n’en avons pas la preuve. Quoi
qu’il en soit, ces frères prenaient le titre de donat
parce qu’ils n’entraient dans cet institut qu’après
avoir donné à l’hôpital une partie de leurs biens,
souvent même la totalité, et qu’ils se donnaient euxmêmes au service des pauvres malades. Ils vivaient
en communauté et portaient un habit monastique
avec une double croix blanche sur la poitrine. Cet
habit leur était donné en cérémonie par le com
mandeur dans la chapelle de l’hôpital. Ils faisaient
les vœux perpétuels d’obéissance et de pauvreté. 1
Les frères donats étaient, en 1330, au nombre
de neuf, à savoir : Paul Salomon, Daurengue, Estève, Hugues Revel, Rollan, Pierre de Roquefort,
Durand, Robert et Petit. Estève mourut dans le
cours de l’année, et l’hôpital acheta pour ses fu
nérailles une livre de cire, au prix de quatre sous. 2
Rollan tomba malade, et il en coûta à la maison
treize sous quatre deniers, lesquels furent payés à
l’apothicaire qui avait fourni les remèdes. 5
Il y avait encore neuf frères en 1341 : trois an
ciens, Daurengue, Rollan et Hugues Revel, et six
1. Rufïi, Histoire de Marseille, t. 2 , p. 92.
2. Item per 1 lib. de siéra del sebellir de fraire Estève costet mi s.
Livre des recettes et dépenses de 1330.
3. Donem al poticari per la malautia de fraire P. Rollan xm s. nu d.
Meme registre do 1350.
�nouveaux, Moncdier, Sancho, Fermage Espitalicr,
Boyer, Pons Boniface et Jean Amielh. Nous voyons
leurs noms dans l’inventaire des meubles, des censes,
des droits et des propriétés de la maison, fait le
30 novembre 1341 par les deux recteurs sortant de
charge, Imbert Dalba et Simon Dat, qui le remi
rent aux deux recteurs entrant, Guillaume Blanc et
Guillaume Folquo, avec le compte de leur exercice
administratif 1340-1341. C’est assurément l’un des
documents les plus considérables et les plus curieux
de nos archives locales, parce que, sans rappeler
des choses qui occupent une grande place dans l’his
toire , il nous fournit des détails minutieux qui nous
intéressent vivement quand il s'agit de ces temps
éloignés, sans annales qui nous les racontent, sans
tableaux qui en représentent la vie, sans échos qui
en répètent les accents : âges obscurs et malheu
reux, couverts d’un voile épais dont les mains les
plus savantes et les plus infatigables n’ont jamais
pu soulever qu’un coin.
Les frères donats servaient les hommes. Des sœurs
donates, faisant les mêmes vœux que les frères,
soumises aux mêmes règles, se consacraient au ser
vice des femmes. Dès l’année 130G, nous voyons
dans l’hôpital la sœur Marie de Saint-Pierre. 1 En
Per 1 sabatas a sore Maria de Sanl Tcire xxn d. Registre des recettes
et dépenses de 1306.
�1330, les sœurs Guillème Salamonc, Quasens, Cécile et une autre dont le nom n’est pas désigné,
servaient l’hôpital. 1 En 1363, nous y voyons une
bailessc chargée des dépenses de la maison. 2 Cette
bailesse, appelée plus tard mère dans les établisse
ments hospitaliers, était sans doute une sœur donate
en l’année que je viens d’indiquer.
Les donats étaient le plus souvent unis aux donates par les liens du mariage et ils vivaient ma
ritalement dans la maison. L’hospitalière d’Aubagne,
la sœur Alazaïs dont j’ai déjà parlé, était la femme
du frère Durand. Guillème Salamone avait pour
mari le frère Paul Salamon. Le frère Daurengue
avait aussi dans l’hôpital sa femme qui était une
sœur donate. 3
En 1333 le menuisier Guillaume de la Serda fit,
pour onze sous six deniers, une table qui fut placée
dans le réfectoire à l’usage des sœurs. 4
Les frères et les sœurs étaient entretenus par
1. Registre cité de 1330.
2. Mais bailem a la bailessa per holi a xvm de novembre v s. Re
gistre des recettes et dépenses de 1363-13G4, in-4°. Coté R , fol. 50
recto , aux archives de l’Hôtel-Dieu.
3. Registre cité de 1330.
4. Donem a Guillem de la Serda fustier per 1 laulla que mezem en
io refeclor en que manjiavon las sores costet xi s. vi d. Registre des
recettes cl dépenses de 1332-1333, in-4°, coté E , sans pagination.
�— 5G —
l’hôpital qui pourvoyait à tous leurs besoins maté
riels. 1
Dans certaines circonstances, les frères et les sœurs
de l’hôpital Saint-Esprit allaient processionnellement
au prieuré de Saint-Pierre de Paradis pour y faire
leurs dévotions. Les recteurs les y accompagnaient,
un flambeau de cire à la main. En 1333, ils firent
refaire les flambeaux par Antoine, fabricant de cire,
et il leur en coûta huit sous huit deniers. 2 Un grand
concours de fidèles se pressait toujours dans le prieuré
de Saint-Pierre où l’on disait que les corps de plu
sieurs confesseurs de la foi chrétienne avaient été
ensevelis. On l’appelait aussi la porte de Paradis,
à cause de la vie édifiante des religieux de SaintVictor sous le gouvernement de Cassien. Cette église
était en ruine vers le milieu du onzième siècle. Fulco,
vicomte de Marseille, étendu sur un lit de douleur,
tourna ses pensées vers le ciel et lui demanda la
guérison des blessures qu’il avait reçues dans une
guerre contre un de ces nombreux et petits souverains
dont l’anarchie féodale élevait tour à tour et renver
sait le pouvoir. Par les conseils du saint abbé Isarn,
1. Registres divers des recettes et dépenses.
2. Mais donem a Antoni lo quandellier per refar h sires que portan
quant los fraires et las sores van a Paradis costet vin s. vm d. Livre
des recettes et dépenses de 1332-1353, registre in-4° coté E , sans
pagination chiffrée.
�— 57 —
Fulco rebâtit le prieuré de Saint-Pierre et lui donna
quelques terres dans le territoire de Marseille. 1 Cette
église était située dans le quartier Paradis, à l’en
droit même où se trouvait plus tard le parc de l’ar
senal. 2
Il paraît que les frères de l’hôpital Saint-Esprit
de Marseille n’appartenaient en général qu’aux basses
classes de la Société. En 4417, un cordonnier de
cette ville, nommé Pierre Boyer, voulut se donner
à l’hôpital, c’est-à-dire se placer au nombre des
frères donats, et maître Aventre, notaire, en dressa
l’acte le 44 août. Boyer se fit porter à l’hôpital par
deux juifs, probablement parce qu’il était dans un
état de maladie et de faiblesse, et la maison donna
à ces deux juifs pour leur peine cinq sous quatre
deniers. Elle leur donna de plus six sous pour le
transport des effets du nouveau frère. 3
1. Ruffi, Histoire de M arseille, t. 2 , p. 179.
2. L’Antiquité de l’Eglise de Marseille et la succession de ses évêques,
t. 1, p. 396.
5. Disapte a xim daost fon apportât Peyre Boyer sabater loqual si
donet a lespital. Fes la nota maistre Aventre.
Lo dich sus lo tait ton aportat per n juzieus. Agueron per lus treval
v s. iiii d.
Plus hay pagat als dich juzieus per alcuna rauba et cayssa que aporteron del dich Peyre Boyer vi s. Livre des recettes et dépenses de l’hô
pital Saint-Esprit, 1417-1418, registre coté QQ, fol. 17 verso, aux
archives de l’IIôtel-Dicu,
�— 58 —
Les donats et les donates se maintinrent long
temps encore dans l’hôpital Saint-Esprit de Marseille ;
mais le temps affaiblit cet ordre ; des causes de dis
solution diminuèrent insensiblement le nombre des
religieux, et sur la fin du quinzième siècle nous
n’en voyons plus qu’un seul. Il s’appelait Antoine,
et l’administration de l’hôpital lui fournit, le 10 no
vembre 1498, une paire de souliers qui coûtèrent
dix sous. 1
L’autorité municipale confia de bonne heure, et
meme, selon toutes les vraisemblances, dès le trei
zième siècle, l’administration de l’hôpital Saint-Es
prit , ou de Monseigneur Saint-Esprit, comme on
disait alors, à deux recteurs annuels, élus le 10
novembre, jour de Monseigneur Saint-André, en
séance du conseil de ville , par le viguier et par les six
conseillers municipaux qu’on appelait nominateurs
parce qu’ils étaient chargés de soumettre leurs choix
à l’approbation du conseil. 2 Les recteurs pouvaient
1. Lo luns x del dich mes de novembre paguiey per sabatas per
frayre Antoni x s. Registre des recettes et dépenses de l’hôpital SaintEsprit, année administrative 1498-1499, fol. 85 recto, aux archives
de l’Hôtel-Dieu.
2. E nom de nostre Senhor Dieu Jhus Crist et de madona Santa Maria
sia amen. En lan de nostre Senhor Jhus Crist que hom conta mcccxxx
en la fcsta de Mosenhor Sant Andrieu apostoll foron cllegut per lo vi
guier Mosen Raimon Daguot e per los vi conscillicrs del conseil de Masella per rcctous e per quovcrnados del cspital de Mosenhor Sant Esperit
�— 59
être réélus après quelque temps d’intervalle. C’est
ainsi que Bonet Rainaud, riche épicier ou mar
chand de poivre, pébrier, et Guillaume Bezeneg,
pelletier, nommés en 1330 par le viguier Raimond
d’Agoult et par les six conseillers électeurs, furent
réélus en 1332, sous la présidence du viguier Guil
laume de Sabran ; 1 et le pébrier Bonet Rainaud fut
nommé une troisième fois, en 1338, avec Bertrand
de Favas. 2 Bonet Rainaud, qui paraît avoir été
un homme considérable et fort zélé pour le service
des pauvres, donna gratuitement à l’hôpital, lors
de sa première nomination en 1330, dix émines de
blé valant ensemble quatre livres six sous huit de
niers. 3 II s’était probablement enrichi dans le com
merce du poivre, denrée alors précieuse et rare.
On disait de cette denrée orientale toutes sortes de
choses merveilleuses. 4 Rome, pressée par les armes
de Masella e de tots los bens et los dregs del dich espital Sen Guilhem
Dezencg pelissier Sen Bonet Rainaut pebrier. Registre des recettes et
dépenses de 1530.
1. Registre des recettes et dépenses de 1332-1533, in-4° marqué E , y
fol. 1, aux archives de l’Hôtel-Dieu.
2. Registre des recettes et dépenses de 1538, in-4°, marqué H.
3. Avem resemput de Sen Bonet Rainaut per x eminas danona a far
de vm s. vin d. lemina montan mi lib. vi s. vm d. Registre de 1558,
marqué H.
4. Histoire du Commerce entre le Levant et l'Europe, depuis les Croi
sades jusqu’à la fondation des Colonies d'Amérique, par Depping. Paris,
1850, t. 1, p. 145.
f
�— 60 —
d’Alaric en 408, avait traité avec lui, et le barbare
avait épargné cette ville moyennant un riche tribut
dans lequel on comprit trois mille livres de poivre. 1
Les anciens vicomtes, seigneurs de Marseille, s’é
taient scrupuleusement fait un devoir de donner du
poivre aux communautés religieuses de cette ville,
ou de leur en payer la valeur sur les produits de la
douane, et la commune de Marseille, subrogée aux
droits de ses seigneurs, considéra à son tour cette
vieille coutume comme une obligation qu’elle s’em
pressa de remplir pendant une grande partie du
moyen-âge. 2 Les redevances annuelles auxquelles
les juifs étaient assiijétis en Provence consistaient
souvent en une fourniture de poivre. 5 Le 4 mars
1426, la communauté juive de la ville d’Arles passa
reconnaissance en faveur de Louis Alleman, arche1. Zosime, Histoire Romaine, liv. 5.
2. Statuimus quod piper illud quod domini Massilie olim donaverunt
vel reliquerunt domibus vel locis religiosis dandum vel solvendum super
redditibus exeuntibus occasione portus, vel ripæ Massilie, vel pro eis
faciant rector aut consules dari per officium suum sine mora postquam
requisiti fuerint, vel interpellati à domibus dictis, vel locis religiosis,
terminis statutis. De his verô quæ in hoc statuto continentur rector vel
consules Massilie sacramento minimè teneantur. Statuta civitatis Mas
silie, fol. 38 recto, aux archives de l’Hôtel—de—Ville de Marseille.
3. Mémoire sur les juifs de Provence, par le P. Bougerel, dans le
tome 2 de la continuation des mémoires de littérature et d’histoire.
Paris, 1726.
�vêque de cette ville, d’une redevance de vingt livres
de poivre, vingt livres de cire et trois lamproies
pour l'emplacement de la juiverie. 1 Les juifs d’Aix
achetèrent aussi de l’archevêque Rostang de Noves,
moyennant deux livres de poivre fin qu’ils s’obligè
rent à lui fournir chaque année, le droit d’avoir une
synagogue avec une lampe allumée et un cimetière,
et les juifs d’Istres, de St-Maximin, de Lambesc, de
Cadenet, de Trets et de Pertuis eurent à fournir an
nuellement au même prélat une redevance de gros
poivre. 2
Les deux plus anciens recteurs de l’hôpital SaintEsprit de Marseille que les titres fassent connaître,
sont Marcel Caeata et Pierre Guillaume Viadi, qui
exerçaient leur charge en l’année 1306. 3 Cette
charge, toujours considérée comme des plus hono
rables, était en général confiée à des hommes im
portants et placés haut dans l’estime publique. Les
familles de Forbin , Jérusalem, Candole , Hugolen ,
Albertas, fournirent, dans le moyen-âge, des rec1. Abrégé chronologique de l’Histoire d’A rles, par de Noble Lalauzière. Arles, 1808, p. 275.
2. Judœi de aquis pro oratorio cum rotulo et lampade et cymetario
in festo sanctæ paschœ persolvant libras duas piperis subtitis. Judæi
de Istro libras duas piperis grossi in festo sanctæ Luciæ. Judæi S. Maxi
mini in festo S. Juliani libras duas piperis grossi. Judæi de Lambisco ,
de Cadeneto, de Tritis, de Pertuso, mediam libram piperis grossi
Pitton , Annales de la Sainte Eglise d’A ix , p. 160.
5. Registre des recettes et dépenses de 1306. •
s
�— 62 —
teurs à l’hôpital Saint-Esprit. D’autres noms mar
seillais , également recommandables et choisis entre
les plus dignes, figurèrent sur la liste de ces recteurs.
Tels furent ceux de Repellin, Dieudel, Bernard de
Berre , Bertrand de Roquefort, Antoine Fabian ,
Etienne de Saint-Paul, Guillaume de Cavaillon, Ho
norât Dozol, Isnardet Ricau, Guillaume de SaintGiles, Rainaud Dalona, Pellegrin Bompar, et bien
d’autres encore que nous pourrions citer dans les
annales de la noblesse, de la bourgeoisie et du
commerce. La plupart de ces hommes de conditions
diverses se voyaient séparés par la barrière souvent
infranchissable des distinctions sociales ; mais ils
s’unissaient dans un commun sentiment et sous un
symbole universel : l’amour du bien public et de l’hu
manité. C’est que la bienfaisance a le privilège du
génie. Elle rapproche et confond tous les rangs.
Les recteurs de l’hôpital Saint-Esprit de Marseille
n'étaient que les délégués de l’administration muni
cipale, laquelle intervenait dans les affaires de l’éta
blissement lorsqu’elle le jugeait convenable. Mais
elle n’usait de ce droit que dans des circonstances
importantes ou exceptionnelles, et les recteurs, dans
les cas ordinaires, conservaient toute la liberté de
leur gestion. Le 7 décembre 1354, le conseil de ville,
prenant en considération le malheur des temps et
la pauvreté de l’hôpital, délibéra d'autoriser les
recteurs à céder à cense les propriétés hospitalières
�— G3
qui étaient franches de toute redevance, et à vendre
aux conditions les plus avantageuses les immeubles
serviles ainsi que les porcs élevés en grand nombre
dans la maison qui en faisait un objet de trafic, et
d’employer le produit de toutes ces ventes aux be
soins de l’hôpital et à la nourriture des pauvres de
Jésus-Christ. 1
Plusieurs exemples témoignent que l’hôpital avait
besoin, pour la vente de ses immeubles, de l’auto
risation du conseil municipal qui prenait même quel
quefois l’initiative et dictait sa volonté. En 1372,
le conseil délibéra qu’il y avait lieu de vendre la
maison que la dame Blanche avait léguée à l’hôpital
et qui était située près de Saint-Antoine. Le prix de
la vente fut de trente-cinq livres, et l’acheteur en
paya seize à compte. 2
1. Una carta de ii pergamin e quart ensenps gludatz presa scricha
et senhada per la man de maistre Johan Joli not lan mcccliiii a vu de
desembre contenent comsi considerada la pauretat del dich hospital e
los mais temps quas eran lo gran conseil general reformet que los
senhos rectors poguessan dar a acapte e a censa los possessions francas
de lhospital e las servils vendre e los porcs al miels que progran et las
monedas.......... en las necessitats del hospital e en subtentation dels
paures de Crist. Livre-trésor ou inventaire des titres de l’hôpital SaintEsprit, 1599, fol. 24 recto, aux archives de l’Hôtel-Dieu.
2. Vendem 1 hostal a volontat del conseil corn par per reformalion
facha per sen P. Ameli e de Johan Audebert e fon lostal dena Plancha
e zes près de Sant Antoni vendet si xxxv lib. naguem per la premiera
pagua xvi lib. Registre des recettes et dépenses de 1371-1372, in -4°,
marqué X , fol. 54 verso, aux archives de l’Hôtel-Dieu.
�Peu de temps après, le conseil de ville ordonna
la vente d’une vigne que la dame Namielhe Grasse
avait léguée au même hôpital. 1
A la même époque, le conseil fit par deux fois à
la maison du Saint-Esprit un prêt de vingt-cinq flo
rins valant ensemble quarante livres, et l’hôpital
reçut des mains de Jean Éliès, trésorier de la ville,
cet argent qui fut pris sur la rêve du vin. 2 De
toute ancienneté, on donnait en Provence le nom
de rêve à toute imposition sur les fruits et denrées. 5
Jean de Bon Vin et Blaqueiras de Montolieu expo
sèrent au conseil municipal, 4 dans la séance du 16
1. Aguem de leretat de Namielha Grassa que fes eres lespital corn par
per son testament per 1 vinha que vendem que zera a la font de...........
(mot illisible) e fon fag am volontat del conseil corn par per la reforma
tion facha per sen P. Ameli lan iic c c l x x ii . Même registre, marqué X ,
fol. 33 recto.
2. Aguem que nos prestet lo conseil de la moneda de la reva del vin
per man de Johan Elies tezaurier de la Sieutat a x febrier xxv flor valon
xxxx lib. Registre ci-dessus cité, fol. 34 recto.
5. Traité sur l’Administration du comté de Provence, par l’abbé de
Coriolis, t. 3 , p. 413 et suivantes.
4. Item exposuerunt in dicto consilio honorabiles viri Joannes Boni
Vini et Blaqueiras de Monteolivo nunc restores hospitalis predicti Christi
pauperum Sancti Spiritus quod dictum hospitale habet, tenet et possidet
plures et diversas possessiones terrarum et vinearum serviles tàrn capitulo ecclesie sedis quàm aliis pluribus et diversis personis religiosis et
aliis personis laïcis civitatis presentis sub annuis certis censibus et scrviciis, et versa vice similiter plures et diverse persone ecclesiastice per
successionem et alie serviunt dicto hospitali pro certis earum posses-
�— 65 —
avril 440.1 , que celle maison possédait plusieurs
terres et vignes serviles, les unes au chapitre de
la cathédrale, les autres à divers particuliers clercs
ou laïques de Marseille, ces propriétés se trouvant
ainsi soumises au payement de censés annuelles et
à d'autres obligations; que d’un autre côté, des
ecclésiastiques et des séculiers avaient des immeu
bles grevés, en faveur du même hôpital, de censes
et certaines charges qu’ils n’acquittaient que diffi
cilement. Les deux recteurs supplièrent en consé
quence le conseil de pourvoir à cette fâcheuse si
tuation et de leur donner le moyen d’affranchir
sionibus à quibus faciliter census et servicia earumdem haberi non possunt necque exigeri ab eisrlem, et petierunt eis per dictum consilium
super hiis remediahiliter provideri et iisdem rectoribus dari licentiam
et auctoritatem plenariam dictas possessiones reduceri intégré libertati
et pro diclis censibus seu eorum valoribus cum personis quibus serviunt
pro eisdem convenire atquc transhigere et amicabiliter concordare et
scanbiere et scanbium facerc dando eisdem de censibus dicti hospitalis
et aliis cum eisdem personis laïcis conveniendi prout eorum discrelioni
videbitur faciendurn, ac etiam scanbiandi et scanbium faciendi cum
ipsis personis volentibus facere scanbium cum eisdem pro possessionibus hospitalis ejusdem.
IMacuit dicto consilio reformare et presentis reformationis vigore dare
licentiam et potentiam plenariam eisdem rectoribus superius nominatis
pro utilitate et comodo dicti hospitalis nec non omnibus aliis rectoribus
aliorum hospilalium presentis civitatis similes possessiones serviles et
census et servicia habentium predictas possessiones serviles dictis hospitalibus alfranquire et etiam census et servicia cum aliis personis quibus
serviunt scanbiare et scanbium et permutationes facere cum eisdem
tomf,
r.
�— 6G —
complètement les propriétés hospitalières, en prenant
avec les personnes au profit desquelles ces propriétés
étaient serviles, tels arrangements amiables qui pa
raîtraient les plus convenables par voie d’échange,
de manière à s'affranchir mutuellement.
Le conseil accueillit cette proposition, et statuant
ensuite par voie de disposition générale, il délibéra
de donner le même pouvoir aux recteurs des autres
hôpitaux de Marseille qui possédaient des propriétés
serviles, lesquels furent autorisés à faire avec qui
de droit des échanges aux meilleures conditions,
pour obtenir f affranchissement de ces propriétés.
flH )
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cum pactis et conventionibus metioribus quibus poterunt et eis videbitur
laciendum ad majorent utililafem et oomodum dictorum hospitalium
pro exonera/ione eorumdem.
Et similiter licenciant et poteslatern compellendi omnes personas
cujus cumque status seu conditionis existant bona dictorum hospitalium
detinentia et pertinentia ad dicta hospitalia qualiler cumque et quacumque detenta per curiam vel aliter prout eis videbitur quousque intégrant
satisfactionem babeant ab eisdem omnibus viis et formis melioribns
quibus poterunt etiam cum adjutorio dicti con silii.. . . et quod domini
redores dictorum duorum hospitalium sancti Spiritus et sancfi Jacobi
ac etiam hospitalis beale Marie annunciate heredum et universaliurn
omnium bonorum nobilis viri Jacobi Stornelli quondam possint et valeant prout eorum discretioni videbitur convenire cum domina Guillemeta uxore relicta dicti quondam nobilis Jacobi et usufructuaria bono
rum ejusdem de ipsis bonis transhigerc et se amicabiliter concordare
cum eadem de ipsis bonis dicti quondam nobilis Jacobi ad ipsa perti
nentia post ejus mortem ad omnem comodum et utilitatem hospitalium
predictorum et nichilominus faciendi inquantari de predictis bonis et
�67
Do même suite l’assemblée ordonna que toutes
personnes, quels que fussent leur condition et leur
rang, qui détenaient, à quelque litre que ce fût,
des biens appartenant aux hôpitaux de Marseille,
seraient poursuivies dans toutes les formes et par
tous les moyens possibles, à la diligence des rec
teurs de ces établissements, jusqu’à leur entière
satisfaction, avec l’assistance du conseil lui-même.
Il fut dit de plus qu’on s’en rapportait à la sagesse
des recteurs des trois hôpitaux du Saint-Esprit, de
Saint-Jacques de Galice et de Notre-Dame-de-l’Annonciation, héritiers universels de noble Jacques
Stornelli, pour traiter avec la dame Guillemète,
veuve de ce bienfaiteur, qui lui avait légué l’usufruit
de sa fortune; pour transiger avec elle au plus
grand avantage des trois hôpitaux, et pour obtenir
la vente aux enchères des biens de cette succession.
En 1410, le viguier et le conseil municipal de
Marseille donnèrent aux recteurs de l'hôpital SaintEsprit l’autorisation d’acheter, de vendre et d’échan
ger des censes et d'autres propriétés mobilières. I.e
notaire maître Pierre Calvin dressa l’acte de ces pon
de illis venderi pro dicta concordia seu transhactione tacienda et eomplenda.
Registre contenant plusieurs cahiers des délibérations du conseil mu
nicipal de Marseille, années 1590, 1591 , 1401 , 1405, 1480, 1481,
aux archives de la Ville.
�voirs et reçut des recteurs , le 10 mars de la même
année, une livre douze sous pour ses honoraires. 1
On voit que Tadministration communale s'im
misçait directement dans les affaires des hôpi
taux, principalement en ce qui touchait leurs biens.
Quant à la police intérieure et aux détails admi
nistratifs, les recteurs n’étaient gênés en rien. Ils
agissaient toujours avec une indépendance absolue.
A eux seuls appartenait le droit de faire des règle
ments pour le maintien de l’ordre et de la discipline.
On les appelait quelquefois gardiens ou conser
vateurs, custodes, et c’est le nom officiel qui fut
donné en 1367 aux deux recteurs Bertrand de Montabon et Rolland Aymon. 2
Dans la salle d’administration de l’hôpital on
voyait appendu au mur, en 1349, un tableau de
bois où était cloué un parchemin sur lequel on li
sait les statuts de la maison. 5
1. A xviii de mars ay pagat a maistre Peyre Calvin per la carta del
poder donat als senhors rectors per lo viguier et per lo conselh de comprar de vendre e de escambier sensas e autras causas. Ay paguat i lib.
xii s. Registre coté MM , des recettes et dépenses de l’hôpital Sl-Esprit
de Marseille, 1409-1410, fol. 90 verso, aux archives de l’Hôtel-Dieu.
2. Procès-verbal d’élection, du 6 décembre 1567, dans le registre
des délibérations et des actes du conseil municipal de Marseille, du 6
décembre de ladite année au 14 novembre 1568, sans pagination chif
frée, premières pages, aux archives de l’Hôtel-Dieu.
5. Inventaire des meubles de l’hôpital Saint-Esprit à la suite du livre
des recettes et dépenses de 1549-1550, in-4°, marqué P , fol. 121
recto, aux archives de l’Hôtel-Dieu.
7' Æi
-
'
W-
�__ 69 —
Le 15 juillet 1399, les recteurs, noble Jean Ricau et Antoine Crota, négociant, rédigèrent en forme
de tableau, un règlement disciplinaire 1 pour les
frères donats et les sœurs donates de cette maison
auxquels ils défendirent, sous telles peine qu’ils avi
seraient, de tenir des enfants sur les fonts baptis
maux, à moins qu’ils n’y fussent mus par des mo
tifs de dévotion, avec la permission des recteurs, à
condition toutefois que les parrains et les marraines
ne tissent aucun cadeau ni aucune espèce de libé
ralité.
Défense fut encore faite aux frères et aux sœurs,
i. item que nengun frare ni sorre donat ni donada de lespital non
auson far filhol ni fllhola que lur degues ren costar ayssins con es en
allula o en vestir o en estrena de moneda sinon que fossa requist per
devocion o sen cost. Et si nengun passava aquest mandament penitcnssia li séria enjuncha e convencaria que la portes o auria licentia
dels prozomes.
Item que nengun frayre ni sorre non auzon recalbre en lo dich espital parent ni parenta sinon que fossan malaus e aquo qui non aguessan sostancia e si o fazian que non aguessan.......... ras et porta la penetencia enjuncha per los prozomes.
Item que nengun frayre ni sorre non auson issir sinon que aian la
licencia e si o fan que perdan lur retion do ni jorns e porton la penetensia que leur sera enjuncha.
Item si aquel a qu sera corne lo comiat e dona Io sinon per causa
necessaria a lespital que sia en aquella mezema pena.
Item volem que si en lo dich espital a nengun cors que totz quantos
son en lespital frayres sorres donats donadas e totz autres que per lo
sagramenlal sian tcngutz dacompanhar lo cors tro a la scboutura.
�sous les mêmes peines, de recevoir dans l’hôpital
aucuns membres de leur famille, à moins qu’ils ne
fussent malades, ou qu’ils n’y prissent aucune
nourriture; de sortir sans permission, sous peine
de perdre leur ration pendant trois jours et sous telle
autre punition que les recteurs pourraient leur in
fliger, permission qui ne devait leur être accordée
que pour les besoins de l'hôpital lui-même.
Les frères et les sœurs furent tenus sous serment
d’accompagner à la sépulture les corps de tous ceux
qui mourraient dans l’hôpital; de 11e jamais parler
à table, le commandeur et le baille pouvant seuls
prendre la parole dans le réfectoire pour demander
ce qui serait nécessaire ; de rendre au Seigneur des
Item volem e ordenam per sagrament que nengun frare ni sorre donats donadas cals que sian mari-jant en refeylor estant a taula non parllon
an laula mays tant solament lo eomayre 0 lo baylle per demandar so
que sera nescecitos a taula e quant auran manjat sian tengutz de redre
gracias a nostre senhor e tantots levon de taula. E si nengun en contra
aquesta causas venia que 0 veyrian vo ossabrian sian tengutz daqusar
aquel 0 aquella que aurian failhit als prozomes rectors de la mayson e
aquo per lo sagrament que fan al dich espital.
Aquesta taula a fach far lo noble Johan Ricau e Anthoni Crota merchant de la cientat de Masselha estans prozomes e rectors del dich es
pital sobre dich per so que los prozomes que vendrian apres que senformon en aquesta taula per so que lespital en sia mielhs régit e que
tropian ayssi los sacramens que devon fayre frayres sorres donatz do
nadas servens serventas del dich espital. Aquesta dicha taula an fach
far sus lan
nonanta e ix e a xv de julli. Archives de la ville de
M arseille, chartier.
m c cc
��CHAPITRE III
Description de l’ancien hôpital Saint-Esprit de Marseille et sa dis
position intérieure. — Son cimetière particulier. — Ancien Hôtelde-Ville de Marseille derrière l’hôpital Saint-Esprit.— Le Conseil
Municipal siège longtemps dans une salle de cet hôpital. —
Description de la salle des séances. — Construction d’un nouvel
Hôtel-de-Ville à la rue du Change. — Le Conseil Municipal va
siéger dans ce nouvel hôtel. — Prise de Marseille par les Aragonais.— Désordres affreux. — L’hôpital Saint-Esprit livré au pil
lage. — Suppression de l’hôpital de l’Annonciade et de celui de
Notre-Dame-d’Espérance.
La façade et l’entrée de l’ancien hôpital SaintEsprit de Marseille étaient à la rue qui porte au
jourd’hui le nom de la Roquette, à peu près où est
le derrière du laboratoire de la pharmacie dont il
occupait l’emplacement ainsi que l’étage supérieur. 1
Sa disposition intérieure, dans le quatorzième
siècle, nous est assez bien connue, grâce à trois
inventaires qui nous fournissent des lumières prét. Maintenant, après tant de changements, on voit encore sur les
murs de la rue de la Roquette une ancienne porte d’entrée reconnais
sable par des restes de vieille architecture. ,
�cieuses. 1 Cet édilice n'avait rien de monumental;
il était même assez vulgaire. En général, l’archi- 1
lecture des hôpitaux au moyen-âge ne différait pas
de celle des autres bâtiments contemporains. 2
11 y avait d’abord dans l’hôpital de Marseille la
chambre d administration et des comptes, 3 remplie
d’une loule de choses employées à divers usages.
On y voyait une grande table, deux petites, trois
bancs et un caisson servant aussi de banc. Il y avait
sur la grande table un bassin, une croix de laiton
et une petite caisse où l’on avait renfermé les pri
vilèges de l’hôpital, ses titres de propriété et un
bréviaire. On voyait encore dans cette salle d’autres
coffres pleins de chartes et de papiers, deux pa
quets de cierges, les clés des diverses salles et cham
bres , une canne neuve pour mesurer, 4 deux écus
appendus aux murs, s une épée, un esponton, un
couteau, un miroir, enfin toute sorte d’objets cl’en1. Le premier est celui du registre 1540-154.1 dont j’ai déjà parlé.
Le second est dans le registre de 1549-1550, marqué P, fol. 121 et
suivants. Le troisième est dans le registre de 1564-1565, m arqués,
loi. 5 et suivants. Toutes ces pièces sont aux archives de l’Hôtel-Dieu
de Marseille.
2. Histoire de l'Art Monumental dans l’antiquité et au moyen-âge,
par Batissier. Paris 1845, page 659.
5. La cambra hou si fa la razon.. . . la cambra de la tresauraria.
4. Una cana nova de canar.
5. h csculz pcnlz.
�combrement, y compris une paillasse neuve et quatre
draps de lit.
Il y avait aussi la salle des séances du conseil
municipal dont je vais parler.
La grande salle des hommes malades. 1 En 1341,
on y comptait soixante lits; en 1350, soixante-trois,
et en 1365, soixante-un.
La salle des femmes, 2 où se trouvaient vingtquatre lits en 1341, vingt-sept en 1350, et dix-huit
seulement en 1365.
Tous ces lits étaient de bois, et il y avait à peu
près tout ce qu’il fallait pour les garnir convena
blement. 5
En 1341 , nous voyons sept chambres particu
lières pour les frères et les sœurs. Deux de ces
chambres étaient à deux lits et elles avaient toutes
un ameublement d’une simplicité primitive.
Il n’y avait plus que cinq chambres particulières
en 1350; et en 1365 quatre seulement, à savoir :
une pour le baille, et trois pour les sœurs. Les frères
couchaient probablement dans la grande salle des
malades.
\
1. Lo grand espitai en quejasson los homes.
2. Lespital de las donas.
5. C’est-à-dire que chaque lit avait un m atelas, malalas ; une pail
lasse, bassaqua; deux draps de lit, lansolls; un coussin, quoissin; une
couverture, flassa ou flassada; un couvre-pied, cubertor.
�— 75 —
Les inventaires ne mentionnent qu’une seule chaise
dans tout l’hôpital. Elle était dans la chambre de
la sœur Astrugaus. On s’asseyait sur des bancs et
sur des arquibancs, meubles qui servaient tout à la
fois de caisson et de siège. Ils avaient cette double
destination dans toutes les maisons de Marseille.
Il y avait encore dans l’hôpital de cette ville, le
grand et le petit cellier, le réfectoire, la cuisine,
le garde-manger, 1 la dépense, un magasin de fer
raille , une grande loge à cochon et une écurie où
se trouvaient deux ou trois bêtes de somme et où
couchait un valet.
L’hôpital avait aussi son cimetière particulier sous
une voûte, et dès le 17 décembre 1235 une charte
constatait le droit et l'usage d’y ensevelir les corps
des frères et sœurs donats. 2 Quelques années après,
le chapitre de la Major contesta à l’hôpital ce droit
de sépulture. L'affaire fut portée devant le tribunal
de l’évêque qui, par sentence du 25 juillet 1244,
jugea que non seulement on pouvait enterrer dans
le cimetière tous les morts de l’hôpital, mais encore
toutes les personnes qui le choisiraient pour' leur
dernière demeure. 5
1. La carnaria.
2. Livre-Trésor, 1599, fol. 58 recto.
5. IJna carta presa scricha e senhada per la mari de Raymon Dagrimont notâri de Masselha sotz lan 1244- a xxv de julh contenant ima
Bis A
:
�76 —
L’hôtel-de-Ville, autrement dit le palais de Mar
seille, avait toujours été situé, du moins sous la
seigneurie des vicomtes, derrière l’hôpital SaintEsprit , où est à présent l’église de cet hôpital, 1
lequel avait alors, comme je viens de le dire, son
entrée sur la rue de la Roquette. L’Hôtel-de-Ville
avait ainsi sa façade sur le grand cimetière des Ac
cordes où, dans des occasions solennelles, le peuple
marseillais s’assemblait en parlement, l’asile de la
mort se transformant alors en forum agité par tous
les mouvements de la vie politique. C’était dans ce
palais de Marseille que se réunissaient les officiers
de la cité, le conseil municipal sous la présidence
du viguier et les magistrats de toutes les juridic
tions. Là se trouvait le siège du gouvernement de
cette ville.
Cependant, le 16 des calendes de janvier 1256,
le conseil municipal choisit une des salles de l’hô
pital Saint-Esprit pour y tenir séance. 2 Pourquoi
sententia donada en la cort épiscopal de Masselha contenent Io capitol
e la gleisa de la Maior que lespital de Sant Sprit poguet sebelir en lo
sementeri de lespital sota la Crotta las gentz que moriran en lo dich
espital vo sia que si laissessan___ Livre-Trésor, 1399, fol. 37 recto.
1. Ruffi, Histoire de M arseille, t. 2 , p. 23S et 503.
2. In nomine domini anno incarnationis ejusdem millesimo ducentesimo quinquagesimo sexto sexto decimo kalendarum januarii indictione
xv noverint universi présentés pariter et futur! quod congregato consilio
generali tarn consiliariorum quarn capitum misteriorum civitatis Mas-
�fit-ii ce choix? Le texte de* la délibération nous
apprend seulement que le conseil se réunit ce jouilà dans 1:hôpital pour une discussion entre la com
mune de Marseille et les princes de la riche et puis
sante maison des Baux, anciens possesseurs d'une
partie des droits de la seigneurie vicomtale, sur Tac
quisition desquels Marseille avait fondé, une qua
rantaine d’années auparavant, son indépendance
républicaine. Le conseil municipal, avant le 16 des
calendes de janvier 1256 , s’était-il réuni à l’hôpital
Saint-Esprit? Y siégea-t-il après? C’est ce qu’il est
impossible de savoir, en l’absence complète des ti
tres historiques. La délibération dont nous venons
de parler est la seule du même siècle qui nous soit
parvenue II est cependant bien difficile d'admettre
qu’en ce temps là le conseil municipal de Marseille
ne s’assembla qu'une seule fois et par exception
dans l’hôpital. Nous ne pouvons le penser. À notre
1 avis, une séance dans la même salle en fait sup
poser d’autres. Quoiqu’il en soit, si le conseil mu
nicipal siégea dans l’hôpital Saint-Esprit durant la
seconde moitié du treizième siècle, ce ne fut pas,
comme il le fit plus tard, d’une manière perma
nente, car tout prouve qu’il continua d’avoir pour
silie voce preconia et more solito ad sonum campanarum in aula sancti
spiritus Massilie etc. Livre noir, fol. 74 recto, aux archives de l’Hôtclde—Ville de Marseille.
�78 —
lieu ordinaire de ses séances le palais de Marseille,
où nous le voyons encore siéger pendant la pre
mière partie du siècle suivant.
Au commencement du treizième siècle, le vieux
palais de Marseille, fléchissant sous le poids de sa
vétusté, avait été démoli, et l’on avait construit à
la même place un autre Hôtel-de-Ville, 1 qui, à son
tour, menaça ruine vers le milieu du quatorzième
siècle; et comme les malheurs publics accablaient
alors la ville de Marseille déchue de sa grandeur
et tourmentée par des nécessités financières, on se
trouva dans fimpuissance de réparer l’édifice qui
portait la triste empreinte des outrages du temps.
Le conseil municipal, ne pouvant donc plus l’occu
per, délibéra de s’établir dans l’hôpital Saint-Es
prit, et le 24 février 1348 il s'assembla dans une
salle de cette hôpital, 2 et continua d’y siéger jusques au 28 août de la même année. Ce jour là il
tint encore, nous ne savons pour quel motif, une
séance dans l'ancien lieu de ses réunions, c’est-àdire dans la salle verte du vieux palais de Mar
seille, et le 24 septembre suivant il alla siéger de
rechef à l’hôpital et s’y fixa définitivement.
L’hôpital n’avait qu’un seul étage au-dessus du
1. RufTi, Histoire de M arseille, t. 2 , p. 505.
2. In aula domus hospitalis pauperum Sancti Spiritus de Massilia.
Registre des délibérations du conseil municipal de Marseille, de l’année
15-48, aux archives de la ville.
�rez-de-chaussée où était la salle des femmes ma
lades. C’est au-dessus de cette salle même, et dans
une grande pièce, que le conseil de ville s’installa. 1
Je ne crois pas me tromper en disant, d’après la
rubrique d’un acte du 25 janvier 1396, que cette
pièce avait vingt mètres de long et dix mètres de
large. 2 Durant les premières années de la trans
lation on ne rétablit pas dans la salle des séances
l’estrade qui avait servi de tribune dans l’ancienne
salle verte; mais on la revoit dans la séance du
20 septembre 1359. 3 II est probable que cette es
trade , quelque peu élevée au-dessus du plancher,
était en bois, car le 13 novembre 1332 le bois
avait été substitué à la pierre sur laquelle les orarateurs du conseil montaient auparavant. 4
Il y avait dans cette salle des séances
municiy
!
pales à l’hôpital Saint-Esprit, quinze banquettes pour
1. Au fol. 9 reclo du registre des recettes et dépenses de l’hôpital
Saint-Esprit de Marseille, année 1565-1364-, on lit : lespital de las
donas que es desost la sala en que si fa lo quonsell, c’est-à-dire le con
seil municipal.
2. La carta de lescambi fach ambe lespital de Sant Sprit soes xn s
que servia la sala daquel spital en que era x canas de longuea e v canas
de pregon. Inventaire des titres de l’hôpital Saint-Jacques de Galice,
année 1400, fol. 68 recto, aux archives de l'Hôtel-Dieu.
3. Registre des délibérations du conseil municipal de Marseille, de
l’année 1559, aux archives de la ville.
4. Surgens ad parlatorium fusteum. Registre des délibérations du
conseil municipal de Marseille de 1532, aux archives de la ville.
�les conseillers; deux armoires où l’on renfermait les
vieux cartulaires de la ville, et une échelle 1 dont
on se servait probablement pour atteindre aux éta
gères les plus élevées.
Bien des agitations se manifestèrent dans cette
enceinte où l’ardeur des passions marseillaises se
donna librement carrière. La jalousie des familles
les plus considérables, l’esprit d’inquiétude et de
rivalité , ce vague besoin d’intrigue qui travaille
incessamment les assemblées délibérantes, ces dis
cussions d’intérêts publics toujours compliquées d’in
térêts particuliers, éclatèrent en débats bruyants
dont le repos des pauvres malades eut souvent à
souffrir. L’homme est ainsi fait, dans ses besoins
de mouvement et d’ambition, qu’il se sert de tous les
instruments que les circonstances, les temps et les
lieux placent sous sa main, et on le voit bien des
fois mettre toutes les facultés de son âme au ser
vice d’une petite cause et déployer autant d’énergie
sur un chétif théâtre que sur une scène imposante.
En 1348, lorsque le conseil municipal de Mar
seille s’établit dans l’hôpital Saint-Esprit, le nombre
de ses membres était de cent cinquante. C’était là
le conseil-général dans le sein duquel on choisissait
1. xv bancs, ii grans areas a tenir cartolaris antics, i escala. In
ventaire à la fin du livre des recettes et dépenses de 154-9-1550, in--i°,
marqué P, fol. 121 et suivants, aux archives de l’Hôtel-Dieu.
�— 81 —
pour les affaires courantes un conseil particulier de
quarante membres. Cette constitution communale
dont j’aurai à parler ailleurs, datait de 1319. Il me
suffit de dire maintenant que le conseil-général donna
souvent le spectacle d’un inexprimable désordre
et qu’en 1376 il fut réduit à quatre-vingt-trois
membres, tel qu'il se trouvait sous le régime ré
publicain qui précéda le traité fait, en 1257, entre
la commune de Marseille et Charles Ier, comte de
Provence, et tel aussi qu’il fut maintenu par ce
traité fameux, si connu sous le nom de Chapitres
de Paix.
Ce nombre de quatre-vingt-trois conseillers était
encore beaucoup pour une ville épuisée par les vices
de son administration et sur laquelle se déchaînaient
souvent tous les malheurs publics : guerre, peste,
disette. Sous cette influence désolante, la popula
tion allait tous les jours diminuant, et l’on ne pou
vait plus trouver assez d’hommes doués des qualités
requises pour les divers services communaux. Aussi
bien, en 1405, Louis II, comte de Provence, par
lettres patentes signées dans l’abbaye Saint-Victor,
ordonna qu’à l'avenir il n'y aurait plus à Marseille
que trente-sept conseillers de ville; mais ce régle
ment fut supprimé en 1475 par Jean de Cossé,
grand sénéchal de Provence, qui porta leur nom
bre à quarante-huit, tous nommés pour qautre ans
et devant tous être consuls avant de sortir de
TOME 1.
�— 82 —
charge; de telle manière qu’on élisait chaque année
douze consuls dont trois exerçaient leurs fonctions
pendant trois mois seulement. Ils faisaient place à
trois autres et ainsi de suite.
Les douze formaient un conseil particulier que
convoquaient les trois consuls en exercice trimes
triel. On l'appelait le Conseil des Douze, Consilium
de Duodena. Quelquefois il s’adjoignait quelquesuns des trente-six autres conseillers de ville, qu’il
convoquait ainsi tous ensemble quand il le jugeait
à propos. Cette assemblée des quarante-huit formait
alors le conseil-général. 1
Telle était, au mois d’août 1480, la constitution
du corps municipal de Marseille, qui siégeait à l’hô
pital Saint-Esprit depuis cent trente-deux ans. Le
18 du même mois, le conseil-général tint séance
dans cet hôpital, et, le 21, le conseil des douze alla
siéger dans la loge de la nouvelle maison de ville 2
et y siégea encore le 29.
Par acte du 14 novembre 1415, Jacques de Favas, seigneur de Châteauneuf, avait vendu, pour
la somme de huit cents florins, aux syndics de Mar1. Voyez aux archives de la ville de Marseille les registres des déli
bérations du conseil municipal dans le xive et le xv' siècle. Voyez aussi
Ruffi, Histoire de Marseille, t. 2 , p. 2 58, 259 et 210.
2. Cons-ilium dominorum de duodena tentum in logia domus ville.
Registre des délibérations du conseil municipal de Marseille, années
1590, 1591, 1401, 1405, 1480, 1481, aux archives de la ville.
�seille, stipulant au nom de cette ville, une maison
située à la Grotte 1 de la rue du Change, ainsi
nommée parce que les changeurs ou banquiers y
avaient là leurs tables. 2 Les épiciers et les dra
piers, qui y demeuraient en grand nombre, firent
aussi donner le nom de l’Épicerie ou de la Draperie
indistinctement à cette rue, qu’on nomma plus tard
de la Loge, 3 nom qu’elle porte encore aujourd’hui.
C’était là que demeuraient, au quatorzième siècle,
Julien de Casaulx, négociant armateur, dont j’aurai
à parler plus tard, et Bertrand Jean, riche dro
guiste et apothicaire qui laissa dix-sept immeubles. 4
T^a ville de Marseille acheta la maison de Jacques
1. La ville était alors fermée du côté du port. Les maisons qui don
nent aujourd’hui sur le quai donnaient parallèlement sur les rues in
térieures et étaient adossées contre le rempart, qu’on avait percé de
quelques ouvertures lesquelles portaient le nom de Grottes.
2. Statuta civitatis Massilie. Lib. 1, cap. x x x v ii , de satisdatione à
campsoribus communis seu curie Massilie prestanda. Fol. 55 recto et
verso, aux archives de l’Hôtel-de-Ville de Marseille. — Voyez aussi
l’ouvrage de François d’Aix. Marseille, 1656, p. 157 et 158.
5. Sur les divers noms de cette rue voyez le registre A des censes
et directes de l’hôpital Saint-Jacques de Galice, fol. 405 recto.— Re
gistre, marqué C, 2 , des mêmes censes et directes, fol. 604 et suiv.,
aux archives de l’Hôtel-Dieu de Marseille.
4. Acte d’inventaire des biens de la succession bénéficiaire de
Bertrand Jean, apothicaire, du mois d’août 1586, notaire Jacques
Brivi, à Marseille. Cet acte, accompagné de plusieurs autres relatifs à
Bertrand, est en ma possession.
�84
de Favas pour en faire une maison commune; mais
les travaux de construction ne marchèrent qu’avec
une excessive lenteur; bien des fois même ils res
tèrent tout-à-fait suspendus, la ville manquant de
fonds sous l’empire des circonstances les plus cala
miteuses, à tel point que l’édifice ne fut terminé
que soixante-cinq ans après l’acquisition de 1415. 1
Le 2 et le 4 septembre 1 480 le conseil-général
de la communauté de Marseille siégea pour la pre
mière fois dans la salle haute du nouvel Hôtel-deYille. 2 Le 7, le conseil des douze, renforcé de
quelques membres du grand-conseil ou conseil-gé
néral, tint séance dans la Loge, au rez-de-chaussée.
Le lendemain et le surlendemain le grand-conseil
fut convoqué dans la salle haute. Le 10, le conseil
des douze s’établit encore dans la Loge. Le 17, le
conseil-général siégea dans la salle haute, et le
lendemain il retourna à l’hôpital Saint-Esprit.
Le 24 et le 27 du même mois de septembre le
grand-conseil vint délibérer dans la salle haute de
1‘Hôtel-de-Ville ; mais quelques jours après il s’as1. En 1653 cette maison commune qui menaçait ruine fut démolie
et l’on construisit sur son emplacement l’Hôtel-de-Ville actuel.
2. Consilium generale proclamatum voce tube tentum et celebratum
in caméra superiori domus ville. Registre des délibérations du conseil
municipal de Marseille, annéesloOO, 1391, 1401, 1403, 1480, 1481,
aux archives de la ville.
�85 —
sembla de nouveau dans l’hôpital Saint-Esprit et y
tint trois séances consécutives, le 2, le 13 et le 16
octobre. Après quoi on le vit siéger tantôt à l’hô
pital, tantôt à l’Hôtel-de-Ville, et il en fut de même
du conseil /des douze qui changea tour à tour de lieu
de réunion. Cela dura plusieurs mois encore, sans
que la cause de ces changements nous soit connue.
Le 28 mars 1481 le grand conseil eut une séance
à l’hôpital; le 12 avril à l’Hôtel-de-Ville. L’hôpital
le revit le 14 avril, le 12 et le 14 mai, mais ce
fut pour la dernière fois, car le 25 du même mois
cette assemblée délibéra dans l’Hôtel-de-Ville et s’y
fixa définitivement. 1
Longtemps auparavant l’hôpital Sf-Esprit s’était
vu envelopé dans l’immense désastre qui couvrit
Marseille de ruines en 1423. La maison d’Aragon
luttait en Italie avec la maison d’Anjou et de Pro
vence, et la fortune des armes avait pour les deux
partis des alternatives de succès et de revers qui
prolongeaient les horreurs de la guerre et le mal
heur des peuples, victimes désolées de ces sanglants
débats. Dans la nuit du 19 au 20 novembre, les
Aragonais, après avoir forcé l’entrée du port de
Marseille, se répandirent dans la ville remplie de
désordre et de terreur. Des soldats insolents, avides
et cruels, souillèrent leur victoire dans des excès de
1. Registre ci-dessus cité.
�86
—
barbarie , et les affreuses lueurs de l’incendie éclai
rèrent les scènes de pillage et de mort. Les Aragonais n’épargnèrent rien, et les maisons de bien
faisance publique subirent leur fureur, comme celles
des particuliers. Ils dépouillèrent l’hôpital SaintEsprit de tout ce qui parut à leur convenance. 1
Tout tremblait devant ces envahisseurs impi
toyables que la vue des asiles de la misère et de
la douleur ne pouvait désarmer. Il y avait dans
l’hôpital un valet vigneron, nommé Jean Maron, qui
se sauva par les toits. 2
Jamais spectable si lamentable et si déchirant.
L’économe de la maison, se voyant sans argent et
sans ressource, fut obligé de suspendre le service
alimentaire, 3 et chacun, en ces dures extrémités,
pourvut, comme il put, à ses besoins.
Au milieu du plus affreux désordre, d’indignes
marseillais, aussi barbares que les ennemis, sans
avoir, comme eux, pour excuse l’ivresse du triom
phe, commirent tous les crimes que la perversité
1. Disapte a xx de novembre son intrats los Cathalans en aquesta
ciutat a 1 hora de nuech que barieron per tô t... an raubat tôt aquest
hostal. Registre marqué TT, des recettes et dépenses de l’hôpital SaintEsprit, 1422-1425, fol. G4 recto, aux archives de l’Hôtel-Dieu.
2. Johan Maron messenari dostnl per adobar las vinhas sen es fugit
per las teulissas. Môme registre, fol. 95 recto.
3. Ilay cess de dar ordenari a tota gcnt malauts c sans. Même re
gistre, fol. 79 verso.
�87
humaine enfanta toujours dans les temps de désor
ganisation sociale. 1 II y eut parmi les pillards des
hommes de tout état, « voire gens de meilleures
» conditions, tous noircis et barbouillés au visage,
» pour n’estre connus, d’où il leur demeura depuis
» le nom de mascaras ; » 2 ils conspirèrent à Tenvi
pour consommer la ruine de leur malheureuse pa
trie, et l'un des religieux de Saint-Victor, Antoine
Gamel, fut juridiquement accusé d’avoir volé, en
compagnie de son frère et de son beau-frère, une
partie des joyaux et autres choses précieuses du
monastère. 3
Le 26 novembre, quand l’armée navale des Aragonais, après le sac de Marseille, alla mouiller aux
îles voisines, l’économe de l’hôpital Sl-Esprit reprit
1. Latrocinia famosa, incendia, disruptiones domorum, adulteria, incestus, stupra, agressiones itinerum , depopulationes arborum, mortes
et homicidia, violationes monasteriorum et bonorum depredationes,
monialium invasiones, agressiones et disrobationes, etc. Voyez les
lettres de grâce accordées par Louis III à ceux des habitants de Mar
seille qui, après la retraite des Aragonais, s’étaient livrés à toute sorte
d’excès dans la ville. Histoire générale de Provence, par Papon , t. o ,
in fine, preuve lui , p. lxxi et suivantes.
2. L’Histoire chronologique de Provence , par Honoré Bouche, t. 2 ,
p. 4 46 .— Voyez aussi YHistoire et Chronique de Provence, de César de
Nostradamus, p. 571 ; — YIHstoire de Marseille, parRuffi, t. 1, p. 257.
5. Information contre Antoine Gamel et autres. 20 janvier 1441.
Cahier in-folio do quarante-unc pages, aux archives de l’Ilôtel-deVille de Marseille.
�—
88
son service, il n'eut rien de plus empressé que d’a
cheter à un boulanger de la rue Caisserie deux
tables de pain, au prix de cinq sous quatre de
niers. ^
Ce fut dans ces circonstances calamiteuses que
l’hôpital Saint-Esprit partagea avec celui de SaintJacques de Galice les biens et les revenus de l’hô
pital de Notre-Dame-de-l’Annonciade et de la mai
son de Notre-Dame-d’Espérance, qui furent ainsi
supprimés. 2
1. A xxvi de novembre que los cathalans foron arn lur exerssit a las
i!as de Mass hay pagat a i former de la Cayssaria per lo conte de u
feulas de pan v s. un d. Registre marqué TT, ci-dessus cité, fol. G4
verso.
2. Cet acte de partage est du ^26 juillet 1424, notaire Rodety. Voyez
le mémoire sur l’établissement, les revenus, les charges, dépenses et
dettes de l’Hôtel-Dieu de Marseille, du 6 février 1750, dans le registre
des,délibérations du bureau de cet hôpital, du 29 novembre 1741 au
31 décembre 1750, aux archives de l’Uôtel-Dieu.
�CHAPITRE IV.
Fondation de lits. — Désignation des propriétés de l’hôpital. — Diverses
libéralités en sa faveur. — Ses censes et ses rentes. — Juif préposé
au recouvrement de ses revenus.— Ses quêtes. — Vente des effets des
décédés. — Des juifs font ee commerce. — L’hôpital tire un profit
du louage de ses bêles de charge. — Aperçu sur les dépenses de la
maison.— Gens à gages et leurs différents emplois. — Recettes des
exercices administratifs — Appréciation de cet état financier. — Sa
comparaison avec la valeur des diverses choses vénales à la même
époque. — Rareté de l’argent. — Légère augmentation des revenus
de l’hôpîtal à la fin du quinzième siècle.
De temps en temps des personnes charitables
fondaient des lits dans l’hôpital Saint-Esprit de Mar
seille. En 1306, le forgeron Jean du Castelet donna
quarante-huit florins à cet hôpital pour une fonda
tion de ce genre. 1 Quelques années après, le no
taire Hugues Noë lui légua un lit, 2 et Antoine de
Claus lui fit un legs semblable. 5 Par testament du
1. Registre cité des recettes et dépenses de 1306.
2. Uguo Noë notari laisset en son testament a lespital i lieg et Ant.
de Cavailhon notari l'es lo testament. Inventaire de 1541.
3. Deu P. Martin eres de sa moilher que fon de Ant. de Claus que
laisset en son testament a lespital i lieg. Môme inventaire de 1541.
�— 90
% juillet 1347, la dame Douce, fille de Pierre Ma
rin , savant en droit, savi en drech, et femme de
Berenguier Hugolen, lui laissa cent livres destinées
à l’achat de cent sous de censé pour réparer annuel
lement les lits des pauvres malades. 1
Le principal revenu de l’hôpital consistait dans
le produit de ses terres qu’il faisait exploiter luimême, dans la jouissance de ses censes et dans
quelques libéralités casuelles.
La maison possédait à Marseille, en 1341 , cinq
propriétés rurales. Celle que l’on désignait sous le
nom de la ferrage délia mayson 2 avait le plus d’im
portance. 5 La seconde était au Canet; 4 la troi
sième, à la cavalerie près Sl-Just; 5 la quatrième,
à la baume Laugier, territoire de Château-Gombert,
1. Archives de la ville de Marseille, chartier.— Livre-Trésor de l’hô
pital Saint-Esprit, 1599, fol. 10 recto, aux archives de l’Hôtel—Dieu.
2. Terre à fourrage. Voyez Ducange, Glossarium mediœ et infimœ latinilatis. Parisiis, 1844, verbo ferragium. Cette propriété conservait
son ancien nom, quoique sa culture eût été changée, comme on le voit
dans la note suivante.
3. Avem fag semenar en la Ferrage délia mayson ix eminas danona.
Inventaire cité de 1341.
4. Als quaniers. Registre coté de 1518 à 1674, des reconnaissances
des censes et directes de l’hôpital Saint-Esprit dans le territoire de
Marseille, fol. 344 et suivants. Aux archives de l’Hôlel-Dieu.
5. Registre C des censes du même hôpital dans le même territoire,
fol. 31 et 49. Archives de l’Hôtel-Dieu.
�—
91
—
et la cinquième aux Molières, à las Molieras, audessous de Notre-Dame-du-Mont, quartier qui prit
plus tard le nom de la Loube. 1
L’hôpital possédait aussi cinq propriétés à Aubagne, à savoir : un jardin loué, à la même épo
que , pour trois ans, au nommé Bertrand Guairart
et à sa femme, au loyer annuel de trente-cinq flo
rins ; 2 une terre au quartier de la Palud ; une autre
terre à Railhenta; dix carterées de vignes à CampMajor, une maison située dans l’enceinte du bourg
et que Pierre Richau, laboureur, donna à l’hôpital
le 23 juin \ 343. 3
Il était encore propriétaire de quatre maisons à
Marseille, dont la situation n’est pas suffisamment
indiquée. Trois étaient louées à un prix que rien
ne nous a fait connaître, et une pauvre femme qui
ne pouvait rien payer habitait la quatrième. 4
Quelques années après, la situation immobilière
de 1hôpital Saint-Esprit s'était améliorée considé1. Recette A des censes et directes du meme hôpital, fol. 31. Même
archives.
2. Avem en Albanha i hort franc........ deu Bertrand Guairart d’Albanha et sa moilher per loguier d’un hort que ii dem a ni ans a xxxv f.
l’an. Inventaire cité de 1341.
3. Livre-Trésor de l’hôpital Saint-Esprit, 1399, fol. 47 recto.
4. En lostal délia quarriera dessus esta i paura lcmena. Non post ren
paguar. Inventaire de 1341.
�— n —
rablement, En 1363, il possédait onze maisons en
ville et dix-huit propriétés rurales. 1
Le notaire Jean Peyrat fit, le 21 avril 1327, son
testament en faveur de cet établissement, auquel
Jacques Grasset laissa aussi tous ses biens en 1337. 2
Cinq ans après, Thomas de Saint-Chamas légua
quatre cents livres à Bertranet, son bâtard, et ins
titua l’hôpital son héritier universel en cas de mort
sans enfants. 3
En vertu d’un acte de substitution, un marseil
lais nommé Antoine Lambert et sa sœur Hugues
Lamberte, qui demeuraient à la rue Sainte-Claire,
devaient laisser, après leur mort, une maison et
d’autres propriétés à l’hôpital, qui avait aussi à re
cueillir, après la mort de la dame Rossinière, une
partie des biens de cette dame. 4 En 1331, la dame
Hugues Rostanhaute avait également par substitu
tion laissé sa succession à l’hôpital après la mort
d’un premier héritier. 5 II y eut un peu plus tard
1. Inventaire des biens de cet hôpital, au commencement du re
gistre des recettes et dépenses de 1563-1364, in -4°, marqué R , fol.
9 et suivants, aux archives de l’Hôtel-Dieu.
2. Livre-Trésor, 1399, fol. 3 verso et 10 verso.
5. E laisset à Bertranet, bastart sieu, cccc lib. et si mori sens en
fants substitu lo dich hospital. Même livre-trésor, fol. 8 verso.
4. inventaire de 1341.
5. Livre-Trésor, 1399, fol. 15 verso.
�— 93
d’autres actes de libéralités à divers titres en fa
veur du même hôpital, Au nombre de ses prin
cipaux bienfaiteurs nous devons citer Guillaume
d’Alaus, Augier du Dragon et Louis du Dragon,
Sibile épouse Mansat, Frarisa Miolan, Bertrand Verdellon, Diendella, femme de Charles Acols, Guil
laume de Rians, Mielan Diendel, Guillaume Lom
bard , les dames Garcens Borgonhona et Jeannette
d’Ogier. 1
En 1346 Andriol Jauffres, de Nice, laissa à l’hô
pital Saint-Esprit de Marseille vingt-cinq florins, et
pour la garantie du payement de ce legs il affecta
une maison qu'il possédait dans la même ville de
Nice. 2
Il paraît que cet hôpital recevait des malades
payants. Nous voyons en effet que les héritiers de
Deblieux des Cabanes, de Berre, devaient fournir,
chaque année, le jour de Sainte-Catherine, pour
une femme malade qui probablement était incura
ble, trois émines de blé et trois émines d’orge. 5
Peut-être était-ce là une fondation perpétuelle. Les
termes de l’obligation peuvent le faire supposer.
1. Même livre-trésor, 1599, passim.
2. Même livre-trésor, fol. 14 verso.
5. Item devon los eres de Deblieux de las Quabanos de Berra per una
malauta de lespital de Sant Sprit cascun an pagadors alla testa de Santa
Quatarina ni eminas danona e m eminas dordi. Inventaire de 1541.
�i
— 94 —
Quoiqu'il en soit, il nous paraît prouvé que de
personnes aisées venaient, dans leurs maladies, de
mander à l’hôpital un asile et des soins, et quel
ques-unes lui donnèrent en mourant des marques
de reconnaissance. La femme de Jean Bonet, pro
priétaire cultivateur, hérita des biens de son mari
par testament du 14 novembre 1379. Cette femme
mourut à l’hôpital, qui fut son héritier. Au mois de
décembre 1380, Girard Chalens de Valence, vint
aussi mourir à l’hôpital, lequel eut son héritage. 1
Des libéralités étaient faites souvent avec une des
tination spéciale. Par testament du 20 mai 1340,
la femme d’Hugon Lombard, marinier, laissa à
l’hôpital Saint-Esprit cinquante sous royaux par an
pour donner du bon pain aux malades les jours de
Noël, de Pâques, des Rogations, de la Pentecôte
et de la Toussaint. 2 La dame Béatrix d’Auriol,
dans son testament du 2 juin 1346, disposa, au
profit du même hôpital, de quinze sous par an,
pour une pitanse, le jour de Sainte-Madelaine. 5
En 1330, Jean Giraud, laboureur, voulut que
1. Livre-Trésor, 1599, fol. 8 verso.
2. Copie dn testament de la femme Lombard, annexée à l’inventaire
de 1541.
5. Loqual laisset cascun an perpetualment xv s. al hospital de Sant
Sprit. per i pitansa als paures la testa de la Magdalena, Livre-Trésor,
1599, fol. 11 recto.
I
�chaque année et perpétuellement sa succession fournit
à l'hôpital une millerole du meilleur vin de ses pro
priétés , 1 et la dame Éthinère Bonvin, par testa
ment du mois de mai 1341, imposa à ses héritiers
l’obligation de payer annuellement et à perpétuité
aux pauvres malades de la même maison, le jour
de Pâques, six poules et dix sous pour du pain
blanc. 2 Un peu plus tard, la tante de Guillaume
Mercier, marchand à Marseille, leur légua aussi
cinq poules par an, et Mercier lui-même, par tes
tament du 14 juin 1361 , leur laissa aussi cinq
poules toutes les années, et de plus du pain et du
vin, sans en désigner la quantité. 5
Jean Atos laissa à l'hôpital, en 1364, une rente
annuelle et perpétuelle de cinquante livres, repré
sentant douze à quinze cents francs d’aujourd’hui.
Son fils, nommé Jean comme lui, attaqua le tes
tament devant la justice séculière et devant le tri
bunal de l’évêque de Marseille. L’hôpital défendit,
comme de raison, la validité du legs. Cette affaire
fit beaucoup de bruit, et par ordre du pape qui
intervenait alors dans toutes les questions imporl
]. Livre-Trésor, 1599, fol. 14 verso.
2. Item dona Ethinera Bonvina laisset a lespital de Sant Sprit en son
testament fag lan mcccxli el mes de mai als paures , lo jorn de Pascas,
par pan blanc x s. Item quascun an vi gallinas. Inventaire de 1o41.
o. Archives de la Ville, chartier.
�— 96 —
tantes, elle fut soumise à l’examen de l’évêque
d’Avignon, lequel décida qu'à dater du 15 août
1365 le fils de Jean Atos aurait pendant six ans
la jouissance de la rente et que l’hôpital en joui
rait ensuite perpétuellement. 1
Les hoirs du seigneur de Berre avaient à payer
à cet hôpital quarante sous par an pour quatre dî
ners des pauvres malades, à raison de dix sous
par dîner, aux fêtes de Noël, de Saint-Biaise, de
la Pentecôte et de l’Assomption, et Bernard de
Brandis fit aussi une fondation annuelle et perpé
tuelle de cinquante florins, divisés en cinq portions
égales, pour cinq dîners, aux cinq principales fêtes.
Les hoirs de Bertrand Gabuit devaient payer chaque
année dix sous pour régaler les pauvres malades
le jour de Noël. La femme de Pascal Fabian et
celle de Michel de Temple, en exécution du testa
ment de la dame Boyssière, étaient tenues d’en
payer cinq annuellement pour la même destina
tion. 2
1. Manifesta causa sia a tos los senhors rcctors que venram après nos
Jaume Rcpellin et Augier Madier sen Johan Atos filh que fon de mes
Johan Atos a fach a son poder de levar lamorna que laisset son payre
mosen Johan en la cort seclar e zan la cort de levesque e nos avem li
ho defendut a nostre poder etc. Livre des recettes et dépenses de 15611365, in-4°, marqué S , fol. I . aux archives de l’Hôtel-Dieu.
2. Inventaire cite de 154-1. — Registre des recettes et dépenses de
1558-1559, in-4-0, marqué II, aux archives de ritôîel-Dieu.
�— 97 —
Plusieurs personnes de Marseille avaient annuel
lement , en vertu de divers titres, des censes à payer
à l’hôpital S^Esprit. On citait, entre autres, Jac
ques Rostailh, maître charpentier ; Antoine, fabri
cant de cire ; Giraut de Thullem ; Laurens Vidal ;
Durand Mota; Jehan Allaman; le neveu de Pons
Barrai ; Flama de Roquefort ; Douceline Derot ; Jac
ques André, en qualité d’héritier de sa femme, fille
d’Albert de Tisan ; les hoirs de dame Hugues Amiel;
ceux de Jacques Vidal, de Bonet Rainaud, de Mi
chel Fomeras d’Hyères.
Les prud’hommes des patrons pêcheurs devaient
aussi à l’hôpital cinq florins en 1341. 1
Vers le milieu de ce siècle l’hôpital chargeait
un juif du recouvrement de ses rentes. Ce juif, qui
n’est pas nommé, reçut, en 1350, deux livres sept
sous pour ses peines et soins, 2 et huit sous seu
lement en 1364. 3 Plusieurs juifs faisaient alors à
Marseille le métier de proxénète et d’agent d’affai
res. En 1333 l'un d’eux, appelé Quandier, s’en
tremit, pour le compte du même hôpital, dans la
1. Devon los consols dels pescadors v ff. Inventaire de 1341.
2. Que dem al juzieu per sensas que culle de lespital ii lib. vii s.
Registre coté P, des recettes et dépenses de l’hôpital Saint-Esprit de
Marseille, 1549-1550, fol. 26 recto.
3. Mais donem al juzieu que culhia las sensas vin s. Livre des re
cettes et dépenses de l'hôpital Saint-Esprit de Marseille, coté R, fol.
41 verso.
T O M . i.
7
�98 —
vente d'un petit diamant, et l’administration en
reçut neuf sous six deniers. Le droit de courtage
de Quandier n’est pas indiqué ; mais il est probable
que ce juif se paya de ses propres mains en pré
levant sa censerie sur le montant de la vente. 1
Un réglement du 3 avril 4284, pour réprimer
les abus de certaines pêches, prononça contre les
contrevenants la confiscation de leurs poissons au
profit de l’hôpital Saint-Esprit, et un autre régle
ment du 21 juillet 1324 ne lui adjugea que le tiers
de la confiscation, les deux autres tiers étant attri
bués l’un aux juges royaux et l’autre aux pru
d’hommes eux-mêmes. 2 Mais on ne voit qu’assez
rarement figurer ce revenu au nombre des articles
de recette de l’hôpital. 3
La maison avait encore à Saint-Marcel des dé
biteurs de censes, à savoir : Jean Aurias pour une
t. Mais resempem de Quandier juzieu per i peira que sappelia dia
mant que li fezem vendre agut net ix s. vi d. Registre coté E , des re
cettes et dépenses de l’hôpital Saint-Esprit de Marseille.
2. De la quai pena lespital de Sant Sprit de Mass deu haver lo très e
la cort real lautre très e lurs consolls lautre très. Livre-Trésor, 1399,
fol. 59 verso.
3. Aguem de G. Audeberl consol dels pescados per nostra part del
peis que zes près a las festa de vedadas a xvn mas. i lib. mi s. —
Aguem de G. Audebert consol dels pescados per nostra part dels peis...
i llor. que val i lib. vim s. mi d. Livre des recettes et dépenses de l'hô
pital Saint-Esprit de Marseille, 1571-1372, marqué X, fol. 26 recto,
aux archives de l’Ilôtel-Dicu.
�— 99 —
pièce de terre située dans ce quartier rural; Pé$egrin Rovier, pour une autre pièce de terre à Sain!
Mené; Pierre Bonhomme et son frère pour un vi
gnoble au lieu de Valbarelle entre Saint-Loup et
Saint-Marcel, sur la droite de ces deux quartiers,
et Massaribas pour une terre au même lieu de Val
barelle. 1
Dans le quatorzième siècle l’hôpital retirait de
son cimetière des droits provenant sans doute des
élections de sépulture que plusieurs personnes y
faisaient. On quêtait aussi pour la maison. 2 Des
serviteurs à gage exerçaient cet emploi. Il y en
avait deux en 1306. L’un s’appelait Jean ou Jeannet,
et l’autre Jauffré. 5
En 1372, André, quêteur infidèle, détourna à
son profit une partie des aumônes qu’il avait re
cueillies pour l’hôpital. C’était une somme de trois
livres cinq sous qu’il cacha dans sa chambre. L’ad
ministration y trouva cet argent dont elle fit recette
le huit du mois de mars. 4
1. Inventaire de 1341 ci-dessus cité.
2. Avem agut dels deniers de la quista.. . . avem agut dels deniers
dels basins.. . . Registre des recettes et dépenses de 1306, passim.
Avem agut de las quistas dels basins e de las sebouturas x s. n d.
Avem agut de las quistas dels basins e del samenteri x s. ni d. Re
gistre des recettes et dépenses de 1330, passim.
3. Registre cité de 1306.
4. Trobem en la cambra d’Andrieu Io quistier escondut a vm mas
m lib. v s. Registre, marqué x , des recettes et dépenses de l’hôpital
�ci
— 400 —
Il y avait de plus dans l’hôpital un tronc pour
les offrandes des gens charitables. Du quinze no
vembre 1338 au trente novembre 1339, ce tronc
produisit dix-huit livres quatre sous quatre de
niers. 1 On l’ouvrait à cette époque trois fois par
an, c’est-à-dire de quatre en quatre mois. Le terme
de quatre mois était alors, et même beaucoup plus
tard, en usage à Marseille pour toutes les percep
tions. Les censes, les rentes diverses, l'intérêt des
obligations, le prix des fermages et des loyers, tout
se payait de quatre en quatre mois. Cette coutume
était à peu près générale.
L’hôpital héritait de l’argent et des hardes laissés
dans cette maison par les malades indigents qui y
mouraient. 2 L’exercice de ce droit ne le mit géné
ralement en possession que de sommes peu impor
tantes. Cependant en 1358 on tira, des vêtements
d’une pauvre malade, nommée Catherine, qui venait
d’expirer, quarante-deux florins valant soixantesept livres quatre sous. 5 Le 27 septembre 1371,
Saint-Esprit de Marseille, 1371-1572, fol. 26 recto, aux archives de
l’Hôtel-Dieu.
1. Registre des recettes et dépenses de 1558-1539, passim.
2. Registres divers des recettes et dépenses de l’hôpital Saint-Esprit,
du 14e siècle et du 15e.
5. Avem resemput que fon trobat a una que avia nom Catarina e mori
a lespital de las donas ton trobat en la sieva rauba laquai nos manifestet
�— 101 —
on trouva dans les hardes d'une espagnole, après
sa mort, six roubles d’or de Castille, estimés en
semble treize livres seize sous, à raison de qua
rante-six sous la pièce. 1 En la même année une
femme, qui demeurait à la rue des Bannières, mourut
dans l’hôpital. Elle y était entrée avec une somme
de vingt-cinq sous que l’hôpital toucha, prélève
ment fait de treize sous huit deniers au profit de
Gibos Miserabier en payement du loyer que la dé
funte lui devait. Il fallut encore faire quelques frais,
et la maison eut de cet héritage neuf sous six de
niers. 2
A la même époque on porta à l’hôpital un homme
trouvé sans vie dans le territoire de Marseille.
Comme il avait sur lui une livre trois sous l’hô
pital réclama cet argent qui lui fut disputé, parce
sore Beatris en xlii flor que monta en soma lxvii lib. mi s. Registre
des recettes et dépenses de 1357-1358, in-l», marqué Q, sans pagi
nation , aux archives de l’Hôtel-Dieu.
1. Aguem que fon trobat a i espanhola que mori a lespital a xxvii
setenbre vi roblas daur de Castella a xlvi s . la pessa montan xiii lib.
xvi s. Registre des recettes et dépenses de 1371-1372 , in-4°, marqué
X , fol. 26 recto.
2. Aguem duna femena que fon morta a lespital e fon trobat en i
hostal en la carriera de las Bandicras naguem xxv s. que paguem al
Gibos Miserabier per loguier de lostal xiii s. vin d. per encanrar e portar
n s. nu d. resta nés desta ereta vmi s. vi d. Même registre des recettes
et dépenses de 1371-1372, marqué X , fol. 33 recto, aux archives de
l’Hôtel-Dieu.
�—
102
—
que l'homme n’y était pas mort et son cadavre
seul y avait été reçu. Les vingt-trois sous lui fu
rent pourtant adjugés par sentence de justice. 1
Il paraît que l’hôpital Saint-Esprit avait aussi le
droit de poursuivre pour lui-même le paiement des
créances appartenant aux pauvres malades qui y
mouraient, lorsque ceux-ci en avaient porté le titre
en entrant dans la maison. C’est du moins ce que
semble indiquer un article du compte de gestion de
l’année 1448. Le juge du palais devait la somme
de trois livres quatre sous au nommé Colombe
mort à l’hôpital, et ce magistrat la paya à l’un
des recteurs qui la passa en recette. 2
De toute ancienneté, l’hôpital faisait vendre à
son profit les vêtements de ses morts. Des juifs
achetaient ces hardes. On sait que, dans le moyenâge, la plupart des israëlites exercèrent le métier
de courtiers et de revendeurs, comme jadis à Babylone, à Rome, à Alexandrie. 5 En l’année 1306
les juifs Servela et Buella achetaient, à Marseille,
1. Trobem a i home que fon trobat mort en lo terador i lib. ni s.
Même registre X , fol. 53 recto.
2. Deu Dar que a resemput del jugi del palays dos ff losquals el
dévia a sen Columba loqual es mort a lespital com apar per son libre...
iii lib. iiii s. Reddition de compte de plusieurs recteurs de l’hôpital
Saint-Esprit de Marseille, de 1442 à 1448, cahier in-4°, de vingt-une
pages, fol. 10 verso, aux archives de l’Hôtel-Dieu.
3. Voltaire, Essai sur les Mœurs et l’Esprit des Nations, chapitre 103.
�103 —
les habits des morts de l’hôpital Saint-Esprit. 1 Un
juif français , nommé Bonfdlon , faisait ce commerce
en 1330 et quelques années après en concurrence
avec des juifs de la même nation attirés à Marseille
par l’esprit mercantille et par l'appât du gain. 2 Des
titres de cette époque citent, à l’occasion du trafic
dont il est question, l’israëlite Iaquon de Salvat. 5
Bonfdlon dont je viens de parler avait en 1338 un
frère qui se livrait à la même industrie que pra
tiquaient également deux autres juifs, Samuel Sesetlat en 1341 et 1342, 4 et Pampalona en 1363
et 1364. s Je pourrais multiplier les citations qui
1. Livre des recettes et dépenses de l’hôpital Saint-Esprit de Mar
seille , année 1506.
2. Avem resemput de les raubas dels morts vii lib. v s. — Avem resenput de las sabatas dels morts ni s. Tous les articles de recettes
concernant les mots ci-dessus mentionnés ajoutent : ac Bonfdlon frances, ou lo frances jusieu, chez Bonfdlon le français, le juif. Begistre
cité de 1350.
De rauba de liets e de pellaria que conpreron n jusieus frances.. . .
xx lib. i s. Registre de 1331-1332, fol. 3.
3. Avem resenput de Iaquon de Salvat jusieu perla rauba dels morts
que si venden a xvm de novembre montet ih lib. x s. Registre des re
cettes et dépenses de 1332-1333, in -4 °, marqué E , sans pagination,
aux archives de l’Hôtel-Dieu.
4. Avem agut de Samiel Sesetlat jusieu per raubas que compret de
nos a xm de novembre vim lib. Registre cité de 134-1 -134-2, fol. 3.
5. Mais a resenput sen Folco per i mantel que vendet Pampalona
juzieu duna femena que mori en lespital a xiii de ju ll.. . . ii lib. vin s.
Registre coté R , des recettes et dépenses de l’hôpital Saint-Esprit de
Marseille, 1363-1564 , fol. 21 verso.
�— 104 —
n'ajouteraient rien à ce que je viens de raconter.
J’ai seulement à dire qu’en 1485 le produit de la
vente des hardes des pauvres malades morts à l’hô
pital Saint-Esprit fut de quinze livres, 1 et que
pendant fort longtemps encore des fripiers juifs fi
rent les mêmes achats. 2
Cet hôpital louait ses bêtes de charge quand il
ne s’en servait pas lui-même. Le prix du louage
variait de cinq à dix sous par jour, probablement
selon le nombre de bêtes. 3 Le 15 mars 1332
l’hôpital donna à son maréchal ferrant huit sous
dix deniers pour une saignée faite aux ânes de son
écurie. 4 L’achat d’un autre âne, en 1338, devint
une affaire de la plus grande importance. Le frère
hospitalier Hugues Revel se rendit à la foire de
1. Registre cité LL, des recettes et dépenses du même hôpital,
1485-1486, fol. 30 recto.
2. Voyez l’extrait de la séance du bureau de l’Hôtel-Dieu de Mar
seille, du 5 mai 1672, dans le registre des délibérations de ce bureau,
du 6 novembre 1670 au 26 octobre 1675, et dans un carton des ti
tres, actes et documents divers de l’Hôtel-Dieu durant le dix-septième
siècle, aux archives de cette maison.
3. Per loguier de las bestias vm s. vi d. — Per loguier de las bestias
per i jorn v s. — Avem agut de loguier de las bestias per ii jorns xv s.
— Per loguier de las bestias per i jorn vii s. — Ibid i jorn x s .— Ibid
i jorn vi s. Registre des recettes et dépenses de 1306, passim.
Avem resemput de loguier de las bestias que vindimieron h lib. mi s.
m d. Registre de 1330.
4. xv de mars al marescal per senar los azes vm s. x d. Registre des
recettes et dépenses de 1332-1353, fol. 63 verso.
0
�—
105 —
Yalensole et y fit cette acquisition par l’entremise
d’un maquignon juif nommé Salomonet. Le prix
de l’âne fut de quinze livres cinq sous. 1 L’hôpital
paya de plus treize sous quatre deniers pour les
frais de voyage de Hugues Revel. 2 Quant à Salo
monet, il reçut cinq sous pour sa censerie. 3
A la fin du quinzième siècle l’hôpital ne louait
plus à d’autres des bêtes de somme; il paraît même
qu'il n’en avait plus à cette époque, car il en pre
nait lui-même en location lorsqu’il en avait besoin.
C’est ainsi que nous le voyons souvent emprunter
une bête de charge pour porter le linge de la les
sive. Il ne possédait pas même de cuve pour cet
usage, et il en louait une au prix d’un sou quatre
deniers. 4
J’ai à peu près fait connaître les divers revenus
1. Donem que costet laze que compret Salomonet jusieu e Huguo
Revel délia fiera de Valensolla e costet de prima compra de nostra
moneda xv lib. v s. Registre des recettes et dépenses de 1538-1339,
sans pagination.
2. Mais donem a Huguo Revel per las mesions que fes anant e tornant xm s. mi d. Même registre.
3. Avem donat a Salomonet coratier de las bestias per la corataria
que fes délia compra de laze jorn que si compret a la fiera de Vallansolla v s. Même registre.
4. Item aquel jorn paguiey per la bestia que portet los draps et per
lo loquier de la tina un s. Registre des recettes et dépenses de 14971498, fol. 58 recto et passim.
Lo mercres e un del dich mes de jun paguiey per lo loquier de 1 tina
per Car bugada i s. un d. Même registre, fol. 66 verso.
�de l’hôpital Saint-Esprit dans le treizième siècle et
dans le quatorzième. Il me reste à donner l’état
approximatif de ses dépenses.
Elles consistaient dans le paiement de quelques
censes que l’hôpital devait au monastère de SaintSauveur, et dans celui de quelques autres 1 dont
l’énumération n’offrirait aucun intérêt.
Les dépenses de l’hôpital consistaient encore dans
les frais d’exploitation de ses terres; dans la nour
riture des malades et des gens de la maison; dans
le salaire des nourrices ; dans les gages des person
nes attachées au service de santé et dans ceux des
employés et domestiques ; enfin dans les dépenses
diverses, au nombre desquelles se trouvaient des
secours distribués de temps en temps à domicile.
Je vais en citer quelques exemples.
En 1358 l’hôpital nolisa une barque, au prix
de quatre sous, pour transporter un malade hors de
Marseille. 2
Le 30 mars 1363 il donna seize sous à une
pauvre malade de la ville pour l’aider à payer le
lait qu’elle donnait à son enfant. 5
1. Inventaire cité de 1341.
2. Portar i malaute a ( mot illisible) per nolir a i barga. Registre des
recettes et dépenses de 1357-1558, marqué Q , chapitre intitulé ; Aisi
escrivem totas despensas menudieras fachas per semanas.
3. Que dem a i paura que zera en villa e malauta per ajudar a paguar per lo lag que dona a lcnfant a xxx de M ars... xv s. Registre des
recettes et dépenses de 1565-1364, marqué R , fol. 65 recto.
�— 107 —
Aux fêtes de Noël 4397 l’hôpital donna aux
pauvres honteux, en blé et en argent, la somme
de six livres seize sous et quatre deniers. 1
Le huit juillet de l’année suivante il fit une au
mône à la nommée Laurette Derabet et à une autre
indigente. Ces deux aumônes furent ensemble de
huit sous. 2
L’hôpital prit à sa charge, en 4 446, la fourni
ture d’un linceul pour ensevelir chacun de ses
morts. 3 II est possible qu’il en fît de même avant
cette époque, mais aucun titre ne le prouve.
Il y avait d’ordinaire sept ou huit domestiques,
mesages, pour le service intérieur et extérieur de
la maison, per far tôt lo servizi en lespital dedins
e deforas. Ils étaient logés et nourris dans l’hôpital
et ils avaient de plus trois livres dix sous de gage
par an. On leur fournissait des vêtements dont le
prix était prélevé sur le montant de ses salaires. 4
1. Plus avem bailat per diversas almornas bailadas e donadas en blat
e zen déniés a paures gens vergonhoas per la festa de C alenas.. . . que
montan vi lib. xvi s. un d. Registre des recettes et dépenses de 15971598, in-4«, marqué CC, fol. 56 recto, aux archives de l’Hôtel-Dieu.
2. Avem donat per amor de Dieu a donna Laureta Derabet e za la
molhor Dantoni Gigo per i paura femena a vin j u l.. . . vim s. Registre
ci-dessus, marqué CC, fol. 29 recto.
5. Registre des recettes et dépenses de 1416-1417, passim. Aux
divers chapitres des dépenses.
4. Registre des recettes et dépenses de 1558-1559, marqué H , cha
pitre intitulé : Aiso sou las mcsions que nos avem fachas en noslre
�Quelquefois on ne fournissait aux mesages que la
chaussure, el causar, outre leurs salaires en ar
gent. 1 On les employait à la porcherie, per porquier; à faire la quête, per quistar, ou per far la
quista, et à tous les autres services de la maison,
per far las bezonas délia mazon. Dans l’année ad
ministrative 1338-1339 nous voyons employés à
ces diverses charges les nommés Barlon, Robin,
Peiron lo Rascas, Peiron Margalian, Bonpar de Ma
rignane, Jean de Mervegols, Raimon, Pierre Mar
tin, Jean Daurnol, Monon Barrier et Amillon. Ces
douze individus ne servirent pas tous en même
temps. Les uns remplacèrent les autres dans le
cours de l’année. 2
L’hôpital Saint-Esprit de Marseille ne faisait au
cune provision de denrées et de choses d’un usage
journalier. L'économe prenait tout en détail, au
fur et à mesure des besoins du ménage. C’est ainsi
qu’on le voit acheter un, deux ou trois sous de
chandelles, deux sous huit deniers d’huile, treize
sous quatre deniers de bois. 3
régiment de loguier de meges e de mesages que avem près a far tôt
lo servizi délia mazon. Archives de l’Hôtel-Dieu.
1. Registre des recettes et dépenses de 1349-1350, marqué P, fol.
71 et suivants, aux mêmes archives.
2. Registre cité de 1338-1339.11 est sans pagination chiffrée.
3. ii saumadas de lenha xm s. mi d. Registre des recettes et dé
penses de 1498-1499, passim.
�— 109 —
Les recettes de l'exercice 1340-1341 furent de
cinq cent cinquante-quatre florins six sols cinq deniers
FL.
Le chapitre des dépenses se com
posa des articles suivants :
FL.
S.
S.
D.
554 6 5
D.
Dépenses de hpuche....... 82 2 5
Diverses........................... 281 5 11
Pour l’exploitation des vi
gnes et des terres...... 130 19 3
Mois de nourrices.......... 20 6 4
Service de santé et gages
des domestiques.......... 29 17 »
543 18 11 543 18 11
S o lde
en caisse..............
10 19 6 1
Le florin valait alors trente-deux sous. Les ar1. Item que montan las receptas destan passât totas
s. v d.
FL.
cc cc cliiii
8.
fl. vi
D.
Item messions de b oca ................................................................... l x x x ii ii v
Item messions menudieras......................................... cclxxxi v xi
Item messions de vinhas et de terras................ . cxxx xix m
Item messions de bailas..............................................
xx vi un
Item messions de megeset messages........................ xxix xvn —
Somas totas las messions fachas par nos cccccxlui fl. xvm s. xi d.
Inventaire cité de i34d.
7S
�ticles de recettes et ceux de dépenses présentent donc
en livres, le résultat suivant :
L.
S.
D.
Recettes.................................. 886 14 5
Dépenses............................... 869 14 11
S o l d e en caisse....
16 19 6
A cette époque on comptait, à Marseille, tantôt
en livres et tantôt en florins. Les recettes et les dé
penses de l'exercice 1348-1349 sont en livres :
L.
S.
D.
Recettes.................................. 944 10 5
Dépenses................................. 929 » 6 t
S o l d e en caisse....
15 9 11
L’année suivante il eut un léger déficit dans la
caisse de l’hôpital.
l.
s.
n.
Recettes.................................. 942 13 4
Dépenses................................. 948 15 »
D é f ic it ................
6
1 8
Les deux recteurs, Imbert d’Alba et Pellegrin
Bompar, se déclarèrent, dans leurs comptes de ges1. Registre des recettes et dépenses de l’hôpital Saint-Esprit de
Marseille, 1548-1349, marqué N.
�— 141 —
tion, créanciers de cette somme dont ils firent l’a
vance. 1
Tel était, pour me servir d’une expression mo
derne, le budget de l'hôpital Saint-Esprit de Mar
seille au milieu du quatorzième siècle, et il est
probable que longtemps après la situation financière
de cette maison fut à peu près la même, car l’é
poque dont nous nous occupons ne vit pas de grands
changements, et tout dans la société avait alors une
marche uniforme et lente.
Une cinquantaine d’années après, c’est-à-dire en
1402-1403 , le compte de gestion des recteurs Guil
laume de Cavaillon et Urbain Jean fut ainsi établi :
L.
S.
D.
Recettes........................... 1042 10 7
Dépenses.......................... 1094 8 1
D
.............. 51 17 6 2
é f ic it
Guillaume de Cavaillon et Urbain Jean durent aussi
faire l'avance de ce déficit qui probablement ne
leur fut pas plus remboursé qu’il ne le fut sans
doute à leurs prédécesseurs.
1. Registre, marqué P, des recettes et dépenses de l’hôpital SaintEsprit de Marseille, 1349-1350, fol. 28 verso.
2. Livre coté FF, des recettes et dépenses de l’hôpital Saint—Espritt
de Marseille, 1402-1405, fol. 79 verso et 80 recto, aux archives de
l’Hôtel-Dieu.
�,;
—
112
—
L’état financier de l’hôpital Saint-Esprit de Mar
seille semble misérable, pour la plus importante
maison de charité d’une grande ville ; mais il ne
faut pas juger de cet état selon les idées que nous
inspirent actuellement la valeur de nos monnaies,
le prix de nos denrées et de toutes nos choses vé
nales. Par l’effet du temps et des circonstances, par
les changements amenés dans les relations du com
merce et de l’industrie, tous les signes de la ri
chesse publique se multiplièrent et grandirent sous
toutes les formes. Un travail social, lent dans sa
marche, mais certain dans ses résultats, fit entrer
toutes les valeurs dans une voie ascendante.
L’argent était très rare en Europe, et surtout en
France, au treizième et quatorzième siècle. ] La
plus grande partie avait était engloutie en Asie et
en Afrique par les infortunes des croisades. 2 Aussi
bien, l’émine de blé ne valait à Marseille que six
sous six deniers en l'année 1306. 3 Nous la voyons
au prix de dix-huit sous à la fin du même siècle. 4
1. Voltaire, Essai sur les Mœurs et l’Esprit des Nations, chapitre
81, in fine.
2. Même ouvrage, chapitre 84.
5. Livre des recettes et dépenses de l’hôpital Saint-Esprit de Mar
seille, 1306, passim.
4. Avem compratde Bertrand de Rocafort xim eminas danona a razon
de xviii s. lemina monta xn lib. xn s. Registre des recettes et dépenses
de l'hôpital Saint-Esprit de Marseille, 1397-1398, in-4ü, coté CC, fol.
29 verso, aux archives de l’Hôtel-Dieu.
�— 113 —
En 130G on ne donnait aux laboureurs que cinq
ou six deniers par journée, suivant la saison; 1 et
quinze à vingt, environ vingt-cinq ans après. 2 La
journée d’une femme employée aux travaux de la
campagne était de sept à douze deniers, et le plus
souvent de huit. 3 A cette époque, un artisan, un
menuisier, par exemple, gagnait trois sous et demi
par jour. 4
La paie d'un matelot était de quinze sous par
mois. 3
Le tarif des notaires leur accordait des salaires
proportionnés à la valeur de toutes choses. Par
exemple, ces officiers publics recevaient deux sous
pour un acte de tutelle ou de curatelle. 6
Le crieur communal percevait un denier pour pu
blier la vente d’un tonneau de vin, deux pour celle
d’un porc, trois pour celle d’un âne et d’une autre
bête de charge; deux deniers pour annoncer la
1. Livre des recettes et dépenses du même hôpital, 1306, passim.
2. Livre des recettes et dépenses de 1330, passim.
5. Même registre, passim.
i . Registre des recettes et dépenses du même hôpital, 1332-1535,
in-4°, coté E.
5. Statuta civitatis Massilie, lib. iv, cap. c l x x v i , de Cibariis marinariorum prestandis et quo tempore prestari debeant, fol. 98 recto,
aux archives de la ville de Marseille.
6. Statuta civitatis Massilie, lib. i, cap. xxix, quantum debeant
notarii accipere de instrumentis, fol. 50 recto et verso, et 31 recto.
tome
î.
8
�— 114 —
disparition d'un enfant, la perte d’un vêtement,
d’une clé de maison, d’un acte et d’un titre quel
conque. On lui donnait la même somme pour une
publication relative à un esclave, car la servitude
n’était pas tout à fait abolie à Marseille dans le
treizième siècle. 1
Une carterée 2 de vigne et terre, c'est-à-dire de
vigne par oulières, valait à cette époque cinquante
livres environ 3 et l’on vendait le vin dix sous la
millerole. 4 Une livre d’huile se payait vingt de
niers. 3
A la fin du quatorzième siècle et au commence
ment du suivant , le bail à ferme de cinq carterées
de vigne était de huit livres par an. 6 Celui d’une
1. Statuts civitalis Massilie, lib. i , cap. xxxix, de publico precone,
fol. 36 recto et verso.
2. 2050 mètres 95 centimètres carrés.
3. Compreron de sen P. Argillies e de sa moller dona Micolana i vigna etera que es a las Molieras e son ii quarteiradas e miega e costa la
possession tota de que an paguat los prohomes cxxv lib. Livre des re
cettes et dépenses de l’hôpital Saint-Esprit, 1330.
4. Mais avem resemput de maistre P. Quantier barbier a ni dotobre
per millairolas de vin a x s. la millairola que monta xx lib. Registre
des recettes et dépenses de l’hôpital Saint-Esprit de Marseille, 13571358, in-4°, coté Q.
5. Donem a vii de jull per comprar x lib. dolli que costet xx d. la
lib. monta xvi s. vin d. Registre in-4°, coté E , des recettes et dé
penses du même hôpital.
6. Logua moss Jehan Raynaut cinc quartairadas de vinha casquun
an a miech aost vin lib. Livre coté FF, des recettes et dépenses de l’hô
pital Saint-Esprit de Marseille, 1402-1403, fol. 49 verso.
xl
�terre de six carterées quarante-cinq dextres, au
quartier du Camas, était de six livres huit sous. 1
Un porc dans toute sa croissance valait trentedeux sous; 2 un petit porc dix sous huit deniers. 5
Les maisons des plus beaux quartiers de Mar
seille se louaient au prix de six à dix livres par
an. C’était là le loyer de celles qui étaient situées
tout près l’église des Accoules. 4 Le loyer d’une
maison à la rue Négrel était de cinq livres. 5 A
cette époque, c’est-à-dire en 4402, nous voyons
un loyer hors ligne : c’est celui d’une grande bou
tique près la Poissonnerie, occupée, au prix an
nuel de dix-huit livres et quatre sous, par une
1, Logua Jacins Ros vi carlayradas xlv destres de terra pausadas en
Camas casquun an a tossans vi lib. vin s. Même registre FF, fol. 51
recto.
2. A resenput de l’espitalier d’Albanha per i porc i lib. xii s. Re
gistre coté CC, des recettes et dépenses du même hôpital, 1597-1598,
fol. 55 recto.
5. De Hugo Boet per i porquet x s. vin d. Même Registre coté CC,
fol. 55 recto.
4. Logua Peyre Champon i hostal pausat davant la font délias acco
las quascun an a pâschas x lib. logua Monet de Berra i hostal pausat
davant nostra Dona délias Accolas casquun an a miech aost vi lib. vnr.
s. Livre coté FF, des recettes et dépenses de l’hôpital Saint-Esprit de
Marseille, 1402-1405, fol. 49 recto et verso.
5. Logua Rostanh Sollier i hostal pausat en la carriera de Negrel cascun a Sant Thomé v lib. Même registre, fol. 52 recto.
�—
116
—
riche marchande de poissons nommée Ressens Fabresse. 1
A la fin du quinzième siècle, il n'y avait dans
les recettes et les dépenses de l’hôpital Saint-Esprit
de Marseille qu’une augmentation de deux cents li
vres. C’est en cette monnaie que les comptes sont
encore faits, et les divers articles de recette et de
dépense se formulent dans les chiffres suivants :
S.
D.
Recettes..........................
1158
L.
16
7
Dépenses 2 .....................
1148
18
2
9 18
5
S o l d e en caisse....
Les ressources financières de l’hôpital n'avaient
eu, on le voit, qu’un bien faible progrès. Il était
dû aux libéralités de quelques bienfaiteurs. Cet hô
pital recueillit dans les héritages de Giraud Chapus,
de Guillaume Chardayre et des dames Béatrix Audebert, Viaras Audebert, Amielh Gras, Nicolane
Durante et Jeanne Ponsin, trois maisons situées à
la rue Négrel, trois à la rue S’-Martin, et quatre
à la rue de Pierre-Pons, à la rue de la Pelisserie
1. Logua Ressens Fabressa peysonniera la grant botigua de lostal de
la pescaria quascun an a xv de may fo doze valon xvm lih mi s.
Même registre, fol. 49 verso.
2. Livre des recettes et dépenses de l’hôpital Saint-Esprit, 14981499, fol. 52 recto, 62 verso et 100 recto.
�— 117 —
Étroite, 1 à la rue de l’Éperon >et la dernière près
Saint-Laurent. En 1373, la dame Jacquette Raynols légua au même hôpital une vigne située au
quartier de Notre-Dame-de-la-Garde, et en 1383
le laboureur Vinell lui laissa aussi par testament,
après la mort de sa femme, une propriété à Séon. 2
Je dois honorablement mentionner Bertrand de Ro
quefort, d’Hyères, riche négociant à Marseille, qui,
vers l’année 1426, laissa tout son bien par portion
égale à l’hôpital Saint-Esprit et au couvent des
frères Prêcheurs. 3
. 1. Aujourd’hui rue de la Rose. Registre A, des censes et directes de
l’hôpital Saint-Esprit, fol. 228 et 252.— Registre A , des censes et di
rectes de l’hôpital Saint-Jacques-de-Galice, fol. 399. — Nouveaux re
gistre D, 1, des censes et directes des deux hôpitaux réunis, fol. 44
verso, aux archives de l’Hôtel-Dieu.
2. Inventaire des titres de l’hôpital Saint-Esprit, 1599, fol. 9 recto
et verso, 10 recto et verso, 15 recto et verso, 15 recto.
3. Registre, in -4°, contenant tous les actes de la liquidation de la
succession de Bertrand de Roquefort, d’Hyères, aux archives de la ville
de Marseille.
�CHAPITRE Y.
L’hôpital Ssint-Esprit n’a qu’un petit nombre de malades. — Prix de
leur journée.— Régime alimentaire. — Les recteurs de l’hôpital
y dînent quelquefois.— Le grand négociant Julien de Casaulx.—
Son testament en faveur de l’hôpital Saint-Esprit et de celui de
Saint-Jacques-de-Galice. — Bernard de Garnier, fondateur de ce
dernier hôpital. — Régime et recteurs de la maison Saint-Jacques
de Galice. — Son état et ses divers bienfaiteurs. — Détails le con
cernant. — Projet de réunion des deux hôpitaux. — Le consul
Charles de Casaulx exécute ce projet. — Moyens d’exécution et
mesures financières. — Nouvelle bâtisse de l’hôpital Saint-Esprit.
— Chute de Charles de Casaulx.
L’hôpital Saint-Esprit n’eut qu’un petit nombre
de malades, au moyen-âge et même postérieure
ment. Plusieurs autres maisons hospitalières secou
raient les pauvres atteints de maladies. D’ailleurs,
les hôpitaux reçoivent d’ordinaire plus d’étrangers
que d’habitants de la ville même. Marseille, après
les croisades, n’eut qu’un commerce languissant. Les
malheureuses guerres d’Italie finirent par anéantir
tous les éléments de richesse; et, si au milieu de
ces longues et sanglantes luttes, plusieurs familles
étrangères vinrent chercher un asile à Marseille,
ce ne fut là qu’une exception qui n’attira pas
dans cette ville épuisée les hommes toujours em-
�119 —
pressés d’accourir dans les lieux qui leur offrent
de bonnes chances de travail et de gain.
Dans les dernières années du quinzième siècle,
nous ne voyons souvent qu’un seul malade à l’hô
pital Saint-Esprit de Marseille. 1
On nous a conservé le nombre des malades de
cette maison et le prix de leur journée pendant les
deux derniers mois de 1501 et pendant les mois de
janvier, février, mars, avril, septembre et octobre
de 4502.
Le chiffre le plus élevé des malades est de quinze.
C’est ce nombre qu’on voit les 24, 25 et 26 sep
tembre 4501, et les 6, 7 et 8 février de l’année
suivante.
Le nombre le plus ordinaire est de dix à douze,
mais plus souvent douze que dix.
Dans les onze premiers jours du mois d’octobre
1502 l’hôpital n’eut que deux malades, et il n’en
eut qu’un seul depuis le douze jusqu’à la fin du
mois.
1. Lo luns e xmi del dich mes de julh paguiey per pan b!an per lo
malaute un deniers. Registre des recettes et dépenses de l’hôpital SaintEsprit de Marseille, 1498-1499, fol. 69 verso, aux archives de l’HôtelDieu.
La même dépense de quatre deniers de pain blanc pour le malade
figure assez souvent dans le même registre. On voit d’autres articles
relatifs à des dépenses plus fortes pour du pain blanc destiné aux ma
lades, los malautcs. Ces jours-là, il y en avait évidemment plusieurs.
�Un malade coûtait un liard par jour.
Deux malades coûtaient un liard et un denier.
Trois, deux liards et un denier.
Quatre, trois liards.
Cinq, un sou.
Dix, un sou et trois liards.
Douze, deux sous et un ou deux liards.
Quinze, tantôt deux sous et trois liards, tantôt
trois sous.
La moyenne des prix de journée était de deux
deniers et demi; 1 mais on ne comptait dans ce
chiffre que les frais de nourriture des malades, sans
y comprendre les autres frais de la maison.
On faisait une consommation très fréquente de
poisson qui était alors fort commun et fort peu re
cherché en Provence. 2 On en donnait aux malades
non seulement le vendredi et le samedi, mais quel
quefois encore les autres jours de la semaine, et
on y ajoutait des légumes. Quand les malades n’a
vaient pas de poisson, on leur servait de la viande
de boucherie, et le plus souvent de chevreau. L’u
sage de la chair de chevreau était alors général en
1. Registre des recettes et des dépenses de l’hôpital Saint-Esprit de
Marseille, pour 1501 et 1502, loi. 23 et suiv., aux archives de l’HôtelDieu.
2. Pétri Quiquerani Bellojocani, episcopi senecensis, de Laudibus
Provinciæ libri 1res. Parisiis npud l.amberturn dodu. 1551, fol, 4.0 recto.
�Provence, et même longtemps après, c’est-à-dire
dans la deuxième moitié du seizième siècle, cette
chair, dans les montagnes et le long des côtes du
même pays , était encore au nombre des principaux
objets de consommation alimentaire. 1
Suffren Palhol, économe - trésorier de l’hôpital
Saint-Esprit de Marseille en 1498 et 1499, dépen
sait à peu près, par jour, pour la nourriture de
toutes les personnes de l’établissement : deux à qua
tre sous de viande ; deux à trois sous de poisson ;
un sou six deniers de chevreau ; quatre à huit de
niers de légumes. 2
Les recteurs dînaient quelquefois dans l’hôpital,
aux frais de la maison. Ceux de 1498, Guillaume
Fabien et Blacayron Candole, y mangèrent fort sou
vent. Ils y firent notamment un grand dîner le 18
février, et Suffren Palhol dépensa ce jour-là quinze
sous, y compris un sou huit deniers de chevreau,
aliment banal des malades. Cet économe acheta six
sous de poisson, un sou quatre deniers de légu
mes et fruits ; un sou huit deniers de pain blanc
et de fogasse; 3 deux sous huit deniers d’huile, c’est1. Description des Principaux Lieux de France, par Dulaure, pre
mière partie. Paris, 1789, p. 111.
2. Registre des recettes et dépenses de l’hôpital Saint-Esprit de Mar
seille, 1498-1499, passim, aux archives de l’Hôtel-Dieu.
3. Pain plat et mal cuit.
�—
122
—
à-dire une livre de cette denrée; un sou de clareya, 1 c’est-à-dire de vin clairet. 2
Les recteurs Guillaume de Cavaiilon et Isnardet
Ricau, mangèrent aussi très souvent à l’hôpital en
1499. Il se firent servir à dîner le 27 janvier, en
tre autres jours, et invitèrent même le notaire,
maître Aycart, qui avait travaillé avec eux au
classement des titres et papiers de la maison. Palhol acheta deux lapins qui lui coûtèrent ensemble
quatre sous ; de la viande de bœuf et de mouton
pour six sous, des choux pour quatre deniers, et
de la moutarde pour le même prix. 5 II paraît que
ces deux administrateurs aimaient beaucoup la mou
tarde. Toutes les fois qu’ils dînaient à l’hôpital,
Palhol, courtisan adroit, ne manquait pas de leur
en présenter. D’ailleurs le recteur Isnardet Ricau
était son compère. Suffren Palhol voudrait le rap
peler à la ville entière et ne le nomme jamais sans
lui donner cette qualité qu’il prodigue avec com
plaisance. Mon compayre Isnardet Ricau! C’est plaisir
de voir comme il s’en glorifie. Mon compayre Isnardet Ricau! c’est ce qu’il dit sans cesse avec une
affectation vaniteuse. 4
1. Registre cité de 1498-1499, fol. 57.
2. Du Cange, glossarium etc., verbis claretum et claroya.
5. Même registre, fol. 93.
4. Livre des recettes et dépenses de 1498-1499, passim.
�Le plus illustre bienfaiteur de l’hôpital S^Esprit
de Marseille fut Julien de Casaulx, 1 fils d’André
de Casaulx et de dame Marguerite. 2 Julien de Ca
saulx nous apparaît comme la plus grande figure
historique du quatorzième siècle à Marseille, et c’est
l’un des plus beaux noms à inscrire dans les an
nales du commerce du moyen-âge. Les historiens
ont à peine prononcé ce nom ; la plupart même
ne l’ont pas connu, et pourtant une foule de ti
tres 3 témoignent en faveur d’un personnage remar
quable qui méritait une place distinguée dans la
mémoire des hommes et dont l’oubli causerait no
tre étonnement si l’ingratitude pouvait nous étonner
encore et si nous ne savions pas que les jeux du
hasard disposent souvent de nos destinées offertes
1. Jolian de Casais, dans les actes écrits en langue provençale, et
Julianus de Casalibus, dans les chartes latines.
2. Ego Julianus de Casalibus, mercator de Massilia, filius Domini
Andréas de Casalibus et Domine Margarite, conjugum quondam etc.
Testament de Julien de Casaulx, fait le 51 janvier 1394. Voyez le livretrésor B de l’hôpital Saint-Esprit et Saint-Jacques de Galice, 15401577, à la suite de ce registre, aux archives de l’Ilôtel-Dieu de Mar
seille.
3. Ces titres sont aux archives de la ville, chartier. On y voit des
actes qui prouvent, d’une manière éclatante, que Julien de Casaulx était
un grand armateur, un grand négociant, un homme dont l’esprit vaste
et entreprenant dirigeait des affaires considérables. Julien de Casaulx
était conseiller municipal en 1387. C’est ce que nous apprend le frag
ment d’un registre de dix feuilles contenant quelques délibérations du
conseil en cette même année. Archives de la Ville.
�m
en holocauste au triomphe de l’injustice. Julien de
Casaulx laissa, par testament du 31 janvier 1394,
tous ses biens à l’hôpital Saint-Esprit et à celui de
Saint-Jacques-de-Galice 1 dont il est temps que nous
parlions.
Un marchand 2 marseillais qui paraît avoir été
merveilleusement riche, du moins pour son siècle
qui le fut fort peu, eut le cœur assez noble pour
élever sa bienfaisance à la hauteur de sa fortune.
Il s’appelait Bernard de Garnier et il avait pour
femme Marguerite de Montolieu, d’une des plus an
ciennes et des plus considérables familles de la
ville. Dans son testament du 30 mars 1344, 3 Ber
nard de Garnier laissa une rente annuelle et perpétuelle de cinquante livres royales 4 pour un nou
vel hôpital qu’il plaça sous l’autorité de l’adminis
tration municipale, laquelle nomma deux recteurs
annuels, comme pour l’hôpital Saint-Esprit. Outre
la dotation annuelle, Bernard de Garnier pourvut
aux frais de premier établissement. Les recteurs,
I
1. Inventaire des titres de l’hôpital Saint-Esprit, 1599, fol. 5 verso
et 68 recto.
2. Le nom de marchand était donné à tous ceux qui faisaient le com
merce, quelles qu’en fussent d’ailleurs la nature et l’étendue.
5. Inventaire des titres de l’hôpital de Sajnt-Jacques-de-Galice, 1400,
fol. 76 recto.
4. Ruffi, Histoire de Marseille, t. 2 , p. 111.
�125
—
Jacques Mayn et Jean Boyer, achetèrent de Pierre
de Berre, notaire de Beaucaire, plusieurs maisons
à la rue St-Martin, 1 tout près l’église de ce nom, et
on les appropria aux exigences du nouvel hôpital
destiné, sous le titre de Saint-Jacques-de-Galice, à
ne recevoir que des femmes malades. Cette desti
nation exclusive n’a jamais été bien expliquée, et
j’avoue qu’une grande obscurité règne sur ce point.
On a dit 2 que l’hôpital Saint-Esprit ne recevait
que des hommes malades. C’est une erreur démon
trée par des titres authentiques dont j'ai déjà fait
menlion. Je laisse donc à d’autres écrivains, sans
1. Inventaire des titres de l’hôpital Saint-Jacques-de-Galice, 1400,
fol. 21 recto.
2. La plupart des historiens ont toujours la triste habitude de croire
sur parole leurs devanciers et d’éviter comme trop long et trop pénible
le travail d’érudition et de critique qui remonte aux originaux et aux
véritables sources. Mais ce qui a lieu de nous étonner davantage c’est
l’acte de réunion des deux hôpitaux Saint-Esprit et Saint-Jacques-deGalice, fait le 23 juillet 1593, lequel est conçu de manière à faire croire
aussi que l’hôpital Saint-Esprit n’avait été fondé que pour les hommes
malades, comme si l’exclusion des femmes, avant la fondation de l’hô
pital Saint-Jacques-de-Galice, n’eut pas été une chose intolérable et
absurde. Mais les recteurs des deux hôpitaux et les autorités munici
pales qui intervinrent dans l’acte n’avaient jamais jeté les yeux sur les
anciennes archives de ces maisons; ils ne connaissaient pas un seul de
leurs vieux titres et ignoraient ce qu’on y faisait 250 ans auparavant.
Il va sans dire que cette bévue a été commise de nos jours, car c’est
l’esprit d’imitation et de légèreté qui perpétue toutes les erreurs. Il est
à regretter que la statistique des Bouches-du-Rhône ait elle-même été
l’écho d’une opinion si fausse. T. 5 , p. 398.
�12G —
doute plus heureux que moi, le soin de dire pour
quoi l’hôpital Saint-Jacques-de-Galice ne fut fondé
que pour les femmes, car je ne cherche pas à ex
pliquer ce qui me paraît inexplicable. Seulement il
est vraisemblable que quelque temps après la fon
dation du nouvel hôpital, celui du Saint-Esprit ne
reçut plus les femmes par la raison qu'une œuvre
spéciale leur était destinée, et c’est par ce qui s’est
fait après qu’on a voulu juger de ce qui se faisait
avant.
Le conseil municipal de Marseille, par délibéra
tion du 20 septembre 1359, autorisa les recteurs
de l’hôpital Saint-Jacques-de-Galice à percevoir deux
sous par livre sur tous les revenus dont ils eurent à
opérer le recouvrement, selon l’usage et l’habitude
des autres recteurs. 1 Par ces derniers mots faut-il
n’entendre que les prédécesseurs des recteurs de SlJacques-de-Galice en exercice en 1359, ou doit-on
généraliser l’expression et l’appliquer aussi aux ad
ministrateurs des autres hôpitaux de Marseille? Le
texte de la délibération municipale semble favorable
t . Pro evidenti utilitate hospitalis Sancti Jacobi dotati per D. Bernadum Garnerii quondam placuit dicto consilio quod juxtà reformatas
alias domini redores dicti hospitalis de censibus et aliis debitis redditibus et provenientibus et recuperandis per eos dicti hospitalis recipiant
de libris singulis solidos duos prout et sicut redores alii redperunt et
recipere sunt soliti. Registre contenant les délibérations du conseil mu
nicipal de Marseille, années 1357-1359, aux archives de la mairie.
�127
à cette dernière interprétation qui renverse toutes
nos notions historiques. En effet, nous ne voyons
rien dans les archives des hôpitaux de Marseille qui
nous autorise à penser que leurs recteurs fussent
rétribués à cette époque. Quoiqu’il en soit, si cet
état des choses a existé, il n’a pas eu sans doute
une durée bien longue, car on peut dire sans hésiter
que ce ne fut qu’un accident malheureux et tout
à fait contraire à l’esprit des œuvres hospitalières.
Le généreux Bernard de Garnier eut des imita
teurs qui méritent d’avoir un souvenir dans l’his
toire. Martin Eliers, Terrin Benda, Guillaume de
Montels, Jean Cassa, Jean Gués, Nicolane Peyrolier,
le laboureur Hugues Michel, les dame Huguette Ber
nard et Mabille Girard d’Allauch disposèrent, par
donation ou par testament, en faveur de l’hôpital
Saint-Jacques-de-Galice, dans le courant du qua
torzième siècle, et ses principaux bienfaiteurs, dans
le siècle suivant, furent Jacques Baudrit, Pierre
Alaman Cavalier, Monet Étrand, Mossone, Simon,
Pierre Diodati le vieux. 1
On vit aussi dans le seizième siècle un grand
nombre de libéralités en faveur de cet hôpital, à
tel point qu’il devint proportionnellement plus riche
Livre-Trésor, ou inventaire des chartes, titres, droits et biens de
l’hôpital Saint-Jacques-de-Galice, commencé en 1400, registre in-4°,
fol. 76 et suivants, aux archives de l’Hôtel-Dieu.
�que celui du Saint-Esprit. Dans la séance du con
seil municipal du 24 février 1553, le consul Antoine
Claret déclara que « clairement apert que à l’hos» pital de Saint-Sperit se faiet beaucoup plus de
» despenses pour raison de l’infirmité des malades
» que à l’hospital de Saint-Jacques-de-Galicie, et
» l'hospital de Saint-Jacques a beaucoup plus de
» revenus. » Le conseil de son côté reconnut « le
» notoyre despense excessive du dict hospital Saint» Sperit plus que le dict hospital de Saint-Jacques» de-Galicie. » Le conseil prit en conséquence une
délibération relative à la dépense des enfants trou
vés que les deux hôpitaux supportaient par portion
égale et qui fut mise entièrement à la charge de
l’hôpital de Saint-Jacques-de-Galice jusques au 28
octobre de la meme année. 1
L’hôpital Saint-Jacques-de-Galice traitait fort
bien ses malades. Il ne leur donnait que du pain
barbier était chargé du service de santé. Le nommé
Alexandre faisait ce service en 1480, aux gages
1. Libvre 3 des eslections, délibérations du conseil et aultres actes
de la présente ville de Marseille, acomansant le 1er novembre 1549 et
finissant le 23 novembre 1554, fol. 205 verso, aux archives de l’Hôtelde-Ville de Marseille.
2. Registre KKK, des recettes et dépenses de l’hôpital Saint-Jacquesde-Galice, 1480, fol. 52 recto et suivants.
�129 —
de trois livres trois sous par an. 1 Mais en la même
année Thôpital paya à un autre barbier, nommé
Guillaume, deux livres pour le service exceptionnel
auquel on l’avait employé durant un temps dé
grande mortalité. En 1186, le chirurgien barbier
de cet hôpital était maître Dreydier, et ses salaires
furent portés à cinq livres. 2 A la même époque,
un apothicaire du nom de Crestin, servait la même
maison aux gages de quatre livres par an. 3
L’hôpital Saint-Jacques-de-Galice ne donnait pas
ses biens-fonds à ferme; il les exploitait lui-même
par la main de quelques valets. En 1480 le pro
duit de ses récoltes consista dans soixante-seize milleroles de bon vin et vingt-six milleroles de piquette,
deux émines d’amandes et cent trente livres de fi
gues. 4
Il n’eut jamais que deux recteurs, et il en fut
de même de l’hôpital Saint-Esprit jusqu’en 1543.
1. A y dal a maistre Alessandre barbier per lo servisi de lespital m
lib. m s. Même registre KKK, fol. 88 recto.
2. Item per lo dich an ay baylat a maistre Dreydier nostre barbier v
lib. Registre MM, des recettes et dépenses de l’hôpital Saint-Jacquesde-Galice, 1486, fol. b2.
3. Item ay baylat a Crestin lo boticari mi lib. Même registre MM,
fol. 52.
4. Ay agut de bon vin milhayrolas'lxxvi. — Item de tempra ay fach
milhayrolas xxvi.— Ay agut amendas esminas ii . — Item de figuas ay
agut i quintal xxx lib. Registre KKK, fol 53 recto.
9
TOME I.
�130 —
Le 28 octobre de cette année, le conseil municipal
de Marseille procédant, suivant l'ancien usage, à
l'élection des officiers et des agents de la commu
nauté, nomma Pierre Tournier et François Isnard
recteurs de l'hôpital Saint-Esprit et leur donna pour
coadjuteur Raynaud Rostaing. 1 Cette adjonction fut
motivée sur le nombre et l’importance des affaires
de l’hôpital, et le conseil de ville, quelques années
après, décida que dorénavant les recteurs de l’hô
pital Saint-Esprit seraient au nombre de quatre.
On désira pendant fort longtemps réunir les deux
hôpitaux; mais ce projet si simple en apparence fut
d’une exécution fort difficile et il fallut bien du temps
pour en assurer le succès. La fureur des guerres re
ligieuses, les désordres affreux des esprits et des
choses éloignaient l’examen des questions économi
ques et n’avaient rien de favorable aux améliora
tions administratives. En ces temps de passion et de
calamité, un homme pouvait seul mener à bonne fin
une telle entreprise. Le consul Charles de Casaulx,
au milieu des agitations et des embarras de son pou
voir tourmenté, au sein des embûches que lui dres
saient sans cesse la jalousie et la haine, put encore
s'occuper d’un grand nombre d’objets d’administra1. Libvre des eslections, délibérations et réformations du conseil et
aultres actes de la ville de Marseille, commansant le 11 novembre 1542 et
finissant le xxvm octobre 1546, fol. 78 verso, aux archives de la ville.
�tion et de police qui semblaient ne devoir réussir
qu’en des temps de calme parfait. Mais le propre
des caractères d’élite est de puiser des sentiments
de persévérance et de force dans tout ce qui dé
courage les âmes faibles et communes. Tel était
Charles de Casaulx qui avait même le défaut de
ses qualités énergiques, c’est-à-dire cet entêtement
que produit d’ordinaire une trop grande estime de
soi-même. Il descendait ou prétendait descendre
de Julien de Casaulx, l’un des principaux bienfai
teurs de l’hôpital Saint-Esprit et de celui de SaintJacques-de-Galice, et comme ce qui était dans sa
pensée passait bientôt dans ses actes, la réunion
des deux hôpitaux suivit de près la résolution qu’il
en prit.
La situation malheureuse et même exceptionnelle
que le mouvement des partis avait faite à Marseille
diminuait tous les jours les ressources des hôpitaux
de cette ville en même temps qu'elle augmentait
leurs charges. Le 13 février 1592 Charles de Ca
saulx mit sous les yeux du conseil municipal les
plaintes des recteurs du Saint-Esprit et de ceux de
Saint-Jacques-de-Galice dont l’état était des plus
misérables, et le conseil délibéra unanimement que
Jean Moustiers, dit Cotignac, négociant de Mar
seille, serait prié de prêter pour un an deux cents
écus à la maison du Saint-Esprit, cent à celle de
Saint-Jacques-de-Galice, et que les recteurs de ces
�—
132
—
deux hôpitaux passeraient, au nom de leur œuvre
respective, toutes les obligations de droit. 1
- Jean Moustiers n'ayant pas satisfait à cette invi
tation, les trois consuls de Marseille s’occupèrent
encore de cette affaire, le 6 avril suivant, dans un
bureau auquel assistèrent Pierre Candole, Jean Aurivelier, Philippon Napollon, Nicolas Mongin, Mi
chel Seguier, Claude Moustiers, François de Casaulx, Pierre Moustiers et Jean Reynier. Il y fut
dit que la ville fournirait elle-même l’allocation de
cent écus. 2
Ce n’était là qu’une mesure provisoire qui en
annonçait de plus complètes et de plus efficaces.
Déjà le projet de réunion était partout accueilli avec
une faveur marquée. Les recteurs des deux hô
pitaux la sollicitaient conjointement dans une re
quête présentée aux consuls et au conseil de ville. 5
Mais l'exécution de ce projet nécessitait l’agrandis
sement de la maison du Saint-Esprit et les finances
municipales ne pouvaient subvenir à toute la dé1. Registre 19 des délibérations du conseil municipal de Marseille ,
depuis le 3 novembre 1591 jusquesau 26 octobre 1595, fol. 77 verso,
aux archives de la Ville.
2. Registre 19 des délibérations du conseil municipal de Marseille,
fol. 110 verso et 111 recto.
3. Livre-Trésor B de l’hôpital Saint-Esprit et Saint-Jacques-de-Gal i è é 1616-1654, fol. 1 recto et verso, aux archives de l’Hôtel-Dieu.
�pense. Dans ces circonstances, les premiers ma
gistrats prirent, au mois d’avril 1593, l’initiative
d’une souscription dans laquelle ils furent suivis par
tout ce que Marseille comptait d'habitants notables.
Charles de Casaulx souscrivit pour cent écus,
comme Antoine-Nicolas d’Albertas, sieur de Gémenos, le plus riche citoyen de Marseille et peutêtre de la Provence entière. 1 Au mois de février
1592, d’Albertas avait acheté à Gênes, conjointe
ment avec un autre marseillais, Jean de Cabre,
sieur de Saint-Paul, un grand chargement de blé,
pour compte de la ville de Marseille, 2 et le 29
juin de l’année suivante il s’était engagé à prêter
à la même ville la somme considérable de cinquante
mille écus, « tant pour le debvoir qu’il debvoit à
» sa patrie que pour le désir qu’il avait de la con» servation de ladite ville et de ses libertés.» 5
Ce grand citoyen ne versa pourtant pas dans la
caisse municipale le montant de sa souscription de
cent écus pour les nouvelles constructions de l’hô
pital Saint-Esprit, probablement parce que des cir1. Artefeuil, Histoire Héroïque et Universelle de la Noblesse de P ro
vence, t. 1, p. 26. — Critique du Nobiliaire de Provence, manuscrit,
verbo Albertas.
2. Registre 19 des délibérations du conseil municipal de Marseille,
fol. 257 verso et 258 recto et verso.
3. Même registre 19, fol. 25 verso et 26 recto.
�134
constances impérieuses l’éloignèrent de Marseille
avant l’époque fixée pour le paiement. Quant à
Casaulx, qui avait plus d’ostentation que de géné
rosité, il ne donna jamais rien, parce qu’il est vrai
semblable qu’il ne voulut jamais rien donner. Le
viguier Louis d’Aix, plus modeste et plus loyal,
fournit vingt-un écus trente-deux sous. François
Gay, second consul, figure pour douze écus trente
sous ; Gaspard Seguin, troisième consul, pour vingt
écus; Pierre Libertat, alors capitaine du quartier
de Blanquerie, pour pareille somme. Les quatre
recteurs de l’hôpital Saint-Esprit, Marc-Antoine
d’Agostino, Georges Former, Pierre Vieu, Louis Espinaud, et Laurent Gilles, coadjuteur nouvellement
nommé, payèrent aussi d’une manière convenable
leur tribut de charité et furent suivis des deux rec
teurs de la maison Saint-Jacques-de-Galice, Pierre
Ollivier et Pierre Yilhole. Nous devons une mention
particulière à Pierre Ollivier qui compta libérale
ment deux cents écus. Dans le nombre des autres
souscripteurs pour des sommes plus ou moins im
portantes on distingue Riquetti de Mirabeau; Jean
Cabre, sieur de Saint-Paul; la dame marquise de
Cabre, veuve Dory; Micollin David; François Arman; Lazarin Doria; Antoine Félix, sieur de la
Reynarde; Amiel Albertas; François Paul; Pierre
Seigneuret; Antoine Maria; Pierre Aquillenqui, Jean
Durand, Antoine Mascaron, et une foule d’autres
�— 135 —
dont l’empressement prouve la popularité d’une
souscription placée sous l’égide du patriotisme. 1
Quelques personnes également charitables contri
buèrent à cette bonne œuvre en fournissant du blé
aux maçons et aux autres ouvriers employés aux
constructions nouvelles. Le blé était alors à Mar
seille d’une cherté excessive ; il valait cinq écus et
demi la charge, et les approvisionnements devenant
tous les jours plus difficiles causaient de grands
embarras à l’administration que tant d’autres soucis
assiégeaient. La dame Jeanne de Bouquin, veuve
du malheureux consul Lenche que les ligueurs as
sassinèrent en 1588, fournit douze charges de blé-.
La dame Claire d’Olivier, veuve de Barthélemy
Hostagier, en donna dix charges; Horlando Porrade,
trois ; le patron pêcheur Antoine Arnaud, deux ;
Jean de Molini, autre patron pêcheur, et Claude
Malzar, une chacun. 2
Les troncs pour la bâtisse placés en divers lieux
produisirent cinquante-neuf écus et quarante-cinq
sous. Tous les dons montèrent à la somme de deux
mille sept cent cinquante-deux écus.
Les voies étant ainsi préparées convenablement,
1. Registre des recettes et dépenses de l’hôpital Saint-Esprit et de
Saint-Jacques-de-Galice, de 1593 à 1624-, premières pages, aux ar
chives de l’hôtel-Dieu.
2. Même registre, fol. 24.
�le conseil municipal, dans sa séance du 8 novembre
1592, délibéra « pour le bien et utilité des hospi» taulx et pouvres, que les dicts deux hospitaulx et
» pouvres seroient joints et unis ensemble au dict
» hospital Saint-Esprit. » Les recteurs de chacune
de ces maisons demandaient pour les frais de cons
truction la jouissance, pendant deux ans, du droit
d’une once pour livre de la viande qui se débiterait
à Marseille. Mais le conseil, dans la même séance,
leur accorda pour deux années la gabelle des aluns
que le duc de Mayenne avait octroyée à la ville, 1
et le 23 du même mois cette gabelle, mise aux en
chères publiques, fut adjugée pour le même temps,
moyennant le prix de deux mille cent cinquante
écus, au capitaine Jean Cayre, qui eut à compter
cette somme aux recteurs des deux hôpitaux. 2
Le 23 juillet 1593, le viguier Louis d’Aix, les
trois consuls, l’assesseur Jean Boyer, les quatre
capitaines de quartier, François de Casaulx, Pierre
Libertat, Guillaume Patrenostre et Urban Pouze ;
Pierre d’Altovitis, docteur en droit, Claude-Antoine
de Bausset, Pierre Madallin, Pierre Seigneuret,
François d’Aix, Pierre Alquier, François Paul et
1. Registre 19 des délibérations du conseil municipal de Marseille
depuis le 3 novembre 1391 jusques au 26 octobre 1593, fol. 216
verso, aux archives de la ville.
2. Meme registre 19, fol. 226 verso et 227 recto.
�— 137
quelques autres citoyens des plus notables, agissant
au nom de la ville, passèrent dans la salle du con
seil, aux écritures de Me François Delascours, no
taire , secrétaire de la communauté, un acte avec
les quatre recteurs de l’hôpital Saint-Esprit et les
deux recteurs de l’hôpital Saint-Jacques-de-Galice.
Il y fut dit que deux grands vices avaient été re
connus depuis longtemps. « Le premier, Findispo» sition, estât misérable et peu de commodité des
» dicts hospitaux pour recevoir et loger commodé» ment les dicts pouvres, ce quy estoit ung grand
» hostacle à l’avancement de leur santé, principal
» but de la fondation d’ieeulx. Et l’autre, la sé» paration des dicts hospitaux pour la diverse ad» ministration et double ordinaire qu’il y fault en» tretenir, ce quy tournoit à plus grand foulle et
» despense au désavantage d’iceulx. Pour à quoy
» obvier et prouvoir à ces deux incommodités par
» un mesme moyen pour estres encheisnés et dé» pendre l’une de l’autre, les sieurs recteurs des
» dicts deux hospitaulx auroient traité avec les
» sieurs consuls de ceste dicte ville.»
En conséquence on stipula que « les dicts deux
» hospitaulx de Saint-Esprit et Saint-Jacques-de» Galice seroient perpétuellement et inséparablement
» unis et incorporés, et à ces fins seroit continuée
» la fabrication du bastiment du dict hospital entre» prins pour y loger dans ung mesme enclos et sé-
�— 138
» parement les dicts pouvres de tout sexe le plus
» promptement que fere se pourroit; et ensuite de
» ce, que toute l’administration des dicts hospitaulx
» serait foicte par mômes recteurs et trésorier an» nuellement esleus par le conseil général le jour
» de Saints-Simon et Jude, à l’accoustumée, en
» nombre de six, savoir : trois qui seroient nom» més de nouveau et trois des vieux qui auroient
«exercé l’année auparavant, en telle qualité que
» tous les dicts recteurs demeureroient toujours deux
» ans de suite en la dicte charge aux fins que les
» nouveaux pussent estre instruits et informés de
» l’estât du dict hospital et guidés au maniment
» des affaires quy en despendent par ceulx quy en
» sont jà advertis.» 1
La première pierre fut posée solennellement par
Louis d’Aix et Charles de Casaulx le 8 septembre
4593. A cette occasion leurs ennemis se prirent à
dire qu’ils faisaient bien de bâtir un grand hôpital
puisqu'ils étaient sur le point de faire beaucoup de
pauvres. 2 Le conseil municipal, dans la séance du
6 novembre 1594, alloua aux deux hôpitaux réu
nis, pour hâter les travaux d’agrandissement de
1. Convention et union de l’hospital Saint-Esprit avec l’hospital
Saint-Jacques-o^-Galice, cahier in-4o, de dix pages, aux archives de
l’Hôtel—Dieu.
2 . Rufli, Histoire de M arseille, t. 2.
�—
139 —
l’ancienne maison du Saint-Esprit, la perception des
droits sur les aluns pendant trois ans encore, c’està-dire jusqu’à l’expiration du terme de cette ga
belle établie pour cinq ans en faveur de la ville. 1
Malgré tout le zèle de Charles de Casaulx et de
ses amis politiques, les nouvelles constructions de
l’hôpital ne marchaient qu’avec beaucoup de len
teur à cause des évènements et des dangers de toute
sorte qui obligaient l’administration des ligueurs
marseillais à consacrer toutes ses finances et tous
ses soins à son organisation complète et à ses
moyens de défense, lorsque cette administration,
fortement soutenue par les uns et vivement détestée
par les autres, comme les pouvoirs et les oeuvres
des époques de trouble, tomba soudain sous les
coups de la trahison la plus lâche et la plus cupide
qui se pût imaginer.
1. Registre 21 des délibérations municipales, du mois de novembre
1594 au mois d’octobre 1595, fol. 9 verso.
;
�CHAPITRE VI.
Pierre Libertat fait, un legs à l’hôpital. — Privilège de non cxtrahendo.
— Chambre de justice souveraine à Marseille. — Audiences des
grands jours dans une chapelle de pénitents à l’hôpital. — Cette
chambre, s’y voyant mal logée, va siéger dans la maison du roi.
— Le président Guillaume Du Vair. — Diverses décisions de la
chambre souveraine en faveur de l’hôpital. — Confréries et corpo
rations d’arts et métiers obligées de fournir un lit garni pour les
pauvres malades. — Assignations des prieurs.— Divers débats. —
Testament de Guillaume Du Vair, alors garde des sceaux.— 11 laisse
36,000 livres à l’Hôtel-Dieu de Marseille.— Mort de ce grand ma
gistrat.— Délibération du bureau de l’Hôtel-Dieu et son témoi
gnage de reconnaissance.
Pierre Libertat, l’assassin de Charles de Casaulx,
ne jouit pas longtemps du fruit de son crime. Gorgé
de biens, comblé de puissance et d’honneurs, il
mourut le 44 avril 1597, après avoir fait deux jours
auparavant des dipositions testamentaires. Il laissa
à l’hôpital Saint-Esprit et Saint-Jacques-de-Galice
la somme de cinq cents écus payables dans l’année
de son décès, par ses héritiers qui furent ses deux
frères, Antoine et Barthélemy Libertat. 1
1. L’extrait du testament de Pierre Libertat, à la date du 9 avril
1597, est dans le livre-trésor A de l’hôpital S‘-Esprit et Sl-Jacquesde-Galicc, 1542 à 1615, fol. 116 recto, aux archives de l’Hôtel-Dieu.
�Marseille, en passant sous la domination des
comtes de Provence, au milieu du treizième siècle,
obtint le privilège de non eætrahendo, c’est-à-dire
le droit d'avoir, dans son sein même, une juridic
tion souveraine pour juger en dernier ressort tous
les procès civils et criminels de ses habitants, ainsi
affranchis de la coûteuse nécessité d’aller plaider
ailleurs en cause d’appel. 1 Un juge, dit des appel
lations, remplit longtemps cette charge; mais en
1535, à la suite de la grande réforme judiciaire
ordonnée par François Ier, une chambre du par
lement de Provence dut chaque année se transporter
à Marseille pour y terminer tous les procès dans
une session de vingt jours.
A cette époque il y avait dans l'hôpital SaintEsprit de Marseille une chapelle de pénitents connus
sous le nom de battus, parce qu’ils croyaient faire
1. Statuts civitatis Massilie. Capitula pacis. Capitulum x.Quodomnes
cause principales et appellationum quecumque fiant et agitari debeant,
etc. Aux archives de la ville de Marseille.— Rufli, Histoire de M arseille,
t. 1, p. 252 et 288. — Livre 3 des eslections , délibérations et aultres
actes de la présente ville de Marseille, acomansant le 1er novembre
1549 et finissant le 23 novembre 1554, fol. G recto, 84 et suivants.
— Livre 5 des réformations et délibérations du conseil municipal de
Marseille, du 9 novembre 1556 au 22 décembre 1858, fol. 112 recto
et verso. — Registre 11 des délibérations du conseil municipal de Mar
seille, de 1579 à 1584, fol. 151 et suivants. — Registre 15 desdites
délibérations, de novembre 1587 à octobre 1588, fol. 28 et. suivants.
— Registre 16 desdites délibérations, fol. 9 recto et verso.
�— 142 —
une chose agréable à Dieu en se donnant la disci
pline. La chambre des grands jours, car c'est ainsi
qu’on l’appelait, vint siéger dans cette chapelle
obscure, incommode, peu propre à la solennité des
débats judiciaires. En 1544, le président en porta
ses plaintes au premier consul Amiel Albertas, et le
6 juin le conseil municipal délibéra d’y faire quel
ques réparations. 1
Mais ce projet fut bientôt abandonné. La chambre
des grands jours comprit qu’elle serait toujours
assez mal logée à l’hôpital, et jeta les yeux sur la
maison du roi, où siégeaient les autres tribunaux
de Marseille. Cette maison était située sur le quai
du Port, à l’angle de la rue de la Prison. Là de
meurait le bon roi René lorsqu'il venait à Marseille.
Là mourut, le 11 décembre 1481, son neveu Char
les IY, dernier comte de Provence, après avoir fait
la veille le testament célèbre par lequel ce comté
et ses dépendances furent réunis à la couronne de
France. 2
1. Libvre des eslections, délibérations et refformations du conseil et
aullres actes de la ville de Marseille, comniansant le H novembre 1542
et finissant le xxvui octobre 1546, partie du registre non paginée.
2. Voyez tous les historiens de Provence. Voyez aussi le testament
de Charles iv à la suite des remontrances de la noblesse de Provence au
roi pour la révocation des arrêts de son conseil portant réunion à son
domaine des terres aliénées et inféodées par les comtes de Provence, par
Noël Gaillard, advocat au parlement et syndic de la même noblesse.
Aix, 1669, pages 88 et suivantes.
�Le 4 août 1544, sur le rapport d’Amiel Albertas,
le conseil municipal délibéra d’approprier la maison
du roi et d’emprunter six cents livres pour cette
dépense. 1
Il paraît que la délibération fut exécutée à la
convenance de la chambre de justice que nous ne
voyons plus siéger à l’hôpital pour l’expédition des
procès. Mais le privilège de Marseille reçut à cet
égard de fréquentes atteintes, car la chambre n’y
vint pas régulièrement.
Durant la domination des ligueurs, le duc de
Mayenne eut une politique fort habile, en établis
sant à Marseille, à demeure fixe, une cour souve
raine de justice, institution fort populaire dans cette
ville. Masparaut, maître des requêtes, la présida
d’abord, mais il fut bientôt remplacé par Étienne
Bernard, avocat au parlement de Dijoif, 2 homme
de vanité, d’intrigue et d’ambition, lequel, après
la chûte de Casaulx, ne chercha qu’à exploiter cet
évènement politique en exagérant ses services. 5
1. Même libvre des eslections, délibérations et refformations, etc.
Partie non paginée.
2. Histoire de H enri-le-Grand, par Scipion Dupleix. historiographe
de Sa Majesté. Paris, 1635, p. 103 et 197.— Œuvres d’Estienne Pasquier, contenant ses recherches sur la France, etc. Amsterdam, 1725,
t. 2. Lettre à Pithou , avocat au parlement de Paris, p. 576.
3. Voyez son ouvrage intitulé : Discours Véritable de la Réduction de
la ville de Marseille en l'Obeyssance du roy, etc. Lyon, par Jehan Pillehotle, 1596.
�Henri IV, après la réduction de Marseille, main
tint la cour souveraine et en donna la présidence
à Guillaume Du Yair, conseiller au parlement de
Paris, l’un des plus intègres et des plus illustres
magistrats de son temps. 1 Un historien de Pro
vence, dans son style emphatique, l’appelle « l’ora» cle, la colonne de justice, la merveille de son
» siècle.» Il vante « l’or et le miel de sa langue.» 2
Du Yair cultiva les lettres avec quelque succès et
fut l’un des premiers qui donnèrent du lustre à la
langue française. 3 Le 16 décembre 1596 le par
lement de Provence reçut la lettre du roi au sujet
de la chambre souveraine de Marseille, et le 18 il
en enregistra les patentes. 4 Aux premiers jours de
1. Histoire eh Chronique de Provence, de César Nostradamus, gen
tilhomme provençal, p. 1080. — Additions et illustrations sur les deux
de tomes l'Histoire des Troubles de Provence, par Pierre Louvet, 2me
partie, p. 387 et suivantes.
2. L’Entrée de la Royne en sa ville de Sallon. faicte et dédiée à
M. Antoine d’Espagnet, conseiller du roy en sa cour de parlement de
Provence, par César de Nostradamus, gentilhomme provençal. Aix, par
Jean Tholosan , imprimeur du roy et de la Ville. In-12 sans pagination
chiffrée. 1602.
3. Histoire Généalogique et Chronologique de la Maison Royale de
France, des P airs, grands Ofjiciers de la couronne, etc., par le Père
Anselme et ses continuateurs, 3me édition, tome 6 , page 535 D.
4. Précis des délibérations prises par la Cour de Parlement de Pro
vence depuis 1542 jusqu’en 1645, manuscrit in-4" en ma possession,
fol. 169 et 170.
�— 145 —
1597, du Yair ouvrit les audiences à Marseille par
un discours qu’on peut lire dans ses œuvres. 1 Aux
obsèques de Pierre Libertat, il conduisit le deuil,
et, au retour de l’église de l’Observance, il pro
nonça son oraison funèbre, 2 à l’entrée de la mai
son du défunt, rue de Lorette, selon l’ancienne
coutume de Marseille, dans les enterrements des
personnes considérables. Du Yair, représentant offi
ciel de l’autorité royale à Marseille, ne put se dis
penser de louer les actions d’un homme auquel
Henri IV devait la réduction d’une grande ville. Le
seul reproche qu’on ait pu lui faire est celui d’avoir
parlé avec trop d’emphase.
Le 25 mars de la même année, le président Guil
laume Du Yair, les conseillers Antoine de Suffren,
Antoine Esmenjaud, sieur de Barras, et Honoré
Laurens, avocat-général du roi, vinrent tenir le
bureau de l'hôpital Saint-Esprit avec les recteurs
Jean de Connel, Pierre Aquillenqui, Ambroise Bas
tide, Charles de Gerenton, Balthasar Cappel et
Philippon Gasparo, Les procès-verbaux des séances L
de l’administration de l’Hôtel-Dieu de Marseille da- |{
tent de ce jour-là, car on n’en rédigeait pas au
paravant. Dans la séance solennelle du 25 mars
1. Les Œuvres Politiques, Morales et meslées du sieur Du Vair. Édi
tion de Cologue, 1617, p. 242 et suivantes.
2. Même ouvrage, p. 202 et suivantes.
TOM. i.
10
�1597 la chambre souveraine déclara que le bureau
siégerait tous les dimanches après midi ; que, outre
les commissaires qu’il plairait au parlement de
nommer, le lieutenant du sénéchal au siège de Mar
seille y assisterait avec le procureur du roi; que
tous les sergents feraient à tour de rôle et gratui
tement le service de l’hôpital pendant un mois cha
cun ; que le notaire Jean Martin remplirait au bu
reau les fonctions de greffier et tiendrait le registre
des délibérations ; 1 que les souscripteurs qui n’a
vaient pas satisfait à leurs engagements seraient
cités devant les prochains bureaux et qu’on userait
de toutes les voies de droit pour les contraindre
au paiement. 2
La cour souveraine vint encore prendre part aux
délibérations du bureau de l’Hôtel-Dieu, le 30 du
même mois, ou pour mieux dire, vint discuter les
affaires les plus importantes de cette maison en ne
laissant aux recteurs qu’un rôle subalterne. Dans
cette séance, on s’occupa de la souscription de cent
1. En 1608 Jean Martin fut remplacé dans l’exercice de cette charge
par le notaire Prat qui était encore en fonction en 1619.
2. Livre auquel sont contenus tous et chascuns les décrets, sen
tences et bureaux tenus et dicts par M. le lieutenant principal adcislé
de MM. les recteurs, accomrnancé le 25 mars, jour de dimanche, après
midi, année 1597, fol. 1 recto et verso, aux archives de l’Hôtel-Dieu.
Ce registre in-i», de 66 feuilles, va jusqu’à la séance du 10 mai 1620
inclusivement.
�écus que Charles de Casaulx avait signée, mais
qu'il avait laissée tout à fait en souffrance. Un
bon moyen s’offrit pour assurer le recouvrement de
cette somme. Charles de Casaulx avait acheté d’un
marchand marseillais, nommé Pierre Tenque, une
propriété dont il devait encore la plus grande partie
du prix. Tenque, après la mort de son débiteur,
reprit cet immeuble, mais comme il devait luimême à l’hoirie de Casaulx l’à-compte qu’il en avait
reçu, le président Du Vair rendit une ordonnance
portant qu’il paierait dans trois jours à l’hôpital la
somme de cent écus, pour les causes indiquées, et
qu’il y serait contraint, s’il le fallait, par saisie de
ses biens ou par emprisonnement de sa personne.
Jean Pierrin, fermier des droits de douane, fut,
dans la même séance, mandé à l'hôpital, et la
chambre de justice, après l’avoir entendu, ordonna
que des deniers qu’il avait en ses mains il paierait
à l’Hôtel-Dieu la somme de trois cents écus, dans
le délai de trois jours, sinon contraint, même par
corps.
Il fallait créer des ressources pour subvenir à
tous les frais de construction et d’ameublement. La
chambre souveraine de Marseille défendit avec beau
coup de zèle les intérêts de l’Hôtel-Dieu, qui eut
d’ailleurs besoin de son autorité dans les circons
tances difficiles où l’on se trouvait après des com
motions si longues et si cruelles. La protection de
�la haute magistrature fut pour cette maison une
bonne fortune, et elle n'eut pu, dans aucun cas,
rien espérer de mieux.
Le 25 et le 30 mars la chambre souveraine dé
libéra en principe que toutes les confréries de Mar
seille seraient forcées de concourir aux dépenses
extraordinaires de l'Hôtel-Dieu; qu’en conséquence
les prieurs de ces corporations seraient ajournés de
vant le bureau à l’une des prochaines séances. La
chambre de justice revint sur cette grande affaire
le 7 avril suivant, et il fut dit que le sacrifice im
posé aux confréries consisterait pour chacune d’elles
dans la fourniture d’un lit garni. Le même jour on
s’occupa des moyens à prendre pour opérer le re
couvrement intégral des souscriptions individuelles
de 1593.
Sur ces entrefaites, la cour souveraine de Mar
seille fut réunie au corps du parlement d’Aix; 1
mais Henri IV ordonna qu’une chambre de ce par
lement viendrait chaque année, suivant l’ancien
usage, tenir une session à Marseille. Ce change
ment arrêta pendant plusieurs mois l’affaire relative
à la fourniture des lits.
Le 4 janvier 1598 Balthasar Granier, lieutenant
en la sénéchaussée à Marseille, et François de
1. Voyez clans les œuvres de Du Vair, édition citée, pages 262 et
suivantes, son discours sur la clôture de la chambre de Marseille.
�149
Saint-Marc, avocat du roi au même siège, vin
rent présider le bureau de THôtel-Dieu devant le
quel les prieurs de plusieurs confréries furent cités
« à ceste fin que chascune s'aidast et s’imposast à
» pourvoir l’hospital de lits, meubles et garniments,
» à ceste fin que les pouvres y pussent estre par
» cy après honestement logés.» 1
Me Honoré Arnaud, l’un des syndics de la con
frérie des notaires, se présenta le premier et s’en
gagea au nom du corps à fournir un lit neuf et
garni. Il y mit la meilleure grâce du monde; mais
la confrérie des merciers, sous le titre de NotreDame-de-l’Annonciade, se montra plus généreuse
et alla même au-delà de ce qu’on lui demandait.
Son prieur Médicia vint déclarer que ses confrères
s’étant assemblés dans l'église des Jacobins, avaient
délibéré unanimement de fonder une chambre avec
deux lits, et que « pour ce faire se formerait un
» rôle de quatre-vingts escus.»
Gaspard Rey et Jacques Jap, orfèvres jurés, an
noncèrent que les douze orfèvres de Marseille s’é
taient cotisés pour payer à l’hôpital un écu chacun.
Jean Antoine Vin et Perrinon, prieurs des por
tefaix, déclarèrent que le corps « ferait tout son
» pouvoir de treuver quelque argent pour le re» mettre entre les mains de MM. les recteurs.»
1. Livre auquel sont contenus tous et chascuns les décrets, senten
ces, et bureaux, etc. Fol. 4 recto et verso, et fol. 5 recto.
�150
On vit successivement comparaître dans cette
séance et dans les suivantes les confréries de Mon
sieur Saint-Lazare qui avait pour prieur l’avocat
Jean-Baptiste Vias; de Notre-Dame-de-la-Garde,
représentée par le prieur Jean Gués, dit Aubregat;
de Notre-Dame-de-Pitié pour laquelle les trois
prieurs Lombardon, Famaud et Pierre Daupin pri
rent la parole; de Notre-Dame-de-Bon-Voyage qui
avait donné le même pouvoir à Guillaume David,
Guillaume Bayard et Joseph Esprit ; de Notre-Damede- Confession qui avait aussi envoyé ses trois
prieurs Peiron Taxil, Jean Césary et Rougier.
Le chirurgien Nicolas Marioty parla pour ses
collègues du corps de Saint-Cosme et Saint-Damien.
Les prieurs des tisserands, formant la confrérie
du Saint-Esprit instituée dans l’église de l’hôpital,
se firent entendre à leur tour, et Fallot exprima
les sentiments d’une autre confrérie du Saint-Esprit
qui avait son luminaire dans l’église de l’Obser
vance. C’était celle des marchands du Languedoc
établis à Marseille.
Comparurent encore en la personne de leurs prieurs,
les confréries de Sl-Clair, c’est-à-dire les tailleurs
d’habits ; de l’Ascension-de-Notre-Seigneur, les ma
çons; de Sainte-Barbe, les canonniers; de SaintÉtienne, les bouchers; de Saint-Roch, les cordiers;
de Saint-Éloi, les serruriers; de Saint-Hubert, les
tonneliers; de Saint-Joseph, les menuisiers et les
�marchands de bois; de Sainte-Marthe, les cabaretiers, les aubergistes et les marchands drapiers; de
Saint-Claude, les tanneurs; de Saint-Crépin, les
cordonniers.
Les prieurs de ces confréries cherchèrent par di
vers motifs à se soustraire aux effets de l’injonc
tion qui leur était faite. Les uns excipèrent de la
pauvreté de leurs corps; les autres, sans refuser
d’une manière absolue, dirent, pour gagner du
temps, qu’ils tâcheraient d’y pourvoir; d’autres en
fin déclarèrent qu’ils s’entendraient avec leurs com
pagnons. Le lieutenant du sénéchal leur accorda un
délai convenable, passé lequel il les condamna tous
à fournir le lit. 1
Nous voyons la chambre des Grands Jours siéger
à Marseille en 1 6 0 2 , sous la présidence de Guil
laume Du Yair, qui prononça un discours d’ouver
ture; 2 mais cette chambre n’eut pas à s’occuper
des affaires de l’hôpital ; les archives du moins n’en
font nulle mention. Quant à celle qui vint tenir sa
session en 1608, elle se rendit au bureau de l’HôtelDieu le 27 avril pour discuter avec les recteurs
plusieurs questions concernant les pauvres malades.
Elle avait pour président Marc-Antoine d’Escalis,
sieur de Bras, président au parlement de Provence
1. Registre cite, fol. 6 et suivants.
2. Œuvres citées de Du Vair, fol. 50-4 et suivants.
�et membre du conseil privé du roi. Les assesseurs
étaient Paul Ghailan, sieur de Morier ; Jean Louis
de Leydet, sieur de Sigoyer, et Jean Yenel, mem
bres du même parlement. L’avocat-général Louis
de Monier occupait le siège du ministère public.
Les recteurs Nicolas de la Cépède, écuyer; JeanBaptiste Yias, avocat ; Gaspar de Gasparo et André
Ballon, bourgeois, assistaient à la séance. Le roi
avait nommé Du Yair à la première présidence du
parlement d'Aix. 1
L'avocat Jean-Baptiste Yias prit le premier la
parole. « D’hôpital, dit-il, se treuve chargé d’une
» grosse despense pour l’entretenement des pou» vres, à quoy on ne pourroit survenir sans les
» aumosnes quy journellement viennent au dict hos» pital; et combien que ceste bonne œuvre deust
» fere entrer toutes sortes de personnes à user de
» charité envers les pouvres, toutesfoys se treuvent
» plusieurs qui dillayent le payement de ce que lé^
» gitimement doibvent au dict hospital et sont cause
» de plusieurs procès à la poursuite desquels les
» plus clairs et liquides deniers du dict hospital sont
» consumés; suppliant par ainsy mes dicts sieurs de
» vouloir apporter ce que cognoistront estre de jus» tice et abréviation de tels procès.»
1. César Nostradamus et Pierre Louvet, loco cit.— Essai sur le Par
lement de Provence, par M. Prosper Cabasse. Paris, 1826. t. 1, p.
367 et suivantes.
�153 —
Sur quoi, la cour ayant délibéré, le président
d’Escalis prononça un arrêt portant que l’économe
de l’hôpital présenterait aux recteurs le rôle de tous
les débiteurs de cette maison lesquels seraient as
signés devant le bureau, au premier jour de séance,
pour être ensuite statué ce qu’il appartiendrait. 1
On tint cette séance le 11 mai. La cour était
présidée par le conseiller Paul Chailan, en l’absence
de d’Escalis. Plusieurs personnes citées y furent
ouïes et le bureau prit diverses décisions.
Des confréries qui n’avaient pas été encore as
signées, et d’autres qui, après l’avoir été, n’avaient
pas exécuté leur obligation relative à la fourniture
d’un lit garni, furent citées aux mêmes fins en
1612. André Bap, l’un des prieurs de la confrérie
de Notre-Dame-du-Rosaire ; Laynet Raynaud et
François Robaud, prieurs des calfats; François Constan, prieur des meuniers, qui avaient leur luminaire
dans l’église de Saint-Martin ; les prieurs des jar
diniers , des muletiers, des charpentiers et des ma
rins vinrent tour à tour se défendre. Le lieutenant
du sénéchal, par jugements du 2 et du 16 décembre
de la même année, condamna quelques-unes de
ces corporations et accorda à d’autres un délai dé
terminé suivant les circonstances.
Dans la séance du 16, l’économe de l’Hôtel-Dieu
1. Dernier registre cité, toi. 10 recto et verso.
�représenta qu’il avait fait assigner les prud'hommes
des pêcheurs pour qu’ils s’entendissent condamner
à fournir un lit, comme les autres confréries de
Marseille.
Les prud’hommes étaient présents. Ils dirent
« estre impossible fornir le dict lit à cause qu’ils
» avoient faict des logis le long de la coste de la
» mer de ceste ville pour les pouvres allans et ve» nans, auxquels ils avoient forai des lits; que
» d’ailleurs ils fesoient beaucoup de bien aux pou» vres; que mesme ils entretenoient aux églises de
» Saint-Jean et de Saint-Laurent deux ou trois con» fréries pour marier de pouvres filles.»
Nicolas de Bausset, lieutenant du sénéchal , pro
nonça un jugement dicté par la raison et la justice.
« Le tribunal, dit-il, attendu la qualité des dicts
» prud’hommes, les remet, touchant le dict lit, à
» leur discrétion, et prie néaulmoins iceulx se met» tre en devoir d’y subvenir. 1
De même suite le lieutenant fit appeler l’affaire
des chirurgiens que l’économe avait aussi assignés.
Le syndic Jean Chesneau remontra qu’ils n’étaient
que huit maîtres à Marseille; qu’on appelait à l’hô
pital tantôt les uns et tantôt les autres toutes les
fois qu’il y avait des pauvres atteints de graves
maladies; que souvent aussi on leur demandait
1. Même registre, fol. 5” et suivants.
�des consultations, et que leur service était toujours
gratuit. Par tous ces motifs ils demandèrent à être
relaxés.
Le lieutenant, faisant droit à leur demande, les
mit hors d’instance.
Dans la séance du 42 mai de l’année suivante,
pendant que Nicolas de Bausset s’occupait de di
verses affaires avec les recteurs de l’Hôtel-Dieu
Amiel Albertas, Alexandre Gerenton, Georges For
mer, Honoré Yenture, Louis Romieu et Honoré Bethandier, les prieurs des maîtres tisserands André
Huilier, Étienne Brouve et Louis Jomes, vinrent
exposer que « leur confrérie fondée sous le tiltre
» du Saint-Esprit avait fait plusieurs belles répa» rations à l’église de l’hôpital, entre aultres fait
» le grand-autel doré et peindre icelui; fait faire
» les chandeliers du devant, forni des lits dans le
» corps du dict hospital ; fait faire les banquettes de
» noyer de l’entrée de l’église, et qu’ils étaient en
» volonté de faire d’autres belles réparations. Et
» d’autant que pour leurs cierges et autres choses
» nécessoires à leur confrérie n’avoient aulcung lieu
» propre, auraient advisé qu’au costé droit de l’autel
» de la dicte église y avoit ung petit réduit qui
» leur pouvoit servir de sacristie, lequel étoit inu» tile à l’église et fort nécessoire pour eux, dont
» pour la fermer y avoient fait faire de neuf une
» porte de noyer fermant à clef du consentement
�— 156 —
» des précédents recteurs, pour éviter qu'à l’ad» venir ils ne fussent troublés à la possession du
» dict réduit et petite sacristie, ils rcquéroient les
» recteurs leur permettre la jouissance et occupa» tion d’icelui.»
Les recteurs de l’hôpital ayant concédé acte de
leur consentement, le lieutenant du sénéchal « per» mit aux prieurs présents et advenir de la dicte
» confrérie Saint-Esprit jouyr de la dicte petite sa» cristie pour y loger les cierges, huile et aultres
» choses dépendant et servant à leur luminoire, le
» tout sans abus.» 1
L’affaire des lits n’était pas encore tout à fait
terminée, et de temps en temps on assignait de
vant le lieutenant, siégeant à l’hôpital au bureau
des recteurs, les prieurs de quelques confréries qui
avaient, je ne sais pas trop comment, trouvé le
moyen de retarder l’exécution d’une loi qu'on vou
lait leur rendre commune. Ce fut ainsi que le 16
juillet 1617 on manda au bureau les prieurs du
corps des maîtres boulangers sous le titre de SaintHonoré. D’un autre côté, on crut devoir obliger les
confréries qui avaient depuis longtemps exécuté la
sentence prononcée contre elles à remplacer tous
les objets de literie que le temps avait clétério1. Même registre, fol. 43 recto et verso.
�— 157 —
rés et mis hors d’usage. 1 Celte nouvelle prétention
agita beaucoup ces compagnies qui résistèrent tant
qu’elles purent, et l'affaire fut enfin arrangée par
abonnement, c’est-à-dire moyennant une rede
vance annuelle que chaque corporation s’obligea de
payer pour l’entretien des lits des pauvres malades.
La redevance du corps des marchands de bois
fut de quinze livres. 2 Quarante-trois autres con
fréries d’arts et métiers payèrent chacune vingt
livres par an. 3
Celle des maîtres tisserands eut à sa charge une
pension annuelle de quarante-deux livres seize sous,
plus une redevance de six livres pour la réception
de chaque maître, de trois livres pour celle des fils
1. Même registre, fol. 60 recto et verso.
2. Livre des loyers de maisons et redevances des courtiers et des
corps de métiers, registre in-f°, premières pages, aux archives de
l’Hôtel-Dieu de Marseille.
3. Ces confréries étaient les porteurs de chaises de place, les potiers
d’étain, les gantiers, les perruquiers, les auffiers, les orfèvres, les fa
neurs et corroyeurs, les chapeliers, bonnetiers, tondeurs, fouloniers et
teinturiers, les merciers, toiliers, denteliers et quincailliers, les cor
donniers, les hôtes, cabaretiers et gens tenant chambres garnies, les
tourneurs, les serruriers, les marchands verriers, boissoneurs, vendeurs
de café et eau-de-vie, les portefaix, les boulangers et fougoniers, les
fripiers, les savetiers, les marchands drapiers, les tailleurs d’habits, les
canonniers, salpêtriers, fondeurs et chaudronniers, les garnisseurs de
chapeaux, les fîdeliers, les menuisiers, les maçons, les rôtisseurs et
pâtissiers, les charcutiers, les cartiers, les fabricants de bas; les ton-
�158 —
de maître et de dix sous pour chaque apprenti.
Cette confrérie avait encore à payer, le jour de la
Pentecôte, vingt livres pour le dîner des pauvres
malades de l’Hôtel-Dieu, dix-huit livres pour le
service de la grand’messe, et quatre livres seize
sous pour l'huile de la lampe de l’église du SaintEsprit. Elle devait encore à THôtel-Dieu une rente
de cent livres payable de trente en trente ans. 1
Le corps des peigneurs de chanvre et celui des
marchands à soie et des passementiers étaient sou
mis chacun au paiement de la meme pension à la
même échéance.
La confrérie des maîtres pelletiers en devait une
de cent cinquante livres de dix en dix ans.
Une redevance de trente-trois livres six sous huit
deniers fut imposée à la corporation des marchands
drapiers pour chaque réception de maître, et la
moitié de cette somme pour la réception d’un beaufils de maître. Le corps des tonneliers et barrilats
eut à payer six livres pour le levage de boutique
neliers et barrilats, les meuniers, les muletiers, charretiers, voituriers,
bousqueliers et âniers, les maréchaux-ferrants, taillandiers, cloutiers,
ferrachons et forgerons, les ferblantiers et rabilleurs de cuivre, les mar
chands magasiniers, les emballeurs, les boutoniers et enjoliveurs, les
vitriers, les chaussetiers, les vignerons, les jardiniers, les tapissiers,
les couteliers.
\ . Livre des loyers des maisons et redevances des courtiers et des
corps de métiers, fol. 46 verso et 91 verso.
�i 59 —
d’un maître et trois livres pour un gendre ; 1 rede
vances indépendantes de celle de vingt livres que
chacune de ces confréries avait à payer annuel
lement.
Quant au corps des apothicaires, il ne devait à
l’Hôtel-Dieu que quinze livres pour chaque réception
de maître, sans redevance annuelle. 2
On fit peser l’obligation la plus lourde sur la cor
poration des courtiers, car chacun d’eux eut à
payer dix-huit livres par an. 5
Toutes ces pensions et redevances montèrent
ensemble à environ dix-huit cents livres chaque
année. 4
Mais pour en venir là il fallut bien du temps et.
bien des efforts. L’Hôtel-Dieu avait mis dans scs
exigences, ou si l’on veut, dans la poursuite de ses
droits, une énergie persévérante qui triompha de
la résistance des communautés, lesquelles trouvaient
dans la force des intérêts collectifs ces moyens de
longue défense que les intérêts individuels ne pos\ . Même registre, fol. 92 et suivants.
2. Même registre, fol. 9G verso.
3. Même registre, premières feuilles.— Commentaire des Statuts de
Marseille, par François d’Aix. Marseille 1634, p. M l. — Decormis,
liecueil de Consultations sur diverses Matières, t. 2 , p. 1404 et suiv.
4. Mémoire des reeleurs de l’Hôtel-Dieu de Marseille en réponse à
diverses demandes de l’un des ministres secrétaires d’Etat sur la siiuation de cet hôpital, 17G7, manuscrit , aux archives de lTIôtel-Dicu.
�sèdent que difficilement. L’Hôtel-Dieu alla même
trop loin dans quelques circonstances. Il en vint
jusqu'à actionner les enterre-morts pour la fourni
ture d'un lit. Ceux-ci firent d’humbles représenta
tions. Ils exposèrent que leur petit nombre les
mettait dans l’impossibilité de supporter cette dé
pense. Le bureau, dans sa séance du 23 mars 1673,
délibéra « de tenir quittes les enterre-morts, attendu
» qu’ils n’avoient pas une confrérie establie en
» nombre suffisant.» 1
Guillaume Du Vair, successivement nommé pre
mier président du parlement de Provence, évêque
et comte de Lizieux, avait été élevé à la dignité
de garde des sceaux de France, au mois de mai
1616. Le roi lui enleva les sceaux le 25 novembre
de la même année et les lui rendit le 25 avril
1617. 2 Ce grand magistrat conserva jusques à la
1. Libvre dans lequel sont insérées les délibérations des bureaux
tenus par Messieurs les recteurs de l’hôpital Saint-Esprit et SaintJacques-de-Galice de ceste ville de Marseille, du 6 novembre 1670 au
26 octobre 1675, in-4°, fol. 50 recto.
Sur les obligations des divers corps d’art et métier en faveur de
l’Hôtel—Dieu de Marseille, dans le xvme siècle. Voyez les livres-trésor,
de cet hôpital, cotés F, G, H , I, K , P, Q, passim. Aux archives de
l’Hôtel-Dieu.
2. Histoire Chronologique de la Grande Chancellerie de France, en
semble l’établissement et les réglements de chancelleries près les cours
de parlement, etc., par Abraham Tessereau, escuyer, conseiller secré-
�— 161 —
fin de sa vie le bon souvenir de Marseille. Il aimait
beaucoup cette ville et possédait dans son territoire
la maison de campagne à laquelle il donna le doux
nom de Floride. i II paraît que Du Yair n’était pas
né dans l’opulence; mais les émoluments de ses
grands emplois et leur cession avantageuse, ses
économies et ses pensions sur l’évêché de Marseille
le firent parvenir à une fortune de deux cent qua
rante mille livres, 2 somme alors fort considérable.
Il en disposa généreusement par son testament olo
graphe du 12 juin 1620, fait dans sa terre de Villeneuve-le-Roi. Il légua à l’évêque de Vence, son
frère, la moitié de sa vaisselle et deux tentes de
tapisserie; à l’évêque de Riez, son neveu, aussi
deux pièces de tapisserie et sa bibliothèque; à
Claude Martin, son homme de chambre, toute sa
garde-robe, fors sa robe de velours cramoisin ; à
taire du roi, maison, couronne de France et de ses finances. Revue et
augmentée de plusieurs pièces. Paris, 1710, in-f°, t. 1, p. 521, 325,
524. et 329.
1. Viri illustris Nicolai-Claudii Fabricii de Peiresc, senatoris AquiSextiensis vita, per Petrum Gassendum, præpositum ecclesiæ Diniensis.
Parisiis, 1641, page 136. — Vie de Nicolas-Claude Peiresc, conseiller
au parlement de Provence, par Requier. Paris, 1770, p. 136.
2. Tous les biens que j’ai en ce monde peuvent valoir 240,000 li
vres, tant meubles, immeubles, etc. Copie du testament de Guillaume
Du Vair, dans le livre-trésor B de l'hôpital Saint-Esprit et Saint-Jacquesde-Galice de Marseille, 1616-1654, fol. 139 recto et verso, et 140
recto, aux archives de l’Hôtel-Dieu.
TOME i.
11
�t
— 162 —
Pierre Long, son cuisinier, cinq cents livres. La ville
de Marseille ne fut pas oubliée. « Je laisse, dit-il,
» à l’hospital du Sainct - Esprit de ceste ville la
» somme de trente-six mille livres tournois pour
» estre employée en rentes au profit des pouvres
» qui seront au dict hospital. Une fois le jour que
» l’on leur fera prier Dieu, prieront Dieu pour moy
» en ces mots : Dieu fasse miséricorde à un tel, me
» nommant. »
Guillaume Du Vair institua héritière Antoinette
Du Yair, veuve Àlleaume, sa sœur, avec substitu
tion en faveur de la dame Ribier, sa nièce, et de
ses enfants. Il nomma exécuteurs testamentaires son
neveu l’évêque de Riez; de Guieu Saint-Aubin,
conseiller au parlement de Paris, et son illustre et
savant ami Fabri de Peiresc. Il laissa à de Guieu
Saint-Aubin un diamant et cent écus, et toutes ses
médailles à Peiresc. 1
Le 3 août 1621, le garde des sceaux Guillaume
Du Yair mourut à l’âge de soixante - cinq ans et
quelques mois, 2 comme il était à la suite de Louis
XIII, au siège de Cleirac, petite place sur la ri1. Livre-Trésor B, loco cit. On peut également lire le testament de
Guillaume Du Vair dans les Archives Curieuses de l'Histoire de France,
depuis Louis XI jusqu’à Louis XVIII, par Cimlter et Danjou. Paris,
1837, première partie, t. xv, p. 357.
2. Du Vair était né à Paris le 7 mars 1556.
�vière du Lot, qui se qualifiait de « ville sans roi
» défendue par des soldats sans peur. » 1 Son neveu
Ribier, conseiller d'état, se trouvait alors auprès
de lui. Il porta les sceaux au roi qui les donna à
Charles d’Albert, duc de Luynes, pair et connéta
ble de France. 2
La mort de Guillaume Du Vair émut douloureu
sement la haute société de Marseille, et Balthasar
de Vias se rendit f interprète du sentiment public
dans un de ses poèmes. 5
Le 5 septembre suivant, l’administration de FHô
tel-Dieu de Marseille eut une séance extraordinaire.
Nicolas de Bausset, conseiller du roi, lieutenant prin
cipal civil et criminel, la présida. On y voyait Nicolas
de Yento, sieur de la Baume, aussi conseiller du
roi et lieutenant assesseur, Paul d’Arène, avocat du
roi, et l’avocat Jacques Yias, conseil de l’hôpital.
Les recteurs étaient Lange de Yento, Antoine Bourrau, Pierre Signier, Guillaume de Montolieu, Jules
de Martin et Paul Porrade. On lut des lettres de
l'évêque de Riez et de Peiresc, à la date du 17 août,
par lesquelles ils annonçaient le legs de Guillaume
1. Histoire de France sous Louis XIII, par Bazin. Paris, 1740, t. 2 ,
p. 160.
2. Histoire Chronologique de la Grande Chancellerie de France, etc,
par Abraham Tassereau, conseiller secrétaire du roi. Paris, 1710, t.
1, p. 355. ‘
3. Silvæ regiæ Ballhasaris de Vias, nobilis Massiliensis, od Ludovicum justum , etc., p. 178 et 196.
�— 164 —
Du Vair, en faveur de l'Hôtel-Dicu de Marseille. La
décision qui intervint, au milieu des émotions de
la reconnaissance et de la joie, s’exprime ainsi :
« Délibère par commune opinion que les recteurs tâ» cheront de treuver moyen de faire venir les deniers
» au plus grand advantage et bénéfice que se pourra
» par la voie des officiers qui font les dictes charges
» en ceste province ou par les marchands qui ont
» des correspondans à Paris, les quels deniers étant
» portés en ceste ville seront colloqués en commu» nautés, à la raison de cinq ou six pour cent, et
» pour cest effet on fera choix de celles qui sont plus
» puissantes et commodes. »
« A esté délibéré que les recteurs advertiront les
» communautés d'Arles, Salon, Brignoles, Pertuis,
» Saint-Maximin, Fréjus, Manosque, Sixfours, Au» bagne, Martigues, pour voir si elles voudroient
» prendre la dicte somme à la dicte raison.»
« Délibéré de faire un service solennel pour Guil» laume Du Yairdans l’église de l’hospital.»
« Neantmoins, après avoir loué la libéralité im» mense faicte par le dict seigneur défunt qui par
» un exemple si insigne de sa piété a faict un légat sy
» advantageux au dict hospital sans y avoir apporté
» aulcune charge, la dicte compagnie, voulant satis» fere à ce qui est dû, a délibéré Çue perpétuellement
» et chaque jour de l’année sera dict une messe de
» mort, à la fin de laquelle le prêtre montera au
�165
» Cours où sont les pouvres, et là dira un De pro» fundis après la fin du quel sera dicte la prière avec
» les paroles : Dieu fasse miséricorde à Monsieur
» Guillaume Du Yair , garde des sceaux de France,
» nostre bienfaicteur. »
« Encores a esté délibéré que à chaque troisième
» août qui fut le jour du décès du dict sieur défunt
» sera faict célébrer l’anniversaire et chanter une
» grand’messe de mort avec le plus de dignité que
» sera possible. »
« Délibéré pour perpétuer la mémoire des obli» gâtions dont la France et particulièrement la ville
» de Marseille sont redevables au défunt, et pour
» que ceste mémoire ne puisse jamais s’effacer de
» l’esprit des gens de bien, de dresser une estatue de
» marbre dans la dicte église, et au dessous une ta» ble de marbre ou de bronze où sera faict mention
« du légat et libéralité faicte à cest hospital, avec
» les paroles de la prière ; et lui sera donné parmi
» les filtres la qualité d’ung des fondateurs de ceste
» maison, pour un si grand bienfaiet et libéralité,
» et pour le soin qu'il avait pris de l’ordre, régime
» et gouvernement du dict hospital par moyen de
» beaux réglements qu’il avait faict et ordonnances
» lorsqu’il présidait à la chambre de la justice de
» ceste ville de Marseille.» 1
1. Livre où sont contenus tous les bureaux tenus par MM. les recteurs
de l’hospital Saint-Esprit et Saint-Jacques-de-Galice, acomancé le
septiesme novembre 1620 etc., in-f°, pages 9 cl suivantes.
�— 166 —
Les trente-six mille livres du legs de Guillaume
Du Vair furent placées sur la communauté de Tou
lon, et plus tard sur celle de Marseille. 1 Les rec
teurs chargèrent Jean-Pierre Portai, maître sculp
teur de Marseille, de l’érection du cénotaphe, au
prix de six cent soixante livres, 2 et le \ 3 no
vembre 1622 ils délibérèrent de lui payer cette som
me. 3 Le monument que le temps et les révolutions
ont respecté occupe encore la droite du sanctuaire
de l’église de l’hôpital. Du Yair y est représenté à
genoux sur un prie-Dieu et en habits pontificaux.
On y lit deux inscriptions dont l’une qui rappelle
les titres et la donation du bienfaiteur se termine
par les mots : Va, passant, prie pour le défunt, ho
nore sa mémoire, loue son action et imite sa charité;
et l’autre porte ces paroles de l’Écriture : Non moriar, sed vivam, quià hic et egenos semper memorabor.
1. Livre-Trésor B. ci-dessus cité, f° 141 recto.
2. Voyez l’acte de prix fait pour la statue de Guillaume Du Vair,
à la date du 25 octobre 1621, dans le Livre-Trésor B, ci-dessus cité,
f° 148 recto et verso. Portai s’obligea à fournir le marbre, et les rec
teurs de l’hôpital s’engagèrent à lui payer la somme de 660 livres.
5. Livre où sont contenus tous les bureaux tenus par Messieurs les
recteurs de l’hospital Saint-Esprit et Saint-Jacques de Galice, acomancé
le septiesmo novembre 1620, pages 24 recto.
�CHAPITRE VII.
Les recteurs de l’Hôtel-Dieu défendent leurs prérogatives contre les em
piétements de l’autorité judiciaire. — Droits de l’administration
municipale relativement aux affaires de cet hôpital. — Assistance
de treize enfants de l’Hôtel-Dieu aux convois funèbres. — Amélio
ration dans la nourriture des malades. — L'hôpital donne quelque
fois des secours à de pauvres convalescents étrangers pour faciliter
leur retour dans leur pays. — Pratiques de dévotion imposées aux
malades. — Repos des malades respecté sous d’autres rapports. —
Dames rectoresses. — Cette institution s’éteint.— On la rétablit.
— Elle change de caractère. — Établissement de la confrérie de
Saint-Louis.— Institution de la confrérie de Sainte-Élisabeth.—
Ses réglem ents.— Religieuses hospitalières de Saint-Joseph. —
Renvoi de ces sœurs.
On a vu que l’autorité judiciaire en était venue
à dominer l’administration de THôtel-Dieu. Mais les
recteurs ne supportèrent pas toujours avec patience
les empiétements sur leurs droits. Dans bien des
circonstances, ils surent défendre leurs prérogatives
contre le lieutenant sénéchal, 1 et ce magistrat cessa
même de siéger dans l’hôpital pour les affaires liti1. Livre auquel sont contenus tous et chascuns les décrets, sentences
et bureaux tenus et dicts par M. le lieutenant principal, adcisté de
MM. les recteurs, accommancé le 25 mars 1597, fol, 55 recto.
H
�t „ I I
— 168 —
gieuses de cette maison. Sa dernière audience fut
celle du 3 février 1651. 1
Les consuls des communautés avaient aussi, en
Provence, le droit d’intervenir dans les délibérations
des recteurs des hôpitaux et d’être commissaires
pour l’examen et la reddition des comptes des tré
soriers; 2 mais les consuls de Marseille n’exercè
rent pas ce droit, du moins ils n’assistèrent avec
l’évêque aux séances de l’administration de l’HôtelDieu que dans des circonstances fort rares et pour
des affaires fort importantes. Sitôt que les consuls
étaient nommés, les recteurs allaient en corps leur
adresser des félicitations, et ces magistrats leur ren
daient personnellement la visite à l'hôpital, au plus
prochain jour d’assemblée.
Quant au conseil municipal de Marseille, il s’at
tribuait toujours le droit de s’immiscer plus ou moins
directement dans les affaires de l’Hôtel-Dieu, du
moins dans celles qu’il estimait les plus considéra1. Livre où sont contenus tous les bureaux tenus par MM. les rec
teurs de l’hôpital S‘-Esprit et Sm acques-de-Galice unis ensemble,
accommancé le Ie novembre 1620 , etc., p. 205 recto, aux archives de
l’Hôtel-Dieu.
2. Ordonnance de Moulins rapportée par Theveneau , au livre 1, titre
29, des hôpitaux. Bibliothèque Française, t. 1, verbo aumônerie. Mé
moires du Clergé, partie 5 , sous le titre de l’administration des hôpi
taux et reddition des comptes, et les autres autorités citées par François
Decormis dans son Recueil de Consultations, t. 1, p. 701 et suivantes.
�— 169 —
blés. C’est ce que prouvent plusieurs délibérations
du seizième siècle.
Le 10 décembre 1542, le premier consul Pierre
Aibertas fixa l’attention du conseil sur « la polisse
» des pouvres de l’hospital, » et l’assemble déclara
que « le dict hospital seroit prouveu de gens de bien
» pour faire la queste par la ville pour tous les car» tiers, afin qu’il y eut de quoy qu’il pût vivre. » 1
Le 28 octobre \ 560, on se plaignit dans le conseil
de ville des abus commis par les administrateurs
des maisons hospitalières, qui, dans leur trop grande
indépendance, souscrivaient des engagements sou
vent préjudiciables à l’intérêt des pauvres. Le conseil
délibère que « dhors en avant les recteurs des hos» pitaulx de la présente ville ne passeront aulcuns
» actes perpétuels sans la présence et adsistance de
» MM. les consuls de la dicte ville ; aultrement les
» contracts seront nuis, invalables et pour non
» faicts.» 2
Nous voyons dans le siècle suivant d’autres exem
ples qui prouvent que l’autorité municipale de Mar
seille continua d’exercer son contrôle sur les mai1. Livre des eslections, délibérations et réformations du conseil et
aultrcs actes de la ville de Marseille, commensant le 11 novembre 1542
et finissant le 18 octobre 1516, fol. 20 recto, aux archives de la ville.
2. Registre 6 des délibérations du conseil municipal de Marseille, du
11 janvier 1558 au 28 octobre 1562, fol. 61 verso.
�170 —
sons de bienfaisance, comme sur tous les autres
établissements locaux et sur tous les autres services
publics.
Les recteurs de THôtel-Dieu dont les besoins aug
mentaient sans cesse cherchaient à se créer des res
sources. Le 12 octobre 1604 ils délibérèrent de don
ner à treize de leurs orphelins un bonnet rond et
bleu, une soutane de même couleur sur le côté
gauche de laquelle se dessinaient les armoiries de
l’hôpital, et de les faire assister aux convois funè
bres , dans ce costume et précédés de la croix,
quand on les appellerait moyennant une rétribu
tion. 1 L’assistance des treize enfants causa plus
tard des contestations fort irritantes et fort longues
entre les recteurs de THôtel-Dieu et divers corps
pour la présence dans les convois. 2
La nourriture des malades était beaucoup amé
liorée au commencement du dix-septième siècle.
Au lieu de la viande de chevreau qui formait pré
cédemment avec le poisson l’unique fond de leur
repas, on leur donnait du lait, du beurre, des
œufs, du riz, de la pâte de Gênes, du vin blanc,
t . Livre auquel sont contenus tous et chascuns les déerets, sen
tences et bureaux e tc., accommancé le 2b mars 1597, fol. 8 verso.
2. Voyez les délibérations du bureau de l’Hôtel-Dieu à la date du
20 mai 1693, 27 novembre 1698 et 16 juin 1701, aux archives de
cet hôpital.
�des têtes et des pieds de mouton. 1 Nous voyons
quelquefois l'économe acheter, au prix de quatre
sous, une cougourde pour le poutage des pouvres. 2
Nous le voyons aussi acheter des poyres cramoysinés, 3 ung banaston de prunes pardigones, du raisin
muscat, même des datis (des dattes) qui étaient alors
d’une cherté excessive, car on les payait à raison
de cinq sous la livre. 4 En 4613 des paüiis oysiauoo
figuraient de temps en temps au nombre des aliments
fournis aux malades. C’était chaque fois une dé
pense de quatre à cinq sous. 5 Les grives coûtaient
un sou la pièce. 6 Le premier novembre de la même
année 4613 on acheta au prix de quinze sous une
perdrix pour faire ung consumé à ung malade. 7
En cette année je n’ai vu qu’une fois acheter des
pigeons. Ce fut le 19 février. En 1623 l’économe
1. Registre in-4° de cinquante-trois feuilles, intitulé : Despance
faicte par moy Henry Gautier en l’année 1613, passim. Aux archives
de l’Hôtel-Dieu.
2. Livre journalier de la despanse de l’hospital Saint-Esprit et SainlJacques-de-Galice pour l’hordinaire du dict hospital accommancé par
moy Dalmas, maistre d’ostel, le 23 septembre 1625, in-4° sans pa
gination chiffrée, passim. Aux mêmes archives.
3. Registre cité d’Henry Gautier, fol. 27 verso.
4. Livre journalier de Dalmas ci-dessus cité.
5. Registre d’Henry Gautier, fol. 31, 36, 37, etc.
6. Avoir achepté ung tourdre à ung pouvre malade, ung sol. Re
gistre de Dalmas ci-dessus cité.
7. Registre d’Henry Gautier, fol. 4 0 recto.
�— 172 —
Dalmas achetait quelquefois ung pâté pour ung ma
lade. Il lui coûtait six deniers, 1 Le jour de Noël,
les pauvres malades avaient chacun à dîner un
morceau de dinde. 2
Les assiettes, les écuelles et les tasses étaient
d’étain. 3
On appendait à des clous les habits des mala
des 4 et l’on inscrivait les noms des morts sur un
registre particulier. 3
Dans des circonstances fort rares, les recteurs
faisaient donner de l’argent à de pauvres conva
lescents étrangers à Marseille pour faciliter leur
retour dans leur pays. Le 25 mai 1613 l’économe
compta six livres à deux pauvres qui prirent par
mer le chemin d’Arles. 6 Le 4 décembre 1625 il
donna à une pauvre fille, nommée Françoise Tho
mas, trente-deux sous pour se rendre chez elle. 7
A la même époque, Vincent Richepont, prêtre in1. Registre de Dalmas.
2. Plus avoir achepté deux piesses de quoidinde pour servyr les ma
lades le jourt de Noël, à 44. soubs la piesse. — 4 lib. 8 s. Même livre
de Dalmas.
3. Registre d’Henry Gautier, fol. 18 recto.
4. P o n cen t claveaux pour pandre les habits des malades, six sous
six deniers. Même registre, fol. 18 recto.
3. Même registre de Gautier, fol. 35 recto.
6. Même registre de Gautier, fol. 21 verso.
7. Registre de Dalmas ci-dessus cité.
�digent, en reçut seize, 1 et quelques autres libé
ralités furent faites à deux ou trois personnes éga
lement malheureuses. 2
Les malades n’étaient reçus que sur un billet
des recteurs ou de l’un d'eux tout au moins. C’est
ce qui fut prescrit par une délibération du 13 no
vembre 1664, 3 renouvelée le 20 du même mois de
1670. 4 Le plus souvent les pauvres malades étaient
apportés tout nus et il fallait les habiller quand
ils entraient en convalescence. Le 13 août 1671
le bureau délibéra de n’en admettre aucun qu’il
n’eût au moins une chemise. 5
Tous ceux qui servaient les malades étaient sou
mis à de fréquentes pratiques de dévotion, et les
malades eux-mêmes devaient rigoureusement ac
complir ces actes religieux qui ne puisent leur va1. Même registre de Dalmas.
2. 4 décembre, avoir donné à Jehanne la baslarde six sols par le
commandement de M Audinard, recteur. — Avoir donné huit sols à
une pouvre femme. Même registre.
3. Libvre des délibérations faicte par Messieurs les recteurs de l’hos
pital Saint-Esprit et Saint Jacques-de-Galice de ceste ville de Mar
seille touchant les affaires de politique, accommancé le 28 décembre
1656, fol. 23 recto4. Libvre dans lequel sont insérées les délibérations des bureaux
tenus par Messieurs les recteurs de l’hospital Saint-Esprit et SaintJacques-de-Galice, du 6 novembre 1670 au 26 octobre 1675, fol. 2 ,
31 et 114 recto
5. Même registre, fol. 15 verso.
�— 174 —
leur que dans l'expression d’une volonté libre et
d’une foi sincère. Le 26 octobre 1673, le bureau
enjoignit à l’aumônier de confesser les malades im
médiatement après leur arrivée. 1 II paraît qu’il y
eût des infractions à cette règle, car le 19 janvier
1679 Borelli, recteur semainier, représenta à ses
collègues que beaucoup de malades ne pensaient
pas à la confession. Il insista vivement pour les y
. contraindre et le bureau délibéra de les soumettre
rigoureusement à cette obligation avant de leur
donner aucun secours. 2 Au reste, défense était
faite aux prêtres-confesseurs de l’hôpital d’accepter
les legs que les malades pourraient leur faire. 3
Lès recteurs respectaient, sous d’autres rapports,
le repos et la liberté des malheureux qui venaient
se confier à leurs soins. Le 17 octobre 1675, l’in
tendant des galères envoya un de ses gardes à
f hôpital pour recommander de ne pas laisser sor
tir les soldats malades, sans l’avertir préalable1. Libvre dans lequel sont insérées les délibérations des bureaux
tenus par Messieurs les recteurs de l'hospital Saint-Esprit et SaintJacques-de-Galice, du 6 novembre 1670 au 26 octobre 1675, fol. 66
verso. •
2. Libvre des délibérations du 7 novembre 1675 au 6 octobre 1684,
fol. 81 recto.
3. Libvre des délibérations faictes par les mômes recteurs, tou
chant les affaires de politique, accommancé le 28 décembre 1656,
fol. 23 recto.
�— 175 —
ment, attendu que le roi avait besoin de leurs
services. Les recteurs déclarèrent que « c’était là
» une chose dont ils 11e pouvaient se charger,
» parce que l’entrée et la sortie de l’hôpital étaient
» libres à un chascun; qu’en cas que l’intendant
» voulut persister dans sa résolution, ou qu’il mît
» des gardes aux portes, on lui ferait connaître que
» plutôt que de le souffrir, on abandonnerait la
» conduite de l’hospital.» 1
Me Besson, avocat, étant venu, le 9 août 1685,
prier les recteurs de lui permettre de faire un arrêtement entre les mains d’un malade nommé Ju
lien, le bureau lui répondit que l’administration
« ne permettait de faire aucun acte de justice dans
» cet hôpital aux malades, et qu'ils avaient assez
» de leur mal, sans les vouloir affliger davantage. » 2
La seconde fête de Pentecôte les échevins allaient
entendre la messe à l’église de l'Hôtel-Dieu et mon
taient ensuite dans les salles pour visiter les pau
vres malades. 5 Us leur donnèrent à dîner le 15
1. Registre cité, du 6 novembre 1(570 au 26 octobre 1675, in fine.
2. Libvre F des délibérations des bureaux de l’hôpital Saint-Esprit
et Saint-Jacques-de-Galice, du 2 novembre 1684 au 28 août 1692,
fol. 29 recto.
5. Recueil des principaux droits et usages des consuls de la ville de
Marseille, à la suite du réglement du sort, Marseille 1654, chez
Claude Garcin, page 146.
�août 1G95, jour de l’Assomption, et continuèrent
chaque année à les régaler ainsi à pareil jour.
Dans le seizième siècle il y avait à l’Hôtel-Dieu
de Marseille des dames et des demoiselles charita
bles qui veillaient à ce que les femmes malades
fussent soignées convenablement et surtout à ce
que la maison eut tout le linge nécessaire. Les
rectoresses quêtaient à cet effet. Elles ne prenaient
d’ailleurs aucune part à l’administration de l’hôpi
tal. Combien ces dames étaient-elles? Nous l’igno
rons. Leur nombre varia peut-être. En 1570 on les
appelait dames gouvernantes, et en 1590 elles por
taient le nom de dames rectoresses. Un historien a
dit qu’elles étaient choisies par le conseil de ville. 1
Cet auteur s’est trompé en tirant d’un fait isolé
une induction générale, car les registres des dé
libérations municipales ne mentionnent qu’une seule
nomination de ce genre. Le 28 octobre 1590 le
conseil de ville élut la demoiselle Jeanne Gaye,
femme de l’avocat Pierre Cordier, 2 et la demoi
selle Jeanne Cordier, sa sœur. 3 Nous n’avons pas
1. Ruffi, Histoire de Marseille, tom. 2, page 95.
2. Les femmes nobles avaient seules le titre de dame. Les roturiè
res, mariées ou célibataires, n’étaient que demoiselles.
3. Registre 17 des délibérations municipales, du mois de novem
bre 1589 au mois d’octobre 1590, fol. 98 verso et 99 recto, aux ar
chives de la ville.
�177
vu d’autres nominations faites par le conseil mu
nicipal, et, d’un autre côté, les archives de l'Hôtel-Dieu n'en fournissent pas à cette époque un
seul exemple. Par qui les rectoresses de cet hôpital
furent-elles donc nommées dans le seizième siècle?
11 est vraisemblable qu’elles s’attribuèrent ellesmemes le droit d’élection que personne ne leur
contesta par la raison qu’elles n’eurent aucune ac
tion directe sur les affaires hospitalières. Le 7 no
vembre 1593, elles supplièrent le conseil municr
pal de leur accorder chaque année un quintal de
chanvre pour faire des draps de lit à l’usage des
pauvres malades , et le conseil, accueillant leur de
mande, décida que cette fourniture serait inscrite
annuellement au nombre des dépenses ordinaires
de la ville. 1
L’institution des dames rectoresses n'existait plus
depuis assez long-temps, lorsque , le 26 novembre
1671 , l’abbé Antoine de Félix, l’un des recteurs
de l’Hôtel-Dieu, proposa de la rétablir. Ses collè
gues, François de Bausset, Esprit Alliés , Jacques
Savignon et Thomas Étienne, adoptèrent sa pro
position. On nomma, sans désemparer, la dame de
Félix, la dame Moustier de Golongue, la D1,e de
1. Registre 20 des délibérations municipales, du mois de no
vembre 1593 au mois d’octobre 1594, fol. 11 verso, aux archives de
la ville.
TOME i.
12
�Grimaud et la
Dubois , qui étaient toutes de
grande distinction. 1
Le 18 décembre 1()72, l'abbé de Félix repré
senta que le terme des fonctions des quatre rectorcsscs allait expirer et qu’il y avait lieu de pour
voir à leur remplacement. Le bureau fixa aussitôt
son choix sur la lieutenante de Valbelle , Madame
de Roquefort, Mllc d’Antoine et Mllcde Beaumont. 2
Le 14 décembre de l’année suivante on nomma
Madame de Beaulieu, Mmc de Granier et Ml!e Jeanne
Reynaud. M!,e d’Antoine fut confirmée dans son em
ploi. 5 Cette demoiselle, admirablement passionnée
pour le service des pauvres malades, fut successi
vement nommée pendant une quinzaine d'années.
C'est la seule personne qui mit à ses fonctions une
durée si longue. Les autres reetoresses ne servirent
qu’un an, et parmi elles on remarqua les dames
d’Hermite, d’Armand, de Tournier, de Gardane,
de Venelle, de Martin, de Capeau , et les demoi
selles de Germain, de Matsian , de Saint-Jacques ,
de Perrin, Françoise d’Audi (fret, Roman-Ferrand,
1. Libvre dans lequel sont insérées les délibérations des bureaux
tenus par MM. les recteurs de l’hospital Saint-Esprit et Saint-Jacques
de Galice de cesle ville de Marseille, du 6 novembre 1670 au 26 oc
tobre 1676, fol. 15 verso.
2. Même registre, fol. 43 recto.
5. Meme registre, fol. 76 verso
�mnmszfo/'
— 179 —
et quelques autres noms également distingués par
le rang social, par la fortune et par de belles al
liances. Les recteurs ne se bornaient plus, comme
auparavant, à faire aux nouvelles rectoresscs une
visite de politesse de suite après leur élection ; ils
envoyaient encore à chacune d’elles un flambeau
bénit. 1
L’institution des rectoresses n existait plus en
1091. Seulement le titre en était pris par les fem
mes des recteurs, et ces dames, conjointement avec
d’autres dont le bureau faisait choix, quêtaient dans
toute la ville, une fois par an, du linge pour l’hô
pital.*
La confrérie de Saint-Louis, érigée dans 1 HôtelDieu pour peigner et laver les hommes malades,
était fondée depuis longtemps. Elle le fut le 2 fé
vrier 1009 par Toussaint de Forbin-Janson, évede Marseille, le P. Barthélemy Bonnard, de la
Compagnie de Jésus, Philippe le Feron , vicairegénéral, Pierre de la Rouvière, André-Martin de
Bérenger, Jean-Baptiste de Flotte, Joseph de la
Mure , Jean-Baptiste de Castellane, Honoré Guintrand, Joseph de Buisson, Alexis Fabre et vingtdeux autres personnes charitables. Le nombre des
1. l.ibvre dans lequel sont insérées les délibérations des bureaux
tenus par MM. les recteurs de l’hospital Saint-Esprit et Saint-Jacquesîle-Galice, du 7 novembre 1675 au 0 octobre 1684, Col. 12 verso.
�trente-trois fondateurs fut choisi en mémoire des
trente-trois ans de Jésus-Christ; on nomma des
confrères en nombre illimité et l'on rédigea les
statuts de l’ordre.
Six membres de l’association, désignés mensuel
lement, servaient à tour de rôle les malades de
l’hôpital, les dimanches et jours de fête. Pendant
ce service, l'un d’eux faisait la lecture du Péda
gogue chrétien ou de quelque autre ouvrage de piété.
Les confrères payaient chacun une quotité an
nuelle de huit sols.
Le jour de Saint-Louis, l’œuvre donnait à dîner
aux pauvres malades ; mais comme elle ne pouvait
jamais faire cette dépense, les quatre prieurs étaient
obligés d’y pourvoir à leurs propres frais.
Ces prieurs étaient nommés le 10 août, jour de
Saint-Laurent, ainsi que les quatre sacristains, le
trésorier et le secrétaire. Les officiers sortant de
charge donnaient à chaqun des officiers nouvelle
ment élus un gâteau de cinq sous.
Une indulgence perpétuelle fut concédée le 20
février 1671 par le Pape Clément X aux confrères de
Saint-Louis. 1
1. Extrait des statuts manuscrits de la confrérie de Saint-Louis en
la possession d’un amateur de Marseille. — Coutumier de l’église de
l’hôpital du Saint-Esprit, manuscrit in-4°, aux archives de l’HôtelDieu. Voyez aussi sur la confrérie de Saint Louis les délibérations du
bureau de l’Hôtel-Dieu à la date du 16 janvier 1770, 28 mai 1676,
�L’institution de St-Louis en appelait une autre qui
se forma quelques années après. Le 8 janvier 1674,
le recteur Conte dit à ses collègues que la da
Granier, rectoresse, proposait l'établissement d’une
congrégation de dames et demoiselles pour laver et
peigner les femmes malades. Le bureau y consentit
avec empressement. Toutefois cette confrérie ne se
forma pas de suite, car le 28 novembre 1675 le
recteur Félix de la Rcynarde renouvela la demande
de Conte et le bureau prit la même délibération.
Mais il fallut quelque temps encore pour l’organi
sation de la confrérie qui ne fut instituée définiti
vement qu’en 1677. Elle prit Sainte-Élisabeth pour
patronne et fut composée de trente-trois soeurs à
cause de la bénédiction que portait ce nombre. 1
La confrérie commença par donner cinquante pistôles qui devaient être employées aux nécessités de
la salle des femmes, 2 et par ordre de Philippe de
Bausset, prévôt de la cathédrale et grand vicaire
du diocèse de Marseille en l’absence de l’évêque,
20 août 1682, 9 août 1685, 22 juin 1724, 20 juillet 1752, 13 oc
tobre 1763, 19 janvier 1764, 28 septembre 1769, 8 mai 1771.
1. Statuts et réglements de la confrérie de Sainte-Élisabetb, érigée
dans l’hôpital général du Saint-Esprit de la ville de Marseille, 4e édi
tion, Marseille 1821, in—18, p. 12.
2. Délibération du bureau de l’Hôtel-Dieu de Marseille à la date du
2 janvier 1676, 12 mars 1676, 9 novembre 1678, 17 novembre 1678,
19 mars 1682, 10 janvier 1692, 25 février 1693, 11 mars 1694, 17
juillet 1727, 14 août 1754.
�le Père Barracand, supérieur de la maison des cha
noines réguliers de Saint-Antoine de la même ville,
fut mis, sous le titre de directeur, à la tête de ces
sœurs de Sainte-Élisabeth auxquelles le Pape Inno
cent XI accorda la même année 1677 une bulle
d ’indulgences plénières.
Le P. Barracand rédigea des statuts que le grand
vicaire approuva. Il y fut dit que le directeur de la
confrérie de Sainte-Élisabeth serait toujours un prêtre
désigné par l’évêque, 1
Des religieuses hospitalières, fondées sous le titre
de S1-Joseph, étaient établies dans plusieurs villes
du royaume, et le bureau de l’Hôtel-Dieu de Mar
seille, dans sa séance du 13 juillet 1713, délibéra
d’en faire venir quatre. Il fut dit que l'une d’elles,
choisie pour supérieure, porterait le nom de mère
et que les trois autres seraient appelées sœurs;
qu’elles mangeraient ensemble dans leur chambre
et qu’elles recevraient chacune soixante livres par
an pour leur vestiaire ; que la maison les blan
chirait seulement; qu’elles n'auraient que les fonc
tions prescrites par le bureau sous les ordres du
quel elles agiraient. 2
1. Sur la nomination de la m ère, des sacristaines, des assistantes, et
sur divers détails de discipline et d’organisation. Voyez les slaluts et
réglements ci-dessus cités, p. 15 et suivantes.
2. Délibération du 13 juillet 1713 dans le registre des délibérations
du bureau de niôlel-D ieu de la même année. Ce registre est sans pa
gination chiffrée.
�183
La sœur Dubuisson fut nommée supérieure. Mais
I archevêque d’Aix l’ayant appelée dans cette ville
environ trois ans après, elle demanda son congé
que le bureau ne put lui refuser, mais il crut en
même temps devoir renvoyer les trois autres reli
gieuses de Saint-Joseph comme ne pouvant se sou
tenir elles-mêmes dans l'hôpital sans le secours de
la sœur Dubuisson. 1
1. Délibération du 10 juillet 1716 dans le registre des délibérations
de celte année, sans pagination chiffrée.^
�CHAPITRE VIII.
SKnVICE
ME
SANTÉ.
Enchantements et coutumes superstitieuses dans l’ancienne médecine.
— Service de santé de l’hôpital Saint-Esprit de Marseille pendant
le moyen-âge. — Médecins et chirurgiens juifs. — Divers détails
sur ce service. — Médecins communaux dans le seizième siècle.
— Les docteurs Louis Serre et Jean Gentilis. — Leur renvoi et
leur réintégration. — Délibérations municipales à leur sujet. — Le
docteur Vitalis.— Jean Glasson et Charles Cassagne aux gages de
la ville. — Changement dans le service de santé de l’hôpital. —
Quatre médecins soignent les malades par quartier. — Exil de Cas
sagne en Italie.— Il rentre à Marseille et gagne la confiance des
ligueurs.— Sa mission à Rome. — Sébastien Richard. — Retraite
de Cassagne.
Il ne paraît pas que les frères religieux du SaintEsprit administrèrent tout à la fois leur maison de
Marseille et qu’ils y soignèrent eux-mêmes les ma
lades, car rien ne prouve qu’ils exerçassent l’art de
guérir , comme les hospitaliers de Rouen, 1 et com
me le pratiquaient d’ailleurs à cette époque la plu\ . Tristan le Voyageur ou la France au quatorzième siècle, par de
Marchangy, Paris 1825, tome 5 , page 51
�185
part des prêtres et des moines qui étaient en même
temps les médecins du corps et de l’âme. Ils
faisaient emploi des prières, de l’eau bénite, des
saintes huiles, pour rendre la santé aux malheureux
qui l’avaient perdue, et il va sans dire que les
conjurations et les coutumes superstitieuses jouaient
aussi un grand rôle dans leurs moyens curatifs. 1
Au reste il en fut à peu près ainsi dans tous les siècles
que n’éclaira point le flambeau de l’expérience et de
la raison. L’humanité, dans sa longue enfance, eut
besoin d’être bercée par des mensonges séduisants, et
l’on sait que , chez les anciens, la médecine recourut
aux enchantements , aux amulettes , aux remèdes
composés de charmes et de paroles cabalistiques. 2
L’hôpital Saint-Esprit de Marseille ne nous pré
sente aucune trace de service de santé avant 1331.
A la fin de cette année les deux recteurs recouru
rent à l’art de maître Giraud de Beaulieu , chirur
gien , et de maître Quantier, barbier. Le premier
1 Histoire littéraire de la France , par les Religieux Bénédictins de
la Congrégation de Sain-Maur, tome 3 , page 165. — Histoire de la
Médecine, par Kurt Sprengel, traduite de l’allemand, par Jourdan.
Paris 1815, tome 2 , pages 314 et suivantes.
2. Histoire d elà Médecine, par Daniel le Clerc, nouvelle édition,
La Haye, 1729, pages 39, 9 3, 1 6 5 .—Histoire de la Médecine, depuis
Galien jusqu’au commencement du seizième siècle, écrite en forme de
discours, adressé au docteur Mead, par J. Friend , docteur en méde
cine. Traduite de l’anglais par Étienne Coulet. Leydc, 1727, première
partie, pages 41 et 45,
f
�186 —
eut trente sous de gage par an, 1 et le second en
eut vingt. 2
A la fin de l’annce suivante ces deux praticiens
lurent remplacés par maître Guillaume Debaras qui
se chargea de tout le service de 1 hôpital moyen
nant deux livres quinze sous par an. 3 On lui ad
joignit, au commencement de 1333, Giraud de
Beaulieu, dont je viens de parler, et qui reçut le
même salaire. 4 Dans le courant do cette année ,
Salomon de Païenne, médecin juif qui jouissait à
Marseille d’une grande réputation , fut exception
nellement appelé pour soigner la sœur Douceline,
la sœur Qüasens et le frère Petit. On lui compta dix
sous pour ses honoraires. 3
1 Fesem covenent arn maistre Gira ut de Belluec Surgian a servici de
lespital de Megear de Saunar tots los malautes do lespital e de tots au
tres servicis a salari per an xxx s. Registre des recettes et dépenses de
l’hôpital Saint-Esprit de Marseille, 1551-1552, in-4°, fol. til verso,
aux archives de l’Hôlel-Dieu.
2. Fesem convenent ani maistre Quantier barbier que esta sots la pescaria per adobar e per saunar tots los solsmes de lespital. Deu aver per
an xx s. Même registre, même fol.
5. Devem a maistre Guillem Debaras barbier et mege do lespital de
Sant-Esperit de Massella xv jous apres la l'esta de sant Andrieu et den
aver daquel an a far la megia dels malautes e harhareinar n lib. xv s.
Registre des recettes et dépenses de 1552-1555 , in-4° marqué E, sans
pagination chiffrée, aux mêmes archives.
4. Registre des recettes et dépenses de 1555-1554, in-4° marqué
F, sans pagination chiffrée, aux mêmes archives.
5. Registre cité de 1552-1555, marqué E.
�187
Plusieurs juifs pratiquaient alors 1 art de guérir.
Comme ils étaient exclus des emplois publics et ra
baissés par toutes les institutions sociales, 1 les
plus intelligents et les plus ambitieux se mirent en
recherche d’une profession qui pût leur donner de
1 importance et des satisfactions d'amour-propre. Ils
exercèrent la médecine et s’y rendirent si habiles
qu'ils devinrent nécessaires aux chrétiens qui les
appelaient de toutes parts. - C’est ce que voulut em
pêcher le Concile d’Avignon de 1337. 5 Robert,
comte do Provence, renouvela ces défenses; 4 mais
la plupart des chrétiens n’en continuèrent pas moins,
dans leurs maladies, de recourir aux soins des mé
decins juifs. Le plus vif et le plus fort de tous les
sentiments, celui de la conservation, n’avait pas
de peine à remporter sur les haines religieuses et
les préjugés héréditaires. Les juifs s’appliquèrent
avec tant de succès à l'étude d’une science qui leur
1. Des Juifs en France; de leur état moral et politique , rtc., par
Théophile Halle. Paris, 184-5, pages 29 et suivantes.
2. Gaufridi, Histoire de Provence, pag. 3 8 6 .— Pi Itou, Histoire de
la ville d’Aix, pag. 125.
5. Harduini acta conciliorurn et epistolæ decretales etc., Canon lxix,
de Judœis pro medecina exhibenda non requirendis, ncé, si se ingresscrint, admittendis. Tom. 7, p. 1634 et 1635
4. Statuta édicta per iilustrissimum dominum Kobertum , dei gratià
primogenitum doraini regis Caroli secuodi, ducem Calabriæ et dicli fegni vicariuin généraient; dans l’Essai sur l’histoire du Droit Français
au moijen-àije, par H. Giraud. Paris, 1846, tom 2, page 67.
�donnait à la fois le moyen de se venger noblement
des outrages qui accablaient leur race et d’acquérir
les richesses dont ils furent toujours si avides, que
presque tous les comtes de Provence, à l’exemple
des autres princes de la chrétienté, 1 eurent des
médecins juifs à leur service personnel. René en
eut toujours auprès de sa personnne, 2 et l’on sait
que l’un d’eux, Pierre de Nostre-Dame, dont la
famille produisit en Provence des hommes distingués
à des titres divers, eut la charge de médecin ordinaire
de ce prince. 3
Les juifs étaient fort nombreux à Marseille, parce
que le commerce les y attirait, et l’on voyait parmi
eux plusieurs médecins honorés de la confiance pu
blique. Quelques-uns s’engagèrent au service de
l’hôpital Saint-Esprit.
Cette maison achetait chez des épiciers toutes les
drogues nécessaires au traitement des malades. En
4332 et 1333, elle se pourvoyait chez Pellegrin
Bonpar, l’un de ces épiciers, et en 1338 et 1339
chez un autre nommé Jearmet Jean. 4
1. Histoire de la Médecine depuis Galien jusqu’au commencement du
seizième siècle, par le docteur Freind, traduite de l’anglais par Étien
ne Goulet. Ouvrage cité, troisième partie, p. 6.
2. Histoire et Chronique de Provence de César de Nostradamus, p 618.
5. La vie de Nostradamus par Pierre Joseph, Aix 1712, pag. 6 et 7.
4. Registre des recettes et dépenses de 1532-1333, de l’hôpital SlEsprit de Marseille, coté E. — Registre des recettes et dépenses de
1358-1359, sans pagination chiffrée.
�189
A cette époque , on donnait souvent aux mala
des du sucre rosat, 1 pour les purger. 2
On leur faisait aussi prendre des bains. Une cuve
servait à cet usage. Il y avait dans l’hôpital sept
couvertures pour les hommes que l'on mettait au
bain, quatre pour les femmes, et deux autres pour
couvrir la cuve. 3
L’administration de l’hôpital Saint-Esprit fit, en
1338, une convention avec le médecin Guillaume
Lonc qui s’obligea à visiter une ou deux fois par
jour non seulement les malades de cet hôpital,
mais encore tous ceux qui pourraient se trouver
dans les maisons que l’œuvre possédait. Les salai
res furent fixés à trois livres quinze sous par an ;
et il fut dit que Lonc, en cas d’absence, se ferait
remplacer par une personne capable. 4
1. Registre des recettes et dépenses de 1550, sans pagination chif
frée. — Autre registre de 1331-1332, fol. 63 verso2. Brief traicté de la pharmacie provinciale et familière, dressé et
faict vulgaire par Antoine Constantin, docteur en médecine, à Aix en
Provence. Lyon, 1597, pages 105 et 104.
5. Inventaire des meubles et objets divers de l’hôpital Saint-Esprit
de Marseille, 1541 , aux archives de l’Ilôtel-Dieu.
4. Avem fact covenent abe maistre Guillem Lonc mege de la festa de
Sant Andrieu en i an e deu reguardar n ves o i lo jorn los malautes que
seran en lespital e en totas las masons queaperteran al dictespital esi
va de foras que deu laissar 1 autre sufisient en son luec e daisso deu
aver dun an m lib. xv s. Registre des recettes et dépenses de l’hôpital
Saint-Esprit de Marseille, 1338-1539, in -4° marqué H, aux archives
de l’Hôtel-Dieu.
�— 490 —
A la même époque, l’administration-passa avec
Giraud, chirurgien barbier, un acte par lequel ce
lui-ci s’engagea , moyennant le prix de trois livres
dix sous par an, à donner ses soins à tous les ma
lades de l’hôpital, à les saigner quand besoin se
rait, et encore à raser les hommes. Il s'obligea
par serment à venir à l’hôpital au moins une fois
par jour. 1
i
En 1342 le service de santé était encore fait par
un médecin et par un chirurgien. Le médecin était
un juif nommé Salomon qui ne paraît pas le même
que Salomon de Païenne. Maître Salomon devait
soigner non seulement les malades de l’hôpital, mais
encore les frères donats et les sœurs donates. Le chirurgien s’appelait Jean Bedos. Les saignées
étaient alors d’un usage fréquent, et même les per
sonnes qui se portaient bien y recouraient quelque
fois. Au nombre des obligations contractées par Jean
1. Averti tact covenent abe maistre Giraut barbier e maistre Surgian
per mcgear e per saunnr e per barbareirar tots los bornes e lotas las
femmas matantes c malautas que seran en lespital e es tengut per sngrament de venir i ves o i aimes en lespital e dou aver de la testa de
Sont Andrieu en i-an m lib. x s. Même registre.
2. Dimenegue a xxm de desenbre les en covenent anbe maistre Salamon jusieu niege de t'esica per servir los malautes que venlran en lespi
tal els donats et las donadas de lespital a 1 an venent e den aver de
lan vi lib. Registre des recettes et dépenses de l’hôpital Saint-Esprit de
Marseille, 1341-1342, in-4°, marqué L, fol. 72 recto et verso, aux
archives de l’Hôtel-Dieu.
r
�—
191
Bedos on trouve celle de saigner les gens de l’hô
pital qui n'étaient pas malades, et celle aussi de
fournir tout ce qui serait nécessaire à l’exercice de
son art, onguent, pommades, charpie et ligaments. 1
Maître Salomon avait six livres de gages par an,
et maître Bedos en avait cinq.
Maître Jean, chirurgien barbier, fut le seul qui
fit le service de 1hôpital Sl-Esprit durant l'exercice
administratif de 1348-1349, 2 aux gages de trois
florins par an (4 livres îG sous).
Pendant assez longtemps, à dater du milieu du
quatorzième siècle, le traitement des malades de
celle maison ne fut confié qu’à un chirurgien nom
mé chaque année par les recteurs qui passaient une
convention avec lui. Maître Davin était investi de
cette charge en 1337-1358, et maître Salvis en
1364-1365. Le premier, gagnait trois livres quatre
sous par an; - le second, quatre livres seize sous. 3
1. Dimenegue a xvi de desenbre avem acovenensat maistre Jolian
Bedos per mege surjan als nialautes e roalautas fin a Sant-Andrieu e
raire e saunai* els sauts atress es tengul daver totas causas, levât,
peguomas, dropredura e estopas, liâm es, e den aver daquest an v lib.
Même registre, même loi.
2. Livre des recettes et dépenses de 1548-1549, in-4u, marqué N,
aux mêmes archives
5. Railem a Davin surgian loqual visita los paures de lespital al qols
fat mestier surgia a x\it novembre u 11. Registre des recettes et dé
penses de 1557-1558, in-4°, marqué U , chapitre intitulé : ainsi escrivem totas despensas menudieras lacbas persemanas.
2. Avem bailat a maistre Salvis mege surgian per i les a i dabril i
�—
192 —
Maître Salomon, ce même médecin juif qui avait
soigné les malades de l’hôpital Saint-Esprit en 1342,
fut encore engagé à leur service à la fin de 1374, 1
et maître Ferier, autre médecin juif qui avait donné
ses soins aux malades de l’hôpital de l’Aimouciadc
en 1389, 2 les donna en 1397 à ceux de la mai
son du Saint-Esprit 5 qui eut l’année suivante un
autre médecin juif du nom d’Abraham. 4 Le salaire
de ces praticiens était alors de quatre livres seize
sous.
Au commencement de l’année 1408-1409 il y
eut un changement dans le service de santé de
l’hôpital Saint-Esprit qui prit à ses gages trois chi
rurgiens lesquels exercèrent en même temps. Ils
s’appelaient Raban , Mosson et Guillaume. 5 L’anfl. val i lib. xii s. Registre des recettes et dépenses de 13G4-15G5, in4°, marqué S , fol. 40 verso.
1. Paguem a maistre Salomon mcge de lespital per lo premier tes de
nostre an a xxi fébrier i lib. xii s. Registre des recettes et dépenses de
1371-1372, in-4°, marqué X , fol. 47 verso.
2. Registre des recettes et dépenses de l’hôpital de l’Annonciade, in4°, marqué AA, sans pagination chiffrée, au chapitre des dépenses. Ar
chives de l’Hôtel-Dieu.
3. Avem bailat a xii aost a maistre Ferier mege jusieu fl. ni val mi
lib. xvi s. Registre des recettes et dépenses de l’hôpital Saint-Esprit,
1597-1598 , in-4°, marqué CG , fol. 29 verso, aux mêmes archives.
4. El mege maistre Abram. Même registre, marqué CG, fol. 42 verso.
5. Registre des recettes et dépenses de 1408-1409, in-4° marqué
LL, fol. G4 recto.
I
�— 193 —
née suivante nous voyons dans 1hôpital un méde
cin juif nommé maître Ruben; un barbier, maître
Guillaume. 1 Les recteurs furent si satisfaits des
services du premier qu’ils lui firent compter, en
sus de ses gages, une livre douze sous. 2 En 141 G,
Ruben servait encore l’hôpital Saint-Esprit 5 avec
l’assistance du barbier Guillaume Mathola, 4 de
sorte que pendant quelques années les malades fu
rent soignés par un médecin et un barbier.
Le juif Ruben était encore en 1417-1418 le
médecin de 1 hôpital Saint-Esprit, et maître Mosson
Morvan, l’un de ses coreligionnaires, servait cette
maison en qualité de chirurgien. s Le barbier Guil
laume Mathola , un autre barbier nommé Jean Vanell et l’apothicaire Huguet Baron étaient aussi aux
1. Registre coté MM des recettes et dépenses du même hôpital, 1409I4l0, fol. 79 verso.
2. Ay paguat al dict maistre Ruben de voluntat dels senhors per
avantalge i lib. s. Même registre, même loi. verso.
3. A x de setenbre hay paguat à maistre Ruben juzicu mege fisician
pensionat de lespital per son premier ters i fl. que val i lib. xn s. Re
gistre des recettes et dépenses de 1416-1417, fol. 59 recto.
4. Plus hay paguat a maistre Guillcm Mathola barbier e pensionari
de los.tal per aquest an pass ii lib. Même regislre, même fol.
5. Plus hay pagat a maistre Mosson Morvan jusieu surgian en abatement de mayor soma que li es deguda en lo ters passât i lib. xn s.
Regislre des recettes et dépenses de 1417-1418, in -t° marqué QQ.fol.
48 recto et verso.
15
TOM. 1.
xii
�gages de l’hôpital; 1 de sorte qu'en l’année 14171418 le service de santé y avait une organisation
des plus complètes. Un médecin, un chirurgien,
deux barbiers, qui pratiquaient probablement la
chirurgie, et un apothicaire donnaient à ce service
la plus grande extension. C’est le personnel le
plus nombreux que les archives de l’hôpital SaintEsprit de Marseille nous présentent, dans le moyenâge, pour le service de santé.
On le maintint à peu près dans cet état pen
dant plusieurs années. Nous avons du moins de
bonnes raisons pour le croire, car en 1434 nous
voyons au service de l'hôpital maître Vincent, mé
decin ; maître Lambert, barbier ; maître Ducan ,
chirurgien, et Honorât Dop, apothicaire. 2
Maître Ducan fut remplacé en 1435 par maître
Darnot, chirurgien juif auquel l’hôpital donna trois
livres quatre sous de gages. 3
En 1 444 nous voyons dans le compte d'un rec
teur de cet hôpital un article de sept livres
douze sous huit deniers pour frais de médecin,
de barbier et d’apothicaire, ainsi que pour les
\ . Même registre QQ, même folio.
2. Registre des recettes et dépenses de 145-4, fol. 5-4 recto.
o. Avem pagat a maislre Darnot jusicu surgian l x iiii s . Registre
des recettes et dépenses de 1455-145G, in -i'1 coté BB, fo l, 52 recto.
�195 —
honoraires de M° Nicolas d’Arène, avocat. 1 En
1445, la dépense s’éleva pour le môme objet à
quatorze livres, en 1446 à seize livres seize sous.
Le compte de l’avocat y figure en bloc. 2 On ne le
voit plus en 1447. Cette année le service de santé
coûte vingt livres quatre sous. Le médecin est
Yuissens, le chirurgien Yeza, et l’apothicaire Debras. 5
A partir de cette époque, les titres historiques
ont une lacune considérable, et il ne nous reste
aucun vestige du service de santé pendant un
demi siècle. Nous ne le voyons reparaître qu’en
1485.
Cette année, un seul chirurgien barbier, maî
tre Moquel, servait l’hôpital aux gages de quatre
livres quatre sous par an. 4
En 1487, maître Bernard, médecin, était char
gé de ce service dans lequel l’assistaient deux bar1. Deu aver pagat a meges e barbiers e apolicaris e a M. Nicolau
d’Arena con apar per son libre vii lib ., xn s. vin d. Reddition de
compte de plusieurs recteurs de l’hôpita! Saint-Esprit de Marseille, de
1412 à 1447, cahier in-4° de vingt-une pages, fol. ii verso, aux ar
chives de l’Hôtel-Dieu.
2. Même reddition de compte, loi. 14 verso et 17 verso.
5. Deu aver pagat a mess Vuissens mege e a M. Veza surgian e a
boticari Debras xx lib. nu s. Même reddition de compte, toi. 21 recto.
4. Registre des recettes et dépenses de 1485-1486, in-4°, marqué
LL, fol. 81 recto.
�196 —
hiers, Véran et Julien. Bernard mourut au mois de
septembre et fut remplacé le 30 octobre par un
autre médecin nommé Vidal. 1
A la fin de ce siècle il y avait à Marseille un
médecin nommé Jean de Narbonne. Le 7 novembre
1498, Suffirent Palhol, économe de l'hôpital SaintEsprit , lui paya une livre douze sous pour les soins
qu'il avait donnés à un petit enfant de la maison. 2
Nous ne voyons aucune autre trace de dépense pour
le service de santé. De vieilles écritures consta
tent seulement que trois ou quatre saignées furent
faites. 5
Au commencement du seizième siècle, la ville de
Marseille traitait directement avec des médecins pour
les divers services publics au nombre desquels
le traitement des pauvres malades des hôpitaux
figurait en première ligne. Ces médecins commu
naux étaient encore tenus de soigner gratuitement
tous les malades qui les faisaient appeler, sans
distinction de rang et de fortune. C’est du moins
ce que nous voyons dans les premiers mois de
1. Registre des recettes et dépenses de 1487-1488, in-4°, marqué
NNN, fol. 99 recto, aux archives de l’Hôtel-Dieu.
2. Lo vendres a vu del dict mes de novembre paguiey a maistre
Johan de Narbona megi per garir lo petit enfant que sa esta i lib. xn s.
Livre des recettes et dépenses de 1498-1499, fol. 82 verso, aux arrchives de l’Hôtel-Dieu.
5. Même registre, fol. 61 recto, 64 recto et 76 verso.
�— 197 —
1!année 1543, et l’acte qui nous l’apprend ne fait
que constater, selon toutes les vraisemblances, un
usage beaucoup plus ancien. Louis Serre et Jean
Gentilis, les seuls docteurs en médecine qui exer
çassent alors à Marseille, étaient, en vertu d'une
commission municipale, médecins de la ville et de
ses hôpitaux, aux gages de cent cinquante florins
par an pour le premier, de cent florins pour le
second. Ils aspiraient à une position meilleure, et
la ville d’Arles fit des tentatives auprès de Louis
Serre pour l’attirer dans son sein. Gentilis de son
côté était appelé ailleurs, et ils formèrent tous
les deux le dessein d’abandonner Marseille si l’on
n’augmentait pas leurs salaires.
C’est ce que Pierre Tournier, second consul de
Marseille, exposa au conseil municipal le 1,5 mars
1543, et l’assemblée augmenta de cinquante flo
rins les gages de Serre et de Gentilis, « considéré
» qu’ils étaient sçavants et spérimentés en médeci» ne. » 1 Par actes des 1G et 28 mai suivants, ces
deux docteurs passèrent avec les consuls Pierre
Albertas et André Verseil une convention par la
quelle ils s’engagèrent, moyennant deux cents flo
rins par an pour le premier et cent cinquante pour
le second, à rester trois ans à Marseille, à n’en
l . Libvre des esleclions, délibérations et rcfformations du conseil et
aultres actes de la ville de Marseille, commansant le n novembre 1512
et finissant le xxvm octobre 1o46, fol. 50 verso, aux archives delà ville.
�— 498
pas sortir si la peste venait à éclater « et à ser» vir en l’art de médecine la ville, ses manants
» et habitants, tant le pouvre que le riche; à fai» re la visite des hospitaulx sans aulcung paye« ment, bien et deument tous les jours, et aultres
« fois que y sera requis et nécessaire.» 1
En cet état des choses, le service de santé de
l’hôpital Saint-Esprit de Marseille ne lui coûta rien.
Il fut fait, on le voit, par des médecins que la
ville salariait dans l’intérêt public.
Louis Serre et Jean Gentilis exercèrent d’abord
leur emploi d’une manière convenable, mais ils
négligèrent plus tard leurs devoirs et les nombreu
ses plaintes qui s’élevaient contre eux eurent de
l’écho dans le conseil général de la commune com
posé de soixante-douze membres. Le 28 octobre
1549, le premier consul de Marseille, Boniface,
sieur de Cabanes, expose à l’assemblée « qu’il a
» eu toute l’année plusieurs plainctes que les mé» decins ne font guères bien son devoir envers les
» pouvres de lespitau ni les visitent guère souvent,
» comme de ce il a esté bien adverti et informé. Sur
» quoy a requis estre advisé et consulté. » 2
1. Même Iibvre des eslections. délibérations et refformations du
conseil et aultres actes de la ville de Marseille , fol. 50 recto et verso,
51 recto et verso.
2. Registre 2 des délibérations du conseil municipal de Marseille, du
2 novembre 1519 au 28 octobre 1546, loi. 203 verso, aux archives de
la ville.
�— 199
L affaire fut renvoyée au 3 novembre suivant. Jac
ques de Gerente, écuyer, venait d’être nommé pre
mier consul. Il parla dans le même sens que son
prédécesseur de Cabanes. « Maistres Loys Serre et
» Jehan Gentilis, dit-il, avaient promis de se mieulx
» acquiter pour le deu de leurs offices, ce qu’ils
» n’ont jamais faict, mais toujours de pis en pis,
» comme sont esté advertis qu’il y a de foys qu’ils
» demeurent plus d’ung moys d’aller visiter les pou» vres malades des dits hospitaulx. »
Deux médecins nouvellement établis à Marseille
demandaient alors à servir gratuitement les hôpi
taux de cette ville. Le conseil municipal n’hésita
pas à prononcer, séance tenante, la révocation de
Serre et de Gentilis. En même temps il autorisa les
consuls à accepter l’offre que les deux médecins fai
saient pour l’honneur de Dieu. 1
Serre et Gentilis avaient des protecteurs puissants
au crédit desquels tout cédait à Marseille. Ils ne
négligèrent rien auprès d’eux pour obtenir leur réin
tégration dans l’emploi qu’ils venaient de perdre.
Serre surtout était honoré de l’appui du comte de
Tende, grand sénéchal et gouverneur de Provence.
Le comte de Villars, gendre de ce gouverneur, et
1. Registre odes esleclions, délibérations du conseil et aultres actes
de la présente ville de Marseille, acomansant le l** novembre 154-9 et
finissant le 28 novembre lo o i. loi. 6 verso, aux archives de la ville.
�la comtesse de Viilars , sa femme, portaient aussi
à Serre le plus vif intérêt. Ces hauts personnages 11e
se bornèrent pas à écrire en sa faveur aux consuls
de Marseille ; ils leur firent aussi des visites pour
le leur recommander avec instance, disant que « ce
» faisant, on leur ferait singulier plaisir.»1
Les consuls, ne pouvant résister à de pareilles sol
licitations, convoquèrent, le 16 décembre 1549,1e
conseil municipal pour en délibérer. La séance fut
orageuse. L'assesseur Biaise Doria opina le premier
et ses conclusions furent favorables à Serre et à Gentilis. Une opposition redoutable s’éleva contre cette
opinion. Étienne Martin, Ambroise de Remesan,
Barthélemy Candole, Elzéar d'Arbosset et plusieurs
autres conseillers insistèrent énergiquement pour le
maintien de la délibération précédente. Ils protestè
rent contre qui de droit de tous les dommages que la
ville pourrait souffrir en celte circonstance et deman
dèrent qu’on leur concédât acte de cette protestation,
pour s’en servir en temps et lieu. Cela leur fut ac
cordé, et les trois principaux, Martin, Remesan et
Candole, sortirent de la salle.
L’assemblée rétablit Serre et Gentilis dans leurs
charges ; il fut dit que la ville passerait avec eux
une nouvelle obligation et qu’ils seraient payés à
la coustume. 2
J. Même registre 5, toi. 21 verso.
2. Même registre 3, fol. 22 recto.
�L’acte qui en fut passé assigna au service de
ces deux médecins une bien courte durée, car leur
emploi devait expirer le jour de la Toussaint 4550.
Le conseil général des soixante-douze, dans sa séan
ce du 28 octobre pour les élections annuelles, s’oc
cupa de la question de savoir si la ville devait
continuer d’avoir Serre et Gentilis à ses gages.
L’affaire fut renvoyée au conseil ordinaire qui se
tint le 20 novembre, et le nouveau premier consul
Vincent Forbin, sieur de la Fare, la mit à l’ordre
du jour. Plusieurs conseillers étaient d’avis de ne
plus salarier les deux médecins, « veu qu’ils n’és» toyent nécessaires ; » mais le conseil, adoptant
une opinion moyenne, chargea les consuls de pas
ser avec eux les accords qui paraîtraient le mieux
convenir aux intérêts de la ville, et dans le cas où
on ne pourrait pas s'entendre, les consuls reçurent
le pouvoir de s’arranger avec d’autres médecins de
leur choix. 1
Il paraît que de nouveaux accords furent passés
entre les consuls de Marseille et les deux docteurs
Louis Serre et Jean Gentilis, car nous les voyons
encore en charge en 4551 , et la ville consentit pro
bablement à ne proroger leur exercice que pour
une année, 2 Serre, blessé tout a la fois dans son
t. Même registre 3, toi. 70 recto,
2. Nous n’avons trouve sur ce point aucun acte municipal.
�202
amour-propre et ses intérêts, réclama encore l’ap
pui de ses protecteurs, et le 20 janvier 1552, dans
la séance du conseil ordinaire, le premier consul
Gaspard Paul, écuyer, exposa que « Monsieur le
» le comte et Madame la comtesse avaient requis
» lu y et ses compaignons de volloir remettre Me
» Loys Serre au service de la ville, aux gaiges
» accoustumés. »
Le conseil municipal, renouvelé en partie par les
élections précédentes, considéra que tout ayant été
fait selon les prescriptions du conseil général des
soixante-douze, il appartenait à ce conseil général
de donner à l’affaire la suite qu’il jugerait conve
nable. 1
Le 28 octobre 1553, le conseil des soixantedouze chargea les consuls de s’entendre avec les
recteurs des hôpitaux pour la fixation des salaires ;
ajoutant qu’il ne fallait pas oublier que « pour le
» présent la ville estoit pouvre.» 2
Cependant les consuls ne voulurent rien prendre
sur eux-mêmes. Ils en référèrent au conseil or
dinaire, le 12 novembre suivant. Le premier consul
fit valoir la recommandation du comte et de la com
tesse de Tende, mais pour ne pas blesser les sus
ceptibilités de l’assemblée, il insista beaucoup plus
1. Même registre 5, fol. 141 verso.
2. Même registre, fol. 172 verso.
�203
sur les considérations d’intérêt public. La délibé
ration du conseil, « par déférence pour la seigneu» rie des dicts comte et comtesse, » rétablit Serre et
Gentilis dans le service de la ville et des hôpitaux
pendant un an, aux gages de cent cinquante florins
pour le premier et de cent florins pour le second. 1
Les choses restèrent en cet état pendant plu
sieurs années et il paraît que Serre et Gentilis
remplirent leurs devoirs à la satisfaction générale,
car personne ne se plaignit de leur service. Serre
fit une longue maladie, et la ville n’en continua pas
moins à lui payer généreusement tous ses gages,
comme s’il était en exercice.
Gentilis ne cessait de solliciter une augmentation
de salaires. Il demandait avec des instances pres
santes qu’ils fussent portés à l’ancien taux de cent
cinquante florins par an.
Vers le milieu du seizième siècle, le conseil mu
nicipal de Marseille, surchargé d’affaires et ne pou
vant tenir séance toutes les fois que les circonstan
ces l’exigeaient, à cause de la négligence de plusieurs
de ses membres, déléguait à quelques-uns d’entre
eux le pouvoir de statuer sur les requêtes des parti
culiers. C’est à ces commissaires que le docteur Gen
tilis présenta sa demande le 14 novembre 4560. Il
y rappelait les promesses qu’on lui avait faites ,
i. Même registre, fol. 176 verso.
�204 —
ajoutant que depuis la réduction de ses gages à cent
florins « il avait tousjours servy et faict son debvoir
» au service de la dicte ville, tant en temps de peste
» que aultrement; que icelluy suppliant se aconten» tera pour le présent des dicts cent florins par an,
« jusques à ce que la dicte ville soyt oppullante et
» hors de ses debtes , pour après estre proveu ainsi
» que sera advisé. » 1
Serre mourut peu de temps après. Il fut remplacé
par Gentilis dans l’emploi de premier médecin de la
ville et des hôpitaux, et, chose extraordinaire , le
conseil qui disputait à Gentilis une augmentation de
salaires parce que la ville estait pouvre, prit à son
service, par délibération du 7 mai 1561 , en qualité
de docteur en médecine, « maistre Antoine de Ca» denet, homme vieulx, suffisant et capable, piur le
» temps et espasse d’ung an , commenssant le pre» mier jour du mois de may, aux gages de quatre
» cents florins tous les ans. » 2
Quant à Gentilis, ses gages furent rétablis au
chiffre de cent cinquante florins, comme il le deman
dait depuis si longtemps, et ce fut tout ce que le
conseil pût faire pour lui dans la délibération du seize
novembre suivant.
1. Registre 6 des délibérations du conseil municipal de Marseille,
du 11 janvier 1558 au 28 octobre 1562 , fol. 79 recto , secrétariat des
notaires Febiez et Boyer, aux archives de la ville.
2. Registre 6 ci-dessus coté, fol. 100 verso.
�— 205 —
Dans la même séance, Jean Vitalis, docteur en
médecine établi à Marseille, présenta une requête
où il exposa que depuis le décès de Serre il visitait
les malades des hôpitaux et donnait même tous les
jours des leçons aux chirurgiens de cette ville, sui
vant la commission dont les consuls l’avaient honoré.
Il pria le conseil de vouloir bien lui adjuger « une
» récompense raisonnable tant pour le regard du
» présent que de l'advenir. »
L’assemblée chargea les consuls d'apprécier les
motifs de cette demande et s’en rapporta à leur sa
gesse et à leur justice. 1
François Yalériole, médecin d’Arles réputé fort
habile et dont la famille compta des membres qui
se distinguèrent aussi dans la même carrière, 2 se
trouvait à Marseille au mois de novembre \ 562. Jean
Riquetti, premier consul de cette ville, fit au conseil
municipal, le 8 du même mois, un rapport à la suite
duquel il fut chargé avec ses deux collègues d’en
gager, si c'était possible, maître Valériole au service
de Marseille. 3 II paraît que les consuls ne purent
s’entendre avec le médecin arlésien ; nous ne voyons
1. Môme registre, fol. 142 recto et verso.
2. Histoire, des hommes illustres de la Provence ancienne et mo
d e rn e par Achard, etc, tom- 2, p. 288 et 289.
5. Registre 7 des délibérations du conseil municipal de Marseille,
du mois de novembre 1562 au mois de juin 1566, fol. 5 verso.
�— 206
du moins, après cette séance, aucune trace de son
séjour à Marseille. Valériole n'avait aucune raison
d’abandonner la ville d’Arles où une grande et ri
che clientelle l’honorait de sa confiance. 1
Les consuls de Marseille nommèrent un autre doc
teur , Jean Audifred, qui servit la ville et les hô
pitaux, à dater du premier janvier 1563, avec Jean
Gentilis, aux mêmes gages de cent cinquante florins
par an. 2 Audifred fut, comme son vieux collègue,
réélu d’année en année. 3 II mourut en 1571 , et le
28 octobre, jour des élections municipales, le doc
teur Jean Yitalis, nommé à sa place, fut associé à
Gentilis successivement confirmé dans son emploi,
ainsi que son nouveau collègue, jusques en 1575.
Ce fut alors que Gentilis termina sa carrière après
trente-deux ans de services publics.
1. Francisci Valleriolæ doctoris medici observationum medicinalium lib. vi, denuo editi et emendatiores quàm anteà in lucem emissi
etc. 1605, in-12°, passim. On voit dans cet ouvrage les noms d’un
grand nombre de clients de Valériole, et ils appartiennent presque tous
à la noblesse et aux classes élevées. — Voyez la notice biographique
sur François Valériole par M. Pontier aîné, dans le recueil des mémoi
res de la Société des sciences, des lettres, de l’agriculture et des arts,
à Aix. 1819, tom. 1, p. 283 et suiv.
2. Registre 7 ci-dessus cité, fol. 37 recto et verso.
3. Registre des délibérations du conseil municipal, du 9 novembre
1566 au mois d’octobre 1570, fol. 32 verso, 57 recto, 105 verso, 135
verso. — Registre des délibérations du même conseil, du mois de no
vembre 1570 au mois d’octobre 1574., loi. 171 verso, 239 recto, etc.
�207 —
Charles Cassagne et Jean Glasson se présentèrent
pour être nommés à sa place. Le choix était difficile
entre eux, car ils faisaient valoir des titres qui te
naient en suspens la décision des consuls sur la
proposition desquels le conseil municipal avait à
voter.
Cassagne, fort jeune alors, donnait les belles es
pérances qu'il réalisa plus tard, car il devint un
des meilleurs médecins de la Provence. Glasson
avait aussi de la distinction et du mérite. Aussi
jeune que son concurrent, il était, comme lui, pas
sionné pour l’étude. La considération publique sem
blait lui annoncer un avenir brillant de fortune et
d'honneurs. Aux élections de 1574, le conseil muni
cipal de Marseille l’avait nommé l'un des recteurs
des écoles. 1
Les consuls, ne sachant à qui donner la préféren
ce, voulurent se tirer d’embarras en mettant la place
au concours entre les deux compétiteurs seulement,
pour nommer le plus capable, au jugement du doc
teur Vitalis et de quelques autres personnages que
leur instruction distinguait. 2 L’épreuve fut solennel1. Registre des délibérations du conseil municipal de Marseille, du
mois de novembre 1570 au mois d’octobre 1574, fol. 299, aux archichives de la ville.
2. Séance du 28 octobre 1575, dans le registre des délibérations du
conseil municipal de Marseille, du mois de novembre 1574 au mois
d’octobre 1579, fol, 307 verso, aux archives de la ville.
�— 208 —
lement faite à THôtel-de-Ville, et comme les deux
concurrents s’y montrèrent de force à peu près égale,
les consuls, plus embarrassés qu’auparavant et ne
pouvant se résoudre à faire un choix, les retinrent
provisoirement tous les deux au service communal
jusques au vingt-huit octobre 1575, sauf à en référer
ce jour là au conseil municipal qui, en procédant aux
élections ordinaires , statuerait sur la question com
me il jugerait convenable.
Le conseil approuva la nomination de Jean Glasson et de Charles Cassagne. Il fut dit que Vitalis rem
placerait Gentilis dans la charge de premier médecin ;
que Glasson aurait le second rang et Cassagne le
troisième.
Ce fut l’époque d'un changement notable dans le
service de santé de l’hôpital Saint-Esprit de Marseille
qui, depuis fort longtemps, n’avait que deux méde
cins nommés chaque année par le conseil de ville.
Une nouveauté en appelle d’ordinaire une autre. Le
vingt-huit octobre 1576, le conseil nomma quatre
médecins pour les services publics , c’est-à-dire qu’après avoir confirmé Vitalis , Glasson et Cassagne , il
nomma un quatrième docteur qui fut Antoine Lioussy,
et réduisit à cinquante florins par an les salaires do
chacun d’eux. 1 Ces quatre médecins se virent réélus
1. Livre de§ délibérations du conseil municipal de Marseille, du
mois de novembre 1574 au mois d’octobre 1579, fol. 552 verso, aux
archives de la ville.
�— 209
l'année suivante, mais le conseil délibéra que les
médecins de la ville, au lieu d’exercer leur charge
simultanément, comme ils l’avaient fait jusques
alors, ne serviraient chacun que pendant trois mois,
à tour de rôle. 1 Ce service trimestriel fut maintenu
les années suivantes et nous le voyons établi à l’HôtelDieu pendant près de deux siècles.
Vitalis, Glasson et Cassagne furent invariablement
réélus chaque année; mais Étienne Saulvacane rem
plaça Lioussy en 1579 et plus tard il eut lui-même
pour successeur Paul Ogier d’Apt. Les docteurs Gas
pard Pelisscry et François Lantelmy servirent aussi
riiôpital successivement. 2 Enfin , à la mort de Vita
lis , le personnel du service médical, composé de
Glasson, Cassagne, Lantelmy et Claude de Cabanes,
ne fut pas changé pendant plusieurs années.
Les maudites guerres civiles, qui trop souvent
condamnent aux rigueurs de l’exil des citoyens qui
presque toujours valent mieux que leurs prescrip
teurs, obligèrent, en 1589, le docteur Charles Cas1. A la charge que chascun d’eulK servira trois mois de l’année
suivant leur ordre, continueté et conségutifs sans discontinuer. Même
registre, fol. 580 verso.
2 Registre des délibérations du conseil municipal de Marseille , du
8 novembre 1579 au 3 janvier 1584, fol. 172 verso.—Registre 13 des
dites délibérations, du mois de novembre 1583 au mois d’octobre 1586,
fol. 118 verso. — Registre 14, fol. 48 recto. — Registre 15, fol. 74
verso. — Registre 16, fol. 146 recto.
TOME i.
14
�—
210
—
sagne à chercher un asile en Italie* à Texemple cle
quelques autres Marseillais que poursuivit la haine
des ligueurs dont la puissance était alors sans bornes.
Le docteur Jean Ranguisi obtint sa place à l’HôtelDieu. Choisi d’abord par les consuls, il fut confirmé
dans son emploi de médecin de la ville et des hôpi
taux, le 5 novembre de la meme année, par le conseil
municipal auquel toutes les nominations apparte
naient. 1 Ce conseil investi par les évènements de
tous les droits de la souveraineté républicaine, prit
une délibération portant que les réfugiés pourraient,
sur leur demande, rentrer dans leur patrie, à la
charge de s y comporter modestement, d'y vivre en
paix et amitié, suivant la sainte union qu'ils seraient
tenus de jurer et de signer. 2
C’est ce que Hugues de Valbelle, religieux de
St-Victor, vint demander au bureau municipal du
28 novembre pour son ami Cassagne. Le bureau
accueillit la requête, aux conditions exigées par la
délibération du conseil. 3 Cependant Cassagne ne
s’empressa pas de rentrer à Marseille, et le 3 mai
\ . Registre 17 des délibérations municipales , du mois de novembre
1589 au mois d’octobre 1590, fol 5 recto.
2. Cette délibération est à la date du 19 novembre de ladite année
1589. Même registre 17, fol. 15 recto.
5. Même registre 17, fol. 29 reclo.
�1590 le conseil autorisa Ranguisi à continuer ses
fonctions. 1
Cassagne ne revint à Marseille que quelque temps
après et se réconcilia pleinement avec le parti vain
queur. Il est toujours, dans les troubles civils , des
hommes qui ne suivent que les drapeaux de la for
tune, ne se dévouent qu'au succès, n’adressent leurs
hommages qu’à la puissance : misérables sans convic
tion et sans cœur à la suite desquels marchent des
citoyens honnêtes, mais pleins d’irrésolution et de
faiblesse, qui acceptent tous les faits accomplis et
tous les instruments de domination. Ce fut parmi ces
derniers que Cassagne se rangea. Rétabli dans la
charge de l'un des quatre médecins ordinaires de la
ville et des hôpitaux, il obtint bientôt la faveur et la
confiance des chefs de la ligue à Marseille. Le pre
mier consul Charles de Casaulx le tint en très grande
estime, et on le chargea d’une mission aussi impor
tante que délicate.
Les religieux de l’abbaye Saint-Victor étaient
divisés en deux partis. Les uns voulaient la sécula
risation du monastère; les autres la repoussaient.
L’administration municipale donna son appui aux
premiers qui d’ailleurs étaient les plus nombreux et
les plus remuants. Comme l’affaire était soumise
au jugement du Pape, le docteur Charles Cassagne
•i. Ibid. fol. 79 verso.
�212
—
—
fut député à Rome, et, par acte du douze décembre
1591, les consuls de Marseille l’investirent de tous
les pouvoirs nécessaires. Tl s’agissait de supplier le
Souverain Pontife de séculariser les moines de SaintVictor, de convertir cette abbaye en église collégiale,
avec institution de docteurs en théologie et autres
professeurs salariés par la communauté de Marseille
pour l'instruction de la jeunesse de cette ville et de la
province. Le choix de la nouvelle collégiale était fa
cile à faire. On pouvait l’établir dans l’église de l’ab
baye Saint-Sauveur qui n’avait alors que quatre reli
gieuses professes et deux novices de peu de satisfac
tion. 1
Telles furent, en ce qui touchait Saint-Victor, les
instructions données à monsieur maistre Charles Cassagne, car c’est ainsi que les actes le qualifiaient. 11
devait aussi se rendre auprès du duc de Florence pour
la traite des blés. Dans toutes les circonstances, mais
surtout dans les temps agités, l’approvisionnement de
Marseille fut pour ses magistrats un objet d’inquiète
sollicitude.
Charles Cassagne accomplit sa mission avec tout le
succès qu’on attendait de son intelligence. 11 vint en
rendre compte au conseil municipal le 12 août 1592.
Le Pape n’approuvait pas la sécularisation de Saint1. Registre 19 des délibérations municipales du mois de novembre
1591 au mois d’octobre 1595, fol. 59 recto et verso, et 40 recto.
i
�— 213 —
Victor, mais il conseillait à ce qu’on établit dans cette
abbaye des chaires d'enseignement public. Le conseil,
séance tenante, délibéra qu’il y avait lieu de réfor
mer les religieux, sous le bon plaisir de Sa Sainteté,
et d’allouer à Charles Cassagne une rémunération au
choix des consuls , lesquels estimèrent que ce méde
cin négociateur devait recevoir trois cents écus. 1
Les évènements ne permirent pas d’établir à SaintVictor le collège projeté ni d’introduire la réforme
dans celle antique abbaye. La chute de Casaulx , en
1596, porta les derniers coups à la ligue expirante, et
Charles Cassagne ne perdit rien à cette révolution qui
amena sur la scène marseillaise d'autres hommes et
d’autres choses. Les ardeurs de la réaction royaliste
troublèrent peut-être son repos, mais n’allèrent pas
jusqu’à changer la belle position d’indépendance que
son mérite et ses services lui avaient acquise. Il con
serva son poste officiel. II avait alors la charge de
premier médecin ordinaire. L’opinion publique 1éle
vait au-dessus des autres et le conseil municipal lui
rendait la même justice. Ses honoraires annuels
étaient de quatre-vingt-seize écus. Jean Glasson , qui
était encore au service de la ville, François Lantelmy
et Claude de Cabannes, en avaient chacun quatrevingts. 2
1. Même registre 19; fol. 148 recto et verso et 149 verso.
2. Compte de Molchior Médicis, trésorier des deniers communs de
la ville de Marseille, année 1595-1596, fol. 6 verso, 8 recto, 21 verso,
aux archives de la ville.
�En 1598 , Cassagne soigna le jeune duc de Guise,
gouverneur de Provence ; 1 et au mois de septembre
1609, le président Guillaume Du Vair étant tombé
malade à Antibes, l’illustre Peyresc, son intime ami,
voulut accourir à son secours, quoiqu'il se trouvât
lui-même dans un fâcheux état de santé. Ses forces le
trahirent, et il envoya Cassagne à Du Yair qui ne
tarda pas à se rétablir. 2
En 1611 nous ne voyons nommer par le conseil
municipal de Marseille que deux médecins, Charles
Cassagne et Claude Cabanes, 3 et nous ne savons
pour quel motif on n’en élut pas quatre , selon la cou
tume. Mais en 1612 on revint à l’usage établi, et on
associa à Cassagne et à Cabanes les docteurs JeanBaptiste Arnaud et Barthélemy Blanc qui furent réé
lus l’année suivante. 4 Cassagne avait trop d’impor
tance et il était trop en faveur dans l’opinion publique
pour que la ville se privât de son expérience et de ses
lumières. Aussi sa réélection successive ne devint plus
qu’une affaire de forme. Il n’en fut pas de même de
1. L'Histoire et Chronique de Provence, par César de Nostradamus,
p. 1070.
2. Viri illustris Nicolai Claudii Fabricii de Peyresc, senatoris aquisextiensis vita, per Petrum Gassendum, etc. Parisiis, 1641, p. 1 1 7 .—
Vie de Peiresc, conseiller au parlement de Provence, par Requier, Pa
ris, 1770, p. 120.
5. Registre 26 des délibérations municipales, du mois de novembre
1610 au mois d’octobre 1613, fol. 56 verso.
4. Même registre 26, fol. 164 recto et 251 verso.
�215 —
ses collègues que le conseil de la ville changea quel
quefois.
Le service était fait, en i 626, par Charles Cassagne, Jean-Baptiste Arnaud, Barthélemy Blanc et Jean
Audibert, lequel passa, le 22 juillet, avec les consuls
d’Aubagne, un contrat par lequel il s’engagea, sa vie
durant, à soigner tous les malades de cette commu
nauté où il se transporta aussitôt avec sa famille. Le
27 octobre de la même année les consuls de Marseil
le le remplacèrent par le docteur Pierre Bontemps
« comme très expérimenté et capable en l’exercice et
» fonction de la médecine par les louables actions et
» desportements par lui rendus journellement à l’en» droict des manans et habitans de ceste ville. » 1 Le
conseil municipal sanctionna ce choix.
En 1630, la place d'Arnaud fut donnée à Sébastien
Richard 2 qui avait quitté Digne longtemps aupara
vant pour venir excercer son état à Marseille. Il ha
bitait cette dernière ville en 1619 lorsqu’il publia son
traité sur les eaux minérales de Digne. 3 La confian
ce et les honneurs ne lui manquèrent pas à Marseille.
1. Registre 54 des délibérations municipales, du mois de novembre
1625 au mois de février 1627, fol. 54 recto et verso.
2. Registre 36 des délibérations municipales, du mois de novembre
1629 au mois d’octobre 1650, fol, 149 recto.
3. Les Bains de Digne en Provence, par S. Richard, docteur en mé
decine de l’Université de Montpellier, habité à Marseille. Lyon, 1619,
in-12».
�216 —
En 1632, Peyresc, tourmenté par la gravclle et la ré
tention d’urine, recourut à ses soins qui arrêtèrent le
progrès du mal. 1
Richard mourut à Marseille le 20 ou le 21 mai
1636, et cette triste nouvelle fit sur l'esprit de son
ami Cassagne l'impression la plus douloureuse. Cassagne avait poussé sa carrière au delà des limites
assignées à la vie de l’homme. Il servait les hôpitaux
depuis soixante ans et jouissait d’une si grande esti
me que le roi l’avait ennobli; tout, du moins, nous le
fait croire , quand des actes publics nous présentent
son nom précédé de la particule nobiliaire. La ville
de Marseille lui avait décerné le titre et les honneurs
de premier médecin avec une pension viagère de six
cents livres. Le 24 mai 1636, Charles de Cassagne
remit entre les mains des consuls la démission de sa
charge de médecin ordinaire, sans préjudice dosa
qualité de principal médecin et de la pension qui lui
était faite à ce titre. Les consuls nommèrent le doc
teur Augustin de Laurens à la place de Charles de
Cassagne, comme l’un des quatre médecins ordinai
res , et donnèrent en même temps à Antoine Ripert
l'autre emploi vacant par la mort de Richard. 2
1. Viri ilIustris Nicolai Claudii Fabricii de Peiresc, senatoris AquiSextiensis, vita, per Petrum Gassendum, etc., p. 255.
2. Regislre 42 des délibérations municipales, du mois de novembre
1655, au mois de décembre 1637, fol. 79 verso et 80 recto.
�— 217 —
En suite de ces changements, le service médical de
1 Hôtel-Dieu de Marseille fut confié aux docteurs Pier
re Bontemps dont j’ai déjà parlé, Biaise Pons qui avait
succédé à Barthélemy Blanc, mort en 1632, 1 Au
gustin de Laurens et Antoine Ripert, lesquels firent
leurs visites par quartier, selon la règle établie en
1576
2. Uegistre 38 des délibérations municipales, du mois de novembre
1G31 au mois d’octobre 1632, fol. 48 recto.
�CHAPITRE IX.
S E I I V I C E I*E S A U T É .
La ville nomme deux chirurgiens par an pour le service communal.—
Divers détails sur ce régime. — Chirurgiens successivement nom
m és.— Un seul chirurgien est chargé des services locaux. — On
revient à l’ancien ordre de choses et deux chirurgiens sont nom
més. — Observations sur la science anatomique. — Les anciens
ne la connaissaient qu’imparfaitement.— Premiers essais à l’HôtelDieu de Marseille. — Chirurgiens auxquels les recteurs délivrent
des cadavres.— Restrictions mises à cette délivrance. — Établisse
ment d’un amphithéâtre. — Toutes facilités accordées aux dissec
tions anatomiques.
La ville de Marseille nommait aussi, le 28 octobre
de chaque année, deux chirurgiens pour son service
qui comprenait toujours celui des hôpitaux, de Tin
firmerie en temps de peste, des forçats placés sur le
ponton pour le curage du port. Ces deux chirurgiens
publics faisaient en même temps le métier de barbier
en qualité de « maistres en l’art de barberie-chirur» gie » 1, comme la plupart de leurs confrères de
1. Arrêt du grand conseil du roi, du 22 avril 1655, dans la suite
d’arrêts notables de la cour de parlement de Provence, cour des comp
tes, aides et finances du meme pays, recueillis par Boniface, t. 1, p. 362.
�Marseille. Ils étaient tenus de « faire le poil avec net» teté et propreté. » 1
Les deux chirurgiens publics de Marseille rece
vaient de la caisse municipale deux écus de gages
par mois.
Jean Bigarron et Étienne son fils, tous les deux
plus connus sous le sobriquet de Peclasse, servirent
successivement la ville de Marseille en qualité de chi
rurgiens-barbiers pendant plus de vingt ans, 2 vers
le milieu du seizième sièle. Mais au commencement
de J 562 , la ville eut à la fois, je ne sais trop pour
quel motif, trois chirurgiens salariés. Le 5 avril, le
premier consul Adam Bouquier soutint dans le conseil
municipal que c’était là un abus contraire aux vieil
les coutumes de la ville, laquelle ne devait avoir à son
service que deux chirurgiens qui pouvaient suffire à
tous les besoins ; que , contrairement aux bonnes rè
gles , chacun de ces chirurgiens faisait à tour de rôle
son service par semaine, au lieu de le faire tous en
semble et tous les jours. En conséquence Adam Bou
quier conclut à ce qu’on rétablit l’ancien état des
choses, et le conseil adopta la proposition. 3
1. Arrêt du parlement d’A ix, du 7 mars 1667, dans le premier re
cueil de Boniface, t. 1, p. 54.2.
2. Registre des délibérations du conseil municipal de Marseille, du
11 janvier 1558 au 28 octobre 1562, fol. 186 verso et 187 recto, aux
archives de la ville.
5. Même registre, fol. 149 recto et 186 verso.
�Les deux chirurgiens nommés annuellement étaient
presque toujours confirmés l’année suivante. Le 2
décembre 1562, Vincent Raynaud, maître en chirur
gie de Marseille, présenta aux commissaires délégués
du conseil de ville une requête aux fins que les
chirurgiens fussent renouvelés tous les ans, et, con
formement à l'avis des commissaires , Me Barthélemy
Rougier fut nommé en remplacement d’Isnard Albert,
pour servir jusques aux élections de 1563 avec Ni
colas Gaudine, chirurgien en exercice, lequel dut
sortir de charge à cette époque. Il fut ainsi dit que
les deux chirurgiens de la ville serviraient chacun
deux ans et que l’un des deux serait remplacé chaque
année. 1
Cette délibération ne fut que fort mal exécutée, et
l’intérêt ou le caprice se substitua bien souvent à la
règle.
Vincent Raynaud qui provoqua le changement
dont je viens de parler remplaça, en 1565 , Nicolas
qui fut frappé d’aliénation mentale. 2
Martin Cortillon, Nicolas Coifferet, Guillem Gardane, Léonard Chantal, Cyprien Marges et quelques
autres furent successivement nommés chirurgiens de
la ville. 5
1. Séance du 2 décembre 1562, dans le registre des délibérations
du conseil municipal de Marseille, du mois de novembre 1562 au mois
de juin 1566, fol. 21 verso et 22 recto, aux archives de la ville.
2. Môme registre, fol. 72 verso.
3. Registre des délibérations du conseil municipal de Marseille, du 9
�m
En 1575 une de ces places ne fut donnée qu’après
l'examen auquel le solliciteur se soumit. Jean de la
Peirollière expose aux consuls que « depuis vingt» cinq ans il exerce l’art et mestier de barbier et
» chirurgien tenant boutique et faict plusieurs cures
» dont il n’a jamais esté reprins ; qu’il est homme de
» bien et de bonne renommée, conversation honeste
» et catholique ; qu'il a consumé tout son jeune âge
» à Marseille au dict art et mestier jusqu’à présent
« qu’il est devenu vieulx. Il supplie donc les consuls
» de le voulloir recepvoir pour maistre chirurgien de
» la dicte ville. »
Les consuls le font examiner par Jacques Paipcenel, Isnard Albert et Marin Yarcel, maîtres chirur
giens jurés de Marseille, en présence des docteurs en
médecine Saulvacane, Yitalis et Glasson. Jean de la
Peirollière répond convenablement, et le 28 juin il
s'oblige par acte public à servir la ville, aux condi
tions ordinaires. 1
Cette nomination ne fut faite que pour un an et le
28 octobre de l’année suivante le conseil municipal,
•
x'
novembre 1566 au mois d’octobre 1570, fol. 22 verso, 57 recto, 105
verso, 155 verso. Registre du mois de novembre 1570 au mois d’oc
tobre 1574, fol. 171 verso, 209 recto. — Registre de novembre 1574
au mois d’octobre 1579, fol. 515 verso.
i. Registre du mois de novembre 1574 au mois d’octobre 1579, fol.
500 recto et verso,
�fit choix d’Augustin de Novesetde Pierre Taupin.1 En
1577 il nomma le même Augustin de Noves et Guillem Gardane , mais il donna à chacun d’eux un ser
vice spécial. Le premier fut attaché à l’hôpital SaintJaccpies-de-Galice. 2 En 1578 les suffrages du conseil
de ville se portèrent encore sur Augustin de Noves et
sur Jean de la Peirollière dont j’ai déjà parlé , mais
sans désignation particulière de service, c’est-à-dire
que ces deux praticiens eurent ensemble à soigner les
pauvres malades des hôpitaux, sauf à s’entendre
pour l’accomplissement de cette tâche. Ils furent réé
lus en 1579. Dans les élections suivantes nous voyons
reparaître Guillem Gardane, Pierre Taupin , Cyprien
Marges, qui avaient déjà servi, et de nouveaux chi
rurgiens tels que maîtres Jean de Bonne, Constantin
Prat, Jean Prat, Laurens Bompar, Étienne Verrière,
Jean Baudrier, dit Bouc , Marin Barrai, Lazarin Bergier, René Leschier, Nicolas Marioti, Jean Chesneau,
JeanAudic, Claude Bourguignon , François Caulet,
Jean Bremond, Jean André, Benoît Auphant. 5 En
1. Livre des délibérations du conseil municipal de Marseille, du mois
de novembre 1574. au mois d’octobre 1579, fol. 352 verso.
2. Même registre, fol. 380 verso.
3. Registre des élections, conseil et aultres actes delà présente
ville de Marseille, commansant le 8 novembre 1579 et finissant le 5
janvier 1584, fol. 36 verso. — Voyez aussi dans les registres suivants
des délibérations du conseil municipal de Marseille les procès-verbaux
d’élection.
�— 223
1593, on nomma pour le service de la ville et des
hôpitaux quatre chirurgiens qui turent René Lesechier, Pierre Taupin, Jean Orat et Marin Varrel; 1
mais on n‘en élut que deux l’année suivante, Jean Prat
et Georges Marges. 2 A la fin de ce siècle, les deux
chirurgiens communaux eurent chacun trente-six
écus quarante-huit sous de gages par an, 3 et on leur
donna quarante-huit écus quelques années après. 4
Dans la séance du conseil de ville du 9 novembre
1614, on lut une requête des recteurs de l’Hôtel-Dieu
qui se plaignaient de la négligence des deux chirur
giens communaux, lesquels ne pouvaient remplir
leurs devoirs avec toute l’assiduité convenable parce
que le service de leur boutique et du public prenait
la plus grande partie de leur temps. Ils ne se trou
vaient jamais dans l’hôpital avec les médecins, tel
lement qu’il y avait un grand désordre et bien souvent
les malades mouraient sans secours ou leurs maux
traînaient en longueur. Les recteurs demandaient que
l’on entretint dans l’hôpital un chirurgien à demeure
fixe.
1. Registre 21 des délibérations municipales, fol. 57 verso et 38 recto.
2. Registre 22 des mêmes délibérations, du mois de février au mois
de décembre 1596, fol. 79 recto.
5. Compte de Melchior Médicis, trésorier des deniers communaux de
la ville de Marseille, 1595-1596, loi. 12 recto, 27 verso, etc., aux ar
chives de l’Hôtel-de-Ville.
4. Registre 28 des délibérations municipales, du mois de novembre
1614 au mois d’octobre 1616, fol. 252 recto et verso et 253 recto.
�—
m
—
Le conseil renvoya cette proposition au jugement
des consuls sortis de charge l'année précédente,
aux consuls en exercice et aux commissaires des
requêtes. 1
Il y eut une instruction longue et sérieuse. Les
anciens recteurs de l’hôpital et les hommes les
plus considérables de la ville furent consultés et ils
pensèrent tous qu’il convenait de faire choix d’un
chirurgien capable, préalablement examiné dans
l’Hôtel-de-Ville par les médecins communaux, en
présence des consuls ; de lui donner la nourriture
dans f hôpital et un traitement annuel de quaran
te-huit écus payés par cette maison. Dans un pa
reil système, le conseil municipal n’aurait doré
navant à nommer qu'un seul chirurgien tenu de
n'aller à l’Hôtel-Dieu qu’une seule fois par semaine,
à l’exception des cas de nécessité ; ce chirurgien
communal restant d’ailleurs chargé de tous les
autres services publics.
Ce projet réunit tous les suffrages, et les rec
teurs de l’Hôtel-Dieu choisirent François Gautier,
natif du bourg de Signe en Provence, lequel, après
son examen, « ayant esté treuvé personnaige suf» lisant, » fut investi des fonctions de chirurgien
de l’hôpital, aux conditions mentionnées. 1. Registre 28, fol. 6 recto.
2. Même registre 18, fol. 252 recto et verso et 253 recto. — Livre-
�— 225 —
Aux élections du 28 octobre 1G16 et des an
nées suivantes, le conseil de ville ne nomma qu’un
seul chirurgien pour les services locaux. François
Gautier, aux termes des accords qu’il avait sous
crits, soigna les malades de l’Hôtel-Dieu et tout
marcha de cette manière jusques dans les derniers
mois de 1625. Alors le nom de Gautier ne se
voit plus nulle part, probablement parce qu’il mou
rut cette année. Il n’y eut plus de chirurgien fai
sant, à poste fixe, le service de l’Hôtel-Dieu. Deux
maîtres en chirurgie, Valentin et Benoît Auphant,
furent élus le 28 octobre de cette même année, *
et il en fut ainsi les années suivantes, de sorte
qu’on revint à l’ancien ordre de choses.
Le flambeau de l’anatomie ne dirigeait pas en
core l’art de guérir qui tâtonnait dans les ténè
bres. Il paraît que quelques médecins de l'anti
quité, s’élevant par la passion de l'étude et par
le sentiment d'une irrésistible curiosité au-dessus
des idées, des mœurs et des croyances religieuses
de leur temps, disséquèrent des corps humains 2
Trésor B de l’hôpital Saint-Esprit et Saint-Jacques-de-Galice. 1G161654. fol. 25 et suivants, aux archives de l’Hôtel-Dieu.
1. Registre 55 des délibérations municipales, fol. 195 recto, aux
archives de la ville.
2. Hisloii'e delà médecine par Daniel Leclerc, nouvelle édition. La
Haye, 1729, p. 296 et suiv. — Histoire de la Médecine depuis son ori
gine jusqu’au dix-neuvième siècle, par le docteur Renouard, Paris 184G,
t. 1, p. 159, 2G9, 408 et 409.
15
TOME I .
�— 226
à l'ombre du mystère, car c’était là une profana
tion qui méritait la colère des Dieux. Ce ne put
être qu’une exception bien rare. Chez les enfants
d'Israël, on était souillé par le contact d’un corps
mort, et celui qui touchait le cadavre d'un hom
me en demeurait impur pendant sept jours. 1 Le
christianisme n’affaiblit certes pas cette horreur
instinctive en commandant la prière pour l’âme
des morts et le respect pour leurs dépouilles ren
dues à la terre. On peut dire avec toute assurance
que la dissection des cadavres fut une science pres
que inconnue jusqu’au règne de François Ier. 2
Et cette lumineuse science qui va demander à
la mort les moyens de défendre la vie contre tant
de causes de destruction qui la menacent sans cesse,
ne se montra que plus tard encore à Marseille tou
jours fort arriérée dans la voie des travaux utiles
et des progrès intellectuels. Quelques timides ten
tatives se produisirent avant 1675, mais elles n'eu
rent aucun succès. On les renouvela le 11 juillet
de cette année sans plus de bonheur. Bourguignon,
maître-chirurgien de Marseille, vint demander au
1. Livre des Nombres, chap. 19, verset n. Le verset 16 dit à peu
près la même chose.
2. Les M.ceurs et coutumes des Français dans les premiers temps de la
monarchie, par l'abbé Legendre. Paris, 1755, p. 105. — Essais histo
riques sur Paris par de Saint-Foix, dans ses œuvres complètes. Paris,
1778, t. 5, p. 68 et 280.
�— 227 —
bureau de l'Hôtel-Dieu un cadavre pour des dé
monstrations anatomiques. Les recteurs, dominés
par l’influence des idées anciennes, répondirent
qu’on avait toujours repoussé de pareilles deman
des et qu’il n'y avait aucune raison d’accueillir
celle de maître Bourguignon. 1
Ce ne fut que plus de douze ans après que l’on
put faire à Marseille une dissection cadavérique.
L’ostéologie seule était connue avec exactitude à
l’Hôtel-Dieu de cette ville. Mais cela pouvait-il
suffire? A l’exception des notions fournies par le
squelette, on n’avait pas et il était impossible
d’avoir des connaissances un peu étendues et un
peu précises sur aucun appareil organique ; on ne
possédait que quelques généralités sur la structure
du corps humain, sur la forme, le volume, la
position respective des principaux viscères, sur ce
jeu harmonique des parties internes qui constitue
la merveilleuse faculté de respirer, de se mouvoir
et de vivre : miracle de chaque instant au milieu
de tant d’autres que le spectacle de la nature offre
à nos yeux trop indifférents par habitude. Le 4
décembre 1687, Fascon, maître en chirurgie à Mar
seille, obtint des recteurs de l’Hôtel-Dieu la permis1. Registre des délibérations do bureau de l’Hôtel-Dieu de Marseille, '
du 6 novembre 1670 au 26 octobre 1675, fol. 147 recto, aux archives
de l’Hôtel-Dieu.
�228
—
sion d'ouvrir le cadavre d’un homme qui venait de
mourir dans cet hôpital. Il voulait faire une démons
tration à la communauté des chirurgiens. La délibé
ration du bureau porte qu’on accorde l’autorisation,
s'agissant d'un acte d’instruction pour l'utilité pu
blique. 1
C’est là évidemment la première opération de ce
genre faite à Marseille. Est-ce une simple autopsie
ou une dissection complète ? Les termes de la déli
bération laissent du doute sur ce point. Cependant
il y a lieu de croire que lorsque l’on faisait depuis
longtemps des dissections anatomiques dans tous
les grands hôpitaux de France, lorsque les chirur
giens de Marseille sollicitaient eux-mêmes depuis
bien des années la possession d’un cadavre pour
leurs études théoriques, Fascon ne fit pas la chose
à demi. Comme il avait appelé tous ses collègues
de Marseille, ils durent tous ensemble satisfaire
amplement leur avide curiosité. Ces dépouilles mor
telles , livrées à des mains investigatrices, ne fu
rent pas sans doute épargnées et elles donnèrent
tout le profit sollicité par les désirs insatiables de
la science qui ennoblit les objets les plus dégoûtants
et les élève jusqu’à sa hauteur.
Il paraît qu’à dater de cette époque le corps
1. Registre des délibérations du même bureau, du 2 novembre 1684
au 28 août 1692, fol. 102 recto, aux mêmes archives.
�229 —
des maîtres chirurgiens de Marseille put disposer
à l’Hôtel-Dieu de tous les cadavres dont il eut be
soin. Les plus grandes facilités lui furent données
à cet égard et l'usage n’eut d’autres limites que
les motifs de haute et pieuse convenance dictés
par des sentiments auxquels les peuples les plus
barbares comme les plus civilisés rendent toujours
un juste hommage. L’administration de l’HôtelDieu se réserva naturellement le jugement de ces
questions délicates et les interprêta toujours dans
un sens favorable aux désirs des familles et aux
réclamations de l’amitié plus respectables encore
que les intérêts de la science. Elle exigea que les
chirurgiens qui voulaient faire une dissection, et
même une simple autopsie, en demandassent la per
mission aux recteurs présents à l'hôpital. L’admi
nistration se montra fort rigoureuse sur l’exercice
de ses droits et plusieurs délibérations furent pri
ses sur ce point. Dans la séance du 2 octobre 1692,
le semainier Bardon se plaignit d’une infraction que
l’on venait de commettre contre les estatuls de ceste
maison en ce qui touchait l’ouverture d’un cadavre,
et le bureau renouvela ses défenses. 1
Cependant de nouvelles infractions éveillèrent la
1. Registre 6 des délibérations du bureau de l’Hôtel-Dieu de Mar
seille, du H septembre 1692 au 27 septembre 1705, fol. 5 recto , aux
archives de l’Hôtel-Dieu.
�— 230 —
sollicitude des recteurs de l’Hôtel-Dieu, lesquels
délibérèrent, le 5 janvier 1701, qu’à l’avenir l’in
firmier ne livrerait aucun cadavre aux maîtres
chirurgiens sans la permission du semainier. 1
On ne fit jusques alors que quelques dissections
isolées et il n’y eut pas à f Hôtel-Dieu un cours ré
gulier d’anatomie à titre d’enseignement public. Il
paraît môme que les autorisations relatives à la
fourniture des cadavres furent retirées pour des
raisons que nous ne connaissons pas. Quoiqu’il en
soit, le 8 juillet 1717, plusieurs maîtres et ap
prentis en chirurgie se présentèrent au bureau de
l’Hôpital et lui déclarèrent qu’un médecin de Mont
pellier, dont le nom n’est pas indiqué, se trouvait
à Marseille et se proposait de leur faire un cours
d’anatomie. En conséquence ils supplièrent le bu
reau de mettre à leur disposition un local pour
l'établissement d’un amphithéâtre et de permettre
qu'on leur livrât des cadavres sans difficulté. Les
recteurs Jean-Baptiste Simon, Lazare Blanc, Louis
David, Louis Guillermy, Zacharie Ricard, Balthasar
Paul et Louis Billard siégeaient au bureau, sous la
présidence d’Antoine Issautier. Ils s’empressèrent
d’adopter la demande, « à condition que toutes les
» fois que les chirurgiens auraient besoin de sujets,
« soit pour les ouvrir, soit pour faire les démons1. Môme registre 6, fol. 136 recto.
�» trations anatomiques, ils demanderaient la per» mission au recteur semainier, pour éviter les trop
» fréquentes ouvertures de cadavres et les abus qui
» pourraient s’ensuivre , la présente délibération ne
» pouvant avoir lieu que pour le présent cours
» d’anatomie. » 1
L’amphithéâtre fut établi dans la salle même des
hommes malades dont on respecta bien peu les
souffrances, puisqu’on osa donner en spectacle à
ces malheureux les utiles mais tristes opérations
qui ne pouvaient être pour eux qu’un objet de dé
goût, d’épouvante et d’horreur. Le 30 juin 1718,
le corps des maîtres chirurgiens de Marseille suivis
de leurs apprentis vint encore demander aux rec
teurs de permettre que le docteur Ferran, médecin
de Montpellier, le même peut être qui était venu
l’année précédente, fit un cours d’anatomie dans
l'hôpital, et cette permission fut donnée aux condi
tions énoncées ci-dessus. 2 Ce qui a lieu de nous
étonner c’est que le cours d’anatomie de 1717 et
celui de 1718 furent faits durant les plus fortes
chaleurs d’été, époque où personne de nos jours
ne penserait à pratiquer un enseignement public de
ce genre. Après 1718, on fit à l’Hôtel-Dieu de Mar
seille les dissections anatomiques avec toutes les
1. Registre 1 des délibérations du bureau dp l’Hôtel-Dieu de Marseille
du 11 avril 1715 au 8 août 1720, fol. 79 recto et verso.
2. Même registre 1, fol. 150 recto et verso.
&
�— 232 —
facilités désirables. Nous y voyons en 1728 un dé
monstrateur nommé Daviel, maître distingué qui eut
pendant deux ans parmi ses élèves Pierre Pontier de
la ville d’Àix’, lequel fit des progrès rapides et de
vint dans la suite un praticien des plus distingués. 1
Ce fut en 1728 qu’on changea l’amphithéâtre de
l’Hôtel-Dieu de Marseille. On l'éloigna de la salle
des hommes où il se trouvait encore contre toutes
les règles de la convenance et de l’humanité, et on le
plaça, aux frais de Daviel lui-même, dans un ma
gasin de la maison qui servait de dépôt à divers
objets mobiliers. 2
On ne donnait, pour les travaux de l’amphi
théâtre, que des cadavres mâles, et la délivrance
n’en était faite en été que douze heures après la
mort, et vingt-quatre heures en hiver. Les corps
des personnes mortes subitement ne pouvaient, en
toutes saisons, être soumis à l’autopsie ou à la dis
section que vingt-quatre heures après le décès, à
moins qu’il n’en fut autrement ordonné par justice. 5
1. Notice sur la vie de Pierre Pontier , chirurgien et médecin à Aix,
lue à la séance publique de la Société Académique de cette ville, le 22
mai 1819, par son fils aîné. In-8° de 10 pages, sans nom d’imprimeur.
2. Livre coté L des délibérations du bureau de l’Hôtel-Dieu de Mar
seille, du 20 juillet 1726 au 1er juillet 1734, fol. 67 recto.
3. Article 85 des statuts et réglements pour les chirurgiens des pro
vinces établis ou non établis en corps de communauté. A Aix, chez la
veuve de Joseph David et Esprit David , 1743, page 27. — Registre R
des délibérations du bureau de l’Hôtel-Dieu de Marseille, de 1770 à
1780, fol. 32 recto.
�CHAPITRE X.
SERVICE DE SAUTÉ.
Emploi de diverses méthodes curatives à l’Hôtel-Dieu. — On porte
à quatre le nombre des chirurgiens communaux. — Réglement
pour ces praticiens qui servent chacun l’hôpital par quartier. —
L’administration de l’Hôtel-Dieu réclame contre le service tri
mestriel — Ce service devient annuel. — L’ancien usage est ré
tabli et le service se fait encore par trimestre. — Le bureau de
l’Hôtel-Dieu demande un médecin et un chirurgien à poste fixe
dans la maison. — Débats entre ce bureau et le collège de mé
decine de Marseille. — Le bureau l’emporte et le service de santé
est changé. — Détails à ce sujet. — Nombre des malades. — Ils
sont mieux traités que dans la plupart des hôpitaux du royaume.
La médecine a ses modes et ses systèmes, com
me les arts et les sciences soumis par leur nature
même à la nécessité des essais et des conjectures,
au milieu des phénomènes qui nous entourent et
des obscurités qui nous désespèrent. On continua
pendant fort longtemps à faire à THôtel-Dieu un
fréquent usage des saignées. Depuis le règne
d’Henri III, on y recourait en France pour toute
sorte de maladies, et Botal, médecin de ce prince,
avait, par son exemple et ses leçons, mis en crédit
un système dont la vogue fut incroyable. On sai
�gnait les malades quatre ou cinq fois. 1 En 1625,
l’économe acheta, au prix de seize sous, pour ces
opérations, vingt-quatre écuelles de terre. Il fit un
second achat en 1627, et un troisième en 1628. 2
Le 7 mai 1627 il donna deux sous au chirurgien de
l’hôpital pour acheter deux ventouses. 3
Le surlendemain il lui donna aussi deux sous
pour l’achat des bougies à l’usage des malheureux
atteints de la maladie des voies urinaires. 4
A cette époque, on faisait prendre aux malades,
dans certains cas, des lavements de lait. 3
Le sang de pigeon était considéré comme un
remède pour la guérison des maux d’yeux , 6 et
le jeune bois de cerf, préparé avec du poivre et
de la myrrhe, guérissait, disait-on, la colique. Le
1. Œuvres d’Estienne Pasquier. Amsterdam 1725, t. 2. Lettre à
Tournebus, conseiller au parlement de Paris, p. 586.
2. Livre journalier de la despense de l’hospital Saint-Esprit et SaintJaeques-de-Galice pour l’hordinaire du dict hospital, accommancé par
moy soubsigné Dalmas, maistre d’ostel , le 23 septembre 1625, in-4°
sans pagination chiffrée, aux archives de l’Hôtel-Dieu.
5. 7 mai 1627 avoir donné deux sous pour avoir acheté deux ven
touses au sirurgien. Même registre.
b. 9 mai avoir donné deux sous au sirurgien pour achepter des chan
delles de sonde. Ibid.
5. Neuf sous de laid pour donner des christaires à des malades.Ibid.
6. Registre ayant pour titre : despanse faicte par moy Henry Gautier,
en l’année 1613, fol. 12 recto, fol. 30 verso, fol. 31 recto, aux ar
chives de l’Hôtel-Dieu.
�235
préjugé trouvait encore dans la viande de cet ani
mal un préservatif contre la fièvre. 1 Le docteur
Constantin de la ville d’Aix prescrivait pour la
guérison des maux de ventre, de la goutte, des
fièvres intermittentes et de quelques autres ma
ladies la décoction d’un coq âgé d’environ quatre
ans que l’on devait faire bouillir après l’avoir farci,
dans des proportions déterminées, de sel marin ,
d’anis, de fenouil, d’hysope et de diverses drogues. 2
On attribuait à l’essence d’ambre une vertu
presque miraculeuse, jusques là qu’on croyait qu’il
était donné à cette substance de rendre la pléni
tude de la vie à des malades qu’environnaient déjà
les ombres de la mort. 3
On a vu que le conseil municipal de Marseille
nomma en 1575 trois médecins, au lieu de deux;
qu’il en élut quatre l’année suivante et successi
vement d’année en année ; que dès lors le service
des quatre médecins se fit par quartier dans l’Hô
tel-Dieu . Mais deux chirurgiens seulement conti1. Histoire de Sisteron, tirée de ses archives, par M. Édouard de
Laplane. Digne, 1843, t. 2, p 494.
2. Brief traicté de la pharmacie provinciale et familière, dressé et
faict vulgaire par Antoine Constantin, docteur en médecine à Aix en
Provence. Lyon, 1597, p. 166.
3. Livre F des délibérations des recteurs de l’hôpital Saint-Esprit et
Sainl-Jacques-de-Galice, du 2 novembre 1684 au 28 août 1692, fol.
24 verso, aux archives de l’Hôtel-Dieu.
�236 —
nuèrent d’êlre chargés des divers services locaux
au nombre desquels on plaçait toujours le traite
ment des malades de l’hôpital. Ce ne fut que plus
tard qu'on porta aussi à quatre le nombre des chi
rurgiens communaux, et je vais dire les circonstan
ces qui amenèrent ce changement.
En 1654, des plaintes s’élevèrent de toutes parts
contre les chirurgiens de Marseille, et le conseil
de ville nomma le docteur Pierre Bontemps, pre
mier médecin communal, Jean d’Arbaud, sieur de
Porchères, et Jean-Baptiste Marquesy, écuyer,
« pour empêcher les grands abus qui s’étaient
» glissés despuis quelque temps en l’art et maî» trise de la chirurgie. » Ces commissaires rédi
gèrent un réglement qui fut approuvé par les
consuls Antoine de Félix, sieur de la Reynarde,
Jean de Farques, écuyer, et Étienne Benoît, bour
geois , lesquels le convertirent en acte authentique
le 6 juin de la même année.
Il y fut dit que quatre maîtres en chirurgie
serviraient dorénavant FHôtel-Dieu, après avoir
prêté, entre les mains des consuls, le serment de
bien exercer leur charge et de veiller à ce qu’il
« ne se commit aulcungs abus et malversations au
» dit art. » 1
1. Registre 54 des délibérations municipales; du mois de novembre
1653 au mois d’octobre 1654, fol. 422. aux archives de ville.
�Le 28 octobre 1654, le grand conseil des trois
cents, procédant aux élections communales en la
forme prescrite par le nouveau réglement dit du
sort, nomma maîtres Jean Expilly, Pinpernel, Laurens et Valentin Mallet chirurgiens de la ville et
des hôpitaux de Marseille. 1 Expilly était un hom
me fort considéré. Le conseil municipal de Mar
seille, par délibération du 17 avril 1650, lui avait
alloué une pension annuelle et viagère de trois
cents livres pour ses services pendant la dernière
peste. 2
Les quatre chirurgiens furent alors soumis à la
règle suivie par les quatre médecins. Ils ne firent
pas simultanément leurs visites à l’Hôtel-Dieu; ils
le servirent chacun à tour de rôle pendant trois
mois, de sorte qu’un médecin et un chirurgien
eurent ensemble un service trimestriel. L’un visitait
les malades et l’autre les blessés une fois par jour
seulement. Mais le réglement dont je viens de par
ler prescrivait au chirurgien de service d’indiquer
tous les mois à ses trois collègues un jour de visite
générale et de consultation.
D’après un usage constant, aucune opération
de chirurgie n’était faite dans l’Hôtel-Dieu sans
1 Registre 54 des délibérations municipales, fol. 570.
2. Registre 51 des délibérations municipales, du mois d’avril au
mois d’octobre 1650, fol. 4 recto.
�qu’elle fût précédée d’une consultation des méde
cins et des chirurgiens de la maison. 1
L’administration de l’Hôtel-Dieu réclama souvent
contre le service par quartier qui lui semblait bien
moins convenir aux pauvres malades que le ser
vice permanent. Le roulement d’exercice causait
dans les traitements une variation de systèmes
dont ces malheureux avaient beaucoup à souffrir.
Une perturbation fâcheuse ne pouvait que régner
à la suite d’un brusque changement de méthode
et de soins. Les praticiens qui entraient en exer
cice au commencement de chaque trimestre éprou
vaient de funestes hésitations à la vue des malades
qu’ils n’avaient pas suivis, et tout s’en ressentait,
la distribution des remèdes comme l'application des
appareils.
En 1741 les plaintes de l’administration de l'Hôtel-Dieu contre les vices de ce système devinrent
plus pressantes. Le 25 octobre elle demanda aux
échevins de Marseille un médecin et un chirurgien
fixes et amovibles qu’elle proposa de salarier ellemême. 1 Le 30 du même mois les échevins arrê1. Livre-Trésor L de l’hôpital Saint-Esprit et Saint-Jacques-de-Galice, 1744-1751, fol. 163 recto, aux archives de l’Hôtel-Dieu.
1. Voyez le comparant des recteurs dans le Livre-Trésor K de l’hô
pital Saint-Esprit et Saint-Jacques-de-Galice, 1733-1744, fol. 413 et
suivi, aux archives de l’Hôlel-Dieu. — Livre coté M des délibérations
�— 239 —
tèrent qu'à l’avenir on ne nommerait chaque an
née, pour le service de l’Hôtel-Dieu, qu’un seul
docteur, avec le titre de médecin ordinaire, choisi
parmi les huit plus anciens agrégés au collège de
médecine de Marseille, selon l'ordre de leur inscrip
tion; qu’en conséquence le doyen du collège rem
plirait ces fonctions, du 1er janvier au 31 décembre
1742, et les sept autres successivement d’année en
année, aux appointements de 400 livres payés par
la ville et attribués précédemment aux quatre mé
decins qui ne touchaient que cent livres chacun. 1
Pendant cinq ans le service marcha de la sorte.
Mais en 1746 les recteurs de l’hôpital voulurent
rétablir l’ancien usage et demandèrent que quatre
médecins fussent nommés pour servir chacun par
quartier. 2 Le 27 octobre, les échevins, après avoir
entendu le syndic du collège de médecine, accueil
lirent cette demande et le conseil municipal l’adopta
le surlendemain. 5
du bureau du même hôpital, du 8 juillet 1734 au 25 novembre 1741,
fol. 188 recto et verso et 189 recto, aux mêmes archives.
1. Registre 142 des délibérations municipales, année 1741, fol. 85
recto et verso, aux archives de la ville.
2. Registre coté N des délibérations du bureau de l’Hôtel-Dieu de
Marseille, du 29 novembre 1741 au 31 décembre 1751, fol. 94 recto
et verso, et 95 recto, aux archives de l’Hôtel-Dieu.
5. Livre-Trésor L de l’hôpital Saint-Esprit et Saint-Jacqucs-de-Galice, 1744 à 1751, fol. 174 et suivants, aux archives de l’IIôtel-Dieu.
�240
Quelques années après, le bureau de l’Hôtel-Dieu
ne voulut plus du service trimestriel et en signala
les inconvénients. Il fit tout ce qu'il put pour obte
nir l’établissement d’un médecin et d’un chirurgien
à poste fixe dans l’Hôtel-Dieu qui pourvoirait à leurs
salaires. Mais de nouveaux recteurs, à leur entrée
en exercice, exprimèrent un autre sentiment. Ceuxci, moins habitués à voir le mal, sentirent moins
la nécessité du remède. Ils firent toute sorte d’ob
jections contre le projet, peut être parce qu’ils ne
l’avaient pas conçu, et leur opposition suffit pour
tenir tout en suspens.
Les administrations, renouvelées en totalité ou
en partie par des élections périodiques, se jettent
bien souvent dans des voies d’inconstance et de
mobilité peu dangereuses, il est vrai, quand ces
administrations sont soumises à l’empire de règles
fixes et à la tutelle d’un pouvoir fort, mais qui
peuvent avoir un effet tout contraire dans une
situation plus indépendante. De nouveaux recteurs
firent revivre le projet relatif à la permanence du
service de santé et mirent en lumière tous les abus
du roulement trimestriel. Le bureau de l’Hôtel-Dieu
insista cette fois dans ses réclamations avec une
persévérance qui ne se démentit pas.
— Registre 147 des délibérations municipales, année 1746, fol. 86 recto
et verso, et 87 recto, aux archives de la ville.
�Alors le collège de médecine de Marseille s en
émut. Il Vit dans la question un intérêt de corps.
Il y avait en effet pour lui plus d’avantages dans
le système qui confiait le service de YHôtel-Dieu
à quatre docteurs en médecine nommés par les
échevins et faisant chacun leur quartier, que dans
le projet par lequel un seul médecin du choix des
administrateurs de l'hôpital en soignerait tous les
malades. Les anciens corps étaient constitués de
telle manière qu’il y avait dans leur sein une grande
force pour l’agression comme pour la défense. Le
collège de médecine de Marseille le fit bien voir
en cette conjoncture, car il tint longtemps en échec
tous les efforts de l'administration de l’Hôtel-Dieu.
Le 14 novembre 1755, il présenta aux échevins
de Marseille un mémoire pour le maintien de l’état
des choses. Il appuya ses droits au service de l’hô
pital sur les anciens statuts municipaux, sur des
lettres-patentes du souverain, sur des arrêts du
conseil et d’autres arrêts du parlement de Pro
vence. Tout lui servit d’argument, le temps, l’usage,
l’intérêt de fart de guérir. Il engagea même adroi
tement dans sa cause l’amour-propre des échevins
en leur faisant craindre la perte d’une prérogative
de leur charge, c’est-à-dire la nomination des
quatre médecins de la ville, lesquels devenus consul
tants, selon le projet des directeurs de l'Hôtel-Dieu,
au lieu d’avoir dans cet hôpital, comme par le
TOME I.
10
!b*
�— 242 —
passé, un service actif par trimestre, deviendraient
inutiles et finiraient par être supprimés. Le collège
de médecine disait encore que l’établissement d’un
médecin nommé à vie pour servir l’Hôtel-Dieu nui
rait aux pauvres malades, parce que ce docteur,
sur la pente glissante de son indépendance, s’af
franchirait des règles, et la maison se verrait obli
gée de le supporter avec sa négligence et ses
défauts.
En réponse à l’objection la plus forte contre
le renouvellement trimestriel des quatre médecins
appelés tour à tour à FHôtel-Dieu , le collège de
médecine ajoutait que ces docteurs, à l’avenir,
continueraient leurs soins auprès des malades qu’ils
auraient commencé de traiter, et cela malgré le
changement de quartier. Le mémoire finissait par
dire qu’un seul médecin, exerçant un emploi d’une
durée sans limite, détruirait l’émulation de la
communauté entière des médecins de Marseille,
émulation généreuse qu’il fallait maintenir dans
toute sa puissance parce qu’elle tournait au profit
de Fart et du public.
Les recteurs de FHôtel-Dieu ne firent pas at
tendre leur réponse. Les médecins, dirent-ils, se
trompent étrangement lorsqu’ils invoquent en leur
faveur les statuts de Marseille et d’autres autori
tés respectables sans contredit, mais qui ne sont
d’aucune application à la cause. Les statuts mu-
�— 243 —
nicipaux, entre autres, ne mentionnent d’aucune
manière le service de l'hôpital, et les recteurs de
cette maison doivent, par le droit commun, se
trouver à l’égard des médecins dans une position
semblable à celle de tous les habitants de la ville,
libres de choisir tel médecin qui leur convient le
mieux parmi ceux du collège ; d’en prendre un
seul, ou deux, ou même un plus grand nombre
s’ils le jugent à propos.
C’est aussi sans fondement qu’on a voulu ins
pirer aux échevins des craintes pour la conserva
tion de l’une de leurs prérogatives. Ces magistrats
dévoués au bien des pauvres sont au-dessus de ces
craintes frivoles.
Le mémoire des recteurs disait encore : « Les
» médecins se font une idée fausse de la nomina» tion d’un docteur à poste fixe dans l’hôpital. Ils
» supposent une obligation indissoluble entre nous
» et ce médecin élu. Ils supposent chez cet hom» me des défauts que nous serons forcés de sup» porter pendant toute sa vie. Ce n’est pas là ce
» qu’on se propose. Les recteurs demandent la
» liberté de faire pour les malades de l’Hôtel-Dieu
» ce que tous les particuliers font pour leur fa» mille. Ils choisissent un médecin selon leur con» fiance ; ils n’en changent pas sans de fortes rai» sons, parce qu’un changement pareil ne se fait
» pas sans inconvénients ; mais ils usent du droit
�— 244
» d’en choisir un autre, plutôt que de supporter
» des inconvénients plus grands encore. »
« Nous savons ce qu’on a souffert et ce que
» nous souffrons encore aujourd’hui de la négli» gence de plusieurs médecins qui, ne voulant dé
fi ranger en rien le service de leurs pratiques ex» ternes, ne se conforment pas aux usages et aux
» prescriptions de l’hôpital pour l’heure de leurs
» visites. Ils viennent à toutes les heures après» midi. Delà leurs visites, le pansement et le souper
» se font en même temps ; ce qui met la maison
» dans un désordre complet.
« Les uns font saigner, pour ainsi dire, à tout
» instant, et ne purgent presque point; d’autres
» purgent tout et n'ordonnent presque pas de sai» gnées; ils détruisent réciproquement tout ce qui
» a été ordonné par leurs prédécesseurs. Il y en
» à qui paraissent ignorer entièrement les spéci» tiques reconnus par tout le monde. On en voit
» qui avec très, peu de remèdes traitent beaucoup
» de malades, tandis que d’autres en emploient
» une infinité et des plus dispendieux pour des ma» lades en plus petit nombre , et quelques-uns, après
» avoir chancelé d’un lit à l’autre , se mépren» nent si évidemment dans les affections les plus
» connues, qu’il n’y a personne qui ne s’en aper» çoive. On s’est trouvé dans le cas d’arrêter des
�— 245 —
» médecines portées à des malades qui avaient déjà
» déjeuné.» 1
Le collège de médecine présentait un code aux
prescriptions duquel il s’engageait à se soumettre,
dans le service des malades de l’Hôtel-Dieu, pour
garantir l’uniformité des traitements et des méthodes.
Les directeurs de cette maison répondaient qu’il
n’était pas prouvé que ceux qui dans la suite se
raient agrégés au collège voulussent observer de
pareilles règles; que d'ailleurs on ne pouvait fixer
la pratique d’une science qui se perfectionnait tous
les jours.
Les recteurs repoussaient aussi les motifs d’ému
lation dont les médecins excipaient. Le désir de
se distinguer parmi les membres du collège était
assez efficace. Le service de la ville et des pau
vres de la Miséricorde ne leur laissait-il pas un
assez beau champ? Chacun d’eux n’aurait-il pas
l’espoir d’être choisi un jour pour remplacer le
médecin de l’hôpital? Les encouragements peuventils manquer dans une carrière si utile et si ho
norable qui offre tant de ressources à l’intelligence
1. Réponse pour l’Hôtel-Dieu de Marseille contre le collège royal
des médecins de la ville, sur le mémoire présenté à MM. les échevins,
le 14 novembre 1755, par partie de MM. les médecins pour s’opposer
au projet des directeurs de l’Hôtel-Dieu, manuscrit in -4 °,en ma pos
session.
�et à l’étude, tant d’occasions à la charité, tant
d’aliments à une légitime ambition ?
En 4758 le bureau de l’Hôtel-Dieu l’emporta. Les
échevins adoptèrent toutes ses idées ; le conseil
municipal les partagea aussi le 28 octobre, et il y
eut dès-lors un changement complet dans le ser
vice de santé de l’hôpital. 1 Le personnel fut ainsi
composé : un médecin et un chirurgien ordinaires,
assistés chacun d’un suppléant. Quant au service
inférieur, il ne reçut aucune modification, et il
fut fait, comme précédemment, par un garçon
chirurgien gagnant maîtrise, un premier garçon
chirurgien et quelques élèves internes ; un garçon
apothicaire gagnant maîtrise, deux garçons apothi
caires et un infirmier. Les honoraires du médecin,
du chirurgien et de leurs suppléants furent mis à
la charge de l’Hôtel-Dieu.
Les recteurs de cet hôpital, dans leur séance du
31 du même mois d’octobre, procédèrent à la
nomination du personnel du service de santé qui
devait fonctionner dès le 1er janvier 4759. La ma
jorité des suffrages se porta sur François Moulard
pour la place de médecin et sur Jérôme Girard pour
1 . Registre coté P des délibérations du bureau de l’Hôtel-Dieu de
Marseille, du 1er juin 1758 au 29 août 1765, fol. 8 verso, aux archi
ves de l’Hôtel-Dieu. - Registre 159 des délibérations municipales, an
née 1758, fol. 69 recto et verso, et 70 recto.
�— 247 —
celle de chirurgien. Rimbaud obtint l’emploi de
médecin suppléant. On ajourna la nomination du
suppléant de Girard;1 et le 24 décembre 1759
le bureau nomma Pierre Mélicy. 2
L’Hôtel-Dieu dépensa pour le service de santé
3542 livres par an. 3 II y eut peu de temps après
une légère augmentation , quelques appointements
inférieurs ayant été élevés, entre autres celui du
garçon chirurgien gagnant maîtrise dont le salaire,
qui était de trente-six livres, auxquelles on ajoutait
soixante-douze livres de gratification, fut porté
1. Registre P des délibérations du bureau de l’Hôtel-Dieu de Mar
seille, fol. 9 verso.
2. Même registre, fol. 44 verso.
3. Voici comment les honoraires étaient répartis :
Le médecin ordinaire.............................. 1200 liv.
Le médecin suppléant............................. 300 »
Le chirurgien ordinaire........................... 1000 »
Le chirurgien suppléant...................................... 200 » gratifications.
Le garçon chirurgien gagnant maîtrise..
36 .. . . 7 2
Le premier garçon chirurgien................. » .... 48
Le garçon apothicaire gagnant maîtrise. 1 2 0 ........ 70
Le premier garçon apothicaire............. 6 0 ..............40
Le second garçon apothicaire.............. 6 0 .............. 40
L’infirmier................................................. 200 ..... 96
3176 . . . . 366
Total général.........3342.
Chapitre des salaires des officiers et employés de l’Hôtel-Dieu de
Marseille dans le registre des recettes et dépenses de-1760. — État des
appointements, salaires et gratifications des officiers, employés et do
mestiques logés et nourris dans cet hôpital, 17 avril 1763, aux archi
ves de l’Ilôtel-Dieu.
�à la somme fixe de trois cents livres. Les choses
restèrent dans le même état,jusques à la révolution.
Malgré le changement du service de santé de
l’Hôtel-Dieu de Marseille, le conseil municipal n'en
continua pas moins de nommer annuellement quatre
médecins et quatre chirurgiens qui formèrent en
semble le conseil de santé de la ville. Bien que
les uns ni les autres n’eussent plus rien à faire à
l’hôpital, ils crurent jusqu’en 1772 devoir se dire
encore médecins et chirurgiens de l’Hôtel-Dieu , 1
et personne ne leur disputa un titre qui était plus
honorifique que réel. Le seul droit que les mem
bres du conseil de santé publique eurent à exercer
dans l’hôpital fut celui d’y être appelés gratuite
ment en consultation, dans des circonstances im
portantes , de préférence à tous autres ; et je ne
sache pas qu'on ait jamais eu recours à leurs lu
mières et à leurs conseils, les praticiens de la mai
son suffisant à toutes les exigences de l’art de gué
rir et connaissant d’ailleurs mieux que qui que ce
fût les habitudes et les règles du service hospita
lier. En 1779, les consuls de Grenoble ayant de
mandé à l’administration municipale de Marseille
des renseignements sur l’établissement du conseil
de santé de cette ville, les échevins leur répondi1. Voyez les trois premiers almanachs historiques de Marseille, an
nées 1770, 1771 et 1772, article municipalité.
�249 —
rent le 19 mars : « Le corps municipal de Marseille
» nomme chaque année dans le conseil d’élection
» quatre médecins et quatre chirurgiens sans ho» rai res fixes. Leurs fonctions consistent à donner
» leur avis par écrit, lorsque nous les convoquons
» dans des occasions qui intéressent la santé pu» blique. Nous payons pour lors les honoraires aux» quels ils se taxent. Ils sont obligés par état de
» nous rendre compte des maladies populaires et
» de tout ce qui est relatif à la santé de nos
» concitoyens. Ils n’ont d’autre privilège que celui
» d’être exempts de toutes autres charges publi» ques. » 1
Dès le commencement du dix-huitième siècle , le
nombre des pauvres malades reçus dans cette mai
son augmenta progressivement, et vers le milieu
de ce siècle, la population y fut de deux cent
cinquante à trois cents en moyenne. 2
Depuis 1730 jusques à 1740, dans un espace de
onze ans, il en entra 23,813, année commune 2,167
De 1753 à 1763. 39,262,
»
3,569
De 1764 à 1769. 24,348 ,
»
4,058
—
1. Lettre du 19 mars 1779 dans le registre 50 des copies des lettres
des échevins de Marseille, du 24 octobre 1777 au 9 août 1779, aux
archives de la ville.
2. Les recteurs de l’Hôtel-Dieu de Marseille disaient en 1767 : « Le
» nombre des malades des deux sexes s’est beaucoup accru depuis peu
» d’années. Le nombre de trois cent annuellement ne varie guère. »
�— 250 —
L’augmentation du nombre des malades et bles
sés entrés à l’Hôtel-Dien dans ces trois époques fut
donc comme 21, 35, 40, rapports de l’augmenta
tion successive du nombre des nécessiteux, puisque
la population n’eut pas d’accroissement notable
dans ces intervalles de temps et qu’il n’y eût point
de grandes épidémies.
Dans l’espace de dix-sept ans compris entre les
années 1753 et 1769 on reçut soixante-trois mille
six cent dix malades ou blessés. Il en mourut huit
mille trois cent trois, c’est-à-dire plus d’un sep
tième. Le savant docteur Raymond, dans un mé
moire où nous puisons ces renseignements de
statistique, dit que c'est là un rapport de morta
lité excessif parce qu’il comprend les blessés qui
fournissent peu de’morts, et que dans le nombre
des maladies il y a beaucoup de simples fièvres
catarreuses qui saisissent les pauvres aux pre
miers froids de l’hiver. Raymond ajoute que cet
excès de mortalité provient de l’infection des salles
par le grand nombre de lits rapprochés les uns
des autres et quelque fois contenant chacun plus
d’un malade. 1
Mémoire de l’administration de l’Hôtel-Dieu sur la situation de cet
hôpital. Ce mémoire, joint à la délibération du 17 décembre 1767, pa
raît n’être que la réproduction d’un autre mémoire envoyé au ministre
en 1750.
1. Mémoire sur la topographie médicale de Marseille par le docteur
Raymond, du 5 décembre 1779, dans l’histoire de la Société Royale
de Médecine, Paris 1780, deuxième partie, pages 120 et 121.
■
�La population de l Hôtel-Dieu de Marseille pré
sentait le tableau suivant le 1er mai 1779.
Hommes malades................................
Femmes malades................................
Total des malades , . . . .
Employés à diversservices.................
Populationgénérale L . . .
154
135
289
33
322
Le nombre des malades ne varia guère après la
période que nous venons d’indiquer. Il y avait un
lit pour chacun d eux dès l’année 1770.
Comment put-on se résoudre à entasser, pendant
si longtemps, plusieurs malades dans le même lit
de souffrance? Pourquoi l’humanité ne fit-elle pas
plus tôt valoir ses droits, ses droits sacrés dont la
violation soulèverait aujourd’hui de dégoût et d’hor
reur les âmes les plus insensibles? Ne nous étonnons
pourtant pas de ces longs retards. Au sein de la
société travaillée par tant d’abus et de misères, il
est donné au bien de n’arriver que lentement, et
l’Hôtel-Dieu de Marseille, dans cette circonstance
comme dans plusieurs autres, eut le bonheur et la
gloire de devancer la plupart des grands hôpitaux
du royaume. En 1777, Joseph II, empereur d’Alle1. Divers documents et mémoires, aux archives de l’Hôtel—Dieu.
�— 252 —
magne, vint visiter Paris et la France, sous le
nom de comte Falkenstein. Il était possédé du désir
insatiable de tout voir, de tout connaître, je dirai
même de tout fronder. A l'Hotel-Dieu de Paris, il
assista au pansement des blessés, goûta au bouil
lon du pauvre, et son indignation s’échappa en pa
roles véhémentes quand il aperçut côte à côte, sur
le même grabat, un convalescent, un fiévreux, un
moribond, un mort. 1
A ce lamentable spectacle, le grand versificateur
Delille put dire avec quelque vérité :
Là sont amoncelés, dans des murs dévorants,
Les vivants sur les morts, les morts sur les mourants.
Là, d’impures vapeurs la vie environnée,
Par un air corrompu languit empoisonnée.
Là, le long de ces lits où gémit le malheur,
Victime des secours plus que de la douleur,
L’ignorance, en courant, fait sa ronde homicide;
L’in différence observe, et le hasard décide. 2
Un philantrope anglais déclarait, en 1783, que
l’hôpital Saint-Louis et l’Hôtel-Dieu de Paris étaient
une honte pour cette capitale. On voyait encore
1. A n n a le s de L in g u e t ,
lu tio n F ra n ç a ise par Louis
2.
D e lille ,
tome 1, page 133. — H isto ire
Blanc, tome 2, p. 28.
poeme de la Pitié, chant II.
de la llé v o -
�— 253 —
deux ou trois malades couchés ensemble dans le
même lit. La situation du grand hôpital de Bordeaux
ne paraissait guère plus heureuse. Il n’y avait pas
un lit pour chaque malade. L’Hôtel-Dieu de Lyon
était une exception brillante. On l’estimait le meil
leur hôpital qu'il y eût en France. 1
I . État des prisons, des hôpitaux et des maisons de force, par John
Howard, traduit de l’anglais, Paris 1788, t. 1, p. 386 et suiv.
�CHAPITRE XI.
S E R V I C E I»E SAUTÉ.
Emploi du garçon chirurgien gagnant maîtrise.— Élèves en chirurgie.
Jalousie des chirurgiens de Marseille qui attaquent le privilège des
recteurs de l’Hôtel-Dieu pour le choix du gagnant maîtrise.— Let
tres patentes de 1676 à ce sujet. — Tentatives réitérées des chi
rurgiens contre le droit des recteurs. — Arrêts divers en faveur de
ces derniers. — Le conseil d’État rend pourtant un arrêt contre
eux.— Rétractation de cet arrêt.— Nouvelles tentatives des chirur
giens.— Rejet définitif de leurs prétentions. — Le bureau de l’HôtelDieu adopte et abandonne aussitôt le projet d'un concours public
pour la place de gagnant maîtrise. — Moulaud est nommé à cet em
ploi. — Son caractère et ses habitudes.— Jérôme Girard et Pierre
Mélicy.
L’emploi du garçon chirurgien gagnant maîtrise
à l’Hôtel-Dieu de Marseille était une institution qui
mérite d’être connue.
De temps immémorial, les recteurs de cet hôpital
avaient le privilège de choisir les garçons chirurgiens
et les garçons apothicaires destinés à gagner la maî
trise, les premiers par un service de six ans con
sécutifs, les seconds après quatre années entières.
Le choix des recteurs fut toujours libre. Ils pou-
�— 255 —
vaient l'appliquer à un enfant naturel de la maison
ou à un'élève externe. Le gagnant maîtrise en chi
rurgie était le chef de cinq ou six élèves qui assis
taient sous ses yeux aux opérations chirurgicales
et satisfaisaient à toutes les obligations du service.
Ces jeunes élèves, presque toujours choisis parmi
les enfants trouvés qui montraient le plus d’intelli
gence et se distinguaient par l’amour du travail,
puisaient leurs sentiments d’émulation dans l’espé
rance d’être à leur tour nommés à la place du ga
gnant maîtrise. Assujettis dès leur naissance à la
police de l’hôpital, ils le considéraient comme leur
berceau de famille, y trouvaient la meilleure école
et réunissaient à la théorie la pratique la plus com
plète, car ils voyaient plus de malades dans une
semaine que les élèves externes n’en pouvaient voir
dans une année. 1
La jalousie des chirurgiens de Marseille ne put
s’accommoder de cet état des choses. Ils troublè
rent les recteurs de l’Hôtel-Dieu dans la jouissance
de leur droits, et ce fut alors que Louis XIY pro
mulgua ses lettres - patentes du mois de juillet
1676, par lesquelles il ordonna que « les apoticaires
» et chirurgiens qui auront été choisis par les di1. Précis pour les administrateurs de l’Hôtel-Dieu du Saint-Esprit de
Marseille, contre les chirurgiens de la même ville, en présence des
échevins et des habitants de Marseille, intervenants, de l’imprimerie de
la veuve Delaguette, Paris 1757, petit in-4°, p. 8 et 9.
�— 256
» recteurs pour le service des malades du dict hos» pilai, et qui auront servi en cette qualité pen» pendant six années entières soient après l’expi» ration d'icelles reçus au corps des maistres apo» ticaires et chirurgiens, sans qu’ils soient obligés
» de faire aucun chef-d’œuvre, ni payer aucuns
» frais et dépenses pour la dite réception; seront
» tenus néanmoins de subir dans le dict hospital
» l’examen d’un médecin , d’un apoticaire et d’un
» chirurgien choisis par les dicts directeurs.» 1
Il semble que la volonté du souverain si claire
ment exprimée eut dû imposer aux chirurgiens un
silence perpétuel. Les chirurgiens ne mirent pas
moins tout en œuvre pour porter atteinte au pri
vilège de l’Hôtél-Dieu. Les prétextes ne manquèrent
pas à leur hostilité systématique. Ils ne pouvaient
voir qu’avec répugnance, disaient-ils, des enfants
naturels entrer dans leur communauté. Cela n’étaitil pas inconciliable avec l’honneur de la profession?
Les administrateurs de l’Hôtel-Dieu répondaient
que leur droit était fondé en possession et en titre.
La possession était constante et le titre certain,
puisqu’il consistait dans les lettres-patentes de 1676.
Que dire de ces faux sentiments d’honneur, de
1. L iv r e -T r é s o r C de l’hôpital Saint-Esprit et Saint,-Jacques-deGalice, de 1664 à 1686, fol. 160 verso et suivants, aux archives de
l’Hôtel-Dieu.
�257
cetle délicatesse affectée qui faisait repousser de
pauvres orphelins d’une corporation établie pour le
soulagement des souffrances humaines? Eh quoi!
lorsque des corps illustres ne se croyaient pas offensés
de l’association des enfants naturels qui se distin
guaient dans les arts et les sciences, les chirurgiens
de Marseille osaient se montrer plus difficiles ! ils
rougissaient de ce contact !
Toutes leurs tentatives échouèrent.
Les lettres-patentes du mois de juillet 1676 ne
furent enregistrées par le parlement d’Aix que le
29 mai 1679 1 , et il paraît que le premier chi
rurgien, enfant de l’hôpital, élu après cet enregis
trement, fut Alexandre Guillen. Le bureau le nomma
sans concours et sans examen par délibération du
28 août 1687.
Ce choix déplut aux chirurgiens qui l’attaquèrent
devant le lieutenant civil de Marseille, et ce magis
trat ordonna, le 4 septembre, que les médecins et
les chirurgiens de l’hôpital examineraient sans frais
les garçons chirurgiens choisis par les recteurs.
Quoique cette sentence réservât aux recteurs la
nomination des élèves qui devaient concourir, et quoi
qu’elle ne référât l’examen qu’aux médecins et aux
1. Registre coté N des actes de l’Hôtel-Dieu de Marseille, de 1756
à 1767. Etat des franchises, dons, octrois, privilèges, redevances, etc,
fol. 515 recto et verso et 514 recto, aux archives de l’Hôtel-Dieu.
TOME I.
17
�— 268
chirurgiens de l’Hôtel-Dieu, elle n’en portait pas
moins atteinte à la complète liberté du choix de ses
administrateurs. Ils en appelèrent au parlement d’Aix
qui, par arrêt du 9 février 1688, ordonna que les
lettres patentes de 1676 seraient exécutées selon
leur forme et teneur, sauf aux syndics des chirur
giens de se pourvoir devant le roi pour la révoca
tion de ces lettres patentes, si bon leur semblait. 1
Les choses en étaient là lorsque parut l’édit du
mois de février 1692 portant création de deux chi
rurgiens jurés dans chacune des grandes villes du
royaume. Les syndics de la corporation de Marseille
qui avaient acheté ces charges de jurés, crurent que
le moment était venu de faire un grand procès, non
seulement à ceux qui avaient acquis la maîtrise de
chirurgie en temps de peste, en vertu des actes de
l’autorité souveraine qui dérogeaient sur ce point
aux règles ordinaires, mais encore à ceux qui
l’avaient gagnée par un service de six ans dans
l’Hôtel-Dieu. Tel était alors Honoré Guirard. Les
chirurgiens le firent assigner par devant le lieule1. Réponse au mémoire des sieurs syndics et prévôts du corps des
maîtres chirurgiens de la ville de Marseille , demandeurs en requête
du 11 septembre 1753 et en incidente du 6 juin 1754. , etc., in4° sans date et sans nom d’imprimeur, mémoire signé Siméon , p. 11
et 12. Réfutation de la réponse des sieurs syndics et prévôts des chi
rurgiens de la ville de Marseille pour les mêmes directeurs, in-4°, mé
moire également signé Siméon, p a ssim .
�259 —
nant du sénéchal, pour l’obliger à fermer sa bou
tique. Les recteurs de l’hôpital intervinrent dans
le procès, e t, par jugement du 9 mars 1693 , Guirard fut conservé dans sa maîtrise et l’hôpital main
tenu dans son privilège.
Les chirurgiens appelèrent de cette sentence au
parlement d’Aix. Ils y soutinrent qu'en l’état de
l’édit de février 1692, Guirard ne pouvait jouir des
droits de la maîtrise qu’après avoir été examiné
par les jurés. Mais cette contestation ne fut pas
mieux accueillie que les précédentes. Par arrêt du
1er mars 1695, la cour confirma la sentence du
premier juge. 1
Les chirurgiens ne se tinrent pas pour battus.
Ils se replièrent de toutes façons pour détruire le
privilège de l’hôpital, ou tout au moins pour le
faire modifier. Le conseil d’état renvoya l’affaire
à l’examen de Lebret , intendant de Provence, et
l’instruction dura plusieurs années. Maréchal , pre
mier chirurgien du roi , vint appuyer de son crédit
les prétentions des chirurgiens de Marseille. Il avait
déjà dressé des statuts pour tous les chirurgiens
de la province, et il y avait inséré que les garçons
servant les hôpitaux seraient choisis au concours et
après un examen. 2 II se flattait que cette disposition
1. Registre coté N des actes de l’Hôtel-Dieu de Marseille, de 1756
à 1767, fol 515 recto et verso et 514- recto.
2. Statuts et réglements pour les chirurgiens des provinces établis
ou non établis en corps de communauté. Aix, 1745, in-4° de 56 p.
�serait obligatoire pour l’Hôtel-Dieu de Marseille.
Maréchal fit plus encore ; il donna requête d’inter
vention et conclut directement à l’exclusion des
enfants naturels.
Les échevins de Marseille, recteurs nés de THôtelDieu, intervinrent à leur tour pour en soutenir les
droits , et ce fut dans ces circonstances que fut
rendu l’arrêt du conseil du 12 avril 1730 par lequel
le roi , interprétant, en tant que besoin serait ,
les lettres patentes de 1676, ordonna que les chi
rurgiens gagnant maîtrise dans les hôpitaux de
Marseille, seraient tenus de se faire agréger à la
communauté dans l’année de leur sortie de ces hô
pitaux, à peine d’être déchus de leur privilège.
L’arrêt les obligea aussi de subir un simple exa
men et de verser , lors de leur agrégation , deux
cents livres dans la bourse du Corps. 1
Ce fut la seule satisfaction qu’obtinrent les chi
rurgiens, car pour l’examen, les lettres patentes de
1676 portaient déjà que le garçon gagnant maî
trise serait obligé de le subir, mais seulement à la
fin de son exercice , et l’administration de l’HôtelDieu l’avait toujours soumis à cette épreuve. L’arrêt
du 12 avril 1730 ne touchait pas d’ailleurs au droit
des recteurs pour le choix du gagnant maîtrise.
Il semblait qu’il n'y avait plus lieu à contestation
1. Premier mémoire ci-dessus cité, p. 15 et 16.
�261
après cet arrêt ; mais les chirurgiens, ne pouvant
se résoudre à admettre parmi eux des enfants de
l'hôpital, refusèrent de recevoir Jérome Girard qui:
y avait gagné sa maîtrise. * Une sentence de po
lice du 4 septembre 1731 condamna ce refus. Les
chirurgiens osèrent en appeler et se virent enfin
forcés d’offrir un expédient de confirmation qui fut
reçu par arrêt du 10 décembre 1738. 2
Quatre arrêts avaient déjà condamné leur pré
tention et l’on devait croire raisonnablement qu’ils
ne la renouvelleraient plus ; mais les recteurs de
l’Hôtel-Dieu ayant nommé pour gagnant maîtrise
Pierre Mélicy , le meilleur élève de l'hôpital, les
chirurgiens de Marseille n’osèrent plus demander
qu’on le rejetât à cause de sa qualité d’enfant trouvé, ;
mais ils prétendirent de nouveau qu’il ne pouvait
être choisi qu’au concours et après leur examen ;
qu’en un mot c’était à eux à désigner les sujets
les plus capables et aux recteurs à choisir parmi ces
sujets.
Après bien des incidents et des longueurs, l’af
faire fut jugée par le parlement d’Aix le 2 mai 1755.
Les administrateurs furent maintenus dans le droit
1. Jérôme Girard fut reçu chirurgien gagnant maîtrise le 11 mai 1724. |
Voyez le registre coté K des délibérations du bureau de l’Hôtel-Dieu de <
Marseille, du 2 janvier 1721 au 26 juillet 1724, fol. 115 recto.
2. Registre coté N des actes de l’Hôtel-Dieu de Marseille , de 1756
à 1767, fol. ci-dessus cités.
�262
de choisir eux-mêmes l'élève gagnant maîtrise et de
faire également choix des médecins et des chirurgiens
qui devaient l'examiner après ses six ans de service
à Fhôpital , conformément aux lettres-patentes de
1676 , avec défense aux chirurgiens et à tous au
tres de troubler ces administrateurs, ni Pierre Mélicy gagnant maîtrise, à peine de mille livres
d’amende. 1
L’imprévu joue un grand rôle dans les choses
humaines entraînées par une mobilité incessante.
Après tant de précédents judiciaires, tous favora
bles à l’Hôtel-Dieu , dans une question où le doute
ne semblait plus permis , une décision inattendue
causa un étonnement général. Les chirurgiens de
Marseille obtinrent sur requête, le 5 décembre
1755, un arrêt du Conseil, qui ordonnait que, sans
s’arrêter à celui du parlement d’Aix, les élèves ga
gnant maîtrise dans l’Hôtel-Dieu de Marseille seraient
examinés au concours , conformément aux statuts
donnés en 1730 pour les chirurgiens des provinces ,
et défense fut faite aux recteurs d’y contrevenir. 2
Les échevins de Marseille, au nom de la Aille,
s’unirent aux recteurs de l’Hôtel-Dieu qui deman1. Registre coté N des actes de l’Hôtel-Dieu de Marseille, fol. cités.
2. Précis pour les administrateurs de l’Hôtel-Dieu du Saint-Esprit de
Marseille, contre les chirurgiens de la même ville, en présence des éche
vins et habitants de Marseille, intervenants, mémoire signé Challaye,
avocat, Paris 1757, p. 6.
�— 263 —
dèrent à la justice du roi la rétractation de cet
arrêt auquel ils formèrent opposition. Ils invoquè
rent encore la possession immémoriale, des titres
solennels et des raisons d’utilité publique, 1
Le conseil d'état, réformant son arrêt du 5 dé
cembre 1755 par un nouvel arrêt à la date du 15
octobre 1757, 2 mit les choses et les parties en l’état
où elles étaient auparavant. Les recteurs continuè
rent ainsi à jouir du droit de nommer, sans concours
et sans examen obligatoire, l’élève chirurgien ga
gnant maîtrise, et rien ne fut changé dans la po
sition de ces jeunes gens choisis de six en six années.
Cependant les maîtres en chirurgie de Marseille se
remuèrent encore contre l'administration de THôtelDieu et ne lui épargnèrent pas de nouvelles tracas
series. En 1769 ils firent un projet de règlement
sur l’exercice de l'art chirurgical à Marseille, sur
les droits et la police de leur corps. L’article 65
disait que le gagnant maîtrise dans f Hôtel-Dieu
devait être examiné au concours par le maître qui
remplissait à Marseille l’emploi de lieutenant du
premier chirurgien du roi et par les quatre prévôts,
en présence des administrateurs de l’hôpital, de ses
1. Mémoire signé Challaye, avocat. Paris, 1757, passim.
2. Registre N des actes dede l’Hôtel-Dieude Marseille, 1756 à 1757,
fol. ci-dessus cités. - L iv r e -T r é s o r M du même hôpital, 1751 à 1760,
fol. 219 et suiv., aux archives de l’Hôtel-Dieu.
�261
médecins et du procureur du roi. 1 Ce projet fut
soumis à l’examen du conseil d’état. Germain Pichault de la Martinière, chevalier de l’ordre de
S^Michel, premier chirurgien de Louis XV, donna
à Versailless le i juin 1769 son approbation pure et
simple, et des lettres patentes du roi, à la date du
25 juin de la même année, autorisèrent ces statuts,
lesquels régirent le collège des chirurgiens de Mar
seille jusques à son abolition par les lois régéné
ratrices qui détruisirent en France les maîtrises et
les jurandes.
Il va sans dire que les administrateurs de l’HôtelDieu réclamèrent encore avec toute la force que
donne une longue jouissance le maintien de leur
privilège touchant le choix direct du premier élève
gagnant maîtrise. Leur droit reçut une nouvelle et
dernière sanction de l’autorité souveraine, et par
arrêt du conseil d’état du 13 avril 1771 l’article
65 des derniers statuts des maîtres en chirurgie fut
définitivement rejeté. 2
Au reste le gagnant maîtrise, à la fin de ses six
années de service, n’entrait pas de plein droit dans
le corps des maîtres chirurgiens de Marseille. Il était
1. Statuts et réglements pour le collège des maîtres en chirurgie de
la ville, faubourgs, districts et territoire de Marseille, accordés par
les lettres patentes données à Versailles le 25 juin 1769. Marseille, chez
Antoine Favct, 1785, p. 28.
2. Registre N des actes de l’Hôtel-Dieu de Marseille, de 1756 à 1767,
fol. cités.
�2()5 —
soumis à une solennelle épreuve. Les docteurs en
médecine et les maîtres en chirurgie de l’Hôtel-Dieu
l’examinaient en présence des premiers magistrats
municipaux , du lieutenant-général civil en la sé
néchaussée, du procureur du roi et des administra
teurs de l’hôpital. Après les réponses du postulant,
les examinateurs devaient affirmer sous serment
qu'il était en état de remplir une place de maître en
chirurgie. Le procureur du roi donnait ses conclu
sions , et le lieutenant-général civil rendait une sen
tence par laquelle le corps des maîtres en chirurgie
de Marseille était tenu de recevoir dans son sein
le nouveau maître. 1
Désormais en possession paisible d’un privilège
incontesté, les administrateurs de l’Hôtel-Dieu eu
rent à cœur de prouver qu’ils n’étaient pas systé
matiquement opposés au principe du concours pu
blic pour la place d’élève chirurgien gagnant maîtrise.
Le concours public, fondé sur l égalité sociale et ne
favorisant, en apparence du moins, que le travail et
le talent, était alors en grande estime, comme tant
d’autres théories libérales. Les administrateurs de
1Hôtel-Dieu comprirent donc qu’il convenait de faire
une concession à l’opinion générale. D’ailleurs l’es1. Voyez sur la forme de ces réceptions le registre des délibérations
du bureau de l’Hôtcl-Dieu de Marseille, année 1790, délibération du
29 juillet. La forme qui est décrite est conforme aux anciens usages
�prit du temps les animait aussi ; car, malgré soi, on
cède toujours à l’influence des idées et des tendances
morales qui forment le caractère général du siècle.
O11 se croit libre, et, sans que l’on s’en doute, on
pense, on raisonne, on agit, d'après les impressions
communes. Ils subissent ce joug insensible ceux-là
même qui font sonner bien haut leur indépendance
intellectuelle.
Les administrateurs de l’Hôtel-Dieu ne cherchè
rent donc plus qu’une occasion favorable pour l’ou
verture d’un concours public , et cette occasion se
présenta plus tôt qu’ils ne pensaient.
On apprit que Jean-Baptiste Aubert, chirurgien
gagnant maîtrise , entretenait un commerce illicite
avec une servante de l’hôpital , qui était enceinte
de ses œuvres , et que ce jeune homme avait déjà
commis plusieurs fautes semblables. Le 25 janvier
1784, le bureau délibéra de le renvoyer de la mai
son et tempéra pourtant sa sévérité par quelques
dispositions paternelles.
Il fallait pourvoir à l'emploi d’Aubert, et l’admi
nistration voulait pour cette place un jeune homme
capable et dévoué qui marchât sur les traces de
Girard , de Mélicy et de Jourdan , autre orphelin
de l’hôpital qui pratiquait la chirurgie avec succès.
Mais cette fois ce fut par la voie du concours que
le bureau voulut arriver à son but.
Il délibéra que sans tirer à conséquence pour
�lavenir et sous toutes réserves, on ouvrirait le
premier juin de la même année , à neuf heures du
matin , un concours public pour l’emploi de ga
gnant maîtrise, et que tous les sujets régnicoles y
seraient admis ; que l’examen serait fait en pré
sence des administrateurs de l’Hôtel-Dieu et dans
la salle de leurs délibérations, par Moulard, mé
decin ordinaire, et par Bouge, son suppléant; par
Mélicy, chirurgien ordinaire et démonstrateur d’ana
tomie ; par Gros, son suppléant ; par Jourdan, sup
pléant démonstrateur, et encore par trois maîtres
en chirurgie de la ville choisis par le bureau. 1
On remarquait alors parmi les ‘élèves de l’Hô
tel-Dieu un enfant trouvé aux bonnes qualités du
quel tous les officiers de santé de la maison ren
daient un flatteur témoignage. Ils portaient à ce
jeune homme l’intérêt le plus vif, car nul autre
ne donnait de plus belles espérances. Cet intelli
gent orphelin, abandonné dès sa naissance à la cha
rité publique, avait été mis en nourrice par l’HôtelDieu de Marseille dans le village de Montlaux, situé
à quinze kilomètres de Forcalquier, dans une vallée
au midi de la montagne de Lure. Il reçut au bap
tême les noms de Joseph-Thomas auxquels on ajouta,
1. Registre coté S des délibérations du bureau de l’Hôtel-Dieu de
Marseille, du 11 mai 1780 au 31 décembre 1786, fol. 109 et suiv. aux
archives de l’Hôtel-Dieu,
�quelques années après, celui de Moulaud, du nom
du lieu où s’était écoulée sa première enfance. Si
la nature fit beaucoup pour lui , il fit beaucoup
pour aider la nature , car il joignait l’amour de
l’étude à un admirable coup-d’œil chirurgical. Le
jeune élève était étranger aux premiers éléments
de f instruction littéraire, aux choses de bon goût,
aux émotions du beau. Les pures théories scienti
fiques , roman de l’art de guérir, n’avaient aucun
charme pour cet esprit qui se mettait en quête
de démonstrations et de réalités. Il ne voyait la
science que par son côté le plus vulgaire et le plus
pratique. Moulaud, incessamment penché sur des
cadavres mutilés, ne cherchait pas à découvrir les
étonnants mystères de la physiologie dans le jeu
de nos organes , dans cette machine merveilleuse
ment compliquée, plus merveilleuse encore quand
elle est éclairée du feu du sentiment et de l’intel
ligence. Il ne voulait qu’augmenter la somme de
ses connaissances anatomiques; son œil avide ne
cherchait que le siège des maladies et des lésions,
et personne de son âge ne tenait le scalpel d’une
main plus heureuse.
Le chirurgien gagnant maîtrise, dans les rapports
1. Rapports de Jourdan, chirurgien gagnant maîtrise, dans le re
gistre R des délibérations du bureau de l’Hôtel-Rieu, de 1773 à 1780,
fol 122 et suivants, aux archives de l’Hôtcl-Dien.
�269 —
trimestriels qu'il adressait à radministration de
l’Hôtel-Dieu sur la conduite et le travail des élèves,
ne parlait qu'avec éloge du jeune Moulaud, plein
de dévouement à ses devoirs , toujours assidu au
près des malades. 1 Quand on avait sous la main
un élève de cette valeur , pourquoi recourir , pour
la place de gagnant maîtrise , au concours qui pou
vait, il est vrai, mettre en lumière le mérite, d’un
homme vraiment distingué, mais qui donnait aussi
à un praticien d'un rang secondaire le moyen d’ob
tenir , dans un jour de bonheur et de surprise ,
une palme imprévue? telles sont en effet les chances
des concours publics. Bien des hommes d’élite dont
le talent modeste mûrit dans le silence et la médi
tation , redoutent cette épreuve devant laquelle ne
reculent pas des médiocrités vaniteuses qui dispo
sent avec hardiesse de toutes les ressources de la
mémoire et du bavardage.
Ce fut dans ces circonstances que l’administration
de l'Hôtel-Dieu abandonna l’idée du concours public
pour revenir à celle de la nomination directe. Le
27 mai de la même année 1784 , elle délibéra de
soumettre le jeune Moulaud à l’examen que lui
firent subir les médecins et les chirurgiens de la
maison, et comme ceux-ci déclarèrent que l’élève
1. Rapports de Jourdan, chirurgien gagnant maîtrise, dans le regis
tre R des délibérations du bureau de l’Hôtel-Dieu, de 1775 à 1780,
fol. 122 et suivants, aux archives de l’Hôtel-Dieu.
�dans ses réponses avait satisfait avec distinction à
toutes les conditions du programme , le bureau, par
nouvelle délibération du 9 juin , le nomma à la
place de gagnant maîtrise en chirurgie, à compter
de ce jour, aux honoraires d’usage qui étaient de
trois cents livres par an. Il fit aussi choix d’un
autre élève nommé Jean-Baptiste Boyer pour assister
Moulauden qualité d’aide gagnant maîtrise, aux gages
annuels de quarante - huit livres. L’administrateur
Gimon, indécis dans son opinion devant le vote una
nime de ses collègues , crut devoir s’abstenir. 1
L’administration de l’Hôtel-Dieu eut à s’applaudir
du choix de Moulaud, que j’aurai plus tard à mettre
en scène, parce qu’il occupe une grande place dans
l’histoire de cet hôpital aussi bien que dans celle de
la chirurgie à Marseille. Jaloux de se rendre digne, dans
son nouveau poste, de la confiance dont il avait été
honoré ; séparé, par son caractère et ses habitudes,
du monde où il était alors inconnu, qui ne lui offrait
d’ailleurs aucune séduction et dont le bruit ne
parvenait pas même jusqu’à lui, il concentra dans
l’hôpital toutes ses pensées, toutes ses affections ,
toutes les facultés de son âme persévérante. Il ne
montrait qu'une seule ambition : celle d’amasser ces
trésors d’observation et d’expérience qu’il devait
produire plus tard avec autant de bonheur que
d’éclat. Il entrait, riche d'espérances et d’avenir,
1. Même registre coté S, fol. 118 verso.
�274
dans une carrière illustrée par des prédécesseurs
dont les services et la renommée ne pouvaient qu’ex
citer son émulation et son zèle.
J’ai parlé de Jérôme Girard et de Pierre Mélicy,
il est juste d'en parler encore. Girard ! Mélicy ! vos
noms aujourd’hui oubliés par des générations indif
férentes qui laissent tout dans l’oubli , talents ,
services, dévouement, grandes facultés de l’intel
ligence et du cœur , vos noms mériteraient d’être
inscrits en caractères ineffaçables dans ce triste
asile de la misère et de la douleur qui, par votre ,
science et vos travaux , devint pour vous un
théâtre de fortune et de gloire. Ah ! qu’ils relè
vent le front en pensant à vous, ces pauvres or
phelins qui sentent avec amertume le malheur de
leur naissance. Nobles fils de vos œuvres , puis
siez-vous leur servir d’encouragement et d'exemple.
Girard grandit en renommée et devint fort ha
bile dans l’art chirurgical. Parvenu à la place de
chirurgien ordinaire de l’Hôtel-Dieu de Marseille, et
à celle de chirurgien-major des forts de la même ville,
honoré de la confiance d’une nombreuse clientelle,
il pouvait prétendre pour sa fille unique à l’alliance
la plus avantageuse. Il la donna à Pierre Mélicy,
enfant de l’hôpital, comme lui, mais, comme lui,
doué de qualités éminentes. Mélicy devint à son
tour un opérateur distingué et remplaça son beaupère dans l’emploi de chirurgien ordinaire de l’Hô
tel-Dieu .
�Par testament du 30 août 1766, Jérôme Girard
légua à cette maison la somme de quarante mille li
vres pour la fondation perpétuelle d’un cours d’ana
tomie dans cet hôpital. Mille livres par an étaient
affectées aux honoraires du professeur; quatre cents
livres à ceux de son suppléant ; deux cents livres
par an devaient être employées à l’achat de livres
et d’instruments de chirurgie. Les fonds libres de
cette fondation étaient destinés à l’entretien et à
l’éducation d’un enfant naturel de la maison choisi
par les recteurs pour l’exercice de l’art chirurgical
à Marseille. L’administration de l'Hôtel-Dieu , dans
sa séance du 4 septembse 1766, nomma quatre
de ses membres pour aller en son nom remercier
Girard. La même délibération porta que son por
trait serait placé dans la salle du bureau en témoi
gnage de reconnaissance. 1 Cet illustre bienfaiteur
mourut le 5 décembre 1766 , et l’administration de
l’Hôtel-Dieu lui rendit les honneurs funèbres que
méritaient ses services, son dévouement et sa gé
nérosité. H
Bien des difficultés entravèrent l'exécution du
testament de Jérôme Girard. L’administration de
l’hôpital abandonna à la dame Mélicy mille livres
1. Registre coté Q des délibérations du bureau de l’Hofel-Dieu de
Marseille, du 5 septembre 1765 au 21 juillet 1775, fol. 22 recto.
2. Même registrs Q, fol. 29 verso.
�273 —
par an sur les deux mille de la fondation de son
père, et la révolution de 1789 vint annuler tous
les effets du legs.
Mélicy, apres avoir été exposé au tour de l'Hô
tel-Dieu le 30 octobre 1732, jour de sa naissance,
avait été baptisé à la paroisse des Accoules , sous
le nom de Pierre Roubaud. Dix-huit ans après ,
il fut réclamé par un homme qui se dit son père
et voulut, comme tel, le reconnaître. On rapporte
que le jeune élève refusa meme de le voir. « Mon
» père, dit-il, c’est Phôpital. » 1 On sait que d’Alembert exprima à peu près la meme pensée dans une
situation analogue. Madame de Tencin, dont le nom
se mêlait aux plus viles intrigues d’une cour cor
rompue, eût la barbarie d’exposer, sur la voie pu
blique, l’enfant qu’elle avait eu de l’un de ses
amants , le chevalier Destouches. Cet enfant était
d’Alembert. Un vitrier et sa femme l’accueillirent
et s’imposèrent des privations pour lui donner une
éducation libérale. Le fils adoptif, trouvant un
noble aiguillon dans sa reconnaissance, voulut payer
par des talents utiles et par des succès glorieux
les soins de ses bienfaiteurs. Il y réussit à msr1. Le 21 mai 1750, Pierre Roubaud n’en fut pas moins déclaré par
sentence de la sénéchaussée de Marseille fils légitime d’Antoine Mélicy
et d’Elisabeth Amphoux. II dut prendre alors le nom de Mélicy. Voyez
son éloge par Acbard, dans le tome 3 des nouveaux mémoires de i’Académie de Marseille, 1804, p. 26 et suiv.
TOM. i.
18
�— 274 —
veille ; et lorsque Madame de Tencin , qui conser
vait encore le crédit qu’elle devait à sa souplesse
artificieuse, ambitionna l’honneur de se faire recon
naître de d’Alembert, l’illustre géomètre, ne voyant
que les inspirations de la vanité dans ce réveil
tardif de la tendresse maternelle, se prit à répondre
soudain : « la vitrière seule est ma mère. » 1
1. H isto ire d e F ra n c e pendant le dix-huitième siècle par M. Charles
Lacretelle, cinquième édition, t. 3, p. 81.
�CHAPITRE XII.
S E R V IC E
nu
I.A
P H A R M A C IE .
Pendant le moyen-âge un apothicaire de la ville fournit à l’hôpital
Saint-Esprit tous les médicaments nécessaires. — Plus tard un
apothicaire sert à poste fixe dans cette maison. — Compagnon
gagnant maîtrise par un service de six ans. — Divers détails à ce
sujet. — Désignation des divers apothicaires de l’hôpital. — Débats
entre le Corps des maîtres apothicaires de Marseille et les rec
teurs de l’Hôtel-Dieu à propos du gagnant maîtrise.— Les recteurs
l’emportent et leur privilège est maintenu. — Elèves apothicaires.
— Etablissement d’un apothicaire-major. — Règlement sur son
service. — Nomination de Cabrolier.
Pendant tout le moyen-âge, le service de santé
de THôtel-Dieu de Marseille n’eut pas assez d’im
portance pour nécessiter l’établissement d’une bou
tique d’apothicaire dans cette maison , et les rec
teurs choisissaient l’un des maîtres apothicaires de
la ville pour la fourniture des médicaments. Les
archives de l’hôpital nous ont transmis les noms de
quelques-uns de ces anciens maîtres. Bernard Ros-
�— 276 —
than le servait en 1397-1398 ; 1 Bernard Maysimin
en 1408-1409; son compte, pour cette année ad
ministrative, monta à la somme de soixante-cinq
livres quatre sous. 2 Jacmet Arnaud faisait le ser
vice l’année suivante. ^ En 1416, Huguet Baron
reçut en plusieurs paiements trente-trois livres
pour diverses fournitures de sa boutique d'apothi
caire. 4 Baron servait encore l'hôpital en 1417 et
1418. 5 Honorât Dop fut choisi pour ce service en
1434, 6 et Giraud Manenc en 1498. La note des
1. Avem pagat à Bernar Rosthan boticari per las causas de sa botiga. . . vu lib. 1 s. mi d.
A Bernar Rosthan boticari xx lib.
Registre coté CG des recettes et dépenses de l’hôpital Saint-Esprit
de Marseille , d597-1398, fol. 38 recto et 44 verso , aux archives de
l’Hôtel-Dieu.
2. Preniierament avem pagat a Bernar Maysimin botiquari per las
medisinas e autras causas que apartenon a malautes de sa botigua com
apar per los contes près per Bernar Elies e per Bertran de Rocafort.
Registre coté CG des recettes et dépenses de l’hôpital Saint-Esprit de
Marseille, 1408-1409, fol. 83 recto, aux mêmes archives.
3. Ay paguat a Jacmet Arnaut boticari de so que li deu lespital
viiii lib. Registre MM des recettes et dépenses de l’hôpital Saint-Es
prit de Marseille, 1409-1410, fol. 79 verso.
4. Registre coté PP des recettes et dépenses du même hôpital ,
1416- 1417, chapitre in titu lé: despensas de pensions de m eges , de
surgians e de boticaris cals que sian en lan davant dich
fol. 39 recto, aux m êm es archives.
mccccxvi,
3. Registre coté QQ des recettes et dépenses du même hôpital ,
1417- 1418, fol. 48 recto, aux mêmes archives.
6. Registre coté C des recetteset dépenses du même hôpital, 1434,
fol. 34 recto, aux mêmes archives.
�médicaments fournis par cet apothicaire monta ,
pour un an à peu près, à quatre livres quatre
sous huit deniers. 1 Giraud Manenc continua de
faire des fournitures à l’hôpital, et le 11 février
1499 l'économe lui compta vingt-huit livres deux
sous dix deniers pour le montant de sa note de
puis le 15 novembre 1498 jusques au 22 janvier
1499. 2
Comme on le voit, l'apothicaire de l’hôpital lui
fournissait tous les médicaments , sans venir dans
la maison où il n'avait rien à faire.
Plus tard on changea de système. On établit dans
l'hôpital même un dépôt de matières pharmaceu
tiques ainsi qu’un laboratoire, et l’un des apothi
caires de la ville vint y faire ses préparations.
Nommé par les Consuls, il avait le titre d’apothi
caire des hôpitaux, parce qu’il était également
chargé du service des autres maisons hospitalières
1. Aquel jorc xvn del dich mes de julh paguiey a la botiga del sen
Giraut Manenc aboticari per totas las causas que avian preses a son
obrador o a sa botiga per Iespital tant de temps de sen Fabian fin
aquesta jornada que monta al tôt mi lib. m is. vm d. Livre des re
cettes et dépenses de 1498-1499, fol. 70 recto.
2. Aquel jorc paguiey a maistre Giraut aboticari per totas la causas
que avia agudas Iespital de sa botiga corne apar particularmensper son
libre commensat xv de novembre fin xvu de ginoyer en xxn summas
de son libre ausis los contes per sen Guilhen de Cavalhon e per mon
compayre Isnart Ricau montât attot xxvm lib. n s. x d. Même livre
des recettes et dépenses de 1498-1499, fol. 96 recto.
�— 278 —
de Marseille. A la fin dû seizième siècle, l'apothi
caire Claude Thomet exerçait cette charge, et la ville
lui donnait neufécus trente-six sous de gages par an.1
Après cette époque, nous croyons que ce fut dans
les premières années du dix-septième siècle , l’ad
ministration municipale supprima l’emploi d’apo
thicaire des hôpitaux, et les recteurs de la maison
du Saint-Esprit choisirent un simple compagnon
apothicaire pour le service du laboratoire que l’on
conserva dans l’hôpital où ce compagnon eut sa
demeure fixe, comme quelques autres officiers de
la maison. Pour qu’il présentât toutes les garan
ties de capacité , on le soumit à un examen avant
son entrée en charge. Son exercicé durait six ans.
Il prenait le titre de maître apothicaire de Phô
pital ; mais , à la fin de son service , il n’entrait
pas de plein droit dans le corps des maîtres apo
thicaires de Marseille et ne pouvait y avoir bou
tique ouverte. Pour jouir de cet avantage, il fallait
qu’il sortît vainqueur d’une nouvelle épreuve. Il
était encore examiné par trois docteurs en méde
cine et trois maîtres apothicaires choisis par les
administrateurs de l’hôpital qui assistaient à la
séance. Si le rapport lui était favorable, des lettres
de maîtrise d’apothicaire lui étaient expédiées par
1 Compte de Melchior Médicis , trésorier des deniers communs de
la ville de Marseille, 1595-1596 , fol. 27 verso, aux archives-de l’Hôtel-de-Ville.
�les échevins de Marseille, et quelque fois par le
roi lui-même, quand on voulait accorder à des
services signalés une récompense plus solennelle.
Dans l'un comme dans l’autre cas , le compagnon
qui obtenait des lettres de maîtrise , après six ans
de service à l'hôpital, devenait membre de la cor
poration des apothicaires de Marseille lesquels étaient
tenus de le recevoir , et dès ce moment rien ne l’em
pêchait d’ouvrir boutique dans la ville et les fau
bourgs.
En 1624, l’hôpital traita directement avec un
maître apothicaire de la ville pour le service de la
maison. Par acte du 20 juin, maître Balthasar Capel s’engagea en faveur des recteurs Jean Seigneuret,
François Blanc , François d'Anthoine et François
Bonnecorse, « à travailler du dict estât d’apothi» caire pour les pouvres du dict hospital et domesti« ques d’iceluy, en tout ce que seroit de besoing,
» pendant le temps et terme de trois années , pen» dant lequel temps le sieur Capel ferait sa fonc» tion dans la boutique qui est dans le dict hos» pital et dans laquelle les dicts sieurs recteurs
» seraient tenus luy fornir les drogues et ingré» dients nécessaires, fors les herbes requises qui
» se trouvent au terroir , que le dict Capel serait
» teneu d’aller cuillir. » 1
1. L iv r e - T r é s o r B de l’hôpital Saint-Esprit et Saint-Jacques-de-Galice, de 1616 à 1654, fol. 158 recto et verso.
�—
280
—
Les recteurs s obligent à leur tour à nourrir Capcl aux frais de l’hôpital et à lui donner pour sa
laire cent huit livres par an payables par trimes
tre. Défense lui est faite de travailler pour des
personnes étrangères à l’établissement pendant le
cours de son service.
On revint un peu plus tard à l’ancien système ,
c’est-à-dire que l’on fit choix d’un simple compa
gnon apothicaire à demeure fixe dans l’hôpital. En
1651, le nommé Alexis tenait la boutique de phar
macie. Le bureau le révoqua de son emploi au
commencement du mois d’octobre. Le cinq novem
bre , l’administration eut une séance à laquelle as
sistèrent les trois docteurs en médecine Biaise Pons,
Augustin Lamdon et Pierre Beau, et les trois maî
tres apothicaires jurés Pierre Granier, Louis Feau
et Jean François, syndics du corps. André de Gaspari, l'un des recteurs, exposa que depuis un
mois « la boutique se trouvait dépourvue d’apothi» caire, et pendant ce il se serait présenté quel» ques compagnons pour estre receus, et , entre
» autres Lavoiture et François Lapierre , les quels
» auraient fait offre de subir examen, en présence
» des recteurs de l’Hôtel-Dieu , des médecins de la
» ville et maistres apothicaires jurés d’icelle. »
André de Gaspari ajoute quelques observations.
Après quoi les docteurs en médecine et les maîtres
apothicaires jurés « uemonstrent qu’il est important
�» et nécessaire que celuy qui aura la direction de
» la dicte boutique soit homme capable, vigilant
» et fidèle pour avoir soin particulier des pouvres
» malades et qu’il sache faire bien les compositions
» des médicquements, et puisque messieurs nous
» ont fait l’honneur de nous assembler dans ce
» bureau cejourd’hui pour entendre et examiner
» les sus dicts compagnons apothicaires touchant
» leurs vaccations, nous acceptons cette offre comme
» estant une œuvre si charitable. »
Aussitôt les maîtres apothicaires procèdent à l’exa
men des deux candidats, en présence des recteurs
et des médecins. L’épreuve étant terminée, les trois
docteurs et les trois maîtres déclarent d’un com
mun accord que « celui qui a plus pertinemment
» respondu aux interrogats tant sur la composition
» des médicquements que aultres choses est le sieur
» Lapierre plus propre et capable de remplir la dicte
» charge d’apothicaire pour la boutique du dict
» hospital et avoir la direction d’iceluy.»
Et de suite André de Gaspari proclame Lapierre
apothicaire de l'Hôtel-Dieu, aux conditions qui sui
vent : « et sera tenu de travailler tant pour les pou» vres malades du dict hospital que domestiques
» d’iceluy , sans qu’il puisse néantmoins travailler
» ni employer à aultres usages ni pour aultres cho» ses ni personnes que celles qui dépendent du dict
» hospital , tant qu’il aura la direction de la dicte
�» boutique , aux gaiges accoutumés. Ne pourra le
» dict Lapierre aller prendre ni achepter aucune
» drogue ni aultres choses sans un billet signé des
» dicts sieurs recteurs ; et sera fait inventaire de
» tout ce qui est à sa boutique. »
Lapierre remercie les recteurs de THôtel-Dieu.
Il dit qu’il « tiendra bien la dicte boutique et pro» met de travailler avec tous les soins, diligence
» et fidélité qu'il lui sera possible pour donner sa» tisfaction aux malades. » i
Telle était la forme de la nomination des com
pagnons apothicaires de THôtel-Dieu de Marseille.
Alexis, dont je viens de parler, eut tour-à-tour pour
successeurs Jacques Garnier, Yasse, François Barralier, Esprit Jauffroy et Joseph Arvely. Garnier fut
renvoyé, le 9 février 1656, « pour n’avoir prins
» le soin qu’il seroit nécessaire dans l’administration
» de sa boutique ni gardé la modestie dans ses
» mœurs.» 2 Les autres, après leur exercice ré
gulier, obtinrent des lettres de maîtrise. 3
Le 4 septembre 1670, Claude Truillier, apothi1 Libvre où sont contenus tous les bureaux tenus par messieurs
les recteurs de l’hospital Saint-Esprit et Saint-Jacques-de-rGalice, unis
ensemble, acomancé le septiesme novembre 1620. Registre in-fol. p.
207 recto et verso, et 208 recto, aux archives de l’Hôtel-Dieu.
2 Libvre des délibérations faictes par messieurs les recteurs de l’hos
pital Saint-Esprit et Saint-Jacques-de-Galice de ceste ville de Mar
seille touchant les affaires de politique , acomancé le 28 décembre
1656, in-fol. page recto , aux archives de l’Hôtel-Dieu.
5. Meme registre , fol. 77 verso et 78 recto.
�— 283
caire de THôtel-Dieu, venait de terminer ses six
ans de service. L’administration, voulant le rem
placer par la voie du concours, selon l’ancienne
coutume , invita les maîtres apothicaires jurés à
se rendre à l’hôpital pour l’examen des candidats.
Les apothicaires jurés s’y refusèrent, et le bureau
leur signifia, par huissier , une sommation aux
fins de comparaître le jour fixé, quatre septembre.
L’acte disait qu’en cas de refus les médecins or
dinaires examineraient eux-mêmes les concurrents ,
et c’est ce qui fut fait.
Les trois docteurs Broglia, Joannis et Fresquière
interrogèrent successivement, en présence des rec
teurs , les deux candidats Chastaignier et Livon ,
compagnons aspirants. Le premier ayant été jugé
le plus capable , les recteurs le firent entrer, et le
président semainier, Antoine de Félix , lui recom
manda d’être assidu dans la maison , d’avoir soin
des pauvres malades « et de prendre bien garde aux
» ordonnances de messieurs les médecins pour les
» suivre de point en point ; et qu’il ne lui était per» mis de faire aucune composition précieuse, comme
» la thériace et autres , qu’en présence des dicts
» médecins. »
Chastaignier promit de remplir toutes ces obliga
tions et fut installé dans son poste. 1
1 Libvre dans lequel sont insérées les délibérations des bureaux
tenus par messieurs les recteurs de l’Hôtcl-Dieu de Marseille , du 6.
�Quelques années après , de nouvelles obligations
furent imposées à l’apothicaire de l’Hôtel-Dieu de
Marseille. Le 19 juin 1681 , André Laurent ayant
été reçu en la forme ordinaire , de Vento, président
du bureau , lui déclare qu’il sera tenu, pendant six
ans consécutifs
« d’assister aux visites de messieurs
/
» les médecins et prendre leurs ordonnances qu’il
» écrira premièrement sur les cartons qui sont at» tachés à chaque lit auquel il sera obligé d’écrire
»'le nom et surnom du malade, la qualité etquan» tième de sa maladie et le jour de son entrée, le
» tout en lettres intelligibles ; et après avoir fait sa
» visite, en prendra le rôle sur sa main courante
» pour ensuite aller faire ses médicaments , et aussi
» ne manquer jamais au dîner et souper des ma» lades ; comme aussi le dict Laurent ne pourra
» faire aucune composition purgative , ni aultres
» célèbres , comme la thériaque, mytridate , con» fection d’alkermès et de hyacinthe, sans en aver» tir un des recteurs qui appellera les médecins ser» vant l’hospital pour être présents aux dictes com» positions, moyennant quoi lui sera payé cent
» vingt livres toutes les années pour ses salaires,
» et jouira de tous les avantages qu’ont jouy ses
» devanciers dans la maison. ».
novembre 1670 au 26 octobre 1675, H. fol. 59 verso e! 60 recto ,
aux archives de l'Hôtel-Dieu.
�— 285 —
André Laurent vint, selon la coutume , remercier
le bureau. Il promit de servir, aux conditions im
posées. 1
L’apothicaire Croisset servait Thôpital en l’année
1689. 2 II était logé, nourri et blanchi dans la mai
son et il avait cent vingt livres de gages par an ,
comme ses prédécesseurs et comme ceux qui lui
succédèrent dans ce poste. 5
Claude Truillier, dont je viens de parler, ayant
demandé ses lettres de maîtrise après un service de
six ans, la communauté des maîtres apothicaires, à
l’exemple du corps des maîtres chirurgiens, se mit
à contester à l’administration de l’Hôtel-Dieu l’exer
cice de son privilège. Les deux syndics Bigarron et
Arnieu se présentèrent au bureau le 19 octobre
1673 pour lui déclarer que la ville n’avait pas le
droit de donner des lettres de maîtrise aux compa
gnons ou garçons apothicaires qui sortaient de l’hô
pital ; que ceux-ci n’étaient pas capables de régir
i
1 Libvre dans lequel sont insérées les délibérations des bureaux
tenus par messieurs les recteurs de l’hospital Saint-Esprit et SaintJacques-de-Galice de ceste ville de Marseille . du 7 novembre 1675
au 6 octobre 1684., in-fol. p. 124 verso et 125 recto.
2 Libvre F. des délibérations des bureaux de l’hospital Saint-Es
prit et Saint-Jacques-de-Galice, du 2 novembre 1684 au 28 août 1692,
fol. 24 verso.
3. Registre G des délibérations du bureau de l’Hôtel-Dieu de Mar
seille, du 11 septembre 1692 au 27 septembre 1705, fol. 17 recto et
verso.
�—
286
—
des boutiques dans la ville; que s'ils voulaient être
agrégés au corps, ils devaient subir les examens
ordinaires, faire leurs chefs-d’œuvre et se soumettre
aux autres conditions.
On leur répondit que les échevins avaient toujours
eu le privilège d'expédier des lettres de maîtrise aux
apothicaires et aux chirurgiens qui avaient gagné
leur titre par six ans de service à l’Hôtel-Dieu.
Que tous les maîtres dans ces deux arts ne pou
vaient même ouvrir leurs boutiques en ville sans
l’autorisation des échevins, et que si le corps des
apothicaires continuait à s’opposer à ce que Truillier ouvrit la sienne, on saurait bien, par des
voies de justice, rendre impuissante une opposition
si mal fondée.
Sur cela, maîtres Bigarron et Arnieu demandè
rent du temps pour conférer avec le corps tout en
tier, et le bureau leur accorda quelques jours. 1
Le résultat de cette conférence fut un procès
devant le parlement d’Aix, auprès duquel les apo
thicaires de Marseille se pourvurent pour que les
échevins fussent déchus du droit qu’ils s’étaient ar
rogé , et que les compagnons ou garçons ne pussent
obtenir des lettres de maîtrise qu’après un exa
men auquel le corps lui-même, en la personne de
1. Registre des délibérations du bureau de l’Hôtel-Dieu de Marseille,
du 6 novembre 1670 au 26 octobre 1675, fol. 65 verso 66 recto ,
aux archives de l’Hôtel-Dieu.
�%
— 287 —
ses syndics, les soumettrait ; ■ que les candidats au
raient de plus un chef-d'œuvre à faire , les droits
ordinaires d’examen à payer et encore à verser le
droit de réception dans la caisse commune.
Sur la demande de Truillier, l’administration de
l’Hôtel-Dieu intervint pour lui au procès.
Le 18 juin 1676, l’économe Estienne annonça
au bureau que le parlement venait de rendre un
arrêt ordonnant que Truillier tiendrait boutique
ouverte dans la ville de Marseille, en ne subissant,
conformément au droit de l’hôpital, qu’un examen
sans frais , et que cet arrêt dit de réglement ser
virait à l’avenir pour tous les compagnons ou gar
çons apothicaires gagnant maîtrise à l’Hôtel-Dieu,
comme par le passé. 1
Les échevins, de leur côté, s’adressèrent à l’au
torité souveraine , et au mois de juillet de la même
année 1676 le roi signa des lettres patentes dans
le sens de l’arrêt du parlement de Provence. Il
fut dit que les examinateurs des gagnant maîtrise,
après le service de six années, seraient un méde
cin, un chirurgien et un apothicaire, choisis par
les recteurs de l’Hôtel-Dieu en présence desquels
l’épreuve serait faite; que les échevins et le lieu1. Livre-Trésor C de l’hôpital Saint-Esprit et Saint-Jacques-de-Galibe, 1664. à 1686, fol. 121 aux archives de l’IIôtel-Dieu.— Registre
des délibérations des bureaux de l’Hôiel-Dieii, du 17 novembre 1675
au 6 octobre 1684, fol. 20 verso et 21 recto.
�— 288
tenant du sénéchal auraient aussi le droit d’y as
sister. 1
Le corps des apothicaires ne se soumit qu’avec
impatience et murmure. Il se mit soudain en re
cherche des occasions qui pouvaient faire naître
quelques avantages pour lui ou tout au moins at
ténuer l’effet des actes de la volonté royale et du
pouvoir judiciaire. Il fit sa première tentative le
26 janvier 1679. Les syndics du corps vinrent re
présenter au bureau de l’Hôtel-Dieu qu’il n’était
pas raisonnable que les compagnons , servant la
pharmacie de l’hôpital pendant six années, jouis
sent après ce service des mêmes droits que les
maîtres apothicaires de la ville. Ils supplièrent le
bureau de permettre que ces compagnons , à la fin
de leur exercice, fussent examinés par les syn
dics et soumis de plus à la confection d’un chefd’œuvre , règle générale pour toutes les commu
nautés d’arts et métiers.
Le bureau délibéra qu’il n’y avait qu’à s’en rap
porter aux lettres patentes de 1676. 2
Ces lettres patentes disaient bien que le garçon
apothicaire gagnant maîtrise pourrait, après six
ans de service et sur le rapport favorable des exa
minateurs, ouvrir boutique dans la ville et les fau1 Même registre des délibérations, fol. 29 verso et 50 recto.
2 Même registre, fol. 81 verso.
�— 289
bourgs. Mais appartenait-il de plein droit à l’agré
gation des maîtres? y entrait-il sans autres condi
tions et sur un pied d'égalité complète? Plusieurs
apothicaires de Marseille soulevèrent cette question ,
affirmativement résolue par de nombreux précé
dents et par un usage invariable , mais sur laquelle
cependant le dernier acte de l'autorité souveraine
ne s’expliquait pas suffisamment. En 1722, Crozet
et Rimbaud, qui avaient gagné leur maîtrise , fi
rent des démarches pour obtenir leur agrégation
au corps des maîtres apothicaires de Marseille. Ce
corps eut une assemblée que de longs débats agi
tèrent. La majorité adopta la demande des postu
lants; mais la minorité fit scission et l'affaire fut
portée devant le parlement d’Aix. Le 26 novembre
de la même année , le bureau de l’Hôtel-Dieu dé
libéra d’intervenir au procès en faveur de Crozet
et de Rimbaud. 1 A la prière du bureau, les échevins intervinrent à leur tour.
Le parlement rendit, le 11 juillet 1723, un arrêt
portant qu’on se pourvoirait au Conseil du roi en
interprétation des lettres patentes de 1676 sur les
termes de l’agrégation au corps des apothicaires, et
le 22 du même mois de juillet, le bureau de
l’Hôtel-Dieu délibéra de prendre lui-même l'initia1 Registre coté K des délibérations du bureau de l’Hôtel-Dieu , du
12 janvier 1721 au i juillet 1720, fol. OS recto.
TOME i.
19
�290
tive de ce pourvoi pour obtenir en toute diligence
une interprétation devenue nécessaire. 1
Le 13 juin de l’année suivante, les syndics des
maîtres apothicaires de Marseille firent signifier au
bureau de f Hôtel-Dieu un arrêt du Conseil du
roi, rendu à Versaille le 18 mars et portant que
les garçons apothicaires, gagnant maîtrise à l’Hôtel-Dieu de Marseille, ne seraient reçus , à la fin
de leur service de six ans, maîtres dans cette
ville, que pour y avoir boutique ouverte, comme
on le pratiquait à Paris, Lyon et quelques autres
ailles, sans être agrégés pour cela au corps des
apothicaires , à moins qu’ils ne se conformassent
aux statuts de ce corps. L’arrêt ordonnait néan
moins que , sans tirer à conséquence pour l’avenir,
Crozet et Rimbaud entreraient dans l’agrégation
pour y jouir de tous ses privilèges.
Le bureau de f Hôtel-Dieu s’assembla le lende
main de la signification de cet arrêt. Il le consi
déra comme surpris à la religion des juges qui
l’avaient, rendu, approuva l’opposition que Me Lenoir , avocat au Conseil, y avait déjà formée, et
délibéra de former de son chef une opposition nou
velle , en tant que besoin serait. 2
De leur côté, les échevins de Marseille, en vertu
1. Môme registre K, fol. 80 recto.
2. Même registre K, fol. 106 recto.
�t
— 291 —
d’une délibération du conseil municipal du 6 février
1725, intervinrent dans cette instance au nom de la
ville, en faveur de l’administration de l’Hôtel-Dieu. 1
Nous ne connaissons pas le résultat de cette af
faire, mais il y a tout lieu de penser que l’in
terprétation définitive des lettres patentes de 1676
fut favorable aux garçons apothicaires gagnant
maîtrise.
Telle était la situation de la pharmacie de l’Hôtel-Dieu de Marseille en 1759. Le 22 novembre
de cette année , l’administration de l’hôpital déli
béra qu’à l'avenir il ne pourrait y avoir plus de
six élèves apothicaires, et que nul enfant de la
maison ne parviendrait à la chirurgie qu’après avoir
passé par la pharmacie ; que le choix des élèves
apothicaires ne dépendrait que des directeurs char
gés de ce service, lesquels se décideraient en fa
veur de ceux qui montreraient le plus de dispo
sition et d’intelligence ; qu’on les choisirait parmi
les enfants de dix à douze ans ; qu’à l’exception
de celui qui serait désigné comme aspirant à la
maîtrise , ils passeraient tous par rang d’ancien
neté et suivant leur plus ou moins d’instruction à
l’état d'élève en chirurgie. 2
1. Registre 127 des délibérations municipales, année 1725, fol. 12
verso et 15 verso, aux archives de la ville de Marseille.
2. Livre coté P des délibérations du bureau de l’Hôtel-Dieu , du
1er juin 1758 au 29 août 1765, fol. 40 verso et 41 reclo
�Le 14 août 1765 , Pinatel , président semainier,
proposa l’établissement d’un apothicaire-major pris
dans le corps des maîtres de Marseille. Le bureau
nomma son président et Gravier, l’un de ses mem
bres , pour choisir l'apothicaire le plus propre à
cet emploi et on leur donna aussi le pouvoir de
faire un projet de règlement pour la pharmacie. 1
Les deux commissaires ne firent pas attendre la
présentation de leur travail , et le bureau s’en oc
cupa le 22 du meme mois. Remusat le présidait
alors. Il annonça que ses collègues Pinatel et Gra
vier avaient fixé leur choix , pour la place d’apo
thicaire-major , sur Cabrolier, maître apothicaire
de Marseille , dont la capacité et le zèle pour le
service des pauvres étaient connus du bureau.
Cabrolier en effet avait déjà servi, en qualité de
garçon apothicaire gagnant maîtrise, l’hôpital où
il était entré le 21 novembre 1758, en rempla
cement de Chanteduc qui y avait gagné sa maî
trise , 2 et il venait de la gagner lui-même après
six ans de service. Remusat ajouta que ces com
missaires avaient rédigé les règlements.
Aux termes de ces statuts l’apothicaire-major
devait faire, toutes les semaines , quatre visites au
moins à la pharmacie, veiller à ce que les garçons
1. Même livre coté P, fol. 186 verso.
2. Même registre coté P, fol. 15 verso et 14 recto.
�— 293
composassent les remèdes selon le formulaire et
à ce qu’ils remplissent leur tâche avec exactitude.
On lui imposait divers autres devoirs dans l’in
térêt du service pharmaceutique.
Le bureau approuva les propositions de ses com
missaires et les convertit en délibération. Cabrolier
fut ainsi nommé aux fonctions d'apothicaire-major
pour les exercer , en conformité du règlement, aux
honoraires de deux cents livres par an, avec une
gratification de cinquante livres, selon que le bureau
serait satisfait de ses services.
Cabrolier, mandé à l'instant, prit connaissance de
cette délibération , en accepta tous les termes ,
remercia le bureau de son témoignage de confiance
et promit de s’en montrer toujours digne par l’ac
complissement de ses devoirs. 1
1. Même livre coté P, fol. 187 recto et verso, et 188 recto.
�CHAPITRE XIII.
T R A IT E M E N T D E S M A L A D IE S V É N É R IE N N E S .
Les vénériens ne sont pas admis à l’Hôtçl-Dieu de Marseille.— Obser
vations sur les maladies syphilitiques» — Elles ne paraissent en
Provence qu’à la fin du 15e siècle. — Ravages quelles y font. —
Excès de la débauche publique. — Règlements municipaux poul
ies femmes de mauvaise vie. — Lieux publics de prostitution. —
Incertitudes de la science pour la guérison du mal vénérien. —
Embarras de l’administration de l'Hotel—Dieu de Marseille. — Dé
libérations relatives aux secours à donner aux vénériens.— Pro
jets d’arrangement avec l’administration municipale et diverses
œuvres de bienfaisance. — Obstacles qui entravent l’exécution de
ces projets.— Les maux syphilitiques continuent leurs ravages.—
Quelques vénériens sont reçus à l’Hôlel-Dieu de Marseille en
payant une indemnité.
L’Hôtel-Dieu de Marseille ne recevait pas tous
les malades. Les pauvres tourmentés du scorbut et
des affections cancéreuses n’y pouvaient entrer. Les
galeux n’y étaient pas admis, à moins qu’ils n’eus
sent une grande fièvre. 1 Plus tard on délibéra de
1. Séance du 19 février 1682, dans le registre des délibérations du
bureau de l’Hôtel-Dieu, du 7 novembre 1673 au 6 octobre 1684, fol.
156 recto.
�— 295
ne plus recevoir les femmes malades qui seraient
grosses de plus de cinq mois. 1
Cet hôpital repoussait aussi les vénériens. 2 II
suivait en cela l’exemple des autres hôpitaux du
royaume dont les règlements prohibaient le traite
ment des maux syphilitiques, parce qu’ils avaient
été faits dans un temps oh ces maux passaient pour
incurables. 3
Bien des maladies impures se déclarèrent après
les croisades. Je veux surtout parler des affections
des parties génitales. Une incroyable débauche fut
la suite de la grande disproportion qui existait entre
les deux sexes, car après les guerres saintes on
comptait presque généralement en Europe sept fem
mes contre un seul homme. 4 Ces maladies que les
anciens avaient aussi connues et que sans doute il
ne faut pas confondre avec la véritable syphilis, fu1. Séance du 7 février 1709 dans le livre E des délibérations du bu
reau de l’Hôtel-Dieu de Marseille, du 2 juillet 1705 au 4 avril 1715,
fol. 75 verso.
2. Voyez dans les divers registres des délibérations du bureau de
l’Hôtel-Dieu les séances du 13 avril 167.2, 10 janvier 1675, 4 juillet
1675, 26 avril 1681, 21 août de la môme année, etc.
3. M é m o ire s u r les E n fa n ts T r o u v é s , présenté à Messieurs les Procu
reurs du pays de Provence par les recteurs de l’hôpital général SaintJacques de la ville d’Aix. A ix, chez Esprit David, 1780, petit in -4°,
p. 10. — Coriolis, T r a ité s u r l ’A d m in is tr a tio n d u C om té d e P r o v e n c e ,
t. 1, p. 256.
4. H isto ire de la M é d e c in e , par Kurt Sprengel, traduite de l’Alle
mand sur la seconde édition, par Jourdan. Paris, 1815, t. 2 , p. 376.-
�rent-elles contagieuses ? On ne le croit pas commu
nément. L’époque précise de la première apparition du
mal vénérien en Europe , avec ses symptômes et ses
variétés, paraît incertaine, .et l’on ne sait pas mieux
de quel endroit est venu ce mal terrible qui empoi
sonne les sources de la vie. 1
Nous n’en trouvons aucune trace en Provence
avant 1496, et les archives de la petite ville de
Manosque sont les premières qui nous en révèlent
l’existence. On y lit qu’un nommé Peirache Durez,
qui avait la direction des fours banaux, fut, cette
année, expulsé de son poste, parce qu’il était atta
qué de la maladie dite de las bobas que quelques
gens de guerre qui servaient en Italie avaient, l’an
née précédente, apportée dans notre pays de Pro
vence où cette maladie, ajoute le même titre, ne
s’était pas encore montrée. 2
L’alarme fut générale, mais comme la débauche,
1. L’érudition mcdico-historique s’est beaucoup exercée sur cette
grande question qui a servi de texte à plusieurs ouvrages. Astruc, entre
autres auteurs, s’est distingué.Voyez aussi le T r a ité de S iv e d ia a r. Paris,
1809, t. 1, introduction, page 11 et suivantes. — L ’H isto ire d e la M é
d e cin e d e p u is so n o rig in e j u s q u ’a u d ix -n e u v iè m e s iè c le , par le docteur
Henouai'd. Paris, 184-G, t. 2 , p. 90 et suivantes.— L ’H isto ire d e la
M é d e c in e , par Daniel Leclerc, nouvelle édition, la Haye, 1729, p. 78G
et suivantes. — D ic tio n n a ire d es S c ie n c e s m é d ic a le s. Paris, chez Panckoucke, t. 5 4, p. 132 et suiv. — H isto ire d e la P i'o slitu lio n c h e z tous
les P e u p le s d u M o n d e , depuis l’antiquité la plus reculée jusqu’à nos
jours, par Pierre Dufour. Paris, 1851, t. 1, p. 152 et suiv.
2. H isto ire de la V ille d ’A i x , par Pitton, p. 246.
�plus générale encore, n’était retenue par aucun frein,
le fléau fit d'autant plus de progrès que les hommes
de l’art n’y pouvaient rien. Entre tant d’autres té
moignages de terreur et d’ignorance, j’ai à citer une
ordonnance qui prescrivait aux barbiers de ne pas
raser les vénériens , de peur qu’avec le même rasoir
ils ne communiquassent le mal à des personnes
saines. 1
À la fin du quinzième siècle et au commencement
du seizième la syphilis faisait les affreux ravages
que Fracastor a décrits au début de son poème. 2
Antonius Arena put alors dire sans exagération :
Per totum mundurn grossa verola vogat. 3
La hideuse maladie précipita dans la tombe la
plupart des malheureux qui s’en virent atteints. A
Marseille, bien des personnes mouraient encore de
la syphilis vers le milieu du dix-septième siècle. 4
Presque tous les jeunes marins en étaient infectés. 3
1. Pitton . ibid. p. 247
2. Hieronimi Fracastorii syphilis, lib. 1.
3. Antonius de Arena Provençalis de Bragardissima villa de Soleriis
ad suos compagnones, etc. Londini, 1756, de guerrâ Romanâ, p. 11.
4. Délibération des recteurs de l’hôpital général de la charité de
Marseille, du 8 mars 1665, dans le registre n° 4, aux archives de
l’Hôtel-Dieu.
5. Le Timon et Carte de Navigation des Jeunes Chirurgiens Navi
guants, par Henri David, bourgeois, maître juré en chirurgie. Marseille,
chez Pierre Mesnicr, 1675, p. 150.
�— 298 —
On parfumait les malades et on les frottait d’onguent.
De Castelmont, médecin d’Aix, avait placé les ma
ladies des parties génitales au nombre des affections
que les bains de cette ville pouvaient guarir, moyenant la grâce de Dieu. 1 Scholastique Pitton , autre
médecin d’Aix, conseillait l’usage des bains chauds,
comme un remède suprême, pour faire exhaler le
venin. 2 Longtemps avant Pitton , le docteur Sébas
tien Richard avait exprimé une opinion bien diffé
rente sur les bains de Digne. Il pensait que les vérolés n’avaient rien à en espérer, « l’indisposition
» chaude de leur foye y empirant, et les humeurs
» crasses y estant fondues et non pas dissipées, en» durcies plustost que seichées.» 3
L’opinion de Richard n’était pas celle de tous les
médecins provençaux. On en voyait qui attribuaient
aux bains de Gréoulx beaucoup d’efficacité pour
guérir les carnosités véroliques. /AA la même époque,
1.
u ser,
T ra ic lè des B a in s de la V ille d ’A ix -e n -P r o v e n c e et la m a n iè re d ’en
par le sieur de Castelmont, médecin espargérique. A Aix , chez
JeanTolosan, 160 0 , in -1 2 , p. 10.
2. L e s E a u x C h a u d e s de la v ille d ’A i x , de le u r V e r tu , e tc ., par
Pitton. Aix, 1678, p. 106.
3. L e s B a in s d e D ig n e e n P ro v en c e , par S. Richard, docteur en
médecine de l’université de Montpellier, habité à Marseille. Lyon, 1619>
p. 131.
4. H y d ro lo g ie ou D isc o u rs des E a u x , contenant les moyens de cognoistre parfaitement les qualités des fontaines chaudes, tant ocultes
que manifestes, et l’adresse d’en user avec méthode, et particulière
ment de celles de Gréaux, par Jean de Combe, D. M. Aix, 1645,
p. 551 et suivantes.
�— 299
Nicolas Chcsneau, médecin de Marseille, qui se fit
un assez grand nom dans la pratique de son art, 1
donna souvent des soins à des vénériens de tout
âge et de tout rang. 2 Comme la plupart de ses con
frères provençaux, il vanta l’excellence des eaux
chaudes. 5
Au dire d’un autre docteur provençal, Jacques
Fontaine, la chair de perdrix soulageait les vé
nériens. 4
Les suites funestes de la débauche n’en arrê
taient pas les excès. La corruption des mœurs de
nos ancêtres est écrite sur tous les monuments de
l’histoire. Le moyen-âge, que tant de fictions poéti
ques nous représentent sous de fausses couleurs,
épuisa sa vie sociale dans des habitudes licencieuses
et ce ne fut qu’un temps de désordres affreux. Les
grands seigneurs avaient presque tous des enfants
illégitimes, et loin de les cacher, ils les mettaient
en scène. Le nom de bâtard n’avait rien de désho1. H isto ire des H o m m es illu stre s d e la P r o v e n c e , a n c ie n n e e t m o
d e r n e , par Achard, t. 1, p. 175 el 174.
2. Nicolai Chesneau M assiliensis, doctoris medici, O b serva tio n u m
M e d ic a r u m , libre quinque, editio nova. Lugduni Batavorum 1719,
p. 511 et sequent.
3. E p ito m e d e N a tu re l et V ir ib u s A q u a r u m et T h e rm a ru m B a rb o ta n e n siu m in C o m ita tu A u s c ita n e n s i , ou d’Armaignac, à la suite des ob
servations ci-dessus citées, p. 579 et suiv.
4. Jacobi Fontani Sammaximitani, primarii medici opéra. Colonise
allobrogum, 1615. De alimentis, caput xix, de perdicibus, p .558.
�300
norant. Les prêtres et les moines étaient tombés
dans un état de dépravation étonnante. 1
Les femmes de mauvaise vie avaient, dans cha
que ville , des rues pour Texercice de leur infâme
trafic qui devint une profession reconnue et soumise
à des règlements de police. 2 A Toulon on les con
signa dans un quartier qui leur fut donné pour'
demeure, 3 et on en fit de même à Arles 4 et à
Sisteron. 5
A Marseille les statuts municipaux défendaient à
ces femmes perdues d’avoir leur résidence dans le
voisinage des églises et dans celui du monastère
Saint - Sauveur, de porter des habits riches , des
1. Gallia Christiana, t. 1, in abbat. Montmajor, n° 12.— Institution
au Droit Ecclésiastique, par Fleury, nouvelle édition. Paris, 1767, t. 2,
p. 121 et 122. — Ancienne et Nouvelle Discipline de l’Eglise, par Louis
Thomassin, t. 1, p. 922 et 1312. — Pièces citées dans YHistoire des
Evêques de Marseille, t. 2 , p. 31 et su iv.— Histoire de Provence, par
Honoré Bouche, t. 1 , p. 691 et 746; t. 2 , p. 73, 201, 561 et 691.
— Histoire générale du Languedoc, par deux bénédictins de la congré
gation de Saint-Maur, t. 2 , p. 193, 1 96, 2 2 1 , 241, etc.
2. Mémoires sur l’ancienne Chevalerie, par De la Curne de SaintePalaye, t. 2 , p. 19.— Essais historiques sur Paris, par de Saint-Foix,
t. 3 , de ses œuvres com plètes, Paris, 1778 , p. 315. — Dulaure ,
Histoire de Paris , quatrième édition , t. 2 , p. 363.
3. Réglement municipal de Toulon fait dans le quatorzième siècle
et cité dans les Promenades de Toulon ancien et moderne , par Vienne,
archiviste de la ville, 1841, p. 52 et 53.
4. Mémoires historiques et critiques sur l'ancienne république d'Arles,
par Anibert, suite de la troisième partie, p. 561.
5. Histoire de Sisteron, tirée de scs archives, par Fd. de Laplanc.
Paris, 1844 , t. 2 , p. 469 et 470.
�—
301
—
pierreries et des couleurs éclatantes, pour qu’on ne
les confondit pas avec les femmes honnêtes. Lorsque
les prostituées contrevenaient à cette loi, on les con
damnait à une amende de soixante sous royaux
couronnés, et celles qui ne pouvaient la payer re
cevaient publiquement le fouet. 1 Les femmes impu
diques ne pouvaient aller aux bains qu’un jour de
chaque semaine , et ce jour était le lundi. Toute
contravention à ce règlement de la part des pro
priétaires de bains était punie d’une amende de
soixante sous royaux couronnés ; la peine contre
ces femmes elles-mêmes était arbitraire. 2
Les lieux publics de prostitution que le philoso
phe Montaigne estimait nécessaires 3 étaient multi
pliés à l'infini, e t, dans plusieurs villes , les admi
nistrations municipales les plaçaient sous leur di
rection. AToulonse, du temps des premiers comtes,
une maison de débauche avait été ouverte , aux
frais de la cité qui en tirait un bénéfice considé
rable et assurait ainsi le repos des femmes hon
nêtes. 4 Cet établissement, situé hors des murs ,
s’appela, la Grande Abbaie. 3 A Montpellier, la pros1 . S ta ta la M a ssilie , lib. v, cap. x u , de Meretricibus, lib. 106,
folio 106 verso , aux archives de la ville de Marseille.
2. S ta tu ta M a ss ilie , lib. v, cap. xm , de prohibitione facta judeis
et Meretricibus ne sint in stupis diebus prohibitis, fol. 107, recto.
3. E s s a is , liv. ii , chap. xii .
4. Catel, M ém o ire de l’H isto ire d u L a n g u e d o c , p. 187.
5. Pierre Dufour, H isto ire de la P ro stitu tio n ch ez to u s les p e u p le s d u
m o n d e , t. 4 , p. 23d et suiv.
�— 302 —
titution légale avait aussi son asile aux limites
extrêmes de la ville , sous la garde des magistrats
qui percevaient un impôt sur les femmes communes
et sur leurs fermiers privilégiés. 1 L'une des rues où
elles étaient reléguées , s’appelait la rue Chaude. 2
Il y avait aussi à Narbonne une rue Chaude qui
était pleine de femmes débauchées. 5 A Nîmes, 4 à
Salon, à Beaucaire, 5 on destina aussi des locaux
au logement des courtisannes réunies en commu
nauté , et le régime de ces maisons fut mis au
nombre des services publics.
La ville de Nice , qui fit long-temps partie du
comté de Provence, suivit cet exemple en 1503.
Les prostituées y étaient alors au nombre de soixante,
et le consul Honoré Lascaris les fit enfermer dans
une maison où elles exercèrent leur métier sous la
surveillance de la police. 6
1. Pierre Dufour, même ouvrage, t. 4 , p. 246 et suiv.
2. H isto ire d e la c o m m u n e d e M o n tp e llie r , par Germain, t. 2 ,
p. 371.
3. H isto ire g é n é ra le d u L a n g u e d o c , t. 4, p. 509.
4. H isto ire C ivile , E c c lé sia stiq u e et L itté r a ir e d e la v ille de N îm e s ,
par Ménard , t. 2, p. 1 18, et aux preuves, p. 138 — t. 4 , p. 91, et
aux preuves, p 9 8 , — t. 6 , p. 66.
5. P ré c is d ’u n m é m o ire s u r les m o n n a ie s , les r its , les m œ u rs et
les u sa g e s d u q u in ziè m e siècle en P r o v e n c e , par le président Fauris
de Saint-Vincens. Aix, 1817, p. 75 et suiv.
6. H isto ire de N ic e , depuis sa fondation jusques à l’année 1792, par
Louis Durante. Turin, 1823. t. 2 , p. 586.
�— 303 —
Avignon eut l’établissement le plus célèbre dans
ce genre , et le gouvernement de la reine Jeanne
le fit régir par des statuts de 1347 dont Astruc nous
donne le texte écrit en langue provençale. 1 On a dit
que ce savant médecin fut joué par quelques mysti
ficateurs spirituels qui s’amusèrent à ses dépens en
lui envoyant d’Avignon un manuscrit de leur in
vention. 2 D'un autre côté, on a soutenu l’authen
ticité des statuts d’une reine jeune et galante. 5
Quoiqu’il en soit de cette controverse, une maison
publique de débauche, instituée par l’administration
municipale , dut exister à Avignon , comme dans
les principales villes de Languedoc et de Provence ;
et l’on peut assurer que les curieux statuts du Bour~
deou privilégié de la cité papale où la prostitution
s’était installée à la mode italienne , sont, de tous
points, conformes à l’esprit et aux mœurs du qua
torzième siècle.
En exécution d’un arrêt du parlement de Pro
vence qui avait ordonné d’établir un Bourdeau à
Marseille , le conseil municipal de cette ville mit
l'affaire en délibération le 10 février 1543 , et s’en
1. T r a ité des M a la d ie s V é n é r ie n n e s , édition de 1748 , t. 1, p. 205
et suiv.
2. R ev u e A r c h é o lo g iq u e , deuxième année, Paris 1845 , article signé
Jules Courlet, pag. 158 et suiv.
5. Pierre Dufour, H isto ire de la P ro stitu tio n c h ez to u s les p e u p le s
da m o n d e , t. 4 , p. 251 et suiv.
�— 304 —
occupa eucore le 45 mai et le 28 octobre de la
même année, le 6 avril et le 28 octobre 4544, le
24 février 4545. 1 La ville acheta du nommé Claret
un terrain sous la hauteur des Moulins , assez près
de l’Hôtel-Dieu. Mais comme ce terrain était servile
au chapitre de la Major qui voulut le retenir par
droit de prélation , la ville se vit obligée d’aban
donner l'entreprise. 2
Le projet d’une maison publique pour y loger les
femmes de mauvaise vie fut repris par la ville de
Marseille quelques années après. Le 3 novembre
4555 , le conseil municipal chargea les consuls de
la construction d’un local « pour faire retirer les
» filles fallies et vivant indeignement pour obvier
» aux inconvénients que journellement advenoient
» à faulte de la dicte maison. 3 » Mais cette affaire
n’eut pas de suite et nous n’en voyons plus aucune
trace.
Les prostituées continuèrent, à Marseille, à s’é
tablir dans plusieurs rues, surtout dans celle qu'on
1. Libvre des eslections, délibérations et réformations du conseil
et aultres actes de la ville de Marseille, comansant le 11 novembre 1542
et finissant le 28 octobre 1546 , fol. 88 recto et partie du registre sans
pagination chiffrée, aux archives de l’Hôtel-de-Ville.
2. Registre des délibérations du conseil municipal de Marseille, du
2 novembre 1546 au 28 octobre 1549, fol. 115 verso et 123 verso ,
aux même archives.
5. Registre des délibérations du conseil municipal de Marseille, du
4 novembre 1554 au 5 novembre 1556, fol. 68 verso , aux mêmes ar
chives.
�— 305 —
nommait la bouena Carriera, au quartier de Cavaillon. 1 C’est aujourd’hui la rue Ingarienne. 2 II y
avait aussi à Aix la bonne rue , la bouena Carriera,
où les filles publiques avaient leur demeure. 5
Tous les scandales de la débauche furent donnés
en spectacle à Marseille où les agents de prostitu
tion étaient nombreux. Les anciens comtes de Pro
vence avaient promulgué contre eux des lois pé
nales 4 que la licence générale des mœurs fit tomber
en désuétude. Les Ruffians , car c’est ainsi qu’on
appelait ces infâmes entremetteurs, purent dès-lors
compter sur une impunité qui témoignait contre un
temps corrompu. Ils ne respectaient pas même le
triste asile des souffrances humaines. Le 6 avril
1684 , les recteurs de l’Hôtel-Dieu firent arrêter
1. Les statuts municipaux et coustumes anciennes de la ville de Mar
seille, par François d’Aix, p. 512.
2. Cette rue était anciennement appelée d es In g a r ie n s , comme le
prouve un acte de vente du 21 mars 1380. La carta de la compra d’un
hostal pauzat en la carriera dels Engarrians alias la bona carriera. In
ventaire des titres de l’hôpital Saint-Esprit de Marseille. 1399, fol. 103,
B xv, aux archives de l’Hôtel-Dieu.
3. Les rues d’Aix , ou recherches historiques sur l’ancienne capitale
de la Provence, par M. Roux-Alphéran , t. 1, p. 21, 30, 31.
4. S ta tu ta p ro v in c iœ F 'o rca lq u eriiq u e C o m ita tu u m cu m C o m m en ta riis
M assce. Aix, 1398 , p. 171 et su v. — S ta tu ts et C o u stu m e s d u p a y s
de P r o v e n c e , a vec les glo ses de M a sse , par de Bomy, A ix, 1620 , p.
202 et suiv. — L e s S ta tu ts et C o u stu m e s d u p a y s de P ro v en c e , par
Jacques Morgues. Aix, 1642, p. 291 et suiv. — N o u v e a u C o m m e n
ta ire s u r les S ta tu ts de P ro v en c e , par Julien. Aix , 1778 , t. 1, p. 344
et 350.
TOME i.
20
�— 306 —
dans cette maison une misérable convaincue par
plusieurs témoins de venir débaucher des femmes
malades. 1
Tant de corruption facilitait le cours des affec
tions vénériennes qui trouvaient là un vaste et fa
cile aliment. La science était, à Marseille , remplie
de tâtonnements et d’incertitudes dans le traitement
de ces maladies, dont les divers caractères présen
taient des complications de toute sorte , et l’empi
risme, qui spécule toujours sur l’ignorance et la
crédulité, se donnait ici une carrière d’autant plus
libre qu’il trouvait des encouragements dans le mys
tère même dont les malades cherchaient à s’entourer.
On prenait souvent des bubons vénériens pour des
bubons pestilentiels. 2 Le mercure et le bois de gayac
étaient employés dans le traitement de la vérole, 3
Le bois de gayac l’emporta même de beaucoup sur
son compétiteur pendant un temps considérable. 4
1. Libvre dans lequel sont insérées les délibérations des bureaux tenus
par MM. les recteurs de l’hospital Saint-Esprit et Saint-Jacques-deGalicc de ceste ville de Marseille , du 7 novembre 1675 au 6 octobre
1684 , fol. 164 recto
2. Le Capucin charitable enseignant la méthode pour remédier aux
grandes misères que la peste a coutume de causer parmi les peuples,
par le père Maurice de Tolon. Paris, 1662, p. 176.
3. La Pharmacie théorique nouvellement recueillie de divers auteurs,
par N. Chesneau, marseillais, docteur en médecine. Seconde édition.
Paris, 1670, p. 139 et 210. — Histoire de la Médecine', par Daniel Le
Clerc , nouvelle édition La Haye, 1729. p. 788 et 791.
4. H isto ire de la m éd ecin e d e p u is G a lien ju s q u 'a u co m m e n ce m e n t d u
se izièm e siècle , écrite en forme de discours adressé au docteur Mead .
�— 307 —
Un marseillais , traité du mal syphilitique par un
chirurgien et par un apothicaire qui lui adminis
trèrent une dose trop forte de mercure , mourut une
demi heure après. Sa famille intenta une demande
en dommages - intérêts contre ce chirurgien et cet
apothicaire. 1
A Aubagne on guérissait la maladie de Vénus
beaucoup mieux et à meilleur marché qu’à Marseille.
C’est du moins ce qui fut déclaré le 21 juillet 1678 par
les recteurs de l’Hôtel-Dieu qui envoyèrent à Aubagne
Françoise Rouge , nourrice de cet hôpital, laquelle
disait avoir pris du mal d’un enfant que la maison
lui avait confié. - L’Hôtel-Dieu se chargeait des
frais de traitement des nourrices auxquelles les en
fants trouvés communiquaient des affections véne
riennes. 5 II payait aussi les frais de guérison du
mal que ces nourrices donnaient à leurs maris. 4
C’était là un des grands embarras de l’adminis
tration de l’Hôtel-Dieu de Marseille. Un grand nompar J. Friend, docteur en médecine. Traduite de l’anglais par Etienne
Coulet. Leyde, 1727. Troisième partie, p. 81.
1. Arrêts notables de la cour de parlement de Provence , par Boniface, t. 2 , troisième partie, p. 21.
2. Registre E des délibérations du bureau de l’Hôtel-Dieu de Mar
seille, du 7 novembre 1675 au 6 octobre 1684, fol. 70 recto.
3. Délibération du 10 janvier 1675 dans le registre du 6 novembre
1670 au 26 octobre 1675, fol. 138 recto.
4. Délibération du 10 novembre 1689, dans le registre du 2 novem
bre 1684 au 28 août 1692 , fol. 145 recto.
�— 308 —
bre d’enfants trouvés portaient le germe du mal
vénérien, et les accidents fâcheux se multipliaient.
Les hôpitaux se consultaient entr’eux ; ils recou
raient aussi aux lumières des écoles de médecine.
On demandait à la science quels étaient les signes
d’après lesquels on pouvait juger qu’un enfant avait
reçu l’atteinte de la maladie syphilitique et quel
était le traitement le plus convenable à ce premier
âge. Les plus célèbres médecins s’accordaient à dire
qu’il n’y avait chez les enfants aucun signe assuré
de l’existence du virus vénérien ; que ce n’était
souvent qu’au bout d’un certain temps qu’il se déve
loppait par des marques extérieures ; que ces marques
elles-mêmes étaient fort équivoques, parce qu’elles
pouvaient avoir toute autre cause et indiquer toute
autre maladie.
Les médecins disaient aussi, d’un commun accord,
que les enfants ne pouvaient supporter aucun des
traitements connus, et que l’on devait se contenter
de leur administrer des palliatifs avec beaucoup de
précaution , en attendant qu’ils parvinssent à un âge
où l’on pût employer pour eux des moyens théra
peutiques d’une régularité plus complète. À quels
palliatifs fallait-il donner la préférence? Les senti
ments étaient partagés. D’un côté on proscrivait le
mercure et on lui substituait les bois sudorifiques;
d’autre part on conseillait l’usage de quelques pré
parations mercurielles, Tous annonçaient des expé-
�— 309 —
riences à faire ; aucun n’indiquait des méthodes
confirmées par le succès. 1
Il n'y avait qu’un seul moyen d’empêcher que les
enfants trouvés ne fussent infectés du poison véné
rien , du moins en aussi grand nombre , par les
auteurs de leurs jours. C’était d’opposer des obsta
cles efficaces au développement de ce poison ; c’était
de faciliter le traitement public du mal contagieux ;
c’était d’écouter enfin la voix de la nature et de la
charité. Et cependant, les hôpitaux appliquaient
leurs anciens règlements avec une rigueur inouïe ;
ils refusaient d’admettre les pauvres vénériens; ils
ne voulaient pas ajouter de nouvelles œuvres de
miséricorde à leurs œuvres accoutumées.
Les administrateurs de l’Hôtel-Dieu de Marseille
comprirent enfin que si le traitement d’un mal cruel,
qui n’avait pas toujours la débauche pour cause,
n’était pas de leur œuvre , comme ils ne cessaient
de le dire, il y avait du moins quelque chose à faire
dans l’intérêt de l’humanité. Une dame Dagoty pas
sait pour avoir un remède secret qui guérissait la
syphilis. 2 Le bureau de l’Hôtel-Dieu , par conven1. Mémoire sur les enfants trouvés, présenté à MM. les procureurs du
pays de Provence par les recteurs de l’hôpital général Saint-Jacques
de la ville d’Aix. 1780, p. 7 et 23.
2. Lettre des échevins de Marseille, écrite le 28 mars 1703 à
Blondel , trésorier général des bâtiments du roi, dans le registre des
copies des lettres desdits échevins, du 24 avril 1702 au 6 août 1706 ,
aux archives de la ville.
�— 310
tion du Ier octobre 1696, s'engagea à lui donner
30 livres pour le traitement de chaque vénérien de
l’un et de l'autre sexe, et 15 livres pour celui des
petits enfants. Ce contrat fut passé pour cinq an
nées. j Mais il ne reçut pas son entière exécution ,
et, le 3 septembre 1699, le bureau passa un autre
accord avec le sieur Guaydan qui s’obligea à guérir
dans l’hôpital les vénériens , hommes et femmes,
moyennant 12 livres pour chacun d’eux. Il fut dit
que Guaydan traiterait gratuitement les enfants au
lait. 2
Cet accord ne dura pas plus que le premier, je
ne sais pour quel motif, et les recteurs de l’HôtelDieu cherchèrent alors à s'entendre avec les direc
teurs de la Grande Miséricorde qui, eux aussi, se
faisaient scrupule de secourir à domicile les pauvres
atteints de la syphilis, ou qui du moins sollicitaient
une indemnité pour les couvrir d’une partie des frais
de ce service. On implora la médiation de Charles
de Vintimille du Luc, évêque de Marseille , pour
arriver à un arrangement convenable. Au commen
cement du mois de septembre 1703 , cet évêque
assembla dans son palais les échevins, les recteurs
1 . Registre G des délibérations du bureau de l’Hôtel-Dieu de Mareille, du 11 septembre 1692 au 27 septembre 1705 , fol. 83 recto,
aux archives de l'Hôtel-Dieu.
2. Même registre G, fol. 121 recto.
�de 1‘Hôtel-Dieu et ceux de la Grande Miséricorde.
Les échevins excipèrent du mauvais état des finances
municipales qui ne permettait pas à la ville de venir
en aide , dans ces circonstances , à l’œuvre de la
Grande Miséricorde , laquelle , disaient-ils , n’avait
rien de communal. Il n’en était pas ainsi de l’HôtelDieu, qui devait concourir à la guérison des pau
vres atteints du mal vénérien , en donnant chaque
année à la Grande Miséricorde la somme de 300 li
vres , sans tirer à conséquence. 1
Cette opinion prévalut et le bureau de l’HôtelDieu l’adopta par délibération du 25 du même
mois. %
Je ne sais à quelle mauvaise inspiration cédèrent
les administrateurs de l’Hôtel-Dieu en supprimant,
le 5 mai 1718, ce faible secours qui fut rétabli le
9 mars de l’année suivante.
On ne pouvait pas en attendre de grands résultats,
et l’insuffisance des moyens ne tarda pas à se mani
fester. Bien des malheureux demandaient en vain
à la bienfaisance publique la guérison de leurs maux
qui s’agravaient par l’abandon. Les administrateurs
de l’Hôtel-Dieu s’émurent à ce spectacle. Une foule
de fausses croyances et de préjugés destructeurs se
dissipaient alors aux lumières d’une civilisation
J. Même registre G , fol. 192 recto et verso.
2. Meme registre G , meme folio.
�312
douce et tolérante. Pendant plusieurs siècles , la
charité avait été , à peu d’exceptions près , insépa
rable des pratiques religieuses, et on ne l'avait com
prise qu’avec peine en dehors des institutions cléri
cales. Mais un nouveau langage se faisait entendre,
fécond, brillant et souvent même exagéré. C'était
celui de la philantropie qui s’infiltrait dans les ha
bitudes civiles et demandait sa place dans l’ordre
social. On vit ici ce qu’on ne voit qu’à de rares
époques : l’empire de la mode unie à la puissance
d’un sentiment vrai.
Les échevins de Marseille , sous l’influence des
idées dominantes, cherchèrent à s’entendre avec les
administrateurs de l’Hôtel-Dieu pour placer le trai
tement des maladies vénériennes dans toutes les
conditions désirables. Ces administrateurs, dans un
bureau extraordinaire du 21 avril 1727, investirent
quatre d’entr’eux , Roche, Guien , Béraud et Lombardon , des pouvoirs nécessaires pour donner à
l’affaire la suite convenable. 1
Ces commissaires tinrent avec les échevins plu
sieurs assemblées. Il y fut dit : que les hommes
devaient mutuellement se secourir dans leurs mal
heurs , et qu’il n’y en avait pas de plus grand que
1. Registre L des délibérations de l’Hôtel-Dieu de Marseille, du 10
juillet 1726 au 1er juillet 1734, fol. 27 recto, aux archives de l’HôtelDieu.
�l'atteinte du mal vénérien , la honte se joignant
aux souffrances chez ceux qui en étaient frappés ;
que les progrès de la maladie devenaient tous les
jours plus alarmants à Marseille. Les plus retenus
et les plus sages avaient de la peine à s’en ga
rantir. De tous les hôpitaux de cette ville , ajoutat-on , l’Hôtel-Dieu est le plus propre au traitement
des vénériens. Mais comme ce serait une nouvelle
charge pour cette maison dont les revenus suffi
sent à peine à ses besoins , il conviendrait d’im
poser une partie des frais à l’œuvre de la Grande
Miséricorde , à l’hôpital général de la Charité et à
celui des Convalescents. La Grande Miséricorde con
tribuerait annuellement pour trois mille livres , la
Charité pour mille et les Convalescents pour une
somme pareille. Quant à la ville, elle se chargerait
des frais de construction du bâtiment dont nous
allons parler.
Dans la rue de Labadié , derrière l’Hôtel-Dieu ,
se trouvaient six maisons exposées au midi. L’hô
pital en possédait d’eux et il était seigneur direct
des quatre autres qui pouvaient valoir ensemble
six mille livres. Quatre mille livres de travaux
d’appropriation élevaient à dix mille livres la to
talité des premiers frais de cet établissement dans
lequel on pouvait placer soixante-quatre lits. 1
1. Copie d’un mémoire des recteurs de l’Hôtel-Dieu de Marseille
présenté en 1735 aux échevins de cette ville relativement au traite-
�La dépense annuelle était évaluée à 7,200 livres,
et 1Hôtel-Dieu en prenait 2,200 à sa charge , le
restant devant être supporté par la Grande Misériconde , par l’hôpital de la Charité et par celui des
Convalescents dans la proportion que nous avons in
diquée.
L’administration de l’Hôtel-Dieu , le 29 mai de
la même année 1727, chargea Lombardon , l’un
des commissaires pour la guérison des vénériens ,
d'aller à Aix avec les échevins pour soumettre ce
projet à l’approbation de l'intendant de Provence
qui s’y montra favorable. t Mais le changement des
échevins et des recteurs de l’Hôtel-Dieu fit perdre
de vue l’exécution d’une entreprise dont l’utilité
n’était pourtant pas douteuse.
Les administrateurs de l’Hôtel-Dieu renouvelè
rent, en 1735, cette proposition dans un mémoire
qu’ils présentèrent aux échevins. Ils y dépeignirent
encore les funestes effets du mal vénérien à Mar
seille et dirent qu’il était temps d’en arrêter les
progrès. 2
Mais l’affaire éprouva des retards parce que l’œu
vre de la Grande Miséricorde, l’hôpital de la Charité
ment du mal vénérien , dans un dossier de divers titres et docum ents,
aux archives de l’Hôtel-Dieu.
\ . Registre L ci-dessus cité , fol. 50 recto.
2. Mémoire des Tccteurs de l’Hôtel-Dieu ci-dessus cité.
�et celui des Convalescents ne furent pas d’accord
avec l'administration de l’Hôtel-Dieu pour la fixa
tion de leur contingent respectif. D’un autre côté,
il fallait aussi s'entendre avec la ville, et la conci
liation de tous ces intérêts présentait des difficultés
sérieuses. En 1736 , les administrateurs de l’HôtelDieu placèrent leur projet sous la protection de
M. de Latour , premier président au parlement d’Aix
et intendant de Provence. Ils le supplièrent d’or
donner que le contingent pécuniaire fût réglé dans
une assemblée de commissaires nommés dans le
bureau de chacune des œuvres hospitalières appe
lées à concourir à la dépense. Ils ajoutèrent qu’il
y aurait cependant un moyen plus prompt et plus
sûr de trouver les fonds nécessaires pour la cons
truction de l’édifice projeté. Ce moyen, qui n’im
posait aucun sacrifice à la ville , ne dépendait que
de la puissance du souverain. Il consistait dans la
permission d’établir des rentes viagères en forme
de tontine, au capital de 400,000 livres reçues
par l’Hôtel-Dieu qui se libérerait avec les mêmes
fonds d’une partie de ses emprunts à constitution
de rente. 1
Les obstacles furent bien loin de s’aplanir. Ils
1. Copie d’un mémoire pour être présenté à Monseigneur le pre
mier président, intendant et commandant en cette province, con
cernant la guérison de la maladie vénérienne, 1736 , manuscrit en ma
possession.
�ne manquent jamais contre les entreprises nou
velles , et ils furent ici de telle nature qu’ils arrê
tèrent tout-à-fait le cours d'un projet qui ne fut
plus repris sérieusement , bien qu’on en parlât
long-temps encore.
Le mal vénérien continua donc d’exercer à Mar
seille des ravages dont rien n’arrêta le cours meur
trier. Toutes les classes de la société lui payaient
un tribut de larmes. Si les personnes riches ou aisées
pouvaient se procurer des moyens de guérison, les
pauvres s’en voyaient privés et traînaient jusques
au tombeau le poids d'une existence flétrie par la
honte et tourmentée par la douleur. Ils mouraient
lentement, couverts d'ulcères hideux , maudissant
à la fois l’attrait funeste du plaisir et l’injuste
dureté des hommes. La maladie contagieuse , en
circulant avec le sang, minait tous les organes. De
là les mariages stériles, ou la procréation d’enfants
débiles et valétudinaires. L’espèce humaine était
abâtardie.
Le docteur Raymond, syndic du collège de mé
decine de Marseille, proposa aux administrateurs
de l’Hôtel-Dieu, le 21 mars 1772 , un système de
traitement des affections vénériennes qui, d’après
lui, avait le double avantage de couper le mal à
sa racine et de n’être que fort peu coûteux. La
compagnie dont Raymond était l’organe assurait
que cette méthode était fort simple et en même
�temps énergique et sûre. M. de Sartines , lieute
nant-général de police à Paris, avait confié à quel
ques médecins de la capitale le traitement des pau
vres atteints de la syphilis , lequel consistait dans
l’emploi des préparations mercurielles internes. La
dépense de ces préparations ne devait pas excéder
trois ou quatre cents livres par an. Quant au ré
gime alimentaire des malades, comme il était tout
maigre, la dépense était également légère. 1
La demande de Raymond ne fut pas accueillie et
elle ne pouvait pas l’être, car déjà l’un des méde
cins de Marseille, le charitable Aubert, consacrait
sa fortune à la fondation d’un hôpital pour les ma
lades que l’Hôtel-Dieu ne recevait pas. Dans ces
circonstances , la demande de Raymond était au
moins singulière. On peut même aller jusqu'à dire
qu’elle donnait une assez pauvre idée du caractère
de tous ces docteurs qui sans doute voyaient avec
jalousie l’établissement du généreux Aubert dont
j’aurai à parler ailleurs. L’humanité est si faible,
que la plupart de nos actions, même celles qui pa
raissent les plus honorables, ont souvent, pour im1. Projet de traitement des maladies vénériennes des personnes in
digentes, présenté à MM. les directeurs de l’Hôtel-Dieu par le syndic
actuel du collège des médecins de Marseille, 21 mars 1772, manus
crit dans un dossier de divers titres et documents, aux archives de
l’Hôtel-Dieu.
�— 318
pulsion secrète, toute autre cause que le désintéres
sement et la vertu.
Cependant, à cette époque, l’Hôtel-Dieu de Mar
seille recevait par tolérance quelques vénériens des
classes élevées ou bourgeoises auxquels ils faisait
payer une indemnité variable suivant l’intérêt qu’ils
inspiraient ou leur position de fortune. Le 13 juin
1782 , sur la proposition de Trophe , président se
mainier, le bureau délibéra unanimement qu’à dater
de ce jour les vénériens des deux sexes ne seraient
reçus à l’Hôtel-Dieu qu'en payant d’avance la somme
de 144 livres , quelle que fût la durée de la maladie.
Il fut dit encore que les nourrices et nourriciers des
enfants de l’hôpital, quand ils auraient le malheur
d’être infectés par leurs nourrissons, continueraient
d’être admis et traités gratuitement avec le plus
grand soin. *
1. Registre S des délibérations du bureau de l'Hôtel-Dieu , du 11
mai 1780 au 51 décembre 1786 , fol. 5 4 recto et verso, aux archives
de l’Hôtel-Dieu.
�CHAPITRE XIY.
l ’u ô t e l - u i e v
en t e m p s m e p e s t e .
I.
Ravages de la peste noire. — Autres maladies pestilentielles dans le xvie
siècle. — Défaut de police, malheureuse condition du peuple,
lâcheté de la plupart des magistrats , des médecins et des recteurs
de l’Hôtel-Dieu. — Peste de 1650. — Délibération du bureau de
l’Hôtel—Dieu qui est fermé. — Diverses mesures de l’adminis
tration municipale pour la sûreté et l’approvisionnement de la
ville. — Infirmerie de Saint-Lambert. — Organisation du service
médical. — Peste de 1649 et 1650. — Détails divers sur ce fléau.
— L’autorité municipale pourvoit aux nécessités publiques. —
L’Hôtel-Dieu est fermé comme en 1650. — Mesures extraordinaires
prises en 1664 contre la peste qui menace Toulon. — Observa
tions sur la nature et le développement des maux pestilentiels.
L’histoire a conservé le souvenir des grandes ma
ladies pestilentielles qui désolèrent Marseille à di
verses époques. La plus horrible et la plus étonnante
est celle qui, sous le nom de peste noire, se pro
duisit vers le milieu du quatorzième siècle. 1 On dit
1. T ra ité des c a u ses . d es a c cid en ts et de la cu re de la p e s te , avec
u n re c u eil d ’o b se rv a tio n s. Fait et imprimé par ordre du roi. Paris,
1744, in-4», p. 21 et 22.
�320
qu'il suffisait de s'approcher des malades pour re
cevoir soudain les atteintes du mal. On pensa même,
tant la terreur fit naître de fantômes , que les
regards avaient le pouvoir de lancer au loin le
venin , soit que l’éclat inusité des yeux inspirât
cette idée, soit qu’elle fût produite par les ancien
nes croyances sur la fascination. 1
Pétrarque, témoin de cette immense calamité,
dit qu’elle dépeupla presque le monde entier, 2 peut
être parce qu’elle enleva Laure. A part toute exa
gération poétique, on peut assurer que, dans au
cun temps, aucune peste n’avait encore frappé tant
de victimes, et il est à peu près certain que le fléau
détruisit en Europe les trois cinquièmes de la popu
lation. 3 Un historien provençal, assez peu estimé
du reste , va jusqu’à dire que la plupart des villes
et des bourgs restèrent sans habitants. 4 A Avignon,
le Pape bénit le Rhône où l’on jeta les morts. S Gay
de Ghauliac y résidait alors. Ce chirurgien célèbre
avoue ingénuement qu’il aurait voulu fuir, comme
1. G a zette m é d ica le d e P a r is , numéro du 31 mai 1832.
2. P e tra rc h œ e p is t. lib. vin, epislola cxxi.
3. DeSismondi, H isto ire d es R é p u b liq u e s ita lie n n e s d u m o y e n -â g e .
Edition de 1826. t. 5 , p. 13 et suiv.
4. Pitton, A n n a le s d e la sa in te E g lise d! A i x , p. 176,
5. lsto ria d é lia cita d 'A v ig n o n e e d e l C o ntado V e n e sin o , scritta dal
Sebastiano Fantoni Castrucci. In Venetia, 1 6 7 8 , t. 1 , p. 206.—
H isto ire des S o u v e r a in s P o n tife s q u i o nt sié g é d a n s A v ig n o n . Avignon ,
1774, in-4°, p. 187 et 188.
�321
les autres, ce théâtre de désolation , mais que la
honte le retint. *
La proie de la mort fut immense à Marseille. Tous
les travaux cessèrent et la terre ne produisit rien. 2
Cette ville fut plusieurs fois encore affligée de la
peste dans le quinzième et le seizième siècle.
Le 20 décembre 1579 , le premier Consul Caradet
déclara au conseil municipal que la maladie qui ré
gnait à Gênes et « aultres lieux contaminés tant
» du levant que ponant » menaçait Marseille ; qu’il
avait réuni dans la maison commune les médecins,
les chirurgiens et plusieurs personnes notables ; que
cette assemblée pensait qu’il fallait adopter diverses
mesures de police et de sûreté. Le conseil muni
cipal adopta tout ce qu’on lui proposa. 5 La peste
n'en fit pas moins invasion à Marseille au commen
cement de 1580 Le fléau déchaîna ses fureurs sur
cette ville malheureuse que la famine vint aussi
désoler, et trente mille victimes tombèrent comme
un immense holocauste.
—
—
.
1. H isto ire de la m é d e cin e d e p u is so n o rig in e ju s q u a u 19e siècle ,
par le docteur Renouard. Paris, 1846 , t. 1 , p. 458.
2. Ruffi, H isto ire d e M a r s e ille , t. 2, p. 26.
5. Registre des esleclions, délibérations et aultres actes de la pré
sente ville de Marseille, comensant le 8 novembre 1579 et finissant
le 3 janvier 1584 , fol. 7 recto et verso , 18 recto, 20 recto , 50 recto,
aux archives de la ville.
4. Rulfi . H isto ire de M a r s e ille , t. 1, p. 352.
TOME i.
21
�— 322
Alors Marseille épuisa toutes ses ressources finan
cières pour acheter du blé et faire face aux divers
services publics. Elle se vit accablée du poids d’une
dette de plus de 80,000 écus. Le 6 novembre 1580,
le premier consul Philippe d’Altovitis , baron de
Castellane, exposa au conseil municipal la situation
de la ville , et le conseil délibéra de députer au roi
des personnes qualifiées pour le supplier d’accorder
à la communauté le droit d’aubaine et de déshé
rence sur les biens des étrangers morts de la peste
à Marseille. Le premier consul et l’assesseur Jacques
Vias furent chargés de cette mission, et le conseil,
séance tenante, délibéra un nouvel emprunt de
30,000 écus. 1
La maladie revint l’année suivante et ne se calma
que pour sévir encore en 1586 et 1587. 2
Dans ces circonstances calamiteuses , une épou
vante démoralisatrice détruisait les relations sociales
et même les liens de famille. Tout venait en aide
au développement du mal destructeur. La malpro
preté des rues était dégoûtante ; on ne respirait dans
les maisons qu’un air corrompu ; le bas peuple ,
accablé de misère, ne se nourrissait que d’aliments
1. Registre ci-dessus cité, du 8 novembre 1579 au 5 janvier 1584 .
fol. 43 verso et 44 recto.
2 Registres 14 et 15 des délibérations municipales du mois de no
vembre 1586 au mois d’octobre 1588, passim, aux archives de la ville
de Marseille.
�grossiers et mal sains ; il ne se servait que de vête
ments facilitant l’atteinte des maladies cutanées.
L’administration municipale , s'abandonnant à la
plus complète incurie , semblait ignorer les pres
criptions les plus simples de l’hygiène et de la
salubrité publique. Le plus souvent, à Fapparition
des premiers cas de peste , les consuls prenaient lâ
chement la fuite. Les divers agents communaux
suivaient le triste exemple des chefs, et la désor
ganisation des services publics ajoutait à l'horreur
d’une situation lamentable.
L’art de guérir ne rendait au pays que de faibles
services 1 et les médecins provençaux fuyaient de
vant la peste qu’ils redoutaient comme le diable. 2
Les recteurs de l’Hôtel-Dieu de Marseille ne mon
traient pas plus de courage. Cet hôpital était fermé
en temps de peste , sous le prétexte que ses règle
ments s’opposaient à l’admission des personnes at
teintes de maladies contagieuses. Quelques employés
auxquels les recteurs , en fuyant, confiaient le soin
de la maison , s’y retranchaient avec des provisions
pour le service des malades qui s’y trouvaient ei* ce
moment et pour celui des enfants exposés.
En 1621 la peste désola le bourg des Martigues.
Profitât ad païsum la medicina parum.
Antoniils do Arena provençalis de Bragardissima villa de Soleriis ad
suos cornpagnones dite. Londini, 1758. Sulitilitas instudiantium , p. 25.
2. lloc fugiunt medici cregnendo como diablum. Ibid., même page.
�— 324 —
Elle y concentra ses ravages , et la sécurité régnait
partout lorsque le mal vint se manifester, au mois de
mai 1629, dans la ville de Digne, 1 laquelle offrit
les scènes de misère et de désespoir que Gassendi
nous a décrites. 2
Le fléau se montra dans l’hôpital d’Arles au com
mencement de juillet 3 et dans la ville d’Aix à la fin
du même mois. Le docteur Franc fut le premier à
la reconnaître, et pendant que les autres médecins,
divisés en deux écoles , se livraient à de longues
disputes, la peste , trompant tous leurs efforts ,
allait sans cesse étendant ses ravages et la mort
faisait sa moisson. 4
La terreur régnait à Marseille. Le 1er août 1629,
il y eut à l’Hôtel-Dieu un bureau extraordinaire,
sous la présidence de Messire Nicolas de Bausset,
lieutenant du sénéchal. On y avait appelé deux an
ciens recteurs, Amiel d’Albertas et FrançoisMolat,
de même que Pierre Bon temps , l’un des quatre
1. Honoré Bouche, H isto ire c h ro n o lo g iq u e de P r o v e n c e , t. 2 , p.879.
— De la P e s te , ou é p o q u es m é m o ra b le s d e ce f lé a u , et les m o y e n s de s'e n
p r é se rv e r , par Papon, ci-devant historiographe de Provence, t. 1 ,
p. 142 et suiv.
2. N o titia E c c lc siœ D in ie n s is , authore Petro Gassendo, caput vi ,
aer Diniensis , ac obiter pestilentia anni mdcxxix.
5. L ’O rdre p o litiq u e te n e u e n la v ille d 'A r l e s , a u tem p s de la p e s t e ,
année 1629, par Nicolas de Valériolle , docteur en médecine, avec
plusieurs controverses et résolutions. En Avignon , 1632 , p. S et suiv.
4. Pitlon , H isto ire d ’A ix , p. 578.
�— 32o —
médecins de la ville. Les recteurs en exercice, pré
sents à cette séance, étaient Pierre Besson , de
Beaulieu , Lange Cousineri , Louis Beau et Antoine
Temple.
Cette assemblée suivit l’exemple qu’on lui avait
donné dans des conjonctures semblables. « A esté
» représenté qu’il est nécessaire de penser à l’ordre
» qui doibt estre establi en ceste maison, en cas
» que la ville feust affligée du mal contagieux,
» comme elle en est grandement menassée. C’est
» pourquoi il est à propos d’adviser meurement à
» tout ce qu’il y a de besoing , affin que on pour» voye à toutes les nécessités de ceste maison et
» à l’ordre que il fauldra garder. »
« Sur laquelle proposition , après mure consul» tation , a esté délibéré et ordonné ce qui s’en» suit : »
« Aussitôt que sera descouvert la contagion estre
» en ceste ville, de quoy plaise a Dieu nous pré» server , MM. les recteurs viendront dans l’hospital
» avec le médecin et chirurgien visiter tous les
» malades, congédieront tous ceulx que leur dispo» sition le pourra permettre et après fermeront l’hos» pital, sans recevoir dans iceluy aulcungs nouveaux
» malades. »
« Ceulx qui ne pourront pas estre congédiés se» ront retenus, norris et traités dans le dit hospital
» jusques qui soient en estât de pouvoir sortir. »
�« Demeurera dans ledit hospital le maistre d’hos» tel Messire Guillaume Dalmas avec Messire Geoffroy
» Léydier, confesseur, lesquels se sont offerts de
» servir volontairement l’hospital aux gaiges qui
» leur seront taxés et accordés ; et encore auront
» le soin et conduite des enfants qui demeureront
» dans la dicte maison , sans en pouvoir recepvoir
» aulcungs de nouveau, et pour cest effet la fenes» tre où l’on a coustume de mettre les enfants sera
» bouchée à chaux et sable, et seront faites criées
» et proclamations par toute la ville pourtant dé» fenses à toutes personnes d’exposer aulcungs en» fans pendant la contagion, ains d’en avoir soin,
« à peine de la vie, comme coulpables de la mort
» des dits enfans ; sauf à nécessité urgente s’adresser
» à Messieurs les Consuls pour y prou voir—
« Si aulcung de MM. les recteurs demeure dans
» la ville ou au terroir, prendront la peine de sça» voir l’estât de la maison, e t, quand ils pourront
» le faire sans danger, venir voir le maistre d’hostel,
» s’informer de la santé, de l’ordre et des nécessités
» d’icelle. »
Le bureau délibère encore que l’apothicaire et le
garçon chirurgien resteront dans l’hôpital pour servir
aux nécessités occurrantes ; qu’il en sera de même
de trois valets et de deux servantes. On prend
en même temps diverses mesures pour le service
alimentaire et l’on donne pouvoir aux recteurs
�d'emprunter telle somme qu ils jugeront néces
saire. 1
Le 11 novembre 1629, le conseil municipal nom
ma un bureau de santé composé de vingt-cinq no
tables. En même temps il autorisa les consuls à
faire des approvisionnements de blé et un emprunt
de cent mille livres. 2
Les premiers symptômes de la maladie se mani
festèrent à Marseille le 22 février 1630. Soixante
mille habitants sortirent soudain de la ville et se
réfugièrent dans la banlieue et dans les villages
circonvoisius. La foule était si grande aux portes
que plusieurs personnes y furent, dit-on , étouffées.
Quinze mille marseillais seulement , presque tous
gens de métier, restèrent dans leurs maisons, faute
de savoir où porter leurs pas. 5
Les consuls Léon de Yalbelle et Nicolas de Gratian
engagèrent à leur service des hommes de peine pour
la sépulture des morts et le nettoiement de la ville. /L
1. Libvre où sont contenus tous les bureaux tenus par MM. les
recteurs de l’hospital Saint-Esprit et Saint-Jacques-de-Galice unis
ensemble , acomancé le septième novembre 1620, etc. p. 61 et sui
vantes, aux archives de l’Hôtel-Dieu
2. Registre des délibérations du conseil municipal de Marseille, et
autres actes , du mois de novembre 1629 au mois d’octobre 1630,
fol. 8 recto, aux archives de la ville.
3. Ruffi , Histoire de Marseille, t. 1 , p. 476.
4. Actes du 22 février et 16 mars 1630. Registre ci-dessus cite ,
du mois de novembre 1629 au mois d’octobre 1630 , fol. 8 recto
et 44 recto.
�328 —
Ils pourvurent aussi à la subsistance publique et
passèrent avec plusieurs boulangers des actes par
lesquels ceux-ci s’engagèrent à faire du pain pen
dant tout le temps de la peste et à en vendre aux
consuls trois cents de treize onces la pièce pour cha
que charge de blé que ces magistrats s’obligèrent
à leur fournir pour la nourriture des pauvres. 1
Quatre à cinq mille malades entrèrent aux infir
meries de Saint-Lambert dont la ville avait com
mencé, en 4538, la construction 2 qu elle ne termina
que dix ans après. 5
Deux maîtres en chirurgie, Jean Expilly et Jean
Camas, dit Galleri, vieillard de soixante-dix ans, 4
furent engagés par les consuls, moyennant cinquante
livres par mois, au service des malades de ce grand
hôpital s dans lequel entrèrent un peu plus tard quatre
1. Actes des 1er, g , 10, 14, 16, 1 7 , 2 6 , 28 mars 1530, 8 et 20
mai de la meme année, dans le registre ci-dessus cité, du mois de
novembre 1629, au mois d’octobre 1650, fol. 54 et suiv.
2. Libvre des réformations et délibérations du conseil municipal de
Marseille, du 9 novembre 1556 au 22 décembre 1558, fol. 83 et sui
vants, p. 141 recto et verso , et 142 verso, aux archives de la ville.
5. Registre des délibérations du conseil municipal de Marseille , du
9 novembre 1566 au mois d’octobre 1570 , fol. 2 verso , 5 verso, 15
verso, 16 recto et verso, aux mêmes archives.
4. Le Timon et Carte de navigation des jeunes chirurgiens navi
gants, par Henri David, bourgeois, maître juré en chirurgie. Mar
seille, chez Pierre Mesnier, 1675, in -12, p. 47.
5. Acte du 25 février 1650, dans le registre des délibérations du
conseil municipal de Marseille et autres actes, du mois de novembre
1629 au mois d’octobre 1650, fol. 52 verso et 55 recto.
�— 329
autres chirurgiens, Urbain Portanier , François
Codoneau , Henri David et Louis Dorange. 1
Le chirurgien Pompée Courtois , aux soins duquel
on recourut aussi, stipula formellement qu’il ne
visiterait que des personnes atteintes de maladies
ordinaires « tant dans la ville , son terroir que ail» leurs, sans estre obligé d’aller panser ni médi» quemenler aulcuns pestiférés.» 2
Les consuls engagèrent de plus Théophile Broé ,
docteur en médecine, et Joseph Gueytte, maître en
chirurgie, au service particulier de FHôtel-de-Ville
où ils vinrent s’établir à demeure fixe pour donner
tous les ordres nécessaires sans se mettre en com
munication avec la ville. Ils promirent à Broé et à
Gueytte de les nourrir, de les médiquementer en cas
de maladie, et de donner de plus à chacun d’eux
des gages mensuels de deux cents livres. 3 Les
consuls avaient déjà pensé à assurer leur propre
subsistance, aux frais de la communauté. L’auber
giste Jérôme Rozan s’engagea à les servir à YHôtelde-Ville , moyennant soixante livres par mois, à la
charge par lui de tout fournir, « les viandes , les
1. Même registre , fol. 72 recto et verso , 75 recto , 83 recto et
92 recto.
2. Acte du 5 mars 1650, dans le registre ci-dessus cité, fol. 57
verso.
3» Acte du 11 mars 1650. Même registre, loi. 62 recto.
�— 330
» tables, ensemble le linge, estain ï et aultres us» tenciles. » 2
Comme la plupart des apothicaires de Marseille
avaient cherché leur salut dans la fuite, les consuls
passèrent avec un maître nommé Thibaut, un acte
par lequel celui-ci s’engagea à tenir dans la ville
boutique ouverte pour que le peuple ne manquât
pas de remèdes. Au mois de juin Thibaut eut besoin
d’un aide, et les consuls lui adjoignirent Balthasar
Capel auquel ils promirent, pour toute récompense,
la concession de lettres de maîtrise à la fin de la
peste. 3 Un autre apothicaire, André Sambuc, ser
vit spécialement l’infirmerie. Il eut vingt-quatre
livres de gages par mois et on lui promit aussi des
lettres de maîtrise. 4
Les capucins , autorisés à s’établir à Marseille,
par délibération du conseil municipal à la date du
G avril 1578 , 3 avaient, deux ans après, bien mé
rité de cette ville, en secourant les pestiférés sous
la direction du père Paul de Salo. 6 En 1630, ils
1. Les personnes les plus riches de Marseille , ne se servaient encore
que de cuillers d’étain. On disait alors Y étain comme on dit aujour
d’hui Yargenterie.
2. Acte du 2 0 février 1650. Registre ci-dessus cité, fol. 45 verso.
5. Acte du 26 juin de la même année. Même registre,fol. 95 recto.
4. Acte du même jour. Ibid. fol. 94 recto.
5. Libvre des délibérations du conseil municipal de Marseille, du
mois de novembre 1574 au mois d’octobre 1579, fol. 44 recto, aux
archives de la ville.
6. Le Capucin charitable, enseignant la méthode pour remédier aux
�— 331 —
donnèrent les mêmes témoignages de zèle et de cha
rité. Ils se mirent à la disposition des consuls et
travaillèrent à la désinfection des maisons. Ils furent
aussi employés au service de l’infirmerie, où Jean
Collavier exerça la charge de contrôleur avec l’obli
gation d’adresser toutes les semaines un rapport
aux consuls. 1 Le vin passait alors pour affaiblir la
violence de la peste. L’infirmerie en consomma
3882 milleroles , que vingt-six propriétaires de Mar
seille vendirent à la ville , à raison de trois livres
douze sous la millerole. 2
On veilla avec un soin rigoureux à la conser
vation des propriétés particulières, et le serrurier
Barroullet fut chargé de platiner 5 les maisons vides
d’habitants. 4
Le 24 juin de la même année , les consuls en
tendirent la messe dans l’Hôtel-de-Ville, y commu
nièrent et firent un vœu portant que tous les chefs
de famille de Marseille seraient invités à faire une
communion générale , un mois après l’entière cesgrandes misères que la peste à coutume de causer parmi les peuples.
Par le père Maurice de Tolon. à Paris, 1662, p. 586 et suiv.
1. Acte du 4- mars 1630, dans le registre des délibérations du con
seil municipal de Marseille et autres actes, du mois de novembre 1629
au mois d’octobre 1630, fol. 56 verso et 150 recto. Collavier eut
vingt livres de gages par mois.
2. Voyez un grand nombre d’actes dans le registre ci-dessus cité,
vol. 119 et suiv.
5. Sorte de scellés au moyen d’une feuille de métal.
4. Acte du 19 avril 1630. Registre ci-dessus cité , fol. 74 recto.
�332 —
sation de la peste, et que la ville fonderait une
maison de filles repenties. 1
La peste dura quelque temps encore. 2 Elle pé
nétra dans l’Hôtel-Dieu, malgré toutes les précau
tions que l’on prit pour s’en garantir, 5 et Guil
laume Dalmas fut une des victimes. i
Ce fléau reparut à Marseille au mois de juin 1649.
Il y fut, dit-on, apporté par une barque qui avait
fait son chargement sur les côtes de Barbarie où des
maladies pestilentielles s’étaient déclarées. Le capi
taine du navire n’en dit rien aux intendants de la
santé, afin d’éviter les frais et les longueurs d’une
quarantaine. 6 Le 4 juillet, le premier consul de
Marseille , Jean-Louis-Antoine de Glandevès , sieur
de Nioselles , assisté de ses deux collègues Nicolas
Curet et Jean Boulle , exposa au conseil municipal
qu’il ne pouvait plus dissimuler l’état fâcheux de la
1. Même registre, fol. 93 verso.
2. Sur la marche et le caractère de cette maladie. Voyez Ruffi,
Hisloire de Marseille , t. 1 , p. 476 et 477.
3. Voyez le livre trésor B de l’hôpital St-Esprit et St-Jacques-deGalice, de 1616 à 1634, fol. 232 verso, aux archives d el’Hôtel-Dieu.
4. Livre où sont contenus tous les bureaux tenus par MM. les rec
teurs de l’hospital St-Esprit et St-Jacques-de-Galice unis ensemble,
acomancé le septième novembre 1620, p. 69.
5. Relation Historique de tout ce qui s’est passé à Marseille pendant
la dernière peste, 2e édition, à Cologne, 1723 ,p . 14.
6. Préface des mémoires du chevalier d’Arvieux , recueillis et mis en
ordre par leR . I'. Jean-Baptiste Labat, de l’ordre des Frères Prêcheurs.
Paris, 1735, p. 7 et 8.
�— 333 —
ville gravement menacée d’une nouvelle invasion de
peste. Sur sa proposition, l'assemblée prit diverses
mesures financières ; elle autorisa les consuls à em
prunter telle somme qu’ils aviseraient pour acheter
du blé et à distribuer jusqu’à 1,200 livres d’au
mônes. Elle les chargea en même temps de faire
un vœu à la Sainte Vierge, afin que par son in
tercession Dieu voulut bien détourner de Marseille
le mal pestilentiel. 1
Les consuls vinrent, comme leurs prédécesseurs ,
s’établir à l’Hôtel-de-Ville , et le maître cuisinier
Ambroise Guis fut chargé de leur service de table,
aux frais de la communauté qui lui donna soixante
livres de gages par mois , mais à condition qu’il four
nirait tout, « fors et excepté la viande. » 2 Les maî
tres en chirurgie Pierre Condi, 5 Claude Abel, 4
François Torpin , et les apothicaires Charles Guillermy
et Claude Decamp s’engagèrent à servir la ville et
l’infirmerie, dans laquelle Pierre Gaudemar servit en
qualité de capitaine aux gages mensuels de deux
1. Registre des délibérations et des actes du conseil municipal de
Marseille, du mois de novembre 1647 au mois de mars 1650, fol. 736
et suivants, aux archives de la ville.
f 2. Acte du 25 juillet 1649, dans le registre ci-dessus cité, fol.
754 recto.
3. Acte du 22 juillet de la même année , même registre, fol. 733
et suiv.
4. Acte du 24 juillet, ibid. fol. 750 et 751.
>
�— 334 —
cents livres. 1 Comme en 1630, les consuls firent
distribuer abondamment du vin aux malades et aux
employés de l'infirmerie. 2 La ville dépensa, pour les
divers services, cinq cent mille livres qu’elle em
prunta à plusieurs de ses habitants. 5
Le bureau de l'Hôtel-Dieu prit, le 22 juillet,
une délibération semblable à celle du 1er août 1629.
Il fut dit que les enfants de la maison placés en
ville seraient reçus dans l’hôpital que l’on fermerait
ensuite; qu’on n’y admettrait plus personne , et que
les malades en convalescence pourraient rester dans
la maison tant qu’elle serait fermée, à moins qu ils
ne voulussent librement en sortir. 4
La peste dura six mois à Marseille et enleva huit
mille victimes, 5 parmi lesquelles le pieux et cha
ritable Gaspard de Simiane, plus connu sous le nom
de chevalier de la Coste , qui mourut le 24 juillet. 0
1. Actes du 25 et du 26 juillet, même registre, fol. 760, 761,
762 et suivants , 788.
2. Voyez les dernières pages du registre cité.
3. Lettre des consuls de Marseille au roi, du 10 mai 1 65 0 , dans
le registre n° 1 des copies des lettres de ces consuls, depuis le 6 novem
bre 1640 jusques au 16 juillet 1669, aux archives de la ville
4. Livre des délibérations faites par MM. les recteurs de l’hospital
Saint-Esprit et Saint-Jacques-de-Galice de ceste ville de Marseille, tou
chant les affaires de politique, accomancé le 28 décembre 1656 , in
fol., p. 96 verso et 97 recto.
5. H isto ire d es h o m m es illu s tr e s d e la P ro v en c e a n c ie n n e et m o d e rn e ,
par Achard, t. 2 , p. 244.
6. L a v ie de M o n sie u r le c h ev a lie r d e la C o s te , par le sieur de
Ruffi. A Aix, 1659, pages 1683 et suiv.
�— 335 —
Les capucins succombèrent presque tous en secou
rant les malades. 1
Au mois de juin 1650, de nouveaux cas de peste
se déclarèrent à Marseille, et dès le 20 du même
mois l’Hôtel-Dieu fut fermé, comme il l’avait été
précédemment. Les chirurgiens Jean Expilly, JeanFrançois Broglia et Charles Solliers soignèrent les
malades de la ville et de l’infirmerie , en vertu d’un
engagement avec les consuls. 2 Gabriel Fontaine,
docteur en médecine, se mit au service de ces ma
gistrats dans l’Hôtel-de-Ville 3 , où le cuisinier Jean
Mazan les servit aussi, au prix de 57 livres par
mois et autres conditions acceptées par Guis l’année
précédente. 4 Les consuls, après avoir pourvu à leur
propre subsistance, assurèrent celle du public par
des accords passés avec un grand nombre de bou
langers. s
Presque toute la population de Marseille se ré
fugia dans la campagne. On donna l’inspection de
l'infirmerie au père Maurice, capucin, auquel furent
adjoints quatre religieux du même ordre. Cette re1. Achard, ouvrage cité, même page.
2. Actes du 21 et 25 juin 1650 dans le registre des délibérations du
conseil municipal de Marseille et autres actes de la communauté , du
mois d’avril au mois d’octobre 1650, fol. 98 à 105.
5. Acte du 21 juin , même registre, loi. 98 verso.
4. Acte 18 juin. Ibid. fol. 80 recto.
5. Voyez ces divers actes dans le registre ci-dessus c ité , fol. 77
et suivants.
t
�chute fut peu meurtrière ; elle ne frappa de mort
que deux cent trente personnes. * Le mal disparut
tout à fait au mois d'août. 2
La peste ravagea la ville de Londres en 1664 ; 5
et le bruit courut à Marseille , au mois de septembre
de la même année, qu’elle menaçait Toulon. Le
25 de ce mois, l’administration de l’Hôtel-Dieu de
Marseille délibéra de fermer la maison dès que la
maladie viendrait à se montrer, 4 et le conseil mu
nicipal prit , le 6 octobre suivant, des mesures
extraordinaires pour garantir la ville. 5 Heureuse
ment ce ne fut qu’une fausse alarme.
Les maladies affreuses dont je viens de parler
furent mal observées et mal décrites. Des nuages
épais cachent la vérité contre laquelle conspirent
encore tous les fantômes de la terreur populaire.
Quelle fut la nature de ces maux dévorants ? Com1. Achard , loco, cit.
2. Lettre des consuls de Marseille au comte de Carces, à la date du
20 août 1650 , dans le registre n° 1 des copies de leurs lettres, du 6
novembre 1640 au 16 juillet 1669.
3. Traité des causes, des accidents et de la cure de la peste. Paris
1744, ouvrage cité, p. 31.
4. Libvre des délibérations faictes par messieurs les recteurs de
l’hospital Saint-Esprit et Saint-Jacques-de-Galice de ceste ville de
Marseille, touchant les affaires de politique , accomancé le 28 décem
bre 1656 , in -fo l., p. 96 verso et 97 recto.
5 Registre 64 des délibérations municipales , du mois de novembre
1663 à la fin du mois d’octobre 1664, fol. 7 verso, aux archives de
la mairie de Marseille.
�— 337 —
ment se propagèrent-ils à Marseille ? Y furent-ils
importés? Naquirent-ils sous l’influence de causes
locales et prédisposantes? La science égarée par
des récits contradictoires, par des préventions aveu
gles , souvent même par l’esprit de système qui
fausse tant de jugements, n’a pu dire son dernier
mot , et peut-être ne le dira-t-elle jamais. Tous
les êtres vivants ont à courber le front sous l’iné
vitable loi de la mort. Mais les effets qui retardent
ou précipitent le moment où cette destinée s’accom
plit, ont presque toujours des causes inconnues; et
il faut bien en faire l’aveu pénible : les merveilleux
progrès des travaux intellectuels n’ont pas soulevé
le voile du mystère qui dérobe à nos yeux la trans
mission des grandes maladies épidémiques ou con
tagieuses. De nouveaux problèmes, naissant des
découvertes nouvelles, nous condamnent à rouler
dans un cercle d’obscurités et de doutes.
�CHAPITRE XV.
l ’i i ô t e e -b i e i ; en
tem ps
de
peste
.
II.
Incertitude sur les causes de l’invasion de la peste à Marseille en 1720.
— La terreur succède à la sécurité. — Admirable dévoûment de
Bruno Granier, recteur de l’H ôtel-D ieu.— Mesures de précaution
prises par le bureau de cet hôpital. — Le médecin Charles Peyssonnel. — Ravages du fléau. — L’Hôtel-Dieu est envahi. — Mort de
Granier et de Peyssonel.— Désorganisation générale.— Aspect
effrayant de la V ilte.— Conduite héroïque des échevins.— L’hô
pital des Convalescents pour les pestiférés.— Hôpital du ChevalierR oze.— Autre hôpital près les Augustins réform és.— Celui de la
Charité reçoit aussi les pestiférés — Décroissance de la maladie.
— Acte déclaratif de la santé publique — Nomination de nouveaux
recteurs à l’Hôtel-Dieu.— Rechute de la peste. — Nouvelles me
sures de sûreté. — Délibération du bureau de l’Hôtel-Dieu. — Éta
blissement de l’entrepôt et de divers services. — Dépenses de
l’Hôtel-Dieu pendant ces calamités.
On attribue généralement l’importation de la peste
à Marseille, en 1720, à l’entrée da Grand - SaintAntoine , vaisseau commandé par le capitaine Chataud, qui venait du Levant avec patente nette. Mais
des hommes dont le sentiment est d’un grand poids
�— 339 —
dans les questions scientifiques, assurent que des cas
de maladie pestilentielle se manifestèrent dans cette
ville, avant le 25 mai, jour de l’arrivée du capitaine
Chataud. 1 Des médecins éminents ne reconnurent
dans la peste que le caractère épidémique et repous
sèrent le système de transmission par le contact des
malades et par l’usage des hardes infectées. 2
Quoiqu’il en soit, la maladie, assez mal connue
à son origine, n’inspira d’abord aucune alarme, car
elle n’agit qu’avec lenteur et n’eut qu’une marche
irrégulière, se bornant à frapper çà et là quelques
1. T r a ité d es C a u s e s , d es A c c id e n ts et d e la C u re de la P e s te , avec
u n R e c u e il d ’O b s e r v a tio n s , e tc ., fait et imprimé par ordre du roi. A
Paris, 1744, in-4°, p. 1 65, 2 0 4 , 4 6 7 ,4 8 1 et 482.
Goujon, intendant ou trésorier deBelsunce, évêque de Marseille, a
lait un journal manuscrit de l’année 1712 à l’année 1722. On y lit, à
la date du 2 mai 1720, cette phrase curieuse : I l est tom bé q u e lq u e s
m a la d es q u ’on c ra in t q u e ce so it d u m a l c o n ta g ie u x . Évêché de Marseille,
registre IG, aux archives de la Préfecture des Bouches-du-Rhône.
2. Lettre écrite à M. Calvet, conseiller-médecin du roi, professeur royal
et doyen en l’Université de Cahors, avec des observations sur la ma
ladie de Marseille, par M. Mailhes, conseiller-médecin du roi, docteureo
l’Université de Montpellier, député par la cour à Marseille. Marseille,
chez J.-B. Boy, 1721, in-12. — Lettre sur la maladie de Marseille, de M.
Deidier, conseiller, médecin du roi et professeur en médecine de l’Uni
versité de Montpellier, du 15 janvier 1721, etc. Montpellier, 1721 ,
in-12. — R é fu ta tio n d es A n c ie n n e s O p in io n s to u c h a n t la P e s te , par M.
Boyer, médecin de la marine de Toulon. Sur la copie imprimée à Mar
seille. A Vienne, chez Antoine Mazinier, 1721, in-12. — Traduction
du discours latin prononcé pour l’ouverture solennelle des écoles de
médecine, par M. François Chicoyneau, chancelier de l’Université de
Médecine de Montpellier, le 26 octobre 1722. Montpellier, 1723, in-12.
�340
victimes isolées; mais à la lin du mois de juillet,
elle s’étendit cruelle et menaçante, 1 comme un in
cendie qui couve sous la cendre, puis jette tout à
coup des tourbillons de flamme et forme bientôt un
foyer de destruction et de terreur.
Alors le peuplede Marseillepasse de l’excès de la con
fiance à l'excès de l’abattement et de l’effroi. Tout fuit
et la confusion est extrême. Rien n’est prêt dans l’ad
ministration pour venir au secours de tant de malheu
reux surpris par la violence du fléau dont les coups sont
rapides et multipliés. La situation financière est déplo
rable 2 et l'on ne trouve pour toute ressource que onze
cents livres dans la caisse municipale. 3 À cette épo
que, une épidémie morale travaillait la France en
tière qui s'était prise d’ardeur pour le système de
Law. 4 La fièvre de l'agiotage, bouleversant toutes
les têtes, donnait à tous les instincts de cupidité une
1. Journal de Pichatty de Croissainte, premières pages. — R e la tio n
H isto riq u e de to u t ce q u i s est p a ssé à M a r s e ille p e n d a n t la d e rn iè r e P e ste ,
2e édition. Cologne, 1725, p. 38 et suivantes.
2. Lettre des échevins de Marseille au duc d’Orléans, régent du
royaume, à la date du 2 août 172 0 , dans le registre des copies des
lettres de ces magistrats, du 5 octobre 1719 au 30 décembre 1725,
aux archives de la ville.
3. Pichatty de Croissainte, ouvrage cité, p. 7.
4. Le surintendant Law fit compter cent mille livres aux échevins de
Marseille, pour le soulagement des pauvres de cette ville.Voyez la lettre
de remercîment de ces échevins, à la date du 15 septembre 1720,
dans le registre ci-dessus cité.
�341
puissance entraînante, et la nation, qui ne se pas
sionnait plus que pour les plaisirsexpia bien cruel
lement son aveugle enthousiasme, au milieu cle tous
les jeux de la fortune qui n’aboutirent qu’à une
immense catastrophe.
Au commencement du mois d’août 1720, les rec
teurs de l’Hôtel-Dieu de Marseille étaient Bruno
Granier, Antoine-Philippe Castellane, Charles Astour,
Thomas Boyer, Ignace Guillet, Jean-Louis Guieu,
Antoine Catelin, Philippe Grirnod, François Marnier,
Jean Amphoux, Jean-Baptiste Nogaret et Ogier Her
man.
Bruno Granier était un des négociants les plus
honorables de Marseille. 1 Nommé conseiller de ville
en 1693 , 2 il eut le chaperon de second échevin
aux élections du 28 octobre 1706. 3 H était admi
rable de zèle et de philanthropie. Son temps, son in
telligence , sa bourse, il mettait tout au service de
l’Hôtel-Dieu, et il n’éprouvait qu’un regret, celui de
ne pouvoir servir longtemps encore les pauvres ma
lades. Nommé recteur le 30 octobre 1718 } sur la
1. Voyez l’acte du 5 mai 1713 dans le registre 115 des délibérations
du conseil municipal de Marseille, fol. 45 recto , aux archives de la
ville.
2. Registre 95 des mêmes délibérations, du mois de novembre 1692
à la fin d’octobre 1693 , fol. 212 recto.
3. Registre 108 des mêmes délibérations , du mois de novembre
1705 à la fin d’octobre 1706 , fol. 139 verso.
�342 —
proposition du premier échevin Rimbaud, 1 il n’avait
plus que quelques mois d’exercice, et, pour pro
longer ses fonctions, il saisit avec bonheur l’occa
sion que la peste lui présenta. Tandis que ses collè
gues se déchargeaient en toute hâte du poids de
leurs obligations légales, abandonnant à leur triste
sort les malheureux qu’ils avaient mission de se
courir, Granier sollicita l’honneur de se placer pour
eux en face des dangers. Les supplications et les
pleurs de Jeanne Hermitte, sa femme, 2 l'ébranlè
rent sans doute un moment, mais ne changèrent pas
une résolution d’autant plus belle d’héroïsme qu’elle
n’empruntait rien à l’ambition, n’attendait rien de
la gloire et ne puisait sa force que dans la religion
du devoir. Granier pria ses collègues de disposer de
lui comme ils jugeraient convenable et offrit même
de s’enfermer dans l’Hôtel-Dieu pendant tout le cours
de la maladie. Sa demande, comme on le pense
bien, fut accueillie avec empressement.
Bruno Granier présida la séance du Ier août, à
la place de Jean Amphoux qui venait d’abandonner
son poste, et il fixa l’attention de ses collègues sur
les mesures à prendre dans la situation désespérée
1. Registre 120 des mêmes délibérations, année 1718, fol. 117
verso.
2. Registre Ldes délibérations du bureau de l’Hôtel-Dieu de Marseille,
du 10 juillet 1726 au 1er juillet 1734, fol, 199 verso, aux archives de
l’Hôtel-Dieu.
�où l’on se trouvait. La caisse de l'hôpital était vide
d’espèces , et les billets de banque , seule ressource
que l’on possédât, ne pouvaient servir à l’achat des
provisions nécessaires, les vendeurs ne voulant être
payés qu’à deniers comptant. Tous les mouvements
que le bureau s’était donnés, toutes les lettres qu’il
avait écrites à l’intendant de Provence pour obtenir
du directeur de la monnaie des espèces en échange
des billets de banque, n’avaient produit aucun effet.
Les échevins avaient déclaré aux recteurs que la
ville était dans l’impuissance de fournir à l’HôtelDieu le moindre secours. Le seul moyen de soutenir
l’œuvre, dans ces nécessités cruelles , était d’em
prunter la somme de six mille livres qu’un chari
table habitant de Marseille , Abraham Meynier,
offrait de prêter pour deux ans sans intérêts jusques
alors. Le bureau accepta cette offre généreuse avec
reconnaissance. 1
Il y eut le 8 août, sous la présidence du semai
nier Castellane, une autre séance à laquelle assis
tèrent Bruno Granier, Nogaret, Astour, Guieu ,
Guillet, Catelin, Grimod et Marnier. Le président
représente que « la maladie contagieuse se mani» feste par le nombre des morts et des malades qui
» augmente journellement ; que les échevins , noi. Registre coté I des délibérations du bureau de l’Hôtel-Dieu, du
Il avril 171b au 8 août 1720, fol. 2b2 recto et verso.
�344
» nobstant toutes les représentations du bureau ,
» continuent, de leur autorité , à envoyer dans
» l’Hôtel-Dieu plusieurs malades atteints de la con» tagion, ce qui est contraire aux règles et aux
» usages toujours observés dans cet hôpital ; que
» l’entreprise contre les droits du bureau est autant
» nuisible aux intérêts des pauvres que triste et
» affligeante pour des administrateurs qui ont la
» douleur de voir l’hôpital exposé au plus grand de
» tous les malheurs, sans qu’il dépende d’eux de
« couper la communication du mal. Tous leurs soins
» et toutes leurs précautions sont sans effet__ La
» plupart des enfants, des officiers et domestiques
» sont atteints du fléau. Les habitants se réfugient
» à la campagne; la ville devient déserte... Les
» recteurs, presque tous chargés d’une famille, ne
» peuvent résider tous dans la ville et il serait à
» propos , avant de se retirer, de pourvoir à tout
» ce qui paraît nécessaire pour l’administration de
» cette maison. »
« Sur quoi , le bureau , après avoir entendu M.
» Charles Pevssonel, médecin ordinaire de l’hôpital,
» a délibéré : »
« 1° M. Sauvan , prêtre sacristain de cet hôpital,
» ira prier M§r l’Evêque d’agréer qu’on ferme l’église
» pour y mettre les filles de la maison atteintes du
» mal contagieux, n’y ayant pas d’appartement dans
» l’Hôtel-Dieu pour pouvoir les placer et les séparer
» des autres malades. »
�« 2° M. Amplioux, trésorier, qui a déclaré ne pou» voir rester dans la ville, remettra à M. Bruno
» Granier, qui a une continuation de charité envers
» les pauvres et offre de rester dans la ville et de
» s'enfermer même dans l’hôpital, tout l’argent
» comptant qui s’y trouve pour être par lui employé
» aux dépenses journalières. »
« 3° Durant tout le temps que la ville sera affli—
» gée de la contagion, ledit Granier aura l’adminis» tration de l’hôpital dont il fera fermer les portes.
» Il tâchera d’éviter qu'on n'y reçoive aucun malade
» et prendra toutes les précautions qu’il jugera con» venables pour la conservation des biens et des per» sonnes qui s’y trouvent, le bureau se confiant
» entièrement en sa sage et prudente conduite ; et
» en cas de manque d’argent, de provisions et au» très choses nécessaires , il aura la bonté d’en in» former les échevins pour y pourvoir. » 1
Bruno Granier fit tout ce qu’il avait promis. Il
vint s'établir dans THôtel-Dieu et en dirigea seul
les pénibles affaires.
Charles Peyssonel, doyen des médecins de Mar
seille , eut aussi le courage de s’enfermer dans
l’hôpital, malgré ses quatre-vingts ans. Sa vieil
lesse , qui couronnait si bien une vie honorable et
laborieuse , n’enlevait rien à l’énergie de ses fa1. Même registre colé I, fol. 255 recto-et verso.
�— 346 —
cultés et ne refroidissait en rien l’ardeur qui l’ani
mait dans l’accomplissement des œuvres de bien
faisance, Appartenant à une famille distinguée par
des services rendus à Marseille et inscrite avec quel
que gloire dans les fastes littéraires et scientifiques
de cette ville , Charles Peyssonel était lui-même un
homme d’une incontestable valeur. Il exerçait sa
profession avec un admirable esprit de désintéres
sement. Les pauvres avaient tous ses soins , et
n’étant guère riche lui-même, il s’empressait peu
de le devenir. On disait que le zèle de la maison de
Dieu le dévorait. 1 Ancien élève des Oratoriens de
Marseille, il conserva pendant toute sa vie un sen
timent d’affection et de reconnaissance pour ses
maîtres, et ce noble sentiment fut une des causes
qui l’animèrent contre les jésuites. Il n’eut jamais
qu’un tort, celui de se passionner pour des opinions
et des intrigues auxquelles il sacrifia son repos.
Poursuivi criminellement pour avoir eu l’entrepôt
de quelques écrits sur les libertés de l’église galli
cane , de quelques ouvrages sur la Congrégation des
Filles de l'enfance persécutées comme jansénistes, 2
1. Suite de l’innocence opprimée, dans le recueil de pièces concer
nant la Congrégation des Filles de l’enfance de N. S. J.-C. Amsterdam,
1718, t. 2 , p. 221.
2. On a beauconp écrit sur l’affaire des Filles de l’enfance. Voyez,
entre autres ouvrages, ceux qui suivent : Recueil ci-dessus cité. —
Histoire de la Congrégation des Filles de l’enfance , 2 vol. in-12.
�Mmsmamtr \
— 347 —
et d’autres livres que proscrivait une secte fameuse,
il fut condamné le 12 février 1689, par l’intendant
de Provence , à sept ans de bannissement hors du
royaume et à 1,500 livres d’amende, avec défense
de rentrer dans sa ville natale. 1 II alla s’établir
au Caire en Egypte où il s’adonna à la pratique de
son art. Rappelé de son exil par le gouvernement
de France, il retourna à Marseille et se livra avec
beaucoup d’ardeur à l’étude de la physique , sans
abandonner la médecine. Tel était ce vieillard, plus
vénérable encore par ses vertus que par son grand
âge, lorsqu’il vint, avec une simplicité que nous ne
saurions trop admirer, consoler les amis des pauvres
et de l’humanité tout entière par l’héroïsme d’un
sacrifice digne des temps antiques.
Vers le milieu du mois d’août, la peste , fran
chissant toutes les barrières de l’Hôtel-Dieu, exerça
ses fureurs dans cette maison encombrée qui devint
une proie facile. La clôture n’empêche pas l’invasion
des grandes maladies qui régnent sur une popula
tion tout entière , et d’ailleurs FHôtel-Dieu se vit
Amsterdam, 1734. — H isto ire de la C o n g ré g a tio n d e s F ille s d e l ’e n
fa n c e , contenue dans un mémoire présenté au parlement de Toulouse
par messireGuillaume de Juliard, etc. Toulouse, 1 7 3 5 ,1 vol. in-12
— R ép o n se a u m é m o ire p ré c é d e n t. Amsterdam, 1737, 1 vol. in -1 2 .—
H isto ire de l’E g lis e c a th é d ra le de V a iso n , par le R. P. Louis-Anselme
Boyer. Avignon, 1731, 1 vol. in-4°. — L e s so u p ir s d e la F ra n c e
esclave g u i a sp ire a p rè s la lib e rté . Amsterdam, 168 9 , p. 10.
1. H isto ire des E v ê q u e s de M a r s e ille , t, 5 , p. 469 et suiv.
�— 348 —
sans doute obligé de recevoir des malades de la
ville. Le médecin Bertrand, qui veut toujours ex
pliquer la marche de la peste de \ 720 par des faits
particuliers de contagion et jamais par des causes
générales d’épidémie , assure que la maladie fut
portée dans THôtel-Dieu par une femme échappée
de la rue de l’Echelle qui était le plus grand foyer
d’infection. On ne crut cette femme atteinte que
d’une fièvre ordinaire et on la reçut sans difficulté.
La malade mourut bientôt. Deux filles de la maison
et la mère infirmière qui l’avaient soignée la sui
virent de près dans la tombe. 1 Tels furent à l’HôtelDieu les commencements du fléau , suivant le récit
de Bertrand , écrivain superficiel à l’excès , dont
l’ouvrage fourmille d’erreurs.
Bruno Granier déployait une activité extraordi
naire pour maintenir le bon ordre administratif et
se consumait en efforts inouïs pour satisfaire à toutes
les nécessités du service. Charles Peyssonel s’as
seyait auprès des malades, les consolait, touchait
leurs plaies et les pansait. Il prodiguait à ces in
fortunés les ressources de son art qui malheureuse
ment ne pouvait rien contre un mal croissant en
violence. Ce fut au milieu de leurs devoirs pieux
que la mort vint frapper ces deux héros de la bien1. Relation historique de ce qui s’esl passé à Marseille pendant la
dernière p este, seconde édition, Cologne, 1723 , p. 93 et 94.
�— 349 —
faisance , semblables à des guerriers intrépides,
combattant sur la brèche jusqu’à leur dernier sou
pir pour le salut de leurs concitoyens. 1 Que puis-je
dire encore? faible écrivain , j’en veux à mon in
suffisance qui ne me permet pas de louer dignement
des vertus si sublimes, et les paroles manquent à mon
admiration. Un concert de louanges exagérées a re
tenti autour de certains noms qui ne rappellent qu’un
dévouement vulgaire. Ces noms fastueux ont usurpé
les honneurs extraordinaires qui ne sont dus qu’à la
mémoire des grands bienfaiteurs de l’humanité ; et
vous , Granier , Peyssonel, hommes incomparables
aussi bien que modestes, le silence et l’oubli ont été
jusqu’ici votre unique partage. Ah 1 puissent les
hommages d’une justice tardive briller enfin pour
vous.
La mort de ces deux nobles victimes désorganisa
tout dans l’Hôlel-Dieu. Un jeune chirurgien appelé
Audibert, un jeune apothicaire nommé Carrière,
qui donnaient l’un et l’autre de belles espérances,
succombèrent en même temps , et dans l’espace de
quelques jours presque tous les employés, les ma
lades et les enfants trouvés furent emportés par la
maladie qui ne mit plus de bornes à ses ravages.
1. Voyez la lettre de M. Peyssonel fils à S. Exc. Msr le duc Descallone,
majordome major de Sa Majesté Catholique à Madrid, sur la mort de
M. Peyssonel, doyen des médecins de Marseille, in-4°de quatre pages,
daté de Marseille le 19 février 1721.
�350
Au commencement du mois de septembre , la ville
présenta les mêmes scènes de misère et d'horreur.
La peste qui, à son début, n’avait atteint que des
gens du peuple, ne tarda pas à s’abattre sur tous
les rangs , et les distinctions sociales s’évanouirent
devant Légalité du désastre. La terreur brise tous
les liens de famille , étouffe dans les coeurs la voix
du sang et de la pitié. La plupart des malades ,
abandonnés par ceux qui auraient dû leur donner
des soins, 1 meurent faute de secours. Affections
domestiques , devoirs pieux, tendresse filiale, tout
est outrageusement méconnu. On s’éloigne avec hor
reur d’un pestiféré. Ses parents mettent seulement
à ses côtés une cruche d’eau et le livrent à son
destin.
La nature a créé une affinité mystérieuse entre
nos dispositions morales et notre organisation phy
sique , et lorsque la m ort, sous ses formes les plus
hideuses , suspend sa faulx sur toutes les têtes,
les imaginations épouvantées s’égarent dans des voies
laides à faire peur. Alors l’instinct de la conserva
tion individuelle met à nu les sentiments d’égoïsme
qui prennent soudain une étonnante énergie. Si de
nobles exemples de patriotisme et de courage appai . Instruction sur les moyens les plus sûrs dont on peut se servir
pour faire cesser les maladies épidémiques et contagieuses qui régnent
à Marseille. Avignon , chez François Mallard, imprimeur, in-4° de
treize pages.
�351
laissent comme la consolation et la gloire de 1hu
manité, ce n’est là qu’une honorable exception au
milieu de la défaillance générale.
Ils n’en ont que plus de titres à nos éloges et à
nos respects, les hommes intrépides qui mirent leur
vie au service de Marseille en ces jours de deuil
indicible ; et qu’ils soient bénis entre tous, les échevins Estelle, Moustier, Audimar et Dieudé, magis
trats à l’âme héroïque, au corps infatigable, dignes
pères d’une patrie désolée. Leur dévouement, qui
grandit au sein des dégoûts et des périls , parut
s’élever au-dessus des forces humaines. On les eut
dit invulnérables , tant ils allaient de grand cœur
au travail.
Il était temps d’établir un hôpital pour les pesti
férés et on choisit celui des Convalescents, fort
bien situé sans contredit, mais tellement étroit et
peu propre à sa nouvelle destination, qu’il ne pou
vait pas recevoir plus de trois cents malades. Aussi
fut-il rempli en moins de deux jours , 'et comme les
pestiférés y venaient en foule, on fut obligé de les
placer dans une bergerie située à quelques pas de
distance. Deux médecins de la petite ville de Barjols,
Gayon père et fils , vinrent, dans ces circonstances,
offrir leurs services aux échevins qui les acceptè
rent volontiers. Les deux Gayon furent donc atta
chés , avec un chirurgien , à l’hôpital des Conva
lescents où ils eurent à peine le temps de se recon-
�— 352
naître. Le père fut atteint du mal et aussitôt em
porté. Le fils , saisi de frayeur, reprit en toute hâte
le chemin de Barjols et y mourut bientôt aussi. La
mort du chirurgien et des employés de l’hôpital mit le
comble au trouble et au désordre qui augmentèrent
avec les ravages de la peste, et cette maison offrit
alors le tableau le plus effrayant et le plus hideux.
Les mercenaires dont on fit choix, pour servir les
malades, se conduisirent indignement et dépouillè
rent ces malheureux couchés pêle-mêle. Un tas de
cadavres décomposés remplissait la cour de l’hôpital
qu'infectait une odeur mortelle, et tous les sens se
soulevaient d’horreur dans ce séjour de souffrance. 1
Le chevalier Roze , dont le nom historique peut
aujourd’hui se passer d’éloge, organisa un autre
hôpital dans le quartier de Rive-Neuve où l’on ve
nait de le nommer commissaire-général. Il l’établit
sous la voûte d’une corderie le long des remparts,
fit creuser de grandes fosses du côté de l’abbaye
Saint-Victor pour la sépulture des morts , pourvut
enfin à toutes les nécessités publiques, et ce qu’il
y a de plus admirable , c’est que ce grand citoyen ,
toujours en mouvement et en travail, sage et pru
dent dans ses desseins, rapide dans l’exécution, fit
tout à ses frais, sans se mettre en peine s’il en serait
1. Pichatty de Croissainte, ouvrage cité, p. 1 5 .— R e la tio n h isto
riq u e de to u t ce q u i s ’est p a ssé à M a rse ille p e n d a n t la d e rn iè re p e ste ,
seconde édition. Cologne, 1725, p. 87, 140 et suiv.
�— 353 —
remboursé. 1 C'était merveille de le voir à l'œuvre /
Montagnier, médecin de Marseille , etCoste, maître
en chirurgie de la même ville , servirent l’hôpital de
Rive-Neuve auquel fut aussi attaché Boyer de Para
dis, l’un des médecins venus de Paris par ordre du
Régent. Comme cet hôpital ne fut établi que pour
un quartier qui était alors peu important et faible
ment peuplé , il n’eut jamais plus de cent malades
à la fois. 2
On construisit un grand hôpital en charpente dans
les allées du Jeu de Mail attenant au couvent des
Àugustins réformés , et on le plaça sous la direction
de Marin et de Beaussier , négociants de Marseille ,
qui s’étaient mis généreusement à la disposition des
échevins abandonnés de tout le monde. La m ort,
d’ailleurs , avait fait le vide autour d’eux. Les ca
pitaines de quartier, les gardes de police, les soldats
du guet, les valets de ville, tout était tombé comme
frappé du glaive d’un ange exterminateur. Seule
ment Pichatty de Croissainte , avocat de la ville et
procureur du roi au tribunal de police, l’archivaire
Capus et le caissier Bouis restent debout et secon
dent avec intelligence leurs chefs qui se refusent les
heures même destinées au repos.
1. Pichatty de Croissainte , ouv. cité, p. 15 et IG. — R e la tio n h is
toriq u e de to u t ce q u i s ’e st p a ssé A M a rseille p e n d a n t la d e rn iè re p e ste .
Cologne , 1723, p. 194 et 193.
2. Même relation historique, p. 325 et 32G.
tome i.
23
�354 —
Mais quelque grand que soit l’hôpital du Jeu de
Mail , on considère qu'il ne pourra jamais recevoir
tous les malades. Le Cours, où les échevins ont fait
tendre des voiles de vaisseau , se remplit de pesti
férés , d’autres gissent dans les rues, à côté des
cadavres en putréfaction entassés les uns sur les
autres. On voit des malades qui trempent dans le
ruisseau une langue enflammée pour étancher la soif
qui les dévore , et ça et là se traînent, à travers
les morts , des moribonds couverts d’un linceul,
comme des spectres livides. 1 On sent dès lors la
nécessité d’un autre hôpital, et l’on jette les yeux
sur celui de la Charité où se trouvent près de huit
cents lits avec tout le matériel convenable. Mais où
mettre les pauvres de cette maison ? On destine à
leur logement l’Hôtel-Dieu où se trouvent encore cin
quante pestiférés qu’on porte dans une chapelle de
1. Sur le tableau que présenta Marseille durant ces jours de déso
lation , voyez , entre autres ouvrages , le D isc o u rs s u r ce q u i s ’est p a ssé
d e p lu s c o n sid éra b le à M a rseille p e n d a n t la c o n ta g io n , in-12 de 40
pages , imprimé dans cette ville chez Jean-Antoine Maillard — O bser
v a tio n s s u r la n a tu r e et le tra ite m e n t de la fiè v re p e s tile n tie lle , ou la
p e ste , a vec les 7noyens d 'e n p r é v e n ir ou e n a rr ê te r le p r o g r è s , par
M. Fournier, docteur en médecine de la faculté de M ontpellier, etc.
Dijon , chez Frantin, 1777, pag. 15 et suiv. Fournier fut envoyé à
Marseille en 1720 avec Chicogneau, Verny et Deidier, médecins dis
tingués de l’Université de Montpellier. 11 dit qu’il entra à Marseille à
travers plus de vingt mille morts et neuf à dix mille malades ou mou
rants. Dans son ouvrage publié cinquante-cinq ans après , Fournier
déclare que le seul souvenir de cette désolation générale glace encore
ses sens de terreur.
�— 355 —
pénitents située dans le voisinage. Il faut en outre
désinfecter l'Hôtel-Dieu et y placer les pauvres de
la Charité. Ce sont des peines inexprimables.
Celles que les échevins prennent pour organiser
le service médical ne sont pas moindres. Où trouver
les employés et les servants pour les hôpitaux? Et
les maîtres en chirurgie, et les élèves !... L’appât
seul des plus fortes récompenses peut les attirer. On
promet aux maîtres chirurgiens des principales villes
deux mille livres par mois ; aux maîtres des petits
lieux mille livres ; trois cents aux garçons et la
maîtrise dans Marseille, avec le logement et l’en
tretien pendant toute la durée de leur service. 1
Les docteurs en médecine Robert et Bouthillicr
furent placés à l’hôpital de la Charité où l’on mit
aussi des chirurgiens étrangers et un apothicaire ;
les docteurs Pons et Guilhermin firent le service de
l’hôpital du Jeu de Mail. Ce dernier était venu de
Boulène , petite ville du Comtat Venaissin ; mais il ne
tint que quelques jours et tomba victime de son zèle.
Il fut remplacé par Audon , jeune médecin de Mar
seille , qui avait, dit un de ses collègues , le cœur au
métier autant quon pouvait l'avoir. - Ce dernier eut le
même courage que Guilhermin, et malheureusement
1. Pichatty de Croissainte , ouvrage cité, p. 52.
2. Relation historique de ce qui s'est passé à Marseille pendant la
dernière peste , seconde édition, Cologne, 1725 , p. 269.
�— 356 —
le même sort. Grâce à tous les moyens que les échevins employèrent, grâce aussi au gouvernement du
régent qui envoya à Marseille plusieurs docteurs
d’élite, les soins fournis par l’art de guérir ne man
quèrent plus. On n'en continua pas moins de mourir
avec des médecins , comme on mourait auparavant
sans eux.
La maladie suivit son cours naturel. Au milieu du
mois d’octobre, elle entra pleinement dans sa période
de décroissance, et à la fin de cette année désas
treuse elle était à peu près calmée. L’hôpital de la
Charité ne reçut, dans le mois de décembre, que
cent cinquante-trois malades et en perdit quatrevingt-cinq. Celui du Jeu de Mail compta cent trois
nouveaux pestiférés et quatre-vingt-quinze y mou
rurent. * L’hôpital des Convalescents et celui de RiveNeuve étaient fermés. A la fin de ce mois et au
commencement de janvier 1721 , à peine tombait-il
dans la ville cinq ou six malades par semaine ; mais
la peste sévissait encore dans la banlieue où elle s’é
tait déclarée plus tard. Elle avait commencé par le
village de Saint-Marcel et par le quartier de SainteMarguerite ; de là elle avait gagné tous les autres
quartiers ruraux et s’était insensiblement répandue
dans toutes les campagnes du territoire , 2 à l’excep1. Relation historique, etc., p. 325 et 32G.
2. Même ouvrage , p. J99 et suiv.
�— 357 —
lion do celles de la Nerllie et de la Treille qui curent
le bonheur de s’en préserver. 1
Le bailli de Langeron , gouverneur de Marseille,
avec des pouvoirs extraordinaires , rendit, le 8 dé
cembre, une ordonnance pour la désinfection gé
nérale des maisons. Le 30 du même mois et le 10
janvier 1721 , il en fit publier deux autres pour la
complète organisation de ce service. 2 Cependant les
églises ne furent ouvertes que le 25 août, jour de
la fête du roi. 3 Un mois après , la peste avait en^tièrement cessé dans la ville et la banlieue. * Le
bailli de Langeron , les échevins, les membres de
l’intendance sanitaire , les commissaires de quartier
et les principaux citoyens de Marseille publièrent
un acte déclaratif de la santé publique. Quatre rec
teurs, de l’Hôtel-Dieu, Nogaret, Grimod, Castellane
1. Liste générale des personnes qui so-nt mortes du mal contagieux
dans la ville et dans le territoire de Marseille, certifiée par le secrétaire
archivaire Gapus , à Marseille, le 18 août 1731 , de l’imprimerie de
Jean-Baptiste Boy.
2. Placards de divers formats portant les signatures du bailli de
Langeron, du marquis de Pilles, viguier de Marseille, et des quatre
échevins, contresignés parCapus, secrétaire-aFchivaire, de l’impri
merie de Jean-Baptiste Boy.
3. Mandement de l’évêque de Marseille pour l’ouverture des églises
de la ville, du 22 août 1721, dans le recueil de pièces historiques
sur la peste de Marseille et d’une partie de la Provence, en 1720, 1721,
1722, publié en 1820, à l’occasion de l’année séculaire de la peste ,
t. 1, p. 327 et suiv.
4. Mandement du même évêque, du 26 septembre 1721, dans le
même recueil, t. 1, p. 336 et suiv.
�— 360 —
ordinaire ; les vivants oubliaient les morts et le mois
de mai ramenait la joie avec les beaux jours du
printemps, lorsque le 4 du même mois un homme
mourut en quelques heures à la rue de la Croix-d’Or.
L’alarme, qui se répandit aussitôt, augmenta le
lendemain par la mort de deux jeunes personnes.
Une femme fut aussi frappée de mort subite dans
un café, près l’Hôtel-de-Ville. Deux autres femmes
eurent le même sort, l’une à la Grande-Rue, l’autre
dans le voisinage du couvent des Grands-Auguslins.
Le peuple épouvanté croit voir apparaître un nou
veau germe de peste. Cependant, quelques docteurs
en médecine consultés par les échevins soutiennent
que les malades ne présentent aucun symptôme de
maladie pestilentielle. Les chirurgiens pensent au
contraire que ce mal s’annonce par des signes évi
dents. 1
Le 2 m ai, les recteurs de l’Hôtel-Dieu tinrent
une séance extraordinaire. Charbonier, président
semainier, exposa que Raymond , médecin ordi
naire de cet hôpital, venait de lui déclarer que la
ville était menacée d’une nouvelle invasion de la
peste; qu'il fallait, dans ces circonstances, prendre
toutes les précautions dictées par la prudence.
t. Relation de la peste dont la ville de Toulon fut affligée en 1721,
avec des observations instructives pour la postérité , par M. d’Antrechaus. chevalier de l’ordre de Saint-Michel, premier consul de Toulon
pendant ladite année. Paris, 1756 , p. 360.
�361
Le bureau . après une longue délibération, pres
crivit au docteur Raymond et au sieur Amoureux,
maître en chirurgie , de visiter tous les malades de
la maison pour savoir si quelqu’un d’entre eux su
bissait l’influence du mal pestilentiel. Ces deux hom
mes de l’art accomplirent de suite cette commission
et vinrent faire un rapport négatif.
Séance tenante, le bureau prit une délibération
portant qu’on établirait dans les nouvelles bâtisses
de l’hôpital un entrepôt pour y placer les nouveaux
malades, à l’exception des pestiférés qui, dans aucun
cas, ne seraient reçus dans THôtel-Dieu ; que ces
nouveaux malades ne pourraient communiquer avec
ceux des autres salles, et que si l’on découvrait plus
tard quelque pestiféré dans l’entrepôt on en donne
rait avis au marquis de Pilles, commandant, et aux
échevins, pour les faire transporter dans les hôpi
taux dits de peste. On prit encore pour la clôture
de la maison et son approvisionnement, pendant
toute la durée du fléau , diverses mesures dont
quelques-unes étaient conformes à celles de 1720.
Le recteur Charbonier, trésorier, fut autorisé à em
prunter jusqu’à 15,000 livres pour assurer la marche
des services. On confia le soin des nourrices et la
surveillance générale à Caillat, économe des enfants
trouvés, qui demanda à s’enfermer dans la maison
avec Augier, son commis. Enfin, le bureau députa
Castellan, Griinod et Demandes, trois de scs membres,
�— 362 —
auprès du marquis de Pilles et des échevins pour leur
communiquer cette délibération , avec prière de se
courir l’hôpital en cas de besoin. 1
Quelques jours après , les recteurs de l’Hôtel-Dieu
firent ce que leurs prédécesseurs avaient fait dans
des circonstances semblables. Déserteurs de leur
poste et de la cause publique , ils ne pensèrent qu’à
leur sûreté personnelle. Le 14 mai, le bureau dé
libéra « qu’attendu que les soupçons de contagion
» causent un dérangement général dans la ville et
» que la frayeur s’est répandue dans toutes les fa» milles, il sera sursis à l’assemblée des bureaux,
» lesquels ne se tiendront que sur la convocation qui
» sera faite par M. le semainier, pour causes extraor» dinaires, jusqu’à ce que la santé soit parfaite dans
» la ville et que les esprits soient rassurés. » 1
Le bureau considéra ensuite qu’il était difficile,
en ce temps de malheur, de trouver des chirurgiens
sur les lumières et le zèle desquels on pût compter ;
et comme on était fort satisfait du service de Balthazar Orange , garçon chirurgien , gagnant maî
trise , on le manda incontinent au bureau et on lui
proposa, sous la promesse d’une bonne récompense,
de soigner les malades qui seraient reçus dans l’en
trepôt.
1. Livre coté K ci-dessus cité, toi. 42 et suiv.
2. Même livre coté K. fol. 44 recto et verso.
�363 —
Orange répondit que son désir de servir les pau
vres lui faisait oublier le danger qu’il y avait de perdre
la vie en les secourant. Il pria le bureau, à titre
d’unique faveur, de s’employer pour lui auprès du
roi pour obtenir que le terme de six années de ser
vice qu’il était obligé de faire dans l’hôpital pour
gagner sa maîtrise , fût réduit à trois ans ; s’enga
geant , après sa sortie, à donner toujours ses soins
aux malades de cette maison , lorsqu’il en serait
requis , et même de s’y enfermer, si la peste venait
encore désoler la ville.
Le bureau accueillit la demande d’Orange qui fut
ainsi chargé du service de santé de l’entrepôt de
l’Hôtel-Dieu 1
Le dévouement de ce jeune homme, qui devint
plus tard un chirurgien utile, ne fut pas mis heu
reusement à une dure épreuve, car la peste , dans
cette rechute, ne s’annonça que par quelques acci
dents isolés et n’eut jamais la marche épidémique.
Les recteurs de l’Hôtel-Dieu, qui avaient interrompu
leurs séances devant l’imminence d’un grand danger,
les reprirent quand ils virent que la peste de 4722
faisait plus de peur que de mal. Ils tinrent le 46
juillet un bureau sous la présidence de Grimod ,
lequel représenta que l’entrepôt n’était pas assez
grand pour recevoir tous les malades qui s’y préi. Même livre, meme folio.
�3G4 —
sentaient ; que l'entretien d’ailleurs en était fort
dispendieux; que MM. Bertrand, Raymond et Michel,
médecins ordinaires de l’Hôtel-Dieu, avaient déclaré
que l’on pouvait, sans danger, faire passer dans
les salles de cet hôpital les pauvres atteints de ma
ladies ordinaires, en ne laissant dans l’entrepôt que
ceux dont le mal n’avait pas encore un caractère
bien déterminé ; qu’à l’avenir, et tant que des cas
de pesté se manifesteraient à Marseille, cet entrepôt
serait ainsi un lieu d'observation pour l’Hôtel-Dieu.
Le même jour, le bureau modifia dans ce sens le
régime de l’entrepôt qui fut soumis à de nouvelles
dispositions réglementaires, 1 et quelque temps
après, la peste ne se montrant plus à Marseille,
les recteurs jugèrent qu’il fallait rétablir l’ordre or
dinaire dans la maison. Le 17 septembre ils délibé
rèrent de fermer l'entrepôt, d’abattre les barrières et
de recevoir les malades en la forme accoutumée. 2
Cette rechute ne fit que peu de victimes , et le
nombre des morts ne fut pas même plus considé
rable qu’en temps ordinaire. 3 II n’y eut que deux
1. Livre coté K des délibérations du bureau de l’Hôtel-Dieu de Mar
seille, du 2 janvier 1721 au 4. juillet 1726, fol. 45 et suiv.
2. Livre coté K , fol. 52 verso.
3. Remontrances du parlement de Provence sur les désordres arrivés
dans cette province pendant la durée de la contagion, etc., dans les
pièces historiques de la peste de Marseille et d’une partie de la Pro
vence en 1720, 1721 et 1722, publiés en 1820 à l’occasion de l’an
née séculaire de la peste, t. 2, p. 155.
�cent soixante malades. Soixante-six guérirent et cent
quatre-vingt-quatorze succombèrent, et parmi eux
se trouva le chirurgien Campredon, envoyé par la
cour en 1720. 1
Par un édit du 19 novembre, le roi ordonna la
retraite des troupes qui formaient le cordon sani
taire , et le 1er décembre suivant, le bailli de Langeron , nommé pour la seconde fois commandantgénéral de Marseille , fit publier l’acte déclaratif de
la santé publique qui ne laissait plus rien à désirer. 2
La peste imposa d’énormes sacrifices d’argent à la
ville de Marseille, qui dépensa environ trois millions
cinq cent mille livres en 1720 et 1721 , et quatre
cent mille livres en 1722 , à cause de la rechute. 3
Le roi alloua, en 1723, quatre millions cinq cent
mille livres à prendre sur le don gratuit de la Pro
vence , de 1724 et des années suivantes jusquesen
1737 , pour que cette somme fût répartie en faveur
1. H isto ire d e la re c h u te de la p e ste d e M a r s e ille , avec to u t ce q u i
s'est p a ssé de p l u s re m a rq u a b le d a n s la p ro v in c e , par ordre de la cour
ou des commandants, jusques au mois de mai 1725. Manuscrit in-4",
fol. 24 verso et 4-7 verso , à la bibliothèque de Marseille.
2 Recueil de diverses ordonances du bailli de Langeron et acte dé
claratif de l’état présent de la santé de la ville de Marseille et de la
désinfection générale. ln-4« de 32 pages, à Marseille, de l’imprimerie
de J -B . Boy.
3. H isto ire de la re c h u te de la p e ste de M a r s e ille , manuscrit ci-dessus
cité, fol. 47 verso.
<j
�366
des communautés qui avaient été affligées du mal
pestilentiel, et dans la proportion de leurs frais. 1
Les dépenses extraordinaires de l’Hôtel-Dieu de
Marseille , pendant la dernière peste et pendant la
rechute, avaient été de 30,000 livres. Le bureau pré
senta requête au premier présidentdu parlement d’Aix,
intendant de Provence , pour que cette somme impor
tante fût mise à la charge de la ville de Marseille.
Mais comme l’Hôtel-Dieu n’avait aucune pièce justifi
cative de ces dépenses faites au milieu d une confusion
inexprimable, les échevins de Marseille consentirent,
sous le bon plaisir de l’intendant, à ce que la préten
tion de l'hôpital fût réduite à 18,687 livres , somme
égale à celle dont cette maison se trouvait débitrice
envers la ville , suivant un arrêté de compte du 31
mars 1723. Le bureau de l’Hôtel-Dieu , dans sa
séance du 29 novembre 1725, délibéra , sur le
rapport du semainier Jean-Baptiste Fabron , de rap
porter des échevins la décharge de la somme indi
quée, conformément à l’arrêté de compte. 2
1. Registre 130 des délibérations municipales, année 1728, fol. 76
et su iv ., aux archives de la ville de Marseille. — Voyez aussi le rap
port fait au conseil municipal par le premier échevin Moustier, le 17
avril 1722, sur diverses opérations financières pendant la peste. Re
gistre 124 des délibérations municipales , fol. 44 et suiv., aux mêmes
archives.
2. Livre coté K des délibérations du bureau de l’Hôtel-Dieu , fol.
154 recto.
�C H A P IT R E X V I .
ÉCOLE DE C D i n V R G l E .
Changement dans le service de santé à l'Bôtel-Dieu.
Élèves pensionnaires. — École de Chirurgie. — Bureau des consulta
tions gratuites créé par le collège de Chirurgie.—Dissolution de ce
collège et de l’école.— Changement dans l’organisation et dans le
personnel du service de santé à l’Hôtel-Dieu, aussi bien que dans
l’enseignement public de chirurgie. — Diverses délibérations mu
nicipales à ce sujet. — Mécontentement de l’Administration de
l’Hôtel-Dieu. — Elle donne aux praticiens qui ont servi l’hôpital
des témoignages de satisfaction et de regret.
Dans l’intérêt des études médicales et pour satis
faire à des convenances de famille , on reçut à
l’Hôtel-Dieu de Marseille, vers le milieu du xvme
siècle, quelques élèves pensionnaires. Le prix, d’a
bord fixé à 360 livres par an , puis à 400 livres,
fut plus tard porté à 460 pour les deux premières
années et maintenu à 400 pour la troisième. * Ces
1. Registre S des délibérations du bureau de lTIôtel-Dieu de Mar
seille, du 11 mai 1780 au 31 décembre 1786, fol. 62 verso et 170
verso.
�— 368 —
élèves étaient externes , c’est-à-dire que la maison
ne les logeait ni ne les nourrissait.
Ces jeunes gens avaient un précepteur pour l'ins
truction religieuse et pour quelques études classi
ques. La place fut supprimée peu de temps avant
1780, mais l’administration de l’hôpital la rétablit
le 9 novembre de cette année , attendu, dit la dé
libération , que les élèves étaient sans moeurs. 1
L’emploi de précepteur fut donné , le 23 du même
mois, au père David , aux honoraires de deux cents
livres par an avec le logement et la nourriture.
On le remplaça, le 22 février de l’année suivante ,
par Canolle , lequel eut pour successeur , quelques
mois après , Baron, dont le prêtre Joseph Faure
vint occuper la place le 5 décemhre 1782. 2
Grâce à des mœurs et à des lois nouvelles, la
chirurgie, en France, s’était graduellement relevée
de l’état d’abaissement et presque d’humiliation où
on l’avait si long-temps réduite. Sortie du domaine
des arts mécaniques , elle était entrée dans celui des
professions libérales. 5 Le corps des maîtres chirur1. Même registres, fol. 11 verso.
2. Même registre S, fol. 13 recto , 19 recto , 50 recto , 70 recto.
Les archives de l’Hôtel-Dien gardent, après cette époque ,1e silence sur
le précepteur des élèves. 11 paraît que Faure conserva long-temps ses
fonctions et qu’il ne fut pas remplacé.
o. Sur l’exercice de la chirurgie, voyez les statuts et règlements
généraux donnés à Marly le 24 février 1750. Cinquième édition aug
mentée des édits, arrêts et déclarations qui y ont rapport, e tc ., par
�giens de Marseille témoigna de son zèle pour les
progrès de l'instruction. Ce corps, qui avait obtenu
en 1775, le titre plus élevé de collège, titre qui
l'assimilait presque au collège de médecine, institua
dans l’hôpital une école gratuite de chirurgie. Mais
les cours ne furent pas faits très-régulièrement et
l’école ne reçut une organisation plus satisfaisante
qu’en 1779. L’intendant de Provence prit à cœur
le succès de cet établissement profitable aux élèves
de l’Hôtel-Dieu de Marseille et principalement aux
jeunes chirurgiens destinés à la navigation dans des
voyages de long cours. Les magistrats municipaux
secondèrent les intentions de l'intendant; le conseil
de ville,- par délibération du 12 octobre 1778,
vota douze cents livres pour la construction d’un
amphithéâtre digne, autant que possible, de l’hô
pital d’une grande cité, 1 et l’école fut solennelle
ment inaugurée le 3 juillet 1780 , en présence du
maire , des échevins et de l’assesseur. 2 Le collège
Le Blond d’Olblen , avocat au parlement, in-4«. Paris, 1772.— Statuts
et règlements pour les chirurgiens des provinces établis ou non établis
en corps de communauté. A Aix, in-4°, 1745.— Statuts et règlements
pour le collège des maîtres en chirurgie de la ville, faubourgs , dis
trict et territoire de Marseille , accordés par les lettres patentes don
nées à Versailles le 25 juin 1669. Marseille, chez Antoine Favet,
in-4°, 171
1. Registre 179des délibérations municipales, année 1778, fol. 145
recto, 150 verso et 197 recto.
2. Registre S des délibérations du bureau de l’Hôtel-Dieu , du 11
mai 1780 au 51 décembre 1786, fol. 5 verso.
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de chirurgie avait nommé cinq professeurs pris dans
son sein : Louis Terrier, pour la physiologie ; Jac
ques Poilroux , pour l’ostéologie et les maladies des
os; Clair Segond, pour l’anatomie; Joseph Latour,
pour les opérations , et Honoré Segond , pour la
matière médico-chirurgicale. 1 II y avait trois leçons
par semaine.
Plus tard le collège de chirurgie fournit successive
ment à l'école publique d’autres professeurs qui fu
rent Jean-Michel Helliès, Antoine Aillaud, JeanFrançois Rigordy, Jean-Baptiste Brouchier , LouisThomas Flory , François Giraud , Louis Vachier ,
Antoine Bremond, Joseph Paul, Antoine Thumin ,
Paul-Marie Roux. 2 Deux d’entre eux, Rigordy et
Brouchier, étaient maîtres en chirurgie et docteurs
en médecine. 3
Les statuts du collège de chirurgie de Marseille
imposaient aux élèves qui voulaient passer maîtres
pour s’établir dans cette ville ou dans sa banlieue ,
l’obligation de suivre pendant une année au moins
les cours de chirurgie dans l'école marseillaise, ou
dans une école du royaume ; de s’appliquer de plus
1. Grosson. Almanach historique de Marseille pour l’année 1780,
p. 279 et 280.
2. Voyez les almanachs historiques de Marseille de 1781 à 1790,
Verbo école publique et gratuite de chirurgie.
o. Almanach historique de 1788, page 277.
�à l’étude de l’art chirurgical, au moins pendant
quatre années, soit chez les maîtres, soit dans les
hôpitaux. 1
Les lettres-patentes du roi, données à Versailles
le 18 juin 1784, imposèrent de nouvelles conditions
aux étudiants en chirurgie et les soumirent à pré
senter de meilleures garanties d’instruction. 2
Le 3 mai 1784, le conseil municipal de Mar
seille, reconnaissant toute l’utilité d’une institution
recommandable à tant de titres , et voulant encou
rager le collège de chirurgie par un témoignage de
satisfaction et de confiance , délibéra unanimement
de lui accorder, sur sa demande , la somme de
douze cents livres une fois payée, laquelle devait
être employée , pour l’année courante, à l’achat
de divers instruments, de quelques livres et d’un
mannequin pour les bandages, aux dépenses de l’am
phithéâtre, à la fondation de plusieurs prix, con
formément à ce que pratiquait la ville de Lyon pour
son école de chirurgie. Le conseil municipal vota
de plus six cents livres pour chacune des années
suivantes. 5
1. Article 38 des statuts des maîtres en chirurgie de Marseille , du
23 juin 1769 et ci-dessus cités.
2. Lettres-patentes du roi qui prolongent le temps des études des
élèves en chirurgie pour parvenir à la maîtrise, données à Versailles
le 18 juin 1784. A Aix, chez Antoine David , in-4°, 1784.
3. Registre 185 des délibérations municipales, année 1784, fo l.-67
verso, 68 recto , 75 recto et verso , aux archives de la ville.
�Le collège de chirurgie de Marseille se montra
digne de cette faveur en créant dans son école, en
1787, une chaire d’accouchement qui fut occupée
par Rodolphe Barles , l’un de ses quatre prévôts.
En meme temps il créa un établissement dont les
amis de l’humanité eurent à s’applaudir. Ce fut un
bureau des consultations gratuites pour les indi
gents : Joseph Bertrand , lieutenant du premier
chirurgien du roi à Marseille , le présida. Les au
tres membres furent les prévôts Antoine Porte,
Nicolas André, Barles dont je viens de parler, et
Claude Ollion , oculiste de la province, ] Louis
Vachier , Jean - François Fabre et Joseph Paul.
Rigordv, le quatrième prévôt, tint la plume comme
secrétaire. Le bureau des consultations gratuites
siégeait le jeudi au matin, durant deux heures , à
l’Hôtel-Dieu , dans la salle même où le collège de
chirurgie tenait ses séances. 2 Les maîtres chirur
giens de Marseille avaient, comme les maîtres apo
thicaires de la même ville, le droit de s'assembler
en corps dans cette maison , conformément à leurs
statuts de l'année 1655, à l'arrêt du conseil du 1er
1. Abrégé du cahier des délibérations de l’assemblée générale des
communautés du pays de Provence, convoquée à Lambesc le 14 octo
bre 1770. In-4°, Aix , 1770, p. 208.
2. Grosson. Almanach historique de M arseille, année 1 78 8 ,
p. 280.
�— 373 —
juillet 1681 et à la délibération du bureau de l’HôtelDieu du 5 juillet 1696. 1
La révolution changea complètement le personnel
du service de santé de l’Hôtel-Dieu de Marseille et
tout ce qui tenait à l’enseignement public de la chi
rurgie dans cette maison. Le collège des maîtres
chirurgiens fut dissous , comme le furent tous les
anciens corps institués pour l’exercice des profes
sions diverses , appelées désormais à jouir de la li
berté du travail individuel, sous le seul empire des
garanties légales. Le 22 mai 1792, le corps muni
cipal de Marseille délibéra qu’à l’avenir quatre mé
decins , huit chirurgiens et quatre apothicaires,
nommés par le corps municipal lui-même, feraient
le service de l’Hôtel-Dieu par quartier, à tour de
rôle, et seraient renouvelés tous les deux ans. Séance
tenante, le conseil procéda à ces nominations par la
voie du scrutin secret, et les docteurs en médecine
Jourdan , Lemasson, Vidal et Barthélemy Benoit,
les maîtres chirurgiens Bertrand, Muraire, Jourdan,
Brouchier, Chabert , Joseph Gérard , Guillaume
Dansan et Flory, les apothicaires Lambert, Castellan , Besson et Vernet, obtinrent la majorité des
suffrages. Ce dernier était officier municipal. 2
1. Livre G des délibérations des bureaux de l’hôpital Saint-Esprit
et Saint-Jacqucs-de-Galice , du 11 septembre 1692 au 7 mai 170 6 ,
fol. 79 verso.
2. Registre 3 des délibérations du corps municipal de Marseille, du
�374 —
Deux jours après , les officiers municipaux de
Marseille écrivirent aux directeurs de l’Hôtel-Dieu
une lettre ainsi conçue : « La constitution appelant
» tous les citoyens aux emplois que la société dis» tribue à ses membres, sans autre distinction que
» celle du mérite, la municipalité, chargée par la
» loi de la surveillance de tous les établissements
» publics de son ressort, a cru devoir faire dispa» raître les abus qui régnaient encore dans celui
» que vous administrez. En conséquence, elle vient
» de remplacer par des personnes de l’art tempo» raires celles qui faisaient le service de l’hôpital
» Saint-Esprit et qui s’étaient perpétuées dans ce poste
» en vertu de brevets ou privilèges particuliers que
» les nouvelles lois ont proscrits avec juste raison.
» Nous nous empressons , Messieurs, de vous faire
» part de la délibération que le corps municipal prit
» avant-hier à ce sujet, afin que d’ici au 1er juillet,
» époque de l’entrée en exercice des nouveaux mé» decins, chirurgiens et apothicaires nommés par
» la municipalité , vous puissiez faire les dispositions
» relatives à ce nouvel arrangement. Nous espé» rons , Messieurs, qu’il obtiendra vos suffrages ,
» puisqu’il n’a d’autre but que le bien public et
» l’amélioration du service des pauvres malades. » 1
23 février 1792 au 8 février 1795, fol. 87 verso et 88 recto, aux ar
chives de la ville.
1. Registre T des délibérations du bureau de 1'HôLcl-Dicu de Mar-
�- 375 —
L’administration de l'hôpital s'émut de ce chan
gement , quoiqu'elle fût composée d’hommes pro
fessant les idées nouvelles. Elle délibéra de se rendre
en corps auprès du maire et des officiers municipaux
pour leur représenter tous les inconvénients du ser
vice trimestriel.
Le corps municipal était alors animé de toutes
les ardeurs de cet esprit d’innovation qui ne peut
que s’égarer lorsqu’il n’a pas pour guide la prudence
que donnent l’habitude des affaires et la connaissance
pratique des choses administratives. Le 9 juin , un
membre de la section dite des œuvres pies, exposa
que les hommes de l’art nommés par délibération du
22 mai, pour faire le service temporaire de l’hôpi
tal , pouvant par leurs lumières spéciales concourir
au bien de l’administration générale de cette œuvre,
il convenait de les admettre à ce concours avec les
directeurs, en leur donnant voix délibérative dans le
bureau , durant le temps de leur service par quar
tier. Plusieurs membres appuyèrent la proposition ;
mais Corail, Nitard, Boulouvard, Baudoin et Petre,
sans se prononcer sur le fond , déclarèrent qu'il fal
lait , avant tout, entendre les directeurs de l’HôtelDieu. Sur les conclusions conformes du procureur
de la commune, le corps municipal passa outre et
seille , du 1er janvier 1787 au 5 septembre 1793. fol. 166 recto et
verso.
�— 37G
adopta la proposition. Comme les chirurgiens Bertrand
et Flory avaient donné leur démission, il fut déli
béré de ne pas les remplacer. 1
Ce n’était pourtant là qu’une décision de première
instance, si je puis parler ainsi. Le corps municipal
n’était composé que du maire et de vingt officiers
municipaux. L’adjonction de quarante-deux notables
également nommés par les assemblées primaires for
mait avec les premiers , dans les discussions impor
tantes , le conseil général de la commune de Marseille
qui, de cette manière, avait soixante-trois membres.
Le 27 juin , le conseil général eut à s’occuper de
l’affaire de l’Hôtel-Dieu. Il adopta en principe les
délibérations prises par le corps municipal le 22 mai
et le 9 juin , mais avec des amendements qui en
changèrent beaucoup le caractère et la portée. L’as
semblée se réserva le droit de faire elle-même les
nominations par liste simple, à la majorité des voix.
Elle voulut, pour le bien des malades, que les méde
cins et les chirurgiens de service ne sortissent pas tous
ensemble à la fin du quartier et qu’ils fissent entre
eux un arrangement pour qu’il en restât toujours
un au moins en exercice avec ceux du quartier sui
vant, ce qui dut être successivement observé pen
dant les deux années de leurs fonctions. Il fut dit
1. Registre 3 des délibérations du corps municipal de Marseille,
page 102.
�377 —
que les quatre médecins et les six chirurgiens se
raient salariés par l’hôpital, sans surcharge pour
l’œuvre, en ce sens qu’ils se partageraient entre
eux par portion égale les appointements que l’HôtelDieu donnait aux médecins et chirurgiens qui l’a
vaient servi jusqu’alors. Enfin, le conseil général
décida que les médecins , les chirurgiens et les apo
thicaires , durant leur exercice, seraient convoqués
à toutes les assemblées des directeurs de l’HôtelDieu , mais qu’ils n’y auraient que voix consul
tative. 1
Le conseil général de la commune renvoya les no
minations au 30 juin. Il confirma le choix des mé
decins et des chirurgiens ; mais il n’en fut pas ainsi
pour les apothicaires que, dès ce moment, on ap
pela pharmaciens. L’assemblée ne maintint que
Lambert, et les choix nouveaux se portèrent sur
Caron , Ricard et Moynier. 2
Les directeurs de i’Hôtel-Dieu n’apprirent qu'avec
douleur la décision définitive du conseil général qui
privait les pauvres malades des soins intelligents et
1. Registre 2 des délibérations du conseil général de la commune de
Marseille, du 20 juin 1792 au 13 juin 1793, fol. 11 recto et verso ,
aux archives de la ville. — Registre T des délibérations du bureau de
l’Hôtel-Dieu . fol, 172 verso et 173 recto.
2. Registre 2 des délibérations du conseil général de la commune
de Marseille , fol. 12 verso. — Registre T des délibérations du bureau
de l’Hôtcl-Dicu , fol. 173 recto.
�378 —
dévoués des praticiens attachés depuis bien long
temps au service de l’œuvre. Pierre Mélicy était
parmi eux, et certes il ne méritait pas d’être ainsi
frappé d’ostracisme , lui dont la position semblait
si bien en harmonie avec les doctrines d’un gouver
nement populaire ; lui, pauvre orphelin de l’hôpital
qui ne devait son avancement qu’à son mérite et
à son travail. Pourquoi donc l’enlever à la maison
des pauvres , berceau de son enfance, laboratoire
de son âge mûr ? Mais les révolutions sont quelque
fois impitoyables. Les plus justes et les plus néces
saires ne peuvent se défendre contre l’exagération
de leurs propres principes et surtout contre l’éga
rement des hommes qu’elles sont obligées d’employer
comme instruments. Oui, c’est pitié de voir le nom
bre des victimes qui tombent en holocauste devant
d’ingrates et jalouses passions couvertes du masque
du patriotisme et de la vertu.
Le bureau de l’Hôtel-Dieu siégea le 5 juillet 1792.
Dragon, président semainier, proposa de donner des
témoignages de satisfaction et de regret à Moulard
et à Bouge, docteurs en médecine ; à Mélicy et à Gros,
maîtres en chirurgie, 1 qui venaient de cesser leurs
fonctions dans l’hôpital. Le bureau , accueillant
cette proposition à l’unanimité , chargea trois de ses
1. Moulard était médecin ordinaire de l’hôpital, et Bouge médecin
adjoint; Mélicy chirurgien ordinaire, et Gros chirurgien adjoint.
�— 379
membres, Ravez, Tarteiron et Saurin, d’aller en son
nom exprimer à chacun de ces honorables praticiens
les sentiments que sa retraite forcée excitait. 1
L’école de chirurgie de Marseille n’existait plus
depuis près de deux ans ; elle ne put survivre à la
chute du collège de chirurgie. Seulement l’habile
chirurgien Jourdan, enfant trouvé de l’Hôtel-Dieu
de cette ville, qui y avait gagné sa maîtrise et qui
depuis 1788 était attaché au service chirurgical de
la maison en qualité de démonstrateur pour les élè
ves, 2 continua de leur faire un cours où le public
ne fut pas reçu. Jourdan venait d’être admis, comme
on l’a vu , au nombre des six chirurgiens nommés
par la municipalité pour servir l’Hôtel-Dieu par
quartier pendant deux ans. Le 30 mai 1792 , sur
la demande de plusieurs élèves , le corps municipal
délibéra de reconstituer l’école de chirurgie. Les
chirurgiens Paul Roux, Joseph Gérard, Nicolas
Blanc, Guillaume Dansan et Chabert eurent chacun
à recevoir de l’Hôtel-Dieu la somme de six cents
francs par année , à titre de gratification , pour
quatre leçons publiques et gratuites que chacun d’eux
fut tenu de faire par semaine tant aux élèves de
l’hôpital qu'à ceux de la ville. 3 Une autre délibé1. Registre T des délibérations du bureau de 1’Hôtcl-Dieu, fol. 175
verso
2. Gosson. Almanach historique de Marseille, année 1789, p. 102.
3. Registre 3 des délibérations du corps municipal de Marseille, du
�— 380 —
ration, du 27 décembre suivant, porta que les ho
noraires de chacun de ces professeurs seraient ré
duits à deux cents francs , toujours à la charge de
l’hôpital, et qu’ils donneraient leurs leçons sous la
surveillance des directeurs. La délibération dit de
plus que la gratification des professeurs ne compterait
que du jour où le citoyen Jourdan discontinuerait
ses leçons. 1
Cette nouvelle école de chirurgie, sans conditions
vitales, n’eut pas même le temps de fonctionner, et
la tourmente révolutionnaire la désorganisa comme
tant d’autres choses dont elle consomma la ruine.
23 février 1792 au 8 février 1793 , fol. 86 verso , 87 recto, 97 recto,
96 recto et verso.
1. Même registre 3 des délibérations du corps municipal de Mar
seille, fol. 214 recto et verso. — Registre T des délibérations du
bureau de l’Hôtel-Dieu de Marseille, fol. 196 verso.
�CHAPITRE XVII.
S E IIV IC E U E S E N F A N T S T IIO E V É S .
I.
Tous les hôpitaux de Marseille reçurent d’abord des enfants trouvés. —
Nombre et comptes des nourrices. — Taux de leurs salaires. —
Divers détails sur ce service. — Procès-verbaux d’exposition fort
imparfaits. — On les régularise. — Secret des expositions trèsmal observé. — Désignations fâcheuses. — Le tour de l’Hôpital
Saint-Esprit. — Mortalité des enfants trouvés. — Saint-Vincentde-Paul à Marseille. — 11 fonde à Paris un établissement pour les
enfants abandonnés. — Initiative de Marseille dans les œuvres de
bienlaisance.
*
J'ai dit que l’œuvre des hospitaliers du SaintEsprit embrassait un double service , celui des pau
vres malades et celui des enfants trouvés. La maison
qu’ils fondèrent à Marseille pourvut, dès son origine,
à ces deux nécessités de la nature humaine, tristes
témoignages, sous des rapports divers, des maux
et des faiblesses qui nous enlacent de leurs liens
innombrables.
Les enfants sans famille à la charge de l’hôpital
Saint-Esprit de Marseille ne furent d'abord qu’en petit
nombre. Cette ville n’avait alors qu’une population
assez faible et les moyens de communication offraient
�382 —
partout (les difficultés et des lenteurs. D’un autre
côté, le secret des expositions observé peu rigou
reusement était bien loin de les favoriser. D’ailleurs,
à l’exemple de l'hôpital Saint-Esprit , les autres
maisons hospitalières de Marseille reçurent aussi des
enfants trouvés. Du moins , dans le quatorzième
siècle, nous en voyons porter à l'hôpital de l’Annonciade et à celui de Saint-Jacques-de-Galice. En
1389, la maison de l’Annonciade salariait quatre
nourrices pour le service des bâtards. 1 Celle de
Saint-Jacques de Galice avait organisé le même ser
vice qui fonctionnait encore à la fin du quinzième
siècle, car, en 1480 , il avait placé six enfants en
nourrice, 2 et quatre seulement en 1486. 3
1. A xxii de ginoyer avem près dousa molher de Pierre Guillem que
esta presdels Carmes per baila a noiri Catarineta bastarda dam li lau xv
floris em lib .d olli paguemli lo premier tes vin lib. e per m lib. dolli vm s.
Une autre nourrice de l’Annonciade a le même salaire en argent,
mais on lui donne douze livres d’huile , c’est-à-dire huit livres d’argent
et quatre livres d’huile pour quatre mois.
Cet hôpital habillait les enfants qu’on lui portait. A xvm de genoyer
avem paguat per i sabatas a Bonabela bastarda n s. vm d. Registre des
recettes et dépenses de l’hôpital de l’Annonciade , 1589, in -l° marqué
AA , chapitre des dépenses , aux archives de l’Hôtel-Dicu de Marseille
Nous voyons dans la maison de l’Annonciadc un nombre à peu près
égal de malades en 1590. 11 est question dels enfants gitats à lespital.
Registre des recettes et dépenses de l’hôpital de l’Annonciade, en 1590,
in -l° marqué BR, aux mêmes archives.
2. Registre marqué KKK des recettes et- dépenses de l’hôpital SaintJacques-de-Galice, 14-80, fol. 62 recto et 6-1 recto et suivants, aux
mêmes archives.
5. Registre marqué MM des recettes et dépenses de l’hôpital SaintJacques-de-Galice, fol. 10 recto, aux mêmes archives.
�— 383
L’hôpital Saint-Esprit de Marseille ne plaça en
nourrice que treize enfants en l’année 1306. Les
salaires de ces nourrices étaient de quatre sous par
mois. Chacune d’elles avait son compte à part, et
l’on mentionnait sur ce compte son nom et sa de
meure , le nom et le sexe de l'enfant, le jour où il
était remis , toutes les circonstances enfin dont l’in
dication était jugée utile pour l’administration de
l’hôpital comme pour l’enfant lui-même.
Nous reproduisons trois actes de cette année 1306
qui donnent une idée des formes administratives du
temps.
I.
« In nomine Domini amen : »
« Àinso son messions de las bailas. »
» Item avem bâillât 1 enfant femel a dona Ugua
» Dalbagna que esta en la carrera de las Pillas de
» trans S Catarina e a marit que a nom Isnard
» Guiguo e es pagada per I mes IIII s. Lo III jorn
» de décembre. »
« Item per I autre mes IIII s e fon pagada a III
» jorns de genoyer. »
« Item (suivent les autres mois jusqu’en août. )
» Item per un autre mes IIII s e deu la tenir
» mentre a San Miquel que la desmamara. »
« Item agus mais XII d. » 1
1. Au nom de Dieu, ainsi soit-il
Ici est l’état des déoenses des nourrices.
�384
II.
« Item avem bâillât I enfant femel que a nom Be» rengiera a I baila que lo tene XV jorns de que ac
» II s. »
« Item a près aquest enfant I autra baila que a
» nom Guillemeta. » 1
III.
Item avem bailat I enfant mascle a Johana Foreta
que esta a Rocabalbola a IIII s et près lo a VI jorns
de maie lenfant mori. 2
En 1330-1331 les gages des nourrices de l’hôpital
Item nous avons confié un enfant femelle à dame Hugues d'Aubagne
qui demeure à la rue de las Pillas au delà de Sainte-Catherine; et elle
a son mari nommé Isnard Guigou; et elle est payée pour un mois mi
sous. Le nr jour de décembre.
Item pour un autre mois m isous, et elle fut payée le ni jour de janvier.
Item, etc.
Item pour un autre mois nu s ., et elle doit le garder jusqu’à SaintM ichel, époque où elle le sévrera.
Elle a eu de plus xn deniers. ( Registre des recettes et des dépenses
de l’année 1506, aux archives de l’Hôtel-Dieu. )
1. Item nous avons confié un enfant femelle qui s’appelle Berengièrc
à une nourrice qui l’a gardé quinze jours et a reçu ii sous.
Idem une autre nourrice, nommée Guillemète, s’est chargée de cet
enfant. (Même registre de 1506.)
2. Item nous avons confié , au prix de quatre sous, un enfant mâle
à Jeanne Foreta qui demeure à Roquebarbe, et elle l’a pris le six mai ;
et l’enfant est mort. Même registre de 1506.
1
�385 —
Saint-Esprit étaient de cinq sous par mois , et l’on
plaça douze enfants. 1
L’année suivante, on en mit quatorze en nour
rice , aux mêmes gages. 2
« Item avem bâillât a Tomasa Quollivan moller
» Dolivier Clai bert I enfant femell que a nom Alla» zêta e esta en la quarriera Dallaus e gs pagada
» dun mes Y s. »
« E fat a III de ginoyer agut Y s. »
« Mais li donem a III de febrjer Y s. »
« Rendut lenfant a sa majre que es de Puello» bier. » 3
Il y a ici une circonstance assez remarquable.
La mère de l'enfant était connue , puisqu’on le lui
rendit. Mais se fit-elle connaître elle-même en pré
sentant l’enfant à bureau ouvert, ou en faisant agir
quelqu’un en son nom ? Reconnut-elle l’enfant plus
tard et le lui rendit-on après la reconnaissance?
1. Registre des recettes et dépenses de 1530-1351 , chapitre inti
tulé : iMesions de bailas, dépenses des nourrices.
2. Registre de 1531-1332, chapitre: Mesions de bailas.
3. Item avons donné à Tomase Quollivan , femme d’Olivier Claibert,
un enfant femelle qui a nom Allazetc et demeure à la rue d’Allauch, et
elle est payée d’un mois v s.
Et fait le ni janvier. Elle a reçu v s.
Plus lui donnons le ni février v s.
A été rendu l’enfant à sa mère qui est de Puyloubier. Registre des
recettes et des dépenses de l’hôpital Saint-Esprit, 1334-1532. In-4°
coté E , chapitre : Aise son la mesions de las bailas. aux archives de
l’hôtel-Dieu.
TOME I .
25
�— 38G —
Découvrit-on cette mère à Puyloubier et la força-ton de prendre son enfant, parce qu’elle était étran
gère à Marseille ? Ces questions resteront douteuses.
Un autre acte de la même année déclare que la
femme de François Ripert, demeurant rue des Gastes, à l’Eperon, nourrice d’un enfant trouvé, le
retint pour le nourrir gratuitement. * Il est probable
qu’on était arrivé au moment du sevrage, et que
la nourrice, affectionnant cet enfant, le garda pour
l’élever.
L’hôpital Saint-Esprit ne reçut que onze enfants
trouvés en 1338. 2
Au mois de novembre 1341 , il n’en avait que
quatre en nourrice, toujours au prix de cinq sous
par mois. Ce n’est pas à dire que durant toute cette
année la maison n’en reçut que quatre; mais nous
n’en voyons pas un plus grand nombre en nourrice
le 30 novembre. On en comptait dans l’hôpital qua
tre autres plus âgés. Le premier, du nom de Jaufré ,
avait neuf ans et n’était pas de l’œuvre. 3 Comment
se trouvait-il là ? Peut-être était-ce un orphelin admis
par la charité des recteurs. Les autres étaient un
jeune garçon âgé de cinq ans et nommé Logier ; une
petite fille de quatre ans appelée Allayona, et une
1. Relentlenlant per norrirsans près negun. Registre de 1331-1532.
2. Registre des recettes et dépenses de 1338-1359, in-4° coté H.
3. Aque' enfant non es de lespital. Inventaire coté de 1340-1541.
�t. Leisant a lespital i enfant phemell que a nom Blazina laquai fon
gitada en lespital lo jorn que vengueron las novellas que messier Jehan
Blazin fon défaillit daquest segle, a qui Diou pardon. Même inventaire.
2. Livre Trésor, 1399, fol. 1 recto.
3. Il paraît que Blazin mourut en 1341, car l’inventaire de ses biens
est du 31 octobre de la même année. Livre Trésor, 1399, fol. 1 verso.
4. Livre des recettes et dépenses de l’hôpital Saint-Esprit de Mar
seille, 1341-1342. Quartollari de Guilhem Folque e Guilhem Blanc
de lan mcccxli e xlii de raszon de lespital de Sant Esperit, registre
in-4", fol. 47 et su iv ., aux archives de THôtel-Dieu.
5. A xxvim de mas avem fag covenent am maistre Guilhem Quastillon que ensenha enfans per ensenhar Bertranet de San Chamas
fil den Thomas de San Chamas a i an e devem li dar dun an xvi s.
Livre des recettes et dépenses du même hôpital, 1348-1349, in-4°,
chapitre M esio n de mesages, aux mêmes archives.
____
— 387 —
autre fille de deux ans. Elle portait le nom de Blazine,
dit l’acte, parce qu’elle fût déposée dans l'hôpital
le jour où l’on apprit que messire Jean Blazin , à qui
Dieu pardonne, n’était plus de ce monde. 1 Ce Jean
Blazin était un médecin marseillais qui jouissait d’un
grand renom et qui, par testament du 21 février
1337, laissa tous ses biens à l’hôpital. 2 II paraît
que sa mort 5 fit à Marseille la plus grande sensa
tion et fut considérée comme un événement digne de
mémoire.
L’hôpital Saint-Esprit, en 1342, eut à sa charge
quinze enfants trouvés. 4
Le 29 mars 1348 il plaça pour un an chez un
maître d’école de Marseille , nommé Guillaume Castillon , au prix de seize sous pour l’année, le bâtard
Bertranet de Saint-Chamas, fils de Thomas de SaintChamas, 5 lequel, en 1342 , avait laissé quatre cents
�— 388
livres à cet enfant et tous ses biens à l’hôpital SaintEsprit en cas de mort sans postérité. 1
Il y avait six nourrices aux gages de cet hôpital
en 1319; mais l’une d'elles, appelée Alazas Barbesigna, était engagée à des conditions qui nous
portent à croire qu’elle nourrissait plusieurs enfants
à la fois, 2 cette femme avait douze livres de gages
par an. A la même époque , les autres nourrices
étaient payées à raison de seize sous par mois. Par
l’effet de circonstances que nous ne pouvons appré
cier, il y avait eu une augmentation aussi rapide
qu’étonnante dans le salaire des nourrices. Sept.ou
huit ans avaient suffi pour causer cette hausse que
rien ne peut nous expliquer, car le taux des autres
salaires n’eut pas, que nous sachions , des change
ments appréciables ; le prix des denrées fut à peu
près le même. Nous ne voyons d’ailleurs , à cette
époque , aucune dépréciation dans les valeurs moné
taires de Provence. De sorte que, la grande augmen
tation des gages des nourrices de l’hôpital Sl-Esprit
a pour nous tout le mystère d'un effet sans cause.
Et l’augmentation ne s’arrêta pas là. En 1358,
des deux nourrices de cet hôpital, l’une , Alaeta
1. Livre du Trésor, 1399, fol. 8 verso, aux mêmes archives,
2. A mcccxlviiii a xxvim de mas avem fag covenent am Alazas Barbesina per eser baila e noirir los enfans de lespital e devem li dar lan
xii liv. Livre des recettes et dépenses de l’hôpital Saint-Esprit , année
1548-1349 , in-4° marqué N , aux archives de l’Hôtel-Dieu.
�— 389
Salvestra, femme d’André Salvestra, touchait seize
livres par an ; et l’autre , Guillaume Mouniere,
femme de Pierre Mounier, en touchait quatorze. 1
L’hôpital salariait huit nourrices en 1364. Il don
nait à chacune d’elles vingt livres de gages par an ,
c’est-à-dire six livres treize sous quatre deniers pour
quatre mois , per i tes , comme on disait alors. 2
Les salaires étaient les mêmes en 1372. On ne plaça
cette année que six enfants en nourrice. 3
Le taux du salaire des nourrices de l’hôpital SaintEsprit allait toujours croissant. Nous voyons trois
nourrices en l’année 1408 - 1409. L’une d’elles,
Catherine Polane, recevait trente-cinq livres un sou
quatre deniers par an; une autre , HuguetteRoque,
dix-neuf livres neuf sous. 4 Le taux du salaire de la
troisième est indéchiffrable.
1. Per i baila que a nom Alaeta Salvestra molherd’Andrieu Salvestra
noire i filha près la a Calenas deu aver l’an xvi liv.
Per i baila que a nom Guillelma Mouniera, molher de P. Mounier sta
davant Andoart Allaman noire i filha que a nom Guillelma dam li lan
xmi liv. — Registre des recettes et dépenses de 1357-1358, in-4°
marqué Q , chapitre : Aissi escrivem despensas de bailasque norion los
enfants que son gitats en lespital. Archives de l’Hôtel-Dieu
2. Mais paguem a la molher de Bertran Folco pastre que noire i filh
que za nom Peironet que li dem a xv de novenbre per son tes vi liv.
xm s. mi d .— Registre des recettes et dépenses de 1363-1364, in-4»
marqué R , chapitre : Aissi son las paguas que fem a las bailas que
noiron los enfants gitats a Sant Esperit. Mêmes archives.
3. Registre des recettes et dépenses de 1371-1372, in-4° marqué
X , fol. 63 et suiv. Mêmes archives.
4. Premicramcnt avem pagat a Catarina Polana per son salari per
i an xxxv liv. i s. mi d.
�Nouvelle augmentation de salaire en 1423. Les
nourrices gagnèrent alors deux florins par mois , 1
c’est-à-dire trois livres quatre deniers, car le florin
valait à cette époque une livre dix sous deux deniers.
Tel fut, pendant le moyen-âge, le chiffre le plus
élevé du salaire des nourrices. Ce chiffre , pour des
motifs qui me sont inconnus, ne tarda pas d'attein
dre une période de décroissance.
Les gages des nourrices n’étaient que de seize à
dix-sept sous par mois en 1434. Nous voyons par le
compte de la femme Bremond que lorsque l’enfant
était mal nourri, les recteurs le retiraient pour le
donner à une meilleure nourrice.
« Item avem pagat a Bremona que noyri I bas» tarda que a nom Catoya a XX de desembre a XX
» dabrill que son IIII mes a rason de XYI s lo mes
» montan a la part daquest hospital III lib. IIII s.»
« Levam li la filha lo I jorn de mars'car la noyria
» mal en li quitan los restos car es paure los gua» gnos de I mes. »
Mais avem pagat a Hugueta Roqua per son salari de i an xviiii lib.
vint s. Registre des recettes et dépenses de 1408-1409 , marqué LL,
ol. 56 recto, aux archives de ITIôtel-Dieu.
1. Dimeneque a xvm de jun mccccxxiii fon aportada una filha davant
lalba a lora de matynos laquai fes batesar mos Augustis Relet juge de
palays epauset li nom Augustina.
Lo jorn dicli sen Jaume Baille rector la baillada à Joheta molher de
maistre Laurens barbier a Noyrir a razon de xxmi fior. lan. Registre
des recettes et dépenses de 1422-1425, fol. 89 recto, aux mêmes
archives.
�— 391
« Lo XX jorn de mars fon baylada la dicha fillia
» a la molher de Johan Bojin que esta contra Santa
» Martha que gassanlia XVII s. lo mes avem li pagat
» per los V mes e per la part nostra IIII liv. V s. » 1
Plus de soixante ans après , les gages des nour
rices de l’hôpital étaient les mêmes. 2
A cette époque, l’hôpital entretenait le bâtard de
l’un des hommes les plus considérables de Marseille ,
Jacques de Brandis. C’était là un fait de notoriété
publique qui n'enlevait rien à l’estime dont cet hom
me jouissait, et les écritures de la maison en fai
saient foi, comme de la chose la plus naturelle. 5
1. Item avons payé à Bremone qui a nourri une bâtarde nommée
Catau, du 20 décembre au 20 avril, ce qui fait quatre mois à raison
de 16 s. le m ois, montant à la part de cet hôpital 3 1. 4 s.
Lui ôtons la fille le premier jour de mars, car elle la nourrisait mal,
en lui abandonnant le reste du gain d’un mois, car elle est pauvre.
Le vingtième jour de mars fut donnée ladite fille à la femme de Jean
Bojin qui demeure vis-à-vis Sainte-Marthe, laquelle gagne 17 s. par
m ois, et lui avons payé pour les cinq mois et pour notre part 4 I. 5 s.
Registre des recettes et dépenses, 1434, marqué BBB , fol. 3 4 , aux
mêmes archives.
2. Registre commençant par ces mots : Aysso es lo carthoîari de las
receptas e de las despensas de lespital de Sant-Esprit de mas fachas e
commensadas per mi syffre palhol de comandament dels honorables
senhors sen Guilhem de Cavalhon e de sen Isnardet Ricau rectos del
dich espital sus lan m cccclxxxxviii comensa lo dimeneguexvi de febrier,
page 73 recto, aux archives de l’Hôtel-Dieu.
3. Lo mecres a xvm del mes de setembre paguiey à Felipa Ricarda
baila que noyre lo filh de mes Jacme de Brandis de lintrada del dich
mes de setembre fin a xxv del mes de octobre n liv. u s. vm d. Livre
des recettes et dépenses de 1408-1499, fol. 76 verso.
�En 1566 et 1567 , l’augmentation du salaire des
nourrices était tout-à-fait insignifiante. L’hôpital ne
donnait à ces femmes que dix-huit sous par mois. 1
Leurs gages mensuels étaient portés à deux livres
environ , au commencement du x v i i 0 siècle. On ex
posait alors à l’hôpital Saint-Esprit cinquante à
soixante enfants par an. Le service des nourrices,
en 1605, coûta 1409 livres. 2
Dix ans après, la moyenne des placements n'était
que de trente-neuf, et l’hôpital n’eut à payer, en
1615 , que 965 livres aux nourrices. 3
On ne fit que bien tard des procès-verbaux d’expo
sition, car ce fut seulement en 1567 qu’on donna
à ces actes une forme quelque peu régulière, et
encore ils se trouvent comme perdus au milieu des
Lo'jdimenegne a xv del mes de febrier (1499) paguiey a la molher
de Hugo Ricard per alcuns jors que on li dévia del temps que avia
noyrit lo bastart de mes Jacme de Brandis x liv. vin d. Même registre,
fol. 97 verso.
1. Registre des recettes et dépenses de l’hôpital Saint-Esprit, grand
in-4° marqué Deus'meus, 1366-1567, aux archives de l’Hôtel-Dieu.
Le salaire m ensuelles nourrices y est d’un florin six sous. Le florin ne
valait alors que douze sous.
2. Brollart pour Ihouspital St-Sprit et St-Jacques-de-Gallice pour
le compte de la paye des norrices commençant au mois de 1504 pour
lequel mois avons payé le deuxième jour de janvier 1605 ("1605-1611 ).
Registre in-4°, aux archives de l’Hôtel—Dieu.
3. Livre des norises pour lopital St-Esprit et St-Jacques-de-Galissc
hou sont écris tous les bastars du dit hôpital fet en l’année 1611 jusques au 3 apvril’l 616. Registre in-4n, aux archives de l’Hôtel-Dieu.
�— 393 —
divers articles d'un registre de recettes et dépenses.
Voici la rédaction de deux de ces actes :
« Lou 17 de jenoyer 1367 est estât pourtat ung
» bastart a la porto sive seur lou bas de la carriero
» de Sant Jacme que la maison de mesir Ferre, e
» lou dit bastart est estât batissat a la gleisse de
» Sant Jacme, e se apello Honorât, et lou peirin
» est Honorât Ricart, e la meirino se apello Fran» cese Bello , et lou curât que la batissat se apello
» Geogi Achart , e lou, dit jourc los rectuos lan
» bâillât a la baillo que se apello Pinginado de» mourant souto los Mollins a la meison de sen
» Pastour. »
« Lou 27 de jenoyer 1567 ai pagad la seusdito
» baillo la qualo noris lou seusdit bastart nomat
» Honorât per dix jourcs , 6 s. »
« E lou dit jourc est mort, et lai ensebelit au se» menteri de lespitau. » 1
1. Le 17 janvier 1567 a été porté un bâtard à la porte de la maison
de M. Ferre qui est au bas de la rue de Saint-Jaume, et ledit bâtard
a été baptisé à l’église de Saint-Jaume , et il s'appelle Honorât, et le
parrain est Honoré Ricard, et la marraine s’appelle Françoise Belle, et
le curé qui l’a baptisé s’appelle George Achart, et ledit jour les recteurs
l’ont confié à la nourrice qui s’appelle Pinginade demeurant sous les
Moulins à la maison de M. Pastour.
Le 27 janvier 1567 j’ai payé la susdite nourrice qui nourrit le susdit
bâtart nommé Honoré, pour dix jours, îx sols.
Et ledit jour il est mort, et je l’ai enterré dans le cimetière de
l’hôpital.
Registre des recettes et dépenses de 1566 et 1567, coté Dcus m eus,
aux archives de l’Hôtcl-Dieu.
�— 394
« Lou 4 de mai 1567 est estât aportat ung bastart
» a la pote de lespitau Sant Estperit, e lai fet ba» tissa a la gleise des Acolles , e lai mes a nom
» Pierre, e lou peirin se apello Pierre de Gap , e la
» meirine se apello Antoineto Foindol, servituos de
» lespitau. »
« E lai bailat a la baillo que se apello Louise Ar» naude demourant en carriero Nove. »
« Lou 17 de mai 1567 lou seusdit bastart est mort,
» e lai ensebelit au sementeri de lespitau , e a re» sauput per 13 jourcs 8 s. 1 »
Pierre de Gap , servant de l’hôpital, était un
parrain banal. Nous le voyons tenir sur les fonts
baptismaux d’autres enfants exposés.
Ces procès-verbaux se ressentent de l’enfance de
l’institution. Ils sont insuffisants et passent sous
silence toutes les énonciations nécessaires pour cons
tater l’identité des enfants et amener leur recon
naissance.
Le premier registre consacré spécialement aux
1. Le 4 mai 1567 a été porté un bâtard à la porte de l’hôpital SaintEsprit, et je l’ai fait baptisera l’église des Accoules, et je lui ai donné
le nom de Pierre , et le parrain s’appelle Pierre de Gap , et la marraine
s’appelle Antoinette Foindol, serviteurs de l’hôpital.
Et je l’ai confié à la nourrice qui s’appelle Louise Arnaud demeu
rant à la rue Neuve.
Le 17 mai 1567 le susdit bâtard est mort et je l’ai enterré au ci
metière de l’hôpital , et la nourrice a reçu pour treize jours 8 sols.
Même registre des recettes et dépenses de 1566 et 1567.
�— 395
procès-verbaux d’exposition et formant une suite
d’actes de même nature s'ouvre au commencement
de 1621. C’est là une amélioration réelle ; mais les
procès-verbaux de cette année n’ont rien qui les
distingue de ceux de 1567 et leur rédaction n’est
pas meilleure. Le recueil de 1621 est ainsi ouvert
en langue française :
« Du 9 janvier 1621.—Bernard. »
» Quy avons heu ce matin sans billet. L’avons
» faict baptiser. S’apelle Bernard. Depuis ledit Ber» nard a esté remis à plusieurs norrisses. Est mort
» à l'hospital le 9 octobre 1622. »
Les procès-verbaux de 1622 commencent à être
un peu moins laconiques, et ceux de 1623 et surtout
de l’année suivante se régularisent et se perfection
nent de telle manière qu’ils contiennent à peu près,
mais toujours sommairement, ce qu’il y a de plus
indispensable dans une pièce de cette importance.
L’acte du 26 février 1626 énonce un fait singulier
qui semble accuser la négligence de l'administra
tion de l’hôpital. On y lit que la fille Madeleine ,
exposée ce jour là , a été donnée à la nourrice Mar
guerite Jaufresse, au grand Mazeau ; qu’elle a été
remise à l’hôpital en 1627, et du depuis ne sachant
ce qu'est devenue. 2
1. Livre ou sont escripts les pouvres anfans envoyés à l’hospital
St-Esprit et St-Jacques-de-Gallice, acomancé le 1er janvier 1621 par
Guillaume Dalmas , maistre d’hostel. Archives de l’Ilôtcl-Dieu.
2. Livre cité, de Guillaume Dalmas, maistre d’hostel.
�— 396 —
Un fait plus singulier encore, parce qu'il choque
au dernier point les lois et les mœurs de notre épo
que , se manifeste dans ces expositions d’enfants
trouvés. Le bureau de l’hôpital s’affranchit des
obligations du secret, et quand il peut déchirer le
voile mystérieux qui cache la naissance de ces pau
vres et frêles créatures condamnées par les auteurs
de leurs jours à toutes les horreurs de l’abandon
et de la misère, il le fait sans penser à mal et de
la façon la plus franche et la plus naïve du monde.
Il consigne avec soin tous les renseignements, mê
me les plus indirects ; tous les ouï-dire, même les
plus incertains , sur cette délicate matière qui tient
tant à l’honneur et au repos des familles. Ici on
met un enfant sur le compte de M. Delestrade. 1
Là on accuse M. Biscontin. 2 Plus loin c’est Claude
Lombardon; 5 c’est l’aveugle Jacques Maifren qui
demeure à la Tuilière; 4 c’est le fds de Granier,
près le couvent des frères Prêcheurs ; 3 c’est Estienne,
l’aubergiste du bouquet des Arcs ; 6 c’est un autre
aubergiste nommé Ginosy, et il a eu de sa servante
1.
2.
3.
4.
6.
6.
Procès-verbal du 23 avril 1622, dans le même registre
Procès-verbal du 4 août 1622.
Procès-verbal du 7 novembre 1622.
Procès-verbal du 27 août 1623.
Procès-verbal du 2 décembre 1622.
Procès-verbal du 13 mai 1623.
�l’enfant porté à l’hôpital ; 1 c’est Pierre Jollian ,
fermier de M. de Bosque ; 2 c’est le patron Jacques
Delafosse, du Coin de Reboul, lequel vit avec une
grecque, et ce n’est pas le premier enfant qu’il dé
pose dans la maison. 3 Vient le tour du cadet de
Grans. L’enfant qu’on vient d’apporter est de ce
gentilhomme et de Madelaine Blanque, fille de l’hô
pital. 4
Les femmes ne sont pas plus ménagées que les
hommes dans ces témoignages vivants de la chroni
que scandaleuse, écrite sans malice , comme une
chose allant de soi. On prend de toutes mains les
déclarations accusatrices , et tout en donnant un
corps à ces fantômes insaisissables et capricieux que
forme la rumeur publique, on se garde de rien
examiner, de rien approfondir. Cet enfant ! Madame
d’Hermitte connaît sa mère. 5 Et celui-ci 1 il appar
tient à Jeannette Morelle , native de Forcalquier,
et il est des œuvres de Julien Sautier, de la place
Neuve. 6 Celui-là a été mis au jour par la demoi
selle Jeanne, demeurant vis-à-vis M. Berthaud , à
1.
2.
o.
4.
5.
6.
Procès-verbal du 25 septembre 1624.
Procès-verbal du ojuin 1622.
Procès-verbal du 10 juillet 1621.
Procès-verbal du 19 février 1625.
Procès-verbal du 29 septembre 1621.
Procès-verbal du 20 août 1621.
�— 398
laCaisserie. 1 D’autres enfants doivent leur naissance
à la nommée Anne Peyronne; 2 à Honoracle Bouchette, pauvre fille séduite par Charles Blanchard
de Manosque ; 5 à la nourrice de M. Panousse ; 4
à Lauret te Gironne , fille de Beaucaire , laquelle a
été enceinte des œuvres de Gaspard Taron , fils du
patron Lazarin ; 5 à Catherine Arnaud de Cucuron ; 6
à Madeleine Capaude, qui tient le moulin de soie,
sous la roche des Moulins ; 7 à la Brignolenque. 8
On l’a dit au bureau__On le lui a fait entendre....
On le lui a assuré__Telles sont les formules vagues
et générales avec lesquelles on sacrifie l’honneur des
femmes.
Toutes ces désignations fâcheuses dont on sentit
probablement les abus disparurent en \ 626 , et à
la même époque on commença à désigner dans les
procès-verbaux les vêtements des enfants exposés et
tous les signes qui pouvaient un jour faciliter la re
connaissance de ces malheureuses victimes. 9
1.
2.
3.
4.
5.
6.
7.
8.
9.
Procès-verbal du 20 mai 1625.
Procès-verbal du 22 janvier 1623.
Procès-verbal du 26 décembre 1621.
Procès-verbal du 9 septembre 1624.
Procès-verbal du 25 septembre 1624.
Procès-verbal du même jour.
Procès-verbal du 25 janvier 1625.
Procès-verbal du 23 juin 1625.
Livre où sont escris les enfans de l’Iîostel-Dieu de ceste ville de
�— 399 —
Quelques enfants étaient rendus à leurs mères, et
d’un autre côté quelques nourrices finissaient par
garder gratuitement leurs nourrissons qu’elles éle
vaient comme leurs enfants propres. Mais ces exem
ples étaient fort rares.
Pendant long-temps on avait exposé la plupart
des enfants abandonnés sur la porte de l’église SaintMartin , à la faveur des ombres de la nuit, et les
personnes qui les y trouvaient les portaient à l’hôpital
Saint-Esprit ou aux autres hôpitaux de Marseille.
Plus tard on prit l'habitude de les porter directement
dans les hôpitaux , et le plus souvent dans celui du
Saint-Esprit. Quelquefois cependant on les exposait
ailleurs. Le 17 février 1623, deux femmes trouvè
rent un enfant dans un confessionnal de l’église du
couvent de la Sainte-Trinité, et le 19 mars de l'an
née suivante, trois femmes en trouvèrent un autre
sur la porte de l’église des Pères de Notre-Dame de
Lorette. Quelquefois aussi l’église de l’hôpital SaintEsprit en recevait elle-même , soit sur la porte, soit
dans l’intérieur. 1
Avant 1625 , les actes d'exposition ne disent rien
qui puisse nous apprendre comment les enfants
portés à l’hôpital y étaient reçus. Le procès-verbal
Marseille, acomancé par moy messire Guillaume Dalmas, maistre
d’hostel, le 9 septembre 1626, avec l’ayde de Dieu.
i . Premier livre du même Dalmas, acomancé le premier janvier 1621
et déjà cité par nous.
�— 400
du 4 mai de cette année nous parle d'un enfant
porté au trou de la porte, et les actes postérieurs
s’expriment de la même manière. Seulement celui
du 29 juillet 1625 dit que c’est au plus haut degré
de la porte qu’on a déposé l’enfant. Quelques procèsverbaux déclarent qu’on n’a ni frappé le marteau
ni sonné la cloche ; ce qui semblerait indiquer que
cela se faisait ordinairement.
Le 27 septembre 1625 , deux enfants furent expo
sés à l’Hôtel-Dieu de Marseille , l’un à la porte de
l’église, l’autre à la fenestre acoustumée, 1 dit le pro
cès-verbal. Ce dernier mot démontre suffisamment
que la fenêtre existait depuis long-temps , depuis
quelque temps au moins, et comme on portait les
enfants au trou de la porte depuis le mois de mai,
la fenêtre accoutumée ne peut être que le trou
agrandi et perfectionné peut être. Était-ce là un
tour d’exposition tel que nous le voyons fonc
tionner aujourd’hui ? Cette machine ingénieuse et
simple qui pivote sur elle-même pour recevoir l’en
fant confié à l’hospice, sans laisser voir la main qui
le présente, appartient sans nul doute à une époque
1. Du 27 septembre 1625. — Anne.
La susdicte fille nous a esté portée ce matin alla fenestre accoustumée à quatre heures ou environ du matin , n’ayant point de billet et
faict baptiser aux Accoules. Son nom est Anne. Est baillée à Madeleine
Evesque alla maison de Bigarron. Premier livre de Dalm as. maistre
d’hostel.
�401
moins ancienne. Elle rappelle un temps de civilisa
tion délicate et de philanthropie raffinée. On croit
qu’elle prit naissance à Rome, 1 où les excès de
la débauche s’alliaient aux pratiques de la dévo
tion , par cet affligeant contraste dont la nature
humaine n’offre que trop d’exemples dans les pays
méridionaux.
A cette époque un homme dont le nom, consacré
par une popularité glorieuse , est béni entre tous
ceux des bienfaiteurs de l’humanité , s’efforçait, à
Paris , d’améliorer le sort des enfants trouvés pour
lesquels la pitié publique n'avait jusques alors que
trop montré d’indifférence. Une des obligations des
seigneurs féodaux avait été de nourrir ces malheu
reux enfants. L’évêque de Paris s’acquitta de ce
devoir en leur destinant une maison de la rue SaintLandri, qu'on nomma la maison de la Couche.
Une femme avec deux servantes se chargeait du
soin de leur nourriture ; mais comme les aumônes
étaient médiocres et que le nombre des enfants était
grand, la plupart mouraient de langueur. Souvent,
pour se délivrer de l’importunité de leurs cris, on
leur faisait prendre un breuvage qui les endormait,
mais qui en même temps abrégeait leurs jours. Ceux
qui échapaient à ce danger étaient donnés à qui les
1. Des hospices d’enfants trouvés, en Europe, et principalement
en France, par Remacle , p. 60.
26
TOME i.
�402
voulait prendre , ou vendus à si bas prix qu’il y en
eut pour lesquels on ne paya que vingt sous. Des
mendiants s’en servaient pour émouvoir la sensibi
lité du public. D’autres les substituaient aux vrais
enfants de famille, qui quelquefois étaient morts par
leur faute. Les scandales et les abominations allè
rent si loin, que plusieurs de ces pauvres enfants
furent égorgés, assure-t-on , pour servir, soit aux
opérations de la magie , soit à ces bains sanglants
que la fureur de vivre inventa quelquefois. 1
Saint Vincent-de-Paul était venu à Marseille, en
1622, pour donner des consolations aux forçats. On
dit qu’il en vit un qui, touché plus que tous les au
tres du malheur de sa condition, la supportait aussi
avec plus d’impatience et se livrait au désespoir en
pensant à sa femme et à ses enfants exposés aux
horreurs de la flétrissure et de la misère. Le saint
prêtre examina comment il pourrait s’y prendre pour
adoucir l’amertume de leur sort, et ne voyant pas
d’autre moyen que de se mettre à la place du condamné,
il supplia les officiers des galères d’accepter cet échange.
Geux-ci, dit-on, y consentirent, et Vincent, soudain
chargé des fers du malheureux dont il obtenait la
libération à ce prix, ne fut reconnu que quelques
1.
La vie du vénérable serviteur de Dieu Vincent-de-Paul, par Louis
Abelly, évesque de Rodez. Paris, 1664, liv. 1, p. 141 et suiv.—
La vie de saint Vincent-de-Paul, instituteur de la mission et. des filles
de la charité. Nancy, 1784, t. 1 , p. 460 et suiv.
�0(
— 403 —
semaines après et devint libre seulement alors. 1
L’aventure paraît suspecte et le cardinal Maury lui
a donné créance avec trop de légèreté. 2 II y a dans
la vie de saint Vincent-de-Paul assez d’actes incon
testables de dévouement pour qu’on ne lui en prête
pas d’imaginaires, ou tout au moins de douteux.
Vincent-de-Paul vit avec intérêt les institutions
hospitalières de Marseille , surtout le service des en
fants trouvés qui fonctionnait depuis quatre siècles
et qui dut lui paraître fort bien organisé. Cet apôtre
de la bienfaisance en fit son profit, et, en 1638, il
loua à Paris , avec l’aide de plusieurs dames compa
tissantes , une maison à la porte Saint-Victor pour
loger quelques enfants que l’on tirait au sort entre
tous les abandonnés. La demoiselle de Gras , qui
entrait dans toutes les bonnes œuvres de son direc
teur Vincent, en prit soin avec les filles de la cha
rité instituées par cet homme incomparable. Après
bien des conférences et des efforts, il y eut, au
commencement de 1640, une assemblée générale
de dames vouées au soutien de ces innocentes créa
tures. Vincent fit un tableau si pathétique de leurs
besoins , il présenta, sous des couleurs si vives, la
nécessité et la gloire de cette sainte entreprise, que
1. La vie de saint Vincent-de-Paul, instituteur de la mission et des
filles de la charité. Nancy, 1748, t. 1, p. 101 et 102.
2. Essai sur l’éloquence de la chaire, par le cardinal Maury. Paris,
1827, t. 1, p. 201.
�— 404 —
tous les cœurs en furent attendris. La reine Anne
d’Autriche s’y intéressa puissamment, et le roi ac
corda douze mille livres de rente. Mais il fallut
traverser encore bien des difficultés pour fonder un
établissement durable, car les choses les plus utiles
ne s’improvisent jamais. Le temps seul les mûrit et
en étend les racines. On obtint du roi, en 1648 , le
château de Bicêtre pour y loger les enfants trouvés
qui n’avaient plus besoin de nourrices. Mais comme
on reconnut bientôt que l’air y était trop vif, on les
ramena à Paris dans le faubourg de Saint-Lazare,
où dix ou douze filles de la Charité se chargèrent
de leur éducation. Dans la suite on leur acheta deux
maisons, l’une dans le faubourg S*-Antoine, l’autre
devant l’Hôtel-Dieu, assez près de la Cathédrale. 1
Marseille , nous le reconnaissons, a cédé à une
impulsion étrangère dans bien des circonstances plus
ou moins importantes ; mais il lui fut toujours donné
d’avoir l’initiative des œuvres de bienfaisance, et
dans cette noble carrière, l’histoire nous la montre
puisant en elle-même la pensée qui conçoit , le
sentiment qui vivifie et la constance qui soutient.
Sa gloire est d’avoir fourni des modèles , même à
cette capitale éblouissante et fière dans le sein de
laquelle tous les genres de domination se concentrent.
1.
Voyez les deux ouvrages ci-dessus cités sur la vie de saint
Vincent-de-Paul; pour le premier, pages 141 et suiv. du premier livre,
et pour le second, t. 1, pag 461 et suiv.
�S E K V IC B
D ES
EN FA N TS TR O U V ES
Grande mortalité d’enfants trouvés. — Proportion entre les expositions
d’enfants et leur mort. — La mortalité est plus forte en Provence
que dans les provinces voisines. — Divers détails à ce sujet. —
Des enfants légitimes sont exposés à l’Hôtel-Dieu de Marseille.—
Arrêt du parlement d’Aix contre les expositions — Variations dans
le chiffre des gages des nourrices de l’Hôtel-Dieu de Marseille. —
Ce chiffre est enfin fixé. — Salaires des nourrices des hôpitaux de
diverses villes de Provence. — La plupart des enfants de l’hôpital
de Marseille restent à la campagne auprès de leurs nourriciers.
! Il
Je ne sais si l’administration de l’Hôtel-Dieu s’in
formait exactement de la santé des nourrices , et si,
d’un autre côté, elle prenait des précautions pour
que les enfants ne leur communiquassent pas des ma
ladies dangereuses. Toujours est-il que la plupart de
ces pauvres enfants trouvés semblaient n’ouvrir les
yeux à la lumière de la vie que pour les fermer
bientôt après dans l'éternelle nuit de la mort. La
petite vérole faisait parmi eux de cruels ravages.
Il est vrai qu’un grand nombre d’enfants de famille
1
!:■
I :
I
’ * N* .
�406 —
succombaient aussi aux atteintes de cette contagion
qui décimait l’espèce humaine. En 1597, la petite
vérole fit, en Provence , une multitude de victimes,
et cette maladie, assure César de Nostradamus ,
« fut tellement enflammée et violente, qu’elle arra» cha un nombre infini de petits enfants du cher
» giron de leurs mères et des tetins des nourrices
» par tous les endroits du pays. » 1 Avant comme
après cette année désastreuse la mort frappa, dans
des proportions plus fortes, les pauvres enfants des
hôpitaux, parce que ces infortunés ne se reposaient
pas sur le sein maternel et qu’ils manquaient des
soins affectueux si bien faits pour défendre leur dé
bile existence.
Les témoignages officiels de cette mortalité sont
effrayants.
Rien ne nous manque , dans la première partie
du quatorzième siècle, pour connaître la proportion
entre les expositions et les décès d'enfants peu de
temps après leur entrée à l’hôpital. En 1306, sur
treize enfants reçus par l’hôpital Saint-Esprit, trois
moururent dans l’année. 2 En 1331 , cinq sur douze
succombèrent ; 3 et en 1342, la mort en enleva huit
4.
Histoire et chronique de P rovence , page
1063.
2. Registre des recettes et dépenses de l’hôpital Saint-Esprit, année
1506, Rassi m.
3. Registre des recettes et dépenses du même hôpital, 1330-1531 ,
chapitre intitulé : M csionsde bailas.
�407
sur quinze. 1 Plus tard , il n’existe aucuns titres à
l’aide desquels on puisse établir les rapports entre
les expositions et les décès. Ce n’est qu’à dater de
1621 que ces rapports se présentent à nous d’une
manière complète.
En 1621 il y eut, sur 41 enfants exposés,
—
—
1622
64
—
—
1625
59
—
—
1624
75
—
—
1626
59
50 morts dans l’année.
44
41
50
35 *
Le nombre des enfants portés à l’hôpital SaintEsprit fut à peu près stationnaire pendant plusieurs
années. En 1630, quatre-vingt-huit étaient à la
charge de cette maison. s En 1637, on en porta cent
vingt-sept, et quatre-vingt-quatorze l’année suivante.
Les décès conservèrent la même proportion.
La mortalité des enfants trouvés était plus consi
dérable en Provence que dans les provinces voi
sines. On assignait trois causes à ce funeste effet.
10 La mauvaise constitution et les maladies que ces
pauvres enfants apportaient en naissant, car la plu
part d’entre eux avaient le germe des affections
1. Registre des recettes et dépenses de 1341-1342. Quartollari de
guilhem Folquo et guilhem Blanc, etc.
2. Premier livre cité de Dalmas , maître d’hôtel. Passim.
5. Livre pour les gaiges pour les mercenaires de l’hospital le der
nier septembre 1609, fol. 103 recto, aux archives de l’Hôtel-Dieu.
�— 408 —
scorbutiques, scrophuleuses et vénériennes ; 2° l’in
salubrité et le régime pernicieux des hôpitaux; 3° la
disette des nourrices.
En 16G0 , l’Hôtel-Dieu de Marseille admit quatrevingt-quinze enfants trouvés et cinquante-neuf mou
rurent dans l’année. 1
En 1680, il y eut, sur 140 enfants exposés,
1700
—
255
—
1710
—
331
—
1720
—
372
—
1730
—
252
—
1740
—
278
—
58 morts. 2
107 — s
207 — 4
322 — 3
172 — 6
168 —
t
1. Livre pour la réception des petits enfants a la fenestre de l’hos
pital Saint-Esprit et Saint-Jacques-de-Galisse dans ceste ville de Mar
seille, commenscé le 4 apvril de l’année 1659, pages 24etsuiv.
2. Livre de la réception des enfants naturelz de cest hospital, com
mencé le 1er février 1675 , pages 71 et suiv.
3. Livre de la réception des enfants apportés à l’hôpital du SaintEsprit et Saint-Jacques-de-Galice de ceste ville de Marseille, comancé
le 29 septembre 1699 , p. 57 et suiv.
4. Registre P des réceptions d’enfants trouvés, de 1709 à 1715,
pages 14 et suiv.
5. Registre R des enfants de naissance exposés à l’Hôtel-Dieu, de
1717 à 1722, pages 96 et suiv. I/elfrayante mortalité des enfants en
1720 est principalement due à la peste qui ravagea Marseille et la Pro
vence en cette année funeste.
6. Registre commencé le 2 juin 1722 et fini le 7 mars 1731, pag.
220 et suiv.
7. Registre X , pages 100 et suiv.
�409 —
1750, il y eut, sur 311 enfants exposés,
45 morts. 1
73
-
^
—
131
—
3
1780
—
1800
%
—
448
—
604
—
396
—
312
—
'
1790
1
—
406
!
432
—
O
—
CO
G<l
1760
1770
e
Quelle mortalité affreuse ! On ne peut se défendre
des plus tristes pensées en voyant la parcimonie mise
par la nature dans la mesure de nos jours et le
court espace qui sépare la mort de la naissance,
pour la plupart des hommes. Un quart des généra
tions périt avant trois ans, un autre avant vingtcinq, un troisième avant cinquante , 7 et le reste ne
1. Registre Z des verbaux de réception d’enfants trouvés, du 10
septembre 1748 au 12 mai 1753, pages 71 et suiv.
2. Registre BB de la réception des enfants naturels exposés dans
l’hôpital général Saint-Esprit et Saint-Jacques-de-Galice de Marseille,
commencé le 3 avril 1759 et fini le 28 août 1761, pag. 72 et suiv.
3. Registre EE , pages 243 et suiv.— Registre FF, pag. 1 et suiv.
4. Registre des expositions de 1776 à 1788, sans pagination chiffrée.
Voyez les pages relatives à l’année 1780.
5. Registre KK de l’admission des enfants trouvés.
6. Registre PP.
7. D’après les tables de mortalité publiées en Hollande par Kersosoom et en Angleterre par Simpson, le quart des enfants périssait
dans la première année de leur vie. En France, la mortalité des enfants
n’était pas à beaucoup près aussi grande. Voyez Buffon , Histoire
naturelle de l’ho m m e , tome 1, pages 40 et 41 , formant le tome 10
de l’édition de 1828 , Paris, Eymery, Frégier et Cie , libraires.
�va un peu plus loin que pour être spectateur de
cette immense immolation dont la vue ne détourne
pas des projets vaniteux, des vastes entreprises que
l’ambition attache à la fragilité de la vie.
La mortalité des enfants trouvés n’était pas la
même dans tous les hôpitaux du royaume. Sur cent
enfants, il en était trente à Lyon , cinquante à
Montpellier, soixante-quinze à Grenoble qui parve
naient à leur septième année.
On était moins heureux en Provence. Du 1er jan
vier 1722 au 31 décembre 1767, on exposa à Aix
4,844 enfants. Il en mourut 2,224 dans la première
année de leur vie, c’est-à-dire un peu moins de la
moitié. Du 1er janvier 1768 à la fin de décembre1778,
on y exposa 2,490 enfants. 1,817 succombèrent dès
la première année, c’est-à-dire les trois quarts.
A Toulon, depuis le 1er janvier 1763 jusques au
31 décembre 1773, on exposa 1,558 enfants. On en
perdit 875 dans la première année de leur vie. A
Tarascon, il en mourut 140 sur 288; à Sisteron,
60 sur 158 ; à Apt, 25 sur 79 ; à Lorgues , 32 sur
61 ; à Moustiers > 14 sur 45 ; à Aups , 3 sur 20.
A Digne, sur 244 enfants exposés dans ces dix
années , 104 vivaient encore au mois de juin 1775.
A Barjols, on en conserva 12 sur 21 depuis 1770
jusques en 1775 inclusivement. On en porta 29 à
l’hôpital de Castellane depuis le 31 mai 1766 jusques
au 1er juin 1775 , et il n’en mourut que 3 la première
année de leur vie.
�0(
411
A Draguignan , 47 enfants sur 80 atteignirent
leur septième année.
Sur 3,808 enfants exposés à Marseille depuis 1763
jusques à la fin de 1773 , on en comptait 1,692 en
vie au 31 décembre de cette année , tandis qu’à
Aix, sur 2,046 enfants exposés dans le même temps,
449 seulement survivaient. 1
Comme on le voit, la mortalité des enfants trouvés
était plus considérable dans l’hôpital d'Aix que dans
les autres hôpitaux de la Provence ; et elle était gé
néralement plus forte dans cette province que dans
les provinces voisines.
Le docteur Raymond se livra à quelques recher
ches de statistique, desquelles il résulta que dans
l’espace de quinze ans, depuis 1760 jusqu’à 1764,
le nombre des enfants trouvés fqt, dans Marseille,
à celui des enfants légitimes comme un est à huit. 2
Nous avons toute raison de croire que la même
proportion se maintint les années suivantes.
A la honte de notre nature , bien des enfants légi
times étaient portés au tour de l’Hôtel-Dieu de
Marseille. Que de maux et de crimes enfante la mi1. Mémoire pour les enfants trouvés présenté à MM. les procureurs
du pays de Provence par les recteurs de l’hôpital général Saint-Jacques
de la ville d’Aix. . ix , 1780, p. 3 et 4.
2. Mémoire sur la topographie médicale de Marseille par le doc
teur Raymond, du 3 décembre 1779, dans l’histoire de la Société
Royale de Médecine. Paris, 1780, seconde partie, page 109.
S il h;
i
II
�— 412 —
sère puisqu'il lui est donné de pervertir ainsi ces
puissants instincts de famille, ces sentiments con
solateurs et féconds qui survivent d’ordinaire à la
ruine de nos projets et de nos espérances ! Les
recteurs de l'Hôtel-Dieu de Marseille ne se trompè
rent pas en attribuant aux douleurs de l’indigence
ces abandons dénaturés. Le 18 novembre 1706 , iis
envoyèrent une députation à l’hôpital de la Misé
ricorde pour l’exhorter à remplir ses obligations en
secourant les enfants de pauvre famille. 1
Ces scandaleuses expositions n’en continuèrent pas
moins. En 1713 , un homme de La Ciotat exposa à
l’Hôtel-Dieu de Marseille deux jumeaux dont il était
le père légitime. 2 La même année, les recteurs dé
clarèrent, dans une requête au parlement de Pro
vence , que le nombre extraordinaire des enfants
légitimes portés à l’Hôtel-Dieu augmentait si fort la
dépense de cette maison, qu’ils ne pouvaient plus
soutenir l'œuvre. Le parlement, par arrêt du 13 juin,
défendit à toutes personnes de faire de pareilles expo
sitions , à peine du fouet contre les plébéiens , de
mille livres d'amende contre les nobles , et de puni
tion exemplaire en cas de récidive. 3 De nouvelles
1. Registre des délibérations du bureau de l’hôpital Saint-Esprit et
Saint-Jacques-de-Galice, de l’année 1706, fol. 32.
2. Livre H des délibérations du même bureau , du 2 juillet 1705 au
4 avril 1715, fol. 194 verso et 195 recto.
3. Cet arrêt est dans une liasse de divers arrêts du parlement de
Provence , aux archives de l’Hôtel-Dieu de Marseille.
�— 413 —
plaintes des administrateurs de THôtel-Dieu vinrent
prouver plus tard que la puissance publique n’a rien
qui puisse guérir les maux produits par la misère
et l’immoralité.
Les enfants n’étaient pas plutôt exposés à l’HôtelDieu qu’on les donnait à nourrir dans les villages
de Provence, principalement dans ceux des pays
pauvres et montagneux.
Il y eut encore bien des variations dans les gages
des nourrices. Vers le milieu du xvue siècle, ces gages
étaient de deux livres dix sous par mois, 1 mais on
ne trouvait qu’avec beaucoup de peine assez de
nourrices pour ce service important. Leur salaire
porté à trois livres en 1G64 , 2 resta long-temps sta
tionnaire. 3 Le 15 mai 1704, les recteurs de l’HôtelDieu constatèrent, en gémissant, qu’il y avait des
nourrices qui allaitaient jusqu’à quatre enfants à la
fois, et qu’on voyait souffrir ces débiles victimes.
Le bureau délibéra de porter à six livres les gages
1. Livre où sont descripts les payements des nourrices pour l'hospital
Saint-Esprit et Saint-Jacques-de-Galice de Marseille, commancé le
cinquiesme juin 1634, etc. ln -4 °, Passim , aux archives de l’HôtelDieu.
2 Livre G des nourrices faict par moy Jean-Baptiste Verguigny, de
1664 à 1669 . in-fol., sans pagination chiffrée, aux archives de l’HôtelDieu.
5. Livre J où sera escrip les salaires des nourrices de l’hospital SaintEsprict et Saint-Jacques-de-Galice de cette ville de Marseille, com
mancé le second janvier 1614. In-fol., sans pagination chiffrée, aux
mêmes archives.
�_
414
—
mensuels des nourrices de la maison jusqu’à ce qu’autrement il fut dit et ordonné. 1 Plus tard on fixa
définitivement les salaires de ces femmes comme il
suit : cinq livres par mois jusqu’à ce que les enfants
eussent seize mois accomplis ; quatre livres jusqu’à
vingt-un mois et trois livres jusques à quinze ans.
On supposait qu’à cet âge les enfants pouvaient ga
gner leur vie et l’œuvre cessait alors de pourvoir à
leur entretien. Au reste, elle leur fournissait jusqu’à
quinze ans les hardes nécessaires sur le pied d’une
règle constamment suivie. 2 La valeur de ces hardes
était évaluée à quatre-vingt livres huit sous. 3
L’hôpital Saint-Jacques de la ville d’Aix ne don
nait à ses nourrices que trois livres dix sous par
mois, tant que l’enfant était au lait, c’est-à-dire
jusques à dix-huit mois accomplis , et trois livres
1. Registre G des délibérations du bureau de l’hôpital Saint-Esprit
et Saint-Jacques-de-Galice, du 11 septembre 1692 au 7 mai 1705,
fol. 207 verso, aux mêmes archives.
2. État des revenus et des dépenses de l’Hôtel-Dieu, des aumônes,
charités faites à son profit, du montant des biens fonds qu’il possède,
de tout ce qu’il doit en capitaux, pensions et arrérages, de tout ce
qui lui est d û , et un détail sur l’éducation qu’on donne aux enfants
trouvés. Une copie de cet état fut envoyée, le 10 avril 1765 , à de
Laverdy, contrôleur général des finances , à de Latour , intendant de
Provence, et à de Monclar, procureur-général. Voyez le dossier de
divers tableaux et mémoires expositifs de la situation de l’Hôtel-Dieu de
Marseille, de 1716 à 1770, aux archives de cet hôpital.
3. Mémoire sur les enfants trouvés présenté à MM. les procureurs
du pays de Provence par les recteurs de l’hôpital-général Saint-Jacques
de la ville d’Aix, p. 26.
�415
jusques à quinze ans. 1 En 1780, les recteurs de cet
hôpital publièrent un mémoire dans lequel ils firent
sentir la nécessité d’une augmentation de salaire ;
mais l’Hôtel-Dieu de Marseille s’y était toujours
opposé et s’y opposa encore en vertu d’un ancien
accord , d’après lequel l’augmentation ne pouvait
être faite sans en convenir respectivement. Le prix
des salaires des nourrices variait, du reste, dans
les divers hôpitaux de Provence. Ils étaient de six
livres par mois à Arles ; de cinq livres à Avignon ,
à Tarascon, à Castellane ; de quatre livres dix sous
à Apt, à Aups , à Moustier ; de quatre livres à Dra
guignan et à Toulon. A Lorgues et à Barjols il n’y
avait pas de gages fixes. On donnait plus ou moins,
suivant que le besoin était plus ou moins pressant.
Il n’y avait que Digne et Sisteron où les salaires ne
fussent que de trois livres dix sous comme à Aix,
et encore étaient-ils continués au même taux après
dix-huit mois. 2
1. Les hardes qu’on y ajoutait étaient évaluées à cent livres, c’està-dire à 18 livres jusques à un an et dem i, à 46 livres jusques à cinq
ans, et à 36 livres jusques à dix, temps où on les supprimait.
2. Mémoire sur les enfants trouvés présenté à MM. les procureurs
du pays de Provence, etc. Cet excellent mémoire que j’ai cité plusieurs
fois est le travail le plus beau et le plus complet qu’on ait fait sur la
matière. L’auteur estM . de Miollis fils, conseiller en la cour des comp
tes d’Aix. Voyez le tableau général de la Provence, par Charles-Fran
çois Bouche, en tête de la géographie de la Provence, par Achard, p.
99 , à la note.
�■
— 416 —
Les femmes étrangères à Marseille qui venaient
accoucher dans l’Hôtel-Dieu de cette ville étaient
gardées pendant dix-huit mois comme nourrices
sans salaires. *
La plupart des enfants restaient dans les campa
gnes. Le 23 juin 1773, le bureau délibéra qu’il se
rait accordé une gratification de cinquante livres à
tout père nourricier qui garderait chez lui une fille
de l’hôpital jusqu’à son mariage. 2
Les garçons s’adonnaient aux travaux de l’agri
culture. Ils devenaient ainsi des citoyens utiles et
s’attachaient à leurs nourriciers qui souvent leur ser
vaient de pères. Tandis que les habitants des champs
et des montagnes , tourmentés des désirs d’une meil
leure existence qui s’offrait à leurs yeux comme un
trompeur mirage, venaient perdre leurs illusions,
leurs forces et leur santé au sein des grandes villes,
au foyer des agitations , des besoins factices , des
mœurs corrompues et des épidémies dévorantes ,
de pauvres orphelins, marqués dès leur naissance
du sceau de la misère et de l’abandon, comblaient
le vide des campagnes, établissant ainsi dans la
population un équilibre salutaire. Loin des maux de
l’encombrement et des douleurs de la concurrence,
1. Cette règle fut établie le 12 otobre 1741. Voyez le registre des
délibérations de cette année , fol. 185.
2. Registre Q des délibérations du bureau de l’IIôtel-Dieu de Mar
seille , du 5 septembre 1765 au 2 juillet 1773, fol. 192 recto et verso.
�ils respiraient l'air pur de la nature et de la liberté.
Le travail et le pain ne leur manquaient jamais,
car si le caprice des révolutions , les vicissitudes de
la fortune, les jeux cruels de l’ambition et de la
guerre peuvent tarir les sources où le commerce et
l’industrie s’alimentent, la terre, mère féconde aussi
bien qu’immortelle , nourrira toujours ses enfants de
ses mamelles intarissables.
TOME
r.
�\
CHAPITRE XX.
■
S E U V IC 'G I*E S E tl'E A H T S T R O U V E S .
III.
Les curés ont, dans les campagnes, la surveillance des enfants trou
vés. — L’administration provinciale s’occupe du service de ces
enfants. — Observations à ce sujet. — Le bureau do l’Hôtel-Dieu
de Marseille destine ses orphelins à divers métiers. — Emploi
des filles. — Leur dot. — Législation et usage de la Provence
touchant les enfants trouvés. — Déclarations de grossesse. — Re
cherche de la paternité. — Recours de l’hôpital contre les pères
présumés et contre les communautés où les bâtards ont vu le
jour. — Impositions provinciales pour le service des enfants trou
vés.— Marseille n’est pas comprise dans l’arrangement financier.—
Son Hôtel-Dieu continue d’être chargé de l’entretien des enfants
abandonnés. — Le ministre Neeker. — Nombre d’enfants trouvés
dans le royaume en 1785. — Nombre de ces orphelins à Marseille.
Les curés de village veillaient sur l’éducation et
le bien être des orphelins que THôtel-Dieu de Mar
seille plaçait en nourrice dans les campagnes. Dès
l’année 1705, le bureau de cet hôpital les avait
chargés de ce soin , 1 et si les uns s’en acquittaient
1. Registre G des délibérations du bureau de l’hôpital Saint-Esprit
et Saint-Jacques-de-Galice , du 11 septembre 1092 au 7 mai 1700,
�— 419 —
avec un louable empressement, d’autres y mettaient
une négligence peu honorable.
L’administration du comté de Provence s’occupa
bien souvent des enfants trouvés et chercha par
tous les moyens à diminuer la charge des hôpitaux.
Elle supplia le roi d’accorder quelques grâces par
ticulières aux citoyens des divers états, et surtout
aux cultivateurs , qui se chargeraient des bâtards
avant l’âge de quatorze ans. Déjà l’ordonnance du
15 novembre 1765 les exemptait, dans ce cas,
de la milice. L'administration provinciale proposa
d’ajouter à cette faveur l’exemption de la capita
tion , des tutelles, séquestration et autres charges
publiques.
Le gouvernement accueillit cette demande, et par
arrêt du grand conseil du 9 décembre 1769 , le roi
accorda une diminution de douze livres sur la capi
tation, et pour chaque enfant, à tous ceux qui se
chargeraient des enfants trouvés pris aux hôpitaux,
dès l’âge de sept ans.
L’Hôtel-Dieu de Marseille n’était pas compris dans
l’arrêt du 9 décembre , cette ville et les terres adfol. 181 recto, aux archives de l’Hôtel-Dieu. — Registre N des mêmes
délibérations, du 29 novembre 1741 au 31 décembre 1750, fol. 161
verso, aux mêmes archives. — Registre des. copies des lettres de l’ad
ministration de l’Hôtel-Dieu de Marseille , de 1756 à 1760, pag. 1
et 2 , aux mêmes archives.
�—
420
jacentes n:appartenant pas au corps du pays sous
le rapport administratif et financier. Mais le 24 fé
vrier 1771 , le contrôleur général des finances étendit
sur les enfants pris à THôtel-Dieu de Marseille cette
faveur qui devait cesser lorsque les bâtards auraient
atteint l’âge de dix-huit ans accomplis. 1
Pour empêcher les erreurs fâcheuses sur l’identité
des enfants, le bureau délibéra, le 27juin 1765,
que tous les orphelins mis en nourrice porteraient
au cou un cordon de soie bleue ou pendrait une
plaque de plomb portant d’un côté l’effigie du SaintEsprit avec la légende de Marseille , et de l’autre le
numéro sous lequel l’enfant était enregistré. 2
Un de ces pauvres enfants tomba victime d’un
forfait exécrable. Le 15 janvier 1714 , les recteurs
apprirent que Jean du ruban rouge, valet de JeanPierre Roubaud d’Auriol, dans une campagne au
territoire de Trets, avait été assassiné par son maître.
Roubaud cacha d’abord le corps, mais ensuite il le
dépéça et le brûla dans un four où les officiers de
justice trouvèrent un tas de restes calcinés prove1. Lettre du 26 janvier 1770 dans le registre 24 des copies des lettres
des échevins de Marseille , du 5 août 1767 au 50 décembre 1771, aux
archives de la mairie.— Registre des délibérations du bureau de l’Hôtel—
Dieu de M arseille, année 1771 , séance du 21 mars, fol. 128 . aux
archives de l’Hôtel-Dieu.— Traité de l’administration du comté de Pro
vence , par l’abbé de Coriolis, t. 1, p. 255.
2. Registre des délibérations de 1765, fol. 184.
�od
— 421 —
nant de plusieurs cadavres. Roubaud était accusé
d’autres assassinats, et l’on disait qu’il avait mis à
mort des soldats pour s’emparer de leurs vêtements. 1
Quelques-uns des enfants placés dans la campagne
étaient chaque année ramenés à 1 Hôtel-Dieu où on
les destinait, suivant leurs forces et leurs goûts , à
l’exercice de divers états dans la ville. Plusieurs
étaient occupés à faire des bas dans l’hôpital. 2 Un
correcteur, armé d’un nerf de bœuf, fustigeait ceux
qui commettaient des fautes. Cet emploi était exercé
par un des valets de la maison. 3
L’administration plaçait quelques enfants en ap
prentissage chez des maîtres de divers métiers avec
lesquels elle passait un contrat public. 4 La rétri
bution la plus ordinaire en faveur du maître était de
trente livres une fois donnée ; mais les rôtisseurs et
les confiseurs en exigeaient soixante. 3
1. Roubaud échappa par la fuite à l’action de la justice. Il fut con
damné par contumace au supplice de la roue.Voyez, sur cette affaire,
la lettre écrite le 24 juillet 1714 par les recteurs de l’Hôtel-Dieu de
Marseille aux recteurs de l’Hôtel-Dieu d’Avignon , dans le livre des
copies des lettres du 10 mars 1713 au 27 juillet 1724, sans pagination
chiffrée, aux archives de l’Hôtel-Dieu.
2. Délibération du bureau de l’Hôtel-Dieu de Marseille, du 4 mai
1712, dans le registre des délibérations de cette année, fol. 162.
3. Délibération du bureau du 27 juillet 1769, dans le registre des
délibérations de cette année, sans pagination chiffrée.
4. Registre des garçons en apprentissage, in-fol., Passim , aux
archives de l’Hôtel-Dieu.
3. Séance du bureau de l’Hôtel-Dieu, du 9 m ai 1714, dans le registre
�Les enfants les plus robustes étaient réservés pour
la marine. On confiait les uns à des patrons pé
cheurs; 1 on destinait les autres aux vaisseaux du
commerce qui les recevaient comme mousses.
L’ordonnance de la marine de 1681 voulait que
les capitaines prissent dans les hôpitaux les garçons
dont ils pouvaient avoir besoin pour servir de mousses
sur leurs vaisseaux. L’ordonnance de 1689, sans
rien changer à cette disposition , prescrivit qu’il y
aurait un mousse pour dix hommes, relativement
à l’édit du mois de mai 1670 , rendu pour la Pro
vence, et l’édit général du mois d’août 1673. 2
Les salaires des enfants de l’Hôtel-Dieu à bord des
vaisseaux étaient de neuf à quinze livres par mois ,
suivant le voyage. Quelquefois ces enfants avaient
un quart, un tiers ou une demi de part. Dans tous
les cas, l’hôpital leur donnait une covffe qui renfer
mait quelques vêtements et quelques hardes. 5
Les salaires étaient perçus au profit de l’hôpital.
Mais par délibération du 4 juillet 1726, l'adminisdes délibérations de cette année, fol. 244; celle du 6 février 1716 ,
fol. 29.
1. Registre cité des garçons en apprentissage, Passim.
2. Valin. Commentaire sur l’ordonnance de la marine de 1681,
tome 1 , page 563.
5. Registre pour les embarquements des mousses, commencé le 19
juillet 1758 et fini Ie 28 décembre 1742, in -4°, aux archives de
l’IIôtel-Dicu.
�— 423 —
tration en accorda le quart aux mousses qui se ren
daient dignes de cette faveur. 1
L;Hôtel-Dieu de Marseille embarquait chaque an
née de cent dix à cent cinquante enfants. Quelquesuns de ces orphelins périrent misérablement dans
le cours de leurs voyages.
L’année 1739 fut entre toutes la plus malheureuse.
La corvette la Vierge-de-Grâce, sur laquelle le mousse
François Deidier était embarqué, se perdit près de
Constantinople, et ce pauvre enfant se noya. 2
Augustin Hugues, embarqué sur le vaisseau la
Vierge-de-la-Garde , eut le môme sort à Constanti
nople. 3
Joseph Savournin , mousse du pinque Sai?it-Joseph,
périt aussi dans les Ilots où s’engloutit ce navire. 3
Étienne Arnaud , Jean-Antoine Forte, Joseph Montagnac, Pierre Jaunie et Gaspard Roman firent aussi
naufrage, les trois premiers dans les mers du Levant,
1. Registre des délibérations du bureau de l’Hôtel-Dieu en 1726,
fol. 180. — Journal A des salaires des mousses, in-4-0, commencé en
1726, aux archives de l’Hôtel-Dieu. — Voyez aussi, aux mêmes ar
chives, plusieurs registres concernant l’embarquement des mousses de
cet hôpital.— Voyez encore le livre des numéros donnés aux enfants
de l’Hôtel-Dieu lorsqu’ils étaient classés au bureau du roi, en confor
mité de son édit du 15 août 1732, grand in-4°.
2. Registre pour les embarquements des mousses, du 19 juillet 1758
au 18 décembre 17-42, in-4°, fol. 51, aux archives de l’Hôtel-Dieu.
3. Ibid. fol. 59.
4. Ibid. fol. 81.
�le quatrième dans la mer Baltique , et le cinquième
sur les côtes d’Espagne. Mais ils eurent tous le bon
heur de se sauver, après la perte de leur navire. 1
On ramenait de la campagne plus de filles que
de garçons, parce que ceux-ci y trouvaient plus
facilement de travail. Ces pauvres filles étaient oc
cupées dans la maison au métier des bas. 2 D’autres
servaient les pauvres malades. 3 On en employait
quelques-unes à la lingerie , à la buanderie et à la
cuisine.
Toutes ces filles internes étaient anciennement
sous l’autorité d'une mère qui fut congédiée le 14
septembre 1713. Le bureau délibéra en même temps
que cet emploi serait donné à deux des quatre
religieuses placées dans la salle des femmes ma
lades. 4
Plusieurs filles de l'hôpital étaient aussi mises en
ville au service domestique. Les gages , d’abord
excessivement modiques, suivirent la progression des
salaires et des denrées ; ils varièrent enfin , dans
le dix-huitième siècle , de 24 à 54 livres au-dessous
1. Ibid. fol. 6 2 , 65, 84, 109 et 118.
2. Registre des délibérations du bureau de l’Hôtel-Dieu, de l’année
1737, séance du 25 juillet, fol. 66- — Registre des délibérations de
1707, séances du 5 janvier, fol. 55.
5. Registre des délibérations du même bureau de l’Hôtcl-Dieu, de
1712, fol. 155.
4. Registre des délibérations de 1715, fol, 219.
�— 425 —
de vingt ans , 1 et de 54 à 75 au-dessus de cet âge. 2
La maison donnait à chacune de ces filles , à leur
entrée au service, un petit trousseau. 3
Anciennement l’administrateur semainier avait le
droit de prononcer sur la mise en condition de ces
filles, mais par délibération du 9 juillet 1705 , 4 re
nouvelée le 7 septembre 1715,3 il fut dit que doré
navant le bureau seul statuerait sur de pareilles
demandes, et un peu plus tard l’administration fit
un règlement pour le placement des filles qui ne fu
rent données qu’à des personnes sur les mœurs et
la moralité desquelles on fit une information préa
lable. Des circonstances graves motivèrent cette ré
solution. La débauche publique avait marqué de ses
stigmates ignominieux plusieurs filles de l’Hôtel-Dieu
de Marseille, placées en ville comme domestiques ,
et jetées sans expérience et sans guide au milieu
d’une société qui sacrifiait à ses corruptions ces
pauvres et faibles victimes.
Les filles mineures ne pouvaient changer de maî1. Voyez tous les registres des délibérations du bureau de l’HôlelDieu. Passim.
2. Livre des filles de service qui excèdent l’âge de vingt ans, in-fol.
Passim , aux archives de l’Hôtel-Dieu.
3. Séance du 19 juin 1 713, dans le registre des délibérations de
cette année.
4-. Registre des délibérations de l’année 1705, fol. 5.
5. Registre des délibérations de 1715, fol. 21.
�426 —
tre sans l’agrément du bureau. 1 Violaient-elles cette
règle? elles étaient privées de la dot que la maison
leur aurait donnée à leur mariage. 2 Quittaientelles leur maître, sans motif légitime , avant la fin
d’une année? elles perdaient leurs salaires qui étaient
mis dans le tronc de l’Hôtel-Dieu au profit des pau-,
vres malades. 5
La dot de toutes les filles mineures fut de 200 livres
avant 1782, sans comprendre dans cette somme la
valeur des hardes qu’on estimait 30 livres environ.
Le 18 avril de la même année, le bureau délibéra
de maintenir au même chiffre la dot des filles qui se
marieraient, se trouvant encore chez leurs nourri
ciers , et de donner à ceux-ci, en pareil cas, une
gratification de 75 livres. En même temps , il déli
béra de réduire à 150 livres la dot de celles qui ne
seraient plus auprès de leurs nourriciers. 4
Anciennement l’hôpital logeait et nourrissait, pen
dant l'accomplissement des formalités légales , les
hommes qui venaient épouser des filles de la mai1. Séance du 15 octobre 1722 , dans le registre des délibérations de
cette année, fol. 54.
2. Séance du 2 juin 1718, dans le registre des délibérations de cette
année, fol. 126. — Séance du 21 août 1727, dans le registre des
délibérations de cette année, fol. 35.
3. Séance du 10 septembre 1733, dans le registre des délibérations
de cette année, fol. 203.
4. Registre des délibérations du bureau de l’Hotel-Dieu de 1782,
fol. 46.
�1. Registre des délibérations de l’année 1705.
2. Séance du 16 décembre 1706, dans le registre des délibérations
de cette année, fol. 55.
5. Registre des délibérations de 1789, loi. 54.
.
son. Cet usage fut aboli le 17 décembre 1705. 1
L’administrateur semainier assistait à la célébra
tion du mariage et ne pouvait s’en dispenser dans
aucun cas. 2 Le repas des noces se faisait dans l’hô
pital et aux frais de cette maison. On ne le sup
prima que le 15 janvier 1789 ; mais on donna à
chaque nouvelle mariée six livres en sus de la dot
pour lui tenir lieu de ce repas. 5
Les questions d’assistance publique sont vieilles
comme les sociétés humaines , toujours rongées des
maux de l’indigence et de l’immoralité. Ce monde,
où notre vie laisse des traces si fugitives , n’offre
que des contrastes qui affligent le philosophe et des
énigmes qui le désespèrent. Les progrès de la civi
lisation , loin de faciliter la solution des problèmes
de la charité légale, la compliquent d’une manière
étonnante, et notre esprit est saisi de frayeur au
bruit de ces débats dans lesquels est intéressé le
sort de tant d’hommes malheureux par les imper
fections de l’ordre social, ou, si l’on veut, par une
nécessité bien cruelle.
Entre toutes ces questions agitées par une contro
verse sans fin, il en est une qui présente des diffi-
�— 428 —
cultés redoutables. C’est celle des enfants trouvés.
Nos pères nous ont transmis ce triste legs que nous
laisserons à nos neveux.
Législation civile , science administrative, droit
hospitalier, économie politique, tout s’en est vive
ment ému.
Par un régime particulier à la Provence, le bâtard
inconnu était à la charge de l’hôpital qui lui ouvrait
son sein. 1 Découvrait-on l’auteur de ses jours?
L’hôpital avait action contre lui pour l'entretien de
cet enfant. Était-il insolvable? L’hôpital attaquait
comme responsable la communauté où l’enfant avait
été conçu, et non celle où il était né, car on disait que
la charge devait être où la faute avait été commise.
Au reste , l’hôpital avait aussi, dans tous les cas,
une action directe contre la communauté , laquelle
pouvait alors exercer contre le père son recours et
sa garantie.
Tel était l’ancien usage de Provence confirmé par
la jurisprudence du parlement d’Aix.
En Languedoc on avait une autre coutume. On
attribuait l’enfant au lieu où il prenait naissance
et non pas à celui où il avait été conçu. 2
1. De Coriolis. Traité sur l’administration du comté de Provence,
tome 1 , page 250.
2, Extrait de la lettre écrite par les échevins de Marseille aux con
suls d’Arles, le 1er février 1772, dans le registre 25 des copies des
lettres des échevins de Marseille, du I e1'janvier 1772 au 19 mars 1773,
archives de la ville, première division.
�Y'
— 429 —
La seule déclaration d’une fille mère suffisait
contre un homme qui se voyait de la sorte, et bien
malgré lui assurément, chargé d’une paternité peu
flatteuse. Ni la pureté des mœurs, ni la noblesse
du caractère, ni l’estime publique, ni le rang social,
rien ne mettait à l’abri des atteintes d’une décla
ration qui pouvait, dans bien des circonstances,
n’être dictée que par un esprit de spéculation détes
table ; et si une chose nous étonne , c’est de voir
que cette règle absurde ait existé pendant si long
temps.
L’un des administrateurs de l’Hôtel-Dieu de Mar
seille était seul chargé des affaires concernant les
déclarations de grossesse et des poursuites en paie
ment d’indemnité , au profit de cet hôpital, contre
les pères supposés ou contre les villes et bourgs
responsables. L’emploi si difficile et si délicat de cet
administrateur était appelé le département du se
cret. Sa correspondance était fort active , et comme
on le pense bien, fort curieuse en même temps. Il
adressait d’incessantes demandes à je ne sais com
bien d’hommes de tout état fort peu jaloux de rem
plir les devoirs d'une paternité dont ils ne parais
saient pas bien convaincus, et à un grand nombre
de communautés de Provence qui ne montraient pas
plus d’empressement à satisfaire à des obligations
dont la justice leur semblait au moins douteuse.
Il fallait des arrêts du parlement d’Aix pour les con-
�430
traindre au paiement, et leur esprit de résistance
s’emparait d’ailleurs de toutes les armes que le droit
et la procédure pouvaient leur fournir. 1
Le père de l’enfant reçu par l’Hôtel-Dieu de Mar
seille devait le retirer ou payer la dépense à raison
de sept livres dix sous par mois. Il avait de plus à
sa charge les frais extraordinaires de maladie. L’hô
pital avait d’abord fixé à trois cents livres , une fois
payées, l’abonnement d’entretien d’un bâtard ; mais
en 1760 il porta cette somme à six cents livres.
Les poursuites de l’hôpital troublèrent bien sou
vent le repos des familles par une publicité scan
daleuse. La maison du Refuge avait une annexe
nommée l’entrepôt, où les filles enceintes venaient
accoucher , après avoir fait devant le lieutenantgénéral criminel la déclaration de grossesse que pres
crivait , sous peine de la vie, l’édit du roi Henri II
du mois de février 1556, renouvelé par l’ordon
nance d’Henri III de 1586 , et par la déclaration de
Louis XIV du 25 février 1708. 2 Belsunce , évêque
de Marseille , veilla rigoureusement à ce que ces
actes de l’autorité souveraine fussent lus aux prônes
1. Voyez la lettre du 7 juin 1760 aux consuls des Martigues, dans
le registre 1er des copies des lettres pour le secret, fol. 32, aux ar
chives de l’Hôtel-Dieu. — Lettre du 4 septembre 1764 aux consuls de
Tourves dans le registre 2 , fol. 341.
2. Les lois criminelles de France, dans leur ordre naturel , par
Muyart de Vouglans, tome 1 , pages 160 et 161.
�tous les trois mois. 4 II les lit aussi imprimer pour
que la publicité fût plus grande. 2
L’enfant naissant à l’entrepôt était porté à l’HôtelDieu qui agissait, comme je l’ai dit. contre le père,
et plus souvent contre les communautés respon
sables. 5
Quelques filles se reconnurent enceintes des œuvres
de plusieurs, et l’administration de l’Hôtel-Dieu eut
l’embarras du choix pour les poursuites.
La moyenne des déclarations de grossesse était, à
Marseille , de trente-neuf par an vers le milieu du
dix-huitième siècle et ne dut pas beaucoup changer
avant comme après cette époque. Du 4 mars 1735 au
6 novembre 1765, il y eut onze cent soixante-une
déclarations 4 qui vinrent frapper des hommes de tout
rang , prêtres , nobles , propriétaires , bourgeois ,
négociants , officiers de terre et de mer, capitaines
1. Statuts synodaux du diocèse de Marseille, lus et publiés dans le
synode tenu dans le palais épiscopal le 18 avril 1712, p. 1 84etsu iv.
2. Marseille, chez la veuve d’Henry Brebion , petit in-4° de 7 pages.
5. Registre des déclarations de grossesse faites devant le lieutenantgénéral criminel de Marseille, du 15 juin 1742 au 28 avril 1759, in-fol
p. 262 , aux archives de l’Hotel—Dieu. — Registre des mêmes déclara
tions, du 28 juillet 1762 au 6 novembre 1765, in-4u, p. 4, 5 et 248.
— Registre 1 des copies des lettres pour le secret, fol. 2 2 , aux mêmes
archives.
4. Les archives de l’Hôtel-Dieu de Marseille ne possèdent que quatre
registres contenant les procès-verbaux de déclaration de grossesse. Je
ne sais comment les autres ont pu disparaître et où ils se trouvent
aujourd’hui, si tant est qu’ils existent encore.
�— 432 —
marins, avocats, médecins, instituteurs, artistes,
gens de divers métiers.
Tous les hôpitaux de Provence se plaignaient
de leurs obligations relatives aux enfants trouvés
dont l’entretien pesait sur leurs finances d’une ma
nière accablante. Les grands hôpitaux surtout trou
vaient , avec raison, cette charge bien lourde, car
on leur portait des enfants de tous les pays voisins,
et même quelquefois des contrées assez éloignées.
L’Hôtel-Dieu de Marseille était évidemment celui qui
souffrait le plus. Mais, au milieu de ses embarras
financiers et de ses nécessités les plus cruelles, il ne
manqua jamais aux devoirs de l’humanité. Il ouvrit
toujours son sein à ces créatures innocentes qui n’é
taient pour rien dans le libertinage des auteurs de
leurs jours et n’avaient pas demandé le don de
l’existence.
L’assemblée particulière des procureurs du pays
nés et joints 1 arrêta , le 15 mars \ 763, que les mères
ne seraient reçues à l’entrepôt qu'au huitième mois
de leur grossesse.
Il intervint, le 12 août 1765 , un arrêt du conseild’état qui homologua divers règlements faits par cette
1. L’archevêque d’Aix et les trois consuls de cette capitale étaient
procureurs du pays nés. Les procureurs joints étaient deux membres
du clergé, deux membres de l’ordre de la noblesse, et deux manda
taires du tiers-état.
�— 433 —
assemblée des procureurs du pays nés et joints au
s u je t des enfants trouvés. 1
Déjà on avait eu l’idée de faire une masse com
mune de ce que les particuliers et les communautés
pouvaient devoir pour la dépense des enfants trou
vés, et d’abonner avec les hôpitaux. Il en résulta
de grands avantages.
En 1763, l’assemblée provinciale imposa, pour
les enfants trouvés, quarante mille livres ; en 1765
cinquante mille livres ; en 1768 soixante-quinze mille.
On s’aperçut, en 1772 , que cette somme était in
suffisante et on la porta à cent mille livres. La dé
pense excéda néanmoins l’imposition, et en 1783 , on
prit vingt-deux mille livres sur les cas inopinés 2 pour
remplacer le déficit. Cette somme ne fut pas même
suffisante en 1784. L’entretien des enfants trouvés
coûtait alors cent quarante-huit mille livres. 5 Mais
1. Coriolis. Traité sur l’administration du comté de Provence,
tome 1 , page 52.
2. Sur l’imposition des cas inopinés , voyez Coriolis , ouvrage cité ,
t. 1 , page 4.54 et suiv.
3. Voyez, sur l’entretien des bâtards, l’abrégé du cahier des délibé
rations générales des communautés du pays de Provence, convoquées à
Lambesc le 24 octobre 1762. Aix, chez la veuve de J. David et Esprit
David, 1762, in-4°, page 129 et 130.— Cahier de 1764, p. 65 et 199.
— Cahier de 1765 , p. 70 et suiv.— Cahier de 1768, p. 123 et suiv.—
Cahier de 1769, p. 38, 111 et 1 15.—Cahier de 1770, p. 29.— Cahier
de 1771, p. 66 et 67. — Cahier de 1772 , p. 92 et 93. — Cahier de
1773 , p. 117 et 118, — Cahier de 1782, p. 179 et 180. — Cahier
de 1783, p. 32 et suiv.— Cahier de 1784 , p. 54 et suiv.— Cahier de
�— 434 —
la province ne donna pour ce service rien de plus que
ce qu’elle avait donné en 1783, c’est-à-dire cent
vingt-deux mille livres. Les hôpitaux du pays eurent
à pourvoir, chacun en ce qui le concernait, à l’excé
dant de la dépense.
Par l’arrangement dont je viens de parler, les
hôpitaux, en recevant de la province une indemnité
proportionnelle, perdirent le droit de poursuivre en
justice les pères des enfants trouvés auxquels ils
ouvraient leur sein et les communautés où ces enfants
avaient été conçus. Mais cet arrangement, pris dans
l’intérêt des familles souvent troublées par des de
mandes dont la justice était au moins douteuse ,
ne concernait que le corps de la province. Marseille ,
Arles et les autres terres adjacentes n’avaient rien
à y voir, car elles étaient placées sous un régime
particulier qui ne leur donnait aucun avantage et
présentait bien des inconvénients pour les affaires
administratives et financières. Ces terres adjacentes
ne relevaient que de l’intendant, surtout pour leur
contingent aux charges publiques. Il n’y avait alors
en France que morcellements, contrastes, abus de
toute sorte. Tout s’éloignait de l’unité , la première
et la plus belle conquête de la révolution de 1789.
1785, p 21. Voyez encore le procès-verbal de l’assemblée générale
des gens du tiers-état du pays et comté de Provence, convoquée à
Lambesc le 4 mai 1788, in-4°, pag. 28 et 106.
�L’Hôtel-Dieu de Marseille continua donc d’être
seul chargé de l’entretien de ses enfants trouvés,
et au scandale de la raison , au mépris des conve
nances sociales, il continua aussi d’exercer ces
poursuites qui soulevaient tant de débats et fai
saient des blessures si long-temps saignantes. Une
dure nécessité l’y poussait. Dans la pénurie de ses
finances, sur lesquelles l'entretien des pauvres orphe
lins pesait lourdement, il fallait bien mettre la lé
gislation à profit pour se créer les ressources néces
saires à son existence. La faute n’en fut donc pas à
lui, et c’est à cette législation absurde qu’il faut
adresser des reproches.
Il va sans dire que les poursuites de l’Hôtel-Dieu
de Marseille furent souvent en pure perte. D’ailleurs
le plus grand nombre des enfants trouvés avaient
des mères qui ne faisaient aucune déclaration de
grossesse et restaient toujours inconnues. L’hôpital,
dans ce cas, ne pouvait exercer aucun recours et se
voyait épuisé par une dépense qui croissait sans
cesse, en absorbant des ressources dont le service
des pauvres malades exigeait l’emploi. A la fin du
dix-huitième siècle , les enfants trouvés créaient
partout des embarras aux hôpitaux et aux adminis
trations locales. Quant au gouvernement , il n’en
avait nul souci. Jamais il ne s’en occupa d’une ma
nière sérieuse. Pas de surveillance, pas d’inspection ;
et, l’on pense bien, pas de subsides. Il agissait ainsi
�136
pour toutes les institutions hospitalières abandonnées
à leurs seuls moyens d’existence , à leurs formes
constitutives , à leurs règles particulières. Tout ce
qu’il fit, et souvent à grand peine , fut d’obliger les
corps municipaux à leur venir en aide, dans des
moments de détresse.
Necker, puisant aux sources de la philanthropie
ses idées gouvernementales , s’occupa beaucoup ,
dans son premier ministère de 1776 à 1781 , des
hôpitaux et des questions touchant la bienfaisance
publique. Il ne se borna pas à porter sur ce point sa
sollicitude d’homme d’état, il voulut mettre en ac
tion sa charité, et fonda à ses frais l’hospice de Paris
qui porte encore son nom. Cependant, plein de pru
dence dans ses plans de réforme, il reconnut bientôt
les difficultés de son entreprise dont il ne parle d’ail
leurs qu’avec la circonspection des théories qui sont
loin de passer dans le domaine des faits. 1
Des soins plus importants appelèrent d’ailleurs
l’attention de Necker et rien ne fut changé dans l’or
ganisation des hôpitaux.
Suivant le témoignage de ce ministre, il y avait
1. Il est très-difficile, dit Necker, de constituer l’administration des
grands hôpitaux d’une manière qui éloigne absolument les abus ou la
négligence; et lorsqu’on s’occupe de ce dessein , on retrouve en petit
la plupart des contrariétés auxquelles tous les gouvernements sont as
sujettis. De l’Administration des finances de la France , par Necker,
1785, t. 5 , p. 127.
�— 437 —
dans le royaume , en 1785, quarante mille enfants
abandonnés. 1 Bien des motifs nous obligent à croire
que cette évaluation n’est pas exacte et que son
chiffre est bien au-dessous de la vérité. L’adminis
tration supérieure n’avait pas autrefois les ressources
qu’elle trouve aujourd’hui dans des recensements
certains , dans des statistiques officielles. Les don
nées n’étaient qu’approximatives , et le nombre des
enfants trouvés , approximativement accusé par Necker, cacha une grande partie de cette plaie sociale.
Le chiffre de Necker pouvait-il être vrai, lorsque
l’Hôtel-Dieu de Marseille avait seul, à la même
époque , plus de deux mille enfants à sa charge? Ce
nombre était dépassé dès l’année 1762 , ainsi que le
prouvent des documents authentiques. Les enfants
de l’Hôtel-Dieu de Marseille étaient alors classés de
la manière suivante :
390 Qui n’avaient pas seize mois et qui coûtaient
cinq livres par mois chez les nourrices. La
dépense annuelle était de............................ 23,400
89 Depuis l’âge de seize mois jusques à vingt-un
mois, qui coûtaient annuellement quatre
livres par mois chez leurs nourriciers.. 4,272
1360 Depuis l’âge de vingt-un mois, qui coûtaient
jusqu’à l’âge de quinze ans trois livres par
mois chez les nourriciers........................... 48,960
1839
A reporter.... 76,632
1. Même ouvrage, t. 3 , p. 125.
�438 —
1839
101
Report.... 76,632
50 Filles dans l’hôpital.
16 Garçons dont six à la chirurgie, deux à
la pharmacie et un au bureau des enfants.
35 Filles servant aux lessives, à la lingerie,
à la cuisine, dans les salles des femmes
malades.
36 Mousses en voyage.
16 Apprentis chez différents maîtres de la
ville.
18 Filles en service dans la ville et qui
avaient le droit de rentrer dans l’hôpilal
quand leurs maîtres les congédiaient.
70
2010 Enfants qui coûtaient annuellement..............
76,632 '
Mais le nombre des orphelins de l’Hôtel-Dieu de
Marseille était en réalité plus considérable, car ceux
dont l’âge dépassait quinze ans et que les nourri
ciers gardaient par affection , ne figurent pas dans
la première catégorie de ce tableau qui en contient
dix-huit cent trente-neuf. Bien qu’ils ne fussent plus
à la charge de la maison , ils n’en continuaient pas
moins de lui appartenir , parce qu’elle conservait,
1. État de la situation de l’Hôtel-Dieu de Marseille, remis aux com
missaires nommés par le conseil municipal pour en connaître, 1762,
pièce n° 11 du dossier de divers tableaux et mémoires expositifs de la
situation de cet hôpital, de 1716 à 1770, aux archives de l’Hôtel-Dieu.
�jusqu’à leur majorité, son droit de surveillance et
de tutelle
Le nombre des enfants trouvés à la charge de
l’Hôtel-Dieu de Marseille resta stationnaire pendant
une trentaine d'années, et en 1789 nous trouvons
un chiffre à peu près égal à celui de 1762. Mais il
y eut bientôt une diminution déplorable. La détresse
où se trouvèrent les hospices pendant la révolution
fit suspendre tous les paiements, et non seulement
les nourrices ne vinrent plus prendre des enfants à
l’Hôtel-Dieu , mais la plupart ramenèrent ceux dont
elles étaient chargées. Les enfants exposés périrent
presque tous dans cette maison où une seule nour
rice en allaita jusqu’à quatre. 1 Le gouvernement ,
assiégé lui-même de périls et de besoins, ne fit
rien pour sauver la vie à ces malheureux qu’il dé
cora du titre pompeux clorphelins de la pairie. Pa
rade de grands mots et de beaux sentiments qui n’a
vait d’autre fin qu’une déception cruelle.
1. Rapport sur les enfants trouvés des hospices de Marseille , fait le
2*1 août 1810, aux archives de l’Hôtel-Dieu.
�CHAPITRE XX.
RECTEURS DE
l ’h
Ô T E L- DI ED.
Variations du nombre des recteurs de l’hôpital Saint-Esprit. — Mode
de leur nomination. — Surintendants des hôpitaux. — Trésoriers
de ces établissements.— Le nombre des recteurs porté à douze.—
Ils font personnellement des avances de deniers. — Suppression
de cette taxe. — Les recteurs, dans le xvne siècle, montrent fort
peu de zèle. — Ceux du siècle suivant remplissent mieux leurs
devoirs. — Rapports des recteurs entre eux. — Nouvelle augmen
tation de leur nombre. — On en nomme seize, puis dix-huit.
Deux recteurs annuels administrèrent l’hôpital
Saint-Esprit de Marseille jusques en 1543. Les affaires
de cette maison ayant alors acquis plus d’importance,
le conseil de ville adjoignit aux recteurs Pierre Tour
nier et François Isnard , un coadjuteur nommé Ray
mond Rostaing. 1 II suivit cette règle pendant six
ans; 2 mais en \ 549 un autre système prévalut. Le
1. Libvre i des eslections, délibérations et refformations du conseil
et aultres actes de la ville de Marseille, fol. 78 verso, aux archives de
l’Hôtel-de-Ville.
2, Les recteurs de l’hôpital furent d’abord nommés le 10 novembre,
jour de Saint-André, et ensuite le 28 octobre, jour fixé pour les élec
tions communales.
�— 441
conseil élut quatre recteurs qui furent Jean Blanchard,
Vivaud Boniface, sieur de Cabanes, Gaspar Boyer et
Raynaud Rostaing, 1 le coadjuteur de 1543.
La direction de l’hôpital fut donc confiée à quatre
recteurs élus annuellement jusques au 28 octobre
1563. A cette époque, le conseil crut devoir changer
l’état des choses. Il nomma trois recteurs, Gaspar
Boyer , Robert Roure , Guilhen Roubaud , et deux
coadjuteurs , Nas et Pierre Gauthier. 2
En 1566 et les années suivantes , le conseil élut
trois recteurs et un coadjuteur seulement. 3
Aux élections de 1572, il nomma quatre recteurs
et un coadjuteur. 4 II suivit cette voie jusqu’en 1579.
Il réduisit alors à trois le nombre des recteurs , et il
investit de ces fonctions Jehan Riquetti, sieur de
Mirabeau, Jacques Bosquet et Jean Durand, dit
Buou ïaigao. Le coadjuteur fut Huges Yaccon. 3
L’année suivante, quatre recteurs furent élus, et
1. Registre 2 des délibérations du conseil municipal de Marseille ,
du 2 novembre 1546 au 28 octobre 1549, fol. 208 verso.
2. Registre 7 des délibérations du conseil municipal de Marseille,
du mois de novembre 1562 au mois de juin 1566, fol. 43 recto.
3. Registre 8 des délibérations du conseil municipal de Marseille,
du 9 novembre 1566 aumois d’octobre 1570, fol. 32 verso. — Registre
9 , fol. 171 verso.
4. Meme registre 9 , fol. 208 verso.
5. Registre des délibérations du conseil municipal de Marseille, du
mois de novembre 1574 au mois d’octobre 1579, fol. 453 recto.
�— 442
ou ne leur donna pas de coadjuteur. 1 Le conseil
municipal ne semble mu que par son caprice dans
les élections postérieures. Tantôt il nomme trois rec
teurs et tantôt il en choisit quatre. Quelquefois il
leur adjoint un coadjuteur et d’autre fois il ne leur
en donne pas. Les procès-verbaux d’élection n'indi
quent jamais les motifs de ces variations incessantes.
Il y avait, en 1593 , quatre recteurs de l’hôpital
Saint-Esprit et deux recteurs de celui de Saint-Jacques-de-Galice, lorsque ces deux hôpitaux furent
réunis. L’Hôtel-Dieu , sous le titre de Saint-Esprit et
Saint-Jacques-de-Galice , fut administré par six
recteurs qui furent, dès cette époque, nommés pour
deux ans. Il en sortait trois chaque année. Il y avait
trois recteurs vieux et trois nouveaux. On les dési
gnait de cette manière.
Un gentilhomme était toujours placé à la tête
des uns et des autres. h y eut ainsi dans le bureau
deux nobles et quatre roturiers ; et lorsque le nom
bre des recteurs fut successivement augmenté, il n’y
eut jamais que deux gentilshommes. Un seul fut
élu tous les ans.
Chaque recteur, à la fin de son exercice , dési
gnait son successeur. Ce choix était soumis à l’ap1. Registre des élections, conseils et aultres actes de la présente
ville de Marseille, comansant. le 8 novembre 1579 et finissant le 5
janvier 1584, fol. 55 verso.
�443 —
probation du bureau qui, par déférence, approuvait
toujours. La liste des personnes ainsi choisies était
envoyée au conseil. 1 Le conseil de ville sanction
nait ces nominations , et c’était là une affaire de
pure forme. 2 De cette manière , les recteurs , qui
semblaient nommés par le conseil municipal, n’é
taient en réalité choisis que par un seul homme ,
c’est-à-dire par celui dont ils allaient occuper la
place. Ce mode de nomination ne fut jamais changé.
On vit aux élections de 1567 une importante nou
veauté administrative. Le conseil municipal, après
avoir nommé Jehan Daysac , Carlin Deydier, Jehan
Dodon recteurs de l’hôpital Saint-Esprit, et Baptistin
Nicole coagiteur, élut huit superintendants des hospit.aulx et surveillants au fait d’iceulx, c’est-à-dire deux
pour chacun des quatre quartiers de Marseille : au
corps de Ville, Pierre Bouquin et Amiel Tornerii, ou
de Tornier ; à Blanquerie , Claude Émeric et Jean
Cépède, fils de Philippe ; à Cavaillon, Étienne Rambaud et Vincent Raynaud; à Saint-Jean , le capitaine
Girard Salomon et Pierre Bayssan. 3 Ils formèrent
1. Et plus tard aux échevins. On sait que le consulat de Marseille
fut aboli par Louis XIV en 1660 et que l’échevinat fut institué à sa
place.
2. Voyez sur ce point les divers registres des délibérations du conseil
municipal, aux archives de la ville.
5. Registre 8 des délibérations du conseil municipal de Marseille ,
du 9 novembre 1566 au mois d’octobre 1570 , fol. 54 recto.
�444
une commission supérieure, laquelle eut la surveil
lance générale des hôpitaux de Marseille.
On continua , les années suivantes, de nommer
huit surintendants des hôpitaux qui eurent toujours
chacun une administration particulière; mais on n’en
élut que quatre en 1572, Pierre Albertas, Pierre
Bausset, Aman Sommati et Bertrand Vias. 1 En
1580 , on n’en nomma qu’un seul qui fut Lazarin
d’Ollières , sieur de Gréasque; 2 et peu de temps
après, cette institution, qui probablement ne rendit
pas les services qu’on attendait d’elle, fut aban
donnée.
Le conseil municipal adopta, le 28 octobre 1569,
une autre innovation dont la durée fut beaucoup
plus longue. Il institua la place de trésorier des
hôpitaux et y nomma François Antoine. 3 A dater de
cette époque , la charge de trésorier des hôpitaux
de Marseille figure régulièrement chaque année au
nombre des emplois donnés par élection. Cependant,
en 1578, nous ne voyons pas nommer ce fonction
naire , et rien ne nous fait connaître les motifs de
cette exception unique. En 1579 , les choses repri
rent leur cours ordinaire , et le conseil fit choix
1. Registre 9 , fol, 209 recto.
2. Registre des élections, conseils et aultres actes de la présente
ville de Marseille, comansant le 8 novembre 1579 et finissant le 5 jan
vier 1584, fol. 36 recto.
3. Registre 8 ci-dessus éité, fol. 105 recto.
�— 445
d’Honoré Yenlure. 1 II nomma, en 1589, deux tré
soriers des hôpitaux , Louis Antoine et Pierre Veilhole, 2 et en élut également deux en 1590, Désiré
Moustier et Pierre Roux, dit Borgal; mais on déter
mina leurs attributions respectives et on sépara leurs
emplois. Moustier fut chargé de la caisse de l’hôpital
Saint-Esprit ; Roux eut celle de Saint-Jacques-deGalice. 5 II ne fut pas question de l’hôpital SaintLazare ni de celui de Saint-Jacques-des-Épées. En
1591 on revint à la nomination d’un seul trésorier
des hôpitaux , et c’est ce qu’on fit encore pendant
fort long-temps.
Sur la fin du dix-septième siècle, le conseil mu
nicipal de Marseille nomma, chaque année , trois
recteurs ordinaires de l’Hôtel-Dieu et un recteur tré
sorier qui devenait simple recteur l'année suivante
et sortait ensuite d’exercice, comme ses collègues
nommés pour deux ans. Par cette combinaison huit
recteurs, au lieu de six, administrèrent l’Hôtel-Dieu,
et l’un d’eux , en vertu du choix spécial du conseil
de ville, était chargé de la caisse, durant une seule
année.
Cette fonction était des plus onéreuses, car non
seulement le recteur trésorier y mettait son temps
1.
1574
2.
5.
Registre des délibérations du conseil municipal de Marseille de
à 1579, fol. 459 verso.
Registre 16 des délibérations municipales, fol. 145 verso.
Registre 17 des mêmes délibérations, fol. 202 verso.
�et sa peine , mais il se voyait obligé de faire de ses
propres deniers des avances plus ou moins consjdébles, suivant les besoins financiers de la maison, et
le plus souvent ces avances ne lui étaient rembour
sées que fort tard. De là des réclamations et des
plaintes, quelquefois même des débats fâcheux. On
ne trouvait que difficilement des hommes assez dé
voués pour occuper une fonction qui n'imposait que
de lourds sacrifices.
Cet état des choses sollicitait un changement. Le
28 octobre 4702, sur la proposition du premier
échevin Vincent Martin , le conseil délibère de porter
à douze le nombre des recteurs de l'Hôtel-Dieu et
d’en élire conséquemment six nouveaux qui servi
ront avec les quatre anciens, d'en nommer six autres
l’année suivante, et ainsi consécutivement, de ma
nière que les douze recteurs nommés pour deux
années, seront renouvelés par moitié tous les ans
selon l’ancien usage ; que les recteurs de la première
année contribueront, chacun par portion égale, avec
le trésorier désigné par le bureau , aux avances à
faire pour le service de l’hôpital, et de même suite
le conseil nomme le chevalier d’Obères d’Agoult,
Jean-Jacques Charpuis, Pierre Remuzat, Luc Martin,
Gaspard Martin et Étienne Guillermy. 1
t. Registre 10-4 des délibérations municipales, du mois de novembre
1701 au mois d’octobre 1702, fol. 101 recto et verso.
�— 447 —
Sur les plaintes fréquentes des recteurs , le chiffre
de deux mille livres fut fixé, pour chacun d'eux,
comme la dernière limite des avances à faire. Cette
obligation finit même par tomber en désuétude de
vant la difficulté de trouver chaque année en nombre
suffisant des hommes qui pussent réunir toutes les
conditions de dévouement et de fortune , et le tré
sorier seul se vit dans la nécessité de faire des
avances, comme avant la délibération du 28 octobre
4702. Mais un autre usage s’établit. Chaque rec
teur, à son entrée en charge, eut à verser, dans la
caisse de l’Hôtel-Dieu, une aumône spécialement
destinée à l’achat des lits de fer dont cette maison
avait besoin. L’aumône de chacun des recteurs va
riait suivant ses ressources personnelles, sa géné
rosité , souvent même son ostentation , et cette
différence, contraire aux sentiments d’égalité confra
ternelle , blessait bien des amours-propres. On voulut
mettre un terme à ces abus, et le don forcé de
chaque recteur fut fixé à deux cent quarante livres. 1
Le 12 août 1773, le bureau supprima cette taxe. 2
La plupart des recteurs , dans le XVIIe siècle ,
montrèrent fort peu de zèle. Il est rare de voir le
1. Registre coté P des délibérations du bureau de l’Hôtel-Dieu de
Marseille , du 1er juin 1758 au 29 août 1765 , fol. 83 recto.
2. Registre coté R des délibérations du même bureau , de 1773 à
1780, fol. 1 verso et suiv.
�448 —
bureau au complet, et quelquefois même c’est la
minorité qui délibère. 1 Dans la première moitié de
ce siècle , les séances n’ont lieu le plus souvent qu’à
de longs intervalles , et nous n’en voyons que deux
en 4623, 4630, 4634 , 4634, 4636, 4640. D’au
tres années nous en présentent de trois à six. Les
deux années où nous en voyons le plus dans le même
siècle, sont 4644 et 4650. La première en eut onze
et la seconde douze. 2
L’Hôtel-Dieu de Marseille eut plus tard des rec
teurs qui surent beaucoup mieux accomplir leurs
devoirs, et ceux du XVIIIe siècle exercèrent géné
ralement leurs fonctions avec une convenance par
faite , sous le contrôle de l’opinion publique , puis
sance nouvelle qui, tous les jours , étendait ses
conquêtes dans le domaine des choses frivoles comme
dans les hautes régions où venaient se débattre les
intérêts les plus graves ; reine capricieuse et légère,
dont ont briguait les faveurs et dont on redoutait
les disgrâces.
C’était ordinairement le jeudi que les recteurs se
réunissaient; mais le 22 mars 4725, le bureau,
1. Livre auquel sont contenus tous et chescuns des décrets, sen
tences et bureaux , etc., accommancé le 25 mars 1597. Passim , aux
mêmes archives de l’Hôtel—Dieu.
2. Livre où sont contenus tous les bureaux tenus par Messieurs les
recteurs de l’hôpital Saint-Esprit et Saint-Jacques-de-Galice unis en
sem ble, acomancé le septiesme novembre 1620, etc. Passim.
�— 449 —
dans un beau mouvement de zèle , délibéra de siéger
aussi le dimanche et d'avoir de cette manière deux
séances par semaine. 1 Toutefois on ne tint pas un
compte rigoureux de cette décision. Par le fait, une
séance par semaine suffisait à l’expédition des af
faires, le président semainier, dans l’intervalle d’une
séance à l’autre, restant chargé des détails d’exé
cution et de pourvoir aux choses imprévues.
Les formes d'une étiquette cérémonieuse prési
daient aux rapports que les recteurs avaient entre
eux, et ceux-ci, sans rien enlever aux sentiments
de l’amitié confraternelle , payaient ainsi le tribut
officiel aux mœurs et aux habitudes de l’époque.
Au commencement du mois de février 1787, le rec
teur Perrin, ayant fait part à ses collègues de son
prochain mariage avec la demoiselle Solliers, ils dé
libérèrent d’aller en corps chez lui pour le féliciter. 2
Un recteur mourait-il dans l’exercice de ses fonc
tions? le bureau ne négligeait rien pour relever
l’éclat des funérailles. 5
1 Registre K des délibérations du bureau de l’Hôtel-Dieu, du 2 jan
vier 1720 au 4 juillet 1720, fol. 127 recto.
2. Registre coté T des délibérations du bureau de l’Hôtel-Dieu de
Marseille, du 1er janvier 1787 au 5 septembre 1793, fol. 4 verso.
3. Le cérémonial des funérailles des recteurs de l’Hôtel-Dieu de
Marseille, morts en exercice, fut réglé par délibérations du bureau.
Voyez, entre autres, la dernière prise le 5 octobre 1784, à l’occasion
de la mort du recteur Raffin, registre S, du 11, mai 1780 au 31 détome i.
29
�— 150
Le 1er août 1774, le semainier Crozet représenta
au bureau que l’administration de l’Hôtel-Dieu deve
nant tous les jours plus pénible , exigeait que le
nombre des recteurs fût porté à seize. Il proposa
d’envoyer une députation au maire, aux échevins et
à l’assesseur pour les prier d’approuver ce projet.
Le bureau adopta la proposition et chargea deux
de ses membres, Pech et Peirier, de se rendre le
lendemain à l’Hôtel-de-Ville. 1
Il paraît que des difficultés s’élevèrent sur cette
demande, car aux élections du 28 octobre de la
même année le conseil de ville , renouvelant par
moitié , selon l’usage , le personnel des recteurs de
l’Hôtel-Dieu, n’en nomma que six nouveaux , au lieu
de huit, comme le désirait le bureau de cet hôpital.
Les six nouveaux venus ne contrarièrent en rien
l’exécution du projet. Le 7 novembre suivant, sur
la proposition du semainier Angleys, le bureau dé
libéra de présenter à l’administration municipale un
comparant aux mêmes fins, et députa auprès d’elle
Peirier et Piquet. 2
Le conseil municipal s’assembla le 20 décembre,
cembre 1786 , fol. 125 recto et verso, et 126 recto, aux archives de
l’Hôtel-Dieu.
1. Registre coté Q des délibérations du bureau de l’Hôtel-Dieu, du
5 septembre 1765 au 20 juillet 1775, fol. 154 verso et 155 recto.
2. Même registre Q, fol. 141 recto.
�et tous les membres ne furent pas du même, avis.
La demande du bureau de l’Hôtel-Dieu fut adoptée
au scrutin secret. Il fut dit que le nombre des rec
teurs serait augmenté de quatre; qu’en conséquence,
on en nommerait deux , séance tenante , pour servir
pendant deux années, et que dans toutes les élections
subséquentes il en serait nommé huit.
En conformité de ce vote , Lemaitre de Beau
mont, maire de Marseille , proposa Badaraque l’aîné
et Joseph Escalon. Ce choix fut unanimement ap
prouvé. 1
Il n’y eut aucun changement jusques en 1788.
C’était alors un temps d’aspirations patriotiques,
d’espérances confuses et de désirs mal définis , mêlés
à l’expression de besoins réels. Les recteurs de l’Hô
tel-Dieu de Marseille, travaillés de ce malaise général
qui cherchait partout un remède et croyait le trouver
dans des innovations demandées à tout ordre de sen
timents et d’idées, voulurent rendre leur service
triennal et réduire leur nombre à quinze nommés
par tiers chaque année. C’est dans ce sens qu’ils
délibérèrent le 31 décembre 1787 et présentèrent
un placet aux magistrats de la cité 2 qui soumirent
1. Registre T des délibérations du bureau de l'Hôtel-Dieu de Mar
seille, du 1er janvier 1787 au 5 septembre 1793 , fol. 25 recto.
2. Registre 172 des délibérations municipales, année 1771, fol. 101
recto et 105 verso. — Registre Qdes délibérations du bureau de l’HôtelDieu , fol. 144 recto et verso.
�452 —
l’affaire au conseil municipal. Le 1er août 1788,
l’assemblée communale ne vit aucun inconvénient à
ce que le service des administrateurs de l'HôtelDieu fût de trois ans à l’avenir, mais elle délibéra
aussi que le bureau de cet hôpital serait composé
de dix-huit membres et qu’on en nommerait six
chaque année. * Le 23 octobre, le bureau dressa la
liste des six nouveaux recteurs qui furent Couton ,
Antelmy, Grimaud , Dragon , Lioncy et Girard
Dudemaine. 2 II va sans dire que le conseil de ville
les agréa, et ils furent ainsi nommés pour entrer en
exercice le 1er janvier 1789, car l’année adminis
trative était alors la même que l’année ordinaire.
Tout se précipitait , et la révolution victorieuse
submergeait de ses flots la vieille monarchie. Le 22
décembre 1791, le conseil général de la commune de
Marseille eut à nommer six nouveaux administra
teurs , et les choix se fixèrent sur Durand , ministre
de la religion réformée; Antoine Roux , peseur du
commerce; Besson, officier municipal sortant d’exer
cice ; Jean-Louis Boyer, Pierre Serane et JeanJacques Ami, négociants. Durand et Boyer donnè1. Registre 189 des délibérations municipales, année 1788, fol.
164 recto et verso, et 167 recto.
2. Registre T des délibérations du bureau de l’Hôtel-Dieu , fol. 49
verso.
�— 453 —
rent leur démission. Ils furent remplacés par Barry
et Jean-Baptiste Fabre, ex-officier municipal. 1
La nomination de Durand était fort significative.
Elle avait la haute valeur d’une leçon de tolérance.
Grâces à Dieu , la raison publique avait bien mar
ché ; et ce choix seul prouvait qu’une grande révo
lution était faite.
1. Registre T des délibérations du bureau de l’Hôtel-Dieu, fol. 14-9
recto et 152 recto.
�CHAPITRE XXI.
MIRMOISSEIIIIIIT DE
l ’h OTEL-DIEIJ
EN 1 G 9 2 ET EN 1 7 1 9 .
Église de l’hôpital Saint-Esprit.— Durée de l’agrandissement de 1593.
— Nécessité d’un autre agrandissement. — Projet d’abandon de
l’Hôtel-Dieu et de construction d’un autre hôpital près la porte
de'Rome. — Ce projet est abandonné et l’on agrandit l’HôtelDieu en 1692. — Nouvelles constructions en 1719. — Projet de
réunion des divers hôpitaux de Marseille^— Libéralité considé
rable de Jacques de Matignon, abbé de Saint-Victor. — Nouveau
projet relatif à la translation de l’Hôtel-Dieu hors la ville. — Mort
de Jacques de Matignon. — Emploi de sa donation. — Abandon du
projet de translation de l’Hôtel-Dieu.
L’agrandissement de l’hôpital Saint-Esprit, com
mencé en 1593 , dura plus de vingt-cinq ans. Ce ne
fut qu’en 4601 qu’on s’occupa de la construction de
l’église telle qu’on la voit encore. Elle est bâtie sur
une partie de l’emplacement de la maison fondée le
11 avril 1576, sous le titre d’Hôtel-Dieu-Marie , par
Antoine de Glandevès, sieur de Pourrières, 1 pour
servir d’asile à quelques pauvres orphelines que le
1. Livre des délibérations du conseil municipal de Marseille, du
mois de novembre 1574 au mois d’octobre 1579, fol. 542 recto et.
verso, aux archives de l'Hotel-dc-Villc.
�455 —
peuple nomma Filles grises. L’ancienne église du
Saint-Esprit tombait en ruine. Le pape , par une
bulle du 46 juin 4593, avait déclaré que toutes les
fois qu’un prêtre séculier ou régulier dirait la messe
de mort au grand autel de l’église de l’hôpital SaintEsprit de Marseille pour l’âme de quelque fidèle ,
cette âme obtiendrait l’indulgence du trésor de l’é
glise par les mérites de Jésus-Christ et de la glo
rieuse Vierge Marie. 1
Le 44 juin 4604 , Dominique d’André, écuyer,
natif de Montpellier, mais habitant Marseille , offrit
aux recteurs de faire construire à ses frais le chœur
de l’église nouvelle, selon le plan qu’il en avait luimême dressé. Cette offre fut acceptée. 2
Le 25 du même mois, d’André chargea les maî
tres maçons Augustin Bourgarel, Vincent Méollan
et Jean Barnier, de la construction du chœur de
l’église, le grand autel compris, moyennant la somme
de 580 écus, et par acte du 43 août 4602, les recteurs
donnèrent aux mêmes maçons la construction du reste
de l’église, au prix de 800 écus. Un bienfaiteur, qui ne
voulut pas être connu , fit une aumône de 450 livres
1. Concedimus ut quotiescumque aliquis Sacerdos, sive secularis,
sive regularis, missam defunctorum ad altare Ecclesiæ Hospitalis
Sancti Spiritus ejusdem civitatis Massiliæ pro anima cujuscumque
fîdelis, etc. Livre Trésor B de l’hôpital Saint-Esprit et Saint-Jacquesde-Galice , 1616-1654, fol. 5 recto.
2. Livre Trésor A de l’hôpital Saint-Esprit et Saint-Jacques-de-Galice,
de 1542 à 1615, fol. 125 verso et suiv.
�156 —
pour la construction de l’église , à condition que l’une
des chapelles porterait le nom de Saint-Raphaël. 1
Comme la ville s’était chargée du logement des
filles grises, elle les établit dans une maison du
quartier Saint-Jean. 2
Déjà les recteurs de l’Hôtel-Dieu avaient acheté
des deux frères Jean et Maurice Gentet, maîtres
maçons à Marseille, par acte du 12 novembre 1601,
une maison au prix de 348 écus. 3 Le 6 juillet 1607,
ils acquirent des hoirs d’Étienne Jean , moyennant
36 écus, une partie de maison, et le 14 octobre 1614,
Antoine Reboul, greffier en la sénéchaussée de Mar
seille , leur vendit, au prix de 1,200 livres, un
jardin nécessaire à l’agrandissement. 4
Le 9 novembre 1608, le conseil municipal de Mar
seille délibéra , sur une requête des recteurs qui de
mandaient un secours de 400 livres , attendu « quils
» se treuvaient indebtés de bonnes sommes, sans
« aulcungs moyens èz mains. » Le conseil leur alloua
300 livres. 3 II leur en accorda 600, le 7 novembre
1. Livre Trésor À , ci-dessus cité, fol. 133 et su iv., 141 verso et
su iv,, 148 verso.
2. Registre 25 des délibérations municipales, du mois de novembre
1606 au mois d’octobre 1610, fol. 30 recto.
3. Livre Trésor A de l’hôpital Saint-Esprit et Saint-Jacques-deGalice de Marseille, fol. 125 et suiv.
4. Livre Trésor A , fol. 189 recto et verso , 190 recto , 290 recto
et suivants.
5. Registre 25 des délibérations municipales, fol. 165 recto.
�1610; 1 et le 6 novembre de l’année suivante, il
leur fournit un nouveau secours de mille livres « pour
» l’entretenement des pouvres et l’achesvement du
» bastiment que de long-temps estait accommancé
» en iceluy hospital. 2
L’église étant terminée, l’administration de l’HôtelDieu voulut faire construire une nouvelle salle poul
ies malades, et comme les ressources de la maison
et les libéralités de la ville ne suffisaient pas pour
la dépense, on fit une souscription dans laquelle
soixante-dix-neuf personnes s’engagèrent. Les prin
cipaux souscripteurs furent de Yalbelle , lieutenant
en l’amirauté ; de Bausset, lieutenant principal civil
et criminel en la sénéchaussée ; de Yento, lieutenant
civil au même siège ; de Cypriani, Gaspard de Gasparo, Jean Boisson, Pierre Sol le, François Perrin,
Georges Fournier, Guillaume Jullien , Antoine de
Bouquin, François Beuolan , Louis et Alexandre
Gerenton. Les engagements produisirent 2,487 livres
5 sous. 3
A la fin de l’année 1618, tous les travaux de l’a
grandissement délibéré en 1593 n’étaient pas ter1. Registre 26 des délibérations municipales, du mois de novembre
1610 au mois d’octobre 1613, fol. b recto et verso.
2. Même registre 2 6 , fol. 87 recto.
3. Livre Trésor A de l’hôpital Saint-Esprit et Saint-Jacques-de-Ga~
lice, fol. 173 verso et suiv.
�fi
— 458 —
rainés encore , 1 et le 4 novembre le conseil de ville
fournit un secours de cent livres pour finir les cons
tructions. 2
L’édifice , bien que considérablement agrandi,
parut insuffisant un demi siècle après, et de nou
veaux projets d’agrandissement s’élevèrent. On parla
même d’abandonner les anciens bâtiments et de cons
truire un hôpital ailleurs. Ce dessein prit une gran
de consistance, et le 3 janvier 1676, le recteur
d’Hermite en proposa l’adoption à ses collègues qui
l’accueillirent. 3 L’Hôtel-Dieu pouvait alors disposer
librement d’une somme de 4,000 livres et on lui
faisait espérer d’autres ressources.
L’emplacement qui parut le plus propre à la cons
truction d’un hôpital était situé près la porte de Rome,
au quartier de Fontgate , entre le couvent des Trinitaires réformés et l’élégante maison où le célèbre
sculpteur Pierre Puget passa les dernières années
de sa vie. 4
1. Les maîtres maçons Jean Besnier, Jean Feraud et Guillaume Borelli travaillèrent successivement à ces bâtisses. Voyez le livre Trésor
A , fol. 162 et su iv., 215 et suiv. , 230 et suiv.
2. Begistre 30 des délibérations municipales, du mois de novembre
1618 au mois d’octobre 1620 , fol. 2 verso.
3. Libvre dans lequel sont insérées les délibérations des bureaux
tenus par MM. les recteurs de l’hospital Saint-Esprit et Saint-Jacquesde-Galice de ceste ville de Marseille, du 7 novembre 1675 au 6 octo
bre 1684 , fol. 6 verso et 7 recto, aux archives de l’Hôtcl-Dicu.
4. Le P. Bougerel. Mémoires pour servir à l’histoire de plusieurs
hommes illustres de Provence, p. 53.
�— 459 —
L’affaire fut discutée, le 5 octobre 1684 , par le
conseil municipal. Le premier échevin Jean Rimbaud
rappela les plaintes des recteurs de l’Hôtel-Dieu qui
ne pouvaient pas recevoir tous les malades dans cette
maison mal appropriée et trop étroite. Les nourrices
et les enfants trouvés y étaient fort mal. On ne sa
vait où faire travailler les garçons et les filles. Tous
les services publics étaient en souffrance. L’hôpital,
enfin , ne répondait plus aux exigences du temps et
de l’humanité. On pouvait, il est vrai, agrandir la
bâtisse ; mais ce projet rencontrait, dans la situation
des lieux, des difficultés sérieuses, et il valait bien
mieux construire un autre édifice dans un endroit
plus salubre et plus favorable. Les recteurs de THôtelDieu ne demandaient rien à la ville pour cette dé
pense et l’on pourvoirait aux frais du nouvel hôpital
au moyen du prix de la vente des bâtiments de
l’Hôtel-Dieu, en ajoutant à ce prix les aumônes des
marseillais qu'on solliciterait en cette circonstance.
Le rapport de Rimbaud fut suivi d’une longue et
vive discussion. La majorité du conseil adopta son
sentiment, sans désigner l’emplacement du nouvel
hôpital ; elle dit seulement que les échevins de Mar
seille , de concert avec les recteurs de l’Hôtel-Dieu,
choisiraient le terrain estimé le plus convenable. 1
1. Registre 86 des délibérations municipales, du mois de novembre
1685 au mois d’octobre 1684, fol. 326 verso et suiv.
�4G0
L’épreuve ne fut pas jugée suffisante. On fit
publier à son de trompe qu’il s’agissait de pour
voir aux nécessités des pauvres malades , et l’on
distribua dans toute la ville un écrit annonçant
l’état de la question. Le conseil municipal fut ren
forcé de plusieurs personnes prises dans la noblesse,
dans le commerce , dans la bourgeoisie et même
dans les différents corps de marchands. Ce conseil
général, composé de quatre-vingt-quinze membres ,
siégea le 13 octobre, sous la présidence du Yiguier
Alphonse de Fortia de Pilles, tenant en main son
bâton de commandement.
L’échevin Rimbaud développa l’opinion qu’il avait
déjà exprimée sur la nécessité d’abandonner le vieil
Hôtel-Dieu et de bâtir ailleurs un hôpital plus con
venable. Leviguier exhorta l’assemblée à s’acquitter
de ses devoirs envers les pauvres. Quelle que fut
d’ailleurs la solution de l’affaire, il promit d’y donner
ses peines et ses soins.
La question fut longuement agitée, et le conseil
général, à la majorité des voix, délibéra qu’il n’y
avait pas lieu de construire un autre hôpital ; qu’il
fallait seulement améliorer et agrandir celui qui
existait. Sur le plan et le devis des travaux , la dis
cussion s’échauffa et s’embrouilla d’une manière
étonnante. Plusieurs membres parlèrent à la fois
au milieu du tumulte , et comme le viguier dé
sespérait de rétablir l’ordre, il leva la séance,
�— 461 —
sans qu’un vote pût être émis sur ce plan et ce
devis. 1
On ne pensa donc plus qu’à l’agrandissement de
l’Hôtel-Dieu. Charles de Vintimille du Luc, évêque
de Marseille, et les échevins le visitèrent le 8 mars
1689. Le bureau délibéra de faire une quête géné
rale pour subvenir à une partie des frais. 2 L’évêque
et les échevins accompagnèrent les recteurs à domicile.
L’architecte Portai fit le plan des nouvelles bâ
tisses , 5 et les travaux de construction furent adju
gés , le 5 mars 1692, aux maîtres maçons Puget,
Rouvière et Ricard. 4
L’agrandissement était fait du côté de la rue de
la Roquette. 5 Le 17 septembre 1692, la première
pierre fut posée solennellement en présence du
viguier, des échevins Honoré Rostang Belliard ,
Louis Truilhard , Jean Fort et Antoine Patac ; de
l’assesseur Pierre Cotta-, et des recteurs de l’HôtelDieu , d’Arène de Septèmes, Antoine Fouquier,
1. Registre 86 ci-dessus cité, fol. 559 et suiv.
2. Livre F des délibérations du bureau de l’Hôtel-Dieu, du 2 novem
bre 1684 au 28 octobre 1692, fol. 127 verso et 128 recto.
5. Même livre F , fol. 189 verso.
4. Même livre F , fol. 220 verso.
5. Sur les actes d’achat des maisons dont les terrainssont entrésMans
cet agrandissement, voyez le livre Trésor D de l’Hôtel-Dieu de Mar
seille, de 1 68 6 à 169S, loi. 268 verso et suiv., aux archives de cet
hôpital.
�— 462
Pierre Bardon , Mathieu Delague, Pierre de Sacco ,
Gaspard Maurellet, Esprit Agnel et André Jouvène. 1
La ville fit à l’Hôtel-Dieu un don de trois mille
livres pour concourir aux frais de la bâtisse. A la
fin de cette année , un bienfaiteur, nommé Barrigue,
lui laissa deux mille livres affectées à la même des
tination , 2 et le 29 octobre 1693 , le bureau em
prunta du sieur Antoine Bourrau la somme de trois
mille livres. 5 Le 15 du même mois il avait nommé
Chambon , un de ses membres , trésorier spécial de
la bâtisse , et chaque année il fit une élection nou
velle pendant tout le cours des travaux qui n’allè
rent que fort lentement. L’argent manquait toujours;
on en était aux expédients et il fallait faire des
emprunts qui aggravaient considérablement la situa
tion financière de l’Hôtel-Dieu. On dépensa près de
cent mille livres.
De nouveaux besoins d’agrandissement se firent
bientôt sentir. Le bureau s’occupa de cette né
cessité dans sa séance du 9 novembre 1713, et
le 18 juillet de l’année suivante il délibéra d’ac
quérir quelques maisons de la rue des Cartiers qui
attenaient à l’hôpital, d’agrandir ainsi le local du
1. Livre G des délibérations du bureau de l’Hotel-Dieu de Marseille,
du 11 septembre 1692 au 7 mai 170o, fol. 4 verso et recto, aux mêmes
archives.
2. Même livre G, fol. 22 recto.
3. Même livre G , fol. 30 verso.
�jmmmr
— 463 —
côté du couchant, et d’emprunter toutes les sommes
nécessaires. 1
La question fut soumise, le 25 septembre 1714 ,
à l’examen d’un bureau extraordinaire auquel les
échevins et dix anciens recteurs furent appelés.
L’évêque Belsunce le présida. Bruny, recteur semai
nier, parla en faveur du projet de 1684 touchant
la construction d'un hôpital près la porte de Rome
et il vit l’assemblée entière se ranger à son opinion.
On délibéra de supplier le roi de prendre sous sa
protection le nouvel hôpital, et sur la demande des
échevins, il fut dit que la ville ne pourrait être
obligée en aucun temps de concourir de ses deniers
aux frais de cet établissement. 2
Mais l’entreprise fut bientôt abandonnée. Le re
nouvellement périodique et partiel des échevins de
Marseille et des recteurs de l’Hôtel-Dieu amenait
fréquemment un changement d’idées et de systèmes
dans les choses d’intérêt public. De nouveaux éche
vins conférèrent avec de nouveaux recteurs sur les
affaires de l'hôpital, et le 11 mai 1719, ces recteurs
délibérèrent d’exécuter, sans délai, le projet d’a1. Livre H des délibérations du bureau de l’Hôtel-Dieu de Mar
seille, du 2 juillet 1705 au 4 avril 1715, fol. 451 recto, aux archives
de l’Hôtel-Dieu.
2. Livre H des délibérations du bureau de l’Hôtel-Dieu de Marseille,
du 2 juillet 1705 au 4 avril 1715 , fol. 456 recto.
�I - v n '- /
J-
464
grandissement sur la rue des Cartiers. 1 Le 10 no
vembre suivant le bureau posa la première pierre. 2
Dans l’espace de moins d’un siècle , on avait vu
naître à Marseille un grand nombre d’établissements
charitables. Des fondations pieuses venaient en aide
à la plupart des infortunes qui se montrent sous toutes
les formes au sein des grandes villes où tous les
contrastes abondent : plaisirs bruyants , douleurs
muettes, vaniteuses parades de l’opulence à qui tout
sourit, mortelles angoisses de la misère délaissée.
Mais la bienfaisance publique , comme toutes les
institutions sociales , a besoin d’une centralisation
intelligente pour produire tous ses effets. Ce qui
s'éparpille, s’affaiblit ; et la division de toutes ces
oeuvres, qui n’avaient entre elles aucun lien , pré
sentait un double inconvénient. Elle augmentait les
frais d’administration et soulevait, dans bien des cir
constances, des conflits préjudiciables aux pauvres.
Dans le XVIIe siècle, l’opinion était, en France,
contre les petits hôpitaux pour les grands. De tous
côtés on demandait et on opérait la réunion des
petites œuvres hospitalières. 3 En 1676, le gouver1. Registre coté 1 des délibérations du même bureau, du 11 avril
1715 au 8 août 1720, fol. 194 recto et verso.
2. Les maîtres maçons Reyne et Arlaud firent cette bâtisse. Registre
I, fol. 204 verso, 212 verso, 218 recto et verso.
3. Monteil. Histoire d es Français des d iv e rs états, 3e édition, 4e
vol., p. 255 et 256.
�— 4G5 —
nement de Louis XIV conçut le projet de réunir tous
les hôpitaux de Marseille et d’en établir un général.
Le grand vicaire communiqua ce projet au bureau
de l’Hôtel-Dieu qui donna, le 19 novembre, un avis
contraire. Le procès-verbal de la séance ne fait pas
connaître les motifs de cette opinion. On y voit seu
lement que les recteurs chargèrent l’un d’eux , M. de
la Rouvière, d’exprimer par écrit au grand vicaire
les objections qu’on avait fait valoir dans la discus
sion pour s'opposer à une réunion désavantageuse
aux pauvres malades. 1
Il ne fut plus question de ce projet ; mais les idées
qui l’avaient mis au jour étaient trop justes pour ne
pas germer dans l’esprit des hommes voués à l’é
tude des sciences économiques, et long-temps après
l’administration locale le reproduisit par l’organe de
Jean Gordier, premier échevin de Marseille. Le G
février \ 725, ce magistrat soumit l’alfaire au conseil
municipal. Il déclara que bien des citoyens de Mar
seille pensaient, avec raison , qu’il y aurait avan
tage à réduire à deux tous les hôpitaux de cette ville :
un pour les malades, qui comprendrait l’Hôtel-Dieu,
l’hôpital des Convalescents et celui des Insensés ;
l’autre qui réunirait la Charité, la Grande-Miséri
corde et les autres établissements de bienfaisance.
1. Libvre dans lequel sont insérées les délibérations des bureaux
tenus par MM. les recteurs de l’hospital Saint-Esprit et Snint-Jacquestome
i.
30
�4GG
Le conseil nomma quatre commissaires qui furent
Magalon, Rostagny , Fabron et Grimocl, pour exa
miner cette proposition avec les échevins. 1
Le 24 mars, Cordier exposa au conseil municipal
que la commission avait conféré à ce sujet avec
l’évêque et les hommes les plus considérables de
Marseille; que le projet de réunion des hôpitaux
rencontrait une approbation unanime, de sorte que
le conseil n’avait plus qu’à se prononcer, mais qu'il
y avait lieu d’examiner d’abord s’il ne conviendrait
pas de placer l’Hôtel-Dieu hors la porte delà Made
leine , près les Augustins réformés.
Le conseil remit cette grande affaire à l’étude. 2
Les choses en étaient là , lorsqu’on apprit que
Jacques de Matignon, ancien évêque de Condom,
abbé de Saint-Victor de Marseille, avait l'intention de
donner cent mille livres pour concourir aux frais de
construction d’un nouvel Hôtel-Dieu ; qu’il désirait
qu’on en plaçât cinquante mille sur la communauté
de Marseille, à constitution de rente au denier vingt,
en faveur de cet Hôtel-Dieu , et que les autres cin
quante mille livres fussent employées à l’achat des
terrains pour les bâtisses.
de-Galice de ceste ville de Marseille, du 7 novembre 1675 au 6 oc
tobre 1684 , fol. 57 verso.
1. Registre 127 des délibérations du conseil municipal de Marseille,
du mois de janvier 1725 au mois de janvier 1726 , fol. 6 recto et verso,
et 7 verso.
2. Même registre 127, fol. 22 verso et 25 recto,
�— 467 —
Le 14 juin, le bureau de l’Hôtel-Dieu nomma
quatre de ses membres pour assister à l'acte de
donation et passer toutes les obligations nécessaires
pour la réunion des hôpitaux de Marseille. Ensuite
il alla en corps remercier Lillustre bienfaiteur et
l’assurer que les pauvres prieraient pour lui. 1
Jacques de Matignon , frère d’un maréchal de
France, avait une fortune brillante dont l’éclat rejail
lissait sur tout ce qui l’entourait. L’esprit de cha
rité présidait avec intelligence à remploi de ses
richesses aimées du ciel et des hommes, car elles
séchaient bien des larmes et consolaient bien des
souffrances. De Matignon ne se contentait pas de
distribuer des aumônes avec un tact exquis et une
noble délicatesse qui les rendaient plus douces au
cœur du pauvre; il savait aussi donner à sa bien
faisance des proportions d’utilité publique, et on le
vit exécuter à lui seul ce qui ne semblait donné
qu’aux souverains et aux grandes villes de faire. En
1719, il avait fondé treize bourses au collège de
l’Oratoire de Marseille. 2 II destinait chaque année
la somme de 5,000 livres aux hôpitaux et aux œu1. Registre K des délibérations du bureau de l’IIôtel-Dieu de Mar
seille , du 2 janvier 1720 au 4 juillet 1726, fol. 159 verso et 140
recto et verso.
2. Grosson. Almanach historique de Marseille , année 1772, p. 249 ,
et Almanachs suivants. - Tableau historique de Marseille et de ses dé
pendances. Lausane, 1789, p. 216.
�468
vres pies de cette ville, et le 1er janvier il faisait
entre eux la répartition de cette somme suivant leur
importance et leurs besoins. Il fonda, moyennant
24,000 livres, huit lits à l’hôpital des Incurables. 1
Il prêta à la communauté , pressée par des néces
sités financières, 60,000 livres sans intérêt, 2 et
fit réparer, à ses frais, 1 hôpital Saint-Jacques de La
Ciotat. 3 II ne borna pas à 100,000 livres sa dona
tion en faveur des pauvres de l’Hôtel-Dieu de Mar
seille, il y ajouta 20,000 livres payables lorsqu’on
travaillerait aux fondements de la nouvelle bâtisse. 4
C’est ce que Toussaint Catelin , président semai
nier, communiqua au bureau , le 17 juin, en séance
extraordinaire. Les recteurs furent transportés de
reconnaissance à l’annonce de ce nouveau témoignage
de charité abondante. Ils chargèrent Fabron, Rostagny, Ricard et Jacques Remusat de porter au gé1. Registre des délibérations du conseil général de l’administration
des hôpitaux de Marseille, du 19 mai 1817 au 7 décembre 1818, séance
du 7 décembre 1818, aux archives de l’Hôtel-Dieu.
2. Copie des testaments et codiciles de Jacques de Matignon , ma
nuscrit en nia possession.
3. Description géographique et topographique des villes , bourgs,
villages et hameaux de la Provence ancienne et moderne, par Achard,
t. 1 , p. 457.
4. Livre Trésor I de l’Hôtel-Dieu de Marseille , de 1725 à 1733,
fol. 2 2 recto, 25 verso et suiv, 63 recto et su iv., aux archives de cet
hôpital.
�—
469
—
néreux abbé de Saint-Victor l’hommage de leurs sen
timents. 1
Sur ces entrefaites , l’échevin Cordier annonça au
conseil municipal, le 21 juin, la donation de cent vingt
mille livres que Jacques de Matignon venait de faire
à l’Hôtel-Dieu. Il ajouta que le projet de réunion des
hôpitaux était d’une utilité évidente; que l’intérêt
des pauvres le recommandait puissamment ; que tous
les hommes éclairés et tous les amis du bien en dé
siraient l’exécution.
Toutes les incertitudes de l’assemblée cessèrent.
Elle délibéra de transférer THôtel-Dieu hors la ville ,
au lieu qui serait définitivement choisi par les échevins , les quatre commissaires délégués le 6 février
et les recteurs de cette maison; d’unir au nouvel
Hôtel-Dieu les convalescents, les insensés, les pa
ralytiques et incurables, les hydropiques sous le titre
de Saint-Eutrope, les pauvres passants sous celui de
Saint-Jacques-des-Épées, même l’œuvre de la GrandeMiséricorde et les petites œuvres des paroisses, sui
vant la division qu’il serait à propos d’en faire entre
l’Hôtel-Dieu et la Charité ; de réunir pareillement à
la Charité les Filles orphelines, celles de la Provi
dence et les Enfants abandonnés , pour que toutes
ces œuvres de bienfaisance fussent administrées sé1. Registre K des délibérations du bureau de l’Hôtel-Dieu de Mar
seille, p. 141 recto et verso.
�parémenl dans les deux grands hôpitaux par les
recteurs de ces deux maisons , suivant les réglements
qui seraient faits. 1
Peu de temps après, Jacques de Matignon partit
pour Paris où il tomba dangereusement malade. A
cette triste nouvelle, le bureau de l’Hôtel-Dieu de
Marseille délibéra, le 5 décembre 1726, de faire
dire des messes dans l'église de cet hôpital pour le
rétablissement d’une santé si précieuse aux malheu
reux. 2 Mais les destinées humaines ne changent pas
au gré de nos prières, et l’heure suprême, qui met
les mystères de la mort à la place de ceux de la vie,
allait sonner pour l’illustre prélat qu’entouraient tant
de témoignages de sympathie et de respect. De Ma
tignon mourut le 15 mars 1727, dans l’hôtel Mati
gnon , rue Saint-Dominique , après avoir fait des
dispositions testamentaires dictées par l’esprit de
bienfaisance qui n’avait cessé de l’animer. 5
La donation de 100,000 livres au profit de l’HôtelDieu de Marseille avait été faite par acte du 15
1. Registre 127 des délibérations du conseil municipal de Marseille,
fol. 50 verso et 51 recto.
2. Livre L des délibérations du bureau de l’Hôtel-Dieu de Marseille,
du 10 juillet 1726 au b 1'juillet 1734-, fol. 13 recto et verso.
3. Ces testaments ou codiciles sont à la date des 9 mars 1712,
30 septembre et 5 octobre 1719, 23 mars 1725 et 14 mars 1727. Us
contiennent, entre autres dispositions de charité, des fondations de
places dans le séminaire et l’hôpital de la ville de Condom.
�471
juin 172b, et cette somme avait été remise aux
échevins chargés d’en faire l’emploi. Les échevins
placèrent 50,000 livres à constitution de rente en
faveur de cet hôpital qui jouit ainsi d’une pension
de 2,500 livres. 1 Jacques de Matignon avait prévu
le cas où la translation de THôtel-Dieu ne serait pas
faite et où la réunion des hôpitaux ne pourrait être
opérée. Aux termes de son acte de donation, les
50.000 livres destinées à l’acquisition du terrain du
nouvel Hôtel-Dieu n’en devaient pas moins être ac
quises à la maison du Saint-Esprit et employées à
l’achat de rentes sur la ville de Marseille, aux condi
tions stipulées pour les premières 50,000 livres ; ce
qui constituait, dans ce cas, une rente annuelle de
5.000 livres au profit de l’hôpital.
Le cas prévu arriva. L’administration supérieure
fit, il est vrai, un accueil favorable au grand projet
de translation de l’Hôtel-Dieu qui devait réunir, sous
le titre d’hôpital-général, ses malades ordinaires et
les œuvres secondaires dont j'ai parlé. Le Bret, inten
dant de Provence , prépara la rédaction des lettrespatentes par lesquelles le roi avait à donner à ce projet
sa sanction souveraine. Mais les établissements de
bienfaisance qu’on devait incorporer à l’Hôtel-Dieu
ne virent dans ce changement de situation que la
*
1. Registre K des délibérations du bureau de l’Hôtel-Dieu de Mar
seille , fol. 154 verso.
�— 472 —
perte de leur caractère particulier et de leur exis
tence propre. Cette perspective les flattait fort peu ,
en même temps qu’elle grossissait à leurs yeux quel
ques inconvénients inévitables. D’un autre côté , des
obstacles de diverse nature surgirent inopinément,
et l’on ne put dès lors se résoudre à abandonner la
vieille maison du Saint-Esprit. Au lieu d’opérer si
multanément la réunion, ce qui aurait exigé des
sommes considérables, on préféra un système qui
consistait à ne réunir qu’autant que l’Hôtel-Dieu ,
par des agrandissements successifs , pourrait rece
voir de nouvelles œuvres.
En cet état des choses , les échevins proposèrent
au bureau de l’Hôtel-Dieu d’employer les 50,000
livres, conformément à la volonté du donateur, en
passant, au profit de l’hôpital, un contrat de cons
titution de rente au denier vingt. Le bureau accepta
cette offre, le 15 avril 1728, et donna à deux de ses
membres , Lombardon et Jean Olivier, les pouvoirs
nécessaires pour terminer l’affaire. 1
La donation de 20,000 livres payables , seulement
lorsque les fondements d’un nouvel Hôtel-Dieu se
raient jetés, ne profita pas à l’hôpital qui ne put satis
faire à cette condition.
1. Livre L des délibérations du bureau de l’Hôtcl-Dicu de Marseille,
fol. 51 verso et 52 recto.
�CHAPITRE XXII.
A C R A N D I S S E lH E I l'r
UE
1753.
Reprise du projet de construction nouvelle. — Adoption du plan de
Mansard. — Pose de la première pierre. — Concours pécuniaire
de la ville pour cette grande construction. — Lenteur des tra
vaux. — Ils sont arrêtés faute d’argent. — Les libéralités de
plusieurs bienfaiteurs permettent de les continuer. — Emprunts
pour la bâtisse et application de plusieurs legs. — Construction
du grand escalier. — Nouvelles libéralités particulières pour ter
miner les travaux.
Les circonstances ne permirent plus de penser à
la construction d’un autre Hôtel-Dieu et le découra
gement mit même un temps d’arrêt dans la réali
sation des projets relatifs à l’agrandissement du vieil
édifice. Ce fut seulement le 14 janvier 1740 , que
l’administration de l’hôpital s’occupa sérieusement
de cette question. Les recteurs conférèrent avec les
échevins et l’on délibéra d’acheter plusieurs maisons
derrière l’Hôtel-Dieu. 1 On en acquit successivement
seize qui coûtèrent ensemble 23,468 livres et l’on
1. Livre M des délibérations du bureau de l’Hôtel-Dieu de Marseille,
du 8 juillet 1734 au 23 novembre 1741, fol. 140 recto et Passim.
�fit quelques constructions sans importance destinées
au logement des nourrices. 1 Ces bâtisses ne purent
suffire aux exigences du service qui prenait tous
les jours des proportions plus grandes, et les besoins
d’agrandissement se firent sentir avec un caractère
d’urgence impérieuse.
Les recteurs mirent dès lors tout en mouvement ;
ils en appelèrent à toutes les puissances de la poli
tique et de l’administration pour les intéresser en
faveur d’un hôpital qui n'était pas digne de l’impor
tance et des richesses d'une ville telle que Marseille.
Ils adressèrent, en 1752, à tous les ministres du
roi et à l’intendant de Provence, des mémoires où la
mauvaise situation et l’insuffisance des bâtiments de
l’Hôtel-Dieu étaient représentées sous les couleurs
les plus tristes, je dirai même désespérantes. Ils
avaient déjà consulté, sur la question des ouvrages
à faire , les plus habiles architectes de Marseille et
des villes voisines. Ils avaient surtout profité du pas
sage de Mansard, architecte du roi et neveu du
grand artiste de ce nom , pour lui demander le se
cours de son expérience et de ses lumières. C’est ce
qu’ils annoncèrent, le 26 février 1753, au comte
de Saint-Florentin, ministre secrétaire-d’état. 2
1. Registre N des délibérations du même bureau , du 29 novembre
1741 au 31 décembre 1731 , fol. 19 recto, 102 verso.
2 . Registre 0 des délibérations du bureau de l’Hôtel-Dieu de Mar
seille, du 1er janvier 1731 au 24 mai 1738, fol. 35 recto.
�— 475 —
Mansard dressa son plan qui parut présenter toutes
les facilités d’exécution successive , sans toucher
aux édifices anciens. Mais où trouver les premiers
fonds pour les frais de la bâtisse? Les recteurs sup
plièrent le comte de Saint-Florentin de pourvoir à
cette nécessité.
Le 20 mars de la même année , le roi rendit une
ordonnance qui accordait à FHôtel-Dieu de Mar
seille une partie des recettes du théâtre de cette ville.
C’était un quinzième pour l’opéra et un sixième pour
la comédie.
Dans ces circonstances , il y eut à FHôtel-Dieu ,
le 7 avril suivant, un bureau extraordinaire , sous
la présidence de Belsunce , évêque de Marseille,
alors âgé de quatre-vingt-deux ans. Les quatre échevins, Jean-Baptiste Latil, Isnard Carraire , Ange
Porry et Pierre Thulis, y assistèrent en qualité de
recteurs nés de tous les hôpitaux de la ville. Huit
anciens recteurs s'étaient joints aux recteurs en
exercice. Le semainier Bertrand exposa les faits ,
et l’assemblée approuva toutes les opérations rela
tives au projet d’agrandissement des édifices. Elle
adopta le plan de Mansard, et délibéra de se borner
à la construction de la grande aile indiquée par ce
plan au nord de l’hôpital, et des trois ailes latérales
dont deux étaient intérieures et l’autre avait façade
au couchant.
L’assemblée espéra de la charité des habitants
�riches qu’ils contribueraient à une si bonne œuvre.
Elle supplia l’évêque de permettre qu’il fût placé des
troncs dans les églises et l’on pria aussi les échevins
de trouver bon qu'on en mit dans la loge. 1
Le 13 septembre 1753. les échevins, accompagnés
du corps de ville et d’un grand nombre de notables,
se rendirent sur les lieux , dans un appareil impo
sant , comme aux jours de grande solennité. On
y posa la première pierre, et l’échevin Latil jeta
dans la tranchée un truellée de mortier à la porce
laine. Les principales personnes de l’assistance sui
virent cet exemple. De Belsunce, prié de faire les
honneurs, s’en était excusé sur sa grande vieillesse
et ses infirmités. 2
Les moyens ordinaires de l’hôpital ne pouvaient
suffire aux frais d’un agrandissement même restreint
et le secours de la ville était indispensable. Le 1 8
décembre, Latil soumit au conseil municipal la de
mande de l’Hôtel-Dieu , et le vote fut unanime. Le
conseil alloua, pour les nouvelles bâtisses, la somme
de 30,000 livres en trois annuités de 10,000 livres
chacune, payables la première en 1754 et les deux
autres successivement. 1
1. Registre O ci-dessus cité, fol. 56 et suiv.
2. Même registre O, fol. 67 recto et verso.
1. Registre 154 des délibérations municipales, année 1753, fol. 105
recto et verso.
�477 —
Cependant les travaux de construction n’eurent
qu’une marche fort lente. L’entrepreneur Raymond
les exécuta sous la direction de l’architecte Dageville. Us étaient bien peu avancés au commencement
de 1760 , et le manque de fonds causait tous ces
retards. Un arrêt du conseil d’état, du 18 novembre,
obligea la ville de Marseille à fournir un nouveau
concours de 15,000 livres pour les bâtisses de l’HôtelDieu , et le 24 décembre le recteur Gouffre, sur
veillant spécial de ces constructions et trésorier des
deniers qui leur étaient destinés , dit en séance à ses
collègues qu’il était parvenu, au moyen de cette
somme , à payer l’arriéré dû aux ouvriers et les
matériaux employés à la toiture. Il ajouta que la
partie achevée de l’édifice pouvait servir à sa des
tination ; qu’il était impossible, en l’état, de faire
aucun autre ouvrage , faute de ressources finan
cières , et qu’il y avait nécessité de suspendre tous
les travaux.
Le bureau délibéra d’arrêter le cours des ouvrages
jusqu’à ce qu’il plût au roi d'accorder des secours ou
que l’on eut des aumônes suffisantes. 1
L’intérêt des pauvres malades, celui des enfants
trouvés, en un mot tous les services d’une œuvre
importante qui prenait tous les jours plus d’accrois1. Registre P des délibérations du bureau de l’Hôtel-Dieu, de l or
juin 1758 au 29 août 1765, fol. 56 recto et verso, 79 verso et 80 recto.
�478
sement, inspirèrent aux recteurs de 1761 des idées
que leurs prédécesseurs ne partageaient pas, parce
qu’ils ne pouvaient croire à leur réalisation immé
diate. Les nouveaux recteurs, plus sensibles à la
puissance des illusions qui charment quelquefois les
hommes de bien qu’à l’évidence des réalités qui les
désespèrent si souvent, crurent que le sentiment du
devoir les obligeait à se mettre en quête des moyens
de continuer les travaux qu’on venait de suspendre.
Les intentions étaient irréprochables ; mais, pour le
moment du moins, il y avait, dans la situation
financière, des obstacles contre lesquels les volontés
les plus énergiques ne pouvaient que se briser. Quoi
qu’il en soit, les recteurs publièrent, au mois de
mars 1761 , un mémoire à ce sujet et mirent de
nouveau sous les yeux du public le mauvais état de
l’hôpital aux bâtisses duquel on n’avait fait que des
améliorations imparfaites. Ils répétèrent ce que leurs
devanciers avaient déjà dit sur les vices de la dispo
sition intérieure de l'hôpital aussi bien que sur l’insuf
fisance de ses bâtiments, et il n’est pas étonnant que
la vue des mêmes maux produisit les mêmes plaintes.
On ne pouvait que gémir d’un triste état de choses
qui semblait accuser les sentiments d’une ville dans
le sein fécond de laquelle les germes de la bienfai
sance avaient toujours produit des fruits abondants
et doux. Cependant ces accusations n’étaient pas
justes. La charité particulière, sollicitée d’ailleurs
�— 479 —
par une foule d’autres œuvres pies, avait beau
coup fait pour l’Hôtel-Dieu , et la ville elle-même,
sous le poids d’une dette écrasante , avait fourni un
tribut proportionné à ses moyens. La suspension des
nouvelles bâtisses de l’hôpital était donc dictée par
la loi rigoureuse de la nécessité. Des circonstances
plus favorables, et pour ainsi dire inattendues ,
pouvaient seules combler les vœux des hommes de
bien et de miséricorde.
Ces vœux furent exaucés. Par testament du 23
avril 1765, une dame noblement inspirée, Cathe
rine Oursian, veuve Durand, laissa à l’Hôtel-Dieu
sa succession évaluée à une vingtaine de mille livres,
à condition expresse de l’employer à la continuation
de la bâtisse. Cette dame mourut peu de temps
après. Les deux recteurs Gravier et Didier, délégués
par leurs collègues , passèrent aussitôt, avec le ma
çon Raymond, une convention que le bureau de
l'Hôtel-Dieu approuva le 12 septembre de la même
année. 1
On parla beaucoup à Marseille de la libéralité in
telligente de la dame veuve Durand. L’éloge de cette
bienfaitrice était dans tous les cœurs et dans toutes
les bouches , et l’on pensa qu’un si bel exemple
pourrait avoir des imitateurs. Le bureau de l’Hôtel1. Registre Q des délibérations du bureau de l’Hôtel-Dieu , du 5
septembre 176b au 20 juillet 1773, fol. 1 verso et 2 recto.
�Dieu profita de la circonstance pour faire appel à
des instincts de charité qui n’étaient qu’endormis
et qui se réveillèrent heureusement avec une mer
veilleuse puissance. Il publia une souscription ac
cueillie par la faveur générale, et dans la séance du
24 décembre, le semainier Remusat s’exprima ainsi :
« Le succès a surpassé notre attente. Malgré la mi» sère du temps, chacun s’est empressé de venir
» nous offrir sa signature ou son argent, sans dis» tinction d’état ni de religion. M§r l’évêque de
» Marseille et le chapitre de la cathédrale ont voulu
» y avoir part. M. le marquis Du Muy , lieutenant» général des armées du ro i, a souscrit pour 4,000
» livres. Une personne charitable de Paris, qui ne
» veut pas être connue, a fait remettre 10,580 livres
» par M. de Saint-Cannat. D'un autre côté, nous
» sommes informés que depuis quelque temps tous
» les citoyens, qui font leurs testaments , laissent
» des legs avec la même application. Ainsi Dieu
» bénira nos soins et comblera nos vœux en nous
» fournissant les secours nécessaires pour perfec» tionner incessamment l’aîle de la bâtisse la plus
» avancée. » 1
Alors vivait à Marseille un de ces hommes rares
qui savent conserver dans les splendeurs de l’opu
lence, où tant d’autres trouvent un triste écueil, une
1. Même registre Q, fol. 7 recto et verso.
�âme ennoblie par l’exercice des vertus modestes,
un cœur chaud et sensible aux maux de leurs sem
blables. 1 Au mois de mai 1766 , Louis Borely donna
à l’Hôtel-Dieu 5,000 livres pour la continuation de
la nouvelle bâtisse. 2 II mourut en 1768 , et le bu
reau délibéra de placer son portrait à côté de celui
de Jacques de Matignon dans le nouvel édifice. 3
A la même époque, l’hôpital recueillit un legs de
6,000 livres qu’un autre citoyen généreux , Jacques
Bouis, lui laissa pour les travaux de la bâtisse. 4
Ce fut un temps remarquable, mais qui malheu
reusement ne brilla que comme une exception de
bien courte durée dans les annales de Marseille. Le
commerce et la bourgeoisie de cette ville possédaient
alors plusieurs hommes d’élite qui savaient donner à
leur fortune ce cachet de bon goût , d’élégance et
de grandeur qu’une civilisation avancée demande
toujours à la richesse. Le génie des affaires n’en
levait rien au culte des beaux-arts. Le fils de Louis
Borély faisait construire, dans le quartier de Bonneveine , cette magnifique maison de plaisance qui
porte encore son nom , et l’aimable poète Barthe ,
son ami d’enfance, lui adressait de Paris, à cette
1.
2.
3.
4.
Marseille ancienne et moderne, par Guys. Paris, 1786, p. 91.
Même registre Q, fol. 15 verso et 16 recto.
Ibid. fol. 79 verso et 80 recto.
Ibid. fol. 29 recto.
�482
occasion , une de ses plus charmantes épîtres. 1
D’autres citoyens de Marseille se donnaient pour de
meure ces beaux hôtels sur lesquels l’esprit mer
cantile et le vandalisme industriel ont étendu , de
nos jours , une main profanatrice et meurtrière.
Gabriel Remusat, ancien échevin de Marseille ,
marqua entre tant d’hommes honorables et distin
gués. Il fut enlevé à l’estime de ses concitoyens en
1770, et l’ouverture de son testament leur apprit
qu’il léguait à l’Hôtel-Dieu la somme de 50,000
livres pour la bâtisse.
Le bureau en exprima , le 21 juin , sa profonde
reconnaissance. Il fit célébrer, dans l’église de l’hô
pital , un service solennel, et délibéra de placer
le portrait du bienfaiteur dans la salle des séances
et ses armoiries sur la façade extérieure de la partie
de l’agrandissement où l’on devait employer le legs
de 50,000 livres, avec une inscription qui rappelât
à la postérité le grand service rendu aux pauvres. 2
Sur ces entrefaites, Anne Smith, demoiselle an
glaise établie à Marseille depuis bien des années,
y mourut le 11 août 1771 , laissant l’Hôtel-Dieu de
cette ville son unique héritier. 5 Son testament ne
1. Le déclin de la Jeunesse, épître à M. Borély, dans les œuvres
diverses de Barthe. Paris, 1779.
2. Begistre coté Q des délibérations du bureau de l’Hôtel-Dieu de
Marseille , du B septembre 1765 au 20 juillet 1773 , fol. 211 recto.
5. Ibid. fol. 157 reclo.
�— 483 —
dictait aucune condition et ne renfermait aucune
clause particulière. L’administration de l’hôpital dé
cida d’employer les facultés de cette succession à la
nouvelle bâtisse , et c’est aussi l’emploi qu’elle avait
donné, en 1767, à la somme de vingt mille livres
reçue de la chambre de commerce qui eut à rem
bourser à l’Hôtel-Dieu un capital de quarante mille
livres qu’elle avait pris en placement. 1
A l’aide de ces ressources, on put continuer les
travaux de construction, mais avec beaucoup de
lenteur. Ils étaient arrêtés , faute de fonds, au
commencement de l’année 1775, lorsque, le 16 fé
vrier le bureau de l’Hôtel-Dieu délibéra de demander
aux commissaires de l’œuvre générale des pauvres
de Provence l’autorisation d’appliquer aux construc
tions la succession de Charles-Louis Gautier, négo
ciant à Marseille, laquelle dépassait 60,000 livres. 2
L’œuvre des pauvres de Provence accorda l’autorisa
tion et il en fut de même pour l’emploi des héritages
ou des legs de Jean-Baptiste Sapin, 5 de Jacques
Brest, prêtre à Gémenos, et de M. de Léon. Cette
dernière libéralité était de 10,000 livres. 5
1. Ibid. toi. 40 recto.
2. Registre R des délibérations du bureau de l’Hôtel-Dieu de Mar
seille, de 1773 à 1780, fol. 40 verso.
5. Séance du 6 avril 1775, même registre, fol. 43.
4. Séance du 8 février 177G. Ibid. fol. 60 verso.
3. Même séance. Même fol.
�— 485- —
Les ressources ordinaires et les libéralités éven
tuelles ne suffisant plus aux frais considérables de
la bâtisse, le bureau pensa que les emprunts pou
vaient seuls fournir le moyen de la continuer, et le
21 août 1777 il délibéra de présenter une requête
au parlement d’Aix pour être autorisé à emprunter
30,000 livres. Il députa, à cet effet , les recteurs
Sayras et Cadière, 1 et le parlement fit droit à la
demande. Le bureau appliqua aussi à la bâtisse le
legs de 2,000 livres que Claude Turc, négociant à
Marseille, lui laissa en 1783; et la même année,
un autre bienfaiteur, nommé Jean-Henri Keller, fit
pour le même emploi une aumône de 1,200 livres. 2
Les travaux d'agrandissement furent, à cette
époque, dirigés du côté de la rue Saint-Antoine où
l’administration de l’hôpital acheta trois maisons. *r>
Il y avait là un terrain dépendant de l’ancienne
maison de la commanderie de Saint-Antoine dont
l’ordre des chevaliers de Malte avait la propriété.
Grâces aux bons offices du commandeur de Foresta,
le grand-maître et les procureurs du commun trésor
de cet ordre en firent le don gratuit à l’Hôtel-Dieu. 4
1. Même registre R , fol. 97 verso.
2. Registre S des délibérations du bureau de l’Hôtel-Dieu de Mar
seille. du 11 mai 1780 au 31 décembre 1786, fol. 86 verso, 87 recto,
95 verso,
5. Même registre S , fol. 84 recto et verso.
4. Même registre S , fol. 76 verso . 77 recto, 85 verso, 86 recto
et verso.
�— 485 —
La construction du grand escalier occupa beaucoup
les recteurs. 1 En 1778, on leur présenta plusieurs
plans , et celui de Brun, architecte de la province ,
eut la préférence. La dépense était de 24,659 livres,
et le 27 avril 1780, le bureau chargea Hermitte,
maître maçon , de l'exécution de cette entreprise. 2
Les travaux de ce grand escalier furent reçus le
14 mars 1782 ; 5 mais au mois de mai de l'année
suivante, on reconnut des vices dans cette construc
tion , et le bureau intenta une action judiciaire contre
l’entrepreneur qui avait laissé en dépôt la somme
de 4,000 livres, sur le montant du prix de son ou
vrage, comme garantie des conditions de solidité. *
Un jugement du lieutenant-civil débouta 1Hôtel-Dieu
qui en appela devant le parlement d’Aix, 8 et l’affaire
en était là , lorsque les parties résolurent de la ter
miner par la voie de l’arbitrage. Les arbitres con
damnèrent l’Hôtel-Dieu qui acquiesça au jugement. 6
Depuis quelques années, l'entrepreneur Joseph
1. Livre Trésor Q de l’hôpital Saint-Esprit et Saint-Jacques-deGalice, 1776-1786, fol. 199 et suiv., aux archives de l’Hôtel-Dieu.
2. Registre R des délibérations du bureau de l’Hôtel-Dieu, fol. l i a
recto, 178 recto, 179 verso.
o. Registre S des délibérations du même bureau, fol. 40 recto et
42 verso.
4. Même registre S, fol. 89 recto et verso.
5. Même registre S , fol. 97 recto.
6. Même registre S. fol. 126 verso et 127 recto.
�Galine faisait les travaux d’agrandissement qu'il
continua avec lenteur, qu’il quitta même et reprit
ensuite jusqu’à la révolution. L’Hôtel-Dieu acheta
encore plusieurs maisons, à la rue des Cartiers, à
la rue de la Grande-Horloge et à celle des BellesÉcuelles. 1 Quelques aumônes destinées à l’agran
dissement vinrent réjouir les amis des pauvres. Jacques-François-de-Paule de Roux légua 18,000 li
vres. 2 Roniface Solliers en laissa 8,000, 3 et d’autres
bienfaiteurs, parmi lesquels je dois citer Joachim
Surian de Rras, ancien échevin , Jean-Étienne Aleiator, le Père Thadée, du tiers-ordre de SaintFrançois, sous le nom de Picpus, la dame Jullien,
veuve de Gotho, Paul-Antoine Rey, Claude Martin,
Laberge, Jean-Louis Millot, se distinguèrent aussi
par de pieuses largesses. 4 Pour l’ancien régime
expirant, c’était le dernier écho de tant de voix mi
séricordieuses qui, pendant plusieurs siècles, s’élèvèrenten faveur d’une maison hospitalière, glorieux
monument de la charité de nos pères.
1. Même registre S , fol. 160 recto , 167 verso, 171 verso, — Re
gistre T des délibérations du même bureau, fol. 54 verso.
2. Livre des recettes et dépenses des trésoriers de la bâtisse, 1781
et années suivantes, gestion d’André Beaussier, aux archives de l’Hôtel'
Dieu.
o Même livre , gestion de Justinien Greling.
4. Même livre, gestion de Mathieu Rozan, d’Honoré Agarrat, de
Dragon, de Thurbet, d’Achard , de Jean-Joseph Clappier. — Registre
S ci-dessus cite , fol. 86 verso , 87 recto, 95 verso.
�CHAPITRE XXIII.
l i T A Ï F IN A N C IE U D E L ’H O ï E L -D IE H .
Recettes et dépenses de l’Hôtel-Dieu de Marseille à la fin du 16e siècle.
— Altération des monnaies. — Situation financière de l’HôtelDieu dans le 17e siècle. — Divers secours que la ville lui donne.
— Cet hôpital est dans un état permanent de détresse.— Article
de recettes sur la ferme des tabacs. — L’état financier de l’HôtelDieu, dans le 18e siècle, n’est pas meilleur. — 11 recourt à des
emprunts et il aliène ses immeubles. — Aumône générale des
pauvres de Provence. — La position financière de l’Hôtel-Dieu de
Marseille empire. — La ville vient encore à son secours. — Dis
cussions du conseil municipal.— Arrêts du parlement de Provence.
On a vu que l’hôpital Saint-Esprit de Marseille
n’avait, au milieu du XVIe siècle, qu'un budget
des recettes et des dépenses d’environ 950 livres,
pour parler le langage de notre époque. Ce budget
ne s’était accru que d’une centaine de livres au
commencement du siècle suivant, et l'accroissement
ne s’opéra que dans une proportion plus faible en
core pendant cette période.
La marche ascendante des finances de cet hôpital
fut assez lente pendant le XVIe siècle. L’exercice
�administratif du 1er novembre 1591 au 31 octobre
1592 nous présente ces chiffres :
Recettes. 7,138
Dépenses. 6,161
liv. 7 s. 0 d.
2
81
Solde en caisse.. . 977 liv. 4 s. 4 d.
L’année suivante, qui fut celle de la réunion de
Thôpital Saint-Jacques-de-Galice à celui du SaintEsprit , les finances de l’établissement offrirent, on
le pense bien , une amélioration considérable. Les
écus étaient alors la monnaie en usage dans les
comptes, et l’exercice de 1592-1593 donna le ré
sultat ci-dessous exprimé :
Recettes............ 3,507 écus 36 s. 6 d.
Dépenses . . . . . 3,341
34 0 Solde en caisse . . .
166 écus 2 s. 6 d.
Au nombre des plaies qui affligeaient alors la
Provence, il ne faut pas oublier l’altération des
monnaies, pratiquée depuis le commencement des
1 Livre de reddition des comptes des trésoriers de l’hôpital SaintEsprit de Marseille, de 1367 à 1593, gestion du recteur-trésorier
François de Bonadona , fol. 265 recto et verso.
2. Même livre de reddition des comptes, gestion du trésorier Pierre
Mottet, fol. 175 verso.
�489 —
grandes guerres religieuses. 1 Le gouverneur La
Valette avait commencé le mal, en établissant à
Sisjeron un atelier monétaire, dans la vue d’affai
blir un peu, au profit du fisc, les doubles sous parisis appelés vulgairement pinatelles, en Provence. 2
C'estoit un desbordemenl , pour employer le langage
d’un historien provençal qui assure que l’écu de
soixante sou£ en valut jusqu’à deux cent quarante. 3
En effet, l’argent diminua des trois quarts, c’est-àdire qu’il fallût quatre fois plus de numéraire qu’auparavant pour se procurer les mêmes objets. Cette
dépréciation des espèces ruina un grand nombre de
familles. 4
Les recettes de l’hôpital Saint-Esprit et SaintJacques-de-Galice, en l’année 1624-1625 , furent de
11,300 livres, et les dépenses de 11,403 liv. 5 sous
G deniers. 5 Vingt-cinq ans après , G il y eut 14,069
1. Des m ounoyes, augment et diminution du prix d’icelles, livre
unique, par François Gnmauret, advocat du roy au siège présidial
d'Angers. Paris , 1586, in-12, p. 132 et 133.
2. H isto ire de S i s t e r o n , tirée de ses archives, par Éd. de Laplane.
Digne, 1845, t. 2 , p. 147.
5. H isto ire et c h ro n iq u e d e P ro v e n c e , par César Nostradamus, pag.
654 et 689.
4. H isto ire d e P ro v e n c e , par Honoré Bouche, t. 2 , p. 781 et 782.
3. Livre de reddition des comptes des trésoriers de l’hospital SaintEsprit et Saint-Jacques-de-Galice , de 1624 à 1654. Gestion du tréso
rier Antoine Temple, fol. 6 à 15.
6. Exercice du 5 novembre 1650 au 14 novembre 1651.
�livres 15 sous H deniers de recettes, et 13,931 li
vres 6 sous 8 deniers de dépense. 1
Dans le courant du seizième siècle, le conseihde
ville de Marseille établit la coutume de donner
chaque année à l’hôpital Saint-Esprit un car lier de
chair, aux fêtes de Pâques et à celles de Pente
côte. 2 II lui fournissait aussi une fois par an du
chanvre pour faire linsseulx aux pouvres 3 II lui
faisait de plus une aumône annuelle de vingt-cinq
florins, c’est-à-dire d’une quarantaine de livres ; 4 et
le 25 novembre 1585, cette aumône fut fixée à huit
écus d’or sol, 5 valant ensemble cinquante livres
environ. 6
1. Registre A des comptes de Pascal Bartallon , trésorier de l’HôtelDieu de Marseille, fol. 152 à 180.
2. Compte de gestion de Melchior Médicis, trésorier des deniers
commungs de la ville de Marseille, 1595-1596, fol. 15 verso et 19
verso, aux archives de la ville.
5. Registre des délibérations du conseil municipal de Marseille, du
mois de novembre 1574 au mois d’octobre 1579 , fol. 317 verso. —
Compte de gestion de Melchior Médicis, fol. 26 verso.
4. Plus deu la villa per argent que ay pagat per espital de Sant
Esperit como apar per la boulleta n° 1 57, ff. 25. Compte trésoraire
de Louis Autran, 1561-1562. cahier in-4° de dix-sept feuilles, en
langue provençale, fol. 10 verso, aux archives de rHôtel-de-Ville de Mar
seille.— Registre des eslections, délibérations, conseils et aultres actes
de la présente ville de Marseille, comansant le 8 novembre 1579 et fi
nissant le 3 janvierl584, fol. 111 recto, aux mêmes archives.
5. Registre 13 des délibérations du conseil municipal de Marseille ,
du mois de novembre 1585 au mois d’octobre 1586, fol. 25 verso.
6. L’écu d’or sol valait six livres douze sous neuf deniers. C’est ce
que démontre l’apurement des comptes de M ollet, trésorier de l’hô
pital Saint-Esprit pour l’exercice 1592-1595.
�Les troupes royales qui entrèrent à Marseille au
mois de février 4596, après la réduction de cette
ville , eurent beaucoup de malades qu’il fallût rece
voir dans l'hôpital et qui épuisèrent en peu de temps
la plus grande partie de ses revenus. Le 22 mars
le conseil municipal alloua à cette maison un se
cours extraordinaire de 500 écus 1 sans lequel la
marche du service était interrompue.
Le 8 novembre 464 5 , le conseil lui donna aussi
cent livres ; 2 et dans quelques autres circonstances ,
mais toujours à des intervalles assez longs, la ville
lui fournit de modiques secours.
L’état des finances de l’Hôtel-Dieu de Marseille
fut, à la fin du dix-septième siècle , l'un des plus
grands embarras de l’administration municipale de
cette ville qui eut elle-même une situation financière
des plus dificiles et des plus tourmentées. Les res
sources de cet hôpital n’augmentèrent pas dans la
proportion de ses besoins croissants sous l’empire des
circonstances qui lui amenèrent un nombre toujours
plus grand de malades et d’enfants trouvés. Séduit
1. Registre 22 des délibérations municipales , du mois de février au
mois de décembre 1596, fol. 19 verso, aux archives de l’Hôtel-deVille de Marseille. — Compte de gestion du trésorier Melchior Médicis,
ci-dessus cité, 1595-1596.
2. Registre 28 des délibérations municipales, du mois de novembre
16l4au mois de décembre 1616, fol. 201 verso, aux archives de l’Hôtelde-Ville de Marseille.
�— 492 —
qu’on est encore par les récits pompeux de quelques
écrivains superficiels et de quelques poètes adula
teurs qui chantèrent sur tous les tons la puissance
et la gloire de Louis XIY, on n'a pas une idée des
malheurs qui accablèrent le peuple au déclin de la
vie de ce monarque orgueilleux. La mendicité s’é
tendit sur la France entière comme une plaie hideuse,
et des lois cruelles ne la combattirent qu’en blessant
la dignité humaine sacrifiée à un pouvoir brutal.
Les indigents vinrent en foule demander aux hôpi
taux des secours que ces maisons épuisées se virent
bien souvent dans l’impossibilité de fournir. Les
misères du temps tarirent la source de la bienfai
sance privée, et la charité publique elle-même fit
l’aveu de son impuissance.
Le 23 août 4685, Porry, recteur trésorier de
l’Hôtel-Dieu de Marseille, déclara au bureau qu’il
était en avance de plus de onze mille livres et qu’il
ne voulait plus en faire sans être assuré du rem
boursement à la fin de son exercice. Le bureau
représenta aux échevins la triste situation de l’hô
pital, ajoutant que , faute d’assistance, il se verrait
contraint de leur porter les clés. Les échevins ré
pondirent qu’ils ne pouvaient rien faire d’eux-même
et qu’il fallait en référer à l’intendant de Provence.
Ce magistrat pensa que la ville de Marseille ne devait
pas tout payer et qu’il fallait faire appel à la charité
des habitants dans une quête générale. Les recteurs,
�493 —
accompagnés des échevins et de quelques citoyens
notables, procédèrent aussitôt à cette quête qui pro
duisit 2,654 livres. Le 6 novembre suivant, la com
munauté fournit un secours de 6,000 livres à T'HôtelDieu. 1
Cet hôpital était en arrière de 7,400 livres le 12
novembre 1687. Les échevins s’empressèrent de sou
mettre sa demande au conseil de ville qui vota une
aumône de 3,000 livres. Le 9 août 1689 le conseil
alloua une somme semblable. Il pensa que c'était une
obligation d’assister vos frères malades. 2
La ville, cinq ans après , fournit 9,000 livres à
l’Hôtel-Dieu , 5 et elle lui en donna 4,500 en 1697.
Le 13 août 1699 , les recteurs exposèrent aux
échevins que nonobstant l’aliénation de 85,000 livres
de capitaux, leur dépense excédait beaucoup leur
recette, et que le trésorier était à découvert de
10,000 livres. Les échevins répondirent que la ville
n'avait que des ressources très bornées, et qu’ils
priaient l’intendant de prononcer lui-même. Ce ma
gistrat n'alloua que 6,000 livres. 4
1. Registre 88 des délibérations du conseil municipal de Marseille ,
du mois de novembre 1685 au mois de d’octobre 1686, fol. 2 verso
et suiv.
2. Livre 91 des délibérations du conseil municipal de Marseille, du
mois de novembre 1688 au mois d’octobre 1689, fol. 121 verso.
5. Livre G des délibérations du bureau de l’Hôtel-Dieu de M arseille,
fol. 55 verso.
4. Registre 162 des délibérations municipales, fol. 52 recto.
�— 494 —
Du 1er. novembre 1698 au 1er novembre 1699 , les recettes
de l’Hôtel-Dieu de Marseille furent d e .. . 51,552 liv.
Les dépenses de............................ 62,522 liv.
Excédant de dépenses............................. 10,970 liv.
On remarque dans les recettes un article de 1,730
livres assigné annuellement par le roi à THôtelDieu de Marseille sur la ferme du tabac de Pro
vence. 2 Par décision du conseil-d’état, du 30 no
vembre 1674, la ferme du privilège de la vente exclu
sive du tabac dans tout le royaume avait été passée
à Jean Breton, pour six ans, au prix de 500,000
livres pendant chacune des deux premières années,
et 600,000 livres pour chacune des années sui
vantes. 5 Un arrêt du conseil-d’état, du 2 avril 1675,
avait ordonné que ce fermier paierait annuellement
en déduction de son prix la somme de 12,000 livres
à plusieurs hôpitaux de Provence, et l’Hôtel-Dieu
de Marseille fut compris pour 1,750 livres dans cette
répartition. 4
1. Registre du trésorier de l’Hôtel-Dieu , de 1698-1699.
2 Nous ne voyons plus figurer cet article de recette dans les comptes
du milieu du dix-huitième siècle et des années postérieures.
5. Mémoires concernant les impositions et droits, par Moreau de
Beaumont, conseiller-d’état. Nouvelle édition. Paris 1789. Seconde
partie, tome 4 , huitième mémoire, p. 5 etsu iv .
4. Placard in-folio, sans nom d’imprimeur, comprenant l’arrêt du
conseil-d’état, les lettres-patentes du roi et l’ordonnance de l’intendant
de Provence.
�— 495 —
La caisse de l’Hôtel-Dieu de Marseille eut des en
trées et des sorties beaucoup plus considérables en
\ 699-1 700. On va le voir par les chiffres qui suivent:
Kecettes................... 71,521 liv.
Dépenses................ 75,193 liv.
Excédant de dépenses. . . .
3,672 liv.
Si les dernières années du XVIIe siècle se mon
trèrent pleines de difficultés et de rigueurs pour
l’administration de l’Hôtel-Dieu de Marseille, le siècle
suivant ne s’ouvrit que pour lui annoncer des em
barras plus grands et des déceptions plus amères.
La situation financière de cet hôpital ne nous offre
que le tableau monotone des embarras et des be
soins qui se renouvellent sans cesse. L’Hôtel-Dieu
demande à la ville le plus qu’il peut, et la ville ne
donne rien, ou cherche à resserrer ses sacrifices
dans des bornes étroites. L’Hôtel-Dieu, qui avait
déjà fait quelques emprunts, se vit forcé d’en faire
d’autres et d’entrer ainsi dans une voie funeste qui
le conduisit à sa ruine.
1. Livre de gestion du recteur trésorier Michel , de 1699 à 1700,
aux archives de l’Hôtel-Dieu.
�— 49G —
Dans l’exercice administratif de 1708 à 1709, les recettes
furent de................................................. 116,867 liv.
Les dépenses........................ 119,987 1
Excédant de dépenses.................. 3,120 liv.
L’intendant de Provence , par ordonnance du 13
février 1709, obligea la ville à donner 20,000 livres
à l’Hôtel-Dieu 5 dont la position ne fut guère amé
liorée par ce secours. Remusat et Varage , anciens
recteurs trésoriers , avaient fait des avances dont
ils demandaient le paiement. La cherté des denrées
était excessive, et les maux du cruel hiver de 1709
vinrent se joindre à ceux d’une longue guerre. Par
tout l’épuisement et la détresse. Les débiteurs de
l’hôpital ne purent pas payer ; les aumônes cessè
rent ; le linge manqua ; les provisions furent con
sommées ; les nourrices ne voulurent plus garder les
enfants sevrés dont on ne sut que faire, et six cent
soixante-quinze malades couchés trois à trois dans
un local qui ne pouvait pas en contenir plus de la
moitié formèrent le foyer d'une infection horrible. 3
1. Livre des recettes et dépenses de l’Hôtel-Dieu de Marseille , de
1708-1709, aux archives de cet hôpital.
2. Même livre des recettes et dépenses.
3. Livre H des délibérations du bureau de l’Hôtel-Dieu de Mar
seille, du 2 juillet 1705 au 4 avril 1715, fol. 98 recto, et verso et 99
recto.
�— 497 —
Du Ier octobre 1708 au 20 février 1710 , l’hôpital
emprunta la somme de 38,537 livres, et il fallut
encore recourir à la voie désastreuse des emprunts. *
En l’année 1710-1711 , 2 l'Hôtel-Dieu dépensa
151,877 livres. Il eut une recette de 149,862 livres
dans laquelle se trouvèrent compris plusieurs em
prunts qui servirent aux besoins courants.
Au commencement de l’année 1716, cet hôpital
devait environ 400,000 livres, sans parler de plus
de 100,000 livres qu’il avait prises à fonds perdu. 5
La ville ne pouvait pas donner des secours efficaces.
En 1717, le déficit de l’Hôtel-Dieu montait à 80,000
livres, et la ville ne lui en accorda que 3,000. Elle
ne lui donna rien pendant quarante-quatre ans en
viron , et des emprunts successifs comblèrent les
déficits de cette maison qui recourut aussi à l’aliéna
tion de la plupart de ses immeubles pour employer
à la même destination le produit de ces ventes. 4
1. Même livre H , même fol.
2. L’année administrative commençait le premier novembre et finis
sait à pareil jour de l’année suivante. Mais ce ne fut qu’à dater de 1719
que l’année de la trésorerie hospitalière fut l’année commune , com
mençant au premier janvier et finissant au 51 décembre.
5. Livre 1 des délibérations du bureau de l’Hôtel-Dieu de Marseille,
du 11 avril 1715 au 8 août 1720 , fol. 84. verso et suiv.
4. Mémoire du 29 octobre 1762, présenté par les recteurs de l’HôtelDieu de Marseille à üertin , contrôleur-général des finances , aux
archives de l’Hôtel-Dieu.
tome
i.
32
�— 498 —
L administration et l'état des hôpitaux de Provence
excitaient à bien juste titre la sollicitude du gouver
nement qui, jusques alors, ne s’en était pas occupé.
Il voulait, en réformant leur régime, entrer dans
une voie de large innovation et ne les considérer
tous, quels que fussent d’ailleurs leur institution et
leur b u t, que comme une seule et même œuvre
appelée l’œuvre générale des pauvres de Provence. 1
Le roi, par lettres-patentes du 7 septembre 1761 ,
nomma une commission composée du premier pré
sident du parlement d’Aix , intendant de Provence ,
de deux présidents, de six conseillers, de l’un des
avocats-généraux et du procureur-général, pour étu
dier tout ce qui concernait les hôpitaux de la pro
vince. Cette commission devait prendre connais
sance de leur régime administratif, de leurs statuts
et de leur police, vérifier leurs biens et leurs charges,
l’emploi de leurs revenus, l’acquittement de leurs
fondations ; elle avait le pouvoir de signer tous
concordats avec leurs créanciers et de transiger avec
eux ; de réformer par provision tous les abus. Ordre
enfin lui était donné de faire du tout un rapport
au roi. 1. Préambule des lettres-patentes portant établissement d’une com
mission pour procéder à la vérification des biens et charges , dettes
actives et passives des hôpitaux et œuvres de charité du pays de Pro
vence, ainsi qu’à leur administration. Du 7 septembre 1761. A Aix ,
chez la veuve de J. David et Esprit David, in-4° de quatre pages.
2. Livre Trésor N de l’hôpital Saint-Esprit et Saint-Jacques-de-Galice,
1756-1767, fol. 158 et su iv ., aux archives de l’Hôtel—Dieu.
�499 —
Si l’Hôtel-Dieu de Marseille put se soutenir à force
d’expédients, le moment vint enfin où son existence
fut gravement compromise. Dans les premiers jours
de février 1761 , les recteurs de cet hôpital présen
tèrent au conseil de ville un comparant où la situa
tion de l’œuvre fut mise dans une nudité désespé
rante. « Une peut se faire, dirent-ils, que l’hôpital
» cesse d’exister. Ce serait porter la désolation à
» son comble. Quelle horreur si on voyait les malades
» mourir dans les rues , et les enfants sans famille
» dévorés par les chiens dès l’âge le plus tendre !
» La nature frémit à cette idée. »
« L’aumône que les recteurs attendent de la cha» rité du conseil doit être au moins de 200,000 livres.
» Ils espèrent que cette somme les mettra en état
» d’attendre des temps meilleurs...... Si on la leur
» refuse, ils se verront forcés de se démettre de leur
» service. » 1
Le 25 février, le conseil municipal rétablit une
surtaxe sur les farines pour en employer le produit
aux services communaux , et il autorisa les échevins
à payer à l’Hôtel-Dieu la somme de 50,000 livres
prélevée sur le produit de cette surtaxe. En même
temps il nomma une commission pour examiner le
véritable état des affaires de l’hôpital. 2
1. Registre P des délibérations du bureau de l’Hôtel-Dieu deMarseille,
du 1er juin 1758 au 29 août 1765, fol. 89 et suiv., aux mêmes archives.
2. Registre 162 des délibérations municipales de la ville de Mar^
seille, année 1761, fol. 18 recto, aux archives de la ville.
�500 —
Le 22 avril, le conseil, après le rapport d’Elzéar
Sibon , vota un secours de 100,000 livres, outre
celui de 50,000 livres précédemment accordé. 1
Le bureau de l'Hôtel-Dieu délibéra encore, le 30
juillet, sur sa situation financière que les dernières
subventions de la ville avaient beaucoup soulagée
mais qui était encore fort difficile. Malgré diverses
économies qu’il était parvenu à faire, le bureau
déclara qu’il se voyait avec regret dans la nécessité
de recoürir encore au conseil municipal et de le
prier de compléter le secours de 200,000 livres qu’il
lui avait demandé au commencement de février. 2
C’est dans ce sens qu’il forma sa demande, et le
conseil l’accueillit le 5 août. 5
Il fallait bien que les finances de l’Hôtel-Dieu de
Marseille fussent dans un état d’épuisement déses
péré , puisque les grands sacrifices de la ville en sa
faveur ne purent combler l’abîme lentement creusé
par tant de causes de ruine. Le 15 octobre 1761 , le
bureau demanda un nouveau secours de 50,000 li
vres , ^ et le 21 octobre le conseil municipal le lui
t. Môme registre 1 62, fol. 3 i recto.
2. Livre P des délibérations du bureau de l’Hôtel-Dieu de Marseille,
fol. 100 et suiv.
3. Registre 162 des délibérations municipales, fol. 48 recto.
4. Livre P des délibérations du bureau de l’Hôtel-Dieu , fol. 106
et suiv.
�— 501 —
accorda. 1 II lui alloua, le 18 janvier 1762, une
subvention semblable. 2 La ville , dans onze mois
seulement, avait donné à l’Hôtel-Dieu la somme de
300,000 livres.
Elle lui en accorda 50,000 encore le 21 mai. Ce
jour là , le conseil nomma une commission de six
membres chargés de se livrer, avec les échevins , à
l’étude approfondie des affaires de l’Hôtel-Dieu.
La discussion fut ouverte le 30 juillet. D’après le
rapport des commissaires, les recettes de l’hôpital
étaient de 113,189 livres, et les dépenses de 395,419.
Les dettes actives formaient le capital de 1,729,541
livres. Les dettes passives présentaient un total de
2,096,434 livres;, sans y comprendre les fonds en
établissement des rentes viagères.
Le rapport soutenait que la ville devait secourir
l’hôpital dont l’autorité supérieure voulait d’ailleurs
à tout prix empêcher la ruine. Par suite d’un pareil
malheur, tout le poids des malades et des enfants
trouvés ne retomberait-il pas , et pour toujours peutêtre, sur la communauté? L’abandon des créanciers,
dont l’argent avait servi à la subsistance des pauvres,
répugnait à la justice et le roi ne l’adopterait jamais.
Chaque ville n’est-elle pas obligée d’avoir un hôpital?
Sous ce rapport, les intérêts de l’Hôtel-Dieu sont
1. Registre 162 des délibérations municipales, fol. 56 recto et verso.
2. Registre 163 des délibérations municipales, année 1762 , fol. 4
recto.
�— 502
inséparables des intérêts communaux. Nous devons
défendre les uns et les autres ; et qui donc nous blâ
merait de soutenir la maison des pauvres ? 1
Telle était en substance l’opinion de cinq commis
saires, Croze-Magnan, Gravier, Feraud, Armand
et Isnard. Un seul, Joseph Piquet, manifesta un
sentiment contraire. Les recteurs de FHôtel-Dieu ,
dit-il, ont enflé le chiffre de leurs charges et on a
tort d’adopter sans réserve leur état de situation.
On peut y critiquer plusieurs articles de dépense. La
ville, qui a presque épuisé tous ses revenus et qui
fléchit sous le poids de ses engagements, ne doit pas
acquitter des obligations auxquelles elle n’a jamais
eu aucune part. 11 serait beau qu’un jour la ville se
vit hors d’état de satisfaire ses propres créanciers pour
s’être chargée des dettes qui lui étaient étrangères.
Et les citoyens de Marseille qu’on ne daigne pas
consulter, de quel œil verront-ils qu’on engage leurs
biens pour des sommes considérables, sur des me
naces de démission et sur des craintes illusoires?
Les malheurs du temps assujettissent la ville au
paiement de nouveaux impôts et l’état alarmant de
ses finances l’oblige à solliciter sans cesse des mo
dérations et des délais. Le ministère accueillera-t-ii
ses plaintes quand il saura qu’elle a pris volontai
rement à sa charge des engagements aussi lourds?
1. Registre 163 des délibérations municipales, fol, 51 verso et suiv.
�503 —
Non, car une telle libéralité est le signe ordinaire
d’une grande opulence, ou fait soupçonner des res
sources inconnues. Le propre des bonnes adminis
trations est de se mettre en garde contre les écarts
d’un zèle inconsidéré. 1
Ainsi s’exprima Piquet, et la discussion fut bien
chaude. Le conseil, à la majorité des suffrages, se
prononça pour l’opinion des cinq commissaires. Il
vota en faveur de l’Hôtel-Dieu une large subvention
de 1,200,000 livres, payables en six annuités de
200,000 livres chacune, en déduisant toutefois sur
l’année courante les 100,000 livres déjà allouées le
18 janvier et le 21 mai. La délibération porta que
l’intendant et le procureur-général seraient priés
d’employer leur crédit pour obtenir une diminution
du contingent de Marseille aux impositions royales. 2
Le gouvernement n’accorda rien à la ville de Mar
seille qui ne put ou ne voulut exécuter la délibération
du 30 juillet 1762 en faveur de l’hôpital. Elle ne lui
donna que 26,000 livres. Les recteurs de cette mai
son s’adressèrent alors au parlement d’Aixqui, par
arrêt du 12 février 1763 , condamna Marseille à
payer à leur œuvre la somme de 50,000 livres, 3 à
—
1. Même registre 165 des délibérations municipales, loi. 55 recto
et suiv.
2. Même registre 163, fol. 51 recto.
3. Lettre des échevins de Marseille au contrôleur-général des finan
ces, à la date du 18 février 1763, dans le registre 23 des copies des
�laquelle il ajouta une autre somme de 70,000 livres
par arrêt du 22 juin suivant. 1
Mais le temps ajoutait au dérangement des affaires
de l’Hôtel-Dieu. Si, grâces aux allocations munici
pales, il pouvait subvenir aux dépenses courantes pour
les malades et les enfants trouvés, les arrérages s’ac
croissaient et en définitive les charges devenaient
plus fortes. En janvier 1764, les échevins firent
compter aux recteurs 6,000 livres, pour servir aux
plus pressantes nécessités , 2 et refusèrent d’en don
ner davantage. Alors le parlement d’Aix dont deux
recteurs , Gravier et Ricaud, allèrent implorer la
pitié, rendit, le 24 février, un arrêt qui enjoignait
à la communauté de Marseille de payer incontinent
70,000 livres l’Hôtel-Dieu. 5
Les échevins écrivirent au comte de Saint-Floren
tin, pour mettre sous ses yeux l’état des sommes
allouées à l’Hôtel-Dieu depuis 1761 , soit par déli
bération du conseil municipal, soit par arrêt du
parlement. Ces secours, disaient-ils, sans améliorer
lettres de ces magistrats, du 6 février 1760 au o août 1767, aux ar
chives de la ville.
1. Lettre des mêmes échevins au contrôleur-général, du 6 juillet
1763, dans le môme registre.
2. Livre P des délibérations du bureau de l’Hôtel-Dieu de Marseille,
fol. 162 recto.
3. Ibid. fol. 163 verso, 164 recto et verso.
1
�— 505 —
la situation de fhôpital, font empirer celle de la
ville. 1
Des arrêts du parlement d’Aix, à la date du 13
juillet 1764, 1 4 janvier et 21 mars 1765 , allouèrent
successivement 30,000 livres à l’Hôtel-Dieu de Mar
seille qui reçut ainsi 90,000 livres en exécution de
ces trois arrêts. 2
Dans l’espace de quatre ans, c’est-à-dire depuis le
25 février 1761 jusques au 21 mars 1765, la com
munauté de Marseille paya à l’Hôtel-Dieu la somme
considérable de 656,000 livres, 3 et l’on va voir
que le terme des sacrifices de cette ville était loin
d’être atteint.
Comme la plus grande partie des allocations dont
je viens de parler ne fut fournie à l’Hôtel-Dieu que
pour subvenir à l’entretien des malades et des enfants
trouvés, il en résulta que les revenus fixes de cette
maison ne purent jamais suffire pour le service de
toutes les pensions annuelles dont elle avait la
lourde charge. Aussi bien les arrérages finirent par
former une somme des plus considérables. C’est ce
que l’on put voir dans l’état de situation dressé le
1. Lettre du 6 avril 1764, dans le registre 23 des copies des lettres
des échevins de Marseille.
2. Lettres du 27 juillet 1764 et 21 janvier 1765 , dans le même
registre 23.
3. État des sommes que la communauté de Marseille a fournies à
l’Hôtel-Dieu. 18 juin 1765, aux archives de cet hôpital.
�10 avril 1765, sur la demande de Laverdy, contrô
leur-général des finances.
Les revenus fixes de l’Hôtel-Dieu de
Marseille, en 1764, furent de.................. 83,455 liv.
Les revenus casuels calculés sur la
moyenne de vingt ans.»............................... 43,069
Total des recettes............................... 126,524 liv.
Les dépenses pour le service des ma
lades, année com m une............................... 79,803 liv.
Dépenses pour les enfants trouvés, en
1764....................................................................
87,923
Intérêts des emprunts et autres charges. 198,847
Total des dépenses............................ 366,573 liv.
Le déficit annuel était donc d e . .. 240,049
liv.1
Le 211 octobre 1765, la communauté de Marseille
reçut la signification d’un arrêt du 121 du même
mois, par lequel le parlement d’Aix lui enjoignait
de payer provisoirement, à l’Hôtel-Dieu, la somme
de 210,000 livres; et le 17 décembre suivant, signi
fication d’un autre arrêt, à la date du 11 , qui lui
1. États des revenus et des dépenses de l’Hôtel-Dieu de Marseille,
des aumônes et charités faites à son profit depuis vingt ans, du mon
tant des biens-fonds qu’il possède, de tout ce qu’il doit en capitaux,
pensions et arrérages, de tout ce qui lui est dû , etc. 10 avril 1765.
Manuscrit, aux archives de l’Hôtcl-Dieu.
�— 507 —
ordonnait d’en payer 40,000. 1 Tous ces secours
qualifiés de provisoires n’assuraient pas l’avenir de
l’Hôtel-Dieu ; ils ne lui créaient que des ressources
bientôt épuisées et le faisaient vivre au jour le jour,
en le laissant sur le penchant d’une ruine certaine.
Les conseils du gouvernement , les chef de l’admi
nistration provinciale, les magistrats de Marseille
eux-mêmes , s’intéressaient vivement à une telle si
tuation qui sollicitait leurs lumières, leur dévoue
ment , leur humanité , aussi bien que leur énergie,
car à de pareils maux il fallait de puissants remèdes,
et il était temps de recourir aux grandes mesures de
salut.
1. Registre 25 des copies des lettres des échevins de Marseille, du
6 février 1760 au 5 août 1767. *
�CHAPITRE XXIV.
tf-
ÉTAT l'INIMCIEII.
Mesures proposées au conseil municipal de Marseille touchant la situa
tion financière de l’Hôtel-Dieu. — Opposition de quelques conseil
lers contre l’établissement de nouveaux impôts pour payer les
dettes de cet hôpital. — Le roi met ces dettes à la charge de la
ville , sous certaines conditions. — Arrêts du parlement d’Aix qui
obligent en outre la ville de Marseille à payer plusieurs sommes
à l’Hôtel-Dieu, — Nouveaux déficits dans la caisse de cette mai
son. — La ville finit par les combler généreusement. — Indica
tion de diverses redevances et de divers privilèges au profit de
l’Hôtel-Dieu. — État financier de cet hôpital peu avant et pendant
la révolution. — Rapide coup-d’œil rétrospectif sur les affaires de
l’ancienne maison du Saint-Esprit.
Le 5 aoitt 1763 le conseil municipal de Marseille
délibéra un emprunt de 500,000 livres destiné en
partie à l’acquittement des arrérages que la ville
devait au receveur des finances pour les impositions
royales. 1 L’administration supérieure ne voulut pas
1. Registre 164 des délibérations municipales, année 1763, fol. 62
verso, aux archives de la ville.
�(D
— 509 —
homologuer cette délibération , et le 7 janvier 1764,
le conseil fut spécialement convoqué, sous la pré
sidence du subdélégué Antoine Aillaud, pour prendre
toutes les mesures dictées par les besoins de la
situation. Les quatre échevins étaient Nicolas Samatan , Jean-Jacques Olive, le célèbre armateur
Georges de Roux, marquis de Brue , et François
Clary. Samatan , après avoir exposé le triste état
des finances municipales , proposa la nomination de
six conseillers pour travailler avec les échevins au
choix des moyens les plus propres à tirer la com
munauté d’embarras. La situation critique del’HôtelDieu ajoutait à ce malaise. Les sommes payées en
vertu des ordres du parlement n’avaient rien de bien
rassurant pour l’avenir qui s’assombrissait chaque
jour et elles avaient l’inconvénient de ne rien dé
cider au fond. Il fallait prendre, enfin , une résolu
tion définitive, et la ville n’avait qu’un seul moyen ,
celui de se charger des dettes de l’Hôtel-Dieu. Ces
dettes, après tout, n’avaient-elles pas été contrac
tées dans l’intérêt de la ville elle-même, et, pour
ainsi dire, à sa décharge ? L’entretien des enfants
trouvés n’était-il pas partout à la charge des com
munautés? Il fallait donc pourvoir tout à la fois aux
besoins de la ville et à ceux de l’Hôtel-Dieu. Il fallait
faire marcher de front ces deux grands intérêts que
l’on jugeait inséparables. Samatan dit encore que son
collègue Georges de Roux avait parfaitement étudié
�la question; qu’il avait un projet tout prêt et qu’il le
soumettrait aux commissaires.
Georges de Roux énonça sommairement ses idées
qui consistaient dans l’établissement de plusieurs
impôts.
Sur la proposition de Samatan, le conseil délibéra
que, vu l’importance du travail confié aux commis
saires , il y avait lieu de les nommer en la forme
prescrites pour les élections municipales. 1
En conséquence , Capus, secrétaire archivaire de
la communauté, déposa dans une urne placée sur
un piédestal au milieu de la salle du conseil six
boules bleues et trente-neuf boules blanches , nom
bre égal à celui des quarante-cinq délibérants. 2
Ensuite il couvrit l’urne et la remit entre les mains
d’Antoine Aillaud et successivement dans celles des
quatre échevins. Les uns et les autres la secouèrent
pour mêler les boules. Après quoi, Capus replaça
l’urne sur le piédestal, la découvrit et reprit sa place
au bureau où il fit l’appel des échevins, puis des
conseillers, suivant l’ordre dans lequel ils étaient
assis , pour ne marquer entre eux aucune pré1. Cette forme était déterminée par i’édit du roi portant règlement
pour la ville et communauté de Marseille, donné à Paris au mois de
mars 1717, Marseille, chez Sibié, 177 2 , petit in-4°.
2. Aux termes de l’édit précité, le conseil municipal de Marseille
était composé de soixante-quatre membres, à savoir : quatre échevins
et soixante conseillers nommés pour trois ans et renouvelés par tiers
chaque année.
�—
511 —
séance. Chacun d eux alla prendre dans l’urne une
boule qu’il remit au notaire Ponsard , secrétaire du
conseil. Les six boules bleues furent tirées par Samatan et par Olive, échevins, Pierre Cordier, André
d’Estienne, Jérôme Eydin et Mathieu Lombardon,
lesquels se retirèrent incontinent dans un cabinet
voisin et choisirent pour commissaires Pierre-Joseph
Remusat, Joseph Rozan , Pierre Gouffre, ÉtienneAndré Magalon , Claude Olivier et Jean-Honoré
v Bourguignon , membres du conseil.
Les nominateurs rentrèrent dans la salle des
séances et remirent cette liste au premier échevin
Samatan qui en fit lecture à haute voix. Les six
candidats se retirèrent aussitôt. Le choix de chacun
d’eux fut soumis séparément au conseil qui vota au
scrutin secret, et tous furent admis. 1
Cette commission pensa, conformément au plan
de Georges de Roux , que, pour prévenir la chute
de l'Hôtel-Dieu et la ruine des citoyens qui avaient
confié leur argent à cette œuvre , la ville devait se
charger d’en acquitter à leur échéance les rentes
tant viagères que constituées , ensemble tous les
arrérages échus , lesquels seraient divisés par classes
et successivement payés dans dix années, sans in
térêts ; que néanmoins pour donner aux créanciers
t. Registre 165 des délibérations municipales, année 1764, fol.
G et. suiv.
�— 512 —
les moyens de s'en servir pour leurs besoins il serait
fait des mandats à ordre aux échéances désignées
dans chacune des classes ; qu’en même temps pour
assurer la subsistance et le service de l’Hôtel-Dieu ,
la communauté lui fournirait tous les ans la somme
de 30,000 livres , moyennant quoi les recteurs de
cette maison n’auraient plus rien à demander à la
caisse municipale ; que défense leur serait aussi faite
de contracter à l’avenir aucun emprunt au nom de
l’hôpital, sous leur responsabilité personnelle.
Pour mettre la ville en état de subvenir à de
tels engagements, il fallait des ressources particu
lières, et on ne pouvait les demander qu’à de nou
veaux impôts. La commission proposait d’augmenter
le prix des concessions d’eau de la ville selon l’im
portance des prises, et d’établir, à l’exemple des
principales villes de la province , des droits sur les
viandes d’agneau et de chevreau , sur celle de porc
tant fraîche que salée , sur les chèvres et brebis du
territoire, sur la volaille , le gibier, les œufs , les
vins de luxe , les liqueurs étrangères , le bois à brû
ler, les charretes et les voitures , le mesurage du blé
et autres grains, le jaugeage des huiles et autres
liquides. Elle proposait encore de lever une taxe sur
les boutiques, les fabriques et les ateliers , laquelle
serait fixée dans un ordre de catégories depuis cinq
sous par mois jusques à trois livres. Moyennant le
paiement de cette imposition on n’exigerait plus rien
�— 513 —
pour la patrouille, ni pour les chambres garnies, ni
pour les patentes et autres expéditions de santé dé
livrées par le notaire secrétaire , ni pour les certifi
cats de fabrication ou de vente visés par les échevins.
Toutes ces taxes perçues en régie par les préposés
de la ville devaient produire 400,000 livres par an ,
ce qui donnait à la communauté 102,500 livres
d’excédant sur le montant de ses charges , et cet
excédant devait être annuellement employé à l’ac
quittement des arrérages répartis sur dix années ,
ainsi qu’à celui des dettes à jour. 1
Ce fut le 3 février que le conseil municipal, tou
jours présidé par Antoine Aillaud, eut à délibérer
sur ce grand projet. Nicolas Samatan représenta que
les quatre échevins et les six commissaires s’étaient
assemblés plusieurs fois pour étudier sous toutes leurs
faces les questions importantes renvoyées à leur
examen ; que le 23 janvier ils avaient reçu une lettre
de l’intendant de Provence, lequel leur mandait que
le contrôleur-général, s’étant fait rendre compte de
la situation de la ville, pensait que de nouveaux
emprunts jetteraient la communauté dans le plus
grand désordre ; qu’au lieu de prendre un parti si
dangereux, il convenait d’augmenter ses revenus
par quelques impositions, et que ses collègues et lui
avaient adopté ce système.
1. Même regislre 165,
T03IE i.
fui.
17 verso et. suiv,
�Plusieurs membres du conseil se prononcèrent
contre ce projet qui souleva une opposition énergi
que , et le négociant Jean Reissolet montra le plus
d’ardeur. Il y a lieu* dit-il, d’être surpris que la
commission se soit déterminée à proposer, comme
seul moyen , l’établissement de nouvelles taxes dans
un temps où la misère notoire des habitants exige
rait qu’on diminuât les anciennes. Les charges qui
pèsent sur la ville sont telles que , de mémoire
d'homme , on n’a rien imaginé qui en approchât.
De nouvelles impositions, contraires à nos coutumes,
porteraient un coup mortel à ces libertés et à ces
franchises qui ont augmenté la population de la ville
et développé son commerce. Les peines qu’il faudrait
prononcer contre les contrevenants, les vexations
particulières que les préposés de la régie pourraient
exercer, seraient une surcharge insupportable, et
l’on en viendrait à dire , avec raison, que la paix si
long-temps désirée n’aurait servi qu’à ouvrir à Mar
seille une ère de malheurs publics. C’est dans la
réduction des dépenses plutôt que dans l’augmenta
tion forcée et ruineuse des revenus qu’il faut cher
cher des ressources municipales, car c’est le soula
gement du peuple que nous devons tous avoir en
vue. On se hâte trop assurément, car, après tout,
si la nécessité nous oblige à créer des impositions
extraordinaires, pourquoi prendre aujourd’hui une
résolution définitive? Que l’on dépose aux archives
�— 515 —
un état de situation de la communauté avec un mé
moire contenant tous les moyens sur lesquels on
fonde le nouveau système d’impôts ; que tous les
chefs de famille soient convoqués ensuite pour donner
leur avis sur une affaire si importante ; que les
conseillers de ville puissent prendre communication
de toutes les pièces ; qu’ils aient le temps de réflé
chir sur le choix des matières soumises aux droits ,
sur le produit présumé, sur la forme de perception
la moins onéreuse au peuple , et que la délibération
du conseil soit renvoyée à un mois. Délibérer sans
ces notions préalables, c’est nous exposer à de fu
nestes erreurs.
Le projet de rejeter sur la communauté les dettes
de l’Hôtel-Dieu viole toutes les règles de la justice,
parce que la ville ne doit répondre que de son propre
fait. C’est une erreur de dire que les recteurs de
l’hôpital n’ont agi que comme délégués de la com
munauté et qu’ils ont pu en conséquence l’engager
valablement. La nature même de leurs engagements
prouve le contraire. Ces recteurs n’ont jamais stipulé
que sous l’affectation des biens de l’Hôtel-Dieu, et
c’est encore une grave erreur de soutenir qu’ils n’ont
contracté des dettes que pour la nourriture des pau
vres et que la ville doit en répondre , par cela seul
qu’elle doit être chargée de leur entretien. De pa
reilles obligations , si elles existent d’ailleurs, ne
peuvent engager que le temps présent et ne concer«
�nent que les pauvres de la ville , laquelle n’est pas
tenue des engagements qui proviennent des excès de
zèle de l’administration de l’Hôtel-Dieu. Eh ! pour
quoi l’habitant de nos jours répondrait-il du fait de
l’habitant des temps qui ne sont plus?__
Reissolet allait donner de nouveaux développe
ments à son opposition , lorsque le président, malgré
les vives réclamations de plusieurs membres, clô
tura les débats, et le projet des commissaires fut
adopté à la faible majorité de vingt-huit voix contre
vingt-une. Comme la minorité protestait, Antoine
Aillaud déclara que les opposants seraient libres de
consigner leurs sentiments à la suite du procèsverbal de la délibération du conseil.
Reissolet ne manqua pas à cet appel. Le subdé
légué de l’intendant, dit-il, s’est conduit contre les
bonnes règles et contre les prérogatives de l’assem
blée en levant la séance sans un motif légitime, tel
que des altercations trop violentes entre les opinants,
ou autres causes aussi graves. Où donc a-t-il puisé
le droit de déclarer que l’exposant continuerait son
dire, hors du conseil, par acte extrajudiciaire an
nexé à la délibération? Il lui a ainsi enlevé l’espé
rance de ramener plusieurs de ses collègues à son
opinion et de changer conséquemment la délibération
qui n’a été prise qu’à la majorité de quelques voix.
Ce motif seul est assez puissant pour èntacher de
nullité cette délibération contre laquelle il proteste
formellement.
�— 517 —
Reissolet critiquait ensuite, en termes des plus vifs,
le système de Tadministration de THôtel-Dieu , et
surtout les idées des derniers recteurs peu versés,
suivant lui, dans les grands calculs et livrés aux
mouvements désordonnés d’un zèle sans prudence.
Dans leur manie d’emprunts illimités, ils les ont
pris pour des richesses qui mettraient un jour l’hô
pital en état de pourvoir à des dépenses également
sans limites__ Ces recteurs ont nourri indistincte
ment tous les bâtards qu’on leur amenait assez pu
bliquement de tous les points de la province et des
provinces voisines__ Je ne parle pas , ajoute Reis
solet , dans un intérêt particulier, encore moins dans
le dessein de rendre suspecte la probité des recteurs
que je juge et jugerai toujours hors de toute atteinte.
Mais j’ai dû au public et à la place que j’occupe
dans le conseil de la cité, d’empêcher, s’il est pos
sible, que bien des gens ne prennent le change dans
des questions d’une si grande importance. J’espère
de la sagesse et de la justice du conseil du roi
qu’une telle délibération ne sera pas autorisée et
qu’elle restera ensevelie dans un oubli éternel. 1
Les conseillers Piquet, Manen, Fabron, Eydin,
Amphoux, Gallin, Cayrac et Boyer firent à leur
tour des protestations plus ou moins véhémentes
contre la délibération du 3 février, emportée, di1. Même registre 165, fol, 15 verso etsuiv., fol, 30 verso à 33 verso.
�— 518
rent-ils , sans examen suffisant. On a manqué de
modération et d’égards pour les citoyens de Marseille
que ces lourds impôts froisseront et vexeront à l’excès.
C’était bien le moins que l’on consultât les chefs de
famille avant de créer ces nouveautés dangereuses
en principe, impraticables dans l’exécution. Elles
seront une cause incessante de désordres et de vio
lences. 1
Les échevins de Marseille, redoutant une opposi
tion si puissante, ne négligèrent rien pour en affai
blir les effets. 2 Mais le roi lui donna raison et ne
jugea pas à propos d’autoriser la délibération du 5
février 1764. 3 Néanmoins il prit en sérieuse consi
dération le déplorable état des affaires de l'HôtelDieu , et chargea le grand conseil de chercher les
moyens de parvenir à la libération des dettes de cet
hôpital de la manière la moins onéreuse à la ville
et la plus favorable aux créanciers de l’œuvre. En
exécution de ses ordres , l’intendant de Provence
1. Même registre 1 65 , fol. 24 recto et suiv.
2. Extrait de la lettre des échevins de Marseille au comte de SaintFlorentin , à la date du 6 avril 1764, dans le registre 23 des copies
des lettres de ces magistrats, aux archives de la ville de Marseille.
3. Préambule de l’arrêt de conseil-d’état du roi, et lettres-patentes
sur icelui, qui homologue et autorise la délibération du conseil muni
cipal de la ville et communauté de Marseille, du 24 mai 1766, au chef
par lequel ladite communauté s’est chargée des dettes de l’Hôtel-Dieu
de ladite ville, etc., du 2 juillet 1766. A Aix, chez la veuve de Joseph
David et Esprit David, 1766 , petit in-4° de 18 pages.
�— 519 —
convoqua, le 5 mars 1766, tous ces créanciers
dans l’église des Carmes-Déchaussés de Marseille.
D’autres affiches les invitèrent à se présenter chez le
subdélégué Brès pour signer les délibérations prises,
ou pour émettre leur avis sur les arrangements pro
posés. 1 Ces créanciers étaient au nombre de mille.
Le 24 mai 1766, le conseil municipal délibéra
sur cette affaire difficile qui mettait en jeu l'intérêt
public et tenait en suspens tant d’intérêts privés.
Antoine Aillaud présidait encore l’assemblée. Le pre
mier échevin, Justinien Remusat, était absent. Les
autres échevins , Escalon, Ferrari et Cassard , assis
taient à la séance.
Escalon fit un long rapport. L’HôtebDieu devait
en principaux de rentes constituées et viagères,
avec trois années d’arrérages, 4,360,815 livres.
Tous les biens de cet hôpital ne valaient pas plus de
1,600,000 livres, et il se trouvait chargé de plus
de 14,000 livres de rentes pour fondations et autres
dettes privilégiées. Dans le prix des biens de cet
hôpital, les fonds proprement dits n’étaient évalués
qu’à 235,540 livres ; les directes à 450,000 et les
autres biens ne pouvaient pas être vendus. Le grand
conseil pensait que la ville de Marseille avait intérêt
à empêcher la ruine d’un grand nombre de citoyens
1. Avis au public. Marseille, le 7 mars 1766, placard in-fol. sans
nom d’imprimeur.
�— 520 —
et à assurer l’existence de l’Hôtel-Dieu. Mais il était
aussi d’avis que les prêteurs devaient faire le sacri
fice d’une partie de leurs créances pour en conso
lider le surplus, et que la ville les secourût avec cet
esprit de mesure et de prudence que sa propre situa
tion exigeait.
Le conseil municipal délibéra dans ce sens, 1 et
le roi signa à Versailles , le 2 juillet 1766, des lettrespatentes portant que la communauté de Marseille au
rait à sa charge les dettes de l’Hôtel-Dieu dont les
créanciers seraient divisés en catégories et soumis à
divers retranchements, suivant la nature de leurs
titres. Défense fut faite aux recteurs de cet hôpital
de faire à l’avenir aucun emprunt, sans autorisa
tion préalable de la grand’chambre du parlement
d’Aix. 2
Mais un sort malheureux pesait sur l’Hôtel-Dieu
toujours accablé de besoins auxquels ses seuls
moyens ne pouvaient satisfaire. Sabatier , l’un des
recteurs , fut envoyé par ses collègues auprès du
contrôleur-général des finances pour lui faire un récit
fidèle de l’état fâcheux où cette maison se trouvait,
malgré les sacrifices immenses faits par la ville en
sa faveur. Les échevins, auxquels une si triste si1. Registre 167 des délibérations m unicipales, année 1766, fol. 90
verso et suiv.
2. Arrêt du conseil-d’état du roi et lettres-patentes sur icelui, e tc .,
du 2 juillet 1766, ci-dessus cités.
�— 521 —
tualion inspirait les inquiétudes les plus vives, im
plorèrent la protection du contrôleur-général, du
comte de Saint-Florentin et de l’évêque d’Orléans. 1
Ces sollicitations eurent pour résultat d’imposer
à la ville de nouveaux sacrifices. Un arrêt du conseil,
du 22 décembre 1767, ordonna que sur les fonds
libres de la communauté de Marseille, il serait donné
pendant dix ans, à titre de secours extraordinaire ,
40,000 livres à l’Hôtel-Dieu pour ses besoins. 2 Ce
secours annuel ne put cependant suffire aux pres
santes nécessités qui se firent sentir un peu plus tard
dans le service d’une maison dont les dépenses jour
nalières s’accroissaient sans cesse. Le 6 février 1774,
le bureau de l’Hôtel-Dieu délibéra d’envoyer au
contrôleur-général, à l’intendant de Provence, aux
commissaires des hôpitaux de cette province et aux
échevins de Marseille, l’état des recettes et des dé
penses d’une œuvre qui, pendant plusieurs siècles,
avait trouvé ses moyens d’existence dans ses seules
ressources et dans les libéralités de ses bienfaiteurs ,
mais qui, depuis assez long-temps, ne pouvait plus
se soutenir qu’à force d’expédients bien lourds pour la
1. Lettres des échevins de Marseille au contrôleur-général, au comte
de Saint-Florentin et à l’évêque d’Orléans , du 6 avril 1767, dans le
registre 23 des copies des lettres de ces magistrats marseillais. aux
archives de l’Hôtel-de-Ville.
2. Registre 170 des délibérations du conseil municipal de Mar
seille, année 1769, fol. 50 verso.
�caisse municipale. Au mois de mars, cette caisse eut
à lui fournir 40,000 livres une fois payées, 1 en sus
de la subvention annuelle ; et malgré cette subven
tion normale, le déficit de l’Hôtel-Dieu fut d’environ
20.000 livres par an. Les recteurs firent de nouvelles
démarches auprès de l’intendant de Provence et des
échevins de Marseille pour que le secours annuel fût
porté à 60,000 livres, 2 et le 6 mai 1777, le conseil
municipal délibéra d’accorder à l’hôpital cette somme
chaque année et pendant cinq ans, et 40,000 livres
pendant cinq autres années, ce qui faisait, pour dix
ans, une moyenne de 50,000 livres. 3
Le déficit de l’Hôtel-Dieu n’en fut pas moins de
50.000 livres en 1779, et les recteurs se virent
obligés demander à ville un secours extraordi
naire de 50,000 livres. Le conseil municipal ren
dit justice au zèle des recteurs. Il vit à regret que
des causes malheureuses , indépendantes de leur
gestion, avaient beaucoup diminué les recettes de
1. Registre R des délibérations du bureau de l’Hôtel-Dieu , de 1773
à 1780, fol. 13 recto. — Registre 175 des délibérations du conseil
municipal, année 1774 , fol. 43 recto et 46 verso. — Registre 27 des
copies des lettres des échevins de Marseille , du 9 mai 1774 au 23 juin
1775. Lettre du 5 août 1774.
2. Registre R des délibérations du bureau de l’Hôtel-Dieu, de 1773
à 1780, fol. 82 verso, 84 verso, 85 recto, 87 recto et verso.
3. Registre 178 des délibérations du conseil municipal, année 1777,
fol. 158 recto. — Lettre écrite le 14 mai 1777 à M. de Cipières, re
gistre 29 des copies des lettres des échevins de Marseille, du 20 juillet
1776 au 27 octobre 1777.
�— 523 —
l’hôpital tout en augmentant ses dépenses, et jugeant
qu’il fallait de toute nécessité fournir à cette mai
son une assistance efficace, il délibéra, le 30 août
4780 , de lui accorder dans le moment un secours
extraordinaire de 30,000 livres, sauf à prendre
une nouvelle connaissance de sa situation à la fin
de l’année. 1
Depuis quelques années , un changement s’était
opéré dans les sentiments du conseil de ville tou
chant les besoins financiers d’un hôpital qui, pen
dant six siècles travaillés par des vicissitudes de
toute sorte, avait soulagé tant de misères et était
appelé à rendre encore tant de services aux malheu
reux. Maintenant ce conseil accorde sans résistance ,
et même sans murmure , tout ce que réclament les
nécessités d’une maison hospitalière , l’une des plus
anciennes et des plus importantes du royaume. Plus
de subventions imposées d’office, plus d'arrêts du
parlement, plus d’injonctions du conseil-d’état, plus
de contraintes légales. On comprend que si les choses
de convenance publique, les objets d’a rt, de luxe
et de plaisir, les exigences d’une civilisation mobile
dans ses goûts que la morale n’approuve pas tou
jours , capricieuse dans ses besoins plus étendus que
1. Registre 181 des délibérations municipales, année 1780, fol. 150
verso et suiv. — Lettre écrite, le 4 septembre 1780, par les échevins
de Marseille à l’intendant de Provence , dans le registre o l des copies
des lettres de ses magistrats, du 4 août 1779 au 8 mars 1781,
�ceux de la nature , ont une large part dans les fonds
communaux, il est une dette plus vraie, plus pres
sante et plus sainte à laquelle il faut satisfaire : c'est
celle de la bienfaisance, douce vertu d’un prix ines
timable.
La ville de Marseille combla donc généreusement
tous les déficits de son Hôtel-Dieu dans les dernières
années du régime qui précéda la révolution de
1789. En 1780 et dans les trois années suivantes,
les dépenses excédèrent de trente-six à quarante
mille livres les articles de recette ; 1 mais en 1784 ,
le déficit fut de 80,000 livres, 2 et il atteignit le
chiffre de 116,894 en 1785. En écrivant sur ce sujet
à l’intendant de Provence, le maire et les échevins
lui disaient : « S'agissant ici d’une œuvre impor1. Lettre des échevins de Marseille à l’intendant de Provence, à la
date du 4 septembre 1780; autre lettre des échevins au même ma
gistrat, à la date du 10 avril 1782; autre lettre des échevins au m êm e,
à la date du 14 avril 1784, dans le registre 31 des copies des lettres
des échevins de Marseille , du 4 août 1779 au 8 mars 1781 , dans le
registre 32 du 12 mars 1781 au 25 octobre 1782 , et dans le registre
53 du 15 novembre 1782 au 51 décembre 1784. — Registre 185 des
délibérations du conseil municipal de Marseille , année 1784 , fol. 57
verso et 61 recto.
2. Lettre des échevins de Marseille à l'intendant de Provence, à la
d3te du 7 janvier 1785, dans le registre 54 des copies des lettres de ces
magistrats, du 25 décembre 1784 au 18 mars 1786. — Registre 186
des délibérations municipales, fol. 30 verso et 53 verso , 103 recto
et verso et 105 verso.
�— 525 —
o'
» tante , nous ne voyons aucun moyen pour nous
« dispenser de fournir à son extrême besoin.» 1
En 1786 , le déficit de l’Hôtel-Dieu fut de 84,466
livres 2 et il descendit graduellement jusqu’à 41,137
livres les années suivantes. 3
Sur la fin du dix-huitième siècle, il fallait à l’HôtelDieu de Marseille deux cent soixante à trois cent
milles livres par an pour satisfaire à toutes ses obli
gations de service, 4 et comme il était loin d’avoir en
propre un pareil revenu, la ville comblait le vide.
Après divers accords avec les directeurs du théâ
tre , la rétribution de l’Hôtel-Dieu avait été fixée
par abonnement à la somme de quinze mille livres
par année. 3
1. Lettre des échevins de Marseille à l’intendant de Provence, à la
date du 1er juin 1786, dans le registre 55 , du 20 mars 1786 au 14
juillet 1787. — Registre 187 des délibérations municipales, année
1786, fol. 62 verso et 67 verso.
2. Registre 188 des délibérations municipales, année 1787, fol. 52
verso et 55 recto.
5. Registre 189 des délibérations municipales, année 1788, fol. 125
recto et 127 verso. — Registre 190 des mêmes délibérations, année
1789, fol. 150 recto et 152 verso. — Lettre écrite le 19 juin 1789 à
l’intendant de Provence par les échevins de Marseille , dans le registre
38 des copies des lettres de ces magistrats , du 11 février 1789 au 8
septembre de la même année, loi. 115 recto.
4. Voyez aux archives de l’Hôtel-Dieu de Marseille les livres des
trésoriers Philippe Artaud , Louis Richerme, Martin-Nicolas Reinaud ,
Vincent-Marie Martin , Lazare Icard, Joseph-Victor Verdilhon , LouisFabrice Gilly , Jean-Baptiste Olive, Antoine-Michel Dragon, etc., en
1779 et années suivantes.
5. Lettres-patentes du roi, explicatives de celles de 1780 portant
�— 526 —
Cet hôpital continuait de jouir de l'affranchisse
ment de tous droits d’expédition , de vacation et
d’épices en matière de procédure et d’instance judi
ciaire. 1
Il avait encore le droit de vendre à son profit
les hardes des morts de la maison et de s’appro
prier l’argent et les valeurs qu’ils y laissaient : mais
ce droit n'était plus exercé, comme anciennement,
d’une manière absolue. On avait adopté un tempé
rament équitable. En vertu de la délibération du 12
janvier 1755, les hardes et effets des morts étaient
rendus à leurs enfants, pères, mères, frères et sœurs,
lorsque ces morts étaient de Marseille; et à l’égard
des étrangers , la restitution n’était faite qu’autant
qu’ils s’étaient mariés en cette ville et qu’ils y lais
saient des enfants. 2
Le roi payait à l’Hôtel-Dieu de Marseille les jour
nées des soldats de terre sur le pied de vingt sous,
et il donnait seize sous pour les matelots et soldats
de marine. 3
règlement pour le spectacle de Marseille , données à Marly le 15 mai
1781. A Àix , chez Esprit David , imprimeur. Petit in-4° de 2 pages.
1. Registre P des délibérations du bureau de l’Hôtel-Dieu de Marseille,
du 1er juin 1758 au 29 août 1765, fol. 105 recto.
2. Même Registre P , fol. 54 verso.
3. Lettre écrite, le 5 avril 1773 , par les échevins de Marseille à
Lievrel, avocat au conseil du roi, dans le registre 25 des copies des
lettres de ces magistrats, du 15 mars 1773 au 6 mai 1774 , aux
archives de la ville.
�oc
— 527 —
En vertu de divers accords et d’un arrêt du par
lement d’Aix du 6 avril 4568 , l’aumônerie de
l'abbaye Saint-Victor avait à fournir chaque année à
l'Hôtel-Dieu de Marseille 200 florins et trente charges
de blé. Vers le milieu du dernier siècle, la redevance
du blé fut convertie en une pension de 900 livres
et l’on fixa à 420 livres la rente de 200 florins. 1
Vers l’année 4680, l’Hôtel-Dieu fournissait les
draps mortuaires, 2 et ce privilège lui rendait en
viron 900 livres. 3 A cette époque , on appelait
quelquefois les recteurs aux convois funèbres , et le
prix de l’accompagnement était fixé à 45 livres. 4
Les édits du mois de janvier 4690 et du mois de
décembre 4694, créèrent des offices de jurés crieurs
d'enterrement, et par un autre édit du mois de juillet
4695, l’Hôtel-Dieu de Marseille fut subrogé au lieu
1. Grand nombre de pièces déposées aux archives de l’Hôtel-Dieu.
Voyez aussi le livre Trésor B , de 1616 à 1654, fol. 224 verso; la
rubrique de toutes les rentes et pensions dues à cet hôpital, ensemble
de ce qui est dû par les maîtrises, confréries, etc, 1656, fol. 7 recto.
— Mémoire du bureau de l’Hôtel-Dieu sur la situation financière de
- cette m aison, envoyé au gouvernemeut en 1767 et annexé à la déli
bération du 17 décembre , dans le registre des délibérations de cette
année.
2. Livre de compte des draps mortuaires, au profit du grand hôpital
Saint-Esprit, in-4°, aux archives de l’Hôtel-Dieu.
5. Lettre des échevins de Marseille à Villeneuve, agent de la ville
à Paris , du 14 août 1690, dans le registre des copies des lettres de ces
magistrats, du 11 avril 1687 au 16 juin 1692.
4. Roole de l’accompagnement des morts, etc., comancé le 31 jan
vier 1681 , aux archives de l’Hôtel-Dieu.
4
�— .528 et place du possesseur des trois offices institués pour
cette ville , qui eut à lui rembourser les sommes
par lui payées. 1 Cet hôpital eut dès-lors la fourni
ture exclusive des cercueils, des tentures, des bois
servant à la construction des catafalques , des ar
moiries et décorations employées dans les cérémo
nies funèbres. Il en perçut les droits conformément
au tarif fait par l’intendant de Provence le 29 mars
1691 , 2 modifié par un autre du 5 mai 1767. 5
Alors ces droits rendaient 8,500 livres. 4 Ils s’éle
vaient à 10,000 en l’année 1790 qui fut celle de
leur suppression. 5
De tout temps, le prix de la viande de boucherie
1. Mémoire cité, du 6 février 1750, dans le registre des délibé
rations du bureau de l’Hôtel-Dieu, du 29 novembre 1741 au 51 décem
bre 1750. — Livre Trésor D de l’Hôtel-Dieu, de 1586 à 1695 , fol.
218 verso.
2. Préambule de l’arrêté fait par des Galois de la Tour, premier
président du parlement, intendant de justice, police et finances en
Provence, le 5 mai 1767, in-4° de 6 pages, sans nom d’imprimeur.
3. Publication ci-dessus citée concernant l’arrêté de l’intendant de
Provence.
4. Mémoire cité sur la situation de l’Hôtel-Dieu de Marseille en
1767, annexé à la délibération du bureau de cet hôpital, du 17 dé
cembre de la même année, aux archives dudit Hôtel-Dieu.
5. Mémoire présenté, en avril 1791, à la municipalité de Marseille
pour réclamer du directoire du département les indemnités que l’as
semblée nationale accorde aux hôpitaux pour les dédommagements des
pertes que la constitution leur fait essuyer, dans le registre T des dé
libérations du bureau de THôtel-Dieu , du 1er janvier 1787 au 5
septembre 1793 , fol. 185 et suiv.
�529 —
C
avait été augmenté à Marseille pendant le carême,
et cette augmentation , qui fut d’abord de quelques
deniers par livre et finit par être d’un sou , s’appe
lait le droit d'once de la chair. Il était attribué à
l’hôpital Saint-Esprit et c’était là un de ses anciens
privilèges. Deux arrêts du parlement d’Aix le lui
confirmèrent, le 15 juillet 1570 et le 9 janvier 1574,
contre les prieurs du corps des bouchers. 1
Pendant fort long-temps, cette ferme fut adjugée
à des prix qui varièrent entre 1,100 et 3,500 livres;
les offres allèrent à 1,500 livres en 1685, à 1,900
l’année suivante. Les recteurs de l’Hôtel-Dieu déli
bérèrent, le 21 mars 1686, de prier les échevins
d’unir la ferme de l’once de la chair à la grande
ferme de la boucherie et d’en porter, par abonne
ment, le prix à 6,000 livres, pour assister indirec
tement fhôpital. Les 6,000 livres demandées par
f Hôtel-Dieu furent réduites à 4,000 que cette maison
reçut du nouveau fermier et que les autres adjudi
cataires lui donnèrent aussi jusques en 1752.
L’abonnement, quoique au-dessous du prix que
les recteurs avaient sollicité, était néanmoins avan
tageux à l'hôpital qui, dans les enchères, n’avait
jamais obtenu une somme si forte ; mais plus tard
1. Livre Trésor A de l’hôpital Saint-Esprit et Saint-Jacques-deGalice de Marseille, de 1542 à 1615, fol. 5 reclo et verso. — Voyez
aussi le livre Trésor N du même hôpital, de 1756 à 1767, fol. 509
recto.
TOME i.
54
�— 530 —
il devint fort onéreux. Pendant le carême de 4752,
on consomma, à Marseille, 4,266 quintaux 75 livres
de viande de boucherie , ce qui, à raison d’un sou
par livre, produisit 6,333 livres 45 sous que l’hôpital
aurait pu retirer à plein , tandis que n'ayant reçu du
fermier que 4,000 livres, il y avait pour lui une
lésion considérable. La ferme devait finir à Pâques de
l’année 4753. Les recteurs, dès le 23 septembre 4752,
se pourvurent devant l’intendant de Provence et con
clurent à ce que le fermier de la boucherie fût à
l’avenir tenu de compter à l’Hôtel-Dieu tout le pro
duit de l’imposition d’un sou sur chaque livre de
viande vendue pendant le carême. Cette demande
fut accueillie et les échevins en firent une des condi
tions de la ferme. 1 De cette manière, la recette du
droit d’once de la chair augmenta graduellement.
En 4779, l’abonnement annuel fut porté à 44,000
livres, 2 et tel était encore ce produit en 4790 ,
dernière année de sa perception. 5
L’Hôtel-Dieu avait, pour sa consommation , la
franchise du droit de piquet sur la farine. 4
t. Livre Trésor M de l’hôpital Saint-Esprit et Saint-Jacques-deGalice, de 1751 à 1760, fol 100 verso.
2. Registre R des délibérations du bureau de l'Hôtel-Dieu de Mar
seille , de 1773 à 1780.
3. Mémoire des recteurs de l’Hôtel-Dieu , présenté à la municipalité
de Marseille au mois d’avril 1791, dans le registre T des délibérations
du bureau de cet hôpital, fol. 185 et suiv.
i. Livre Trésor N ci-dessus cité, fol. 506 recto.
�531 — cy
Avant 1766 , plusieurs ordonnances de police dé
fendaient aux calfats d’acheter et de vendre euxmêmes le bois de chauffage connu sous le nom de
brusque, mais ils en éludaient toujours l’exécution ,
doublant ainsi et triplant quelquefois les frais de
carénage. Le commerce souffrait beaucoup de cet
abus. Les armateurs et les capitaines ne cessaient
de se plaindre.
i
Le bureau
de THôtel-Dieu proposa à la chambre
de commerce de demander, en son nom , au conseil
municipal, le privilège exclusif de l’achat et de la
fourniture de la brusque, au prix réglé par la po
lice. 1
Le conseil municipal , dans sa séance du 22 fé
vrier 1766, accorda le monopole que l’Hotel-Dieu.
lui demandait tout à la fois dans son intérêt propre
et dans l’intérêt public. 2 Une ordonnance du bureau
de police, 3 à la date du 25 du même mois , fixa le
prix de la brusque, et le parlement d’Aix homologua
le tout par arrêt du 4 mars de la même année. 4
1. Registre Q des délibérations du bureau de l’Hôtel-Dieu de Mar
seille, du 5 septembre 1765 au 20 juillet 1775 , fol. 11 verso.
2. Registre 167 des délibérations municipales, année 1766 , fol. 28
recto , 33 recto, 56 recto et verso.
3. Les échevins formaient ce bureau en leur qualité de lieutenantsgénéraux de police.
4. Placard contenant cet arrêt d’hotnologation, dans un dossier re
latif à la brusque, au secrétariat de l’administration des hospices.
i
�— 532 —
Sur la demande du bureau de l’Hôtel-Dieu de
Marseille, le conseil municipal de cette ville lui ac
corda , le 10 octobre 1765, le droit de louer à son
profit les places du Cours pour la foire Saint-Lazare,
en se concertant avec les échevins. 1 Chaque place
fut mise aux enchères publiques. 2
Le monde élégant allait, pendant la belle saison,
se promener tous les soirs au Grand Cours , tandis
que le Petit Cours était le rendez-vous des classes
inférieures. La coutume, toujours plus puissante
que les lois, avait établi cette distinction générale
ment respectée.
Les promeneurs se rendaient aussi au Cours des
Capucines. Dès l’année 1728 , l’administration mu
nicipale de Marseille avait eu le projet de faire une
grande allée depuis la porte de la Madeleine, dite
des Fainéants , jusques à l’église des Augustins ré
formés. 5 La guerre de 1 733 arrêta l’exécution de ce
projet qui fut repris en 1751. 4 On fit quelque temps
après la promenade nommée Cours des Capucines,
1. Registre 166 des délibérations municipales, année 1765, fol. 81
recto et 85 recto.
2. Registre Q des délibérations du bureau de l’Hôtel-Dieu, du 5 sep
tembre 1765 au 20 juillet 1773, fol. 3 recto et verso.
3. Registre 150 des délibérations municipales, année 1728 , fol. 77
recto et 79 verso.
4. Registre 152 des délibérations municipales, année 1751, fol. 24
et suiv.
�)
— 533 —
à cause du voisinage du couvent des ces religieuses.
D’autres travaux entrepris plus tard, sous l’adminis
tration de Gabriel Senac de Meilhan, intendant de
Provence, et terminés au mois de juin 1775, don
nèrent aux Allées de Meilhan la forme et l’agrément
qu’elles ont aujourd’hui. 1
L’administration de l’Hôtel-Dieu, à la poursuite
de tous les moyens qui lui créaient des ressources,
délibéra, le 6 avril 1769, de demander au maire,
aux échevins et à l’assesseur le privilège de la lo
cation des chaises au Grand Cours et à celui des
Capucines, à un sou la chaise. 2 Ces magistrats
s ’empressèrent d’accueillir la demande par ordon
nance du 15 du même mois, et le privilège des
chaises fut délivré le 26 aux enchères publiques,
pour toute la belle saison, au prix de 250 livres. 3
Les enchères suivantes donnèrent à l’Hôtel-Dieu un
prix plus avantageux, et 600 livres furent le chiffre
des enchères du 26 mars 1789. 4 L’adjudication
des emplacements publics pour la foire Saint-Lazare
et celle des chaises au Grand Cours et aux Allées
1. Voyez, entre autres documents, diverses lettres des échevins de
Marseille dans le registre 26 des copies des lettres de ces magistrats,
du 17 mars 1773 au 6 mai 1774, aux archives de l’Hôtel-Dieu.
2. Registre Q des délibérations du bureau de l’Hôtel-Dieu de Marseille,
fol. 84 recto.
5. Même registre Q , fol. 106 verso.
4. Registre T des délibérations du bureau de l’Hôtel-Dieu, du 1er
janvier 1787 au 5 septembre 1793, fol. 60 verso.
tome i.
34.
�— 534
de Meilhan formèrent ensemble pour l’hôpital une
recette de 9,000 livres. 5
Quelques-uns des revenus de l’Hôtel-Dieu lui man
quèrent en 1791 , tels que son ancien droit sur la
viande du carême, la ferme des baraques de la
foire Saint-Lazare, celle des chaises du Grand Cours
et des Allées de Meilhan , l’abonnement de 8,000
livres tout récemment passé avec Bonnet Bonneville ,
directeur du nouveau spectacle des variétés établi
à la rue du Pavillon. D’autres perceptions plus ou
moins importantes allaient aussi lui faire défaut.
C’étaient les droits de lods dont on évaluait la re
cette moyenne à 2,400 livres par an ; les fourni
tures pour les convois funèbres ; la rétribution du
Grand - Théâtre ; les redevances des courtiers de
commerce et celles des corporations d’arts et métiers.
Tous ces articles de recette montaient à la somme
de 55,400 livres.
Mais, d’un autre côté , la commune de Marseille ,
qui ne pouvait abandonner ses pauvres , eut la gé
nérosité de payer à l’hôpital, en sus de la subven
tion ordinaire, le montant de toute la fourniture
de la viande, et le directoire du district lui donna
un secours de 20,000 livres pour assurer la marche
des services.
S. Mémoire présenté par les recteurs de l’Hôtel-Dieu à la munici
palité de Marseille , au mois d’avril 1791 , dans le Registre T ci-dessus
cité, fol. 185 et suiv.
�Les receltes de cet
exercice furent de.................. 266,909 liv. 9 s. 8 d.
Dépenses.................... 266,340
16 9
Reliquat................
568 liv. 12 s. Il d 1
La révolution vint désorganiser l’administration
de l’Hôtel-Dieu de Marseille qui, dans cet ébranle
ment général, eut à passer de mauvais jours. Les
assemblées locales et les magistrats institués par le
nouveau régime furent fidèles à leur mission popu
laire en protégeant de tout leur pouvoir les établis
sements de charité. C’est une justice qu’il faut rendre
à des hommes d’enthousiasme et de dévouement
long-temps calomniés par des passions politiques.
Mais les événements inattendus qui se précipitèrent
avec un horrible fracas furent plus forts que les vo
lontés honnêtes, et les hôpitaux souffrirent beaucoup
au milieu de toutes ces catastrophes émouvantes.
Les divers services de l’Hôtel-Dieu de Marseille coû
tèrent 508,163 livres en 1792. On voit dans les
chapitres de dépense la somme de 110,678 livres
pour les denrées et provisions générales de bouche ;
49,974 livres pour le pain; 66,840 livres pour la
viande de boucherie; 29,507 livres pour la perte
1. Livre des recettes et dépenses faites par Saurin , recteur trésorier
de l’Hétel-Dieu de Marseille, en 1791.
�sur les assignats et quelques autres chiffres dépassant
de beaucoup les articles correspondants du précédent
exercice. La recette fut de 507,008 livres. 1 La
commune fournit 106,840 livres, c’est-à-dire 40,000
livres pour sa subvention habituelle et la somme
indiquée pour la viande de boucherie, à titre de
secours extraordinaire. L’hôpital eut le bonheur,
cette année, d’avoir dans*son budget des recettes
un article de 1 91,831 livres pour le produit des hé
ritages. Il reçut, en plusieurs envois , la somme de
156,528 livres de la succession bénéficiaire de Joseph
Vincent de Marseille , établi depuis long-temps à
Smyrne, lequel laissa tous ses biens à FHôtel-Dieu
de sa ville natale. Il eut aussi de l’héritage de la
Dlle Marie-Madeleine-Athanase Materon, deux mai
sons situées l’une à la rue Dauphine et l’autre à la
rue des Convalescents. La vente de ces deux immeu
bles produisit 76,800 livres. 2 L’Hôtel-Dieu en paya
55,351 aux créanciers et aux légataires de l’hoirie
et recueillit ainsi dans cette succession la somme
de 21,449 livres. 3
En 1793, la commune de Marseille fournit à l’HôtelDieu une large subvention de 154,000 livres et paya
1. Livre des recettes et dépenses faites pat Pierre Ravez, recteur
trésorier de l’Hôtel-Dieu de Marseille en 1792.
2. La maison de la rue Dauphine lut vendue 26,500 livres, celle de
la rue des Convalescents 50,500 livres.
5. Livre de Pierre Ravez , folio 15 et suiv.
�encore la somme de 116,877 livres au fournisseur
de la viande de boucherie auquel cette maison ne
pouvait rien donner. Les autres revenus de l’hôpital
ne s'élevèrent, dans cette année sinistre, qu’à
127,823 livres, et son budget présenta les chiffres
suivants.
Recettes............ 398,706 liv. 14 s. 10 d.
Dépenses.......... 413,390
10 11 1
Excédant de dépenses.. 14,689 liv. 16 s. 1 d.
Depuis long-temps les oeuvres hospitalières, cé
dant à la loi du progrès à laquelle hommes et choses
obéissent toujours, avaient pris la place qui leur
était due au milieu des institutions sociales de pre
mier ordre. Créées sous l’influence des idées reli
gieuses , quand ces idées dominaient partout sans
contrôle, elles n’eurent à leur origine qu’une exis
tence assez chétive , mais conforme à leur destination
et à leurs besoins. Le pouvoir séculier intervint dans
leurs affaires, lorsque la vie municipale, qui jamais
ne s’était éteinte dans le midi des Gaules, même au
sein des ténèbres et de la barbarie , se ranima pleine
d’espérances et fit l’essai de ses forces. A Marseille,
la commune affranchie de la seigneurie vicomtale ,
s’attribua la tutelle de l’hôpital Saint-Esprit dont
elle nomma les administrateurs considérés dès-lors
comme ses délégués, en leur laissant néanmoins des
�allures fort libres. Lorsque cet hôpital, pressé par
l'insuffisance de ses ressources, sollicita l’assistance
de la cité, celle-ci , sans cesse obérée , se montra
forcément parcimonieuse et défendit tant qu’elle put
ses finances dont tant d’autres services réclamaient
l'emploi. Elle finit, enfin, par s’exécuter de bonne
grâce, moins sous l’empire des obligations légales,
que sous ces lois morales auxquelles rien ne résis
tait dans un siècle de philanthropie qui manifestait
d’impatients désirs d’amélioration et poussait les
hommes dans des voies lumineuses d’indépendance
et de dignité.
Ah ! sans doute, on a beaucoup fait pour les
maisons de bienfaisance, mais il reste beaucoup à
faire, et cette belle et laborieuse tâche ne sera jamais
terminée. Misérables enfants des hommes, il y aura
toujours des pauvres parmi nous. On peut éteindre
la mendicité, mais jamais la misère. Qu’une poli
tique , dirigée par l’amour du bien et secourable
aux classes malheureuses, fasse montre de ses res
sources ; que la science administrative épuise ses
combinaisons ; qu il y ait alliance des sentiments
chrétiens et des idées philosophiques, concours em
pressé de tous les systèmes et de tous les dévoue
ments , on verra toujours des êtres atteints par la
souffrance au milieu des heureux du monde; toujours
1, Registre des recettes et. dépenses de 1795, fol. AU.
�*
— 539 —
des malades demandant leur soulagement à la cha
rité publique ; des vieillards, accablés du poids des
années et de l’indigence, sollicitant un asile et du
pain; d’innocentes victimes de la débauche; de frêles
créatures délaissées au seuil de la vie par des parents
barbares. Si la nature humaine a des maux incura
bles , la société a de profondes plaiès dont rien ne
peut étancher le sang ; et les splendeurs du luxe, et les
magnificences de l’industrie, et les merveilles d’une
civilisation qui va sans cesse étendant ses conquêtes,
ne servent qu’à mettre ces plaies en lumière et les
rendent plus douloureuses. De quelque manière qu’on
s’y prenne , sur cette terre arrosée de tant de larmes
et de sueurs, il y aura toujours de pieux devoirs pour
les riches , de nobles exercices pour les cœurs sen
sibles et compatissants.
FIN DU PREMIER VOLUME.
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https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/1/376/BUT-14030_Histoire-hopitaux_T2.pdf
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HISTOIRE
HOPITAUX
ET
DES INSTITUTIONS DE BIENFAISANCE
DE MARSEILLE.
Tome 2
PAU A UC U ST IN F AB R E .
Librairie FLAMMARION & ADBERT1E
3 4 , R ue P a ra d is, 3 4
m a u s e i l l e j
�HISTOIRE
HOPITAUX
ET
DES INSTITUTIONS DE BIENFAISANCE
DE MARSEILLE.
PAU A UC U ST IN F AB R E .
Librairie FLAMMARION & ADBERT1E
3 4 , R ue P a ra d is, 3 4
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��HISTOIRE
D E S H O P IT A U X
ET
DES INSTITUTIONS DE BIENFAISANCE
DE MARSEILLE.
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2
H IS T O I R E
' DES
HOPITAUX
DES INSTITUTIONS DE BIENFAISANCE
DE MARSEILLE.
PAR A U G U ST IN FA BR E .
TOME SECOND.
MARSEILLE.
IMPRIMERIE ET LITHOGRAPHIE DE JULES BARILE
RUE PARADIS, 1 5.
4855.
-
��HISTOIRE
HOPITAUX
#
DES INSTITUTIONS DE BIENFAISANCE
DE MARSEILLE.
CHAPITRE PREMIER.
H Ô P IT A L U E S U A L V K E S P A S S A N T S E T IIIA L A U IS
C O NVALESCENTS.
Origine de l’hôpital des Convalescents à Marseille. — Organisation de
l’œuvre par les fondateurs sous la direction du prêtre Elzéar
Beaulieu. — Lenteur dans la marche de leurs travaux. — Projet
d’asile pour les pauvres passants. — Réunion des deux œuvres. —
Achat de quatre maisons pour leur établissement. — Déplacement
de cet hôpital. — Plusieurs bienfaiteurs viennent à son aide. —
On y reçoit les femmes qui n’y furent pas d’abord admises. —
Fondation de la veuve de Mazenod. — Règlem ent de l’hôpital. —
Amélioration de l’œuvre spéciale des pauvres passants. — Projet
de suppression de l’hôpital des passants et des convalescents pour
le réunir à l’Hôtel-Dieu. — Résistance des recteurs de ce premier
hôpital. — Ils finissent par céder. — Vente du local. — Les
religieuses de Sion l’achètent.
Dans tous les hôpitaux dit royaume, on avait hâte
de congédier les malades dès qu’ils semblaie.nl gué-
�ris, avant qu’ils eussent assez de force pour re
prendre leurs travaux, et plusieurs de ces malheu
reux, dans un état de faiblesse et d’isolement, se
voyaient exposés à la détresse la plus douloureuse.
On pensa à Lyon qu’il y avait encore quelque chose
à faire pour acquitter la dette de l’humanité. Dès
l’année 1578, les malades sortant de l’Hôtel-Dieu
de cette ville étaient placés, aux frais de l’établis
sement, chez des particuliers pour y passer le temps
de leur convalescence. En 1647, Cosme Gonnet,
bourgeois de Lyon, institua une dotation pour l’en
tretien d’une salle de l’Hôtel-Dieu dans laquelle les
malades guéris devaient passer quelques jours. En
1660, des sommes assez considérables furent données
par des hommes bienfaisants dans des vues analo
gues , et l’on acheva sept ans après un nouveau
bâtiment pour la même destination. 1
Déjà la veuve Bullion avait conçu à Paris le projet
d’établir un asile pour les convalescents à la sortie
des hôpitaux. Elle obtint, en 1628, des lettres-paten
tes ; mais sa généreuse entreprise éprouva beaucoup
de lenteurs. Cette dame fit acheter par un prêtre une
maison à la rue du Bac, pour recevoir d’abord huit
1. Histoire topographique et médicale du grand Hôtel-Dieu de Lyon ,
par Pointe, 184.2, p. 592 et 293. — Howard, qui étudiait tout ce qui
concernait les principaux établissements de charité de l’Europe, re
marqua les salles des convalescents de l’Hôtel-Dieu de Lyon. Voyez
l’état des prisons, des hôpitaux et des maisons de force, par John
Howard, traduit de l’anglais, 1788, t. 1 , p. 597.
�convalescents. On en admit clans la suite quelquesuns de plus, mais le nombre n’en dépassa jamais
vingt-un , et c’est assez dire que cet établissement
fut sans importance. ’
Au commencement de l’année 1654, quatorze ha
bitants de Marseille « firent réflexion qu après l’é» tablissement de beaucoup de maisons charitables ,
» il était expédient d'en fonder une qui semblait
» être la plus nécessaire pour les pauvres conva» lescents, car sortant à demi guéris de Thôpital
» Saint-Esprit, ils se trouvaient d’ordinaire obligés
» de s’y remettre, accablés d’une rechute souvent
» plus longue et plus dangereuse que la première
» maladie. » 2
Ces hommes pieux, dont les noms modestes ne
sont indiqués nulle part, étaient tous gens de métier
et de boutique. Ils s’assemblèrent le 20 mai 3 dans
la chapelle des Pénitents-Bleus, près Saint-Martin,
pour conférer sur les moyens de conduire à bonne
fin leur entreprise. Ils consultèrent Elzéar Beaulieu ,
prêtre séculier, qui les encouragea beaucoup et se
mit à leur disposition.
t. Histoire de Paris, par Dulaure, 4e édition , 1829, t. 5 , p. 450
et 451.
2. Premier registre des délibérations des recteurs de l’hôpital des
Convalescents de M arseille, de 1654 à 16 72, premières p ages, aux
archives de l’Hôtel-Dieu.
5. Sac T contenant divers titres et diverses pièces qui concernent
l’hôpital des pauvres passants et malades convalescents, aux archives
�—
8
—
Ils s’assemblèrent de nouveau dans la même cha
pelle, en présence de ce prêtre qui devint leur guide,
et ils arrêtèrent qu’en souvenir des cent vingt per
sonnes qui reçurent le Saint-Esprit le jour de la
Pentecôte , il y aurait un pareil nombre de fonda
teurs de l’hôpital des Convalescents ; qu’une fois ce
nombre atteint, les hommes charitables qui vou
draient entrer dans l’association seraient appelés
bienfaiteurs, et que le plus ancien de ceux-ci occu
perait la place d’un fondateur vacante par décès,
pour que le nombre de cent vingt ne cessât jamais
d’être au complet; que les fondateurs, toujours pris
dans la classe des marchands et des artisans, paie
raient chacun une quotité annuelle de trois livres,
mais que les bienfaiteurs ne suivraient, pour leurs
aumônes, que les inspirations de leur cœur.
On délibéra de plus de confier Tadministration de
l’hôpital à douze recteurs choisis par le sort parmi
tous les fondateurs indistinctement et renouvelés par
moitié tous les six mois, le 2 février et le 15 août,
les recteurs en exercice se trouvant toujours de cette
manière au nombre de douze, six anciens et six
nouveaux. Ils ne devenaient rééligibles que lorsque
tous les fondateurs avaient été nommés à cette
charge. Ils se réunissaient en bureau tous lesdimande 1 Hôtel-Dieu. — Registre intitulé :
des Convalescents, inventaire et papiers
archives.
Recueil historique de l’hôpital
, de 1654- à 1 7 2 5 , aux mêmes
�ches pour délibérer sur les affaires de la maison ,
et trois d’entre eux, à tour de rôle , sur la liste des
douze, avaient ensemble un service semainier.
Étienne de Puget, évêque de Marseille, approuva
ces statuts , et le 15 août de la même année 1654
l’assemblée des fondateurs, qui étaient alors qua
rante-neuf , parmi lesquels on remarquait Elzéar
Beaulieu, se tint encore dans la chapelle des Péni
tents-Bleus pour procéder à la première élection.
Les douze recteurs désignés par le sort furent Fran
çois Caillet, Jean Beissier , Esprit Pascal, JeanFrançois Armeny , Laurent Simon , Antoine Caire ,
Jean Ferrier, Pierre Bonnet, Jacques Tollian, Biaise
Reynaud, Louis Imbert et Jean Sorrel. 1
Le 11 février de l'année suivante, les recteurs
obtinrent des consuls la permission de faire une
quête qui fut fixée au lundi de chaque semaine. 2
Le 27 juin 1655, le bureau délibéra d’acheter
une maison dont la situation ne m’est pas connue ;
mais il paraît que cette délibération n'eut aucune
suite, et l’hôpital des Convalescents n’exista long
temps qu’en projet. En 1656, jl n’y avait encore
que cinquante-neuf fondateurs , lesquels firent cha
cun une aumône dont le total ne produisit que 618
livres.
1. Premier registre des délibérations de 1654 à 1672 , p.
2. Môme registre, p. 5 verso.
4.
�— lu —
Tout marchait, ou le voit, avec une lenteur
excessive, et une autre oeuvre de bienfaisance que
l’on venait d’instituer n’avait pas une marche plus
rapide. Cette œuvre était celle des pauvres passants,
et je vais la faire connaître.
Au mois de mai 1654, alors que les quatorze
premiers fondateurs de l'hôpital des Convalescents
délibéraient sur leur entreprise, d’autres personnes
pieuses et charitables s’associaient pour jeter les
fondements d’un asile destiné aux indigents étran
gers de passage à Marseille. 1 Aux termes de leur
acte d’association , ils devaient être soixante-douze ;
mais ils ne parvinrent pas à atteindre ce nombre et
ne furent jamais plus de cinquante-deux. On voit,
parmi les signataires, de Bausset, prévôt de la
cathédrale, et trois autres de Bausset sans qualifi
cation ; Jacques Rimbaud, chanoine de Saint-Martin ;
Elzéar Beaulieu, dont j’ai déjà parlé; Scipion-Antoine de Foresla , Laurent Gilles, Martin Malaval ,
Roland Fréjus, Étienne de Saint-Jacques , Gabriel
Fontaine, Antoine de Gaspary, Jean-Baptiste Blanc,
de Forme , Jacques Barroin, Audiffret, Antoine de
Moustiers, Louis Vin, Olivier Chautard et trente1. Louis-Antoine de Ruffi, dans son histoire de M arseille, t, 2,
». 9 8 , se trompe en taisant remonter la fondation de l’hôpital des
pauvres passants à quelques années auparavant. Les titres que j’ai
consultés et que je cite, ne laissent aucun doute à cet égard. Les deux
UuKi n’ont examiné que très-superficiellement les actes cl documents
des hôpitaux et des maisons de bienfaisance de Marseille.
1
�deux autres fondateurs, dont quelques-uns ont une
signature illisible, 1 car il paraît que de tout temps il
y eut des hommes atteints de la manie ridicule d’offrir
aux lecteurs leur nom comme une désespérante
énigme; braves gens de l’espèce la plus absurde
qui paraissent oublier qu’il faut écrire pour pouvoir
être lu , de même qu’on parle pour se faire entendre.
Tout ce que la ville de Marseille avait fait jus
qu’alors en faveur des voyageurs indigents , c’était
de leur distribuer, de temps à autre, à la porte
d’Aix, des pains, sous forme de passade, 2 comme
on disait à cette époque. Les fondateurs de rhôpital
des pauvres passants déclarèrent qu’ils « s’aggré» geaient pour contribuer à faire avoir la retraite
» pour tous les pauvres passants à Marseille....
» Leur dessein, ajoutaient-ils, est d’empêcher beau» coup de maux qui se peuvent commettre, à cause
» que ces pauvres passants n’ont point de logis.
» On prétend de séparer les hommes des femmes,
» pour éviter les maux qui en pourraient arriver s’ils
» logeaient ensemble , et apprendre aux uns et aux
1. Escritte signée par messieurs les fondateurs pour l’établissement
des pauvres passants, grand parchemin marqué n° 1 , dans le sac des
titres fondamentaux de l’hôpital des Convalescents , aux archives de
l’Hôtel-Dieu.
2. Ordonnance des consuls de M arseille, du 12 avril 16 58, portant
autorisation de l’hôpital des pauvres passants et de celui des malades
convalescents, grand parchemin , dans le même sac des titres fonda
mentaux.
�Ir
,
^ :
— 12 —
» autres les vérités chrétiennes. Ces personnes pro» mettant de donner gratuitement à chaque année,
» pendant leur vie, la somme de trois livres pour
» subvenir, avec l'assistance de MM. les Consuls de
» Marseille, aux frais de cette sainte entreprise. 1
L’œuvre des pauvres passants était à peu près
semblable , pour son institution et son service , à
l’hôpital de Saint-Jacques-des-Épées qui avait une
origine des plus anciennes et dont j’aurai à parler
bientôt. Pour tout le reste , il n’y avait rien de
commun entre les deux maisons , et il faut bien se
garder de confondre l’une avec l’autre. L'hôpital de
Saint-Jacques-des-Épées recevait plus particulière
ment les pèlerins ; l’œuvre des pauvres passants fut
instituée pour donner asile aux voyageurs dans l’in
digence et ne le donna le plus souvent qu’à des
vagabonds et gens sans aveu.
Elzéar Beaulieu montrait autant de zèle pour le
projet relatif à la maison des pauvres passants que
pour l’institution de l’hôpital des Convalescents. Ce
prêtre comprit fort bien que la réunion des deux
œuvres pourrait seule assurer l’avenir de l'une et
de l’autre. Ses conseils furent écoutés, et les deux
administrations se réunirent pour acheter, le 24 mai
657, d’André Imbert, marchand mercier à Mar
seille, au prix de 3,150 livres , payable moitié par
�13 —
l’une et moitié par l’autre, quatre maisons conti
guës, avec jardin par derrière, situées hors des ramparts près les arcs de la porte d’Aix. On voit figurer
dans cet acte Antoine de Moustiers , Laurent Gilles,
le chanoine Rimbaud, de Gaspary, de Saint-Jacques,
Barroin et Jean-Baptiste Blanc, recteurs de l’hôpital
des pauvres passants, d’une part ; et François Imbert,
Pierre Marron , Louis Estouard , Mathieu Gambony,
Barthélemy Boyer, Guillaume Olive , recteurs de
l’hôpital des pauvres Convalescents , d’autre part.
Ces derniers sont assistés de Jean Jordan , bour
geois, et d’Elzéar Beaulieu, qui prend le titre de
fondateur des deux hôpitaux et figure comme ayant
le soin et l'administration d'iceux. 1
On appropria ces quatre maisons à la convenance
des deux hôpitaux qui consentirent à ne former
qu’un seul établissement, sous une même adminis
tration , mais dans deux quartiers séparés , l’un
pour les pauvres passants et l’autre pour les pauvres
convalescents , le premier sous le titre de la SainteTrinité , le second sous celui de Notre-Dame-deConvalescence. La chapelle, construite à la fin de
1659 et au commencement de 1660, fut bénite so
lennellement le 30 mai de cette dernière année par
l’évêque Étienne de Puget. 2
1. Registre des délibérations de 1654 à 1 6 7 2 , p. 12 verso et suiv.
2. Même registre, p. 26 et 27.
�Les consuls de Marseille Lazare de Yento, sieur
de la Baume, Boniface Pascal, et Joseph Fabre,
bourgeois ,. avaient autorisé, par ordonnance du 12
avril 1658 , l’établissement des deux hôpitaux réunis,
sans néanmoins que la communauté demeurât obligée
en rien, n’était le paiement de dix-huit livres par
année qu’elle s’était engagée à donner à la maison
des pauvres passants , et de quinze livres par mois
pour le salaire des gardes chargés d’amener dans
cette maison les vagabonds et les mendiants. 4 Je ne
sais quel genre d’obstacles vint arrêter la réunion
des deux établissements ; mais toujours est-il que
l’œuvre des pauvres passants ne s’unit qu’au mois
d’août 1665 à celle des convalescents qui fonction
nait déjà depuis quelques années.2
L’exécution du projet d’agrandissement de la ville
condamna bientôt à la démolition une partie de cet
hôpital qui naissait à peine. Le 8 mars 1671 , le
bureau délibéra de chercher un autre local, et cette
affaire eut une marche bien lente, car l’hôpital resta
où il était pendant dix ans encore. Ce ne fut qu’au
mois de mars 1680 que les recteurs acquirent, de
Pierre Sauvaire , marchand à Marseille , au prix de
4,670 livres ,3un terrain situé dans l’agrandissement,
1. Ordonnance des consuls de M arseille, du 12 avril 16 58, grand
parchemin dans le sac des titres fondamentaux.
2. Registre des délibérations de 1654 à 1672, p. 56 et suiv.
o. Autre registre des délibérations des recteurs de l’hôpital des pau
vres passants et malades convalescents, de 1673 à 1681, p. 121.
�15 —
près des nouveaux remparts, du côté de la porte
appelée alors Saint-Lazare et nommée plus tard
Bernard Dubois. Jean Puget, maître maçon, frère du
fameux Pierre, dirigea les travaux de la nouvelle
bâtisse, qui fut terminée au commencement de 1682.
Le 10 mars de la meme année l’un des chanoines
de la Major vint bénir la chapelle.
Le 11 octobre 1684, l’hôpital mit en vente, aux
enchères publiques, ce qui lui restait des quatre
maisons ou il était précédemment établi. Jean Bonifai
et Pierre Puget, associés pour des spéculations de ter
rains, se rendirent adjudicataires , moyennant 2,000
livres, de ces restes de maisons qu’on avait coupées
pour l’alignement de nouvelles rues. Pierre Puget,
dont le nom honore Marseille, est qualifié dans cet
acte de maître maçon, comme son associé.2
Les recteurs de cet hôpital avaient contracté plu
sieurs emprunts pour le paiement des frais d'achat
et de construction. Mais, d’un autre côté, la charité
publique n’avait pas fait défaut à l’œuvre après l’acte
d’union, et l’on vit plusieurs personnes généreuses
prendre, tour à tour, place parmi ses bienfaiteurs.
Tels furent Pierre Baille, marchand; François de
1. Cette chapelle fut agrandie en 1784. Voyez le registre de 1704
à 1 7 2 0 , p. 3 verso et suiv.
2 . Cet acte de vente est la pièce portant le n° 22 dans le sac des
titres fondamentaux de l’hôpital des C onvalescents, aux archives cidessus citées. — Registre des délibérations des recteurs du même hô
pital, de 1681 à 1704, p. 47 verso.
�16 —
Mollin de Lisle, commandant de la citadelle SaintNicolas ; de la Motte, garde de l’artillerie de la même
citadelle ; la dame de Sipide, fille de Charles de
Gratian ; Barthélemy Deidier, Jean Blanc, 1 Sébas
tien Michel, marchand ; Belliard ; dame de Carqueiran, Marguerite Bertrand, Durand Germain et
Marguerite Longue.2 En 1672 , le bureau de l’hôpital
avait placé sur la communauté des patrons pêcheurs
de Marseille, la somme de 1,500 livres à l’intérêt
de 5 p. °/0, 3 et avec ces ressources il put faire face
à toutes ses nécessités.
Le 1er janvier 1668 , plusieurs dames de Marseille
avaient proposé à l’administration de l’hôpital des
pauvres passants et convalescents d’avoir soin des
pauvres passantes et convalescentes, ainsi que des
servantes étrangères à la ville qui sortaient de la
maison de leurs maîtres sans pouvoir se placer de
suite. Ces dames offrirent en même temps d’entre
tenir, à leurs frais , une mère maîtresse chargée
d’occuper les servantes à la couture des gants et à
d’autres ouvrages manuels, sous la réserve d’une
retenue sur leurs gages, lorsqu'elles seraient repla
cées. Cette offre, parfaitement accueillie, ne fut
pourtant suivie d’aucune exécution. Jusques en 1671
1. Recueil historique déjà cité, p. 27 , 3 8 , 43 recto et verso, 140.
2. Autre registre des délibérations des recteurs de l’hôpital des pau
vres convalescents et des pauvres passants , de 1675 à 1681 , p. 105.
5. Môme registre, même page.
�on ne reçut que des hommes dans cet hôpital. Les
femmes y furent admises par délibération du bu
reau du 8 février de la même année. 4 On nomma
une mère pour les convalescentes et les passantes.
On acheta du chanvre et on fit filer les premières
au profit de la maison. 2 On ne les gardait que
trois jours , et il en était ainsi des hommes. Ce
temps si court ne pouvait suffire au rétablissement
complet de la santé de ces pauvres convalescents.
C’est ce que pensa avec raison la dame Dimanche
de Grainat, veuve de François de Mazenod, écuyer,
laquelle institua cet hôpital son héritier universel
par testament du 27 août 4707, à condition que
les convalescents y resteraient six jours entiers,
et c’est ce qui fut exécuté. 3
La libéralité de la veuve de Mazenod combla tous
les désirs des administrateurs au zèle desquels la
faiblesse des ressources de l’hôpital opposait d’assez
étroites limites. Ils s’étaient même vus dans un si
grand embarras financier qu’ils avaient délibéré,
le 2 février !687,*-de faire chacun personnellement
1. Registre des délibérations de 1654 à 1672 , p. 122.
2. Le 28 février 1 7 0 0 , le bureau de cet hôpital délibéra de n’y
recevoir que les pauvres qui n’avaient aucun gîte, ou qui étaient obli
gés de travailler en convalescence pour vivre. Voyez le registre de 1781
à 1 7 0 4 , p. 212.
3. Registre de 1704 à 1720, p. 67 et suiv. — Livre B des contrats
de l’hôpital des pauvres passants et convalescents, fol. 140, aux mêmes
archives. — Recueil historique ci-dessus cité , p. 9 verso.
�une avance de 150 livres. 1Des personnes généreuses
ne tardèrent pas à venir en aide à cette œuvre.
Durand . Siguoret et la D1Ie Aymard lui firent divers
legs ou dons gratuits. Bellot lui légua 1,500 livres
en 1688; Blanc, chanoine de la Major, lui en laissa
2,000 en 1704, 2 et Jeanne de Riquetti, dame de
Châteauneuf Négreaux, veuve d’Alexandre de Gérandon, lui en donna 3,000 en. 1710. 3
Les administrateurs de l'hôpital des Convalescents
eurent entre eux, dès l’origine, de longues contes
tations et des querelles violentes , pour des motifs
qui me sont inconnus, et la concorde eut beaucoup
de peine à s’établir dans leur bureau. * Comme je
l'ai d it, ils étaient nommés par la voie du sort sur
la liste entière des fondateurs, et ce moyen aveugle
amenait souvent le choix d’hommes sans bonne vo
lonté pour le service des pauvres, ou antipathiques
à leurs collègues. En 1660 , les choses en vinrent au
point que le bureau cassa l'élection, et il se pourvut
en même temps devant l'évêque de Marseille pour
obtenir l’autorisation de changer les articles du rè
glement qui confiaient au sort la nomination des
1. Registre de 1681 à 1704, p. 78.
2. Même registre de 1681 à 1 7 0 4 , p. 96 et 209. — Registre de
1704 à 1720, p. 16 verso.
3. Cet acte de donation, à la date du 5 mai 1710, se trouve, sous
le n° 6 , dans le sac des titres fondamentaux.
4. Registre de l'67o à 1681, p. 1.
�19 —
recteurs. L’évêque, par décret du 10 août, ordonna
qu’à l’avenir les membres du bureau d’administra
tion seraient élus par les libres suffrages de tous les
fondateurs en assemblée générale. 1
A la fin de 1672, on fit de nouveaux statuts qui
furent approuvés, le 15 janvier 1673 , par Toussaint
de Forbin-Janson , évêque de Marseille. 2
Louis XIV, par lettres-patentes du mois de mars
1702, confirma la création de l’hôpital des pauvres
passants et convalescents de Marseille ; il lui accorda
les privilèges attribués aux autres hôpitaux du
royaume. 3
En 1710, le bureau fit de nouveaux règlements
qui furent approuvés par l’évêque et les échevins. 1
Par suite du séduisant et désastreux système de
Law qui, durant les ravages de la peste de Mar
seille , tournait tant de têtes troublées par des pas
sions cupides , la plus grande partie des fonds de
l’hôpital des Convalescents fut convertie en soixantesix billets de banque qui montaient à 33,960 livres.
Philippe d’Orléans, régent du royaume, les réduisit
à 16,118 livres , en vertu d’un billet de liquidation
mis à la charge de la ville qui en supporta le de1. Pièce n° o du même sac des titres fondamentaux.
2. Registre de 1675 à 1681 , p. 1 et suiv.
3. Ces lettres-patentes sont dans le sac T contenant diverses pièces
relatives aux affaires de cet hôpital. Archives de l’Hôtel-Dien.
4. Registre de 1704 à 1 7 2 0 , p. 126 et suiv.
�nier cinquante , produisant chaque année 322. d
€es pertes mirent l'hôpital dans l’embarras pendant
quelque temps; mais ses affaires se relevèrent peu
à peu, grâce à de libérales aumônes. C’était d’ail
leurs de tous les hôpitaux de Marseille celui qui
faisait le moins de dépense, à cause de sa desti
nation spéciale. Un bienfaiteur, Jean-Pierre Croiset,
lui légua, vers le temps de la peste, une propriété
rurale au quartier de Saint-Barnabé. 2 En 1720,
André de la Garde, procureur-général au parlement
d’Aix, lui donna une pension viagère de 500 livres
dont il avait la jouissance, et qui fut éteinte par
la mort du donateur le 19 juin 1728. 8 J^a dame
Delphine Testanier, veuve de Boniface Soleris, lui
fit don, en 1721 , d’une maison située à la rue
Thubaneau , 1 et le prêtre Balthasar de Pereris le
gratifia de deux pensions montant ensemble à 6,500.5
Je passe sous silence divers actes de libéralité moins
1. Sac coté D, contenant diverses pièces relatives à l’hôpital des
pauvres passants et convalescents, pièces n° 25. — Recueil historique
du même hôpital, aux archives de l'Hôtel-Dieu.
2. Registre des délibérations de 1704. à 1720 , p. 275.
5. Livre G de l’hôpital des pauvres passants et malades convales
cents. loi. 6 2 , aux archives de l’Hôtel-Dieu. — Registre intitulé Re
cueil historique du même hôpital, inventaire et papiers, 1654 à 1725,
p. 71 verso, aux mêmes archives.
4 Cet acte de donation est sous le nu 2 4 , dans le sac des titres
fondamentaux que nous avons mentionnés plusieurs fois.
5. Registre des délibérations de 1738 à 1766 , p. 57.
�21
importants, mais toujours utiles. La position finan
cière cle Thôpital finit par être assez bonne.
Il distribuait du bouillon aux pauvres malades du
voisinage. En 1747, le pain et la viande étant fort
chers , la DUe Aubert craignit que cette distribution
ne fut supprimée , et elle donna généreusement trois
mille livres pour que les administrateurs continuas
sent l’exercice du même bienfait. 1
L’immobilité des règlements et des coutumes n’est
pas le propre des assemblées que l’élection renou
velle souvent. Aussi bien les statuts de l’hôpital des
pauvres passants et convalescents de Marseille ne
se maintinrent pas longtemps tels qu’on les avait
rédigés en 1710 , et l’on ne tarda pas d'y faire des
changements de diverse nature. Le nombre des rec
teurs qui avait varié suivant les conjonctures ou
certaines convenances, fut, en 1726, fixé à dixhuit , savoir : deux fondateurs de service annuel
nommés par ancienneté suivant l’ordre du tableau ,
et seize recteurs d’élection servant chacun deux ans
et renouvelés chaque année par moitié. 2
Cette disposition fut conservée dans les nouveaux
règlements faits en 1737, approuvés par M. de Belsunce, évêque de Marseille, le 19 juillet de la même
1. Même registre, p. 91.
2. Livre 5 des actes et titres de l’hôpital des pauvres passants ei
convalescents de Marseille, aux archives de l’Hôtel-Dicu.
A
�année, et par les échevins Fabron, Surian et Nouvel,
le 3 août suivant. 1 On procédait aux préliminaires
de l’élection des nouveaux recteurs le dimanche qui
précédait la fête de la Purification de la sainte Vierge.
Les huit recteurs, qui avaient encore une année
d’exercice, proposaient chacun au bureau un can
didat dont le choix devait être approuvé à la ma
jorité des suffrages. Les noms de ces huit candidats
étaient ensuite présentés à l’assemblée générale des
fondateurs, le jour de la Purification, et l'on votait
au scrutin secret. Le nom du candidat rejeté était
remplacé par un autre que proposait le recteur qui
en avait fait la présentation. La majorité absolue
des voix était toujours nécessaire, et on renouvelait
le scrutin jusqu’à ce que la nomination fût faite
dans la même forme.
Les nouveaux recteurs étaient installés le dimanche
suivant. On faisait dans cette séance la distribution
des emplois. Selon les règles admises dans tous les
hôpitaux de Marseille , chacun des seize recteurs
présidait pendant une semaine le bureau tenu tous
les dimanches.
Deux recteurs, suivant l’ordre du tableau , fai
saient tous les lundis une quête dans la ville.
On ne soignait pas dans l’hôpital les pauvres
1. Règlements pour l’administration de l'hôpital général des pauvres
passants et malades convalescents, Marseille, chez Brébion , 1737,
p. 67 et 68.
�23 —
convalescents qui rechutaient. On les taisait de suite
transporter à YHôtel-Dieu.
On recevait les matelots et les soldats en conva
lescence , moyenant dix sous par jour que le roi don
nait pour les premiers et cinq sous pour les autres. '
L'œuvre des pauvres passants fut long-temps né
gligée. On donnait bien un gîte à ces malheureux,
mais on ne leur fournissait aucune nourriture, de
sorte que le but de la fondation n’était atteint qu’à
moitié. Le 19 février 1758, le bureau délibéra qu’à
l’avenir il serait donné tous les soirs à chaque pau
vre passant étranger de l’un et de l’autre sexe une
soupe et une portion de pain pendant trois jours ,
en conformité des anciens règlements. 2
Gomme on pensait généralement que la multipli
cité des hôpitaux nuisait à l’action de la bienfaisance
publique , il fut question de supprimer l’hôpital des
pauvres passants et malades convalescents et de le
réunir à l’Hôtel-Dieu. Les administrateurs s’en ému
rent. Les hommes en général tiennent, par vanité,
à leur position officielle dont ils exagèrent sou
vent la valeur, et par devoir ils se croient aussi
obligés de veiller à la conservation des choses dont
ils sont les protecteurs légaux , même quand à leurs
1. Mêmes règlements. Passim.
2. Registre des délibérations de 1738. à 1 7 6 6 , séance du 19 fé
vrier 1758.
�propres yeux il y a du doute sur l’utilité de ces
choses. Le 9 avril 1766, François-Marie Roux,
Ferrari, Reynaud et Roman , membres du bureau ,
délégués par leurs collègues, se rendirent auprès de
Ripert de Montclar, procureur-général au parlement
d’Aix , et momentanément à Marseille , pour le sup
plier d’empêcher la réunion. Ce magistrat les ac
cueillit avec bonté et les invita à adresser au comte
de Saint-Florentin, ministre secrétaire-d’état, à de
Laverdy , contrôleur-général, et à l’intendant de
Provence le mémoire qu'ils lui présentèrent en forme
de consultation rédigée par les médecins Joyeuse,
Raymond, de Baux, Mangaud et Arbaud, qui at
testaient la salubrité de l’hôpital et la bonté de
ses eaux.1
Les administrateurs délibérèrent encore de s’op
poser, par tous les moyens possibles, à la suppres
sion de cet établissement. Ils écrivirent à Ripert de
Montclar pour le même objet ; et le 18 m ai, ils
députèrent quatre d’entre eux, Bezaudin , Feraudy,
Roman et Long, auprès de l'évêque et des échevins
pour leur remettre une copie du mémoire.
Toutes ces démarches ne pouvaient être que sans
résultat, car la suppression de l’hôpital des pauvres
passants et malades convalescents de Marseille était
définitivement arrêtée. Au mois de juillet de la même
L Registre îles délibérations de 1766, p. 1 et suiv.
�25 —
année 1766, le roi signa, à Versailles, des lettrespatentes portant réunion de cet hôpital à l’HôtelDieu. Le 13 septembre, les administrateurs de
l’Hôtel-Dieu signifièrent par exploit d’huissier ces
lettres-patentes au bureau de l’hôpital des conva
lescents , et le bureau , incontinent assemblé, dé
libéra de donner pouvoir à Trouillard , agent de
l’hôpital, de faire à ta signification une réponse qui
renfermait quelques objections de pure forme. La
résistance ne pouvait pas aller plus loin. Le bureau
de l’hôpital, dont l’existence propre était finie,
comprit qu’il était de bon goût de s’exécuter sans
trop mauvaise grâce. 1
Dès ce moment, l’Hôtel-Dieu soigna ses malades
en convalescence et logea aussi les pauvres passants.
Le 7 janvier 1767, le bureau fit vendre les bâti
ments de l’hôpital des passants et des convalescents,
aux enchères publiques, et la délivrance en fut
adjugée aux religieuses de l’abbayedu Mont-de-Sion ,
moyennant 81,595 livres. Le 17 du même mois, une
délibération capitulaire approuva cet acte d'achat
qui fut confirmé par l’abbé de Cîteaux, supérieur
de l’ordre. Les dames deSion se pourvurent ensuite
devant le roi. Des lettres-patentes du mois de no
vembre de la même année homologuèrent l’adjudi
cation , en même temps qu elles permirent à l’abbaye
1. Même registre de 1 7 6 6 , p
2
et suiv.
�de Sien de s’établir dans l’hôpital des Convalescents
et de vendre leur ancien monastère qui était situé
près de l’église Saint-Martin. 1
1. Livre trésor P de l’hôpital Saint-Esprit et Saint-Jacques-deG alice, 1768-1777, fol. 2 et suiv. , aux archives de l’Hôtel-Dieu.
�CHAPITRE II.
H Ô P ITA L
Ü A IN T -L A Z A H R
l»O U K L E S
LÉPKELX.
Caractères et ravages de la lèpre chez les anciens. — Ses progrès
pendant les Croisades. — Règlem ent contre les lépreux.— Statuts
marseillais à ce sujet. — Détails sur la léproserie de Marseille. —
Testament de Julien de Casaulx. — Autres bienfaiteurs de l’hôpital
Saint-Lazare. — Ses recteurs. — Dons de la Ville. — Affaiblisse
ment graduel de la lèpre. — Son traitement curatif. — Dépenses
de l’hôpital Saint-Lazare de Marseille. — Derniers lépreux admis
dans cette maison. — On y reçoit quelques incurables. — Réunion
des anciennes léproseries à l’ordre du Mont-Carmel et de SaintLazare-de-Jérusalem. — Opposition des recteurs de l’hôpital SaintLazare de Marseille. — Leur déboutement. — Les échevins de
mandent la possession de cet hôpilal. — Son incorporation à
T Hôtel-Dieu.
La lèpre, qui déploya ses horreurs pendant plu
sieurs siècles , n’est plus connue que dans l’histoire.
Les auteurs du temps la décrivirent assez mal, 1 et
nous croyons qu’elle apparût avec les caractères
particuliers que déterminèrent les circonstances lo
cales et climatériques. Le plus souvent elle couvrait
le corps de pustules et d’une croûte qui formait une
sorte d’écaille sillonnée par des gerçures. Commune
dans la Palestine , elle y fit naître divers règlements
sanitaires. Les lépreux étaient rejetés du sein des
1.
Histoire littéraire de la France,
t. 17,
p.
585.
�enfants d’Israël, 1et ils devaient demeurer hors des
villes, suivant la loi de Samarie. 2 Ce mal hideux ,
qui régna aussi dans l'Égypte, fut, selon toutes les
apparences, inconnu aux Grecs et aux premiers Ro
mains. Montesquieu pense3 qu’il fût apporté en Italie
par les conquêtes des empereurs grecs dans les ar
mées desquels il pouvait y avoir des milices juives
ou égyptiennes. Un capitulaire de Charlemagne re
nouvela contre les lépreux les prescriptions de la
loi Mosaïque. 4 Ces malheureux furent frappés de
mort civile par les lois des Lombards. 3
Les propres du fléau furent arrêtés jusqu’au temps
des Croisades qui le répandirent dans l’Europe en
tière et principalement dans les pays méridionaux.
La prostitution la plus audacieuse gangréna les hordes
indisciplinées que l’esprit d’aventure et l’ardeur des
croyances précipitèrent en Orient. 6 Tout ce que nous
1. Precipe filiis Israël ut dejiciant de Castris omnem leprosum. Numer. Cap. 5. V. 2.
2. Samariæ populo sancitu lex erat ut leprâ infecti extra civitatem
manerent. Flavius Joseph, antiq. Judaïques, liv. 9 , chap. 2.
3. Esprit des Lois, liv. xiv, chap. xi.
4. De Jeprosis , ut se non intermisceant alio populo. Année 789,
Stephanus Baluzius, Capitularia regum francorum. Nova editio. Parisiis, 1780, t. 1 , p. 244.
5. Montesquieu, Esprit des Lois, loco cit.
6. Un grand nombre d’auteurs témoignent de la corruption des
mœurs des Croisés. Voyez ce que dit Vertot des mœurs des chrétiens de
la ville d’Acre , la seule place que les Croisés occupassent à la fin du
xme siècle. Histoire des Chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem, liv. 3.
Les consuls de Marseille en Syrie , à Alexandrie d’Egypte , à Bugie ,
�gagnâmes à la fin des Croisades, dit Voltaire, ce
fut la lèpre, et de tout ce que nous avions pris ,
ce fut la seule chose qui nous resta. 1 Le peu d’usage
du linge et la malpropreté du peuple facilitèrent le
développement de cette contagion horrible.2
Il fallait encore toute l’énergie du pouvoir pour
élever une barrière contre les envahissements d’un
mal qui inspirait le dégoût et l’effroi. Partout, dans
le XIIIe siècle , le lépreux fut retranché du sein de
la société qui le tint pour mort. 3 Si la misère le for
çait à demander ses moyens d’existence à la pitié
publique, il ne pouvait s’approcher de personne et
il annonçait sa présence par le bruit d’une cliquette
de bois. 4 Antonius Arena nous apprend que ce rèetc. , devaient jurer sur l’Evangile de ne pas y envoyer des femmes de
mauvaise vie et d’empêcher que d’autres y en envoyassent. Et dicti
eonsules omnes qui ad partes predictas ire debebunt vel sunt ituri ju
rent ad Sancta dei Evangelia quod nullatenus meretrices mittant vel
mitti patiantur ab aliquo in fundo illius terre cui præerunt stagiam ibi à
dictis meretribus faciendo. Statuta Massil lib. 1 , cap. 1 8 , fol. 19
verso et 20 recto.
1. Dictionnaire philosophique, t. 6 , p. 401 , édition de Baudouin
frères. Paris, 1825.
2. Essai sur les mœurs et l’esprit des nations, chap. 51.
3. Beaumanoir, Coutumes de B eauvoisis, édition de M. B eugnot,
t. 2 , p. 325. — Sur la condition des lépreux, au xm e siècle. Voyez
aussi VHistoire littéraire de France, t. 20 , p. 606 et 607.
4. Histoire de la prostitution chez tous les peuples du monde , par
Pierre Dufour. Paris, 1 8 5 4 , t. 4 , p 345.
�glement de police existait encore de son temps en
Provence. 1
Parmi les règlements faits à Marseille dans le XIIIe
siècle , il en est un qui défendait aux lépreux, qu’on
appelait aussi mezeaux ou ladres, 3 de demeurer
dans la ville plus de huit jours avant Noël et plus
de quinze avant Pâques, de peur que la maladie
ne se communiquât.3 Les habitants de Marseille qui,
hors des temps ci-dessus fixés , donnaient asile à des
lépreux, devaient être frappés d’une peine arbitraire
prononcée par les magistrats municipaux. 1 Ce règle
ment fut emprunté des Lombards.
Cependant le statut marseillais, moins rigoureux
que la loi des Lombards , accordait aux lépreux la
jouissance des droits civils. Défense seulement était
faite aux femmes de cohabiter avec leurs maris at
teints de la lèpre, sous peine de bannissement et
d'exposition publique. Du reste, les médecins esti
maient qu’un lépreux perdait la puissance généra1. A largo, a largo demourant pestiferati.
Me semblant ladros, dum cliquetare soient.
Subtilitas instudiantium , dans le volume ayant pour titre : Antonius
de Arena Provençalis de Bragardissima villa de Soleriis ad suos compagnones, etc. Londini , 1758, p. 26.
2. Mezelli. Statutor. Massil. liv. 5 , cap. 1 5 , fol. 107 verso , aux
archives de la ville. — François d’Aix , dans son commentaire de ce
statut, p. 51 6, appelle les lépreux des ladres.
5. Necontagium possitde tacili sanishom inibusinducere corruptelam.
Statutor M assil., loco cit.
4. Et nihilominus îlle qui dictos leprosos infra muros civitatis Massilie receperit vcl tenuerit puniatur inde arbitrio rectoris vel consulum
.Massilie predictorum Statutos M assil.. loco cit.
�trice. 1 On croyait généralement que son mal se
communiquait non seulement par le contact, mais
encore par la respiration , 2 et même par le regard.
De toutes les innombrables défenses qu’on leur fit
en France , l’une des plus curieuses était, sans con
tredit, celle qui leur enjoignait de ne pas même
regarder dans les puits et les fontaines. 3
De nombreuses léproseries furent fondées en Fran
ce , et s’il faut en croire quelques auteurs qui me
semblent avoir cédé à l’exagération sur ce point, on
en comptait deux mille dans le XIIIe siècle , * toutes
placées sous le patronage de Saint-Lazare. Ces mai
sons étaient situées loin de l’habitation des hommes,
mais pourtant près des grands chemins. 5
La léproserie de Marseille, l'une des plus an
ciennes , remonte probablement à l’époque des pre
mières croisades. Elle était située près le chemin
d’Aix, à une petite distance de la ville. Il y avait
en Provence vingt-six autres léproseries. GLes villes
1. François d’A ix, commentaire cité, p. 517.
2. François d’A ix, ibid5. Rapport au ministre de l’intérieur sur l’administration générale
des hôpitaux et des hospices , première partie, par Ad. de W atteville,
inspecteur général des établissements de bienfaisance. Paris, 1851, p. 1.
4. Bouche le Jeune : Essai sur l’histoire de Provence, t. 1 . p. 186.
— De W atteville, ouv. cité , p. 2.
5. Mézeray. Abrégé chronologique de l’histoire de France. Amster
dam, 1755, t. 5 , p. 179 et 180.
6. Les hôpitaux des lépreux étaient appelés indistinctem ent léprose
ries ou maladreries.
�ou bourgs qui en eurent une furent Aix , Tourves,
Cabriés , Arles , Fourques , Salon , Martigues ,
Tarascon, La Ciotat, Draguignan, Aups, Lorgues,
Fréjus, Grasse, Cannes, Toulon, Soliers, Hyères,
Cuers, Ollioules, Volonne, Riez, Moustiers, Sisteron,
Forcalquier, Manosque. Du moins on n’en citait pas
d’autres à la fin du XVIIe siècle. 1
Le premier titre qui mentionne l’hôpital des lé
preux de Marseille, est une donation de l’année 1210
en faveur des malades de cette maison.2 Gilbert des
Baux, de la famille vicomtale de Marseille, leur laissa
cent sous raimondins couronnés , par son testament
de 1243. Le riche et généreux Julien de Casaulx ,
dans son acte testamentaire du 30 janvier 1394,
prescrivit à l’hôpital Saint-Jacques-de-Galice, auquel
il légua une partie de sa succession , de donner per
pétuellement, le mardi de chaque semaine, quatre
quarterons de vin et un quartier de mouton à l’hô
pital Saint-Lazare , plus un pain à chacun des pau
vres lépreux.3 Plus tard, cette redevance fut réduite
à la fourniture du pain, et en 1480 , nous voyons
1. État général des unions faites des biens et revenus des maladreries, léproseries, aumôneries et autres legs pieux , aux hôpitaux des
pauvres malades, en exécution de l’édit du roi du mois de mars 16 95,
Paris. 1705, in-4°, p. 5 , 4 , 25 et passim.
2. Ruffi. Histoire de Marseille, t. 2 , p. 94.
5. Item volo et ordino ego dictus Julianus de Casalibus, testalor,
pro salute animæ mee acmeorum redemptione peccaminum quod dictum
hospitaie Christi pauperum Sar.cti Jacobi teneatur ac debeat sumptibus
�33 —
rhôpital Saint-Jacques-de-Galice donner tous les
vendredis , douze à seize pains à celui de SaintLazare, suivant les besoins de cette léproserie. 1
Le 12 février 1409, la dame de Montolieu fit un
legs de quatre poules par an aux pauvres lépreux
de l’hôpital Saint-Lazare de Marseille,2 et en 1415 ,
la dame Jeanne de Favas les institua ses héritiers
universels. Toutes les léproseries étaient alors fon
dées et entretenues au moyen de dons et de legs pieux
dont les évêques avaient la surveillance , et l’auto
rité municipale ne s’immisçait pas dans leur admi
nistration. La ville de Marseille nommait seulement,
chaque année, un quêteur pour les pauvres lépreux3
et un commissaire pour les visiter. 1 11 paraît qu’en
1427, la lèpre fit de tels ravages dans cette ville,
qu’on en vint au point d’enlever de force tous ceux
hereditatis mee singulis diebus martis cujuslibet septimane dare per
pétue amore dei pauperibus infirmis domus Sancti Lazari extra muros
dicte civitatis quatuor quartaironas vini et unum quartonum mutonis
inter omnes ac etiam unum panem cujuslibet pauperum eorumdem.
Livre Trésor B de l’hôpital Saint-Esprit de Marseille , 1540-1577, à
la suite de ce registre , aux archives de l’Hôtel-Dieu.
1. Registre KKK des recettes et dépenses de l’hôpital Saint-Jacquesde-G alice, année 1 4 8 0 , fol 75 et 76 recto et verso.
2. Registre des délibérations du bureau de l’hôpital Saint-Lazare de
Marseille , de 1658 à 1 6 7 5 , p. 94.
o. Elemosinarum hospitalis Sancti Lazari questor. R ufli, Histoire de
Marseille, t. 2 , p. 94.
4. Christi pauperum beati Lazari in eo languentium morbo lepre in fectorum visitator. Ruffi , ibid.
TOME II.
3
�34
—
qui en étaient atteints, pour tes enfermer dans l’hô
pital Saint-Lazare, en vertu d’une ordonnance de
Charles, frère de Louis III, roi de Naples, et son
lieutenant-général en Provence. Comme on ne fit
aucune distinction entre tes riches et tes pauvres,
suivant les principes du statut de Marseille, 1 le
notaire Antoine Lombard subit la loi commune.2
Jeanne de Favas supplia, dans son testament,
tes consuls de Marseille de faire un inventaire de
tous tes biens immeubles, meubles et rentes de l’hô
pital Saint-Lazare de cette ville , et d’élire annuelle
ment , pour 1e régir, deux citoyens notables, crai
gnant Dieu et aimant tes pauvres ; et en cas que sa
volonté ne fût pas exécutée dans la suite , elle ap
pelle les consuls en jugement devant Dieu. 3
Les consuls exécutèrent cette disposition, et depuis
lors l’hôpital Saint-Lazare eut deux recteurs nom
més chaque année par le conseil de ville. On nous
a conservé tes noms de quelques-uns de ces recteurs
au XVe siècle. Il n’en est pas un seul qui appartînt
aux classes élevées de la société, et quelques-uns
1. Leprosi vel mezelli divites vel pauperes. Statutor. Massil. lib. 5 ,
cap. 15, fol, 107 verso.
2. Ruffi, loco cit.
5. Ce titre curieux est perdu , mais il paraît qu’il existait encore
vers le milieu du xvne siècle, car un rapport de Negreaux, recteur de
l’hôpital Saint-Lazare de Marseille, le cite, dans le registre des déli
bérations du bureau de cet hôpital, de 1658 à 1 6 7 5 , p. 147 et 1 4 8 ,
aux archives de l’Hôtel-Dieu.
�furent tirés de ses rangs les plus infimes. Nous y
voyons Roberti, fabricant de chandelles ; Caudion
et Gras , marchands; Imbert, François de Beaulieu
et Gavac, pelletiers; Guillaume Farlel, André Payssandi et Daret, merciers ; Antoine Saybone , dit le
bon Catalan , forgeron ; Pierre Bonnet, barbier ;
Bermichetti, Jean Picard, Lambert, Bonel Barelli
et Jacques Descalis, apothicaires; Eusèbe de Masmo,
lainier. En 1447, deux simples ouvriers, Colle et
Blancard , furent aussi recteurs de l’hôpital SaintLazare. Il en est d’autres tels que Dauron, Raulin,
Jean Payan, Thabassi, Broquier, Morlan, Arnulfi ,
Fages, Banile, Balthasar d’Aix, dont la profession
n’est pas indiquée. 1
En 1566, le conseil de ville élut un coadjuteur.
Les recteurs furent Étienne Marquesi et Pierre Gau
tier; le coadjuteur, Gaspar Bois. 2
Aux élections municipales du 28 octobre 1625 , le
conseil remplaça le coadjuteur par un recteur tré
sorier qui fut Balthasar Farrenc , 3 et dès ce moment
1 . Registre des actes de reconnaissance de censes en faveur de l’hô
pital Saint-Lazare de Marseille , du 17 août 1428 au 20 février 1 5 0 8 ,
grand in-folio de 55 feuillets , intitulé : Aquesl libre es de la reconeissensas de l’espilal de Sant Laze, B. Passim , aux archives de l’Hôtel—
Dieu.
2. Registre 7 des délibérations du conseil municipal de M arseille,
du mois de novembre 1562 au mois de juin 1566 , fol. 159 recto, aux
archives de la ville.
3. Registre 53 des délibérations du conseil municipal de Marseille ,
du mois de novembre 1625 au mois d’octobre 1625 , fol. 192 recto et
verso, aux archives de la ville.
�— 36 —
l’hôpital Saint-Lazare eut trois recteurs dont l’un
remplit les fonctions de trésorier. Le nombre des
administrateurs fut, plus tard , augmenté successi
vement, et il était,de douze, parmi lesquels un tré
sorier, à la fin du XVIIe siècle.
Cette maison hospitalière jouissait, dans le XVe
siècle , de quelques censes que lui payaient des
marseillais et des habitants d’Aubagne. En 1 428 et
1429, elle avait un agent nommé Guillaume Brun,
remplacé par Alexis Marquier en 1435. André Audron occupait ce poste quinze ans après. 1
A chacune des grandes fêtes, la ville de Marseille
fournissait à l’hôpital Saint-Lazare un quartier de
viande 2 et lui donnait aussi chaque année une au
mône de vingt-cinq florins. 3 Mais comme le nombre
des pauvres lépreux diminuait sans cesse, la ville
diminua aussi sa libéralité, ou du moins elle la varia
suivant les circonstances. Dans l’exercice adminis
tratif de 1561-1562, elle donna à cet hôpital douze
florins en trois paiements ; 4 elle paya aussi dix-huit
1. Registre des actes de reconnaissance de censes en faveur de l’hô
pital Saint-Lazare de M arseille, grand in-folio ci-dessus cité. Passim .
2. Compte de Melchior M édicis, trésorier des deniers communs de
la ville de M arseille, 1595-1596 , fol. 15 verso et 18 recto , aux ar
chives de la ville.
o. Registre 9 des délibérations du conseil municipal de M arseille,
du mois de novembre 1570 au mois d’octobre 1575 , fol. 158 verso,
aux archives de la ville.
4. Plus dcu la villa per argent que ay pagat au quislon deis poures
ladres de Sant Laze como apar perla Boulleta n° 111, llor. A. Compte
�florins à maître Pierre, procureur des pauvres lé
preux. 1
Dans le siècle suivant, la ville fit à l’hôpital SaintLazare un don annuel et fixe de dix-huit florins
qu’elle supprima vers le milieu de ce siècle 9 par la
raison que cet hôpital n’avait presque plus de ma
lades. La lèpre, en effet, avait à peu près disparu ,
non par le secours de la médecine, toujours impuis
sante contre l'influence meurtrière des grandes ma
ladies épidémiques ou contagieuses, mais par les
progrès de l’aisance et de la civilisation. Le charla
tanisme s’attribuait pourtant une grande puissance.
Au dire d’un historien du Dauphiné , il y avait dans
cette province des arbres qui guérissaient la lèpre
et les ulcères. 3 En 1662, les quelques lépreux qui
se trouvaient encore dans l’hôpital Saint-Lazare de
Marseille, exposèrent aux administrateurs qu’un
prêtre des Martigues, nommé Decroix , savait guérir
leur maladie et les prièrent de l’appeler. Le bureau
l’ayant fait venir , il convint avec lui qu’il traiterait
•
trésoraire de Louis Autran, 15 61-1 562 , in-4" de 17 feuilles en langue
provençale, fol. 7 verso, 8 recto, 11 verso, aux archives de la ville.
1. Plus deu la villa per argent que ay pagat à moussen Peyre pro
cureur per lous paures ladres de Sant Laze como apar perla Boulleta n8
10 1, flor. 6. Même compte trésoraire, fol. 7 recto, 11 recto et 12 recto.
2 . Registre des délibérations du bureau de l’hôpital Saint-Lazare de
M arseille, de 1658 à 1 6 7 5 , p. 145 verso.
3. Nicolas Chorier, Histoire générale du Dauphiné. Grenoble, 1661,
pag. 59.
�38
les pauvres lépreux ; qu'on lui fournirait tous les
médicaments nécessaires ; qu’il serait nourri et en
tretenu dans l’hôpital, et qu’après la guérison des
malades , il serait rémunéré selon ses services. 1Les
titres historiques qui nous fournissent ces renseigne
ments ne disent rien sur le résultat du traité , mais
il paraît que le prêtre Decroix promit beaucoup
plus qu’il ne tint.
Le médecin de l’hôpital Saint-Lazare n’avait que
trente livres de gages, et encore l’administration
trouva-t-elle, le 13 février 1671 , qu’il ne gagnait
pas cet argent, et elle délibéra, en conséquence, de
n’accepter à l’avenir que les services des hommes de
l’art qui consentiraient à soigner les pauvres gra
tuitement. Le docteur Joannis, médecin titulaire,
se soumit à cette condition. Quant aux médicaments,
il paraît que cet hôpital n'en employait pas beaucoup
à la même époque, car le compte de François Lapierre , apothicaire, ne s’éleva, pour deux ans et
demi, qu’à la somme de soixante livres, de laquelle
on en retrancha même douze. 2
La dépense mensuelle de l’hôpital des lépreux
n’était alors, en moyenne, que d’une centaine de
livres.3 II est vrai qu’on n’y voyait entrer qu’à de
t. Registre cité de 1658 à 16 75, p. 7 8 , 79 et 80.
2. Même registre, p. 125, 127 , 128 et 154.
5. Même registre, p .9 5 , 116, 117 et suiv.
�longs intervalles des personnes atteintes de la maladie
cruelle qui avait fait jadis de si grands ravages et
qui ne révélait plus son existence que par des cas
isolés , rares et bien moins violents. Les lépreux
indigents étaient reçus à titre gratuit , mais l’admi
nistration de Saint-Lazare passait avec ceux qui
pouvaient donner quelque chose un contrat notarié
pour stipuler le prix du logement et de la nourriture ,
et ce prix, qui variait suivant la fortune des malades,
était le plus souvent d'une trentaine d’écus payables
par fraction à des époques déterminées. 1
A la fin de 1653, il n’y avait que trois lépreux
dans l’hôpital Saint-Lazare. Le 2 juillet 1661 , on en
reçut un autre nommé Guillaume Aubin , et la femme
Susanne de Goa y entra le 12 décembre de la même
année. En 1662, nous ne voyons qu’une seule admis
sion , celle de Jean-Honoré Ricard. En 1663, le
nommé Barthélemy Ricard et la femme Jeanne Ger
maine furent aussi reçus comme atteints de lèpre. 2
En 1664 , deux autres individus, Bernard et Paul,
y entrèrent aussi saisis du même mal. 3 Les anciennes
archives de cet hôpital ne conservent aucune trace
1 Voyez aux archives de l’Hôtel-Dieu plusieurs actes de cette nature.
2. Même registre, p. 1 5 , 1 8 , 2 6 , 40. — Rapport des médecins
Casagneuve et Granier, et des chirurgiens Lambert et Chyneau, sur
l’état de maladie de Jeanne Germ aine, du 24 août 1 6 6 3 , dans un dos
sier de diverses pièces concernant l'hôpital Saint-Lazare,aux archives
de l’Hôtel-Dieu.
�40
d’admissions postérieures. Le bureau délibéra alors
de donner aux pauvres lépreux quatre livres de
glace par jour, « attendu, dit-il, que cela a été
» jugé nécessaire à leur santé. » 4 On leur distribuait
aussi une livre de sucre par mois 2 et cinq sous par
jour, bien qu’ils fussent nourris dans la maison. 3
Le jour de saint Jean , l’administration donnait, de
plus, aux pauvres de cet hôpital, la somme de
quinze livres qu’ils se partageaient entre eux. i
Le 5 octobre 1653, le bureau avait pris une déli
bération portant que l’hôpital « n’ayant pas nombre
» de lépreux pour consommer entièrement les rentes
» et revenus d’icelui, on pourrait recevoir des pau» vres atteints de maladies incurables pour être
» nourris du reste desdits lépreux. » 5 Le 4 janvier
1654, le premier consul de Marseille, Antoine de
Félix, sieur de la Reynarde, communiqua cette déli
bération au conseil des trois cents qui l’approuva
sans réserve. 6 Cependant cette affaire fut oubliée et
on ne la reprit qu’en 1657, à la sollicitation de quel
ques hommes pieux et de plusieurs personnages con1. Registre cité , p. 47 verso.
2. Même registre, p. 27.
5. Même registre , p. 25 verso.
4. Même registre, p. 96.
5. Même registre, p. 11.
6. Registre 54 des délibérations m unicipales, du mois de novembre
1655 à la fin d’octobre 1654, fol. 1 1 2 , aux archives de la ville de
Marseille.
�siclérables. Tous les détails d'exécution lurent fixés
par un acte du 27 septembre, passé sous le bon
plaisir de l’évêque , entre les consuls Louis de Yento ;
Jean-Baptiste de Marquesi, écuyer, et Jourdan Fabre,
d’une part; et les recteurs de Saint-Lazare, Antoine de
Riquetti, sieur de Negreaux ; Jean Arnaud , écuyer ;
Étienne Benoît, bourgeois, et Léonard Roque , mar
chand. Il fut dit que les pauvres incurables seraient
logés dans un quartier de cet hôpital distinct et sé
paré de celui des lépreux ; qu’on ne pourrait recevoir
plus d'incurables que les revenus de la maison ne
le permettraient, et que les lépreux seraient tou
jours préférés à ces incurables dans le cas où,
plus tard, les revenus de la maison ne suffiraient
pas. On ajouta que les recteurs conserveraient tous
leurs droits administratifs sur les uns comme sur les
autres. 1
En vertu de cet accord, l’hôpital Saint - I^azare
reçut quelques incurables, et le 16 mars 1668 , il
admit aussi un muet. 2
Dans plusieurs villes de France, l’administration
des léproseries avait engendré des abus que plusieurs
ordonnances de nos anciens rois cherchèrent à ré1. Registre 57 des délibérations m unicipales, du mois de novem
bre 1656 à la fin d’octobre 1657 , loi. 585 et suiv. , aux mêmes
archives.
2 . Registre des délibérations du bureau de l’hôpital Saint-Lazare de
Marseille , de 1658 à 1675, p. 25 et 108.
�42 —
primer, sans pouvoir y réussir. 1 Deux tentatives de
réforme entreprises par Henri IV et Louis XIII furent
également impuissantes. Louis XIY, voyant que les
hôpitaux des lépreux restaient sans destination po
sitive , les unit, par édit du mois de décembre 1672,
à l’ordre de Notre-Dame-du-Mont-Carmel et de SaintLazare-de-Jérusalem auquel il attribua tous leurs
biens. 2 Toutes les démarches que les échevins de
Marseille avaient faites pour obtenir une exception
en faveur de l’hôpital Saint-Lazare de cette ville res
tèrent impuissantes. 3
Les recteurs de cet l’hôpital n’en résistèrent pas
moins à l’exécution de l’édit. Le 26 janvier 1674 ,
ils délibérèrent d’envoyer à Me Héron, avocat au
parlement de Paris, et au procureur Creuset, tous
les documents nécessaires pour soutenir les droits de
1. Ordonnances de François Ier, du 19 décembre 154-3, 19 mai 1544,
15 janvier 15 45, 26 février 1546. Lettres-patentes du môme prince ,
du 20 juin 1546. Ordonnances de Henri II, du 2 février 15 5 3 ; de
François II, du 25 juillet 1560 ; de Charles IX , du 14 août 1585 et du
8 mars 1 5 8 7 , e tc ., dans Fontanon , édits et ordonnances traitant
de la police sacrée, t. 4 . Passim.
2. Voyez cet édit à la suite de l’état général des unions faites des
biens et revenus des maladreries , léproseries, aumôneries, e tc ., aux
hôpitaux des pauvres malades. Paris, 1705, in -4u.
3. Voyez deux lettres écrites par les échevins de Marseille le 24
juillet 1668, la première à Bonin, député de cette ville à la cour; la
seconde à Chariot, avocat au conseil du roi , dans le registre I des
copies des lettres desdits échevins, du 6 novembre 1640 au 16 juillet
1669, aux archives de la ville.
�— 43 —
cette maison contre les chevaliers du Mont-Carmel.1
Deux de ces recteurs, de Gréaux et de Gandolle,
allèrent à Aix pour faire une consulte et reçurent
chacun du bureau dix-huit florins pour leurs frais et
débours. 2 Nicolas de Joinville, commissaire de la
marine , procureur de Michel Letellier, secrétaired’état, grand vicaire-général de l’ordre du MontCarmel , ne se mit pas moins en possession de l’hô
pital par exploit de Laufrèze, huissier, le 7 août
1675.3
La chambre royale, établie pour juger les affaires
concernant l'ordre du Mont-Carmel, rendit, le 21
août 1674 , un arrêt qui débouta de leur opposition
les recteurs de la maison Saint-Lazare de Marseille
qui avait alors dix-sept incurables et un seul lépreux.
Les échevins se pourvurent, au nom de la ville ,
contre cet arrêt, sans obtenir plus de succès. *
1. Registre des délibérations du bureau de l’hôpital Saint-Lazare de
M arseille. de 1658 à 1 6 7 5 , p. 139.
2. Même R egistre, p. 146.
5. Rapport de M. de Negreaux , recteur, dans le même registre,
p. 147 et 148.
4. Voyez dans les registres des copies des lettres des échevins de
Marseille la lettre écrite le 29 mars 1674 à Monory, agent de cette
ville à Paris; une autre lettre écrite au même le 11 septembre 1674;
les lettres du 20 août, 14 septem bre, 2 novembre, 3 décem bre, 7 et
17 du même mois à Cordier, assesseur de M arseille, à Paris; la lettre
du 3 décembre de la même année à B inot, avocat au conseil ; celle
du 4 janvier 1676 à Cordier; celle du 11 du même mois au chevalier
Barnier, à Paris; enfin, celle du 3 mars de la même année à Villeneuve , agent de la com m unauté, à Paris.
�Les revenus annuels de l’hôpital étaient alors de
1,638 livres, et il fallait prélever sur cette faible
somme les frais de diverses fondations, les salaires
d’un prêtre, d'un quêteur et des domestiques. 1 Les
chevaliers du Mont-Carmel ne donnèrent que cinq
sous par jour à chaque malade. Cette rétribution
suffisait pour l’achat de deux pains , d’une demi
livre de viande et d’un demi pot de vin ; mais il ne
restait rien pour l’huile, le bois et les autres choses
nécessaires au service hospitalier. 2
Au mois de janvier 1692, les échevins revendi
quèrent , dans un placet au roi, la possession de
l’hôpital Saint-Lazare. 3 Quelques mois après , ils
écrivirent à Machet , commandeur de l’ordre du
Mont-Carmel, pour le supplier d’y consentir. 1L’ordre
dès-lors n’insista plus et l’union fut révoquée par un
édit du mois de mars 1693. 5
1. Lettre des échevins de Marseille à Binot, avocat au conseil du
roi, du 1er juin 1677 , dans le registre des copies des lettres de ces ma
gistrats, du 28 mars 1676 au 12 septembre 1 6 7 7 , aux archives de la
ville.
2. Lettre des échevins de Marseille à Villeneuve, à Paris, du 6 fé
vrier 1677, dans le registre des copies des lettres, du 28 mars 1676
au 12 septembre 1677.
o. Lettre des échevins au m êm e, du 30 janvier 1 6 9 2 , dans le regis
tre du 11 avril 1687 au 16 juin 1692.
4. Lettre des échevins à Machet, du 18 juillet 1 6 9 2 , dans le registre
du 2 juillet 1692 au 11 avril 1696.
5. Traité de la police par Delamare , 2e édition. Paris , 1722 , t. 1 ,
p. 640 et suiv. — Annales de la Charité, 10e année , 3e livraison, 31
mars 1854 , p. 74 et suiv.
�Depuis long-temps THôtel-Dieu de Marseille , qui
fournissait toutes les semaines , en vertu d’anciens
accords , sept livres de viande et quatre pots de vin
à Fhôpital Saint-Lazare, sollicitait Taffranchisse
ment de cette obligation, 1 et demandait même que
cette maison lui fût unie. Le conseil municipal,
dans sa séance du 3 mai 1654, s’était occupé de
cette demande 2 qui fut remise en discussion le 10
octobre de l’année suivante. 3 L’affaire n’eut pour
tant pas de suite, et l’hôpital Saint-Lazare ne fut
incorporé à l’Hôtel-Dieu que par arrêt du conseil du
3 août 1696, suivi de lettres-patentes du roi , du
mois d’octobre de la même année. 1
t. Livre F des délibérations du bureau de l’hôpital Saint—Esprit et
Saint-Jacques-de-G alice, du 2 novembre 1684. au 2S août 16 92, fol.
29 verso, aux archives de l’H ôtel-Dieu.
2 . Registre 54 des délibérations municipales, du mois de novembre
1653 à la fin d’octobre 1564, fol. 352 recto , aux archives de la ville.
3 . Registre 55 des mêmes délibérations, du mois de novembre 1654
à la fin d’octobre 1 6 5 5 , fol. 192 verso, aux mêmes archives.
4. Mémoire sur l’établissem ent, les revenus , les charges , dépenses
et dettes de l’Hôtel-Dieu de M arseille, du 16 février 1750, dans le re
gistre des délibérations du bureau de cet hôpital, du 29 novembre 1741
au 31 décembre 1 7 5 0 , aux archives de l’Hôtel-Dieu.
�CHAPITRE III.
H O P ITA L
S A IN T -L A Z A R E
POUR
LES
IN SENSÉS.
Le sort des aliénés chez les anciens. — Leur situation à Marseille.
- Fondation du prêtre Garnier. — La ville entre en possession de
l’ancienne léproserie Saint-Lazare. — Règlem ent pour le nouvel
hôpital. — Le peuple réprouve cette maison. — Traitement cruel
auquel les insensés sont soumis. — L’hôpital Saint-Lazare sert
aussi de prison d'état. — Divers détails sur les prisonniers. —
Situation financière de la maison — Secours que la ville lui
accorde. — Chiffre d’admission des aliénés. — Amélioration du
sort de çes malheureux. — On travaille enfin à leur guérison.
— Agrandissement de l’hôpital Saint-L azare. — Le projet de
transporter ce servive ailleurs n’a pas de suite. — Aperçu sur ses
recettes et ses dépenses. — L’hôpital pendant la révolution.
De toutes les calamités qui affligent l’espèce hu
maine, la folie est la plus terrible. Ce bouleverse
ment de l’intelligence qui altère ou éteint la vie
morale et dont les hommes les plus sages et les plus
éclairés ne sont pas à l’abri, donne à la plus incom
préhensible des maladies un caractère qui inspire
l’effroi et la pitié.
Les anciens n’avaient sur la folie que des notions
superstitieuses, et tout ce que je puis en dire, c’est
que le sort des aliénés fut affreux pendant bien
long-temps. Compâtissante pour les autres maux ,
la pitié publique ne fit rien pour les maladies de
�l’âme, et les maisons des fous ne vinrent que fort
tard dans l’histoire des établissements de bienfai
sance. 1
A Marseille, comme ailleurs, la situation des in
sensés variait suivant leur rang et leur fortune. Les
grands étaient séquestrés dans leurs terres ; les per
sonnes aisées trouvaient des cloîtres , des asiles
isolés, d’obscurs réduits sous le toît paternel. Mais
les pauvres, vils objets de curiosité pour les uns,
de moquerie pour les autres et d’aversion pour le
plus grand nombre, erraient sur les voies publiques.
Quelques furieux, jetés dans des maisons de force
où ils se trouvaient confondus avec des prostituées
et des malfaiteurs, y traînaient leur vie dans un
état d’abjection, de misère et de malpropreté dé
goûtante.
Ce fut dans ces circonstances qu’un prêtre de
Marseille , nommé Antoine Garnier, réunit chez lui,
en 1671 , quelques aliénés moyennant une pension
que payait leur famille. Cette fondation donna l’éveil
aux échevins , lesquels voulant mettre un terme
aux plaintes qui s’élevaient contre les fous pauvres
et vagabonds , conçurent le projet de les faire arrêter
et de les réunir aux pensionnaires de Garnier. Deux
vieilles maisons furent appropriées hors la ville et
1. Des aliénés. Considération sur l'état des maisons qui leur sont
destinées tant en France qu’en Angleterre. Par Ferras , médecin de
l’hospice de Bicètre. P aris, 1734., p . 411.
�— 48 —
l'on y opéra la fusion des malades en 1692. Garnier
eut la direction de cette petite communauté de seize
personnes.-Les échevins convinrent avec lui qu’il
pourvoirait à l’entretien et à la nourriture des aliénés
indigents, moyennant dix sous par jour, à la charge
de la ville, et cette dépense fut réglée à 1,590 livres
le 15 octobre de la même année.4
Le nombre des malades alla toujours en augmen
tant et leur asile devint trop étroit. L’évêque et les
échevins proposèrent alors aux administrateurs de
la Charité de se charger du soin des fous et de les
enfermer dans cet hospice, à condition qu’on leur
céderait la maison et les revenus de Saint-Lazare. Le
3 juin 1694, les administrateurs rejetèrent cette
proposition, les avantages ne leur paraissant pas
compenser les embarras et les charges. 2 L’évêque
et les échevins pensèrent dès-lors à ériger l’œuvre
des insensés en hôpital et à disposer , pour cette
destination, de la maison Saint-Lazare elle-même.
Le 14 juin 1698 , ils entrèrent en possession de l’an
cienne léproserie, en vertu d’un accord passé avec
les recteurs de l’Hôtel-Dieu. Il fut dit que la ville
en payerait le prix suivant l’estimation qu’en feraient
les sieurs Druzet et de Léon , experts nommés par
1. Registre 94 des délibérations municipales , du mois de novembre
1G91 à la fin d’octobre 16 92, fol. 202 recto, aux archives de la ville.
2. Registre 9 des délibérations des recteurs de l’hôpital général
de la Charité de Marseille, p. 2 1 9 , aux archives de l’H ôtel-Dieu.
�— 49 —
l intendant de Provence le 9 juillet suivant. Ce prix
fut fixé à 12,900 livres pour les bâtiments de l’hô
pital ainsi que pour ses dépendances, et à 2,000 livres
pour l’église. On stipula que la communauté garde
rait cette somme de 14,900 livres à constitution de
rente, au denier vingt, en faveur de l’Hôtel-Dieu.
Le 1er août 1702 , les recteurs de cet hôpital, Pierre
Caradetde Bourgogne, Joseph Borelly, Jean Jouvène,
Léon Allamcl, Pierre de Cabre de Roquevaire, An
toine Rimbaud et François Sabollin , remirent défi
nitivement la maison Saint-Lazare à la ville de Mar
seille , représentée par Vincent Martin, Pierre Sigaud,
Étienne Rolland et Jean Barthalon , échevins. 1
Dès le mois de juillet 1698, la ville avait appro
prié à sa nouvelle destination la maladrerie SaintLazare, édifice incommode et sombre, sur lequel le
temps avait exercé ses ravages. Chaque chambre,
percée d’une étroite ouverture, fut fermée d’une
lourde porte armée d’énormes verroux. Une longue
chaîne de fer fut suspendue à côté de chaque lit
dont les pieds scellés dans la pierre assurèrent l'im
mobilité. Le maçon Joseph Joubert, auquel les tra
vaux de réparation avaient été adjugés aux enchères
publiques, 2 reçut de la ville 5,816 livres le 5 mars
1. Acte de vente du 1er août 17 02, dans le livre trésor de l’HôtelDieu de M arseille, années 1687 à 17 03, p. 323 et suiv.
2. Registre 100 des délibérations m unicipales, du mois de novem
bre 1697 à la (in d’octobre 1698 , fol. 216 verso et su iv ., aux archives
de la ville.
TOME II.
4
�1699.1 et au mois d’octobre de la même année , la
ville paya une autre somme de 2,845 livres pour le
solde dû à Imbert, et pour des ouvrages faits par le
serrurier Malezon et par le peintre Antoine Yeirier. s
Les échevins rédigèrent des règlements pour l’administraiion du nouvel hôpital, et au mois d’avril
1699 , des lettres-patentes du roi confirmèrent l’éta
blissement , à condition qu’on chanterait tous les
jours dans son église le verset Domine, salvum fac
regem. 3
Ces lettres-patentes approuvèrent le règlement fait
par les échevins Colomb , Fabre , Bruny et David ,
et comme quelques années après il parut insuffisant,
le bureau de l’hôpital, tenu le 15 mai 1729, adopta
vingt-six articles additionnels pour mieux fixer les
droits et les devoirs des employés subalternes de la
maison.
Les recteurs, au nombre de douze, servaient deux
ans , et le conseil municipal en nommait six chaque
année , de sorte que leur bureau se renouvelait an
nuellement par moitié. i
1. Registre 1 0 1 des délibérations, de 1698 à 1 6 9 9 , fol. 165 verso
et 156 recto et verso.
2. Même registre 101 , fol. 596 recto.
5. Registre des délibérations du bureau de l’hôpital des Insensés de
Marseille, de 1699 à 1726, partie sans pagination chiffrée.
4. Réglement de l’hôpital des Insensés de cette ville de M arseille,
chez Brebion , 1729 , in-8° de douze pages.
�Ces règlements étaient fort convenables ; mais de
nombreux abus remplacèrent clans l’application jour
nalière les prescriptions protectrices qu’on ne con
sidéra plus que comme une lettre morte , et les rec
teurs eux-mêmes négligèrent leurs devoirs , à tel
point qu’au lieu de se réunir en bureau tous les di
manches , comme ils en avaient l'obligation , ils ne
tinrent séance qu’à de grands intervalles. 1
L’hôpital Saint-Lazare n’eut que des commence
ments bien pénibles. Le 30 janvier 1699, le prêtre
Garnier y conduisit treize hommes et seize femmes ,
c’est-à-dire tous les malades que la ville lui avait
confiés, et tel fut le noyau du nouvel établissement.
L’hôpital ne conserva que les aliénés pauvres, et il
admit gratuitement tous ceux qui lui furent présentés
sur un billet des échevins. Mais il ne tarda pas à
recevoir aussi quelques malades payants , car le 16
décembre 1699, le bureau délibéra d’admettre un
insensé moyennant la pension annuelle de trente-six
écus, 2 et le prix de ces admissions varia beaucoup
dans la suite. 3
Le service des aliénés coûta 5,573 livres à la ville
de Marseille en 1698, i 4,260 livres en 1699, 5
1. Voyez tous les registres des délibérations du bureau.
2. Registre des délibérations de 1699 à 1726, p. 6.
3. On reçut des aliénés pour seize livres par mois, d’autres pour dix
livres , d’autres enfin pour trois livres seulem ent.
4. Registre 100 des délibérations municipales , du mois de novembre
1697 à la fin d’octobre 1698, fol. 316 verso.
3. Registre 101 des délibérations municipales , fol. 396 recto.
�4,700 en 1700 , 1 3,000 en 1701 , 2 et 320 livres
seulement en 1702. 3
Garnier continua d'avoir quelques pensionnaires.
Mais son repos fut troublé par les exigences des
recteurs de l’hôpital Saint-Lazare qui voulurent lui
faire fermer son établissement. Le parlement d’Aix
prit sa défense et condamna de plus cet hôpital à
lui payer une somme arriérée qu’il lui disputait. Le
public épousa chaudement la cause de Garnier. Il
ne voyait qu'avec effroi la réclusion des fous ; il fré
missait au bruit de leurs chaînes. Un peuple compa
tissant, toujours porté par ses instincts de généro
sité à défendre le faible contre le fort et à déclarer
bonne guerre à tout ce qui ressemblait à l'oppres
sion , ne cessa de maudire l’hôpital Saint-Lazare.
La réclusion des fous lui paraissait une fatale ins
piration du despotisme, un assassinat moral. Les
familles les plus pauvres refusèrent de conduire leurs
malades à l’hôpital, préférant pour eux une misère
indépendante à une captivité ignominieuse.
Au reste , ce n’était pas sans motif qu’on se pre
nait ainsi d’une pitié si vive pour des malheureux
enfermés dans un hideux hôpital, sépulcre du moyenâge où tant de cadavres vivants étaient venus s’en
sevelir. L’intérieur d’une maison de fous émeut le
1. Registre 103 des délibérations m unicipales, fol. 22 recto.
2. Registre 101 des mêmes délibérations, fol. 18 recto.
3. Registre 103 des mêmes délibérations, fol. lo recto.
�— 53
cœur des hommes sensibles. Peut-il y avoir sous le
soleil des infortunes plus grandes ? La raison dont
nous sommes si fiers s’affaisse sous le poids de l’hu
miliation à la vue d’un malheureux tombé plus bas
que la brute , parce que l’instinct même ne le guide
pas. La voilà donc cette intelligence humaine qui
peut s’élever si haut, la voilà qui se précipite dans
un abîme de dégradation et de misère. Comme les
images s’accumulent dans ce pauvre cerveau, er
rantes et fantastiques ! Comme les pensées le tra
versent, tantôt comme des nuages, tantôt comme
des éclairs ! Ame immatérielle, quels secrets redou
tables caches-tu donc à nos regards? Où te retires-tu
chez nous quand le plus mystérieux de tous les dés
ordres s’empare de ton étroit et périssable séjour?
Ah ! maintenant, du moins , les insensés n’éprou
vent, pas des traitements barbares. Il n’en était pas
ainsi autrefois. On ajoutait des rigueurs inutiles aux
inévitables rigueurs de la nature et du destin. Spec
tacle affreux ! Tortures affligeantes ! On voyait là des
créatures humaines, captives, comme des animaux
féroces, dans des loges humides et sombres; on les
voyait chargées de fers douloureux, couchées sur une
paille infecte et forcées au silence par des coups
redoublés lorsque le cri du délire fatiguait l'oreille
de leurs gardiens. 1
1. Documents statistiques sur les hôpitaux et hospices civils et mi
litaires de Marseille. 182o-1834.. M arseille, typographie de Scnôs, in
fol., p. 76.
�— 54 —
Ce n’est pas tout. L’hôpital des fous de Marseille
servait aussi de prison d’état, et le pouvoir arbi
traire y fit gémir plusieurs de ses victimes. Le des
potisme ministériel, couvert du manteau royal ,
s’enivrait en France de ses succès. Sous Louis XV,
chez le comte de Saint-Florentin, on prodiguait les
lettres de cachet et même on les vendait quelquefois.
Le moindre caprice d’un commis envoyait à Cayenne
les citoyens qui lui déplaisaient. 1 Dès 1716, un
homme, dont il paraît qu’on avait changé le nom,
fut enfermé , par lettre de cachet, dans l’hôpital
Saint-Lazare de Marseille , et y mourut bientôt ina
perçu. Dans le cours d'une trentaine d’années , cet
hôpital où les plaintes de la faiblesse et de l’innocence
étaient étouffées au milieu des cris délirants du dés
espoir et de la fureur, reçut, soit en vertu de lettres
de cachet, soit en exécution d’arrêts du parlement
d’Aix, Louis Bérenguier, propriétaire cultivateur du
quartier des Camoins; François Monier, garçon tail
leur, de Pezenas ; la dame Jeanne-Marie Beaumond ,
de Marseille; Paul Jaubert, de Roquebrune; l’irlan
dais Brian ; Jean-François Negrel , de Marseille ;
1. Comte de Ségur. M émoires, ou souvenirs et anecdotes. L'aids,
1826 , t. 2 , p. 255.
Les publicistes étrangers avaient tous la même opinion sur la mo
narchie française. Bielfeld déclare que le pouvoir des premiers minis
tres en France n’était guère moins grand que celui des grands visirs
à la Forte. (Institutions politiques, t. o , p. 125 et 12 6 J. Blackstone,
voulant offrir deux modèles de gouvernement despotique, cite la France
�Joseph Raymond, de la même ville ; Isabeau Rambert,
de Toulon; Ambroise Barthélemy, du Castelet ; le
prêtre Guillaume Fabre , de Bargemon ; Joseph Bau
det , la dame Élisabeth Rambert, une autre dame
appelée de Mouriez, Joseph Audossans, Jean-Baptiste
Pelletier, Sauveur Bec, Cyprien Angevin, d’Aix ;
François Ricard, Pierre Julien, Augustin Gérard,
Joseph Cart. 2 A dater de 1745 , les noms des pri
sonniers ne sont plus écrits dans les registres de
l’administration. On les mentionne d’une manière
générale sans désignation personnelle. Les directeurs
sortant de charge se bornent à recommander aux
directeurs entrant ,. de ne laisser sortir les détenus
que sur un ordre des puissances qui les y détiennent.
Rien de plus révoltant que cet abus de la force. Il
n’en fallait pas davantage pour faire perdre la raison
à des hommes qui jouissaient de la plénitude de
leurs facultés intellectuelles , et le pauvre prêtre
Fabre fut atteint de folie dans ce séjour d’horreur.
Le 23 avril ! 775, le maire , les échevins et l’as
sesseur écrivirent au bureau de l’hôpital : « Notre
» officier de garde vous consignera le sieur Lablact la Turquie. Who might then , as in France or Turkey . imprison .
dispatch or exile any man that was obnoxious tôt he governm ent, by
an instant déclaration that such is their will and pleasure. (Comnientaries on the laws of england. Book 4 , ch. 2 7 , § 5 .)
2. Registre des délibérations du bureau de l'hépital Saint-Lazare ,
1727 à 1759. Passim.
�» che. Nous vous prions de le faire renfermer dans
» une des chambres les plus sûres et les plus ho» nôtes de votre hôpital. A l’égard de la nourriture,
» vous lui donnerez une portion égale à celle de
» vos officiers. Sur toutes choses , nous vous recom» mandons de ne permettre à qui que ce soit de
» parler audit sieur Lablache, d’être sûr du doines» tique qui en aura soin , et de ne lui donner ni
» encre ni papier. » 1
Quel était donc ce détenu , objet d’une si grande
attention et d’une surveillance si sévère? Le nom seul
nous en est connu. Les archives de l’hôpital SaintLazare le rangent au nombre des fous, mais ce n’est
pas une raison pour qu’il le fût réellement, car ces
archives, qui n’ont que trop couvert des iniquités
ténébreuses, portent de nombreux témoignages du
despotisme et du mensonge.
En 1784, on voyait à Saint-Lazare un vieux pri
sonnier à barbe blanche tombé dans un état de
démence , probablement à la suite de sa longue
détention et de l’affreux contact des aliénés avec
lesquels on l’avait forcé de vivre.
Quelques prisonniers parvinrent à tromper la vigilence de leurs gardiens et purent ainsi s’évader.
Joseph Audossan et Cyprien Angevin furent du nom1. Registre des délibérations de 1769 à 17 89, séance du 25 avril
1775, sans pagination chiffrée.
�bre. Le 16 mars 1736, Joseph Baudet s'évada,
favorisé par Jean Durbec qui s’était aussi évadé
depuis environ quinze jours. Le 30 mars 1758, le
nommé Pierre Bonpard, ancien soldat, se sauva par
les murailles du jardin après avoir profité de la
nécessité où on s’était trouvé de le laisser sans
chaînes , parce que ayant voulu , quelque temps au
paravant, se débarrasser de ses fers pour prendre
la fuite , il s’était démis le poignet et le pied en
franchissant un mur. 1 Dans la nuit du 27 au 28
juillet 1775, Tranche, ancien soldat dans le régi
ment de Tournésy, se fit assister de trois de ses an
ciens camarades et se rendit avec eux à l’hôpital
Saint-Lazare pour y délivrer le nommé Farde qui
avait servi dans le même régiment. Les chaînes de
Farde furent brisées, mais il ne voulut pas profiter
de la liberté, parce qu’il craignait sans doute d’être
repris et qu’il espérait d’obtenir bientôt sa délivrance
d’une manière légale, son état de santé s’étant amé
lioré. Les soldats insistèrent pour l’amener avec eux;
il résista, et ceux-ci, ne voulant pas être venus pour
rien , entreprirent alors d’en délivrer un autre.
Un détenu , appelé Bonifay, secouait violemment
ses chaînes. Les soldats lui demandèrent s’il était
fou. Il répondit qu'il n’en était rien , mais que son
père l’avait fait enfermer pour lui avoir manqué.
I . Registre des délibérations de 1727 à 1768, sans pagination chiffrée.
�— 58 —
Cela étant, répliqua un de ces soldats, je suis d’avis
de lui donner un coup de main. Ils enfoncèrent
aussitôt la porte, et grâce à eux, le prisonnier,
brisant ses fers, les emporta comme un trophée en
suivant ses libérateurs. 1
Lablache s’évada le 2 juin 1776. Un autre dé
tenu , nommé Paves , de Toulon, parvint aussi, le
4 octobre 1778 , à trouver sa liberté dans la fuite. *
Les finances de l'hôpital Saint-Lazare furent tou
jours dans une situation très-mauvaise. et les malades
eurent beaucoup à souffrir de cette pauvreté. Les
étrangers à la ville devaient être renvoyés à leurs
communes respectives, aux dépens de celles-ci, cha
cune d’elles étant obligée, par les ordonnances des
rois de France et par les arrêts du parlement d’Aix,
de nourrir ses pauvres et de garder ses fous. En
1708, un arrêt du parlement obligea les communes
à payer annuellement une pension alimentaire de
cent livres pour ceux de leurs aliénés qui seraient
admis à Saint-Lazare. Cette pension fut augmentée
plus tard, et la ville de Toulon, qui envoyait ses in
sensés à l’hôpital Saint-Lazare de Marseille, lui
payait la somme de 270 livres pour chacun d’eux.
C’était, de toutes les communautés provençales ,
celle qui avait le plus d’aliénés proportionnellement
1. Registre cité de 1769 à 1789.
2, Même registre.
�59 —
à sa population. 1 Les familles cle Marseille , dont,
l’indigence n’était pas constatée, traitaient avec les
recteurs de Saint-Lazare pour le prix de la pension
de leurs malades. La ville accorda d’abord 4,000
livres à cet hôpital ; mais les arrêts du conseil-d’état,
du 9 novembre 1749 et du 22 décembre 1767 , ré
duisirent la subvention à 3,000 livres. 2 Ces moyens
suffisaient à peine à l’entretien des aliénés. Les com
munes remplissaient négligemment leurs obligations,
si bien qu’à force de délais et de refus elles parve
naient quelquefois à se déclarer libres du joug que
la nécessité leur avait imposé. L’hôpital Saint-Lazare
recevait des aumônes de l’abbaye Saint-Victor; il
avait le produit de l’émondage et de l’abatis des
arbres du Cours et des autres promenades publiques.
Ce droit, qui remontait au temps de l’ancienne lé
proserie, 3 n’olfrait qu’une bien faible ressource. Le
15 mai 1757 , le bureau délibéra d’établir toutes les
pensions sur le pied de 250 livres par an. 4
1. La ville de Toulon avait vingl-cinq fous à l’hôpital Saint-Lazare
de Marseille en 1776, et lui payait en conséquence 6,750 livres. Voyez
les lettres-patentes du roi, portant règlement pour la municipalité de
la ville de Toulon, données à Fontainebleau le 1er novembre 1776. Aix ,
chez Esprit David, 1777, p. 26.
2. État des sommes dont le roi, en son conseil , a permis et permet
aux échevins de Marseille d’ordonner le paiem ent, etc., dans le recueil
d’édits, arrêts du conseil et règlements sur la municipalité de Marseille,
17 72, p. 77 et 118.
3. Registre des délibérations de 1769 à 1789.
4 . Registre des délibérations de 1727 à 1768.
�— 60
Mais de nouveaux besoins se firent, bientôt sentir.
En 1761 , les directeurs de l'hôpital Saint-Lazare
supplièrent l’administration municipale de couvrir
l’excédant de leurs dépenses qui s’élevait à 4,321
livres, et le conseil de ville vota , le 28 décembre,
un secours extraordinaire de 4,000 livres une fois
payées. 1 Le 24 octobre 1763 , il alloua à cet hôpital
une somme semblable, toujours en sus de la sub
vention ordinaire. 2
A la fin de 1767, la caisse de la maison SaintLazare était non seulement vide, elle devait encore
à l’ancien trésorier les avances qu’il avait généreu
sement faites sur ses propres fonds. Le 3 janvier
1768 , les recteurs envoyèrent des députés aux éclievins pour leur représenter cette situation alarmante.
Les échevins répondirent qu’ils ne pouvaient rien
par eux-mêmes et qu'il fallait s’adresser à la com
mission instituée à Aix pour les affaires concernant
les hôpitaux de la province. Les recteurs se trans
portèrent aussitôt auprès d’elle pour solliciter des
secours sans lesquels l’hôpital fléchissait sous le poids
de ses charges. Sur ces entrefaites , le conseil muni
cipal de Marseille, pressé par de vives instances,
vota, le 28 mars 1768, en faveur de l’hôpital Saint1. Registre 102 des délibérations m unicipales, année 1761, fol. 73
verso et 74- recto, aux archives de la ville.
2. Registre 174 desdites délibérations, année 17 63, fol. 81 verso
et 82 recto.
�Lazare, un nouveau subside de 4,000 livres , sans
tirer à conséquence. 1
Cet hôpital duquel la charité publique se détour
nait, et qui, de tous les établissements hospitaliers
de Marseille , fut le seul qui ne reçut ni dons ni
legs , se vit dans la nécessité de vivre d’expédients
et de privations. A la vue de tant de souffrances,
le conseil de ville lui alloua 3,000 livres le 1er dé
cembre 1770 , 2 ce qui n’empêcha pas les recteurs ,
quelques mois après , d'implorer encore l'assrislanee
des échevins. 3 Le 20 novembre I 772 , le conseil mu
nicipal accorda 2,400 livres à l’hôpital Saint-Lazare 1
et lui fournit un pareil secours en 1774 , 3 1775 u
V
1. Registre 169 des délibérations m unicipales, année 1 7 6 8 , fol. 5
recio et verso, 23 verso, 24- recto et verso.
2. Registre 171 des délibérations m unicipales, année 1770, fol. Il
verso, 112 recto, 113 recto, 158 recto et verso, 140 recto.
5. Lettre écrite par les écbevins de M arseille, le 27 mai 1771, au
contrôleur général des finances, dans le registre 24 des copies des
lettres de ces magistrats , du 5 août 1767 au 50 décembre 1771 , aux
archives de la ville.
4. Registre 175 des délibérations m unicipales, année 1772, fol. 72
recto et 75 recto.
5. Registre 175 des délibérations m unicipales, année 1 7 7 4 , fol. 27
recto, 29 verso, 95 recto et 97 verso.
6. Registre 176 des délibérations m unicipales, année 1 7 7 5 , fol. 12
recto, 13 recto et verso, 27 verso, 30 recto et verso. — Lettre des
échevins de Marseille à l’intendant de Provence, du 17 mai 1 7 7 5 , dans
le registre 27 des copies des lettres de ces m agistrats, du 9 mai 1774
au 23 juin 1 7 7 5 , aux archives de la ville.
�— 62
et 1776. 1 Au commencement de cette dernière an
née , la recette de cet hôpital était de 23,808 livres ,
et la dépense de 26,800 livres. 2
On y enferma , comme je l’ai dit, trente - un
aliénés en 1699. Voici quel fut, les années suivantes,
le nombre des admissions :
En 1705 — 24
En 1700 — 12
1706 - 14
1701 — 15
1707 — 17
1702 — 17
1708 — 31
1703 — 8
1709 — 32
1704 — 6
Le chiffre des admissions ne présenta pas une
grande différence dans les années postérieures. En
1720, année de la peste, on reçut dix-neuf in
sensés , et il y eut trente-huit morts sur une popu
lation d’environ quarante-huit malades. L’un des
fous échappés de la contagion vécut encore cinquante
ans dans l’hôpital. Il mourut chargé d’années en 1770.
Nous empruntons au docteur Raymond, de Mar
seille , d’intéressants détails de statistique sur l’hô
pital Saint-Lazare à cette époque. « En 1769, dit-il,
1. Hegistre 177 des délibérations municipales , année 1776, fol. 51
verso et 55 recto. — Lettre des échevins de Marseille à l’intendant de
Provence, du 19 juin 1776, dans le registre 28 des copies des lettres
de ces magistrats, du 25 juin 1775 au 22 juillet 1776.
2. Registre des délibérations du bureau de l’hôpital Saint-Lazare, de
1769 à 1789, partie du registre sans pagination chiffrée.
�G3 —
» on comptait clans eette maison quatre-vingt-seize
» fous, et dans une autre année peu éloignée de
» celle-là, on en comptait cent deux. On pouvait
» donc évaluer le nombre moyen à cent. Le nombre
» annuel moyen des morts était d'environ sept. »
« Le nombre des fous reçus à Saint-Lazare était,
» année commune, de 35, 6. Ce nombre étant un
» peu plus du quintuple de ceux qui y meurent, le
» nombre de ceux qui reviennent à la raison et
« sortent de l’hôpital est donc au moins de vingt» huit, lesquels sont principalement des maniaques
» ou des personnes dont l’esprit faible s’égare faci» lement. »
« En 1769 , sur quatre-vingt-seize fous, il y en
» avait cinquante-huit de Marseille. Ce nombre est
» 1 / 1 SO8 du total des habitants (87,495). En compa» rant le nombre de 35, 6 avec celui des habitants
» sans les troupes (86,446), on trouve que sur 4,115
» habitants, il y en a annuellement un qui perd la
» raison. » 1
Voici quel fut de dix en dix ans le mouvement
d’admission jusques à la fin du dix-huitième siècle :
En 1770 — 36
En 1730 — 22
1780 — 38
1740 — 33
1790 — 38
1750 — 26
1800 — 21
1760 — 32
1 . Mémoire sur la topographie médicale de Marseille, par le doc
teur Raymond, du 5 décembre 1779 , dans l’histoire de la Société de
médecine Paris, 1780, deuxième partie, p. 124.
�Pendant cent un ans, c’est-à-dire depuis 1699
jusques en 1800, on admit à Saint-Lazare 2,940
malades, à savoir : 1,460 hommes et 1,480 femmes.
On croit généralement que les commotions poli
tiques , ranimant l'ambition, fomentant les ven
geances , bouleversant les fortunes , enfantent un
grand nombre de maladies mentales et que ces affec
tions terribles durent se montrer en foule pendant
la révolution de 1789. Quels contrastes de crimes
et de vertus ! Quelles chutes retentissantes ! Quels
chants de patriotisme et quelles scènes de mort !
Quel bruit d’armes et de victoires ! On sait la part
de Marseille dans ce drame prodigieux, et pourtant
il ne paraît pas que, durant ces temps agités, les
aliénations mentales s’y soient produites en plus
grand nombre qu’en des temps tranquilles. Tout mar
cha comme de coutume à l’hôpital Saint-Lazare.
C'est que , il faut bien le dire encore, il y aura
toujours des problèmes insolubles dans la physiolo
gie. La science est moins étendue que nos désirs ;
elle ne répond pas à toutes les questions que notre
orgueil lui adresse, et la lésion de l’entendement,
avec ses caractères si divers et ses formes si diffé
rentes , sera une énigme éternelle au milieu des
obscurités que la nature nous présente dans l’har
monie de ses lois mystérieuses.
Pendant long-temps les fous ne furent enfermés
dans l’hôpital Saint-Lazare que par mesure de police,
�— 65 —
pour les empêcher de faire du dommage, plutôt que
dans l’intérêt de leur santé. Il n'était pas question
alors de service médical, et dans la France entière
on ne considérait l’aliénation mentale que comme
une maladie au traitement de laquelle les secours de
l’art étaient inutiles. 1 Dans la maison Saint-Lazare
de Marseille, si les soins d’un praticien devenaient
nécessaires , on y avait momentanément recours,
mais ces soins isolés n’avaient aucune organisation ré
gulière et permanente pour la masse des aliénés. Les
recteurs classaient, comme ils l'entendaient, les di
verses especes de folies et prononçaient dans les cas
douteux ; ils réglaient la nourriture et le régime de
leurs malades ; ils les proportionnaient à leur tempéramment et à leurs besoins; mais il ne paraît
pas que ces administrateurs, guidés par l’amour du
bien et par l’instinct d’une raison droite, aient abusé
de leurs pouvoirs ni soulevé des plaintes raison
nables. Avant de congédier ceux qui leur parais
saient guéris, ils avaient bien soin de les faire
confesser. 2 Ce ne fut qu’en 1758 qu’il y eut dans
cet hôpital un médecin et un chirurgien titulaires.
On donna à chacun d’eux quatre-vingts livres d'ho
noraires par an. L’emploi de médecin fut supprimé
1. Des A liénés. Considérations sur l’état des maisons qui leur sont
destinées tant en France qu’en Angleterre, par G. Ferrus, médecin
de l’hôpital de Bicètre. Paris, 1854, p. 110.
2. C’est du moins ce que porte la délibération du burean du 9 fé
vrier 1772. Registre de 1769 à 1789,
tom e
if.
5
�un peu plus tard, et le 17 janvier 1768 le bureau
porta à cent livres le salaire du chirurgien, « moyen» nant laquelle somme , dit la délibération , il sera
» obligé de raser les pauvres dans l’hiver de quinze
» en quinze jours, et dans l’été de huitaine en hui» taine; de les traiter dans leurs maladies, et de
» leur fournir son art et industrie , comme aussi
» dans leurs blessures > et l’hôpital fournira tous les
» remèdes, et il en sera de même pour les officiers
» et domestiques de la maison qu’il rasera deux fois
» par semaine. » 1 Le 16 octobre 1774, le bureau
accorda trente livres de plus au chirurgien de la
maison.
Quelquefois les malades de Saint-Lazare étaient
envoyés à l’Hôtel-Dieu, quand leur état réclamait
le secours des maîtres de la science, pour toute autre
cause que la folie. Le 17 avril 1704, les recteurs de
l’Hôtel-Dieu avaient délibéré de refuser tous les in
dividus atteints d’aliénation mentale , parce qu’on
craignait, avec raison , qu’ils ne causassent du dés
ordre dans les salles. Mais cette délibération, d’abord
exécutée rigoureusement, finit par ne pas l'être dans
quelques cas exceptionnels, les administrateurs de
l’Hôtel-Dieu tenant à obliger leurs confrères de SaintLazare. Un insensé fut admis dans YHôtel-Dieu en
1777; mais un grand malheur arriva , car ce fou
1. Registre des délibérations de 1769 à 1789, p. 3 verso.
�étrangla un pauvre malade dans un accès de fréné
sie. Les administrateurs de l’Hôtel-Dieu firent alors
exécuter', dans toute sa rigueur, la défense du 17
avril 1704 , malgré les plaintes réitérées des direc
teurs de Saint-Lazare qui se pourvurent auprès des
échevins. Ceux de l’Hôtel-Dieu , pour témoigner de
leur désintéressement et de leur humanité, offrirent
de fournir, à l’hôpital Saint-Lazare, le chirurgien,
le pharmacien et les remèdes quand on en ferait la
demande.1
On s’occupait alors, en France, de toutes les ques
tions concernant le bien-être et la dignité de l’homme,
et comme notre nation ne fait jamais rien à demi,
la passion et la mode avaient succédé sur ce point
à une trop longue indifférence. L’affreux régime des
maisons des fous formait encore un douloureux con
traste avec les idées d’amélioration et d’humanité qui
étendaient chaque jour leur empire. En 1785, le
ministère publia une instruction sur la manière de
gouverner les insensés et de travailler à leur guérison
dans les hôpitaux. « Des milliers de malheureux
» atteints de folie , disait cet écrit, sont renfermés
» dans des maisons de force , sans qu’on songe seule» ment à leur administrer le moindre remède. Le demi
» insensé est confondu avec celui qui l’est tout à fait;
» le furibond avec le fou tranquille. Les uns sont
1 Séance du 18 décembre 1777 dans le registre des délibérations
du bureau de l’Hotel-Dieu de Marseille, aux archives de cette maison.
�« enchaînés, les autres libres dans leur prison. Enfin,
» à moins que la nature ne vienne à leur secours
» en les guérissant, le terme de leurs maux est celui
» de leurs jours, et malheureusement jusque là le
» mal ne fait que s’accroître. » 4
Le 28 juillet 1785, une lettre de l’intendant de
Provence, adressée aux directeurs de l’hôpital SaintLazare de Marseille , accompagnait l’envoi de cette
instruction. Le bureau répondit à Tintendant qu’il
se ferait toujours un devoir de concourir aux vues
bienfaisantes du gouvernement, autant que l’état
de l’hôpital pourrait le permettre. 2 Dans ces circons
tances , la bonne volonté ne manqua pas à l’admi
nistration de Saint-Lazare, et elle en donna des preu
ves , en 1787, en installant un médecin qui reçut trois
cents livres par an. Malheureusement la santé des
malades ne parut pas meilleure que lorsque le ser
vice médical n’existait pas, et le nombre des gué
risons fut à peu près le même. Quoiqu’il en soit,
l’esprit public, grâces à Dieu , s’agitait plein d’ar
deur pour la philanthropie ; la cause de toutes les
idées généreuses avait de nombreux défenseurs, et
la condition matérielle des aliénés devint beaucoup
1. Instruction sur la manière de gouverner les insensés et de tra
vailler à leur guérison dans les asiles qui leur sont destinés. Marseille,
chez Brébiori, 1786, p. 7 et 8 , sur l’imprimé de l’imprimerie royale.
2. Registre des délibérations du bureau de l’hôpital Saint-Lazare,
de 1769 à 1789.
�plus supportable. Des regards de bienveillance se re
posèrent sur eux; on fit tomber leurs fers humiliants.
Le 30 décembre 1755, le conseil municipal de
Marseille avait délibéré , sur la demande des recteurs
de la maison des fous, de faire bâtir de nouvelles
loges dans cet hôpital. Ce fut une dépense de 12,000
livres. 1 Mais ces constructions ne purent suffire, et
le conseil de ville, sur la proposition du premier
échevin Pierre-Joseph Remusat, délibéra, le 2 août
1757, d'agrandir l’hôpital en achetant deux maisons
contiguës. 2 L’une, qui était celle de la veuve Lioncy,
fut acquise au prix de 13,000 livres; et l’autre, qui
appartenait aux héritiers de la dame Begoin, en coûta
20,000.3
De nouveaux besoins d’agrandissement se firent
bientôt sentir, et, en 1769, le conseil municipal fit
construire vingt-quatre nouvelles loges. * L’hôpital
ne s’en trouvait pas moins dans un misérable état
de dégradation et de ruine. 3 Les recteurs délibérè1. Registre 156 des délibérations municipales, année 1755 , fol. 125
verso et 127 recto.
2. Registre 158 des délibérations municipales, année 1757, fol. 60
verso et 61 recto.
5. Registre 159 des délibérations municipales , année 1758, fol. 14.
verso et 15 recto.
4. Registre 170 des délibérations municipales, année 1769, fol. 14
recto, 39 etsuiv. — Registre 171 , fol. 84 recto.
5. Extrait d’un mémoire présenté, en 1783, aux échevins de Mar
seille , par les directeurs de l’hôpital Saint-Lazare, pour répondre
une demande de l’intendant de Provence, dans le registre des délibé
rations du bureau de cet hôpital, de 1769 à 1789.
à
�rent d’en faire bâtir un autre sur le même emplace
ment , et le 8 août 1785, les architectes Dageville et
Bourre furent chargés de dresser le plan et le devis.
La ville, quelque temps auparavant, avait élargi
le grand chemin d’Aix, et les recteurs de l’hôpital
destinèrent à une partie de la construction projetée
la somme de 16,1 41 livres que la communauté leur
devait pour le prix d’une cession de terrain que cet
hôpital lui avait faite. 1 La dépense de toute la nou
velle bâtisse s’élevait à 150,000 livres. Mais les
formalités légales amenèrent de grandes lenteurs.
L’intendant de Provence fut loin de presser l’expé
dition de l’affaire , et le 22 décembre 1787, pendant
que le conseil de ville s’en occupait, l’un des mem
bres proposa la réunion de l’hôpital Saint-Lazare à
l’Hôtel-Dieu. La proposition fut adoptée , 2 et le 10
janvier 1788, le bureau de l’Hôtel-Dieu mit cette
grande affaire à l’étude. 3
Dageville et Bourre considérèrent comme impra1. Lettre, des échevins de Marseille à l’intendant de Provence, du
21 octobre 1787, dans le registre 36 des copies des lettres desdits éche
vins, du 14 juillet 1787 au 16 mai 1788.
2. Registre 188 des délibérations municipales, année 1787, fol. 191
verso, 192 recto et 195 verso. — Lettre des échevins de Marseille,
du 8 janvier 1788, dans le registre 36 ci-dessus cité. — Voyez aussi
la lettre des échevins, du 2 octobre 1788, dans le registre 37, les
deux lettres du 8 janvier et 2 octobre écrites à l’intendant de Provence.
5. Registre T des délibérations du bureau de l’Hôtel-Dieu de Mar
seille, du Ier janvier 1787 au 5 septembre 1793, fol. 23 recto et 26
�71
ticable l’exécution du projet, et le conseil de ville,
dans la séance du 1er août 1788, en revint au projet
de construction d’une autre maison des fous sur la
partie des terrains de Saint-Lazare qui avaient le
moins de valeur, l’édifice devant d’ailleurs être bâti
de la manière la plus économique, sans nuire aux
conditions de solidité. Le conseil ajouta que le reste
des terrains serait vendu. 1
La révolution arrêta le projet de réédification.
Le 13 octobre 1791 , le corps municipal de Marseille,
effrayé des rapports qui lui étaient faits sur l’état de
la vieille maison de Saint-Lazare menacée d’une
ruine imminente , délibéra de demander au direc
toire du département, que cet hôpital fut provisoi
rement établi en toute diligence dans le couvent des
Cordeliers. 2 Mais les agitations de la politique ne
permirent pas de donner suite à l’affaire.
La ville n’avait fourni aucun secours extraordi
naire à l'hôpital Saint-Lazare en 1777 et 1778 ; mais
elle lui alloua 4,000 livres en 1779,3 pareille somme
l’année suivante, et de plus 2,946 livres pour des
1. Registre 189 des délibérations municipales, année 1788, fol.
163 verso, 164 recto et 167 recto.
2. Livre 2 des délibérations du corps municipal de Marseille , du
28 juillet 1790 au 22 février 1792, fol. 200 verso et 201 recto , aux
archives de la ville
•3. Registre 180 des délibérations municipales, année 1779 , fol. 80
verso, 81 recto et 87 verso. — Lettre des échevins de Marseille à
l’intendant de Provence, du 24 mai 1779, dans le registre 30 des
copies des lettres de ces magistrats, du 24 octobre 1777 au 9 août 1779-
�réparations urgentes. 1 De 1781 à 1788 inclusive
ment , cet hôpital reçut de la caisse municipale la
somme de 38,431- livres, à titre d’assistance excep
tionnelle. 2
Les employés de la maison Saint-Lazare étaient
l’économe, l’aumônier, sept domestiques et deux jar
diniers. Le 31 décembre 1788, il y avait trentequatre malades payants , tant hommes que femmes,
et quatre-vingts malades pauvres des deux sexes.
Les Recettes avaient été de. . . . 50,353 liv.
Les Dépenses de....................... 49,108
L’état des dettes montait à 9,489 livres; mais
comme il y avait 1,244 livres en caisse, et comme,
d’un autre côté , la ville fournit une subvention
extraordinaire de 3,400 livres, le déficit se trouva
réduit à 4,845 livres.3
1 . Registre 181 des délibérations municipales, année 1780, fol. 106
verso et 114 recto. — Lettre des échevins de Marseille à l’intendant
de Provence, du 8 janvier 1781, dans le registre 31 des copies des
lettres de ces magistrats, du 4 août 1779 au 8 mars 1781.
2. Registre 182 des délibérations municipales, année 178 1, fol. 100
recto et verso, et 11 1 recto. — Registre 184, année 1783, fol. 102
verso, 103 verso et 104 recto. — Registre 186, année 1785, fol. 31
recto, 53 verso, 173 verso et 174 recto. — Registre 187, année
1786, fol. 76 verso, 81 verso et 82 recto. — Registre 189, année
1788, fol. 126 recto et 127 verso. — Lettre des échevins de Marseille
à l’intendant de Provence, du 18 juillet 1783, dans le registre 33 des
copies des lettres de ces magistrats, du 15 novembre 1782 au 21 dé
cembre 1784.
5. État de l’administration de l’hôpital Saint-Lazare , signé le 2
mars 1789, par Bieule, Bernard, Malvilan , Natte, Nittard , CrozcMagnan, administrateurs en exercice, aux archives de l’Hôtel-Dieu.
�Le 17 juin 1789, le conseil de ville autorisa l’ad
ministration municipale à payer aux recteurs de la
maison des fous le déficit de 1 4,245 livres résultant
de leur compte de gestion. 1 II délibéra, le 23 mai
1790, de combler leur excédant de dépense de 10,450
livres. 2 Le 11 mai 1793, la municipalité accueillit
la demande des recteurs de cet hôpital qui avaient
un déficit de 16,395 livres et qui en sollicitaient le
paiement pour subvenir aux dépenses courantes. Le
26 septembre de la même année , elle leur accorda
un nouveau secours de 3,800 livres.3
Au reste, depuis quelques années, la direction de
l’hôpital des insensés de Marseille semblait manquer
de surveillance et de nerf. Un écrivain véridique
disait, en 1789 : « Je vois dans cet hôpital une ad» ministration presque toujours subordonnée à un
» aumônier et à une mère. Si quelque directeur zélé
» va plus souvent dans cette maison, il y voit avec
» regret que ses conseils et ses ordres ne sont pas
» suivis ; il gémit et il achève en soupirant le terme
» de son exercice. » 4
1. Registre 190 des délibérations municipales de Marseille, année
1789, fol. 151 recto et 152 verso. — Lettre des échevins de Mar
seille à l’intendant de Provence, du 19 juin 1789, dans le registre
38 des copies des lettres de ces magistrats, fol. 114 recto.
2. Livre 1 des délibérations du corps municipal de Marseille, du 25
février 1790 au 26 juillet suivant, fol. 44 recto.
3. Registre 4 des délibérations du corps municipal de Marseille , du
12 février 1793 au 15 nivôse de l’an ii , fol. 41 verso et 85 verso.
4. Tableau historique de Marseille et de ses dépendances. Lausanne,
1789, p. 536.
�L’hôpital Sl-Lazare de Marseille fut une des insti
tutions qui souffrirent le plus pendant les mauvais
jours de la tourmente révolutionnaire. Il se trouva
sans linge, sans vêtements, presque sans effets mo
biliers , et les malades s’arrachèrent mutuellement
des mains le morceau de mauvais pain qu’on leur
distribua une fois par jour. Les recteurs , assiégés
de besoins et de demandes auxquels ils ne pouvaient
satisfaire, réclamaient sans cesse des secours auprès
de toutes les administrations compétentes et de toutes
les autorités constituées ; mais aucune d'elles ne four
nit un remède efficace à des maux si cruels. Les
circonstances trahirent même la bonne volonté des
représentants du peuple en mission dans le dépar
tement des Bouches-du-Rhône, et leur pouvoir dicta
torial se vit frappé d’impuissance devant une misère
si profonde et une désorganisation si complète. Les
sommes eu papier-monnaie données à l’hôpital SaintLazare ne lui offrirent, à cause de sa dépréciation,
que des ressources bien faibles , et tout ce que put
faire le corps municipal de Marseille fut de fournir
de temps en temps quelques quintaux de légumes
secs à cette maison accablée du poids d’une indi
gence sans égale.1
\ . Voyez les dix registres des délibérations du corps municipal de
Marseille, et principalement les trois derniers du 27 pluviôse an m au
1 er prairial an iv. Passim, aux archives de la ville.
�La loi du 23 messidor an II (11 juillet 1794),
réunit au domaine national l’hôpital Saint-Lazare
auquel on avait donné le nom de maison d’huma
nité. Il fut conservé comme établissement hospitalier
par la loi du 16 vendémiaire an Y (7 octobre 1796),
et la commission instituée par cette loi l’administra
avec les autres hôpitaux de Marseille.
�HÔPITAL S'-EIITUOPE; HÔPITAL DES PAIIALTTIQEES;
HÔPITAL HIJ SAUVEUR.
Ancienneté de l’hôpital Saint-Eutrope. — Détails historiques sur ce
saint. — Administration des religieux Trinitaires. — Situation de
cet hôpital. — 11 n’eut jamais la moindre importance. — Sa
suppression. — Établissement de l’hôpital des Incurables. — Ses
règlements. — Ses fondations de lit. — Détails divers à ce sujet.
— Son état financier. — Caractère particulier de l’institution. —
Droits des fondateurs. — Réunion de l’œuvre à l’hospice de la
Charité. — Détails biographiques sur le docteur Aubert. — Il
fonde à ses frais l’hôpital du Sauveur à Marseille. — Direction de
cette maison. — Testament d’Aubert. — Sa mort..— Fondations
de lits à l’hôpital du Sauveur. — Quatre administrateurs à vie. —
Suppression de cet hôpital.
HÔPITAL SAINT-EUTROPE POUR LES HYDROPIQUES.
On a fixé au 12 du mois de janvier 1550 la fon
dation de l’hôpital Saint-Eutrope, 1 sans produire
aucun titre à l’appui de cette opinion. L’œuvre dont
il s’agit paraît être plus ancienne, et les religieux
Trinitaires prétendirent que son origine se rattachait
à l’établissement de leur ordre à Marseille, en l’an1. Calendrier spirituel et perpétuel pour la ville de Marseille, avec
un état spirituel de tout le diocèse. Marseille , 1 7 1 3 , p. 137. —
Grosson, Almanach historique de Marseille, année 17 70, p. 100.
�née 1202, sous la direction de Saint-Jean de Matha.1
Cette prétention n’était, à mon avis, qu’une vani
teuse chimère. On ne sait rien de l’hôpital des Trinitaires pendant plus de deux siècles , et c’est dans
un acte du cartulaire de la cathédrale de Marseille,
à la date du 29 mai 1477, qu’on le.voit mentionné
pour la première fois sous le nom de Saint-Eutrope.2
Ce saint était né à Marseille de parents nobles et
riches. Aux jours de sa jeunesse, il rechercha tous
les moyens de satisfaire ses passions. Mais ses joies
insensées laissèrent dans son cœur un vide que des
regrets cuisants vinrent bientôt remplir. Une femme
des plus vertueuses à laquelle il s'unit par les nœuds
du mariage le fixa dans la voie du bien. Eutrope
perdit peu de temps après cette épouse incomparable,
et alors renonçant tout à fait au monde, il se voua
au service de Dieu. Eustache, évêque de Marseille,
lui fit presque violence pour l’agréger au sacerdoce,
car Eutrope alléguait qu’il était trop loin de la per
fection exigée pour le ministère sacré. Ses jours et
ses nuits, il les passa dans les prières et les larmes
de la pénitence; son bien, il le répandit en aumônes.
Il fut nommé évêque d’Orange en l’année 475 ; mais
1. Dissertation sur l’origine et la qualité de l’hôpital érigé ancien
nement dans la ville de Marseille, et qui en l’année présente, 1732,
porte le titre d’hôpital des hydropiques ou de Saint-Eulrope. Arles,
chez Gaspard Mesnier, 1732 , p. 2 et 3.
2. Même dissertation, p. 9.
�78 —
à la vue de cette ville ruinée par les visigoths, il
eut un moment de faiblesse et prit la fuite. Un
homme pieux, nommé Aper, qui avait été disciple de
saint Augustin, lui reprocha sa lâcheté. Rendu à ses
devoirs, Eutrope vint à son église et ne songea plus
qu’à la secourir dans ses besoins. Pasteur plein de
sollicitude, il tourna toutes ses pensées vers le sou
lagement temporel et la sanctification de son peuple.
Mais toujours humble et pénitent, il affaiblissait
son corps par le travail et le jeûne. Il labourait la
terre, coupait du bois et se livrait à d’autres occu
pations aussi pénibles, sans négliger son adminis
tration épiscopale.1 La date de sa mort est inconnue.
Tel fut l'illustre marseillais que l'église a mis au
nombre des saints.
Les Trinitaires soignèrent, dans leur hôpital, les
indigents atteints d’hydropisie, celui du Saint-Esprit
ne voulant pas les recevoir, parce que l’on croyait
alors que cette maladie était contagieuse.2 On disait
que le jus de concombre sauvage était un bon mé
dicament contre l’hydropisie. 3
1. Gallia Christiana. Paris, 17 15 , t. 1, p. 767. — Acta Sanetorum, t. 6, p. 699 et sequent. 27 mai. — Baillet, les Vies des
Saints. Paris, 1704, t. 2, p. 430, 451 et 452. — André du Saussay,
Martyrologium Gallicanum. Paris, 1637. t. 2, p. 508. — Essai histo
rique sur les évêques du diocèse d’Orange , mêlé de documents histo
riques et chronologiques sur la ville d’Orange et ses princes. Orange,
1857, p. 61 et suiv.
2. Tableau historique de Marseille et de ses dépendances. Lausanne ,
1789 , p. 441.
5 Bricf Traicté de la pharmacie provinciale et familière, dressé et
�79 —
L’hôpital Saint-Eutrope fut d'abord , comme le
couvent de la Trinité vieille, situé près de la porte
Galle, à l’endroit même où était naguère l'abattoir
public. Il resta là jusques au temps du siège de
Marseille par le connétable Charles de Bourbon, et
alors il fut transporté avec le même monastère dans
le quartier où l’on construisit plus tard l’hospice de
la Charité au couchant duquel il se trouva.
Placé dans une petite maison joignant le couvent,
il avait pour directeur le ministre des Trinitaires
et quatre laïques. 1 Michel Lieotaud, prêtre béné
ficier de la Major, institua cet hôpital son héritier
universel par testament du 7 juillet 1621. Il paraît
qu’à la même époque la maison Saint-Eutrope rece
vait quelques pauvres atteints de tout autre mal
que l’hydropisie, car dans les registres de Pierre
Feris, notaire à Marseille, à l’occasion de la peste
qui venait de ravager la ville et de ralentir le zèle
des administrateurs de cette maison, on lit, à la
date du 30 novembre 1630, parmi quelques statuts,
que désormais on n’admettra dans l’hôpital des Tri
nitaires d’autres malades que les hydropiques. Il y
avait au-dessus de la porte une pierre sur laquelle
était taillée en relief l’image de Saint-Eutrope avec
faict vulgaire par Antoine Constantin, docteur en médecine à Aix en
Provence. Lyon, 1597, p. 42.
1.
Voyez les almanachs historiques de Marseille, par Grosson, ar
ticle H ôpital de Sa in t-E u tro p e.
i
�ses habits pontificaux et des malades à ses pieds.
En 1715 , on enleva cette pierre et l’on mit à sa place
une inscription portant en lettres d’or : Hôpital des
hydropiques. '
L’ordre de la Trinité formait deux corps différents.
Les grands Trinitaires, appelés aussi Mathurins ,
établis à Marseille en 1202, comme nous venons
de le dire, et les Trinitaires déchaussés , dits de la
Palud , venus en cette ville en 1651.2 C’était une
réforme. En 1773, ils furent réunis sous le même
régime et sous le même nom de Chanoines régu
liers de la Sainte-Trinité, ou Mathurins. Le chapitre
général délibéra, en 1774 , de supprimer la commu
nauté de la Palud et de réunir les deux corps. Cette
délibération fut confirmée par arrêt du conseil du
29 mars 1775. La réunion se consomma, le 20 août
1777, dans la salle capitulaire du couvent des GrandsTrinitaires, et la translation dans la maison de la
Palud se fit processionnellement le lendemain. 3
On y tranféra toutes les œuvres attachées à l’éta
blissement des Grands-Trinitaires, et notamment
1. Dissertation ci-dessus citée sur l’origine et la qualité de l’hô
pital érigé anciennement dans la ville de Marseille, sous le titre de
Saint-Eutrope. Arles, 1752.
2. L’antiquité de l’église de Marseille et la succession de ses évê
ques, t. 5, p. 455, 186 et suiv. — Calendrier spirituel, contenant
les fêtes que l’on célèbre dans chaque église de Marseille et de ses
faubourgs, par Agneau. Leyde , 1759, p. 278 et suiv.
5. Grosson. Almanach historique de 1778, p. 102 et 105.
�l’hôpital Saint-Eutrope qui fut dès-lors érigé dans
une maison de la première Calade, touchant la porte
du cloître.
Le 12 janvier 1778, les recteurs de cet hôpital
achetèrent un terrain situé au quartier du Rouet pour
y établir leur cimetière, après avoir obtenu de l’évê
que la permission d’y enterrer tant les pauvres
décédés dans la maison de Saint-Eutrope que les
fidèles qui y auraient fait élection de sépulture. L’en
terrement d’un paroissien de la cathédrale qui avait
voulu y être enseveli donna naissance à un grand
procès entre les Trinitaires et Olive, curé de la pa
roisse Saint-Ferréol, dans le district de laquelle ces
religieux avaient traversé, revêtus des marques dis
tinctives de la juridiction curiale , un espace d’en
viron deux mille pas pour parvenir de l’église de la
Trinité à leur cimetière. 1
La maison Saint-Eutrope n’avait jamais eu la
moindre importance ; et vers la fin du XVIIIe siècle
ce n’était plus un hôpital que de nom, car on n’y
voyait pas un seul malade, les hydropiques étant
alors reçus à l’Hôtel-Dieu. Un écrivain marseillais
disait , en 1789 : « Il est bon de démontrer le ridi» cule de cet établissement et de faire voir combien
» sa suppression est indiquée par le bon sens. Des
» religieux sont tout à la fois les médecins et les
1. Voyez les détails de ce procès dans le journal du palais de Pro
vence, par Janety, années 1781 et 1782 , p. 14 et suiv.
�— 82 —
» aumôniers de l’hôpital Saint-Eutrope; ils se conten» tent de donner aux malades une tisane qui n’en
» est point une, puisque c’est une infusion d’absinthe
» et de sels dans de vin blanc. Ils prient sans doute
» pour leur guérison , et c’est là ce qu’ils font de
» mieux. Mais ne peuvent-ils pas prier, sans avoir
» un hôpital où il n’y a jamais de malades? Car il
» est bon de savoir que les hydropiques sont traités
» chez eux et que les Trinitaires n’ont conservé cette
» forme hospitalière que pour s’attirer des enterre» ments dans leur église et dans leur cimetière. d
L’effet suivit de près ce vœu de suppression émis
au moment même où l’assemblée constituante allait
délibérer sur l’existence des ordres religieux et sur
la propriété des biens ecclésiastiques. Les lois de
cette assemblée entraînèrent la chute de l’hôpital de
Saint-Eutrope, hors-d’œuvre social, institution sans
raison d'être.
HÔPITAL DES PAUVRES PARALYTIQUES INCURABLES.
En l’année 1700, deux hommes charitables, liés
d’amitié, l’un prêtre et l’autre bourgeois, se pro
menaient souvent ensemble hors de la porte d’Aix ,
et avaient coutume de faire l’aumône à un pauvre
paralytique que l’on portait tous les jours sur le
1. Tableau hisiorique de Marseille et de ses dépendances. Lausanne.
1789, p. .340
�— 83
chemin pour exciter la compassion des passants. Le
prêtre proposa au bourgeois de créer un hôpital
pour les malheureux frappés de paralysie incurable.
Le bourgeois approuva cette idée \ et l'un et l’autre
la communiquèrent à plusieurs personnes pieuses qui,
comme eux , voyaient avec douleur que parmi les
nombreux établissements de bienfaisance existants
dans cette ville , il n’y en avait aucun qui pût servir
d’asile aux pauvres paralytiques. Toutes ensemble
elles prirent la résolution de consacrer chacune une
somme déterminée à la fondation d’un hôpital si
désirable.2L’évêque ayant secondé leurs efforts, elles
choisirent une maison au faubourg Saint-Lazare et
y firent mettre plusieurs lits. 3 En 1714, l’établisse
ment fut transféré près la poissonnerie neuve, dite
la Halle Puget. i
L’hôpital des pauvres Paralytiques incurables fut,
dès son origine, autorisé par lettres-patentes du roi
à la date du mois de décembre 1700 , et ces lettres
portèrent confirmation des statuts et règlements faits
pour l’administration de l’œuvre. Elles voulurent que
cette administration fût exercée par un bureau de
1. Tableau historique de Marseille et de ses dépendances. Lausanne ,
1709, p. 354.
2. Mémoire pour l’œuvre des pauvres paralytiques incurables de
Marseille, 1791 , de l’imprimerie de Favet, p. 6.
3. Lettres-patentes du mois de décembre 1700 citées par le mémoire
ci-dessus mentionné, même page.
4. Grosson. Almanach historique de Marseille, année 1770, p. 95.
�:
M fls fl
'
84
sept recteurs. Trois d’entr'eux devaient être pris
parmi les fondateurs , et les quatre autres parmi
les personnes bienfaisantes de la ville. En appelant
des citoyens charitables à partager les soins que les
fondateurs donnaient aux malheureux, on était as
suré de voir s’accroître le nombre des fondations.
C’est ainsi que de nouvelles ressources étaient mé
nagées à l’infortune par la prévoyance de ses pre
miers bienfaiteurs.
Les fondateurs avaient séance et voix délibéra
tive au bureau, lorsqu’ils jugeaient convenable d’y
assister. C’était dans une assemblée générale qu’on
nommait les auditeurs de compte , toujours choisis,
parmi les fondateurs, qu’on renouvelait les bureaux,
qu’on présentait les comptes annuels de la situation
de l’œuvre.
Le 20 avril 1753 , l’assemblée générale des fon
dateurs , ' usant du pouvoir que lui donnaient les
lettres-patentes d’institution , adopta de nouveaux
règlements, dont les dispositions essentielles furent
les mêmes que celles des statuts donnés en 1700.
On continua d'appeler fondateurs tous ceux qui fon
dèrent des lits aux conditions prescrites. Ils furent
investis des mêmes prérogatives ; on remarqua un
1. Furent présents à cette séance : de Beausset, Pierre de Sabouün ,
Pelissier Pierrefeu, Lieulaud, P. Gravier, Materon , Dulard, Domers
l’aîné, d’Arbaud Gardane, Castellane d’Adhemar, J. Paillez, A. Martin,
M. J.-B. Agnel, Antoine Cbarbonier, Begue.
�— 85
seul changement important dans ces nouveaux sta
tuts. Le nombre de recteurs formant le bureau ordi
naire fut porté à neuf, dont un seul pris parmi les
fondateurs. Le premier ne servait qu’un an; les
huit autres étaient en exercice pendant deux années.1
Les membres du bureau nommaient eux-mêmes leurs
remplaçants. On faisait annuellement l’élection le
dernier jeudi du mois d’avril, en présence de l’évê
que ou de son grand-vicaire. Dans cette assemblée
extraordinaire à laquelle tous les fondateurs étaient
priés d’assister, on traitait de toutes les affaires de
l’hôpital et de tout ce qui concernait sa police. On
discutait tous les moyens d'amélioration. 2
L’hôpital des. Incurables, par sa constitution et
son régime, ne pouvait pas être assimilé aux autres
établissements de charité qui avaient une existence
propre, mais qui aussi , et sous plusieurs rapports ,
étaient du domaine municipal, en ce sens que les
magistrats de l'Hôtel-de-VilIe avaient toujours sur eux
un droit de surveillance, sinon d'autorité. La ville
ne donnait rien à l'hôpital des Incurables, et il est
à remarquer que dans le certificat délivré par les
échevins en 1700, lorsque les premiers fondateurs
1. Règlement pour l’administration de l’hôpital des pauvres Pa
ralytiques incurables de Marseille. Chez la veuve Brebion , 1755, ar
ticle 7, p. 8.
2. Délibération du bureau de l’œuvre, du 3 mars 1705 et article 5
de l’ancien règlement, cités par l’article 15 du règlement de 1753,
pag. 11.
�—
8G —
sollicitaient du monarque l’institution légale de réta
blissement, ces magistrats consentirent à la création
de l’hôpital projeté, sous la condition néanmoins
que la communauté ne contribuerait en rien et qu’on
ne ferait aucune quête pour cette œuvre. 1 L’hôpital
des Incurables de Marseille avait donc le caractère
de la propriété particulière. On y recevait autant de
malades de l’un et de l’autre sexe qu’il y avait de
lits fondés par des âmes charitables. Les hommes
bienfaisants portèrent de préférence leurs regards et
leurs secours sur un établissement qui laissait dans
les mains de ses fondateurs la dispensation perpé
tuelle de leurs dons et le choix des sujets auxquels
ils étaient bien aises de faire par eux-mêmes ou par
leurs successeurs l’application de leurs largesses. Par
ce moyen les fondations se multiplièrent d’année en
année, et une génération toujours croissante de fon
dateurs , apportant son pieux tribut, vint prendre
part aux titres et aux droits des anciens.2
La fourniture d’un lit et de ses accessoires, de
la valeur de 70 livres au moins, avec une pension
annuelle et viagère de 150 livres en faveur d’un
malade, constituait une fondation , aux termes de
l’ancien règlement de 1700. Lorsque la fondation
1. Registre des délibérations de la commission administrative des
hospices de Marseille, commencé le 19 mai 1817 et fini le 7 décembre
1818, aux archives de l’Hôte!—
Dieu.
2. Mémoire cité pour l’œuvre des pauvres paralytiques incurables ,
pag. 8.
�87 —
était faite à perpétuité, le fondateur pouvait se ré
server perpétuellement la nomination successive des
malades, à chaque vacance délit, et le droit de la trans
mettre aussi à perpétuité , pourvu qu’il constât de sa
subrogation expresse par testament ou autre acte au
thentique , sans quoi cette nomination était pour
toujours dévolue au bureau de l’hôpital.1Les malades
nommés par les fondateurs , par leurs héritiers ou
par le bureau, ne pouvaient l’être que parmi les
pauvres honteux, ou parmi ceux qui ne pouvaient
travailler ni se traîner pour mendier. 2 Ces pauvres
devaient être natifs de Marseille ou de son territoire,
ou y être domiciliés depuis dix ans au moins sans
interruption.
Suivant le règlement de 1753, la fondation de
chaque lit consista, d'une part, dans le paiement
de 4,000 livres comptant ou en la valeur de capitaux
délégués et produisant annuellement et perpétuelle
ment la rente de 200 livres pour l’entretien du lit et
du pauvre qui devait l’occuper à perpétuité ; et d’au
tre part, dans le paiement de 400 livres, dont 200
pour la première pension d’avance, et 200 pour un
petit trousseau. 3
1. Registre des délibérations ci-dessus mentionné.
2. Article 6 de l’ancien règlement maintenu par l’article 17 du rè
glement de 1753, p. 13.
3. Délibérations du bureau de l’œuvre, des 15 avril et 13 mai 1723
citées par l’article 2 du règlement de 1755 , p. 6.
�—
88
Enfin, le bureau de l’œuvre prit, le 28 avril 1768,
une délibération par laquelle la dotation de chaque
lit fut portée à 5,000 livres.
En 1790, le nombre des lits fondés s’élevait à
cent soixante-six.
Ces fondations représentaient un capital de 677,200
livres, ou une rente de 33,860 livres.
Le droit de nomination était exercé de la manière
suivante :
NOMBRE
MONTANT
do lits.
intégral des fondations.
—---- CAPITAUX. iientes'.
108
Par les fondateurs ou leurs re
présentants ......... ................. 459,600
22,980
30
Par le bureau.......................
114,600
5,750
8
Par ies échevins à qui la no
mination en avait été attribuée
par M. de Matignon , abbé de SlVictor, fondateur ....................
24,000
1,200
Par le bureau de la GrandeMiséricordeet l’œuvre du bouillon
de la paroisse S'-Martin...........
11,000
550
Par l’évêque de Marseille___
3,000
150
3
1
1
Par le prévôt de la Major. ...
4,000
200
13
Par des corporations et com
munautés religieuses................
61,000
5,050
Lits représentant en capitaux. 677,200
35,860
166
�89
En la même année 1790, l’actif de l’hôpital des
Incurables, y compris son local et une maison située
à la rue d’Aix et destinée à son agrandissement, s’é
levait à............................................... F. 1,087,450
Son passif était de........................F. 718,050
Ainsi le capital dégagé des charges de l’œuvre
et prélèvement fait des fondations dont il avait été
presque uniquement formé, présentait pour résultat
d’une administration qui ne comptait que quatrevingt - dix ans d’existence une augmentation de
309,400 francs.
C’est ainsi que, par des économies successives,
les administrateurs privés de tout secours étrangers,
mais dirigés par l’esprit de sagesse , avaient non
seulement suppléé à l’insuffisance des premières do
tations de 150 et de 200 livres, mais encore étaient
parvenus à élever un asile digne des beaux jours de
la charité de nos pères, un édifice qui par l’habile
appropriation de toutes ses parties produisait à l’œu
vre un revenu considérable.
Tel était l’état florissant de l’hôpital des pauvres
Paralytiques incurables de Marseille sous l’adminis
tration indépendante des fondateurs propriétaires de
l’établissement, lorsque la révolution éclata.
Les premières attaques vinrent des dispositions
que fit naître le projet soumis, en 1791, à l’assem
blée constituante par son comité de mendicité de
déclarer nationaux tous les biens des hôpitaux du
royaume.
�Les administrateurs du département des Bouchesdu-Rhône , le directoire du district de Marseille et
la municipalité de cette ville ayant adressé, à ce
sujet, diverses demandes aux recteurs de l’hôpital
des Incurables, ces recteurs convoquèrent l’assem
blée générale des fondateurs 1 qui répondirent, par
la publication d’un mémoire dans lequel ils s’atta
chèrent à démontrer la différence qui se trouvait
entre une propriété privée , telle que leur établis
sement , et les institutions de charité placées sous
l’autorité du gouvernement ou des magistrats muni
cipaux par les actes de leur fondation même, par
la nature de leurs attributions, ou par les charges
qu’elles imposaient à l’état ou à la commune.
Les administrations locales accueillirent ce mé
moire avec la plus grave faveur, et le 8 avril 1791,
1. Soixante-six fondateurs signèrent le mémoire qui porte les noms
suivants : L.-M.-T. Nogier, Gaudemar, Dauphin, Campou , Devoulx,
Long, Charbonier, Berenger, Jullien , Bremond, veuve Audibert ,
Constantin, Rabbe, prctre de l’Oratoire; David, Peyron, prêtre;
Lieutaud, Cousinery, Gouiran , A. Bouvet, Ferrari aîné, Gantel
Guitton, veuve Gautier, Giraud Demers, Marie-Louise Borely, Reinaud
de Waillon, Dudemaine Reissolet, Claire Borely, A. Courbeau, Crozet,
dame Magalon Raoul, François Dallet, Gravier, E. Giraud. MarieAnne Borely, Victor Jullien, Alciator Blanc, Barthélemy Espanet,
Delaselle, Michel de Léon, Pierrefeu Roustan, Anne Martin, E. Caudière, Martin la Lauzière; Marie Mage, Pierre-Joseph Muret, J.-C.
Arnaud, Mille-Roux, Paul, M.-B. Chaix, d’Aygalades, Villet Tracy,
C. Rozan, L. Fort, T.-M. Reissollet, Bruno-Deidier Curiol, Garnier,
Nicolas Borely, François Jourdan, Honoré Borely, J.-L. Millot, Pierre
Gerin, Henri Coste, veuve Saboulin , Rey Foresta , Rolland, PascalBellouse Catelin, de Vintimille.
�le directoire du département délibéra d’adresser à
l'assemblée nationale un vœu tendant à la conser
vation d’une œuvre tout-à-fait placée en dehors des
règles communes. 1
Les choses en restèrent là, et la municipalité de
Marseille , substituée aux droits des échevins , dis
posa des lits vacants , selon la fondation de Jacques
de Matignon.2 Le bureau de la Grande-Miséricorde
continua d’en faire autant en vertu du testament de
la dame Degail, fondatrice de deux lits, 3 et tout
marcha à peu près comme avant la révolution. Plus
tard les fondateurs de l'hôpital des Incurables de
Marseille réclamèrent auprès de la convention natio
nale contre l’application qu’on voulait faire à cet
établissement de la loi du 23 messidor an II (Il
juillet 1794), qui réunissait au domaine national
l’actif et le passif des hôpitaux , sous quelque déno
mination qu’ils fussent. Il paraît que ces réclamations
produisirent leur effet, car l’œuvre continua d’être
régie comme auparavant, sans aucun trouble de la
part du domaine.
1. Voyez diverses pièces à l’appui du mémoire pour l’œuvre des pau
vres paralytiques incurables de Marseille, chez Favet, 1791.
2. Livre 2 des délibérations du corps municipal de Marseille , du 28
juillet 1790 au 22 février 1792, fol. 155 recto, 215 recto.—Registre 3,
du 23 février 1792 au 8 février 1793 , fol. 71 verso, 197 recto, 227
verso, aux archives de la ville.
5. Registre 9 des délibérations du bureau de Notre-Dame-de-Miséricorde de Marseille, du 8 mai 1734 au 17 novembre 1747 , fol. 179
verso, aux archives du bureau de bienfaisance.
�La commission des hospices de Marseille, sous
l’autorité de laquelle la loi du 16 vendémiaire an Y
(7 octobre 1796) réunit tous les anciens établisse
ments de bienfaisance de cette ville , s’empressa de
reconnaître, le 2 mai 1797, le droit qu’avait l’hô
pital des Incurables de ne point faire partie des ins
titutions locales dont la direction venait de lui être
confiée. La reconnaissance de ce droit fut bientôt
confirmée par l’administration centrale du départe
ment, laquelle, dans son arrêté du 23 du même
mois, déclara l’œuvre des incurables étrangère à
l’administration générale des hôpitaux de Marseille ,
jusqu’à ce qu’il eût été prononcé par l’autorité légis
lative sur les réclamations des fondateurs.
Cependant la détresse dans laquelle les hôpitaux
se trouvaient plongés rendit nécessaire la suppression
d’un grand nombre de ces établissements. Ceux de
Marseille furent réduit à trois,1 réunissant dans leurs
nouvelles attributions tout ce que l’on crut conve
nable de conserver des. œuvres supprimées.
Une lettre du ministre de l’intérieur prescrivit, en
1798, cette mesure à laquelle la commission admi
nistrative des hospices tenta , mais en vain , de
soustraire l’hôpital des Incurables. Les pauvres for
mant la population de cet hôpital furent donc immé
diatement transférés à l’hospice de la Charité. Depuis
�— 93 —
lors , et jusqu'au commencement de 1800, les fonda
teurs n’exercèrent aucun droit de nomination.
Mais au mois de septembre de la même année, à
la suite des changements survenus dans le personnel
de la commission administrative, les fondateurs furent
appelés sinon à régir l’œuvre des incurables , au
moins à présenter les pauvres qui devaient en occuper
les lits. Quelques fondateurs exercèrent ce droit, et
la commission pourvut elle-même aux nominations
attribuées au bureau des recteurs.
C’est de cette époque que date, au moins sans
aucun changement notable, l’alfectation de deux salles
à l’hospice de la Charité dans lesquelles les pauvres
de l’œuvre des incurables, divisés selon leur sexe,
sont traités sous le double rapport du régime alimen
taire et de la police intérieure , de la manière pres
crite par les règlements de l’hôpital des Incurables ,
autant que les circonstances le permettent.
Le premier recensement, fait le 27 mars 1801 ,
constata qu’il existait à la Charité quarante-trois in
curables. Par l’effet des nominations dont je viens de
parler, ce nombre augmenta successivement jus
qu’en 1803.
L’année précédente, le gouvernement parut vou
loir s’occuper de rendre l’exercice de leurs droits
aux personnes qui s’étaient réservé, comme condi
tion de leurs actes de bienfaisance , la faculté de
nommer les pauvres appelés à en jouir, et le 19
�94
août 1803, l’administration des hospices de Marseille,
en transmettant au préfet un travail sur l’état des
fondations, exprima le vœu que le prix de la dota
tion de chaque lit fût porté à 7,000 fr. de capital,
ou 350 fr. de rente.
Ce projet fut sans résultat de la part du gouverne
ment , mais il suspendit forcément l’exercice du droit
de nomination , et depuis lors ni les anciens fonda
teurs de lits, ni la commission administrative pour
le bureau des recteurs de l'œuvre n’exercèrent cette
faculté.
Un arrêté du gouvernement, à la date du 3 sep
tembre 4803 , dont l’application semblait devoir
s’étendre à tous les hôpitaux de France, détermina,
pour ceux de Paris seulement, les droits à exercer
par les fondateurs de lits dans ces établissements.
Il fixa à 400 fr. pour les incurables le revenu net
affecté à l’exercice du droit de présentation. Enfin,
un décret impérial, du 31 juillet 1806, contint
quelques autres dispositions sur cette matière.
Le 31 décembre 1817, le revenu net de l’œuvre
des incurables était de 15,733 fr. 33 c.
Le nombre des pauvres appartenant à cette œuvre
et logés à la Charité où ils occupaient spécialement
des lits fondés n’était alors que de dix-huit.
Au commencement de 1818, les fondateurs de
l’hôpital des incurables réclamèrent leur mise en
�— 95 —
possession pleine et entière des biens restants de la
dotation de cet hôpital ainsi que de la gestion de
l'œuvre, conformément aux actes de fondation. Le
conseil général de l’administration des hôpitaux de
Marseille, dans sa séance du 9 février 1818, pensa
que cette demande était juste et qu’il y avait lieu de
l’accueillir; 1 mais l’affaire n’eut pas de suite.
HÔPITAL DU SAUVEUR.
Un seul homme fit pour cet hôpital ce qu’avaient
fait pour des établissements du même genre les efforts
multipliés de plusieurs hommes réunis. Cet homme
est Antoine Aubert, dont le nom mérite d’être
écrit en lettres ineffaçables dans les fastes de la
bienfaisance.
Né à Ollioules, près Toulon, le 21 juillet 1693 ,
Aubert était issu d’une famille honnête. Son père,
qui tenait un des premiers rangs dans la bourgeoisie
de ce bourg, eut plusieurs enfants de deux femmes.
Celui dont nous parlons naquit du second lit. *
1. Registre des délibérations commencé le 19 mai 1817 et fini le 7
décembre 1818, aux archives de l’Hôtel-Dieu
2. Tous nos détails biographiques sur le docteur Aubert ont pour
source un mémoire manuscrit fait et rem is, en mars 1 7 8 8 , au bureau
de l’hôpital du Sauveur par M. Charles Signoret qui avait épousé Mlle
Aubert, sa n ièce, en 1771. Ce mémoire est aux archives de l’HôtelDieu de Marseille, dans la caisse renfermant les titres et papiers relatifs
à l’hôpital du Sauveur.
�1. Registre 8 des délibérations du bureau de l’hôpital de NotreDame-de-Miséricorde de M arseille, du 15 juillet 1719 au 30 avril
1734., fol. 159 verso et 14.0 recto, aux archives du bureau de bien
faisance.
—
— 96 —
Aubert était fort jeune quand il perdit son père.
Il faisait alors ses études au collège de l’Oratoire à
Marseille où son oncle, curé de la paroisse SaintMartin , l’avait appelé.
Comme il se sentait une vocation déterminée pour la
médecine, il reçut à Montpellier le bonnet de docteur,
vint exercer son art à Ollioules , y inspira la con
fiance générale et obtint un succès complet.
Désirant bientôt un plus grand théâtre, il vint se
fixer à Marseille en 1727, et s'empressa d’offrir ses
services au bureau de l’œuvre de Notre-Dame-deMiséricorde. Cette administration les ayant agréés,
Aubert fut chargé de soigner les pauvres du quartier
deCavaillon. 4 En 1730 le collège des médecins de
Marseille l'admit dans son sein. Le nouvel agrégé
se distingua bientôt. Pignon, intendant du commerce,
était un de ceux qui l’afFectionnaient le plus. Il en
parla à M. de Maurepas dont il avait été secrétaire,
et ce seigneur fit nommer Aubert médecin des vais
seaux du roi au port de Brest. C’était une place
aussi honorable qu’avantageuse.
Aubert exerça ces fonctions pendant dix-huit ans
et fit quelques campagnes sur mer.
Louis XV tomba malade à Metz en 1744 , et sa
�— 97 —
vie courut le plus grand danger. On s'empressa d’ap
peler non seulement les médecins de la cour, mais
aussi les plus distingués des diverses villes. Aubert
fut un de ceux qui se virent honorés de cette con
fiance. Son sentiment fut souvent remarqué dans les
consultations et prévalut quelquefois. Aussi Louis XV
le combla, dans la suite, de prévenances et d’hon
neurs. On lui proposa de l’attacher à la cour avec
un brevet de médecin du roi ; mais Aubert refusa,
s’excusant sur la faiblesse de sa santé qui avait be
soin de l’air natal. On s’empressa de le satisfaire,
et sa retraite lui fut accordée avec une pension de
trois mille livres, plus six cents livres pour le loge
ment , et le titre de médecin royal des galères de
Marseille.
Il retourna dans cette ville, jouissant d’une for
tune assez considérable, et ce qui vaut mieux encore,
d’une belle réputation de science et d’honnêteté. Il
put, en faisant le bien, céder à toutes les inspira
tions d’un cœur plein de sympathie pour les misères
humaines. L’idée que l’on avait de son mérite le
fit rechercher de tout le monde et les malades s’es
timaient heureux d’être visités par lui. Depuis
quatre heures du matin jusques à dix heures du soir
il n’y eut aucun vide dans l’exercice de sa pro
fession .
Le 7 juin 1757 il acheta du conseiller de Mirabeau,
un terrain situé entre l’église des Capucines et celle
TOME II.
�des Lyonaises, 1 et fit bâtir dans cet emplacement,
aujourd’hui formé par l’île des allées de Meilhan ,
une belle maison avec un grand jardin où il passa
les vingt dernières années de sa vie. Le bassin des
pauvres honteux de la paroisse Saint-Martin reçut
de lui, tous les dimanches, une aumône abondante;
il n’oublia pas, dans ses libéralités, les autres ins
titutions de bienfaisance.
Aubert avait souvent vu des malheureux acca
blés de maladies que l'on ne traitait pas dans les
hôpitaux de Marseille et qui, faute de ressources et
de soins, périssaient misérablement. II forma le
projet d’un hôpital pour les pauvres atteints du cancer,
du scorbut, des écrouelles et des affections syphili
tiques. Il obtint du roi des lettres-patentes d’autori
sation signées à Fontainebleau , au mois d’octobre
1765 , 2 et le 27 avril 1770 , il demanda au bureau
de la Miséricorde une partie du local de Sainte-Croix
pour l’œuvre projetée. Le bureau prit cette demande
en considération , 3 mais l’affaire n’eut pas de suite.
Par acte du 27 mars 1772, Aubert acheta de César
1. Dossier de divers actes et de diverses pièces touchant un procès
entre le docteur Aubert et César Ricaud , dans la caisse mentionnée
ci-dessus.
2. Voyez ces lettres-patentes déposées dans une caisse où se trou
vent des titres et papiers relatifs à riiôpital du Sauveur, aux archives
de l’Hôtel-Dieu de Marseille.
5. Registre 11 des délibérations du bureau de l’hôpital de la Misé
ricorde de Marseille , du 2 mars 1770 au 17 août 1787, fol. 3 recto ,
Il verso et 12 recto, aux archives du bureau de Bienfaisance.
�Hicaucl, ancien échevin de Marseille, au prix de
11,820 livres, le terrain formant l’angle de l’île des
Allées, près sa maison d’habitation. 1 II y fit. cons
truire l’établissement auquel il donna le nom ^hô
pital du Sauveur , avec cette devise : Chrislo in
œgrôtis derelictis. 2
Il comparut, le 17 mai 1774, devant Catelin,
lieutenant particulier civil en la sénéchaussée de
Marseille, pour passer l’acte de fondation qui fut
publié à l’audience le 30 mai. Cet acte contenait
une donation perpétuelle de l’édifice , de son mobi
lier et de six capitaux de rente qui s’élevaient en
semble à la somme de 171,434 livres.3 Le généreux
Aubert ne se contenta pas de cette libéralité consi
dérable. Il plaça 36,000 livres sur la chambre de
commerce de Marseille pour augmenter la dotation
de son hôpital pour lequel il se réserva le droit de
faire des règlements et de l’administrer pendant
sa vie.
Conformément à la demande du docteur Aubert,
les lettres-patentes de 1765 avaient confié la direc
tion intérieure de l’hôpital du Sauveur à quatre sœurs
4. Registre des actes concernant l’hôpital du Sauveur, fol. 9 , aux
archives de l’Hôtel-Dieu de Marseille.
2. Grosson. Almanach historique de M arseille, 4 7 7 8 , p. 350.
5. A savoir : 4» 20.000 livres sur le clergé de France; — 2° 35,43.4
livres sur la communauté d’Antibes; — 3« 446,000 livres en quatre
capitaux sur la communauté de Marseille.
�—
100
de la charité et avaient adjoint au fondateur pour
l’administration le lieutenant-général en la séné
chaussée et le procureur du roi près le même siège,
auxquels les comptes devaient être rendus chaque
année tant par les soeurs de la charité que par tous
autres employés au service des malades. Quand tout
fut disposé au gré de ses désirs, Aubert installa deux
de ces religieuses dans son hôpital, mais il vit bientôt
qu’elles étaient au-dessous de leur tâche, et il ne
tarda pas aussi de s’apercevoir que les devoirs judi
ciaires du lieutenant-général et du procureur du roi
rendaient leur zèle impuissant pour l’administration
de la nouvelle œuvre. Il supplia le roi d’approuver
l’exclusion des sœurs de la charité et de substituer
aux deux magistrats quatre administrateurs qu’il
désigna lui-même et qui furent Louis-Joseph-Denis
deBorély et Honoré deBorély, frères; Jean-BaptisteIgnace Roux de Pépin l’aîné et Lazare Ferrary jeune,
premier échevin de Marseille.
Le roi , par lettres-patentes données à Versailles
au mois de novembre 1777, approuva ce projet; il
agréa le choix des quatre administrateurs honorés
de la confiance d'Aubert ; les nomma pour remplir
leurs fonctions leur vie durant, et déclara que leurs
successeurs n’auraient qu’un exercice de trois années,
mais qu'ils pourraient être réélus. En même temps
le roi donna pouvoir au fondateur et aux quatre
administrateurs de nommer tel nombre de personnes
�——
— 101 —
qu’ils jugeraient nécessaires au service de l’hôpital,
avec la faculté de les remplacer par d'autres de leur
choix.
Par testament du 9 février 1778, Aubert légua
tous ses biens à l’établissement sur lequel il concen
trait sa sollicitude et ses affections. Il déclare dans
cet acte, que ne pouvant, à cause de son grand
âge et de ses infirmités, exercer le droit qu’il s’était
réservé de donner des statuts à son hôpital, il prie
les quatre administrateurs de rédiger eux-mêmes les
règlements que leur expérience et leur sagesse leur
suggéreront, les conjurant, en outre, de ne se donner
pour successeurs, en cas de démission ou de décès,
que des personnes dignes d’occuper leurs places. 1
Ce vieillard vénérable était alors d’un faiblesse
excessive. Il avait eu une attaque d’apoplexie sans
des suites trop fâcheuses ; mais la moindre fatigue
lui causait des palpitations et des éblouissements qui
l’exposaient à des chutes fréquentes. Il négligea le
conseil de ses amis qui l’engageaient à se faire suivre
d’un domestique, ou à ne sortir qu’en chaise à porteur.
Le 2 juin 1779, peu avant trois heures après midi,
Aubert allait aux vêpres à la paroisse Saint-Martin.
En franchissant un ruisseau , à quelques pas de la
porte d’entrée, il tomba le visage contre terre. Comme
on s’empressait de le relever, il ne prononça que ces
. Registre des actes concernant l’hôpital du Sauveur, p. 25 et suiv.
�102
mots : Ah ! mon Dieu , je suis mort,, et il expira deux
minutes après, à l’âge de quatre-vingt-six ans. On
le porta chez lui, et les administrateurs de son hô
pital dirigèrent ses obsèques.1 Ils délibérèrent un peu
plus tard de fonder à perpétuité un service solennel
dont la célébration fut fixée au 3 -juin de chaque
année, et firent aussi exécuter par Foucou, sculpteur
du roi et de l’académie royale de peinture et de sculp
ture de Paris, le buste en marbre d’Antoine Aubert.
Ce buste, qui était, dit-on , fort ressemblant, 2 fut
placé sous une espèce de portique convenablement
décoré, dans une salle du rez-de-chaussée de l’hôpital
du Sauveur, en face de la chapelle , sur un piédestal
qui portait le nom du grand bienfaiteur, avec cette
inscription : Patri pauperes. 3
Des personnes charitables se présentèrent pour
fonder des lits dans l’hôpital du Sauveur, et le 16
juin 1783, les quatre administrateurs à vie délibé
rèrent d’accepter ces fondations; de réserver à ceux
qui les faisaient et à leurs héritiers ou représentants
la nomination des pauvres malades qui devaient oc
cuper les lits fondés perpétuellement, de leur donner
1. Mémoire manuscrit déjà cité sur la vie du docteur Aubert, fait
par son neveu Charles Signoret, aux archives de l’Hôtel-Dieu.
2. Grosson. Almanach historique de 1789, p. 127.
o. Registre des délibérations des administrateurs de l’hôpital du Sau
veur, p. 4 , aux archives de l’Hôtel-Dieu. — Le buste d’Antoine Aubert
est aujourd hui dans la salle des séances de la commission administra
tive des hospices de Marseille.
�de plus le titre de fondateur. Ils délibérèrent en outre
de s’adjoindre, pour former le bureau, un fondateur
de lit nommé pour une année , et six directeurs
choisis parmi les citoyens notables et qui devaient
rester trois ans en exercice. Ces directeurs furent
de Godet Duperet, de Georges d’Ollières, Nicolas
Samatan, Jacques Ferrari, Balthasar Mille et Michel
Truillier. 1
Le parlement d’Aix homologua cette délibération
le 11 juillet.
Le 21 du même mois, les quatre administrateurs
à vie arrêtèrent les règlements de l’œuvre. La fon
dation de chaque lit y fut fixée à 5,400 livres. Comme
on l’avait déjà délibéré , le fondateur de service ne
dut servir qu’un an, et chaque année deux des six
directeurs sortaient de charge et ne devenaient rééli
gibles qu’après cinq ans d’intervalle. Mais indépen
damment du fondateur de service , pris annuelle
ment parmi les fondateurs de lits, tous les fondateurs
avaient, quand ils le jugeaient convenable, entrée
et voix délibérative dans les séances du bureau qui
siégeait tous les mardis, sous la présidence du semai
nier. Les pauvres reçus dans la maison devaient y
apporter un petit trousseau.2 Leur nombre, au reste,
était indéterminé comme dans les grands hôpitaux.
1. Registre des délibérations ci-dessus cité, p. 15.
2. Règlements manuscrits pour l’hôpital du Sauveur, dans la caisse
renfermant les litres et papiers de l’œuvre, aux archives de l’Hôtel-Dieu.
�104
Cette œuvre ajouta à la dotation que le docteur
Aubert lui avait faite pendant sa vie la somme de
deux cent mille livres environ qui provenaient de
son héritage et qu’elle plaça partie sur le clergé de
France , lequel fit à cette époque un emprunt de
trente millions ; partie sur les états de Provence,
sur ceux du Languedoc et sur la communauté de
Marseille. 1 La charité de quelques personnes pleines
de zèle pour le service des pauvres vint augmenter
les ressources de cet hôpital dont les débuts furent
des plus heureux. La Dlle Marie-Anne Gleize lui
laissa, en 1779, une maison située à la rue du GrandPuits et une autre à la rue du Relais , valant en
semble 44,000 livres. 2 La dame Tornatory , née
Reynaud, lui fit un don de 2,000 liv. en 1785, et dans
la môme année, la Dlle Rose-Marguerite Luce, fille
d’un ancien greffier audiencier en la sénéchaussée
de Marseille, l’institua son héritier universel, à la
charge néanmoins d’établir à perpétuité un lit pour
un malade de l’œuvre, dont la nomination appar
tiendrait au monastère des Augustins réformés.3
\
1. Recueil des actes concernant l’hôpital du Sauveur, p. 58 , 61 , 85
et suiv. , 115 etc., aux mêmes archives.
2. Même recueil, p. 13 et su iv ., p. 68 et suiv.
5.|M êm e recu eil, p. 122 et suiv. — Les autres fondateurs de lits
à 1 hôpital du Sauveur furent Pierre B lanc, économe de cet hôpital ;
Louis-Joseph-Denis Borély ; la dame Anne Boyer, veuve de Pierre-Honoré Roux; la dame Claire Magalon , veuve d’André de Raoul ; la DUe
Thérèse d Audilfret, de Gréoulx ; la Dlle Marie-Anne-Louise Borély.
�L’hôpital du Sauveur ne faisait pas de quête; 1il
était administré avec une sévère économie, et les
gages de tous les employés ne coûtaient annuelle
ment que deux mille et quelques centaines de livres.2
On s’accordait à dire que la maison d’Aubert soignait
bien ses malades. 3 Tout lui annonçait donc une lon
gue existence, et pourtant quelques années suffirent
pour la terminer. 1 II est vrai que ces années furent
celles qui donnèrent leur date à des chutes immenses
dont le bruit retentit encore. Un écrivain provençal
dit que « le citoyen qui a fondé l’hôpital du Sauveur
» à Marseille est peut-être l’homme le plus estimable
» du siècle, par la seule raison qu’il en a été le plus
» humain. » 5 Ces paroles ne peuvent avoir qu’un
1. Courte notice sur l’hôpital du Sauveur, imprimée à Marseille en
I 786 , chez Antoine F avet, 2 pages petit in-4°.
2. Jean-François Fabre, chirurgien, avait» 500 livres d’appointe
ments. Thomas Turrier, augustin réformé, touchait 400 livres en qua
lité d’aumônier ; Pierre Blanc , économ e, en avait 600; Jean-Balthasar
Trouihard, agent, en avait ISO , et Jean-Mathieu Peiron, élève en
chirurgie, 400. 11 faut ajouter à ces diverses sommes les gages de
quelques personnes d’un service subalterne.
5. Grosson. Almanach historique de Marseille, année 1778, p. 530.
— ld. de 1779, p. 121. — Id. de 17 80, p. 129. — Id. de 1784, p. 141.
— Id. 17 82, p. 124.
4. Au moment de sa suppression , cet hôpital n’avait que vingt-cinq
malades. C’est ce qu’on peut voir dans le rapport de Dansan , officier
de santé, à la date du 26 juin 17 98, aux archives de l’IIôtel-Dicu.
5. Description géographique et topographique des v illes, bourgs,
villages et hameaux de la Provence ancienne et moderne, par Achard.
Aix , 1787, t. 1 , p. 184.
�—
106
écho sympathique dans tous les cœurs chauffés par
les flammes divines de la miséricorde.
Aubert avait fait de son œuvre un objet de sol
licitude, de dévouement et de sacrifice. Il la con
templait avec ce sentiment d’orgueil que l’homme,
toujours faible, même quand il est bien inspiré,
montre dans toutes ses créations. Il croyait attacher
son nom à un monument impérissable de bienfai
sance , et voilà que ce nom est à peu près effacé de
la mémoire des générations actuelles , passionnées
facilement pour des choses qu’elles oublient bientôt
avec une égale facilité.
�CHAPITRE Y.
as«>a»*'ffAR b>e s a»é 6. œes e u s , s o u s l e : 'B'i e u e o t:
SAIIVT*JiLCQ(!ES-UES>£PKE8.
Notions historiques sur l’ordre de Saint-J,-rcques-des-Epées. — Fon
dation d’un hôpital à Marseille pour les pauvres pèlerins. —
Détails divers sur cet hôpital — Confrérie de Saint-Jacques-desEpées. — Etat de l’œuvre dans le xve siècle. - - Son exercice
hospitalier dans le siècle suivant. — Règlem ent et régime de la
confrérie. — Conflits entre ses prieurs et les recteurs nommés par
la ville pour son administration. — La confrérie a aussi de longs
différends avec les pères Servîtes. — Faits divers à ce sujet. —
Traitement des pèlerins dans l’hôpital Saint-Jacques-des-Épées.—
L’œuvre est menacée dans son existence. — Sa réunion à l’HôtelDieu de Marseille. — Les recteurs de l’Hôtel—Dieu organisent le
service des pauvres passants. — Ils vendent l’ancienne maison de
Saint-Jacqnes-des-Epées et logent les voyageurs indigents dans
une maison de la rue des Bannières
Le nom de Saint-Jacques-des-Épées * était celui
d’un ordre de chevalerie espagnole fondé dans le
royaume de Léon , en 1160 , suivant quelques-uns ; 2
dix ans après suivant quelques autres , 3pour résister
1. Les anciens titres appellent cet hôpital : Hospitale Sa ncti
ou de Sp atâ .
d e Sp atis
Jacobi
2. Traité de la Noblesse et de ses différentes espèces, par messire
Giles-André de la Roque, chevalier seigneur de la Lontière. Paris,
1678 , p. 379.
5. H istoire des Ordres m onastiques, religieux et m ilita ires, et des
C ongrégations séculières de l'un et de l’autre sexe. Paris , 1714 , t. 2 ,
p. 256 et suiv.
�aux Maures lesquels troublaient la dévotion des pè
lerins qui allaient à Compostelle visiter le tombeau
de Saint-Jacques. Ces chevaliers furent mis, en 1175,
sous la règle de Saint-Augustin et firent vœu de
chasteté; mais plus tard le pape Alexandre III leur
ayant permis de se marier, ils 11e le purent faire sans
la permission écrite du roi. Ils étaient obligés de
s’abstenir de leurs femmes, certaines fêtes de l’année,
comme celle de la Vierge , de saint Jean-Baptiste,
des saints Apôtres et quelques autres, ainsi que les
veilles de ces fêtes , comme aussi les jours de jeûne
prescrits par la règle. Plus tard encore ,• ils ajoutè
rent à leurs vœux celui de défendre l’immaculée
Conception de la sainte Vierge.
Les chevaliers de Saint-Jacques-des-Épées avaient
une robe blanche et un chaperon de même couleur,
et pour marque plus spéciale de leur ordre, ils por
taient sur la poitrine la croix rouge lleuronnée au
pied long en forme d’épée. Leur tête était rasée de
manière à figurer une couronne.
Cet ordre, qui était fort riche en Espagne, cons
truisit des hôpitaux pour loger les pèlerins, * et l’on
donna son nom à l’une des maisons hospitalières de
Marseille. Elle fut fondée en l’année 1200, et elle
reçut des malades , sans cesser d’accueillir les pau
vres pèlerins, car c’était sa destination spéciale. Au
1.
Histoire des Ordres monastiques, etc.,
tome, mêmes pages.
ci-dessus cilcc, même
�— 109 —
commencement du siècle suivant, elle était dirigée
par des femmes qui portaient le titre de sœurs, et elle
fut ensuite sous l’administration de recteurs parti
culiers. 1
L’ardeur des guerres saintes conduisit à Marseille,
dans le treizième siècle, une foule de croisés et de
pèlerins. Plusieurs d’entre eux se voyant, sans doute,
accablés de fatigue , de misère et de maladie, durent
demander des secours aux hôpitaux de cette ville.
Ce fut, selon les vraisemblances , pour satisfaire à
ces nécessités de bienfaisance, que l’on fonda l’hô
pital Saint-Jacques-des-Épées plus spécialement con
sacré au soulagement des voyageurs indigents. Les
statuts municipaux de Marseille ont plusieurs dispo
sitions remarquables en faveur des croisés et des
pèlerins.2 De minutieux règlements de police proté
geaient tous leurs intérêts. Les armateurs et les ca
pitaines de navire contractaient des obligations envers
ces hommes qu’entouraient tant de témoignages de
sympathie populaire. 3 Tout ce qui concernait l’em
barquement était l’objet de la vigilance municipale ,
1. Rufû. Histoire de Marseille , tome 2 , p. 94.
2. Statutor. Massii. lib. iv , cap. xn. De omnibus navigantibus Massilie qualiter se habere debeant erga Massilienses. fol. 96 recto, aux
archives de la ville.
3. Statutor. Massii. lib. iv, cap. xxiv. Qualiter Domini et redores
navium se habere debeant erga peregrinos, fol. 101 reclo.— Ibid. lib.
îv , cap. xxvii. De cargatoribus navium , fol. 102 recto.— Ibid. lib. iv,
cap. xxix. De peregrinis modis omnibus ultra mare portandis, fol.
102 verso.
�et les statuts allaient jusqu’à marquer les places que
les pèlerins devaient occuper sur les vaisseaux 1 vi
sités par des inspecteurs qui s’assuraient s’ils étaient
en état d’entreprendre leur voyage.2 Une partie des
dispositions prises à Marseille au sujet des pèlerins3
appartient aux coutumes de la Méditerranée, comme
on le voit par le livre du Consulat qui en contient
d’à peu près semblables.4
Il paraît que d’autres hôpitaux destinés au loge
ment des pèlerins, qui allaient à la Terre Sainte ou qui
en revenaient, furent fondés en Provence par des
hommes opulents et pieux. On cite du moins la maison
qui fut établie à Hyères, vers l’année 1270, par
Guilhaume Fabri, au retour de plusieurs voyages.5
Les statuts de Marseille gardent, sur l’hôpital de
Saint-Jacques-des-Épées comme sur les autres mai
sons hospitalières de cette ville, un silence dont il
est difficile de se rendre compte , et tout ce que les
1. Statutor. Massil lib. iv, cap. xxiv. De placiis peregrinorum constituendis, fol. 100 verso.
2 . Statutor Massil. lib iv. cap. xxxi. Quod omnia ligna quæ peregririos portabunt in singulis passagiis inspiciantur percuriam an sint
idonea et opéra similiter quæ in eis fient, fol. 103 verso.
3. Pèlerin et passager étaient synonimes à cette époque.
4. Le livre du Consulat contenant les lois, ordonnances, statuts et
coustumes touchant les contracts, marchandises, négociation maritime,
etc., tant entre marchands que patrons de navires et autres mariniers;
nouvellement traduit du langage espagnol et italien en l'rançoys. 1577,
chap. 116 et suiv., pag. 6 0 , 61 et 62.
5. \'iri illustris Nicolai Claudis Fahricii de Peiresc vita per Petrum
Gassendum, p. 12.
�archives locales ont pu m’apprendre , c’est qu’en
l’année 1399 cet hôpital Saint-Jacques-des-Épées
n’avait aucune importance. On ne voit, en effet, que
onze lits dans la salle des hommes et trois dans celle
des femmes. 1 Le total des dépenses ne fut, en cette
année, que de 57 livres 10 sous 4 deniers. 2 Son
mobilier, à la même époque, était assez misérable.
Une association d’hommes et de femmes , sous le
titre de luminaire de Monseigneur Saint-Jacquesdes-Épées , Confrayres e Confrayressas de lumenaria
de Mosenhor Sant Jaume de las Espasas , 3 subvenait
aux frais d’entretien de cette maison, au moyen
d’une souscription de quatre blancs pour la plupart
des membres. Quelques-uns cependant donnaient
quelquefois un peu plus, et quelques autres un peu
moins.
En l’année dont je parle, il y avait dans cette
confrérie cent quatre-vingt-onze hommes et trentesept femmes, presque tous recrutés dans les classes
ouvrières. Nous voyons cent trente-six confrères et
1. Registre intitulé: E nom de Diou sia amen. En !an que on conta
a xxm del mes de jun son tact aquest Cartolari efes lo far
Laurens Paul prio de la lumenaria de Sant Jaume ambe sos comparnons
Peyramon Guillem , Jaume de Toreves, Guillem Frances, rectos de la
lumenaria del dich mesenhor Sant Jaume , fol, 12 recto, aux archives de
l'Hôtel-Dieu de Marseille. Ce registre important va jusqu’à Tanné 14-19.
2 . Même registre , fol. 31 verso.
5. Livre du luminaire de Saint-Jacques-des-Épées, du mois de dé
cembre 1452 à 1487 , grand in-4°, premières p ages, aux archives de
l’IIôtel-Dieu de Marseille.
m cc clxxxxviiii
�trente-trois confreresses en 1452.4 Quelques-uns de
ces associés appartiennent à la classe bourgeoise; tous
les autres sont des gens du peuple. Un seul est d’un
rang élevé. C'est Jacques de Candole. On voit sur la
liste deux notaires, deux apothicaires, cinq cordon
niers , quatre bergers, deux pêcheurs , un chaussetier, un tonnelier, un boucher, un marinier et un
menuisier. Le nombre des membres de cette confrérie
charitable alla toujours diminuant. On ne comptait,
en 1478, que soixante-six hommes et seulement onze
femmes , parmi lesquelles figurait Jenone de Fabas,
prieuresse de Saint-Sauveur. Leur nombre cependant
se releva un peu quelques années après, car en 14872
il y avait cent vingt-six hommes et dix-huit femmes.
L’association de Saint-Jacques-des-Epées avait à
sa tête quatre prieurs nommés pour deux ans et re
nouvelés chaque année par moitié.
On faisait tous les ans une quête pour cette œuvre
qui n’eut jamais que de faibles ressources.
Les dames Quasens et Roupena lui firent des libé
ralités. Par acte du 6 janvier 1375, le laboureur
Jacques Baude montra pour lui sa bienfaisance. Jean
Armieu lui légua plusieurs directes et censives. Jean
Rouvière lui donna une propriété à rente perpétuelle,
1. Même registre. 11 est sans pagination chiffrée, et nous ne pouvons
conséquemment en indiquer les pages.
2. C’est la dernière année du registre cité, et après lequel une grande
et regrettable lacune se manifeste dans les archives de l’Hôtel-Dieu.
�ot la dame Marthe D’Eiguesier, veuve de François de
Blancard , lui abandonna une obligation de cinq cents
livres.1
Il résulte de plusieurs titres que l’hôpital SaintJacques-des-Épées possédait ou avait possédé quel
ques propriétés qui pourtant ne le mirent jamais
dans une situation bien prospère. 2
Chaque année, le lendemain de la fête de SaintJacques , on célébrait un service funèbre pour le
repos de l'aine des bienfaiteurs de la maison. Cette
cérémonie, où l’on employait cinq ou six prêtres,
coûtait dix sous.3
Il y avait un hospitalier avec un traitement an
nuel de six livres. On lui donnait de plus la moitié de
la quête de blé et une paire de souliers. En 1399,
cet hospitalier s’appelait Miellan Sinson. 1 Deux fem1. Livre servant à MM. les trésoriers de l’hospital Saint-Jacques-desÉpées où logent les pèlerins , tant pour l’exaction des pensions et in
térêts que les débiteurs y desnommés font annuellement audit hospital,
et des aultres debtes d’iceluy que pour ce qu’il fault payer à l’hospitalier
pour chasque quartier pour ses salaires, h u ile, b ois, et aultres des
penses ordinaires à faire chasque année. Registre in-4«, fol. 42 et 44,
aux archives de l’Hôtel-Dieu.
2. Tous ces titres sont désignés dans le registre ci-dessus c ité , m ê
mes pages.
3. Avem donat a vi capellans per lo cantar cal fasem far lendeman
de Sant Jaume par larma de dona Quasens e de dona Roupena e de tos
aquellos que ben an fa. x s. Registre cité de 1599 à 1419 , fol. 5 verso.
4. Devem donar a Mielhan Sinson lespitalier de lespital de Sant
Jaume de Lespasa vi livres per an e la mitât de la quista del blat e 1
sabatas. Même registre de 1399 à 1419, fol. 4 recto.
TOME U .
8
�mes étaient aussi attachées au service de la maison.
On les employait à puiser do l’eau et à toutes les occu
pations du ménage. 1
Tel était dans le quinzième siècle l’hôpital SaintJacques-des-Épéesde Marseille situé à la place NotreDame-de-Lorette.
Au milieu du siècle suivant, cet hôpital éprouva
des besoins qui l’obligèrent de s'adresser au conseil
municipal, et ce conseil lui alloua quarante florins
le 28 octobre 1550. 2
Au reste , la ville n’assista l’hôpital Saint-Jacquesdes-Épées que dans de rares circonstances. On lut
au conseil municipal, le 20 novembre 1575, une
requête des prieurs de cette œuvre qui exposaient
leur pauvreté, et surtout le manque de linge. Ils
demandaient, pour l’honneur de Dieu, du chanvre
pour faire des draps. Le conseil leur accorda vingtcinq florins. 3
A cette époque , ou peu de temps après, on prit
à Marseille, violemment agitée par l’esprit de faction
et par les troubles religieux, des mesures de police
1. Avcm donat a las bonas femenas cals nos ajuderon per acanpar
aigua e per far totas causas 11 g. ‘/a. Ibid.
2. Registre 5 des eslections, délibérations du conseil et aultres actes
de la présente ville de Marseille, acomensant le 1er novembre 154-9 et
finissant.le 13 novembre 1554 , fol. 49 recto, aux archives de la ville.
3. Livre des délibérations du conseil municipal de M arseille, du
mois de novembre 1574 au mois d’octobre 1579, fol. 331 recto, aux
archives de la ville.
�et de méfiance contre les voyageurs indigents aux
quels l’entrée de la ville fut interdite. On distribuait
du pain aux pauvres passants qui se présentaient
aux portes. Un bureau municipal du 6 décembre
1590 décida que la communauté de Marseille conti
nuerait d’observer, à ses frais, cette bonne coutume,
et le bureau s’en rapporta, pour l’exécution, à la sa
gesse des consuls.1En 1596, après la réduction de Mar
seille , on donna encore, à la porte Royale, du pain
aux pauvres passants qui ne purent entrer dans la
ville. Mais il paraît que ces voyageurs n'étaient pas
alors très - nombreux, car le compte du boulanger
Farnau , qui fit le pain qu’on leur distribua cette
année, ne fut que d’un écu cinq sous. 2
On comprend que l’hôpital Saint-Jacques-des-Épées
dut subsister à peu de frais pendant ces longues an
nées de discorde.
Le rétablissement de l'ordre amena l’abolition des
règlements de police faits sous l’empire de circons
tances exceptionnelles , et le droit commun prévalut.
L’entrée de la ville fut permise aux voyageurs indi
gents , et la maison Saint-Jacques-des-Epées vit alors
ses charges s’accroître. En 1609, Antoine Rabier,
l’un des quatre prieurs de l’œuvre , était en même
1. Registre 18 des délibérations municipales . du mois de novembre
1590 au mois d’octobre 1591, fol. 50 recto, aux archives de la ville.
2 . Compte de Melchior Médicis , trésorier des deniers communs de
la ville de Marseille, 1595-1596, in -f°, partie sans pagination chiffrée,
aux mêmes archives.
�temps membre du conseil municipal. Il exposa à cette
assemblée, le 28 novembre , que l’hôpital Saint-Jacques-des-Épées recevait tous les jours plusieurs pè
lerins étrangers, et que cette maison avait si peu
de ressources que souvent elle ne pouvait acheter du
bois de chauffage ; que ces pauvres pèlerins, arri
vant quelquefois à l’entrée de la nuit, par un temps
de pluie ou de froid, ne pouvaient aller mendier leur
pain dans les rues, et que les prieurs se voyaient
obligés « oultre la peine qu’ils avoient, de mettre la
» main à leur bourse. » Rabier implora la pitié de
ses collègues de l’assemblée, « requérant par ainsi
» ledit conseil y vouloir despartir d’aulmosnes les
» prieurs des pouvres pèlerins, pour l’honneur de
» Dieu. »
Le conseil ordonna que le trésorier de la ville
compterait cent livres à Rabier qu’il chargea d’em
ployer lui-même cette somme selon les besoins de
l’œuvre. 1
Cinq ans après, la confrérie de Saint-Jacques-desÉpées fit quelques changements à son hôpital pour
séparer les hommes des femmes. Elle eut aussi besoin
de linge et de lits, et s’adressa au conseil municipal
pour en obtenir quelque secours. Le conseil, dans
sa séance du 9 novembre 1614 , alloua aux prieurs
1. Registre 25 des délibérations du conseil m unicipal, du mois de
novembre 1606 à la fin du mois d’octobre 1 6 1 0 , fol. 306 verso , aux
archives de la mairie.
�la somme de trois cents livres une fois payée et sans
tirer à conséquence pour l’avenir. 1
Les prieurs , peu de temps après, confièrent des
boîtes ou troncs à diverses personnes pour recevoir
les aumônes à l’adresse des pauvres pèlerins. Ils en
remirent aussi à des capitaines marins chargés, du
rant leur voyage, de la même commission pieuse. ~
La confrérie de Saint-Jacques-des-Épées avait de
vieux règlements qui remontaient à l’origine même
de l’œuvre et qui avaient été successivement modi
fiés selon les temps et les circonstances. En 1618,
elle sentit la nécessité de coordonner ces modifica
tions diverses, et les prieurs rédigèrent de nouveaux
statuts. Ils portent, en substance, que les biens et
les revenus de la confrérie et de l’hôpital SaintJacques-des-Épées continueront d’être régis par qua
tre prud’hommes prieurs, domiciliés à Marseille , en
trant en fonctions le 25 juillet, jour de Saint-Jacques,
et servant deux années ; que tous les ans, la veille
1. Registre 28 des délibérations du conseil municipal de Marseille,
du mois de novembre 1614 à la fin du mois d’octobre 1 6 1 6 , fol. 6
verso , aux mêmes archives.
2. Livre tenu sur les mémoires des boittes que se bailleront tant
aux merchants tenant magasins sur la rive du Port que aultres parts
de la ville et aussi sur les navires et vailsseaux allant en voyage sur
mer pour demander pour l’hospital des pourves pèlerins d el’églize SaintJacques-des-Éspées, fondé dans la cité et ville de M arseille, pour les
ausmones que- en proviendra en estre employé aux réparations dudit
hospital, et a esté commencé par Balthasar Fouco, Pierre A rnail,
!ehan Mathieu et Georges Beaumond, prieurs et recteurs vieulx et nou
veau x, de l’an 1617. ln -4°, aux archives de l’IIôtel-Dieu de Marseille.
�de cette fête, les quatre prieurs en exercice, après
avoir entendu la messe et imploré les lumières du
Saint-Esprit, éliront deux nouveaux prieurs; qu’en
cas de dissentiment, ils prendront l’avis des deux
prieurs sortis d’exercice l’année précédente.
Les deux prieurs nouveaux , à leur entrée en
charge, jureront « de maintenir et pourchasser le
» bien, profit et utilité de ladite luminaire et hos» pital. »
La veille du jour du Saint-Jacques, la confrérie
fera une procession , et le lendemain de la fête, elle
fera célébrer une grande messe à l'autel du saint.
Les prieurs seront obligés, tous les dimanches et
jours de fête , de se tenir dans l’église au banc avec
le bassin pour solliciter les aumônes des fidèles en
faveur de l’hôpital.
Le jour de Saint-Jean, on donnera aux pèlerins « la
» disnée, dans ledit hospital, de pain et vin et quel» que ordinaire, selon que le temps permettra , à la
» discreption. »
On leur donnera aussi la collation la veille de Noël.
Les quatre prieurs « auront le soing de pourvoir
» un homme capable et gens de bien pour servir
» d’hospitalier audit hospital et pour se prendre
» garde de faire loger et servir les pèlerins afin d’é» viter à tous courroux et escandalles que pourraient
o naistre entre eux à cause de la diversité des lieux
» d’ieeulx, et que l’honneur et la paix de Dieu re» commandée y soit. »
»
�L’hospitalier ne pourra recevoir aucun pèlerin sans
un billet d'admission délivré par les prieurs, et les
pèlerins ne demeureront dans la maison que trois
jours entiers, à moins que les prieurs n’accordent
une prorogation fondée sur des circonstances par
ticulières. 1
Long-temps après, c’est-à-dire en \ 682 , les billets
d’entrée furent remis à l’hospitalier et on lui en
donna jusques à cinquante à la fois. Chaque pèlerin ,
en recevant son billet, fut obligé de dire, à genou
et tête nue, un Pater et un Ave pour l’âme des bien
faiteurs. 2
Ce ne fut qu’en 1577 que le conseil municipal de
Marseille nomma les recteurs de l’hôpital Saint-Jacques-des-Épées. Précédemment cette oeuvre n’était
administrée que par ses quatre prieurs. Aux élec
tions communales du 28 octobre 1577 , le conseil
de ville , auquel la nomination des administrateurs
de toutes les maisons de bienfaisance appartenait,
fit choix, pour celle de Saint-Jacques-des-Épées, de
1. Livre des institutions et règlements de la fondation de la lumi
naire et hospital de Saint-Jacques-des-Épées où logent les pèlerins de
ceste cité et ville de Marseille, avec la forme et manière de ladite
création des prieurs, recteurs et administrateurs de ladite luminaire et
hospital, ensemble les propositions et délibérations que seront faites
par lesdits prieurs pour le soustenement et deffence du bien et entretenement desdits luminaire et hospital. Aux archives de l’Hôtel-Dieu.
2. Cahier joint à la suite du livre des institutions et règlements de
la fondation de la luminaire et hospital de Saint-Jacques-des-É pées,
e tc ., fol. 1 recto et verso.
�trois recteurs qui furent Paul Moustier, Jean Thibaud
et Peyron Malhan. Il leur adjoignit Barthélemy Dasle
en qualité de coadjuteur. 1 L'année suivante , les
suffrages de l'assemblée se portèrent sur Louis Malhan,
Balthasar Foucou et Barthone.2 En 1579, sur Rogne,
Fouque et un autre Moustier. 3 On ne désigna plus
de coadjuteur. En 1580, on n’élut que deux recteurs,
Jacques Claret et Claude Moustier ; 1 mais on revint
au nombre de trois en 1581 , et François Rème,
Nicolas Roque et François Veyrier, dit Fournier, fu
rent nommés. 0 Dans les années qui suivirent, on
choisit tantôt trois recteurs et tantôt deux seulement.
L’œuvre de Saint- Jacques-des -Épées, toujours
représentée par la confrérie dont j’ai parlé, n’en
continua pas moins d’avoir quatre prieurs qui l’ad
ministrèrent en réalité, tandis que les recteurs
municipaux n’eurent guères qu’un titre officiel et
honorifique. En 1648, le conseil de ville porta inva
riablement à quatre le nombre de ces recteurs qui
furent nommés pour deux ans et renouvelés par
1. Livre des délibérations du conseil municipal de M arseille, du
mois de novembre 1574 au mois d’octobre 15 79, fol. 581 verso, aux
archives de la ville.
2. Même registre, loi. 418 verso.
3. Même registre, fol. 459 recto.
4. Registre des élections , conseils et aultres actes de la présente
ville de Marseille, comansant le 8 novembre 1579 et finissant le 5
janvier 15 84, fol. 36 recto.
5. Même registre, fol. 99 recto.
�moitié chaque année. Je vais dire la cause de ce
changement.
On se plaignait beaucoup dans l’Hôtel-de-Ville de
la mauvaise direction de l’hôpital Saint-Jacques-desÉpées. J./administration municipale ne reconnaissait
pas les prieurs de la confrérie qui entretenait cet
hôpital, et ceux-ci, à leur tour, refusaient de se
soumettre à la juridiction des recteurs nommés par
le conseil de la commune. Le 28 octobre 1647 , le
conseil nomma Jean-Baptiste Bouolan, écuyer, et
Jean-François Olivier, bourgeois, recteurs de l’hô
pital Saint-Jacques-des-Épées. Ceux-ci voulurent
entrer en charge en faisant l’inventaire du mobilier
de cette maison où ils se présentèrent, le 4 novembre,
accompagnés d’un notaire. Ils y rencontrèrent l’hos
pitalier Reynaud auquel ils donnèrent congé et mirent
à sa place le nommé Bernard Arbre. Ils comman
dèrent ensuite au notaire de faire son office. Celui-ci
inventoria huit lits plus ou moins garnis, trois autres
qui ne l’étaient pas du tout, une bannière en damas
cramoisi à l’image de Saint-Jacques, un crucifix avec
une écharpe, deux tables et quatre bancs en bois
blanc, une échelle et quelques objets sans valeur.
On ne put inventorier les meubles de deux pièces
du rez-du-chaussée , Reynaud ayant déclaré que les
clés étaient entre les mains des prieurs.1
1. Registre 50 des délibérations du conseil municipal et aulLies
actes, du mois de novembre 1647 au mois de mars 16S0, loi. 1 recto
verso, aux archives de la ville.
�— 122 —
Il paraît que cet inventaire fut le seul acte de
gestion des recteurs de l’hôpital Saint-Jacques-desÉpées dont le pouvoir fut plus nominal que réel,
et les choses en étaient là lorsque, le 28 octobre 1648,
le conseil municipal en fit l’objet de sa délibération.
Le premier consul Pierre de Bausset, sieur de Ro
quefort , déclara qu’on avait remarqué de grands
abus , et même des abominations, dans cet hôpital
dont les prieurs, gens inconnus, se donnaient un
pouvoir qu’ils n’avaient pas et empiétaient sur celui
des recteurs nommés par la ville. Il ajouta qu’il
conviendrait d’en élire deux qui s’adjoindraient aux
deux autres du précédent exercice , de sorte que
ces quatre administrateurs dirigeraient ensemble la
maison et chercheraient à remédier aux désordres. 1
Comme c’était le jour des élections annuelles ,
Pierre de Bausset proposa aux suffrages du conseil
Jean-Baptiste de Monier et Noël Descalis , avocat,
dont le choix fut approuvé. 2
Nonobstant cette délibération , il ne paraît pas que
les recteurs municipaux aient administré directement ,
en vertu de leurs titres et de leur mandat, l’hôpital
Saint-Jacques-des-Épées dans les affaires duquel les
prieurs de la confrérie de ce nom eurent encore la
haute main pendant long-temps. Il y avait là un an
tagonisme qui tournait toujours au profit des chefs
1. Même registre 50 des délibérations m unicipales, fol. 356 recto.
2. Même registre 50 , fol. 381 recto.
�123
d’une confrérie indépendante dans laquelle l’œuvre
se résumait, et l’on connaît toutes les ressources
que possède l’esprit de corps et toute l’énergie qu’il
déploie quand on le froisse. D’ailleurs, dans la se
conde moitié du dix-septième siècle, ces prieurs ne
méritèrent plus la qualification de gens inconnus que
Pierre de Bausset de Roquefort leur donna en plein
conseil municipal, le 28 octobre 1648. En général
ils appartinrent alors à la bonne bourgeoisie, et l’on
vit même parmi eux beaucoup de gentilshommes et
de personnes titrées. Il suffit de citer les noms de
Lazare de Tournier, sieur de Saint-Yictoret ; Thomas
de Riqueti, sieur de Négreaux ; François de Bausset,
chevalier de Saint-Jean-de-Jérusalem ; Gaspard de
Gaspari, sieur de Canari et vicomte de Belleval ; Louis
et Étienne d’Audiffret; Roch de Bouquin , Antoine de
Sommati , Balthasar de Yias , Scipion- Antoine de
Foresta, Jean de Marin, Pascal de Leuze, André de
Gaspari, Barthélemy de Sacco, Honoré de Seigneuret,
Honoré de Martin, les écuyers Laurent Gilles, Nicolas
de Lourme , Antoine de Moustier, François de Martilleri, Jean Lefebvre, docteur en médecine, et Jean
Paul, avocat.1
Si les prieurs de Saint-Jacques-des-Épées eurent
de longs différends avec l’administration municipale,
1. Livre des institutions et règlements de la luminaire et hôpital de
Saint-Jacques-des-Épées où logent les pèlerins, etc. Registre in-fol.
Passim , aux archives de l’Hôtcl-Dieu.
�iis en eurent aussi avec les frères de l’ordre des Ser
viteurs de la Benoîte Vierge Marie qu’on appelait aussi
les Révérends Pères Servîtes. Cet ordre qui avait de
l’éclat à Florence où ses fondateurs étaient nés , 1
établit, en 1521 , une de ses maisons à une demi
lieue de La Ciotat, sur le bord de la mer, près d’une
source nommée Font-Sainte que le peuple regarda
long-temps comme miraculeuse. 2 Trente-quatre ans
après, l’hôpital Saint-Jacques-des-Épées de Marseille
appela près de lui des religieux du même ordre.
Cet hôpital avait une église qui lui était contiguë
et sur le clocher de laquelle il fit mettre une cloche
en 1375 3 et une autre plus tard. 1 Des prêtres sécu
liers desservirent cette église. *A la fin du quator
zième siècle et au commencement du quinzième , le
prêtre Laget, d’Ancône , y exerçait son ministère
1. H istoire des ordres m onastiques, religieux et m ilita ires, etc.
Paris, 1714, t. 3 , p. 296 et suiv. — Vie de saint Philippe Benizi ,
cinquième général et propagateur de l’ordre des Servites , par François
Malaval. M arseille, 1 6 7 2 , in-4°, p. 31 et suiv.
2. H istoire de La C iotat , par Marin. Avignon , 1782 , p. 130 et suiv.
5. Livre servant à MM. les Trésoriers de l’hospital Saint-Jacquesdes-Éspées où logent les pèlerins, tant pour l’exaction des pensions et
intérêts que les débiteurs y desnommés font annuellement audit hospital
et des autres debtes d’iceluy que pour ce qu’il fault payer à l’hospita
lier chasque quartier pour ses salaires, huile, b ois, e tc ., et autres
despenses ordinaires à faire chasque année. Registre in-4°, fol. 44 ,
aux archives de THôtel-Dieu de Marseille.
4. Voyez les divers inventaires de l’hôpital Saint-Jacques-des-Épées,
aux memes archives.
�moyennant 40 livres par an, en vertu d’un traité
passé entre lui et les prieurs de l’œuvre. 1 Plus tard ,
c’est-à-dire en 1452 , un autre prêtre , Antoine de
Bermon, y disait la messe pour six florins qu’il rece
vait chaque année. 2 En 4 467, il y eut une sous
cription parmi les confrères de Saint-Jacques-desÉpées pour réparer leur église. Les uns donnèrent de
l’argent et les autres du blé. 3 Le 2 septembre 4443,
les prieurs avaient acheté une maison attenante. *
Ces prieurs traitèrent, en 4555, avec le père
Antoine-Marie Olméon, d’un village du diocèse de
Turin, provincial des Servites, et par acte du 30
décembre de la même année, on stipula les conditions
suivantes :
« 4. Premièrement que ledit frère Antoine-Marie,
» pourvoira de capellans et relligieux de son couvent
» de gens de bien famoux pour le service divin et de
» l’église sus dite. »
1. Avem acordat m oss Laget Dancona capellan per servir la gleiza
local den guasachar x liv. par an. Voyez le registre intitulé : E nom de
Diou sia amen. En lan que on conta
a xxm dal mes de
jun son fach aquest cartolari e fes lo far Laurens Paul priol de la lum enaria de Sant Jaume anbe sos companons Peyramon G uillem , Jaume
de Torevas , Guillem Frances , rectos de la lumenaria del dich mesenhor
Sant Jaum e, fol. 4 recto, aux archives de l’Hôtel-Dieu.
2. Livre de luminaire de Saint-Jacques-des-Épées, du mois de dé
cembre 1452 à 1487 , premières pages, aux mêmes archives.
3. Même livre de 1452 à 1487, chapitre intitulé : Aquellos que an
promes de donar à la gleisa que an blat que an argent.
4. Livre coté O des créations et eslections des recteurs de l’hos
pital Saint-Jacques-des-Épées, p. 4 4 , aux archives de l’Hôtel—Dieu de
Marseille.
m cc clxxxxviiii
�126
« 2. Item. Lous dits fraires que seront audit cou» vent et église seront tenus de dire les heures cano» nicales et servir de messes la dite église bien et
» duement. »
« 3. Item. Que en faisant leur demeurance au dit
» couvent ly survenguesse de dits fraires religieux que
» fisse aulcune malversation ny mauvais portement,
» les dits recteurs et prieurs de la dite église et hos» pital sus dit escriront et manderont au dit provin» cial que sera pour lhors que ave aquel tel fraire
» levar ou y eschanger un autre à sa place, pour la
» première vegade lou dits fraires layent à fere et
» amandar à la requeste des dits prieurs. »
« 4. Item. Que advisat queseran les dits fraires du
» mauvais portement que sera au dit couvent, et
» iceux non vouguesson mandar ny advertir au dit
» provincial, sera , pour castigar tais maulvais vi» vants, loisible aux dits prieurs de escrire et mandar
» un homme aux dépens dudit couvent: »
« 5. Item. Que les dits fraires, le jour de la feste
» de Saint-Jacques, seront tenus de dire la grand» messe et faire la procession et messes petites pour
» le service de-la dite feste, sans prendre le dit jour
» aulcung salaire, et aussi seran tengus de laissai’
» l'offerte au dit jour provengudo cesto festo, et ce
» tant de la ciero et candellos mocados que sera en
» la dite offerte et église pour aquel jour et pareil» lement tous les dimanches et festes sans aulcungs
» sallaires. >r
�« G. Item. Que le lendemain seran tengus de dire
» une grand-messe de morts et cantar pour prier
« Dieu pour les fondateurs des dits luminaire et
» hospital. »
« 7. Item. Que le jour des vendredis-saints tout
» l’argent provenant au bassin et candelles et ciero
« non mocades que viendront au dit bassin de la
» Croix et S. Crucifix en la dite église seran de la dite
» confrairie de Saint-Jacques. »
« 8. Item. Que les dits frères religieux non pour» ran bastir dedintre la dite église ni couvent, difficar
» ny redifficar ni melheurar sans licenci des dits
« prieurs que seran per aquel temps. »
« 9. Item. Que les dits prieurs et frères en lou dit
» couvent prendront toutes les causes en la secrestie
» per inventaire et causes que seran dintre lou dit
» couvent per lou servicy, premierament comme sont
» campanos , callisses , vestis d’église , croix , to» nailles , corporaux, pierres sacrades , lougières et
» aultres causes pour faire le service divin de la
» dite église. »
« 10. Item. Que le lendemain de la feste de S.
» Jacques sera tengut lou dit prieur et frere que
» sera per acquel temp de rendre compte de son in» ventaire et las causes y contengudes. »
« 11. Item. Que lous dits prieurs de la dite esi' glise se retendran, comme par la teneur de ces
» présentes se retiennent, le juspatron de la dite
» église et couvent sus dit. »
�— 128
» 12. Item. Que s’il meurt aulcuns pauvres péle» rins Roumioux ou autres dedans le dit hospital,
» tous fraires seran tengus de lous confessai’ et ly
» administrar lou S. Sacrement, et après la mort
» les accompagneront avec la croix , sans prendre
» aulcuns salaires. »
« 13. Idem. Que la venue des fraires en abon» dance au dit couvent et que les liects du dit hos» pital ne fussent empêchés pour le service des pau» vres, sera du plaisir des dits prieurs de vouloir
» laisser coucher à iceux les dits frères , comme
» font aux pauvres de Jésus-Christ. »
« 14. Item. Que advenant la cause que le prieur
» que sera per aquel temps et fraires au dit couvent
» non vouguesson observai* les causes subredites et
» contengudes, que les prieurs du dit hospital et lu» minaire que seront pour aquel temps si puissent
» retirer ou constituer un homme pour anar troubar
» lou dit père provincial et fousse ben à Roume ou
» autres pars et mandar aux despens du dit couvent
» pour faire entendre las causes au dit provincial. »
« 15. Item. Que les dits prieurs auran un bassin
» en la dite esglise pour demander l’aumosne pour
» les pauvres Roumieux, réparation et entretene» ment de la dite esglise et pauvres de l'hospital. »
« 16. Item. Attendu la pauvreté du dit hospital
» a esté advisé que pour l’advenir sera donné de
» boetes aux marchants tenant magasins et boutiques
�129 —
» tant à la rue du Port que aux rues, ensemble aux
« vaisseaux et navires que iront en voyaige pour
» reculhir des aumosnes que plaira aux bienfaiteurs
» faire pour la réparation du dit hospital dont en
» sera tenu ung livre pour mémoire des noms de tels
» marchants, vaisseaux et patrons. » 4
Pierre Boqueri , vicaire - général du diocèse de
Marseille , en l’absence du cardinal-évêque Christophle de Monte, fit procéder à l'installation des Ser
vîtes par le notaire Alphanti, en présence de plusieurs
personnes parmi lesquelles on remarquait Jean Fabri,
ditSamsaire, dont l'initiative et l’influence avaient eu
tant de part dans l’appel de ces religieux à Marseille,
qu’on lui donna le titre de fondateur de leur couvent.2
La maison cédée aux pères Servîtes, en vertu
de l’acte du 30 décembre 1555 , devint ainsi leur
couvent, et l’église de Saint-Jacques-des-Épées ,
desservie par eux, prit dès lors le nom de NotreDame-de-Lorette. Quelque temps après, une congré
gation de laïques se forma à Marseille sous ce der
nier titre et se réunit dans la même église pour ses
exercices religieux.
1. Livre des institutions et règlements de la fondation de la lum i
naire et hospital de Saint-Jacques-des-Espées, où logent les pèlerins
de ceste cité et ville de Marseille, etc.
2. Ac Joanne Fabri, dicto Samsaire, habitatore præsentis civitatis
Massiliæ, primo fundatore dictæ civitatis ejusdem convenais ac religionis. L’antiquité de l’église de Marseille et la succession de ses évêques,
par M?r l’évêque de M arseille, t. 5 , p. 175, à la note.
TOME II.
9
�D’après une ancienne coutume , les prieurs de
l’hôpital Saint-Jacques-des-Épées accompagnaient
avec des flambeaux allumés le Saint-Sacrement à la
procession que l’église de Notre-Dame-de-Loretle
faisait dans l’octave de la Fête-Dieu. Deux prieurs
marchaient devant le dais et deux autres derrière.
Le 1er juin 1617, les prieurs Balthasar Foucou ,
Pierre Arnail, Jean Mathieu et Georges Beaumond ,
furent troublés dans l'exercice de ce droit par les
prêtres de Notre-Dame-de-Lorette et par les membres
de la confrérie de ce nom. Ils se réunirent le Iendamain dans l’hôpital pour délibérer sur les moyens
de faire cesser ce trouble. On venait de décider qu’une
requête serait présentée au lieutenant du sénéchal,
lorsqu’il surgit un nouveau fait de trouble de la part
des pères Servîtes de Notre-Dame-de-Lorette. Contrai
rement aux accords du 30 décembre 1555, ces reli
gieux abattirent un pan de muraille pour s’agrandir.
Le procès commença, et le lieutenant Nicolas de
Bausset débouta les prieurs de leur demande et permit
aux Servîtes de continuer l’œuvre commencée pour la
construction d’une pièce destinée à recevoir lé linge
et les ornements de l’église, à la charge par eux de
la rendre en cas de nécessité justifiée. 1
Les prieurs de Saint-Jacques-des-Épées n’étaient
pas au bout de leurs tribulations. Ceux de la confrérie
1. Livre des institutions et règlements de la fondation de la luminaire
et hospital de Saint-Jacques-des-Espées, etc ., p. 10 à 15.
�—
131
de Notre-Dame-de-Lorette, Jacques de la Treille,
Marc Allègre, Pierre Carrouge et Antoine Michel,
s’opposèrent, le 12 novembre 1617, à ce qu'ils
prissent place sur le banc qui leur était réservé dans
l’église et à ce qu’ils y passassent, selon l’usage, le
bassin pour la quête. L’afïaire se termina à l’avan
tage des prieurs de Saint-Jacques-des-Épées qui fu
rent rétablis dans leurs droits. 1
Quant au procès relatif au droit de préséance à
la procession du Saint-Sacremenl , il ne fut terminé
qu’en 1634 par un jugement du lieutenant du séné
chal , lequel ordonna que les quatre prieurs de SaintJacques-des-Épées auraient à cette procession la place
qu’ils y avaient eue auparavant, mais qu'ils marche
raient avec les prieurs de Notre-Dame-de-Lorette.
Ces derniers interjetèrent appel. Toutefois l’instance
n’étant pas poursuivie périma.
En 1654 , les prieurs de Saint-Jacques-des-Épées
furent encore troublés à la procession par les prieurs
de la confrérie de Notre-Dame-de-Lorette qui leur
disputèrent avec ardeur
Des vains honneurs du pas le frivole avantage. -
et poursuivirent dès lors leur appel devant le parle
ment d’Aix. Leurs contestations durèrent fort long1. Livres des institutions et règlements de la fondation de la lumi
naire et hospital de Saint-Jacques-des-Espées, e tc ., fol 17 verso et
18 recto.
2. Voltaire, tragédie d’Œ dipe, acte iv , scène i.
�temps, et il en fut de meme de celles qui s’élevèrent
de nouveau entre les prieurs de 1hôpital et les peres
Servîtes, lesquels voulurent agrandir l'église en 1619.
Le i novembre de la même année, les prieurs de
l’hôpital Saint-Jacques-des-Épées délibérèrent de s’y
opposer par tous les moyens de droit, et ces débats ,
compliqués d’incidents et de procédures diverses ,
traînèrent en longueur. Il est difficile d’en suivre les
phases au milieu de ce chaos de formalités judi
ciaires et tout aussi difficile d’en connaître la solu
tion qui d'ailleurs ne peut plus intéresser personne. 1
Le 6 septembre 1632 les prieurs de l’hôpital SaintJacques-des-Épées délibérèrent de faire restaurer et
dorer l’autel de Saint-Jacques dans l’église de NotreDame-de-Lorette, et par acte du 11 février 1633,
passé entre les quatre prieurs Jean Perier, Claude
Boutier, François Roubert et Jean Dragon , d’une
part, et Jean Pauchonny, maître peintre et doreur à
Marseille , d’autre part, ce dernier s’engagea à faire
le travail au prix de deux cents livres. 2
1. Livre des institutions et règlements de la fondation de la lumi
naire et hospital de Saint-Jacques-des-Espées, etc ., fol. 5b recto et
Passim. — Voyez aussi le mémoire sur le couvent des PP. Servites,
avec l’énonciation de divers titres concernant celte maison , dans le re
gistre S des délibérations du bureau de l’Hôtel-Dieu de M arseille, du
11 mai 1780 au 31 décembre 1786, fol. 72 et suivants, aux archives
de l’Hôtel-Dieu.
2. Livre des institutions et règlements de la fondation de la lumi
naire et hospital de Saint-Jacques-des-Espées, e t c ., fol. 51 recto et
52 recto et verso.
�Depuis rétablissement de l’hôpital Saint-Jacquesdes-Épées, le gîte seul était donné aux pauvres pè
lerins et il se voyaient toujours obligés d’aller mendier
leur pain dans la ville. Seulement les prieurs déli
bérèrent, le 9 octobre 1678, de donner à chaque
pèlerin cinq sous la veille de la fête de Saint-Jacques,
ainsi qu’à celles de Pâques et de Noël. 3 Honoré de
Seigneuret, par testament du 11 juillet 1680 , légua
à cet hôpital une pension annuelle de 155 livres
pour donner un pain à chaque pèlerin le soir de son
arrivée. 2 Par délibération du 6 septembre 1682 , les
prieurs Pierre-Gaspard de Gaspari, Pascal de Leuse,
Claude Àlbi et Claude Boyer, décidèrent que les pè
lerins recevraient chacun deux pains, l’un à l’entrée,
l’autre à la sortie, attendu que le nombre de ces
pèlerins était alors peu conseccant. 3 Enfin , le 22 dé
cembre de la même année, les prieurs décidèrent que
1. Livre servant à MM. les trésoriers-de l’hospital Saint-Jacquesdes-Épées où logent les pèlerins, tant pour l’exaction des pensions et
intérêts que les débiteurs y desnommés font annuellement audit hôpital
et des autres debtes d’iceluy, que pour ce qu’il fault payer à l’hospitalier
chaque quartier pour ses salaires, h u ile, b ois, etc ., et autres des
penses ordinaires à faire chasque année, fol. 1 à 41 , aux archives de
l'Hôtel-Dieu de Marseille.
2. Assemblée générale tenue au bureau de l’hôpital Saint-Jacquesdes-Espées où logent les pèlerins en cette ville de Marseille, le 2 mars
1681, petit in-4° de 7 pages, sans nom d’imprimeur, p. 5.
5. Cahier joint à la suite du livre des institutions et règlements de
la fondation de la luminaire et hospital de Saint-Jacques-des-Espées où
logent les pèlerins, etc., fol. 1 recto et verso, aux archives de l’HôtelDieu.
�l’hôpital fournirait chaque jour un pain à chaque
pèlerin pendant les trois jours de logement. 1
L’hospitalier, c’est-à-dire l’agent de la maison,
avait, à cette époque, quarante-cinq livres de gages
par an et recevait de plus cinquante-cinq livres douze
sous pour le blanchissage des draps de lit et autres
linges, pour l’éclairage et le chauffage. 2
L’hôpital Saint-Jacques-des-Épées se vit encore
inquiété, en L670 , parles pères Servites qui le me
nacèrent môme dans son existence. Il se donnèrent
beaucoup de mouvement pour faire unir cet hôpital
à celui des Convalescents et des passants. Ils y étaient
poussés par un grand intérêt, car le bâtiment de
l’hôpital de Saint-Jacques-des-Épées était à leur
parfaite convenance pour leurs projets d’agrandisse
ment. Leur dessein ne réussit pas. En 1673 ils se
remuèrent de nouveau et les prieurs de Saint-Jacques-des-Épées parvinrent encore à repousser cette
attaque.
Une autre agression des pères Servites vint les
troubler en 1681. Jean de Marin, Balthasar de Vias,
Jean-Baptiste Jacob et Sébastien Fléchon, prieurs
de Saint-Jacques-des-Épées, convoquèrent en assem
blée générale , le 2 mars de cette année, les anciens
1. Même cahier, fol. 5 recto.
i2. I.ivre servant à MM. les Trésoriers de l’hôpital Saint-Jacques-desEpées où logent les pèlerins, tant pour l’exaction des pensions et in
térêts que les débiteurs y desnommés font annuellement audit hospital,
�prieurs au nombre de vingt-un. 1 Cette assemblée
délibéra de couserver Hiôpilal en tous ses droits ;
de le maintenir ferme et stable au lieu où il était
depuis sa fondation , et de continuer l’œuvre confor
mément à ses règles constitutives. L’assemblée pria
les administrateurs en charge de persévérer dans leur
zèle pour le service de la maison. 2
Cette attaque des pères Servîtes était favorisée
par un acte du pouvoir souverain qui faisait à Lhô
pital Saint-Jacques-des-Épées une position des plus
critiques.
L'ordre des chevaliers hospitaliers de Saint-Lazare-de-Jérusalem était fort ancien et je ne puis
répéter ici tout ce qu’on en a dit de vrai ou de chi
mérique. Quant à l’ordre militaire de Notre-Damedu-Mont-Carmel, Henri IV l’avait institué en 1609,
et Louis XIV, par ses édits du mois d’avril et du
mois de décembre 1672, vérifiés au grand Conseil
1. Ces anciens prieurs était Jacques B lanc, Dominique Talon,
Thomas Bain, Thomas D ol, Jean Lefevrc, Honoré de Martin, Thomas de
R iqueti, sieur de Negreaux, François Estiennc, Pierre Sossin, Jean
Borrelly, Scipion-Antoine de Foresta, sieur de V enelle, Antoine de
Gilles, Lazare Brunet, Jean La61, Melchion Richaud , Albert Varages,
Barthélemy Muguet, Barthélemy de Sacco, Laurens Jourdan, Roch de
B oquin, Pierre Sauvaire.
2. Assemblée générale tenue au bureau de l'hôpital Saint-Jacquesdes-Ëspées où logent les pèlerins en cette ville de M arseille, e tc ., le
2 mars 1681, petit in-4" de sept pages, sans nom d'imprimeur.
5. Traité de la noblesse et de ses différentes esp èces, par messire
Gilles-André de la Roque, chevalier, seigneur de la Lonlière. Paris ,
1678, p. 57 4, 591 et suiv.
�— 136
le 20 février 1673 , unit ces deux ordres et prononça
la suppression des anciens ordres de chevalerie du
royaume, tels que ceux du Saint-Sépulcre, de SaintJacques-des-Épées, de Saint-Jacques-de-Lucques et
généralement tous ceux qui n'exerçaient plus l’hospi
talité. Il donna leurs biens, leurs revenus et leurs
droits aux ordres de Notre-Dame-du-Mont-Carmel
et de Saint-Lazare-de-Jérusalem qui ne formèrent plus
qu’une seule communauté. 1 Le roi voulut retenir
pour lui-même la dignité de grand-maître et créa
Louvois son grand-vicaire. Par brevet du 26 avril
1673 , Laurent d’Arvieux , de Marseille , fut nommé
chevalier de cet ordre en récompense de ses services
consulaires et diplomatiques dans le Levant. 2
Louvois voulut appliquer les dispositions des édits
royaux à l’hôpital Saint-Jacques-des-Épées de Mar
seille , lequel soutint, avec raison, que ces édits
ne lui étaient pas applicables parce qu’il exerçait
l’hospitalité selon son institution. Les agents du mi
nistre usèrent de ménagement ; ils ne précipitèrent
rien , mais en définitive ils ne tinrent pas compte
des moyens de droit qu’on leur opposait.
1. Ces édits sont à la suite de l’ouvrage intitulé : État général des
unions faites des biens et revenus des m aladeries, léproseries, aumôneries, etc., aux hôpitaux des pauvres malades. Paris, 1705, in-d".
2. Mémoires du chevalier d’Arvieux, envoyé extraordinaire du roi à
la Porte, consul d’Alep, d'Alger, de Tripoli et autres échelles du Le
vant, recueillis de ses mémoires originaux , par le R. P. Jean-Baptiste
Labat , de I ordre des frères Prêcheurs. Paris, 1735, l. 5 , p. 28
et, suiv.
�Au mois de décembre 1682, Josey, directeur de
l’ordre de Notre-Dame-du-Mont-Carmel et de SaintLazare-de-Jérusalem au grand prieuré de Lengueda ,
se présenta à l’hôpital de Saint-Jacques-des-Épées de
Marseille, accompagné de Biaise Capus , huissier au
parlement d’Aix. Il fit inviter par l’hospitalier les
prieurs à s’y rendre incontinent. Ceux-ci y vinrent
suivis de l’avocat Chalvet, leur conseil, et Josey
leur dit qu’il avait ordre de Louvois de se mettre en
possession de l’hôpital. Les prieurs répondirent que
cette maison n’était pas comprise dans les édits du roi,
parce quelle avait de tout temps gardé l’hospitalité
et qu’elle la gardait encore. Josey répliqua que ses
ordres étaient formels et somma les prieurs d’ouvrir
à l’instant même la salle des archives. Ils obéirent
à l’injonction et remirent leurs règlements et leurs
livres qui furent paraphés par Josey, lequel dressa
procès-verbal de son opération.
Une chambre royale avait été instituée pour sta
tuer sur toutes les demandes relatives à l’exécution
des édits royaux dont j’ai parlé, et Josey assigna
devant elle les prieurs de Saint-Jacques-des-Épées
de Marseille pour les faire condamner à lui délaisser
l’administration de leur hôpital et la jouissance des
revenus qui en dépendaient. Ces prieurs, dans leur
bureau du 13 décembre 1682 , délibérèrent de se
placer sous la protection des échevins de Marseille ,
en les suppliant d’appuyer de leurs témoignages les
�droits de l’hôpital, d’intercéder pour lui auprès de
Louvois, et enfin d’intervenir dans l’instance, au
nom de la ville, si on était réduit à se défendre de
vant la chambre royale.
Les échevins accueillirent fort bien cette demande.
Us écrivirent à Louvois , et transmirent à Villeneuve,
agent de la communauté de Marseille à Paris, un
mémoire rédigé parChalvet, auquel l'hôpital SaintJacques-des-Épées donna neuf livres pour ses hono
raires. Villeneuve fut de plus chargé de suivre cette
affaire avec le plus grand soin. 1
Les prieurs de Saint-Jacques-des-Epées se réuni
rent pour la dernière fois le 22 du même mois de
décembre. Je ne sais si une décision intervint sur
l’assignation donnée par Josey devant la chambre
royale , mais j’ai tout lieu de croire que l'œuvre de
Saint-Jacques-des-Épées de Marseille cessa dès-lors de
fonctionner, car les actes de son administration s’ar
rêtent précisément à cette époque dans nos archives
locales. Tant il y a qu’elle ne fut pas unie à l'ordre
de Notre-Dame-du-Mont-Carmel et de Saint-Lazarede-Jérusalem. Des lettres-patentes du roi à la date
du mois d’octobre 1696, ensuite d’un arrêt du conseil
d’état du 3 août précédent, mirent l’Hôtel-Dieu de
Marseille en possession des biens et revenus de lhôI. Cahier joint à la suite du livre des institutions et règlements de la
fondation de la luminaire et hospital de Saint-Jacques-des-Épées où lo
gent les pèlerins, e tc . , fol. 1 verso , 2 recto et verso , 5 recto.
�139
pi ta 1 Saint-Lazare et de celui de Saint-Jacques-desÉpées, à la charge par lui de remplir toutes les obli
gations de ces deux œuvres. 1
Dès ce moment les recteurs de l’Hôtel-Dieu admi
nistrèrent l’hôpital Saint-Jacques-des-Épées qui n’eut
plus d’existence propre, sans cesser, pour cela,
d’avoir la même destination. Ce vieux bâtiment
de Saint-Jacques n’avait qu’un étage sur rez-dechaussée 2 et se trouvait dans un état assez misérable
à la fin du dix-septième siècle. Les recteurs de LHôtelDieu , dans le bureau du 6 février 1698, délibérè
rent d’en réparer la toiture. 3 Des réparations furent
faites à l’édifice en 1718,4 1728 , 3 et 1737. G
1 Mémoire sur l’établissem ent, les revenus, les charges, dépenses
et dettes de l’Hôtel-Dieu de Marseille, du 16 février 1 7 5 0 , dans le
registre des délibérations du bureau de cet hôpital, du 29 novembre
1741 au 51 décembre 1750, aux archives de l’Hôtel—Dieu.
2 . t Inventaire des meubles de l’hôpital Saint-Jacques des pèlerins de
M arseille, du 4 novembre 1647, dans le registre 50 des délibérations
du conseil m unicipal, fol. 1 recto et verso, aux archives de la mairie
de Marseille.
5. Registre coté 6 des délibérations du bureau de l’Hôtel-Dieu de
Marseille, du 11 septembre 1692 au 27 septembre 1705, fol. 97 verso ,
aux archives de l'Hôtel-Dieu.
4. Registre coté I des délibérations du bureau de l’Hôlel-Dicu , du
11 avril 1715 au 8 août 17 20, fol. 121 recto et verso, aux archives
de l’Hôtel-Dieu.
5. Registre L des délibérations du même bureau , du 10,juillet 1726
au 1er juillet 1754 , fol. 49 recto , aux mêmes archives.
6. Registre M des délibérations du même bureau . du 8 juillet 1754
au 25 novembre 1741, fol. 75 verso , aux memes archives.
�Et
1
— 140 —
Un hospitalier, qui était en même-temps concierge,
continua de suffire au service de la maison. Une
femme remplissait quelquefois cette charge.
Le 24 février 1718, le bureau de l’Hôtel-Dieu
enjoint à l'hospitalier Ponsard de tenir l’hôpital
Saint-Jacques avec toute la propreté possible ; de re
cevoir les pèlerins honnêtement et d’exercer à leur
égard tous les actes de charité, mais de n’en recevoir
aucun sans un billet signé par un officier de l’HôtelDieu ; de faire leurs lits ; de ne jamais permettre que
les femmes couchent dans l’appartement des hommes,
mais dans une pièce fermée à clé que l’hospitalier
gardera durant toute la nuit. Le bureau ajoute que
les pèlerins ne pourront rester dans l’hôpital plus
de trois jours et que l’on continuera de les faire jouir
de la libéralité d’Honoré de Seigneuret ; qu’en cas de
désordre de leur part, l’hospitalier en avertira de
suite le recteur semainier ; qu’il fera blanchir les
draps de lit et les nappes à l’usage des pèlerins, et
fournira l’huile des lampes , le tout à ses frais; que
f Hôtel-Dieu lui paiera pour ses gages quatre-vingtcinq livres par an , et lui fournira dans l’hôpital son
logement et celui de sa famille ; qu’il se chargera par
inventaire des meubles, du linge et des ustensiles,
pour représenter le tout, quand il en sera requis, et
que cet inventaire sera renouvelé chaque année.
Le bureau délibère de plus que , pour le bon
ordre de f hôpital Saint-Jacques-des-Épées, il est
�— 141
nécessaire qu'il y ait toujours un recteur de service
dans cet hôpital, et que la tâche sera remplie , pen
dant une semaine, et à tour de rôle, entre tous les
recteurs , par le président semainier sortant de
charge à l’Hôtel-Dieu. 1
Des lettres-patentes du roi données à Versailles ,
au mois de juillet 1766, annexèrent à l’Hôtel-Dieu
l’hôpital des pauvres passants et malades conva
lescents. Le 18 septembre le bureau de l’Hôtel-Dieu
délibéra de loger les pauvres passants à l’hôpital
Saint-Jacques-des-Épées , en attendant qu’il y eût
dans l’Hôtel-Dieu même un local propre à les re
cevoir. 2
Ces pauvres passants , d’après l’institution de leur
oeuvre particulière, recevaient chacun cinq sous,
quand les circonstances l’exigeaient. Le 26 janvier
1775, Gay, président semainier du bureau de l’HôtelDieu, représenta que cette aumône dégénérait sou
vent en abus parce que les passants s’en servaient
pour s'enivrer et libertiner; qu’il conviendrait peutêtre d’en changer la nature.
Sur quoi, le bureau délibéra : 1° qu’on continue
rait à remplir les obligations de l’hôpital des pauvres
passants et malades convalescents auquel l’Hôtel-Dieu
1. Registre coté I des délibérations du bureau de l’Hôtel-Dieu , fol.
108 recto et verso.
2. Registre des délibérations du bureau de l'Hôtel—Dieu de Marseille,
année 176G.
�avait succédé ; 2° que les billets seraient dorénavant
demandés par les pauvres passants au recteur semai
nier qui les leur délivrerait avec l’indication du
nombre de jours accordés pour le séjour à la maison
de Saint-Jacques-des-Épées; 3° qu’à l’avenir les cinq
sous donnés à chaque passant seraient échangés en
un pain d’une livre et un sou six deniers en argent;
que cet argent ne serait néanmoins accordé qu’en
cas de nécessité , à l’appréciation du semainier, en
l’absence duquel on choisirait un officier de confiance
pour la délivrance des billets. 1
Le 20 août de la même année 1775 , les recteurs
de l’Hôtel-Dieu tinrent un bureau extraordinaire.
Chaulieu, président semainier, déclara que le père
Brun , servite, étant mort, il ne restait plus au cou
vent de Notre-Dame-de-Lorette qu’un seul religieux
qui ne pouvait pas former une communauté; qu’un
arrêt du conseil avait décidé que le couvent serait
aboli; 2 qu’il était constant que la maison des pères
Servîtes et l’église leur avaient été cédées par les
prieurs de l’hôpital Saint-Jacques-des-Épées, en vertu
1. Registre R des délibérations du bureau de l’Hôtel-Dieu , de 1773
à 1780, fol. 57 verso et 58 recto.
2. Quelque temps après, les biens des pères Serviles furent donnés
aux pères de la Mission de France et l’église de Lorette fut vendue aux
enchères publiques pour la somme de 19,000 livres. Voyez la séance
du conseil municipal de Marseille du 20 décembre 1785, dans le re
gistre 186 des délibérations de cette assem blée, fol. 159 verso, aux
archives de la ville.
�143 —
d’un accord de 1555, et que l’Hôtel-Dieu avait suc
cédé à tous les droits de cet hôpital, suivant l’arrél
du conseil du 3 août 1696.
La matière fut mise en délibération. On fit lecture
de l’acte du 30 décembre 1555 qui ne donnait aux
religieux Servites que la faculté de desservir l’église
et d’habiter la maison attenante pour l’avantage des
pèlerins dont le logement était contigu , et le bureau
délibéra de soutenir les droits de l'Hôtel-Dieu sur
le couvent et l'église des Servites, ainsi que sur leur
mobilier ; de s’opposer en conséquence à tout acte
d’usurpation et de faire, à cet effet, les actes néces
saires , après avoir demandé une consultation à Me
Emérigon , avocat. 1
Le marquis de Pontevés, le chevalier de Canjeurs,
Aubert, Boyer, Beau , Truc et Jourdan, recteurs de
1’Hôtel-Dieu , réunis au bureau le 6 février 1698,
décidèrent d’abandonner la maison de Saint-Jacquesdes-Épées, de l’exposer en vente aux enchères pu
bliques , d’en placer le prix sur une communauté
aux conditions les plus avantageuses , et de loger
les pauvres pèlerins dans l’Hôtel-Dieu même ; 2 mais
ce projet n’eut pas de suite. On le reprit sérieuse1. Registre R des délibérations du bureau de l’Hôtel—D ieu , toi. 50
recto.
2. Livre G des délibérations du bureau de l’hôpital Saint-Jacquesdes-Épées et Saint-Jacques-de-Galice, du 11 septembre 1692 au 7
mai 17 05, fol. 97 recto et verso, aux archives de l’Hôtel-Dieu.
�— 144
ment le 4 décembre 1783. 1 Toutefois le logement
des voyageurs indigents dans l’Hôtel-Dieu parut pré
senter des difficultés sérieuses , en examinant la
proposition de plus près. L’Hôtel-Dieu possédait une
maison située à la rue des Bannières et visant aussi
sur la rue de la Roquette ; elle était depuis long-temps
sans emploi et pouvait facilement recevoir les pau
vres passants. Le bureau pensa qu’il y avait avan
tage à la leur destiner et à vendre les vieux bâtiments
de Saint-Jacques-des-Épées. C’est ce que porta la
délibération du 7 avril 1784. 2
Les enchères publiques furent ouvertes le 28 octo
bre suivant. Le sieur Joseph Gandy rapporta l’adju
dication au prix de 3,625 livres , qu’il paya le jour
même à Gimon, trésorier des nouvelles bâtisses, 3
en vertu de la délibération du 15 avril précédent,
laquelle portait que le prix de la vente des bâtiments
de la place de Lorette serait appliqué à l’achat des
maisons nécessaires à l’agrandissement de l’HôtelDieu. *
t . Registre S des délibérations du bureau de l’Hôtel-Dieu de Mar
seille. du 11 mai 1780 au 31 décembre 17 86, fol. 103 verso.
ü2 . Même registre, fol. 115 recto et verso.
3 . Livre trésor de l’hôpital Saint-Esprit et Saint-Jacques-de-Galice
de Marseille, 1776 à 17 86, fol. 401 et su iv., aux archives de l’HôtelDieu. — Livre des recettes et dépenses des trésoriers de la nouvelle
bâtisse d el’Hôtel-Dieu, de 1781 à 1795. Gestion du trésorier Gimon,
année 1784.
4. Registre S des délibérations du bureau de l’Hôtel-Dieu , fol. 116
recto.
�CHAPITRE YI.
HÔPIfilli CliKÉltAI. UE L.t CIIAItlTÉ.
1.
Grand nombre de mendiants à Marseille comme dans les autres villes
de France. — Délibérations municipales et mesures prises contre
eux. :— Projet d’un hospice pour les y renfermer. — Ce projet
n’a pas de suite. — Le chanoine Emmanuel Pachier le reprend. —
Fondation de la Charité. — Vœu des consuls de Marseille au.
sujet de la peste. — Divers détails sur la maison nouvelle. —
Bienfaiteurs de l’œuvre. — Agrandissement. — Construction de
l’église. — Pierre Puget. — Situation financière de l’établissement.
La mauvaise organisation des corps d’arts et mé
tiers, les droits d’aînesse, les privilèges et les mo
nopoles , la vénalité des emplois publics , l’état des
biens de main-morte, en un mot toutes les institu
tions de l’ancien régime élevaient des barrières contre
la liberté de l’industrie et fermaient les avenues du
travail à une foule d’hommes de bonne volonté qui
n’avaient que la misère en perspective. La plaie de
la mendicité s’étendit honteusement sur le corps so
cial , malgré la sévérité des lois pénales. Les ordon
nances de Saint Louis ne purent rien contre les
vagabonds et les gens de mauvaise vie. 1 II y en
avait un grand nombre à Marseille en 1346, et
1. Les établissements de Saint Louis, roy de France, selon l’usage
de Paris et d’Orléans, et de Court de Baronnie, avec les notes et les
observations du sieur du Cange , à la suite de la Vie de Saint Louis.
Paris , 1668 , in -fo l., liv. i . chap. xxxiv, p. 16.
TOME II.
10
�— 146 —
comme Meoilon , viguier de celte ville, ne les avait
que trop favorisés par sa négligence, le sénéchal de
Provence , Jean Barrilis, mit à sa place Octavien de
Cavalcantibus , et lui donna pour lieutenant Hugues
deMalespine, damoiseau.1
L’existence de nombreux mendiants n’en continua
pas moins d’accuser les vices d’une société mal or
donnée, Le 2 novembre 1546 , le conseil municipal
de Marseille, sur la proposition du premier consul
Nicolasd’Arène, délibéra « d’ensarrer les pouvres. »2
Mais les choses en restèrent là , et les chanoines de
la Major déclarèrent qu’ils n'entendaient plus « fere
» l’aumosne qu’ils avaient accoustumé fere aux hos» pitaulx , d’auttant que nonobstant la dite aumosne
» ils avaient ordinairement tout plein de pouvres à
» leur église et maison. » Le premier consul Biaise
Doria s’émut de ces dispositions. Il en fît rapport
au conseil de ville, le 2 septembre 1548, et l’as
semblée chargea les consuls de s’entendre avec les
hôpitaux « pour sarrer les dits pouvres et y mettre
» tel ordre et polisse que bon semblerait. » 3
D’autres délibérations furent prises à peu près
dans le meme sens le 2 avril 1556 , 1 le 6 juin
1. Ruffi. H istoire de Marseille , tome 1 , p. 174.
2. Registre 2 des délibérations municipales de Marseille, du 2 no
vembre 1546 au 28 octobre 1549, fol. 7 recto, aux archives de la ville.
5. Même registre 2 , fol. 135 recto.
4. Livre 4 des mêmes délibérations , du 4 novembre 1554 au 7 no
vembre 15 56, fol. 98 recto et verso.
�— 147 —
1563,' le 2 janvier 1566, 2sans plus de succès qif au
paravant. On ne cédait qu’à des impressions passa
gères. On redoutait surtout la peste que les mendiants
étrangers pouvaient apporter à Marseille, et quand
le danger n’existait plus, on abandonnait un projet
dont l’exécution eut été difficile et coûteuse.
Cependant le 5 novembre 1577, sur l’ordre du
grand prieur gouverneur de Provence , qui exigeait
que tous les « vaccabonds et gens sans adveu de
» Marseille » en fussent chassés , le conseil muni
cipal nomma deux notables par quartier : Jean Cabre
de Saint-Pol et Pierre de Sabateris au Corps de Ville ;
François Bouquier et Pierre Candole à la Blanquerie ;
Claude Moustier et Jean Langue à Cavaillon ; Paul
Bremond et Georges Tirât à Saint-Jean. Ces commis
saires furent chargés , chacun dans son quartier, de
l’exécution des ordres du grand prieur.
L’expulsion des mendiants de la ville de Marseille
fut aussi prononcée, sous le consulat de Charles de
Casaulx, par délibérations du conseil municipal du
3 novembre 1591 * et du 9 janvier 1592. 5 Les
\
1. Registre 7 des mêmes délibérations , du mois de novembre 1562
au mois de juin 1566, fol. 58 verso.
2. Même Registre 7 , fol. 148 recto.
5. Livre des délibérations du conseil municipal de Marseille , du
mois de novembre 1574 au mois d’octobre 1 5 7 9 , fol. 586 recto.
4. Registre 19 des délibérations m unicipales, du mois de novembre
1591 au mois d’octobre 15 95, fol. 4 recto et 8 recto.
5. Meme registre 19, fol. 56 verso.
�consuls, prenant des mesures de police dans l’intérêt
de la santé publique menacée par la peste , ordon
nèrent, le 9 avril 1608, de chasser tous les vaga
bonds de la ville.4
Les mendiants affamés pullulaient dans tout le
royaume. « Notre France en est à présent remplie, »
disait le jurisconsulte Loyseau au commencement du
XVIIe siècle. 2 L’excessive pauvreté des campagnes
et le luxe de la capitale en attirèrent une foule à
Paris. 3 Leur nombre, considérable sous Henri IV,
augmenta beaucoup sous le règne de sa veuve. En
1612, on les renferma dans diverses maisons du
faubourg Saint-Victor ; mais ces hospices, par leur
mauvaise administration, ne se soutinrent que quel
ques années et ne purent se reconstituer, malgré plu
sieurs arrêts du parlement. 4
La ville de Lyon avait alors cent vingt mille âmes,
et le quart de cette population était abandonné à
toutes les souffrances de la misère. s En 1613 et
1. Registre 25 des délibérations m unicipales, du mois de novembre
1606 au mois d’octobre 1 6 1 0 , fol. 128 verso.
2. Traité des ordres. Œuvres com plètes, édition de Lyon, 1701, p. 52.
5. Forbonnais, Recherches et considérations sur les finances de
France, depuis Tannée 1595 jusqu’en Tannée 1721. R asle, 1 7 5 8 ,
t. 1. p. 155.
4. Dulaure , Histoire physique, civile et morale de Paris , 4e édition,
t. 6 , p. 587.
5. Institution de Taumosne générale de Lyon , ensemble l’économie
et règlement qui s’observe dans l’hospital de Notre-Dame de la Cha-
�— 149 —
161 4 , on fonda, dans cette ville, l’hôpital de NotrcDame-de-la-Charilé pour y enfermer les pauvres. 1
On réprima ainsi une mendicité dégradante. Mais
partout ailleurs les pauvres fatiguèrent la pitié pu
blique et affligèrent la morale et les bonnes moeurs
du spectacle des vices que le vagabondage traîne
à sa suite.
Les rues et les églises de Marseille étaient encom
brées de mendiants incommodes, criards , souvent
hideux qui faisaient tous leurs efforts pour émouvoir
les cœurs sensibles et employaient aussi tous les
artifices pour les tromper, lorsque le conseil de ville,
dans sa séance du 8 décembre 1622 , crut trouver le
remède au mal. Il délibéra de « renfermer dans un
» lieu propre et choisi par les consuls les pauvres
» natifs de Marseille , afin que les estrangers fainéants
» et vagabonds ne s’introduisissent plus parmi eux,
» pour estre dans le dit lieu nourris et entretenus
» tant de leur travail que des aumosnes, suivant la
» queste qui en serait faicte. » Pouvoir fut aussi
donné aux consuls de nommer , dans chacun des
quatre quartiers, deux citoyens notables pour tra
vailler avec eux, avec le titre de fondateur, à l’or
ganisation de cette œuvre. 2
ri té où sont les pauvres renfermés de la dite aumosne , 5e édition.
L yon, 1647, p. 1 et 2.
\ . Mémoire de VHistoire de Lyon, par Guillaume Paradin, chap. vin,
p. 286 et suiv.
2. Registre 52 des délibérations m unicipales, du mois de novembre
�L’affaire en resta là pendant plusieurs années.
Elle paraissait même tombée dans cet oubli où
d’autres projets étaient venus se perdre , lorsque
Emmanuel Pacliier, chanoine théologal de la Major, 1
assuré du concours de plusieurs personnes zélées ,
s’offrit pour exécuter la délibération du 8 décembre
1622. Les consuls de la Setta , Tenture et Raveily
l’autorisèrent, le 8 juillet 1639, à acheter une ou
plusieurs maisons pour la destination convenue et
lui promirent leur assistance. Pacliier choisit six per
sonnes pieuses dans chaque quartier, et ces vingtquatre collaborateurs firent une quête générale. Leur
assemblée, sous la présidence du même chanoine,
délibéra de porter à soixante-douze le nombre des
fondateurs de la maison de Charité, lesquels servi
raient de six en six ans en qualité de recteurs par
série annuelle de douze , et feraient chacun, après
leur nomination , un don de 300 livres.
Les vingt-cinq fondateurs acquirent, le 3 mai 1610,
un terrain à bâtir en façade sur la place de l'Obser
vance, avec l’intention d’acheter plus tard toute l’île
1622 au mois d’octobre 1625, fol. 46 verso el 47 recto. — Registre 1
des actes et délibérations du bureau de la maison de la Charité de Mar
seille; de 1640 à 1647, p. 1 et 2 , aux archives de l’H ôtel-Dieu.
1. Emmanuel Pachier, docteur en théologie, bénéficier à la cathé
drale de Marseille, fut nom m é, au mois de mai 16 29, chanoine théo
logal de celte église , à la place de Gaspard Pinelly qui venait de mou
rir. Voyez le registre 35 des délibérations municipales , du mois de lé
vrier 1627 au mois d’octobre 1629, fol. 253 recto.
�de maisons où cet emplacement était situé. Le 19
juin suivant, les consuls assemblèrent le conseil mu
nicipal. On craignait alors à Marseille l’invasion de
la peste. Un grand nombre d’habitants avaient déjà
pris la fuite, et le peuple adressait au ciel des prières
ferventes. Le premier consul André de Gérente dé
clara au conseil que tous les soins qu'on pourrait
prendre pour garantir la ville des atteintes du fléau
seraient inefficaces si Dieu, dans sa bonté, ne l’en
préservait lui-même ; qu’il fallait donc se le rendre
favorable par l’intercession de la sainte Vierge, de
saint Roch et de saint Lazare ; instituer quelques
dévotions particulières et faire un vœu au nom de
la communauté afin d’obtenir la grâce divine.
Sur quoi le conseil délibéra d’adopter la propo
sition , de donner à l’œuvre nouvelle le nom de
Notre-Dame Mère de Charité, et de lui allouer la
somme.de 1,500 livres pour concourir aux frais de
construction de l’édifice..
Les consuls , empressés d’accomplir ce vœu so
lennel, firent dire une messe par Ferrier, archi
diacre de la Major et vicaire-général de l’évêque de
Marseille, le 24 juin, dans la chapelle des Pénitents
de la Trinité vieille où ils se rendirent accompagnés
des capitaines de quartier, de la plupart des mem
bres du conseil de ville, de plusieurs personnes
qualifiées et de tous les fondateurs. Ils reçurent la
communion , prononcèrent le vœu au nom de la ville
�et en demandèrent acte au grand-vicaire qui le leur
concéda. Emmanuel Pachier lit un sermon analogue
à la circonstance, et les consuls posèrent en céré
monie la première pierre de l’édifice. 1
Les fondateurs n’étaient alors que trente. Le 7
juillet ils se réunirent dans la même chapelle de Péninitents et nommèrent, pour une année, les douze
premiers recteurs qui furent , Emmanuel Pachier,
André de Gérente, Antoine Riquetti, seigneur de
Négreaux, Jean-François de Mantille, Cosme Deidier,
Honoré Signeuret, Laurent Tilline, Elzéar Favaud ,
Charles Mollat, Ambroise Artaud , Jean - Baptiste
Tarquet, Louis Latil. Ils élurent en même temps
quatorze dames pour faire une quête. 2 On délibéra
que les recteurs s’assembleraient tous les samedis
pour activer les affaires de l’œuvre et que les consuls
de Marseille et les fondateurs en exercice feraient
des règlements. Ces règlements , en dix articles,
furent bientôt rédigés et le parlement d’Aix les homo
logua le 8 novembre de la même année 1640.
Les travaux de construction ayant été poursuivis
avec activité, on put admettre quelques pauvres
dans la maison le Jeudi-Saint de 1641. On avait
1. Maison de la Charité de la ville de Marseille, chez Claude Garcin ,
imprimeur, 164.1, petit in-4°, premières pages.
2. Begistre 1 des actes et délibérations du bureau de la maison de
la Charité de Marseille, de 1640 à 1647, p. 7, aux archives de l’HôlelDieu.
�dépensé douze mille livres dont la plus grande partie
était déjà payée.
Cependant les fondateurs furent troublés dans leur
entreprise par les dames Carmélites qui, après avoir
fait dessein d’agrandir leur couvent, réclamèrent
par droit de fief et de prélation , une partie de l’enclos
où la maison de la Charité venait d’être bâtie. 1
Déjà le zèle des personnes qui s’étaient le plus inté
ressées au succès de l’œuvre se refroidissait singu
lièrement , lorsque les consuls et plusieurs citoyens
considérables s’entremirent auprès des religieuses
Carmélites qui renoncèrent à leurs prétentions , et
l’avenir de l’établissement parut alors assuré.
Le 24 juin 1641, jour de Saint-Jean, l’œuvre fut
publiquement inaugurée par une procession solen
nelle. Les pauvres de la maison , hommes , femmes ,
jeunes garçons et jeunes filles, marchèrent deux à
deux dans les principales rues de Marseille. Tout le
clergé séculier, tous les ordres religieux, les consuls,
l’assesseur, les fondateurs de la Charité y assistè
rent en cérémonie. Le registre qui décrit officiellement
cette inauguration porte en tête ces mots pompeux :
Mémoire à la postérité. 2
Dans la séance du 10 août suivant, le chanoine
Pachier proposa au bureau d’augmenter le nombre
J. Maison de la Charité de la ville de Marseille. Opuscule ci-dessus
c ité , pag. 5 et suiv.
�1. Même registre, p. 41,
2. En réalité le nombre des recteurs éLait de seize, mais il n’y en
avait à cette époque que quinze annuels et électifs, le chanoine Pachier
étant perpétuel.
—
de soixante-douze fondateurs et de ranger parmi eux ,
sans en limiter le chiffre, les personnes charitables
qui désireraient avoir ce titre, moyennant l’aumône
de trois cents livres. L’assemblée n’accueillit qu’en
partie cette proposition dont elle changea le sens.
Elle délibéra de dresser la liste des personnes qui
feraient ce don , mais de ne les admettre que suivant
leur ordre d’inscription à la place des fondateurs qui
viendraient à décéder. Dans la même séance , l’un
des recteurs , le seigneur de Négreaux, qui était
alors premier consul, exposa que Pachier, plein de
zèle pour les intérêts de la maison , n’en était pas
moins exposé aux traits de la jalousie de quelques
ennemis assez puissants pour lui nuire ; « que toutes
» ces menées pourraient le détourner de son bon
» dessein et qu’il serait juste de le confirmer dans
» ses fonctions de recteur, sa vie durant.» La pro
position fut adoptée tout d’une voix , « vu que le
» dit Pachier ne demandait que cette pénible récom» pense. » 1 Ce chanoine prit même rang au-dessus
des autres recteurs dont le nombre fut porté à quinze,2
renouvelés par tiers chaque année , et en dehors des
quels se trouvait un notaire qui remplissait l’emploi
de secrétaire du bureau. On délibéra, le 8 septembre,
�qu’il y aurait deux séances par semaine, le jeudi et
le dimanche.
Alexandre de Gerenton , sieur de Château neuf le
Rouge, avait fondé quelques années auparavant à
Marseille, sa ville natale , une petite congrégation
de filles orphelines, sous le titre de Notre-Dame-deGrâce, et par acte du 23 décembre 4638 , Victoire
Ganette , veuve d’Alphonse Sabatier, bourgeois, fit
une aumône de quinze cents livres 1 à cette œuvre
qui était établie dans l’ancien hôpital de Saint-Jacques-de-Galice près l’église Saint-Martin. Le 22 août
1644, les consuls déclarèrent que « d’aultant que ces
» filles, pour vivre, allaient à la besace, et d’ailleurs
» la maison de la Charité estant à présent en estât,
» il serait à propos de les y faire conduire pour les
» instruire au culte divin et à la vertu, pour le bien
» et utilité de la dite ville. » 2 Le 28 décembre sui
vant, le conseil municipal convertit ce projet en
délibération. 3
L’hospice de la Charité fut d’abord une grande
maison que l’on agrandit, peu à peu, à l’aide des
libéralités de ses bienfaiteurs. En 4653 , César de la
Setta , seigneur de Nans, lui laissa par testament
1. Registre 43 des délibérations municipales , du m ois de novombre
1638 au mois d’octobre 16 39, fol. 22 verso et suiv.
2. Registre 43 des délibérations m unicipales, de 1640 à 1 6 4 1 , loi.
181 recto.
‘
3. Registre 46 des mêmes délibérations, de 1641 à 1 6 4 2 , fol. 30
verso.
�douze mille livres, et la dame Anne Camoin lui légua
une maison au quartier de Cavaillon. Léonard de
Sacco lui donna 870 livres l’année suivante.1
Les aubergistes et les cabaretiers de Marseille tu
rent soumis, en 1645, à l’obligation de payer deux
écus à la Charité pour avoir le droit d'exercer leur
industrie, 2 et le 2 novembre 1653 le conseil muni
cipal ordonna que tous les vaisseaux étrangers, qui
apportaient des morues à Marseille , en donnassent
quelques-unes à cet hospice. 3
A la fin de 1655 on comptait trois cents pauvres
à la Charité. i Les recteurs , se proposant d’agrandir
cette maison , chargèrent l’architecte Meolan de leur
faire le plan des constructions nouvelles. Le 5 dé
cembre , le bureau délibéra de demander aussi un
plan à Puget.5 On sursit cependant à l’exécution de
cette entreprise, peut-être parce que les ressources
manquaient. Mais quelques bienfaiteurs vinrent géné
reusement en aide à la maison. En 1660 Jérôme
d’Anthoine lui donna trois mille livres. Deux ans
après, Nicolas de Cassin , seigneur de Peipin et de
la Détrousse, lui laissa par testament la première
de ces seigneuries, et les recteurs de la Charité nom1. Registre 2 des délibérations du bureau de la Charité , sans pagi
nation chiffrée.
2. Même registre.
3. Registre 8 des délibérations du même bureau, p. 274.
4. Registre 2 ci-dessus cité, délibération du 14 février 1655.
5. Même registre 2 , délibération du 5 décembre 1655.
L’illustre Pierre Puget avait deux frères, Jean et Gaspard , qui étaient
�nièrent dès-lors le juge elles officiers du lieu. En
1666, Marguerite de Cabre , damedeFuveau , et Jac
ques d’Achard Ferrus , sieur de Sainte-Colombe , lui
laissèrent chacun la somme de trois mille livres. 1
D’autres personnes opulentes firent des libéralités
à cette maison, entre autres de Valbelle, lieutenant
au siège de l’amirauté , et le trésorier général de
Félix. 2 Le projet d’agrandissement fut alors repris,
mais on abandonna le plan de Meolan aussi bien
que celui de Puget, et le 4 juin 1671, le bureau de
la Charité délibéra de traiter avec Jacques Borrély,
maître maçon, pour la construction des nouveaux
bâtiments dont on posa la première pierre le 14 août
suivant , et de Beaulieu , recteur, fut chargé de la
surveillance des travaux. 3
Il n’y avait eu jusque là qu'une église provisoire
qui pouvait à peine servir à sa destination et dont
l’aspect était des plus mesquins. Mais au mois de
janvier 1679, Honoré de Seigneuret, l’un des fon
dateurs , donna six mille livres pour la bâtisse d’une
autre église; et le 15 du même mois on en fit dresser
architectes, comme lu i, sans être sculpteurs ni peintres. Auquel des
trois artistes l’administration de la Charité demanda-t-elle le plan dont
il s’agit ? Les documents officiels ne citent que le nom de P u g et, sans
autre désignation. Il est pourtant probable que l’on s’adressa au plus
célèbre des trois frères.
1. Registres 3 . 4 et 5. Passim.
2. Registre 6. Passim.
3. Registre 4. Délibération du 4 juin 4671,
�(leux plans, l'un par l'architecte Seguier et l'autre par
Pierre Puget. d Celui de Puget ayant obtenu la préfé
rence , le bureau délibéra , le 2 février, de le mettre
à exécution. La première pierre de l’église fut solennellement posée, le 20 avril, par le grand-vicaire qui la
bénit, au son de la musique , en présence du viguier,
des échevins et des fondateurs de la maison. 2 Le 23,
les recteurs fixèrent à quinze pistoles les honoraires
de Puget pour la confection de son plan. 3 L’église
de la Charité témoigne en faveur du génie du grand
maître qui honore Marseille. Le dôme surprend les
artistes par sa hardiesse. Le portique et les corridors
pratiqués autour de la rotonde , la sage distribution
des ornements, rappellent les anciens temples et
portent ce caractère de grandeur et de majesté qui
convient si bien au culte de l’Être-Suprême.4 Mais
les ressources financières de la Charité ne permirent
pas de continuer, conformément au dessin de Puget,
les travaux de construction de cette église. Le \ 4 octo
bre 1682, le bureau déclara que cinquante mille écus
ne suffiraient pas pour cette dépense et l’on délibéra,
en conséquence, d’abandonner le dessin Puget 3 et
d’achever l’édifice sur un plan moins coûteux. 0
1. Registre 6. Délibération du 1 o janvier 1679.
2. Registre 6 , p. 521.
3. Même registre , même page.
4. Grosson. Almanach historique de M arseille, année 17 72, p. 105.
5. Registre 6 des délibérations du bureau de la Charité, p. 581
et 582.
6. Rougerel, dans ses mémoires pour servir à l’histoire de'plusieurs
�159 —
Les choses en restèrent là pendant quelques an
nées , et l’agrandissement du local de la Charité
permit d’y loger beaucoup de pauvres. Il y en avait
cinq à six cents en 1687, lorsqu’on jugea qu’un
autre agrandissement était devenu nécessaire. Le
conseil de ville, par délibération du 17 juillet de
la même année, vota la somme de 20,000 livres
pour un nouveau corps de bâtisse. 1 Déjà quelques
libéralités particulières avaient été faites à l'œuvre
pour cette destination, et Claude Bellot, entre autres
bienfaiteurs, avait légué 1,500 livres. La chambre
de commerce en donna 1,000. 2 Les architectes Arnoux et Joulian furent chargés de la construction ,
et le 25 septembre 1687 la première pierre en fut
posée avec cérémonie en présence des échevins et des
fondateurs. L’argent ayant manqué quelques mois
après, chaque recteur fit l’avance de cent livres
pour la continuation des travaux.3
Le 13 avril 1690, sur le rapport du premier consul
Savignon qui dit que « les pauvres couchaient de
» quatre à quatre, et que dans les chaleurs de l’été
hommes illustres de Provence , Paris 17 52, p. 5 4 , assure que l’église
de la Charité fut achevée par les soins de François Puget, fds du grand
artiste.
1. Registre 89 des délibérations municipales , du mois de novembre
1686 à la fin d’octobre 1687, fol. 167 verso et 168 recto.
2. Voyez les noms des donateurs pour les constructions de la Cha
rité dans le registre coté : Recettes et dépenses de la bâtisse, 1671—
1697, in-4°, Passim , aux archives de l’Hôtel-Dieu.
3. Registre 6 des délibérations du bureau de la Charité, p. 977.
�» cela pourrait causer des maladies dans la ville, »
le conseil municipal vota encore G,000 livre's pour la
bâtisse. 1 Au mois d’août suivant, l’hospice reçut,
par testament, la moitié des biens de Jean Tricon,
et cet héritage s’élevait à trente-cinq ou trente-six
mille livres. 2 C’était une bonne fortune qui ne pou
vait venir plus à propos, car l’œuvre éprouvait des
besoins extrêmes. On satisfit aux premières néces
sités , mais d’autres se firent bientôt sentir, et en
1691 la situation devint alarmante. 3 L’administra
tion fit des doléances à l’évêque, à l’intendant de Pro
vence et aux échevins, et plusieurs recteurs se vi
rent obligés de faire des avances dont l’ensemble
monta à dix mille livres que la ville finit par leur
rembourser. *
La construction de l’église était interrompue depuis
plusieurs années. Le 12 avril 1696, l’évêque vint
présider le bureau et l’on délibéra d’une commune
voix de procéder incessamment à la continuation des
travaux dont la suspension accusait le refroidissemnnt de la charité publique. On destina à cette dé
pense la somme de quatre mille livres des deniers
que le trésorier avait en caisse ; mille livres remises
1. Registre 92 des délibérations m unicipales, du mois de novembre
1689 au mois d’octobre 1 6 9 0 , fol. 97 verso.
2. Registre 8 des délibérations du bureau de la Charité, p. 202.
5. Même registre 8 , p. 418 et suiv.
4. Même registre 8 , p. 491 et 505.
�I 61
par un prêtre, nommé Long, de la part d’un bien
faiteur qui ne voulait pas se faire connaître ; trois
cents livres données par un fondateur de l’œuvre et
d’autres libéralités qui avaient été faites dans la
même intention. On y destina également les aumônes
que devait produire un jubilé tout prochain et toutes
celles que la bienfaisance pourrait inspirer plus tard.1
Il fallut bien du temps pour achever cette église,
et encore ne le fut-elle qu’à grand peine , sur un
plan assez médiocre. Elle n’avait pas de clocher en
1707. Le 2 octobre, Rousson, ancien recteur, offrit
d’en faire construire un à ses frais et de fournir une
cloche convenable, à la seule condition d’être mis
au nombre des fondateurs. Cette'proposition fut ac
cueillie avec reconnaissance.2
La situation financière de la Charité fut loin de
s’améliorer. En 4697 les recteurs en exercice firent,
comme leurs prédécesseurs, des avances pour des
sommes considérables, car elles atteignirent le chiffre
de onze mille livres. Le 23 juillet 4698, la ville en
accorda dix mille pour être employées aux plus pres
sants besoins de la maison. 3
L’agrandissement du local, commencé en 4687,
1. Registre 9 des délibérations du bureau de la Charité, p. 446 et suiv.
2. Registre 1 2 , p. 5.
5. L’expédition de cette délibération du conseil municipal est an
nexée au registre 10 des délibérations du bureau de la maison de la
Charité.
TOME II.
11
�— 162 —
était loin d’être terminé. Il y avait dans les travaux
de construction tantôt du ralentissement et tantôt une
suspension complète, suivant les ressources varia
bles de la maison.
Le 25 février 1700, la reprise de ces travaux
fut donnée aux deux architectes Chambon et Aubert.1
Le 5 septembre 1727, le bureau traita avec deux
autres architectes, Allcgre et Reymonet, pour la
continuation de l’aîle gauche de l’édifice, au prix de
34,972 livres. 2 Cette bâtisse fut terminée à la fin
de 1729.
L’œuvre possédait treize maisons contiguës qu’elle
avait successivement achetées en vue d’un dernier
agrandissement. Mais l’insuffisance des fonds fit ajour
ner les travaux qu'on ne commença que long-temps
après. Le 3 décembre 1744 , le bureau chargea deux
de ses membres , Martin et Bernard, de faire mettre
la main à cette construction, 3 qui ne fut entièrement
finie que vers le milieu du même siècle. 1
1. Registre 10 des délibérations du bureau de la Charité, p. 326.
2. Registre 20 des délibérations du même bureau, p. 52.
3. Registre 3 0 , p. 77.
4. Documents statistiques sur les hôpitaux et hospices de Marseille,
1825-1834, p. 7.
�CHAPITRE VII.
IIÜPITilL-GKKÉlUI. DK
i.\
CHAHITK.
II.
Mort d’Lmmanuel Pachier. — Régime intérieur de la Charité. — Fon
dations en faveur de l’œuvre. — Son érection en hôpital-général.
— Don de l’aumônerie de Saint-Victor. — Les archers de la Cha
rité. — Mauvais traitements auxquels ils sont exposés. — Répu
gnances que l’œuvre inspire. - Conditions diverses d’adm ission.
— Écoles de la Charité. — Ses m ousses. — Ses ateliers. — Dis
tribution de pain aux indigents externes. — Subventions m uni,
cipales. — Nombre des recteurs. — Leurs fonctions , leurs actes
de charité et leurs avances de fonds. — Crise financière. — Ar
rangement avec les créanciers.— Nouveaux règlem ents. — Projets
divers pour l’extinction de la m endicité.
Le chanoine Pachier était mort le 5 janvier \ 662 1
et ses funérailles avaient été faites aux frais de l’éta
blissement à la création duquel il avait pris une part
si active, qu'on pouvait l’en considérer comme Tuni
que fondateur. C’était un de ces hommes qui joignent
à l’esprit d’initiative la force d’une volonté persévé
rante. Pendant vingt-deux ans , il s’identifia avec
son oeuvre; il en fut l’âme et le soutien. Des diffi
cultés de toute sorte avaient surgi, mais il les avait
surmontées à force de dévouement, de résolution
et de patience. Il avait personnellement beaucoup
1. Registre ô des délibérations des bureaux de la Charité , séance du
5 janvier 1662 , sans pagination chiffrée.
�d’envieux et de détracteurs, et sa maison de la Cha
rité soulevait à Marseille bien des répugnances. Par
le fait, c’était plutôt une maison de force qu’une
institution hospitalière, et le régime y était des plus
durs. On y recevait, il est vrai, de jeunes orphe
lins et des enfants de famille indigente que l’admi
nistration cherchait à placer en ville comme domes
tiques ou comme apprentis. Mais ce n’était qu’exceptionnellement qu’on prononçait ces admissions. La
répression de la mendicité était la mission spéciale
de l’œuvre. Deux ou trois gardes affublés du titre
ignoble de chasse gueux avaient charge de saisir les
mendiants partout où ils les rencontraient. Les étran
gers étaient rasés, marqués 1et ensuite chassés de la
ville. On renfermait ceux de Marseille dans la Cha
rité où l’on recevait aussi quelques malheureux qui
demandaient à y être admis, et l’on occupait les uns
et les autres à divers travaux. 2
Les fautes s’expiaient par des punitions corpo
relles. Des coups de nerfs de bœuf et deux heures
d’exposition au carcan pendant plusieurs jours consé
cutifs étaient les peines les plus ordinaires. L’extrême
vieillesse, qui doit au moins inspirer l’indulgence
1 . A P aris, quelques mendiants furent d’abord livrés à des chimistes
qui les soumirent à l’essai de divers caustiques. L’expérience n’ayant
pas réussi, on décida que les mendiants seraient marqués au bras par
le feu. Histoire de la Révolution Française, par Louis Blanc, t. 1 ,
p. 3 -il.
2. Premiers registres des délibérations du bureau de la Charité.
�— i 65 —
quand elle ne commande pas le respect, ne mettait
pas à l’abri des traitements les plus rigoureux et les
plus infâmes. En 1665 on eut la barbarie de donner
dix coups de nerf à un vieillard de quatre-vingtcinq ans, Melchion Pastour, qui s’était évadé et qu’on
avait repris; on lui rasa de plus un sourcil. Antoine
Trastour, âgé de quatre-vingts ans, fut, pour le
même fait, traité avec un peu moins de rigueur ,
car on se borna à faire disparaître sous le rasoir un
de ses sourcils et la moitié de sa barbe.
Les femmes punies portaient pendant plusieurs
jours un vêtement de crin et une calotte rouge. Elles
étaient mises au pain et à l’eau et se tenaient à genou
pendant les repas.
Il y avait en faveur de la maison de la Charité
de Marseille plusieurs fondations que les recteurs
exécutèrent toujours ponctuellement par respect pour
la mémoire des bienfaiteurs.
La première fut faite en 1643 par la dame Claire
d’Ollières, qui laissa , en mourant, des marques de
libéralité à cette maison , à condition que , le 19 oc
tobre de chaque année , on célébrât, pour le repos
de son âme, une messe de Requiem à l’abbave de
Saint-Victor, ou deux recteurs en habit noir, suivis
du sous-agent et du brigadier, devaient se rendre. Ils
plaçaient sur l’autel quatre flambeaux allumés et
ornés de leur écusson , et à l'offrande un des recteurs
allait donner dix sols au célébrant , cinq au diacre ,
�166
au sous-diacre et à tous les ecclésiastiques assistants.
Il passait de là au chapitre et présentait également
cinq sous à chaque chanoine qui ne les prenait pas
et se bornait à faire un signe de croix par dessus.1
Une fondation de la dame Aymarcî de Cabre, du
22 août 1648, donnait de la viande à la famille de
la Charité le jour de la Toussaint, à moins que ce
jour ne fût un vendredi ou un samedi, 2 et il en
était de même le jour de l’Ascension , en vertu d’une
autre fondation , du 6 août 1655 , faite par de Valbelle, qui voulut de plus que les pauvres de la maison
eussent ce jour là « du muscat, s’il était mûr et à
» bon compte, ou de fromage, pour leur tenir lieu de
» double ration. » 3 En 1662, un autre bienfaiteur,
du nom de Bayle, voulut qu’à perpétuité l’économe
distribuât à la porte de l’église, le second samedi
de carême, un sou à chaque pauvre et cinq sous à
chaque officier. On renvoya cette distribution au
lendemain dimanche, et on la fit plus tard aux dif
férents réfectoires. Par testament du 22 novembre de
la même année 1662, un citoyen appelé Bontemps
exigea que chaque jour tous les pauvres de la Charité
dissent pour lui un De Profundis et ajoutassent à
1. I, Econome instruit de ses devoirs, ou manuel à l’usage de celui
de 1 hôpiial—général de la Charité de Marseille . 1761 , manuscrit in-4°,
toi. 515 , aux archives de l’Hôtel-Dieu. — Registre 53 des délibérations
du bureau de la Charité, p. 27. — Même registre, p. 106.
2. L Économe instruit de ses devoirs, e tc ., p. -497.
5. Meme m anuscrit, p. 14
�—
haute voix :
167
—
Dieu fusse miséricorde à monsieur
Bontemps. '
JeanGuriol, trésorier-général de France, fonda,
le 24 mars 1682, une bonne œuvre pour marier
tous les ans six pauvres filles de Marseille. Il assigna
à cet effet un capital de douze mille livres placé sur
la communauté de cette ville, à l’intérêt de cinq
p. % , lequel devait être touché : une année par les
recteurs de la Charité et l’autre année par ceux de
la Miséricorde. 2 Les bons exemples , comme les mau
vais , ont souvent des imitateurs. Le 20 juin suivant,
de Félix, aussi trésorier-général, donna la même
somme pour marier douze pauvres filles désignées
par la dame de Porrade, sa femme, sa vie durant,
et, après le décès de cette dame, par les recteurs des
deux maisons dont je viens de parler et alternative
ment entre elles.3
Le fléau de la mendicité était arrivé en France à
ce point qu’il fallait y porter un remède énergique.
A Paris, quarante mille vagabonds se livraient à tous
les désordres * et enlevaient à la bienfaisance publi1. Ibid. p. 149.
2. Registre 22 des délibérations du bureau île la Charité de Mar
seille , p. 55 et suiv.
5. Même registre. Ibid.
4. Rapport au ministre de l’intérieur sur l’administration générale
des hôpitaux et hospices, première partie, par Ad. de W atleville ,
inspecteur-général des établissement de bienfaisance. Paris 1851, p. 4.
�168
que des aumônes qui eussent causé bien du soula
gement, à l’indigence honnête et silencieuse. Dans ces
circonstances, Louis XIY prit une mesure qui attes
tait l’esprit politique de son règne et cet amour
sévère de l’ordre dont les exagérations donnaient de
l’aliment à son fastueux despotisme. Par son édit
du 27 avril 1656 il fonda, à Paris, l’hôpitalgénéral destiné à l’extinction de la mendicité, 1 et
voulut, par un autre édit du mois de juin 1662,
que cette création s’étendît à toutes les villes de son
royaume.
L’œuvre de la Charité de Marseille fonctionnait sur
un plan à peu près semblable. Cependant Louis XIV
exigea qu’elle fût érigée en hôpital-général et que les
prescriptions de son édit y fussent exécutées dans
toute leur rigueur. Le 6 juin 1676 , il écrivit dans
ce sens à l’évêque de Marseille. Ce pontife ne se
pressa pas plus qu’on ne s’était pressé précédem
ment. Ce ne fut que le 12 mars 1687 qu’il fit à ce
sujet un mandement, lequel fut suivi d’une ordon
nance de l’intendant de Provence publiée à Lambesc
le 12 novembre de la même année.
Les pères jésuites Chaurand , Guevarre et Dunot,
employés par le roi pour l’établissement des hôpitauxgénéraux , s’étaient rendus à Marseille. Ils firent
des instances auprès des échevins qui convoquèrent
1. Dulanre. Histoire physique ,
édition , t. 6 . p. 388.
civile cl momie de Paris,
quatrième
�le conseil de ville le 5 décembre 1687. Le conseil
délibéra sur l’organisation de l’hôpital—général, en
présence des trois jésuites. Il sollicita une ordon
nance des échevins qui obligeât tous les mendiants
étrangers de sortir de la ville ; qui défendît aux
habitants de leur faire l’aumône et d’insulter les
archers chargés de saisir les pauvres en état de
mendicité ou de vagabondage. Le conseil municipal
ordonna en même temps de convoquer en assemblée
générale tous les fondateurs de la Charité.
Cette assemblée se tint le 19 du même mois. Il y
fut dit : qu’outre les directeurs nés qui étaient l'in
tendant de la province, l'évêque de Marseille, le
viguier et les échevins , il y aurait vingt-quatre di
recteurs élus pour deux ans et renouvelés par moitié
chaque année. On arrêta que le bureau n'accorde
rait son assistance à aucun pauvre s'il n’était ori
ginaire de Marseille, ou s’il n’y avait un domicile
de sept ans au moins , et qu’on ne recevrait dans la
maison aucun enfant au-dessous de neuf ans. 1
Sur la demande des recteurs, Louis XIV publia ,
au mois de janvier 1689, un édit par lequel il se
déclara le protecteur de Thôpital-général de la Charité
de Marseille. Tous les mendiants étrangers furent
obligés de sortir de la ville. On fit défense à toutes
personnes valides ou invalides de mendier à Marseille
publiquement ou en secret, sous peine de prison pour
I. Registre 7 des délibérations du bureau de la Charité.
�la première fois , et d être fouettés , rasés et mis au
cachot en cas de récidive. 1 On défendit aussi à
toutes personnes de faire l'aumône dans les rues et
lieux publics, et de loger des pauvres dans leurs
maisons. L’édit contenait diverses autres dispositions
contre la mendicité. Il voulait aussi que tous les dons
et legs concernant les pauvres, et dont l'emploi n'au
rait point été fait par les bienfaiteurs, fussent appli
qués à l’hôpital-général. 2
Les recteurs de la Charité se pourvurent contre
l’aumônier de l’abbaye Saint-Victor qui ne leur en
voyait chaque année que huit charges de blé 3 et ne
leur donnait que trente livres lorsqu’ils faisaient la
quête générale.4 L’aumônerie du monastère jouissait
pourtant de grands revenus destinés à tous les pau
vres qui se présentaient. Cet ancien bénéfice, fondé
par les deux frères Galle, était de huit à neuf mille
livres de rente. Un arrêt rendu par le parlement
d’Aix, en 1567, n’avait soumis le bénéficier à ne
donner, chaque année , que trente charges de blé
et deux cents florins à l’hôpital Saint-Esprit de Mar
seille. Il est vrai que l’abbaye Saint-Victor faisait
chaque année une légère aumône à tout indigent qui
1. Édit du mois de janvier 1689 , article 3 , aux archives de l’HôtelDieu.
u2 . Articles 10 et 11 de l’édit du mois de janvier 1689.
0. Registre 4 des délibérations du bureau de la Charité. Passim.
1. Registre 3 3 , p. 27.
�se présentait à sa porte , et aux grandes fêtes elle
donnait du pain , de la viande, des œufs et du fro
mage. Les recteurs de la Charité demandèrent que
le surplus du don fait à l’Hôtel-Dieu fût appliqué à
leur maison qui, recevant tous les mendiants, devait
aussi recevoir ce que ces mendiants avaient droit
d’obtenir à la porte du monastère. Un jugement ar
bitral du premier président Lebret et de quatre ma
gistrats ou avocats adjugea à la Charité des pensions
et des censes, ainsi que la métairie dite de l’Aumône
située à une des extrémités du territoire de Marseille,
près du petit chemin d’Aubagne, et qu’on avait an
ciennement donnée à Saint-Victor, à condition que
les pauvres passants y recevraient Uhospitalité. On
se contenta ensuite de leur donner du pain, et enfin
on ne leur donna plus rien. 1 Les adjudications pro
noncées en faveur de la Charité formaient un revenu
de près de trois mille livres par an , de tout quoi on
passa transaction de l’avis des arbitres.
Plus tard d’autres recteurs de la Charité ayant eu
des prétentions plus fortes, sollicitèrent imprudemment
des lettres de rescision contre cette transaction. L’au
mônier de S'-Victor y consentit, et, en 1712, la grand
chambre du parlement d'Aix adjugea à l'hôpital-géné
ral beaucoup moins que ce qu’il avait précédemment. ’
2, Tableau historique de Marseille cl d oses dépendances. Lausanne,
1 7 8 9 , p. 84.
2. Recueil de consultations sur diverses m atières, par François L>eeormis. Paris, I7 o 5 , t. t , p. i6 et suiv.
�Le conseil municipal , par délibération du 28 fé
vrier 1688 , mit à la charge de la ville le salaire des
archers de la Charité. 1 C’était une dépense annuelle
de 2,000 livres. L’édit du mois de janvier 4689
maintint ces gardes, dont le nombre , après avoir
varié selon le temps et les besoins, fut enfin fixé à
dix. Ils portaient tous un habit rouge avec l’épée et la
bandoulière aux armes du roi. 2 Leur entretien coûta
plus tard à la ville deux cents livres de plus, 3 et le
conseil municipal porta cette dépense à 3,300 livres
par délibération du 11 novembre 4788. 4
Ces hommes, toujours flétris du nom de chasse
gueux , ne cessèrent d'être l'objet de l’animadversion
populaire. Dès l’origine, on les outragea dans les
rues, et même on se livra quelquefois contre eux à
des voies de fait. Le 26 décembre 4660 , deux de ces
archers vinrent exposer au bureau que « certaines
» personnes de la ville, gens du tiers-état, les ins» sultaient à tout moment, excitant le peuple à les
1. Registre 90 des délibérations municipales , du mois de novembre
1687 à la fin d’octobre 1688, fol. 48 verso, aux archives de la ville.
2. Chapitre 45 du règlement du 21 août 1712. M arseille, chez
Antoine Favet, 1771 , p. 80.
5. État des sommes dont le ro i, en son conseil, a permis et permet
aux échevins de la ville de Marseille d’ordonner le paiem ent, e tc .,
fait et arrêté au conseil-d’état le 9 novembre 1749. — Autre état du
22 décembre 1767. Voyez le recueil d’édits, arrêts du conseil et règle
ments pour la municipalité de la ville de M arseille, chez Sibié, 1772.
4. Registre 189 des délibérations m unicipales, année 1788, fol. 207
recto et verso , 209 recto et verso.
�- 173 —
» battre. » Le bureau ordonna que ces plaintes se
raient portées au juge de palais pour la punition
des coupables. 1 Le lendemain deux autres archers
de la maison ayant saisi, en présence de plusieurs
recteurs , quelques mendiants étrangers dans l’église,
des pères Augustins , une troupe de gens de peu qui
étaient à la porte de cette église insultèrent grave
ment les recteurs. Un calfat, nommé Chiouse , les
accabla de mille injures , disant que « ces façons
» de faire n’estoient que forfanteries et que tous les
» recteurs de la Charité estoient des mangeurs. » Le
bureau délibéra encore de porter plainte à la justice.2
En 1665 les porteurs de chaise de M. de Bausset
donnèrent des soufflets à un chasse gueux et firent
tous leurs efforts pour lui enlever les pauvres qu’il
conduisait à Fhôpital-général. Les recteurs décidè
rent de s’en plaindre à M. de Bausset lui-même, le
respect qu’on avait pour sa personne ne permettant
pas de s’adresser aux tribunaux.3
Un autre archer nommé Allary ayant arrêté , au
mois d’avril 4691 , un homme qui mendiait à la
porte de l’église Saint-Martin , le jeune de la Mure
prit la défense de ce mendiant et donna des coups
de canne à l'archer qui en fut tout meurtri. Cette
1. Registre 5 des délibérations du bureau de la Charité , séance du
26 décembre 1660 , sans pagination chiffrée.
2. Même registre 3 , séance du 27 décembre 1660.
3. Registre 4.
�scène se passa pendant le sermon. Un grand nombre
de personnes sortirent de l’église ; un attroupement
considérable se forma, et le mendiant parvint à
s’échapper. 4 Le sieur de la Mure père , accompagné
de son fils, se présenta quelques jours après au bu
reau. Le fils fit des excuses, et tous les deux décla
rèrent qu'ils se soumettaient au jugement que les
recteurs prononceraient contre eux. On leur infligea
une amende de trente livres qui fut payée incon
tinent. 2
Le o août de la même année, le nommé Antoine
Laget, aveugle, ayant été arrêté par des archers
au moment où il mendiait près la petite porte des
Augustins, il résista, se jeta par terre et poussa des cris
plaintifs. Le peuple se souleva et mit les archers en fui
te. 3 A peu près à la même époque, deux archers con
duisaient à la Charité un autre mendiant qu’ils avaient
saisi à la Loge ; mais le sieur Belerot et un teinturier,
nommé Julien, l’enlevèrent de leurs mains, les ac
cablèrent de coups et les traînèrent par les cheveux. i
Je n’en finirais pas si je voulais raconter tous les
mauvais traitements auxquels les archers furent
exposés de la part du peuple de cette ville qui ne les
voyait qu’avec mépris et colère. Les rigueurs exer1 Procès-verbal de l’archer Allnry, registre 8, p. 378.
2. Même registre 8 , p. 37 2, délibération du 8 avril 1691.
3. Même registre 8, p. 4-61.
4. .Même registre, p. 43a.
�175 —
cées contre les mendiants et les vagabonds jetés de
vive forcedans l’hôpital-général continuèrent d’exciter
des murmures, et bien des personnes, même celles que
distinguaient leurs lumières et leur position sociale,
blâmaient ces sévérités qui leur paraissaient contraires
aux lois divines et humaines. « C’est, disait-on, un
» droit naturel aux pauvres de demander l’aumône.
» Pourquoi donc le leur interdire, et pourquoi les
» mettre en prison lorsqu’ils implorent notre charité? Il
» faut les laisser vivre comme ils vivaient auparavant,
» car avant l’établissement de la maison de Charité il
» en coûtait bien moinsdeles nourrir.Que ferons-nous,
» ajoutait-on , du reste de nos tables? Nous ne croi» rons jamais faire mal quand nous donnerons l’au» mône avec bonne intention, quoi qu'on nous la
» défende, Jésus-Christ n’a-t-il pas dit que nous au» rons toujours des pauvres avec nous , et d’un
» autre côté les pères de l'Église ne disent-ils pas
» qu'il ne faut refuser l’aumône à aucun pauvre
,» de crainte que celui à qui on la refuse ne soit
» Jésus-Christ lui-même? »1
D’autres objections plus ou moins fondées étaient
faites par des frondeurs infatigables, et pour les
réfuter on réimprima à Marseille, en 1699, un écrit
J. La mendicité abolie dans la ville de Marseille par l’hôpital-généra), ou maison de Charité, avec la réponse aux principales objections
que l'on peut faire contre cet établissement. Marseille , chez la veuve
de Henri M artel, 1699.
�anonyme 1qui avait été publié quelques années aupa
ravant à Aix , où la même opposition s’élevait contre
l’hôpital-général de cette ville, ouvert le 17 mars
1687. 2 L’auteur de cet écrit développait plusieurs
arguments pour impressionner le public en faveur
de la nouvelle institution. Il ne put vaincre les dis
positions hostiles des masses dont les instincts d’hu
manité se révoltèrent toujours contre la capture des
mendiants. On avait beau leur dire que la mendicité
est un délit. Elles ne pouvaient se faire à cette idée
qui leur paraissait fausse et barbare. Les archers
de la Charité de Marseille en firent encore bien des
fois la preuve à leurs dépens, et on les détesta comme
les instruments d’une oppression contre laquelle tout
était permis. Le parlement de Provence, par arrêt
du 14 août 4767, mit les archers sous la sauvegarde
du roi ; réitéra la défense de les troubler ou insulter
dans leurs fonctions; enjoignit à tous officiers, bour
geois et habitants de Marseille de leur prêter main
forte, à peine d’amende. 1
1. La mendicité abolie dans la ville de M arseille, etc., ouvrage cidessus cité.
2. Les frais et les fruits de la Charité d’Aix , depuis le dernier en
fermement des pauvres, 1687, petit in-4° de 8 pages, dans le recueil
de diverses pièces manuscrites et imprimées, réunies par Pierre-Joseph
de H aitze, à la bibliothèque publique de Marseille. Voyez aussi le dé
partement des emplois des officiers de l’hôpital-général de la Charité
d’Aix et autres choses concernant le bon ordre de la maison , petit in-4°
de 30 pages, dans le même recueil.
1. Arrêt de la souveraine cour du parlement de Provence, tenant la
chambre des vacations, du 14 août 1767, imprimé en forme d’affiche,
à M arseille, par Antoine Favet.
�L’hôpital général continua de recevoir quelques
pauvres qui ne voulaient pas mendier et que leur
extrême misère forçait à demander l’entrée de la
maison. Les hommes de cette classe devaient avoir
soixante ans, et les femmos cinquante. 1 Les uns et
les autres sortaient tous les quinze jours ; mais ceux
qui ne s’étaient pas confessés dans le mois étaient
privés de toute sortie jusqu’à ce qu’ils eussent obéi
à cette prescription. 2 Le 26 novembre 1654 , Emma
nuel Pachier avait soumis à ses collègues du bureau
la question de savoir si les indigents mariés pou
vaient sortir plus souvent pour voir leurs conjoints
en ville. On consulta sur ce point une assemblée de
docteurs composée du prévôt de la Major, du grandvicaire , du prieur de Saint-Laurent, des prêtres
Bernier, Cordai, Cotta , Monier, Dolle et quelques
autres. De Bausset, lieutenant-général en la séné
chaussée , y assista. Cette assemblée délibéra, à
l’unanimité, qu’on ne pouvait retenir les personnes
mariées sans leur permettre d’aller voir leurs conjoints
une fois ou deux par semaine. 3
Quant aux jeunes garçons et aux jeunes filles,
l’âge de sept à huit ans devint celui de leur admis1. L’économe instruit de ses devoirs, e t c ., manuscrit ci-dessus cité,
fol. 2 , aux archives de l’Hôtel-Dieu.
2 . Registre 42 des délibérations du bureau d elà Charité, p. 488
et 489.
3. Registre 2 des délibérations du bureau de la Charité.
TOME II.
12
�sion à la Charité. 1 En 1695 , ces enfants couchaient
encore quatre à quatre dans le même lit2 et on ne
rémédia à ce mal que long-temps après. Il en mou
rait par an. L’une des causes de cette mortalité
était la mauvaise qualité du pain. 3 Le 26 février
1688 l’administration avait délibéré de faire assister
tous les enfants, avec leur croix , aux enterrements
où ils seraient appelés , moyennant une aumône de
trente-trois livres, 1 et quelque temps après, l’un
des recteurs, nommé de Paul, exposa que quand
ces enfants sortaient « ils étaient si mal ajustés qu’ils
» ressemblaient à des faquins. » Le bureau délibéra
que lorsque les enfants iraient aux enterrements
« on prendrait soin qu’ils fussent bien en équipage. »
Plus tard on fit assister toute la famille de la Cha
rité à l’enterrement des bienfaiteurs qui donnaient
mille livres au moins à la maison. La famille en
tière sortait aussi pour les funérailles de toutes per
sonnes, moyennant la même aumône. G
1. L’Économe instruit de ses devoirs, etc., p. 2.
2. Registre 9 des délibérations , p. 375.
3. Mémoire sur la topographie médicale de Marseille, par le doc
teur Raymond, du 3 décembre 17 79, dans YHistoire de la Société
royale de médecine. Paris. 1 7 8 0 , seconde partie, p. 121.
4. Statuts et règlements de l’hôpital général de la Charité de Mar
seille, chez Antoine Favet, 1771 , p. 48.
5. Registre 3 des délibérations.
6. Cette délibération est à la date du 10 mai 1764. Registre 57 ,
pag, 161.
�Il y avait à la Charité une maîtrise de musique.
Tous les matins, après la prière, le maître faisait
aux enfants de chœur la leçon de plain-chant, et à
quatre heures après midi la leçon générale. Le reste
du jour, il les occupait à l’étude ou à copier de la
musique.1En l’année 1738 le bureau supprima cette
maîtrise par mesure d’économie ; mais il la rétablit
le 15 juin 1741. 2
D’autres écoles étaient établies pour apprendre
aux enfants des deux sexes la lecture , l’écriture et
l’arithmétique. Les directeurs, chargés spécialement
de ce service, devaient choisir les jeunes garçons
qu’ils jugeaient propres à la marine et ils leur fai
saient donner des leçons d’hydrographie et de pilotage
par le maître que la ville nommait et qui recevait
d’elle des appointements, lesquels n’avaient d’abord
été que de deux cents livres 3 et furent successive
ment élevés jusques à huit cents. * Les enfants que
la Charité donnait aux capitaines marins possédaient
ainsi les premiers éléments de la navigation. Ces
capitaines étaient obligés de prendre à leur bord,
1. Statuts et règlements ci-dessus cités, p. 69 et 70.
2. Registre 28 des délibérations, p. 47.
5. Statuts et règlements cités , p. 54 et 55.
4. État des sommes que le roi en son conseil a permis et permet aux
échevins de Marseille d’ordonner le paiem ent, etc., du 9 novembre
17 49, et autre état du 22 décembre 1767, dans le recueil d’édits,
arrêts du conseil et règlements pour la municipalité de la ville de Mar
seille . chez Sibié , 1772 , p. 76 et 118.
�180
en qualité de mousse, un des jeunes garçons de
l’hôpital général. Une ordonnance du lieutenantgénéral au siège de l’amirauté de Marseille, rendue
en 1694, frappait d’une amende de 300 livres les
capitaines de vaisseau marchand qui enfreignaient
cette prescription. Mais il y eut, plus lard, un re
lâchement excessif dans l’exécution de cette or
donnance.
Le roi fit un édit, le 15 août 1732, pour rem
barquement des mousses. Les capitaines , en se con
formant d'ailleurs aux ordonnances de la marine de
1681 et 1689, furent obligés de prendre dans les
hôpitaux les enfants dont ils auraient besoin en
faisant leur équipage. Ces enfants durent avoir plus
de neuf ans. Leurs salaires furent de sept livres par
mois pour le premier voyage, de neuf pour le se
cond, et pour les autres les capitaines eurent à traiter
avec les hôpitaux, d’après une proportion équi
table. 1
La maison de la Charité de Marseille fournissait à
la marine, en moyenne, soixante-dix mousses par
an. Elle en aurait donné un bien plus grand nombre
si les prescriptions légales pour la formation des
équipages eussent été exécutées rigoureusement. Mais
les directeurs se plaignirent souvent de la mauvaise,
volonté des officiers de l’inscription maritime qui
1. Registre 22 des délibérations du bureau de la Charité, p. 46.
�— 181
mettaient des obstacles à l’exercice du privilège de
l’hôpital général. 1
Les lettres-patentes de Louis XV, du 23 novembre
1726, portant règlement pour les calfats de Mar
seille, voulurent que les enfants de la Charité fussent
reçus apprentis calfats, par préférence à tous autres,
excepté les fds de maîtres. Ces enfants devaient être
âgés de treize à quatorze ans. L’hôpital payait trente
livres au calfat chez lequel les apprentis étaient pla
cés, et il avait de plus à fournir les vêtements et les
outils nécessaires. L’apprentissage de ces jeunes
garçons durait trois années. Ils passaient ensuite
compagnons, et ils étaient tenus de servir, pendant
deux ans encore, leur maître en cette qualité , sans
autre salaire que les vêtements et la nourriture.2
Il y avait dans la Charité plusieurs ateliers et on
y employait tout à la fois les enfants et les vieillards
suivant leurs goûts et leur aptitude. On avait reconnu
par expérience que toutes les industries exploitées
dans cet hôpital et pour son compte étaient ruineuses
pour lui et qu’il convenait beaucoup mieux de les
mettre à ferme , à l’exception de la cordonnerie et
de la tisseranderie dont les produits se consommaient
dans la maison. 3 Jusques en 1743 tous les maîtres
1. Registre 28 des délibérations , p. 28.
2. Nouveau commentaire sur l’ordonnance de la marine du mois
d’août 1 6 8 1 , par Valin , t. 1 . p. 565 et suiv.
5. Statuts et règlements cités, p. 26 et 27.
�182
d'atelier étaient munis de nerfs de bœuf avec lesquels
ils châtiaient les enfants pour la moindre faute. Les
murmures et les plaintes des parents indignés for
cèrent les recteurs à substituer à ces nerfs de bœuf
de petits fouets dont on continua depuis lors de se
servir dans les punitions ordinaires. 1
Le G janvier 4715, les recteurs auxquels on van
tait beaucoup le mérite des dames religieuses hospi
talières de Saint-Joseph, délibérèrent d’en recevoir
quatre dans la maison à la place des six mères qui
l’avaient desservie jusques alors. Ils s’engagèrent
à les loger, à les nourrir , à les blanchir, et à don
ner à chacune d’elles 60 livres par an pour leur ves
tiaire. Le 2 mai suivant, les sœurs Ferrus , de SaintJoseph , Chenevier et Boyer furent installées, et la
première avec le titre de supérieure. 2 Ces dames
toutefois ne restèrent pas long-temps à la Charité,
et le motif de leur retraite n’est indiqué dans aucun
titre. Tout ce que nous savons c’est que le 16 avril
1716, le bureau fut d’avis de donner 150 livres
pour le départ des trois religieuses qui étaient encore
dans cet hôpital. 3
La maison de la Charité de Marseille avait fondé
en 1680 , avec le concours de l’administration mu
nicipale, une œuvre pour secourir les pauvres qu’on
1. L’Économe instruit de ses devoirs, e tc ., manuscrit cité, p. 1S I .
2. Registre M des délibérations.Voyez la séance du 2 mai.
3. Registre 15, p. 105.
�— 183 —
ne pouvait recevoir dans la maison et qui d’ailleurs
n’en demandaient pas l'entrée. C’était la distribution
du pain externe pour laquelle la ville donnait an
nuellement six mille livres. Ceux qui sollicitaient le
secours du pain devaient se présenter devant les
recteurs et y exposer leurs besoins, un jour de séance,
après quoi on les renvoyait au bureau suivant. On
nommait un commissaire pour prendre des informa
tions et l’on statuait sur son rapport. Le nombre
des pains variait suivant la position des malheureux
secourus. Tous les directeurs se partageaient entre
eux cette distribution que l’on faisait, tous les di
manches au matin, à la Charité pour les pauvres de
la Major et de Saint-Laurent, à l’hôpital des Enfants
abandonnés pour les pauvres de Saint-Martin et de
Saint-Ferréol, et à l’Hôtel-Dieu pour ceux des Accoules. On tenait un registre particulier pour les pau
vres honteux auxquels on distribuait le pain le samedi
au soir dans l’hôpital de la Charité.
On ne donnait le pain externe qu’aux indigents
nés à Marseille ou qui y avaient un domicile de cinq
années. On leur imposait l’obligation de se confesser
à tout le moins une fois l'an, et ceux qui, dans la
quinzaine de Pâques, ne rapportaient pas le billet
constatant qu’ils avaient satisfait à ce commandement
de l’Église cessaient d’être secourus. 1
Le 19 mars 1756 le conseil municipal de Marseille,
1. Statuts et règlements c ité s, p. 101 etsu iv .
�vu les malheurs de la guerre qui multipliaient les
indigents , délibéra de donner annuellement neuf
mille livres à l’hôpital général de la Charité pour la
distribution du pain externe. 1 Mais par arrêt du
grand conseil du 11 mai de la même année, le roi
n'autorisa cette augmentation que pour un an. Le
18 mai 1757, le conseil municipal de Marseille émit
un vote semblable à celui de l’année précédente. 2
Dans ces circonstances, le grand conseil rendit, le
21 juin suivant, un autre arrêt qui fixa à 8,000 livres
par an et à perpétuité le prix de la distribution du pain
aux pauvres externes en temps de paix, et à 9,000
livres en temps de guerre. 3
Cependant le 15 septembre 1761, le conseil muni
cipal de Marseille délibéra de porter à 24,000 livres
par an , pendant six années consécutives, la subven
tion de la ville pour le pain des indigents externes
aussi bien que pour l’entretien des pauvres logés dans
l’hospice.1 L’intendant de Provence homologua cette
délibération qui fut exécutée à partir de la même
année.
1. Registre 157 des délibérations m unicipales, année 1 7 5 6 , fol. 28
verso, 29 recto et 50 recto.
2 . Registre 158 des délibérations m unicipales, année 1757, fol. 46
recto et verso.
5. L’expédition de l’arrêt du 21 juin 1757 est annexé au registre 10
des délibérations du bureau de la Charité.
4. Registre 162 des délibérations m unicipales, année 1 7 6 1 , p. 52
verso et 55 verso
�Le nombre des recteurs de la Charité avait varié
suivant les besoins et les circonstances depuis l’éta
blissement de cette maison; mais l’édit de 1689
exigea qu'il y en eût trente-un , savoir : sept recteurs
nés dont le premier était l’évêque de Marseille ; le
second le viguier; les cinq autres, les échevins et
l’assesseur, et vingt-quatre d’élection renouvelés par
moitié tous les ans. Chacun d’eux avait successive
ment pendant une semaine la direction plus spéciale
de l’hôpital et le pas sur ses collègues. La nomina
tion annuelle se fit d’abord de la manière suivante :
le dimanche qui précédait la fête de Saint-Laurent,
douze recteurs désignés par le sort présentaient cha
cun trois candidats, et l’assemblée en nommait douze
sur trente-six.1 Ce mode d’élection fut changé par
délibération du bureau du 1er février 1748, approu
vée par l’évêque, le viguier et les échevins. Chaque
année les douze recteurs restant en charge propo
saient chacun un candidat qui était admis ou rejeté
à la majorité des suffrages. 2 II devait toujours y
avoir parmi les vingt-quatre recteurs d’élection deux
gentilshommes, un à la tête des anciens, et l’autre
à celle des nouveaux. Ces deux gentilshommes avaient
principalement l’inspection de la chapelle et de la
sacristie. Suivant un usage qui remontait à la fon1. Statuts et règlements cités, p. 5 et suiv.
2. Voyez à la suite de ces statuts et règlements la délibération du 1er
février 1748.
�-S T -
—
486
—
dation de l’hôpital général, chacun de ces gentils
hommes , le jour de son entrée en fonction , donnait à
dîner aux pauvres de la maison à ses frais. 1
La veille de Noël, l’administrateur semainier fai
sait distribuer, à ses dépens, du nougat à toute la
famille au souper de laquelle il assistait. 2 Celui qui
était de service dans la semaine sainte lavait les
pieds, le jour de la Cène, à .treize enfants de la
maison. Il donnait à chacun , de ses propres deniers,
une pièce de douze sous avec un pain de deux livres.
Il leur faisait ensuite servir une collation et four
nissait les fleurs dont on avait besoin pour cette cé
rémonie. 3
Quelques directeurs, dans des circonstances heu
reuses pour eux-mêmes ou pour leur famille, vou
laient que les indigents confiés à leurs soins prissent
part à leur joie. Icard, l’un d’eux, s’étant marié
dans l’église de la maison le 12 octobre 1753, fit
dîner tous les pauvres; et le 2 septembre 1755,
Prépaud, autre directeur, ayant gagné un procès
important, traita la famille de la meme manière. Il
lui en coûta 235 livres.4
Les échevins étaient aussi dans 1 usage de régaler,
1.
2.
pag.
5.
4.
Statuts et règlem ents cités , p. 43.
L’Économe instruit de ses devoirs, e tc ., manuscrit déjà cité,
261.
Même m anuscrit, p. 267.
Ibid, p. 597 ei 59S,
�*
— 187 —
aux frais de la ville , les pauvres de la Charité, aux
jours de réjouissance publique, pour la célébration
d’une victoire , pour la publication de la paix , pour
la convalescence du roi et pour la naissance d’un
prince. 4
Au reste, il fallait être riche et en même temps*
généreux pour satisfaire à toutes les exigences que
les règlements ou l’habitude faisaient peser sur les
directeurs de la Charité de Marseille. Ils étaient
obligés de verser chacun la somme de trois cents
livres dans les mains du trésorier à leur entrée en
exercice. Chacun d’eux déposait, de plus, dans le
bassin, quatre louis d'or, le jour de la procession de
Saint-Lazare. Ils donnaient aussi treize livres toutes
les fois qu’ils remplissaient les fonctions de semai
nier, et quelques-uns ajoutaient à toutes ces libéra
lités des gratifications particulières en faveur de
l’établissement. 2
Mais ce n’était point là le terme de leurs sacri
fices , et dans cette maison il en coûtait bien davan
tage pour avoir l’honneur de servir les pauvres. Les
recteurs avançaient souvent de leurs propres deniers
des sommes assez fortes , et la nécessité en avait fait
une habitude qui ne laissait pas de les fatiguer
quelquefois. Ceux de la calamiteuse année 1709 crai
gnirent pour leur bourse les conséquences de la cherté
1. L'Économe instruit de ses devoirs, e tc ., p. 400 et suiv.
2. Ibid. p. 106.
�des vivres et voulurent prendre des précautions
contre cette éventualité inquiétante. Le 23 novembre
ils eurent une assemblée extraordinaire à laquelle
assistèrent le viguier, les échevins et l’assesseur. Le
semainier exposa que si l’état des choses continuait,
personne dans la suite ne voudrait accepter des fonc
tions si onéreuses. Le bureau délibéra qu’on ne
pourrait obliger les recteurs à fournir au-delà de deux
mille livres chacun et que le remboursement de ces
avances serait fait au sol le livre. 1
La crise financière était dans l’hôpital de la Charité
de Marseille à l’état de permanence comme elle l’était
à peu près dans les autres hôpitaux de cette ville, tou
jours au-dessous, de leurs besoins et toujours pressés
par de dures nécessités de parcimonie qui étouffaient
dans leur germe tous les projets d’amélioration. En
4715 les avances faites par les anciens directeurs
s’élevaient à la somme de 53,800 livres et la maison
n’avait aucun moyen de les acquitter. Dans une
assemblée tenue le 47 décembre , sous la présidence
de l’évêque Belsunce, on délibéra de faire un em
prunt de pareille somme à constitution de rente,
mais on n’y parvint qu’avec les plus grandes diffi
cultés. 2 L’histoire de cet établissement n'est que
celle de sa détresse continuelle. Les recteurs, tou
jours réduits à des expédients, harcelaient de leurs
1. Registre 12 des délibérations du bureau de la Charité, p. 146.
2. Registre 1 5 , p. 68 et. suiv.
�demandes le conseil municipal qui ne répondait pas
toujours de manière à les satisfaire. Au commen
cement de 1761 , Ripert de Monclar, procureurgénéral au parlement d’Aix, se rendit à la cour pour
solliciter des secours en faveur des hôpitaux de la
Provence , 1 mais nous ne voyons pas que ses ins
tances aient été couronnées de succès. Le 4 septembre
de la même année, de Belloy, évêque de Marseille ,
vint présider un bureau extraordinaire de l’hôpital
général de la Charité de Marseille, et l’on y délibéra
d’implorer l'humanité de la ville. On exposa dans la
requête que cette maison , comme la plupart des hô
pitaux du royaume, s’était soutenue principalement
par le moyen des emprunts, mais que depuis quelque
temps elle avait perdu tout crédit ; que ses charges
annuelles montaient à la somme considérable de
192,509 livres, tandis que tous ses revenus fixes,
les aumônes casuelles et le travail des pauvres se
réduisaient à 62,000 livres environ. 2
Les recteurs de la Charité, dans un autre compa
rant présenté aux échevins le 15 octobre, les sup
plièrent de convoquer le conseil. « Si l’aumône abon» dante dont l’hôpital a besoin n’est point accordée ,
» dirent-ils , un prêt pourra y suppléer. Des enfants
» demandent du pain à leur père. S'il refuse de
» le leur donner, que du moins il le leur prête. Ils le
1. Registre 37 , p. 91.
�190 —
» lui rendront avec usure. L’hôpital demande donc
» avec confiance un prêt de 75,000 livres, et il donne
» pour gage la liberté publique, la Providence divine,
» la vie des orphelins, la consolation des veuves et
» des vieillards, l'honneur et l’intérêt de la patrie,
» l’avantage du commerce , la postérité. Tels sont
» les riches fonds qu’on offre ici en hypothèque. » 1
Cette garantie hypothécaire ne fut pas du goût
des négociants et des bourgeois du conseil muni
cipal , hommes positifs et tout à fait insensibles à
la séduction des grands mots et des phrases senti
mentales. Ils crurent cependant devoir faire quelque
chose en faveur d’un établissement que la commu
nauté avait fondé et qui, entre tous les hôpitaux
de Marseille, se trouvait à peu près le seul qui eut
un caractère vraiment municipal. Le conseil de ville
accorda donc 30,000 livres une fois payées, 2 et le
30 juillet 1762 il vota une aumône de 20,000 livres
par an , pendant cinq années, 3 en sus de son allo
cation ordinaire pour le pain des pauvres externes
et pour le salaire des archers.
Le 20 octobre 1763 il y eut un concordat entre la
maison de la Charité et ses créanciers, qui consen1. Même Registre, p. 101.
2. Registre 162 des délibérations m unicipales, année 17 61, fol. 56
recto et verso.
5. Registre 165 des délibérations m unicipales, année 1 7 6 2 , fol. 51
recto, verso etsuiv.
�491
tirent à recevoir 50 p. 0/o de leurs pensions, à con
dition que chaque année on répartirait, en sus ,
l’accroissement qui pourrait survenir dans les revenus
de l’œuvre , soit par les allocations municipales , soit
par l'excédant du casuel, soit par l’extinction des
rentes viagères.
Ces pauvres créanciers ne cessèrent d’assiéger les
portes de la Charité et de faire retentir ses murs de
leurs plaintes , car une fatale impuissance frappa cet
hôpital d’une manière plus cruelle encore. L’admi
nistration recourut à diverses mesures qui toutes té
moignèrent de son extrême pénurie 1 et n’eurent
d’autre résultat que l’augmentation des souffrances
des pauvres qui payèrent trop cher une hospitalité
chargée de leurs malédictions incessantes.
En 1762 les revenus fixes de cette maison étaient
de 24,048 livres et les recettes éventuelles de 50,190
livres, total........................................ 74,238 liv.
La dépense annuelle montait à . . 151,409
Excédant des dépenses . . . . 77,174 liv.2Ce déficit considérable pouvait, il est vrai, être
diminué par l’extinction des pensions viagères dont la
masse formait la plus grande charge de l’œuvre. La
position financière de la Charité n’en était pas moins
1. Registre 44 des délibérations du bureau de la Charité, p. 452.
2. Registre 165 des délibérations m unicipales, année 17 62, fol. 51
et suiv.
�alarmante. Sur la demande de l’intendant de Pro
vence , le conseil municipal de Marseille délibéra ,
le 3 février 1764, de mettre à la charge de la ville
l’acquittement des rentes tant viagères que consti
tuées , ainsi que les arrérages, suivant la combi
naison déjà faite par le conseil pour les créanciers de
l’Hôtel-Dieu. Il fut dit que, moyennant cet arran
gement , les directeurs de l’Hôtel-Dieu compteraient
à la ville les 50,000 livres qu’ils avaient en caisse et
qu’ils réservaient à leurs créanciers; qu’ils renon
ceraient à toute subvention municipale , même à
celle qui leur était faite pour la distribution du pain
aux pauvres externes, sans que cette distribution
fût supprimée. 1
La maison de la Charité fut ainsi mise à l’abri
d’une chute qui paraissait imminente , mais sa posi
tion financière n’en fut pas moins très-mauvaise en
core , et la ville , malgré l'accord du 3 février 1764,
lui donna de temps en temps des secours extraor
dinaires pour le pain des pauvres externes. 2
1. Registre 165 des délibérations m unicipales, année 17 64, fol. 14
verso et 15 recto.
2. Lettre des échevins de Marseille à l’intendant de Provence, du 14
octobre 1778 , dans le registre 30 des copies des lettres de ces m agis
trats, du 24 octobre 1777 au 9 août 1 7 7 9 , aux archives delà ville.—
Séance du conseil de ville du 21 mai 17 79, dans le registre 180 des
délibérations municipales , année 1779, fol. 81 recto et verso, 82 recto
et 87 verso. — Lettre des échevins de Marseille à l’intendant de Pro
vence, du 24 mai 1 7 7 9 , dans le registre 30 ci-dessus cité. — Séance
du conseil de ville du 30 mars 1781 , dans le registre 182 des délibéra-
�193 —
' De nouveaux règlements, faits pour servir de
supplément aux anciens, avaient été délibérés le 4
août 1758. 1 On tint, le 14 juin 1768 , sous la pré
sidence de l’évêque, un grand bureau auquel assis
tèrent le maire, les échevins et l’assesseur. Après
avoir déploré le malheur des temps, on exposa la
triste situation de l’hospice réduit à la détresse par
les calamités de deux guerres presque consécutives,
par la diminution des aumônes et par le haut prix
des denrées. 2 On chercha les moyens de créer des
ressources, et dans cette vue on délibéra de donner
à tous les directeurs anciens et actuels le titre de
fondateur, s’ils voulaient bien l’accepter, à la charge
par eux de faire une aumône de soixante-douze
livres une fois payée, au lieu de celle de trois cents
livres que les nouveaux recteurs étaient autrefois
tions m unicipales, année 17 81, fol. 40 verso, 43 verso et 44 recto.—
Séance du conseil de ville du 1G juin 1782, dans le registre 183 des déli
bérations municipales, année 1782, fol. 2 4 8 recto etjverso, 252 recto.—
Conseil du 7 décembre 17 86, dans le registre 187 des délibérations mu
nicipales, année 1786 , fol. 160 recto et verso, et 163 recto.— Consei
du 26 novembre 17 87, dans le registre 188 des délibérations munici
pales, année 1787, fol. 170 recto et 171 v e r so .— Conseil du 1 5 .dé
cembre 1 7 8 8 , dans le registre 1 8 9 , année 17 88, fol. 223 recto et
verso , et 226 verso. — Séance du 5 mai 1 7 9 0 , dans le livre 1 des dé
libérations du corps municipal de M arseille, du 23 février 1790 au 26
juillet suivant, fol. 31 recto et verso.
1. Nouveaux règlements économiques pour servir de supplément aux
anciens, etc. Marseille, chez Antoine F avet, 1758.
2. Extrait des registres de l’hôpital-général. Grand bureau tenu le
14 juin 1 7 6 8 , etc. Brochure in-12 de trente-une pages, sans nom
d’imprimeur.
15
TOME II.
�194 —
obligés de compter. On avait supprimé cette obli
gation afin de rendre moins lourd un emploi pour
l’exercice duquel on aurait fini par ne plus trouver
personne. Il fut dit que deux des fondateurs auraient
chaque année, les uns après les autres, voix délibé
rative dans tous les conseils de l’administration et le
droit d’assister aux processions solennelles. On fit
de plus quelques additions aux articles du règlement
concernant la présence des pauvres aux convois fu
nèbres, et l'on réduisit à cent cinquante livres le
droit d’assistance de toute la famille de la Charité à
ces convois.
Le maire et les échevins ordonnèrent, le 19 avril
1768 , que dorénavant tous bateleurs , empiriques ,
vendeurs d’orviétan , danseurs de corde et autres
gens de cette espèce n’auraient la permission de tra
vailler dans l’enceinte de la ville qu’après avoir payé,
à l’hôpital général, une somme fixée suivant les
circonstances. 1
Dans les dernières années de l’ancienne monar
chie, cet hôpital parut se relever de sa triste si
tuation , et des libéralités considérables qui pouvaient
en appeler d’autres semblèrent lui promettre un
avenir meilleur. En 1781 , la dame Eydin , veuve
Gilly, le comprit dans son héritage pour une tren
taine de mille livres. 2 La chambre du commerce lui
1. Registre 45 , p. 71.
2. Même registre, p. 520.
�en donna quinze mille au mois d’octobre 4783, et,
trois ans après , un bienfaiteur du nom de Remusat,
lui fit un legs de trente mille livres. 1
Le nombre des pauvres reçus dans la Charité de
Marseille varia d’année en année , suivant la situa
tion financière. En 1760, le chiffre fut de 4,059,
et il n’avait jamais été si élevé. On le vit ensuite
décroître considérablement, à tel point qu’on ne
compta que 250 pauvres dans cette maison en 4784.2
Ce n’est pas à dire que le nombre des mendiants eut
diminué. Non, cette plaie des sociétés modernes se
montrait toujours plus saignante. Rien ne pouvait
la guérir, ni la sévérité des lois, ni les efforts des
philanthropes. Necker nous apprend, qu’en 4767, on
arrêta en France cinquante mille mendiants ; 3 et
dix ans plus tard, s’il faut en croire Monteil, on en
compta plus de trois cent mille dans le royaume. 4
Linguet proposa alors cinquante louis de sa bourse
à donner en prix au meilleur ouvrage touchant la
suppression de la mendicité. ü
Ce grave sujet d’étude occupait alors les esprits
sérieux, et l’académie de la Conception de Rouen
1. Registre 46 des délibérations du bureau de la Charité , p. 84,
2 . Registre 44 des mêmes délibérations , p. 402.
o. Administration des finances, t 5 , p. 164 et suiv.
4. Histoire des Français des divers états. 3e édition, t. 5 , Décade
de Verdeille, p. 282.
3. Annales politiques, t. 3 , p. 342.
�— 196 —
ayant ouvert un concours public sur la question ,
Demencle , lieutenant-général en la sénéchaussée de
Marseille, remporta le prix en 1779. 1 D’un autre
côté, Pierre de Dessuslamare, citoyen de Rouen,
résidant à Marseille, conçut l’idée d’y établir un
asile pour tous les malheureux qui demandaient leurs
moyens d’existence à la charité publique. Plusieurs
plans de construction furent dressés , et l’architecte
Sautayra-Garnier en fit un qui parut obtenir la pré
férence. Le 25 août 1789, de Dessuslamare ouvrit
à Marseille, avec la permission des officiers muni
cipaux , 2 une souscription chez le banquier Decroy ;
mais il ne s’y présenta que onze personnes lesquelles
ne s'engagèrent que pour des sommes insignifiantes.
La réclusion des pauvres était toujours frappée de
réprobation populaire , et d’ailleurs les troubles po
litiques de cette époque devaient être un obstacle au
succès d’une pareille entreprise. De Dessuslamare ne
se découragea pourtant pas. L’Assemblée nationale
ayant décrété la suppression des monastères, ce
philanthrope pensa qu’il serait facile de trouver à
1. Discours sur les moyens les plus conformes à la religion, à l’hu
manité et à la politique, de faire cesser la m endicité dans la province
de Normandie. Ouvrage couronné par l’académie de la Conception de
Rouen, en 1779, par M. D***, lieutenant-général d elà sénéchaussée
de Marseille. Avignon, 1780, in-8° de 78 pages.
2. Mendicité, 1789. Pétitionde Pierre de Dessuslamare à MM. les
m aires, échevins et assesseurs de Marseille, et ordonnance de ces ma
gistrats, du 24 août 17 89, in-12 de 5 pages. A Marseille, de l’impri
merie de Favet.
�197 —
Marseille un local convenable pour une maison de
mendiants ; il n’eut donc plus à s’occuper que du
régime intérieur, et le 2 mars 1790 il fit imprimer
son plan d'administration. 4 Mais ce projet qui eut
exigé, pour réussir, le concours des pouvoirs pu
blics et des circonstances les plus favorables, s'éva
nouit , comme le rêve d’un homme de bien, dans
l’isolement et l’abandon.
La Charité, pendant la révolution, porta le nom
d’hospice de la Vieillesse et de l’Adolescence. Son sort
fut des plus déplorables , en ces jours de luttes et
d’orages, car tout manqua pour l’entretien des
pauvres. Ce fut en vain que l’administration de l’hos
pice multiplia ses instances auprès des autorités lo
cales et sollicita l’assistance de la commission des
secours publics instituée à Paris; les dons en argent
et en nature qui lui furent faits ne satisfirent ses
besoins que dans une étroite mesure. 2
1. Pian d’administration d’un dépôt de mendicité pour la ville de
M arseille, ses faubourgs et son territoire, proposé par Pierre de Dessuslam are, de Rouen , ancien juge consul de Caen.
2. Divers registres des délibérations du corps municipal de Marseille.
Passim , aux archives de la ville.
�CHAPITRE VIII.
MAISON UES FILLES «MISES;
MAISON DES FILLES DE LA PROVIDENCE;
MAISON DES PIECES ORPHELINES.
Fondation de l’œuvre des Filles Grises. — Sa dotation. — Libéralité
de Jacques Busson, apothicaire. — Construction de la maison des
Filles Grises. — Détails sur l’administration et les finances de
l’œuvre. — Les prud’hommes des pêcheurs en ont la direction. —
Son déplacement. — Fondation de Louis Ricard. — Mariages de
pauvres filles. — Le nombre des Filles Grises est successivement
réduit. — Établissement de la Maison de la Providence. — Oppo
sition des directeurs de la Charité. — Leur désistement. — L’œu
vre des Filles de la Providence est définitivement autorisée. —
Ses règlements. — Fondation de la Maison des Filles Orphelines.
— Divers faits qui la concernent. — Ses directrices, ses règle
ments et ses bienfaiteurs.
MAISON DES FILLES GRISES.
Par acte du 11 avril 1576, passé aux écritures
de Me Sicole, notaire royal, messire Antoine de
Glandevès , seigneur de Pourrières, chevalier des
ordres du roi, son gentilhomme ordinaire et membre
de son conseil privé , fonda à Marseille un hôpital
« soubs le filtre de l’Hostel-Dieu Marie, pour y estre
» norries et entretenues treize pouvres filles. » 1 Le
fondateur voulut qu’elles fussent orphelines et issues
i . Livre des délibérations du conseil municipal de M arseille, du
mois de novembre 1574 au mois d’octobre 1 5 7 9 , fol. 342 recto et
verso , aux archives de la mairie.
�499 —
d’un légitime mariage ; qu’on les plaçât sous la di
rection d’une honnête femme, chargée de les élever
dans les bonnes mœurs et dans le service de Dieu ;
de les conduire tous les matins à la messe et de
leur faire chanter à genou , tous les soirs , le Salve
Regina , devant l’image de la sainte Vierge.
Antoine de Glandevès donna , pour la dotation de
cet établissement, deux mille écus d’or qui furent
placés sur la communauté d’Aubagne. Il nomma pour
recteurs perpétuels de son œuvre les consuls de
Marseille et les prud’hommes des patrons pêcheurs
de la même ville. 1
Cette œuvre venait de naître , lorsqu’un apothi
caire de Marseille , nommé Jacques Busson , fit son
testament le 16 novembre 1577. Une de ses princi
pales dispositions portait que l’argent renfermé dans
son coffre, « mesme dans un secret de son dit coffre
» de noyer, » et le montant de ses créances, seraient
employés à l’achat d’une maison en la même ville
de Marseille, et que les loyers annuels seraient dis
tribués aux indigents, aux malheureux prisonniers ,
et principalement à de pauvres filles à marier. 2
Jacques Busson nomma six exécuteurs testamentaires
qui furent trois de ses amis , François Lantelmy,
1. Même livre, même fol.
2. Livre trésor A de l’hôpital Saint-Esprit et Saint-Jacques-de-Galice
de M arseille, 1542-1616, fol. 16 et su iv., aux archives de l’Hôtel—
Dieu.
�docteur en médecine et grand maistre régent du collège
de Marseille ; Claude Eydoux, Jean Horrenti, et
trois prud’hommes des patrons pêcheurs du quartier
Saint-Jean. Il voulut de plus que les prud’hommes,
annuellement en exercice, veillassent à perpétuité
à l’exécution de son legs.
Comme ce legs était en faveur des pauvres fdles
à marier, sans autre désignation, on l’appliqua à
la fondation d’Antoine de Glandevès, la seule œuvre
de bienfaisance qui parût alors se rapporter aux
intentions du testateur.
Cette œuvre, d’après son institution, avait des
bornes assez étroites. Cependant on ne l’organisa
qu'avec peine. Il lui fallait un local approprié conve
nablement, et les trois consuls de Marseille Louis
Bricard, Aman Somati, écuyer, et Guillaume Audifred , bourgeois , s’occupèrent de la construction de
cette maison. Le 7 mars 1579 , ils en mirent les tra
vaux aux enchères publiques, devant la Loge, sur
la mise à prix de seize cents florins, en présence des
prud’hommes pêcheurs Antoine Bottin , François
Danglés et Guillaume Bompar. Le maître maçon
Jacques Roux fit un rabais de cent florins et les
travaux de construction lui furent adjugés. On ne
lui donna que deux mois pour édifier cette maison
sur un terrain contigu au derrière de l’hôpital SaintEsprit, et il fut dit dans l’acte de délivrance qu’elle
devait avoir cinq cannes de long et trois cannes
�—
201
et trois pans de large.1 Roux n’eut pas à fournir
la menuiserie. Par acte du 26 juillet de la même
année , Joseph Septz, fustier de Marseille , s’engagea
de gré à gré à faire ce travail, moyennant le prix
de dix écus d’or et vingt-quatre sous. 2
Le nom d’Hôtel-Dieu Marie ne resta pas à cette
maison. Elle continua bien de le porter officiellement,
mais elle ne fut connue dans la population marseil
laise que sous celui de Filles Grises , à cause de la
couleur de leurs habits.
Par acte du 7 septembre 1584, la dame Jeanne
Doria, dame de Cuges, s’obligea, par charité et en
l’honneur de Dieu, de prendre à son service une
de ces pauvres orphelines « avec intention de la faire
» instruire et endoctriner de bonnes mœurs, et de
» lui donner encore du sien propre la somme de
» quarante écus pour son mariage , après l’avoir
» gardée cinq ans. » Les consuls de Marseille, Fran
çois de Glandevès, sieur de Guges, Jean Lombard
et Claude Richelme , agissant dans l’acte comme
recteurs de cette œuvre, acceptèrent la libéralité de
la dame Doria. 3
1. L’acte ne détermine pas la hauteur. 11 est seulement dit que les
murailles qui existent seront haussées sur le derrière de deux cannes
et au devant pour la rendre en sa pente convenable.
2. Livre des délibérations m unicipales, du mois de novembre 1574
au mois d'octobre 1 5 7 9 , fol. 437 recto et verso et 458 recto.
3. Registre 12 des délibérations m unicipales, du mois de novembre
1583 au mois d’octobre 1585 , fol. 120 verso et 121 recto . aux ar
chives de la ville.
�—
202
Les consuls retirèrent une partie des deux mille
écus d’or qui avaient été placés sur la communauté
d’Aubagne et les employèrent à divers services pu
blics, notamment au paiement du salaire des experts
chargés d’estimer les biens des habitants, ensuite
de la taxe établie pour l’acquittement des dettes
contractées à l’occasion de la peste de 1585. Antoine
de Glandevès se plaignit de ce changement de desti
nation fait au détriment des pauvres filles de son
œuvre qui souffraient beaucoup dans leur misère.
Le conseil municipal eut à délibérer sur cette af
faire le 3 novembre 1585. Il ordonna de réintégrer
dans la caisse municipale les fonds qui provenaient
de la dotation des Filles Grises et donna pouvoir au
trésorier des hôpitaux de les employer aux besoins
de ces pauvres filles orphelines, selon le commande
ment des prud’hommes , sauf à faire rendre compte
à ceux-ci, à la fin de chaque année.1
Il paraît cepeudant que de graves abus n’en ré
gnèrent pas moins dans l’administration de l’œuvre
des Filles Grises, car le conseil de ville délibéra,
le 21 juin 1586, qu’on demanderait une reddition
de compte à tous ceux qui avaient géré les revenus
de cette œuvre. La délibération constata qu’un .mau
vais mesnage s y rencontrait et que les pauvres or1. Registre io des délibérations municipales , du mois de novembre
1585 au mois d’octobre 15 86, loi. o verso.
�phelines manquaient des choses nécessaires à la
vie. 1
,
Les consuls de Marseille abandonnèrent à leurs
co-recteurs les prud’hommes du quartier Saint-Jean,
toute l’administration de l’Hôtel-Dieu Marie et ne
conservèrent en réalité qu’un rectorat honorifique.
Le 46 novembre 1587, les prud’hommes Baptiste
Rougier, François Vellin , Louis Mathieu et Peiron
Fabron, reçurent des mains de ces magistrats l’acte
de fondation de l’œuvre d’Antoine Glandevès et le
contrat de placement des deux mille écus sur la
communauté d’Aubagne ; en même temps ils les en
déchargèrent,2
Les prud’hommes n’appelèrent dès lors aux avan
tages de la fondation que des filles appartenant à des
familles de pêcheurs.
Mus par un juste sentiment de reconnaissance ,
ils voulurent placer les armoiries d’Antoine de Glandeves sur la façade de la maison de l’œuvre, mais
ils en furent empêchés, je ne sais trop pour quel
motif, par les recteurs de l’hôpital Saint-Esprit et ils
en demandèrent la permission au conseil municipal.
Cette assemblée n’hésita pas à la leur donner le 10
janvier 1588. Elle délibéra de plus que les armoi1. Même Registre 1 3 , fol. 101 verso.
2. Registre 15 des délibérations m unicipales, du mois de novembre
1587 au mois d’octobre 15 88, fol 15 recto, aux archives de la ville
de Marseille.
�ries de la ville seraient placées à côté de celles du
fondateur. 1
Pendant la peste de 1587, les prud’hommes, ne
pouvant retirer les intérêts du capital reçu par la
communauté d’Aubagne, s’étaient vus contraints,
pour subvenir à la subsistance des pauvres orphe
lines confiées à leurs soins, d’emprunter des consuls
de Marseille treize charges de blé et s’étaient obligés
personnellement d’en rembourser le prix sur les
premiers paiements de la rente d’Aubagne. Ce
pendant comme tous les revenus de l’hôpital des
Filles Grises suffisaient à peine à son entretien, les
prud'hommes supplièrent un peu plus tard le conseil
de ville de leur faire remise de cette dette, et le 16
novembre 1588 le conseil accueillit leur demande.2
Pour construire l’église actuelle de l’hôpital SaintEsprit, il fallut démolir la maison'des Filles Grises,
et les consuls qui l’avaient construite aux frais de
la ville se crurent obligés de fournir un autre loge
ment à ces pauvres filles. Par acte du 11 mai 1607,
ils louèrent de Jacques Gautier, habitant de Marseille,
une maison au quartier Saint-Jean , pour une année
seulement, au prix de quarante-cinq livres, payat. Même registre 15 des délibérations m unicipales, fol. 55 verso.
— Livre trésor A de l'hôpital Saint-Esprit et Sam t-Jacques-de-G alice,
15-42-1615, fol. 72 recto, aux archives de i’Hôtel-Dieu.
2. Registre 16 des délibérations m unicipales, du mois de novembre
1588 au mois d’octobre 1589, fol. 10 verso et 11 recto , aux archives
�— 205 —
blés par semestre et d’avance à Saint-Michel et à
Pâques.1 Mais cette location fut renouvelée jusques
en 4613. Le 3 avril de cette année , les dames Fran
çoise Bremonne et Jeannette Villecrose louèrent aux
consuls de Marseille, pour l’habitation des Filles
Grises, une maison située au même quartier, près la
fontaine de Radeau. Cette maison fut louée pour
trois ans au prix annuel de soixante livres.2
Plus tard , le corps des pêcheurs de Marseille
acheta , pour le logement des Filles Grises, une mai
son située sur le quai du Port, joignant celle de la
prud’hommie, près le bâtiment de la Consigne.3 La
rente de la dotation de deux mille écus ne suffisant
plus à l’entretien des treize orphelines , les prud’hom
mes en réduisirent successivement le nombre, qui
fut plus tard fixé à six. On les employait à de petits
travaux de main et on les mariait quand elles avaient
atteint l’âge convenable. 1
1. Registre 25 des délibérations municipales , du mois de novembre
1006 à la fin d’octobre 16 10, fol. 30 recto, aux archives delà mairie
de Merseille.
2. Registre 26 des délibérations m unicipales, du mois de novembre
1610 à la fin d’octobre 16 15, fol. 195 verso et 196 recto , aux mêmes
archives.
3. Tableau historique de Marseille et de ses dépendances. Lausanne,
1789, p. 342.
4. Relation de la Feste des prud’hom m es, corps et communauté des
patrons pescbeurs delà ville de M arseille, célébrée le 16 février 16 87,
à l’honneur du roy et sur l’heureux rétablissement de sa santé, parle
sieur N. Magny. M arseille, 1687 , in-4°, p. 18 et 19.
�Au commencement du dix-septième siècle, un
citoyen de Marseille , nommé Louis Ricard, laissa
son bien à l’hôpital Saint-Esprit de cette ville pour
marier de pauvres orphelines choisies concurremment
par les recteurs de l’hôpital et les prud’hommes des
patrons pêcheurs.
Le 24 février 1614 il y eut à l'Hôtel-Dieu un
bureau extraordinaire sous la présidence du lieute
nant du sénéchal. L’assemblée était composée des
six recteurs Jean Guigonis, Pierre Sose , Louis Romieu , Amiel Albertas, Jean de la Cepede et Étienne
Berlan ; des quatre anciens prud’hommes Guillaume
Olivier, Joseph Teissier, Louis Chocou et Jean Mou
ton ; des quatre prud’hommes en exercice François
Pizan, Jean Lauro , Domingue Pintat et Pierre Cadeneau. Après une assez longue discussion , le pré
sident rendit une ordonnance portant que les parentes
de Louis Ricard, venues en estai de mariage, auraient
la préférence sur toutes autres et qu’on donnerait
cent cinquante livres à chacune. On délibéra en
même temps d’en donner quatre-vingt-dix à la nom
mée Anne , pauvre fille de l’hôpital, et soixante à
la fille du capitaine Antoine Chaix. On disposa aussi,
séance tenante, d’une partie des deniers provenant
de l’héritage de Jacques Busson, et plusieurs pau
vres filles reçurent chacune dix-huit livres. 1
1. Livre auquel sont contenus tous et chescuns les décrets , sen
tences et bureaux tenus et dicts par M. le lieutenant principal adcisté
�— 207 —
Le 31 décembre 1612 on avait placé sur le sieur
Romieu la somme de cinq cents livres formant une
partie du legs de Busson. Dans le bureau tenu à
I’Hôtel-Dieu le 31 mai 1614, les prud’hommes émi
rent l’avis de placer sur la communauté d’Aubagne
cette somme et d’autres capitaux du même héritage.
Ils demandèrent à en faire eux-mêmes le placement,
et le lieutenant du sénéchal, qui présidait la séance ,
accueillit cette demande. d Les prud'hommes dès lors
placèrent tous les fonds de l’œuvre. 2
Les prud’hommes Honoré Mouton, Claude Michel,
Antoine de Beaulieu , Étienne Bompard se présen
tèrent encore , le 12 décembre 1616, devant le lieu
tenant du sénéchal et les recteurs de l’Hôtel-Dieu
pour s'entendre avec eux sur la distribution de
soixante-quatorze écus disponibles. Le lieutenant
ordonna que cette somme serait donnée par les
/
de MM. les recteurs, accommencé le 25 m ars, jour de Dimanche
après m idi, 1597 et années suivantes, fol. 47 recto et verso, et 48
recto, aux archives de I’Hôtel-Dieu de Marseille.
1. Même livre auquel sont contenus tous et chescuns les décrets,
etc., loi. 49 verso.
2. Livre rouge, manuscrit in-folio, contenant divers actes, divers
titres et diverses délibérations du corps des patrons pêcheurs de Mar
seille, de 1550 à 1 7 5 9 , fol. 85 recto et verso, 86 recto, 90 et 91
recto et verso, 110 recto et verso, 111 et 112 recto et verso, 123 et
124 recto et verso, aux archives de la prud'hom m ie.— Voyez aussi le
registre des privilèges des prud’hom m es, corps et communauté des
patrons pescheurs du quartier de Sainct-Jeham de ceste ville de Mar
seille, etc. Manuscrit grand in-4", p. 625 et suiv. r aux mêmes archives
de la prud’hommie.
�prud’hommes à dix-sept orphelines qui furent aussitôt
choisies et que ces prud’hommes en rapporteraient au
bureau quittance eu bonne forme.1
Dans la séance du 19 novembre 1617, le lieute
nant, les trois recteurs Benoît de la Cépède, Louis
AudifFret, Claude Mailhard, et les quatre prud'hom
mes Guillaume Olivier, Barthélemy Peyran , Jérôme
Navily et Louis Bompard, délibérèrent sur un règle
ment à faire touchant la distribution des deniers
destinés à de pauvres filles en vue de leur établis
sement par mariage. On décida d’abord que six écus
seraient donnés à une orpheline qui venait d’entrer
dans le couvent de Sainte-Claire de Marseille , et
qu’on en compterait quatre à une autre pauvre fille
nommée Marguerite Blanchard qui allait se marier.
On dit ensuite qu’il fallait éviter la confusion qui
régnait chaque année dans la distribution de ces au
mônes lesquelles étaient fort minimes , parce qu’un
nombre considérable de personnes venaient en con
cours ; qu’à l’avenir il n’y aurait pas de jour assigné
pour cette distribution, mais que lorsque durant
l’année les recteurs de l’hôpital et les prud’hommes
pêcheurs verraient qu’il y a lieu de faire une au
mône , ils en fixeraient le chiffre, après avoir pris
toutes les informations convenables sur l’indigence
et la moralité des parties intéressées , et que le
1. Livre auquel sont contenus tous et chescuns les décrets, sentences
et bureaux, e tc ., registre déjà cité, fol. 56 verso et 57 recto
�209 —
mari recevant pour sa femme les deniers de l’œu
vre en passerait aussitôt bonne et valable quit
tance. 1
D’un commun accord entre les recteurs et les
prud’hommes , ,1a somme de deux cent seize livres
fut donnée, le 1er mars 1619, à de pauvres filles
par portion inégale, et le 10 mai de l’année sui
vante une autre assemblée composée du lieutenant,
des recteurs Louis Savornin , sieur d’Aiglun , Pierre
Figuière, Silvety et Antoine Borel, et des prud’hom
mes Peiron Ricard , Pierre Cadenel, Jean Mouton et
Antoine Margnet, disposa aussi de la somme de deux
cent dix livres pour le mariage de dix orphelines. 2
Il y eut plus tard d’autres distributions, et elles
cessèrent à une époque dont aucun titre historique
ne nous donne la date, à cause des lacunes nom
breuses et désespérantes que les injures du temps
et l’ignorance des hommes ont produites dans toutes
nos archives locales. Tout ce que nous pouvons dire
avec certitude c’est que les revenus des fondations de
Jacques Busson et de Louis Ricard finirent par pro
fiter entièrement à la maison des Filles Grises qu’on
appelait aussi, dans le dix-huitième siècle , les Or
phelines de Saint-Pierre. 3 On eut pu réunir sans
1. Ibid. fol. 63 recto et verso.
2. Ibid. fol. 64 recto et 65 verso.
3. Tableau historique de Marseille et de ses dépendances. Lausanne,
17 89, p. 341.
TOME II.
li
�inconvénient, et peut-être même avec avantage ,
cette maison à l’hôpital général de la Charité; mais
la communauté des pêcheurs tenait beaucoup à la
conservation de sa petite œuvre hospitalière ; les
prud’hommes à leur tour portaient avec orgueil leur
titre d’administrateurs. En 1737, le nombre des Filles
Grises était réduit à quatre, et le mauvais état des
finances du corps avait nécessité cette réduction.
Le 7 juin de la même année, le corps délibéra que
lorsqu’une des orphelines viendrait à se marier, la
maison n’en entretiendrait plus que trois. 1 Peu de
temps après, la jeune Mingal se trouvant dans ce
cas, la communauté des pêcheurs, sans s’arrêter à
la délibération précédente, remplaça cette orpheline
par une des filles du patron Semille, et le nombre
des Filles Grises resta ainsi le même. 2
Fn \ 755 , cette œuvre coûtait \ ,028 livres par an.
De la Tour, intendant de Provence , pensa que la
dépense était trop forte pour la communauté des
pêcheurs dont les dettes montaient à 154,290 livres,
et par ses ordres la maison de Saint-Pierre n’eut
plus que deux orphelines. 3
1. Livre rouge déjà cité , fol. 397 verso et 398 recto.
2. Livre rouge, fol. 401 recto et verso.
3. Voyez clans le même livre rouge, in fine, la lettre écrite d’A ix ,
le 27 février 1755 , par M. de la Tour, premier président et intendant
de Provence, à M. Artaud, conseil de la communauté de Marseille.
�MAISON DES FILLES DE LA PROVIDENCE.
Au commencement de l’année 1680 , des personnes
pieuses de Marseille exprimèrent à l’évêque et aux
échevins de cette ville l'intention qu’elles avaient
d’établir une maison de Filles delà Providence, sous le
titre de Notre-Dame-de-Bon-Rencontre, pour y retirer
les jeunes et pauvres filles qu’on voyait en danger
de se perdre par la mort ou les mauvais exemples
de leurs parents. L’évêque et les échevins, sans rien
décider au fond , délaissèrent ces personnes à se pour
voir auprès du roi auquel elles présentèrent un placet
qui fut renvoyé au conseil municipal de Marseille.
Les fondateurs s’empressèrent de faire un projet de
règlement. « La maison de la Providence, disaient» ils dans le préambule , a été érigée pour renfermer
» des brebis innocentes qu’on tire de la gueule du
» loup qui est prest à les dévorer ; ce sont de pau» vres aveugles qui n’ont aucun guide, qui sont à
» deux doigts du précipice et qu’on tire de ce danger
» évident pour les remettre dans le grand chemin.
« Enfin, on renferme dans cette maison de pauvres
» filles que le démon considère déjà comme des
» victimes destinées à sa rage et à sa fureur, et
» dont on rend les desseins inutiles par le soin qu’on
» prend à les élever à la vertu. » 1
1. Règlem ent pour la maison des Filles de la Providence, érigée sous
le titre de Notre-Dame-de-Bon-Rencontre, à la suite du mémoire des
�Le 6 mars 1681 le conseil municipal délibéra sur
cette affaire. Vingt-un conseillers furent d’avis d’ap
prouver le projet purement et simplement ; mais
vingt-deux, avant d’émettre un vote définitif, dé
clarèrent qu’il y avait lieu d’entendre préalablement
les directeurs de l’hôpital général de la Charité qui
pouvaient empêcher le nouvel établissement. 1
Ces directeurs formèrent opposition et publièrent
un mémoire à l’appui de leurs motifs. Ils combattaient
le projet comme tout-à-fait inûtile, leur œuvre fai
sant depuis long-temps ce que les fondateurs de la
maison des Filles de la Providence se proposaient de
faire. Pourquoi, disaient-ils, multiplier l'es hôpitaux
sans nécessité? La fondation nouvelle porterait un
grand préjudice aux autres maisons de charité et
divertirait une partie des aumônes qu’on leur des
tine d’ordinaire, surtout en ce temps de misère ,
quand on voit le commerce presque perdu , l’argent
très rare et les récoltes-très mauvaises. Loin de fonder
de nouvelles maisons , il faut penser à la conser
vation des anciennes, qui sont obligées de contracter
des engagements onéreux pour se créer des moyens
d’existence. Ces directeurs offraient, enfin, de recerecteurs de l’hôpital général de la Charité de Marseille contre ce nou
vel établissem ent, in-4° de dix pages, sans millésim e et sans nom
d’imprimeur.
1. Registre 8o des délibérations m unicipales, du mois de novembre
1680 à la fin d’octobre 1681 , fol. 40 recto , aux archives de la ville.
�voir eux-mêmes toutes les filles qu’on voulait enfer
mer dans la maison de la Providence, et ils croyaient
que les personnes charitables qui manifestaient l’in
tention d’assister cette œuvre de leurs aumônes ne
les refuseraient pas à l’hôpital de la Charité qui n’a
vait , lui aussi, d’autre but que la gloire de Dieu
et le soulagement des pauvres. 1
Cette opposition empêcha pendant quelque temps
l’affaire d’aller plus loin ; mais les directeurs de l’hô
pital général de la Charité ayant donné leur désis
tement , le conseil municipal, dans la séance du 17
mars 1684 , s’occupa de la demande des fondateurs
de la maison de la Providence , lesquels ne cessaient
de dire que cet établissement serait d’une grande
utilité pour la religion et le bien public, sans être
à charge à la ville. Le conseil, à la majorité des
suffrages, délibéra de consentir à cette fondation,
mais sous la condition expresse que la communauté
ne contribuerait en rien, et même qu’on ne ferait
aucune quête dans la ville pour les besoins de
l’œuvre. 2
Le roi autorisa définitivement la maison des Filles
de la Providence par lettres-patentes données à Ver
sailles au mois de Février 1688, à la charge par
1. Mémoire cité. Passirn.
2 . Registre 86 fies délibérations m unicipales, de novembre 1683 à
la fin d’octobre 16 84, fol. 173 verso, aux archives de la ville.
�ces jeunes filles de chanter tous les jours le verset :
Domine , salvum foc regem, et autres prières accou
tumées pour notre prospérité , ajouta Louis XIV.1
Les fondateurs achetèrent, par actes du 11 mai
4688 et du 6 novembre de la même année, un em
placement pour y construire le local de leur oeuvre
qui donna son nom de la Providence à la rue ou il
était situé; mais, faute de ressources , la construc
tion restait inachevée, lorsque, le 13 novembre \ 689,
sur la proposition du premier échevin Marc Savignon,
lequel fit observer que « rien ne pouvait être fait
» sans l’assistance de la communauté, comme estant
» une mère commune et devant veiller à tous les
» ouvrages utiles au public, » le conseil municipal
de Marseille alloua généreusement la somme de
quinze cents livres pour terminer cette bâtisse. 2
A cette époque , les fondateurs rédigèrent des rè
glements définitifs qui furent maintenus jusques à la
suppression de cette œuvre durant la révolution.
Douze directeurs élus à vie et nommant eux-mêmes
aux places vacantes par décès, démission ou autre
ment , administraient la maison de la Providence et
1. Lettres-patentes du roi, aux archives de l’Hôtel-Dieu. — Voyez
sur la maison des Filles de la Providence le registre des délibérations
des directeurs de cette œuvre, de 1684 à 1 7 4 5 , aux mêmes archives
de l’Hôtel-Dieu.
2. Registre 92 des délibérations du conseil municipal de M arseille,
du mois de novembre 1689 à la fin du mois d’octobre 1690, fol. 18
verso et 19 recto, aux archives de la mairie.
�— 215
se réunissaient au moins une fois par mois. Ils se
partageaient la ville en douze quartiers ; prenaient
secrètement auprès des prêtres et des gens pieux des
informations touchant les jeunes filles de sept à douze
ans, exposées à la corruption du siècle, et quand
ils en trouvaient dans leur quartier, ils tâchaient
par adresse de les conduire à la maison de l’œuvre
où elles étaient retenues. On en donnait ensuite avis
à leurs parents. 1
Cependant on ne recevait que des filles de Mar
seille appartenant à des familles d’une position audessus de celle des artisans. Ces filles entraient avec
un trousseau composé d’un assez grand nombre
d’objets. Le travail des mains au profit de la maison
et les exercices religieux partageaient leurs journées,
sous la surveillance d'une femme pieuse qui avait le
titre d’assistante et qui était aidée par une compagne
dite la maîtresse des petites filles. La police de la
maison et toute la gestion intérieure , à l’exception
de ce qui concernait les fonctions de l’économe ,
appartenaient à une autre femme qu’on nommait la
mère et dont les règlements traçaient tous les devoirs.
Lorsque les Filles de la Providence devenaient nu
biles , les directeurs cherchaient à les établir confor
mément à leur inclination et à leurs goûts.2
1. Règlements de la maison des Filles de la Providence, in-42 de
trente-deux pages. Dispositions générales, p. 4.
2. iMèmes règlem ents, p . 12.
�—
216
MAISON DES FILLES ORPHELINES.
Une maison de Filles Orphelines, sous le titre
de Notre-Dame-de-Grâce, fut fondée à Marseille en
1635, et le 13 novembre de la même année, on
nomma pour directrice Désirée de Cauvet, dame des
Pennes; Jeanne de Sacco, veuve de Libertat; Isabeau de Félix, femme du sieur de Bausset ; Anne
de Capel, femme du général de Gratian ; Jeanne de
Lenche, dame de Mirabeau, et Françoise de Gérenton, dame de Belcodène, avec le droit de trans
mettre à leurs descendants les honneurs dont elles
jouissaient elles-mêmes et qui étaient ceux qu’on
attribuait aux fondateurs et fondatrices des maisons
religieuses. On ne recevait que vingt-cinq filles. Elles
étaient vêtues de blanc et logées, près de l'église
Saint-Martin, dans l’ancien hôpital Saint-Jacques-deGalice, que l’administration de l’Hôtel-Dieu , pro
priétaire de ce local, loua à la nouvelle œuvre , par
acte du 10 avril 1635, à peu près gratuitement,
c’est-à-dire à la seule cense perpétuelle de trois livres
de cire blanche. 1
On reconnut l’inutilité de la maison de Notre-Dame1. Livre trésor B de l’hôpital Saint-Esprit et Saint-Jacques-deG alice, de 1G16 à 16 54, fol. 275 verso et suivants, aux archives de
l’Hôtel-Dieu de Marseille.
�— 217
cle-Grâce dès l’origine de l’hôpital général'de la Cha
rité , et une assemblée des fondateurs et des recteurs
de cet hôpital, tenue le 6 août 1641, en présence des
consuls de Marseille, délibéra de recevoir dans cet
asile les filles orphelines.* L’année suivante un arrêt
du parlement de Provence homologua cette délibé
ration et prononça la suppression de l’œuvre de NotreDame-de-Grâce2 qui n’eut, on le voit, qu’une exis
tence des plus éphémères.
Une autre maison de Filles Orphelines , sous le
titre de Notre-Dame-de-Bon-Secours , fut instituée à
Marseille long-temps après. Joseph Tardivy, vicaire
des Accoules , et Étienne Giraud , l’un des notables de
cette paroisse, voyant avec douleur qu’un grand nom
bre de jeunes orphelines, sans moyens d’existence et
sans domicile assuré , se retiraient le soir dans des
maisons suspectes où l’on abusait souvent de la fai
blesse de leur âge pour les perdre, formèrent, en
171 4 , le dessein de créer une maison de retraite où
elles pussent, dans la soirée , recevoir des instruc
tions morales et passer ensuite la nuit. Les commis
saires de l’œuvre des pauvres honteux de la paroisse
1. Raisons des sieurs recteurs de l’hospital de la Charité de celte
ville de Marseille contre le nouveau établissement qu’on prétend l'aire
d’une maison des Filles de la Providence, sous le titre de Notre*Damede-Bon-Rencontre, in-4°, sans nom d’imprimeur, p. 2.
2. Ruffi. Histoire de Marseille, t. 2 , p. 115.
�— 24 8 —
des Accoules se joignirent à ces deux hommes pleins
d’un si beau zèle. 1
L’évêque applaudit à leur projet et s’empressa
de donner à l’œuvre une maison abandonnée par les
religieuses Augustines, située à la rue Baussenque
et nommée vulgairement la maison de la mère d'Ar
mand. On acquit, par actes du 23 août 1714 et du 22
avril 1720, deux maisons voisines; celle de la dame
Catherine Binet, coûta 3,000 livres ; l’autre qui appar
tenait à Françoise Aillaud, veuve Espanet, en coûta
4,010. Ces trois maisons furent appropriées à la con
venance des fondateurs.
Dès le 29 juillet 1714, l’évêque avait approuvé
les règlements de l’œuvre faits par Jean-Baptiste
Paul, Remuzat, Cordier, Joseph Yin , Pierre Conte ,
Compian, Magalon et Giraud. Ces règlements por
taient que la maison serait appelée la Retraite des
Pauvres Filles Orphelines sous le titre de la'Présen
tation de Notre-Dame-de-Bon-Secours ; que l’admi
nistration en serait confiée à douze dames sous
l’autorité de l’évêque qui nommerait les douze pre
mières; qu'il y aurait en outre cent fondatrices
choisies parmi les dames et demoiselles les plus
distinguées par leur naissance et leurs vertus , à
condition qu’elles donnassent une aumône au gré
1. Registre n° 1 contenant les titres et affaires de la maison des
pauvres Filles Orphelines, sous le titre de Notrc-Dam e-de-Bon-Secours,
premières pages, aux archives de l’Hôtel-Dieu.
�cle leur charité et de leur dévotion ; que le service
des douze directrices durerait deux ans ; mais que
la moitié serait renouvelée chaque année par le bu
reau lui-même qui ferait son choix parmi les fonda
trices , en présence de l’évêque ou de son grandvicaire ; que le bureau aurait une séance par semaine ;
que le prêtre, supérieur de l’œuvre, convoquerait
dans la chapelle de la maison l’assemblée générale,
à des époques déterminées et dans toutes les occa
sions extraordinaires. 1
Par ordonnance du 20 mars 1715 , l’évêque de
Marseille nomma les douze premières fondatrices qui
furent : les dames de Villeneuve, Manse Lavidalle,
de Chatelier, de Gouze , Fort Silvabelle, Ravel,
Fouquier, Porry, Paul, Arnaud , Magallon et
Constans.2
Jusque là les pauvres Filles Orphelines n’avaient
été reçues dans la maison de l’œuvre que pour y
passer la nuit. Mais les directrices remarquant un
peu plus tard que ces filles perdaient dans la jour
née , aux lieux divers où elles allaient travailler, le
fruit des instructions qui leur étaient faites le soir,
prirent le parti de leur procurer du travail dans la
maison même, et c’est ainsi qu’elles en formèrent
t . Registre cité, p. 7 et suiv.
�220
m
une communauté dont les avantages furent aussitôt
appréciés par les amis des bonnes mœurs.1
En 1720, au milieu des ravages de la peste,
les échevins de Marseille, pour appaiser la colère
de Dieu , firent vœu de donner chaque année à per
pétuité deux mille livres à la maison des Orphelines
pour l’entretien de quarante d’entre elles. Mais il en
fut de ce vœu comme de tant de promesses qu’un
grand péril arrache aux émotions de la terreur et
que bientôt on oublie quand une situation rassurante
repose la pensée sur des objets plus calmes. Les
échevins refusèrent, sous divers prétextes, de satis
faire à leurs obligations. Tantôt ils disaient que l’ar
gent manquait dans la caisse municipale; tantôt que
la maison des pauvres Orphelines n’en avait jamais
eu quarante ; enfin que l’exécution de leur vœu
n'avait pas été autorisée.
On répondait pour cette maison que le vœu de la
ville avait reçu l’approbation du roi parfaitement
exprimée dans les lettres-patentes de 1723 confir
matives de l’œuvre ; que si la ville estimait que le
nombre de quarante filles fût absolument nécessaire,
elle n’avait qu'à pourvoir à leur entretien par le paie
ment d’une somme plus forte, puisqu’il était prouvé
que deux mille livres ne pouvaient suffire ; mais
1. Règlements de la maison et communauté des Filles Orphelines
établies à Marseille sous le titre de Notre-Dam e-de-Bon-Secours en
l’année 1714. Marseille, chez la veuve Bréhion , 1740, p. 4.
�que ce n’était pas une raison de ne pas donner au
moins cette somme, iparce que son vœu l’y obli
geait.
Par arrêt du 4 juin 1726, le conseil d’état, devant
lequel l’affaire avait été portée, régla tous les arré
rages à deux mille livres seulement au paiement des
quels la ville fut condamnée. Le conseil ordonna de
plus qu’elle paierait annuellement et de six en six
mois la pension intégrale, conformément au vœu
des échevins ,* et depuis lors il n’y eut sur ce point ni
difficulté ni retard.
A dater de cette époque, l’œuvre prit de l’accrois
sement. Bientôt il fallut louer des maisons contiguës ,
et ce moyen ne suffisant pas encore , les directrices,
encouragées par des aumônes , conçurent de nou
veaux projets d’agrandissement. Par acte du 6 mai
4727, Guérin, doyen du chapitre des Accoules ,
grand-vicaire du diocèse et supérieur de la commu
nauté des Orphelines, acheta de Jean-Baptiste Vieux,
pour le compte de l’œuvre, une maison avec jardin
au prix de 3,600 livres. 2 Des travaux d’appro
priation firent de toutes les maisons de cette œuvre
un établissement très convenable.
De nouveaux règlements furent présentés à l’évê1. Registre n° 1 contenant les titres et affaires de la maison des Filles
Orphelines, p. 41 42 et 4 3 aux archives de l’Hôtel—Diou
2. Même registre, p. 51 et 52.
,
,
.
�que qui les approuva le 27 mars 4730. 1 Ils ont régi
la maison jusques à l’époque de sa réunion aux
hospices.
D’après ces règlements, le nombre des directrices
fut porté à seize, renouvelées chaque année par
moitié et choisies, comme précédemment, parmi les
fondatrices qui pouvaient assister au bureau avec
voix consultative. Les filles reçues dans la maison
devaient être âgées de douze ans au moins et de
vingt ans au plus. Il fallait aussi qu'elles portassent
un lit, quelques hardes , et qu’elles fournissent leur
pain jusqu’à ce qu’elles pussent le gagner par le
travail. Leurs règles de clôture étaient très sévères.
Le produit du travail de chacune d’elles leur était
conservé comme un petit pécule, déduction faite des
frais de nourriture et d’entretien.
Les Filles Orphelines , parvenues à un certain âge
et assez avancées dans leur éducation pour paraître
sans danger dans le monde, étaient remises par le
bureau à leurs proches parents, ou placées, suivant
leur vocation, dans des communautés religieuses ,
ou établies en mariage. Le bureau, à leur sortie
de la maison, et lorsqu’elles y avaient fait un
long séjour en s’y conduisant bien, pouvait leur
donner sur les fonds de l’œuvre jusqu’à trois cents
1. Règlements de la maison et communauté des Filles Orphelines,
etc. Marseille, 1740, chez la veuve Brébion , p. 5 et 6.
�— 223 —
livres , si leur pécule ne suffisait pas à leur établis
sement. 4
Jacques Ollivier, marchand de Marseille , laissa à
la maison des pauvres Filles Orphelines, le 27 no
vembre 1717, la somme de 1,500 livres, dont les
intérêts devaient servir perpétuellement et chaque
année au mariage d’une fille de cette maison. Le 14
mars 1718 , un autre Ollivier du prénom de Charles ,
bourgeois de la même ville, légua aussi une rente
perpétuelle de 75 livres pour marier tous les ans une
orpheline, au choix de l’évêque, et en 1732, Fran
çois Ollivier, oncle du précédent, donna mille livres
dont les intérêts étaient affectés à la même desti
nation. 2
Parmi les bienfaiteurs de l’œuvre se rangèrent à
diverses époques et pour des sommes plus ou moins
fortes, la dame Anne de Conte, veuve d’Audiffren;
le chevalier Charles cl’Arcussia; Marguerite Bergier;
Thérèse Pauzadet, femme de Michel Dallest; la dame
de Candolle ; la DHo Élisabeth-Césarée Renaud ; Do
minique Gras , maître savetier ; Louis-Joseph-Denis
Borély. Plusieurs de ces libéralités furent faites à
la maison des Orphelines à la charge par elle d’y
fonder des messes pour le repos de l’aine des do
nateurs.
1. Mêmes règlements. Passim.
2. Registre ci-dessus, p. 44, (il et suiv.
�Les bienfaits les plus considérables eurent pour
auteurs Gaspard Caulet, chanoine aux Accoules, et
sa sœur Claire, qui laissèrent à l’œuvre 6,000 livres
par leur testament de 1729 ; la Dlle Marguerite Olive
qui lui légua, l’année suivante, une maison à la
rue des Auffiers , laquelle fut vendue, le 20 janvier
1744, à Michel Debanis , marchand garnisseur de
chapeaux à Marseille, moyennant 9,000 livres; la
dame Valentine Dallest, veuve de Pierre Sicard,
qui lui laissa aussi par testament, en 1737, la
somme de 4,800 livres et une maison à la rue
Belsunce. 1
En 1742, les dames veuve Miraillet, Germain
Mouriès, Aubert, Henri Mouriès, François Bremond,
Thérèse Gérin , Louise Granier, Pichatty Amalric,
directrices de l’œuvre des Orphelines , demandèrent
à de Belsunce l’autorisation de faire construire dans
cette maison une chapelle publique. L’évêque la
leur accorda le 19 août , et la chapelle ayant été
édifiée, il la bénit le 9 juin 1753. 2
Deux ans après , les directrices obtinrent du roi
la permission de faire toutes les années une quête
générale, mais seulement lorsque celle des autres
maisons de bienfaisance de Marseille serait terminée.
1. Même registre, p. 55 à 90.
2. Cahier particulier adapté au registre ci-dessus mentionné entre
les pages 80 et 81. Ce cahier contient plusieurs pièces relatives à la
construction de la chapelle.
�225
Elles entreprirent, à la même époque, de s’agrandir
en achetant un terrain situé au midi de leur local et
où se trouvaient de vieilles et chétives maisons. Elles
acquirent, le 12 août 1756, deux autres maisons
beaucoup plus importantes. La première leur coûta
5,700 livres, et la seconde 5,180. 1 Grâce à de nou
veaux travaux d’appropriation , leur local agrandi ne
le céda en rien à ce que la ville eut de plus régulier
et de plus commode en ce genre.2
Le conseil municipal, par délibération du 15 sep
tembre 1779, accorda à cette œuvre douze cents
livres une fois payées. 3 Elle n’avait que sept mille
livres de revenus fixes, et ses dépenses , réduites
aux limites de la plus stricte économie, s’élevaient
à près de douze mille livres. Pour combler ce dé
ficit , on n'avait que les ressources variables des
libéralités particulières. Le 6 juin 1782, le conseil
municipal de Marseille , prenant en considération
les besoins et les services de la maison des Orphe
lines , vota en sa faveur une dotation annuelle de
douze cents livres. i
1. Registre n° 1 ci-dessus cité , p. 88 et suiv.
2. Cet ancien local est aujourd’hui connu sous le nom de SainteFrançoise dans la rue qui porte ce nom.
5. Registre 180 des délibérations municipales, année 1779, fol.
166 verso, 167 recto et verso , 181 recto et 281 recto , aux archives
de la ville.
4. Registre 185 des délibérations municipales, année 1782, fol. 247
recto et 251 verso , aux mêmes archives.
TOME II.
15
�Cette communauté ne put résister aux coups qui
lui furent portés par la révolution. La plupart des
dames qui la soutenaient de leurs libéralités et de
leur crédit s’enfuirent ou se cachèrent à l’entrée des
troupes de Carteaux en 1793. Cependant l’œuvre
traîna, quelque temps encore , une existence tour
mentée par le besoin , et elle finit par se perdre,
comme tant d’autres établissements de charité, dans
la nouvelle organisation des hospices.
�CHAPITRE IX.
filÔPITAE-GÉNÉRAE DES PAUVRES ESEAUTS
AIIASUOXKÉS ET ORPHEUSS.
ŒUVRE DES PAUVRES ElfEANTS MARINIERS.
Notice sur les fondateurs de la première œuvre. — Ils triomphent de.
l’opposition des recteurs de la Charité. — Construction d’un
nouveau local. — Bienfaiteurs de cette maison. — Développement
de son organisation. —Achat de l’hôtel du marquis de la Roquette.
— L’œuvre y est transférée. — Ses règlements. — Seconde partie
de l’œuvre destinée aux pauvres orphelins des deux sexes. — Sa
position financière. — Fondation de l’œuvre des Pauvres Enfants
Mariniers par les Pénitents du Bon-Jésus. — Divers détails à
ce sujet.
De jeunes garçons , livrés à tous les vices du va
gabondage, erraient depuis long-temps sur les quais
du port de Marseille et ne vivaient que de rapines,
lorsque des plaintes en furent faites en 1589. Un
bureau municipal, du 12 juillet de la même année,
délibéra qu’à l’avenir les consuls de cette ville impo
seraient aux capitaines de navire l’obligation de
prendre chacun à bord un de ces jeunes vagabonds
pour leur servir de mousse. Le bureau ordonna de
plus que les prieurs de la confrérie de Notre-Damede-Miséricorde veilleraient spécialement à l’exécution
�de cette mesure 1 qui ne fut sans doute que mal
observée, car de nouvelles plaintes s'élevèrent, et
le conseil municipal, dans sa séance du 8 novem
bre 1592, renouvela la prescription précédente. 2
Mais il paraît que la seconde délibération ne fut
pas plus efficace que la première, et les mêmes abus
se maintinrent pendant bien des années encore.
En 1672, quelques officiers des galères et plu
sieurs autres personnes, voyant avec douleur que
des enfants abandonnés de leur famille, ou n’en
ayant jamais eu , servaient les forçats pendant le
jour et couchaient la nuit dans leurs baraques où ils
étaient exposés à mille dangers pour le corps et pour
l’âme, formèrent le dessein de jeter les fondements
d’un asile destiné à ces jeunes infortunés, 3 qu’on
appelait communément Passegavètes. 1 Ils nommè
rent dans une assemblée générale les membres du
1. Registre 16 des délibérations municipales , du mois de novembre
1588 à la fin du mois d’octobre 1589. fol. 157 verso, aux archives de
la ville de Marseille.
2. Registre 19 des délibérations municipales, du mois de novembre
1591 à la fin d’octobre 1593, fol. 217 recto.
3. Préface des règlements pour l’administration de l’hôpital général
des Pauvres Enfants Abandonnés et Orphelins. Marseille, chez Jean
Mossy, 1784.
4. Lettres-patentes du roi, du mois de décembre 1703 , pour l’hô
pital des Pauvres Enfants Abandonnés de Marseille, à la suite des
règlements de cette œuvre , imprimés à Marseille chez J.-P. Rrébion
en 1723, p. 19. Voyez les mêmes lettres-patentes à la suite des règle
ments postérieurs.
�— 229 —
bureau de l’œuvre qui tint sa première séance le
5 février 1673. Les administrateurs furent : Annibal-Antoine Martinon , prêtre, sacristain de la Major;
François de Bausset, chevalier de Saint-Jean-deJérusalem ; Sébastien Joannis, docteur en médecine;
Antoine Dupuis , André Bayn, Pierre Bonneau, tous
les trois marchands ; Antoine Normand, apothicaire,
et Cosme Truillard , qui remplit les fonctions de se
crétaire et de trésorier. 1 II y a lieu d’être étonné de
ne pas voir parmi ces premiers administrateurs le
prêtre Jean-Baptiste Chautard, qui aida beaucoup par
son zèle à la création de l’établissement.2
Le second bureau fut tenu le 12 du même mois.
On fixa à cent le nombre des fondateurs qui eurent
chacun à donner six livres le jour de leur admission
et trois livres chaque année. On délibéra de ne choisir
désormais les membres du bureau que parmi ces
fondateurs. On pria le viguier et les échevins de
publier, à son de trompe, que défense était faite aux
enfants vagabonds de coucher sur le port, le long
des remparts, dans les halles et les bateaux; mais
qu’ils eussent à passer la nuit dans la maison de
l’œuvre dont la situation n’est indiquée nulle part,
et qui appartenait à la dame Claire Giraud, veuve
1. Registre 1 des délibérations du bureau de l’hôpital-général des
Pauvres Enfants Abandonnés, de 1G73 à 1738, fol. 1 et 2 , aux archi
ves de l’Hôtel—
Dieu de Marseille.
2. Ruffi. Histoire de M arseille , t. 2 . p. 98.
�— 230 —
Pecoul, laquelle l’avait louée aux recteurs de cette
œuvre au loyer annuel de 45 livres.1
La même défense fut renouvelée plusieurs fois,
car les enfants abandonnés préféraient leur vie de
vagabondage à la retraite qu’on leur donnait le soir
avec la soupe et des vêtements convenables. Le
bureau du nouvel hôpital se vit même dans la né
cessité de choisir un homme qu’il chargea d’aller à
la recherche de ces enfants durant la nuit et de les
amener volontairement ou par force. Cet homme fut
le nommé Roche auquel on donna d’abord 18 livres
de gages2 qui furent doublés plus tard. 3
Les administrateurs de la Charité ne virent qu’avec
jalousie cette œuvre naissante ; ils la considérèrent
comme une maison rivale et les motifs d’opposition
ne leur manquèrent pas. Les recteurs de l'hôpital
des Enfants Abandonnés en eurent beaucoup de souci.
Ils déléguèrent Bayn , l’un d’entre eux , pour désar
mer les opposants par ses prières et pour implorer
en même temps la protection des échevins.4 II fallut
bien du mouvement pour vaincre une résistance si
forte.
Le local de cette œuvre était insuffisant et ne
pouvait être que provisoire. Mais les fondateurs, dès
1.
2.
3.
4.
Registre 1 ci-dessus cité, fol. 11.
Par délibération du 14 août 1678. Même registre 1, fol. 57 verso.
Par délibération du 22 février 1682. Même registre 1 , fol. 72.
Par délibération du 5 mars 1673. Même registre 1 , fol. 5 verso.
�— 231 —
que leur organisation fut complète, pensèrent à faire
construire un édifice plus convenable. Le choix des
emplacements ne leur manquait pas , car c’était le
temps où Marseille, démolissant ses vieux remparts
au-delà desquels rayonnait une population exubé
rante , portait plus loin de nouveaux murs dans
l’enceinte desquels se dessinaient déjà, quoique assez
lentement, de beaux et riches quartiers. Le 28 mai
1673 , les recteurs de l’hôpital des pauvres Enfants
Abandonnés délibérèrent de visiter les échevins pour
s’entendre avec eux sur le projet de construction.
Ces magistrats leur cédèrent, au prix de 1,260 li
vres , 1 un terrain situé au-dehors de l’ancienne porte
d’Aix et joignant presque cette porte, dans la rue
qui porte encore le nom des Vieux-Enfants-Aban
donnés. La première pierre de l’édifice fut posée
solennellement, le 12 mai 1674, par M. de Piles,
viguier, et par les échevins. Le 24 juin suivant, le
bureau délibéra de s’adjoindre plusieurs fondateurs
et d’avoir une autre conférence avec les premiers
magistrats de la ville pour régler ensemble tout ce
qui concernait les travaux de construction.2 On re1. Sur le pied de 15 livres la canne. Voyez le registre 74. des délibé
rations municipales, du mois de novembre 1675 à la fin d’octobre 1674,
fol. 504 verso et 505 recto, aux archives de la ville.
2. Registre 1 des délibérations du bureau de rhôpital-général des
pauvres Enfants Abandonnés, fol. 14 et 16, aux archives de l'HôtelDieu.
�232
courut à un emprunt de 1,500 livres le 24 mars 1675,
et au commencement de l’année suivante, l’œuvre
reçut un don de 557 livres du supérieur de la commanderie de Saint-Antoine. Un legs de 1,500 livres
que M. de la Brossardière lui fit en 1686 augmenta
aussi ses ressources. 1
En 1689 on donnait, dans cet établissement, la
retraite à environ cent soixante enfants 2 qui ve
naient y passer la nuit et en sortaient le lendemain
au matin pour y venir encore le soir. En 1692 ,
l’historien de Marseille, Louis-Antoine de Ruffi,
était l’un des recteurs de cette maison de bienfai
sance. 3
Le roi, par lettres-patentes données à Versailles
au mois de décembre 1703 , autorisa l’œuvre sous le
titre qu’elle avait pris. * Dès-lors sa position finan
cière s’améliora considérablement. Les directeurs ob
tinrent de l’évêque et des échevins la permission de
faire une quête le mardi de chaque semaine.3 Dans
le cours de quelques années , divers legs furent faits
à cet hôpital sur lequel la faveur publique parut se
fixer, et parmi les personnes charitables qui acqui
rent des droits à sa reconnaissance, on remarqua
1. Même registre 1 , fol. 51 et 110.
2. Même registre 1 , fol. 116.
3. Ibid. Passim , aux pages comprenant l’année 1692.
4. Ibid. fol. 163.
5. Ibid. loi. 175.
\
�Routier, Croiset, Bourdin de Constantinople , la Dlle
Catherine Martin , la dame Brun 1 et le généreux
Matignon, abbé de Saint-Victor, qui assista de ses
dons magnifiques tant d’établissements de bienfai
sance et fit tant de fondations utiles que le vent
des orages politiques a déracinées de notre sol, mais
dont il n’a pu effacer le souvenir encore plein de
puissance dans les coeurs fidèles au culte des bonnes
actions. 2
Icarden , prêtre de Marseille, mort en 1744 ,
institua héritier l’œuvre des pauvres Enfants Aban
donnés , et les revenus de cette maison excédèrent
dès-lors sa dépense annuelle dont des aumônes in
certaines et variables avaient précédemment fait le
fonds principal.3 Dans ces heureuses conjonctures,
les fondateurs résolurent d’unir à leur œuvre une
œuvre nouvelle pour les pauvres Enfants Orphelins au
dessus de trois ans et au dessous de sept, la GrandeMiséricorde ne leur fournissant des secours que dans
ce premier âge, et l’hôpital de la Charité ne les
recevant qu’à sept ans accomplis. L’évêque et les
échevins approuvèrent ce projet dans une assemblée
tenue le 5 août 1742 , à laquelle tous les fondateurs
1. Livre trésor M. de l’hôpital Saint-Esprit et Saint-Jacques-deGalice, 1751-1760, Col. 474 recto, aux archives de l’Hôtcl-Dieu.
2. Ibid. fol. 180 et suiv. , 291 , 587 verso, 419 verso, 550.
5.
Préface des règlements pour l’administration de l’hôpital général
des pauvres Entants Abondonnés et Orphelins. Marseille 1784, p. 4.
�assistèrent. On y délibéra de commencer le nouvel
établissement par la réception des jeunes garçons,
les revenus ne permettant pas encore de recevoir
les jeunes filles. En conséquence , les directeurs en
exercice firent toutes les démarches nécessaires pour
obtenir de nouvelles lettres-patentes que Louis XY
leur donna à Lille au mois de mai 1744. Cette mai
son , érigée en hôpital général des pauvres Enfants
Abandonnés et Orphelins, sous le titre de NotreDame-de-Bon-Rencontre , eut le droit de jouir de tous
les avantages des hôpitaux généraux du royaume.
L’évêque, les échevins et les fondateurs se réuni
rent encore le 24 août 1746, et cette assemblée, en
vue de l'augmentation des ressources, délibéra de
recevoir les pauvres filles orphelines, dans la même
maison , mais dans un quartier séparé ; de pourvoir
à tous les besoins de ces pauvres enfants de l’un et
de l'autre sexe ; de leur apprendre à lire et de les
élever dans les principes de la religion jusques à
l’âge de sept ans, à l’accomplissement duquel on les
faisait passer à l’hôpital de la Charité. 1
Les deux œuvres réunies ne tardèrent pas de se
trouver à l’étroit dans le local qu’elles occupaient,
et le 26 février 1756, le bureau délibéra d’exa
miner un projet d’acquisition de l’ancien couvent
des Recolettes, à la rue du Tapis-Vert.2 Ce projet
1. Même préface, même page.
2. Registre des délibérations de 174.8 à 1760, fol. 222 et 226, aux
�I
— 235 —
fut abandonné ainsi qu’un plan d’agrandissement
du local par l’achat de plusieurs maisons conti
guës , et les choses en étaient là , lorsqu’on apprit
que le marquis de la Roquette , président au par
lement de Provence , cherchait à vendre son grand
et bel hôtel de la place de Lenche, qui avait appar
tenu à la famille Mirabeau et où Louis XIV avait
logé pendant son séjour à Marseille en 1660. d
L’administration se mit aussitôt en mouvement, et
le 13 avril 1757 elle convoqua une assemblée gé
nérale à laquelle assistèrent l’évêque , les échevins,
dix-sept directeurs en exercice et quarante fonda
teurs. On y délibéra d'abandonner l’hôpital où l’on
se trouvait ; on pensa qu'il ne fallait pas l’agrandir,
parce que les bâtisses et les travaux d’appropriation
coûteraient 180,000 livres; qu’il y avait donc lieu
d’acheter l'hôtel du président de la Roquette et de
vendre le local de l’œuvre.
On se pourvut aussitôt auprès du roi pour obtenir
des lettres-patentes d’autorisation , et les échevins
de Marseille prirent à cœur le succès de l’affaire.2
Louis XV, par lettres-patentes du mois de sep
tembre de la même année, autorisa l’acquisition de
1. Grosson. Almanach historique de Marseille, année 1782, p. 187,
2. Voyez la lettre écrite par les échevins de Marseille au comie de
Saint-Florentin , ministre secrétaire-d’élat , dans le registre 22 des
copies des lettres de ces magistrats, du 1 er janvier 1751 au 50 jan
vier 1760, aux archives de la ville.
�cet hôtel, au prix de 93,000 livres, 1 et le maître
maçon Benoît fut chargé d’y faire tous les change
ments exigés pour sa nouvelle destination , lesquels
coûtèrent une trentaine de mille livres. Les direc
teurs firent plusieurs emprunts pour couvrir une
partie des dépenses d’achat et de bâtisse.
Le 31 juillet 1759 , on fit processionnellement la
translation de l’œuvre dans le nouveau local de la
place de Lenche. 2 Les enfants orphelins de cette
maison étaient alors au nombre de quatre-vingtdeux, 3 sans compter ceux de la retraite.
L’hôtel du marquis de la Roquette, avec tous les
travaux d’appropriation qu’on y fit, ne put satis
faire toutes les convenances.1
L’ancien hôpital fut mis en vente aux enchères
publiques , mais aucun enchérisseur ne s’étant pré
senté , l’administration délibéra, le 25 mars 1759 ,
de demander au parlement d’Aix l’autorisation de
louer ce local et ses dépendances. Le parlement la
1. Registre des délibérations de 1748 à 1760, fol. 205, 270 et
suiv., 296.
2 Ibid. fol. 411 et suiv.
3. Ibid. fol. 447.
4. Le médecin Raymond disait en 1779 : dans l’espace de vingt
années, entre 1754 et 1775 , il est entré dix-sept cent cinquante en
fants dans cette maison , et il en est mort deux cent quatre-vingttreize , c’est-à-dire 1/5,97. Mémoire sur la topographie médicale de
Marseille, du 5 décembre 1779, dans l’histoire de la Société royale de
Médecine. Paris 1780, seconde partie, p. 122.
�— 237
lui accorda. 1 L’hôpital et son église furent dès-lors
convertis en fabrique d’indienne. 2
L’œuvre reçut, en 1760, deux mille livres qtre
la Dlle Claire Juge lui laissa par testament, 3 et en
1770 elle en toucha dix mille montant du legs de
Gabriel Remuzat. Æ
Les citoyens de Marseille appelés à l’honneur,
souvent assez onéreux , d’administrer les œuvres de
bienfaisance, n’hésitaient pas dans leur acceptation,
considérée comme un devoir religieux et social, et
l’on reléguait dans le domaine des théories la ques
tion de savoir si c’était une obligation légale et ri
goureuse. Il fallut cependant examiner, dans une
circonstance fort rare , ce point de droit qui aujour
d’hui n’en serait pas un , mais qui souffrait alors
la controverse.
Mariage l’aîné et le second des fils de Louis Borely,
nommés , le 17 janvier 1762 , directeurs de l’hôpital
des pauvres Enfants Abandonnés et Orphelins, ne
voulurent pas accepter, et le bureau de l’œuvre dé
libéra, le 2 février, décrire à l’intendant de Pro
vence. « Si un exemple aussi daugereux, luidirent1. Registre des délibérations du bureau de l’hôpital général des pau
vres Enfants Abandonnés et Orphelins, de 1748 il 1760, fol. 265 . 270
et suiv., 296.
2. Grosson. Almanach historique de Marseille , année 1782, p. 186.
3. Registre ci-dessus cité, de 1748 à 1760 , fol. 28.
4. Registre des délibérations du bureau de la même œuvre, de 1760
à 1772, fol. 179.
�■
238
» ils , pouvait paraître autorisé, il y aurait tout lieu
» de craindre qu’il ne devint contagieux , surtout
» dans les circonstances où les calamités publiques
» rendent le service plus pénible. 1 »
On ne donna pas suite à cette affaire, et c’était vrai
ment ce qu’on pouvait faire de mieux. L’homme sans
cœur qui répudie une sainte mission de confiance
et d’humanité, n’est justiciable que de l’opinion de
ses concitoyens, et le mépris public suffit pour le
punir. N’est-ce pas d’ailleurs enlever aux actes de
bienfaisance leur caractère et leur mérite, n’est-ce
pas les faire descendre de ces hauteurs où les pla
cent l’estime et la reconnaissance des hommes, que
de les mettre au nombre des choses pratiquées par
voie de justice et de contrainte?
Les directeurs de la maison des pauvres Enfants
Abandonnés et Orphelins avaient fait, en 1704 , des
règlements 2 qu’ils modifièrent en 1747 3 et qu’ils
maintinrent sans changement jusques en 1783. Le 15
avril de cette année, il y eu une assemblée générale
sous la présidence de l’évêque, et l’ont crut indis1. Registre ci-dessus cité, de 1770 à 1772, fol. 57 et 58.
2. Règlement pour l’hôpital des pauvres Enfants Abandonnés de
Marseille , sous le titre de Notre-Dame-de-Bon-Rencontre , dressés en
vertu des lettres patentes du roi. Marseille, chez J.-P. Brebion, im
primeur du roi et de Ms1' l’évêque. 1725, in-4° de 25 pages.
5.
Autres règlements de la même œuvre. A Marseille, chez Sibié ,
imprimeur du roi et de la ville. ln-4° de 46 pages.
�pensable de faire d’autres reglements appropriés a
des besoins nouveaux. 1
Le nombre des directeurs avait varié depuis la
création de l’établissement. Il était de dix-sept en
1723 , mais on le porta à dix-neuf en 1741 , et ce
nombre fut maintenu par les règlements de 1783. Il
y eu t, comme précédemment, un directeur prêtre
qui ne servait qu’une année , deux fondateurs nom
més par ancienneté, suivant l’ordre du tableau ,
lesquels ne servaient aussi qu’un an , et seize direc
teurs élus qui étaient deux ans en exercice et qu’on
renouvelait par moitié.
On procédait aux élections le troisième jeudi du
mois de janvier. Le directeur prêtre sortant de charge
et les huit directeurs qui devaient servir encore un
an désignaient chacun leur successeur, et ces neuf
candidats n’étaient nommés que lorsque l’assemblée
générale, tenue le dimanche suivant, en avait pro
noncé l’adoption au scrutin secret. On les installait
le 2 février.
L’œuvre continua d’être divisée en deux parties :
la première pour la retraite des pauvres Enfants
Abandonnés , sans distinction , de l’âge de six ans
jusques à celui de quinze , qui se présentaient à
l’entrée de la nuit. On leur donnait la soupe et on
1. Autres règlements pour l’administration de la même œuvre. A
Marseille, de l’imprimerie de JeanMossy, imprimeur du roi, de la marine
et libraire. 178t. In-4° de 56 pages.
�leur enseignait le catéchisme avant le coucher qui
était fixé à huit heures en hiver et à neuf en été. On
les faisait dîner et souper le dimanche et les fêtes.
Le-bureau cherchait à les mettre en apprentissage
chez un artisan, au service domestique ou à celui
de la marine, après leur première communion, pour
les empêcher de mendier et les habituer de bonne
heure au travail. Enfin, on leur procurait un éta
blissement selon leur inclination quand ils avaient
couché quelques années dans l’établissement et quand
on pouvait compter sur leur bonne conduite. On leur
accordait alors une aumôme avec un petit trousseau.
La seconde partie de l’œuvre était destinée aux
pauvres orphelins des deux sexes, âgés de trois ans
accomplis, nés en légitime mariage à Marseille, ou
dont les parents y avaient un domicile depuis cinq
années au moins. Cependant les enfants qui n’étaient
pas orphelins, mais dont les pères et les mères se trou
vaient dans l’impossibilité de pourvoir à leur entre
tien étaient réputés de l’œuvre. 1 J’ai déjà dit qu’à
l’âge de sept ans on les conduisait à la Charité.
Les directeurs de la maison des Enfants Aban
donnés et Orphelins ne négligeaient rien pour appelez
sur cet hôpital les aumônes des amis des pauvres.
Ils assistaient en corps aux convois funèbres, moyen
nant une rétribution de quinze livres, quand on
1. Hèglements cités de 1 7S5. Passim .
�241
demandait leur présence. Ils suivaient aussi en habit
noir toute la famille de l'hôpital à l’enterrement des
personnes qui laissaient à l’œuvre cinq cents livres
au moins. C’est du moins ce que prescrivaient les
règlements de 1783, car, avant cette époque, les
délibérations du bureau du 4 juillet 1756, des 27
février et 27 mars 1774 , avaient exigé , en pareille
circonstance, que la libéralité en faveur de l’œuvre
fût au moins de mille livres.
Le premier jour libre du mois d’août, tous les
directeurs s’assemblaient le matin dans l’hôpital ,
et après la grand’messe, ils faisaient dans la ville
une quête générale qu’ils commençaient par l’évêque
et les chanoines de la cathédrale. 1
Cependant comme les besoins de cet établissement
augmentaient sans cesse et comme ses ressources
diminuaient par la cherté des denrées, les direc
teurs firent, en 1788 , un appel extraordinaire à la
charité publique. Des affiches sollicitèrent de leur
part les aumônes des hommes compatissants.2
En 1794, l’œuvre des pauvres Enfants Aban
donnés et Orphelins reçut le nom d’Hôpital des
Enfants de la Patrie. 3 Dans les derniers mois de son
—
1. Règlements de 174.7, p. 55, et règlements de 1785, p. 25 et 25.
2. Placard en deux colonnes, de l’imprimerie de F. Drebion. Mar
seille, 1788.
5. Voyez un dossier de diverses délibérations et pièces de l’œuvre
TOJ1E II.
16
�existence, elle ne comptait que cinquante à soixante
enfants.
Son actif était de 2,822 livres, à savoir : 2,460
en loyers d’immeubles; 212 en rentes sur particu
liers, et 150 en casuel. On lui devait 2,900 livres
de legs échus , mais qui devaient ne lui être payés
qu’en papier-monnaie , et 550 livres d'autres legs
à échéance future et dont la rentrée était incertaine.
Elle avait encore 20,358 livres de créances à ré
clamer de la nation. Elle prétendait à l’héritage du
sieur Joseph Seyne , mais cette succession était li
tigieuse et il ne fallait compter sur rien. L’œuvre
avait aussi à agir comme héritière du sieur David,
mort à Tripoli, et dont la fortune ne donnait pas
de grandes espérances. Enfin, elle possédait quatre
immeubles valant ensemble 17,000 livres , mais elle
n’en avait que la nue propriété, et ne devait jouir
des revenus qu’à la mort des usufruitiers
Il lui fallait par an , pour ses divers services, la
somme de 7,029 livres divisée de la manière sui
vante : 5,500 livres pour les frais de nourriture,
de linge et d’habillement; 500 livres pour des répara
tions urgentes à faire à l’hospice; 704 livres pour les
salaires de l'agent, de la mère et des domestiques;
150 livres pour les frais du bureau ; 100 livres pour
le médecin et 75 pour le chirurgien.
sous le titre d’Hôpital des Enfants de la Patrie, aux archives de l’Hôtel-
�243
On évaluait à 4,000 livres le prix des réparations
foncières nécessitées par le délabrement de la maison.1
Telle était la situation financière de l’ancien hôpital
général des pauvres Enfants Abandonnés et Orphe
lins, lorsque les lois nouvelles en prononcèrent la
suppression. Le 7 septembre 1798, deux de ses direc
teurs , les citoyens Cauvière et Yernet, conduisirent
ces enfants à l’hospice de la Charité. 2
OEUVRE DES PAUVRES ENFANTS MARINIERS.
La confrérie des Pénitents du Bon Jésus de Mar
seille , plus connus sous le nom de Bourras, 3 institua
dans son sein , au mois d'août 1772 , un bureau de
charité pour les pauvres Enfants des marins, âgés
de trois à sept ans. La confrérie et l’œuvre ne for
mèrent qu’un même corps soumis à la juridiction
de l’évêque, 4 lequel approuva les règlements de ce
1. Diverses pièces déposées aux archives de l’Hôtel-Dieu de Marseille.
2. Registre des délibérations du bureau de l’œuvre des pauvres En
fants Abandonnés et Orphelins, de l’an v et de l’an vi, dernières pages,
aux archives de l’Hôtel-Dieu.
5. Cette confrérie fut fondée, le 7 juillet 159 1, par douze habitants
de Marseille pour enterrer les suppliciés. Voyez le registre de récep
tion des frères Pénitents du Saint Nom de Jésus, aux archives de la
chapelle.
4. Précis ou abrégé des statuts, règlements et délibérations des
frères de la Pénitence du Bon Jésus, fondateurs et directeurs de l’œuvre
des pauvres Enfants Mariniers de Marseille. Chez F. Brebion, impri
meur. Affiche grand in-fol., sur deux colonnes.
�244 —
bureau qui obtint en outre des lettres patentes d’au
torisation données à Versailles par Louis XVI au mois
de mars 1775 1
L’œuvre donnait quatre livres par mois à chacun
des pauvres enfants qu'elle choisissait ; mais ses
ressources toujours faibles ne lui permirent pas mal
heureusement d’en appeler un grand nombre à la
jouissance de ce secours.
Les affaires générales étaient administrées par un
recteur, un sous-recteur, deux syndics, quatre conseil
lers et quatre directeurs. Seulement quand il s’agissait
de s’engager dans un procès ou de contracter un em
prunt , l’assemblée générale devait être convoquée
et la délibération prise à la majorité des suffrages.
Huit membres présents au bureau le constituaient
légalement. Ils siégeaient tous en robe de pénitent.
Chaque année, le second dimanche de septembre ,
après la messe, le bureau nommait au scrutin secret
trois candidats pour la place de recteur et trois autres
pour celle de sous - recteur. Ces candidats étaient
ensuite soumis au scrutin de ballotage dans l’assem
blée générale, et la majorité relative suffisait pour
l’élection. Après quoi, le bureau s’assemblait encore
pour faire choix des autres officiers, et les deux chefs
nouvellement élus y avaient voix délibérative.
Toutes les fonctions étaient annuelles , mais tous
i. Ces lettres patentes sont aux archives de la chapelle des Pénitents
du Bon Jésus.
�les titulaires pouvaient être réélus, à l'exception du
recteur qui n’était rééligible qu’après une intervalle
de cinq années.
Tous les jours d’entrée à la chapelle on passait un
bassin pour l’œuvre des pauvres Enfants mariniers,
et chaque frère donnait par an vingt-quatre sous
pour cette œuvre , indépendamment du droit de
réception fixé à six livres , et de la quotité annuelle
qui était de trois, le tout en vertu d’une délibération
du 24 mars 1779. 1
Cette œuvre peu connue ne reçut ni dons, ni legs ,
quoi qu'elle eût toute la capacité légale pour en
recevoir. Son recteur Aillaud, curé de la cathédrale,
Saurin , Pradère , A. Martin , Chabrery et Tardieu ,
membres du bureau , présentèrent, le 29 novembre
1786, une requête à l’évêque, aux fins d’être autorisés
à faire annuellement une quête générale. Par ordon
nance du 29 janvier 1787, sur l’avis favorable du
maire et des échevins, l’évêque permit cette quête ,
pourvu qu’elle ne vînt pas en concours avec celle des
autres œuvres. Il ordonna de plus qu’à l’avenir deux
prêtres de la même confrérie feraient partie du bureau
pour veiller avec leurs collègues à la distribution des
deniers. 2
1. Précis ou abrégé des statuts, règlements et délibérations des
frères de la Pénitence du Bon Jésus, etc., ci-dessus cité.
2. Recueil d’arrêts et de diverses pièces concernant l’œuvre des
pauvres Enfants Mariniers de la ville de Marseille, 8 pages in-4-0, à
Marseille, ne l’imprimerie de Jean Mossy, 1787.
�CHAPITRE X.
a n iv iiK
oæs
pau v
»
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§
fiu s o a h ik k
^
e ï
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p a iiv u es
O PPR ESSÉS.
Statuts de Marseille sur les prisons. — Position des prisonniers civils.—
Peine des arrêts. — Bonnet vert. — Contrainte par corps. — Legs
de Julien de Casaulx en faveur des prisonniers. — Divers détails
sur l’exécution de cette libéralité. — Souffrances des pauvres pri
sonniers. — Fondation des dames de Bausset et de Valbelle de
Luc. — Création de l’œuvre des prisons. — Siège successif de
cette œuvre. — La confrérie de Notre-Dame-de-Miséricorde dis
tribue du pain aux pauvres prisonniers. — Suppression de cette
aumône. — L’œuvre des prisons assiste les pauvres oppressés. —
Bureau de l’évêché pour les accommodements. — Règlements de
bureau charitable des pauvres prisonniers et des pauvres oppressés.
Ses fonds et ses bienfaiteurs. — État déplorable des prisons. —
Projet d’amélioration et d’agrandissement. — Ce projet n’a pas
de suite. — Quête faite par la jeunesse marseillaise pour l’élar
gissement des prisonniers civils.
Dans quelques circonstances, les comtes de Pro
vence eurent à s’occuper du sort des prisonniers.
et Robert, dans une lettre datée d’Avignon le 25 oc
tobre 1319, donna sur ceux de Marseille des instruc
tions spéciales à Raimond de Villeneuve , viguier de
cette ville. 1
1. Tu autem àprocessore tuo recipias sub ejus sigillo captivos omnes
si quos habet cum nominibus et cognominibus ac causis captionis eorum
ac acta et mandata pendentia, etc. Registre des délibérations du conseil
municipal de Marseille. 1319-1320, fol. 3 recto, aux archives de la
ville.
�— 247 —
Un statut marseillais préposait à la garde de la pri
son publique deux geôliers qui touchaient sur les fonds
communaux un salaire convenable. Il leur était dé
fendu de recevoir d’un prisonnier et de toute personne
payant à sa décharge plus de douze deniers royaux pour
mettre aux fers ce prisonnier ou pour les lui enlever,
ainsi que pour les soins de garde. Les femmes n’étaient
pas confondues avec les hommes, et les geôliers de
vaient donner à ces prisonniers la même nourriture.1
Le détenu était soumis, en faveur des geôliers,
à une redevance pour sa mise aux fers, pour sa dé
livrance des chaînes, et même pour sa garde per
sonnelle. Qu’advenait-il quand le prisonnier ne pou
vait pas payer? C’est ce que le statut ne dit pas.
Un autre statut de Marseille, aussi ancien que le
précédent, s’il ne l’est pas davantage , car il fut
confirmé par le conseil-général de la commune le 3
des calendes de février 1279 , portait que le créan
cier qui obtenait contre son débiteur l’emprisonne
ment pour dette civile n’était tenu de lui fournir qu’un
denier par jour, pour le pain et l’eau. 2
1. Statuta civitatis Massilie, lib. v, cap.
aux archives de la ville.
x l iv
,
fol. 115 recto et verso,
2. Si debitor non solvat et intrudatur iu carcerem tenetur creditor
singulis diebus illi dare pro pane et aqua unum denarium tantum et
ibidem tandiu custodiatur donec creditori satisfaciat in suo debito et
expensis. Anuo incarnationis Domini m c c l x x i x , indictione vin, n i calend. fabr. Quod statutum confirmatum fuit perconsilium generale Massilie. Statuta civitatis Massilie, loi. 154 verso.
�'
— <248 —
Le débiteur, cédant ses biens à ses créanciers, ne
restait pas moins en prison jusqu’à sa libération
complète. 1 C’était là une prescription bien rigou
reuse , moins dure et moins humiliante cependant
que la législation en vigueur dans quelques provinces
de France, notamment dans le Nivernais, où la
cession de biens se faisait par le debteur frappant du
cul nud sur la terre ou sur une pierre. 2 A Toulon , un
règlement de police , fait en 1289, voulait qu’on
emprisonnât tout nus les contrevenants qui ne pou
vaient payer l’amende.3 Les historiens de Montpellier
nous montrent le banqueroutier attaché au verrou de
Saint-Firmin , à demi nu , et les bras sur la tête ,
obligé de recevoir, dans cette posture, tous les coups
qu’il plaisait à ses créanciers de lui décharger sur le
dos. 1 Dans plusieurs villes d’Italie , le banqueroutier
était condamné à un supplice analogue. u
1. Slatuimus firmiter observandum ut quamvis debitores bonis ccsserint et cedant bonis suis nihilominus in carcerem regium intrudantur
tandiu in eo carcere moraturi donec fuerit eorum crediton de debilis in
integrum satisfaturn. Statüta civilotis Massilie, fol. 200 recto.
2. Oiuvres de maistro Guy Coquille, coustume du Nivernais, chap. 32,
annotations sur l’art. 22 des exécutions, criées et subbastations. T. 2,
pag. 581.
5. Si solvere non poterit, ponaturin castello nudus. Papon , Histoire
générale de Provence, t. 5, p. 27, aux preuves.
4. Gariel , Idée de la ville de Montpellier, t. 2, p. 26, — D’Àigrefeuille, Histoire de Montpellier, t. 2, p. 247.
Germain, Histoire de
la commune de Montpellier, t, 3 , p. 244.
5. Adisson , Supplément au voyage d’Italie de Maximilien Misson ,
p. 47. — Deléclusc , Florence et ses vicissitudes, t. 2, p. 48.
—
�A Avignon , le banqueroutier frauduleux était
frappé de telle peine qu’il plaisait au juge , et même
de celle de mort. 1
Les statuts municipaux de Marseille furent modi
fiés plus tard dans un sens favorable au débiteur ,
et ce changement fut dû sans doute à l’influence des
ordonnances faites sur le même sujet par Raimond
Berenger III, comte de Provence , pour la ville d’Aix
et son baillage.2Ces ordonnances ne soumettaient les
débiteurs qu’à la peine assez douce des arrêts , et
c’est ce que prescrivirent les nouveaux statuts de
Marseille. On ne traîna plus en prison les malheureux
qui ne pouvaient payer leurs dettes , et on se borna
à leur ordonner de tenir les arrêts , hoslagia tenere.
Les débiteurs étaient obligés de venir se camper
depuis le matin jusqu’au soir dans la rue ou place
du palais, ou dans les maisons situées sur cette rue
ou sur cette place , et d’y rester jusqu'à ce qu'ils
eussent satisfait leurs créanciers. Ils étaient libres les
dimanches et les jours de fête. Les autres jours , on
leur permettait d’aller à l'église voisine faire leurs
prières, d’aller aussi devant le juge lorsque leur
comparution personnelle était nécessaire, ou lorsqu’ils
1. Staluta inclitæ civitatis avenionis, etc. Lugduni. 1612. De iis qui
foro cedunt, quos vulgus fallitos vocat, p. 85.
2. Voy. les ordonnances de Raimond Berenger, de condem nalis quod
teneant hoslagia , dans l’essai sur l’histoire du droit français au moyenâge, par M. Giraud . t.2 , p. 20 et 23.
�étaient appelés comme témoins. Ils encouraient l’a
mende de dix sous, chaque fois qu’ils manquaient
aux arrêts , et si on les trouvait en défaut huit jours
de suite , on les mettait alors en prison.
Les femmes étaient aussi condamnées aux arrêts
pour dettes. Mais elles les gardaient dans leurs mai
sons , ou dans celle de leurs pères , de leurs mères ,
de leurs beaux-pères ou de leurs belles-mères. Elles
avaient la permission de sortir, les jours indiqués,
et pour les causes dont j’ai fait mention. 1
Plus tard les lois françaises introduisirent, à Mar
seille, l’usage de la contrainte par corps. Mais on ne
put exercer cette contrainte contre les femmes pour
quelque raison que ce fut, 2 car tel était le droit pro
vençal qui, sur ce point comme sur bien d’autres ,
se maintint en vigueur. 3
La jurisprudence des cours souveraines du royaume
varia sur la position des débiteurs reçus à la cession
des biens. Les parlements de Rouen, de Toulouse et
de Bordeaux les obligèrent de porter un bonnet vert,
et les créanciers qui rencontraient leurs débiteurs
1 Quaüter debitores cogendi sunt in debitis liquidis ad solvendum.
Statuta [civitatis Massilie. Lib. ii , cap. i, fol. 48 recto, aux archives
de la ville.
2.
Il en était autrement en matière criminelle. Les femmes pouvaient
être contraintes par corps pour dommages-intérêts et pour les dépens
adjugés contre elles.Voyez Julien, statuts de Provence, t. 2, p. 607 et
608. — Arrêts notables rendus par le Parlement de Provence , par un
président à mortier du même parlement. Aix, 1746, p. 36 et 37.
5. Mourgues, Statuts de Provence. Aix , 1642 , p. 420.
�— 251
sans ce bonnet sur la tête pouvaient les constituer
prisonniers. 1
Des arrêts du parlement d’Aix consacrèrent aussi
l’usage du bonnet vert dont la fourniture fut mise à
la charge des créanciers. Mais d’autres arrêts de la
même cour dispensèrent les débiteurs de cette obli
gation humiliante. 2 Un d’eux, entre autres, fut
rendu , le 11 mai 1727, en faveur du maître de l’hô
tellerie des Trois-Louis-d’Or de la ville de Marseille.3
Aux termes d’un statut provençal de 1469 , le
débiteur civil ne pouvait être arrêté dans son do
micile , soit que la maison lui appartînt, soit qu’il
n’y demeurât que comme locataire , soit enfin qu'il
se trouvât dans une hôtellerie , pourvu qu’il y fût
depuis dix jours au moins.
Un autre statut provençal de la même date défen
dait d’emprisonner qui que ce fût pour dettes pen
dant les foires du pays, et même un jour avant et
un jour après. 1
1. Essais historiques sur Paris, par de Saint-Foix, dans ses œuvres
complètes. Paris, 1778, t. 4, p. 14-2.
2. Boniface, Recueil d’arrêts notables du parlement de Provence, t. 2,
p. 275 et 276. — Suite du même recueil, t. 5 , p. 615.
3. Joseph Bonnet, Recueil d’arrêts notables du parlement du Pro
vence, ou suite des arrêts de Boniface , p. 44.
4. Statuta provinciæ Forcalqneriique comitatum, cum commentariis
Massæ. Aix, 1598, p. 202 et 203. — Statuts et coutumes du pays de
Provence, avec les gloses de Masse , par de Bomy. Aix , 1620, p. 256
et 237. —Voy. encore Mourgues , ouv. cité , p. 417 et suivantes, et
Julien , ouvrage cité , t. 2 , p. 469, 486 et suiv., et 607.
�Les débiteurs d'une communauté ne pouvaient être
emprisonnés. La contrainte par corps n’était pro
noncée que contre le trésorier et les officiers respon
sables. 1
Au reste, on ne connaissait pas en Provence le
privilège immoral accordé quelquefois par des lettres
des rois de France, c’est-à-dire celui de ne pas payer
ses dettes , de n’être pas tuteur ou curateur, de n’être
pas fouetté publiquement, de n’être pas pendu. 2
La contrainte par corps était prononcée contre
ceux que la justice condamnait à l’amende, jusqu’à
ce qu’ils l'eussent payée. En 1574 , il y avait dans
les prisons de Marseille deux malheureux nommés
Antoine Pascal et Jean Cas, l’un pour trente livres
tournois d'amende, l’autre pour vingt livres. Ils pré
sentèrent une supplique aux commissaires du conseil
municipal, délégués par celte assemblée pour statuer
sur les demandes et les griefs des habitants de
Marseille. Il paraît que l’amende que Pascal et Cas
étaient condamnés à payer avait été prononcée pour
un fait qui n’enlevait rien à l’intérêt qu’ils inspiraient
généralement, car les commissaires municipaux dé
libérèrent, le 25 novembre 1574, que serait « payé
1. Genturiæ causarum in summâ rationum vectigalium subsidiorumque provinciæ curiâ decisarum, etc. Authore Francisco de Claperiis.
Lugduni, 1589, p. 54.
2. Monteil, Histoire des F rançais des divers états , édition de 1853,
t. 5, p. 229
�— 253 —
» et cxborsé, pour Dieu , des deniers communs de
» ladite ville , ladite somme de trente livres tournois
» pour ledit Pascal et vingt livres tournois pour ledit
» Cas, et employées au paiement de leur condamp» nation et esmendes pour les sortir de prison et de
» la misère qu’ils sont destenus. d »
Julien de Casaulx fut le premier qui eut à Marseille
la généreuse pensée d’adoucir le sort des pauvres pri
sonniers. Par son testament du 31 janvier 1394 en
faveur de l’hôpital Saint-Esprit et de celui de SaintJacques-de-Galice, il chargea ce premier hôpital de
donner, tous les vendredis , aux pauvres prison
niers du pain , du vin, une écuelle de potage de
fèves et du poisson. La fourniture de ce poisson fut
fixée plus tard à deux sardines pour chaque détenu. 2
Au commencement du quinzième siècle, l’hôpital
Saint-Esprit convertit cette aumône en argent, et
l’économe eut à payer tous les vendredis une somme
variable de trois à six sous suivant le nombre des
prisonniers. En 1410 , il acheta deux ou trois fois des
choux pour eux , et une seule fois des lapins.3
La libéralité de Julien de Casaulx fit naître des
débats dans plusieurs circonstances. En 1566 tous
1. Livre 10 des délibérations du conseil municipal de Marseille , du
mois de novembre 4574- au mois d’octobre 1579 , fol. 395 verso , aux
archives de la mairie.
2. Diverses pièces aux archives de l’Hôtel-Dieu de Marseille.
3. Registre côté MM des recettes et dépenses de l’hôpital SaintEsprit de Marseille, 1409-1410 , p a s s im , aux archives de l’Hôtel-Dieu.
�— 254 —
les prisonniers indistinctement demandaient que les
recteurs de l’hôpital Saint-Esprit exécutassent la
disposition faite , disaient-ils , à leur profit. Les rec
teurs soutenaient que l’aumône du bienfaiteur n’était
applicable qu’aux prisonniers nécessiteux. C’est ce
que déclara aussi le lieutenant de la sénéchaussée,
lequel, conformément aux conclusions de Montolieu ,
assesseur de la ville, ordonna que le legs de Julien
de Casaulx ne profiterait pas aux prisonniers qui
auraient « de quoy se norrir et alimanter ; qu’en
» conséquence aulcune distribution de pain , vin ,
» ni aultre chose , ne seroit faicte le vendredi auxdits
» prisonniers. » Le lieutenant leur défendit de rece
voir la distribution , à peine de 50 livres d'amende.1
On voit qu’en 1566 les prisonniers recevaient en
nature l’aumône de Julien de Casaulx. En 16 13, cette
aumône leur fut donnée en argent, à raison de trois
deniers la pièce, comme disait Gautier, économe de
l’hôpital. 2 Le nombre moyen des prisonniers indi
gents qui avaient alors part, tous les vendredis, à
la distribution du secours , était d’une trentaine.3
1. Livre trésor A de l’hôpital Saint-Esprit et Saint-Jacques-de-Galice ,
1540-1577, fol. S6 , aux archives de l’Hôtel-Dieu.
2. Livre des dépenses de l’hôpital Saint-Esprit et Saint-Jacques-deGalice, faites par l’économe Henri Gautier en 1615, passim, aux archives
de l’Hôtel-Dieu.
3. Même livre d’Henri Gautier. Nous y voyons que le plus grand
nombre de prisonniers secourus par l’hôpital fut de cinquante, et le
plus petit de dix-sept, en cette m êm e année 1613.
�Peu cle temps après , l’aumône de Casaulx fut en
core faite en nature, et il paraît que l’Hôtel-Dieu
se réglait en cela selon ses convenances. En 1618 ,
Antoine Bareillet, Léonard Boasse et André Monier,
tant en leur nom qu’en celui des autres détenus,
présentèrent à Nicolas de Bausset, lieutenant prin
cipal , une requête pour lui exposer qu’en exécution
du testament de Julien de Casaulx, les recteurs de
l’hôpital Saint-Esprit étaient tenus de donner tous les
vendredis aux pauvres prisonniers du pain , du vin ,
du potage de fèves et du poisson , en quantité suffi
sante ; que néanmoins ils avaient cessé depuis quel
que temps de satisfaire à cette obligation.
Le lieutenant manda par devant lui les recteurs,
lesquels déclarèrent qu’ils n’avaient jamais refusé de
fournir à chaque prisonnier les aliments ordinaires,
à savoir : un pain, un demi quarteron de vin , une
écuelle de potage et deux sardines. « Mais le con» cierge , ajoutèrent-ils , ensemble les prisonniers
» ont despuis quelque temps faict couler ung abus
» manifeste, donnant ung rôle non seulement des
» pouvresprisonniers, mais de tous indifféremment,
» mesme de ceux qui ont moyen de s’entretenir, en
» quoi l'hospital se treuve intéressé......Par ainsin
» concluent les sieurs recteurs à ce qu’ils ne soient
» pas teneus bailler la dite distribution sinon à ceux
» qui sont au pain du Roy. »
Maître Cisterne , concierge des prisons , égale-
�256
menl cilé devant le lieutenant, s’exprima ainsi :
« communément tous les prisonniers sont pouvres ,
» et despuis que je faict la charge de concierge j’ai
» toujours veu que la distribution a esté faicte à
» ceux qui se sont vouleu faire enrôler, n’empêchant
» que M. le lieutenant y apporte tel règlement qu’il
» avisera, lequel je suis prest de garder et observer. »
Conformément aux conclusions de l’avocat du roi
Paul-Émile d’Arène , le lieutenant principal, assisté
de Nicolas de Vento, lieutenant, assesseur, de Guil
laume Magdalin et de Jean d’Athenosi, conseillers ,
ordonna que les recteurs continueraient de faire aux
prisonniers l’aumône fondée par Julien de Casaulx,
sur le rôle qui en serait dressé par le concierge.
auquel défense fut faite, sous peine de cent livres
d’amende , d’inscrire d’autres détenus que les indi
gents ; en conséquence , de s’informer avec exacti
tude de leur position et de leurs besoins ; de faire tous
les mercredis un rôle signé par lui , visé et certifié
ensuite par l’avocat du roi ; que le même jour, l'éco
nome de l’hôpital pourrait aller prendre ce rôle pour
s'informer aussi des moyens d’existence de chaque
prisonnier ; que le concierge jurerait d’observer ce
règlement et qu’on l’afficherait dans la prison.4
Il y avait, en 1664 , quelques changements dans
cette aumône. Elle était d’un sou , d’une écuelle de
1. Livre trésor B de l’hôpital Saint-Esprit et Saint-Jacques-deGalice, de 1616 à 1 6 5 1 , fol. 10 et suiv., aux archives de l’Hôtel-Dieu.
�potage et d’un demi pot de vin pour chaque prison
nier. Le 11 décembre de cette année, les recteurs
de l’Hôtel-Dieu délibérèrent sur l’oubli des formalités
prescrites par l’ordonnance du lieutenant en 1618
et sur les abus que faisait naître la négligence du
concierge dans la confection du rôle des prisonniers.
Il fut dit que l’aumône ne serait faite désormais
qu’après raccomplissement des prescriptions légales ;
que l’économe de l’hôpital irait tous les vendredis la
distribuer dans les prisons et s’assurer par là du
droit de ceux qui la réclamaient; que les recteurs
pourraient y assister par esprit de charité , ou pour
le bien de la maison. 1
Il y eu plus tard d’autres changements. L’HôtelDieu donna aux pauvres prisonniers une soupe et
un pot de vin , non seulement le vendredi de chaque
semaine, comme précédemment, mais encore le sa
medi. 2Ce n’était pourtant là qu’un soulagement assez
faible pour des hommes jetés dans des cachots hu
mides et ténébreux, couchés sur une paille fétide ,
1. Libvre des délibérations faicles par messieurs les recteurs de
l’hospital Saint-Esprit, et Sainl-Jacques-de-Galice de ceste ville de Mar
seille, touchant les affaires de politique, acommancé le 28 décembre
1656, p. 110 verso , aux archives de l’Hôtel-Dieu.
2 . Voyez l’article 10 des règlements des directeurs du bureau chari
table concernant les prisons, approuvés par l’évêque de Marseille le 6
septembre 1754, p. 24. Marseille, de l’imprimerie delà veuve de J .-P .
Brebion.
�— 258 —
abandonnés enfin à toutes les horreurs de la misère,1
Les geôliers, hommes durs et avides, n’ouvraient
jamais leurs cœurs à la pitié. Les juifs, exclus des
emplois publics, avaient été admis, vers l’année 1472,
à l’exercice de la charge de concierge des prisons.2
Le génie de la bienfaisance, oubliant que tous les
prisonniers ne sont pas des criminels et que les cri
minels eux-mêmes ne sont pas hors la loi d’humanité,
ne s’émut que bien tard à la vue de ces douleurs in
dicibles. Le restaurateur de la poésie provençale,
parlant par expérience, après avoir éprouvé luimême les maux de la captivité, disait vers la fin du
seizième siècle : « celui qui tombe malade loin des
» prisons, va droit à l'hôpital, s’il est dans i’indi—
» gence ; mais si vous êtes prisonnier sans argent,
» vous mourez de faim , comme un chien sur la
» paille. »
Luench de preson , si cauque mau l’attrapo ,
Si n’a d’argent, va drecli à l’espitau,
May dins p reson , senso de la clicquaillo ,
Mourez de fan coum’ un cliin sus la paillo. 3
1. Dans toutes les villes de France, les prisons, au 16e siècle, étaient
d’infectes cavernes. Voyez YHistoire des Français des divers étals, par
M onteil, 3e édition, t. 3 , p. 275 et les notes G à 13 de la p. SGG.
2. Manuscrit intitulé : Mémoires pris en divers lieux pour les affaires
du pays de Provence, grand in-4° en ma possession, fol. 5 9 recto.
3. Obros et rimos provençalos de Loys de la Bellandiero , gentil
homme prouvenssau , revioudados per Pierre Paul, escuyer de Marseillo.
Le dondon infernal où sont desciites en langage provençal les misères et
les calamités d’une prison M arseille, par Pierre Mascaron, 1595, p. 172.
�259 —
« Il y a moins de vols dans un bois que dans ce
» purgatoire où l’on écorche les gens comme des
» moutons. »
Dedins un bouosc non fan tau raubatori ,
Coumo si fa dins aquest purgatori.
Espeillon gens, coumo séron moutons. 1
Le poète dit ailleurs : « sitôt qu’un malheureux
» est jeté dans la profonde fosse, la grande humi» dité le trousse aussitôt. Le froid, la faim, la soif
» le saisissent à la gorge. »
Car tant leou qu’cz boutât
Dins la proufondo fouosso ,
La grande bumiditat
Subitament lou trousso.....
La frech , la fan , la set
Per la gorjo l’arrapon. 2
Long-temps avant Marseille, la ville d’Aix eut une
oeuvre charitable des prisons. Ce fut la confrérie des
Pénitents blancs de l’Observance, connue sous le titre
de Notre-Dame-de-Pitié, qui s’occupa des détenus et
leur donna des soins particuliers. Celte institution
fut autorisée par lettres-patentes du foi Henri II, à
la date du 27 septembre 1554.3
1 . Ibid. p. 173.
2. Ibid. p. 59.
3. Etat de l’œuvre pour le secours des prisonniers exercée par la
compagnie des FF. Pénitents blancs, sous le titre de Notre-Dame-deP itié, de la ville d’Aix. Par frère Pierre-Joseph de H aitze, secretère
de l’œuvre. Aix, 1689. — Instruction pour les sieurs recteurs de l’œu
vre établie pour le setours des pauvres prisonniers de cette ville d’Aix,
�Près de cent ans après , un bourgeois bienfaisant
de Marseille, Jacques Decormes Aydoux, visitait les
pauvres prisonniers et cherchait à améliorer leur état
par tous les soins matériels et moraux qui pouvaient
être à sa portée. Il est probable qu'il faisait des
quêtes pour eux et qu'il travaillait avec l’assistance
de quelques hommes auxquels il était uni par des
liens sympathiques de charité.
Déjà les pénitents de Jésus devaient délivrer cha
que année un prisonnier pour dette, et il y avait,
à ce sujet, dans leur chapelle, un tronc destiné à
recevoir les offrandes des confrères.4
Par acte du 10 mars 1653 , la dame Isabeau de
Félix , veuve du lieutenant principal Nicolas de
Bausset, et la dame Aymare de Cabre, veuve de
Barthélemy de Valbelle de Hue, seigneur de Cada
rache, lieutenant-général de l’amirauté de Marseille,
émues de compassion pour les pauvres prisonniers
civils, fondèrent en leur faveur un capital de six
cents livres, à raison de trois cents livres pour cha
cune d’elles. Il fut stipulé dans l’acte que ce capital
serait placé sur la communauté de Marseille et que,
chaque année et à perpétuité, les intérêts fixés à
5 p. o1° seraient employés à l’élargissement des dé
contenant les lettres-patentes, etc. A ix, 1747. — Statistique de l’œuvre
de la commission de surveillance des prisons d’Aix depuis leur création.
A ix. 1843.
1. Ruffi. Histoire de Marseille, t. 2 , p. 86.
�—
261
tenus les plus nécessiteux. Decormes Aydoux fut
chargé de.ce mandat, comme prenant charitable
ment , dit l'acte , le soin des prisons. Les donatrices
déclarèrent qu’en cas d’absence ou de mort de cet
homme honorable, les prieurs de la confrérie de
Notre-Dame-de-Miséricorde le remplaceraient.1 Par
délibération du 4 décembre 1694 , les prieurs desti
nèrent quarante livres par an à la délivrance des
pauvres prisonniers pour dettes.2 La confrérie, depuis
son origine, n’avait pas fait défaut à la pratique de cette
bonne œuvre et y avait, de temps en temps, consacré
quelques fonds. 3 Le 12 mai 1604 , elle donna même
trois livres pour faire sortir des prisons d’Aixla femme
Marguerite Gaillard , détenue pour cause civile. ‘
L’acte de donation des dames de Bausset et de
Valbelle prouve que l’œuvre des prisons de Marseille
1. Registre 55 des délibérations m unicipales, du mois de novembre
1652 au mois d’octobre 1655, fol. 49 verso et 50 recto et verso, aux
archives de la ville de Marseille. — Registre 9 des délibérations du bu
reau de l’hôpital de Notre-Dame-de-M iséricorde, du 8 mai 1754 au 17
novembre 1747, fol. 25 recto et verso, et 24 recto, aux archives du
bureau de bienfaisance.
2. Livre 6 des délibérations de l’œuvre de Nolre-Dam e-de-M iséricorde, de 1694 à 1707, fol. 11 recto , aux archives du bureau de bien
faisance.
5. Grand livre R des recettes et dépenses de la confrairie des sept
buvres de M iséricorde, à Marseille, 1578-1611, manuscrit grand in folio de 495 feuillets, passim, aux archives du bureau de bienfaisance.
— Grand livre E des recettes et dépenses de la même confrérie, 1612
à 1627, passim, aux mêmes archives.
4. Grand livre B ci-dessus cité , fol. 558 verso.
�n’était pas établie en 1653. Elle ne le fut en effet
qu’en 1674. Les directeurs de cette œuvre deman
dèrent aux recteurs de THôtel-Dieu la faculté de se
réunir dans la salle de l'hôpital où les apothicaires
tenaient leurs assemblées , et les recteurs le leur per
mirent. 1
Én 1678 l’œuvre alla siéger dans le local de la con
frérie de la Miséricorde qui lui en donna l’autorisa
tion le 5 novembre , à condition que l’un des prieurs
de cette confrérie assisterait toujours à la séance et
que les autres pourraient user du même droit.2 Quel
ques années après, le bureau de l’œuvre des prisons,
qui siégeait tous les dimanches, s'établit encore à
l’Hôtel-Dieu où il resta jusques à la fin de 1754.
Le 21 décembre, le conseil municipal lui accorda la
jouissance de l’un des entresols du palais de justice
pour y établir son siège.3 La ville venait de faire
reconstruire cet édifice à ses frais, * et les entresols ,
1 . Livre dans lequel sont insérées les délibérations des bureaux tenus
par messieurs les recteurs de l’hôpital Saint-Esprit et Saint-Jacquesde-Galice de ceste ville de M arseille, du 6 novembre 1670 au 26 oc
tobre 1675 , fol. 107 verso et 110 recto , aux archives de l’Hôtel-Dieu.
2. Libvre 3 des délibérations ensuite des propositions faictes aux
bureaux teneus par messieurs les fondateurs et prieurs de la vénérable
confrérie et luminaire sous le tiltre Nostre-Dame-de-M iséricorde, etc. ,
acomancé le vingt deuxième d’apvril 1675 , fol. 61 verso et 65 recto ,
aux archives du bureau de Bienfaisance.
3. Registre 155 des délibérations m unicipales, année 17 54, fol. 105
recto et verso , aux archives de la ville de Marseille.
4. Registre 144 des délibérations m unicipales, a n n éel7 4 5 , loi. 48
�— 263 —
aussi bien que les magasins , lui avaient clé réservés
par arrêt du conseil du 18 décembre 1742. 1
Il y avait une excessive parcimonie dans la four
niture du mauvais pain que les pauvres prisonniers
recevaient du gouvernement, et la confrérie de NotreDame-de-Miséricorde de Marseille donnait deux pains
à chacun d’eux tous les samedis. Elle suspendit, le
4 mai 1680,2 cette distribution qu’elle rétablit le 9
décembre 1682.3 Vers le milieu de l’année 1685 , ses
ressources ne lui permirent pas de la continuer ; mais
elle la reprit le 21 novembre , comme une vieille
coutume qui était une œuvre de miséricorde. 4 En
1687, elle donnait plus de cent pains tous les sa
medis. Le nombre des prisonniers augmentait sans
recto et suivants, aux archives de la ville de Marseille. — Lettres des
échevins de Marseille à divers personnages, des 28 avril, 10 m ai,
16 juin et 18 juillet 1 7 5 8 , dans le registre des copies des lettres de
ces magistrats du 1er janvier 1756 au 1er septembre 1741, aux archives
d elà ville; autres lettres des 1S août, 51 août et 3 septembre 1742 ,
des 27 mars et 26 mai 1 7 4 5 , dans le registre du 6 septembre 1741 au
18 juillet 1747; autres lettres dans le registre du 51 juillet 1747 au
50 décembre 1750, aux archives de la ville.
1. Délibération citée du 21 décembre 1754 dans le registre 1 5 5 , loi,.
105 recto et verso.
2 . Libvre 5 des déiibératiens ensuite des propositions faictes aux
bureaux teneus par messieurs les fondateurs et prieurs de la vénérable
confrérie et luminaire sous le tilire Nostre-Dam e-de-M iséricorde, e t c .,
fol. 82 recto.
3. Livre 4 des délibérations du bureau de Notre-Dame-de-M iséricorde,
de 1680 à 1 6 8 4 , fol. 54 recto , aux archives du bureau de Bienfaisance.
4. Livre 5 des délibérations du même bureau, de 1685 à 1 6 9 4 ,
fol. 7 recto, aux mêmes archives.
�cesse. L’hôpital de la Miséricorde avait alors des
charges considérables, et son bureau délibéra , le 26
avril, de supprimer cette bonne œuvre. Il dit que
les pauvres prisonniers n'en souffriront pas parce
qu’ils recevront la même aumône du roi qui avait
ordonné de la leur faire distribuer par le receveur
des amendes. 1
Au commencement du XVIIIe siècle, l’œuvre des
prisons de Marseille agrandit le domaine cle ses bien
faits. Elle assista les pauvres oppressés , c’est-à-dire
les indigents opprimés par des procès injustes ou qui
n’avaient pas les moyens de poursuivre leurs légi
times prétentions. Un établissement analogue exis
tait déjà à Marseille. L’évêque tenait, tous les quinze
jours dans son palais , le bureau pour la propagation
de la foi et pour les accomodemcnls.2 II était composé
d’ecclésiastiques, de gentilshommes, d’avocats et de
bourgeois. Tout le monde y était reçu à porter ses
plaintes, ©n y citait les parties ; on réglait les cliffé1. Même livre 5 , fol. 58 recio.
2. Dans le 17e siècle, on tenta plusieurs fois , à M arseille, de calmer
les haines publiques et d’éteindre les différends par des mesures de
conciliation Voyez la délibération du conseil municipal prise, le 12 no
vembre 1 (128 , sur la proposition du sieur de la Reynnrde, premier con su l,
dans le registre 5 5 , du mois de février 1627 au mois d’octobre 1629,
fol. 184. recto et verso, 202 et suivants. — Voyez aussi la délibération
du 7 décembre 1655 , dans le registre 5 4 , du mois de novembre 1655
au mois d’octobre 1654 , fol. 85. — Voyez encore la délibération du 4
octobre 1654 dans le même registre 5 4 , fol. 508 et 5 0 9 , aux archives
de la ville. Tous ces projets officiels de conciliation n’eurent aucun ré
sultat.
�— 265
rends ; on cherchait enfin à terminer les procès sans
frais. Vers l’année 1712 on institua des bureaux
semblables dans plusieurs paroisses du diocèse.1
Les membres du bureau de l’évêché de Marseille
furent dispersés par la peste de 1720. L’association
se reconstitua l’année suivante,2 mais elle fut bientôt
dissoute pour des motifs qui nous sont inconnus. Le
10 décembre 1751, l’évêque Belsunce rétablit l’œuvre
de la propagation de la foi ; mais il ne fut plus ques
tion des acccmodements. Cette partie de l’ancienne
œuvre fut abandonnée. 3
Quant à l’autre établissement, il continuait de
fonctionner sans interruption sous le titre de bureau
charitable pour les pauvres prisonniers et oppressés.
Des prêtres, des magistrats , des gentilshommes, des
avocats, des notaires, des procureurs, des bourgeois
et des marchands, composaient le personnel de l’œu
vre , et le bureau , proprement d it, était formé par
tous les membres qui voulaient bien assister à la
séance ouverte , tous les dimanches , à deux heures
après midi, sous la présidence de celui d’entre eux
1. Calendrier spirituel et perpétuel pour la ville de Marseille , avec
un état spirituel de tout le diocèse. M arseille, 1 7 1 5 , p. 151 et 152.
2. Statuts et règlements pour l’œuvre de la propagation de la foi.
M arseille, chez F. Brebion , in -8°d e 16 pages, 1782, p. 1 et 2.
3. Abrégé de l’exposé du projet de l’établissement de l’œuvre de
propagcindâ jlde dans la ville de M arseille, in-4° de trois p ages, sans
millésim e et sans nom d’imprimeur, avec les signatures des directeurs
en exercice , Guérin , doyen des Accoules , Louis-Balthasar Dauphin ,
François-Simon D evoulx, etc.
�—
266
qui portait le titre de recteur. Il y avait chaque année,
la veille du jour des Rameaux , une séance dans le
palais épiscopal, en présence de l’évêque, pour
l’élection du recteur, du trésorier et du secrétaire de
l’œuvre , à la majorité des suffrages, et ces trois
officiers, nommés pour un an , ne pouvaient exercer
les mêmes charges qu’après un intervalle de cinq
années.
Lorsque les prétentions d’un pauvre avaient ap
parence de justice, le bureau envoyait à la partie
adverse un billet d’avertissement afin de les entendre
et les concilier, si c’était possible. Quand cette tenta
tive ne réussissait pas, on nommait deux commis
saires pour examiner si la demande du pauvre était
fondée en droit. Sur le rapport affirmatif, le bureau
accordait son assistance, et les mêmes commissaires
poursuivaient en justice jusques au paiement défi
nitif les prétentions de ce pauvre, l’œuvre faisant
toutes les fournitures nécessaires pour les frais du
procès.
Les instances en séparation de corps et les affaires
dont la solution dépendait d’une enquête étaient re
jetées , à moins que l’enquête n’eût déjà été faite.
Toutes actions de regrès étaient aussi repoussées , à
l’exception de celles qu’intentait la femme pour sa
dot, qu’exerçaient les mineurs pour leur légitime,
et de celle où le tiers possesseur était manifestement
acquéreur de mauvaise foi.
�— 267
Le bureau repoussait aussi les demandes des con
trebandiers , et dans aucun cas il ne fournissait,
en matière criminelle, son assistance aux accusés.
C’était là , sans contredit, une règle abominable ,
mais conforme aux principes d’une législation ar
riérée, immobile contraste avec les mœurs d'un
peuple brillant de politesse, rajeuni par l’influence
d’une douce civilisation et d’une philosophie tolé
rante.
Aux quatre principales fêtes de l’année, le bureau
s’assemblait pour conférer sur les moyens de soulager
les prisonniers ; et la seconde fête de Pâques, il
nommait deux de ses membres pour syndics et six
autres pour le service spécial des prisons pendant le
cours de l’année. Ceux qui étaient ainsi de service
devaient faire leurs visites tous les jours pour se
courir les prisonniers tant civils que criminels; ils
sollicitaient pour eux, afin de procurer aux uns leur
élargissement, et aux autres une prompte justice.
L’œuvre pouvait leur donner quelques petits rafraî
chissements et employer pour euxjusques à la somme
de quinze livres. Elle leur fournissait le combustible
et les ustensiles nécessaires, et leur distribuait des
chemises tous les dimanches.
Le bureau se faisait rembourser par les détenus ses
avances , lorsque ce remboursement ne leur causait
aucune gêne.
Aux trois principales fêtes, il donnait à tous les
�prisonniers un repas composé d’un pain blanc , d’une
demi livre de viande, d’une soupe et d’un demi pot
de vin.
Lorsqu’un de ces malheureux tombait malade,
les semainiers veillaient à ce qu’il fût soigné con
venablement ; et, s’il venait à mourir, tous les
membres de l’œuvre, portant chacun un flambeau
armoirié, accompagnaient le corps à la sépulture
et faisaient célébrer un service pour le repos de
son âme. Ils procuraient aux condamnés à mort
tous les secours temporels et toutes les consolations
religieuses. 4
Les Capucins faisaient le service des prisons de
Marseille, et l’un d’eux y disait la messe les diman
ches et les jours de fête. 2 Par testament du 28 sep
tembre 1707, Jean Lesueur leur légua 600 livres
pour une si bonne œuvre.3Les Cordeliers partageaient
ce service avec eux. 1
1. Règlem ents du bureau charitable établi dans la ville de Marseille
pour le soulagement des pauvres Prisonniers et le secours des pauvres
qui sont opprimés par des procès injustes , ou qui n’ont pas de quoi
poursuivre leurs légitim es prétentions. M arseille, de l’imprimerie de
Jean-Pierre ürebion , in-18 de 46 pages. Passim.
2. Livre trésor 6 de l'hôpital Saint-Esprit et Saint—Jacques-de—Galice
de M arseille, 1 7 1 3 -1 7 1 7 , fol. 189 et su iv ., aux archives de l’HôtelDieu.
3. Livre trésor P du même hôpital, 17 6 8 -1 7 7 7 , fol. 158 recto et
verso , aux mêmes archives.
4. Reglem ents de bureau charitable ci-dessus cités, art. 1 5 , p. 26.
�269
Le jeudi-saint, les pénitents de Saint-Martin dis
tribuaient quelque argent aux pauvres prisonniers ,
et la congrégation de Saint-Jaume leur faisait une
aumône tous les dimanches.1
Après la dernière audience qui précédait la quin
zaine de Pâques , le lieutenant-général civil visitait
les prisons, accompagné du procureur du roi, du
greffier et des syndics du corps des procureurs.2
Les fonds de fœuvre des pauvres prisonniers et op
pressés provenaient des quêtes, des legs pieux, du pro
duit des troncs placés à la Bourse et au Palais de Jus
tice. Entre autres bienfaiteurs de cette œuvre, je dois
citer la dame Bateline, 3 la dame de Bastin, 4la dame
Degail, 5 le riche Louis Borely, Gla Dlle Jouvene et
1. Mêmes reglem ents, articles 18 et 1 9 , p. 27 et 28.
2. Registre des créations et audiances des roys de Bazoche de la pré
sente ville et cité de M arseille, com mencé l’an 1588. Grand in-4° ma
nuscrit, fol. 142 recto, aux archives delà communauté des avoués de
Marseille.
3. Registre 4 des délibérations du bureau de l’œuvre de Notre-Damede-M iséricorde, de 1680 à 16 84, fol. 1 recto, aux archives du bureau
de bienfaisance.
4 . Registre 5 des délibérations du même bureau , de 1685 à 1694 ,
fol. 95 recto.
5. Registre 9 des délibérations du même bureau , du 8 mai 1734 au
17 novembre 1747, fol. 123 recto.
6. Registre marqué Q des délibérations du bureau de l’Hôtel-Dieu
de Marseille, du 5 septembre 1765 au 20 juillet 17 73, fol. 15 verso et
16 recto, aux archives de l’Hôtel-Dieu.
�la veuve üor. 1 Le bureau plaça plusieurs capitaux
sur la communauté de Marseille à constitution de
rente. 2
Quelques années avant la révolution de 1789 on
comptait ordinairement plus de cent prisonniers dans
la conciergerie du palais de justice qui ne pouvait en
contenir plus de cinquante. Les détenus pour dettes
étaient confinés dans des chambres obscures où leurs
lits tenaient à peine , et ces infortunés avaient sans
cesse devant leurs yeux le spectacle humiliant des
criminels avec lesquels ils étaient presque confondus.
En 1766 et 1769, la ville améliora quelque peu l’édi
fice , 3 mais elle ne remédia au mal que d’une ma
nière incomplète. Le palais de justice n'en resta pas
moins incommode, exigu, indigne d’une ville opu
lente. L’air ne circulait qu’avec peine dans une cour
étroite. Le séjour des prisons était des plus malsains.
1. Registre 183 des délibérations m unicipales, année 1 7 8 2 , fol.
34 et 55 recto et verso , aux archives de la ville.
2 . Voyez les actes des 2 mai 1771, 14 mars 1775, 2 décembre 1779.
dans le registre 172 des délibérations m unicipales, année 1771, fol. 27
recto et verso, et 28 recto ; registre 176 des mêmes délibérations,
année 1775 , fol. 23 recto et verso ; registre 180 des mêmes délibéra
tion s, année 1 7 7 9 , fol. 230 verso et suivants, aux archives de la
ville.
5. Registre 167 des délibérations m unicipales, année 1766, fol. 190
recto et verso , et 193 verso. — Registre 170 des mêmes délibérations,
année 1 7 2 9 , fol. 17 verso, 30 verso, 45 verso et 46 recto, aux
archives de la ville.
�Il fallait les agrandir ou en établir d’autres ailleurs
pour les prisonniers civils
Le 25 avril 1788 , le maire de Marseille proposa
au conseil municipal d’acquérir deux maisons à la
Grand’Rue et deux autres à la rue de la Taulisse
pour l’agrandissement des prisons. Le conseil ajourna
sa délibération jusqu’à la production du plan et du
devis.1 Le 1er août suivant, il reprit la discussion
de ce projet et nomma une commission pour lui en
faire un rapport. ’2 Enfin , le \ 1 novembre il délibéra
d’acquérir tractativement les deux maisons de la
Grand’Rue.3L’affaire cependant en resta là. Le projet
d’agrandir les prisons de Marseille fut repris, le 5
novembre 1790 , par le conseil général de la commune
qui le considéra comme des plus urgents et en auto
risa la dépense évaluée à 30,315 livres.1 La révolu
tion , dans son cours rapide, emporta ce projet,
comme tant d’autres choses qui ne résistèrent pas à
sa violence. 5
1. Registre 189 des délibérations municipales, année 1788, fol. 94 et s.
2. Même registre 1 8 9 , fol. 165 et suiv.
5. Même registre 1 8 9 , fol. 206 verso et 209 recto.
4. Registre 1 des délibérations du conseil général de la commune
de M arseille, du 20 juillet 1790 au 11 mai 1792, p. 119 et 1 2 0 , aux
archives de la ville. — Voyez aussi la séance du 4 décembre su ivan t,
même registre, p. 152 et 153.
5. Le projet fut définitivement abandonné le 11 mai 1792. Voyez
le registre 1 des délibérations du conseil général de la commune de
Marseille, du 50 juillet 1790 ou 11 mai 1792 , p. 508 et su iv ., aux
archives de la ville.
�— 27 2 —
En 1789, l’évêque de Marseille, président né de
toutes les institutions de bienfaisance, était, comme
précédemment, à la tête du bureau charitable pour
les pauvres prisonniers et oppressés. Mais c’était là
une présidence plus honorifique que réelle. L’œuvre
comptait alors soixante-neuf membres parmi lesquels
figuraient la plupart des magistrats de Marseille, les
avocats Berrin, Lavabre, Richard , Vitalis, Boisson,
Chery, Dageville, Villecrose et quelques autres. Rigordy, alors établi à la Martinique, et de Pastoret,
maître des requêtes, membre de l’académie des
inscriptions et belles-lettres à Paris, tous les deux
avocats de Marseille et anciens directeurs de l'œuvre,
continuaient d’être inscrits sur la liste qui portait
aussi les noms de Mathieu Olive, curé de SaintFerréol ; du prêtre Joseph Pastoret ; des notaires
Estuby et Cousinéry ; des procureurs Émerigon , Bar
thélemy Estuby et Rolland. Le marquis de Candole ,
le comte du Caire de Lausel, Beranger de la Baume,
de Campou, de Combis , Michel de Léon , Ollivier de
Puget, d’Ortigue , étaient aussi de l’œuvre qui comp
tait encore dans son sein quelques négociants et
quelques bourgeois. Les travaux de cette œuvre
étaient assez obscurs et semblaient expirer dans l’in
différence et l’oubli.1
Ailleurs était l’esprit de vie. Tout tressaillait dans
i . Almanach historique de M arseille, pour l’année 1790 , p. 119
et suiv.
�- 273 —
l’enfantement d’un nouvel ordre de choses. C’était la
fête de la liberté, de la parole ardente , de la pensée
enthousiaste, des élans généreux, des enchantements
patriotiques, et la jeunesse marseillaise venait de
s’assembler sous les drapeaux d’une milice citoyenne.
Elle avait adopté cette devise des plus nobles cœurs :
Indépendance et Charité. Deux officiers, Joseph-Paul
Ollivier et Vincent-Guillaume Carie, prononcèrent un
mot qui circula dans tous les rangs comme une étin
celle électrique : Délivrance des prisonniers civils !
et soudain un quête fut organisée dans la ville. On
adjoignit Basile Samatan et Raymond fils aîné à
Ollivier et à Carie, en qualité de commissaires. JeanPierre d’Isnard, ancien maire de Marseille , fut leur
trésorier. La quête à domicile produisit 13,759 livres
16 sous. Celle que l’on fit à la Bourse rendit 1 ,679 li
vres 8 sous. La recette d’une représentation théâtrale
au profit de cette bonne œuvre fut de 2,754 livres
12 sous. Un bienfaiteur anonyme donna 600 livres;
d’autres sommes s’élevant ensemble à 528 livres fu
rent remises par plusieurs citoyens , et les commis
saires de la jeunesse citoyenne purent ainsi disposer
de 19,321 livres 16 sous.
Il y avait à la conciergerie douze prisonniers pour
dette. Les commissaires prirent des arrangements
avec leurs créanciers, et l’acte d’élargissement fut
passé, le 16 juin 1789, dans l’hôtel d'Isnard , à la
rue Armeny. La somme de 706 livres, provenant de
TOME II.
4
48
�—
274
—
la quête et restant sans emploi, fut remise à Agarrat,
trésorier du bureau charitable, pour servir plus tard
à la délivrance d’autres prisonniers.
1 Extrait d’acte d’emploi da produit de la quête faite par l’œuvre
bienfaisante de la jeunesse citoyenne de Marseille, pour les prisonnier
S , T e 16 juin 1789, in-do de 11 pages. Marseille, chez. PierreAntoine Favet.
�CHAPITRE XI.
ŒUVRE DR LA RÉDEMPTION
D IS
PAUVRES ESCLAVES.
I.
Fondation des Trinitaires institués pour le rachat des esclaves. — Ils
négligent bientôt l’œuvre de la Rédemption. — Marseille souffre
beaucoup des ravages des corsaires d’Afrique. — Nombreux détails
à ce sujet. — Actes de piraterie commis aussi par des chrétiens.—
Le dey d’Alger à Marseille. — Mesures prises pour la délivrance
des esclaves marseillais. — Mauvaise foi des Barbaresques. —
Nouvelles pirateries de leur part. — Expédition de Gaspard Dot. —
Le peuple de Marseille massacre plusieurs Maures. — Ambassade
de Christophe de Vento à Constantinople. — Rien n’arrête le cours
des pirateries barbaresques.— Esclavage de François de Vintimille.
— Aperçu sur la marine de Marseille. — Heureuse expédition de
Vincheguerre à Tunis. — Les communautés de Provence concou
rent aux frais d’armement contre les corsaires. — Traité de paix
avec les Algériens qui le violent bientôt. — Mission de Sanson
Napollon à Constantinople. — Rachat d’un grand nombre d’es
claves en vertu du traité du duc de Beaufort. — Nouveau concours
des communautés de Provence dans la rançon des captifs. - L’ordre
de la Trinité reprend l’œuvre de la Rédemption négligée depuis
bien long-tem ps.
Ce qui nous étonne profondément c’est de voir les
nations d’Europe aidées de toute la puissance de la
civilisation et tolérant avec une si longue patience
les cruelles insultes des corsaires d’Afrique. Mais si
la politique ne fit pas son devoir en ces circonstances,
la religion accomplit le sien dans la mesure de ses
moyens. Elle arma des moines guerriers pour s’op-
�276 —
poser aux conquêtes de l’Islamisme en même temps
qu'elle institua d'autres moines pour briser les fers
des chrétiens captifs chez les Maures. Voltaire n’hésite
pas à reconnaître que le nom d’héroïque convient aux
Trinitaires de la rédemption des esclaves, 1 qui sont,
avec les frères de Saint-Jean-de-Dieu, les seuls moines
utiles.2
On sait que l’ordre des Trinitaires fut fondé, vers
la fin du douzième siècle , par Félix de Valois et par
Saint Jean de Matha, gentilhomme provençal3 dont la
mère, Marthe de Fenoillet, était marseillaise. 4 Vers
l’année 1202 , de Matha établit son ordre à Marseille/’
Les commencements furent heureux et bien des
chrétiens, qui gémissaient dans l’esclavage, lui du
rent leur délivrance. Mais , au milieu des vicissitudes
qui changent incessamment les choses humaines, les
meilleures institutions ont des alternatives de force
et de faiblesse , et nous avons à nous mettre en garde
contre l’éloge aussi bien que contre le blâme, car il
1. Essai sur les mœurs et l’esprit des nations , chap. 159.
2. Dictionnaire philosophique, t. v u , p. 57. Paris, 1825. Édition de
Baudouin Irères.
3. Histoire des Ordres monastiques, religieux et militaires. Paris ,
1714., t. 2, p. 310 et suiv.— Biographie universelle ancienne et moderne,
t. 27, p. 437 et 438.
4. Ruffi. Histoire de Marseille, t. 2 , p. 6 2 .— Àchard Histoire des
Hommes illustres de la Provence, ancienne et moderne , 1 .1, p. 414.
5. Ruffi. Loco cit. — L’antiquité de l’Eglise de Marseille et la suc
cession de ses évêques, t. 2 , p. 13 et suiv. — Honoré Bouche. Histoire
chronologique de Provence , t. 2 , p. 189.
�— 277
est difficile de faire la juste part de l’un et de l’autre
dans les jugements historiques où tant de préventions
et de fausses croyances conspirent contre la vérité.
Cependant nous pouvons dire ici, sans crainte de
nous tromper, que les Trinitaires, oubliant bientôt
leur origine, négligèrent beaucoup l’œuvre de la
Rédemption des captifs, soit que leur zèle se fût re
froidi , soit que les ressources leur manquassent.
Nous en puisons la preuve dans l’aveu même des re
ligieux de cet ordre. 1
Marseille fut une des villes de la Méditerranée qui,
durant tout le moyen-âge, souffrirent le plus des
brigandages des corsaires de la Barbarie, parce que,
à l’exception de très rares époques, elle n’eut pas
une marine militaire assez forte pour assurer la
protection de ses intérêts commerciaux. Ses statuts
municipaux exigeaient que tous les navires marseil
lais , chargés de marchandises , eussent au moins
deux arbalètes et toutes les munitions nécessaires à
leur défense.2
Bertrand Bonafous , l’un des citoyens les plus dis
tingués de Marseille, était esclave à Bougie en 1221,
Comme il n’avait pas assez de fortune pour payer
1. La royale confrérie de l’ordre de la Très-Sainte-Trinité et rédemp
tion des captifs. Par le R . P. Rémond de Pallas, religieux delà con
grégation réformée dudit ordre. Marseille , chez Charles Brebion ,
1 6 6 7 , p. 156.
2. Statuta civit. Massil. lib. 4 , cap. 1 9 , de garnisonibus in navibus
portandis , aux archives de la ville. Voyez aussi François d’A ix, p. 462.
�sa rançon, le conseil de ville lui fit un don à l’aide
duquel il sortit de captivité. 1 En 1314 , les Marseil
lais obtinrent, après bien des efforts, la délivrance
de Hugues de Servières, Charles Atalphi, Philippe
Poderosi et Pierre Vincent, gentilshommes de Mar
seille , que le chef de Bougie détenait esclaves avec
plusieurs marchands et marins de la même ville.
Nous voyons qu’à cette époque les corsaires barbaresques infestaient les mers de Marseille et que cette
ville obtint du roi Robert le moyen de fortifier l’en
trée du port et d’armer un vaisseau ou une galère
pour se défendre contre les forbans 2 qui n’étaient
pas toujours des musulmans d’Afrique , car des
pirates chrétiens insultaient aussi les côtes de Pro
vence et commettaient des déprédations. En 1326,
ils eurent l’audace de prendre plusieurs habitants de
Marseille dans les eaux de cette ville.3
L’institution de charité dirigée, sous le titre d’attmône, par les patrons pêcheurs de Marseille, était
assez riche, en 1385, pour acheter une galère des
tinée à repousser les corsaires. *
Des pêcheurs destinaient une partie du produit de
leur pêche aux pauvres esclaves de la Barbarie et au
1. Ruffi. Histoire de Marseille , t. 1 , p. 104- et 105.
2. Même ouvrage, t. 1 , p. 157.
5. Registre des délibérations du conseil municipal de Marseille,
1325-1326, sans pagination chiffrée, séances du 5 juin , du 23 du
même mois et du 3 août 13 26, aux archives de la ville.
2. Ruffi. Histoire de Marseille, t. 2 , p. 113.
.;»•
�— 279 —
soulagement d’autres malheureux. Un règlement fait
par le corps entier et confirmé par le conseil de ville
le 13 octobre 1431 leur défendit de se livrer à
de pareils actes de charité sans la permission des
prud’hommes, 4 le corps voulant sans doute régula
riser ces aumônes.
Ces pêcheurs , quand ils sortaient du port, étaient
exposés aux plus grands dangers de la part des en
nemis. Une ordonnance de police , du 13 juin 1318,
leur fit défense, sous peine de 23 livres d’amende ,
d’allumer des feux en mer, 2 et renouvela sur ce
point les dispositions de la loi romaine qui ne voulait
pas que de pareils feux trompassent les navigateurs
pendant la nuit. 3 Plus tard , une délibération du
conseil municipal de Marseille , prise en exécution
d’un arrêt rendu par la cour souveraine de Provence
le 3 juillet 1504, défendit à tous les pêcheurs de
cette ville , sous peine d’une amende de cinquante
marcs d’argent fin , de pêcher, la nuit, à la clarté
1. Item que nengun pcscador non ausi pescar per los paures de Barbaria ni per aultra almorna censa licencia del prodomes catre elegudos
cascun an. Grand parchemin coté n° 1 contenant l’acte passé le 15
octobre 1431 par le notaire Raimond Bidandi, aux archives de la
prud’hommie de Marseille.
2. Mandament es...... que nigun pescador non dévia fogairagar de
nueg sotz pena de xxv lib. per cascun. Registre des délibéralions du
conseil municipal de Marseille, 13 18-1 319 , sans pagination chiffrée,
in fine , aux archives de la ville.
5. Voy. ces textes dans le commentaire des statuts de Marseille par
François d'Aix , p. 387.
�des lumières qui donnaient aux corsaires le moyen
de s’emparer d’eux.1
Au commencement du seizième siècle il n’y avait
sur mer aucune sécurité, et les actes de piraterie,
commis par des chrétiens aussi bien que par des
mahométans, continuaient d’être nombreux. 2
Au mois de décembre 1528 , les états de Provence
rassemblés à Aix, supplièrent le roi d’obtenir du
grand-maître des chevaliers de Rhodes 3 qu’il entre
tînt quatre galères sur les côtes de Provence et qu’il
eût à les tenir nettes des Turcs , attendu que cet ordre
avait été institué pour la défense des chrétiens contre
les infidèles et qu’à ce sujet on lui avait donné de
grands biens en France.4
1. Non sine eorumdem piscatorum maximo periculo propter hinumanos turcos et moros et alios fidei chrisliane inimicos dicta inaria dé
vastantes qui facillime cum istis luminibus quibus piscantur subdictos
regios capiunt et possunt capere inibetur omnibus et singulis piscaloribus ne abinde in antea piscari présumant aliquo modo de riocie cum
lu m in e.... Sub pena quinquaginta marchorum argenti fini. Description
des pesches, lois et ordonnances des pescheurs de la ville de Marseille.
Manuscrit grand in-4° de Jean-André Peyssonsl, p. 4 9 , aux archives
du corps des patrons pêcheurs de Marseille.
2. Item pour obvier à plusieurs larcins et maulx qui se commettent
chascun jonr par aucuns vaccabons et gens de mauvaise sorte sur la mer
qui y pillent, robent et destroussent tout ce qu’ils trouvent à leur
advantaige, etc. Ordonnance par leroy François, du mois dejuillet 1517,
sur lefaict de la marine, à la suite de l’ordonnance de Provence. In-4°,
Lyon, 15 56, loi. 1 0 5 recto.
3. Appelés d’abord de Saint-Jean-de-Jérusalem et plus tard de Malte.
4. Manuscrit intitulé : Mémoires pris en divers lieux pour les affaires
du pays du Provence, grand in-4° en ma possession, fol. 8 verso.
�Les Marseillais, usant de représailles, réduisaient
en esclavage les Maures qui, de temps à autre , tom
baient en leur pouvoir. En 1562, il y en avait soixante
aux galères. La ville de Marseille, craignant les me
naces des Algériens, mit en liberté tous ces esclaves.1
La malheureuse expédition de Charles-Quint contre
les pirates d’Alger, en 1541 , avait surexcité leur
esprit de rapine et fourni un nouvel aliment à leur
haine superstitieuse.2 On employait tous les ména
gements dictés par la politique et par la peur pour
adoucir les barbares d’Afrique, et ces moyens dont
notre dignité était blessée ne désarmaient presque
jamais des hommes avides de butin dont la vie aven
tureuse et guerrière ne s’écoulait que dans des exer
cices de brigandage. En 1583 , le dey d’Alger arriva
avec vingt-quatre vaisseaux à Marseille où il fut bien
reçu. Henri d’Angoulême, gouverneur de Provence,
lui déclara que les sujets du roi avaient beaucoup
souffert et souffraient encore tous les jours des courses
des corsaires. Le dey promit d’y mettre si bon ordre à
l’avenir que Marseille n’aurait aucun sujet de plainte.
Mais à peine le barbare fut-il parti qu’il pilla six
barques marseillaises et blessa la plus grande partie
des marins qui les montaient.3
Au mois de juillet 1584 le dey d’Alger parut dans
1. Ruffi. Histoire de Marseille , t. 1 , p. 341 et 342.
2. Robertson. Histoire de Charles-Quint, livre 6 , dernières pages.
3. Ruffi. Histoire de Marseille, t. 1, p. 554.
�les eaux de Marseille avec quelques galères sur les
quelles ramaient plusieurs Marseillais mis à la chaîne
comme esclaves. C’est ce que le premier consul Fran
çois de Glandevès exposa au conseil municipal le 11
du même mois. Il ajouta que le dey d’Alger exigeait
le paiement d’une rançon évaluée au moins à huit
cents écus pour le rachat de ces captifs dont la plupart
étaient pauvres et qu’ils suppliaient la communauté
d’employer ses fonds à une si bonne œuvre. Le pre
mier consul dit encore que la caisse municipale était
vide et que le produit de la ferme des gabelles de
vait assurer le paiement des dettes de la ville, suivant
les arrêts du parlement d’Aix, « de manière qu’il est
» requis de trouver des deniers par quelque bon
» moyen, et bien promptement, veu que lesdits Turcs
« s’en veullent aller. »
L’assemblée délibéra d’emprunter des fermiers de
la gabelle d’alun la somme de cinq cents écus et de
faire une quête dans la ville pour le remboursement
de cette dette ; qu’en cas d’insuffisance , le solde
serait pris sur les fonds communaux. Le conseil
choisit dans son sein seize quêteurs. *
Encouragés par le succès, les Barbaresques ne
tardèrent pas à faire des courses dans les mers de
Marseille. En 1586 , des corsaires de Tunis prirent
1. Registre des délibérations du conseil municipal de M arseille, du
mois de novembre 1583 au mois d’octobre 15 85, fol. 91 verso et 92
recto, aux archives de la ville.
�trois vaisseaux Marseillais chargés de riches mar
chandises. Ce fut dans ces circonstances que le duc
d’Épernon vint prendre possession de son gouverne
ment de Provence , et le 22 septembre , à la prière
des consuls de Marseille, il écrivit d’Aix au roy de
Tunis pour obtenir de lui la délivrance des prison
niers et la restitution des marchandises. 1 Le 10 oc
tobre suivant, d’Épernon réclama justice auprès du
royd'Arger au sujet d’un acte de piraterie commis
par des Algériens qui venaient d’enlever une barque
du lieu de Sixfours, et sur laquelle ils avaient fait
un assez riche butin.2
Les corsaires d’Afrique se moquèrent du duc d’É
pernon qui ne pouvait rien contre eux , bien que le
roi lui eût donné toutes les attributions de l’amirauté
du Levant, 3 et quatre galères africaines vinrent
meme , en 1588 , mouiller près de Pomègues. C’était
un grand dommage et une grande honte pour la ville
de Marseille qui s’empressa d’armer cinq vaisseaux
sous le commandemaut du capitaine Gaspard Dot,
lequel alla combattre les ennemis avec tant de cou
rage qu’il prit trois de leurs galères. Quinze hommes
seulement s’enfuirent à la nage en l’île de Pomègues.
1. Recueil de mémoires et instructions servant à l’histoire de France.
ln-4°, Paris, 16 26, p. 80 etsuiv.
2. Même recueil, p. 140 et 141.
o . Voy. le texted ela commission royale, à la date du 14juin 1586,
dans le même recueil, p. 10 etsuiv.
�La quatrième galère se sauva à force de rames. Le
lendemain Gaspard Dot s’empara des quinze fuyards
et les dirigea sur Marseille. Mais à peine furent-ils
entrés dans le port que le peuple en fureur se rua sur
eux, en massacra quelques-uns dans la barque et
les autres dans les flots où ils se jettèrent. Un de
ces malheureux apparaissait un moment sur la face
de l’eau, plongeait ensuite , apparaissait encore, et
après plus d’une heure de lutte désespérée , il fut tué
d’un coup de mousquet. 1
Les corsaires d’Afrique, continuant leurs pirate
ries, dépouillèrent près de Saint-Tropez, en 1589,
un marinier de Marseille nommé Sardous auquel la
confrérie de Notre-Dame-de-Miséricorde donna l’au
mône d’un écu trente-cinq sous.2
A cette époque, les marchands de la Normandie
considéraient un voyage maritime à Marseille comme
non moins lointain et non moins dangereux que ceux
de Guinée et du Brésil, 3 sans doute à cause de la
1. Ruffi. Histoire de Marseille , t. 1 , p. 374.
2 .1 0 déoenbre 1589. Avons ballé i v. 55 s. au pouvre marinier Sardou
qui avoyt esté despoullé par les Turcs auprès de Saint-Troupés. Grand
livre B pour la confrérie des sept huvres de Miséricorde à M arseille,
1578-1611, manuscrit in-folio , fol. 195 recto , aux archives du bu
reau de Bienfaisance.
3. C’est ce qu’on peut induire du Guidon de la mer, fait à Rouen
dans la seconde moitié du 16e siècle. Valin attribue cet ouvrage à
Cleirac. ( Nouveau Commentaire de l’ordonnance de la marine du mois
d’août 1681, préface, p. xv.) Mais Pardessus déclare que l’auteur en
est inconnu, et que, d’après diverses conjectures, le Guidon a dû être
�— 285 —
multitude de pirates qui infestaient la Méditer
ranée. 1
Il y avait à Marseille un homme d’un mérite dis
tingué qui appartenait à l’une des principales familles
de cette ville et exerçait auprès du roi Henri III la
charge de gentilhomme ordinaire. C’était Christophe
de Yento. En 1589 , le roi l’envoya en ambassade à
Constantinople pour traiter avec le grand Seigneur
des affaires importantes et principalement pour ar
rêter les courses des corsaires qui désolaient le com
merce marseillais.2
La mission de Christophe de Yento n’eut aucun
succès. Celle de Louis Cabre, premier consul de
Marseille, envoyé, en \ 602 , auprès d’Henri IV, pour
le supplier d'empêcher par des moyens efficaces la
piraterie des Barbaresques , 3 ne réussit pas mieux.
Ces intrépides écumeurs de mer n’avaient guère que
cette industrie. Comment y eussent-ils renoncé?
C’était, pour ainsi dire , la base de leur constitution
sociale.
Un des premiers gentilshommes de Provence ne
rédigé de 1556 â 1584. ( Collection des Lois maritimes antérieures au
dix-huitième siècle. Paris, 1831, t. 2 , p. 371 et 372.
1. Traité des assurances et contrats à la grosse, par Emerigon.
Marseille , 1783 , t. 2 , p. 267.
2. Ruffi. Histoire de Marseille , t. 2 , p. 384.
3. Registre 24 des délibérations du conseil municipal de Marseille ,
du mois de novembre 1599 à la fin d’octobre 1606 , fol, 290 recto, aux
archives de la ville.
�—
280
—
tarda pas à éprouver la cruauté de ces barbares. Le
chevalier de Malte François de Vintimille, des comtes
de Marseille, 1 fit, en 1606 , avec quelques galères
de cet ordre, une descente sur les côtes de la régence
de Tunis. Sa troupe, accablée par le nombre, fut
taillée en pièces ; la plupart de ses compagnons d'ar
mes furent tués et lui-même fait prisonnier par
Morat Aga , chrétien renégat de la ville de Rennes en
Bretagne. Yintimille subit toutes les humiliations et
toutes les douleurs de la plus dure servitude. On le
conduisit à Tunis avec d’autres esclaves précédés de
vingt-cinq chameaux portant les têtes des victimes de
cette malheureuse expédition. Le bey de Tunis, re
négat sicilien , obligea Vintimille et les autres captifs
déporter ces têtes sur les murailles de son château.
Vintimille , après diverses aventures, implora la pitié
d’un renégat de Gênes, qui lui prêta quatre mille
écus pour sa rançon , sous la promesse que lui fit
Vintimille de lui en rendre cinq mille dans un an .Notre
gentilhomme, devenu ainsi libre, s'embarqua sur
une tartane marseillaise et fit voile vers Livourne où
il trouva une galère de France qui le transporta à
Marseille au mois de juin 4607. 2
1. La famille de Vintimille se dit des comtes de Marseille , je ne sais
trop pourquoi, car Marseille n’eut que des vicomtes à la seigneurie des
quels cette ville fut long-tem ps soumise.
2. L’Esclavage du brave chevalier François de Vintim ille, des comtes
de Marseille etO lieule, où l’on peut voir plusieurs rencontres de guerre
dignes de remarque. Par Henry duLisdam. Lyon, 1608, in-18 de 116 p.
�— 287
Sous Henri IY, la France n’eut pas de marine.
Elle ne put construire dans ses ports un vaisseau sans
en demander la permission à la reine Élisabeth et
le pavillon français fut obligé de saluer le pavillon
d’Angleterre.1 Le traité passé, en 1604, entre le roi
de France et l’empereur des Turcs renouvela, avec
quelques additions , les capitulations consenties , en
1535, par François Ier et par la Sublime-Porte. Ce
traité de 1604 promit au commerce marseillais des
avantages 2 qui ne se réalisèrent pas , et le sultan
ne put ou ne voulut pas faire respecter par les Bar
bares de la côte africaine les articles contre l’escla
vage des chrétiens.
En 1609, des pirates bloquaient le détroit de Gi
braltar. Nicolas de Beaulieu, marquis de Razac , se
mit à la tête de quelques navires, et concevant le
plus hardi dessein qu’on pût imaginer, il alla brûler
leurs vaisseaux dans le port de Tunis. 3
Avant cette époque, les galères de Marseille n’a
vaient appartenu le plus souvent qu’à des citoyens
opulents de cette ville. Il y en avait trois en 1368.
L’une était au notaire Jean Audibert ; l’autre à Martin
Hélie et à Sauveur Austrie; la troisième avait pour
1. H istoire des F rançais des divers é ta ls , par M onteil, 5e édition ,
4 e volum e, p. 290 et les notes H 7 et 118 à la page 554.
2. Voy. le texte de ce traité à la suite de la seconde édition du
Consulat de la mer. A Aix , par Étienne David. 1635.
5. H istoire héroïque et universelle de la noblesse de Provence . par
A rtefeuil, t. 5 , p. 29 et 30.
�propriétaire Beranger. 1 Quelque temps après, c’està-dire dans les dernières années du règne de la reine
Jeanne , il y eut à Marseille un assez grand nombre
de galères dont la reine possédait une partie, et
l’autre au nombre de dix appartenait à autant de
Marseillais. On vit alors dans le port de Marseille
une galère française. 2
En 1487, après la réunion de la Provence à la
couronne de France, Pierre d'Urfé, grand écuyer
du roi Charles VIII et sénéchal de Beaucaire , fut
chargé de faire construire quelques galères à Mar
seille. 3 Mais il ne paraît pas que l’on donna suite
à ce projet. En 1525 , treize galères sortirent des
chantiers de Marseille, quatre pour le baron de SaintBlancard , quatre pour André Doria, trois pour Ra
phaël Rostang et deux pour le frère Bernardin , che
valier de Saint-Jean-de-Jérusalem.1 En 1533, le port
de Marseille eut jusqu'à dix-huit galères royales.
1. Registre de Jean Audibert, notaire, contenant les délibérations
e lle s actes du conseil municipal de Marseille en 1367 et 1 3 6 8 , iu -4u
sans pagination chiffrée, aux archives de l’Hôtel-Dieu de cette ville.
2. Rufli. Histoire de Marseille, t. 1 , p. 214.
3. Histoire de la ville de Montpellier , par Charles d’Aigrefeuillc ,
in-fol. Montpellier, 1737, p. 590.
4. Manuscrit cité, par Honoré Rouelle, dans son histoire de Pro
vence , t. 2 , p. 554.
5. Le cérémonial François, contenant les cérémonies observées en
France aux sacres et couronnements de roys et reynes, comme aussi
à leurs entrées solennelles, etc., recueilli par Théodore Godefroy et mis
en lumière par Denis Godefrey. Paris, 1 6 4 9 , t. 1 , p. 820.
�— 289 —
Appartenaient-elles toutes à François Ier? c’est ce
qu’il est difficile de savoir. En 1544, le baron de la
Garde amena de Marseille huit galères pour l’expé
dition de Boulogne qui était tombé au pouvoir des
Anglais et que François Ier voulait reprendre. 1 On
construisit de nouvelles galères à Marseille et le baron
de la Garde en fit passer vingt-cinq dans l’Océan pour
combattre la flotte ennemie. Tant de galères de Mar
seille dans cette mer furent considérées comme la
merveille de l’art naval.2
Dix galères marseillaises furent employées dans
Texpédition de Louis XIII contre la Rochelle en 1622.3
Mais la marine française fut affaiblie deux ans après
par le transport d’armes et par la fuite de plusieurs
maîtres de vaisseaux en pays étranger. *
Marseille , abandonnée à ses seules ressources ,
eut à pourvoir à sa défense. En 1616, les prises des
corsaires sur le commerce de cette ville furent de
quinze à dix-huit cent mille livres. Elle fit alors un
suprême effort, et donna à Vincheguerre, chevalier
de Saint-Jean-de-Jérusalem, le commandement d’une
expédition de cinq vaisseaux de guerre, de deux bâ1. H istoire de la ville de la Rochelle et du p a ys d ’A u ln is , par Arcère
de l’Oratoire. Paris, 17 56, t. 1 , p. 31.
2. H istoire m aritim e de France , par Léon Guérin, 2e édition. Paris ,
1 8 4 4 , t. 1 , p. 193.
3. A rcère, ouvrage cité, t. 2 , p. 1 8 5 etsu iv .
4. Recueil de pièces concernant la compétence de l’amirauté de France.
Paris, 1759. U n v o l.in -1 2 , p. 79.
TOME II.
19
�timents de transport et de 1,500 soldats. 1 Vincheguerre obtint des Tunisiens une paix avantageuse ; 2
et la même année, Marseille vit arriver dans son
port trente-sept esclaves français et vingt-deux autres
l’année suivante.3 Ils venaient tous de Tunis et on
les avait échangés contre des mahométans captifs
en France. A cette époque il y avait encore à Tunis
et à Alger trois cents esclaves français dont un grand
nombre furent rachetés en échange des Turcs qui
étaient au pouvoir du général des galères de France,
du duc de Montmorency et de plusieurs capitaines
provençaux, parmi lesquels on comptait de Piles, de
Gerente, de Montolieu et de Gasquy. La rançon ,
fixée à 300 livres pour chaque Turc, fut mise à la
charge de la ville de Marseille , ainsi que d’autres
dépenses qui montèrent ensemble à 65,000 livres. 4
Les Tunisiens violèrent le traité de paix , et au
mois de mars 1620, des corsaires de cette régence
s’emparèrent du Saint- Victor, vaisseau marseillais
commandé par le capitaine Maurenc , dit Fréjus, et
1. Ruffi. Histoire de Marseille, t. 1 , p. 460.
2 . Le traité de la paix faicte avec les Marseillois et le Grand Turc en
Barbarie , ensemble la délivrance d’un grand nombre de chrestiens
esclaves, le tout faict avec la conduite de Monsieur de V incheguerre,
colonnel audit voyage, etc. A A ix, par Jean Courraud et Philippe Goignat, 1 6 1 6 , in-12 de treize pages.
*
3. Registre 129 des délibérations du conseil municipal de M arseille,
du mois de novembre 1616 au mois d’octobre 1 6 l8 , fol. 113 recto et
su iv ., 116 et su iv ., aux archives de la ville.
4. Même registre 1 2 9 , fol. 137 et suiv.
�291
chargé de coton , de soie et d’autres marchandises
précieuses d’une valeur de 800,000 livres. 1 A cette
nouvelle, une agitation des plus violentes régna dans
Marseille, et, le 14 , une populace furieuse massacra
plusieurs Turcs esclaves. Le lendemain, le conseil
municipal délibéra sur cet évènement et députa de
Montolieu à la cour.2
Comme les armements marseillais contre les cor
saires de la Barbarie profitaient à toutes les villes
maritimes de Provence , il y eut, en 1625, un règle
ment qui fixa leur concours particulier dans ces dé
penses. L’indemnité payable à la ville de Marseille
fut cle cent dix mille livres. 3
En 1623 , Sanson Napollon, l'un des principaux
citoyens de Marseille et l’un des plus instruits dans
les affaires du commerce, avait été envoyé par le roi
à Constantinople pour se plaindre au grand seigneur
des avanies dont le pacha de Tripoli accablait les
Français qui allaient y négocier. 1 En même temps
Marseille députa à la cour de France le premier consul
Jean-Louis-Antoine de Glandevès et Louis de Cabre,
1. Registre 50 des délibérations du conseil municipal de M arseille,
du mois de novembre 1618 au mois d’octobre 1620, fol. 154 verso et
su iv ., 143 recto et verso, 145 verso et 146 recto.
2. Même registre 5 0 , fol. 127 recto et 148 recto.
3. Ruffi. Histoire de Marseille, t. 1 , p. 473.
4. Délibération du conseil munieîpal du 22 novembre 1623 dans le
registre 55 du mois de novembre 1623 au mois d’octobre 1 6 2 5 , fol.
8 recto.
�— 292 —
sieur de Saint-Paul, pour demander assistance contre
les Barbaresques qui ravageaient ses mers jusques
aux îles d’Hyères.1 De son côté , le parlement de
Provence envoya des députés au roi pour le supplier
de protéger le commerce de ses sujets et d’achever
les fortifications d’Antibes et de Toulon. 2
Par délibération du 21 mars 1625, le conseil mu
nicipal de Marseille donna pouvoir à Pierre Eyguesier,
l’un des députés du commerce, d’emprunter jusques
à la somme de 4,500 livres pour subvenir aux frais du
traité de paix avec les Algériens que le premier consul
Louis de Yento , dans son rapport, appelle Messieurs
d'Argiers. 3 Sanson Napollon revint de Constantinople
l'année suivante , accompagné de deux chiaoux ,
pour clôturer ce traité. Comme la régence d’Alger
demandait avant tout la délivrance des musulmans
captifs sur les galères de France et encore deux ca
nons que le capitaine Dancer lui avait pris, le roi
ordonna que toutes les villes maritimes intéressées à
la paix y contribueraient de leurs deniers. Marseille
fournit soixante mille livres , plus douze mille qui
furent données à Napollon pour s’équiper, et celuici se mit en route pour Alger avec deux vaisseaux.
1. Délibération du même con seil, du 12 novembre 1623, dans le
même registre 3 3 , fol. 7 recto.
2. Forbonnais. Recherches et considérations sur les finances de France
depuis l’année 1595 jusques à l’année 1621. Basle, 17 58, t .l ,p . 1 8 0 ,
et 181.
5. Registre 33 ci-dessus cité, fol. 133 verso et 134 recto.
�— 293 —
Il y arriva le 17 septembre \ 028. Grâce à son habile
négociation , la paix fut conclue l’année suivante ; 1
. mais peu s’en fallut qu’elle ne fut aussitôt rompue ,
car un corsaire algérien ayant rencontré le navire
du capitaine Sousribe de Marseille , monté de vingtcinq hommes d’équipage et chargé de balles de soie
et d’autres marchandises du Levant, il le prit et
l’amena à Alger. Après bien des difficultés, Sanson
Napollon obtint la restitution de cette prise. Encore
fallut-il pour y parvenir, que le capitaine Sousribe
fit de grands sacrifices, les principaux membres du
divan se trouvant intéressés dans cette affaire.2
La paix n’était jamais durable avec des barbares
qui ne vivaient que de rapines. Il y avait à Smyrne ,
en 4655, beaucoup d’esclaves français. Les sujets
du roi de France dans cette échelle firent une quête
pour racheter le sieur Just. de Marseille , bon gentil
homme mais fort pauvre. Du Roure, consul de la
nation française, fournit la rançon d’un autre Mar
seillais, nommé Castagnier, qui la lui rendit quelque
temps après. 3
1. Délibération du conseil municipal de M arseille, du 17 janvier
16 28, dans le registre 35 des délibérations de celte assem blée, du mois
de février 1727 au mois d’octobre 1629 , fol. 80 et suiv. — Voyez aussi
la délibération du bureau municipal du 25 août de la même année, même
registre, fol. 125 verso et 126 recto.
2. Ruffi. Histoire de Marseille, t. 1 , p. 475, 474 et 475.
3. Mémoires du chevalier d’Arvieux, envoyé extraordinaire du roi à
la P orte, consul d’A lep, d’Alger, de Tripoli et autres échelles du Le
vant, etc. Paris, 1755, t. 1 , p. 111.
�— 294
Le traité de paix passé le 26 novembre 1665 entre
le duc de Beaufort au nom de Louis XIV et la régence
de Tunis brisa les fers de deux cent quatre-vingt-dix
esclaves français. Quatre-vingt-cinq qui n’étaient pas
de Provence furent rachetés aux dépens du roi, et un
arrêt du conseil-d’état mit à la charge des commu
nautés de ce pays la rançon des Provençaux.1 On
fixa au prix de 175 piastres par tête cette rançon
pour les uns comme pour les autres, et on les con
duisit tous à Marseille. 2
Un autre arrêt du conseil, daté de Vincennes le 7
octobre de la même année 1666, ordonna que les
esclaves originaires de Marseille et détenus à Alger
fussent rachetés aux dépens du commerce de cette
ville. Le commerce marseillais employa à ce rachat
27,000 piastres valant ensemble 81,000 livres, et on
délivra ainsi un grand nombre de captifs.
Le roi se déclara satisfait des efforts de Marseille
en cette circonstance. Il en témoigna son sentiment
par arrêt du conseil du 3 avril 1667 ; mais apprenant
qu’il y avait encore à Alger sept esclaves marseillais,
1. Voyez la délibération du conseil municipal de Marseille, du 18
mars 1 6 6 6 , dans le registre des délibérations m unicipales, fol. 68 verso
et 69 recto, aux archives de cette ville. — Voyez aussi dans le même
registre, fol. 112 verso, l’acte du 28 mai de la même année , et la
délibération du conseil du 6 septembre suivant, fol. 178 verso. —
Voyez encore la délibération du 10 janvier 16 67, dans le registre 67,
fol. 56. — Voyez enfin les fol. 58 verso, 59 recto, 164 verso du même
registre.
2. Mémoires du chevalier d’Arvieux, t. 5 , p. 546.
v
�il ordonna à Henri de Maynier, baron d’Oppède ,
premier président et commandant en Provence, de
faire payer par la ville et le commerce de Marseille
la rançon de ces esclaves, laquelle fut fixée à qua
torze cents écus payés par acte du 4 mai 1668.1
Le roi en son conseil-d’état ordonna encore, par
arrêt du 21 mars 1690 , que les consuls des commu
nautés de Provence fussent tenus de fournir les fonds
nécessaires pour le rachat de leurs compatriotes es
claves à Alger, sur les rôles envoyés par l’intendant
et sur le pied de quatre cents livres pour chaque es
clave ; en cas que les trésoriers communaux n’eussent
pas en leurs mains assez de deniers comptant pour
ces rançons, le roi permit aux consuls d’emprunter
toutes les sommes dont on aurait besoin. 2
Dès le seizième siècle, l’ordre des religieux d(
la Trinité avait repris l’œuvre de la Rédemption des
captifs, et dans le siècle suivant il accomplit cette
œuvre avec ardeur. De 1635 à 1646 il racheta à
Tunis , à Alger et dans le royaume de Maroc environ
deux cent soixante-dix esclaves français, parmi les
quels plus de trente étaient de Marseille. Au nombre
de ces derniers on distinguait André Baron, André
1. Registre 68 des délibérations du conseil municipal de Marseille ,
du mois de décembre 1667 à la fin d’octobre 1668 , fol. 138 recto et
verso , aux archives de la ville.
2. Registre 93 des délibérations du conseil municipal de M arseille,
du mois du novembre 1690 à la fin d’octobre 1691 , fol. 67 recto.
�Cocardon et Sebastien Lombard.* Le bureau de la
Rédemption de Marseille, depuis la reprise de l’œu
vre jusqu’en 1667, délivra plus de huit cents es
claves et employa à cette destination plus de soixante
mille livres , s’il faut en croire un religieux trinitaire2 porté sans doute à exagérer les services de
son institut.
1. Histoire de la Barbarie et de ses corsaires , ensemble des grandes
misères et cruels tourments qu’endurent les chrétiens captifs parmi ces
infidèles. Par le révérend père J; P. Dan, bachelier en théologie , m i
nistre et supérieur du couvent de l’ordre de la Très-Sainte-Trinité et
Rédemption des captifs, fondé au château de Fontainebleau. 2e édition,
1 6 4 9 , p. 9 , 136 et su iv ., 1 4 6 , 181, 1 9 3 , 197 et 225.
2. La royale confrérie de l’ordre de la Très-Sainte-Trinité et Rédemp
tion des captifs. Par le R. P. Rémond de Pallas, religieux de la con
grégation réformée dudit ordre, etc. M arseille, 1667, p. 156.
�CHAPITRE XII.
(ElIVRB DE LA RÉDEMPTION DES PAl'VRIiS ESCLAVKS.
II.
Extension de l’ordre de la Trinité. — Confréries des Pénitents de Mar
seille. — Coopération des religieux Trinitaires et des confrères de
la Trinité pour la rédemption des esclaves. — Divers détails à ce
sujet. — Règlem ents de l’œuvre de la Rédemption. — Sa position
financière et ses bienfaiteurs. — Ses privilèges. — Rachat d’un
grand nombres d’esclaves chrétiens. — Procession des captifs ra
chetés. — Fixation du prix de la rançon. — Délivrance de Laurent
de Vento des Pennes. — Louis de Castellane d’Esparron. Autre
rachat d’esclaves. — Derniers actes de l’œuvre.
L'ordre de la Trinité s’étendit beaucoup dans le
monde chrétien. Divisé en treize provinces, il posséda
jusqu’à deux cent cinquante couvents environ.1 Mais
les Trinitaires de Marseille étaient pauvres. Jusques
en l’année 1570, ils firent eux-mêmes dans la ville
une quête tous les samedis ou y employèrent le dé
vouement de quelques hommes pieux. Toutefois il ne
paraît pas que ces aumônes peu abondantes aient
fructifié en leurs mains. 2
4. Histoire, des ordres monastiques, religieux et militaires, etc. Paris,
1 7 1 4 , t. 2 , p. 316.
2. Recueil des transactions, lettres-patentes, arrêts du conseil du
parlement et autres pièces, pour le maintien du bureau de la rédemp
tion des pauvres esclaves de la ville de Marseille et son terroir, etc.
ln-4°, M arseille, 17 65, premières pages.
�Des secours plus efficaces leur vinrent d’un autre
côté. L’esprit, les moeurs et les besoins du moyenâge créèrent toute sorte d’associations au sein du
morcellement féodal, sous l’influence du catholi
cisme. Dans le treizième siècle, des confréries de
laïques furent instituées en Languedoc contre l'hérésie
des Albigeois.1Il s’en forma une à Marseille, en1212,
pourdéfendre l’Église et pour distribuer des aumônes.2
On a dit que ces associations ne survécurent pas à la
cause qui les avait produites ,3 mais l’incertitude me
paraît régner sur ce point.
S’il faut en croire un historien d’Avignon , la com
pagnie des Pénitents Gris de cette ville fut instituée
le 14 septembre 1225,4 et celle des Pénitents Blancs
des Martigues, que l’on disait la plus ancienne de
1. H istoire des comtes de Tolose, par Guillaume C atel, 1623, p. 253,
254 et 26 5. — Mémoires de l’histoire du Languedoc, par le même
auteur. Toulouse, 1635, p. 1 5 8 , 603 et suivantes, 895, — H istoire
d e là ville de M ontpellier , par messire Charles d’Aigrefeuille, 2e partie ,
p. 268.
2. Thésaurus novus anecdotorum , etc. Autoribus Martene et Durand.
T. 4 , p. 156 et sequent.
3 . H istoire générale de L a n g u e d o c , t. 3 , p. 207 , 402 et suiv. ,
462 , 5 1 1 , et aux preuves, p. 570.
4. H istoire chronologique de l’E g lise, Evesques et Arclievesques d’A
vignon , par François Nougdier. En Avignon , 16 60, p. 75. — M. Barjavel , dans son dictionnaire historique et biographique, t. 2 , p. 69 , à
la n ote, assigne la date de 1226 à la création de cette confrérie. —
Voy. aussi le P. Bontous, l’Auguste Piété de la royale maison de Bour
bon , sujet de l’appareil fait à Avignon pour la réception de Mer ]e duc
de Bourgogne et de Me*' le duc de Berry. Avignon , 1701 , p. 111.
�Provence, datait de 1306. 1 Une confrérie de Péni
tents Bleus fut fondée à Allauch en 1363, sous le titre
de Notre-Dame-de-Pitié.2
Vers le milieu du seizième siècle, on comptait à
Marseille huit chapelles de pénitents en pleine pros
périté. 3 Le goût, la mode , les sentiments et les
passions du temps, tout se mouvait en leur faveur.
Les chants et les exercices de ces associations reli
gieuses devinrent pour leurs membres le plaisir le
plus agréable et souvent même une des choses les
plus sérieuses de leur existence. Le choix d’une con
frérie était une grande affaire pour un jeune homme
de seize à dix-sept ans. Une fdle imposait quelque
fois à celui qui la recherchait en mariage l’obligation
de s’affdier à telle ou telle casctte * et la seule couleur
déterminait presque toujours la volonté de la jeune
capricieuse. Quelquefois aussi un futur beau-père
exigeait, comme un préliminaire indispensable, que
1. Géographie de la Provence par Aehard, t. 2 , p. 103.
2. Calendrier spirituel et perpétuel pour la ville de Marseille , avec un
état spirituel de tout le diocèse. Marseille, 17 15, p. 181.
3. Voy. Ruffi, Histoirede Marseille, t. 2 , p. 84 et 83.
4. Petit logement ou chapelle. C’est ce qu’on peut voir dans un re
gistre de la confrérie du Saint-Esprit, de Marseille, aux archives de
l’Hôtel-Dieu. Le mot de casette est en effet employé dans l’acte du 16
juin 1544 entre les religieuses de Saint-Sauveur et les pénitents du
Saint-Esprit. Ces derniers prennent six ans pour construire la chapelle
ou casette, à la charge par eux de payer tous les droits paroissiaux.
11 est dit qu’en cas de délaissem ent la casette restera à l’église des
Accoules.
�— 300
son gendre futur entrât dans la confrérie qu’il aimait
le plus. '
Les pénitents de Marseille saisirent toutes les oc
casions de parcourir pompeusement les rues et de
charmer tes yeux et les oreilles du peuple. Le 15 août
au matin , ils se rendaient en procession à NotreDame-de-la-Garde2 et faisaient quelquefois des pèle
rinages beaucoup plus longs pour visiter des reliques.3
La comtesse de Grignan décrivit à sa mère la pro
cession de la Fête-Dieu à Avignon, et Mme de Sévigné
lui répondit : « pour les pénitents, je connais cette
» mascarade qui ne laisse pas d’être belle. » 4
Les personnages les plus considérables de Marseille
ne dédaignaient pas d’endosser la robe de pénitent
et chaque famille avait sa chapelle de prédilection.
Entre les confréries de Marseille on distinguait
celle de la Sainte-Trinité et de Notre-Dame-d’Aide, la
plus ancienne de toutes, s’il faut s’en rapporter aux
titres qu’elle vient de produire 5 et que repoussent les
1 . Institution , règles et exercices des P énitents, par Molinier.
Toulouse , 1 6 2 o , ouvrage cité par Monteil dans son histoire des Fran
çais de divers états, 5e édition, t. 3 , p. 67 et suivantes, et les notes
de la page 493.
2. Registre des délibérations des pénitents réformés de Sainte-Croix.
E. a. 68. — E. a. 34. Manuscrit, à la bibliothèque publique de Mar
seille , fol. du catalogue 508 et 309,
3. Ruffi. Histoire de Marseille, t. 2 , p. 88.
4. Lettre du 26 juillet 1689.
5. Rapport sur l’origine de la confrérie des pénitents blancs de la
Très-Sainte-Trinité et de Notre-Dame-d’Aide, pour la rédemption des
�autres confréries de Marseille intéressées dans celle
question d’amour-propre. Vers l’année 1570 , les
religieux Trinilaires sollicitèrent la collaboration de
ces pénitents de la Trinité et leur remirent le soin
de la quête pour la rédemption des pauvres esclaves.
On stipula que le produit des aumônes serait mis
dans une caisse fermée à trois clés; que l’une serait
gardée par le père ministre du monastère, l’autre par
le premier prieur de la chapelle des pénitents , et la
troisième par les quatre prieurs de la même chapelle
nommés pour cette quête. 1
Lès pénitents accomplirent leur tache avec zèle ,
et comme les religieux Trinitaires virent que les au
mônes augmentaient, ils voulurent en appliquer le
tiers à leur propre couvent. Les prieurs soutinrent
au contraire qu'on devait les employer toutes au
rachat des esclaves. On porta le débat devant le grandvicaire de l’évêque de Marseille qui condamna les
Trinitaires. Ceux-ci en appelèrent devant le métro
politain d'Arles, et une transaction intervint en
l’année 1602. Par cet acte les Trinitaires s’assurèrent
sur le produit des quêtes , un pension annuelle de
60 livres pour les réparations de leur église.
En 1627, les pères de la Trinité élevèrent une noucaptifs, e tc ., par une commission spéciale. M arseille, de l'imprimerie
de Chauffard. Novembre 18 53, in-8° de 52 pages.
1. Recueil des transactions, lettres-patentes, arrêts du conseil, du
parlement, etc. Ouvrage ci-dessus cité, premières pages.
�— 302
velle prétention. La destination de la rente les gênait.
Us demandaient même une pension plus forte. Une
transaction du 7 septembre leur alloua quinze livres
de plus tous les ans et les affranchit de la condition
spéciale.
Le vicaire-général des Trinitaires , le visiteur et le
provincial, quand ils s’étaient trouvés au couvent de
Marseille, le prieur et le sous-prieur des pénitents
de la Sainte-Trinité, les quatre prieurs nommés pour
la quête, avaient jusques alors délibéré en commun ,
à la majorité absolue des voix , sur toutes les affaires
de l'œuvre de la Rédemption. Mais la transaction de
1627 organisa ce bureau sur une autre base. La
principale disposition porta que pour la fixation des
sommes destinées au rachat des esclaves il n’y aurait
dans le bureau que trois voix délibératives : une pour
l’ordre de la Trinité ; l'autre pour le prieur de la
chapelle des pénitents , et la troisième pour les quatre
quêteurs de la même chapelle.
Le bureau siégeait dans la salle capitulaire du
couvent de la Trinité. Mais le 8 janvier 1666, les
Trinitaires cédèrent à l’œuvre de la Rédemption ,
pour tenir ses séances , un local joignant le presby
tère de l’église du couvent, moyennant la somme de
400 livres une fois payée.1
Ces religieux recherchèrent toutes les occasions
1. ttecueil ci-dessus c ité , p. 2 2 , 23 et 24.
�— 303 —
d’employer au profit de leur maison une partie des
biens de l'œuvre des esclaves. Mais le plus souvent
ils rencontrèrent dans le bureau des hommes fermes
qui n’écoutèrent que la voix du devoir. Cependant
il y eut quelquefois des prieurs plus complaisants et
les Trinitaires en obtinrent diverses sommes pour
leur église. Leur pension de 73 livres fut meme portée
à 147 livres sous divers prétextes, et ils ne se con
tentèrent pas de ces avantages. Ils sollicitèrent quel
ques-uns des prieurs de la chapelle de la Trinité
pour obtenir que leur pension fût élevée jusqu'à
300 livres et pour qu’on leur construisit un clocher.
Les prieurs résistèrent à toutes leurs instances.
Alors les Trinitaires prétendirent que les abus
commis par les prieurs augmentaient tous les jours.
Ils proposèrent de faire de nouveaux règlements sur
divers chefs formulés dans une sommation du 21
février 1682. Ils disaient que les prieurs s’affran
chissaient le plus souvent de l’obligation de quêter
une fois par semaine ; qu’ils ne mettaient plus les
aumônes dans le tronc, mais qu’ils en faisaient trafic
aux dépens des pauvres; qu’enfin ils traitaient les
affaires les plus importantes sans le concours du père
ministre, encore qu’il fût le chef de l’œuvre de la
Rédemption.
Il y eut une instance devant le juge de SaintLazare. Les religieux de la Trinité demandèrent la
rescision des actes de transaction, et l’affaire fut
�— 304 —
portée au parlement d’Aix qui les débouta par arrêt
du 30 juin î 684 et maintint les prieurs des pénitents
dans leurs droits. 1
Les quatre prieurs quêteurs étaient nommés chaque
année par la confrérie la seconde fête de Pâques,
jour de l’entrée en exercice du premier prieur de la
chapelle. Ils n’étaient eux-mêmes installés que le jour
de la Trinité et le premier d’entre eux devait avoir
été prieur en chef. 2
Des débats surgirent encore entre le couvent de la
Trinité de Marseille et leurs collaborateurs de l’œuvre
de la Rédemption des esclaves. Par acte du 26 avril
1715, passé entre le P. Paul Giraud, ministre; Baltliasard Olivier, vicaire; MichelTrosier, père de provincè;
et Alexis Dupuis , économe, religieux profès de ce
couvent, agissant tant pour eux que pour les autres
Trinitaires de la même maison, d’une part ; et Messire
Henri de Venlo , marquis des Pennes, capitaine d’une
des galères du roi, prieur en chef de la chapelle des
pénitents blancs de Notre-Dame-de-Bon-Aide ; sieurs
Claude Granot, François Martin , Jean-Baptiste Ram
pai , Esprit-Bernard Pierre , frères pénitents de cette
chapelle , tant pour eux que pour les autres frères ,
1. Recueil cité , p. 50 à 62
2. Registre coté G de l’état des capitaux et pensions de l’œuvre de
la Rédemption des esclaves de M arseille, de 1707 à 174.2, page
92. Manuscrit in-folio , en la possession de M. Henri Reim onet, à
Marseille.
�— 305 —
d’autre part; il fut convenu que les transactions de
1602 et 1627, aussi bien que les arrêts rendus en
conséquence, seraient exécutés selon leur forme et
teneur; qu’il y aurait, comme auparavant, quatre
prieurs quêteurs, mais qu’on n’en nommerait que
deux chaque année , lesquels serviraient deux ans ,
c’est-à-dire que deux seraient anciens et deux nou
veaux. 1
L’œuvre de la Rédemption de Marseille venait de
faire des règlements qui ne changeaient en rien son
régime. Le bureau continua d’être composé de six
recteurs : le père ministre du couvent de la Trinité ;
le prieur en chef de la chapelle des pénitents de NotreDame de la Trinité vieille , et quatre recteurs tirés
du corps de ces pénitents.
Comme par le passé, il n’y eut que trois voix
délibératives. La première appartint au père ministre,
la seconde au premier prieur de la chapelle, et la
troisième aux quatre prieurs quêteurs.
Les assemblées se tinrent tous les mercredis, à
trois heures après midi. Il pouvait y avoir des séances
extraordinaires.
Les six recteurs en charge , les deux derniers an
ciens ministres , les deux derniers anciens premiers
prieurs de la chapelle des pénitents, les deux recteurs
sortis d’exercice, le vicaire du couvent et le sous1. Recueil des transactions. lettres-patentes, arrêts du con seil, e t c .,
p. 88 et suiv.
TOME II.
20
�306 —
prieur de la chapelle, réunis ainsi au nombre de
quatorze , formaient le bureau extraordinaire qui
n’avait que trois voix, comme les autres bureaux :
l’une pour les religieux de la Trinité, l’autre pour
les officiers de la chapelle, la dernière pour les quatre
prieurs.
En cas d’absence ou d'empêchement du père mi
nistre ou du premier prieur, le vicaire ou autre re
ligieux du couvent, le sous-prieur de la confrérie ,
ou un autre officier tenant sa place, assistaient au
bureau avec voix délibérative.
Lorsque le général de l’ordre de la Trinité, le
vicaire-général et le visiteur provincial se trouvaient
à Marseille, ils pouvaient assister au bureau et signer
les délibérations , mais leurs voix ne comptaient que
pour une seule avec celle du père ministre.
Quant au vicaire du couvent, au sous-prieur de
la chapelle ou tous autres tenant leur place , ils
avaient droit de séance , mais seulement avec voix
consultative.
Le bureau seul représentait l’œuvre de la Rédemp
tion des esclaves et en exerçait tous les droits.
Le bureau extraordinaire devait délibérer sur tous
les projets relatifs à l’aliénation des biens de l’œuvre
ou au déplacement de ses capitaux, et les six recteurs
étaient tenus, en pareil cas, de convoquer ce bureau,
sous peine de répondre personnellement de tous dom
mages. Il pouvait seulement disposer des deniers du
�tronc. Y avait-il lieu d’agir en justice? les recteurs
devaient rapporter préalablement la consultation de
deux fameux avocats du parlement d’Aix.
Les règlements disaient que comme l’œuvre de
la Rédemption de Marseille avait été principalement
fondée par la piété des habitants de cette ville en
faveur des pauvres esclaves qui y étaient nés, ou des
étrangers qui avaient épousé des Marseillaises , le
bureau, quand il y avait lieu de fournir les fonds
d’un rachat, devait nommer deux recteurs commis
saires pour faire une information et un rapport. Il
fallait que les pauvres captifs fussent dignes des bien
faits de l’œuvre et se trouvassent dans les conditions
prescrites, en 4684 , par un arrêt du parlement de
Provence.
Les recteurs étaient marguilliers nés de l’église de
la Trinité.
Une ancienne coutume voulait que la quête géné
rale de la Rédemption , commencée toutes les années
le second mercredi du carême , fût faite par les six
recteurs.
La confrérie des pénitents eut à nommer chaque
année, le jour de l’élection du premier prieur, vingtquatre frères pour faire, à tour de rôle, la quête
particulière de tous les mercredis. On maintint l’usage
des troncs placés dans les églises.
Le trésorier de l’œuvre, choisi parmi les quatre
prieurs , était nommé, au premier bureau qui suivait
�308 —
la fête de la Sainte-Trinité. Élu pour un an, il était
rééligible. A l’exception des menues dépenses qui
n’excédaient pas dix livres , il ne pouvait faire aucun
paiement sans des mandats ordonnancés par le P. mi
nistre , le premier prieur de la chapelle , ou deux au
moins des quatre prieurs, et il rendait à la fin de l’année
son compte qui était clos par le bureau, en présence
de l’évêque ou de son grand-vicaire , de l'ancien mi
nistre du couvent et de l’ancien prieur de la chapelle.
Un économe amovible et salarié assistait aux
séances du bureau. Il représentait l’œuvre devant la
justice, en administrait lesbiens et en percevait les
revenus. Il exerçait contre les débiteurs toutes les
poursuites de droit.1
Dans le milieu du XVIIe siècle un jurisconsulte
marseillais disait, après avoir parlé du zèle qu’on
avait autrefois pour la rédemption des captifs :
« Maintenant la dévotion est tellement refroidie que
» ce religieux office de piété , qui souloil exciter les
» hommes à de grandes largesses , ne continue plus,
» du moins avec une pareille ferveur et le mesme zèle
» du passé.2 » Cependant les biens de l’œuvre , grâce
1. Règlem ents du bureau d elà Rédemption des pauvres esclaves de
Marseille. Ces règlem ents n’ont jamais été imprimés. Le manuscrit
original, écrit en 1 7 1 4 , est aux titres et papiers des religieux grands
Trinitaires de M arseille, carton 6 , aux archives du département des
Bouches-du-Rhône.
2. Les statuts municipaux et coustumes anciennes de la ville de Mar
seille, par François d’Aix. M arseille, 1 6 5 6 , 567.
�— 309 —
à sa bonne organisation , finirent par être assez consi
dérables. La ville de Marseille lui devait in somme
capitale de 34,799 livres à constitution de rente au
denier 20, en vertu d’un règlement de compte du
10 avril 1674. 1 C’était une pension de 1,740 livres.
Le bureau de la Rédemption plaça aussi sur la com
munauté de Marseille, par acte du 26 décembre 1736
et à constitution de rente au même denier, la somme
de 7,000 livres provenant des aumônes retirées des
troncs.2 La ville avait encore à payer à cette œuvre
la rente perpétuelle de 675 livres 10 sous pour les
causes mentionnées dans l’arrêt du conseil d'état d;
27 septembre 1723 et dans la délibération du conseil
municipal de Marseille de 25 avril 1724,3 plus une
rente perpétuelle aussi de 600 livres pour la somme
capitale de 15,000 livres reçue par acte du 25 avril
1774. 1
Le pays de Provence devait à la même œuvre le
capital de 13,200 livres faisant partie de l’héritage
du sieur de Peipin. 3
1. Registre 74 des délibérations m unicipales, du mois de novem
bre 1673 à la fin d’octobre 1 6 7 4 , fol. 133 et suivants , aux archives
de la ville de Marseille. — Registre C de l’état des capitaux et pensions
de l’œuvre de la Rédemption des esclaves de Marseille. Manuscrit déjà
cité , fol. 11 verso et suiv.
2. Registre 137 des délibérations m unicipales, année 17 56, fol. 84
recto et verso et 83 recto, aux archives de la ville.
3 . Registre G ci-dessus cité, fol. 133.
4. Registre 175 des délibérations municipales, année 1774, f. 81 et s.
5. Registre C ci-dessus cité , fol. 27 verso et 28 recto.
�L'Hôtel-Dieu de Marseille reçut en prêt de l’œuvre
de la Rédemption , à diverses époques , différents
capitaux qui montaient ensemble à une trentaine de
mille livres, aussi placées à constitution de rente. 1
La ville eut plus tard à payer ces rentes parce qu’elle
prit à sa charge, en 1766, les dettes de l’Hôtel-Dieu.2
Les bénéficiers de la Major devaient une pension
annuelle de cent livres provenant du capital de 2,000
livres placé à constitution de rente par acte du 6
juin 1731.3
Le corps des courtiers royaux de Marseille devait
à l’œuvre une rente constituée de 270 livres.1 D’au
tres corporations, telles que celles des maîtres horlocjeiirs , des basaneurs, blanchiers, pelleurs de peaux
et chamoiseurs , des maîtres tailleurs d’habits, des
maîtres menuisiers et caissiers, avaient aussi à lui
payer des rentes plus ou moins fortes.5
Par testament du 12 janvier 1659, le marseillais
Balthasar Madallen légua à cette œuvre une maison
située sur le Port, à la charge d’une grande messe
1. Même registre 0 , fol. 118, 158 et 159. — Registre des recettes
et dépenses de l’hôpital Saint-Esprit et Saint-Jacques-de-G alice, 17081 7 0 9 , fol. 20 verso. — Registre des dépenses du même hôpital, 17 40,
fol. 4 recto .— Livre trésor l du même hôpital, 1725-1733, fol. 55
verso et 56 recto et verso.
2. Registre 167 des délibérations m unicipales, année 1 7 6 6 , fol. 90
verso et suivant.
5. Registre C , fol. 148.
4. Même registre C , fol. 92.
5. Ibid. Passim
�de requiem le premier lundi de chaque mois , à l'é
glise de la Trinité , 1 et la Dlle Ganette lui laissa , le
2 mai 1660 , une maison près l’église Saint-Martin ,
que le bureau vendit, le 22 juin 1730 , au nommé
Pierre Chevalier, moyennant 2,800 livres.2
La dame Catherine Reynaud, veuve Gardane , lui
légua , par testament du 7 juin 1678 , une maison à
la rue des Ferrats.3
L’œuvre de la Rédemption possédait encore une
petite terre au quartier de Paradis , près la Darse,
qui lui avait été léguée, le 19 août 1694 , par le
prêtre Beaulieu. Elle vendit à la ville , en 1732 , au
prix de 219 livres , une partie de ce terrain pour le
cimetière des forçats.4
L’œuvre de la Rédemption reçut d’un grand nom
bre de bienfaiteurs des libéralités plus ou moins im
portantes. Ces bienfaiteurs furent, à diverses époques,
l’abbé de Porrade, chanoine delà cathédrale; Honoré
de Cassin , écuyer, conseiller secrétaire du roi ; Jean
Rimbaud , sieur de la Molle ; Jean-Pierre Croizet ;
Jean-Bernard Astour; François Rigord, procureur du
roi à Marseille ; Joseph Dupont, ancien avocat du roi ;
Claude Sicard , négociant ; Jean-Étienne Laugier ;
I . Registre des transactions, lettres-patentes, arrêts du conseil , du
parlem ent, e tc ., déjà cité, p. i9 et suiv. — Registre C , ci-dessus
c ité , fol. 59 et 60.
°À. Même registre C, fol 60 verso et 6 i recto.
5. Ibid. fol. 59 verso et 60 recto.
4. Ibid. fol. 64 recto.
�— 312 —
Bourgeois ; Louis de Barthélemy Sainte-Croix ; Antoine
Mouren ; la dame Louise Aubert, femme de Philippe
Solly; la dame Marguerite Fabre, veuve d’Arvieux,
et la Dlle Chrétienne Fabre ; la Dlle Marie-Anne de
Capel ; la dame Thérèse de Saint-Jacques , veuve de
Simiane ; la dame Paule Blanc , veuve Bade ; la dame
Anne Lombardon ; 1 la Dlle Madeleine Taron ; 2 la
femme de Pascal Brun , capitaine marin. 3
Au nombre de ces bienfaiteurs nous remarquons
un protestant, Jean Brinder, négociant suisse établi
à Marseille, lequel laissa 150 livres à l’œuvre de la
Rédemption par testament du 16 juillet 1716/
L’œuvre devait une pension perpétuelle de 160 li
vres à la dame Gabrielle de Raphelis, ou à ses ayantcause, et une autre rente constituée de 192 livres
aux pères de la Trinité pour diverses fondations.u
Par ordonnance du 3 mars 1781 , le roi enjoignit
aux négociants et à tous les sujets français, habitant
les échelles du Levant et de la Barbarie , de se rendre
aux assemblées de la nation, quand on les y appelerait, sous peine de dix livres d’amende au profit
de la Rédemption des captifs. 6
1. Ibid. Passim.
2. Livre trésor I de l’hôpital Saint-Esprit et Saint-Jaeques-de-Galice,
171 S - 1755, fol. 4 6 7 , aux archives de l’Hôtel-Dieu.
o. Livre trésor M, du même hôpital, 1751-1760, fol. 474 recto,
aux mêmes archives.
4. Registre G ci-dessus cité, fol. 160.
5. Même Registre G, fol. 66 et 69.
6. Art. 43 de l’ordonnance du ro i, concernant les consulats. la rési-
�— 313 —
En 1784 , la situation financière de l’œuvre de la
Rédemption des captifs de Marseille était des plus
prospères. Le bureau, par délibération du 3 sep
tembre, arrêta de faire au roi un don gratuit de
50,000 livres pour le rachat des esclaves à Alger et de
prêter aux caisses de la Rédemption générale 80,000
livres remboursables dans huit ans , sans intérêts, à
raison de 10,000 livres par an. Mais comme pour
le moment l’œuvre ne disposait pas d’une somme
aussi forte et comme elle ne pouvait faire cette avance
qu’en empruntant elle-même cent mille livres, les
recteurs supplièrent le roi de les y autoriser, et de
confirmer en même-temps leur institution et leurs pri
vilèges. Le roi, par lettres-patentes du mois d’octobre
1784 , leur accorda tout ce qu’ils demandaient. *
Les privilèges des membres du bureau consistaient
dans l’exemption des gardes , des séquestres, tutelles
et curatelles , ainsi que dans celle du logement des
gens de guerre ; ils jouissaient seuls de cette faveur.
Des lettres-patentes de Louis XIY, du 9 septembre
1654 , l’avaient aussi accordée à tous ceux qui quê
taient pour l’œuvre ; 2 mais un arrêt du conseildence , le commerce et la navigation des sujets du roi dans les échelles
du Levant et de la Barbarie, du o mars 1781. Sur l'imprimé de l’impri
merie royale. A Marseille, chez S ib ié, 1781. In-4°, p. 55.
1. Lettres-patentes du roi, données à Versailles au mois d’octobre
1784.. ln-4° de 4 pages. A A ix, chez Antoine David , imprimeur, 1784.
2. Grand placard dans lequel le bureau de la Rédemption donne des
pouvoirs pour quêter. Sans nom d’imprimeur.
�d’état, du 10 avril 1725 , et des lettres-patentes du
14 juillet suivant révoquèrent cette franchise , et un
autre arrêt déclara de nouveau, le 28 septembre 1782,
que les préposés aux quêtes pour la rédemption des
captifs ne jouiraient de l’exemption d’aucunes char
ges publiques. 1
Dans leXVIIIe siècle, l’ordre de la Trinité de France
fit les plus grands efforts pour briser les fers des cap
tifs. Il y avait toujours à Alger un nombre considé
rable d’esclaves chrétiens, et l’on n’y voyait pas de
domestiques libres. Chaque maison, depuis celle du
dey jusqu’à la hutte du moindre habitant, avait des
esclaves.2 Tunis, moins puissant et moins riche , en
possédait beaucoup moins ; mais là , comme à Alger,
la servitude paraissait un état de douceur et de repos,
quand on la comparaît à celle des chrétiens de Maroc.
Les captifs subissaient les plus horribles souffrances
dans ce gouvernement le plus despotique de toute la
Barbarie.3
En 1712, des Trinitaires des provinces, par le
commandement du P. de Massac, général de l’ordre,
se transportèrent dans le royaume de Maroc et ne
purent rendre à la liberté qu’un petit nombre d’es
claves chrétiens , à force de présents faits au roi dont
1. A Aix , chez Joseph David, imprimeur du roi et du parlement.
1 7 8 5 , in-4° de quatre pages.
2. Histoire des Barbaresques qui exercent la piraterie, traduite de
l’anglais, Paris 1757, t. 1 , p. 157 et su iv ., et t. 2 , p. 20 et suiv.
�315
l'insatiable avarice n'était jamais satisfaite. En 1720,
de Massac envoya des religieux à Alger et à Tripoli
où ils rachetèrent plus de cent captifs qui furent
conduits à Paris. 1 En 1723 et les deux années sui
vantes , les trinitaires Jean de la Faye, Denis Mackar,
Augustin d’Arcisas et Henri Leroy allèrent délivrer à
Maroc et à Alger soixante-quatre esclaves , parmi
lesquels trois seulement, Curiot, Gontar et Adenet,
étaient de Marseille.2
Au mois de mai 1729, il y eut à Marseille un cha
pitre général de l’ordre de la Trinité. Le P. Jehannot,
provincial de la Bretagne , y représenta les religieux
de cette province. Il devait ensuite aller en Barbarie
pour un rachat d’esclaves. Le but de son voyage ayant
été changé, ce fut à Constantinople qu’il se rendit.
Il y délivra trente-huit esclaves dans le nombre des
quels on comptait deux Provençaux et cinq Marseil
lais. C’étaient Guyon, Pourrière , Lacombe, Isnard
et Camoin. Le premier gémissait dans les fers depuis
trente ans , et le second depuis vingt-six.
Six autres esclaves Français furent rachetés dans
le royaume de Maroc par le P. Charles du Tremblay.
L’un de ces captifs était de La Ciotat; l’autre des
1. Voyage de Constantinople, pour le rachat des captifs, par le R. P.
Jehannot, ministre supérieur de la maison de Beauvoir-sur-m er, de
l’ordre de la Sainte-Trinité. Paris, 1 7 3 2 , premières pages.
2. Relation en forme de journal du voyage pour la rédemption des
captifs, aux royaumes de Maroc et d’Alger pendant les années 1 7 2 3 ,
1724 et 1725, etc. Paris, 17 26, à la lin du volume.
�Martigues; un autre enfin, Philippe Richard, était
Marseillais. 1
Tous les esclaves rachetés étaient conduits à Mar
seille, et ils s’obligeaient à paraître processionnellement en public, selon une vieille coutume. Les reli
gieux Trinitaires et les frères pénitents de NotreDame-tle-Bon-Aidese rendaient ensemble sur le quai
Saint-Jean , près la chaîne du Port. Le ministre des
Trinitaires et le premier prieur des pénitents en
traient dans le navire où les esclaves se trouvaient,
pour y faire les cérémonies prescrites par le rituel
de l’ordre de la Trinité ; 2 après quoi, le débarque
ment s’opérait et la procession commençait de suite.
Ces hommes , qu’une association admirable venait de
rendre à la patrie et à la liberté, marchaient en
ordre deux à deux , portant tous une longue barbe ,
car ils étaient dans l’usage de la laisser croître du
rant le temps de leur servitude et les pères rédemp
teur ne leur permettaient pas de la couper. 3 Revêtus
du scapulaire , tenant des palmes dans leurs mains
liées de longs rubans de soie, ils traversaient, avec
leurs libérateurs, les flots d’un peuple toujours avide
de solennités et de fêtes. 1 C’était, à Marseille , un
1. Voyage de Constantinople ci-dessus cité, p. 595 et suiv.
2. Règlem ents du bureau de la Rédemption des pauvres esclaves de
M arseille, manuscrit déjà cité.
3. Histoire des Etals Barbaresques qui exercent la piraterie. Paris ,
1757, t. 2 , p. 56 et 37.
4. Histoire Littéraire delà France , t. 17, p. 118.
�— 317 —
spectacle des plus émouvants. Quelquefois le canon
mêlait ses salves graves et joyeuses au son des clo
ches, aux chants pieux. La procession , après avoir
parcouru les principales rues , terminait sa marche
à l’église de la Trinité. Les esclaves y faisaient amende
honorable, recevaient la bénédiction du Saint-Sacre
ment et étaient admis par l’officiant dans la confrérie
du Petit Scapulaire. 1
Le bureau de la Rédemption avait plusieurs fois
délibéré de ne donner que 300 livres pour la rançon
d’un esclavenatif de Marseille et de destiner 400 livres
au rachat des parents des religieux du couvent de la
Trinité de cette ville ainsi qu’aux frères de la chapelle
de Notre-Dame-d’Aide. Il arriva cependant que quel
ques prieurs, influencés par divers sentiments, four
nirent une plus grande somme à certains esclaves.
Des plaintes en furent faites, et le 12 décembre 1676,
on tint un régiment2 dans la chapelle dont je viens
de parler. Le père Maurel, docteur en théologie ,
ministre du couvent des Trinitaires de Marseille ,
exposa les abus que l’on avait commis, et le régiment
prit, à Punanimité des voix, une délibération por
tant que les prieurs qui, à l’avenir, proposeraient au
bureau d’augmenter l’aumône fixée pour le rachat
1. Règlem ents de l’œuvre de la Rédemption des pauvres esclaves de
Marseille.
2. Un appelait régiment Rassemblée générale des frères pénitents
de la Trinité vieille.
�des esclaves , de quelque condition que fussent ces
derniers, seraient exclus de la chapelle et leurs noms
rayés du tableau ; que la même peine frapperait le
trésorier et le secrétaire qui oseraient inscrire sur ce
tableau, comme appartenant à la confrérie, des
esclaves qui n’en avaient jamais été membres. L’as
semblée prit d’autres mesures pour empêcher le
retour des abus signalés.1
On reconnut bientôt que le prix fixé pour la déli
vrance des captifs était insuffisant, bien que la paix
eût été faite avec Alger et Tunis et que la guerre
n’existât qu’avec les pirates de Tripoli. C’est ce que
le sous-prieur Jean Gantelme exposa dans le régiment
convoqué le 8 janvier 1679. On délibéra unanime
ment de donner pouvoir aux recteurs d'employer 550
livres au rachat des pauvres esclaves de la chapelle
de Notre-Dame-de-Bon-Aide et à celui des parents
des Trinitaires de Marseille. Quant à la rançon des
autres captifs nés en cette ville, elle fut fixée à 450 li
vres. On défendit aux prieurs de faire de plus grandes
libéralités, sous leur responsabilité personnelle et sous
les autres peines prononcées précédemment. La même
délibération ajouta que si le bureau de la Rédemption
jugeait plus tard convenable d'augmenter ou de di
minuer ces secours, il en soumettrait la proposition
1. Copie de ladite délibération du 12 décembre 1676 en la possession
de M. Henri R eim onet, à Marseille.
�319 —
au régiment que le prieur et le sous-prieur convo
queraient à cet effet.4
La confrérie des pénitents blancs de Bon-Aide s’at
tribuait le droit de fixer les sommes employées au
rachat des captifs , et c’est le seul pouvoir qu’elle eut
à exercer directement sur le bureau de la Rédemption.
Cette confrérie avait toujours compté dans ses rangs
des personnages considérables, et au nombre de ces
hommes distingués par l'importance de leurs emplois
et par leur position de famille, on remarquait, au
commencement du XVIIIe siècle , Laurent de Vento ,
comte des Pennes, chevalier de l'ordre de Malte, dans
la marine duquel il avait pris du service. Il était
lieutenant de vaisseau en 1706 , lorsqu’il fut mis à
la tête de trois cents hommes que l’ordre envoyait au
secours d’Oran assiégé par les Maures. Le comte des
Pennes défendit son poste avec courage et fut pris
sur la brèche après avoir eu le bras cassé d’un coup
de feu. 2 Les statuts de l’ordre de Malte ne lui per
mettaient pas de racheter ses chevaliers, et le mal
heureux comte des Pennes gémit dans le plus dur
esclavage. Sa famille ne pouvait ou ne voulait payer
la rançon considérable que le dey d’Alger demandait.
Dans ces circonstances, la compagnie des pénitents
1. Copie de la délibération du 8 janvier 1679 en la possession de
M. Reimonet.
2 . Histoire héroïque et
Artefeuil, t. 2 , p. 490.
universelle de la noblesse de Provence,
par
�— 320 —
de la Trinité vieille de Marseille, émue de compassion
pour les souffrances d’un pauvre frère captif, déli
béra, à la fin de 1713, de faire par exception un
grand sacrifice en faveur du comte des Pennes qui
vit ainsi tomber ses fers 1 et vint assister à Marseille
à la procession faite cette fois pour lui seul.
Un autre chevalier de Malte refusa de se donner
ainsi en spectacle au public. Louis de Castellane
d'Esparron . après dix ans d’esclavage à Alger, fut
racheté, en 1717, par les secours des pères de la
Trinité et des religieux de la Merci. Les Trinitaires
de France fournirent douze mille livres ; les pères de
la Merci en donnèrent dix mille, et le R. P. Monias ,
ministre du couvent de la Trinité de Madrid , en
envoya quatorze mille pour compléter la rançon. La
procession fut fixée au 29 avril, mais on ne put la
faire, le chevalier de Castellane refusant d’y paraître
sous divers prétextes. Le P. Giraud, ministre du
couvent de Marseille, au nom du général de l’ordre
de la Trinité , eut beau le sommer par huissier d'as
sister à cette procession. Le chevalier de Castellane
persista dans son refus et signifia aussi ses réponses
par exploit d’huissier.2 II y eut de part et d’autre
bien des actes extrajudiciaires ; mais rien ne put
t. Archives des Grands-Trinitaires, registre 9 , fol. 7 5 , aux archives
de la Prélecture de Marseille.
2 . Archives des Trinitaires de la Palud, liasse 2 5 , aux archives de la
Préfecture de Marseille.
�321
triompher de la résistance du chevalier, soutenu
par son frère le marquis de Castellane , par de
Castellane Majastre et de Villeneuve Bargemont,
officiers des galères. Enfin , le général de la Tri
nité et le supérieur de la Merci de Paris, à la sol
licitation de l’ambassadeur de Malte, dispensèrent
Castellane d’Esparron d’assister à la procession d’u
sage.
De temps en temps cette cérémonie, qui ne perdait
rien de sa splendeur populaire, venait réjouir Mar
seille. En 1750, Gairoard, l’un des pères de la Trinité,
débarqua dans cette ville avec cent six esclaves fran
çais qu’il était allé racheter à Maroc. Il les conduisit
à Paris où il fut nommé procureur-général de l’œuvre
de la Rédemption. Après avoir rempli cet emploi
pendant près de vingt ans, il se retira à Marseille où
il édifia ses confrères par ses bons exemples. Gai
roard dont le savoir était fort étendu avait appris les
langues mortes et vivantes. Épuisé par ses travaux
apostoliques, il mourut à Marseille en 1778 , âgé de
soixante-seize ans. 1
Le 9 août de l’année suivante, le navire suédois
le Saint - Octave , débarqua à Marseille plusieurs
esclaves qui firent la procession le surlendemain.
La plupart d’entre eux , qui étaient corses, se
I.
Histoire des hommes illustres de In Provence ancienne et moderne,
par Achard, t. 1, p. 319.
TOME If.
21
�- 322 —
rembarquèrent trois jours après pour aller dans
leur île. 1
Le 9 juillet 1785, la frégate du roi la Minerve
entra dans le port de Marseille, chargée de 316
esclaves français dont les pères de la Trinité et ceux
de la Merci avaient payé la rançon à Alger. La pro
cession fut des plus brillantes. On ne comptait parmi
les captifs qu’un seul Marseillais : Joseph Gomère ,
esclave depuis treize ans. On y voyait huit autres
Provençaux. Trois étaient de Fréjus ; deux d’Aix ; un
de Toulon ; un de Digne, et un autre de Glandevès.
Il y en avait aussi deux d’Avignon. 2 Les trois cent
cinq autres captifs étaient étrangers à la Provence.
La suppression des corps religieux modifia la cons
titution du bureau de l’œuvre des pauvres esclaves.
Le 10 janvier 1791, le corps municipal de Marseille,
considérant qu’il convenait de maintenir un établis
sement utile qui appartenait à Marseille et n’avait
été fondé que par des Marseillais et pour des Mar
seillais, chargea Pierre Bernard, officier municipal,
de présider le bureau de l’œuvre et d’exiger du père
ministre la remise de Tune des trois clés dont ce
religieux était encore dépositaire. 3 Le 11 décembre
1. Grosson. Almanach historique de 1 7 8 0 , p. 336 et 337.
2. Relation de l’heureuse délivrance de 316 esclaves français opé
rée à Alger par le zèle des RR. PP. de la Trinité et delà Merci. 1785.
In-T° de quatre pages, de l'imprimerie de J. Mossy.
3. Livre 2 des délibérations du corps municipal de M arseille, du 28
juillet 1790 au 22 février 17 92, fol. 71 recto, aux archives de la ville.
�— 323 —
suivant, le corps municipal subrogea Boulouvard,
l’un de ses membres, à la place de Bernard. 1
Ce Bernard était pénitent de la Trinité, et sa con
frérie , aux élections de la seconde fête de Pâques
1792, le nomma prieur. Le sous-prieur élu fut LouisMelchior Chabert. 2
Toutes les associations religieuses ayant été sup
primées par la loi du 18 août de la même année, le
corps municipal de Marseille , en vertu de la délibé
ration prise, le 5 octobre suivant, par le conseil
général de la commune , nomma , le 11 , les citoyens
Honoré Donest, Louis Rouy, Jacques Mouton , Jean
Aubert, Toussaint Audibert, GueyetDuval, admi
nistrateurs de l’œuvre de la Rédemption des esclaves ,3
sous la présidence de Boulouvard, lequel ayant un
peu plus tard cessé ses fonctions d'officier municipal,
fut remplacé par Jean-François Rozan.4
L’œuvre touchait au terme de son existence et le
domaine national allait s’emparer de ses biens. Les
scellés furent apposés sur toutes ses facultés mobi
lières , et le 9 décembre 1793, la commission muni
cipale nouvellement établie nomma les citoyens
1. Même registre 2 , fol. 285 recto et verso.
2. Grand placard portant les noms de tous les officiers élus ledit jour,
imprimé à Marseille chez Auguste Mossy.
3. Registre 3 des délibérations du corps municipal de Marseille , du
23 février 1792 au 3 février 1 7 9 3 , fol. 1 8 3 , aux archives de la ville.
•i. Même reg istres, fol. 251 recto.
�Cliappe et Jourdan pour procéder à la levée des
scellés et pour transmettre au directoire du district
l’état des biens d’une des plus belles institutions 1
dont le nom et les actes n’appartenaient plus qu’à
l’histoire.
1. Registre 3 des délibérations du corps municipal de Marseille, du
12 février 1793 au 15 nivôse-, an 2 , fol. 14-5 verso, aux archives de
la ville.
�CHAPITRE XIII.
(ElIVIU! RKS ItELieiED X lit: LA IIEIICI.
Premier établissement de l’ordre de la Merci à Marseille. — Son second
établissem ent. — Ses longs procès avec les Trinitaires. — Arrêt
du conseil d’état qui termine ces différents. — Services des reli
gieux de la Merci. — Leurs rachats d’esclaves. — Privilèges des
marguilliers de l’église de la Merci. — Affaiblissement de cet ordre.
— Suppression du monastère de Marseille et la réunion de ses
biens à l’hôpital Saint-Lazare.
L’œuvre de la Rédemption des esclaves fut aussi
exercée par l’ordre de Notre-Dame-de-la-Merci que
Saint Pierre de Nolasque, né dans le Languedoc , à
une lieue de Castelnaudary , 1 fonda à Barcelonne
en 1218.
Cet ordre établit à Marseille une de ses maisons
au commencement de 1418. Le 31 janvier, la ville
donna l’ancien couvent des Beguiues, ou Roubaudes,
à Pierre Guillermi , commandeur des pères de la
Merci de Narbonne. 2 Ces religieux abandonnèrent
plus tard Marseille , sans qu’on sache l’époque pré
cise de leur départ ni les motifs qui le déterminè
rent. S’il faut en croire les Trinitaires , fort suspects
sur ce point à cause de leurs différends avec les pères
1. Vers l’an 1189. H istoire des ordres m onastiques, religieux et
m ilitaires , et des congrégations séculières de l'u n et de l'autre se x e „ etc.
Paris, 17 14, t. 5 , p. 266 et suiv.
2. Ruffi. H istoire de M arseille , t. 2 , p. 80.
�— 326 —
de la Merci, on doit attribuer la cause de la retraite
de ces pères aux maladies fréquentes qui désolaient
la ville.1Quoi qu’il en soit, les religieux de la Merci
regrettèrent bientôt le séjour de Marseille , mais ils
ne purent y revenir qu’en 1652. Ils promirent aux
consuls de ne donner aucun sujet de plainte aux
pères de la Trinité ; ils leur dirent qu’ils ne voulaient
avoir un couvent en cette ville que pour y recevoir
les aumônes faites dans le royaume et destinées au
rachat des esclaves. Ils s’engagèrent à donner, tous
les ans, la liberté à deux captifs Marseillais et à ne
jamais quêter. Sur la foi de ces paroles, les consuls
de Marseille passèrent l’acte de l'établissement des
pères de la Merci2 qui furent logés le 8 juin dans
une maison près de la cathédrale. 3
Cependant des procès ne tardèrent pas à surgir
entre les religieux de la Merci, les échevins, les
pères de la Trinité et les prieurs des pénitents blancs
de Notre-Dame-de-Bon-Aide , au sujet des quêtes
pour la Rédemption des esclaves. Une transaction
1. Factum des Révérends Pères Trinitaires et prieurs des pénitents
blanc-s de la Rédemption de Marseille contre les pères de la M erci,
dans le recueil des transactions , lettres-patentes , arrêts du conseil et
autres pièces., pour le maintien du bureau de la Rédemption des pauvres
esclaves de la ville de Marseille et son terroir. Marseille , 1765 , p. 70.
2. Réponse aux deux imprimés que les pères de la Merci ont donnés
au public pour tacher de persuader qu’ils portent avec plus de raison
et d’obligation que les pères de la Trinité le titre de’ la Rédemption des
captifs. In-4° sans millésim e et sans nom d’imprimeur, p. 4.
5. Histoire des Evêques de Marseille, t. 3 , p. 431 et 452.
�du 13 octobre 1657 déchargea les pères de la Merci
de l’obligation de racheter deux Marseillais , leur
permit de faire la quête dans toutes les processions
de captifs, d’y porter des bassins et de mettre un
tronc dans leur église.
Mais ces religieux ne se contentèrent pas de tant
d’avantages. Ils supplièrent le roi de défendre aux
Trinitaires et aux pénitents de Bon-Aide de quêter à
Marseille. Le roi renvoya l’affaire à l’examen de Jean
de Rouillé, intendant de Provence. Après une courte
instruction, une transaction nouvelle intervint le 22
octobre 1677 entre le père Christian, commandeur
du couvent de la Merci de Marseille, assisté du père
Audière, agent de cet ordre en Provence, d’une part ;
et Claude Fort, Jean Magy, deux des échevins de
Marseille ; père Philippe Maurel, ministre du couvent
de la Trinité ; Estienne , Berard et Martin , prieurs
de la Rédemption des esclaves. Cet acte portait que
les membres du bureau de la Rédemption continue
raient de faire la quête générale une fois l’année et
les quêtes particulières une fois la semaine; que les
pères de la Merci ne pourraient pas quêter dans la
ville. Le droit de faire des quêtes dans les églises et
les chapelles, avec pouvoir d'y placer des troncs ,
fut donné aux religieux Trinitaires et aux prieurs de
la Rédemption, d’une part ; aux pères de la Merci
d’autre part; et on régla ce droit de la manière
suivante : le bureau de la Rédemption de la Trinité
�— 328 —
eut la Major, Saint-Martin, les églises et les cha
pelles qui en dépendaient. On assigna aux pères de
la Merci Notre-Dame-des-Accoules , Saint-Laurent et
leur propre église. On convint de plus que les legs
pour les pauvres captifs, conçus sans désignation
spéciale , seraient partagés entre les deux œuvres.
Un chapitre général de Notre-Dame-de-la-Merci,
assemblé à Cahors le 10 mai 1078 , approuva cette
transaction et vota des remercîments à l intendant
Jean de Rouillé. 1
Cependant l’esprit de concurrence et de rivalité ne
tarda pas à soulever de nouveaux débats entre les
deux ordres. Les pères de la Merci excipaient du
vœu spécial qu’ils faisaient, celui de demeurer, en
cas de besoin , en otage chez les infidèles pour la Ré
demption des captifs. Pouvait-on comparer leur ordre
à celui de la Trinité, « rayon ébauché de ce que Dieu
» avait résolu de mettre dans la dernière perfection
» par l’établissement de l’ordre de Notre-Dame-de» la-Merci pour lequel il députa sa sainte Mère qui
» parla d’un front serein aux fondateurs? 2 »
Au contraire, les religieux de la Trinité « ne furent
1. Transaction passée entre messieurs les échevins de Marseille et
les religieux de l'ordre de la T rès-Sainte-T rinité, et les pères d elà
M ercy, de l’avis de M R ouillé, intendant de Provence, etc. ln-T° de
six pages, sans millésim e et sans nom d’imprimeur.
2. Réplique à la réponse faite sur l’exposition du titre auguste de la
Rédemption des captifs, etc. ln-4° de onze pages, sans m illésim e et
sans nom d’imprimeur, p. 10.
�» institués que pour 1hospitalité par la vision énig» matique d’un Ange. Ils n’avaient pas droit de
» recevoir pour la Rédemption des captifs , des au» mènes dont ils faisaient un mauvais usage, parce
»>qu’ils en appliquaient une partie à leurs besoins per» sonnels. Ils étaient des faussaires et gens de mau» vaise foi, ayant obtenu par dol et surprise, les
» bulles, mandements et arrêts produits pour leur
» défense. 4 »
Tous leurs moyens n’étaient que « des rapsodies
» mal raisonnées. 2 »
Les Trinitaires, à leur tour, ne négligèrent rien
pour prouver qu’ils portaient avec plus de raison et
de justice que les pères de la Merci le titre auguste
de Rédempteurs des captifs. Chacun des deux ordres
cherchait à s’élever aux dépens de l'autre. Des deux
côtés bouillonnaient des passions peu compatibles
avec le calme et la dignité du sentiment religieux. Ces
récriminations continuelles scandalisaient les bons
esprits, et l’on disait que tant de jalousie ne servait
pas à la gloire de Dieu.
Les pères de la Merci avaient obtenu , en 1638
et 1644 deux arrêts du conseil du roi qui leur étaient
infiniment favorables, mais dont l’exécution était sus1 . Réponse aux deux imprimés que les pères de la Mercy ont donnés
au public, mémoire déjà cité , p. 7 et 8.
2. Réplique à la réponse faite sur l’exposition du titre auguste de la
Rédemption des captifs, etc., p. 10.
�pendue. En 1685, ce conseil, sur leur demande,
rendit un autre arrêt portant autorisation d’assigner
les religieux Trinitaires, aux fins d’entendre ordonner
qu’eux et tous autres ne pourraient quêter dans la
ville de Marseille , comme faisant partie de la Pro
vence donnée en partage à l’ordre de la Merci, et que
les legs faits dans le royaume pour la rédemption des
esclaves appartiendraient' à cet ordre , à l’exclusion
de celui de la Trinité.
Les religieux de la Merci n’assignèrent que les
Trinitaires. Mais la confrérie de Notre-Dame-de-BonAide intervint pour les faire déclarer non recevables.
Les échevins de Marseille formèrent aussi leur in
tervention en faveur des pères de la Trinité. 1
Le 28 avril \ 688 , le roi permit aux religieux de
la Merci de Marseille de faire une quête particulière
dans la ville et sa banlieue, le samedi de chaque
semaine, comme les Trinitaires et les pénitents de
Bon-Aide la faisaient tous les mercredis. Le roi au
torisa de plus les pères de la Merci à se faire assister
par la confrérie des Pénitents Bleus pour leurs quêtes
aussi bien que pour les processions des captifs ra
chetés par leurs soins et leurs aumônes.2
1. Factum des Révérends Pères Trinitaires et prieurs des pénitents
Idancs de la Rédemption de Marseille contre les pères de la Mercy,
dans le recueil des transactions, lettres-patentes, e tc ., ouvrage déjà
cité, p. 63 et suiv.
2. Recueil des transactions, lettres-patentes, arrêts du con seil, etc.,
�— 331
En cet état des choses, les parties passèrent, le 2
septembre suivant, un acte relatif au partage des
églises et des chapelles, pour leurs quêtes respec
tives, et ce partage ne porta que sur les quartiers
ruraux, la désignation des églises de la ville étant
maintenue telle qu’elle avait été faite par la tran
saction de 1677. 1
L’arrangement de 1688 termina des contestations
trop longues. Mais tout avantageux qu’il fût à l’ordre
de la Merci de Marseille, il ne put le faire marcher
l'égal de celui de la Trinité qui eut toujours plus d’im
portance , plus de ressources , une meilleure organi
sation et plus de sympathie populaire.
L’ordre de la Merci n’en rendit pas moins de grands
services à l’humanité, principalement dans la seconde
moitié du dix-septième siècle. En 1676, la maison de
Paris racheta plusieurs esclaves dans le royaume de
Maroc et y fit une autre rédemption en 1681. Quel
ques-uns de ses religieux voulurent encore y aller
en 1689, mais Mouley Archy, qui gouvernait cette
régence, ne permit pas une troisième rédemption ,
et les religieux de la Merci se rendirent alors à Alger
où ils rachetèrent, en 1690 , cent cinquante esclaves
qui arrivèrent à Marseille où ils parurent en proces
sion. Louis XIV soutenait alors une rude guerre par
terre et par mer, et comme ces esclaves étaient tous
I . Meme recueil,
p. 81 .
�matelots, ils furent embarqués sur l'escadre de
Toulon. 1
De 1704 à 1716 les religieux de la Merci de Paris
brisèrent les fers de soixante esclaves parmi lesquels
vingt étaient Provençaux. Il y avait un Marseillais
nommé Turcati. Ce malheureux, âgé de soixantetrois ans, en avait passé trente-un dans la servitude.2
L’église du couvent de la Merci de Marseille avait
huit marguilliers qui faisaient la quête pour la rédemp
tion des captifs et jouissaient des privilèges accordés
aux recteurs de l’œuvre de la Trinité. Un arrêt du par
lement d'Aix, du 7 février 1654, défendit, à peine de
mille livres d’amende , de contrevenir à l’exécution
des lettres-patentes données par le roi, au mois de
juillet 1650, lesquelles confirmaient des franchises
plus anciennes. Le même parlement, accueillant par
arrêt du 14 octobre 1676 , la requête des marguilliers
Jean Borreli et François Gratian , fit défense aux
échevins de Marseille de proposer pour les charges
publiques les marguilliers de Notre-Dame-de-laMerci. 3 Le même Gratian n’en fut pas moins élu
1. Relation de ce qui s’est passé dans les trois voyages que les reli
gieux de l’ordre de Nostre-Dam e-de-la-M ercy ont faits dans les états du
roi de Maroc pour la rédemption des captifs en 1 7 0 4 , 1708 et 1 7 1 2 ,
par un des pères députés de la congrégation de P aris, du môme ordre.
P aris, 17 24, p. 4 et S.
2. Même ouvrage , p. 409 et suiv.
5 . Registre 70 des délibérations du conseil municipal de M arseille,
du mois de novembre 1675 à la fin d’octobre 1 6 7 6 , fol. 151 et su iv .,
aux archives de la ville.
�333 —
premier juge consul le 29 octobre 1690. Comme il
était encore l’un des huit marguilliers de la Merci ,
il présenta requête au premier président, intendant
de Provence , qui le supplia de ne pas exciper de son
privilège en cette circonstance. Gratian signifia pour
tant aux échevins, le 31 du même mois, un acte
protestatif pour réserver ses droits à l’avenir et pour
que son acceptation volontaire ne tirât pas à consé
quence. 4
Au mois de novembre suivant, les pères de la
Merci de Marseille abandonnèrent leur ancienne mai
son près de la cathédrale pour se loger non loin de
l’église Saint-Martin. 2 Ils en sortirent plus tard pour
occuper la maison des Recolets à la rue du TapisVert. 3 Ils s’affaiblirent insensiblement et finirent par
s’éteindre sans bruit, au milieu de l’indifférence
générale.
Un édit royal du mois de février 1786 et des
lettres-patentes du 23 août de la même année trans
férèrent à Marseille l’hôtel des monnaies de la ville
d’Aix et l’établirent provisoirement dans le cloître
des pères de la Merci. ‘
1. Registre 95 des délibérations m unicipales, du mois de novem
bre 1690 à la fin d’octobre 1691 , fol. 194. verso.
2. Ruiïi. Histoire de Marseille, t. 2 , p. 80.
5 . Agneau. Calendrier spirituel, contenant les fêtes que l’on célèbre
dans chaque église de Marseille et de ses faubourgs, p. 285.
4 . Grosson. Almanach historique de M arseille, année 1787, p. 358
•
v
et, suiv.
�Il n'y avait alors dans ce couvent que sept reli
gieux prêtres et un frère laïque. Le 16 décembre
1786 , le conseil d’état rendit un arrêt pour autoriser
les directeurs de l'hôpital Saint-Lazare de Marseille à
se pourvoir devant l’évêque de cette ville à l’effet
d’obtenir la suppression du monastère de la Merci et
la réunion des bâtiments et des biens à la maison
de Saint-Lazare, à la charge par elle de payer à
chacun des sept religieux une pension viagère de mille
livres et une autre de six cents livres au frère laïque ,
toutes les facultés de la communauté religieuse de
meurant affectées à l'acquit de ses charges.
L'évêque de Marseille, par ordonnance du 15 mai
1787, commit l'abbé de Robineau, son vicaire-gé
néral , pour procéder à l’instruction de cette affaire.
En même temps il nomma l’avocai Laurent, receveur
des décimes du clergé du diocèse , pour administrer
les biens des pères de la Merci.
Le 17 septembre 1787, le bureau de l’hôpital
Saint-Lazare délégua deux de ses membres, Barthé
lemy et Second , pour accomplir toutes les formalités
légales, aux fins de la suppression définitive du cou
vent de la Merci. 1
Ce n’était plus qu’un affaire de temps et de forme.
Le 4 mars 1788, les échevins de Marseille sollicitè1. Registre des délibérations du bureau de l’hôpital Saint-Lazare de
Marseille, de 1669 à 1789. Séance du 17 septembre 1 7 8 7 , partie du
registre sans pagination chiffrée, aux archives d e l’Hôtel-Dieu.
�— 535 —
rent auprès du garde des sceaux , en faveur de l’hôpital Saint-Lazare, l’expédition gratuite de lettrespatentes du roi confirmatives du l'acte d’union. 1
Cette demande fut accueillie. Au mois de février 1789,
le roi donna à Versailles des lettres-patentes qui
prononcèrent définitivement la réunion de la maison
des pères de la Merci à l’hôpital Saint-Lazare, et,
le 11 mai suivant , deux directeurs de cet hôpital,
Malvilan et Gueirard, furent nommés par le bureau
commissaires adjoints à Croze-Magnan , directeur tré
sorier, pour retirer les fonds déposés chez Laurent.2
1. Lettre du 4 mars 1788 au garde des sceaux , dans le registre 56
des copies des lettres des échevins de Marseille, du 14 juillet 1787 au
16 mai 1788, aux archives de la ville.
2. Registre des délibérations du bureau de l’hôpital Saint-Lazare de
Marseille, de 1669 à 1789. Séance du 11 mai 1789.
�CHAPITRE XIV.
H Ô PITAL.
«ÉNÉKAL
DK
N O T ItK -D A lM E -D K -
M ISÉR IC O R D K .
Aumône de Saint-Vicior. - Fondateurs de la confrérie de Notre-Damede-Miséricorde. — Premiers règlem ents. — Siège de l’œuvre. —
Maison de Nicolas d’Hermitle. — L’œuvre abandonne l’Hôtel-Dieu
et s’établit dans cette maison. — Divers renseignements à ce sujet.
— Achat du local de Sainte-Croix. — L’œuvre y fixe son siège. —
Nouveaux statuts. — Service de santé. — Distribution des aumônes.
— Conditions d’admission aux secours de l'œuvre. — Fondations
pour le mariage de quelques pauvres filles. — Bienfaiteurs de l’œuvre.
— Sa situation financière. — Son état pendant la révolution.
L’organisation des secours à domicile remonte en
Provence à une date très reculée. En 1318 , le mo
nastère Saint-Victor avait à Marseille une institution
dite la Maison de l’Aumône. Comme elle était mal
administrée et dépourvue des choses nécessaires , le
conseil de ville, dans sa séance du 4 mars, nomma
quatre de ses membres, Pierre de Saint-Jacques,
Raimond d Argilliers, André de Bon Vin et Hugues
de Conchis, chargés d’exposer au pape, dont on
annonçait la prochaine arrivée à Marseille , le mau
vais état de cette œuvre, pour qu’il donnât au mal
un remède efficace. 1
Dans quelques autres circonstances, le conseil mu
nicipal de Marseille eut à s’occuper de l’aumône de
1 . Registre des délibérations du conseil municipal de M arseille, 15181519, sans pagination chiffrée, aux archives de la ville.
�— 337 —
Saint-Victor.1 Cette maison était située dans la rue
qui porte encore le nom de Y Aumône. 2
Le même monastère possédait, sur les limites du
territoire de Marseille et sur celles d’Aubagne, une
maison de campagne où les voyageurs indigents rece
vaient l’hospitalité. On se borna ensuite à leur donner
du pain et on finit par ne rien leur donner. 3
Dans tous les temps il y eut à Marseille des hommes
charitables qui visitaient les pauvres malades, cher
chaient à les soulager et faisaient aussi des aumônes
aux malheureux. Sept d’entre eux , nommés Claude
Fevret, Honoré Guez, Cassien de la Clive, Raynaud
Lanfrée, Jean Boet, Pierre Richelmi et Jacques
Servet, résolurent, au commencement de 1578 , de
former une confrérie pour donner à la distribution de
ces secours une organisation régulière. Ils en deman
dèrent l’autorisation à Jean Doria , grand-vicaire de
l’évêché de Marseille , qui leur permit, le 5 m ai, de
s’établir dans l’église des Accoules , sous le titre de
Notre-Dame-de-Miséricorde, pour y faire leur dévo
tion et les exercices de leur œuvre. 1 Ils s’y installè1. Voyez , entre autres , les séances du 9 octobre et du 26 novembre
1326 dans le registre des délibérations du conseil m unicipal, 152513 26, sans pagination chiffrée, aux archives de la ville. — La séance
du 6 mai 1528 dans le registre de 15 27-1 528 , aux mêmes archives.
2. Un acte du 25 août 1449 en fait foi. Voyez le registre B des censes
et directes de l’hôpital Saint-E sprit, aux archives de l’Hôtel-Dieu.
5 . Tableau historique de Marseille et de ses dépendances. Lausanne,
1 7 8 9 , p. 84.
4. Voyez le texte de cette autorisation dans le livre 2 des délibéraT0M E II.
,
22
�rent le 8 du même mois , avec l’agrément de François
Bouchet et de Claude Sollier, prêtres séculiers, du
frère Carbonassi , moine Observantin, et de Rostan
Porcelli, de l’ordre de Saint-Dominique , tous con
sultés par Doria.
Voici en substance ce qui fut stipulé : « de toutes
» les aulmosnes qu’on treuvera , soit par moyen des
» guobellets ou aultrement, hors la dite église des
» Accoules, on en secourira les pouvres nécessiteux ;
» toutesfois du dit argent seront entretenues sept
» cierges pour l’enterrement des dits pouvres. «
« Et pour regard de l’argent provenant du bassin
» teneu sur le banc de la dite confrairie en la dite
» église sera employé tant pour l’entretenement de
» la dite luminaire que aussi pour payer la messe que
» fault 1ère dire et aultre divin service , et le restant
» du dit argent sera donné aux pouvres nécessiteux. »
L’avant dernier dimanche qui précédait le jour de
la Conception , tous les confrères réunis dans l’église
des Accoules eurent à nommer, parmi eux, cinq
nouveaux prieurs, plus un des fondateurs et un prieur
sortant d'exercice, le bureau de l’œuvre se trouvant
ainsi composé de sept membres qui furent obligés de
faire la quête pour les pauvres dans les églises de
Marseille , les dimanches et les jours de fête, ou de
lions de l’administration centrale des secours publics de Marseille, du
27 septembre 1806 au 11 novembre 18 07, p. 13 9, 140 et 141 , aux
archives du Bureau de Bienfaisance.
�339 —
commectrc quelques fidelles et de bonne conscience pour
ce [ère.
Tous les confrères furent tenus de désigner aux
prieurs les pauvres de leur connaissance, à cesle
fin qu'il y feust pourveu; mais aucune aumône ne put
être faite sans une délibération du bureau qui sié
geait tous les dimanches et tous les jours de fête.
Le prieur qui avait en main la boyte des aulmosnes
et celui qui tenait le livre des recettes et dépenses
eurent à rendre leurs comptes chaque année , le jour
de la Conception.
Défense fut faite aux confrères « de ne soy dire
» ni proférer aulcunes parolles injurieuses les ungs
» contre les aultres; pareillement ne jureront ny blas» phémeront le sainct nom de Dieu , et ne porteront
» aulcunes armes , espée, ne dague , quant ils feront
« leurs assemblées, et ce sur peyne d’une livre de
» cire pour chascung des susdits trois points, et en
» cas qu’ils se treuvent si téméraires de contravanir
» à ce que dessus ils seront desmis de leur degré. »
Les confrères furent tous tenus d’assister aux as
semblées générales de l’œuvre, sous peine d’un sol
d’amende , au profit des pauvres.
Enfin , le règlement contint cette dernière clause :
» chascung des contraires, en sa réception , payera
» sept sols, et toutes les années, à la dite feste Nostre» Dame, payera un sol pour l’entretenement de la
» dite confrairie, et ceulx qui donneront davantaige
�— 340 —
» auront plus grand mérite et récompense en Dieu qui
» est aulteur et rémunérateur de semblables oeuvres
» pitoyables. 1 »
Depuis l’origine de t'oeuvre jusques en 1591, deux
cent soixante-un confrères se firent successivement
recevoir. La presque unanimité donna sept sous. Un
très petit nombre fournit une somme un peu plus
forte. L’un des récipiendaires , Honorât Rey, fit don
d’une branche décorait.
En 1591, on ne reçut que quatre confrères; quatre
aussi en 1592 , et treize en 1593. Il y eut parmi eux
le consul Charles de Casaulx qui ne donna que douze
sous.2
Des femmes de toute condition s'enrôlèrent aussi,
sous le nom de soeurs , dans la confrérie de NotreDame-de-Miséricorde. Le rôle de celles qui s’étaient
fait inscrire jusques en 1593 montait à 357. 3
L’œuvre continua de siéger dans une chapelle de
l’église des Accoules. Elle en sortit en 1613 et alla
s’établir dans l’hôpital Saint-Esprit. Ce fut là qu’elle
procéda, le 24 novembre, à ses élections pour l’année
suivante. 1
1. Grand livre coté par lettre B pour la confrairie des sept huvres
de Miséricorde à M arseille, 1578. In-folio, M S , premières pages, aux
archives du Bureau de Bienfaisance de Marseille.
2. Même grand livre B , fol. 5 , et suiv.
5. Même grand livre B , fol. 9 , 10 et 11 recto et verso.
4. Grand registre des recettes et dépenses de la confrérie de NotreDame-de-M iséricorde, in-folio marqué E , fol. 42 verso , aux archives
du Bureau de Bienfaisance.
�Le 14 avril 1687, le bureau délibéra d’abandonner
l’hôpital, d’acquérir une maison et d’y fixer le siège
de la confrérie. Il fut dit que les frais d'achat et d’ap
propriation ne devraient pas excéder 15,000 livres 1
Ce projet n’eut pas de suite, et l’on jugea con
venable de rester dans l’Hôtel-Dieu, en continuant
de desservir l’autel de Notre-Dame-des-Sept-OEuvresde-Miséricorde dans l’église des Accoules.
Les choses en étaient là lorsque le 7 octobre 1690 ,
Nicolas d’Hermitte , seigneur de Belcodène et de
Fuveau , proposa de donner à la confrérie une mai
son 2 ayant façade sur la rue du Petit-Mazeau ou de
la Guirlande et sur une autre rue dite de Thomas
Luquin. 3 Mais cette donation n’était pas pure et
simple. D’Hermitte stipulait en sa faveur, sa vie
durant, des conditions fort avantageuses , et il y eut
bien des conférences pour régler toutes choses à la
satisfaction commune. Le 9 mai 1694 , l’évêque pré1. Livre 5 des délibérations do bureau de l’œuvre de Notre-Dame-deMiséricorde, de 1685 à 1694 , fol. 57 verso, aux archives du Bureau
de Bienfaisance de Marseille.
2 . Livre 14 du trésor de Notre-Dame-de-M iséricorde , coté CG , du
1673 à 1689, fol. 143 et 144 recto et verso, aux archives du Bureau
de Bienfaisance.
3. Registre H H des actes de reconnaissance des censes et directes
de l’hôpital Saint-Esprit et Saint-Jacques-de-Gallice de Marseille, fol. 27
verso et su iv ., aux archives de l’Hôtel-Dieu. La rue de Thomas Luquin
reçut plus tard du peuple le nom de la Miséricorde qui ne changea
plus. Cette rue ", qui était fort étroite, disparut, il y a une trentaine
d’années, lorsqu’on démolit un assez grand nombre de maisons pour faire
la place Villeneuve joignant l’Hôtël-de- Ville.
�sida un bureau extraordinaire qui donna à deux
fondateurs, deForesta et Conte, le pouvoir de rédiger
un projet d’accord. D’Hermitte satisfit à tous les désirs
qu’on lui exprima et l’acte définitif fut passé le 11
mai \ 694.1
Le donateur avait voulu qu’une chapelle fût cons
truite dans sa maison ; 2 mais le chapitre des Accoules
s’opposa à la construction de cette chapelle, et son
opposition fut admise par le juge du palais. On tran
sigea en \ 695. Il fut dit que la chapelle serait achevée,
mais que les prieurs de la Miséricorde fourniraient,
comme ils l’avaient fait jusques alors, les ornements
et le luminaire de l’autel de Notre-Dame-des-SeptOEuvres, et qu’on y célébrerait les messes basses des
fondations, les anniversaires, les services pour les
prieurs décédés. Divers droits de l’église des Accoules
furent aussi maintenus et il en fut de même des
prérogatives de la confrérie de la Miséricorde. On
stipula que ses prieurs continueraient d’assister avec
leurs flambeaux aux processions de cette église ;
que leur banc, orné d’un tapis, leur serait con
servé ; qu’ils auraient un tronc particulier ; qu’ils
passeraient le bassin les jours de grande fête et en
temps de jubilé.
1. R egistre^ ci-dessus cité, fol. 150 verso, lo i redto et verso,
152 recto et verso.
2. Livre 6 des délibérations du bureau de l’œuvre de Notre-Dam e-deMiséricorde, 1694 à 17 07, fol. 4 recto et verso.
�On bénit la chapelle le 18 novembre 1695 , et le
prêtre Gaspard Paul la desservit moyenant 120 livres
par an. 1
Cependant le bureau de la Miséricorde siégeait tou
jours dans l’hôpital Saint-Esprit. Il louait la maison
de d’Hermitte au prix annuel de 420 livres qui s’éleva
progressivement à 600 , et ce ne fut qu’en i 733 que
le bureau se résolut à siéger dans cette maison. Le
16 janvier de l’année suivante, il abandonna pour
toujours l’Hôtel-Dieu et vint se fixer dans le nouveau
local. 2
Il en sortit trente-six ans après. Le 16 mars 1770,
il acquit aux enchères publiques, de la masse des
créanciers des ci-devant soi-disant Jésuites3 expulsés
par arrêt du parlement d’Aix , la maison de SainteCroix et toutes ses dépendances, au prix de 20,500
livres. Les recteurs s’empressèrent de fixer le siège
de l’œuvre ù Sainte-Croix qui leur offrait plus d’espace
et de commodité. Le 7 avril, ils firent avec pompe
1. Registre 6 ci-dessus cité , fol. 29 recto et 50 recto. Les salaires
du prêtre desservant la chapelle de la Miséricorde furent augmentés
plus tard et enfin portés à 300 livres par an.
2. Livre 8 des délibérations du bureau de l’œuvre de Notre-Dam ede-Miséricorde , du 15 juillet 1719 au 50 avril 1 7 3 4 , fol. 262 et 265
recto et verso, 265 recto et verso, 285 recto.
3. Registre 11 des délibérations du bureau de Notre-Dam e-de-M iséricorde, du 2 mars 1770 au 17 août 1787 , fol. 1 recto, aux archives du
Bureau de Bienfaisance. — Sur l’acquisition du local de Sainte-Croix ,
voyez aussi les diverses pièces transcrites dans le registre 18 du trésor
de Notre-Dame-de-M iséricorde, coté GG de 1763 à 1 7 9 2 , fol. 51 et
su iv ., aux mêmes archives.
�— 344 —
l’ouverture de la nouvelle église, malgré la protes
tation du chapitre des Accoules qui s’y opposa sous
le prétexte que la Miséricorde avait déjà une église
dans le district de la meme paroisse. 4
Le roi érigea cette œuvre en hôpital général, par
lettres-patentes du mois de septembre 4692.2
Les membres du bureau , qui étaient au nombre
de sept d’après les statuts de 4578, furent, un siècle
après, portés à dix, 3 et plus tard à treize. Il y eut
douze recteurs électifs, parmi lesquels un gentil
homme, et de plus un fondateur de service pris chaque
année suivant l’ordre du tableau. Le service des douze
recteurs électifs durait deux années, et le bureau
nommait annuellement les six nouveaux membres le
troisième dimanche du mois de novembre. Le premier
samedi du même mois, tous les recteurs assemblés
désignaient chacun des candidats de leur choix. On
en dressait la liste générale sur laquelle le bureau en
désignait dix-huit qu’il présentait aux suffrages de
tous les confrères delà Miséricorde. L’évêque de Mar
seille , e t, en son absence , le recteur gentilhomme,
présidait la séance.4
Le service de santé fut organisé de bonne heure.
1. Registre 11 ci-dessus cité , fol. 6 et suiv.
2. Voyez ces lettres-patenles aux archives du Bureau de Bienfaisance.
3. Registre 6 des délibérations du bureau de l’œuvre de Notre-Damede-Miséricorde, fol. 92 recto et verso , 94. verso.
4. Règlem ent pour messieurs les recteurs de l’hôpital de la Miséri
corde. M arseille, 1 7 2 5 , p. 8 , 9 , 10 et 11.
�345 —
Les médecins de la Miséricorde ne reçurent que trente
livres d'honoraires par an jusquesen 1670. Alors on
en donna cinquante aux docteurs Bouche , Bremond
et Tornesi qui faisaient ce service.1Mathieu, Gautier,
Laugier, Chesneau , Maty, Maro , Brunet, Laurens,
Giraudon, Bertrand , Portai, Manseau et Augier
furent successivement employés au même service
dans le 17e siècle.2 Les apothicaires Arnieu, Besson,
,Feau, Molat, Amand, Lapierre, Normand, Besson,
Geoiffroi, Chabert, Bigarron et Vague fournirent tour
à tour leurs médicaments et leurs soins aux pauvres
malades de l’œuvre.3 Feau et Amand montrèrent un
désintéressement digne d’éloges, car ils acquittèrent
plusieurs fois gratuitement leurs comptes.1
b
.
1. Libvre 2 dans lequel sont escriptes, anottées et incérées les pro
positions et délibérations ensuite faictes par messieurs les fondateurs et
prieurs de la vénérable confrérie et luminaire soubs le tiltre NostreDame-de-Miséricorde érigée dans l’églize Nostre-Dame-des-Accoules de
ceste ville de Marseille , du 9 décembre 1655 au 15 avril 1 6 7 3 , fol. 29
recto et verso , 60 recto.
2 . Même libvre 2 , fol. 85 verso, 99 verso et 100 recto. — Livre 3
des délibérations ensuite des propositions faictes aux bureaux teneus
par messieurs les fondateurs et prieurs de la vénérable confrérie et lu
minaire sous le tiltre Nostre-Dame-de-M iséricorde, accom ancé le 22e
d’apvril 1675, fol. 48 recto, 62 recto, 76 verso, 81 verso, 84 recto.
— Livre 5 , fol. 23 verso, 62 verso, 99 verso.
5. Livre 2 ci-dessus cité , fol. 29 recto et verso , 42 verso.—Livre 3
des mêmes délibérations, fol. 38 recto, 87 verso , 88 verso.— Livre 5
des mêmes délibérations, fol. 53 verso.
4. Livre 2 , fol. 42 verso, 78 recto et verso.— Livre 3 , fol. 91 verso.
— Livre 4 , passim. — Livre 5 , fol. 49 verso , 99 recto, 102 recto.
— Livre 6 , fol. 11 verso.
�En 1703, le service médical de la Miséricorde était
fait par les docteurs Gandolfe et Sicard. * Ce dernier,
ne remplissant pas ses devoirs avec convenance, fut
congédié le 5 janvier 1704.2 Des plaintes s’élevèrent
plus tard contre la négligence d’autres médecins de
l’œuvre. D’ailleurs , à cette époque , les docteurs en
médecine n’étaient qu’en très petit nombre à Mar
seille et leur choix devenait souvent difficile pour les
services hospitaliers. Le 11 mai 1710, un bureau
extraordinaire de la Miséricorde organisa le service
de santé sur une nouvelle base et remplaça les méde
cins par des chirurgiens. Il en nomma huit qui furent
ainsi répartis par quartier : Dublieux et Aulanier à
Cavaillon ; Bouquet et Delui à Saint-Jean ; Desmichel
au Corps de Ville ; Eyssautier à Blanquerie ; Démons
et Dalmas dans l’agrandissement. Le salaire de chacun
d’eux fut fixé à 75 livres par an. 3
Cette organisation n’eut pas une longue durée. Les
médecins de Marseille étant devenus plus nombreux
et généralement plus zélés pour le service des pauvres,
le bureau de la Miséricorde, le 21 mars 1716 , en
1. Livre G des délibérations du bureau delà confrérie de Nolre-Dam ede-Miséricorde , de 1694 à 17 07, fol. 201 recto et verso, 204 verso ,
aux archives du Bureau de Bienfaisance de Marseille.
2. Même registre 6 , fol. 216 verso.
5. Livre 7 des délibérations du bureau de l’hôpital général de la
Miséricorde de M arseille, du 23 juillet 1707 au 8 juillet 17 19, fol. 52
verso . 53 recto et verso, 54 recto , aux archives du Bureau de Bien
faisance.
�nomma six pour ses malades et fixa à 80 livres par
an les gages de chacun d’eux. 1 Le 19 août 1716 ,
il en nomma deux de plus.2 II fit, en 1728, un rè
glement pour le service de santé, cinq chirurgiens
étant alors employés concurremment avec les méde
cins. Ces derniers eurent un salaire de 100 livres.3
Les chirurgiens de Cavaillon, de Saint-Jean et de l’a
grandissement reçurent chacun 45 livres ; ceux du
Corps de Ville et de Blanquerien’en touchèrent que 40.
Le nombre des apothicaires de l’œuvre qui était de
cinq depuis 1703 fut porté à huit, et leurs fournitures
furent faites à des prix réduits suivant un tarif. *
Pendant quarante-trois ans il n’y eut aucun chan
gement dans le service de santé de la Miséricorde.
Le 24 mai 1771 , on signala au bureau la négligence
des médecins de l’œuvre et les abus qui en résul
taient. On dit que quelques-uns d’entre eux signaient
des ordonnances sans voir les malades et que souvent
ils confiaient à des intrus le soin de ces malheureux.
Le bureau délibéra, le 31 du même mois, de faire
1. Même registre 7 , fol. 215 verso et 216 recto.
2. Livre 8 desdites délibérations, du 15 juillet 1719 au 30 avril
1 7 3 4 , fol. 3 recto.
5. Fol. 66 du répertoire du registre 10 et des registres suivants des
délibérations du bureau de Notre-Dame-de-Miséricorde, ledit registre 10
ne se trouvant plus aux archives du bureau de Bienfaisance.
4 . Livre 6 des délibérations du bureau de l’hôpital général de la
Miséricorde de Marseille, fol. 198 verso, 223 recto. — Livre 7, fol. 155
verso, 159 recto et verso. — Livre 8 , fol. 26 verso et 27 recto, 76
recto et verso, 138 recto , 163 recto.
�un nouveau règlement pour le service médical, et le
28 juin ce règlement fut adopté dans une assemblée
extraordinaire à laquelle les échevins assistèrent.1
On prit les précautions les plus délicates pour que
le voile du mystère couvrit toujours les infortunes
soulagées par l’œuvre. Le bureau avait divisé la ville
en six quartiers que les recteurs se partageaient pour
les aumônes. Ces quartiers étaient naturellement les
quatre de la ville ancienne , Saint-Jean , Cavaillon,
Corps de Ville et Blanquerie , et deux seulement de
la ville nouvelle qu'on appelait l’agrandissement :
l’un dit des Arcs de la porte d’Aix, l’autre de SaintFerréol.2
Il y eut un médecin et un chirurgien par quartier.
Chaque recteur « devait observer de près ceux de son
» département, afin qu’ils eussent soin des pauvres,
» car on en trouvait qui ne pensaient qu’à attraper
» les appointements, sans s’acquitter que fort légè» rement de leurs obligations.3 » Quelques recteurs
ne remplissaient pas mieux leurs devoirs, et les pau
vres souffraient quelquefois de la négligence de celui
de leur quartier. i
1. Même registre 1 1 , fol. 28 recto, 29 recto, verso et suiv.
2. Règlem ent de l’hôpital général de la grande Miséricorde de cette
ville de Marseille, pour le traitement des pauvres malades du ressort de
l’œuvre. Marseille, chez Antoine Favet, imprimeur, in-8° de quatorze p.
3. Règlement pour messieurs les recteurs de l’hôpital de la Miséri
corde. Marseille , 17 23, chez Henri Mesnier, imprimeur, p. 25.
4. Même règlement de 17 25, même page 25.
�Le 24 juillet 1773 , la fourniture des remèdes ne
fut donnée qu’à quatre apothicaires.1
A cette époque , l’œuvre de la Miséricorde divisa
la ville en huit départements pour la distribution des
aumônes et des remèdes. Le quartier de Saint-Jean
fut divisé en deux. Les trois départements de la nou
velle ville furent le faubourg Saint-Lazare, le quartier
des allées de Meilhan et celui de Saint-Ferréol.2
Un écrit publié vers ce temps pour solliciter les
aumônes des gens de bien disait : « l’hôpital général
» de la Miséricorde réunit tous les secours que l’indi» gent peut espérer de la religion et de l’humanité.
» Il fournit des nourrices aux enfants légitimes dont
» les mères indigentes manquent de lait. Il paye les
» porteurs de chaises qui conduisent les pauvres ma» lades à l'Hôtel-Dieu et fournit des remèdes à ceux
» qui n’y sont pas admis. Huit médecins et huit chi» rurgiens sont payés pour les visiter. Si ces malades
» meurent, l’hôpital de la Miséricorde leur fait rendre
» les derniers devoirs, ainsi qu’à tous les pauvres. »
« L’objet principal de l'œuvre est de subvenir aux
» besoins de toutes les familles honorables. »
« Presque tous les infortunés rougissent de leur
» indigence. Dénués de tout, ils s’exposent à périr
1. Registre 11 des délibérations du bureau de l’hôpital général de la
grande Miséricorde de Marseille, fol. 4-3 recto et verso.
2. Tableau des huit départements de l’hôpital général de la Miséri
corde. A M arseille, de l’imprimerie d’Antoine Favet. ln-12 de huit pag.
�--------- — — —
— 350 —
» d’inanition. Ils concentrent leurs douleurs et cachent
» leurs larmes. L'oreille attentive du directeur de la
» Miséricorde s’applique à les entendre. S’il y par» vient, ou si quelque ami de confiance lui dit un
» mot , son zèle actif s’éclaire avec circonspection.
» A peine est-il instruit, qu’il dénonce au bureau la
» pauvreté du citoyen respectable qui souffre, mais
» il en tait le nom. Son rapport voile tout ce qui peut
» le faire connaître, et le bureau partageant cette
» discrétion , fixe une pension proportionnée à l’état
» et aux besoins de celui qui doit la recevoir. La main
» qui distribue le secours se cache. Le malheureux
» n’a jamais à rougir du soulagement qu’il reçoit. »
« C’est ainsi que l’œuvre de la Miséricorde soutient
« des maisons que la naissance et les services rendent
» également respectables ; des négociants précieux à
» l’état ; des bourgeois chers aux citoyens dont ils
» sont l’élite; des capitaines recommandables par
» leurs talents ; enfin , des familles distinguées par les
» sentiments de l’honneur et de la vertu. »
« Quelquefois relevés par des évènements heureux
» ces infortunés n’ont cessé d’être les pensionnaires
» de l'œuvre que pour en devenir les bienfaiteurs.1 »
Le règlement exigeait que le recteur ne put faire
une seconde visite aux malades sans qu ils se fussent
1. Règlement de l’œuvre de l’hôpital général d elà grande Miséri
corde de M arseille, in-8° de quatre pages, sans nom d’imprimeur et
sans millésim e.
�2 II y avait alors, sur l’exercice des vertus
miséricordieuses, des idées qui maintenant ne sont
plus de mise, du moins d’une manière absolue,
parce que la tolérance , telle qu’on la comprend et
qu’on la pratique aujourd’hui, est la fille immortelle
de nos mœurs et de nos lumières.
L’hôpital général de la Miséricorde étendit ses au
mônes au-delà des règles prescrites par ses fonda
teurs. Les lettres-patentes de 1692, de même que
les premiers statuts de l’œuvre, lui donnaient mis
sion de ne secourir que les personnes qui, après avoir
fait quelque figure dans le monde, étaient tombées
dans la misère. Mais les recteurs , par une tendance
bien naturelle, firent participer à ces aumônes des
malheureux d’un rang inférieur. La situation devint
fâcheuse pour les finances de l’œuvre. 2
Le bureau fixa son attention sur cet état des choses
dans l’assemblée extraordinaire du 30 avril 1786.
Chacun jugea nécessaire de ramener l'institution à
son origine ancienne. Le 9 juin on délibéra de n’ad
mettre aux aumônes que les personnes d’un état
honorable, dans certaines conditions de citadinage
et de domicile , à savoir : 1° les nobles; 2° les négo
ciants ; 3° les bourgeois ; 4° les capitaines marins qui
confesser..
1. Règlem ent pour messieurs les recteurs de l’hèpital de la Misé
ricorde, 1 7 2 5 , p. 22 et 25.
2. Extrait du livre des délibérations du l’hôpital général de la Misé
ricorde, bureau tenu le 9 juin 1786. A M arseille, de l’imprimerie de
Pierre-Antoine Favet, 1788, in-40 de quatre pages.
�avaient débuté par le grade d’officier ou d’écrivain ,
à l’exclusion de ceux qui étaient entrés dans la car
rière en qualité de matelot ; 5° les officiers de l’armée
de terre et de mer ; 6° les marchands en détail qui
avaient occupé des charges municipales, ou dont les
noms avaient été mis dans la boîte dorée aux élec
tions de l’Hôtel-de-Ville , ou qui avaient servi comme
administrateurs dans les grands hôpitaux ; 7° les
médecins agrégés dans le collège de Marseille ; 8° les
maîtres chirurgiens reçus dans le corps de chirurgie
de la même ville ; 9° les maîtres apothicaires qui y
avaient eu boutique ouverte ; 10° les avocats ; 110 les
notaires et les procureurs; 12° les prud’hommes des
patrons pêcheurs.
On ajouta que les veuves et les enfants des per
sonnes comprises dans les états mentionnés seraient
secourues dans leur détresse, suivant leurs charges
et leurs besoins , à l’exception des veuves et des
enfants des prud'hommes que l’œuvre n’admettrait
qu’à titre personnel, sans jamais appeler leurs fa
milles à ses avantages.
L’hôpital de la grande Miséricorde, dans la seconde
moitié du XVIIe siècle, donnait trois livres aux
pauvres filles qui se mariaient.1 Le 28 juin 1687,
le bureau délibéra de supprimer cette aumône, at
tendu que l’œuvre était grandement surchargée et
I. R egistres des délibérations du bureau de la Miséricorde, fol 29
recto et verso. Voyez aussi le registre 5 , fol. 75 verso et passim.
�— 353
que les prieurs avaient fait des avances considé
rables. 1
Par acte du 7 mars 1682, Jean Curiol, trésorier
général de France, fit une fondation pour marier
toutes les années six pauvres filles de Marseille. Il
donna à l’œuvre de la Grande Miséricorde et à l’hôpital
de la Charité une rente constituée de 600 livres que
cette ville lui devait. Il se réserva pendant sa vie le
choix des filles et le laissa, après sa mort, alterna
tivement chaque année, aux recteurs de la Miséri
corde et à ceux de la Charité. Chaque fille désignée
reçut ainsi en dot la somme de cent livres. 2
A peu près à la môme époque, César Lambert,
écuyer, institua un autre fondation perpétuelle pour
marier toutes les années cinq pauvres filles choisies
par la Grande Miséricorde qui eut à donner à chacune
60 livres de dot ; 3 et par testament du 4 juillet 1729,
le maître vitrier Jean Gardet légua à la même œuvre
une maison située rue Fontaine-Sainte-Anne , à la
charge d’en employer, tous les ans à perpétuité, les
revenus au mariage d’une pauvre fille. 1
t . Livre 5 des délibérations du même bureau, fol. 42 verso.
Une délibération du bureau du 6 février 1717 fixa à 1,500 livres le
maximum des avances que les recteurs faisaient de leurs propres deniers.
Voyez le registre 7, fol. 251 recto.
2. Registre 4 des délibérations du bureau de la confrérie de NotreDam e-de-M iséricorde, fol. 54 verso et 55 recto.
5. Même registre 4. Passim.
4. Après un demi siècle d’ou b li, la fondation de Gardet est la seule
qui soit aujourd’hui rétablie. La maison de la rue Fontaine-SainteTOME II.
t 25
�L hôpital général de la Miséricorde donna ainsi
chaque année à douze pauvres filles une dot qui fut
prises sur des fonds spéciaux. Comme il se présentait,
pour cette faveur, beaucoup plus de filles qu’on ne
pouvait* en nommer, le bureau, au commencement
du XVIIIe siècle , délibéra d’user à l’avenir de la voie
du sort pour leur désignation. 1
Cette œuvre jouissait d’une si grande confiance
qu elle reçnt un grand nombre de libéralités. César
Lambert ne borna pas sa générosité à la fondation
dont je viens de parler. Par testament du 1er février
1683 , il laissa à la Miséricorde une propriété consi
dérable qui confrontait au quai de Rive-Neuve 2 et
que cette œuvre fut bientôt obligée de céder à la
ville. En 1666, Arnoul, intendant delà marine à
Marseille , s’était emparé, par ordre du roi, du plan
Fourmiguier pour l’arsenal des galères.3 Les échevins
jetèrent les hauts cris; ils se plaignirent à toutes les
puissances, comme on disait alors, et supplièrent
Anne, 7 , ayant été vendue au prix de douze m ille francs ensuite d’un
jugem ent d’expropriation pour cause d’utilité publique , M. Luce père ,
administrateur du Bureau de Bienfaisance, proposa , le 28 février 1845,
de destiner annuellement les intérêts de ce capital à l’application pres
crite par le bienfaiteur, e lle bureau adopta la proposition.
1. Livre 6 des délibérations de l’œuvre de Notre-Dame-de-M iséricorde, de 1694 à 1707, fol. 268 recto et verso.
2 . Livre 14 du trésor de Notrc-Dam e-de-M iséricorde, co téC C , de
1673 à 16 89, fol. 47 verso, 48 recto et verso, et su iv ., aux archives
du bureau de Bienfaisance.
3 . Registre 64 des délibérations m unicipales, fol. 4 verso, aux ar
chives de l’Hôtel-de—Ville de Marseille.
�355
Colbert de leur laisser au moins la moitié du plan
Fourmiguier qui était nécessaire au besoin du com
merce. Il cédèrent à la force , mais ils ne cessèrent
leurs doléances que lorsqu’on leur eut promis un
autre terrain pour la construction des vaisseaux mar
chands. 1
Cependant ce terrain ne leur fut pas donné, et la
ville de Marseille se vit obligée d’acheter des reli
gieuses Bernardines , au prix de 30,000 livres , une
partie de leur jardin pour y établir le nouveau chan
tier de construction.2 Mais quelques années après,
ce chantier ayant encore été pris par le roi, sans
indemnité, pour l’agrandissement du parc et de l’ar
senal des galères, la ville acquit, le 12 novembre
1689, des prieurs de la Miséricorde, par voie d’expro
priation et au prix de 45,383 livres, la propriété
Lambert, pour un autre chantier de construction 3
qui reçut aussi le nom de plan Fourmiguier.
Les principaux bienfaiteurs de la Miséricorde, dans
le XVIIe siècle, furent Rostang Belliard , Alexandre
1. Premier registre des copies des lettres des consuls de M arseille,
du 6 novembre 164.0 au 16 juillet 1669. Lettre écrite à Colbert le 15
juin 1666 , aux archives de la ville.
2 . Acte de désemparation faite à la ville de Marseille, par les prieurs
de la Miséricorde, de la maison et terre pris pour le chantier de cons
truction des vaisseaux marchands. Registre 92 des délibérations du
conseil m unicipal, du mois de novembre 1689 au mois d’octobre 1 6 9 0 ,
fol. 14 verso et su iv ., aux archives de la ville. — Livre 14 du trésor
de Notre-Dame-de-Miséricorde ci-dessus cité, fol. 155 et suiv.
o. Acte de désemparation ci-dessus cité.
�de Gasparo, Jean de Boniface de Cabanes , Lazare
Brunet, de Loquaire, Dominique d’André de Ve
nelles, Jean Ferrier, Nicolas d’Hermitte, qui ajouta
un don de 9,000 livres à celui de sa maison. Les
dames de Forbin Gardanne , de Fabre, Catherine
Allaman , Seriaso de Villages , Marguerite Jaubert,
Anne de Borrely, la veuve de la Croix, se signa
lèrent aussi par leurs largesses. Dans le siècle sui
vant , nous remarquons Honoré Caire, Mathieu
Fulcon, Servan , Venture , d’Arène de la Forbine ,
Raimond Gleize , Barthélemy Senès , Jean Giraud ,
chanoine des Accoules , et les dames de Raimondi,
de Lestrade , Catherine Augier, Anne Bourre. Je
ne parle pas d’une foule d’autres personnes qui
acquirent des titres à la reconnaissance des pau
vres. 1
Belsunce voulut aussi s’incrire au nombre de leurs
bienfaiteurs. Cet évêque, toujours dominé par les
Jésuites, leur avait tout donné : son âme et sa fortune.
Par testament du 18 février 1750 , il disposa pour
tant du peu de bien qui lui restait; et, après avoir
fait un grand nombre de legs sans importance, il
laissa le tiers de son héritage aux pauvres de la
Miséricorde de Marseille ; un autre tiers à ses officiers
et à ses domestiques ; le dernier tiers aux indigents
des terres et seigneuries de son évêché, ainsi qu’à
1.
P ussim .
Voyez tous les livres du trésor de Nolre-Dame-de-M iséricorde.
�— 357
ceux de ses deux abbayes de Saint-Arnoul de Metz
et de Notre-Dame-des-Chambons. 4
Des capitaux importants ayant été remboursés à
l’hôpital de la Miséricorde , lequel disposait ainsi de
fonds dont il fallait faire emploi, les recteurs ache
tèrent , le 22 décembre 1746 , au prix de 120,000
livres, 2 le domaine des Bernardines qui produisait
7,000 livres par an. 3
L’œuvre trouva sa force dans les sympathies publi
ques qui l’aidèrent si puissamment ; mais les pouvoirs
officiels ne l’assistèrent qu’à de longs intervalles et
dans une étroite mesure. En 1586, les consuls de
Marseille lui firent compter dix écus 4 et lui donnè
rent quatre charges de blé en 1594. J Pendant une
vingtaine d’années , à dater des premières du XVIIe
siècle, la ville fournit à cette utile confrérie une
subvention de 60 livres par an 6 et ne lui alloua plus
1. Livre 17 du trésor de Notre-Dam e-de-M iséricorde, coté FF , de
1745 à 1 7 6 3 , fol. 235 verso, 236 et 257 recto et verso , 258 recto ,
aux archives du Bureau de Bienfaisance.
2 . Registre 9 des délibérations du bureau delà Miséricorde, fol. 257
recto et verso.
5 . Livre 17 du trésor ci-dessus cité, fol. 57 verso, 58 recto et verso
et suivants.
4. Grand livre coté par lettre B pour la confrérie de sept huvres de
Miséricorde à Marseille, registre déjà cité, 1578-1611, fol. 133 verso.
5. Même registre B , fol. 242 recto.
6. Même registre B , fol. 470 recto. — Grand registre in-folio mar
qué E , au nom de la Sainte-Trinité, Père, Fils et Saint-Esprit, e t c .,
p. 231 et su iv ., aux archives du Bureau de Bienfaisance.
�rien jusques en 1691. Les échevins lui délivrèrent
alors un mandat de 1,500 livres. Ils lui payèrent
6,000livres l’année suivante, c’est-à-dire 3,000 livres
spontanément, 3,000 livres encore en vertu d’une
ordonnance de l’intendant de Provence. 4
Le conseil d’état, par arrêt du 2 avril 1675, obli
gea les fermiers du tabac à donner annuellement 875
livres à l’hôpital général de la Miséricorde de Mar
seille. 2
Les divers arrêts de ce conseil, qui fixèrent les
dépenses ordinaires de la communauté de Marseille ,
ne s’occupèrent pas de cette œuvre à laquelle on
alloua seulement quelques droits sur les bâtiments
sortants du port.3 Elle n’eut donc guères à compter
que sur les libéralités particulières. Mais en 1783 une
bonne fortune lui obvint. Les négociants de Marseille
ayant donné cent mille livres aux familles des marins
qui avaient souffert de la guerre , la chambre de
commerce en appliqua 15,000 à la Miséricorde, et
la ville lui en accorda 3,000 à l’occasion de la paix.4
Elle avait bien grandi cette œuvre si utile. Depuis
1. Registre 5 des délibérations du bureau de Notre-Dame-de-M isériçorde , de 1685 à 16 94, fol. 78 recto, 88 verso, 89 recto et 95 recto ,
aux mêmes archives.
2. Voyez la copie du mémoire rem is, au mois de janvier 1 7 5 0 , à
Billon , subdélégué de l’intendant de Provence. Livre 17 du trésor de
Nolre-Dam e-de-M iséricorde, fol. 216 verso.
5. Ces droits ne furent que de 500 livres environ par an.
4. Registre 11 des délibérations du bureau de l'hôpital général de la
Miséricorde de Marseille, fol. 184 recto et verso , et 188 recto.
�— 359
le 8 mai 1578 , jour de son organisation régulière,
jusqu’à la fin de cette année , scs recettes ne furent
que de 23 écus 39 sous. 1 Elle encaissa 427 écus en
1579 et beaucoup moins les années suivantes. Dix
ans après sa fondation, ses finances entrèrent dans
une voie toujours ascendante. La confrérie reçut 571
écus 43 sous en 1590 et G92 écus 17 sous la dernière
année du XYIe siècle.2
Dix ans lui suffirent alors pour augmenter ses re
venus de plus du double. En 1620, ses recettes
atteignirent le chiffre de 4,425 livres.3 Elles dépas
sèrent 7,000 livres vingt ans après. Le mouvement
d’ascension est indiqué par les chiffres suivants :
Année 1670, Recette 10,985 liv. » s. 11
8 6
» 1680, » 13,839
8 »
» 1690, » 16,580
» 1700, » 26,988 17 3
En 1719, le budget de la Miséricorde fut de
109,162 livres pour les recettes et d’une somme à
1. Livre du trésor de Notre-Dame-de-M iséricorde, coté 12 A A , infolio, premières pages, aux archives du bureau de Bienfaisance.
2. Grand livre coté par lettre B , plusieurs fois cité, fol. 149 à 288.
5. Grand registre des recettes et dépenses, coté E et déjà c ité ,
p. 231 et suiv.
4. Registre F des recettes et dépenses de Notre-Dame-de-M iséricorde,
fol. 94, 1 0 5 , 2 0 9 , 518. — Registre K, fol. 24 verso, 25 recto, 255
verso et 234 recto. — Registre L , fol. 117 verso et 118 recto. — Re
gistre M, p. 52 ; tous ces registres aux archives du Bureau de Bien
faisance.
�260 —
peu près pareille pour les dépenses. 1 II resta dans
ces limites pendant un assez grand nombre d’années ,
et l’on voit qu’il avait pris d’assez grandes propor
tions. Mais comme l'œuvre n'avait que 22,000 livres
de revenus fixes et 10,000 livres de recettes casuelles,2
elle recourut à des emprunts la plupart contractés à
constitution de rente. La recette dans laquelle ces em
prunts entraient était ainsi grevée de charges consi
dérables , et les pauvres ne touchaient que la plus
petite partie de la somme figurant dans le chiffre
des dépenses.
A la fin de juillet 1760 , les charges , les frais de
service et la distribution des aumônes s’élevaient en
semble à 111,300 livres, tandis que les recettes
n’étaient que de 63,761 livres, à savoir :
R ev en u s d e 1 ,3 2 5 ,3 6 6 de
ca p itau x à 4 1 /2 p . 0 / 0 .........
Q u ê te g é n é r a le .................................
L eg s a n n u e ls e t acco m p ag n e
m e n ts d es m o rts .........................
B illets d e so rtie d es b â tim e n ts.
A u m ô n es c a s u e lle s .......................
D ro it s u r la ferm e d es tab acs.
5 4 ,3 8 6 liv,
5 ,5 0 0
2 ,0 0 0
500
500
875
63,761
Ce qui manquait pour couvrir les dépenses était
1. Registre N des recettes et dépenses, sans pagination chiffrée.
2. Registre 9 des délibérations du bureau de l’hôpital général de la
Miséricorde , fol. 160 recto et verso.
�— 361 —
demandé à l’emprunt 1 dont les voies s’élargissaient
tous les jours.
Les recettes de l’exercice
de 1770 furent de..... 130,126 liv. 2 s. 11 d. 2
de 1780 » ....... 233,877 11 v5 3
de 1790 » ....... 267,634 10 9 J
L’œuvre ne possédait plus en immeubles et en divers
placements qu’un capital de 713,000 livres devant
s’élever à 1,200,000 livres environ lorsque les pen
sions viagères qu’elle payait et qui représentaient un
fond de 468,000 livres seraient éteintes. On espérait
que les revenus balanceraient alors les dépenses.
En 1790,l’hôpital général de la Miséricorde donnait
des secours en argent à 500 familles et soignait 1200
malades à domicile. Il en faisait porter 500 à l’HôtelDieu en chaise à porteur. Il fournissait des nourrices
à 150 enfants et payait les frais d’enterrement de
600 pauvres. y
1. Tableau des affaires de l’hôpital général de la Miséricorde de Mar
seille présenté à M. de Monclar, procureur-général au parlement de
Provence, le 29 juillet 1760. Livre 17 du trésor, registre cité, fol. 268
verso et 269 recto.
2. Registre R des recettes et dépenses dudit hôpital, de 1764 à 1777,
sans pagination chiffrée.
5. Registre S , de 1777 à 17 88, sans pagination chiffrée.
4. Livre des comptes du trésorier de la Grande Miséricorde , de 1788
jusques à l’an v de la république, sans pagination chiffrée, aux archives
du Bureau de Bienfaisance.
5. Extrait du discours prononcé parM . d’Antoine, directeur tréso
rier, dans la séance du 8 décembre 1 7 9 0 , jour de l’installation des
nouveaux directeurs. Registre 12 des délibérations du bureau, fol. 54
recto et verso , aux archivas du Bureau de Bienfaisance.
�—
' __
362
—
Pendant la révolution, les bureaux de charité
subirent le sort des hospices. Leurs biens furent acquis
au domaine national et leur administration à peu près
désorganisée. Toutefois le gouvernement, dans la loi
du 19 mars 1793, déclara que l’assistance du pauvre
était une dette publique et promit une somme annuelle
à chaque département pour secourir les malheureux.
Il décréta en outre diverses mesures administratives
dans chaque canton , en vue du même objet ; orga
nisa un système entier de charité légale et détermina
le domicile de secours.1 Le 9 décembre de la même
année, les représentants du peuple , en mission dans
le département des Bouches-du-Rhône, rendirent un
arrêté portant qu’il serait établi à Marseille une com
mission de vingt membres nommés par la commission
municipale , pour s’occuper sans délai de l’exécution
des lois de la convention nationale touchant la distri
bution des secours. Trois jours après, la commission
municipale choisit les citoyens Antoine Audibert,
Ganivet, Marcel Boyer, Torcat, Barbier, Calvy,
Boulouvard, Tiran, Fassy, Renaud, Meynier père,
Chaix, Martin, Agarrat, Yence, Ricaud, Noël Ri
chaud , Alexis Jean, Simian, Roch Icard.2 Le système
1. Répertoire de l’administration et de la comptabilité des établisse
ments de Bienfaisance, par Durieu et Germain Roche. Paris, 1 8 4 2 ,
t. 1 , p. 506 et suiv.
2. Registre 3 des délibérations du conseil général de la commune de
Marseille , du 28 août 1795 au 12 pluviôse an 2 , sans pagination chif
frée , aux archives delà ville.
�de la convention était fort beau, trop beau peut-être
pour l’exécution, car les choses praticables ont d’or
dinaire moins de grandeur, et notre tempérament
social ne s’accommode que des plans appropriés à sa
faiblesse. Aussi bien les projets de la convention na
tionale , en matière d’assistance publique, ne sortirent
pas du domaine de la théorie et se perdirent dans le
bruit de l’ébranlement général qui les fit bientôt
oublier.
L’œuvre de la Grande Miséricorde de Marseille n'en
continua pas moins d’exister. En 1793 , les membres
du bureau étaient Pierre-Antoine Solliers, Esprit
Bernard , Lazare Couturier, Thurbet aîné , Autran de
Bellier, Augustin Bernard, de Pavola, Henri Laurens,
Jean-Baptiste Court, Antoine Gazan , Jean-François
Michel et Alexandre Paret. 1 II n’y eut pas d’élection
cette année, et les recteurs qui siégèrent le plus sou
vent en ces temps calamiteux furent Court, Gazan ,
Autran de Bellier, Michel et Bernard. Ils furent main
tenus en 4794 et on leur adjoignit André Bertrand,
Antoine Richard, ancien droguiste ; Benoît Richard,
ancien juge ; Jean Gautier et Etienne Simian, anciens
capitaines marins , et Long de Cuges. Le 4 4 février
4794, le citoyen Parian , membre de la commission
municipale, vint les installer.2 Le 9 juillet 4795 , le
1. Registre R ides délibérations du bureau de la Grande Miséricorde
de Marseille, fol, 80 verso, aux archives du Bureau de Bienfaisance.
2. Même registre 12, fol 03 verso et 94 recto.
�— 364 —
conseil municipal reconstitua le bureau de la Grande
Miséricorde dont les membres furent Bernard, Court,
Michel, Antoine Richard , anciens administrateurs ,
elBichier, Audibert, Teissère, Magi, Mouton jeune et
Manoly jeune.3 Tels furent les derniers recteurs d’une
œuvre généreuse en faveur de laquelle deux siècles,
témoins de ses bienfaits, rendirent témoignage.
5. Registre 9 des délibérations du corps municipal de Marseille, du
messidor an 3 au 12 germinal an 4 , fol. 8 recto, aux archives delà
ville.
\S
�CHAPITRE XV.
(IillItliS DX Lit PETITE lUISÉItlCOKOE.
Fondation de l’œuvre de Saint-Martin. — Ses règlements. — Distribu
tion de ses aumônes. — Œuvre du Bouillon. — Autre œuvre de
Saint-Martin sous le titre du Cœur de la Sainte Vierge. — Bien
faiteurs de ces œuvres. — Avortement du projet d’une Petite
Miséricorde pour la ville entière. — Œuvres de la Major, des
Accoules, de Saint-Laurent et de Saint-Ferréol. — Leurs travaux
et leurs services. — Œuvre de Saint-Victor. — Institution de
bienfaisance à Notre-Dame-du-Mont. — Aumônes faites aux pauvres
de la Valentine et de Ohâteau-Gombert.
L’établissement de bienfaisance dont je viens de
faire l’esquise avait reçu le nom de Grande Miséri
corde pour le distinguer des œuvres de la Petite
Miséricorde créées dans chacune des cinq paroisses
de Marseille, avec mission de secourir les pauvres
malades d’un rang inférieur, exclus des œuvres de
la première œuvre. Ces fondations utiles et modestes
ont toutes mérité d’avoir un souvenir dans l’histoire
de nos institutions locales.
En 1641 , cinq Marseillais, hommes de bien et
de piété solide, Pierre de Sommaty, écuyer ; Guil
laume Ollive , Jean-Pierre Vin, Jean Marroty et Jean
Sossin , se concertèrent pour former une confrérie
chargée de donner des secours aux malades des classes
ouvrières de la paroisse Saint-Martin dans le district
de laquelle ils avaient tous leur résidence. Ils résolu-
�366 —
rent d’abord de communiquer leur projet à Antoine
Ollivier, chanoine de la meme église , comme capable
de les bien conduire dans cette entreprise. Le cha
noine les approuva et promit de les diriger. 1
Us travaillèrent aussitôt à la rédaction des règle
ments qu’ils achevèrent le 9 juin de la même année.
L’œuvre, établie dans l’église Saint-Martin sous le
titre du Saint-Sacrement de l'autel, fut régie par
douze confrères en mémoire des douze apôtres de
Jésus-Christ, sans comprendre dans ce nombre un
prêtre qui devait toujours en faire partie. Chacun
d’eux eut à donner au moins un écu par mois, et ils
furent tenus de s’assembler tous les dimanches pour
délibérer sur leurs aumônes toujours distribuées de
leurs propres mains. Ils faisaient deux à deux le
service semainier. 2
Le 1i juin, Jérôme Dantoine, bourgeois, fut agrégé
à la confrérie qui reçut successivement, dans le cou
rant de 1641 , Perrin, Issautier , le notaire Benoit,
Honoré Seigneuret, et au commencement de l'année
suivante Dathard de Sainte-Colombe et Pierre Baron
v qui complétèrent le nombre. On nomma dans la suite
aux places vacantes par décès ou autrement.3
1. Établissement de la Petite Miséricorde. Statuts et règlements que
les confrères de la paroisse Saint-Martin doivent observer dans leur
visite aux pauvres. Marseille, chez la veuve de Henri Martel, 1708,
p. 5 et suiv.
2. Ibid. p. 9 et suiv.
o. Ibid. p. 50 et suiv.
�f
— 367 —
Le 24 mars 1679, Jean Sossin, le seul des fon
dateurs qui vécut encore, pensa qu’il était nécessaire
d’augmenter le nombre des confrères et de le porter
à trente-trois en souvenir des trente-trois ans que
Jésus-Christ a passés sur la terre. Sa proposition fut
adoptée, et l'on fit plus tard des réceptions qui aug
mentèrent ce nombre.
La taxe de chaque confrère était toujours fixée à
trente-six livres par an, et l’on distribuait des secours
aux malades, non d’une manière uniforme pour tous,
mais suivant leurs véritables besoins. L’égalité dans
la distribution des aumônes choque les notions de la
raison et de la justice, caria misère n’étant pas tou
jours au meme degré, il faut bien tenir compte de
sa situation si diverse, et les besoins étant diffé
rents , les secours doivent l’être aussi. C’est ce qu’avait
compris et pratiqué l’œuvre de la Petite Miséricorde
de Saint-Martin. Cependant des préférences injustes
se glissèrent peu à peu dans l’administration de ses
aumônes, et l’ont crut remédier à cet abus en
adoptant une règle uniforme , sans acception des
personnes. On délibéra que les pauvres malades se
raient visités de deux en deux jours; que le confrère
visiteur se ferait accompagner d’un chirurgien ou
d’un apothicaire pour éviter toute surprise, et qu’à
chaque visite il donnerait à chacun des malades huit
sous qui furent réduit à six en 1687. Le nombre des
pauvres de Saint-Martin suivait l’accroissement de
�la population de cette paroisse qui n’avait que dix
mille âmes en 1641 et qui, cinquante ans plus tard
en comptait trente mille. On se trouva dans la né
cessité d’augmenter graduellement la taxe de chaque
confrère, laquelle fut enfin portée à près de 90 livres.1
Cependant des personnes d’une charité éprouvée
considérèrent comme insuffisant le secours de six sols
donné de deux en deux jours à chaque pauvre ma
lade. Elles pensèrent à fonder dans la paroisse SaintMartin une autre œuvre pour fournir du bouillon à
ces malades indigents, et il y eut plusieurs assem
blées qui discutèrent les voies et moyens , mais sans
aucun succès. Enfin, en 1690, des dames pieuses
de cette paroisse offrirent de pourvoir elles-mêmes à
tous les frais de l’œuvre et d’en prendre la direction.
Charles de Vintimille du Luc, évêque de Marseille,
accepta leur offre avec reconnaissance. Ces dames
s’en adjoignirent d’autres. Elles quêtèrent dans la
paroisse , 2 et grâce à leur zèle et à leurs efforts, on
fit du bouillon pour tous les pauvres malades de
Saint-Martin munis de la carte que leur donnait le
confrère visiteur de la Petite Miséricorde.3
1. Ibid. p. 48.
2. Exhortation aux dames de la paroisse Saint-Martin touchant la
distribution du bouillon qu’elles donnent aux pauvres malades de ladite
paroisse. Marseille, 1 7 0 6 , p. 6.
3. Établissement de la Pelite Miséricorde. Statuts et règlements que
les confrères de la paroisse Saint - Martin doivent observer dans leur
visite aux pauvres , p. 49.
�369
L’œuvre du Bouillon devint ainsi spéciale, indépen
dante de celle de la Petite Miséricorde, quoique animée
de la meme pensée et marchant vers le môme but. Elle
fut régie par des statuts particuliers et posséda en pro
pre des biens dont elle eut la libre administration.
Les dames et demoiselles de l’œuvre du Bouillon
de Saint-Martin étaient en nombre illimité. Les statuts
ne les taxaient point, bien qu’ils les obligeassent de
contribuer de leurs aumônes personnelles. Ils s'en
rapportaient sagement à leur esprit de charité com
biné avec ce sentiment d’amour-propre qui en règle
si bien l’usage dans les associations de bienfaisance.
Les pauvres certes n’y perdaient rien. L’évêque nom
mait un des vicaires de la paroisse pour assister ces
dames en qualité de directeur. Ce vicaire présidait
l’assemblée générale qui se tenait au moins une fois
par an, et la dame trésorière avait à lui rendre compte
de sa gestion. 4
En 1690, pendant qu'on organisait l’œuvre du
Bouillon , le prêtre Guillermi institua dans la même
paroisse Saint-Martin , et sous le litre du Cœur de
la Sainte Vierge, une congrégation de demoiselles
qui se proposait particulièrement d’assister les pau
vres malades Ces pieuses servantes de l’indigence ne
manquaient pas de donner aux recteurs de la Grande
et de la Petite Miséricorde les avis les plus empressés,
et veillaient à ce que les personnes souffrantes fussent
1. Exhortation aux darnes de la paroisse Saint-Martin, etc. Pamm.
TOME II.
n
�370
secourues avec promptitude. Les services les plus
rebutants ne refroidissaient point leur zèle. Infati
gables dans leurs saints travaux , on les voyait pré
parer le linge des malades de leur sexe, laver leurs
plaies et changer les appareils lorsque le chirurgien
en laissait le soin aux parents qui ne savaient com
ment s’y prendre. Elles peignaient les malades, les
maintenaient dans un état de propreté et s’efforçaient
de pourvoir à tous leurs besoins. Leur charité ingé
nieuse s’étendait aussi aux enfants qui pouvaient se
trouver dans l’abandon durant la maladie de leurs
mères. Guillermi étant mort en 1693, l’évêque de
Marseille le remplaça, en qualité de directeur de cette
congrégation, par Ange de Foresta Collongue, prévôt
du chapitre de Saint-Martin. 1
L’organisation des secours publics était, on le voit,
fort bonne dans le district de la paroisse Saint-Martin,
où le concours de trois œuvres charitables assurait le
soulagement des pauvres des classes inférieures. Ces
trois œuvres dont l’existence était indépendante ,
comme celle des grands hôpitaux de Marseille , reçu
rent , comme eux, des libéralités par donation et
par testament, mais dans une proportion moins forte,
à cause de leur moindre importance et de leurs au
mônes plus restreintes. On remarqua quelques bien1. Avis à messieurs les paroissiens de Saint-Martin sur la distribution
que l’on fait de leurs aumônes qui sont recueillies par les demoiselles
de la paroisse. Marseille, 1722. Passim.
�laiteurs auxquels leur générosité donna le premier
rang. Louis de Borély, secrétaire du roi à Marseille,
ne se borna pas à donner, en 1726 , à la Petite Misé
ricorde de Saint-Martin la somme de 1,640 livres, il
lui en donna encore 4,358 en 1729. Anne d’Abeille,
sa femme, lui fit à son tour, en 1731 , un don de
5,278 livres. La Dlle Elisabeth Caire lui légua, en
1784, une maison située à la rue Saint-Pierre-Martyr,
et en la même année, le négociant Jean Borel lui céda
un capital de 6,000 livres. Je passe sous silence d’au
tres bienfaiteurs. 1 L’œuvre du Bouillon reçut, en
1746, la somme de 800 livres de Madeleine Lanfrée ,
veuve du chirurgien Baudouin. Celle du Cœur de la
Sainte Vierge ne fut pas oubliée dans les aumônes des
paroissiens charitables. Le plus souvent les bienfai
teurs donnaient la préférence à l’œuvre vers laquelle
leur sympathie ou leur dévotion les entraînait particu
lièrement ; mais quelquefois leur libéralité les embras
sait toutes ensemble. En 1734, les trois œuvres pies
de Saint-Martin vendirent à la dame Anne Riquet une
petite propriété rurale provenant de la succession de
Thérèse Simian , et vingt ans après, la veuve Rimbaud
1. Duplicata du grand livre contenant les Liens capitaux de l’œuvre
du Bouillon de la paroisse Saint-Martin de cette ville de Marseille, dressé
et fini le 28 décembre 1755 à l’usage de Mlle de Carl'euil, directrice
trésorière de ladite œ uvre, le tout pour la gloire de Dieu et le bien des
pauvres, passim. Manuscrit in-4° en ma possession. — Voyez aussi le
livre trésor de lH ôtel-Dieu de M arseille, de 1776 à 1778, fol. 161
recto et verso , aux archives de cet hôpital.
�— 372
leur laissa par portion égale le tiers de son héritage
qui n’était pas sans quelque importance. \
Les œuvres de Saint-Martin placèrent sur la com
munauté de Marseille diverses sommes pour un temps
déterminé et le plus souvent à constitution de rente
perpétuelle. 2 Le corps des courtiers de cette ville
avait à payer à l’œuvre du Bouillon une rente de
180 livres, suivant un acte du 28 juin 1720. Les
maîtres tapissiers lui devaient aussi une pension per
pétuelle de 135 livres , et la province de Provence lui
payait, au même titre , 50 livres par an. 3
En 1673, plusieurs dames de Marseille avaient
voulu former une œuvre de la Petite Miséricorde pour
la ville entière. L’abbé de Lavergne, qui les dirigeait,
annonça ce projet au sieur de Venelles, l’un des prieurs
de la Grande Miséricorde dont il sollicita les secours.
Sur le rapport du sieur de Venelles, le bureau de la
Grande Miséricorde délibéra , le 22 avril, de ne rien
donner à l'établissement projeté qui pouvait lui nuire
1. Sac 56 des contrats et titres des capitaux des œuvres pies de la
paroisse Saint-Martin , aux archives de l'Hôtel-Dieu. — Liasse 22 con
tenant divers papiers des mêmes œ uvres, aux mêmes archives.
2. Livre 165 des délibérations municipales, année 1764., fol. 73 verso
et 74 recto. — Registre 178 des mêmes délibérations , année 1777, fol.
196 et 197 recto et verso. — Registre 183, année 1782, fol. 71 verso
et 72 recto et verso, 178 verso et 179 recto et verso. — Registre 184,
année 1785 , fol. 66 verso et 67 recto , 68 verso et 69 recto, 78 recto
et verso , 98 verso et 99 recto et suiv. — Registre 18 5, année 17 84,
fol. 23 verso, 24 recto et verso, 49 verso , 50 recto et verso.
3. Livre des capitaux de l’œuvre du Bouillon de la paroisse Saint-Martin
de Marseille , in-4°, fol. 3 7 , 65 et 8 1 , aux archives de l’Hôtel-Dieu.
�— 373 —
et de s'opposer par toutes les voies de droit à la quête
générale qui était annoncée. 1
Ce projet n’eut aucune suite, mais d’autres entre
prises eurent plus de succès, parce que rien ne pou
vait leur créer des obstacles. Dans le courant du
XVIIe siècle, le clergé de Marseille , voyant les bons
effets des œuvres charitables de Saint-Martin, institua
une Petite Miséricorde dans chacune des quatre autres
paroisses de cette ville.
Celle de la Major fut dirigée par les deux curés et
par douze commissaires choisis parmi les paroissiens
les plus distingués qui devaient être chefs de famille.
Il y eut chez elle cela de remarquable qu’elle ne se
courut ni les personnes d’une condition élevée ou
moyenne qu’assistait la Grande Miséricorde, ni les
malheureux des dernières classes de la société qui
pouvaient aller à l’Hôtel-Dieu, et elle plaçait dans ce
rang, entre autres individus de profession diverse , 2
les étrangers , les domestiques , les apprentis et géné
ralement tous ceux qui n’étaient pas couchés d’une
manière convenable et n’avaient auprès d’eux per
sonne pour les soigner. La Petite Miséricorde de la
1. Registre od es délibérations du bureau de Notre-Dame-de-M iséricorde , fol. 1 recto et verso, aux archives du Bureau de Bienfaisance.
2. Tels que les paysans, les batteurs de plâtre, les paveurs, les
m anœuvres, les blanchisseurs, les rabcrols, les m atelots, les bouchers,
les vendeurs de chiffons et d’allum ettes, les balayeurs, les brocanteurs,
les Tendeurs de bois, les charretiers, les voituriers, les m uletiers, les
marchandes de poissons, d’herbes et de fruits, les porteuses de far
deaux , les lavandières, etc.
�cathédrale ne se disait établie que pour les artisans,
et encore quand il y avait deux malades de cette
classe dans la même famille, elle n’en secourait qu’un
seul, l’autre devant prendre le chemin de l’hôpital
Saint-Esprit. L’œuvre n’existait que pour ceux qui
pouvaient dire, suivant l’évangile : fodere non valeo,
mendicare erubesco. Je ne suis pas bon à bêcher la
terre, j’ai honte de mendier. 1
Par acte du 15 juin 1782, l'œuvre de la Petite
Miséricorde de la Major prêta à la ville de Marseille
la somme de 2,000 livres pour servir à l’acquittement
du prix des terrains de l’arsenal.2
Les œuvres de la Petite Miséricorde, de Notre-Damedes-Accoules, de Saint-Laurent
et de Sainl-Ferréol se
♦
montrèrent plus faciles et moins parcimonieuses dans
la distribution de leurs aumônes , sans doute parce
qu’elles eurent moins de pauvres et plus de ressources.
Chacune d’elles était administrée par le curé de la
paroisse et par vingt-quatre directeurs choisis parmi
les membres de l’associations pieuse. 3
1. Règlement pour l’administration de l’œuvre delà Retile Miséri
corde de la cathédrale. Marseille, 1757, in-8°.
2 . Registre 191 des délibérations m unicipales, fol. 123 recto et
verso , aux archives de la ville.
5. Règlem ent pour la Petite Miséricorde de la paroisse Notre-Damedes-Accoules. M arseille, 1 7 8 3 , in-12. — Règlem ent pour l’administra
tion de l’œuvre delà Petite Miséricorde de la paroisseSaint-Ferréol. Mar
seille, 1782, in -12.— Nous ne connaissons pas les règlements de l’œuvre
de la paroisse Saint-Laurent, et peut-être n’ont-ils jamais été imprimés.
Quoi qu’il en soit, il est probable qu’ils fureift à peu près semblables
à ceux des œuvres des paroisses précédentes.
�Toutes ces œuvres possédèrent des capitaux formés
par la libéralité de plusieurs bienfaiteurs.1 et la pa
roisse des Accoules fut la seule qui eut, en 1770 , un
établissement pour les servantes renvoyées à des
heures indues, ou qui n’ayant pas de parents, res
taient sur le pavé. Cette œuvre spéciale les logeait,
les nourrissait et leur cherchait de nouveaux maîtres.2
Il y avait, pour le quartier de Saint-Victor, une
autre œuvre de bienfaisance exercée par la confrérie
de Notre-Dame-de-Confession érigée dans l’église in
férieure de l’abbaye, pour rendre tout l’honneur
possible à la Sainte Vierge et soulager en même temps
les pauvres honteux, pendant la rigueur de l’hiver,
en leur faisant distribuer du pain. On ne connaissait pas
la date de sa fondation. Vingt-quatre prieurs nommés
pour six ans et renouvelés chaque année par sixième
dirigeaient les affaires de l’association et faisaient an
nuellement une quête dans la ville et ses faubourgs.
Le premier s’appelait maître-d'hôtel, le second était
trésorier, le troisième avait le titre de bourgeois , et
le quatrième remplissait les fonctions de sacristain.
1. Voyez le registre 11 des délibérations du bureau de Notre-Damede-M iséricorde, du 2 mars 1770 au 17 août 1787, fol. 114 recto , aux
archives du Bureau de Bienfaisance. — Registre 177 des délibérations
m unicipales, année 17 76, fol. 158 verso et 159 recto et verso, aux
archives de la ville. — Registre 27 des copies des lettres des échevins
de M arseille, du 9 mai 1774 au 23 juin 1 7 7 5 , aux archives de la ville.
— Livre trésor F de l’Hôtel-Dieu de M arseille, de 1701 à 1713 , fol.
, 494 et su iv ., aux archives dudit Hôtel-Dieu.
2. Grosson. Almanach historique de Marseille, année 1770, p. 114.
�On ne pouvait nommer à l’emploi de prieur que des
gens de commerce et les célibataires n'étaient pas éli
gibles. Ceux qui sortaient de charge ne pouvaient y
rentrer qu’après un intervalle de dix ans au moins. 1
Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, le fau
bourg de Notre-Dame-du-Mont ayant acquis quelque
importance , on y institua, pour les pauvres malades,
une oeuvre qui, le 3 juin 1783 , plaça mille livres sur
la communauté de Marseille. 2
Joseph Rambert, avocat à Marseille, laissa, en
1685 , aux pauvres de la Valentine un legs de 2,000
livres, pour les intérêts de 100 livres en provenant
être distribués chaque année aux nécessiteux de ce
quartier rural.3Un autre bienfaiteur, nommé Antoine
Geniès, légua, par testament du 13 février 1726, son
bien à YHôtel-Dieu de Marseille, à la charge par cette
maison de payer tous les ans 50 livres aux pauvres
honteux de Château-Gombert. La distribution devait
en être faite par les prieurs de la confrérie du SaintSacrement , en présence du curé. 1
1. Instruction pour messieurs les prieurs de la vénérable confrérie ae
Notre-Dame-de-Confession érigée dans l’église inférieure de l’abbaye
Saint-Victor. M arseille, 1739, in-12 de quinze pages.
2 Registre 191 des délibérations m unicipales, fol. 127 recto, aux
archives de la ville.
3. Livre trésor C de l’hôpital Saint-Esprit et Saint-Jacques-de-Galice
de Marseille , de 1664 à 16 85, fol. 258 recto , aux arch. de l’Hôtel-Dieu.
4. Livre trésor N du même h ôp ital, de 1756 à 1767 , fol. 375 verso,
aux mêmes archives.
�CHAPITRE XVI.
BïinEJUJ DE BIENFAISANCE.
Deux Bureaux de Bienfaisance à Marseille. — Leur réunion en un seul.
— Administration centrale des secours publics. — Son régime et
ses actes. — Rétablissement de la Grande Miséricorde. — Atelier
de travail. — Sa situation — Horrible misère à Marseille. — État
statistique du paupérisme. — Service des dispensaires. — Orga
nisation du Bureau de Bienfaisance. — École de Sainte-Anne. —
École de la Pomme. — Admission des Sœurs de Saint-V incentde-Paul. — Service de la pharmacie. — Situation financière de
l’œuvre. — Marche de ses services.
La loi du 7 frimaire an V (27 novembre 1796),
établit la perception d’un décime par franc en sus du
prix des billets d’entrée dans tous les spectacles pu
blics , pour secourir les indigents à domicile. Elle
institua dans les communes un Bureau de Bienfai
sance ou plusieurs, selon la convenance des muni
cipalités , chacun d’eux devant être composé de cinq
membres. Le 6 février 1797 , le bureau central de
Marseille nomma deux bureaux. Dumoulin, Lambert
Degrand, Chapelié neveu, Reboul et Durand compo
sèrent le premier. Les membres du second furent
Martin Fabregoule, Fabre aîné , Audibert Roze ,
Guirand aîné et Marcelin Barle.
Ces deux bureaux se réunirent ensemble le 19
février. Il y fut dit qu’ils ne formeraient qu’une seule
assemblée délibérant en commun , pour éviter les
�abus dans les distributions, et qu’il n’y aurait qu’un
seul receveur ; que le bureau général se réunirait tous
les neuf jours, mais que tous les jours un bureau
particulier de trois membres aurait séance. L’assem
blée se constitua sous la présidence de Martin Fabregoule et prit diverses mesures pour la confection du
tableau des pauvres.1
La journée du 18 fructidor changea les principes
du gouvernement et amena d’autres hommes sur la
scène administrative. Par arrêté du 28 novembre
1797, le bureau central de Marseille, considérant
que les deux Bureaux de Bienfaisance avaient été
formés sous l’influence d’un système subversif des lois
de la république , en révoqua les membres et les
remplaça par les notaires Donjon et Martin, Reynaud
Beccary, ancien notaire ; Anglès et Pierre Gaillard,
pour le premier Bureau ; par Servel père, Pierre
Serane, Arnoux , Victor Chaix et Chaussebeau pour
le second.
Le 7 décembre , la nouvelle assemblée formée des
deux bureaux déclara que la passion politique avait
seule inspiré les actes de l’assemblée précédente et
délibéra de dresser un nouveau tableau des indigents,
sans distinction de parti.2
1. Registre 1 des délibérations du Bureau de Bienfaisance, com
mencé le 1er ventôse an v et fini le 24 frimaire an ix , premières p ages,
aux archives du Bureau de Bienfaisance.
2 . Même registre! , p. 18 et 19.
�— 379 —
Cette administration marcha fort mal parce que
les fonds lui manquèrent. Elle n’eut d’autres res
sources que les droits sur les spectacles publics, et
encore fut-elle sans cesse en guerre , à ce sujet, avec
les entrepreneurs.
Le 15 octobre 1800 , le conseil municipal de Mar
seille accorda dix mille francs au Bureau de Bien
faisance qui n’avait à distribuer aux pauvres qu’une
trentaine de mille francs par an .1
Un arrêté du ministre de l’intérieur, en date du
25 mai 1803, autorisa ce bureau à faire des quêtes
dans la ville , à placer des troncs dans les églises et
dans la Bourse de commerce;2 mais l’appel fait à
la charité publique ne produisit que des ressources
insuffisantes et l’œuvre continua de se voir circons
crite dans de faibles moyens d’action.
Par arrêté du 18 septembre 1804 , le préfet Thibaudeau la reconstitua sous le nom d’Administration
centrale des Secours publics, et les nouveaux membres
furent Alphonse de Fortia de Piles, le docteur Achard,
Mathieu Pascal, Innocent Rey, Roccofortaîné, Triol,
Verninac, Casimir Rostan, Rollandin fils, Vallièrc
et Dudemaine fils. Le bureau tint sa première séance
le 4 février et prit diverses mesures d’organisation ,
1. Même Registre 1 , p. 78.
2 . Registre 2 des délibérations du Rureau de Bienfaisance, com
mençant le 8 nivôse an ix et finissant le 18 pluviôse an xm , p. 8 5 ,
86 et 101 , aux archives du Bureau de Bienfaisance.
�sous la présidence de M. de Fortia. Casimir Rostan ,
secrétaire, proposa le rétablissement de la Grande
Miséricorde et le projet fut adopté à l’unanimité.
L’Administration délibéra de convoquer les anciens
directeurs de cette oeuvre pour aviser aux moyens
de lui donner une nouvelle vie avec les changements
exigés par les circonstances. 1
Le Bureau, nouvellement installé dans une maison
de la Place-Neuve, organisa , le 13 février, la distri
bution des aumônes. 11 divisa, à cet effet, la ville
en dix quartiers et nomma des commissaires aux se
cours. 2 II eut deux séances par semaine , et un
administrateur semainier siégea tous les jours pen
dant deux heures au moins.
La comptabilité de l’Administration fut organisée
par Yallière , Roccofort et Yerninac , de Concert avec
le trésorier Hornbostel. Le 28 février 1805, le Bureau
nomma de Fortia et Yallière administrateurs de la
Grande Miséricorde et leur délégua tous les pouvoirs
nécessaires à cet effet. Il fut dit que l’on procéderait
chaque année à de nouvelles élections, les mêmes
membres étant rééligibles. Quelques jours après on
organisa les dispensaires. 3
1. Registre 1 des délibérations de l’Administration centrale des Se
cours p ub lics, p. 1 et 2 , aux archives du Bureau de Bienfaisance.
2. Même registre 1 des délibérations de f Administration centrale des
Secours publics, p. 11 et 12.
3. Même registre 1 , p. 1 9 , 31 , 52 et passim.
�— 381
Le 30 mars, l’Administration adopta le règlement
général de la Grande Miséricorde. Dans la distribu
tion des secours, elle concilia la responsabilité de
l’œuvre avec le secret inviolable qui devait couvrir
la situation des familles qu’elle secourait. Ces secours
devaient être donnés deux tiers'en nature et un tiers
en argent. Le règlement prescrivait de faire tous les
ans une quête générale pour les pauvres honteux de
la Grande Miséricorde.
Le 1er avril suivant, l’Administration institua la
Charité maternelle, et le surlendemain elle se chargea
du transport des pauvres malades à l'Hôtel-Dieu. 1
Par arrêté du 20 novembre 1805, le préfet lui
adjugea divers revenus , entre autre ceux qui prove
naient de l’ancienne Miséricorde, des œuvres parti
culières , les anciennes possessions de charité et de
toutes les fondations destinées au soulagement des
pauvres à domicile.
Cette Administration était composée de onze mem
bres nommés pour cinq ans , sans compter le maire ,
président né de toutes les institutions de bienfai
sance. 2 II en sortait successivement deux pendant
quatre ans, et trois la cinquième année.3 Chacun
d’eux, pour donner l’exemple de l’aumône, versait
tous les trois mois six francs dans la caisse de l’œuvre/
1.
2.
3.
4.
Même registre 1 , p. 46, 47, 48 et suiv.
Loi du 27 floréal an xm ( 27 avril 1805. )
Loi du 7 germinal an xiu (2 7 mars 1 8 05.)
Registre 1 ci-dessus cité, p. 115 et 116.
�Le 29 juin 1805, l’Administration s'occupa de l’é
tablissement d’un atelier de travail pour la classe
indigente , dans l’ancien local de la Miséricorde alors
occupé par le conseil de guerre. Quelques difficultés
s’élevant sur ce point, elle jeta les yeux sur l’an
cienne abbaye de Saint-Sauveur.1Sur ces entrefaites,
les obstacles qui s’opposaient à la mise en possession
de l’ancienne maison de la Miséricorde furent apla
nis , et l’Administration centrale des secours pu
blics put en disposer à sa convenance. Elle évalua
la dépense générale de l’atelier à la somme de qua
rante à cinquante mille francs et se proposa de
commencer par l’emploi des femmes et des enfants ,
leur donnant pour travail le tissage du sparte, la
préparation des étoupes pour les navires, la fila
ture de la laine, du chanvre , du coton , et le trico
tage des bonnets.
De Dessuslamare nommé , le 8 mars 1806, direc
teur de la maison du travail2 et chargé de rédiger un
projet de règlement, comme l’homme le plus spécial,
crut que cet emploi était au dessus de ses forces et
donna sa démission peu de temps après. Bertrand fut
nommé à sa place.3
L’Administration n’organisa qu’avec une peine
infinie 1 cette maison dans laquelle , au commence1.
2.
3.
4.
Même registre 1 , p. 12 3, 124 et 199.
Même registre 1 , p. 307 et suiv.
Même registre 1 , p. 367 et 379.
Registre 2 , p. 3 6 , 3 7 , 43 et suiv.
�ment de 1807, quatre-vingt-douze indigents des deux
sexes étaient employés. AElle établit, à la môme
époque, de concert avec les autorités locales, quel
ques ateliers pour des travaux de déblai et de nivel
lement à la place Pentagone et dans divers autres
lieux.
Cependant le nombre des pauvres augmentait sans
cesse, et l’Administration des Secours publics fit tout
ce qu’elle put pour leur donner des moyens d’exis
tence. En 1809 , les femmes seulement étaient em
ployées dans la maison de travail et l’on en comptait
270 à la fin de cette année.2
Il fallut bientôt prendre des mesures pour en occu
per un plus grand nombre , car la triste position de
Marseille s’agravait tous les jours d’une manière dé
sespérante. Le commerce était anéanti, et tous les
maux de la guerre et de l’oppression pesaient sur
cette ville tourmentée par la plus horrible misère.
Le 1er février 1812, le gouvernement accorda à l’Ad
ministration centrale des Secours publics de Marseille
la somme de cent mille francs.3 L'épidémie qui régna
dans cette ville pendant l’hiver de 1812 à 1813 im
posa aux Dispensaires une dépense de 60,000 francs,
4. Même registre 2 , p. 100 et 4 04.
2. Registre 4 des délibérations de l’Administration cenlrale des Se
cours publics de Marseille, p. 172 et 173.
3. Répertoire général des délibérations prises par l’Administration
centrale des Secours publics, lettre S , indiquant le registre 5 , p. 2 3 3 ,
aux archives du Rureau de Bienfaisance , ledit registre 3 étant perdu.
�— 384 —
dont la plus grande partie fut prise sur un fonds
extraordinaire fourni par le préfet.1
Au commencement de 1813 , le ministre de l’inté
rieur fournit 41,205 fr. à l’Administration pour des
bons de soupe. 2 II affecta de plus 60,000 fr. aux
ateliers de la maison de travail, lesquels, sous l’em
pire des nécessités les plus cruelles, n’en furent pas
moins fermés le 24 avril3 pour n’être ouverts qu’en
1815.
Le conseiller-d’étatPelet de la Lozère fut envoyé à
Marseille par le gouvernement en qualité de com
missaire extraordinaire. Le 10 mai 1813, l’Admi
nistration des Secours publics mit sous ses yeux le
tableau des pauvres de cette ville, dont la population
était d’une centaine de mille âmes. * Il y avait 8,703
familles indigentes ayant ensemble 30,810 personnes,
parmi lesquelles 9,251 trouvaient le moyen de gagner
leur vie , et toutes les autres , au nombre de 21,559,
avaient besoin d’être secourues. 5 L’Administration
réclama du gouvernement un nouveau secours de
100,000 fr. qui ne lui fut pas accordé.
Après tant de souffrances, la paix changea les
1. Registre 6 des délibérations de l’Administration centrale des Se
cours publics de Marseille , p. 64 recto,
2 . Registre 6 , p. 21 verso.
5. Registre 6 , p. 36 recto et 63 verso.
4 .1 0 0 ,7 3 4 suivant la Statistique des Bouches-du-Rhône, t. 2, p. 786.
5 . Registre 6 des délibérations de l’Administration centrale des Se
cours publics, p. 41 verso, 42 recto et verso.
�385
destinées de Marseille. Les premières années de la
maison de travail n’avaient pas été onéreuses à l’Ad
ministration des Secours publics, mais depuis 1814
les déficits s'accrurent rapidement, pour diverses
causes, et leur chiffre total s’élevait à 69,381 fr. à
la fin de 1817. Le 7 février de l’année suivante,
l’Administration considérant cet établissement com
me inutile en temps de paix, en prononça la sup
pression. 1
Des temps meilleurs avaient placé l’œuvre dans
des conditions régulières. L’Administration réorga
nisa les Dispensaires pour le traitement des malades
à domicile. En 1807, les honoraires des trois méde
cins et des trois chirurgiens chargés du service avaient
été fixés à 300 fr. pour chacun d eux, et l’on en
donna 120 aux suppléants. Deux divisions , celle du
nord et celle du midi, avaient été formées dans la
ville. Le 19 octobre 1816, l’Administration agrandit
ce service qui comprit quatre divisions. Il y eut,
sans compter plusieurs médecins consultants , douze
titulaires qui reçurent chacun 500 fr. par an et for
mèrent ensemble un comité médical chargé de pro
pager la vaccine et de rendre compte chaque mois
de ses travaux. Les quatre Dispensaires eurent chacun
un agent rétribué à raison de 600 fr. par an et un
bureau de consultation gratuite , siégeant tous les
1. Registre 7 des délibérations de l’Administration centrale des Se
cours publics de Marseille, p. 158 et suiv.
25
TOME II.
�— 38G
jeudis et composé des docteurs consultants et titu
laires. 1
Voici l’état des malades traités en 1817 par les
Dispensaires :
E n tra ite m e n t d e l ’ex ercice d e 1 8 1 6 ....
235
E n tré s p e n d a n t l ’a n n é e 1 8 1 7 ................... 3 ,4 0 6
T o ta l.................................
3 ,6 4 1
G u é r is ................................................... 3 ,0 6 1
E n v o y és à l’h ô p ita l....................
102
M o rts......................................................
^46
R e sta n t en tra ite m e n t le 1 er
ja n v ie r 1 8 1 8 ........................... 3 3 2
j
i
' 3 ,6 4 1 2
'
M alades a d m is ...................................................
G u é ris ................................................... 3 ,5 0 0
M o rts...................................................... 2 1 9
E n tré s à l ’h ô p ita l........................
179
E n tra ite m e n t le 31 d é cem b re . 5 9 3
4 ,4 9 1
)
L’état de ce service fut à peu près le même pen
dant quelques années Après diverses variations ,
l’augmentation du nombre des malades présenta, en
1830 , le résultat suivant :
4 ,4 9 1 3
L’Administration sentit, en 1819, la nécessité de
réunir, sous forme de règlement général, toutes les
dispositions qui avaient été prises par des délibéra1. Registre 7, fol. 11 et suiv.
2 . Registre 7, fol. 157 recto.
5. Registre 11 des délibérations de l'Administration centrale des Se
cours publics de Marseille, p. 15.
�— 387 —
lions particulières. Elle était alors composée de MM.
deGardane, Fabron, Berard, Barbarin , de Ruffi,
Michel de Léon , Séjourné , Hilarion Bouge, Laurent
Gravier, baron de Somis et Fort. Dans la séance du
22 m ai, sous la présidence du marquis de Montgrand , maire de Marseille, cette Admininistration
adopta le projet de règlement que trois de ses mem
bres , Berard, de Ruffi et Gravier, avaient été chargés
de lui présenter. Les différentes branches du service
administratif, la gestion des biens de l'œuvre , le
travail des employés, les comptes des recettes et
dépenses du receveur, la surveillance relative aux
subsistances et aux approvisionnements , l’assistance
des Dispensaires , le choix et les attributions des
commissaires aux secours, la direction et l’emploi
des fonds, tout fut déterminé avec une précision
convenable. 1
L’ordonnance royale du 31 octobre 1821 réorga
nisa cette Administration et lui donna le titre de
Bureau de Bienfaisance. Le nombre des membres fut
réduit à cinq renouvelés par cinquième toutes les
années et nommés par le ministre de l’intérieur, sur
la présentation d’une triple liste de candidats pro
posés par le Bureau lui-même. Le maire continua
d’en avoir la présidence.
Cette ordonnance blessa l’Administration des Se1. Registre 8 , p. 44 et suiv.—Ce règlement a été imprimé à Mar
seille en 1819, chez Ricard , in-4° de 32 pages.
�— 388 —
cours publics, qui lit les plus vives instances pour
que le nombre de ses membres restât fixé à onze, à
cause des détails multipliés du service.1 Sa résistance
tint long-temps en suspens la résolution du ministre
qui voulait d’ailleurs ménager des hommes utiles et
dévoués dont l’influence était considérable à Marseille.
Le 3 avril 1821 , l’Administration sollicita l’interven
tion des députés des Bouches-du-Rhône. 2 Elle sévit
pourtant obligée de céder, e t, dans la séance extraor
dinaire du 13 mai suivant, le maire vint installer le
nouveau Bureau de Bienfaisance composé de Ray
mond Roux , Berard , de Somis , Gravier et Bouge ,
tous membres de l’Administration centrale des Secours
publics.3 Le 28 août suivant, le Bureau , persistant
dans la demande de l’Administration précédente , fit
des démarches pour que le nombre de ses membres
fût porté à onze et pria le préfet de soumettre ses
vœux au conseil général qui était en session ; i mais
l’affaire n’eut pas de suite.
Par testament du 23 septembre 1823, la Dlle Eli
sabeth Coquillat, en religion sœur Sainte - Anne,
voulut que le prix de deux propriétés rurales qu’elle
possédait dans la commune d’Artigues, département
du Var, servît à fonder à Marseille une école de
1. Registre 9 , p. 23.
2. Registre 9 , p. 216.
3. Registre 9 , p. 250 et 251.
i. Registre 9 , p. 265 et 266.
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— 389 —
petites filles pauvres. 1 Cette bienfaitrice mourut le
11 décembre 1827. Le Bureau de Bienfaisance s’oc
cupa , le 3 octobre 1829, de l’organisation de l’école
et se mit en recherche d’un local convenable. Il fut
dit que l’établissement porterait le nom de SainteAnne pour perpétuer celui de la testatrice ; qu’il serait
dirigé par les soeurs de Saint-Charles et qu’on n’y
admettrait que des filles appartenant aux familles de
la Grande Miséricorde. Le 24 mars 1830 , l’école de
Sainte-Anne, instituée dans une maison louée par le
Bureau de Bienfaisance à la plaine Saint-Michel , 2
fut solennellement inaugurée. 3
On commença par y recevoir quinze jeunes filles ,
puis trente , et le nombre successivement augmenté,
fut enfin porté"à soixante-dix.
Plus tard une autre bienfaitrice fit, dans la ban
lieue de Marseille, une fondation du même genre.
Par acte du 23 décembre 1852, la Dlle BlancheAmélie Martin donna au Bureau de Bienfaisance une
maison sise au village de la Pomme et une somme de
20,000 fr. , pour l’établissement d’une école gratuite
de filles indigentes du quartier, desservie par deux
sœurs de Saint-Vincent-de-Paul, également chargées
de la visite des pauvres malades de la Pomme. 4
1. Registre 1 0 , p. 273 et 274.
2. L’école de Sainte-Anne siégea un. peu plus tard dans une maison
du Bureau de Bienfaisance, au boulevart Dumuy, n° 21. Elle est aujour
d’hui dans une maison prise en location par l’œuvre, à la rue de Lodi.
3. Registre 10 ci-dessus cité, p. 286, 287, 292, 503, 506, 529, 530.
4. Registre 20 , p. 163 et 164,
�— 300
Grâces à de pieuses libéralités, le Bureau de Bien
faisance donnait de l’extension à ses œuvres. En 1842,
il avait organisé dans la campagne un service mé
dical pour les pauvres malades du territoire. 1 De
vifs désirs d’amélioration se manifestaient de toutes
parts dans l’intérêt des nécessiteux. Dès le 46 sep
tembre 4840 , le Bureau de Bienfaisance de Marseille
avait demandé à celui de Lyon des renseignements
sur la distribution des secours et notamment sur la
coopération des sœurs chargées de visiter les mala
des. 2 On disait que les remèdes étaient en général
mal administrés, à Marseille , aux pauvres secourus
par l’œuvre. Le plus souvent ces malheureux étaient
dépourvus de lits et de linge , et la nécessité de les
leur prêter, pendant leurs maladies, se plaçait au pre
mier rang des choses qui devaient produire de bons
résultats. Pour l’exécution des nouvelles mesures à
prendre, plusieurs hommes , animés de pieux sen
timents , pensaient qu’il fallait faire appel à une
association de religieuses éprouvées dans les voies
delà bienfaisance en action, mêlées au mouvement
de la société générale pour consoler les âmes affligées
et soulager les corps souffrants ; femmes habiles à
distribuer les bienfaits avec cet esprit de sagesse et
1. Voyez la séance du 20 avril 184.2 dans le registre 14 , p. 501 ;
la séance du 6 juillet de la même année dans le même registre, p. 525
et 524; celle du 25 novembre de ladite année, dans le registre 1 5 ,
p. 2 , 5 et 14.
2. Registre 14, p. 80.
�391
d’économie qui permet de les étendre ; industrieuses
dans l’emploi des soins matériels qui préparent celui
des soins moraux. Admirable contraste avec l’isole
ment et le silence qui affaissent dans l’inutilité de la
vie mystique les facultés les plus tendres et souvent
les plus énergiques.
Les objections ne manquaient pas contre ce projet.
On se prenait à dire que c’était là une innovation
qu’aucun besoin ne réclamait et qui pouvait, à bon
droit, exciter bien des alarmes. Le catholicisme
absorbait autrefois tous les établissements de bien
faisance qui vivaient en lui seul et n’avaient hors de
lui aucun moyen d’action. Mais tout est changé dans
notre société labourée si profondément par de nou
veaux instruments de travail intellectuel, et de nos
jours il n’est pas bon que les institutions de charité
soient trop dominées par l’élément religieux porté à
l’exagération , à l’envahissement et à l'intolérance
par des tendances invincibles. Les croyances varient
à l’infini, mais les devoirs de l’homme de bien sont
toujours les mêmes , et nos semblables qui souffrent
ont le droit d’être secourus , sans qu’on ait celui de
les tourmenter dans leur liberté religieuse. La charité
qui fonde ses triomphes sur le trouble des cons
ciences n’est qu’une tyrannie.
Ainsi parlait l’opposition. C’était en 1843 , et les
religieuses que l’on avait en vue étaient celles de
Saint-Vincent-de-Paul. Dès l’année précédente, cinq
�392 —
d’entre elles avaient été appelées à Marseille par les
curés de cette ville, au moyen d'une souscription,
pour la distribution des aumônes aux pauvres de
leurs paroisses, en dehors de l’action de la Grande
et de la Petite Miséricorde, et on les avait installées
dans une maison de la rue de la Salle. En 1843, J.-J.
Pastré, l’avocat Alexandre Paul, Daniel, Luce père
et Pelissier composaient le Bureau de Bienfaisance.
Le 8 février, Luce proposa d’adjoindre à l’œuvre ces
cinq religieuses. 1 L’affaire fut discutée le 19 avril
suivant. Canaple venait de remplacer Pastré. Paul
combattit la proposition qui n’avait, d’après lui, que
des inconvénients, en l’état de l’organisation du Bu
reau de Bienfaisance. La marche de tous les services
étant assurée , les sœurs ne pourraient opérer que
d’une manière accessoire , et il était à craindre que
des dissentiments fâcheux ne s’élevassent. Il fallait
donc rejeter la demande , sauf à utiliser plus tard le
;zèle des sœurs dans un nouveau service.
Cette opinion fut adoptée, 2 et l’on ne pensa plus
qu’à ouvrir au zèle des religieuses une carrière plus
grande par l’amélioration des Dispensaires, principa
lement par la fourniture des objets de literie et de
lingerie dont ces dames devaient avoir la surveil
lance. L’un des administrateurs en exercice exprima
son dissentiment plein d’ardeur avec une persévérance
1. Registre 1 5 , p. 35 et 54.
�393
qui fit du bruit et devint dans la presse locale un objet
de polémique irritante. 1 Dans la séance du 21 juin
1843 , Paul fit valoir tous les services que les sœurs
pouvaient rendre à la classe nécessiteuse et le Bureau
délibéra de traiter avec la supérieure générale de cet
institut pour la coopération de douze sœurs.2 L’accord
fut conclu le 13 septembre. L’appropriation de deux
maisons de la rue Fonderie-Vieille pour le logement
des sœurs et pour le siège de l’administration coûta
17,300 fr.3 Le 10 janvier 1844, le Bureau de Bien
faisance adopta un règlement pour les religieuses
qui, quelques jours après, prirent possession de leur
poste.
Le Bureau s’occupa ensuite du service de la Phar
macie. Les deux frères Reimonet fournissaient tous
les médicaments à des prix bien inférieurs à ceux des
pharmacies ordinaires , et leur traité expirait à la fin
de 1848. L’Administration, dès l’année précédente ,
étudia la question de savoir si le système de la régie
ne donnerait pas plus d’avantages et d’économie.
Cette étude fut longue et laborieuse.4 Le 2 septembre
1. Réponse à la Gazette du Midi sur l’article intitulé : la Congréga
tion de Saint-Vincent-de-Paul au Bureau de Bienfaisance, in-8° d e 30
pages. M arseille, 1844. — Réponse au pamphlet contre l’administra
tion de la Grande. Miséricorde et contre les sœurs de Saint-Vincent-deP au l, in-8° de 16 pages. M arseille, 1844.
2 . Registre 15 des délibérations du bureau de Bienfaisance, p. 85
et suivantes.
5. Registre 15, p. 257.
4. Registre 1 7 , p. p. 175.
�1848 , le Bureau adopta la régie à partir du Ier jan
vier 1849, avec le concours d'un pharmacien et des
sœurs. L’administrateur Mardis Negre , qui avait eu
le plus d’influence sur cette décision par l’énergie de
son initiative et de ses efforts, prépara le projet du
règlement pour la pharmacie dont l’organisation dé
finitive fut prononcée un peu plus tard. 1
Dans les dix dernières années, le prix de la fourni
ture des médicaments était, en moyenne, de 45,000 fr.
La pharmacie, en1849, ne coûta plusque 15,000 fr.,
et la dépense réduite à 14,376 l’année suivante,2s’est
à peu près maintenue daus ces chiffres.
Au commencement de 1830 , plus de 600 familles
étaient secourues par la Grande Miséricorde, et le
nombre de celles qui étaient admises aux secours de
la petite Miséricorde dépassait 5,000. 3
Un quart de siècle n’a pas fait augmenter le chiffre
des indigents secourus par le Bureau de Bienfaisance.
En 1855, six cent quarante-huit familles ont reçu de
la Grande Miséricorde, en argent et en bons de pain ,
la somme de 50,988 fr., et la Petite Miséricorde a
distribué, en bons de pain, 35,718 fr. à 4,022 autres
1. Registre 17, p. 275 et suivantes, et p. 325.
2 . Délibération du conseil municipal de Marseille sur le budget du
Bureau de Bienfaisance pourl’exercice 1852, prise le 1er décembre 1851,
sur le rapport de M. Ilonnorat. M arseille, 1852, in-8° de 12 pages.
3. Notice sur l’administration du Bureau de Bienfaisance de Marseille,
représentant l’œuvre de la Grande Miséricorde. M arseille, 1855, in-8°
de 7 pages.
�395
familles. Les Dispensaires ont traité à domicile 4,915
malades, et le service a .coûté 33,871 fr. 13 c. Le
Bureau a de plus dépensé 69,636 fr. 18 c. en secours
de diverse nature. L’emploi des legs et des donations
à placer et à distribuer a présenté la somme de 10,628
fr. 15 c. Les frais du personnel et du matériel de
toute espèce se sont élevés à 44,426 fr. 24 c. , et
le total des dépenses a ainsi atteint le chiffre de
, 245,467 fr. 70 c.
Tous les articles de recettes ont embrassé l’en
semble de 279,577 fr. 93 c. , y compris la subven
tion municipale de 50,000 fr. et la somme de 26,416
fr. excédant de l’exercice de 1854.
Ces ressources sont assez bornées. Quoi qu’il en
soit, le Bureau de Bienfaisance se distingue par ses
services, et quant aux sœurs de Saint-Vincent-dePaul , elles répondent au sentiment de confiance qui
dicta leur appel. Pour les juger, il suffit de les voir
à l’œuvre. Elles sont populaires, et les abus, s’il
pouvait s'en produire , trouveraient bientôt un re
mède efficace dans la surveillance de l’opinion et
dans le contrôle des mœurs publiques. Tandis que
la passion du bien trouve partout des encouragements
sympathiques, le mal ne peut avoir de longues
chances de durée , celui du moins qu’il est donné à
l’homme de combattre et de détruire , car il y a
des maux irréparables , leur guérison n’étant' pas à
notre portée. Quels que soient les efforts de la phi-
�—
396 —
lanthropie , quoique lasse la politique roulant dans
le cercle de ses systèmes stériles , la misère appa
raîtra toujours au sein des sociétés les plus floris
santes , comme pour attester qu’il n’est sur la terre
aucune institution offrant une garantie entière contre
le malheur.
�CHAPITRE XVII.
M O N T - Ik K - 1» I É T É .
I.
Prêts sur gages dans le m oyen-âge. — Fléau de l'usure exercée par les
Juifs et par les Lombards. — Fondation des M onts-de-Piété en
Italie. — Ces établissements dans diverses villes de France. —
Usuriers en Provence. — Taux de l’intérêt à Marseille. — Création
du M ont-de-Piété de cette ville. — Libéralité de Jean de Puget.
— Organisation de l’œuvre. — Son siège dans l’Hôtel-Dieu. —
Débats entre les deux administrations. — Arrangement. — Cons
truction du local du M ont-de-Piété. — Ses règlem ents, la marche
de ses services et son régime financier. — Bureau de Commis
sionnaire. — Situation de l’œuvre pendant la révolution. — Ses
derniers actes.
En Provence , clans le moyen-âge, on ne prêtait
que sur gages. C’était du moins la règle la plus ordi
naire , 1 et l’on avait pour maxime que le détenteur
de plusieurs choses en nantissement ne pouvait être
contraint d’en délivrer une , avant d’être complète
ment satisfait. 2
Les statuts de Marseille avaient plusieurs disposi
tions relatives aux contrats de prêt sur gages.3 Ils
1. Papon. H istoire générale de P rovence, t. 3 , p. 409.
2. Suite des arrêts notables du parlement de Provence, parBoniface,
t. 2 , p. 552. Voyez dans le même tom e, p. 562 et 3 6 5 , un arrêt du
mois de juin 16 75, sur diverses questions relatives aux prêts sur gages.
5. Statuta M assilie, lib. 3 , cap. 4 , de re m obili, pignori obligata ,
vendenda. Fol. 82 verso, aux archives de la ville.
�— 398
fixaient à trois deniers pour livre par mois , c’est-àdire à quinze pour cent par an , le maximum de l’in
térêt judiciaire.1Mais les obligations conventionnelles
n’étaient pas soumises à cette règle , et les prêteurs
donnèrent une libre carrière à leurs passions avides.
A Marseille, comme à Montpellier, 2 on repoussait
le témoignage des personnes convaincues d’usure.;t
Les contrats concernant les risques de mer et toutes
choses aléatoires étaient en dehors du droit commun.1
Le fléau de l’usure dévora le peuple au moyenâge , et la France entière souffrit beaucoup de cette
plaie hideuse. s Louis IX fit des ordonnances contre
les usuriers. GA la même époque, ces hommes avides
commirent aussi en Provence toute sorte dénormités. '
Le comte Raymond Béranger III, dans ses statuts de
1235 pour la viguerie de Draguignan et le diocèse de
1. Statuta M assilie, lib. 2 , cap. 1 9 , pro que quantitate usure adjudicentur, Fol. 65 verso.
2 . H istoire de la commune de M o n tp ellier , par Germain , t. 1 , p. 65.
5. Statuta M assilie, lib. 2 , cap. 9 et 1 0 , qui non admitiuntur ad
testimonium, Fol. 59 verso.
4. Statuta M assilie, lib. 3 , cap. 5 , de pignore dato in navibus pro
aliqua pecunia. Fol. 82 verso.
5. Abrégé chronologique de l ’Histoire de France , par Mezeray, édi
tion de 1755 , t. 5 , p. 180.
6. Les Établissements de Saint-Louis , roi de France, selon l’usage
de Paris et d’Orléans et de Coart de baronie, avec les notes et les
observations du sieur du Cange. Paris , 1668, in -fo l., livre 1, chap. 84 ,
de pu g n ir les usuriers.
7. L'H istoire et chronique de P ro ve n c e,
p. 291.
de Coesar Nostradamus,
�Fréjus, mit des bornes à ces excès criants. Il réprima
aussi les usuriers, en 1245 , dans les districts d’Aix,
de Brignoles et de Saint-Maximin. Les prêteurs ne pu
rent exiger plus de cinq deniers pour livre par mois,4
intérêt équivalent au 25 pour cent par an. En 1520,
on obligea les juifs à ne recevoir des chrétiens que
le même intérêt.2 La rareté du numéraire, la concen
tration de la richesse dans les mains d’un petit nom
bre de privilégiés, les vices des institutions, les
craintes du commerce exposé aux abus de l’arbi
traire et de la force, l’absence de toute science éco
nomique , des impôts mal répartis et ruineux , creu
sèrent l’abîme de misère dans lequel les peuples se
débattirent si long-temps.
Usuriers et juifs sont presque toujours synonimes
dans le langage du moyen-âge.3C’est que les juifs, en
général plus riches que les chrétiens , employaient
leur argent de la manière la plus avantageuse, et
la plupart des affaires ne se faisaient que par leur
entremise. Inventeurs de la banque et du change ,
ils pressurèrent sans pitié les hommes de tout rang ,
1. Essai sur l’histoire du droit français au m oyen-âge, par M. Giraud.
Paris, 1846, p. 15 et 19. — Un autre comte de Provence ( le nom du
prince n’est pas indiqué et la date manque égalem ent), fit aussi un
statut contre les usuriers. Même ouvrage , p. 3 7 , 58 et 59.
2. Mémoires pris en divers lieux pour les affaires du pays de Pro
vence, manuscrit en ma possession, grand in-4<\ fol. 58 verso.
5. Prêteur sur gages également comme ju if, renovier yssamen com
juzieu , dit Raimond de Castellane cité par Raynouard , dans son Lexi
que Roman , t. 4 , p. 559 et 540.
�— 400 —
mais les pauvres surtout. Les soulèvements populaires
ne purent mettre un frein à leur avarice, et ils aimè
rent mieux risquer leur vie que renoncer aux moyens
d’alimenter leur opulence.1
Ils exercèrent l’usure dans l’Europe long-temps
avant les Italiens , connus généralement sous le nom
de Lombards , lesquels avaient dans leurs mains le
commerce des denrées et des marchandises. 2 Les
Florentins surtout exerçaient dans plusieurs villes du
Midi l’état de banquier et de changeur. Ils abusaient
de leur habileté et portaient aussi loin que possible
leurs avides spéculations. 3
AMarseille, ou affluaient tant d'étrangers et surtout
tant d’Italiens, on prit des précautions contre les
changeurs de monnaie qui, comme ailleurs, faisaient
la banque.3 Les ravages de l’usure y furent circons
crits dans certaines limites, grâce à l’organisation
municipale de cette ville et au dévelopement de son
commerce favorisé par le mouvement des Croisades.
Mais les longues guerres des Deux Siciles portèrent un
coup funeste à la prospérité de Marseille , et l’usure ,
1. H istoire de l'E conom ie politique en Europe , par M. Blanqui aîné ,
2e édition. P aris, 18 42, t. 1 , cliap. xv, p. 227 et suiv.
2. Des M onts-de-Piété et des Banques de prêts sur nantissem ent,
par Biaise. Paris, 18 43, chap. i.
3. H istoire du Commerce entre le L evan t et l'E urope depuis les Croi
sades ju sq u à la fondation des colonies d'A m érique , par Depping ,
t. 1 , p. 308 et suiv.
4. Statutor. Massil. Lib. 1 , cap. 37. De satisdationc à Carnpsoribus
communi sen curie preslanda. Fol. 55 recto , aux archives de la ville.
�401
qui se montre toujours à côté de la misère , dut alors
apparaître hideuse et dévorante. La situation de la
Provence ne fut pas meilleure que celle des pays
voisins où l’avare Israël ne lâchait pas sa proie.
La charité s’émut à ce spectacle et l’on fonda des
établissements publics de prêt sur gages à titre gra
tuit ou à un modique intérêt.
On ne peut refuser à la France l’honneur du pre
mier essai vers l’année 1450. Plusieurs bons per
sonnages de Salins y instituèrent une maison de prêt
sous le patronage du prince Jean de Châlons ; 1 mais
cette œuvre ne put se soutenir. '2
Alors un moine de l’ordre des frères mineurs de
Pérouse , Bernardin de Feltro , adressa aux riches ,
du haut de la chaire , la pressante invitation d’ap
porter un remède aux excès de l’usure. Les hommes
opulents ne furent pas sourds à sa voix et leurs
offrandes formèrent un fonds à l’aide duquel on fit
aux nécessiteux des prêts gratuits . en ne retenant
qu’une légère redevance pour les frais de service. 3
Plusieurs villes d’Italie suivirent l’exemple de Pé
rouse. Trois papes, Paul II, Sixte IV et Innocent VIII,
1. Les mémoires historiques de la république Séquanoise et des
princes de la Franche-Comté de Bourgogne , par Louis G ollut, avocat
au parlement de Dôle. 1592. Un vol. in -fo l., p. 519 et 520.
2. Annales de la Charité. Troisième année, Paris, 1847, p. 665.
3. Sur la dénomination italienne de Monli di Pietà Voyez le réper
toire de l’administration et de la comptabilité des établissements de
Bienfaisance, etc., par Durieu et Roche. Paris, 1 8 4 2 , t. 2 , p. 4 6 2 .—
Voyez aussi l’ouvrage de Biaise , ci-dessus cité, p. 84.
TOME II.
26
�autorisèrent ces établissements de prêt, et cependant,
au nombre des questions qui mirent en rumeur le
monde théologique à la fin du XVe siècle et qui servent
à faire connaître quel était alors l’esprit de ce monde
là, une roula sur l’institution des Monts-de-Piété,
objet fort étranger à la théologie. Mais on sait que cette
science fut toujours portée à étendre les limites de sa
compétence. Des théologiens et des canonistes préten
dirent que les maisons de prêt, fondées par un saint
et brevetées par trois papes, étaient illicites.LesMontsde-Piété eurent des défenseurs. Les deux partis trou
vèrent dans l’Écriture, dans les Pères, dans les Con
ciles , des armes pour les attaquer et pour les défendre.
La querelle ne se termina qu’en 1515 où Léon X con
firma définitivement ces institutions utiles1 qui se ré
pandirent en Allemagne et dans le nord de l’Europe.
La ville d’Avignon, naturellement portée à subir
l’influence des idées italiennes , vit un Mont-de-Piété
se former dans son sein en 1577. Plus tard l’arche
vêque Marini institua cette œuvre son héritière uni
verselle.2 Il y avait toujours eu dans la cité pontificale
beaucoup de prêteurs sur gages qui pressuraient les
malheureux et faisaient une fortune rapide. Dans le
1. Tiraboschi. Istoria délia L elter. Ital. t. vi, part. 1 , p. 2 2 7 .—
Ginguené , H istoire littéraire d ’Italie , t. 3 , p. 565 et 566. — Sur le
Mont-de-Piété de Rome , voyez aussi les nouvelles de la république des
Lettres. Mois d’avril 1701, Amsterdam , 1791 , p. 491.
2. Istoria delta città d ’A vignone e del contado Venesino dal Sabastiano Fantoni Castrucci. In Venetia , 1678 , 1 .1 , p. 78 , n” 8.
�403 —
XIVe siècle , le pape Urbain V poursuivit les usuriers
si sévèrement, qu’en peu de jours les restitutions
atteignirent le chiffre de 200,000 florins d'or. 1Mais
l’usure n’en reparut pas moins avec tout le cortège
de ses maux. Les étudiants d’Avignon vendaient
leurs livres et engageaient leurs effets chez des juifs,
quand leur bourse était vide.2 Défense était faite à
ces israélites d’acheter ou de recevoir en gage des
ornements d’église et des choses saintes , sous peine
de dix livres d’amende. 3
L’établissement du Mont-de-Piété de Beaucaire date
de 1583. 4
Les états-généraux de 1614 s’occupèrent d’un projet
relatif à la création d’un Mont-de-Piété dans chaque
ville de France ; mais le tiers-état rejeta ce projets
qui fut repris par le roi en 1626. La mauvaise orga
nisation des finances l’étouffa dans son germe.
Au commencement du règne de Louis XIV, on fit
à Paris d’autres tentatives. 0 II s’agissait d’établir
1. H istoire politique de la m onarchie Pontificale au qua torzième siècle ou la P apauté à A v ig n o n , par l’abbé André , p. 590.
2. Antonius de Arena Provençalis de Bragardissima villa de Soleriis
ad suos com pagnones, e tc ., de gentillessiis instudiantium. Londini,
1758, p. 17.
3. Statuta inclitæ civitatis Avenionis de anno
. Lugduni, 1612.
De proxenetis, a r t.v i, p. 54.
4. Ouvrage cité de Durieu et Roche, t. 2 , p. 462.
5. H istoire de France sous Louis X I I I , par Bazin , t. 1 , p. 505.
6. Archives curieuses de l’Histoire de France depuis Louis XI jusqu’à
Louis XVIII, par Danjou, seconde série , t. 6 , p. 2 1 6 , 217 et suiv.
m dlxx
�dans celte capitale et dans cinquante-huit autres villes
des Monts-de-Piété qui devaient avoir deux objets :
le premier , de prêter gratuitement aux pauvres jusques à concurrence d’un écu ; le second, de fournir
des fonds au commerce, à raison de quinze pour cent.
Il fallait à cette institution des capitaux suffisants
pour assurer la marche de ses services ; il lui fallait
encore l'impulsion d’une administration plus énergi
que et plus éclairée que celle qui présidait alors aux
destinées du pays. d Ce grand projet s’évanouit, et
deux règnes passèrent avant que l'on songeât à faire
un essai plus heureux. Chose digne de remarque !
Paris fut une des dernières villes de France qui possé
dât un Mont-de-Piété. Il n’y fut établi que par lettrespatentes du 9 décembre 1777.2
Depuis fort long-temps des Monts-de-Piété existaient
dans quelques provinces de France ou on les avait
formés sans l’initiative du gouvernement, qui ne
daignait pas s’occuper d’eux. La Provence fut le pays
où l’on vit le plus d’institutions de ce genre, sans
doute à cause de l’influence exercée par le voisinage
de l’Italie et surtout par celui d’Avignon et du comtat
Yenaissin.
Le Mont-de-Piété d’Aix, institué vers l’année 1633,
1. B laize, ouvrage c ité , p. 128 et suiv.
2. Mémoires concernant les impositions et droits, par Moreau de
Beaumont, conseiller d’état. Paris, 17 89, t. 5 , p. 44 5 — Traité sur
l’administration des finances de la France, par Necker, 1785, t. 3 ,
pag 204.
-.
�405 —
resta long-temps dans un grand état de faiblesse.4 II
en fut ainsi de celui de Brignoles qui fut fondé en
1667. 2 Déjà, c’est-à-dire en 1666 , le P. Agneau ,
prêtre de l’Oratoire , né aux Mées en 161 7 , 3 avait
résolu d’établir à Arles un Mont-de-Piété avec le
concours de deux citoyens honorables. Louis de
Viguier et Jacques de Montfort. Ce bon prêtre n’y
parvint qu’avec peine , et l’œuvre ne prit que plus
tard quelque consistance. 4
Il y avait encore en Provence, comme dans le reste
de la France , beaucoup d’usuriers et de prêteurs sur
gages dans le dix-septième siècle. Un éminent pu
bliciste avait dit de ceux de son temps qu’ils étaient
« plus meschants et plus vilains que les larrons et
» qu’ils suçaient le sang des pauvres.3 » On lit dans
un statut provençal d’une date antérieure qu’un grand
1. Mémoire instructif pour les prieurs de la confrérie Notre-Damed’Espérance et recteurs de l’œuvre du M ont-de-Piété de cette ville d’A ix,
e t c ., seize pages in-4°, dans le recueil de divers manuscrits etfactum s
réunis par P. J. de H aitze, à la bibliothèque publique de Marseille.—
Voyez aussi sur le Mont-de-Piété d’Aix la géographie de Provence, par
Achard, t. 1 , p. 184..
2. Notice sur B rignoles, 1829, in-8°, p. 39 et 40.
5. Dictionnaire des hommes illustres delà Provence, par Achard, t. 1,
p. S. — Biographie des hommes remarquables des Basses-Alpes, par
une société de gens de lettres. Digne , 18 50, p. 3.
4. Relation contenant l’histoire de la confrérie de Nostre-Dame-deBon-Secours, dite du M ont-de-Piété ou prest charitable de la ville
d’Arles. A Arles, chez Gaspard Mesnier, 1736 , in-12. — H istoire de
l’E glise d 'A r le s , tirée des meilleurs auteurs anciens et m odernes, par
Giles D uport, p. 272 et 273.
5. Bodin. D elà République, liv. 5 , chap. 2.
�— 406 —
nombre de chrétiens nécessiteux avaient des juifs
pour créanciers. 1 Un arrêt du parlement d’Aix por
tait que les usures étaient imprescriptibles et que la
transaction ni le consentement des parties ne les cou
vraient jamais. 2 La jurisprudence provençale se mon
trait plus facile pour l’admission des preuves sur cette
matière que sur toute autre, parce que les usuriers
s’envelopaient de mystère et cherchaient à détruire
les indices accusateurs.3 Un arrêt du 23 décembre
1676 en condamna plusieurs à trois mois d’exil du
lieu de leur résidence et à diverses amendes.1 Un
autre arrêt avait jugé que l’usure commise par un
prêtre était de la compétence du juge laïque.5
On éleva la question de savoir si une femme pou
vait être poursuivie pour des faits d’usure. Le parle
ment de Provence n’hésita pas à se prononcer pour
l’affirmative, « les femmes estant plus sujettes aux
usures que les hommes , attendu que mulierum genus
est avarissimum. 6
L’administration de Sully embrassa un grand nom
bre de réformes , et l’une des plus utiles de l’année
v U
1. Recueil de quelques statuts et coustumes, e tc ., par de Bomy. A ix,
1620, p. 11.
2. Du 14 mars 1647. Recueil d’arrêts notables du parlement de
Provence, par Boniface, t. 1 , p. 531.
3. Recueil de consultations , par Decorm is, t. 2 , p. 2 0 3 5 et 2036.
4. Suite des arrêts notables du parlement de Provence, par Boniface ,
t. 3 , p. 458 et 459.
5. Suite des arrêts notables du parlement de Provence , t. 1 , p. 8.
6. Même suite des arrêts notables, t. 3 , p. 459.
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— 407 —
1601 fut la réduction de l’intérêt du denier dix et
douze au denier seize. Les raisons exposées dans cet
édit, qui est du mois de juillet, expriment tout ce
qu'on peut penser de mieux sur cette matière, et
les plus habiles économistes anglais le proposèrent
comme un modèle à suivre chez eux. 1 En 1634,
Richelieu fit à son tour rendre un édit pour réduire
les intérêts au denier dix-huit. 2 Enfin, au mois de
décembre 1665 , un édit porta réduction des consti
tutions de rentes du denier dix-huit au denier vingt,3
dans plusieurs provinces de France , et un autre
édit, du mois d’octobre 1670 , appliqua cette dispo
sition au ressort du parlement d’Aix. 1
A Marseille , le taux légal de l’intérêt en matière
civile n’était que de cinq à six pour cent vers l’année
1625. Le 21 mars, le conseil municipal donna pou
voir à l’un des députés du commerce d’emprunter à
raison de 6 et 1/ 4 pour cent la somme de 4,5 0 0 livres.s
Le 23 mars de l’année suivante y les prieurs de Notre1. Forbonnais. Recherches et considérations sur les finances de
France, depuis l’année 1595 jusqu’en l’année 1721. B asle, 1 7 5 8 , t. 1,
p. 4 8 , 49 et 50.
2. Cet édit, qui est du 16 juin 1654 , a été imprimé à Aix par Etienne
David, 1 6 5 4 , in-12 de treize pages.
5. Forbonnais. Ouvrage ci-dessus cité , t. 1 . p. 58 5, 586 et 587.
4. Boniface. Suite des arrêts notables de la cour du parlement de
P roven ce,t. 2 , p. 576.
5. Registre 55 des délibérations dn conseil municipal de M arseille,
du mois de novembre 1625 à la fin du mois d’octobre 1 6 2 5 , fol. 155
verso et 154 recto , aux archives de la ville.
�Dame-de-Miséricorde placèrent sur cette ville 7,200
livres, à l’intérêt de 5 pour cent par an. 1
La communauté de Marseille fit plus tard quelques
autres emprunts à l’intérêt de 6 et même de 6 et 1/4
pour cent. Mais le 6 novembre 1644 , le conseil mu
nicipal, sur l’offre de plusieurs personnes qui consen
taient à prêter à cinq pour cent, prescrivit aux
consuls d’emprunter au denier vingt, pour acquitter
les dettes contractées à des conditions plus oné
reuses. 2 C’est ce que la ville fit aussi en 1657, 3 et
postérieurement.
Avant 1657, le corps des pêcheurs de Marseille
avait emprunté à six pour cent, et quelquefois même
à un taux plus élevé. Mais l’intérêt ayant baissé,
le corps prit des mesures pour que tous ses emprunts
fussent réduits à 5 1/2 pour cent. ‘
C'est à ce taux qu’emprunta la communauté des
procureurs de Marseille un peu avant 1672. On lui
offrit, cette année, de l’argent à l’intérêt du cinq ; s
1. Registre 34 des mêmes délibérations, depuis le mois de novembre
1625 jusques au mois du février 1627, fol. 28 verso et 29 recto.
2 . Registre 47 des délibérations m unicipales, de novembre 1643 à
novembre 1 6 4 5 , fol. 142 verso.
3. Registre 57 des délibérations m unicipales, de novembre 1656 à
la fin d’octobre 1657, fol. 372 recto et verso.
4. Livre rouge, manuscrit in -fo l., contenant divers actes, titres et
délibérations de la communauté des pêcheurs de M arseille, de 1530 à
1759 , fol. 262 verso et 276 recto , aux archives de la prudhommerie.
5. Registre des créations et audiances des roys de Bazoche de la pré
sente ville et cité de Marseille, com mencé en l’an 1 5 8 8 , grand in-4°,
�— 409 —
et par acte du 4 août, l’avocat Reboul prêta à la
ville 3,000 livres au taux de 4 1/2. 1
Au milieu du même siècle , l’intérêt n'était que de
quatre à cinq pour cent dans divers lieux de la
Pi’ovence.2 II variait beaucoup dans d’autres localités
du même pays. En 1662 , la communauté d’Allauch
se vit obligée de faire deux emprunts , l’un à 6 1/4
pour cent et l’autre à 6 .3 En 1665 , elle trouva le
moyen d’emprunter à cinq. 4
En dehors des transactions honnêtes et publiques,
on voyait à Marseille, en matière de prêt, des choses
illicites et souvent honteuses. Des industriels sans
entrailles spéculaient sur les besoins des nécessiteux
et tiraient de leurs fonds tout le lucre possible. En
ces circonstances, il y eut une mission célèbre qui
commença le 6 mars 1673 dans l’église des Accoules.
Une foule empressée vint entendre les prédications des
pères Cougourdan, Disparre, Bruys et de Cabanes. 5
m anuscrit, fol. 127 recto , aux archives d elà communauté des avoués
de Marseille %au palais de justice.
1. Registre 73 des délibérations m unicipales, fol. 563 recto et verso,
aux archives de la ville.
2. Recueil de consultations , par Decormis , t. 2 , p. 821.
3. Livre des délibérations du conseil de la communauté d’Allauch ,
du 26 avril 164-9 au 25 septembre 1 6 7 3 , fol. 223 recto et verso, et
256 recto , au secrétariat de cette commune.
4. Même règistre, fol. 292 verso.
5. Mélange de plusieurs et diverses pièces historiques com posées par
feu M« Gaspar Garnier, vivant notaire, mon oncle et prédécesseur, et
autres auteurs modernes, tant en prozes que ritmes, les unes spirituelles
et récentes, très utiles pour l’entretien salutaire, et les autres comiques,
�410 —
La charité des fidèles fut émue par le tableau pathé
tique des souffrances du pauvre, victime de l'usure.
Quelques hommes pieux formèrent dès-lors le dessein
de soulager les malheureux par de petits prêts
gratuits. 1
Dans le mois de février 1674, le notaire Jean
Sossin remit à l'œuvre la somme de 3,376 livres qu’il
avait reçue de quelques hommes généreux ; en même
temps de Foresta-Colongue fit une aumône de deux
cents livres, et la dame Yento de Saint-Mayme en
donna cent. 2
Les fondateurs siégèrent dans une chambre de
l’hôpiial Saint-Esprit où les gages étaient aussi dé
posés. Une armoire suffit à cette destination. L’entre
prise ne prêta que de très petites sommes, et. n’obtint
que des résultats insignifiants. Elle ne put même
avoir que bien tard un caractère fixe et légal. Le 23
août 1688, les statuts de l’œuvre furent approuvés
par l’évêque de Marseille ; 3 mais la haute approba
tion du gouvernement se fit attendre long-temps ennéanmoins fort convenables pour le pur divertissement de l’esprit. 1669,
p. 299 et suiv. Manuscrit grand in-4°, en la possession de M. Luck ,
à Marseille.
1. Préambule des lettres-patentes du 18 juillet 1696 , portant insti
tution du M ont-de-Piété de M arseille, aux archives de cet établissem ent.
2. Grand livre de l’administration du M ont-de-Piété de Marseille ,
marqué A , de 1674. à 1 7 2 8 , fol. 1 , aux archives de l’Hôtel-Dieu de
Marseille.
3. Préambule de' lettres-patentes ci-dessus citées.
�core. Le 2 0 février 1 6 9 0 , les échevins de Marseille
écrivirent à Villeneuve, leur agent à Paris, pour
presser la solution de cette affaire, 1 et je ne sais quels
obstacles arrêtèrent la signature des lettres-patentes
qui ne parurent que plus de six ans après.
Telle était la situation du Mont-de-Piété de Mar
seille qui languissait dans une longue enfance, lors
qu’un gentilhomme de cette ville, Jean de Puget,
fils de François, seigneur de Bouc, et de dame Anne
de Cabane, prit la résolution de l’élever à la hauteur
d’une des plus utiles institutions publiques. Membre
d'une ancienne et illustre famille de Provence qui se
divisa en plusieurs branches, 2 il avait hérité de la
dame Anne de Puget, sa tante.3 Homme de valeur
et d’expérience, il fut nommé par le conseil muni
cipal, le 1 8 novembre 1 6 7 4 , l'un des directeurs
chargés de ce qui concernait le nouvel agrandisse
ment de la ville , 4 et on l’appela , trois ans après,
dans une assemblée générale composée du conseil
1. Registre des copies des lettres des échevins de Marseille, du 11 avril
1687 au 16 juin 16 92, sans pagination chiffrée, aux archives de la ville.
2. Voyez tous les nobiliaires de Provence. Voyez aussi la critique de
Barcilon de Mauvans, manuscrit qui a un assez grand nombre de copies
possédées par des amateurs.
3 . Par testament du 15 juin 1650. Voyez l’acte du 17 mai 1662 dans
le registre 62 des délibérations du conseil municipal de M arseille, du
mois de novembre 1661 à la fin du mois d’octobre 1 6 6 2 , fol. 219 verso,
aux archives de la ville.
4. Registre 74 des délibérations m uuicipales, du mois de novembre
1673 à la fin d’octobre 1674 , fol. 5 recto , aux archives de la ville.
�de ville. des prud’hommes des patrons pêcheurs ,
des recteurs des hôpitaux, des prieurs des portefaix ,
des tailleurs d’habits, des tisserands, des menuisiers,
des boulangers , des paysans et des savetiers, pour
délibérer sur l’acquittement des dettes de la ville
et sur diverses questions relatives à la vente des
farines. 4
Jean de Puget avait pour femme Marie de Gella qui
ne lui donnait que de pieux exemples, car elle aimait
les pauvres et faisait le bien modestement. Il respi
rait auprès d’elle le doux parfum des vertus bienfai
santes. Cette dame, vouée à de saintes œuvres, fit
son testament le 8 août 4685. Elle légua 3,000 livres
à la Miséricorde ; 2 pareille somme aux filles de la
Providence ; 500 livres à la maison du Refuge ; au
tant à celle des Repenties. Elle institua l’Hôtel-Dieu
et l’hospice de la Charité ses héritiers universels , et
laissa l’usufruit de ses biens à son mari. 3
Jean de Puget n’avait pas d’enfants, et il voulut
aussi que les pauvres eussent une grande part dans
la distribution de sa fortune. Dans sa jeunesse il
avait beaucoup voyagé ; il avait vu en Italie et en
t. Registre 79 des délibérations m unicipales, du mois de novembre
1676 à la fin d’octobre 1677, fol. 91 verso et suiv.
2. Livre 5 des délibérations du bureau de la confrérie de Notre-Damede-Miséricorde , de 1685 à 16 94, fol. 84 verso, aux archives du Bureau
de Bienfaisance de Marseille.
3. Livre trésor B de l’hôpital Saint-Esprit et Sainl-Jacques-de-Galice
de M arseille, de 1686 à 16 95, fol. 176 et su iv ., aux archives de
l’Uôtel-Dieu.
�— 413
Allemagne des Monts-de-Piété qui fonctionnaient par
faitement, et il se dit qu'il ferait une chose excellente
en attachant son nom à un établissement de ce genre
à Marseille. Par testament du 30 septembre 1691, il
laissa 69,000 livres pour cette fondation, savoir:
60,000 livres pris sur tous ses deniers à l’heure de sa
mort, et 9,000 livres payables en six annuités de
1,500 livres chacune sur les loyers de deux maisons
situées sur le Port et qu’il légua à l’hôpital général
de la Charité de la meme ville. Son héritier institué
était son neveu Joseph de Martin. 1
Ce bienfaiteur mourut le 26 juin 1695 , et toutes
ses dispositions testamentaires furent exécutées.
L'œuvre du Mont-de-Piété reçut aussi 1,498 livres
de la mission de Forbin-Janson, évêque de Marseille;
elle reçut encore diverses sommes de plusieurs per
sonnes , et le total de ces aumônes présenta le chiffre
de 3,423 livres.
L’organisation de ce Mont-de-Piété devint alors
complète. On fit de nouvelles instances auprès des
ministres de Louis XIV, et ce monarque signa à Ver
sailles , le 18 juillet 1696 , les lettres-patentes d’ap
probation. 3
1. Testament de noble Jean de Puget , aux archives du Mont-de-Piété
de Marseille.
2. Grand livre marqué A et ci-dessus cité , fol. 1 et 2.
3. Ces lettres-patentes sur parchemin sont aux archives du Montde-Piété de Marseille.
�Le bureau était composé d’un recteur président ,
d’un directeur qui avait la vice-présidence, d’un
trésorier, d’un secrétaire, d’un contrôleur, d’un dé
positaire, d'agrégés en nombre illimité avec voix
délibérative, 1 d'un estimateur des matières d’or et
d’argent et d’un autre estimateur des hardes et objets
divers , tous servant gratuitement.
Le bureau était ouvert tous les mardis d’une heure
à quatre , pour les engagements et pour les dégage
ments. Il ne prêtait jamais au-delà de cent livres, et
il était fermé au public depuis Pâques jusqu’au mois
de juin.
On tenait chaque année deux séances générales où
tous les agrégés étaient appelés , l’une le premier
lundi après le dimanche des Rois et l’autre le premier
lundi du mois de juillet. On ne s’y occupait que de
grandes affaires et de dispositions règlementaires.
Dans l assemblée du mois de juillet on nommait les
six officiers qui n’étaient rééligibles qu’un an après
leur sortie de charge , les deux estimateurs qui n’é
taient aussi choisis que pour une année, mais qui
pouvaient être réélus, et deux auditeurs du compte
trésoraire.
La compagnie avait pour chef l’évêque de Marseille.
Le terme ordinaire du prêt était de six mois, passé
lequel, faute de paiement, le bureau faisait vendre
les gages, se remboursait sur le montant du prix et
1. Il parait que ce nombre ne dépassa jamais celui de vingt-quatre.
�415
rendait le surplus au propriétaire , sans rien exiger
de lui.1 Le bureau pouvait renvoyer à un an ia vente
des gages , 2 et c’est ce qu’il faisait presque toujours.
Après l’obtention des lettres-patentes, il continua
de siéger dans l’hôpital Saint-Esprit. Mais comme
l’étroite chambre où l’œuvre était établie ne suffisait
plus à ses besoins, l’administration du Mont-de-Piélé
traita avec celle de l’hôpital pour la cession d’une
salle plus convenable, et par acte du 20 septembre
1698 on stipula que le Mont-de-Piélé aurait la pos
session de la salle , moyennant six mille livres payées
à l’hôpital, à titre d’aumône pour les malades. Le
Mont-de-Piété en compta de suite quatre mille, et
l’on convint du terme pour le paiement du solde.
Le bureau de l’Hôtel-Dieu eut bientôt regret d’avoir
fait cette affaire et cherchâtes moyens de revenir sur
ses engagemens. Dans la séance du 16 janvier 1698,
il délibéra de reprendre la salle cédée au Mont-dePiété , en lui remboursant les quatre mille livres reçues
à compte et en le déchargeant du paiement du solde.3
Les directeurs du Mont-de-Piété résistèrent à cette
1. Calendrier spirituel et perpétuel pour la ville de M arseille, avec
un état spirituel de tout le diocèse. Marseille, 1713 , p. 142.
2. Lettres-patentes de Sa Majesté avec les règlements du M ont-dePiété , ou prest charitable, étably en cette ville de M arseille, dans
l’enceinte de l’hôpital Saint-Esprit. M arseille, chez Henri Brebion ,
in-8° de 22 pages, 1696.
3. Registre G des délibérations du bureau de l’hôpital Saint-Esprit
et Saint-Jacques-de-Galice, du 11 septem brel692 au 7 mai 1703, fol.
95 recto et verso, aux archives de l’Hôtel-Dieu.
�demande , et il fallut alors recourir aux voies judi
ciaires. L’évêque de Marseille offrit sa médiation et
l’on convint de soumettre la cause à des arbitres,
lesquels laissèrent périmer le délai prescrit, sans pro
noncer le jugement. L’affaire s’envenima. Le 8 juillet,
le bureau de Notre-Dame-de-Miséricorde délibéra de
s’entremettre pour concilier l’Hôtel-Dieu avec le Montde-Piété , 1 et Carfeuil, l’un des membres de la Misé
ricorde, se chargea de cette mission. Il agit avec
l’assistance de l’évêque et des échevins , et le succès
couronna leurs communs efforts. Le bureau du Montde-Piété consentit à l’annulation de l’acte du 20 sep
tembre 1696. Il fut dit que les parties seraient remises
en l’état où elles étaient avant cet acte , à condition
que le Mont-de-Piété jouirait pendant cinq ans, à
titre gratuit, de trois magasins dans l'intérieur de
l’Hôtel-Dieu ; que Padministration de cet hôpital au
rait à son tour la jouissance , durant le même temps
et sans intérêts , des quatre mille livres du Mont-dePiété , remboursables seulement à la fin des cinq
années.
Ce projet d’arrangement fut approuvé par les rec
teurs de l’Hôtel-Dieu dans leur séance du 1er septem
bre 1698 et l’acte en fut passé en la forme authenti
que. 2Les hommes de bien applaudirent à ce résultat.
1. Livre 6 des délibérations du bureau de la confrérie de Notre-Damede-Miséricorde de Marseille, de 1694 à 1 7 0 7 , fol. 86 verso et 87 recto,
aux archives du Bureau de Bienfaisance.
2. Registre G ci-dessus cité, fol. 103 recto, 106 recto et 223 recto.
�— 417
La discorde , qui jette tant de douleurs au sein de la
famille humaine , devrait au moins s’arrêter sur le
seuil de ces maisons hospitalières, de ces asiles pieux
où des mains consacrées au culte de la bienfaisance
en entretiennent le feu divin.
Grâces au don du généreux Jean de Puget, l’œuvre
du Mont-de-Piélé de Marseille avait tous les moyens
de posséder en propre un local plus convenable que
celui de 1Hôtel-Dieu. Elle fit choix d’un terrain à
bâtir, d’une superficie de 166 cannes carrées,4 près
l’église Saint-Martin, et joignant l’ancien rempart
dont on voyait encore des vestiges. Ce terrain appar
tenait à Jean-Paul de Foresta , dernier juge du palais
de Marseille. De Foresta l’avait acquis de la ville,
le 10 janvier 1674, au prix de 9,328 livres, 2 et il
le vendit, le 13 février 1703 , à l'œuvre du Monlde-Piété et à Jaubert, Chaud et Baudeuf, maîtres
maçons à Marseille, solidairement entre les trois.
Le prix fut de 16,600 livres. Il fut convenu que le
Mont-de-Piété en aurait six cannes en façade à midi
sur la place Saint-Martin et que le reste appartien
drait aux trois maçons. 3
1. 672 mètres carrés.
2. Registre 74 des délibérations m unicipales, du mois de novembre
1675 à la fin d’octobre 1 6 7 4 , fol. 65 recto et verso , aux archives de
la ville.— Voyez aussi l’acte du 10 janvier 16 74, aux archives du Montde-Piété de Marseille.
3. Voyez l'extrait de l’acte du 13 février 17 03, aux archives du
M ont-de-Piété de Marseille.
TOME II.
27
�418 —
Les travaux commencèrent aussitôt. De Bricard ,
recteur; Rosset, trésorier, et Sossin, dépositaire,
posèrent en cérémonie la première pierre de l’édifice
sur laquelle on grava une inscription qui rappelait
les titres de Jean de Puget. 1
En 1704 , on fit, pour les frais de la bâtisse, une
quête générale qui produisit 1,651 livres.2 Pour sub
venir à tous ses besoins, l’administration avait établi,
en 1702 , un droit de 2 1/2 p. °/° sur le produit des
gages vendus aux enchères publiques , 3 les prêts
continuant d’ailleurs d’être entièrement gratuits.
La bâtisse, terminée au milieu de l’année 1705 ,
coûta 17,163 livres.1
Par testament du 5 février 1722 , un prêtre de
Marseille , nommé Gabriel Paul, fit le Mont-de-Piété
son héritier universel ; 5 la même année la D,le Fran
çoise Luquet lui légua 3,000 livres que l’œuvre lui
devait à constitution de rente.fi L’établissement reçut
1. On lit cette inscription dans un volume in-4° contenant plusieurs
bulles pontificales et divers statuts des anciens M onls-de-Piété d’Italie ,
aux archives du M ont-de-Piété de Marseille.
2. Grand livre A de l’administration du M ont-de-Piété de Marseillede 1674 à 1728 , aux archives de l'Hôtel—Dieu de cette ville.
3. Grand livre A ci-dessus cité , mêmes pages.
4. C’est ce qui résulte de la quittance finale donnée par les entre
preneurs m açons, le 5 août 1705 , et des acquits séparés du serrurier
et du menuisier. Même grand livre.
b. Voyez le texte de ce testament aux archives du M ont-de-Piété.
ü. Livre trésor I de l’hôpital Saint-Esprit et Saint-Jacques-de-Galice,
17 25-1 735 , fol. 592 verso, aux archives de l’Hôtel-Dieu de Marseille.
�des libéralités de quelques autres bienfaiteurs, et le
bureau supprima le droit de 21/2 p.°/0dans sa séance
du 3 avril 1730.1 Mais le 5 juillet 1734, il délibéra de
percevoir un intérêt de 3 3/4 p. °/0 sur tous les en
gagements. 2 Le nombre des emprunteurs sur gages
s’accroissant sans cesse , Vadministration s'était vue
dans la nécessité d’augmenter par des emprunts, pour
lesquels elle payait un intérêt de 4 p. °/„ , son fonds
capital qu’elle augmenta ou diminua dans la suite
par les mêmes moyens suivant les exigences de sa
situation.3
L’intérêt de 3 3/4 p. °/0 ne changea pas jusqu’en
1782. Le 9 août de la même année le bureau délibéra
de prêter gratuitement jusqu’à cinq livres ; d’exiger
4 p. °/0 d’intérêt pour les engagements au-dessus
de cette somme jusqu’à quinze livres, et 5 p. °/„
sur les prêts plus forts. Et comme rétablissement de
venait tous les jours plus considérable, le bureau
qui, par acte du 25 avril 1748 , avait acheté, au
prix de 19,000 livres,4 une maison contiguë au local
de l’œuvre, délibéra d’acquérir deux autres maisons
1. Registre 2 des délibérations du bureau du M ont-de-Piété de Mar
seille , fol. 3.
2. Même registre, fol. 22.
3. On voit dans la délibération du 1er juillet 1757 que les emprunts
faits jusqu’à ce jour se montaient à 88,400 livres Registre cité,toi. 53.
Peu de jours après , le trésorier emprunta encore 3,400 livres. Sur l’aug
mentation et la diminution de ces em prunts, voyez les p ages4 2 ,1 5 7 ,
1 4 6 , 180 du registre 2 susm entionné.
4. Voyez le texte de cet acte aux archives du M ont-de-Piété.
�— 420 —
pour un agrandissement dont la nécessité frappait
tous les yeux. 1
Cette délibération fut autorisée par lettres-patentes
du roi données à Versailles au mois de juin 1784.
Ces lettres maintinrent pour vingt années la fixation
de l’intérêt tel que le demandaient les administrateurs
du Mont-de-Piété,2 et ceux-ci n’achetèrent qu’une
des deux maisons dont je viens de parler. Le prix fut
de 40,000 livres au paiement duquel les fonds d’un
emprunt pourvurent.
L’œuvre continuait de fonctionner avec une rare
simplicité. Près d’un demi siècle durant, deux commis
très médiocrement rétribués avaient suffi à tout le
travail. Le 7 juillet 1738, le bureau délibéra d’en
prendre un troisième , 3 et il en nomma un quatrième
en 1783. Des dames charitables aidaient gratuite
ment , soit à ouvrir et plier les paquets, soit à fixer
la valeur exacte du linge, des dentelles et des autres
objets de ce genre. Il va sans dire que l’expérience,
la marche du temps et l’accroissement des opérations
introduisirent des changements successifs dans les
statuts de l’œuvre. Le 2 juillet 1742, le bureau avait
délibéré de nommer annuellement parmi ses membres
trois trésoriers qui servirent dès lors quatre mois
chacun.4 II décida, le 15 décembre 1762 , qu’à l’a1.
2.
3.
4.
Registre 2 ci-dessus cilé , fol. 216.
Ibid. fol. 225 et suiv.
Ibid. fol. 38.
Ibid. fol. 56. .
�— 421
venir il ne recevrait plus les gages en diamants et en
perles; 1 mais cette délibération fut rapportée le 3
avril 1771 et on en vint aux anciennes règles.2
L’usure faisait encore des ravages à Marseille.
Comme elle disposait de toutes les ressources de
l’astuce , elle s’entourait de mystères impénétrables,
et ses viclimes, loin de la trahir, assuraient son im
punité scandaleuse , pour ne pas soulever le voile de
la honte qui cachait leur misère. 3
En 1776 , l’administration du Mont-de-Piété s’oc
cupa d’un projet de règlement plus conforme à la
pratique. Mais l’étude de la question traîna en lon
gueur ; des difficultés surgirent, et à la fin de 1778,
le bureau délibéra d’agir comme par le passé. 1
Plusieurs actes de libéralité et notamment les dis
positions testamentaires du P. Rosset de l’Oratoire5
augmentèrent les ressources de l’œuvre. L’hiver de
1789 vit affluer au Mont-de-Piété une foule considé
rable d’emprunteurs et le bureau , dans sa séance du
23 novembre, exprima la crainte de ne pouvoir,
faute de ressources, continuer les prêts durant un
froid excessif qui suspendit la plupart des travaux.
1. Ibid. fol. 136.
2. Ibid. fol. 165.
3. Voyez dans le registre 26 des copies des lettres des écbevins de
M arseille, du 17 mars 1773 au 6 mai 1 7 7 4 , la lettre écrite le 9 juin
1773 aux consuls d’Aix ; archives de l’Hôtel-de-ViUe de Marseille.
4. R egistre2 des délibérations du Mont-de-Piété de Marseille, fol. 183.
b. Même registre 2 , fol. 106.
�En conséquence , il délibéra de ne rembourser aucun
créancier jusques à Pâques de 1790; de ne prêter
sur gages en diamants que la somme de 50 livres,
sans jamais fournir une somme plus forte sur quelque
gage que ce fût; de ne prêter sur la vaisselle d’argent
qu’à raison de 24 livres par marc, sur les bijoux en
or qu’à raison de 36 livres par once, et sur les mon
tres en or que 24 livres.
Le bureau du Mont-de-Piété était alors ouvert deux
fois la semaine , le mardi pour les engagements et le
samedi pour les dégagements, en restant toujours
fermé depuis Pâques jusques au mois de juin. Un
Marseillais, nommé Soumeire, proposa d’établir
lui-même un bureau de commissionnaire ouvert tous
les jours, excepté les fêtes et les dimanches. Lejeune
avocat Barbaroux fit un mémoire à l'appui de cette
demande 1 que le corps municipal accueillit le 27 oc
tobre 1790. 2 Un tarif fixa les droits du commission
naire , sous un cautionnement de cent mille livres en
immeubles. 3
Les administrateurs du Mont-de-Piété , qui déjà
avaient cru nécessaire de fixer à 60 livres le plus haut
1. Registre 2 ci-dessus cité, fol. 257.
2. Livre 2 des délibérations du corps municipal de Marseille , du 28
juillet 1790 au 22 février 1 7 9 2 , fol. 36 verso et 57 recto et verso,
aux archives de la ville.
3. Délibérations du corps municipal du 24 février et du 18 avril 1791,
dans le livre 2 des délibérations de ce corps, fol. 89 recto et 123 recto
et verso.
�— m —
prêt sur gages , se virent encore obligés de le réduire
à 42 livres. Mais le 25 janvier 1792, le corps muni
cipal révoqua cette décision , et l’œuvre s’en tint
alors au régime antérieur, le chiffre du prêt le plus
élevé se trouvant ainsi reporté à 60 livres.
Les fonds du Mont-de-Piété de Marseille s’élevaient
alors à 600,000 livres et on l’avait vu précédemment
refuser des prêts qu’on lui offrait.1Cet établissement,
après plus d’un siècle d’existence , venait de perdre
à peu près sa liberté d’action administrative. Les
nouvelles lois , et plus encore l'empire des circons
tances politiques, le soumettaient à la tutelle de
l’autorité communale. Le remboursement des som
mes placées sur le Mont-de-Piété fut suspendu ;
mais l’œuvre, au lieu de manquer de fonds, s'en
trouva bientôt embarrassée. Dans des temps malheu
reux de trouble, quand les imaginations agitées par
tous les fantômes de l’incertitude et de la peur, trem
blent devant les mystères d'un avenir menaçant, on
craint d’accorder la moindre confiance aux établis
sements publics, et l’on n’a foi que dans soi-même.
L’empressement des citoyens à venir retirer leurs
gages, surtout ceux qui valaient le plus, et la diminu
tion progressive des engagements causèrent un engor
gement considérable, et le Mont-de-Piété n’ayant
1. Registre 3 des délibérations du corps municipal de Marseille , du
29 février 1792 au 3 février 17 93, fol. 121 verso et 122 recto, aux
archives de la ville.
�.......................................... '
— 424 —
plus , comme autrefois, le moyen de se libérer, restait
surchargé d’intérêts sans aucun dédommagement.
Alors le corps municipal l'autorisa à rembourser
jusqu’à cent mille livres. Mais l’accroissement conti
nuel des fonds en caisse rendant cette faculté insuffi
sante , le conseil général de la commune permit, le 2
juillet 1793 , aux administrateurs de l’œuvre d’em
prunter et de rembourser selon les besoins.
Le bureau du Mont-de-Piété prit donc diverses me
sures pour les remboursements et délibéra qu’il serait
fait réserve d’un fonds de 60,000 livres pour subve
nir, dans tous les cas , au service courant de l’année;
qu'on rembourserait à chaque créancier le quart de
ce qu’on lui devait, en commençant, autant que pos
sible , par ceux dont les créances seraient plus consi
dérables ; que dans le cas où quelques-uns des créan
ciers désireraient le remboursement intégral, le tré
sorier s’empresserait d'y satisfaire. 1
Comme les fonds augmentaient toujours plus en
caisse par la quantité d’objets dégagés qui excédait
beaucoup la valeur des engagements , le bureau prit
encore, le 20 août suivant, diverses mesures finan
cières pour diminuer les embarras de sa situation.2
La nouvelle municipale montagnarde , instituée à
Marseille après l’entrée des troupes de Cartaux ,
1. Registre 2 des délibérations du bureau du Mont-de-Piété de Mar
seille , fol. 275 et suiv.
2. Même registre 2 , fol. 277.
�— 425 —
nomma quatre commissaires adjoints à l’administra
tion du Mont-de-Piété , lesquels furent les citoyens
Feraud , Teissère père et Payan , notables de la com
mune , et Soumeire qui dirigeait toujours son bureau
de commissionnaire. 1
C’était le temps des grandes transformations.Toutes
les institutions locales étaient détruites au profit de
l'unité nationale qui remplaçait avec violence les
excès de l'ancien fractionnement administratif par
les excès contraires d’une centralisation absorbante.
Le 23 janvier 1794 , la convention nationale avait
ordonné qu’il lui serait fait un rapport sur la ques
tion de savoir s’il convenait de conserver les Montsde-Piété , mais personne ne s’occupa du rapport. Le
décret du 11 juillet de la même année réunit au do
maine national l’actif et le passif de toutes les ins
titutions de bienfaisance. Dès ce moment tout prêt
cessa au Mont-de-Piété de Marseille , et il ne pouvait
pas en être autrement, puisque les emprunteurs payè
rent en assignats le prix de leurs gages , ce qui
anéantit le fonds capital en numéraire et ne laissa
plus au Mont-de-Piété que l’immeuble où était son
siège. Cet établissement devait alors 453,558 francs
en rentes perpétuelles à quatre pour cent. 2
1. Même registre 2 , avant dernière page.
2. Sur les divers objets de réglementation et sur les diverses mesures
d’administration et de finance touchant le M ont-de-Piété de Marseille
pendant la révolution , voyez le registre 3 des délibérations du conseil
général de la com m une, fol. 98 verso , 99 recto et verso , \ 17 recto et
�Plus tard, la loi du 7 octobre 1796 et celle du 17
février I 797 ayant réuni les hospices d’une même
commune sous une seule administration , le Mont-dePiété de Marseille passa sous la direction de la com
mission des hospices de cette ville , par l’effet de
l’application plus spécieuse que fondée de ces lois qui
ne parlaient que des hospices et nullement des Montsde-Piété.
Les créanciers des rentes perpétuelles sur le Montde-Piété de Marseille ne furent donc pas liquidés
comme créanciers de l’état, mais renvoyés devant la
commission des hospices pour être payés de leurs
rentes à dater du 21 mars 1797.
La commission servit ces rentes et fit même tout
ce qu’elle put pour reconstituer le Mont-de-Piété.
Elle organisa les bureaux, en prit la direction et
nomma sept administrateurs décadiers.1 Mais l’éta
blissement eut la plus grande peine à fonctionner. Les
circonstances ne lui étaient pas favorables , et peutêtre on ne mit pas à son service la bonne volonté,
l’intelligence et l’énergie nécessaires pour relever du
sein des ruines une institution qui venait de perdre
tous ses moyens d’action et de crédit.
verso. — Le registre 7 des délibérations du corps municipal , p. 195 ,
2 0 6 , 207, 218 et 242. — Le registre 8 du même corps, p. 114. — Le
registre9 du m êm e corps, fol. 162 recto.
1. Registre 1 de la commission administrative des hospices de Mar
seille , du l er floréal an v au 21 floréal an v u , p. 88 verso et 99 verso ,
aux archives de 1’Ilôtel—D ieu.
�— 427
Quoi qu’il soit, le 17 juin 1798, la commission des
hospices considéra que le Mont-de-Piété était encore
dépositaire,d’un assez grand nombre d’effets qui au
raient déjà dû être vendus, mais qu’ils appartenaient
en général à des malheureux. En conséquence , elle
invita publiquement ces anciens emprunteurs à re
tirer leurs gages dans le délai d’un mois, passé lequel
la vente en serait faite aux enchères publiques.
Le 30 juin , la commission des hospices , confor
mément à l’autorisation du ministre de l’intérieur ,
supprima tous les hospices de cette ville , à l’excep
tion de l’Hôtel-Dieu , de la maison de la Charité et de
l’hôpital des Fous. Le Mont-de-Piété, qui depuis long
temps ne fonctionnait plus , se trouva supprimé de
droit , et les administrateurs décadiers donnèrent
aussitôt leur démission , bien qu’ils eussent pu exercer
pendant quelque temps encore leur charge qui ne
consistait qu’à régulariser par leur assistance la res
titution ou la vente des gages. Le 1er juillet 1798 , la
commission des hospices réduisit à quatre le nombre
des administrateurs du Mont-de-Piété et nomma les
citoyens Girard, officier de santé; Santon, notaire;
Albert Gerin et Jourdan. Ceux-ci vendirent les der
niers gages. Le 10 octobre on ferma les bureaux de
l’œuvre et on renvoya les employés.d
L’année précédente , le gouvernement avait pro1. Même registre 1 d elà commission administrative des hospices,
fol. 150 et suiv.
�posé au corps législatif un projet de caisse de prêt
public dans chaque département. Ce projet n’eut pas
de suite ,* et une circulaire du ministre de l’intérieur,
à la date du 27 juin 1801 , invita les préfets à réor
ganiser les Monts-de-Piété dans les communes où leur
action paraîtrait utile.2
1. Favard de Langlade. Répertoire, section 2 , § 1.
2. Répertoire de l’administration et de la comptabilité des établisse
ments de Bienfaisance, e tc ., par Durieu et Germain Roche. Paris,
18 42, t. 2 , p. 464.
�CHAPITRE XVIII.
MONT - »G - P «ÉTÉ.
IL
Rétablissement du M ont-de-Piété de Marseille. — R églem entée 1807.
— État administratif et financier de l’œ uvre.— Son accroissement..
— Sa position en 1848. — Statistique de ses opérations.— Cons
truction du nouveau local.^— L’œuvre y est installée. — Détails
divers sur la marche de ses services.
Charles Delacroix , préfet des Bouches-du-Rhône,
s'occupa du rétablissement du Mont-de-Piété de Mar
seille. Les préfets avaient alors de grands pouvoirs,
et Delacroix en usa au profit de l’intérêt public pour
une foule d'améliorations dont il eut l’intelligente
initiative. Infatigable de corps et d’esprit, il donnait
à tout une impulsion vigoureuse et rapide, et jamais
administrateur ne fit tant de choses en si peu de
temps. Le 20 février 1802 , Delacroix reconstitua le
Mont-de-Piété de Marseille à peu près sur ses an
ciennes bases. Il nomma pour le régir gratuitement,
sous la surveillance de la commission des hospices,
douze citoyens choisis presque tous parmi ceux qui
avaient été administrateurs avant la révolution. 1
1. Registre 2 des délibérations de la commission administrative des
hospices de M arseille, du 19 thermidor an 9 au 29 ventôse an 1 2 , fol.
109 recto et verso, aux archives de l’Hôtel-Dieu.
�— 430 —
Il leur fit remettre 50,000 fr. du cautionnement du
fermier de l'octroi de Marseille. L’intérêt à percevoir
par l’œuvre, privée de toute autre ressource, fut fixé
provisoirement à 10 p. % par an , intérêt qui n'était
pas alors la moitié du taux courant sur place.
Tout ce qui avait de l’importance s’exécutait de
concert entre la commission des hospices et celle que
le préfet venait d’organiser pour la gestion particulière
du Mont-du-Piété.1 L’union des anciens administra
teurs de deux œuvres qui n’en faisaient, pour ainsi
dire, qu’une seule , inspira la confiance au point que
le Mont-de-Piété put mettre sans peine en circulation
des milliers de bons de dix livres payables au por
teur en monnaie de cuivre que les négociants con
fiaient à l’œuvre, recevant d’elle en échange cette
monnaie , valeur pour valeur et sans intérêt.
Le bénéfice de dix mille francs environ que procu
raient annuellement les bons de dix francs, les rentes
d'une donation de 54,000 francs récemment faite à
l’établissement par un bienfaiteur et la gratuité du
loyer de la maison de la part des hospices , mirent
l’œuvre' dans l’heureuse position de réduire l’intérêt
à six pour cent. 2
1. Registre 2 ci-dessus cité. — Registre 3 , du 29 ventôse an 12 au
4 thermidor an 13. — Registre 4 , du 8 thermidor an 15 au 25 octobre
1808, passim , aux archives de l’Hôtel—Dieu.
2. Notice sur l’ancienne organisation du Mont-de-Piété de M arseille,
en réponse à la lettre du Prélet des Bouches-du-Rhône , sous la date du
24 septembre 1814, m anuscrit, aux archives du Mont-de-Piété.
�Cette délibération prise le 20 avril 1807 ne put
être exécutée, car le décret impérial du 10 mars de
la même année vint appliquer, à peu de chose près,
au Mont-de-Piété de Marseille les règles établies pour
celui de Paris et plus tard étendues à Lyon et à d’au
tres villes. Ce décret déclara que l’œuvre, désormais
placée sous l’autorité du ministre de l’intérieur et du
préfet, aurait une administration formée du maire,
président n é, de deux membres de la commission
des hospices , de deux du bureau de bienfaisance,
d’un jurisconsulte et d’un notable instruit dans les
Opérations de commerce et de banque, tous nommés
par le préfet et soumis à la confirmation du ministre ;
que leurs fonctions seraient gratuites ; qu’un direc
teur salarié, choisi par le ministre, sur l’avis du
préfet et sur la présentation des administrateurs ,
aurait la gestion immédiate de l’établissement ; que
les employés de toutes classes recevraient les ordres
de ce directeur et que l’administration en ferait le
choix.
Dans-ces circonstances, la commission des hospices
quitta le local du Mont-de-Piété et le loua à la nou
velle administration de cette œuvre régénérée. Elle
alla elle-même s’établir à l’Hôtel-Dieu. 1
Le fonds capital, destiné au service du Mont-de1. Registre 4 des délibérations de la commission des hospices de
M arseille, du 8 thermidor an 15 au 25 octobre 18 08, fol. 1 7 9 , 203 ,
2 0 4 , 2 0 5 , 270 et saiv.
�Piété de Marseille, était alors de 195,021.4 Le règle
ment de 1807 voulut que les cautionnements en
espèces des fermiers ou régisseurs de l’octroi de la
ville , des receveurs des établissements de charité et
de tous les adjudicataires d'un service communal ou
hospitalier , servissent, à assurer une partie de ce
capital au surplus duquel le règlement exigea qu’il
serait pourvu soit par la voie des actions , soit par
celle des placements volontaires , soit par celle des
emprunts , et que le capital de l’œuvre pourrait être
porté à la somme de 500,000 francs. Le règlement
voulut encore que les hospices fussent garants et res
ponsables non seulement des emprunts faits pour le
service du Mont-du-Piété , mais encore des gages
confiés à cette œuvre. Aussi détermina-t-il que les
bénéfices provenant des prêts sur nantissement appar
tiendraient aux hospices lorsque-le capital du Montde-Piété aurait atteint le chiffre de 500,000 francs.
La commission des hospices ne cessa de payer les
rentes perpétuelles et les charges foncières attachées
au local du Mont-de-Piété.
D’après le décret de 1807, l’intérêt à exiger des
engagistes était de 18 p. °/0 , y compris les droits et
surcharges accessoires.
1. Il se composait : 1° de 25,000 fr. montant du bénéfice fait par
l’œuvre ; 2° de 100,000 fr. du cautionnement du receveur municipal ;
5° de 16,000 fr. des cautionnements de divers receveurs des hospices
de l’arrondissement de Marseille ; 4° de 54,000 fr. provenant de la
donation dont j’ai déjà parlé.
�— 433 —
Le Mont-de-Piété, en commençant le premier exer
cice de 1808 , fut autorisé à réduire ce taux à quinze
pour cent. Il parvint à l’abaisser successivement à
douze pour cent pour toute charge, et obtint, en
1815, la réduction à dix pour cent. 1
Jusqu’alors cette administration avait choisi les ap
préciateurs parmi les personnes spéciales qui avaient
des titres à sa confiance, mais l’ordonnance royale du
26 juin 1816, en exécution de la loi des finances du
28 juin de la même année, institua les commissaires
priseurs et obligea les Monts-de-Piété à recourir dé
sormais à leur ministère , en donnant aux adminis
trateurs le droit de choisir ces officiers et d'en fixer
le nombre selon les besoins du service. Le bureau du
Mont-de-Piélé de Marseille en désigna trois sur les six
que l’ordonnance du 26 juin créa dans cette ville, et ce
ne fut qu’en 1851 qu’elle en appela un quatrième.
La situation respective du bureau du Mont-dePiété et delà commission des hospices fit naître des
difficultés sérieuses. En 1830 , cette commission ré
clama les sommes excédant le fonds capital de 50 0,0 00
francs. Le Mont-de-Piété contesta, par le motif que
le capital devait être porté à un million à cause des
besoins toujours croissants de l’œuvre, et les débats
se prolongèrent.
Enfin, les deux administrations réunies sous la
présidence de M. Consolât, maire de Marseille, ter1. Notice citée sur l’organisation du M ont-de-Piété'de Marseille.
TOME II.
28
�I
— 434 —
minèrent leurs différends le 13 février 1834. Il fut dit
dans cette transaction que l’actif et le passif de l’an
cien Mont-de-Piété continueraient de faire partie des
biens et des charges des hospices dans la caisse des
quels serait versé l’excédant, au 31 décembre 1833,
du fonds de 500,000 francs fixé par le décret de 1807,
à la charge par les hospices de l’employer au rachat
des rentes perpétuelles faisant partie du passif de
l’ancien Mont-de-Piété ; qu’à l’avenir, et pendant dix
années , la moitié des bénéfices de cet établissement
serait perçue par les hospices , pour recevoir l’emploi
que je viens d’indiquer; que l’autre moitié serait
conservée par le Mont-de-Pitié pour accroître succes
sivement son fonds capital, et qu’après l’expiration des
dix ans la totalité des bénéfices appartiendrait à cette
dernière administration jusqu’à ce qu’elle eût atteint
en capital la somme nécessaire à ses besoins, c’est-àdire une somme égale au montant de ses prêts annuels.
On ajou ta que l’intérêt des sommes prêtées et le droit
de magasinage réduits depuis peu de temps à 6 p. °/0
par le Mont-de-Piété seraient maintenus à ce taux.1
Une ordonnance royale du 23 janvier 1835 porta
que le capital de 500,000 fr. pourrait être élevé à
un million, et que jusqu’à la réalisation de ce capital,
la moitié seulement des bénéfices du Mont-de-Piété
serait touchée par l’administration des hospices.
1. Extrait du registre n° 10 des délibérations de la commission ad
ministrative des hospices civils de M arseille, 18 53-1 834 , p. 420.
�— 435 —
Le Mont-de-Piété de Marseille commençait à pren
dre les proportions d’un établissement considérable.
Ce n'était pas seulement la banque des nécessiteux ,
c’était aussi une maison de prêt pour des hommes de
condition diverse. Des commerçants et des industriels
venaient réclamer son assistance dans la nécessité de
leurs affaires, et comme l’œuvre ne mettait à ses
prêts d’autre limite que celle qui se trouvait fixée par
la valeur des gages et sur laquelle elle faisait l'avance
des deux tiers environ , elle put arrêter sur la pente
d’une ruine imminente bien des hommes que la
mauvaise fortune semblait y précipiter.
Au commencement de 1847, M. Croze-Magnan ,
chef de division à la préfecture des Bouches-du-Rhône,
fut nommé directeur en remplacement de M. Minuti,
admis à la retraite , et le nouveau directeur imprima
au Mont-de-Piété l’impulsion intelligente sans laquelle
les institutions publiques s’arrêtent dans les voies
d’une aveugle routine, au lieu de s’avancer dans
celles du progrès.
Avant cette époque , le Mont-de-Piété n’avait pas
de fonds de réserve. Si dans certains moments sa
caisse renfermait des sommes considérables , parfois
il fallait recourir à des emprunts immédiats , et il y
avait là plusieurs inconvénients. La réserve fut créée
en 1847. Fixée d'abord à 60,000 francs, elle aug
menta naturellement avec le chiffre des emprunts et
elle est aujourd’hui d’environ 443,000 fr. placés au
�trésor. Grâce à cette mesure , et sans parler des
circonstances exceptionnelles et fort rares , le Monldc-Piété de Marseille n’a jamais que dix mille francs
en caisse. Cette somme suffit à tous les besoins,
parce que le receveur général acquitte à présenta
tion tout mandat qui n’excède pas sept mille francs.
Fort de son excellente constitution , le Mont-dePiété de Marseille résista à l’ébranlement général causé
par la révolution de 1848 , et il montra, en cette dure
épreuve , tout ce qu’il avait de vie et de puissance.
Un grand nombre de ses créanciers prirent l’alarme.
Du 1er mars au 31 décembre , il remboursa 329,000
fr., et n’obtint que 164,913 fr. par de nouveaux em
prunts. Il fallut une somme de 254,334 fr. pour
subvenir à toutes les éventualités, et l’administration
la trouva dans l’excédant du produit des engagements
sur les dégagements et dans son fonds de réserve.
Le maximum du chiffre des prêts fut fixé à 25 fr.
Le dégagement gratuit de certains gages s’était
accompli à Paris aux frais du gouvernement. Lejeune
Ollivier, commissaire extraordinaire, jugea qu’une
pareille mesure était convenable à Marseille, et une
commission fut chargée de recueillir les offrandes.
On ouvrit une souscription pour le dégagement gra
tuit des gages de dix francs et au-dessous.
Dans les temps agités par des changements poli
tiques, les actes de bienfaisance, quand le pouvoir y
pousse, ne sont pas toujours l’effet des inspirations
�— 437 —
libres et miséricordieuses. Il y a bien souvent au
fond de ces actes autre chose que la vertu. C’est
l’influence du pouvoir lui-même, ce sont les crain
tes et les espérances dont il est entouré, c’est son
action sur les fonctionnaires publics et sur ceux qui
veulent le devenir, qui ont la plus grande part dans ces
belles manifestations. On parvint à grand peine à
recueillir 108,238 francs , chiffre réduit à 101,800
francs, par quelques non valeurs et quelques frais.
Il fallait une somme de près de 170,000 fr. pour
le dégagement gratuit, tel qu’on l’avait d’abord
conçu , et le produit de la souscription ne pouvait y
suffire. D’une autre côté, l’administration municipale
demandait que ces fonds fussent entièrement affectés
à la dépense toujours croissante des ateliers commu
naux , institués pour donner du travail aux ouvriers.
La commission du dégagement, ne voulant rien pren
dre sur elle-même , convoqua tous les souscripteurs.
L'assemblée délibéra de ne rendre gratuitement que
les gages de cinq francs et au-dessous, et de donner à
la ville tout ce qui resterait du produit de la sous
cription. Les gages de cette valeur étaient au nombre
de 9,451. La somme de 41,876 fr. fut employée à
leur dégagement gratuit, et la caisse communale reçut
le solde du montant de la souscription , c’est-à-dire
59,924 francs. 1
1. Compte rendu du dégagement gratuit et des fonds affectés à celte
opération. Marseille , 1^48, brochure de huit pages.
�H£f
— 438 —
En 1808, le Mont-de-Piété de Marseille reçut
16,122 gages sur lesquels il prêta 378,163 francs.
L’année suivante le chiffre des gages s’éleva à 26,893
et la valeur des prêts à 572,297 fr. En 181 0 , il y eut
35,780 dépôts et 719,709 fr. furent prêtés. Le mou
vement des opérations s’accrut d'année en année,
et en 1820 les emprunteurs reçurent de l’œuvre
1,152,770 fr. sur 65,779 gages,
Il n’y eut ensuite que de légères variations dans
le nombre des objets déposés en nantissement. Quant
aux sommes prêtées , elles furent un peu plus impor
tantes.
En 1840, on déposa 68,413 gages et l’établisse
ment prêta 1,710,499 fr. Le mouvement ne cessa
d’être ascensionnel. Mais un temps d’arrêt se mani
festa en 1844 et durant deux autres années. Nous
voyons ensuite le résultat suivant :
ï'
I
-'H
ANNÉES.
1847
1848
1849
1850
1851
1852
1853
j
1854
;
1855
^ -------
NOMBRE
DE
SOMMES
GAGES.
PRÊTÉES.
8 0 ,2 4 4
8 3 ,5 4 3
8 4 ,1 6 7
9 6 ,1 8 3
1 0 4 ,2 4 8
1 1 3 ,3 6 3
1 2 0 ,1 2 4
1 2 7 ,2 1 7
1 1 3 ,5 5 7
2 ,5 2 6 ,2 6 5
1 ,9 7 5 ,9 5 1
2 ,2 1 3 ,4 2 0
2 ,5 8 5 ,1 9 2
2 .7 5 0 ,7 2 7
2 ,8 6 2 ,2 9 4
2 ,8 8 4 ,8 6 7
3 ,0 5 6 ,6 4 9
2 ,9 1 7 ,1 7 6
�439
Le Mont-de-Piété de Marseille a depuis* peu de
temps porté de douze à quinze mois le terme des
échéances. 1
Les dépôts n’y demeurent, terme moyen , que huit
mois environ. Depuis quelques années, les gages de
peu de valeur ont été plus nombreux et il y a eu
beaucoup moins de nantissements riches. C’est à ce
double fait que le prix des gages doit l’abaissement
de son terme moyen qui, après s’être élevé , en l’an
née 1847, à 31 fr. 48 c., est aujourd’hui à 27 fr. 12 c.
Avant 1847, le Mont-de-Piété de Marseille avait
occupé, à titre de location, une maison contiguë.
Mais cette location ayant cessé, l'administration se
vit dans la nécessité d’agrandir son local, et elle
pensa dès lors à gagner par l’exhaussement ce qu’elle
ne pouvait acquérir en surface. Elle construisit un
troisième étage, en même temps qu’elle fit divers
changements dans l’intérieur de l’édifice. Tous les
travaux commencés en 1847 furent finis un an après
et coûtèrent 25,548 fr. que les hospices s’obligèrent
à payer. Mais d’autre part, le bail fait avec eux fut
porté à 6,252 francs. Il fallut que l’administration du
Mont-de-Piété garnît toutes les salles nouvelles du
mobilier nécessaire et qu’elle subvînt à diverses au
tres dépenses. Ces frais s’élevèrent à 15,177 fr.
7
1. On accorde vingt jours en sus. Ce terme de quinze mois et vingt
jours a, entre autres avantages, celui de réduire d’un quart au m oins
le nombre des gages vendus.
H
�On s'aperçut bientôt que l’agrandissement ne pou
vait satisfaire à toutes les exigences du service, et l’on
résolut de construire ailleurs un édifice dans des con
ditions convenables.
L’administration des hospices possédait l’ancienne
maison des Filles de la Providence , dans la rue qui
porte ce nom. Elle proposait de la vendre par lots
aux enchères publiques , et déjà elle s'y préparait,
lorsque M. Reynard, l’habile maire de Marseille, jeta
les yeux sur ce grand local où il voulait établir la
Faculté des sciences qu’il espérait obtenir du gouver
nement. Le prix était fixé à 180,000 fr. La révolu
tion de 1848 renversa ce projet. L’administration du
Mont-de-Piélé, en quête des emplacements qui pou
vaient être à sa convenance, ne trouva rien de mieux
que la maison de la Providence. Elle en demanda
l’achat à la commission des hospices , laquelle avait
loué au prix de 7,400 fr. par an le vieil édifice tout
délabré. Le 28 juillet 1852, elle délibéra de le vendre
au Mont-de-Piété, et l'acte fut passé le 23 février 1853.
Le prix d’acquisition était porté à 200,000 francs ,
payables en onze annuités , avec intérêt à 4 p. °/0.
La commission des hospices , facile et généreuse en
cette circonstance, renonça à sa moitié des bénéfices
du Mont-de-Piété jusques à l’entier paiement du prix.
A vrai dire, le terrain seul était acheté, car il
fallait démolir les bâtisses qui tombaient en ruine
et qui d’ailleurs ne pouvaient servir à la destination
�— 441
du Monl-de-Piété. Le devis évaluait les frais de cons
truction à 300,000 francs. Les travaux furent mis
aux enchères publiques le 15 février 1853 et adjugés,
au rabais de 7 fr. 25 c. p. °/0 à l’entrepreneur Rodet
qui poussa l’œuvre vigoureusement , sous la direc
tion de l’architecte Blanchet, lequel avait dressé le
plan de l’édifice. L’administration du Mont-de-Piété
en prit possession le 2 janvier 1855.
Le nouveau local pouvait recevoir 280,000 gages ;
mais il laissait beaucoup à désirer. Il convenait de
l'isoler de toute habitation et de le prolonger jus
qu’à la rue Dauphine au moyen de l’achat de quel
ques maisons qui le bornaient au nord.
C’est ce que l’administration délibéra de faire le
25 juillet 1855. Le prix total des six maisons ache
tées a été de 232,400 fr., y compris 3,000 fr. d’in
demnités payées à des locataires. Rodet s’est chargé
des travaux, aux premières conditions, et l’on évalue
à 110,500 fr. les frais de la construction nouvelle.
La dépense générale sera de 843,312 fr. Il y aura
place pour le dépôt de plus de 400,000 gages; et
l’édifice le plus beau de France dans cette spécialité,
sera assez vaste pour satisfaire à tous les besoins de
l’avenir le plus exigeant.
Lorsqu'on jeta , il n’y a pas deux siècles, les fon
dements du Mont-de-Piété de Marseille, qui eut pu
croire que cette œuvre long-temps obscure et presque
inaperçue arriverait au point de puissance et de for-
�H ffN e«S& l
— 442 —
tune où nous la voyons aujourd’hui ? Mais uu ber
ceau modeste cache souvent des destinées brillantes.
Le grand nombre d’opérations auxquelles le personnel
du Mont-de-Piété ne pouvait plus suffire nécessitait
la création d’une succursale ou celle de bureaux de
commission. Après une longue étude, les adminis
trateurs prirent ce dernier parti, dans leur séance du
24 mai 4854, et le préfet, usant du droit qu’il
s’était réservé, nomma deux commissionnaires qui
entrèrent en charge dans les premiers mois de 4855.
On a beaucoup écrit sur les institutions de bienfai
sance , mais fort peu sur les Mont-de-Piété qui ne
sont en France qu’au nombre de quarante-six. En
général on ne connaît qu’imparfaitement leur cons
titution économique et leur régime financier. Bien
des esprits superficiels , étrangers aux notions admi
nistratives, ne leur épargnent pas la critique et vont
jusqu’à ne les considérer que comme des maisons
d’usure.
Le fonds capital du Mont-de-Piété de Marseille était
de 74 \ ,025 fr. à la fin de 4852- U est aujourd’hui de
836,990 fr., et l’œuvre a toujours prêté des sommes
excédant ses propres ressources. Il faut donc qu’elle
fasse appel à l’emprunt pour assurer la marche de ses
opérations, et il faut aussi que les engagistes suppor
tent les intérêts qu’elle paye elle-même, puisque c’est
pour eux qu’elle emprunte. Il faut encore subvenir
aux frais de bureaux, aux salaires de vingt-sept em-
I
�443
ployés , aux émoluments clés commissaires priseurs ,
à toutes les dépenses d’un service compliqué. Ces
charges inévitables avaient, en 1852 , fixé à 6 p. °/0
environ le taux de l’intérêt supporté par les engagistes, intérêt qui est aujourd’hui de 7 p. °/°, par
suite des diverses mesures prises en vue des frais de
construction du nouveau local. 1 Cet intérêt serait
porté plus haut, si des principes d’ordre et d’économie
ne dirigeaient pas l’administration et si elle inspirait
moins de confiance , car alors ses emprunts ne se fe
raient pas à des conditions si avantageuses. Le Montde-Piété de Marseille jouit d’un si grand crédit qu’on
lui prête à 4 et même à 3 1/2 p. % . Il souscrit aux
emprunteurs des billets à six mois qui ont tout l’avan
tage des effets de commerce , sans en avoir les in
convénients.
Au 31 décembre 1855 , la dette du Mont-de-Piété
était de 2,164,121 fr. 17 c. L’accroissement de la
dette prouve celle des opérations , et le Mont-dePiété n’emprunte davantage que pour prêter davan
tage aussi.
*
L’abaissement de l'intérêt est une chose bonne en
1. Sur le mouvement comparatif des M onts-de-Piété de France , voy.
le rapport à M. le Ministre de l’intérieur par Ad. de W atteville , inspec
teur général des établissements de bienfaisance, p. 1 4 , et sur une foule
de détails d’administration et de statistique qui concernent spécialem ent
le M ont-de-Piété de Marseille et qui ne peuvent trouver place dans notre
narration historique, voyez l’excellent rapport de M. Croze-Magnan ,
directeur, sur les opérations de 1846 à 1861. M arseille, 185o.
�soi et les amis des pauvres l’appellent de tous leurs
vœux. Il y a cependant une limite , car la gratuité
complète serait désastreuse , à Marseille du moins ,
bazar bruyant où fermente l’esprit de la spéculation
et de l’agiotage. Des entrepreneurs de la pire espèce,
des intrigants et des aventuriers , trouveraient com
mode d’emprunter gratuitement au Mont-de-Piété
pour des opérations qui ne seraient pas d’une loyauté
parfaite et qui en définitive tourneraient au détriment
de l’industrie honnête. Les usuriers trouveraient là
un aliment facile , et c’est précisément pour empê
cher le peuple de tomber dans leurs pièges que les
Monts-de-Piété ont été établis.
Il n’y a qu’un seul moyen de repousser ces hommes
dangereux. C’est de limiter les prêts sans intérêts à
des sommes excessivement réduites. Mais alors l'œu
vre est dénaturée; ses bienfaits sont perdus et son
but est manqué. Elle ne peut plus assister que des
malheureux plongés dans la plus profonde indigence.
Mais l’ouvrier et l’artisan qui, dans leurs jours de
chômage et de détresse, réclament l’assistance de
l’œuvre ; mais l’industriel et le commerçant qui,
dans un moment de gêne et de pénurie , y recou
rent aussi, se verront privés de ce secours qui les
sauve souvent de la ruine et du deshonneur. Le
prêt à intérêt est donc dicté par la sagesse même.
Des instincts généreux n’enfantent bien des fois que
des rêves trompeurs. Les choses positives , les réa-
��CHAPITRE XIX.
DIVERSES ŒUVRES MURES.
Société philanthropique — Son peu de durée.— Fondation de la Société
de Bienfaisance. — Ses progrès, son état et ses bienfaits. — Éta
blissement des conférences de Saint-Vincent-de-Paul.— Extension
et statistique de l’Œ uvre, — Association des hommes delà Pro
vidence. — Divers détails à ce sujet.
Cédant à l’nfluence des idées de philosophie et de
réforme qui, en 1789, formaient l'esprit français,
vingt-quatre citoyens choisis dans l’élite de la popu
lation de Marseille, se réunirent pour former une
association de Bienfaisance , sous le nom de Société
Philanthropique, et sur le modèle de celle qui existait
à Paris depuis 1780. Ils donnèrent la présidence à
de Paul, lieutenant civil honoraire en la sénéchaussée.
Pour peindre l’esprit de cette institution , il me suffit
de dire que deux protestants du nom de Fraissinet
siégèrent, parmi les fondateurs, à côté de deux prêtres,
Ouvière et de Pradine. On y voyait de Lalauzière,
ancien officier des gardes-françaises ; l’avocat Miollis ;
le docteur Achard ; Michel de Léon ; les négociants
Eymar , Blachière, de Paul et Assailli ; le libraire
Roullet ; de Saint-Même , directeur des vivres. Une
délibération du 14 juillet adopta les règlements de
l’œuvre qui fonctionna de suite et reçut des associés
de tout sexe comme de tout âge , des correspondants
�447
*
de tout pays, tous qualifiés de philanthropes; 1 mot
à la mode qui exerçait une grande puissance.
Martin d’Escalon , nouveau maire électif de Mar
seille , alla visiter la Socité, le 9 février 1790, dans
une séance solennelle. 2 Mais l’œuvre naissante , ne
se soutenant qu’avec peine en ces temps agités , fut
bientôt brisée par le choc de la révolution qui en
dispersa tout les membres.
Les discordes civiles s’étant enfin apaisées, quel
ques habitants notables de Marseille fondèrent, au
milieu de l’année 1804, l’œuvre libre qui existe encore
sous le titre de Société de Bienfaisance. Elle eut un
conseil administratif de trente-trois membres et un
bureau de direction chargé de préparer tous les tra
vaux et de les soumettre au conseil. Ce bureau ,
d’abord composé de sept membres, le fut de neuf peu
de temps après. Chaque année, le conseil et le bureau
se renouvelèrent par quart. Les membres du premier
furent choisis par les souscripteurs de la Société, et
le conseil nomma lui-même les membres du bureau.3
La Société, dès son origine , créa les dispensaires
1. Précis de la Société Philanthropique de la ville de Marseille , avec
ses règlements généraux. M arseille, chez Jean M o ssy ,1 7 8 9 , in-8°
de 4-9 pages.
2 . Séance de la Société Philanthropique de Marseille, V isite, récep
tion et discours de M. le Maire, ln-12 de sept pages , sans nom d’im
primeur.
5. Mémoire et comptes-rendus de la Société de Bienfaisance de Mar
seille, pour l’an l2 etp o u r l’an to , premières pages. M arseille, 1806.
�et fournit aux pauvres des soupes économiques dites
à la Rumford. Vers la tin de la même année , elle jeta
les premiers fondements de la Charité Maternelle poul
ie soulagement des femmes en couche. 1Elle organisa
des bureaux de secours pour les noyés et les asphixiés ; enfin, elle encouragea la formation des
Sociétés de prévoyance dans la classe ouvrière.
Dès son début, la Société de Bienfaisance , forte
du concours de toutes les autorités et de la sympa
thie des classes riches , reçut de 3 8 0 souscripteurs
la somme de 1 5 , 5 5 0 francs , la ville figurant pour
3 , 0 0 0 fr. dans ce chiffre. La recette de l’année sui
vante fut de 2 0 , 1 3 8 fr., et l'on compta 4 0 7 sous
cripteurs. 2
Chose qui serait étonnante si les écarts de la sottise
humaine pouvaient encore nous étonner ! Une belle
œuvre de miséricorde était poursuivie par la haine
et la calomnie d’un assez grand nombre d’ennemis
coalisés pour la détruire. Ces hommes, dépaysés dans
un siècle de régénération sociale, voulaient que leurs
idées intolérantes et leurs pratiques rétrogrades eus1. Rapport de M. Deloulte sur l’établissement et les opérations de la
Charité Maternelle, dans les mémoires et comptes-rendus déjà cités ,
p. 46 et suiv.
2. Rapport sur les recettes et les dépenses de la Société de Bienfai
sance, en l’an xii et en l’an x m , par M. Vallière. — Compte général
des recettes et dépenses de l’exercice de l’an xii , dressé par M. Hornb ostel, trésorier honoraire. — Les deux rapports susdits dans les m é
moires et comptes-rendus ci-dessus cités, p. 56 et su iv ., 74 et suiv.
�— 4.49 —
sent dans cette association de bienfaisance une part
d’action plus large qu’il ne la faut dans une société
civile bien réglée. Ils croyaient avoir tout dit contre
les administrateurs de l’œuvre en les appelant philosopJies. 1 Défenseurs d’un passé à jamais éteint, on
les voyait se consumer en efforts inouïs au profit de
l'impossible. C’était le spectable de l’impuissance se
donnant des airs de virilité.
Fortia de Piles , le docteur Achard , Casimir Rostan , Innocent Rey, Mathieu Pascal, Yerninac, Roccofort aîné , Triol, Rollandin , Dudemaine fils , figu
raient au premier rang des fondateurs de la Société de
Bienfaisance. Sept d’entre eux formèrent le premier
bureau de direction, et le 18 septembre 1804 le préfet
leur fit l’honneur de les placer à la tête de l’adminis
tration centrale des secours publics dont j'ai parlé.
Bien des personnes désapprouvèrent la réunion des
deux bureaux. FJles craignirent qu’un établissement
officiel, ayant à rendre compte à l’autorité de ses
opérations et de l’emploi dç ses deniers, ne pût
s’allier à une institution tout-à-fait libre. Les deux
œuvres avaient le même siège et le même trésorier ;
mais la caisse et les comptes étaient séparés ; les
travaux restaient distincts et rien ne gênait la liberté
de la Société de Bienfaisance.
1. Discours de M. de F ortia, président de la Société de Bienfaisance,
à la séance publique du 5 brumaire an x iv , dans les mêm es mémoires
et com ptes-rendus, p. 6 et 7.
TOME II*
29
�«
L’œuvre prospéra de jour en jour. On sépara plus
tard son bureau de l’administration centrale des
Secours publics. Elle rendit les plus grands services
aux nécessiteux, surtout en ces temps d’affreuse
misère qui, dans les dernières années de l’empire ,
couvrirent Marseille de deuil. Ce fut alors qu’elle ins
titua les écoles d’industrie et les dépôts d’enfants. 1
La Société , conservant son indépendance , ne fut
comptable que de ses souscripteurs pour l'emploi de
ses fonds, et elle modifia ses règlements suivant sa
convenance et le bien du service. 2 Elle fit élever
gratuitement chez M. Donadev, chef d’institution,
huit élèves titulaires et douze surnuméraires. Les pre
miers reçurent une instruction complète ; on apprit
la musique aux autres , en attendant qu’ils pussent
remplacer les titulaires. D'après le compte-rendu de
1850, la recette, pour l’exercice de 1849, fut de
41,816 fr. , y compris le chiffre de 4,748 fr. , solde
en caisse au 1er janvier. Il y avait plus de mille
souscripteurs. La ville donnait, comme elle donne
encore , une subvention de 7,200 fr. pour les écoles
et pour les dépôts des noyés, 3
1. Prospectus pour les écoles d’industrie et dépôts d’enfants. Mar
seille, octobre 18 12, chez Bertrand, imprimeur, in -12 de S pages.
2. Règlem ent général delà Société de B ienfaisance, adopté par le
conseil administratif dans sa séance du 17 février 1825. M arseille, im
primerie d’Achard , 1826. — Règlem ent delà Société de Bienfaisance,
adopté par le conseil administratif dans sa séance du 5 avril 1859 , im
primerie de Carnaùd fils, 1839.
3. Compte-rendu de la Société de Bienfaisance et de Charité de Mar-
�Une autre association se forma dans ces derniers
temps pour secourir aussi les pauvres à domicile. En
1833 , plusieurs jeunes gens des écoles de Paris, en
se livrant à la défense du christianisme dans les dis
cussions alors fort orageuses de quelques sociétés
littéraires, pensèrent que l’action valait mieux que
la parole et qu’il fallait surtout parler aux cœurs par
la bienfaisance. Ainsi naquit à Paris la Conférence
de Charité de Saint-Vincent-de-Paul. Les associés
devenus plus nombreux se divisèrent en sections.
D’ailleurs plusieurs d’entre eux se virent obligés
d’aller résider dans d’autres villes , et le nom de
Conférence resta à chacune des sections qui furent
toutes comprises sous la dénomination commune de
Société de Saint-Vincent-de-Paul. 1
A la fin de 1843 , il y avait en France 131 Confé
rences réparties dans 88 communes.
La ville de Marseille n'en avait pas encore. Mais ,
en 1844 , des jeunes gens, sortis des Conférences de
Lyon et d’Aix , se rencontrèrent aux exercices du
Mois de Marie dans l’église de la Trinité , et grâces à
leur impulsion, aussi active qu’intelligente, l’associa
tion marseillaise se forma bientôt. Le 6 juin , le pré
sident de la Conférence d’Aix vint assister à la formaseille, pour les années 18-48 et 1849. M arseille, de l’imprimerie de
Baudillon, 1850.
1. Réglem ent de la Société de Saint-Vincent-de-Paul. P aris, 1849,
premières pages.
�— 452 —
Lion du bureau, el le 13 du même mois une famille
malheureuse fut admise aux secours.
Telle fut l’origine de la Conférence de Marseille qui
traîna une vie languissante et à peu près inconnue
jusques au 8 décembre 1844. L’évêque assista ce
jour-là à une assemblée générale. Dès ce moment la
Société grandit. Il fallut diviser les membres en trois
Conférences 1 qui marchèrent, pleines de confiance
et d’ardeur, dans ces voies généreuses que la prati
que des vertus consolantes sait élargir et féconder.
Le 8 décembre 1845 , cent-vingt-un membres 2
étaient inscrits au tableau ; et le 8 décembre de
l'année suivante, on en comptait 212. Cent cinquanteneuf familles, représentant 628 personnes, étaient
secourues par l’œuvre. L’état de ses recettes , pro
venant des collectes et des offrandes, présentait,
en 1845 , un chiffre de 4,515 fr. 10 c ., et de 9,376 fr.
46 c. en l'année 1846. 3
L’élan était donné, et la Société prenait de nou
velles forces. En 1847, deux autres Conférences,
celles de Notre-Dame-du-Mont et de Sainte-MarieMajeure, vinrent s’adjoindre aux trois premières;
1. Conférence de Marseille. Rapport de 1845. M arseille, de l’im
primerie de Marius Olive , 1846 , premières pages. — Les trois pre
mières Conférences furent celles de Saint-Laurent, de Saint-Théodore
et de Saint-Joseph.
2. Y compris les membres honoraires donnant aussi chacun une
quotité , et les membres aspirants.
5. Conférenèe de Mareille. Rapport de 1846. Marseille, 1847.
�une sixième et une septième furent créées à SaintCannat et à Saint-Martin en 1850. Notre-Dame-duMont-Carmelen vit une huitième en 1852. La Société
avait une telle puissance d’expansion, qu’elle ins
titua , l’année suivante, huit nouvelles Conférences.
Leur nombre fut alors de seize , c’est-à-dire une pour
chacune des paroisses et des succursales de la ville. 1
Voici la situation de l’œuvre d’année en année :
NOMBRE
NOMBRE
ANNÉES.
des
MEMBRES.
DES FAMILLES
1 8 47
1818
1849
1850
1851
1852
1853
1854
259
291
3 49
3 99
430
498
5 62
639
386
577
2 ,0 4 2
1 ,3 4 7
1 ,4 6 7
1 ,5 8 6
1 ,7 8 4
2 ,1 9 9
secourues.
RECETTES.
1 7 ,5 9 9 f
1 9 ,9 4 7
5 9 ,9 8 7
3 2 ,5 7 7
3 3 ,5 9 5
4 7 ,1 9 7
5 3 ,2 8 8
76 ,32 1
90 e
45
45
35
65
50
05
85
Une subvention municipale de 2,000 fr. est com
prise dans les recettes énoncées.
L’extension de la Société de Saint-Vincent-de-Paul
en France et dans les pays étrangers était considé1. Des œuvres accessoires, c’est-à-dire celles des voyageurs, des
militaires, de la bibliothèque et du vestiaire, furent aussi exercées par
la Société de Saint-Vincent-de-Paul. Voyez sur ces diverses œuvres les
derniers comptes rendus des travaux de la Société. Au nombre de ses
bienfaiteurs on distingue M. Jérôme B orrclli, l’un de ses mem bres, qui
lui a donné dix m ille francs.
�.
-
— 454 —
rable. Le 31 décembre 1850, il y avait 610 Confé
rences, et ce nombre était plus que doublé à la fin
de 1853. Par décision du 4 mai de la même année, le
conseil général de Paris établit à Marseille un conseil
central dont la circonscription embrasse les diocèses
d’Aix, de Marseille , de Fréjus , de Digne , de Gap et
d’Ajaccio. Ce conseil fut installé le 1 7 juillet. 1
La moisson était abondante et peu de temps lui
avait suffi. Que ne doit-on pas attendre du zèle de
tant d’hommes dévoués, presque tous placés dans
une sphère d'influence qui augmente leurs moyens
d’action? On sait d’ailleurs tout ce qu’il y a de puis
sance dans l’esprit de prosélytisme qu'anime une foi
fervente; mais on en connaît aussi les entraînements,
et la sagesse humaine doit s’en garantir, en respec
tant les limites posées par la liberté religieuse. Une
onction mystique déborde dans le langage et les actes
publics de la Société de Saint-Vincent-de-Paul. Puisset-elle ne jamais oublier ces maximes de tolérance
proclamées par ses fondateurs : « Nous sommes les
» dispensateurs des dons de Dieu qui est le père
» commun des hommes, qui fait luire son soleil pour
» tous. Notre amour du prochain sera donc sans ac» ception de personnes. Le titre des pauvres à notre
» commisération sera leur pauvreté même ; nous ne
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fl
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1i
iinwnvi'^
I
1 . Installation du conseil central de Marseille. Procès-verbal du 17
juillet 1853. M arseille, typographie de veuve Marius O live, 18 53,
in-8° de 24 pages.
�455 —
» nous informerons pas s’ils appartiennent à un parti,
» Jésus-Christ est venu pour affranchir et sauver les
» hommes, les Grecs aussi bien que les Juifs, les
» Barbares commes les Romains. » 1
Les sentiments pieux , exaltés par la Mission de
1820 , créèrent à Marseille 1 Association religieuse des
Hommes de la Providence. Des magistrats , des fonc
tionnaires , des négociants en formèrent, le 3 mars ,
le premier noyau. Elle fut consacrée à la Sainte
Vierge sous la dédicace de l’immaculée Conception ,
et l’abbé Bonnafoux en eut la direction spirituelle.
La Société siégea d'abord dans la chapelle et dans
une des salles du Collège royal. Mais bientôt elle jeta
les yeux sur la maison de la place de Lenche , autre
fois occupée par l’œuvre des Enfants de la Providence
qu’elle se proposait de rétablir. Elle en obtint la loca
tion de l’administration des hospices, et s'y installa le 3
décembre de la même année 1820,
Au mois d'août 1821 , la Société donnait asile à
seize jeune garçons qui allaient, le jour, travailler en
ville, et elle résolut d’en recevoir quatre de plus.
Quelques legs vinrent augmenter ses ressources. On
avait, en 1828, un fonds de réserve de 3,400 francs.
Ce fonds fut de 4,000 fr. en 1830. Le budget des dé
penses montait alors à 12,300 fr., et le nombre des
enfants de l’œuvre fut porté à 45. On décida qu’ils
1. Règlement de la Société de Saint-Vincent-de-Paul. Paris, IS41),
p. 21 et 22.
�seraient logés et complètement nourris dans la maison,
et qu’ils n’iraient plus travailler en ville jusqu’à l’épo
que où l’on pourrait les placer en apprentissage. On
eut 60 enfants en 1834. Ils étaient conduits aux
classes des Frères des Écoles Chrétiennes ; mais en
1837 deux frères vinrent instruire ces enfants dans
la maison de l’œuvre , et en 1840 l’administration y
établit les frères auxquels elle confia le soin complet
de l’instruction et de la surveillance de ses jeunes
pupilles.
En 1848, l’œuvre de la Providence avait 120
enfants.
Cette Association, dès son origine, organisa un Bu
reau des pétitions et des consultations gratuites pour
les indigents. Elle institua aussi l’œuvre de la Propa
gation des bons livres qu'elle supprima ensuite pour
ne pas faire concurrence aux libraires.
Au mois de janvier 1830, elle avait 224 membres ;
elle en comptait 312 en 1834 et 374 en 1837. Le nom
bre s’élevait à plus de 500 à la fin de 1853.
Depuis long-temps, on s’apercevait que la maison
de la place de Lenche ne suffisait plus au besoins de
l’œuvre. La nécessité d’un changement fut reconnue ,
et, après bien des recherches, l’administration fit
choix de l’ancien monastère des Grandes Maries au
bout de la rue Reinard. Elle en prit possession au mois
de juillet 1848.
L’œuvre , étendant sa bienfaisance au-delà de ses
�— 457 —
ressources financières , reçut alors 1 50 enfants. Cent
d’entre eux sont entretenus à titre tout-à-fait gra
tuit , et une légère indemnité est perçue pour les
autres. Le 21 octobre 1 8 5 0 , le service de la lingerie
et du vestiaire fut confié à des dames charitables.4
Je ne dis rien d’une foule d’établissements de
toute nature qui assistent aussi les pauvres. Singulier
temps que le nôtre ! Les choses y passent rapides
comme des décorations de théâtre. Les œuvres dont je
parle sont, pour ainsi dire , sans passé, et la plupart
d’entre elles n’ont qu’un avenir incertain. Leurs bien
faits seraient beaucoup plus sensibles si elles avaient
une direction générale, et si unies par un lien com
mun elles formaient un faisceau. Leurs quêtes multi
pliées fatiguent la charité publique et l’on se demande
pourquoi le pouvoir central, qui réglemente minutieu
sement tous les intérêts sociaux et impose partout sa
symétrie administrative, livre à une indépendance
absolue ces établissements si divers qui vont à l’aven
ture et s’enchevêtrent les uns dans les autres.
1. Règlem ent pour l’Association des hommes de la Providence. Mar
seille, 1835. — Autre règlem ent. Marseille , 184“2. — Catalogue des
livres qui se trouvent à la maison de la Providence. Marseille , 18 39.—
Rapport par aperçu sur l’Association religieuse des hommes de la Pro
vidence, depuis sa fondation jusques à la fin de 1853. M arseille, 1-854.
�CHAPITRE XX.
liO C V E L L Ii
O R G A IV ISA TIO N
MKK H O S P I C E S .
Souffrance des Hôpitaux pendant la révolution. — Ils sont réduits à
trois. — Nouveau régim e. — Bureau particulier de chaque Hos
pice. —- Administration générale. — Changement de Systèm e. —
Conseil général des Hospices. — Nouveau plan d’organisation. —
Commission administrative. — Division des services. — Sœurs
hospitalières. — Asile des A liénés. — Testament d’Aillaud. —
fondation Moulaud. — Situation financière des Hospices. — Cons
truction de l’hôpital du Petit-Camas.
L’action du temps sur les institutions est lente
d’ordinaire et, pour ainsi dire, insensible; mais il
y a quelquefois dans la vie des peuples d’ardentes et
brusques émotions qui précipitent les changements.
La révolution de 1789 dut naturellement courber sous
son pouvoir tous les établissements charitables et
changer leurs conditions d’existence.
Les hôpitaux de Marseille eurent à traverser des
jours d’horrible détresse. Ils sollicitent sans cesse la
municipalité qui ne peut leur fournir qu’une assistance
incomplète. La commission des secours publics éta
blie à Paris ne les soulage aussi que dans une étroite
mesure. Guérin, Mariette, Fréron, représentants du
peuple en mission dans le Midi, leur allouent succes
sivement des sommes assez fortes en apparence, mais
payées en assignats dépréciés. Ces secours suffisent
à peine aux nécessités les plus pressantes, et tout va
�— 459 —
s’engloutir dans le goufre creusé par la souffrance des
divers services toujours assiégés de besoins nouveaux.
A la fin de 1794, les administrateurs de I’HôtelDieu 1donnèrent un admirable exemple, car ils firent
de leurs propres deniers des avances considérables.
Servel, l’un d’eux , était marchand d’indiennes à la
place Jean-Guin. Son patriotisme démocratique n'é
tait pas pour lui un texte de vain bavardage. Pen
dant les plus mauvais jours de nos discordes civiles ,
il se distingua dans l’administration de l’Hôtel-Dieu
par son zèle et son dévouement. Sa politique consis
tait dans la bienfaisance en action et ce fut ainsi qu’il
servit sans bruit la cause du peuple.
Le spectacle de tant de douleurs était affreux.
Rien ne peut donner une idée de la désorganisation
et de la misère qui affligeaient encore les amis de
l’humanité à la fin du XVIIIe siècle. Le pain donné
aux enfants trouvés et aux convalescents était consi
déré comme un véritable poison 2
Au mois de novembre 1799, le bureau central de
Marseille frappa d’un emprunt forcé , en faveur des
hospices, les six cents plus forts contribuables de la
commune, et la combinaison de cet emprunt fut
élargie quelques jours après. On le fixa à cent mille
francs répartis sur 3,000 contribuables, sans qu’il
1. Saurel, J.-H . R oux, R avel, Servel, Serane, Ma tel et Raimbaut.
2. Rapport du 21 fructidor an vi , fait à la commission des hospices ,
aux archives de l’Hôlel-Dieu.
�— 460 —
pût excéder pour chaque prêteur la somme de cent
francs , ni être moindre de douze.
Le mois suivant, des infirmes , sur le point de
périr de misère et de faim , furent placés d'autorité
chez de riches particuliers , pour y être nourris et
entretenus.
La loi du 7 octobre 1 7 9 6 rapporta celle du 11
juillet 1 7 9 4 qui avait dépouillé les établissements
charitables de tous leurs biens entrés ainsi dans le
domaine national. Elle réunit les hôpitaux d’une
même ville sous une seule administration composée
de cinq membres. Tous les hôpitaux de Marseille
furent réduits à trois : l’Hôtel-Dieu pour les malades
civils et militaires; la Charité pour les vieillards in
digents , les infirmes, les enfants trouvés, abandonnés
et orphelins; l'hôpital Saint-Lazare pour les insensés.
Cependant les autorités locales voulant, autant que
possible, ménager les habitudes et les traditions ,
cherchèrent à concilier les lois nouvelles avec les
principes constitutifs des anciennes administrations
hospitalières. Elles créèrent un système mixte qui
laissa une part aux choses du passé sans blesser la
légalité rigoureuse! On conserva pour chacun des trois
hospices les bureaux particuliers qui prirent le nom
d’administration intérieure et furent chargés, sous
la direction de la commission , du détail des divers
services , conformément au règlement de chaque hô
pital. L’Hôtel-Dieu et la Charité eurent chacun quinze
�— 461 —
administrateurs, et l’hôpital Saint-Lazare en eut
douze.
Le bureau de chaque hospice pouvait envoyer deux
de ses membres à la commission administrative en
séance pour prendre part, avec voix consultative
seulement, à la discussion des affaires concernant
cet hospice.
Celte combinaison ne fut que malheureuse. Des
dissentiments ne tardèrent pas à éclater entre la com
mission administrative et les bureaux particuliers.
A la suite de plusieurs conférences tenues chez le
préfet au mois de novembre 1803 , on résolut de
supprimer les bureaux et de mettre un directeur sa
larié à la tête de chaque établissement, avec un sousdirecteur à l'Hôtel-Dieu et à la Charité, tous ces
agents devant être placés sous les ordres de la com
mission administrative.
Ce système ne reçut pas d’exécution et les choses
restèrent en l’état. Mais au mois de juillet 1805, le
préfet supprima les bureaux particuliers et ordonna
que la commission serait seule chargée de l'adminis
tration des hospices, d’après le mode établi par
les lois.
On eut la pensée de former pour Marseille un conseil
général des hospices sur le modèle de ceux de Paris
et de Lyon, mais ce projet n’e.ut pas de suite.
On ne le reprit qu’à la fin de 1816. Le 23 janvier
de l’année suivante, le marquis de Montgrand, maire
�de Marseille, vint présider la commission qui délibéra
de solliciter du ministre de l’intérieur l’établissement
d’un conseil général de vingt administrateurs et dont
le préfet, l’évêque et le maire seraient membres nés.
On régla le service des administrateurs chargés à tour
de rôle et par semaine de l’inspection d’un hospice ,
de manière que chacun d’eux passât successivement
d’une maison à l’autre. Il fut dit que les trois semai
niers formeraient avec l’ordonnateur des dépenses et
le tuteur des enfants trouvés une commission exécu
tive siégeant tous les jours sous la présidence du
semainier de l’Hôtel-Dieu , vice-président du conseil
général ; que ce conseil aurait une séance par semaine
et que les membres en seraient renouvelés confor
mément au décret du 28 mars 1805.
Le ministre de l'intérieur, par arrêté du 2 avril
1817, approuva le nouveau plan d’organisation , et
le 19 du même mois le conseil général fut installé par
le préfet.
Ce système dont la pratique fit sentir tous les vices
ne dura pas long-temps. L’ordonnance royale du 31
octobre 1821 réduisit à cinq le nombre des adminis
trateurs des hospices toujours renouvelés par cin
quième, et le 30 mars 1824 un arrêté du ministre
de l’intérieur en porta le nombre à sept.
Alors les services hospitaliers étaient ainsi divisés :
L’hospice de la Maternité qui, avant 1824 , for
mait une section de I’Hôtel-Dieu fut transféré dans le
�— 463
local des Repenties, rue du Refuge, après que cet
ancien élablissement eut été approprié à sa nouvelle
destination au moyen d’un don de 24,000 fr. voté par
le conseil général du département. Quelque temps
après on adjoignit à la Maternité l’ancien hôpital
Saint-Joseph dans lequel se trouvaient, depuis 1824,
les vénériennes qui furent alors placées à l’HôtelDieu. En 4832, l’hospice de la Maternité fut établi
dans l’ancien hôpital du Sauveur aux allées de
Meilhan et on le transporta plus tard dans une des
annexes de la Charité. L’hôpital Saint-Joseph fut
occupé par les idiots et les épileptiq.ues distraits de
l’hôpital Saint-Lazare et l’on plaça dans un quartier
séparé de Saint-Joseph les pauvres passants reçus
jusques alors à l’Hôtel-Dieu.
En 4833 , l’hôpital de Sainte-Françoise, ancienne
ment occupé par l’œuvre des Filles Orphelines , fut
transformé en succursale de l’Hôtel-Dieu pour le
traitement des vénériens qui retournèrent à l'HôtelDieu en 4844 , lorsque les malades militaires en sor
tirent pour entrer dans l’hôpital construit par l’admi
nistration de la guerre. La maison de Sainte-Fran
çoise reçut alors les pauvres passants.
Depuis long-temps les Sœurs de Saint-Augustin se
vouaient au service des établissements hospitaliers de
Marseille où leur communauté prit naissanceen4 804.
Elle y fut formée par cinq religieuses de Saint-Joseph
qui dirigeaient la maison de Refuge avant la révolu
�tion. Le 23 août 1801 , de Cicé, archevêque d’Aix ,
et le préfet Thibaudeau les installèrent dans l’hospice
de la Charité.
Le conseil municipal de Marseille . dans sa séance
du 25 mai 1807, émit le vœu que l’Hôtel-Dieu jouît
du bienfait de l’institution des Sœurs, et le 7 dé
cembre 1811 la commission des hospices délibéra de
confier à six d’entre elles la surveillance de plusieurs
services de cet hôpital, sauf à augmenter le nombre
de ces religieuses, quand le besoin l’exigerait, et
c’est ce que l’on fit plus tard.
Les vieux bâtiments de l’hôpital Saint-Lazare pré
sentaient dans leur ruine l’aspect le plus hideux et
le plus alarmant. Sur les instances de l’administra
tion des hospices, le conseil municipal nomma, à
la fin de 1824, une commission pour étudier cette
affaire. Le 9 août de l’année suivante, il délibéra
de réparer seulement l'édifice , tandis que l’adminis
tration des hospices proposait d’en construire un
autre dans une propriété , au pont du Jarret, sur le
chemin de Saint-Barnabé. Les réparations ne furent
faites qu’avec lenteur, et, sur de nouvelles instances
de la commission des hospices, le conseil municipal
reconnut enfin la nécessité du déplacement de l’hô
pital. Le 21 février 1827, il délibéra de le construire
dans la propriété du sieur Roux-Labaume, au quar
tier de Saint-Pierre , et le 7 novembre suivant, il
déclara que la ville exécuterait les travaux à ses
�465 —
frais et vendrait les batiments et les terrains de SaintLazare. Un concours ayant été ouvert pour le plan de
construction, il donna la préférence à celui de Penchaud, architecte de la ville.
Diverses circonstances arrêtèrent la marche des
travaux et l’administration des hospices voulut trans
férer les malades de Saint-Lazare dans l’ancien cou
vent des Grandes Maries, en attendant d’avoir la
disposition du nouvel hôpital de Saint-Pierre. La ville
ne permit pas l’exécution de ce projet, et la commis
sion des hospices déclara se décharger de toute res
ponsabilité , en cas d’accident.
Le conseil municipal délibéra, le 25 septembre
1832, de n’exécuter provisoirement qu’une partie du
plan de construction , en y employant la somme de
200,000 fr. et le produit de la vente des bâtisses de
Saint-Lazare ; mais de nouvelles difficultés s’étant
élevées , l’affaire fut soumise au conseil d’état.
Un grand changement s'opéra sur ces entrefaites.
Par suite de la loi du 30 juin 1838 et de l’ordonnance
royale du 18 décembre 1839, l’hôpital Saint-Lazare
fut détaché de l’administration des hospices et devint
un établissement spécial sous le titre d’asile des aliénés,
avec un directeur salarié. La première partie était à peu
près terminée vers le milieu de 1840 , mais des inci
dents surgirent de la protestation des administrateurs
des hospices au sujet des droits dont ils se croyaient
injustement dépouillés. D’un autre côté, de nouveaux
TOME II.
30
�— 406 —
travaux d’appropriation et l'ameublement firent per
dre un temps considérable , et ce ne fut qu’au mois
d’octobre 1844 que les aliénés , au nombre de 350 ,
furent transférés dans leur nouvel asile.
La situation financière des hospices de Marseille ,
fort mauvaise dans tous les temps, ne s’était guère
améliorée après la révolution. Les lois nouvelles , il
est vrai, avaient mis la dépense des enfants trouvés
à la charge du département, mais les hospices avaient
perdu une partie de leurs revenus et les libéralités
particulières ne venaient plus en alimenter la source.
Seulement quelques dons plus ou moins importants
leur étaient faits à de longs intervalles. Je dois citer
parmi leurs bienfaiteurs François Jourdan, Collot,
Fourtou , Conot, la veuve Alciator, la dameMouriés
et la DIle Cauvin.
Par testament du 12 décembre 1833, Marc-Antoine
Aillaud, fabricant tanneur à Marseille, après avoir
fait quelques legs , disposa du reste de sa grande for
tune en faveur des nécessiteux de cette ville. Il dési
gna quatre de ses amis pour distribuer les revenus
de ses biens , chaque année et à perpétuité, soit aux
hospices , soit aux pauvres, soit aux classes les plus
malheureuses, et il voulut que ces quatre adminis
trateurs, formant un bureau particulier de charité,
se renouvelassent successivement, par le choix les
uns des autres, au fur et à mesure des extinctions.
Aillaud mourut le 5 juin 1837. Comme cette fonda-
�— 407 —
lion était d’une légalité fort douteuse et d’ailleurs
d’une exécution assez difficile, le gouvernement
attribua la moitié des biens d’Aillaud aux hos
pices de Marseille et l’autre moitié au bureau de
Bienfaisance. Chacune de ces administrations toucha
370.000 fr.
L’histoire doit citer honorablement le nom d’un
autre bienfaiteur qui s’illustra par les plus beaux
succès dans la pratique de la chirurgie et ne dut qu’à
lui seul toute sa renommée. Moulaud , toujours fi
dèle aux souvenirs de son origine , voulut suivre
l’exemple de Jérôme Girard, l’un de ses prédécesseurs.
Par ses testaments de 1834 et des deux années sui
vantes, il institua une fondation perpétuelle de
70.000 fr., les intérêts devant servir à l’instruction
et à l'entretien d’un orphelin choisi successivement
par l'administration des hospices dans là classe des
enfants trouvés, avec réserve des économies pour
l’élève afin de faciliter son établissement dans une
carrière libérale. Moulaud légua de plus aux hospices
de Marseille une rente perpétuelle de 3,700 francs
pour l’éducation de deux orphelines de la Charité ,
et une autre rente de 200 fr. en faveur de la biblio
thèque médicale de l’Hôtel-Dieu qu’il avait luimême fondée en 1819 , en y affectant ses honoraires
de chirurgien en chef. Le 14 juin 1836, la mort
frappa cet homme remarquable et singulier. Une
ordonnance royale du 8 décembre 1838 autorisa la
�libéralité de 70,000 fr. et celle qui concerne la
bibliothèque; mais la fondation des 3,700 fr. de
rente ne fut pas approuvée.
Ces dispositions spéciales ne pouvaient s’appliquer
aux services hospitaliers et ne changeaient en rien
leur situation financière. Les recettes des hospices de
Marseille, pendant l’année 1806, furentde 671,346 fr.
et les dépenses présentèrent le chiffre de 639,013 fr.
En 1830, les recettes parmi lesquelles on rangea
407.000 fr. donnés par la ville et 148,170 fr. 16 c.
remboursés par le département pour le service des
enfants trouvés montèrent à 907,403 fr. 51 , et
les dépenses balancèrent exactement cette somme.
L’exercice de 1855 offrit ce résultat : recettes de toute
nature: 1,018,719 fr. 09 c.; dépense: 996,826 fr.
74 c. Le service des enfants trouvés figurait pour
un chiffre de 203,557 fr. , et la subvention munici
pale, long-temps fixée à 450,000 fr. , était portée à
465.000 depuis trois années.
Le service médical de l’Hôtel-Dieu était complet et
l’administration en choisissait le personnel parmi les
notabilités de la science à Marseille. Cependant, vers
l'année 1838, bien des opérations de chirurgie ne
pouvaient réussir. Ce résultat fâcheux , loin de
s'étendre à tous les cas , ne dépassait guères les pro
portions constatées dans les grands hôpitaux de
France. Funeste effet de l’ignorance qui trompe sou
vent la bonne foi ! De quelques faits particuliers on
�— 469 —
tira une induction générale. On en vint à concevoir
les plus vives alarmes sur l'insalubrité de l'HôtelDieu . Le mot d'abandon fut prononcé, et l’exagéra
tion ne connut plus de bornes , et les fantômes de
la peur allèrent sans cesse grandissant, et tous en
semble ils poussèrent un cri douloureux qui remua
les entrailles des hommes de bien.
L'administration des hospices se m it, en 1839, à
la recherche d’un terrain pour la construction d’un
autre hôpital et choisit enfin , au quartier rural du
Petit-Camas, une propriété dont elle fit l’achat au
prix de cent mille francs. Les dispositions du conseil
municipal ne semblaient pas douteuses. Pouvait-on
faire un choix plus malheureux? Convenait-il de
placer si loin l’hôpital d’une grande ville ? Tous les
services n’y seraient-ils pas troublés aux dépens des
pauvres malades? La commission , par l’organe de
M. Paranque , fit justice de toutes les erreurs accu
mulées sur la question et conclut au rejet de la de
mande des hospices. Mais, le 23 mars 1843, le
conseil, par le motif que le déplacement de l’HôtelDieu n’était pas en cause pour le moment et qu’il ne
s’agissait que d’un terrain acquis à des conditions
convenables, se prononça pour cet achat, après une
discusion orageuse.
Une ordonnance royale du 24 mars 1844 autorisa
l’achat; et le plan de construction, dressé par les
architectes Barrai et Blanchet, après avoir été rec-
�^ » T ta a M in f îT T jr ■ v r io i
V~
. '.
— 470 —
tifié par le conseil des bâtiments civils, fut approuvé
par décision ministérielle du 9 septembre 1846.
L’entreprise s’arrêta là. L’impopularité l’avait frap
pée au cœur et elle ne semblait pas née via-ble. Les
circonstances avaient d’ailleurs changé. De nouveaux
administrateu rs des hospices n’adoptaient pas les idées
de leurs devanciers ; des améliorations intelligentes
avaient été faites dans l’Hôtel-Dieu et la santé des
malades en ressentait une influence si salutaire que
la proportion entre les admissions et les décès était à
l'avantage de cet hôpital comparé aux autres hôpitaux
de l’empire. La chirurgie elle-même y obtenait plus
de succès qu’ailleurs. Personne ne pensait donc plus
au projet de construction lorsque, au mois de juillet
1851 , M. de Suleau , préfet des Bouches-du-Rhône »
l’exhuma.
Toutefois ce magistrat ne voulut pas l’abandon
de l’Hôtel-Dieu qui devait recevoir les malades de la
vieille ville. Il destina l’hôpital du Petit-Camas à
quelques autres malades ainsi qu’à la Maternité et à
l’école d’accouchement, sections annexes de la Cha
rité établies dans un vieux bâtiment humide, privé
d’air et de lumière. M. de Suleau proposa de ne bâtir
que la moitié de l’hôpital, c’est-à-dire quatre pa
villons au lieu de huit. C’était tout ce qu’il fallait
pour une destination spéciale et restreinte, et la dé
pense était évaluée à 500,000 fr. Le préfet complé
tait son plan en consacrant 200,000 fr. à l’amélio-
�— 471 —
ration de l’Hôtel-Dieu et 100,000 fr. à celle de la
Charité. Des moyens convenablement combinés pour
voyaient à tout, sous le rapport financier.
Rien de plus praticable assurément. La commis
sion des hospices, se conformant à la pensée de M.
de Suleau, déclara qu’elle voulait conserver 1’HôtelDieu , et le 3 février 1852 le conseil municipal déli
béra dans le même sens.
Les travaux commencèrent peu de temps après,1
et vers la fin de 1855 les quatre pavillons étaient
terminés. On avait aussi construit le bâtiment de
l’administration et le tout coûtait 585,000 fr.
Mais de nouveaux administrateurs des hospices
remirent tout en question , au mépris de tout ce qui
avait été résolu. Ils proposèrent d’achever l’hôpital
du Petit-Camas et d’y transporter tous les malades.
Abandonner l’Hôtel-Dieu ! N’est-ce pas où il est qu’il
faudrait le construire, s’il n’y était déjà? N’est-il
pas admirablement situé , au centre de la vieille
ville, près le vieux port, à peu de distance des ports
auxiliaires et de ces terrains où le génie commercial,
opérant la métamorphose la plus brillante, va mettre
en mouvement tant d’hommes et de choses? Le. 2
mai 1855, la commission des hospices délibéra, à la
majorité de six voix contre une , de construire la
seconde moitié du nouvel hôpital, et à la simple ma\. L’entrepreneur Gouüran en obtint l'adjudication aux enchères pu
bliques, au rabais de 18 p. % .
�— 472 —
jorité de quatre voix contre trois , d’abandonner
l'Hôtel-Dieu. La presse locale avait combattu ce projet
déplorable. Le corps médical tout entier s’en était
ému ; l’école de médecine, menacée dans son exis
tence , avait jeté un cri d'alarme ; le recteur de
l’académie d’Aix était intervenu dans l’intérêt de
l’enseignement. La désapprobation fut écrasante , et
le 17 janvier 1856 le conseil municipal vint en aug
menter la puissance par l’expression d’un vote à peu
près unanime. La sagesse de l’administration supé
rieure fera le reste.
Jamais la charité n’imposa des devoirs plus grands
aux pouvoirs publics. Dans notre société où sans
cesse tout est mis en question , les règles de l’assis
tance forment une science troublée, comme les autres,
par l’esprit du système. D’ailleurs la bienfaisance
est, de toutes les vertus, la plus difficile à exercer,"
parce que les vices et les passions des hommes sont
toujours là pour la tromper et la corrompre. Il faut
secourir les pauvres , qui en doute ? Mais comment ?
Dans quelles circonstances? Les doctrines économi
ques ont répandu tant de confusion sur ces matières ,
qu’on ne le sait plus.
Cependant il est un point sur lequel les meilleurs
esprit semblent s’accorder : c’est que les secours
donnés à domicile sont préférables à ceux que four
nissent les hôpitaux. La trop facile assistance des
maisons hospitalières relâche les liens de famille ,
�473 —
solide et vieux ciment des vertus sociales. Elle enlève
les nécessiteux à tous les objets que le sentiment et
l’habitude leur ont rendu chers. Au contraire, la
distribution des secours à domicile moralise par
l'amour du foyer domestique , toujours plein de
souvenirs attachants, et, dans une certaine mesure,
elle apprend aux hommes à ne pas rejeter sur la
société tout entière les devoirs de la nature et de
l'amitié.
Surtout que l’on se garde de répandre les dons
d’une main trop prodigue , si l’on veut que les hom
mes s’habituent de bonne heure à ne compter que
sur eux-mêmes. Ce sentiment d’énergie et de con
fiance, si utile dans toutes les situations delà vie,
n’est-il pas le meilleur garant contre les douleurs de
l’indigence? En notre temps de dignité morale, la
charité doit s’exercer autrement que par l’aumône,
laquelle, si bien faite qu’on la suppose, n'en humilie
pas moins celui qui la reçoit. Selon la remarque d'un
éminent publiciste, 1 un homme n’est pas pauvre
parce qu’il n’a rien , mais parce qu'il ne travaille
pas. C'est donc le travail qu'il faut encourager ; c’est
son amour qu’il faut inspirer sans cesse. La civili
sation , fard des peuples vieillis , recouvre artistement le mal rongeur du paupérisme , sans en dé
truire les périls, et le sou fie des révolutions nous
1. Montesquieu. Esprit des Lois, liv. 2 o , chap. 29.
�pousse vers des destinées inconnues. Au milieu de
tant de défaillances et d’égoïsme , il est encore ,
grâces à Dieu, des âmes vigoureuses qui engagent
la lutte contre la misère et font tous leurs efforts
pour conjurer ce fléau. C’est le travail des penseurs
de notre temps ; ce sera leur gloire éternelle.
FIN DU DEUXIÈME ET DERNIER VOLUME.
�TABLE DES MATIÈRES
DU PREMIER VOLUME.
CHAPITRE Ier. — Pas d’hôpitaux chez les anciens. — Influence
du christianisme sur les établissem ents de bienfaisance. —
Anciens hôpitaux de M arseille.................. ..............................
CHAPITRE II. — Ordre des Hospitaliers du Saint-Esprit de Mont
pellier.— Enfants trouvés.—•Fondation de l’hôpital du SaintEsprit de M arseille. — Hôpital du Pont de Saint-G eniez. —
Hôpital d’Aubagne. — Les frères Donats de l’hôpital de
Marseille. — Recteurs de cet hôpital- — Action de l’autorité
municipale. — Statuts de la m aison.......................................
CHAPITRE III. — Description de l’ancien hôpital Saint-Esprit de
M arseille. — Ancien H ôtel-de-V ille. — Séances du conseil
municipal dans l’hôpital. — Construction d’un nouvel Hôtelde-V ille. — L’hôpital Saint-Esprit est pillé parles Aragonais..
CHAPITRE IV. — Ressources diverses de l’hôpital Saint-Esprit.
— Gens à gages. — R ecettes et dépenses au XIVe siècle. —
Appréciation de cet état financier..........................................
CHAPITRE V. — Nombre des malades de l’hôpital Saint-Esprit.
— Prix de journée. — Régim e alim entaire. — Libéralité de
Julien de Casaulx. — Détails sur l’hôpital Saint-Jacques-deGalice. — Le consul Charles de Casaulx réunit les deux hô
pitaux. — Chute de ce consul.................................................
CHAPITRE VI. — Legs de Pierre Libertat. — Chambre de ju s
tice à l’hôpital. — Guillaume du Vair. — Les corps d’arts et
m étiers obligés de fournir un lit garni. — Legs de du Vair.—
Sa mort. — Délibération du bureau de l’Hôtel-Dieu à ce su jet..
Pages
15
35
72
89
H8
140
CHAPITRE VII. — Les recteurs, défendent leurs prérogatives
contre l’autorité judiciaire. — Droit de l’administration muni
cipale relativement aux affaires de l’hôpital. —La nourriture
des malades est améliorée. — Détails divers. — Dames rectoresses. — Confrérie de Saint-Louis. •— Confrérie de SainteElisabeth.— Religieuses de Saint-Joseph.......................... 167
CHAPITRE VIII. — Service de santé pendant le moyen-âge. —
Médecins et chirurgiens juifs.— Médecins communaux dans
le XVIe siècle. —Les docteurs Serre, Gentilis, Vitalis, Glasson
otCassagne.—Changement danslc service de santé de l’hô
pital. — Exil de Cassagne. — Sa rentrée. >— Sa mission à
Rome. — Sébastien Richard. — Retraite de Cassagne..... . 181
�Pages
CHAPITRE IX. — Chirurgiens communaux. — Leurs services
dans l’Hôtel-Dieu.— Premiers essais anatomiques.— Amphi
théâtre pour les dissections.....................................................
218
CHAPITRE X. — Méthodes curatives. — Changements divers
dans le service de la chirurgie. — Débats entre le bureau de
PHôtel-Dieu et le collège de Médecine. — Nombre des ma
lades et leur traitement........................................................... 233
CHAPITRE XI. — Privilège du garçon chirurgien gagnant maî
trise. — Longues contestations à ce sujet. —, Moulaud,
Jérôme Girard , Melicy.............................................................
254
CHAPITRE XII. — Service de la pharmacie. — Compagnon ga
gnant maîtrise.— Débats sur ce privilège.— Règlement....
275
CHAPITRE XIII. — Traitement des maladies vénériennes. —
Aperçu historique sur les ravages de la syphilis. •— Règle
ments municipaux pour les femmes de mauvaise vie.—Divers
faits et délibérations sur les vénériens................................... 294
CHAPITRE XIV. — L’Hôtel-Dieu de Marseille en temps de peste.
Maux pestilentiels du XVIe siècle. — Malheureuse condition
du peuple. — Peste de 1630. — Organisation du service mé
dical. — Peste de 1649 et 1650. —• L’Hôtel-Dieu est fermé
comme en 1630......................................................................... 319
CHAPITRE XV.— Peste de 1720. — Admirable dévouement du
recteur Bruno Garnier et du médecin Charles Ppyssonel.—
Leur mort. — Désorganisation générale. — Héroïsme des
échevins. — L’hôpital des Convalescents pour les pestiférés.
— Hôpital du chevalier Rose.— Hôpital près les Augustins
Réformés.— Celui de la Charité.— Fin du fléau.— Rechute.
— Divers services.— Dépensesde l’Hôtel-Dieu pendant ces
calamités...............................................................
358
CHAPITRE XVI.— École de chirurgie.— Changement dans le
service de santé de PHôtel-Dieu. — Délibérations adminis
tratives à ce sujet....................................................................
36/
CHAPITRE XVII. — Service des enfants trouvés. — Nombre et
salaire des nourrices. — Procès-verbaux d’exposition. —
Désignation fâcheuses. — Le tour de l’hôpital. — SaintVincent-de-Paul........................................................................
381
CHAPITRE XVIII. — Mortalité des enfants trouvés. — Sa statis
tique en Provence. — Nouveaux détails sur les gages des
nourrices. — Enfants placés à la campagne..........................
405
CHAPITRE XIX. — Les enfants trouvés destinés à divers mé
tiers.— Emploi des filles. — Leur dot. — Législation et usage
de la Provence touchant, ces enfants.—Déclarations de gros
sesse. — Recherche de la paternité. — Recours de l’hôpital.
�477
Pages
— Taxes provinciales pour le service des enfatns trouvés.—
Position particulière de Marseille.—Nombre d’enfants trouvés
dans le royaume en 1785. — Nombre de ces orphelins à
Marseille..................................................................................... 418
CHAPITRE XX.- Recteurs de l’Hôtel-Dieu.—Leur nomination.
—Surintendants des hôpitaux. —Trésoriers. —Avances de
deniers faites par les recteurs. — Leur nombre à diverses
ép o q u e s....’ ........................................................................... 440
CHAPITRE XXL — Agrandissement de l’Hôtel-Dieu en 1692 et
en 1719. — Projet de réunion des divers hôpitaux de Mar
seille. — Don de Jacques de Matignon, abbé de SaintVictor. — Sa mort. — Abandon du projet de translation de
l'Hotel-Dieu.............................................................................. 454
CHAPITRE XXII. — Agrandissement de 1753. — PlanMansard.
— Lenteur des travaux. — Emprunts pour la bâtisse. —
Libéralités de plusieurs bienfaiteurs...................................... 473
CHAPITRE XXIII.
État financier de l’Hôtel-Dieu à la fin du
XVIe siècle et dans le XVIIe. — Allocations municipales.—
Détresse continuelle de l’hôpital. — Sa situation financière
dans le XVIIIe siècle. — Emprunts et aliénations d’immeu
bles. — Nouveaux secours de la ville.
Discussions du
conseil municipal sur les affaires de l’Hôtel-Dieu. — Arrêts
dn parlement de Provence...................................................... 487
CHAPITRE XXIV. — Débats dans le conseil municipal sur les
finances de l’Hôtel-Dieu. — Le roi met les dettes de cet
hôpital à la charge de la ville. — La ville est de plus obligée
par le parlement d’Aix de payer plusieurs sommes à l’HôtelDieu. — Nouveau déficit dans la caisse de cette maison. —
La ville finit par les combler. — Diverses redevances et
divers privilèges au profit de l’Hôtel-Dieu. — Dernier état
financier..................................... '........................ .................... 508
FIN DE LA TAULE DU PREMIER VOLUME.
�TABLE DES MATIÈRES
DU DEUXIÈME ET DERNIER VOLUME.
CHAPITRE Ier. — Origine de l’hôpital des Convalescents. —
Elzéar Beaulieu. — Projet d’asile pour les pauvres passants.
— Réunion des deux œuvres. — Déplacem ent de cet hôpital.
— Ses bienfaiteurs. — Son règlem ent. — Sa suppression. . .
CHAPITRE II. — Hôpital Saint-Lazare pour les lépreux. — La
lèpre chez les anciens. — Ses progrès pendant les Croisades.
— Statuts M arseillais à ce sujet.— La léproserie de M arseille.
— Scs bienfaiteurs. — Ses recteurs. — Don de la v ille .—
Affaiblissement graduel de la lèpre.— Son traitem ent curatif.
— Derniers lépreux.— Incurables reçus dans cet hôpital. —
Son incorporation à l’IIôtel-D ieu. . .. ...............................
CHAPITRE III. — Hôpital Saint-Lazare pour les Insensés. —
Leur situation à M arseille. — Fondation du prêtre Garnier.
— R èglem ent pour le nouvel hôpital. — Dispositions hostiles
du peuple. — Traitement cruel auquel les insensés sont
soum is.— L’hôpital Saint-Lazare sert aussi de prison d’état.
— Situation financière de la maison. — Secours de la ville.'—
Amélioration du sort des aliénés. — Agrandissement de la
m aison.— Le projet de déplacem ent n’a pas de suite.— R ecette
et. dépenses. — L’hôpital pendant la révolution....................
CHAPITRE IV.-— L’hôpital Saint-Eutrope pour les hydropiques.
— Détails historiques à ce sujet, — Hôpital des Incurables.
— Ses règlem ents. — Ses finances. — Ses fondations d élits.
•— Hôpital du Sauveur. — Biographie du docteur Aubert. —
Son testam ent.— Sa mort..'—-Administration de cette mai
s o n .— Sa suppression........ ....................................................
CHAPITRE V .— Hôpital des pèlerins. — Confrérie de Saint—
Jacques-des-E pées.— Etat de l’œuvre dans le XVe et le XVIe
siècle.— Ses conflits avec les Pères Servîtes. — Traitement
des pèlerins. — Réunion de l’œuvre à l’Hûtel-Dieu qui orga
nisa le service des pauvres passants................................... .
CHAPITRE VI. — Hôpital -de la Charité. — Grand nombre de
m endiants. — Mesures prises contre eux. — Le chanoine
Emmanuel Pachier.— Vœu des consuls de M arseille.— Divers
détails sur la maison de Charité. — Scs bienfaits. — Agran
dissem ent. — Construction de l’église. — Pierre Puget. —
Situation financière de l’établissem ent...................................
CHAPITRE VII. — Mort de Pachier. — Régim e de la Charité.—
Fondations et dons.— Archers.— Le peuple les m altraite.—
Ecoles de la Charité , ses m ousses et ses ateliers. — Distri
bution de pain aux indigents externes.— Subventions muni-
Pages
5
27
46
76
107
145
�— 479 —
Pages
cipales. — Crise financière. — Arrangements avec les créan
ciers.— Nouveaux règlem ents.— Projets divers pour l’extinc
tion de la m en d icité................................................................. 163
CHAPITRE VIII. — Maison des Filles Grises. — Le sieur de
F ourrières, son fondateur. — Libéralité de l’apothicaire
Busson. — Administration et finances de l’œuvre. — Elle est
dirigée par les prud’hommes pêcheurs. — Fondation de Louis
Ricard. — Mariages de pauvres filles. — Nombre des Filles
G rises.— Maison de la Providence. — Ses règ lem en ts.—
Maison des Filles Orphelines. — Ses directrices, ses statuts
et ses bienfaiteurs................................................... .................. 198
CHAPITRE IX .'— Hôpital des pauvres Enfants Abandonnés. -—
Son organisation. — Sa translation dans l’hôtel du marquis
de la R oq u ette.— Admission des pauvres orphelins. — Fi
nances de la m aison.— Œ uvre des pauvres Enfants mariniers. 227
CHAPITRE X. — Œ uvre des Prisons. — Statuts M arseillais.—
Prisonniers civils. — Contrainte par corps. — Legs de Julien
de Casaulx en faveur des prisonniers.— Leurs souffrances.—
Sièges successifs de l’œuvre. — Les pauvres Oppressés.—
R èglem ent du Bureau charitable. — Ses fonds et ses bienfai
teu rs.— Projets d’amélioration des prisons.'— Quête pour
l’élargissem ent des prisonniers civils............ ......................... 246
CHAPITRE XI.— Œuvre de la Rédemption des esclaves.— L’ordre
de la Trinité. — Piraterie des corsaires d’Afrique. — Détail à
ce sujet. — Aperçu sur la marine de M arseille.— Armem ents
contre les corsaires. — Concours des com munautés de Pro
vence dans le rachat des captifs. — L’ordre de la Trinité re
prend l’œuvre de la R édem ption.. . . ................................... 275
CHAPITRE XII. — Extension de l’ordre de la Trinité.— Confré
ries des Pénitents de M arseille. — Règlem ent de l’œuvre de
la Rédem ption.— Ses finances, ses bienfaiteurs et ses privi
lèges.— Procession des captifs rachetés.— Prix de la rançon.
— Laurent de Vento des Pennes. -— De Castellane d’Espar-
ron. — Derniers actes de l’œuvre........................................ 297
CHAPITRE XIII. — Œuvre de la Merci à Marseille.—Ses débats
avec lesTrinitaires.—'Ses rachats d’esclaves — Ses privi
lèges. — Son affaiblissement et sa suppression..................... 324
CHAPITRE XIV.— Hôpital général de la Miséricorde.—Aumône
de Saint-Victor.—Fondateurs de la Confrérie de Notre-Damede-Miséricorde.— Premiers règlements.— Siège de l’œuvre.
— Maison de Nicolas d’Hermitte. — L’œuvre abandonne
l’Hôtel-Dieu et s’établit dans cette maison. —'Etablissement
de l’œuvre à Sainte-Croix.— Nouveaux statuts.— Service de
santé.— Distribution des aumônes. — Conditions d’admis
sion aux secours. — Fondations pour le mariage de quelques
filles pauvres. — Bienfaiteurs de l’œuvre. — Sa situation fi
nancière. — Son état pendant la révolution...................
336
�CHAPITRE XV. •—• (Euvre de la Petite Miséricorde de SaintM artin.— Œuvre du B ouillon.— Autre œuvre de Saint-Martin
sous le titre du Cœur de la Sainte V ierge.— Avortement d’un
projet de Petite Miséricorde pour la ville entière. — Œ uvres
de ia Major, des A ccoules, de Saint-Laurent et de SaintFerréol. — Œuvre de Saint-Victor. — Institution de bienfai
sance à Notre-Dame-du-M ont.— Aumônes faites aux pauvres
de la Valentine et de C hâteau-G oinbcrt................................ 365
CHAPITRE XVI. — Bureau de Bienfaisance. — Deux bureaux à
M arseille.— Leur réunion en un seul.'— Administration cen
trale des secours publics. — Rétablissem ent de la Grande
M iséricorde.— Atelier de travail.— Horrible m isère.— Statis
tique du paupérisme. — Service des Dispensaires. — Organi
sation du Bureau de Bienfaisance.— Ecole de Sainte-Anne.'—
Ecole de la Pomme. — Sœurs de Saint-V incent-de-P aul. —
Service de la Pharm acie.— Situation financière de l’œ uvre.—
Marche de ses services... .........................................................
CHAPITRE X V II.— M ont-de-Piété. — Prêts sur gages dans le
m oyen-âge. — Usure exercée par les Juifs et p a rles Lom
bards.— M onts-de-Piété en Italie.'— En France.-— Usuriers
en Provence. — Taux de l’intérêt à M arseille. — Création du
M ont-de-Piété de cette ville. — Jean de P uget.—■ Son siège
dans l’Hôtel-Dieu. •— Débats entre les deux administrations.
— Arrangement. — Construction du local du M ont-de-Piété.
— Ses règlements, la marche de ses services et son régime
financier. — Bureau de commissionnaire. — Situation de
l’œuvre pendant la révolution. — Ses derniers actes............
CHAPITRE XVIII. — Rétablissem ent du M ont-de-Piété de Mar
seille.— Règlem ent de 1807.— Etat administratif et financier
de l’œuvre. — Son accroissem ent. — Sa position en 1848.—
Sa statistique.— Nouveau local.— L’œuvre y est installée.—
Marche de ses services........................... ........................
397
CHAPITRE XIX.— Société philanthropique.— Fondation delà So
ciété de B ienfaisance.— Ses services.— Conférence de SaintV incent-de-Paul. — Extension et statistique de l’œuvre. —•
Association des Hommes de la Providence.— Divers d étails.. 446
CHAPITRE X X .— Nouvelle organisation des Hospices. — Les
Hôpitaux pendant la révolution. — Ils sont réduits à trois. -—
Bureaux particuliers. -— Administration générale. — Change
ment de systèm e.— Conseil général des H ospices.— Commis
sion administrative. — Division des services. -— Sœurs hospi
talières.— Asiles des A liénés.— Testam ent d’Aillaud.— Fon
dation Moulaud.— Situation financière des H ospices.— Cons
truction de l’hôpital du P etit-C am as....................................
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Identifier
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Title
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Histoire des hôpitaux et des institutions de bienfaisance de Marseille
Subject
The topic of the resource
Santé publique
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Fabre, Augustin (1836-1884)
Source
A related resource from which the described resource is derived
BU médecine-odontologie (Marseille), cote 14030
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Imprimerie et lithographie de Jules Barile (Marseille)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1854-1855
Rights
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domaine public
public domain
Relation
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Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
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2 vol.
XIV-539, 480 p.
24 cm
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
text
monographie imprimée
printed monograph
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
Marseille
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
BU médecine-odontologie (Marseille)
Description
An account of the resource
Les hôpitaux de Marseille du 14e au 19e siècle basée sur les archives de l’Hôtel-Dieu et de la Mairie. Une histoire qui commence avec les maisons de bienfaisance, les services de santé et des enfants trouvés pour finir avec la création du Mont-de-Piété et la réorganisation des hospices
Aide sociale -- Marseille (Bouches-du-Rhône)
Hôpitaux -- Marseille (Bouches-du-Rhône)