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/'ù;
FACULTÉ DE DROIT D'AIX
.DE LA LÉSION
·A L'ÉGARD DES MINEURS
Dans le Droit Romain et dans le Droit Francais
,
THÈSE POUR LE DOCTORAT
Par· Loms BARCILON
Avocat.
CARPENTRAS
UIPRIMERIE PAUL TOURRETTE
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J'AÈRE
��PREMIÈRE PARTIE
DROIT ROMAIN
DE LA RESTITUTION DES MINEURS
CHAPITRE I
Etat des mineurs à Rome. - Origine de la restilutio
in integrum .
.L'homme n'entre pas de plein-pied dans une période
_de force et d'intelligence. Au physique comme au moral,
il a besoin d'un appui, d'un guide qui dirige ses pre_
rn iers pas : aussi, à toutes les époques et dans toutes les
législations, a-t-on considéré l'enfant comme un incapable, et s'est-on occupé de lui assurer aide et protection. Cette période tutélaire, évidemment, a varié au
point de vue ie sa durée, elle n'a pas été uniforme pour
tous les peuples; mais, pour Lous, elle a existé. C'est ce
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que nous voyons à Rome. La législation romaine a toujours protégé l'enfance; mais, jusqu'à quelle époque a-telle assuré au jeune âge un secours contre les séductions
et les entraînements extérieurs? Sur ce point, comme sur
bien d'autres, elle a varié.
A l'origine, chaque année, aux fêtes de Bacchus, avait
lieu la cérémonie du changement de robe : le pèce ou le
tuteur, 1 01~squ'il jugeait l'enfant assez développé, le présentait au temple pour qu'il déposât aux pieds du Dieu
la robe prétexte et qu'il pût revêtir la robe vitile, Il n'y
avait pas d'âge déterminé pour cette cé1~ .~monie; mais, du
moment qu'il avait dépouillé le vêtement de l'enfance et
suspendu aux murs du temple la bulle d'or ou de cuir
attachée à son cou, l'adolescent prenait les avantages
du titre de civis rama.nus, si rare alors et si envié.
Plus tard, la cérémonie du changement de robe tomba
en désuétude : ce fut au commencement de l'Empire.
Alors naquit, entre les Proculiens et les Sabini ens, la
célèbre controverse que Justinien a prétendu trancher
par sa constitution (3 qiza.ndo tut. vel cur. V, 60), controverse qui porte sur le point de savoir si l'âge seul devait déterminer cette transition, ou s'il fallait s'attacher à
un fait matériel qui ne pourrait être constaté qu'après un
examen du corps. Pour les Sabiniens, était pubère qui
Jiabitu corporis pubes apparet; pour les Proculiens, qui
quatizorde.cim annis complevit. Un jurisconsulte, encore
plus exigeant que les Sabiniens, dèmandait tout à la fois
l'examen corporel et l'âge de quato1'ze ans.
Tout le monde fini t par se trouver d'accord pour fixer
à cet âge de quatorze ans l'époque de .la puberté. Du
reste, le système des Sabiniens ne pouvait être suivi
quand il s'agissait d'un testament ou d'un mariage: ils
abandonnaient alors une doctrine qui, en pratique, n'eût
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7",,- .
pas élé susceptible d'application. Il y avait, par consé que.nt, à ce moment, présomption de puberté, présomption que personne ne contestait; seulement, les Sabiniens voulaient la remplacer par une certitude, dans
tous les cas où la vérification était possible.
D'aifümrs, il faut remarquer que sous les empereurs
romains on commença à porter à la ville l'ancien vêtement de voyage la pœmzla, qui, bientôt, remplaça tout à
fait la toge. Tacite reprochait déjà aux avocats d'avoir
quitté la toge pour adopter la pœmzl/J. où ils sont adstricti et velut inchzsi (Tacite, De orat., cap. 39). La solennité du changement de robe d'ut dès lors disparaître,
et l'opinion dé Proculus répondait à la nécessité de tracer
une ligne bien tranchée entre l'incapacité et la capacité
juridique. Aussi l'âge de quatorze ans est indiqué, en
term·es absolus, comme le point de départ de la puberté
dans tous les auteurs de l'ép0que: et, sous Justinien, on
ne connaissait point l'inspectio corporis. Cet empereur
n'a donc fait, par sa constitution, que trancher Ufle question anciennement controversée. En déployant << cet étalage de moralité » (Savigny, t. 3, p. 74), Justinien s'adresse à un scandale purement théorique : il a voulu,
comme dit Heinecciuus, prendre plaisir à rassembler des
fantômes pour les disperser, et se donner le mérite d'abolir une coutume qui n'entrait pas dans l'esprit des Romains : Probabile videtur Justinianum ·hic cum Jarvis
pugnasse, ritumque aboie visse cujus iwnquam Romanis
in mentem venerat .
Quant aux femmes, on admit de tout temps que la puberté commençait pour elles à douze ans. Elles conservaient leur prœtexta jusqu'au moment de leur mariage.
L'impuberté fut divisée en deux périodes dont la première fut appelé infantia. L'infans, c'est non seulement
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celui qui ne peut pas parler, mais aussi celui qui, quoique capable de prononcer une parole, ne sait pas tenir.
un discours suivi. On l'a appelé, non sans quelque raison, le mineur de sept ans (L. 18 au Cod. VI, 30). Cette
première période allait jusqu'à l'âge de sept ans. Une
fois dans la seconde, l'impubère pouvait bien se faire
entendre ét parler d'une façon suivie, mais il n'avait pas
encore une raison suffisante pour comprendre la portée
cle ses actes. La jurisprudence avait subdivisé cette seconde catégori.e d'impubères : les infantiœ proximi et les
pubertati proximi . Le développement intellectuel qui
déterminait cette dernière division devait ê,tre · appréciée
suivant les individus: c'était plutôt une question de fait.
qu'une question de droit.
L'infans, n'ayant aucune intelligence, était incapable
de faire aucun acte. On le comparait au fou (Just., lnst.
t. XIX, ë'10). Le pubertati proximus pouvait faire sa condition meilleure, mais non la rendre pire. L'infantiœ
proximus, d'abord associé à l'infans, ne tarda pas à être
rnngé à la même place que le pubertati proximus: Sed
in proximis infanti propter utilitatem corum benignior
juris iiit0rpretatio fa.cta es't, ut idem juris habeant
'ruod pubèrtati proximi (Cnst. Just. loc. cit.). Une seule
différence subsista : le pubertati proximus était obligé
par ses délits; l'infantiœ proximus, comme l'infan.;;, ne
l'était pas (Gaïus, III, ë 208 - lnst. IV, J, ë 18). Toute-
fois il fut admis, d'après un res_crit d'Antonin le pieux,·
que l'impubè1·c sorti de l'enfance pouvait s'obliger civilement jusqu'à concurrence de son enrichissement. Au
delà, il ne pouvait être obligé que naturellement.
A quatorze ans, l'impubère sui juris devenait donc capable d'une capacitu complète, c'est ainsi que non seulement il pouvait se marier, mais encore il devenait capable
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de faire tous les actes de la vie civile. Il pouvait tester,
s'obliger définitivement, administrer librement sa fortune
à sa guise. Mais on ne fut pas lon gtemps à s'apercevoir que
livrer à eux-mêmes des adolescents qui venaient à peine
de quitter la robe de l'enfance, c'était les exposer à tous
les entrnînernents des passions; d'ailleurs, les mœurs
s'étaient altérées, les rapports sociaux s'étaient compliqués sous l'influence de l'augmentation des richesses et
du luxe des particuliers, et il était nécessaire de les sau - .
vegarder contre les périls d'une capacité prématurée
(Savigny, T. de D. rom., t. 3, p. 83). Quant aux fom;nes ,
· elles étaient protégées à cette époque par une tutelle pel'pétuelle.
La nécessité d'obvier à ces dangers s'imposa avec un r
telle force, que la loi elle-même vint y remédier, avanl
que le préteur eût songé à faire app.:!l aux principes
d'équité.
Vers l'an 600 de Rome, nous voyons ·apparaître un plé bisciste connu sous le nom de loi Plœtoria, qui crée u11:
nouvelle classe de personnes protégées, _les mineurs d,·
2~ ans. Plaute y f'ait élllusion dans une de ses comédies:
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. . . . .. Lex me perdit quinavicenaria
Metuunt crede~'e omnes . . . . . . . . . .
Cette loi, appelée par le poète Jex quinavicenarïa et dé signée s.insi dans plusieurs textes, n'est autre que la loi
Plçetoria, et ce second nom lui vient de ce qu'elle était la
base d'une distinction entre les pubères majeurs et le;;
pubères mineurs de 2~ ans. Cet âge de vingt-cinq ans fui
même appelé œtas legitima.
Le but de cette .loi était de protéger les mineurs de 2 ~i
ans contre les lenones, et ils étaient nombreux à Rome.
qui, pour s'enrichir, auraient profité de l'inexpérience 011
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des passions des mineurs. Cet~e loi était à la fois civi le
et criminelle.
Elle établissait un judicium publicum contre ceux qu i
trompent les mineurs, 'imitant en cela la loi des XU Tables, qui avait institué un jucliciwn publicum contre les
tuteurs infidèles. Ell e punissait sévèrement toute atteinte
à. la scrupuleuse bonne foi, établissant comme conséquences une peine pécuniaire, l'èxclusion des fonctions municipales et l'infamie, d'où découlait l ~ privation du jus
·suffragii et dujus honorum . .
Voilà ce que nous savons sur cette loi: elle punit le
coupable et réprime un délit. Mais secourait-elle :directement la victime. de ce délit, annulait-elle l'acte
entaché de dol? Ce n'est pas sùr. A l'origine, le préteu1·
n'avait pas encore inventé l'action et l'exception de dol,
cl il est difficile d'annuler un acte valable aux yeux du
tl roit strict. Quelques personnes cependant pensaient que
la loi Plœtoria munissait d'une action et d'une excepti on
le mineur de vingt-cinq ans. C'est là une pure hypothèse ,
qui contredit cette donnée historique que c'est le préteur
ri.ui a imaginé l' exreption de dol; mais il est certain que
quand le préteur eut organisé l'action et l' exception de
dol, le mineur de viogt-cinq ans put s'en servir.
La conséquence naturelle de la loi Plœtoria fut que les
mineurs virent leur crédit diminuer d'une façon seiisible:
c'est ce qui résulte des vers de Plaute que nous avons
cités plus haut. Il n'étai t cependant pas impossible de
traiter avec eux 011 toute sécurité'; mais alors si l'on ne
courait plus aucun danger, aucune chance de perte, on
n'avait aucun espoir d'u.n bénéfice ·considérab le, provenant d'un taux usuraire par exemple: le champ était
clos aux spéculations. Si l'on vou lait traiter loyalement
avec un mineur, il fallait exiger qu'il se fit nommer un
�-Hcurateur pour l'affaire dans laquelle on voulait s'engager
avec -lui .
On a trouvé dans la loi Plœtoria l'origine de la curatelle des mineurs, et cette opinion s'appuie sur un texte
de Julius Capitolinus ainsi conçu : De curatoribus cizm
ante non nisi ex lege lectoriâ, propter lasciviam, vel
propter dementiam, ità statuit (Marcus) ut omnes adulti
curatorem recipiunt, non redditis causis.
Ce serait donc Marc-Aurèle qui aurait généralisé cette
curatelle en permettant au mineur de demander un curateur permanent en raison seulement de son âge. En
principe, on ne donne pas de curateur au mineur malgré~
lui: il ne l'a que [s'il le demande. Il est trois cas cependanlpour lesquels la nécessité d'un curateur s'impose au
mmeur:
1° Pour soutenir un procès (lnst. Just., 1.1, t. XIII).
2° pO\lr recevoir un paiement (Ulp., L. 7, Dig. IV, 4).
3° Pour r3cevoir son compte de tutelle (L. 7, cod. V,
3t).
Ce curateur ne complète pas la personne du mineur,
il ne fait que l'assister dans les actes de la vie civile.
Ce moyen préventif de la curatelle devait avoir·pou1'
but de rétablir en parlie le crédit du mineur, ébranlé déjà
par la loi Plœtoria, et détruit surtout par la création prétorienne de la restitutio in integrwn, objel spécial de notre étude, et dont l'apparition en droit romain est antérieure à l'innovation de Marc-Aurèle. Les tiers, en effet,
malgré leur bonne foi, n'étaient plÛS certains de voir
maintenir leurs engagements lorsqu'ils causaient un préjudice à l'adolescr.nt. Toutefois, la création de la curatelle ne restreignit pas en principe l'application de larestitutio in integrum, ca1· s'il suffit de relire le texte de l'édit
du préteur pour êtee convamcu qu'à l'origine la res-
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titutJ'o in integrum fut applicable aux seuls mineurs sui
juris sortis de la tutelle, les textes du droit romain prouvent que plus tard l'institution prélorierine protégen
même les mineurs contre leurs propres tuteun; et curateurs.
Le but premier du préteur de protéger le jéune homme
contre les entraînements de la jeunesse était juste et logique; l'extension qu'on lui donna était exagérée. En
effet, l'irnpubèr@ er1 tutelle était suffisamment protégé
ùéjà par les principeE du droit civil qui annulaient les ac_
les passés par hii seul, lorsqu'ils avaient eu pour résultat de rendre sa condition pire. La présence du tuteur ,
et sa responsabilité en cas de mauvaise gestion, auraient
dû suffire pour les actes qne le pupille ne peut faire seul.
. D~ même, le curateur donné au mineur de vingt-cinq ans
aurait dû empêche r l'application de la restilulio in integrum pour les actes consentis par le mineur avec son
assistance. Cependant, il est certain que la restitutio in
inlegrum s'appliqua désormais non-seulement aux actes
consentis par le mineur seul, mais encore à ceux qu'il
avait passés avec l'assistance du curateur. On peut, pou:·
excuse r· ce privilège général accordé au mineur Je vingtcinq ans, constater' que la présence du-cnrate11r, si ellr
n'empêche pas la restilutio., la rendra beaucoup plus
rare: l'acte sera fait avec beaucoup l:Îlus de sagesse cl
de précaution, et le préteur se µ10ntrera plus difficil e
pour accorder la restitutio. En outre, elle ne sera pour
\'adulte (et pour les pupilles dans le même cas) qu'un
recours subsidiaire.
Malgré ces restrictions, sur lesquelles nous revien drons, nous pouvons constater, en terminant ce rapicl r
exposé histcirif1UE', que la restitutio in integrum, qur>
nous allons maintenant examiner de plus près, est de-
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venue dans la jurisprudence romaine une mesure de
protection générale à l'égard des mineurs, contractant
seuls ou avec le concours des personnes chargées de
veiller à l'administration de leur patrimoine.
CHAPITRE II
Caractères de la restitutio in integrum. -
Condition.s
auxquelles ont peut l'accorder .
.
La restitutio in integrum est un ·acte émanant de la
toute-puissance du préteur, et qui consiste à rétablir
dans des droits préexistants, des personoes qui ont de
justes motifs pour .regret.ter de s'être engagées dans un
contrat. Ce qui la caractérise, c'est l'arbitraire,. c'est la
latitude de pouvoir accordé au magistrat chargé de la
prononcer. Le magistrat qui statue sur une demande en
restitution ne juge pas, il commande, et son pouvoir
d'appréciation ne re11contre pas d'autres limites que
l'équité elle-mârne. Il résulte de là que la partie qui de-:
mande la :restitutio n'y a Jamais aucun droit dans le
sens strict du mot; elle ne peut la réclamer que comme
une laveur. Le préteur reste toujours le maître d'apprécier si la restitutio prononcé~ serait conforme ou contraire à l'équité, et de la rejeter dans ce dernier cas. (L.
24, ~ ~. Dig. IV, 4, L. '16. Dig. IV, 6.)
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Les conditions auxquelles on subordonne la restitutio
in integrum sont au nombre de deux. Il faut:
1° L'existence d'une lésion.
2° L'absence d'exceptions légales qui la rendraient
inadmissible m3mc avec l'existence d'une lésion.
SECTION 1
EXISTENCE D'UNE LÉSION
La première circonstance pour qu'un mineur soit restitué, c'est qu'il ait éprouvé un préjudice: minor restituitur non tanquà.m minor, sed tanquà.m lœsus. Le fait
même de la lésion suffit, et il n'est pas besoin de prouver
l'existence de la fraude. Cette nécessité d'une lésion est
indiquée par une foule de textes, .et nous pouvons citer
quelq.ues-unes des 'expressions employées par les j urisconsultes: Circumventus, Dammzm grande passus, Captus (Lois 3, e6, 7, e3, 9 p. 49, 44, '11, e3. IV, 4). On pourrait être tenté de croire, en présence de ces expressions,
que les textes appliquent à chaque instant aux mineurs
restituables, qu'il est nécessaire pour que la restitution
soit admise qu'il y ait eu dol de la part du tiers avec lequel le mineur a contracté. Mais ces mots qui semblent impliquer une idée de .fraudé, se rapportent en réalité à la simple lésion. La condition essentielle, indispensable pour qu'il y ait lieu à restitution. c'est la lésion . .
Si donc le mineur a éprouvé un préj 1Jdice, la restitution
est admissible, même en l'absence de manœuvre frauduleuse de la part de l'adversaire. Au contraire, la for_tune du mineur est-elle restée intacte, la restitutio
doit être écartée, alors même que la partie adverse au-
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rait commis une fraude. Ces deux points sont certains :
les lois 9, ~4, Dig. XII, 2, et 7, ê1, Dig. XLIV, '1, sont de
nature à faire disparaître toute hésitation à leur égard.
En quoi doit consister cette lésion? Il y a lésion tout
d'abord lorsqu'il y a une diminution du patrimoine. Que
faut-il décider au cas où le mineur sans rien perdre de
son patrimoine a négligé d'acquérir? Il faut prendre le
mot lésion dans son sens le ph1s étendu, et mettre sur
la même ligne et la diminution réelle du patrimoine, et
la diminution provenant d'une omission d'acquérir. Plu..:
sieurs textes confirment celte manière de voir : Ulpien,
L. 7, ê 6, Dig. IV, 4: Hodie certojure utizmzr, ut et iulucro minorilnzs succura.tur; Paul, L. 27, .Dig. IV, 6:
Et sive quid a.miserit vel hzera.tus non sit, restitutio fa.cienda. est, etia.msi non ex bonis quid a.mi6sum sit. D'autres lois pourraient encore être citées à l'appui de notre
affirmation (L. L. 7, ê 8, H pr., 44 et 31$, Dig. IV, 4).
Il est donc constant qu'à l'époque de Paul et d'Ulpien la
restitution est admise alors même que le mineur a simplement négligé d'acquérir. Par exemple : si dans une
vente aux enchères, l'offre du mineur a été couv!')rte, il
pourra obtenir la restitution s'il prouve qu'il a*ait intérêt à acquérir la chose vendue, et dans ce cas cependant la ·1ésion consiste uniquement dans l'abandon d'un
gain (L. 31$, Dig. IV, 4).
Toutefois on ne restituera pas au mineur les avantages
qui peuvent résulter de l'exercice d'une action pénale,
par ·exemple de l'action d'injure qu'il a oublié d'exercer
(L. 37 p., Dig IV, 4). ·Mais si un mineor a répudié à la
légère une succession, tant que les choses seront entières, il pourra être restitué ; que s'il se présente après la
vente des biens héréditaires, toutes affaires termin ées,
pour recueillir le fruit des peines que s'est données
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l'héritier qui a accepté à sa place, il doit être écarté (L.
ê2, Dig. IV, 4).
La restitution pourra-t-elle être accordée lorsque la
lésion a été causée par le dol ou par la faute du mineur?
.Ulpien dans la loi 9, ê 2, Dig. IV, 4, pose la questio 11 et la
résout contre le mineur: Et placet in delictis minorilnzs
non suhveniri; à titre d'exe mple le texte cite le vol. Le
volé a contre le voleur, majeur ou mineur, l'action furti
et Ja conditio furliva par lesquelles le voleur subit un
préjudice assez consid érable, dans le cas surtout où il
a perdu _ou dissipé la chose volée. Or, jamais le voleùr
ne pourra se faire restituer contre les conséquences du
vol qu'il a commis. Toutefois, a1oute le texte, si le mineur a subi une C'.)ndamnat1on au double ou au quactruple qu'il eût pu éviter en avouant sa faute et en transigeant, il pourra obtenir la restitution·contre la sentence
qui le condamne. Et c'est juste, car alors le mineur est
restitué contre une omission qui n3 consfüue pas un dol
de part.
rodrnit
en
souvent
Il ~s t un fait qui se produisait
main, c'est le cas où le inineur qui cont1:acte a affirmé
avoir âtteint l' œtas légitima. Que décider? c'était. un véritabl e vol, d'autant plus que les tiers à Rome ne pouvaient pas co:1trôl er efficacement l'allégation du mineur.
Et alors conformément au principe posé, la restitution
ne pouvait être demandée par le mineur délinquant.
(L. 43, D1g. IV, 4; L. L. t, 2, 3 C. Il, 43). Il ne faut pourtant
pas être excessif, et si le mineur a ignoré lui-même son
àge, la restitutio sera admissible. Mais, si même étant
de bonne foi, le mirieur a accompagné son affirmation
du serment, il ne jouira pas de ce bénéfice. (L. 3 in fine
24,
sa
C. II, 43).
La simple faute du mineur ne lui est point opposable,
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et la lésion produite par sa faute ne fait point obstacle à
la restitution, alors même que le mineur aurait dû ou
aurait pu prév.01r au moment du contrat les circonstances qui donnent lieu à la lésion : Minori vigin ti quinque annis succurretur, etiamsi scierit. (L. 4, Dig. XXII,
6). En décidant ainsi, le jurisconsulte se conforme au
but de rinstitution, la théorie de la restitutio min.arum
ayant été créée spécialement pour r.éparer les fautes que
le mineur pourrait commettre par suite de sa légéreté
ou de son inexpérience.
La -restitutio ne sera pas accordée si la lésion est produite par cas fortuit (L. H, ~ 4, Dig. IV, 4). Rt le texte
cite comme exemple le cas d'un e:,;clave acheté par un
.mineur: si l'esclave vient à décéder par cas fortuit après
la vente, il n'y a pas lieu à restitution. Autre exemple:
une hérédité opulente s'est ouverte au profit d'un mineur qui a fait adition d'hérédité. Mais postérieurement
à l'adition, la plupart des valeurs composant l'actif héréditaire ont disparu: les maisons ont été détruites par'
le feu, les esclaves ont pris la fuite, les débiteurs sont
devenus insolvables. Le mineur pourra-t-il obtenir la
restitutio contre son adition ? Julien résout la question
par l'affirmative; mais Marcellus n'admet pas cette so- ·
lution qu;il considère comme erronée, et il décide que
dans ce cas la restitutio ne peut être accordée. Cependant si le mineur, en acceptant, a commis un acte imprudent, si par exemple l'hérédité se composait de valeurs sujettes à dépérir, et si d'ai lleurs le passif était considérab le, il n'y ayait aucun motif pour refuser la restitutio: on peut ators dire que la lésion résulte de l'i11consulta facilitas juveniutis.
11 n'y. a pas lieu non plus à une restitutio, si le fait
d'où résulte la lésion, bien que librement consenti par
�-
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le mineu1-, consiste dans une obligation légale. Si c'est la
loi même qui cause le dommage, le mineur n'a pas à se
plaindre. C'est, par exemple, un mineur créancier qui
divise son action contre des fidéjusseurs solvables au monient de la Jitis contestatio : ce même mineur ne pourra
pas se plaindre de l'insolvabilité postérieure de l'un d'en tre eux, car la constitution d'Adrien l'obligeait à cette
division (L. l".H, ë 4, Dig. XLVI, 1).
Le préjudice peut avoir été occasionné par le dol ou
par la faute du tuteur ou du curateur, sans que ni le tiers
ni le mineur n'aient rien à se reprocher. Ce fait a-t-i l
une influence sur la restitution? Indirecterpent, il est évidemment de nature à diminuer les chances de restitution
si la fortune des tuteurs et curateurs est ·suffisante pour
garantir le mineur. Mais, en principe et abstraction faite
du recours contre le tuteur, la restitution est admissible
dans ce cas, lorsque l'action accordée contre les tuteurs
ou curateurs ne donn~rait pas pleine satisfaction au mi neur.
La lésion qui donne lieu à la restitutwn peut se produire dans la plupart des rapports de droit, par exemple au sujet des droits de famille, des obligation;;, du
droit de propriété, des jugements, des actes de procédure .
Nous allons parcourir quelques espèces.
Pour les droits de fami Ile, les cas de restitution seront
rares; cependant, la restitution pourra ètre accordée au
mineur contre son adrogation, si elle lui est préjudiciable
(L. 3, ë 6, Dig. IV, 4).
Pour les droits de propriété, si une usucapion s'est
accomplie au préjudice du mineur ou s'il a perdu une
servitude par le non-usage, il pourra se faire restituer
contre ces lésions ( L. 41J, Dig. IV, 4 - L. 1, au C., Liv.
II, XXXVI).
'
�-
i!
t9 -
En ce qui touche la prescription, pour le fils de famille
tant qu'il est en puissance, il n'est pas libre et doit recueillir
les bénéfices de la règle : contra. non valentem agere non
currit prescriptio. Et, quant aux biens qui viennent au
fils de famille de sa mère, la prescription ne court contre
lui que lorsqu'il est sorti de la puissance parternelle (L.
1, ë2, Cod.VII, 40). S'il s'agit d'un pupille, aucune prescription ne court contre lui. Lorsque plus tard, au bas
Empire, on eut créé les longues prescriptions, s'introduisit cette différence qui fit courir celles-ci contre les mineurs, tandis qu'ils étaient à l'abri des prescriptions plus
courtes.
Pour les droits de succession, on accorde la restitutio
p.our une acceptation ou pour une répudiation faites dans
des conditions qui peuvent compromettre les droits du
mineur (L. 7, ë t>; L. 24, ë 2, Dig. IV, 4).
En matière d'obligation, la restitutio est accordée au
mineur, qu'il s'agisse d'une vente, d'un achat, d'un em'prnnt dont le mineur a dissipé les deniers, d'une transaction ou d'1,me constitution de dot faite par une fille mineure à des conditions désavantageuses (L. 7, ë 1 et 3 L. 34, ë1 - L. 48, ë 2, Dig. IV, 4). Ce que nous venons
de dire doit s'appliquer aussi aux paiements faits par le
mineur d'une dette non due ou contestable, ou d'une
dette à terme dont 'l'échéance n'était pas encore arrivée
(L. 7, ë 7, Dig. IV, 4). Même décision aussi, si le mineur
a fait une novation désavantageuse (L. 27, ë 3, Dig. IV,
4). De même si, débiteur de choses alternatives à son
choix, il a payé la plus précieuse, ou si, légataire et jouissant d'.un droit d'option, il a choisi entre deux objets le
plus mauvais.
Le bénéfice de la restitutio devra aussi être accordé
si, un paiement ayant été fait entre les mains du mineur,
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la somme a été perdue ou dissipée. C'est comme pour
le prêt. Mais, dira-t-on, c'étail là une situation.intolérable pour les débiteurs. On chercha de bonne heure à les
protéger contre 10s dangers de la restitutio. On les autorisa à payer entre les mains d'un curateur (Insi. I, 23:
ê 2); le débiteur ne pouvait demander le curateur luimême, mais il pouvait refuser de satisfaire l'adulte jusql!-'à ce qu'il en e:ùt fait la demande : adhibere debet curatorem ut ei so"Jvatur pecunia (L. 7, § 2, Dig. IV, 4);
et même nous voyons, clans une. Constitution de Gordien, que si le pupille néglige cle demander le curateur,
le débiteur est autorisé à le demander (L. 7 au Cod. V,
3'1). Plus tard, la débiteur fut autorisé à déposer l'argent
dans un temple (L. 7, Dig. ê 2, IV, 4). Enfin, Justinien
supprima la res.titutio quand le débiteur avait payé entre .
les mains du tuteur ou du curateur a.près avoir obtenu
préalablement un décret du magistrat (L. 2o, Cod. V, 37).
Problablement, !'Empereur, touché de la situation pré-·
caire des débiteurs, voulut y porter remède en leur fournissant un moyen de s'acquitter définitivement et sans
avoir à craindre aucun re'COurs (Inst. de Just., L. II,
t. VIII).
Les exemples de la restitution se rencontrent encore
dans les actes judiciaires. Quel que soit le rôle qu'il ait
joué au procès, le mineur peut invoquer le secours du
préteur: In judiciis subvenitur, sive dum agit, sive
dum convenitur captus sit (L. 7, ê 4, Dig. IV, 4). Les ·
exemples de restitutio devaient être nombreux dans l'ancien droit oü les règles étaient aussi formalistes qu'inflexibles, et où une simple méprise et la plus petite .omission pouvaient faire perdre un droit. Plus tard, sous la
procédure formulaire, la restitutio est encore utile pour
le mineur qui n'a pas produit une pièce au procès, qui a
�- 21 -
fait défaut, ou qui a laissé passer sans en profiter les
délais d'appel (L. 7, ë H et 12, L. 8, Dig. IV, 4). On peut
accorder la restitutio contre une restitutio précédemment accordée. Mais quelquefois cette restitutio sera
remplacée par une simple exception. C'est par exemple
une vente contre laquelle le mineur s'est fait restituer ;
puis le mineur regrette de s'être fait restituer, et désire
maintenir le contrat primitif. Serait-il obligé de s'adresser de nouveau au préteur? Non, il suffira lorsque l'acheteur intentera l'action (judicati) pour se fa1.re. rendre
le prix qu'il a payé, de le repousser par une exception.
Car, dit le texte, chacun est libre de renoncer à un bén éfice qui est.établi dans son intérêt. (L. 4'l, Dig. IV, 4)
Nous devons encore nous demander avant d'aller plus
loin si, pour faire admettre la restitution, la lésion doit être
importante, ou bien si toute lésion considérable ou non
suffit pour la faire admettre. Nous croyons que le préteur était seul juge du degré de gravité que la lésion devait atteindre. Il devait cependant user d'un certain
tempérament dans son appréciation : de. !J1Înimis non
curat prœior, dit l'adage. (L . 2, ë 1, Dig. IV, 4; L. 4,
Dig. IV, 1).
Nous devoris nous demander maintenant dans quels
cas il y a obstacle à la restitution.
SECTION Il
ABSENCE D'AUTRES REMÈDES QUE LA
Restitutio.
En créant la restitutio minorum, !~préteur avait voulu
donner au mineur un moyen d'écarter la lésion occasionnée par l'application pure et simple des règles du droit
2
�- 22 -
civil; mais ce but serait évidemment dépassé si la restitutio était admissiblr., lorsque les ressources du droit
ci vil lui-même suffisent à réparer le préjudice souffert.
Dans ce dernier cas, l'intervention du magistrat ne se justifierait plus, car elle tendrait à supplanter le droit civil
au lieu de le corriger, ou de suppléer à son silence; tout
au moms le secours du droit prétorien ferait-il double
emploi avec le secours du droit civil. De là cette condition que la restitutio ne peut être accordée qu'en l'absence de toute voie de droit ou ri' une voie équivalente:
Minar si communi auxilio et mero Jure munitus sit,
non debet ei tribui extraordinarium auxilium. (L.16 p.
Dig. IV, 4). La restitut!on apparaît donc comme un
moyen subsidiaire; mise à l'écart chaque fois qu~ le
droit civil protège efficacement le mineur, elle reparaît
quand la protection du droit civil fait défaut.
Nous allons voir de nombreuses applications de cette
idée.
Ainsi on ne demandera pas la i·estitut10 contre les
aliénations ou obligations émanant d'un impubère,·parce
que ces actes-là sont nuls de droit. Il n'y aura pas non
plus de restitutio contre la vente d'un immeuble rural
faite par le tuteur ou par le curateur sans le décret du
magistrat, en violation du sénatus-consulte rendu sous
Septime-Sévère, et depuis la constitution de Constantin
contre toute aliénation des' objets du mineur faite sans
nécessité. De même, pour les prescriptions de moins de
trente ans, comme elles ne coµrent point contre le mineur, il n'avait pas besoin de demander un secours extraordinaire au préteur. De même encore pour les obligations contractées par le mineur sans l'assistance de son
curateur, ces obligations dans le dernier état ch: droit (Demangeat, L. 'l, p. 400) étant nulles de plein droit, la restitutio n'eût pas été admise.
�- 23 -
Voilà donc le principe établi. Et cependant le texte
d'Ulpien, que nous avons cité plus haut, semble être
démenti quelques lignes plus loin. (L. 16. ë2 au même
titre). Il semblerait y avoir, d'après ce texte, un cumul
entre la condictio incerli et la restitutio in integrum.
Voici l'espèce prévue par le ë 2. Un héritier avait été
ehargé de restit.uer à sa nièce certains objets qui doivent
lui faire retour au cas ou le fidéicommissaire viendrait à
décéder sans enfants. L'héritier meurt et son héritier se
fait promettre par la fid éicommissai're les mêmes objets
pour le cas où la condition prévue par le fidéicommis
viendrait à se réaliser (c'est-à-dire si la jeune fiile meurt
sans enfants avant l'héritier de l'héritier). Cette promesse
rnanque de cause, car l'intention du défunt était de gratifier son b éritier et non pas l'héritier de ce dernier. Mais
comment la faire disparaître? Ariston donnait la restitutio in integrum, et Pomponius qm reproduit cette décision observe qu'en pareil cas un majeur aurait la condictio incerti. Or, si un majeur obtient la condictio incerti, il est évident qu'un mineur doit l'obtenir lui aussi.
Comment donc concilier ces deux textes avec ceux qui
disent expressément qu'on n'obtient la l'estitutio qu'à défaut de tout autre moyen de droit commun. Y a-t-il là
une contradiction, et faut-il admettre le cumul de la
condictio avec la restitutio?
Di vers systèmes ont été proposés.
D'après une première opinion, Ariston pense qu'il y a
lieu à restitution, mais Pomponius faisant observer que la
condictio, c'est-à-dire une action de droit civil, pouvant
être exercée dans le même cas par un majeur, peut l'être
à plus forte raison par un mineur, tire cette conséquence
que la restitutio ne peut pas être obtenue.
Ce système parvient bien à mettre notre texte d'accord
�- 24-
avec les autres; seulement pour arriver à ce résultat, il
donne au verbe adjicit (qui exprime un complément d'idées) le sens du verbe objicit (qui exprime un objection).
Et, du. reste, la fin du texte établit un contraste entre le
cas où l'ipsum jus protégeant la partie, elle ne peut être
restituée, et le cas où ayant seulement une condictio, il
lui est permis d'invoquer la restitution. Non enim ipso
jure, sed etiam pe.r condictionem munitus est.
Un second système explique historiquement cette décision. Ariston était un ancien jurisconsulte, et de son
temps la condictio n'avait pas encore reçu. toutes les
applications qu'on lui donna par la suite. Aussi dans le
cas qui nous occupe, Ariston ne donnait-il que la Pestitutio in integrum.- Plus tard, on entrevit la possibilité
d'employer la condictio incerti, et tout en reconn.aissant
au mineur ce moven de recours, on laissa subsister l'an"
cien à côté.
Ce système doit être repoussé, car il repose sur plusieurs erreurs. D'abord, Ariston connaissait de son temps
la condictio: il vivait sous Trajan, et Pomponius, qui
dans notre espèce applique la condictio, vivait sous
Adrien, c'est-à-dire à l'époque qui suivit immédiatement
le règne de Trajan. On peut donc, sans trop s'avancer,
dire que la condictio était déjà connue du temps de Trajan. Et puis cette opinion n~ explique pas la dernière
phrase du texte: non enim ipso jure, sed per condictionem munitus est.
Une troisième opinion, qui est celle de M. de Savigny,
soutient qu'il n'y a pas ici d'exception à la règle et que
la restitutio est aussi accordée parce qu'elle offre plus
d'avantages que la condictio incerti. Le savant auteur
enseigne que la règle en vertu de laquelle le mineur ne
peut demander la restitutio quand ses intérêts sont ga-
�..
- 25 rantis ipso jure, ne s'applique pas au cas où, indépendamment de la restitutio, la partie lésée a une action
ordinaire, mais qui lui offre une protection moins complète et moins sûre.
Nous nous rangeons à ce système qui nous paraît plus
conforme au texte et à l'esprit de la loi . D'abord, Pomponius nous paraît poser un principe général, et puis
Ulpien, dans le principium de la loi '16, refuse au mineur, déjà protégé par le droit commun, un secours
extraCJrdinaire lorsqu'il n'fm a pas besoin. Le secours du
préteur est superflu, « supervacuizm, » dit un rescrit des
empereurs Dioclétien et Maximilien (L. H, au Code V, 71).
Mais quand le droit civil ne protège pas le mineur aussi
efficacement que le droit prétorien, le motif sur lequel le
principe s'appuie n'existant plus, le principe lui-même
doit aussi cesser de s'appliquer. Les termes d'Ulpien,
«non enim ipso jure, sed per condictionem zmrnitus est,»
inexplicables avec les autres systèmes, ne peuvent se
justifier que dans le système de M. de Savigoy. Cette
phrase a pour but d'expliquer le concours de la restitution
prétorienne et d'une action de droit civil. D,.après le. jurisconsulte, le mineur est protégé par une condict~o, et non
pas ipso jure. Les mots ipso jure sortent ici de leur
signification ordinaire : en général ils sont opposés à
une action de droit prétorien, ici ils sont oppos·és à un ·
moyen de droit civil. Le jurisconsulte veut dire que si
l'acte était nul, ipso jure, la restitution serait inutile; il
su.ffirait d'invoquer la nullité de l'acte pour le faire tomber. Mais ici la nullité n'est pas absolue, il faudra passer
par toutes le~ phases et par toutes les difficultés d'un procès
pour n'obtenir, grâce au système formulaire encore en
vigueur, qu'une condamnation purement · pécuniaire. Il
vaut mieux par une cognitione prœtoriâ obtenir l'annula-
�- 25 -
tion de sa promesse et rentrer de pla.no dans sa condition
antérieure.
La restitutio était donc sous tous les rapports plus
favorable au mineur que la condictio incerti. Aussi lui
donnait-on le choix entre ces deux voies de recours.
C'est en vertu des mêmes principes qu'on permet aux
. mineurs lésés par l'imprudence de leµrs tuteurs ou curateurs d'opter entre la restitutio in integrum et l'action
tutelœ aut nf7gotiormn gestormn (L. 39, e 1 - 40, e'l,
Dig. IV, 4 - L. 2o, Dig. XXVI, 7 - L. 20, e 1, Dig.
XXVII, 3- L. L. 3 et o, Cod. Il, 2o) . Il est, en effet, bien
plus avantageux pour eux d'obtenir tout de suite le rétablissement de l'état de choses antérieur, en montrant
qu'ils ont souffert un préjudice, que de prouver, aveç
les lenteurs et les difficultés de la procédure ordinaire,
que leurs tuteurs ont élé négligents ou imprudents. Et
même il arrivera que le résultat sera différent pour eux
dans bien des cas. C'est, par exemple, une aliénation
malheureuse faite par un tuteur ou par un curateur. En
actionnant son 'tuteur ou son curateur, le mineur n'obtiendrait que des dommages-intérêts, tandis que, par la
restitutio, il rentrera en possession des objets aliénés.
D'après certains textes (L . 40, et, Dig. IV, 4 - L. 3,
Cod. Il, 20), les mineurs doivent actionner d'abord leurs
tuteurs et curateurs et recourir à la restitutio dans le cas
seulement où ils sont insolvables. De là, certains auteurs
ont soutenu que l'insolvabilité était une condition nécessaire pour autoriser le mineur, dans ce cas, à invoquer
la reslitutio . Nous ne croyons cette doctrine vraie que
pour les mandataires ordinaires qui, d'après les principes
du Droit romain , ne représentent pas le mandant et ne
s'identifient nullement avec lui. Ceux qui traitent avec
les tuteurs ou les curateurs sonl supposés traiter réelle-
�- 27 -
ment avec le mineur, et doivent être atteints immédiatement par la restitutio.
La restitutio in integrum ne met pas le mineur à l'abri
des conséquences des délits publics et privés dont il
s'est rendu coupable. Si donc il a commis un vol, ou s'i l
a injustement causé un dommage, il sera condamné
comme s'il était majeur. Son àge seul pourra motiver
une atténuation de peine : Nisi quatenùs interdùm miseraûo œtatis ad mediocrem pœnam judi1;em produxerit. Il en serait antrement, et on ferait une exception,
si le mineur avait commis un délit sans intention, par
exemple s'il avait omis de bonne foi de payer les droits
de douane. C'est dans ce sens qu'il faut entendre la loi
1 au Cod. Il, 3~ : Si tamen délictum non ex anima sec/
extrà venit, in integnzm restitutionis auxilium competit . .
Quelques auteurs, et parmi eux Cujas, ont pensé autrement, et ils corrigent ainsi le texte que nous venons de
citer : Si delictum non ex anima, sed ex contracta venit ... Le ,sens que donne cette correction n'est point préférable: pourquoi le mineur. serait-il innocenté par cela.
seul que le délit a été commis à l'occasion d'un contrat?
Et puis, cette assertion · serait en opposition manifeste
avec ces mots du texte : malorum mores infirmitas
animi non excusat.
Inadmissible aussi la restitution pour les obligations
résultant de contrats, si le mineur s'est rendu coupable
de dol. Malitia supplet œtatem, disait-on à Rome. Ainsi,
le mineur de vingt-cinq ans qui s'est laissé vendre comme
esclave pour partager le prix de la vente subira la peine
édictée par la loi. De même, celui qui, connaissant sa
condition, a trompé son co-contractant en se faisant passer pour majeur, restera soumis à toutes les suites de
�- 28 -
son obligation (L. 9, ëë 2 et 4, Dig. IV, 4 - L. L. '1 et
2, Cod. II, 43).
· Il est des exceptions qui sont tirées du caractère d'irrévocabilité de l'acte: Rentreraient dans ce cas le mariage ou un affranchissement accompli. Ainsi, la vente
d'un esclave ne pouvait être annulée si cet esclave avait
été affranchi par l'acheteur; tout ce qu'on pouvait faire,
c'était de donner au mineur une action en dommagesintérêts (L. 9_, ê 6 - .L. ·48, ê 1, Dig. IV, 4). Mais lareslitutio était admise contre les affranchissements futurs.
Ainsi, un mineur qui a vernlu son esclave, sous la condition d'être affranchi, obtiendra sa restitutio pourvu qu'il
forme sa demande avant la manumission (L. H, ë1 L. 33, Dig. IV, 4). Pour le mariage, non plus, pas de
restitutio. Du reste, les Romains avaient la faculté d'user
du divorce, et l'on sait avec quelle facilité ils en usèrent.
Si le mineur avait promis sous serment de ne pas attaquer l'acte, il était non recevable à demander la restituth (L. 1, C. II, 28).
La restitutio ne s'appliquait pas à ceux qui avaient obtenu la vœnia œtatis. La vœnia œtatis était une sorte
d'émancipation, que !'Empereur poqvait seul accorder,
qui affranchissait le mineur de l'assistance des curateurs, lui permettait de contracter et d'administrer librement sa fortune,· et lui enlevait tout droit à la restitutio
in integrum. Il fallait, pour les hommes, avoir atteint
l'âge de vingt ans et, pour les femmes, celui de dix-huit
ans, si on voulait obtenir ce bénéfice. Néanmoins, le mineur restait toujours soumis au sénatus-consulte de Sepli me-Sévère, qui lui défendait soit d'aliéner, soit d'hypo1héquer ses immmeubles ruraux ou suburbains sans un
décret.
Voilà dans quels cas la restitutio était interdite aux
�- 29 -
mineurs. Toutefois, même dans ces hypothèses, !'Empereur pouvait encore venir au secours du mineur : princeps legihus solutus est.
CHAPITRE III
Par qui peut être demandée la restitution. - Contre
quelles personnes elle peut être intentée. - Qui doit
faire la preuve de la lésion.
SECTION I
PAR QUI DOIT .ltTRE DEMANDÉE LA RESTITUTION
La restitution peut être demandée par le mineur
et par ses héritiers ; ~elle µeut l'être aussi par ses cessionnaires ou par ses fidéjusseurs.
I. - Examinons d'abord le cas ou c'est le mineur qui
intente la demande. Il peut invoquer le secours tj.e la restitution soit par lui-même, soit par un mandataire muni
d'une procuration spéciale (L. 2Q, ê'1, Dig. IV, 4. -L. 1,
Code Il, 49). Cette protection est accordée à tous les mineurs sans distinction : qu'ils soient sui juris ou alieni
juris, la protection est la même. Au cas où un mineur
est sous la puissance du père de famille on pourrait craindre que l'unité de patrimoine ne fit profiter le paterfamilias des bénéfices résultant de la restitution. Mais le
�•
-
30 -
préteur protège le fils et non le père, et en aucun cas la
restitution ne doit profiter à ce dernier. Aussi Ulpien
après avoir dit (L. 3, ~ 4, Dig. IV, 4) que le préteur s'est
proposé de protéger les mineurs et non pas les majeurs,
pose en règle que la restitution sera accordée aux fils
de famille toute3 les fois qu'ils y auront intérêt, et que
seuls ils devront en retirer le bénéfice. Ceci posé, parcourons quelques espèces.
Un fils de famille reçoit un legs ou un fidéicommis à
cette c mdition qu'il ne pourra le réclamer qu'à la mort du
. paterfamilias, ou une donation attachée exclusivement
à la personne. (personœ cohœrens) corr.me un jus militiœ; il pourra dans ces hypothèses se faire res-tituer
s'il a compromis ses droits (L. 3, Dig. ~ 7, IV, 4).
Le fils de famille propriétaire de son pécule castrans
peut se faire restituer contre tous les actes relatifs à
ce pécule, quasi in proprio patrimonio captus. Dans
tous ces cas le mineur est restitué, la chose ne tait
aucun doute. Où la question devifmt plus difficile, c'est
au cas où le mineur a fait par ordre de son père un
acte quelconque, ou un acte qui n'engage que son pécule ordinaire, car ce pécule appartient à son père. Il ·
y avait sur ce point divergence d'opinions entre les
jurisconsultes romains. Gaïus accordait la restitution au
fils d'abord, puis au père comme intéressé au pécule
(L. 27 p. D. IV, 4). Ulpien faisait une distinction: si le
le père était poursuivi par l'action quodjussu ou de peculio, il n'avait droit à aucun secours; si au contraire,
c'est le fils qui est attaqué, il pouvait demander la rC!stitutio par la raison qu'une condamnation aurait pu lui
être préjudiciable. Et le jurisconsulte ne se laisse pas
arrêter par cette raison que ce sera toujours le fils qui
subira le dommage puisque, si le père est actionné, il
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paiera avec le pécule du fils, dont il a l'entière disposition. Pour lui, l'intérêt du fils est un fait plutôt qu'un
droit: Nec eo movenwr quasi intersit fllii peculium habere ; magis enim patris quàm filii interest. (L. 3,
ë 4,
Dig. IV, 4) .
On a controversé le point de savoir si, au cas de
mutmzm contracté 5ur l'ordre du père, le fils de famille a
droit à la restitution, ou si l'on doit voir ici une exception aux principes (L. 3, ë 4, Dig. IV; 4). Ulpien se pose
d'abord la question de savoir si la restitution est possible pour les obligations contractées par le fils de famille,
et il rép.ond que le fils sera restitué toutes les fois qu'il y
aura intérêt, et que la restitutio ne profitera pas au père.
Cette obligation peut avoir été contractée avec ou
sans le secours du père. Au cas o~ elle a été contractée avec le secours du père, le fils pourra obtenir la
restitution, mais Je père ne pourra pas en profiter . .Puis
lejurisconsulte·ajoute cette phrase sur laquelle porte toute
la controverse: Si igitur filius con veniatizr creditor
auxiliwn cessat, excepta mutuâ datione: IN HAC ENli\l sr
JUSSU PATRIS PECUNIAi\I ACCEPIT, NON ADJUVATUR.
Se fondant sur ce texte et aussi sm la loi 2 au Code
Il, 23, conçue en ces termes : Si frater tizus, cizm mutuam pecuniam acciperet, in patris foit potestate, nec
Jussu ejus, nec contrà senatus consultum contractum
est, propter lubricum œtatis adversùs eam cautionem in
integrum restitutionem potuit postulare. Ainsi, dans
cettr. opinion, le texte du jurisconsulte d'un côté, et la
constitution impériale de l'autre, semblent s'accorder pour
refuser au mineur, dans l'hypothès ~ d'un 111utmzm, le
bénéfice de la restitutio in integrum. Et Cujas expliqu e
cette anomalie en disant que le sénatus-consulte Macédonien tra,itait assez rigoureusement ceux qui prêtaient
�-
32 -
en secret aux fils de famille, pour qu'on montrât quelque
faveur à ceux qui ne violaient pas ses défenses, et qui
ne voulaient prêter au fils qu'avec le consentement du
père.
M. de Savigny combat cette idée. Il part de ce point
que le fils de famille, mineur de vingt-cinq ans, doit
toujours être protégé, et il se demande pour quelle raison on aurait fait une exception pour le mutizum. Arrivant à l'argument de textes, le célèbre jurisconsulte
donne pour ~ujet au verbe « adjuvatur » le mot pa'ter,
et non pas filius ; et comme la négation non placee avant
adjuvatur l'embarrasse, il la déplace, et propose de lire
ainsi la phrase : Si non jussu patris, pecuniam accepit (fllius), adjuvatur (pater). Et si 'cette correction effrayait certains esprits, M. de Savigny en propose
immédiatement une autre: il fait mettre les mots « non
nisi :ri avant ces autres (( jussu patris ,, . On lira donc
avec cette nouvelle version : Si (filius) · · non nisi jussu
patris, pecuniam accepit, non adjuvat11r (pater) . Dans
le système de M. de Savigny, c'est au père et non au
fils que se rapporterait la phrase en question, et elle
ferait allusion. non pas à l'in integrum restitutio qui doit
s'appliquer au mutrzum comme à tout autre açte passé
par le mineur, mais à_ l'exceptio senatûs-consulti Macedoniani spéciale au prêt d'argent, et qui peut être invoquée par le père aussi bien quti par le fils. Et dans
ce cas, le texte doit être ainsi traduit: t< Si c'est le fils
qui est poursuivi, il faut dernander la restitution; si c'est
le père, il n'a droit à aucun secours, à moins qu'il ne
s'agisse d'un prêt d'argent; car en ce cas l'exception
protectrice qui résulte du S. C. esl refusée au pèt'e, seulement quand c'est par son ordre que l'emprunt a été
contracté. »
�-
33 -
Quant au rescrit de l'empereur Gordien, si l' empereur suppose que l'emprunt n'a point été ordonné pai'
le père, c'est sans doute parce que les choses se sont
ainsi passées dans respèce qui lui était soumise; mais
peut-être que .s ans cette circonstance la décision eût été
toute autre.
Enfin l'on conçoit qu'à l'égard du père on distingue
s'il a autorisé l'emprunt, ou s'il ne l'a 'pas autorisé, pour
lui refuser ou pour lui donner l'exceptio S. C. Macedonia.ni. Mais cette disposition crsse d'être juste à l'égard du fils.
De ces deux opinions laquelle choisir? la première qui
est la plus simple. Je n'aime guère ces doctrines compliquées qui transposent, effacent ou suppléent arbitrairement des expressions gênantes pour les auteurs dans
l'e11.plication d'un texte. Surtout alors qu'il n'est pas
nécessaire de faire subir un tel martyre au texte qui
nous occupe, pour lui trouver un sens raisonnable .
Ulpien s'occupe tour à tour du fils de famille qui s'oblige avec ou sans l'ordre du père : proinde si jussu
patris ...... proinde ET si sine jussu patris ..... Dans la
première proposition il devait nécessairement examiner
le mutuum contracté par le fils avec l'ordre du père,
et son influence sur le droit qu'a le mineur de dema·nder la restitution. Par conséquent, le mot fllius
est le sujet du verbe non adjuvatur; la particule et relie
les deux parties du texte. La supprimer c'est détruire
la relation qui existe entre le premier proinde et le second, et partant toute l'harmonie du texte.
Quant à l'explication que donne M. de Savigny de
la loi 2 au Code II, 23, elle est fort périlleuse. Il faudrait, si on l'admettait, aller jusqu'à dire que les mo.tifs sur lesquels reposent les rescrits changeant avec
�-
34 -
les diverses espèces qui les motivent, n'ont aucune sorte
de valeur, et ne peuvent servir de base à aucun argument.
Avant d'en finir avec les mineurs, nous devons nous
demander si le mineur de vingt-ciriq ans esclave est
admis à invoquer la restitutio. Au premier abord il
semble que non, puisqu'il ne s'oblige jamais par ses contrats: le défaut d'intérêt doit rendre pour lui la restitutio inutile. Cependant, il y avait un cas pour lequel la
restitutio de l'esclave pouvait se présenter: c'est lorsqu'un esclave, à qui le maître eût dû donner immédiatement la liberté en vertu d'un fidéicommis, se trouvait lésé par suite d'un retard apporté à l'exéüulion de ce
fidéicommis (L. 0, Dig. IV, 4) .
Le préteur accordait le secours de la restitutio aussi
bien aux mineurs pourvus d'un curateur qu'à ceux q.ui
n'en avaient pas. En effet, ceux qui étaient placés en
curatelle ne devenaient pas pour cela incapables d'agir
seuls; ils pouvaient s'obliger sans l'assistance de leur
curateur. C'est ce que dit Modestin en termes formels
(L. '10'1, Dig. XLV, 1): Puberes sine curatoribus suis
possunt ex stipulatu obligari.
Mais nous trouvons une décision contraire dans un
rescrit des empereurs Dioclétien et Maximien (L. 3, Cod.
II, 22). Ces empereurs disfü1guent si le mineur a ou n.,a
pas un curateur général. S'il a un curateur général,
l'acte qu'il fait seul est nul, et par conséquent la restitutio est inutile. S'il n'a pas .de curateur général, l'acte
est valable, sauf la possibilité d'obtenir la restitution.
Cette antinomie de textes a donné lieu à diverses explications.
Certains auteurs ont cherché à corriger le texte de
Modestin en ajoutant non avant possunt, ou en lisant
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35 -
ohligare au lieu de ohligari. Mais je me suis élevé, il
n'y a qu'un instant, contre ces systèmes qui ont pour
moyen de mettre un texte à la torture, pour lui 'lrrach-er tous les aveux qu'il leur plaît d'obtenir.
D'autres auteurs prétendent que Modestin a seulement
voulu parler des mineurs qui n'avaient point un curateur général. Mais il est bien évident que l'assistance
d'un cHrateur nommé pour une seule affaire ne pouvait
être nécessaire aux mineurs pour s'obliger dans toutes
les autres .
Suivant d'autres interprètes, le jurisconsulte romain
aurait simplement voulu signaler la différence entre
l'µuctoritas tutoris et le consensus curatoris. L'autorisation du curateur serait indispensable pour que le mineur fût valablement obligé, mais au contraire de ce qui
se 'passe pour le tuteur, sa présence ne serait pas nécessaire lors de la passation du contrat. Cette explication
me paraît un peu arbitraire, et je ne vois rien ni
dans les textes qui précèdent, ni dans ceux qui suivent
celui de Modeslin, rien qui puisse faire croire que le
jurisconsulte a voulu opposer une hypothèse à une autre.
Et si telle eût été son intention, nul doute qu'il ne se fût
servi de termes plus clairs et plus explicites.
Un autre système plus généralement suivi (Cujas, sur
le titre de vBrh oblirf., L . 10'L), et reproduit par M. de
Savigny, limite aux aliénations ia portée du rescrit impérial, et soutient que le pubère mineur de vingt-cinq
ans ayant un curateur général, pouvait bien s'obliger,
mais non point aliéner sans l'assistance de ce curateur.
Enfin une dernière opinion accepte le désaccord qui
existe entre le passage de Modestin et la constitution
impériale, et reconnaît que la constitution consacre
une règle nouvelle introdmte par la force même des
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choses et par le progrès de la législation. Par respect pour le vieux droit civil qui déclarait capables
les pubères mineurs de vingt-cinq ans, on n'avait poi9t
voulu leur enlever la capacité de s'obliger, tout en les
protégeant contre les dangers d'un tel pouvoir. Dioclétien et Maximien vont plus . loin: désormais toutes les
fois que les mineurs auront un curateur , les actes
passés sans son consentement seront nuls ipso jure, sans
qu'il soit besoin de demander au préteur la restitutio in integrum. (Demangeat, t. 1, p. 406) .
Il. - La restitutio in integrum peut encore être exe1:cée par les héritiers du mineur (L. 18, ëo, Dig. IV, 4).
III. - La protection du préteur s'accorde même aux
cessionnaires du mineur. Nous en trouvons un exemple
dans la loi 24 pr., Dig. IV, 4: ce texte parle d'un
mineur qui gère sans mandat et d'une manière préjudiciable les affaires d'un majeur. S'il refuse .d'invoquer la
la restitutio, le dominus neg~tii peut se faire céder le
droit de l'invoquer, pour se mettre complètement à
l'abri.
IV. - 11 nous reste à parler des cautions. Le mineur
est également restitué contre le créancier et contre la
caution. Ma:is qui des deux, du créancier ou de la caution, supportera la perte? (L. 13, pr. Dig. IV, 4). Si la
caution était assignée la première, comme cela devait
arriver souvent avant la création du bénéfice de discussion, elle ne pouvait pas demander la restitution du chef
du mineur, débiteur principal. Mais si le mimmr avait
déjà été poursuivi et avait obtenu lui-même la restitutio,
la caution pouvait-elle l'invoquer à son tour? Sur ce
point, les textes semblent se contredire. Les uns accor-
�- 37 -
dent expressément ce bénéfice à la caution (L. 3, ê 4,
Dig. IV, 4 - L. ta, Dig. III, 3 - L. 89, Dig. XXIX, 2),
les autres la lui refusent (L. L. 1 et 2, Cod. II, 24 L. 7, ê1, Dig. XLIV, 1).
Que conclure de cette divergence de textes, sinon qu'il
n'y a pas de règle absolue dans la matière, et que le magistrat aura à apprécier les circonstances qui donnent
naissance à la restituüo: solet interdùm fidejussori ejus
proclesse, dit Ulpien en parlant de la restitutià acco1·déc
au mineur. C'est ainsi que la caution supportera la perte
quan.d elle a garanti le danger résullant pour le créancier de la minorité du débiteur .(L. '13, pr. Dig, IV, 4 Sent. de Paul, L. I, titre IX, ê 6). Au contraire, la caution profitera de la restitutio dans le cas où, sans qu'il
fût question de la minorité, la caution a simplement garanti au créancier la solvabilité du débiteur; encore plus
si le fait de la minorité était ignoré de la caution.
A l'appui de ce système, on peut citer la loi 90, ê 3,
Dig. XLVI, 3. (Cette loi est très obscure, et on ne peut
l'expliquer qu'au moyen de corrections). Papinien, dans
cette loi, accorde la restitutio à la caution qui s'est engagée pour le mineur sine contempfatione juris, c'est-àdire sans garantir le_créancier contre la possibilité de restitution accordée au mineur par le droit prétorien. L'appréciation du prétem· est souveraine: c'est à lui d'interprétf1r les intentions du fidéjusseur, le but des parties,
les éventualité~ contre lesquelfos elles ont voulu se prémunir, en attachant une .caution à l'exécution de l'obligation. Il se décidera suivant · les circonstances de la
cause.
C'est par l'application de ces mêmes principes que
nous expliquerons un texte de Papinien qui a donné
li en à l)llelque difficL:ll.é (L. 48, ê I, Dig. XLVI, ·!). Voici
3
�-
38 -
l'espèce: le texte suppose deux fidéjusseurs dont l'un
est majeur et l'autre mineur de vingt-cinq ans; tous lP.s
deux ont cautionné la même dette. Pourra-t-on demander Je tout au fidéjusseur majeur? Si le mineur, dit Papinien, ne s'est engagé qu'après coup, après la fidéjussion émanée du majeur, celui-ci ne pourra invoquer. la
restitution, et il supportera la dette. Il en serait autrement si les deux cautions s'étaient engagées simultanément. Il fàudrait alors agir comme si le débiteur principal était un mineur qui a été restitué, et permettre à la
caution majeure d'invoquer la restitution accordée à, son
co-fidéjusseur, à moins toutefois qu'elle n'ait entendu
précisément garantir le créancier contre les intérêts de
cette restitution. C'est ce qui nous semble résultrr par
à contrario du texte précité: Ità demum alteri (majori)
tolum irrogandum est, si posteà minor intercessit,
PROPTER IN.CERTUJ\I JETATIS AC RESTITUTlONlS. Ces dernjers
mots ont été eI).tendus de différentes manières.
D'après Cujas, le texte se rapporte au cas où deux
cautions se sont obligées en même temps : le majeur
peut se prévaloir de la restilutio accordée au mineur,
propter incertum :;etatis .ac restitutionis (Cujas in lib.
qu œst. Papin., t. IV), parce qu'il ne connaissait pas l'âge
du co-fidéjusseur et la possibilité d'ùne restitutio.
D'après Godefroid, et après lui M. Machelard, ces mots
se réfèrent, comme le reste de la phrase, au cas où il y a
deux fidéjussions successives dont la première émane
d'un majeur. C'est, en effet, le seul cas résolu afürmativement par le jurisconsulte (Machelard, Oblig. nat.,
p. 220).
Nous pouvons donc dire en résumé que . si, en principe, le bénéfice de la restitutio est un bénéfice persona3
cohœrens, ce principe souffre de nombreuses exc~ptions
�-
39
~
dues soit .à l'ignorance excusable du fidéjusseur, soit au ·
but que les parties se sont proposé, soit encore aux
éventualités contre lesquelles elles ont voulu se prémunir. L'appréciation du magistrat est souveraine, et il
devra le plus souvent se guider d'après les circonstances
de la cause. Aussi Ulpien (L. '13, pr. Dig, IV, 4) conseille-t-il au mineur, dans l'intérêt de tous, d'intenter sa
demande en restitution en même temps contre le créancier et contre le fidéjusseur en présence de toutes l<'s
parties, pour qu'il puisse plus facilement se prononce!'
en toute connaissance de cause.
SECTION II
CONTRE QUELLES PERSONNES S'INTENTE LA DEJ\IANDE
La restitutio in integrum ne peut pas être demandée
contre les ascendants et contre le patron par un motif cl1'
convenance et de décence publique (L. 2, Cod. II, 42).
Hors de ces cas, la restitutio peut être demandée contre
toutes personnes, sauf celles qui sont protégées par une
exception (L. 27, ë 4, Dig. IV, 4).
La question se pose pour le mineur qui a prêté de l'argent à un autre mineur (L. L'. IH, ëë 6 et 34, pr. Dig. IV,
4); pourra.- t-il être restitué? Pomponius refusait, dans
.tous les cas, la protection du préteur. Ulpien distingue
lequel des deux mineurs est lésé. Ainsi, un mineur qui
a vendu à vil prix une chose à ·un autre mineur, si l'acheteur est encore en possession de la chose, pourra être
restitué, puisque le v.endeur seul Pprouve une lésion. Si
un mineur a fait un prêt d'argent à un autre mine.ur, et
si !'emprunteur a dissipé les deniers prêtés, la restitutio
devra être refusée, puisqu'il y a lésion des deux cô tés.
�-
40 -
Si un mineur a prêté de l'argent à un majeur fils de
famille, l'exception tirée du S. C. Macédonien semble le r-epousser d~ la restitutio; mais la faveur de l'âge l'emporte
sur la prohibition du sénatus-consulte. Cette même fa. veur due à la minorité l'emporte encore sur la prot@ction accordée aux femmes par le S. G. Velleïen, en sorte
que si un ·mineur, anima novancli, abandonne une créance, en acceptant à la place l'engagement d'une femme,
celle-ci ne pourra lui opposer l'exception du S. C. Vélleïen que si le débiteur p<rnr lequel elle s'est engagée est
solvable (L. 2, Cod. Il, 42.)
Le bénéfice de la restitutio se donne-t-il seulement
contre ceux qui ont traité directement avec le mineur,
ou bien s'étend-il à ceux qui n'étaient pas en cause au_
moment du contrat, pa1; exemple aux sous-acquéreurs,
en d'autres termes la restitutio est-elle in personam ou in
rem ? L'opinion qui domine est que la restitution est
donnée généralement in personam et exceptionnellement in rem. Ainsi par exemple, s'il s'agit d'.une acceptation ou d'une répudiation de succession, la restitutio
a un effet général et peut être opposée à tout le monde
(L. 17, p. Dig. IV, 4.) S'il s'agit, au contraire, d'une
vente, la restitutio n'atteindra le sous-acquéreur que
s'il est de mauvaise foi, ou si le premier acheteur est
insolvable. (L. L. '13, êê 1 et '14, Dig. IV, 4). SECTION III
A QUI INCOMBE LA PRlJ:UVE DE LA LÉSION
A qui du mineur ou de son adversaire incombe la
preuve de la lésion, lorsque la rescision est demandée
soit par voie d'action, soit par voie d'exception?
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41 -
En principe la preuve incombe à celui qui invoque un
droit : ei incizmbit proba.tip qui dicit, non qni nega.t. '
Que si l'acte passé avec le mineur est nul de plein droit,
il n'y a pas besoin de demander la restitntio ni d'établir une lésion : c'est dans la loi même que se trouve la
protection du mineur. L'ancien état de choses sera rétabli à l'aide des actions ordinaires, s'il y a déjà eu exécution, de la revendica.tio ou de la condictio indebili, suivant les cas. Ainsi la vente d'un immeuble rural faite
sans décret du magistrat est nulle, .et le pupille ou le mineur recouvreront la chose. Que si l'acheteue excipe
d'un profit retiré par le mineur, par exemple d'qn enrichissement procuré à ses dépens, comme l' adçlescens
ne doit pas s'enrichir aux dépens d'autrui, l'acheteur, per
exceptionem do li, pourra reprendre son prix ou retenir la
chose (L. L. 10, 14, 16. Cod. v, 71). Reus excipiendo
fit actor. Ainsi, si une vente faite par le mineur avec le
consentement de son curateur est entachée de dol, le
mineur peut, en prouvant ce dol, taire annuler le contrat
et obtënir la restitution. Quant à l'acheteur qui veut reprendre son prix, il doit prouver la versio in rem, c'està dire l'enrichissement du mineur. (L. 32, ëë 4 et 5, Dig.
XXVI, 4).
Nous posons donc en règle que c'est toujours au mi neur à prouver la lésion. Quant à la versio in r em, ê'esL
toujours à l'adversaire qu'en incombe la preuve.
(L. L. 24, ë4, 27, ë1, Dig. IV, 4.)
Mais donnerons-nous la même solution, si la lésion
consiste préci::>ement en ce qu'il n'y a pas eu un profit
pour le mineur ·qui a dissipé les. valeurs reçues?
L'opinion dominante applique encore ici les principes
généraux, et met à la charge du mineur la preuve de la
lésion. Et cependant, on rencontre des textes qui, dans des
�-
42 -
cas particulfrrs, viennent contredire cette doctrine. Pour
' n'en citer qu'un, nous incliqu.ons la loi 1, Cod. II, 38. Il
s'agit d'un prêt d'argent fait au mineur de vingt-cinq
ans, cette loi met la preuve de la lésion à la charge du
créancier. Lemmeur sera dispensé de rendre l'argent
réclamé par le prêteur, si celui-ci ne prouve pas qu'il
s'est enrichi. Nous v~yons là une exception, et, pour la
justifier, nous disons que celui qui, sans aucune obligation, remet de l'argent à un mineur commet une faute.
On a encore expliqué ce texte par la haine qu'inspiraient
les fœneratores, et on restreint l'exception au prêt à
intérêt. Mais rien dans la loi n'autorise une pareille restriction. Il existe, du reste, comme nous l'avons vu, des
moyens offerts au débiteur pour éviter la restitution et
s'acquitter sans péril.
Seulement, comme une exception est toujours de droit
droit, et doit être restreinte aux cas spécialement pré? us,
nous ne devons rien inférer de la 101 '1 au Cod. n; 38.
Dans toutes les· autres hypothèses qui pourront se prés,rnter, ce sera au minem, conformément au principe
~; énéral, qu'incombera le soin de prouver la lésion devant
la juridiction compétente.
�-
43 -
CHAPITRE IV
ColJlpétenoe des magistrats chargés de prononcer la
restitution. - Procédure à suivre.
En parlant des caractères de la restitutio in integrum,
j'ai déjà été amené à dire que la décision accordant 1a
restitutio est une décision gracieuse du magistrat, et,
partant de ce principe, j'arrive à cette conclusion que la
partie lésée n'ayant aucun droit à la restitutio, ne peut
l'obtenir d'un magistrat investi seulement de la jurisdictio; que le pouvoir d'accorder cette restitutio est un attribut de l'imperium, et que, par conséquent, il appartient au magistrat seul qui a l'imperium, qui jurisdictioni prœest, de prononcer sur la demande. Ce que nous
avançons là résu1te d'un texte formel, la loi _26 au
Dig. L.. 1, dont voici les termes : « "Ea quœ magis imperii
sunt quàm jurisdictionis, magistratus miznicipalis facere non potest. Magistratibus municipalilnzs non permittitur in integrwn restituere ..... n Le magistrat municipal ne peut accorder !'in integrum restitutio; ce pouvoir n'appartient qu'au magistrat qui a l'imperium: voilà
ce que décide le texte que je viens de rapporter. Or, si
le droit i;le prononcer l'in integrnm restitiztio est un attribut de l'imperium, si la restitutio ne peut être obtenue
du magistrat chargé seulement de la jurisdictio, c'est
assurément qu'elle ne peut faire l'objet d'un droit véritable, c'est encore que le magistrat chargé de la prononcer reste armé d'un pouvoir d'appréciation exce:;-
�-
44 -
sivemcnt large, de ce pouvoir qui tient bien plutôt de la
souveraineté que de la juridiction ordinaire.
La compétence en matière de restitution appartiendra
donc tout d'abord au prétcu1', qui, même en créant la
l'estitutio minorizm, s'était réservé le droit exclusif de
statuer sur la demande ( L. 1, ëI, Dig. IV, 4). Après qu<J
la restitution eut passé de l' édit du prêteur urbain cla11s
celui du préteur pérégrin (L. L. 12, H:>; 2b et 27, Dig. IV,
4), ce dernier connut des demandes en restitution formées entre pérégrins, ou entre pérégrins et citoyens romains. Quant aux aut1'es p'éteu1·s, ils eurent aussi, cha- ·
cun dans sa sphère, le pouvoir d'accorder la restitutio; .
c'est ainsi que Je préteur fidéïcornrnissaire tut cornpéte11t
pour les demandes relatives aux fidéïcommis, le prœtor
fiscalis pour celles intéressant le fisc. Il y avait, en cc
qui concernait les restitutiones contre le fisc; des 'règlc 3
spéciales: on devait s'adresser en même temps au pro'cureur de l'empereur et au magisl.rnt 01·ùinaire, et appeler en cause l'avocat du fisc. (L. 2, Cod. II, 37).
Plus lard, quand les préteurs curen t perdu l'influence
prépondérante qu'ils avaient eue dans les affaires· jud iciaires, on s'adressa au prœfectus urbi (L. '16, ë 0, 1. 38, ·
pr. Dig. IV,4) etauprmfectusprmtorio(L .'11, Dig.IV,4).
Dans les provinces, la compétence en matière de reslitutio appa1'lint aux prœsiçles dans les provinces cl li
Sénat et aux legati principis dans les prnvinces impériales (L. 42, Dig. IV, 4} Les gouverneurs furent mêm e
comJJélents pom les demandes formées par les c.itoyens
romains habitant leurs provinces; c'est ce q11Î résulte J e
la loi 39, Dig. IV, 4.
Au-dessus de tous ces magistrats était l'empereu1\
chef suprême de l'État, réunissant en lui tous les pouvoirs; sa compétence en matière de restitutio ne peut
�- 4-5 -
être mise en doute, elle résulte d'une foule de textes
(L. L. rn, '18, 38, pr. Dig. IV, 4).
On controversait la question de savoir si les délB.gués
de ces divers magistrats pouvaient user du même droit
et prononcer la restitutio (L. L. 16, ë o, et 17, Dig, IV, 4
- L. L. 2 et 3, Code II, 27 - L. 3, Cod. Il, 47). Justinien, dans une Constitution, trancha la riuestion, et leur
reconnut ce droit, même lorsque la restitutio se présentait à eux comme ·une demande i1icidente. Comme tempérament à cette règle, nous voyons s'introduire le droit
d'appel. L'appel existe du magistrat inférieur au magistral supérieur (L. 18, -pr. Dig. IV, 4). Notons encore un
tempérament, les travaux des jurisconsultes de l'époque
qui déjà, dans leurs écrits, visaient de: nombreuses hypothèses, et .dont les décisions étaient consacrées pae
l'usage et par les constitutions impériales.
Maintenant que nous connaissons devant quels juges
les parhes doivent se présenter, voyons en quoi consiste
leur rôle devant ces mêmes juges. Le mineur doit demander formellement la restitutio et appeler en cause son
adversaire (L. L: 13 pr. et 29, ë 2, Dig. IV, 4). Le de~
rnandeur doit prouver deux choses: 'l qu'il a subi une
lésion : se' circum ventum docea.t (L. 7, ë2, Dig. IV, 4);
2° qu'il était minent' au moment de la lésion : apizd prœ0
sidem petierunl in integrwn restitutionein minores, el'
de œta.te sizâ proba.verunt (L. 39, pr. Dig. IV, 4) . Le
magistrat, lui, prend connaissance de l'affaire et constate le fondemrnl des prétentions du demandeur. C'est
ainsi qu'il verra s'il y a lésion suffisante (L. 4, Dig. IV, 4);
si la lésion provient de l'inexpérience du mineur ou d'un
cas fortuit (L. H, ë 4, Dig. IV, 4), s'il n'y a pas de
moyens de droit commun autres que la restitutio pour ·
venir en aide âu mineur (L. 16, pr. Dig. IV, 4), etc. Ces
�- 46 -
.
..
constatations faites, le préteur jugeait l'affaire lui-même,
ou renvoyait les parties devant un judex. Ces deux
m0yens sont constatés par Ulpien (L. 13, ê '1, Dig. IV, 4).
Ainsi donc, le préteur peut examiner par lui-même si la
prétention du demandeur est fondée, la résoudre en sa
faveur, et accorder hfr et nunc la restitutio. On dit alors
que la restitutio in integrwn a lieu cognitione prœtoriâ;
elle résulte d'un décret rendu à la suite de cette cogn~tio
(L. L. 29, ê 2; 47, ê 1, Dig. IV, 4 - L. 39, pr. Dig. XXI,
2 - L. '1, Cod. I. 39). La r estitutio a lieu alors e,ytrà
ordinem, et ce fut là un caractère qui, sous la procédure
formulaire, distinguait la r estitutio des autres droits
sanctionnateurs.
Mais au lieu d'examiner lui-même le débat et toutes
les questions que soulevait la restitutio, le préteur
pouvait- diviser, et renvoyer les parties devant le judex
pour la constatation des divers points de fait, avec une
formule qui lui enjoignait de prononcer la restitutio si
telles et telles conditions étaient reconnues exister. La
restitutio in integrum suivait alors la procédure ordinaire. Il y avait en ce cas deux instances : l'une se passait devant le magistrat et l'autre devant le juge. C'est
cette procédure à double face que les interprètes désignent sous le nom de judicium rescindens et de juclicîum rescisorium. Le judicium rescendens, c'est le litige
sur la restitutio, la cognitio prœtoria; le judicùzm res.cendens, c'est le litige porté devant le juge.
Dans l'ancien drniL, on devait appliquer de pt;éférence l'instance à double face, plus en harmonie avec
les formes rigoureuses du droit civil. Mais sous le système formulaire, l'ancienne distinction du magistrat et
du juge disparut pour faire place à un système de procédure plus simple et plus rapide. C'est par une consti-
�-
47 -
tution de Constantin (L. 1, Cod. Il, !j8) que toutes les
formules sont abolies. Dès lors, il n'y a plus. que des
cognitiones extraordinariœ, et le fonctionnaire chargé
de connaître de la restitutio, examine lui~m ême l'affaire~ et résout tout seul les difficullés· qui s'y rattachent.
CHAPITRE V
Des effets de la restitution.
La restitutio réduit à néant les conséquences de
I'ade préjudiGiable au mineur, et rétablit pour toutes les
parties en cause 1'état de choses antérieur. Seulement
comme nul ne doit s'enrichir au dépens d'autrui, le
mineur rendra tout ce dont il se sera enrichi (L. 1,
Cod. II, 48).
Exa.minons quelques espèces.
Le mineur a fait une vente désavantageuse pour lui :
on lui rendra le fonds et les fruits perçus (L. 24, ~ 4,
Dig. IV, 4). Le mineur de son côté devra restituer Je
prix et les intérêts, à moins qu'il n'ait dissipé ces sommes. Le jµrisconsulte ajoute que le préteur devra traiter dans ce cas le mineur moins favorablement que lorsqu'il s'agit d'un emprunt, . et la raison qu'il en donne,
c'est que l'adversaire du mineur était forcé de lui
1)ayer le prix d'achat, tandis que rien n'obligeait le
créancier à lui prêter une somme d'argent. J'admets
�-
•
48 -
bien que le paiement du prix est une suite nécessaire de la vente, mais qui donc obligeait l'acheteur à
contracter ?
Si rachetenr a fait sur l'immeuble des améliorations
qui en ont augmenté la valeur, le mineur lui doit
compte de la plus-value. Si l'acheteur a fait seulement
des dépenses voluptuaires, il pourra enlever Cl} qu'il a
apporté à la condition de remettre les choses . dans leur
état primitif (L. 32, ë o, Dig. XXVI, 7). Si c'est le mineur qui est acheteur, il reprenj le prix et lés intérêts
du prix, et rend la chose avec les fruits dont il a profité.
Si le mineur a perdu ou dissipé une somme empruntée,
on né doit point donner d'action contre lui. Sr le mineur
après avoir emprunté unè somme d'argent la prête à
un insolvable, il peut obtenir la restitution contre son
créancier; mais il doit lui céder son action contre son
propre débiteur. S'il avait employé cette somme à faire
une acquisition, il devrait donner à son crèancier la
somme acquise (L. 27, ~ 'l, Dig. IV, 4).
Si le mineur s'est porté expromissor, son expromission est anéantie, et le créancier recouvre son action
contre son àncien débiteur. (L . oo·, Dig. IV, 4).
Le mineur qui se fait restitue1' contre une adition
d'hérédité conserve toujours son titre: Semel hœres,
semper hmres . Mais au fond il est traité comme un
étranger à la succession. Il restitue à qui de droit les
biens de l'hérédité déjà appréhendés par lui, et les créanciers de la succession n'ont aucune action contre 1ui; seulement les actes émanant du mineur doivent être respectés par l'héritier qui vient à sa place. Le mineur
héritier ne doit aucune indemnité pour les legs qu'il a
payés, ni pour les esclaves qu'il a affranchis lui-même
en exécution d'un fidéicommis. (L. 7, ë o, L. 22, L. 3'1,
Dig. IV, 4).
�•
- 49 -
Les mêmes règles fixent le cas inverse. Si donc un
mineur ayant renoncé à une succession avantageuse se
fait restituer, la restitutio ne le rend pas véritablement
héritier; elle ouvre pour lui un droit de succession fictif,
el lui fait acquérir au moyen d'actions utiles tout l'émolument de la succession. Seulement il devra respecter
les actes régulièrement faits avant la restitutio par l'héritier ou par le curateur à la succession vacante. (L. L. 7,
ë '10, 22 in fine, Dig. IV, 4).
En ce qui concerne le défendeur, comme à moins d'injustice criante, il ne peut être privé tout à la fois, et des
avantages qu'il a retirés de l'acle rescindé, et de l'équivalent qu'il a fourni pour obtenir ces avantages, le
mineur lui rendra tout ce qu'il a reçu (L. 24, ~ 4, L. 27,
ë1,1. 47, ë 1, Dig. XXXVII, 6); car il ne doit retirer aucun bénéfice de l'acte, el par suite il doit même céder
au défendeur les actions .qu'il pourrait avoir acquises
contre des tiers à 1' occasion de l'objet de la restitution
(L. 27, ë 1, Dig. IV, 4). Notons toutefois une différence
entre la situation du mineur et celle de son adversaire:
l'adversaire doit restituer, soit en nature, soit en argent,
ce qu'il a reçu; le mineur, au contraire, jouit d'une faveur particulière; car de l'équivalent qu'il a reçu, il doit
restituer seulement ce qu'il possède, ce qu'il a perdu
par suite de son dol, ou ce qui a servi à son utilité, quod
in rem ejus versum est (L. 7., ë 5, L. 24, ë 4, Dig. IV, 4).
Et comment se feront les prestations réciproques ?
Le mineur restitmS doit certainement rendre ce qu'il a
reçu en échange de la chose qu'il revendique, mais à
qui doit-il rendre? Est-ce au tiers qui a traité directe:..
ment avec lui, est-ce au tiers possesseur? D'un côté, il
semble équitable d'accorder au tiers dépossédé tout au
moins ce que le mineur va débourser pour faire rentrer
�•
- 50 -
· 1a chose dans son patrimoine; mais en sens inverse,
on peut faire observer que le tiers dépossédé a un recours pour cause d'éviction contre son auteur, ce qu'il
n'est pas nécessaire .de lui accorder une protection spéciale. Il est cependant pl.us juste à mon sens de restituer le prix . au tiers acquéreur, et voici pourquoi :
c'est lui qui est partie dans l'instance, et il y aurait une
injustice évide'lite à. accorder la restitution dn prix au
premier acquéreur, qui peut devenir insolvable avant l'issue de l'action en garantie. Dans ce cas le défendeur à
la restitution serait, à vrai dire,_ dépouillé, et ce danger
n'est pas à craindre si le prix est restitué directement
au tiers détenteur: le premier acquéreur, lui non plus,
n'en souffrira pas, car le prix viendra en déductio11 de
l'indemnité à laquelle il sera condamné dans l'instance
en garantie. Au surplus, le tiers détenteur contre lequel
la restitution a été prononcée n'est tenu de livrer la chose
que contre la remise du prix, s'il existe encore entre les
mains du mineur ou si le mineur en a fait un emploi
utile : si cette remise n'était pas offerte, le tiers pourrait
rester en possession en opposant à son adversaire l'exception de dol. (L. 14, Cod. V, 7'1 - L. '13 in fine,
Dig. XXVIII, 9).
A l'égard des tiers, il est une règle qui domine la
matière ; la Yoici: la restitutio est et doit rester étrangère aux personnes qui n'ont pas été parties dans
l'instance; elle ne peut leur êlre d'aucune utilité, elle ne
doit leur causer aucun préjudice. C'est une application
du principe : Res inter alios acta vel judicata, aliis neque nocet neque prodest. Il y a cependant des exceptions à cette règle: nous allons hs examiner.
C'est ainsi que la restitutio profite aux cautions qm
�- 51 -
n'ont entendu garantir que la solvabilité du mineur, et
non point garantir le créaocier contre les suites de la
restitutio.
Si la restitutio est intervenue à propos d'une servitude
commune à un mineur et à l.lr1 majeur, celui-ci profite
du bénéfice prétorien (L . 10, pr. Dig. VIII, 6). On a conclu de là que les majeurs profitent de la restitutio toules
les fois qu'elle po.rte sur une chose indivisible.
La question s'est posée de savoir si les effets de la
restitutio sont limités à ceux qui se sont trouvés en rapport direct et immédiat avec le mineur, ou bien si elle
atteint même les tiers qui ont contracté avec ses ayantcause, en un mot s1 elle est donnée in rem ou in personam. Nous avons déjà rencontré cette question et nous
avons décidé, avec la majorité des aut0urs, que l'action
en restitution est donnée généralement in persopam et
exceptionnellement in rem.
La restitutio une fois obtenue, il n'y a plus d'obligation civile. Reste-t-il une obligation naturelle? Aucun ·
texte ne l'indique. Seulement, on peut raisonner par analogie de ce qui se passe pour le pupille qui contracte,
sans autorisation de son tuteur, que le mineur restitué
est soumis à la même règle (Inst. Ill, 29, ê 3 - Gaïus III,
ê 119, 176 - L. 42, pr. Dig. XII, 2 - L. 25, ê 'l, Dig.
XXXVI, 2 - L. '19, ê 4, Dig, XXXIX, 5 - L. 21, pr.
Dig. XXXV, 2).
.
Et la preuve que l'obligation n'a pas disparu tout entière, c'est que le plus souvent l'engagement de ceux
qui l'ont accessoirement garantie est maintenu.
Nous donnerons à cette obligation naturelle les mêmes
effets que celle du pupille: c'est ainsi qu'elle ne pourra .
être opposée au mineur ni par voie d'action, ni par voie
�- 52 -
d'exception, qu'elle peut servir de base à une novation,
à un cautionnement, ù un droit de gage ou d'hypothè-
que. Si, plus tard, le mineur devenu majeur exécute
cette obligation, celte ex~cution sera valable (Machelal'd,
Oblig. natur., 1'" partie, ë2, art. 4) .
CHAPITRE VI
Des fins de non-recevofr à opposer à la demande
en restitution.
Les fins de non-re-cevoir que l'on peut opposer à une
demande en restitution f'orrnéc par un mineur sont au
nombre de trois :
Le désistement.
La confirmation.
La prescription.
Le désistement est l'acté par lequel on déclare
renoncer à un procès. Il ne faudrait pas voir un désistetement dans une simple interruption des poursuites.
(L. 21, Dig. lV., 4 - L. '10, Dig. V, 1).
I. -
II. - La ratification est l'acte par lequel le mineur,
parvenu à l'âge de majorité, maintient les actes qu'il a
passés lorsqu'il était dans un âge anormal. Cette ratification peut être expresse ou tacite : expresse, lorsque le
mineur renonce formellement au droit d'allaquet' les
actes; tacite, lorsqu'il a exécuté l'acte. Je cite un exem-
�- 53 -
pie emprunté à Papinien, et rapporté au Digeste L. 30,
IV, 4. Il s'agit d'un mineur émancipé qüi, après avoir
laissé passer le délai d'une bonorum possessio contril
tabulas, a demandé à être restitué contre cette négligence. S'il vient, après sa majorité, réclamer un legs
qui lui était fait dans le tastament de son pè!'e, la restitution n'est plus possible, car, en réclamant le legs, il a
confirmé la volonté du défunt et renoncé au bénéfice
prétorien. Le jurisconsulte voit, dans cet acte, une renonciation tacite au droit de demander la restitution.
M. de Savigny a pensé qu'on ne pouvait pas concilier
le texte que nous venons de éiter avec un autre texte
d'Ulpien (L. 3, ë 2, IV, 4). Voici ce que porte ce texte:
un mineur de vingt-cinq ans s'était immiscé dans la succession de son père et, devenu majeur, avait poursuivi
les débiteurs de cette succession. Il demandait ensuite
la restitution, afin de · pouvoir s'abstenir de l'hérédité.
Que si on lui opposait que cet acte, étant fait depuis sa
majorlté, impliquait ratification, Ulpien, lui, ne voyant
là que la conséquence d'un acte qu'il avait fait en minorité, estimait qu'on devait s'attacher au début de l'affaire
et accorder la restitutio.
Y a-t-il là une contradict.ion? M. de Savigny le pense
(Savigny, Droit rom., chap. IV, ë 338, note g). On peut
toutefois, ce me semble, concilier les textes. En effet,
dans le texte de Papinien, il s'agissait d'une réclamation
de legs, c'est-à-dire d'un acte qui ne se rattachait point
à une omission que le fils avait commise pendant sa mi norité, et qui ne pouvait être interprété que comme une
ratification. Au contraire, dans l'hypothèse d'Ulpien, la
poursuite exercée par le fils contre le débit\:)ur de son
père ne prouve pas qu'il ait l'intention de demeurer héritier. C'est ainsi qu'on peut dire qu'il a agi en qualité
1
4
�-
54-
de gérant d'affaires pour préserver l'actif de la succession. Cet acte se rattache directement à ceux qu'il a faits
en minorité; et, s'il en est comme une suite nécessaire,
il doit en avoir les mêmes effets, c'est-à-dire bénéficier
de la restitutio (Pothier, pand., Liv. IV, 4, ~ 73.)
III. -- La prescription éteint aussi le droit de demander la restitutio. Le préteur avait fixé le délai à une année utile; Constantin établit à son tour plusieurs sortes
de délais: la prescription s'accomplissait par cinq, par
quatre et par deux ans continus suivant qu'elle était
demandée à Rome, en Italie ou dans les provinces .
Justinien établit un délai uniforme pour tout l'empire: quatre années. (L. 19, Dig. IV, 4, - Cod. Théod.
L. 12, Il, 16. - L. 7, pr. Cod. II; 53).
Le point de départ de la prescription était la vingtcinquième année accomplie. Seulement, ce point de départ n'était pas uniforme avant Constantin. Si l'empereur avait accordé la venia œtatis, la prescription courait à partir Glu décret qui avait ainsi avancé l'âge de
la majorité. Constantin décida (L. 5, pr. Cod. II, 53),
que, même au cas de venia œtatis, la prescription ne
pourrait être accomplie avant la vingt-cinquième année
du mineur.
Non-seulement la demande en restitution devait être
formée dans le délai de quatre années,_mais dans le même
délai il devait être statué sur la demande en litige. (L. 7,
pr. Cod. Il, 53). Toutes ce::; règles recevaient exception
pour les militaires: à leur égard, la prescription courait,
non de leur majorité, mais de leur congé. (.L. 3, Cod. II,
53).
Telles étaient les mesures de protection accordées à
Rome aux mineurs. Donc, deux classes de mineurs
�- 55- .
protégés par des moyens analogues. Ce sont d'abord
les impubères mis à l'abri des conséquences de leul's
propres actes par l'incapacité d'aliéner et de s'obliger
dont les frappait la loi, en même temps qu'un tuteur
était placé auprès d'eux pour défendre leurs intérêts.
Ce sont ensuite les mineurs de vingt-cinq ans proprement dits, protégés contre leurs propres actes par leJudicium pulJlicum de la loi Plœtoria et par l'exception
qu'on en tire, puis par l'in integrum restitutio. Eux
aussi avaient à côté d'eux un curateur qui, en assurant
à leurs actes un caractère d'irrévocabilité, constituait
tout à la fois et un moyen de protection et un élément de
crédit. On sait avec quelle exagération la restitutio in
integrum fut étendue à tous les actes faits par le tuteur ou avec l'assistance du curateur.
Nous avons à examiner maintenant quelle fut l'influence des ·principes du Droit romain sur les mesures
de protection accordées aux mineurs par notre anciennr
législation.
��- 57 -
DEUXIÈME PARTIE
ANCIENNE JURISPRUDENCE
Notre ancien droit français présente, sur la lésion à
l'égard des mineurs, tant d'obscurité et de confusion,
qu'il faut, pour ne pas nous égarer, étudier séparément
les principes admis dans les pays de droit écrit, et ceux
que la législat10n coutumière a consacrés.· Nous suivrons
pas à pas les changements qui sont survenus en cette
matière dans le cours des siècles, pour: arriver enfin à
montrer quelle fut la dernière pensée de nos vieux
jurisconsultes sur la capacité de contracter du mineur.
SECTION I
PAYS DE DROIT ÉCRIT
Le Droit romain avait entouré le mineur de toute sa
sollicitude: il lui avait donné des curateurs pour administrer sa fortune et l'assister de ses conseils.; la resti-
�-
58 -
tutio in integnzm effaçait le préjudice causé par les _actes
qu'il avait consentis; et la nullité frappait les aliénations
d'un immeuble rural faites par lui sans une permission de
l'autorité judiciaire. Toutes ces précautions étaient le résultat de l'expérience. Les pays de droit écrit du midi de
la France posèrent en principe la capacité du mineur
sans y apporter les correctifs que les Romains y avaient
introduits, et que nous venons de rappeler à l'instant.
Les pubères mineurs de 25 ans étaient donc assimilés
aux majeurs, sauf la restitution en entier accordée aux
premiers en cas de lésion : Est observatum et obtentum
a tempore a quo non extat memoria, disent les coutumes de Toulouse, quod major quatuordecim annis, minor virginti quinque annis, patre mortuo, potest se obliyare, emere et vendere, et contractus alios celebrare et
' esse in causâ seu causis, et habet perso11am standi in
· .
judicio (1).
Les nouvelles c-outumes d'Auvergne viennent eonfirrner cette nouvelle incapacité du mineur: Combien que
par cy-devant par fa coutume du païs coutumier d' Auvergne, Je masle âgé de 14 ans et la fille de 12 ans accomplis fussent réputés d'usage parfait pour ester en
jugement, faire et passer tous contrats comme majeurs
de 25 ans (2).
On voit donc que, sous une telle législation, les mineurs pubères de 25 ans pouvaient, sans l'autorisation
d'un curateur, en l'absence de toute formalité protec-
( l) Cou lu mes de Toulouse. - Rubrica de minoribus XXV annorun, n° 1 (Coutumier général IV, p. 'lQL1Q). Klimrath . Travaux
rnr l'histoire du Dr. franç., JI, p. 226, note 2.
(2) Coutumes du haut et bas pays d'Auvergne, ch. Xlll, n° 1.
-------
�- 59 -
tr1ce, ester en justice, donner quittance, recevoir le
compte de tutelle, passer enfin tous les contrats, et
même une vente de biens immobiliers.
Dès le sixième siècle, on comprit la nécessité de restreindre cette capacité excessive et de placer sous une
protection plus efficace qu'une simple rescision, pour
cause de lésion, les actes importants que les mineurs
pourraient accomplir. L'autorisation du curateur, et parfois un décret du juge, furent nécessaires pour la validité de certains actes; par exemple en ce qui concerne
l'aliénation des immeubles (1). De même pour le droit
d'ester en justice, il fut enlevé au mineurs pubères : il ne
leur suffit point d'avoir été légitimement condamnés ·et de
n'avoir souffert aucune lésion. La seule raison qu'ils
n'ont pas été assistés d'un curateur suffit pour annuler
le·s poursuites dirigées contre eux (2). Désormais, le mineur ne pourra pas recevoir seul son compte de tutelle,
car la reddition de ce compte ne pourrait avoir lieu à
l'amiable, si les deux parties n'étaient pas majeures (3).
Et il en fut de même pour tous les actes important~ : de
sorte que les tiers eurent un grnnd intérêt à ne pas contracter avec un pubère mineur de 2o ans sans exiger l'assistance d'un curateur. Et comme le mineur se trouvait
clans l' oblif;ation, toutes les fois qu'il voulait pa~ser
un acte juridique, de se choisir un curateur ou de se le
voir imposer, on finit, pour éviter cet inconvénient, par
lui en nommer un dès qu'il avait atteint la puberté : u Si
(1) Cout. du haut et bas paJ-s d'Auvergne, loc. cit. Xlll, n° 2.
(2) Gabriel Berthon de Fromenthal, décisions du Dr. civil,
p. 505.
(3) Ordonnance civile d'avril 1667, p. 29, art. 22.
�-
60 -
l' <:1dulte ne choisit pas de curateur, la personne qui était
auparavant chargée de la tutelle devient son curateur de
plein droit ('l). »
Mais si, dans les cas que nous venons de parcourir,
la nullité frappe les acte~ passés par le mineur pubère
sans l'assistance du curateur autorisant et sans les formalités requises, il n'en est plus de même pour les actes
qui ne rentrent pas dans cette même catégorie. La restitution en entier peut seule les atteindre, et c'esl au mineur à prouver la lésion (2). Dans le prmcipe, elle s'appliquait même aux actes d'administration; mais, à la fin
du dix-septième sièclfl, une jurisprudence nouvelle, inaugurée par un arrêt de Grenoble du 16 avril 1668, commença à lui refuser la restitµtion : sa capacité fut dès
lors entière, quant à ses actes; mais le curateur dut en
retour, d'après un usage qui s'introduisit, l'assister de
s~s conseils dâns les divers actes d'administrat10n qu'il
pouvait faire (3). Le mineur peut donc seul recevoir et
exiger les revenus de srs biens, passer des baux à
ferme : en un mot, la puberté lui contèl'e une émancipation de plein droit et lui permet de gérer son patri·
moine (4).
En mettant donc de côté ces actes d'administration
et les actes importants soumis à l'assistance du curateur
('l) Deoisarl, Collect. de Décisioos nouv., v0 Emancipatioo,
n° 2, T. VU, p. 100; v° Curatelles, ë 2, n° 9, T. 5, p. 704.
g 5,
(2) Berthon, Ioc. cit., p. 500.
(3) Pothier, Proc. civile, 3° partie, ch. lV, cll't. 2,
ëL
(4) Ferrière, Diction. de Dr. et de Pr. V• mineur, II, p. 310 et
311.
�-
61 -
et à des formalités spéciales, les obligations du mineur
ne peuvent jamais être anéanties si la lésion n'est prouvée. Et il n'y a pas à distinguer entré l~ cas où le mineur
a un curaleur et celui où il en est dépourvu, le principe
est: minor non restituitur tanquàm minor, sed tanquàm
lœsus. Tous les auteurs attestent ce principe. Il est bien
des cas où ia lésion est présumée, quand le mineur
agit sans l'assistance d'un curateur autorisant .: mais
cette exception ne fait que confirmer le principe général, d'après lequel il ne faut établir aucune distinction
entre le mineur pourvu de curateur et celui qui n'en a
pas. En effet, parmi les actes à l'égard desquels la
lésion est présumée, les auteurs mentionnent bien l'aliénation d'immeubles, l'emprunt, etc., mais ils ne parlent nullement de la circonstance que le pubère est
pourvu d'un curateur. Il faudrait donc supposer qu'au
nombre des cas où le défaut d'assistance engendre une
véritable nullité de racte, ils ont omis le plus fréquent
de tous, celui où le mineur a un curateur autorisant,
si ce seul fait d'avoir un curateur et de passer sans lui
un acte quelconque peut dispenser le mineur de .prouver la lésion . .Mais on ne peut pas leur reprocher un
pareil oubli. Berthon · de Fromental nous dit en termes
exprès que le mineur « sans l'intervention de son cura» teur, peut contracter des obligations personnelles
» valables », et il ajoute: « Les actes obligatoires passés
» par les mineurs sortis de la tutelle ne sont pas nuls de
» plein droit quand ils ne contiennent pas aliénation
» de leurs immeubles, mais peuvent seulement être
» annulés par le bénéfice de la restitution en cas de lé» sion. » ('l) Ir demeure donc constant qu'en principe
(1) Berthon, Décisions, p. 504.
�-
62 -
la nomination ou assistance du curateur n'est qu'une
précaution « dont Je défaut seul n'opère pa.s que l'acte
soit emporté, s'il n'y a. pa.s lésion.
»
Une dernière question nous reste à ~xaminer : quel
était le sort des actes passés par les impubères. Notre
ancien droit, s'éloignant en cela du droit romain, ne
connaissait pas l' a.uctorita.s tutoris: le tuteur administrait,
et les enfants au-dessous de '12 ou 14 ans n'avaient presque jamais de rapports contractuels avec les tiers. II ne
faut pas s'étonner si les auteurs ne consacrent que peu
de place aux mineurs impubères, et souvent même n'en
parlent pas. Si pourtant ils avaient agi seuls, quelle
valeur fallait-il recon~aître aux actes qu'ils avaient passés? Si l'impubère n'avait pas accompli sa septième
année, ses actes n'avaient aucune existence juridique (1). S'il avait dépassé la période de l'enfance, l'accepta1ion d'une donation lui était encore interaite par
l'ordonnance de février 1731 ; en dehors de ce cas
spécial, il pouvait en principe, acquérir, sans pouvoir
s'obliger. Mais nous connaissons cette règle: · Voies de
nullité n'ont point de lieu en France, d'après laquelle
il fallait obtenir une rescision préalable, lorsqu'on voulait repousser l'action née d'un contrat, sous prétexte
qu'il était nul, d'après le droit romain (2). L'impubère
demandait donc des lettres de rescision qui, délivrées
par les chancelleries des parlements, n'étaient enthérinées qu'en connaissance de cause, si l'on reconnaissait
un grief, c'est-à-dire uri préjudice souffert par le mineur. On arrivait donc à ne prononcer la rescision
(1) Meslé, Traité des Tutelles, p. 182, 183.
(2) Loisel, Inst. coutum., v. t. 2, reg. 5, n• 706.
�- 63 -
d'un contrat, même fait par un pupille, que dans le cas
où il y avait une lésion . Mais si ces actes que le droit
romain déclarait nuls ne purent être attaqUt~s plus tard
que par des actions en rescision, au moins fallut-il présumer en pareil cas la lésion, et permettre au demandeur d'attendre la preuve contraire. Il n'en fut pas
moins de principe que les actes du pupille n'étaient
pas nuls par eux-mêmes, mais seule~ent rescindables
dans les cas où l'impubère éprouvait un préjudice (1).
SECTION II
PAYS DE DROIT COUTUMIER
Nous ne rencontrons plus ici, comme dans les pays de
droit écrit, des dispositions certaines et précises fixanl
l'époque de la majorité. Mais nous trouvons des indications suffisantes pour croire que chez les Saliens,
l'enfant devenait majeur à 12 ans et chez les Ripuaires
à H> ans. D'après la loi salique, la peine du meurtre
varie du simple au triple, suivant que la victime a ou
non atteint l'âge de 12 ans (2). C'est également à cet âge
(1) Meslé, lac . cit. ch. XIV, n• 5, p. 486. Merlin, répert. v• mineurs, § 9, n° 1.
(Z);Loi Salique, t. 26, de ·his qui pueras vel paellas occidennt,
n• 1. (Walter: corpus Juri s germanici, l, p. 40).
�- 64 -
qu'elle fait commencer la véritable imputabilité; jusquelà la Faida (part attribuée à l'offensé) est due, le Fredum
ne l'est point (1). Un capitulaire des rois Francs fixe
aussi à 12 ans l'âge où l'enfant peut être actionné en justice: « De hereditate paternâ vel maternâ. si aliquis
eum interpellare voluerit, izsque ad spatium duodecim annorum expectare Judicatum est > (2). La loi
des Ripuaires fixe à rn ans l'âge où l'enfant peut paraître en justice, soit comme demandeur, soit comme défendeur, et la loi des Bourguignons ne permet pas à
l'adolescent de faire aucun acte valable avant ce même
âge de 10 ans (3); on peut en conclure qu'à ce moment
cessait la minorité. Nous sommes donc fondés à dire
que cet âge de ,J 2 et de 10 ans devait être le point de
départ de la majorité.
La majorité de 10 ans dut prendre le dessus, car elle
dpondait à la tendance fort naturelle, dans une sage
législation, de ne pas admettre une majorité trop
hâtive. Aussi la trouvons-nous adoptée au moyen-âge
dans presque tous les pays que ne régissait pas Je droit
romain. Divers µassages des Assises de Jérusalem, des
Etahlisseinents de saint Louis, en font foi; et Beaumanoir, sur les Coutumes de Beauvaisis, et Pierre de Fontaines, dans les Conseils à son amy, attestent de leur côté
que c'était un usage général en France.
('! ) Loi salique, t, 26, n• 9, Walter l, p. 4L. Le Fredum parait
avoir été le '1 / 3 de la composition (Pardessus, Loi Salique, dissertat. XII, p. 652).
\2) Caput reg. franc. 3, chap. 5 (Walter II, p. 338).
(3) Lex Burgundia, T 87, n• 1 (Walter I, p. 343).
�-
65 -
La majorité dont nous venons de parler n'était que la
majorité roturière; il en existait une autre que nous devons signaler: elle était spéciale aux nobles, et ne commençait pas avant vingt ans. J-usqu'à cet âge, le noble
ne pouvait ni combattre, ni faire hommage, et les procès
qu'il pouvait avoir au prétoire, relativement à la succession de ses parents, étaient différés jusque là. ·
Mais à partir du quatorzième siècle, cette majorité fut
smgulièrement ébranlée par suite de l'influence considérable que le droit romain c.ommençait à exercer,
et par suite de l'idée qu'on se faisait de la majorité roturière. On obéit donc à l'esprit du temps en mettant la
- coutume en harmonie avec la législation romaine, avec
1,13 droit commun qui « est un droit quis' accorde au droit
escrit et à coustume de païs, et que les deux sont consonants ensemble. ·» ·
La consonance se ·produisit ici tout naturellement, en
entendant par quinze ans, les quinze ans commencés et
non accomplis; on exigeait quatoPze ans complets comme.
. le droit romain.
Quant _aux femmes, la majorité roturière était généralement fixée à douze ans; dans quelques contrées, elles
ne sortaient de minorité que par le mariage. Quatorze
ans pour les hommes, douze ans pour les femmes, c'est
donc l'âge qui, au XIV• siècle, marqua le point de départ
de la majorité, d'après le droit commun des pays coutumiers -(1).
Il faut nous demander maintenant quelle était à cette
époque la capacité juridique et de l'enfant au-dessous de
(1) Grand coutumier de France, 11, ch. 12, 31 Cout., l, reg. 34, p. 76.
.
~
Loisel Iust,
�- 66 -
douze ans ou de quatorze ans, et de celui qui avait dépassé cet âge. Les auteurs nous attestent que l'enfant en
tutelle était assimilé au mineur de vingt-cinq ans du
droit romain : ses actes n'étaient point frappés de nu\lité, mais se 11lement rescindables pour lésion; on lui
appliquait la règle: minor non restituitur tanquàm minor, sed tanquàm lœsus. Pierre de Fontaines et Beaumanoir professent cette doctrine, et le LivFe de jostice
et d~ plet accorde au mineur la restitution comme le
seul moyen de faire tomber les actes quïl a consentis:
« On doit regarder la chose oü il demande restahli!;sement, se il est conchiez (lésé); et s'il fet ce que sage
homme fet, il ne doit pas estl'e restahliz >1 (1). La restitution devait d'ailleurs être demandée dans l'an et jour
de la majorité (2). Ces principes étaient encore en vigueur au quatorzième siècle, et B"Outeiller (3) assimile
les pupilles au mineurs de 20 ans du droit romain.
L'influence du droit romain se fit encore bien mieux
sentir lorsqu'on on fut amené plus tard à reculer la pleine
capacité jusqu'à 20 ans et à étendre le bénéfice de la
restitution en entier à ceux qui avaient dépassé l'âge de
quatorze ans. Déjà même nous trouvons dans les Anciennes constitutions du. Chatelet de Paris, qui datent du
quatorzième .siècle et même de là fin du treizième, suivant M. Laferrière, ·que les enfants majeurs de quatorze
5,
(I) Livre de jostice et plet, livre 3, chap. 9, ~ 1, p. 117 - chap.
~ 7, p. 1l t.
(2) Beaumanoir, chap. XVI, 1, n° 4, p. 200 - Loisel Just., cout,
reg. 714.
(3) Somme rurale, titre 92.
�-
67 -
ans étaient pourvus d'un curateur (1). La très ancienne
coutume de Bretagne ('1330) contenait des dispositions
parmi lesquelles nous citerons ce passage: a: Hommes
ou femmes qui sont sous l' f'tge de 25 ans sont mineurs. »
On reconnaissait l'insuffisance de la protection accordée
aux enfants par suite de leur trop précoce capacité.
L'âge de 25 ans détrôna donc peu à peu la majorité de
14 ans; et nous devons faire remarquer que l'influence
du drojt canonique ne fut pas étrangère à ce changement.
Ainsi ia coutume de Bourges atteste que le fils qui était
reçu plaidant en la court laye à quatorze ans, ne pouvait l'être en la cour de l'Eglise Jusqu'à 25 ans (2)..
Ainsi donc si, dans la première moitié. du seizième
siècle, nous rencontrons encore des coutumes qui re.
gardent comme pleinement capables·les enfants de quatorze ans ou de ·douze ans, suivant les sexes, nous
pouvons assurer qu'un grand nombre leur accorde la
restitution en entier jusqu'à vingt-cinq ans; que d'autres
exigent cet âge pour les aliénations immobilières, et que
quelques-unes enfin reculent jusque-là l'époque de la
capacité générale du mineur. L'ancienne coutume d'Orléans (1509) refuse au mineur de 25 ans la faculté d'ester
en droit sans l'authorité d'un curateur ad lites, pourvu
que le procès soit de quelque importance; et c'est ce qui
plus tard fut constamment reconnu par les auteurs. Quant
aux autres actes, l'âge de quatorze ans et de douze ans
fit place dans certaines coutumes à celui de vingt et seize
(1) Const. du Chatelet publiées par Laurière, art. 72, lll, p. 267
- Laferrière, Hist. du droit français, VI, p. 325-327.
(2) Cout. de Bourges (1359), art. 41, 72 (Cout. génér ., Ill, p.
880-882.)
�-
68 -
ans; mais ce qu'il importe de remarquer, c'est qu'elles
accordèrent au mineur, même après cet âge, la restitution en entier contre les conventions qui seraient dommageables et préjudiciables. Charles Dumoulin se fit
l'ardent défenseur de ces principes, et toutes les fois
qu'il rencontre une disposition faisant arriver la majorité avant vingt-cinq ans, il ne manque pas d'ajouter:
salvâ in integrum restitutione (1 ). D'autres auteurs marchèrent sur ses traces, et Choppin, sur la coutume.d'Anjou qui, comme celle du Maine, permettait l'aliénation des
immeubles à vingt ans 1 et les aulres actes à '14, fait lare. marque suiuante : « L'aliénation est cassée par Je bénéfice de J' aage toutes et quantes fois que le majeur de vingt
ans a été surpris et circonvenu, ou qu'il y a déception
d'autre moitié du juste prix. » Et il cite des arrêts
qui ont restitué pour lésion le majeur de vmgt ans, ce
qui devint bientôt de j·urisprudence constante (2).
Les Parlements tout d'abord avaient résislé à ce mouvement; mais les difficultés s'évanouirent le jour où le
Parlement de Paris eut l'occasion de faire, à la coutume
d'Artois une application solennelle des principes admis
par les auteurs. Le conseil de la province avait jugé que
la majorité établie par la coutume donnait une pleine
capacité : le Parlement de Paris, saisi de l'affaire sur
appel, infima cette décision par arrêt du 13 jui11et ·17'16.
La province s'émut, et les États d'Artois se pourvurent
au Conseil du Roi; mais leurs doléances ne furent pas
écoutées, et l'arrêt reçut ainsi la sanction de l'autorité
(1) Dumoulin, Opera omnia, II, p. 711, 712, 718, 727, 731, sur
les coutumes d'Artois, de Blois, d'Anjou, du Maine.
(2) Cboppin,
-
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Œuvres ~
T. IIl sur Anjou, L. 3, p. 5, n° 11 p. 258.
�- 69 -
,royale ('l). Cette jurisprudence fut. maintenue, depuis,
dans des arrêts du '17 août '1730 et du 1"" avril 1740. Les
autres Parlements admirent ces principes: le Parlement
de Rouen seul déclara expressément que toute personne
née en Normandie, soit masle soit femelle, est censée
majeure à 20 ans accomplis, et peut, après ledit âge, vendre et hypothéquer ses biens meubles sans espérance do
restitution, sinon pour les causes auxquelles les majeurs
peuvent été restitués (2).
Parmi les auteurs, d'Argentré fut à peu près le seul à
repousser la doctrine si bien défendue par Dumoulin,
quand il soutint que la majorité qui, par la coutume de
Bretagne de 1339, arrivait à 20 ans, était une majorité
parfaite. Lors de la révision de cette coutume, en 1080,
on s'.:~mpre.ssa de reculer jusqu'à 2o ans la fin de la mi~
norité (3). Et d'Argentré put alors s'écrier de dépit: Qui
vigesimo anno non sapit, vix sapiet visegimo quinto !
Les coutumes suivaient donc la voie que leur avaient
ouverte la doctrine des auteurs et la jurisprudence des
Parlements, et il arriva qu'au dix~huitième siècle, l'âge
àe droit commun fut de 2o ans pour toute la France coutumière, la Normandie exceptée. « On appelle mineurs,
dit Pothier (4), ceux qui n'ont point encore accompli
(1) Denizart, v• majeur, n° 14, T. lll, p. 185.- Meslé, Tr. des tut.,
·
p. 727 et suiv.
(2) Goutum. génér. IV, p. 155-156.
(3) Nouv. Gontr. de Bretagne, art. 489 (Gont. gén. IV, p. 392).
(4) Pothier, Tr. des Personnes V., T. Xlll, p. 428. - Procéd. civ.
ch. IV, art. 2, § 1, p. 392. - Introduct. au titre IX de la cout.
d'Orléans, n° 22, f. XV, p. 387.
5
�-
70
leur vingt-cinquième année. » Sans doute, quelques coutumes faisaient encore cesser la minorité au-dessous de
25 ans ou n'exigeaient expressément cet âge que pour
les aliénations d'immeubles, mais ces majorités coutumières n'étaient plus autre chose que de véritables émancipations, en sorte que " la lésion se rencontrant aux
actes et contrats passés par les mineurs de 25 ans, le
bénéfice de restitution a lieu (1). 11
Cette restitution en entier est accordée au mineur dans
la .plus large mesure: pourvu qu'il y ait une lésion quelconque, ils peuvent demander la rescision des actes passés avec l'assistance de leur tuteur, et, dans les formes requises, « le mineur, disait Domat, est restituable de ce
que le tuteur a fait en qualité de tuteur, s'il se trouve lésé
par Je fait de ce tuteur, car le pouvoir de ce dernier est
borné à ce qui peut être utile au mineur (2). » Cette exagération était d'ailleurs l'objet de vives critiques. On connaît ce passage de Henrys : « L'aliénation desimmeuh)es
d'un mineur est chatouilleuse; quelqu' assurance qu' 011 y
cher che, il n'y en a point, et quelquefois ce sont les précautions qui nuisent. On en peut dire ce qu'on dit des potirons: quelque apprêt qu'on en fass e, l'usage n'en est pas
bon, et la meilleure sauce qu'on puisse y apporter, c'est
de les j eter là (3). » La comparaison n'est peut-être pas
d'un goùt parfait, mais ce passage montre bien la défaveur dont cette protection excessive était l'objet dès cette
époque parmi les jurisconsultes.
(1) Cont. gén. li, p. 1103 . ._ Merlé, Tr. des tut., ch. 10, n° 7,
p. 271-272.
(2) Domat, Lois civiles IV, f. 6.
(3) Henrys, Livre IV, ch.
Li ,
Quest, 22.
�- 71 -
Nous avons vu que l'existence d'une lésion était, au
treizième siècle, nécessaire au pupille âgé de moins de
Hi ans pour revenir contre les actes qu'il avait consentis:
minor non restituitur tàriquàm minor, sed tanquàm
lœsus. Puis au quatorzième siècle, quand, sous l'influence des idées romaines, après avoir fixé la majorité
à 14 et à 12 ans, .on emprunta au Droit romain celle de
20 ans, les Coutumes distinguèrent entre les mineurs de
· 20 ans et ceux de 14 ou 12 ans. Les premiers, nous venons de le voir, furent amplement protégés par la restitution en entier; quant aux seconds, que nous avions
perdus de vue pour suivre les mineurs pubères de 20 ans,
ils furent assimilés aux pupilles du Droit romain. Ils ont
un tuteur jusqu'à 14 ans, et leurs engagements sont déclarés « du tout nuls et de nul effet et valeur (1). " Après
cet âge on lui nommait un curateur, et les principes que
nous avons ci-dessus étudiés recevaient leur application.
Mais, au seizième siècle, surgit la règle: « Tutelle et
curatelle n'est qu'un, ,, suivant laquelle le tuteur devait
continuer ses fonctions tant que le mineur n'avait pas
parfait sa vingt-cinquième année. Dumoulin la pose en
ces termes: Non facimus differentiam inter tutelam et
curam, sed durat tutela, semel suscepta, usque ad viyesimum annum (2). Cette règle ne souffrit aucune difficulté
dans les coutumes qui fixaient la majorité à l'âge de 20
ans; toute distinction disparut entre les personnes qui
n'avaient pas atteint cet âge, elles eu'rent toutes un tu(1) Coutume du Berry, f. 1, art. 1, n°• 16 et 17 (Cont. gén. Ill,
p. 936).
(2) Dumoulin, Tract. contractus usurarum questio 39, u0 300,
11, p. 121.
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72 -
teur. Mais elle ne fut pas si facilement admise dans les
coutumes à majorité coutumière: ceux qui n'avaient pas
encore atteint l'âge de cette majorité étaient mis sur la
même ligne que les pupilli de la législation romaine, les
engagements pris par eux sans l'assistance de leur tuteur
étaient déclarés nuls. Plus tard, quand, au dix-huitième
siècle, la majorité coutumière ne fut pas autre chose
qu'une émancipation, la distinction si nette entre les pupilles, dont les actes sont nuls; et les majeurs coutumiers, dont les contrats sont rescindables pour lésion,
dut alors disparaître. Les actes d'administration et de
disposition de meubles furent permis aux majeurs coutumiers sans exception ; quant aux autres actes faits par
eux, quant à tous ceux passés par les enfants sous-aagés,
d'après les coutumes, on devait appliquer les pri_ncipes
qui déterminèrent la capacité du majeur dans les coutumes où l'âge était fixé à vingt-cinq ans.
C'est à l'examen de ces principes que nous allons consacrer les dernières explications que réclame notre étude
historique : c'est là surtout que nous allons trouver
dans les autems cette confusion qui est en partie, il faut
bien le dire, la source de la doctrine erronnée qui, sous
l'empire du Code, proclame l'incapacité absolue du mineur. La maxime: Tutelle et curatelle n'est qu'un, avait
prorogé la tutelle jusqu'à 2o ans. Tous les mineurs
étaient désormais en puissance de tuteur, comme les
pupilli du droit romain. Fallait-il donc les assimiler à
ces derniers quant à leur capacité? On serait tenté de le
croire en voyant les termes dans lesquels s'expriment les .
auteurs de cette épo:i:ue. Ils posent en principe que le
mineur de 2o ans est inhabile à contracter, à s'obliger, que
ces engagements sont nuls comme l'étaient à Rome ceux
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73 -
du pupillus (1). Allait-on donc abandonner cette règle
qui avait poussé de si profondes racines dans notre droit:
minor restituitur non tanquàm minor, sed tanquàm
lœsus ? ée n'était guère possible: mais les auteurs ne
surent pas échapper à l'obscurité qu'amenait souvent chez
eux l'absence de discernement dans la citation des textes
du droit romai.n. ns· avaient rapproché de la règle: Tutelle et cura.telle n'est qu'un, celte proposition de Modestin: In paucissimis distant tutores et cura.tores (2), et ils
étaient arrivés à se dire qu'à Rome même, pupilles et
mmeurs de 25 ans ne différaient pas au fond quant à
leur capacité (3). Merville et Meslé qui traitent spécialement de la matière ne sont pas moins inconséquents.
Après avoir dit que tous les actes que le mineur fait seul
sont nulb et de nulle va.leur, Merville ne craint pas d'a1outer, quelques feuillets plus loin, que, d'après une
maxime constante, le mineur n'est pas restitué ta.nquàm
minor mais tanquà.m lœsus. De même pour Meslé: d'après lui, tantôt l'acte· est nul, tantôt le mineur est restititué partout où il est lésé en ce qu'il a. fait (4).
Il est inutile de multiplier les citations. Je me bornerait à montrer encore que Pothier et Merlin n'ont pas euxmêmes échappé à ces contradictions choquantes. « Les
mineurs, dit Pothier, qui commencent à avoir quelque
<<
(1) Meslé, Tr. des tut.; ch. 14, n• 6, p. 487.- Poth. Tr. des oblig.
n° 52 I, p. 116.
(2) L. 13, pr. de excus., tut.
(3) Legrand, Comm. sur la cout. de Troyes, titr. 8, art. 139,
gl. 2, 11° 5; gl. 4, n°• 4, l:i, gl. 10, n• 26.
(4) Merville, Tr. des maj. cout., sect. 9, p. 1~3.- Meslé, Tr. des
tut., ch. 14 .Ii0 25, p. 503 et 505.
�- 74 -
usage de raison, sont plutôt incapables de s'obliger
en contractant, ·qu'ils ne sont incapables absolument
>l de contracter; ils peuvent, en contractant sans l'auto» rité de leur tuteur ou curateur, obliger les autres
» envers eux, quoiqu'ils ne puissent s'obliger envers les
» autres(1). »Il dit dans un autre passage:" Il est bien
» vrai à l'égard .des contrats, qu'un impubère ne peut
» s'obliger en contractant sans l'autorité de son tuteur,
» si ce n'est jusqu'à concurrence de ce qu'il se trouve
» profiter du contrat. Par exemple, si un impubère (ou
» même selon notre droit français, un mineur pubère qui
» est encore sous puissance de tuteur) a emprunté. La
» raison est que les contrats étant formés par le con» sentement des parties contractantes, le contrat fait
~ par un impubère sans l'autorité de son tuteur est nul, » faute d'un consentement valable. » Nous lisons pourtant ailleurs: « Les mineurs sont admis à la restitution
>1 contre les conventions non-seulement pour cause de
» lésion énorme, mais pour quelque lésion que se
» soit (2). >1 Comment concilier encore le passage suivant
de son traité de la procédure civile : « Il y a des actes
» qui sont nuls de plein droit, sans qu'il soit besoin
» de lettres de rescision pour les annuler, suivant cette
» maxime : quod nullum est, ipso jure rescindi non
• potest. Ces moyens de nullité se tirent 1° de la forme,
» 2° de.l'incapacité de la personne: par exemple, on les
» opposera contre un contrat quel qu'il soit, s'il est passé
» par une femme sous puissance de son mari. On oppo» sera le même défaut d'incapacité contre des actes qui
»
»
(1) Pothier, Tr. des oblig., n° 52, I, p. Ho.
(2) Tr. des obligat. n° 40, !, 106.
�- 75 -
contiendraient quelque · promesse ou quelque aliéna» tion faite par un mineur non émancipé ou par un in» terdit ('I ). »
Merlin, après avoir dit: « lorsque les actes ou les
contrats sont nuls dans la forme, comme lorsque le
tuteur ou le curateur n'y était pas présent, il n'est pas
nécessaire d'obtenir des lettres de rescision pour le faire
annuler » (2) « Tout ce que font les mineurs de 25 ans
« n'est pas nul, il n'y a de nul que ce qui a été déclaré
« tel. Il suit de ce principe que les mineurs ne sont pas
<< absolument incapables de s'obliger, et que ce qu'ils
« font ne peut être annulé qu'autant que les contrats
<c qu'ils ont passés leur causeraient quelque domma« ge. (3)
On arrivait donc en définitive à paralyser les effets de
la nullité en fa ramenant à n'être plus qu'une restitution
pour cause de lésion. Les mineurs de 25 ans étaient incapables, non pas de contracter, mais de se léser en
contractant. Cette doctrine est consacrée par la j uris- ·
prudence ; et un arrêt du Parlement de Paris en date
du 21 juillet 1682, décide « que les engagements des
mineurs sont valables et légitimes en général, mais qu'ils
ont cet avantage par dessus les autres, qu'ils peuvent
en connaissance de cause se faire restituer. » Tous les
auteurs présentent ces principes comme constants e~
certains (4). La restitution fut accordée d'une manière
Il
(i) Poth., Proc. civ., part. V, ch., 4, 391 et suiv.
(2) Merlin : V• Mineurs, Rep. § 9, n° 1.
\3) Merlin, Loc. cit. ~ i, n• 3.
(4) Ferrières, Dict. de droit, Il, v0 mineur, p. 312. - Lebrun ,
Communauté, ch. V, p. 159. - Denizart, v• mineur lll, p. 293.
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76 -
très large. Elle n'existait plus, il est vrai, contre les
actes d'administration, mais elle était donnée contre
tous actes même faits avec rassistance du tuteur ou curateur, et la lésion qui résultait d'un cas fortuit survenu postérieurement au contrat, était prise en considération.
Nous savons que certains actes importants tels que
l'aliénati9n d'immeubles et l'hypothèque étaient entourés .
de formalités protectrices; dont la violation entraînait la
nullité. Le mineur ne pouvait également ni emprunter,
ni accepter ou faire une donation, ni venir à une hérédité ou y renoncer, ni Jonner quittance de capitanx,
11i décharger son tuteur du compte de tutelle, une fois la
tutelle finie. Dans tous ces cas, il n'avait qu'à prouver
sa minorité pour faire déclarer nul l'engagement qu'il
avait contracté (t). Les auteurs, du reste, nous attestent
qu'ici encore on ne s'écartait pas du principe, la bàse de
la nullité était une présomption de lésion, présomption,
qui, d'ailleurs ne pouvait être combattue que dans les
cas d'emprunt ou de réception de paiement (2).
La restitution devait être demandée dans l'an et jour
de la majorité, nous l'avons déjà dit plus haut. Ce que
nous n'avo1îs pas dit encore, c'est la manière dont cetle
demande devait 3tre intentée . Pour l'intenter il fallait
d'abord obtenir des lettres royaux. Ces lettres étaient
ainsi conçues: Mandons et ordonnons à tel juge .... que
s'il appert de ce que dessus ..... il ait à remettre les
parties en tel et semblable état qu'elles étaient aupara·vant le contrat d'un tel jour, et que nous ne voulons
( !) Rousseau de la Combe, sect. :-l, n• 1, p. 575.
(2) Rousseau de la Combe, sect. 2, p. 575.
�-77nuire ni préjudicier à l'exposant et dont, en t~nt que
besoin est, nous lavons relevé et relevons par les présentes. » En effet, le juge devant lequel l'affaire était
renvoyée restait maître de la question de droit comme
de la question de fait; car le roi ne pouvait introduire
en France une nouvelle cause de rescision par un rescrit (1). Si à ces deux points de vue la demande paraissait bien fondée, le juge entérinait, c'est-à-dire homologuait les lettres de rescision par un premier jugement,
et réputait le contrat non avenu. Cette première partie
de l'Jnstance portait le nom de rescindant. On voit que
ce n'était pas là le judicium rescindens du droit romain:
celui-ci émanait toujours du préteur, même lorsqu'il
renvoyait devant le juge pour l'examen de diverses questions que le rescindant pouvait soulever; celui-là au
contraire émanait du juge qui, malgré· l'autorisation
royale, examinait le point de droit avec le point de
fait. Dans l'autre partie de l'instance appelée rescisoire,
le mineur poursuivait l'exécution du rescindant. Par
exemple, quand il attaquait une vente par lui faite, il
revendiquait l'objet vendu.
La restitution prononcée produisait les mêmes effets
en France qu'à Rome: anéantissement de l'acte et rétablissement de chacune des parti.:is dans sa situation primitive : « Lorsque les lettres de rescis10n sont entérinées, les parties sont remises en tel état qu'elles étaient
avant l'acte contre lequel elles ont été obten)1es. ce qui
a lieu ie part et d'autre ·; ainsi, lorsque j'ai pris des lettres contre un contrat de vente, si je veux rentrer dans
mon héritage, je dois rendre le prix que j'ai reçu., à
(1) Caroodas, s. le gr. cont. de Charles v1. liv. 3, c. 22, p. 401.
�-
78 -
moins que je l'eusse dissipé en minorité (1). )) C'est la
reproduction de la doctrine romaine.
Nous terminerons en disant un mot des mmeurs
émancipés et des cas où la rescision n'était pas admise
même au profit du mineur. Les mineurs émancipés pouvaient, comme les autres, invoquer la lésion pour faire
annuler leurs e"ngagements. Toutefois, Pothier nous apprend qu'ils n'étaient pas restitués pour ce seul motif,
quand il s'agissait d'aliénation ou d'acquisition de choses
mobilières (2). Il décide de même que le mineur émancipé peut disposer de ses meubles entre vifs à titre gratuit. Mais la question était douteuse, et, d'après d'Aguesseau, « ce n'était pas tant la nature que l'importance des
biens qui avait servi de principe à la prohibition qu'il pût
aliéner (3). »
Dans certains cas, le mineur pouvait invoquer la rescision. Aux termes de l'ordonnance de '1673, il n'était
pas restitué, lorsqu'il était marchand ou négociant, pour
faits relatifs à son commerce. Nous trouvons dans ces
dispositions l'origine de notre art. 1308 du Code civil et
de l'art. 2 du Code de commerce. En droit romain, le
mineur qui, en contractant, · s'était mensongèrement déclaré majeui' n'était pas restitué. Notre ancienne jurisprudence n'a pas été aussi rigoureuse; elle n'a pas
égard à la fausse énonciation de majorité faite par lui :
elle ne 1ui refuse la restitution que s'il s' estlivré à des
manœuvres frauduleuses pour tromper les tiers, par
(1) Argou,.L. IV, 14.
(2) Pothier, Obligat. n° 4 l.
(3) D'Aguesseau, t. U, p. 263.
�- 79 -
exemple en présentant un faux acte de baptême, qui lui
attribue un âge plus avancé que le sien . Les tiers ne
sont coupables d'aucune négligence, et le mineur s'est
rendu, par son délit, indigne de la protection de la Loi.
Nous avons fini l'étude que nous nous étions proposée
sur notre ancienne jurisprudence: autant que la chose
nous a été po.ssible, nous avons essayé de dégager, à
travers les modifications successives apportées par le
temps, à travers l'obscurité et la confusion des doctrines, les règles qui dominent cette matière. Nous allons
maintenant, en étudiant les articles 'l'l24 et '130n du
Code civil, voie que les rédacteurs du Code n'ont pas su
éviter la contradiction que nous avons signalée dans les
auteurs du .dix-huitième siècle, et qui a été la source de
vives controverses.
��TROISIÈME PARTIE
DROIT FRANÇAIS
DE LA LÉSION A L'ÉGARD DES MINEURS
CHAPITRE I
ÉTAT DES MINEURS ET MOYENS DE PROTEèTION QUI LEUR
SONT ACCORDÉS.
Les personnes dont parle l'article 1118, à l'égard desquelles la lésion est, mdépendamment de son chiffre,
une · cause de nullité des conventions, sont: les mineurs émaneipés ou non émancipés. La loi protège la
faiblesse de l'âge, rien de plus équitable, ni de plus conforme à la mission du législateur, que cette sauvegarde
dont la puissance publique entoure ceux qui ne peuvent
pas se protéger eux-mêmes. Aussi a-t-elle toujours et
partout existé, et, tandis qu'on a controversé vivement la
question de la légitimité de la rescision pour cause de
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1
•
82 -
lésion entre personnes majeures et capables, aucune discussion ne s'est iamais élevée sur le point de savoir s'il
était jus te et opportun de garantir les mineurs contre les
entraînements et les surprises auxquelles ils sont exposés.
L'ancienne jurisprudence, sous l'empire des idées romaines, avait reculé jusqu'à vingt-cinq ans l'âge de la
majorité. Une loi du 3'1 janvier 1790 fixa à 2-1 ans l'âge
de la pleine capacité. Les rédacteurs du Code civil ont
maintenu et respecté cette -rl.écision, et voici les motifs
qu'e11 donnait Portalis dans son discours préliminaire:
« Nous n'avons pas cru devoir réformer cette fixation,
» que tant de raisons peuvent motiver. Dans notre siè>1 cle, mille causes concourent à former plus tôt la jeu» nesse, trop souvent même elle tombe dans la caducité
» au sortir de l'enfance. L'esprit de sociét~ et l'esprit
» d'industrie, aujourd'hui si généralement répandus,
» donnent un ressort aux âmes, qui supplée aux leçons
» de l'expérience et qui dispose chaque individu à porter
» plus tôt le poids de sa destinée (1). ,,
La plupart des tribunaux, néanmoins, protestèrent vivement contre la fixation de cette nouvelle majorité. « L'âge de vingt-un ans, disait le tribunal de Besançon,
est celui de la vivacité des passions; d'ailleurs, plus la
civilisation est av~ncée, plus les rapports sont multipliés
et difficiles à obtenir.,,_ Le tribunal de Nancy, de son côté,
s'exprimaitainsi: «C'estlaforce physique acquise à vingt-un
ans qui produit la faiblesse morale de cet âge; c'est l'effervescence des passions à cette époque qui exige impérieusement qu'on le surveille et qu'on lui laisse un guide et
(1) Locré, Leg. de la France, t. I, p. 297.
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83 -
un protecteur. Pourquoi l'en priver? Ne devrait-on pas
modifier, au moins, la trop grande cap~cité qu'on donne
au mineur de vingt-un ans? »
Les partisans du système contraire répondaient à ces
critiques que la fixation de la majorité à vingt-un ans
étant introduite depuis plus de dix ans, elle avait déjà,
au moment de la rédaction du Code civil, produit tous
ses effets. C'est ainsi qu'elle avait servi de base à une
multitude de transactions importantes; que, sous son
égide, des part.ages s'étai ent opérés, des ventes consommées, et ç'aurait été jeter l'inquiétude dans les esprits de ces nombreux contractants que d'altérer en quelque sorte la bonne foi de leurs conventions par l'anéantissement du principe qui les a déterminées ou sans lequel, du moins, elles n'auraient jamais été légalement
consenties. Du reste, le ma1eur n'est pas si exposé qu'on
veut bien le dire. En le livrant à. lui-même, on le rend
plus attentif à ses droits et à ses devoirs, ainsi qu'aux
conséquences des engagements qu'il contracte. Il e.n connaît toute l'importance et la stabilité; il · sait que sa jeunesse ne servira plus, comme autrefois, de prétexte pour
en faire prononcer la nullité, et cette idée le mel en
garde contre les tentations d'une dissipation insensée.
Et puis, dans beaucoup de cas, l'émancipation n'aura-telle pas été, pour le mineur, une sorte de stage qui le
préparera au libre exercice de ses droits civils? Le jeune
homme aura aussi, à côté de lui, les sages avis et les
remontrances officieuses de ses parents, et on est en
droit de compter sur les salutaires effets de cette protection.
Ce système est parvenu jusqu'à nous sans modification. Toutefois, pour être complet, nous devons mentionner un projet de loi modificatif qui fut présenté à
l'Assemblée législative, en 1851, par M. Benoit-Champy.
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8!1 -
La proposition de cet honorable député n'établissait
point de règle générale prolongeant la minorité, c'esf-àdire l'incapacité, jusqu'à l'àge de vingt-cinq ans. Elle
instituait une prolongation farultative laissée à la discrétion du conseil de famille ou du dnrnier vivant des père
et mère. Mais ce projet de loi, qui avait bien son utilité
et sa raison d'être, disparut devant lès événements qui
marquèrent la fin de cette année.
Aujourd'hui donc, comme à l'époque de la rédaction
du Code civil, les mineurs se divisent en deux classes :
les mineurs non émancipés et les mineurs émancipés.
Les premiers ont à côté d'eux un tuteur chargé· de les
représenter vis-à-vis des tiers; pendant le mariage, c'est
le père qui joue à l'égard des ses enfants le rôle et l'office du tuteur. Le mineur peut être émancipé par son
père ou par sa mère s'il a quinze ans, et, à râge de dixhuit ans, par le conseil de famille, s'il est orphelin. Le
mariage émancipe ·de plein droit. Quant au mineur émancipé, la loi place près de lui un curateur chargé de l'assister dans l'accomplissement de certains actes.
Mais, la tutelle et la curatelle ne sont pas les seuls
moyens de protection institués 3n faveur des milleurs.
L'article H24 les déclare incapables, et si l'on . modifie
quelque peu cette disposit10n en faveur des mineurs
émancipés, ces derniers n'en restent pas moins incapables pour tout ce qui excède les bornes de leur capacité.
Enfin, le législateur met à la disposition des mineurs
trois actions: l'une en rescision, l'autre en nullité, la
troisième en réduction. Cette dernière compète seulement
aux mineurs émancipés : elle sert à faire réduire ad legitimmn modum les engagements qu'ils auraient pris dans
la limite de leur capacité. Son application est donc toute
spéciale .
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Il n'r.n est pas de même des deux autres. L'une est
l'action en nullité pour vice de forme, et l'autre n'est
autre chose que la restitution en entier. Dans cette dernière, on invoqÙe simplement une lésion; dans l'autre,
au contraire, on se plaint du défaut d'accomplissement
de certaines formalités protectrices auxquelles la loi a
rattaché la validité de l'engagement. Hors la différence
qui réside dans la nécessité de justifier d'un préjudice
lorsqu'on agit par l'action en rescision, il n'y a aucune
distinction à faire entre ces deux actions. Leur procédure, leurs causes d'extinction sont les mêmes, parce
que c'est la même législation qui les a créées. L'action
en rescision ne dérive plus d'un droit étranger dont le
chef de l'État doit autoriser l'applicàtion en France; elle
dérive du droit civil. On sait, en effet, que les lettres de
relief ont disparu avec l'abolition des petites chancelleries (Loi du 7 décembre 1790). En un mot, c'est une action en nullité, et l'on n'a conservé le mot d'action en rescision, que pour désigner une action dans laquelle le demandeur doit prouver sa lésion, par opposition à l'action
en nullité dans laquelle il est présumé lésé. C'est ainsi que
l'erreur, le dol, la violence sont aujourd'hui des cas de
nullité, tandis qu'ils étaient autretois des cas de rescision.
Tel est aujourd'hui le caractère des actions en nullité
et en récision : elles appartiennent egalement au mineur
non émancipé et au mineur émancipé (articles 1300 et
1311). Nous avons à voir maintenaint dans quels c'l.s 10s
contrats passés par un mineur sont annulables pour
cause de lésion et dans quels cas ils le sont pour incapacité des parties contractant-es.
6
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CHAPITRE II
DES CAS DANS LESQUELS IL Y A LIEU A L'ACTION EN RESCISION
L'article 1300 ·pose ainsi le principe: « La -simple lésion
donne lieu à la rescision en faveur du mineur non émancipé contre toutes sortes de conventions, et en faveur du
mineur émancipé contre toutes conventions qui· excèdent les b.ornes de sa capacité. 11 D'autre part, les mineurs sont incapables: aux termes des articles 1124 et
1120 c ils peuvent attaquer leurs engagements pour
cause d'incapacité dans les cas prévus par la loi ». Ce
n'est pas tout, il est des actes que le mineur ne peut
taire, même avec le concours de son tuteur, sans observer des formalités particulières, et il résulte de l'article
'1311 que certains engagements pris par _lui sont nuls
en la forme. - Comment concilier ces dispositions, et
déterminer le sens de chacune? Quels contrats sont annulables pour lésion, et quels pour incapacité du con_
tractant ? Quels sont les actes viciés par un défaut de
forme, et ces actes sont-ils nuls ou annulables .seulement?- Questions délicates s'il en fut, et sur lesquelles
ont désirerait trouver dans la loi les théories les plus
claires et les solutions les plus nettes. Malheureusement
il n'en est pas ainsi: là où les rédacteurs du Code,
forts de l'expérience des siècles passés, n'auraient dû
apporter que lumière et précision, nous verrons.au con traire que l'influence exercée sur eux par le droit romain
a apporté dans leurs esprits une confusion qui s'est
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87 -
traduite dans les textes de la manière ra plus fâcheuse,
et qui a fait naître parmi les commentateurs des controverses sans fin.
Les articles q,ue nous avons cités, et les questions
qu'ils soulèvent, ont donné lieu à quatre systèmes.
Nom; allons les exposer tout d'abord, puis nous nous
attacherons à établir la théorie qui nous paraît résulter des textes et de l'esprit du Code, nous réservant de
répondre aux objections des systèmes opposés au nôtre.
Premier système. - Dans cette opinon on distingue
trois sortes d'actes :
t Actes faits par le mineur seul, qui· sont annulables
pour cause d'incapacité.
2° Actes faits par le tuteur dans la limite de sa capacité, qui sont rescindables pour cause de lésion.
3° Actes pour lesquels la loi a prescrit des formalités
spéciales, qui sont inattaquables si ces formalités ont été
accomplies, et nuls en la forme, si elles n'ont pas été
remplies.
Cette distinction entre les actes annulables pour cause
d'incapacité, et les actes annulables pour cause de lésion seulement, a pris naissance à Rome dans l'antagonisme de deux législations rivales : le droit civil et le
droit prétorien. Les Romains reconnaissaient deux classes d'incapables: les pupilles et les mineurs. Les pupilles ne pouvaient contracter valablement sans l'autorisation de leurs tuteurs; d'après le droit civil, Jus ipsum,
l'acte qu'ils avaient passé seuls était nul, et ne pouvait
leur êtœ opposé, même quand il ne contenait aucune
lésion à leur préjudice. Les mineurs, au contraire,
étaient capables, et les actes faits par eux étaient valables en droit strict. C'était le préteur qui leur parmellait
0
�- 88 -
de les attaquer au moyen de la restitutio in integrum ;
et comme ce magistrat respectait scrupuleusement l'antique et traditionnelle autorité du vieux droit, comme il
s'efforçait toujours, par toutes sortes de fictions, de paraître le conserver alors même qu'il l'abrogeait, il faisait .
restituer le mineur, non pas comme mineur car le droit
civil le déclarait capable, mais seulement comme lésé.
Minar restituitur 11011 ta11quàm mi11or, sed ta11quàm lœsus, maxime qui ne s'appliquait alors, on le voit, qu'aux
actes régulièrement faits par un mineur de vingt-cinq
ans délivré de la tutelle, et capable de contracter.
L'ancienne jurisprudence qui supprima la différence
entre les pupilles et les mineurs, et appliqua à ceux-ci
les lois auxquelles étaient soumis les pupilles romains,
détourna cette maxime de son véritable sens; et ne s'apercevant pas qu'il était peu logique, après avoir posé
le principe que le mineur était incapable dans notre droit
comme le pupille en droit romain, d'écarter les conséquences de ce principe et d'appliquer au mineur incapable une règle faite précisément pour le mineur capable,
elle déclara que les actes faits par le mineur sans l'autorisation du tuteur ne seraient point annulables pour cause
d'incapacité par le seul fait de l'absence de l'intervention
tutélaire, mais seulement annulables pour cause de
lésion.
Les partisans du système que nous exposons prétendent que le Code a réparé cette erreur, et que les actes dans lesquels le mineur a figuré seul, au lieu d'être
représenté par son tuteur, sont rescindables pour cause
d'incapacité indépendamment de toute lésion.
Ils se basent sur les termes de l'article 1108 : aux
termes de cet article la capacité de contracter est l'une
des quatre conditions essentielles à la validité des
--
-
�- 89 -
conventions; or, les articles 1124 et 1120 déclarent incapables de contracter, en les mettant tous au même
rang, les mineurs, les interdits, les femmes mariées;
donc les actes des mineurs sont comme ceux des interdits et des femmes mariées, annulables pour cause d'incapacité.
L'article 009 consacre cette assimilation entre le mineur et l'interdit.
Les articles 1124 et 1120 ainsi entendus sont parfaite•
ment d'accord avec l'organisation de la tutelle sous notre
Code. Aux termes de l'article 4o0, le mineur, tout comme
l'interdit, est représenté par son tuteur dans tous les actes civils, c'est-à-dire que la forme même et essentielle
d'un acte concernant un mineur, c'est d'~tre fait par le
ministère de son tuteur. Or, l'article 13H distingue entre les actes nuls en la forme, et les actes seulement sujets à restitution pour cause de lésion. Ne faut-il pas
conclure de cet article que les actes nuls en la forme
sont annulables pour vice de forme, indépendamment
de toute lésion ?
On s'appuie encore sur les articles 484 et 480- pour
prouver que ce système 'résume bien la pensée des ré. dacteurs du Code civil. Ces articles traitent de l'action
en réduction qui compète aux mineurs émancipés lorsqu'ils ont contracté avec excès. Ces dispositions de la loi
seraient inappliquables, si le mineur non émancipé pou_
vait contracter valablement, sous la seule chance de rescision pour cause de lésion. Il en résulterait, en effet,
ceci: que le mineur émancipé serait plns surveillé, plus
protégé que le mineur en tutelle; que le retrait de l'émancipation qui est une peine pour le mineur émancipé,
qui ne s'est pas montré digne de cette marque de confiance, ne serait d'aucune efficacité puisque le mineur
�- 90 -
pourrait encore, même après être rentré en tutelle, contracter comme pendant son émancipation. Prenons une
espèce: c'l;)st un mineur non émancipé qui 10ue un app~rtement somptueux à Ufl prix qui n'est pas exagéré,
étant donnés le luxe et la situation de J'apJJartement,
mais dont le loyer excède de beaucoup les moyens du
mineur. Si on applique au mineur non émancipé le système qui ne lui accorde que la rescision pour cause de
lésion, il n'y a pas de remède pour lui. Lui donnerat-on la rescision pour cause de lésion? Non, car ces engagements ne sont pas en eux-mêmes lésionnaires. La
réduction pour cause. d'excès? Non encore, ce n'est
qu'au mineur émancipé que l'article 484 accorde ce secours. Que COlilClure de là, sinon <IU'à la différence des
engagements contractés par le mineur émancipé qui
sont valables, les engagements contractés par le mineur
en tutelle sont nuls pour cause d'incapacité_?
En démontrant que les actes passés ·par le mineur
seul sont annulables pour vice de forme, les auteurs
du système que nous exposons arrivent à établir que
les actes valabiement contractés par les tuteurs ou
curateurs sont annulables poùr cause de lésion. Et, en
effet, si nous avons vu que le Code civil admet en faveur
des mineurs une rescision pour cause de lésion, et si
cette rescision ne s'applique pas aux actes passés par
les mineurs, il est clair qu'elle ne peut s'appliquer
qu'aux actes que le tuteur a régulièrement faits. Nous
. disons régulièrement faits par le tuteur, car si l'acte
n'était pas fait selon les conditions prescrites par les
lois sur .la tutelle, il serait nul pour vice de forme.
Donc, quant aux contrats passés par le tuteur au nom
du mineur dans les limites de sa capacité, les auteurs
de ce système maintiennent l'ancienne jurisprudence, .et
�- 91 -
faisant application de l'article 1300 déclarent ces actes
rescindables pour cause de lésion. Les auteurs se fondent sur le droit romain et sur l'ancien droit, et déclarent que si les rédacteurs du Code civil avaient voulu
abroger une doctrine aussi universellement admise, ils
n'auraient pas manqué de s'en expliquer en termes formels : or, cette disposition expresse ne $e trouve nulle
part. _
Et qu'importe que le législateur, dans l'article 1300, ait
parlé d'actes faits par les mineurs ; il a voulu tout aussi
bien désigner par là les actes faits par le tuteur seul
sans le concours du mineur. Car le tuteur c'est le mineur, et les mineurs contractent par le ministère de leurs
tuteurs.
Du reste l'article 22o2 du Code civil qui suspend le
cours de la prescription en faveur du mineur, et l'article 481 du Code de procédure qui ouvre la voie de la
requête civile aux mineurs qui n'ont pas été défendus ou
qui ne -l'ont pas été valablement, nous semblent renfermer une application directe de cette doctrine.
Enfin les différents articles qui déclarent que dans
certains actes, le mineur ne sera pas restituable pour
cause de lésion, supposent eux-mêmes une règle générale contraire (articles 4o7, 41)3, 1309, 1314, C. civ.).
Pourquoi· dire que, dans tel ou tel acte, le mineur sera
considéré comme un majeur, si en réalité il était considéré comme majeur dans tous les actes valablement
faits qui le concernent ?
On ajoute que l'intérêt du mineur doit ici l'emporter
sur toute autre considération, Or, cet intérêt serait compromis, si le tuteur pouvait faire au nom de son pupille
des actes que celui-ci serait obligé de respecter, quelque
dommage qu'il éprouvât. Le tuteur pourrait passer des
�- 92 -
baux désavantageux, faire des acquisitions onéreuses,
et causer ainsi au mineur un préjurice irréparable. C'est
ce que la loi n'a pas voulu.
Les auteurs de ce système y apportent une restriction
que nous devons faire connaître. Il existe certains actes
riue le législateur a entourés de tant de garanties qu'il a
dû les rendre inattaquables pour le cas où on a obéi à
ses prescriptions. Ce sont par exemple les aliénations
d'immeuble ('13t4), les partages (466 et 1324), les acceptations de succession (461) ou de donation (463), les
transactions (467 et 2052) et les conventions de mariage
(1308 et 1398). Tous ces actes doivent être assimilés aux
actes faits par le majeur, lo1·squ'ils ont été passés dans
les conditions et avec les formalités voulues. Du reste
dans la plupart de ces cas, la loi exclut la rescision pour
cause de lésion par des dispositions formelles. Et alors ou
ils ont été accomplis avec ces formalités, et ils sont inatta<!{Uables, même pour cause de lésion; ou ils ont été faits
sans les formes requises, et ils sont nuls pour défaut de
forme indépendamment de toute lésion. Tel est le premier
systè~e. ('J)
Deuxième système. - Ce système consiste dans un
amendement apporté par M. Dernante à celui que nous
venons d'exposer, dans une édition . postérieure de son
ouvrage.
Le savant professeur supprime toute distinction entre
(i) Toullier VI, n• 106 et 107 et VII n• 575. - Demante. [• 0 édition Il p. 785. - Troplong, vente n• 166. H.ennes 17 novembre
l836. Sir. 37, 2, 354. - Cass. 16 janvier 1837. Sir. 37, 1, 102.
Bastia 12 juin 1855. Sir. 55, 2, 670.
�- 93 -
les actes du mineur et ceux du tuteur: les uns et les autres seraient rescindables pour cause de lésion. Ce système, dont l'auteur lui-même avoue la bizarrerie, met
sur la même ligne les actes régulièrement accomplis par
le tuteur ou par le curateur, et ceux que le mineur aurait passés seul en dehors de toute capacité, et c'est là
justement ce qui ne se peut pas. Et en effet, si les actes
que la loi veut être faits par le tuteur ou avec l'assistance du curateur, devaient avoir la même valeur quand
ils seront faits par le mineur lui-même, il est bien clair
que le législateur ne se serait pas donné la peine d'organiser la tutelle et la curatelle, qui devenaient dès lors
des institutions inutiles.
De deux choses l'une évidemment : ou bien la rescision est indépendante de l'incapacité qui sera toujours
l'incapacité générale, et alors cette incapacité produira
son effet en faisant annuler l'acte sans aucune question
de lésion; ou bien la rescision pour cause de lésion est le
résultat mème de l'incapacité du mineur, qui sera alors
une incapacité toute spéciale, et c'eiit seulement quand
l'acte aura été fait par le mineur incapable de le faire
que la rescision sera possible. (i)
Troisième système. - Cette doctrine enseigne que
les actes que le tuteur aurait pu faire sans remplir
aucune formalité, et que le mineur a faits lu.i -même,
sont rescindables, non pour cause d'incapacité, mais seulement pour cause de lésion. Quant aux actes pour lesquels la loi n'a exigé aucune formalité spéciale, et que
(1) Demante, progr. li, n• 782, note 1.
�- 94 -
le tuteur a passés dans la limite de sa capacité, ils sont
tout aussi valables et définitifs que s'ils avaient été faits
par urr majeur. Il faudra faire une distinction t>Our les
actes au sujet desquels les formalités spéciales prescrites
par le Code ont été émises. Les actes ont-ils été faits
par le tuteur, ils sont nuls pour vice de forme;
ont-ils été faits par le mineur, ils sont seulement comme
tous les autres actes faits par le mineur lui-même, rescindables pour cause de lésion.
Pas plus que la précédente, cette doctrine ne nous -paraît
admissible. Si la loi, dans les articles qui soumettent certains actes à des formalités spéciales, n'a parlé que du
tuteur, c'est parce que c'est lui qui doit accomplir ces
actes, et elle n'avait éviderrment pas à réglementer des
contrats faits par le mineur contrairement à ses prescriptions. Mais l'absence du tuteur, c'est-à-dire une irrégularité
de plus, ne peut certainement pas devenir pour ces actes
un élément de validité. A quels résultats bizarres conduirait cette doctrine: le pupille aurait plus de capacité
que son tuteur ! L'absence de ces garanties, l'omission
de ces formalités si nombreuses exigées par le législateur,
serait absolument sans effet, quand le mineur a agi luimême ! Ail'lsi, par exemple, un· bail peut être fait par le
tuteur sans aucune formalité; au contraire, la vente d'un
immeuble ne peut avoir lieu qu'après délibération du
conseil de famille, homologation du tribunal sur les conclusions du procureur de la République, aux enchères publiques et après affiches! Et dans le système que nous combattons, il n'y aurait aucune diftérence entre le bail et la
vente d'immeubles que le pupille a_urait passés seul !
L'un et l'autre seraient valables et ne pourraient être
critiqués que sur la preuve d'une lésion. Qomment croire
que le législateur ait voulu mettre ces actes sur la même
--~
-
�- 95 -
·ligne et leur donner la _même sanction, après les avoir
soumis à des règles différentes ! (1).
Quatrième système. - Reste un quatrième système
auquel nous nous rallions. Chemin faisant, nous avons
réfuté les systèmes intermédiaires de M. Demante, dans
sa deuxième édition, et de ~erlin. Nous allons maintenant exposer la doctrine qui nous paraît la plus conforme à l'esprit du Code et à la pensée du législateur ;
et en donnant les raisons qui nous la font adopter, nous
seron amenés à combattre le premier système que nous
nous sommes simplement borné à exposer, sans nous
préoccuper de le réfuter.
Dans notre système, l'article 1300 ne s'applique qu'aux
actes que le mineur a fait;; lui-même et en dehors de sa
capacité. Quant aux actes régulièr.ement faits par le tuteur,
ou avec l'assistance du curateur, ils sont inattaquables
pour cause de lésion, sauf, bien entendu, les cas.particuliers dans lesquels ceux du majeur lui-même pourraient
êlre critiqués pour cette cause. Mais ceci n'empêche pas
qu'il n'y ait nullité, comme le veut le premier système, pour
les actes qui, étant soumis à des formalités spéciales, auraient été faits sans l'accomplissement de ces formalités.
Ce quatrième système peut se résumer en trois propositions :
1• Sont rescindables pour cause de lésion, les actes
passés par le mineur non émancipé seul, ou par le mineur émancipé sans l'assistance du curateur, alors que
cette assistance était requise.
(1) Merlin, Quest. de dr., v• Hypothèques,§ 4, n•• 2 et 3.
�- 96 -
2° Sont inattaquables, même pour cause de lésion, les
actes passés par le tuteur et par le mineur émancipé seul,
lorsque la présence du curateur n'était pas nécessaire,
et les actes exigeant des formalités, lorsque ces forma·
lités ont été remplies.
3° Sont annulables pour vice de forme, les actes
passés sans l'observation des formes pr.'escrites:
Cette opinion, au lieu de prêter au Code une législation sans précédents, comme l'a prétendu M. Troplong
('1), ayant pleinement rompu avec le passé, rattache au
contraire la législation nouvelle à celle d'avant 1789,
comme celle-ci se rattachait elle-même à la jurisprudence
romaine. Aussi est-elle adoptée aujourd'hui par les autorités les plus imposantes de la doctrine, et a-t-elle su
grouper autour d'elle un grand nombre de décisions
·
judiciaires.
Et d'abord le tuteur, quand il agit dans la limite de
ses pouvoirs, accomplit des actes valables et définitifs
qui ne peuvent être attaqués par le rhineur pour cause
de lésion. Il est, en effet, le représentant légal du mineur
dans tous les actes de la vie civile; il a le gouvernement
général de sa personne et de ses biens.. il est substitué à
la personne du pupille jusqu'à l'âge de la majorité. A ce
pouvoir si large, la loi a apporté certaines restrictions.
Certains actes tels que les dispositions à titre gratuit,
les compromis, sont interdits au tuteur; d'autres, les
ventes immobilières, les tr~nsactions, etc., sont subordonnés à l'autorisation (avec ou sans homologation de
justice) d'un conseil de famille, ou même à l'accomplissement de certaines formalités spéciales. Le tuteur agit
li
' '
(l) Troplong, Vente, l,
~
166.
�- 97 -
.
donc en véritable dominus, maître du patrimoine, en tant,
bien entend.u, qu'il agit dans la limite de ses pouvoirs.
Ce principe est formulé d'une manière expresse dans un
arrêt de la Cour suprême, dont nous citons les termes (1):
« Attendu que, pour tout ce qui touche à l'administra» tion de ses biens, le pupille est tellement représenté
» par son tuteur, que le fait de ce drrnier est considéré
» comme le fait de l'autre, - que le mineur est, relati» vement aux actes que le tuteur passe dans la limite
» du mandat qu'il tient de la loi, dans la position du
• mandant relativement aux actes que le mandataire
11 passe dans la limite de ses pouvoirs, etc., etc. »
N'est-ce pas dire que les actes accomplis par le tuteur
dans la limite de son mandat sont aussi inattaquables
que s'ils avaient été faits par le pupille lui-même devenu
majeur? N'y aurait-il pas une grave inconséquence à
rescinder ses actes quand, de par la loi, il ést déclaré
le représentant du mineur dans tous les faits de sa vie
civile? A quoi servirait l'institution de la tutelle, et n·at-elle pas été créée pour veiller à la sûreté des mineurs
et pour écarter la possibilité d'une lésion ? L'intérêt des
mineurs l'exige: car ils ne trouveraient pas à contracter,
s'il n'était pas possible de traiter en sécurité avec leurs
tuteurs. C'est aussi un hommage rendu à la foi publique:
les tiers ont fait ce qu'ils ont pu quand ils ont traité avec
le représentant mandataire légal du pupille; ils ne doivent pas craindre une restitution pour cause de lésion.
Nous ferons d'ailJeurs remarquer que les mineurs,
n'étant plus restituables contre les conséquences des
(1) Cass., 8 juin 1850. Sir. 59, 1, 569.
�-
"
'
98 -
omissions ou des négligences de leurs tuteurs, il serait
contraire à toute logique de leur accorder le bénéfice de
la restitution contre les actes passés p:ir ces derniers dans
la limite de leurs pouvoirs (1).
Voilà la mission du tuteur toute tracée et ses pouvoirs
bien définis. Quels sont maintenant' les pouvoirs du mineur agissant seul? Quel est le sort réservé aµx
engagements qu'il a contractés. Dans l'article 1124, on
commence par ranger ie mineur dans la classe des incapables de contracter: c'est la reproduction de l'ancienne
doctrine. Les jurisconsultes du XVI11° siècle avaient posé
en principe l'incapacité du mineur, le législateur les a
imités. Mais, il a vu également que la règle mi11or restùuitur 11011 ta11quàm minor, sed ta11quàm lœsus, venait
tempérer le principe précédemment posé, et que le mineur, tout incapable qu'on le déclarât, ne pouvait voir
ses actes annulés que si la ·preuve d'une lésion . était
fournie.' Ce système a été complètement reproduit. Le
législateur ne s'en est pas tenu à l'art. 1124 : il l'a fait
suivre d'un article 112;) ainsi conçu : « Le mineur, l'in» terdit et la femme mariée ne peuvent attaquer, pour
,, cause d'incapacité, leurs engagements que dans les
Dans les cas prévus par la
>i cas prévus par la loi. » loi, lisons-nous : ces mots font pressentir un texte nouvèau qui précise les effets de l'incapacité du mineur.
Pour la femme mariée, nous avons l'article 215; pour
l'interdit, l'article ;)02, qui viennent préciser les cas d'incapacité; c'est dans les articles 130;) à '1314 ·que nous
trnuvons le siège de la matière qui nous occupe.
(l) Aubry et Hau, t. IV,
~
335, note 2.
�-
99 -
On ne trouve pas dans ces textes une disposition qui
ne se réfère d'une façon directe, claire et certaine au
mineur lui-même, au mineur seul, paraissant seul sur
la scène juridique. Quant au tuteur, on ne s'occupe de
lui en aucune façon; et c'est avec raison. A son égard
tout était réglé: on avait déjà dit quels actes il pouvait
faire, quels actes lui étaient interdits. Ce n'était donc
que du mineur qu'il poüvait être question, du mineur
qu'on aurait déclaré incapable dans les cas prévus par
la loi. Le moment était venu de dire quels étaient ces
cas.
D'après l'article 1304, le délai de dix ans ne court à
l'égard des actes faits par le mineur que du jour de la
majorité. On ne parle pas de ceux du tuteur qui sont en
prinèipe inattaquables, tandis qu'en règle générale, tous
les contrats que le mineur a passés seul peuvent donner
naissance à une action en nullité, ou à une aetion en res. cision pour cause de lésion. L'article 1300 le démontre :
le mineur aura la restitution en entier pour faire tomber ses conventions quelles qu'elles soient, s'il trouve
qu'elles lui sont préjudiciables. D'ailleurs, le deuxième
· alinéa de l'article 1300 se rapporte à un mineur émancipé qui contracte en personne; or, il ne peut pas en être
autrement du premier alinéa auquel il est lié d'une manière indissoluble. Vainement dirait-on que la loi entend parler d'un mineur s'obligeant avec l'autorisation
de son tuteur, notre droit ne connaît point l'auctoritas
_tutoris: le tuteur est un mandataire chargé de représenter son pupille dans tous les actes de la vie civile. De
·plus l'article 1304 parlait des interdits, l'article '1300
n'en dit pas un mot. Si le législateur avait voulu s'occuper des obligations consenties par le tuteur, il aurait dû
placer l'interdit sur la même ligne que le mineur. Mais
�-
"J
100 -
l'omissjon que no9s signalons se comprend fort bi,en : il
ne s'agit dans l'article 1305 que des obligations consenties par les mineurs eux-mêmes; les obligations~ passées
par les interdits sont frappées de nullité (art. 502), il ne
pouvait donc pas en être question dans un article qui se
borne à ouvrir une action en rescision.
Tous les articl~s qui suivent viennent renforcer les
preuves que nous venons de fournir: il suffit d'y
jeter les yeux pour vojr que par,tout c'est la personnalité du mineur qui est mise en avant; tous supposent qu'il a agi par lui- même . C'est l'article 1306 qui
raisonnant dans la même hypothèse que l'article 1305,
exige que le mineur, pour attaquer les actes qu'il a
passés, fasse preuve d'une lésion. - L'article 1307 qui
parle de la fausse déclaration de majorité, ce qui suppose évidemment que le mineur a agi seul. - L'article
1308 qui déclare que le mineur artisan ou commerçant
ne sera pas restituable contre les engagements qu'il a
pris à raison de son art ou de son commerce. - L'article
1309 qui est relatif aux conventions matrimoniales, c'està-dire à une hypothèse dans laquelle le mineur doit nécessairement agir ~eul et en personne. - L'article '1310
qui parle des obligations résultant de ses délits et quasidélits, ce.qui suppose implicitement que le mineur en est
l'auteur, car sans cela il n'en serait pas responsable. L'article 1311 qui déclare qu'il est non recevable à critiquer l'acte qu'il a".o/it souscrit en minorité, s'il l'a ratifié depuis qu'il est majeur. - L'article 1312 qui parlant des effets de la resci,sion se réfère à l'article t.304,
et suppose dès lors, com!lle lui, de& actes accomplis
par le mineur seul.
Du reste, si la. moindre incertitude pouvait exister
sur la doctrine que nous venons d'exposer, et que :nous.
�,· .
-
101-
aurons l'occasion d'affirmer de nouveau en réfotant les
objections proposées par nos adversaires, lès travaux
préparatoires du Code civil devraient les dissiper entièrement.
Sur le titre de la minorité, de la tutelle et de l'émancipation, on commence par avertir que la minorité
sera réglée sous le Code par les principes de l'ancien
droit : « Ce n'est point une législation nouvelle qui vous
11 est soumise, dit M. H~1guet, dans son rapport au Tri» bunat, ce n'est point un système. nouveau qui vous est
» présenté; c'est un choix de préceptes, · de maximes
» et de règles déjà éprouvées par l'expérience des siècles,
» et que la raison a justifiées depuis longtemps. C'est un
» choix fait soit dans le droit écrit, soit dans le droit
» coutumier, des meilleures institutions sur cette ma» tière. » (1)
L'exposé des motifs de M. Berlier (2) porte de même :
« La plupart des dispositions rédigées sur ces points
» divers s'écartent peu de l'ancien état de la législation,
» et leurs différences n'ont pas même besoin d'être
» analysées. Nous en dirions à peu près autant des
) 1x· et vm· sections relatives à l'administration du tu» teur et à la reddition des comptes de tutelle. » Mais
en même temps, M. Berlier relève les innovations que
l'on a cru devoir introduire: « Cependant, continue-t» il, il est quelques objets d'un ordre supérieur, et sur
» lesquels il nous a semblé que nous devons plus spé» cialement fixer votre attention. Ainsi, par exemple :
•
(1) Locré, Lég. de la Fr., T. VII, p. 247.
(2) Locré, Lég. de la Fr., T. VII, p. 238, 239.
7
�- 102 -
le projet contient des vues nouvelles au sujet des
» transactions qui pourront avoir. lieu pendant la tutelle.
" Les principes admis jusqu'à ce jour, sans repousser
n ces transaclions, en rendaient l'usage i mpraticnble;
n car elles ne pouvaient valoir qu'aul.ant' qu'elles profin taient au pupille, et que celui-ci s'en contentait, si ·
» hoc pupillo conveniat ..... De là, la ruine de plus d'un
" mineur; de là aussi, de nombreuses entraves pour
» beaucoup de majeurs. Il convenait de mettre· un terme
» à de si grands inconvénients, et le projet ·y a pourv·u
» en imprimant un caractère durable aux transactions
» pour l!')squelles le tuteur aura été autorisé par le con. » seil de famille ...... >i
Les divers passages que nous venons de citer, conduisent à cette conclusion que tous les actes du tuteur
ne sont pas rescindables pour cause de lésion: les actes d'administration, parce que l'on a adopté en règle le
système de l'ancien droit; les actes accompliE, avec les
formes spécialement exigées, par suite de la modification
apportée aux principes jusque-là en vigueur. lVI. Berlier
ne .parle des transactions qu'.à titre d'exemple: c'était
contre ces actes que dans l'ancien droit la restitution
était plus facilement admise.
Si, continuant nos investigations, nous parcouron~ les
travaux préparatoires auxquels ont donné· lieu les articles '130;) et suivants, on trouve que toutes les explications des orateurs ont pour seul objet la capacité personnelle du mineur, et déjà sur l'article H24 on avait
déterminé la portée de l'incapacité qu'il établit.
Dans le projet primitif il y avait un article 22 ainsi •
conçu: « Les engagements contractés par les impubères
» sont radicalement nuls; ceux contractés par les mi» neurs, les interdits, les femmes mariées ne peuvent
»
�-
103 -
ê.tre att.aqués que par eux, dans les ca:;; prévus par
la loi ('1) .,,,. Celte distinction fut supprimée, et M. Bigot-Préameneu dans son exposé de motifs nous en donne
la raison : « ••..• Les mineurs, dit-il, sont regardés, à
» cause' de la faiblesse de leur raison, et à cause de
>> leur inexpérience, comme incapables de connaître
» l'étendue de leurs engagements. On peut contracter
» avec eux, mais, s'ils sont lésés, on est censé avoir
., voulu abuser de leur âge . Leur capacité cesse pour
» tout acte qui leur est préjudiciable. L'incapacité du
» mineur n'étant relative qu'à. son intérêt, on n'a pas
» cru nécessaire d'employer la distinction entre les mi>l neurs impubères et ceux qui ont passé l'âge de la
>l puberté ..... Il faudrait donc, si l'on voulait prononcer,
., à raison de l'âge, une incapacité absolue de contracter,
» il faudrait fixer une époque de la vie, et comment
» déterminer celle où on devrait présumer un défaut.
» total d'intelligence? Ne faudrait-il pas distinguer les
» classes de la société où il y a le moins d'instruction ?
» Le résultat d'une opération aussi compliquée et aussi
» arbitraire ne serait-il pas de compromettre l'intérêt
>> des mineurs au .lieu de le p·rotéger? Danp leur qua» lité de mineurs, la moindre lésion suffit pour qu'ils se
li fassent restituer: ils n'ont pas besoin de recevoir de la
>l loi d'autre secours. (2) »
Sur les articl~s '13mS et suivants, le même orateur
s'exprime en termes identiques : « li résulte de l'inca» pacité dn mineur non émancipé, qu'il suffit qu'il
"· éprouve une lésion ·pour que son action en rescision
»
»
('l) Locré, Lég. de la Fr., T. XII, p. 96.
(2) Locré, Lég. de la Fr., T. XII, p. 32'1 et suiv.
�-
104 -
soit fondée. S'il n'était pas lésé, il n'aurait pas d'inté» rêL à se pourvoir, et la loi lui serait même .préjudiciable
» si, sous prétexte de l'incapac;té, un contrat qui lui est
., avantageux pouvait être annulé. Le résulta~ de son
,,· incapacité est de ne pouvoir être lésé et non de ne
» pouvoir contracter (1). »
M. Jaubert, dans son rapport au tribunal, n'est pas
moins explicite : « Pour ce qui est des femmes mariées
non autorisées et des interdits, ils n'auraient besoin que
d'invoquer leur incapacité. A l'égard des mineurs, des
explications étaient nécessaires pour les obligations conventionnelles en général; car, par exemple, ce qui con-cerne l'aliénation de leurs immeubles a des règles particulières. Il est bien vrai qu'en règle générale un mineur
est déclaré incapable de contracter, mais un mineur peut
être capable de discernement: le lien de l'équité naturelle peut se trouver dans un contrat passé par un mineur (2). »
Voilà pourquoi la loi a dû distinguer. S'il s'agit d'un
rnineur non émancipé, la simple lésion donne lieu à la
rescision en sa faveur: il ne sera pas restitué comme
mineur, il pourra l'être comme lésé. Et, quelques lignes
plus loin, le même orateur ajoute que les personnes qui
ont rempli les formalités prescrites pour traiter avec les
mineurs, n'ont pas à craindre la. rescision.
Par l'exposé que nous venons de faire des travaux
préparatoires, on voit se confirmer notre doctrine. Il nous
reste encore, pour être complet, à faire une revue ra»
.
.,
(l) Loiré, Lég. de la Fr., T. Xlll, p. 391 et suiv.
(2) Locré, Lég. de la Fr., T. XII, p. 494.
�- 105-
pide des objections qui nous sont posées par les adversaires. Nous allons les.résumer brièvement avant de les
aborder.
D'après le système des âuteurs que nous combattons, les actes faits par les mineurs sont annulables pour
cause d'incapacité; les actes faits par le tuteur dans la
· limite de ses pouvoirs sont rescindables pour cause de
lésion . Quant aux actes pour lesquels la loi a prescrit
certaines formalités, d'accord avec nous, nos adversaires
les déclarent inattaquables si ces formalités ont été remplies, et nuls en la forme si elles n'ont pas été accomplies. Et, à l'appui de ce système, voici les raisons qu'on
apporte (nous les avons déjà exposées, et, si nous y revenons, c'est pour la plus grande clarté des explications
qui vont suivre). Aux termes de l'article 1108, la capacité de contracter est l'une des quatre conditions essentielles à la validité des conventions; or., les artic1es 1124
et 112n déclarent tncapables de contracter, tn les mettant tous sur un· même rang, les mineurs, les interdits
et les femmes mariées; donc,, les actes des mineurs
sont, comme ceux des interdits et des femmes mariées,
annulables pour cause d'incapacité. Les articles n09 et
20'12 confirment cette doctrine justement favorable au
mineur et qui a pour elle la logique et l'équité. Quant
aux contrats passés par Je tuteur au nom du mineur
dans les limites de sa capacité, ils sont rescindables pour
cause de lésion. Aucun texte du Code ne prouve que nos
législateurs aient voulu modifier les principes du Droit
romain . Bien plus, l'article 2252 du Code civil, qui suspend le cours de la prescription en faveur des mineurs,
et l'article 48'1 du Code de procédure, qui leur ouvre la
voie de la requête civile, s'ils n'ont pas été défendus ou
s'ils ne l'ont pa? été valablement, ne renferment-ils pas
�- 106 -
une application textuelle de cette doctrine? Enfin, les différents articles qui déclarent que, dans certains actes, le
mineur ne sera pas restituable pour cause de lésion, ne
supposent-ils point eux-mêmes une idée générale contaire? On invoque encore l'intérêt du mineur, qui doit
l'emporter sur toute autre considération . .Cet intérêt ne
serait-il pas grav\:)ment compromis si le tùteur pouvait
passer des baux désavantageux, faire des acquisitions
onéreuses, que le mineur serait obligé de supporter,
quel que soit le dommage qu'il en éprou\iât.
Tels sont les arguments de cette doctrine; nous y
avons déjà répondu en partie, mais il est bon d'insister
sur quelques points.
Le système de nos adversaires, · qui décla..re les actes
des mi·neurs annulables pour cause d'incapacité, se fonde
particulièrement sur les articles HOS et 1124. Mais, ces
dispositions ne doivent pas être isolées des autres articles qui, dans le Code civil, ont achev~ de compléter et
d'organiser ce st:jet. L'article H2o lui-même annonçait déjà que le mineur ne pourrait invoquer son incapacité que dans les cas prévus par la loi, et l'article 130t>
est venu décider ensuite qu'il ne pourrait l'invoquer LlUe
dans le cas où il aurait éprouvé une lésion. En ce qui
concerne la femme mariée, l'interdit, le prodigue assisté
d'un conseil judiciaire, la loi ::;'est expliquée clairement,
et d'une façon toute spéciale, sur le sort des engagements qu'ils contractent sans l'autorisation ou l'assistance du mari, du tuteur ou du conseil. Ils sont déclarés
nuls: ceux de la femme, parce qu'elle a manqué du respect dû à l'autorité maritale; ceux de l'interdit ou · du
prodigue, parce qu'ils sont entachés · d'un défaut absolu
de consentement ou d'une insuffisance de discernement.
En ce qui concerne les engagements des mineurs con-
�-
l07 -
tractés sans autorisation tutélaire, la loi n'a, nulle part,
posé la même sanction de la nullité de droit. Cependant,
on a argué des arlicles 1304, 2012, 13H et 009, pour en
induire que les actes faits par les mineurs, sans autorisation de leurs tuteurs, sont nuls de droit.
Et, d'abord, il est bien vrai que les articles '1304 et
20'12 parlent d'action en nullité, d'ohligation qui peut
être annulée; il est vrai encore que c::is articles font allusion au mineur, mais qu'importe. Ces articles appliquent l'action en nullité d'une manière générale non
seulement pour les actes dn mineur, mais encore pour
les actes des femmes mariées, des interdits, des prodigues : toutes personnes à l'égard desquelles on ne peut,
sans impropriété, employer d'autres termes que ceux de
nullité, d'annulation d'engagement. Et puis, du reste,
nous ne nions pas, et nous l'avons dit plus haut, qu'il y
ait, à l'égard du mineur, certains actes nuls de droit: ce
seront, par exempl!°), ceux qui sont passés sans l'observation des formes spécialement requises .
. Que dit l'article 13H? Cet article parle des engagements nuls en la forme par opposition à ceux qui sont
seulement sujets à restitution. Mais, quels sont ces engagements? Nous venons de dire que précisément sont
nuls les engagements qui ont été contractés sans le concours de formes spécialement requises. Ce texte peut
parfaitement s'expliquer dans notre système.
fü~ste l'artide 009. Il assirnile 1 dit-on, l'interdit au
mineur pour sa personne et pour ses biens. Or, l'article
002 déclare que tous les actes passés par l'interdit sont
nuls de droit. Il faut se garder de cette assimilation,
car elle ne se réfère pas à l'incapacité respective du mineur et de l'interdit. L'article 009 prend soin lui-même,
du reste, d'expliquer en quoi consiste cette assimilation,
�-
108 -
quand il ajoute que les lois sur la tutelle des mineurs
s'applique1:ont à la tutelle des interdits, ce qui veut dire
que la tutelle des interdits sera gouvernée par les
mêmes règles que la tutelle des mineurs en ce qui concerne les attributions, les disp mses, les exclusions, les
droits et les devoirs du tuteur, son administration quant
aux biens et à la personne. Il eût été inutile de déclarer
nuls de droit les actes passés par un interdit, si déjà
cette nullité existait pour les actes du mineur : l'assimilation de l'un avec l'autre, telle qu'on l'entend, eùt été
parfaitement suffisante pour faire comprendre ce point.
Nous nous trouvons donc seulement en face de l'article 1300, dont nous devons préciser le sens et indiquer
la corrélation avec les autres dispositions du Code. Nous
avons dit plus haut que l'article 1300 était un des cas
d'application de l'article H2o, où le mineur peut attaf!Uer les actes passés par lui. Mais cet article n'ouvre
en faveur du mineur émancipé ou non qu'une action
en rescision pour cause de lésion: il ne souffle mot de
nncapacité. Et la raison en est bien simple: après avoir
. combiné l'article 1300 avec l'article H2o, qu'on le rapproGhe des articles 220 et 002, et on arrivera tout naturellement à cette conviction que les engagements du
mineur sont seulement restituables pour cause de lésion.
Une autre raison .pour en décider ainsi, c'est que l'article 1300 ne parle pas du tout ni des femmes mariées,
ni des interdits; il ne. faut donc pas les mettre sur la
même ligne, et de ce que la loi acccorde aux uns une
action en nullité, il ne' s'ensuit pas naturellement
qu'elle l'accorde aux autres. Aux mineurs elle accorde
l'action en rescision. Ce sont deux classes de personnes
qui, ayant des besoins différents, ont aqssi des règles différentes. Il faut alors renoncer à toute assimilation entre
�- 109 -
les femmes mariées et l'interdit d'une part, et les mineurs d'autre part. Ou bien, après les avoir assimilés
en dépit de toute disposition formelle sous le rapport
de l'action en nullité, les assimiler aussi sous le rapport
de l'action en rescision pour cause de lPsion, ce qui n'est
. jamais entré dans l'esprit de personne.
Nos adversaires passant ensuite aux actes passés par ·
le tuteur, les déclarent rescindables s'ils causent un préjudice au mineur. Ils ne se doutent pas qu'ils prêtent ·
ainsi une grave inconséquence au législateur. Eh! quoi,
pour les actes les plus importants, les ventes immobilières, les partages, etc., il aurait brisé avec l'ancien
droit en refusant dans ce cas la restitution en entier, ·et
il irait subitement, sans disposition formelle, soumettre à
la rescision des actes d'une gravité bien moindre, que
les jurisconsultel:i du siècle dernier avaient jugés inattaciuables ! Et s'il en était ainsi, comment comprendre les
paroles du tribun Jaubert : « La loi protège la faiblesse
« de l'âge, voilà pour la personne du mineur; et à l'é« gard de l'autre partie qui contracte, c'est à elle seule
« qu'elle doit imputer l'événement. Cehzi· ,qui contracte
«
«
avec Je mineur pourrait-il venir prétendre qu'il Je
croyait mineur ? Non S'ans doute. Pourquoi ne s'est-
il pas informé de la capacité de celui avec qui il voulait contractt>r? » ('l) Cette idée de châtiment donnée
par l'orateur du Tribunat comme fondement à l'action
rescisoire, ne i::ieut pas se concevoir dans l'hypothèse
d'un contrat fait par un tiers avec le tuteur selon les pouvoirs de celui-ci . Dès que le mandataire se renferme
dans son mandat (art. '1998), il a toute capacité pour
«
('L) Locré, t. XII, p. 2%, n° 62.
�!
-
110 -
agir au nom de son mandant, et les actes qu'il passe doivent être inattaquables.
Toujours d'après nos adversaires, l'article 2202 serait
en contradiction avec ce principe; mais il ne s'occupe
nullement d'un contrat passé par le Luleur, et s'il préserve
le mineur des effets de la négligence possible de ce der. nier, c'est par une faveur toute spéciale, fâcheuse peutêtre, et à laquelle la loi elle-même a apporté de fréquentes exceptions (articles 1663, 1676, 2202, 2278, C. civ.
et 444, C. pr.)
On objecte encore l'article 48'1 du Code de procédure
qui ouvre la voie de la requête civile aux mineurs
qui n'ont pas été défendus ou qui ne l'ont pas été valablement. Cependant l'article 481 donne le même privilège
à l'Etat, aux communes et aux étabJissements publics :
personne n'en conclut cependant qu'ils puissent faire
rescinder pour cause de lésion les actes régulièrement
passés par leurs administrateurs.
l\fais la loi elle-même soustrait un grand nombre
d'actes, et les plus importants, à la rescision pour
cause de lésion. Tels sont les partages, les aliénations
d'immeubles, les conventions de mariage. Or, dit-on,
ces prohibitions seraient inutiles, si la règle générale ·
était que le mineur dùment représenté par son tuteur
doit être assimilé i:l un majeur ; il faut donc nécessairement admettre une règle opposée. « Nous croyons, ré(( pond M. Demolombe, (1) qu'il est impossible de méconc< naître plus profondément les intentions du législateur
« et toutes les règles de l'interprétation jurid'ique. Deux
( l) Demolombe, De la minorité, 1, n° 822.
�- tu points étaient certains dans le dernier état du droit
~ qui a précédé le Code civil; d'une part, l'action en resci« sion pour cause de lésion n'était plus admise contre
« les actes d'administration proprement dits, consentis
« par le tuteur seul et sans formalités; d'autre part, cet.te
« action était admise contre les actes de disposition et
« d'aliénation consentis par le tuteur, même avec l'ac« complissement de toutes les formalités prescrites par
<< la loi. En cet état, que font les rédacteurs du Code? Ils
« déclarent que les actes, même les plus importants,
« les aliénations d'immeubles, les partages etc., contre
« lesquels l'anêienne jurisprudence admettait la resci c< sion pour cause de lésion, n'en seront désormais plus
« susceptibles. Et parce qu'ils n'ont rien dit des actes .
« ordinaires d'administration, des baux, des acquisicc tions, etc., on préténd en induire qu'ils ont rétabli à
c< leur
égard cette action en rescision dont l'ancien
« droit lui-même avait été forcé de les affranchir par la
" puissance de l'opinion et les nécessités de la pratique.»
Il est clair que cette conclusion était inadmissible, et
qu'au lieu d'un argument à contrario, c'est un argument
à fortiori qu'il faut tirer des articles en question. Le
législateur, qui rejette positivement la rescision dans les
actes les plus dangereux pour les mineurs, aux cas
où Je droit antérieur_l'admettait, n'a évidemment pas pu
l'admettre dans les actes nécessaires, d'un usage quotidien, et d'une importance seéondaire, pour lesquels
l'ancien droit les repoussait déjà. Quant à nous, _du
moins, cette considération nous semble sans réplique.
On a parlé aussi de l'intérêt des mineurs : nous rép,ondrons que cet intérêt bien entendu, non moins que les
exigences du crédit public; réclame impérieusement
l'adoption de notre système. Ce serait rendre impossible
«
�-
112 -
l'administration du tuteur que de soumettre tous ses
actes à la rescision; ce serait condamner les. tiers à une
dangereuse incertitude el à de longues hésitations. Le
mineur trouvera des garanties, du reste, dans la présence
du subrogé-tuteur, dans le contrôle du conseil de famille,
dans la destitution à laquelle s'expose le tuteur, s'il est
incapable ou infidèle; enfin dans le recours en dommages et intérêts· qui appartient aux mineurs aux termes de
l'article440, et dans l'hypothèque légale sur les immeubles
du tuteur qui assure ce recours (1).
Les trois propositions que nous avons posées au commencement de cette discussion, doivent s'appliquer, et
par les mêmes motifs, au min_eur émancipé. Ainsi, nous
déclarons inattaquables les contrats qu'il a faits avec l'assistance de Son curateur, et pour lesquels la loi n'exigeait
pas d'autres formalités; et ceux qu'il a passés dans la
limite de sa capacité, sauf, bien entendu, pour ces derniers, l'action en réduction dont il est parlé dans l'article
484 .. Il pourra faire rescinder, pour cause de lésion, les
contrats qu'il a faits seul et pour lesquels la loi exigeait
:·assistance de son curateur. Quant aux actes pour lesquels la loi a prescrit, outre l'assistance du curateur,
d'autres formalités, l'acte est valable, si ces formalités
onl été observées; dans le cas contraire, il est nul, conformément à l'article 1311. L'article 1301), en disant que
(1 ) Demolombe, T. VII, n° 3:20 et suivants - Marcadé, 1mr l'art.
1304. - Larombière, sur l'art. 1305, n~ 11. - Âubry et Rau,
T. VU, ~ 335. - Duranton, T. :X, n° 280 et suivants. - Toulouse,
_13 février 1830, Sir. 31, 2, 31 4. - Bastia, 26 mai 1834, Sir. 35, 2,
27. - Cass., 18 juin 1844, Sir. 44, 1, 497. - Rouen, 23 juillet
1858, Sir. 61, 1, 625. - Paris, 18juillet1864, Sir. 64, 290.
�- 113 -
le. mineur émancipé peut faire rescinder, pour cause de
lésion, toutes conventions qui excèdent les bornes de sa
capacité, doit s'entendre des actes qu'il ne peut faire
seul, mais qui, néanmoins, ne sont pas soumis à des
tormes spéciales. Du reste, les développements que nous
avons donnés plus haut nous dispensent de nous arrêter
ici plus lo~gtemps.
CHAPITRE III
DES CAS EXCEPTIONNELS DANS LESQUELS L'ACTION EN RESCISION
EST REFUSÉE AUX MINEURS.
1. - Le mineur qui emploie des manœuvr:es frauduleuses pour faire croire à sa majorité, n'est pas restituable contre les obligations qu'il contracte en pareille
circonstance. Mais il faut que la déclaration soit mensongère (1), car, dit l'article 1307, « la simple déclaration
de majorité ne fait pas obstacl'e à la restitution. » C'est
qu'en effet l'incapacité que la loi décrète en faveur du
mineur serait vaine, s'il était possible de s'y soustraire
par une simple déclaration de majorité, d'autant plus
(1) Si minor semaj. d1xer, Cod., L. 12, LU, T. XLVIll.- Domat,
Lois civ., part. 1, L. IV, T. VI, Sect. II, n• 7.
�-
114 -
qu'il serait à craindre que ces déclarations ne devinssent
de style dans toutes les conventions passées par des mineurs. Mais si pour contracter, et pour capter la confiance
de son co-contractant, le mineur a commis un véritable
dol, il sera alors déchu du bénéfice de la restitution. Ce
n'est pas que Je vice de l'engagement n'existe pas toujours, seulement comme le mineur est responsable de
son dol personnel (art. 1310), et qu'il doit, à ce titre, des
dommages-intérêts à l'autre partie, on a pensé que la
réparation la plus simpleet le dédommagement le plus
naturel consisteraient pour cette demière dans le maintien
du contrat. C'est donc plutôt à titre de dommages-intérêts qu'à titre de convention parfaitement valable, que le
contrat est maintenu (1).
II. - Le mineur commerçant, banquier ou artisan,
n'est pas restituable contre les engagements qu'il a pris
à raison de son commerce ou de pOn art (art. '1308).
L'ordonnance de. '1673, dans le but de donner toute sécurité aux transactions commerciales, refusait toute restitution aux mineurs marchands ou négociants. L'article
487 du Code civil est la reproduction de l'ancienne doctrine. Le mineur commerçant dont il est ici question n'est
pas celui qui, de fait, exerce le commer_ce, mais celui
qui a été autorisé à l'exercer, et qui a rempli les conditions exigées par l'article 2 du Code de commerce (2),
(l) Larombière, art. 1307, T. IV, n° 3. - Toullier, T. 7, n•• 589
et 590. - Duranton, T. XII, n° 289.
~
(2) Merlin repert., V0 mineur, ~ 9, n• 7. :.-- Aubry et Rau, T. 4
335, p. 258, note 19. - Larombière, art. 1308, n• 2.
�-
1'15 -
c'est-à-dire, 1° qui est émancipé, 2° qui a 18 ans accomplis, 3° qui est valablement autorisé, 4° dont l'act8 d'autorisation est enregistré et publié.
On comprend facilement pourquoi la loi a pris soin de
dire que les mineurs commerçants ne seraient pas restituables contre leurs engagements. En effet, la prospérit.6
du commerce repose sur la confiance et sur le crédit;
aussi, en admettant les mineurs à exercer le commerce,
la loi a dû leur attribuer, dans son exercice, la capacité
des majeurs.
_
La loi place les artisans .sur la même ligne que les
mineurs : eux aussi seront réputés majeurs pour tous les
faits qui concernent leur art. Ce mot a~tisan, dont se
sert l'article 1308, a une acception fort large. Littéralement, il signifie celui qui exerce un art, une industrie,
un métier, une profession quelconque. Son sens, du
reste, est suffisamment clair par lui-même. Pourquoi la
_loi a~t-elle placé les artisans sur la même ligne que les
mineurs? M. Larombière (1) répond à cette question :
« Les relations sociales, dit-il, pour les choses' les plus
n simples et de tous les jours seraient, en effet, cons» tamment troublées et même impossibles, si un artisan
" pouvait, sous prétexte de lésion, demander son salaire
» ~à dire d'expert. D'ailleurs, par cela même qu'il est
>J apte à exercer un art, un métier, une profession, il est
» réputé avoir, quant à leur exercice, tout le discerne. » ment d'un majeur, quel que soit son âge. »
Nous devons toutefois noter qu'à la différence du mineur qui, pour exercer le commerce avec toute la capacité du mineur, a besoin d'être âgé de 18 ans, émancipé,
(1) Larombière, Obl. art. 1308, n° 3.
�-
116 -
autorisé conformément à l'article 2 du Code de commerce, le mineur artisan n'a à remplir aucune condition
d'âge ni d'autorisation. Il lui suffit du simple fait de
l'exercice d'un art, d'une profession, d'une industrie. On
s'est demandé, alors, puisque le mineur artisan n'est
point soumis aux prescriptions de l'art. 2 du Code de
commerce et peut être non émancipé, si la loi n'avait
pas en vue deux situations différentes? Cette assertion
ne nous paraît pas très fondée, et l'admettre ce serait
donner une trop grande extension et une trop réelle importance à un mot équivoque. M. Bigot-Préarneneu justifiait cette disposition en ces termes : « Le mineur est
» àssimilé au majeur lorsqu'étant commerçant, banquier .
» ou artisan, il prend des engagements à raison de son
erce ou de son art. Il ne peut faire Je commerce
» comm_
» sans avoir la capacité de contracter, en toute garantie,
» les engagements qui en sont la conséquence naturelle
» et nécessaire. L'intérêt général du ·commerce exige
·
» qu'il en soit ainsi. »
Or, il semble bien parler d'un mineur exerçant un
commerce ou une industrie d'après les règles auxquelles
ces professions sont ordinairement soumjses. Dans l'opinion contraire, on pourrait aller jusqu'à dire qu'un enfant de dix ans peut, s'il est artisan, contracter J.es engagements les plus dommageables, sans possibilité de restitution: c'est tout à fait inacceptable. Ainsi donc, le mineur commerçant, dont il est ici question, n'est pas celui
qui, de fait, exerce le commerce, mais celui qui a été
autorisé à l'exercer et qui a rempli les conditions exigées
par la loi.
III. - Le mineur ne peut attaquer, même par voie de
rescision, les con_ventions portées en son contrat de ma-
�-
117 -
riage, lorsqu'elles ont été faites avec l'assistance de ceux
dont le consentement était requis pour la validité de son
mariage (art. 1309). C'est l'application de la maxime:
Habilis ad nuptias, habilis ad paota nuptialia.
La faveur qui s'attache au mariage commandait' cell e
exception, faveur-bien justifiée par la solennité et l'importance de ce contrat. Une convention telle que,Ie contrat de mariage, faite entre deux familles, entourée de
toutes les garanties désirables, ne pouvait, sans de
graves inconvénients, être soumise à l'actionenrescision.
Aussi le mineur dùment assisté a-t-il pour consentir ce
contrat toute la capacité d'un majeur. Mais si les formalités ont été omises, si le mineur' n'a pas été régulièrement assisté, le contrat doit-il être annulable po1.1r vice de
forme? Certains auteurs, et des plus autorisés (1), se
prononcent pour la négative. Ils considèrent qu'il s'agit
ici d'une simple question de capacité, et que par conséquent le contrat de mariage passé par un mineur non régulièrement assisté, est rescindable seulement pour cause
d'incapacité, ou, ce qui est la même chose, rescindable
pour cause de lésion. Mais ce système est repoussé par
une jurisprudence constante. La Cour de cassation a décidé plusieurs fois (2) que le contrat de mariage dans
cette hypothèse est nul pour inobservation des formalités
prescrites, et que, par conséquent, il n'est pas nécessaire
de rechercher si l'époux mineur a été lésé. La doctrine
consacrée par la jurisprudence nous paraît seule conforme aux _principes et doit, par conséquent, être admise.
(1) Aubry et Rau,~ 502.- Marcadé, art. 1398, n° 2. - Troplong,
Contrat de mariage, 1. n° 288.
(2) Cass., 5 mars 1855, Sir. 55, 1, 348.-Cass., 13juillet1857, Sil'.
57, 1, 801.-Cass., 20juillet 1859, Sir. 59, 1, 849.
8
�-
11s· -
Par exception aux: principes ·posés par les articles
1309 et '1398, l'article 2'140 ne permet pas à la future mi-
neure de consetitir dans son contrat de mariage la réductiop cle son hypothèque légale. Ainsi, une femme mineure, même assistée de toutes les personnes dont le consentement est nécessaire à la validité du mariage, ne peul
pa.r son contrat valablement restreindre l'étendue indéfinie de son hypothèque légale.
IV. - Le mineur n'est pas restituable contre les ob ligations qui naissent de son délit ou de son quasi-délit
(art. '13'10). 11 est impossible de permettre au mineur de
se prévaloir de son incapacité civile pour se soustrajre
à cette règle d'équité qui obljge toute personne (art.
'1382 et '1383) à réparer le préjudice qu'elle cause à autrui par sa faute, son incurie ou sa négligence. Ce serait un singulier privilège acc)rdé au mineur que de lui
donner le droit de nuire et de mal faire irr.punément.
Le droit romain n'en décidait pas autrement; il avait appliqué ·1e même principe aux mineurs: Et placet in delic•
tis minorihus non subveniri (1) « malitia non supplet
œtatem (2) ». Le mineur n'est pas seulement responsable de ses délits et de ses quasi-délits; il répond aussi
du dol et de la violence qu'il aurait pratiqués envers un
tiers pour le faire contracter.
Il n~ faudrait pas cependant donner une trop grande
portée à cette exception, et aller ainsi contre les prescriptions de la loi dont le but est précisément de restituer les mineurs contre les suites de la légèreté et de
(1) Loi 9, § 2, Dig., L. lV, t. 4.
(2) Loi 3, Cod. Si
~ninor
se majorem dixel'it.
�-
119 -
l'inexpérience de leur âge. Ainsi, par exemple, il a élé
décidé par la Cour de cassation que l'indication d'une
fausse cause dans un billet à ordre souscrit par un mineur ne saurait être considérée comme un quasi-délit imputable à ce dernier, et ne l'empêcherait pas, même
contre un tiers porteur de bonne foi, de demander la
rescision de son engagement ('l).
Le mineur pourrait même se fatre restituer contre
f aveu et la reconnaissance qu'il aurait faite de son délit ou de son quasi-délit, ainsi que sur la transaction
qu'il aurait consentie à ce sujet. (2) .
V.- Les mineurs ne peuvent attaquer pai' l'action en
rescision les engagements qui se forment indépendamment de leur volonté: telles sont les obligations légales .
.Les principes d'ordre supérieur sur lesquE>ls elles reposent doivent faire fléchir les intérêts privés. Telles sont
aussi les obligations qui procèdent du fait d'un tiers, et
celles qui résultent de l'application du principe que nul
ne peut s'enrichir aux dépens d'autrui.
VI. - Notons enfin, en terminant ce chapitre, que
contrairement à ce qui avait lieu en droit romain, la restitution Ii'est pas admise contre la répudiation d'une
succession qui a été acceptée depuis par un autre héritier
(art. 790); elle ne l'est pas non plus contre le défaut
d'acceptation ou de tran~cription d'une donation.
(1) Cass., 19 février 1856. Sir. 56, 1, 301.
(2) Aubry et Rau, I. 4,
ê 335, p. 259.
�-
120 -
CHAPITRE IV
DE LA LÉSION ET
DE SES
L'ACTION EN RESCISION. -
CARACTÈRES. -
A QUI COMPÈTE
CONTRE QUI ELLE SE DONNE.
-
DE LA PREUVE DE LA LÉSION.
~ I
De la lésion et de ses caractères
La loi n'a pas donné de définition de la lésion, et les j ugesont sur ce point un pou voit· très large d'appréciation.
Ce mot peut s'entendre indifféremment du profit manqué, de la perte éprouvée, des charges assumées, et
même des embarras, des peines d'un procès auquel le mineur se serait exposé, Du reste, l'importance plus ou
moins grande de la lésion est, en général, sans influence
sur le sort de l'action en rescision; une- simple lésion
suffit. Le juge cependant pourrait écarter une action
qm ne serait fondée que sur un molif de trop mi nime importance. On connaiL l'adage : De minimis non
curat prœtor, et Je tribun Jaubert s'exprimait à ce sujet en ces termes : « La loi dit la simple lésion; elle n'en
« détermine pas la qualité. Cependant ce mot lésion
«
«
emporte avec lui l'idée d'un dommage un peu remarquable. C'est au juge à prononcer sur ce point (1) ».
Si le préjudice le plus insignifiant avait suffi pour faire
rompre un engagement contracté par le pupille, le remède eût été pire que le mal, et le crédit public eût
souffert sans avantage pour personne. Au surplus, la
(1) Locré, Leg. T. XII, p, 494 n• 61.
�- 121 -
question de sa voir si le mineur a ét1~ lésé ou non est
une question de fait laissée à l'appréciation des tribunaux dont la décision échappe sur ce point à la censure
de la cour de cassa lion (t).
La lésion doit non seulement s'apprécier eu égard
à l'objet_de la convention, mais encore aux circonstances
e~térieures de l'engagement, à ses conséquences directes ou indirectes, prochaines ou éloignées, poürvu toutefois qu'elles s'y rattachent nécessairem.ent. Ce sont en
effet les termes mêmes de la 101 : « Le mineur n'est pas
restituable pour cause de lésion, lorsqu'elle ne résulte
que d'un engagement casuel et imprévu ». C'est par
exemplè un mineur qui a acheté un immeuble, même à
des conditions avantageuses, mais qui n'a pas d'argent
disponible pour le payer : par suite ·de cette situation,
il se trouve sous le coup de poursuites, d'une expropriation, etc., voilà tout aut.ant de circonstances aggravantes,
et au besoin constitutives de la lésion. La lésion devra
donc s'apprécier d'une manière relative, selon l'importance de l'acte dont la rescision est poursuivie. On
pourra dire en somme que le mineur est lésé toutes
les fois qu'il ne retire point de son eontrat un ayantage
qui, juridiquement apprécié, ne lm offre point l'équivalent des obligations qu'il s'est imposées. Prenons encore un exemple qui fera mieux ressortir notre pensée.
Un mineur s'oblige à payer une somme de tant pour
tirer son père de prison. Pourra-t-il faire rescinder cet
en.;agement pour cause de lésion? Nous pensons que le
mineur pourra faire rescinder cet acte pour cause de lé-
(1) Cass. 8aoùt1859. Sir. 60, 1, '100. Cass. 24 avril 186l. Sir. ·51,
1, 625. .
�-
122 -
sion,à moins qu'il n'ait eu, à le contracter, un intérêt juridiquement appréciable. Et dans l'hypothèse que nous
citions, l'engagement du mineur ne sera pas rescindable si cet acte devait maintenir le père de famille à la ·
tête de ses affaires, de son commerce, etc., parce que ce
résultat peul être avantageux pour le mineur lui-même.
ê II
A qui compète l'action en rescision
Le droit d'jntenter -l'action en rescision appartient
d'abord au mineur lésé, mais èe droit, il ne peut le faire
valoir qu'après avoir atteint sa majorité. Jusques-là
l'exercice de l'action appartient au tuteur. De la person~e du mineur le droit de demànder la rescision passe
~t ses héritiers ou successeurs et à ses cessionnaires.
En ce qui concerne les créanciers, on a dit que l'article H66 leur permet bien d'exercer tous les droits et
actions du débiteur, à l'exception toutefois de ceux qui
sont exclusivement attachés à la personne. Or, les art.icles '1208, 2012 et 2030 ']Ualifient de purement per3onnelle au débiteur l'exception fondée sur la minorité,
d'où on a tir~ cette conséquence que l'exception dont il
s'agit est l'une de celles qui ne peuvent être invoquées
par les créanciers (J). On a ajouté aussi qu'il convieet
de laisser le mineur seul juge d.e la' question de savoir
(1) AubrJ' et Rau, T. 4, p. 258 ~ 335. - Bastia 26 mai 1834. Sir.
35, 2, 27.-Rouen 9janvier l838. Sir. 38, 2, 210.- Bastia 30 août
1.854.. Sir 54, 2, 481.
�.
-
'123-
s'il n'est pas, au moins moralement, obligé de respecter
l'acte qu'il a passé sans assistance.
Ces arguments n'ont pas, à· notre sens, toute la portée
qu'on leur attribue. Et d'abord, il ne faut pas confondre,
comme on le fait dans le système que nous combattons,
les droits et actions exclusivement attachés à. la personn&
dont parle l'article H66, et les droits ou exceptions
purement personnels des articles 1208, 2012 et 2036.
Les articles 1208, 2012 et 2036 s'occupent d'une matière
spéciale, celle du cautionnement. Or, en matière de cautionnement, il y a des exceptions réèlles pouvant être
invoquées par le débiteur principal et par la caution; et
des exèeptions personnelles (telles, par exemple, quel' ~x
cer)tion de minorité) qui appartiennent au seul débiteur
principal. Mais de ce que l'exception de minorité est
personnelle et non pas réelle, en résulte-t-il qu'elle ne
puisse être invoquée par les créanciers du mineur dans le
cas de l'article H66? Ce serait là une conséquence forcée, inadmissible en théorie, comme aussi en bonne
équité . L'action en rescision pour cause de lésion appartenant au mineur constitue un élément de son patrimoine,
élément sur lequel porte le droit de gage général accordé
aux créanciers par les articles 2092 et 2093.
Nous venons de voir qu'aux termes des articles '1208,
- 2012 et 2036, les co-débiteurs solidaires et les cautions
ne peuvent opposer aux créanciers l'exception tirée de la
minorité de leur débiteur. A plus for le raison ne peuventils pas intenter l'action en rescision pour cause de lésion
de l'acte dans lequel ils se sont engagés avec le mineur,
et si ce droit ne leur appartient pas, à plus forte raison
est-il refusé à. des co-débiteurs simplement conjoints.
Tout cela est parfaitement conforme aux principes, du
reste ; en effet, les article_s 130~ et 1313, complétant la
�- 124 -
disposition de l'article H18, décident: le premier, qu·e la
simple lésion donne lieu à Ja rescision en faveur du
mineur contre toutes sortes de conventions; le second,
que les majeurs ne sont restituables pour cause de lé'sion
que dans les cas. spécialement exprimés par le Code,
c'est-à-dire en matière de partage, de vente d'immeubles,
et dans le cas spécial de l'article 783. Il suffit de combiner les règles de nos deux articles pour être amené à .
refuser, comme nous l'avons fait, le droit de demander
la rescision, aux co-obligés du mineur solidaire ou non.
Des auteurs (t) ont voulu apporter à cette règle une
restriction, et ont soutenu que da.ns les matières indivisibles, les co-obligés du mineur peuvent intenter l'ac.t.ion
en rescision appartenant à ce dernier. Que si, par exempie, plusieurs co-propriétaires d'un même immeuble,
dont l'un mineur, avaient établi une servitude sur cet
immeuble, les co-propriétaires majeurs seraient autorisés à faire rescinder, ou mieux, annuler l'acte constitutif
de la servitude; en se fondant sur l'incapacité de leur
co-propriétaire mineur. - Ceci est inexact, croyons-nous.
On s'est appuyé sur la règle in individuis minor maj orem relevat; mais cette règle n'est applicable qu'aux
prescriptions ou aux déchéances de droits indivisibles.
On a dit encore qu'une servitude ne pouvant être constituée pour partie, la rescision, ou, dans l'espèce, l'annulation de l'engagement du mineur, profiterait nécessairement aux majeurs. Que la rescision ou l'annula~ion, une
fois prononcée, profite aux majeurs, nous ne I.e nions pas;
le tout est de savoir si les majeurs ont le di'.)it de faire
prononcer l'annulation, et c'est ce que les partisans du
·
(J) Proudhon, 11, p. 489. - Duranton, XII, 5'16.
�- 125 -;--
système adverse ne parviennent pas à établir. Au surplus, il faut tenir compte ici d'un autre élément. En supposant un partage ultérieur de l'immeuble ainsi grevé
de servitude, et en appliquant la règle posée par l'article
883, on arrive au résultat "suivant : si l'immeuble
tombe au lot du mineur, la servitude disparaitra
pour le tout; si, ·au contraire, l'immeuble tombe au lot
d'un majeur, celui-ci devra supporter la servitude.
Aussi quelques auteurs ont-ils proposé de déclarer l'action du mineur non recevable, prématurée, tant que dure
l'indivision ('l).
Ainsi, dans aucun cas, les co-débiteurs du mineur ne
. peuvent exercer notre action en rescision. Il en est de
même des tiers avec lesquels le mineur a passé l'acte
entaché de lésion, l'article ·l'l 2~ défendant aux personnes capables de s'engager, d'opposer l'incapacité de celles avec lesquelles elles ont contracté. Cependant on
s'accorde pour donner, dans un intérêt d'équité, aux
tiers contractants, le droit de provoquer le mineur, avant
l'exécution de J'acte, à choisir immédiatement entre
l'exercice ou l'abandon valable de l'action, et de surseoir _à l'exécution, en cas dç refus de la part du mineur.
ê III
Contre qizi se donne l'action en rescision.
Après avoir indiqué quelles sont les personnes demanderesses dans l'action en rescision pour cause de
(l) Aubry et Rau, t. 4.,
g 335, note 15.
�- 126 -
lésion, voyons celles qui sont" défenderesses. L'action en
rescision, appartenant au mineur, est toujours, à notre
sens, une action personnelle et une action mobilière; elle
doit être intentée contre celui avec qui le mineur a passé
l'acte ou contre ses héritiers, et elle pourrait l'être,
comme à Rome, contre un autre mineur: les dispositions de.la loi étant générales, il n'y a pas lieu de distinguer ('1). Et comme l'action est personnelle, il résulte
qu'elle doit être portée devant le tribunal du domicile du
défendeur.
ë IV
De la preuve de la lésion.
Si les formalités prescrites pour l'accomplissement de
certains actes importants n'ont pas été observées, le mineur n'a pas à prouver la lésion : le fondement de sa demande est dans la loi qui la présume en défendant d'agir
sans ces formalités . Une fois la nullité prononcée, si
l'adversaire veut reprendre ce qu'il a payé en exécution
. du contrat, il doit prouver la versio J,1 rnm qui en est la
condition; car le mineur ne doit subir aucune perte
(art. '13'12).
Mais, s'il s'agit de ces actes pour lesquels la loi n'exige
pas de formalités spéciales, le .mineur qui les a faits seul
peut se faire restituer, en prouvant la lésion sui,vant la
maxime: aotori inoombit proha.tio. Elle est le fondement
de son droit; il ne lui suffirait pas de prouver qu'il est ·
( l) Aubry et Rau, t. 4,
~
3.:15, note 17.
�-
127 -
mineur, puisque la minorité n'est pas une condition suffisante pour faire annuler ses actes (1).
Il n'y a pas de difficulté, lorsqu'il s'agit d'une différence entre les valeurs échangées, s'il s'agit, par exemple, d'une vente mobilière à vil prix, d'un échange de
meubles désavantageux; il doit alors prouver la lé ~ ion,
puis, l'ad"ersaire qui devra se faire restituer ce qu'il a
fourni devra prouver la versio in rem (art. 1312).
La question n'est plus aussi facile, quand la lésion
consiste uniquement dans la dissipation des valeurs reçues. Je suppose qu'un mineur ait vendu de• meubles à
leur juste prix, mais il a dissipé les deniers et demande,
de ce chef, la rescision de la vente. Sera-ce à lui de
· prouver qu'il n'a pas profité? Les articles 13'12. et 1241
paraissent toujours mettre la preuve au profit de l'adver. saire. MM. Aubry et Rau admettent une opinion contraire,
.et nous croyons qu'ils ont raison (2) . L'article '1312, qui
suppose la rescision déjà prononcée et n'en règle que les
effets, ne peut pas nous être opposé. Quant à. l'article
1241, il est plus embarrassant: l'acheteur, en versant
son prix, a fait un paiement; or, le paiement fait à un mineur n'est pas valable, à moins que le débiteur ne prouve
qu'il en a profité. Cependant, avec un peu d'attention,
il est facile de voir que l'article 124'1 est en dehors du cas
que nous traitons, celui de rescision du contrat de vente
ou de tout autre contrat. Le mineur doit alors prouver la
lésion (art. 1400) . Mais, l'article 1241 s'occupe de la validité du paiement : le mineur ne demande pas la nullité
(1) Aubry et Rau, t.
t1,
§ 335, p. 256 - Marcadé, art. 1305, n° 891 ,
in fine.
(2) Aubry et Rau, t. 4, § 337, note 5.
�- us du contrat, il demande qu'il soit exécuté une seconde fo1s
vis-à-vis de lui : dans ce cas, et par exc~ption au principe général, il n'a rien à prouver.
On arrive ainsi à un résultat assez bizarre: le mineur
qui aura, par exemple, vendu des meubles, ne pourra
les reprendre sans prouver qu'il a dissipé le prix, s'il n'y
a pas eu lésion d'autre part, et pourra se dispenser de
faire cette preuve eu demandant une seconde fois le prix.
Mais, aussi, il y avait faute de la parl de celui qui verse
de l'argent entre les mains du mineur, qui peut le dissiper : il n'aurait dû faire le paiement qu'au tuteur ou au
mineur assisté de son curateur. C'est à ce point de vue
que semble se placer M. Bigot-Préameneu, lorsqu'il dit,
dans son exposé des motifs: ( Le débiteur serait en faute
s'il faisait un paiement à celui qui, par son âge .ou p~r
un autre motif, n'avait pas la capacité de recevoir. »
CHAPITRE V
DES FINS
D~
NON RECEVOIR
I. - Nous trouvons un premier exemple de fin de
non-recevoir de l'action en i'escision dans l'offre que le
défendeur est autorisé à faire d'une indemnité suffisante pour faire disparaître le préjudice dont se plaint
le demandeur. Dans l'hypothèse d'une pareille offre,
l'action est arrêtée , elle est éteinte parce que la
cause en a disparu. Le tout est de savoir si le de-
�-
129 -
mandeur est tenu de se contenter d'une satisfaction
pécuniaire égale au montant du préjudice et laissant subsister, par conséquent, l'acte attaqué ; les auteurs sont
à peu près d'accord pour enseigner cette doctrine ('1), et
ils se fondent sur l'analogie qui existe entre notre hypothèse et les cas prévus par les articles 89·1 et HS8'1.
IL - Lorsque un mineur succède à la personne avec
laquelle il a passé une convention sujette à rescision,
il ne peut plus évidemment exercer son action, il n'a plus
d'adversaire. Dans cette hypothèse, la confusion n'est pas
seulement une fin de non-recevoir, elle est un mode
d'extinction totale de l'action, qui ne peut plus même être
intentée.
Mais il est une hypothèse dans laquelle la contusion
pourra devenir une véritable fin de non-:recevoir, la
voici. Nous supposons un acte nul en la forme passé
par le tuteur, et le mineur devenu héritier de son tuteur.
Si le tuteur était tenu personnellement à garantie vis-àvis du tiers, ce ·dtimier, actionné en nullité de l'acte,
opposera la confusion, et la demande sera ainsi repoussée. Il resterait à déterminer les cas dans lesquels le
tuteur doit garantie, mais ce point, étranger à notre suj et,
ne doit point nous occuper ici .
III. -La confirmation est un acte juridique par leque1
une personne fait disparaître les vices dont se trouve
entach~e une opligation, contre laquelle elle eût pu se
pourvoir par la voie de nullité ou de rescision.
Il ne faut pas confondre la confirmation avec la ratifiacation. La ratification désigne spécialement l'approbation
(1) Aubry et Rau, t. 4, ~ 333, texte et note 6.
�-
130 -
qu'une personne donne après coup aux actes d'un gérant d'affaires ('1). Il faut se garder aussi de confondre
la confirmation avec la simple renonciation à un droit,
car, si toute confirmation contient une renonciation,
toute renonciation ne constitue pas une confirmation (2).
La confirmation diftère encore de la simple i;econnaissance d'une obligation et de la novation: la reconnaissance
d'une obligation n'emporte pas la iiécessité de réparer
les vices dont elle est entachée (3); et la novation a pour
effet, de créer une obligation nouvelle en remplacement
de l'ancienne, tandis que la confirmation, au contraire,
a seulement pour objet de réparer les vice5 de l'obligation à laquelle elle se rapporte.
La première question à examiner à l'égard de la confirmation, serait celle de savoir si elle s'applique aux
actes entachés de lésion ou de nullité pour vices de
forme. L'affirmation n'est pas douteuse (art. '13U). Et, en
effet, les actes nuls en· la forme et les actes rescindables
ne sont pas inexistants, puisque le vice dont ils sont entachés ne peut être invoqué que par le mineur ou par ses
ayants-cause. Quoi d'étonnant dès lors que ces .Personnes puissent re.noneer à l'action qui leur appartient ?
La confirmation peut être expresse ou tacite: la confirmation expresse consiste dans un acte authentique
ou sous seing-privé. Mais cet acte ne fait pas complètement preuve à lui tout seu.I de la confirmation. · 11 ne
contient cette preuve que lorsqu'il renferme la substance
de l'obligation à confirmer, la mention du vice dont elle
(1) Larombière sur l'art. 1338, n• 3.
(2) Aubry et Rau, f. 4, ~ 337, note 1.
(3) Larombière, sur l'art. 1338, n• 1.
�-
131 -
est entachée, la manifestatio.n de réparer ce vice (1338, ~
1). La confirmation tacite consiste dans l'exécution totale
ou partielle de l'obligation sujette à rescision ('1338, ~ 2).
C'est à celui qui veut tirer de l'exécution de l'obligation
une fin de non-recevoir contre l'action en nullité ou en
rescision à établir suivant la règle : reus excipiendo
fit actor, l'existence des conditions moyennant lesquelles
l'exécution équipolle à la confirmation, et à démontrer,
par conséquent, que l'exécution a eu lieu en connaissance
du vice dont l'obligation est entachée, et dans l'intention
de le réparer (1).
Le mineul' pourra donc, du moment qu'il a atteint sa
majorité, renoncer lui-même et valablement Mx actions
en nullité et en rescision lui appartenant. Par exception,
cependant, il ne pourrait confirmer qu'après la dissolution du mariage, son contrat de mariage nul pour inobservation des formes prescrites par l'ar1icle 1398.
L'effet de la confirmation est de rendre l'acte auiisi
inattaquable que si, dans le principe, il n'avait été entaché d'aucun vice. La confirmation agit rétroactivement,
mais entre les parties seulement, car l'article '1338 pose,
en principe, que la confirmation ne doit pas préjudicier
aux droits des tiers. Quels seront ces tiers, auxquels on
ne pourra pas opposer la fin de non-recevoir tirée de la confirmation de l'acte? Ce sont ceux qui peuvent se prévaloir de la nulhté de la lésion, c'est-à-dire
les héritiers du mineur qui, vis-à-vis de lui, ne sont pas
des tiers, et les créanciers, auxquels les actes de 11mr dé(1) Larombière, sur l'art. 1338, n° 37. - Mercadé, sur l'art. 1338
- Cass. 5 décembre 1826, Sir, 26, 1, 70. - Cass. 9 mars 1842, Sir.
112, 1. 563. - Caën, 15 février 1842, Sir. 42, 2, 199. -Agen, 28
mai 1850; Sir. 51, 1,177.
�-
132 -
biteur sont toujours opposables, sauf, bien entendu, le
cas de dol ou de fraude (art. 1167). L'article 1338 n'a
donc entendu parler ni des héritiers du mineur, ni de ses
créanciers .
. Restent les cessionnaires, c'est-à-dire ceux à qui le
mineur a expressément ou implicitement transporté son
droit à l'action. Ce · sont eux qui ' sont les tiers dont
l'article 1338 3° a voulu sauvegarder les droits. Prenons
une espèce : un mineur vend son immeuble à Primus;
devenu majeur, il revend le même immeuble à Secundus, et, peu après, il ratifie la vente faite à Primus. Cette
ratification aura-t-elle pour effet de rendre valable, vis-àvis de Secundus, la vente faite à Primus? Non, car Secundus est, vis-à-vis du· mineur, un cessionqaire; le mineur
lui a vendu l'immeuble avec tous les droits qu'il pouvait
avoir sur cet immeuble, y compris le droit de faire prononcer la nullité de la première vente, et il n'est pas possible que, par un fait postériem;, le mineur puisse porter
atteinte aux droits que ce cessionnaire lient de lu_i (1).
Autre hypothèse : un mineur, pendant que dure sa
minorité, consent irrégulièrement une hypothèque au
profit de Primus, pÙis en constitue une seconde, régulière célle-là el sur le même immeuble, au profit de-Secundus. Ces deux constitutions faites, il ratifie la première, c'est-à-dire celle faite à Ph'mus. Cette ratification
sera-t-elle opposable à Secundus? Oui, car, en effet, d'un
côté, Secundus n'avait pas le droit d'exercer l'action en
nullité, et, d'un autre côté, en traitant avec lui, le mineur ne lui a cédé ce droit ni expressément, ni implicitement. Il n'a donc pas renoncé, en sa faveur, au droit de
(1) Cass., 16 janvier 1837 - Sir. 37, 1, 102.
�- 133 _ .
confirmer sa première hypothèque, et, dès lors, sur quoi
se fonderait-il pour dire qu'il est un tiers dans le sens de
l'article 1338, tiers auquel la confirmation ne peut porter
préjudice.
Les créanciers dont l'hypothèque est postérieure ·à
celle qui a\iait été constituée en temps de minorité, ne
peuvent prétendre que la confirmation·de cette derniAre
porte atteinte à leurs droits en leur enlevant l'avantage
de la priorité du rang. Avertis qu'ils étaient de l'existence de cette hypothèque, ils ont pu et dû s'attendre à
la voir confirmer, puisqu'en constituant à leur profit une
nouvelle· hypothèque, leur débitant rie renonçait pas,
pa~ cela seul, à la faculté de confirmer celle qu'il avait
précédemment consentie ('1).
Les cessionnaires ont donc seuls le droit de repousser
une restitution qui leur serait préjudiciable, et en dehors
d'eux la ratificàtion a un effet rétroactif erga omnes.
Nous arrivons ainsi à la prescription qui n'est ellemême autre chose qu'une sorte de confirmation tacite.
Les actions en rescision des copventiom se prescrivent
par un laps de temps de dix années, lorsqu'elles n'ont
pas été soumises à une prescription de plus courte durée
par quelque disposition spéciale. De l'expiration de ce
délai de dix années naît au profit du défendeur une exception, qui lui permettra de repousser les prétentions
(1) Aubry et Rau, t. 3, § 266, p. 270, note 31. - Toullier VU,
524 et Vlll, 564. - Troplong 1, n° 4.87 et suivants. - Merlin, yo
Hypothèque, § 4. 1 n°• 6 et 7. - Paris, 15 décembre 1830, Sir. 31,
2, 83.
Contrà: Larorr.bière, t. IV sur l'art. 1338, n° 53 et sui-rants. Montpellier, 6 janvier 1866, Sir. 66, 2, 330.
9
�- t34 -
tardives du demandeur. Mais ici tout de suite se pose
une question: quelle est la nature et le fondement de
cette exception? Esl-ce une véritable prescription accomplie contre le demandeur? Ou bien est-ce une simple
déchéance résultant de l'inaction du demandeur pendant
le temps qui lui était accordé pour agir? Et il est facile ·
de saisir l?- différence entre les deux systèmes. Est-ce
une prescription proprement dite ? Toutes les causes de
suspension de la prescription lui seront applicables; ainsi.
par exemple, que la personne à laquelle appq.rtient l'action e:1 rescision vienne à mourir pendant les dix ans,
laissant uü Mritier mineur ou interdit, la prescription
sera suspendue pendant la minorité ou l'interdiction de
l'héritier, et le délai ne reprendra son cours qu'après que
cet héritier aura atteint sa majorité, ou aura été relevé
de son interdiction (article 22o2). Est-ce, au contraire,
un simple délai? Aucune €ause, que ce soit la minorité,
que ce soit l'interdiction des héritiers de la personne in.vestie de l'action, n'en pourra suspendre le cours. La
questiçm est fortement débattue.
Les auteurs ('1) qui ne voient dans ces dix années
qu'un délai préfix et invariable, qu'on ne pourra jamais
dépasser en quelque circonstance que ce soit, se fondent
sur le raisonnement suivant. L'article '1304, disent-ils,
accorde au mineur un simple délai pen-dânt lequel il devra former sa demande; ce n'est pas nne prescription
véritable. Et, en effet, si le législateur a réduit à dix ans
la durée de l'action, c'est qu'il a voulu que cette action
ne pût Jamais durer plus longtemps. L'article 2264 vient
(1) Toullier, VI, n• 615 - Duranton, XII, n• 548. - Anger, 22
tnai 1834. Sir, 34, .~, 337. -Toulouse, 9 juillet 1859, Sir. 59, 2, 407.
�-
135 -
à l'appui de leur raisonnement, car en Jécidant implicitement que les règ!es établies sous le titre XX du Livre
III sont inapplicables aux prescriptions particulières organisées dans d'autres parties du Code, il défend, par
là même, de transporter dans cette matière les dispositions des articles 2201 et suivants. Les appliquer, serait
aller contre l'esprit et contre la lettre même de la loi.
Ces raisons cependant sont loin de nous convaincre,
et nous n'hésitons pas à suivre le systè.me contraire ('I).
Nous croyons qu'il s'agit dans l'article '1304 d'une véritable prescription soumise à .toutes les causes de suspension et d'interruption des prescriptions ordinaires.
Que le législateur n'ait pas voulu accorder dans notre
hypothèse uné prescription de longue durée, qu'il ait
trouvé suffisant un délai de dix années, c'est incontestable. Mais dire qu'il n'a pas voulu que le délai pût dépasser dix ans dans les hypothèses des articles 2201 et suivants, c'est une affirmation qui demanderait à être
soutenue par des arguments d'autant plus solides que
justement la doctrine contraire était suiyie dans l'ancien
droit, et rien ne peut nous autoriser à croire que les rédacteurs du Code aient abandonné cette doctrine. Quant
à l'article 2264 sur lequel s'appuient surtout nos adversaires, sa disposition ne nous paraît pas leur 3tre d'une
grande utilité, car le seul but de cet article est de montrer que les règles générales posées au titre de la prescription ne dérogent pas à celles applicables aux prescript10ns spéciales dont il est question sous d'autres titres
(1) Aubry et Rau, t. Z, ~ ~W1, note 9.- Marcadé, art.1 304, n° 2.
- Cass., 8novembre1843,Sir. 411, 1, 129. -Nîmes, 20 Juin 1839,
Sir. 39, 2, 535. - Agen, 10 janvier 1851, Sir. 51, 2,')80,
�-
136 -
du Code. Le délai de dix ans accordé pour demander la
rescision court à partir de la majorité, que l'acte ait été
passé par le mineur ou par le tuteur au nom de ce
dernier; la prescription court à dater de la même époque, et non pas senlement à partir •de la connaissance
que le mineur peut avoir acquise de l'acte qu'il attaque (t).
Une autre question se présente, non moins délicate,
c'est celle de savoir si la prescription de l'article 1304
est applicable aux nullités résultant d'actes irréguliers
émanés du tuteur.
Dans un système (2) on soutient que l'acte passé par
le tuteur sans le concours des formalités requises est
absolument nul, et que le mineur peut toujours opposer
la nullité sans être limité par le délai de dix ans. On dit
à l'appui, que le tuteur est le mandataire de son pupille;
or, en dépassant ses pouvoirs, il agit sans qualité et
n'oblige en aucune façon celui qu'il était chargé àe représenter.
La plupart des auteurs et une jurisprudence presque constante depuis '1833, ont repoussé cette doctrine. (3) Voici ce que déclare la Cour de cassaition dans
(1) Cass., 30 mars 1830, Si.r. 30, 1, 238. ticle 130!1, n° 24.
Laro~bière,
sur l'ar-
/
\
(2) Duranton, lll n• 598. X n° 282. XII n• 5115. - Riom, 13 décembre 1826, Sir. 27, 2, 147. - Bordeaux, 10juillet1829, Sir. 29,
2, 319. - Toulouse, 7 juin 1830, Sir. 31, 2, 66. - Grenoble et
Rennes, 21 mars et 1cr avril 1833, Sir. 33, 2, 580.
(3) Aubry et Rau. 4, § 339, note 13.- . Larom bière, art. 1304, n•
4.6.·-Marcadé sur l'art. 13t1, n° 2. - Cass. '[!1 novembre 1826.
Sir. 27, 1, 306.- Cass. 25 novembre 1835. Sir. 36, 1, t30.Cass. 7 juillet 1851, Sir51, l, 64l._:_ Riom 25 mars 1829, Sir.
30. 2, 241.- Nimes 11! janvier 1839, Sir. 39, 2, 369.- Paris 2 novembre 18110, Sir. 41, 2, 131i.- Grenobltl 10 juin 1842, Sir, '13,
2, 144.- Bordeaux 8 juillet 1863, Sir. 63, 2, 268.
�- 137 -
un arrêt du 25 novembre 1835: '' considérant que l'ar« ticle '1304 pose dans son premier alinéa un prin« cipe général pour toutes les actions en nullité et en
« rescision des convenlions susceptibles de ces actions ;
« qu'en limitant leur .durée à dix ans, il a suffisamment
« pourvu à l'intérêt des parties lésées par ces conven" tions et à l'intérêt des tiers : qu'en délerminant par
« les dispositions accessoires portées dans ce même ar~
'' ticle les points de départ pour faire courir ce délai de
dix ans, suivant les causes de rnlllité ou de rescision
" qui motiveraient l'action, le législateur n'a pas mani" festé la volonté de modifier et de rBstreindre la dispo" sition principale placée en tête de cet article;
" Que limiter aux actes faits par les mineurs le délai
" ·de dix ans, et étendre à trente ans le délai pour !'ac'' Lion en nullité des actes faits par le tuteur, ce serait
'' déroger à la première partie ·de l'article et au prin« cipe général qu'il renferme; que cc serait rompre
« l'harmonie établie entre cet article 1304 et l'article 475
« du Code civil qui a fixé au même délai de dix ans la
« durée des actions du mineur contre le tuteur relative« ment aux faits de la tutelle, puisque le mineur auquel
« l'action directe contre son tuteur serait interdite après
« les dix ans de sa majorité, pourrait àgir indirecte" ment en dirigeant son action contre le tiers acquéreur
« qui exercerait son recours contre le tuteur.
« Que l'intention de la loi a été d'éteindre toutes les
(( ' actions nées de la minorité par le laps de temps dr.
'' dix ans à partir de la majorité; que les acles passés
« par le tuteur sont considérés comme faits par le mi" neur dont il est le représentant légal, et sont soumis
« à la même voie de rétractation et dans le même délai,
« etc. 11
•
�-
138 -
Mais, a-t-on dit, cette doctrine repose sur une fausse
assimilation entre le tuteur et un simple mandataire :
« Lorsqu'il s'agit d'un mandat conventionnel, répondent
« MM. Aubry et Rau, qui détermine les formes dans
« lesquelles doit être passé l'acte pour lequel il est
« donné, ces formes constituent une condition restric~ tive du mandat, de telle sorte que la qualité du men« dataire est subordonnée à leur observation, et que
v leur omission doit, au regard du mandant, faire con« sidérer l'acte consenti par le mandataire comme aya.nt
« été fait par un tiers dépou.rvu de mandat. Mais le tu« teur représente le mineur dans tous les actes de la
« vie civile, et si la loi l'astreint, pour certains a,ctes, à
« l'observation des formalités spéciales, elle ne fait ce« pendant pas dépendre sa qualité de représentant du
mineur de l'accomplissement de ces formalités. Leur
forme bien obstacle à la validité d'un acte
omission
1c
« de cette nature, mais elle n'empêche pas que le mite neur n'y ait été représenté et que cet acte ne puiss~
« lui être opposé ». (1) Le tuteur peut être représentant ~
négligent ou infidèle, mais il est toujours un représentant. L'acte fait par lui peut bien être irrégulier, vicieux,
annulable, mais il ne peut pas être inexistant et non
avenu, comme le serait l'acte tait par un mandataire
01·dinaire et en dehors de ses pouvoirs.
Il en serait différemment si le tuteur avait agi en son
propre nom ; alors la prescription établi e par l'article
'.L304 ne serait pas opposable au mineur qui serait autorisé à exercer l'action en revendication sans avoir besoin
de faire prononcer la nullité de l'acte incriminé (2).
(!) Aubry el Bau, lac. cil.
('2) Larombière, lac cit., Cass., 8 décembre 1813, Sir. 14, 1, 213.
- Cass., 14 novembre 1826, Sir. 27, 1, 306.
�- 139 -
Nous ne nous sommes occupé jusqu'ici que des cas
dans lesquels le mineur fait valoir son droit par voie
cl'çiction. Nous allons supposer maintenant que le contrat
entaché de lésion n'a pas encore été exécuté: le mineur devenu majeur est resté dans l'inaction pendant le délai de
l'article 1304. Actionné en exécution du contrat, après
l'expiration de ce délai, sera-t-il encore à temps pour
repousser la demande en se fondant sur les causes de
la lésion. En d'autres termes: l'action et l'exception
sont-elles régies toutes les deux par l'article 1304? Ontelles la même durée, et sont-elles l'une et l'autre perdues pour le mineur dix ans après l'époque où il a atteint
sa majorité? La question est débattue.
Contrairement à l'opinion de la jurisprudence et à un
grand nombre d'auteurs ('l), nous admettons que lorsque
· dix ans se seront écoulés depuis la cessation de l'incapacité, tout sera terminé : action et exception seront étein··
tes et le contrat ratifié. Nous admettons, ea un mot, que
la règle : quœ tem.poralia siznt ad agendmn, perpetua
sunt ad excipiendum, ne doit plus recevoir d'application
clans notre droit.
Cette règle avait sa raison d'être à Rome (2), où le défendeur devait nécessairement. attendre le demandeur ne
exécution du contrat pour opposer par voie d'exception
(1) L. 5,
~
6, Dig., L. 114, T.
!t. -
L. 3, au Cod., L. 8, T. 36.
(~) Toullier, Vl, 600 et suiv. - Troplong, prescript., 11, '227 et
suiv. - Dalloz repert, V0 oblig., n° 2937. - Aubry et Rau, T. 3,
p. 199. - Larombière, sur l'art. 1304, n° 34, Gass., 24 janvier 1833,
Sir. 33, 1, 268. - Gass., 5 avril 1837, Sir. 37, 1. 434. - Rouen ,
9 janvier 1838, Sir. :~8 , 2, 1 IO. - Bordeaux, 6 avril t8!13, Sir. 43,
2, 422.
�-
140 -
la nullité de ce contrat. Mais le même motif qui, en
droit romain, avait fait introduire la différence que nous
avons signalée entre l'action et l'exception, ne se ren contre plus chez nous. Chez nous, la personne qui a fait
un contrat annulable est maîtresse de l'attaquer, quoiqu'il n'ait pas été exécuté, alors même que l'autre partie
n'en demande pas l'exécution. Elle n'a pas besoin d'at-.
tendre que l'autre partie en ait demandé l'ex~cutioo . Il
!ui est permis de prendre l'initiative et de faire mettre à
néant le contrat qu'on pourra lui opposer plus tard.
Du reste, le droit romain, en ce qui touche la restitution accordée au mineur, .avait limité la durée de l'action,
au.ssi bien que de l'exception, à une année (1). Et si plus
tard, les interprètes avaient modifié cet état de choses, l'ordonnance de Villers-Cotterets, rendue en H:i39
par François 1•r, avait restauré les anciens principes, et
assigné la même durée à l'action et à l'exception. Or,
c'est plutôt dans les principes de notre ancienne jurisprudence, que dans les idées des jurisconsultes romains,
que nos législateurs ont dû puiser leurs inspirations.
Mais, a-t-on obj ecté, l'article 1304 ne s'occupe que de
J' action en rescision; il n'est donc pas applicable aux.
f'Xceptions de même nature · qui, dès lors, ne sont point
soumises à la prescription de dix ans. C'est une erreur:
l'article 1304 s'applique tout aussi bien à l'exception
qu'à l'action. Quand un défendeur, sur l'action dirigée
contre lui, et comme moyen ie repousser cette actüm,
forme lui-même une demande appelée pour cela reconventionnelle, il se tait ainsi demandeur à son tour :
reus excipiendo fit actor. Or, cette demai:ide reconven-
(l) Loi 9,
~
4, L. XII, T. 2.
�- 141 -
tionnelle doit, comme la demande principale en rescision, être compr.ise dans les articles 1234 et 1304; car
n'étant mentionnée nulle autre part, si elle n'était pas
comprise dans ces textes, elle se trouverait ne point
faire partie des causes qui peuvent éteindre les obligati<ms, ce qui est inadmissible.
L'exception suffit, sans doute, à garantir le mmeur, si
le contrat n'a pas été exécuté; il n'a pas besoin d'action,
or, dit-on, pourquoi le forcer à en faire usage? La raison
en est bien simple: au-dessus de 'l'intérêt du mineur, il
y a aussi l'intérêt général, et cet intérêt a aussi préoccupé le législateur. La lésion serait difficile à constater,
après un grand nombre d'années, et il rie faut pas prolonger outre mesure l'incertitude des propriétaires. Si
donc l'autre partie ne réclame pas l'exécution de l'acte,
le mineur doit alors intenter l'action; s'il ne le fait pas,
son inaction aura pour corrolaire la perte du droit né~igé.
.
(
I
.
1
Il y a enfin, en faveur du système que nous proposons, une raison qui domine toutes les autres et qui, à
elle seule, suffirait à le faire triompher. La loi, en permettant l'annulation après dix ans, se iût mise en contradiction avec elle-même, puisqu'elle n'a réduit le délai à
un maximum de dix ans que parce qu'elle a vu, dans le
défaut d'action pendant ce temps-là, une ratification tacite de l'engagement annulable.(Art. HU>, Cod. civ.). ·
Il s'agit donc ici d'un délai après l'échéance duquel il
est aujourd'hui impossible de faire valoir la nullité de
quelque manière que ce soit. Et, en le décidant ainsi, nos
législateurs se sont bien plus préoccupés des exigences
de _la pratique que de la philosophie du droit.
�-142 -
Les travaux préparatoires confirment cette doctrine :
« Il était impossible, Jisait le tribun Jaubert dans son
» rapport, de ne pas conserver l'ancienne distinction en» tre les actes faussement qualifiés de contrats, et qui
» ne produisent jamais d'action, et les contrats qui ont
, contenu une obligation, et, conséquemment, le principe
» d'une action, laquelle action peut seulement être re, poussée par une exception. Lorsqu'il s'agit d'un enga» gement contracté sans objet ou sans cause ou pour une
J cause illicite, il est tout simple que celui qui a souscrit
)) l'engagement, à quelque époque qu'il soit poursuivi,
» soit toujours admis à répondre qu'il n'y a pas d'obli» gation. Mais, lorsqu'il s'agit d'un mineur, d'une
» femme mariée, ne serait-il pas extra9rdinaire que le
» temps de la restitution ne fût pas limité. Dans ce cas,
on <lev.ait se borner à dire que celui qui avait souscrit
» l'engagement pourrait s'y soustraire. La nécessité
» d'un délai était commandée par l'intérêt puhlic. Pa» reillement, le secours que la loi accorde à ceux dont
» le consentement n'a pas été libre, doit être invoqué
»
»
dans un délai fixé. Un laps de temps sans réclamation
doit faire présumer la ratification. » C'est donc pré-
cisément pour le cas où l'obligé est poursuivi et veut
opposer la nullité de son engagement comme réponse à
l'action, que l'on oppose Ici l'obligation nulle à l'obligation annulable. Pour la première, cette exception ·sera
possible à toute époque; pour la seconde, la seule dont
nous nous oçcupons, elle ne le sera que dans lG délai fixé
par la loi.
Notre conclusion est donc que la règle : Quœ tempol'alia sunt ad agendum, perpetua sunt ad excipiendum
•
�- 143 -
n'existe plus aujourd'hui. L'article 1304 s'applique à
l'exceptio.n comme à l'action et, au bout de dix ans, le .
mineur est tout aussi bien privé de l'une que de l'autre ('1).
I
CHAPITRE VI
DES EFFETS DE LA RESCISION
Il nous reste à voir les effets de la rescision pronon. cée. Le Code ne contenant aucune règle à cet égard,
nous appliquerons purement et simplement le principe :
Quod nullum est, nullum producit effectum. L'acte annulé ou rescindé sera donc considéré comme n'ayant
jamais existé; il sera effacé rétroactivement, et, par
suite, les choses seront remises, autant que possible,
clans l'état où elles se trouvaient avant l'acte préjudiciable.
Toutefois, le droit commun subit ici deux dérogations
qui résultent de l'article '1312 : « Lorsque les mineurs
sont admis, en cette qualité, à se faire restituer, contre
leurs engagements, le remboursement de ce qui aurait
étc\ en conséquence de ces engagements, payé pendant
la minorité, ne peut être exigé, à moins qu'il ne soit
prouvé que ce qui a été payé a tourné à leur p.rofit. n
( 1) Marcadé sur l'art. 130'1, n° 3 - Duran ton XII, n•• 549 et
suiv. - Bastia, 22 mai !85( Sir. 54-2-389 - Caen, 17 novembre
1855. Sir. 57-2 - 7-'~7 - Lyoo, 20 aoùt 1869. Sir. 70-2-124.
�- 'l44 -
Les mineurs jouissent donc d'une double prérogative :
1° ils ne sont tenus de restituer que ce dont ils SP. sont
enrichis, tandis que les majeurs doivent rendre tout ce
qu'ils ont reçu; 2° c'est à leurs adversaires de prouver
qu'ils ont profi_té du paiement qui leur a été fait, tandis
qu'en règle générale c'est à celui qui ir:ivoque la perte
de ce qu'il a reçu, pour se dispenser de le restituer, à
prouver cette perte. Bieü e1atendu, nous supposons un
paiement fait pendant la minorité : car, si le même pa,iement avait été fait pendant la majorité, il faudrait appliquer les règles du droit commun, et l'ex-mineur serait
tenu de restituer tout ce qu'il a reçu. Ainsi, un mineur a
. dissipé le prix d'une vente consentie par lui, il n'aura
rien à restituer; et cette solution n'a rien d'extraordinaire, puisque l'adv2rsaire devait prévoir, au moment
de l'acte, les cbnséquences malheureuses auxquelles
pourrait donner lieu l'inobservation des formes prescrites.
Mais, le motif sur lequel se fonde cette restriction
montre très bien qu'elle est inapplicable, lorsqu'il s'agit
d'un acte irrégulier passé par le tuteur. Le tuteur aura,
par exemple, vendu, sans accomplissement de formalités,
un immeuble pupillaire, et il aura touché le prix de la
vente. Y aura-t-il lieu de rechercher si le prix de la vente
aura tourné à l'avantage du mineur? Non, car si le tuteur n'avait pas qualité pour vendre, il avait, du moins,
qualité pour toucher le prix. Les deniers reçus ont été
dissipés ou mal employés, peu importe: c'est affaire à
démêler entre le tuteur ou le minem'. Quant à l'adversaire, il pourra toujours, dans ce cas, exiger la restitution intégrale de la somme qu'il a payée.
Le mineur doit tenir compte, nonobstant la rescision,
de tout ce qui a tourné à son pl'ofit : cette obligation est
�-
145 -
fondée sur le grand principe d'équité naturelle, qui défend de s'enrichir aux dépens d'autrui. Quand y aura-t-il
profit? C'est là une question plus de fait que de droit.
On pourra dire qu'il y a profit si, par exemple, le mineur
a employé les deniers reçus à la libération d'une dette
légitime, ou bien pour faire . des réparations nécessaires
ou utiles. Il y aurait aussi profit si l'argent avait été em-:
ployé pour son éducation ou pour sôn instruction. De
pareilles dépenses peuvent, avec raison, être considérées
comme nécessaires. Et, en effet, le mineur s'est alors
enrichi soit de ce qu'il a acquis, soit de ce qu'il a été dispensé de prendre sur lui-même. Hoc ipso qud 11011 es.t
pauperior Jocupletior factus est, il est plus riche de ce
dont il ne s'est pas appauvri (1).
A quel moment faut~il se placer pour apprécier si le
paiement a tourné au profit de l'incapable, c'est au moment de la rescision (2).
Il est cependant des cas où on devra faire un retour
sur le passé, et examiner si parfois le mineur n'a pas
retiré de la chose reçue un profit qui, par suite d'un cas
de force majeure, s'est évanoui avant la demande. Par
exemple, l'incapable avait employé les deniers à faire
des réparations nécessaires à la maison, la maison disparait à la suite d'un incendie, et ce n'est qu'après l'événement que le mineur intente son action en rescision.
On devra ici calculer le profit fait, indépendamment des
événements postérieurs, et appliquer par analogie la disposition de l'article ·1306, Si donc le mineur a tiré du
1
(1) Larombière sur l'art. 1312, n° 7.
(2) Larombière, loc. cit.
�-
146 -
contrat un bénéfice plus tard détruit par accident, il faut
tenir compte de ce bé:qéfice dans le remboursement qui
doit être effectué par l'incapable.
La décision serait toute autre si l'incapable au lieu
d'employer son argent en dépenses nécessaires, l'avait
simplement employé en des dépenses utiles, et que l'utilité de cet emploi ait disparu par ôuite d'un cas forluit,
avant la fo.rmation ·de la demande. Il n'y a ici de profit
fait que jusqu'à concurrence de ce qui suhsiste de l'emploi utile. C'est qu'en effet, la dépense n'étant pas nécessaire, on ne peut pas dire que l'incapable s'est enrichi
de tout ce dont il ne s'est pas appauvri . La dépense
étant simplement utile, il faudra vérifier son utilité d·après les résultats acquis, c'est-à-dire çlu moment de la
demande.
Il nous reste à voir com.ment la situation se règlera
vis-à-vis des tiers. Activement, nous l'avons déjà dit, la
rescision de l'obligation consentie par le mineur ne peut
être demandée par ses co-débiteurs solidaires ou non,
ni même leur profiter; mais passivement les conséquences de l'action en rescision réfléchissent contre les
tiers chaque fois qu'ils ne peuvent les écarter en invoquant une fin de non- recevoir qui leur soit personnelle.
Nous déciderons donc que la rescision d'un paiement
fait revivre les obligations accessoires des personnes qui
avaient cautionné la dette, et les hypothèques qui la garantissaient. De même, seront anéantis, comme émanant
d'une personne qui n'avait pas qualité pour agir, tous
les droits consentis par les parties : aliénations, hypothèques, servitudes, etc. On appliquera ici ce que l'article
2125 dit des hypothèques : « Ceux qui n'ont s~r l'immeuble qu'un droit sujet à rescision, ne peuvent con- ·
sentir qu'une hypothèque soumise à la même rescision »,
.-
�- 147 -
principe qui est indiqué d'une manière encore plus large
par cet axiome plein de bon sens et consacré depuis
longtemps par notre droit positif: (( Nemo plus Jaris
ad alium
transf~rre
potest, quàm ipse hahet.
n
Telles sont dans notre droit les règles de la rescision
pour cause de lésion: le législateur tout en s'inspirant
des prescriptions du droit romain et de notre ancienne
jurisprudence, les a heureusement modifiées sur plusieurs points. Quelques critiques ont bien été élevées
sur cette partie dè nos codes, mais il n'entre pas dans
la tâche que nous nous sommes imposée de les examiner,
ni de les réfuter. C'est affaire au législateur, et non à
nous. Qu'il nous suffise de·constater qu'il est impossible de ne pas reconnaître que notre législation sur cette
matière est empreinte d'un vif sentiment d'équité, et
qu'elle tient en même temps un juste compte des nécessités de la pratique.
��- 149
~
POSITIONS
DROIT ROMAIN
1. -
L'infantia se prolongeait jusqu'à l'âge de sept
ans, même à l'époque classique ..
II. -
III.
~
Le mineur fils de famille ne peut obte:n.ir la restitutio in integrum contre un emprunt à titre
de mutuum qu'il a contracté d'·après les ordres
de son père.
Le mineur de 2o ans qui
a obt,em,i l~ restitutio
contre une obligation par lui contr-a.etée, reste
tenu d'une obligation naturelle.
IV. -
Les termes de la loi 'l au Cod~ ~i adv. delict.
(U. 3o) ne doivent point être corrigés. Si c'est
sans intention que le miniwr a commis un
délit, il a droit à la restitution.
V. -
Lorsque, pour faire disparaitre la lésion dont il
se plaint, le mineur a à sa disposition tout à
la tois la demande en restitution et l'action tutelœ, on lui donne toujours le choix entre ces
deux moyens.
�150 -
D~OIT
CIVIL
1: -
Les actes, autresque ceux soumis à l'accomplissement de formalités spéciales, sont, lorsqu'ils
ont été passés par le mineur seul, simplement
rescindables pour cause de lésion.
II. -
Les actes pour lesquels la loi n'a prescrit aucune
formalité particulière, et que le tuteur a passés dans la limite de ses pouvoirs, sont aussi
inattaquables que s'ils avaient été faits par un
majeur.
III. -
Les actes que la loi a soumis à des formalités
particulières sont inattaquables, si les formes
ont été observées; dans le cas contraire, ils
sont nuls en la forme, indépendamment de
toute lésion.
IV. - - Le délai fixé par l'article 1304 f1St une véritable
prescription soumise au~ règles et, par suite,
aux causes de suspension et d'interruption
des prescriptions ordinaires.
V. -
VI.
La règle, quœ temporalia. sunt a.d a.gendum, perpetua. sunt a.d excipiendum, n'existe plus dans
notre droit; l'article 1304 a limité la durée de ·
l'action aussi bien que de l'exception.
La prescriplion décennale de l'article 1304 est
applicables aux actes passés par le tuteur.
...
�-
VII. ·
151 -
L'article 1308 n'a introduit dans la loi aucun
élément nouveau ; il vise uniquement l'hypothèse d'un mineur émancipé industriel ou commerçant, conformément à l'article 487 du
Code civil et à l'article 2 du Code .de commerce.
DROIT PÉNAL
J. -
Le mineur de t6 ans peut invoquer pour la première fois devant la Cour de cassation le bé. néfice de son âge.
li. -
Le mineur déclaré coupable, mais acquitté parce qu'il a agi sans dicernement, ne peut pas
être condamné aux frais.
DROIT D'ENREGISTREMENT
l. -
Le partage intéressant des majeurs et des mineurs, tant qu'il n'est pas soumis à la sanction
de la justice, n'a qu'un caractère provisionnel.
l[.
La nullité prononcée pour incapacité des parties
est radicale.
�• - fo2 -
HISTOIRE DU DROIT
I. -
La véritable origine de la communauté entre
mari et femme paraît se trouver réellement
dans les 'communautés serviles du moyenâge.
JI. -
La Pragmatique Sanction de '1268 est véritablement l'œuvre de St-Louis.
Vu par nous Professeur, Président
de la Thèse,
E. NAQUET.
vu ET PERMIS n'rnPRINIEl\ :
Le Recteur,
�TABLE DES MATIÈRES-
PflEMIÈRE PARTIE.
DROJT ROMAIN
Pages
CHAPITRE
i. -
CHAPITRE II. -
Etat des mineurs à Rorne. - ·Origine de la Restitutio in integrum
4
Caractères de la Restitutio in integrum. - Conditions auxquelles
on peut l'Mcorder... . . . . . . . . . . 13
Section.!. - Existence d'une lésion 14
Section II. - Absence d'autres
remèdes que la Restitutio. . . . . - 21
CHAPITRE m. ---: Section I. - Par qui doit être demandée la restitution. . . . . . . . . . 29
Section II. - Contre quelles personnes s'intente la demande. . . . 39
Section III. - A qui incombe la
preuve de la lésion. . . . . . . . . . . . 40
CHAPITRE IV. -
Compétence des magistrats chargés
de prononcer la restitution Procédure à suivre. . . . . . . . . . . . 43
�- 154 CHAPITRE
v. -
Des effets de la restitution. . . . . . . . 47
CHAPITRE
vr. -
Des fins de non-recevoir à opposer
à la demande en restitution .. : . 02
DEUXIÈME PARTIE.---,--- ANCIENNE JURISPRUDENCE
Pays de droit écrit ...... : . . . . . . . . .07
n. - Pays de droit coutumier. . . . . . . . . . . 63
SECTJON I.
SECTION
-
TROISIÈME PARTIE. - DROIT FRANÇAIS
CHAPITRE i. -
Etat des mineurs et moyens de protection qui leur sont accordés . . 8-t
CHAPITRE 11. -
Des cas dans lesquels il y a lieu à
l'action en rescision. . . . . . . . . . . 86
CHAPITRE
m. -- Des cas exceptionnels dans lesquels
l'action en rescision est refusée
aux mineurs .............. . .. H3
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Dublin Core
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Title
A name given to the resource
Monographie imprimée
Description
An account of the resource
Ouvrages imprimés édités au cours des 16e-20e siècles et conservés dans les bibliothèques de l'université et d'autres partenaires du projet (bibliothèques municipales, archives et chambre de commerce)
Dublin Core
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Title
A name given to the resource
De la lésion à l'égard des mineurs dans le droit romain et dans le droit français : thèse présentée et soutenue devant la faculté de droit d'Aix
Subject
The topic of the resource
Droit civil
Droit privé
Droit romain
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Barcilon, Louis
Faculté de droit (Aix-en-Provence, Bouches-du-Rhône ; 1...-1896). Organisme de soutenance
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence), cote RES-AIX-T-120
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Paul Tourrette (Carpentras)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1882
Rights
Information about rights held in and over the resource
domaine public
public domain
Relation
A related resource
Notice du catalogue : http://www.sudoc.fr/234813628
Vignette : https://odyssee.univ-amu.fr/files/vignette/RES-AIX-T-120_Barcilon_Lesion_vignette.jpg
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
1 vol.
155 p.
23 cm
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
text
monographie imprimée
printed monograph
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/368
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
France. 18..
Abstract
A summary of the resource.
Thèse : Thèse de doctorat : Droit : Aix : [1882]
Notes : La thèse porte : Carpentras [s-l] : Paul Tourrette, Imprimeur, 1882
La lésion n’est pas à proprement parler un vice de consentement. C’est une inégalité obligationnelle qui apparaît lors de l’exécution d’un contrat. Ce principe a été reconnu par les juristes romains. L’auteur s’intéresse à la lésion à l’égard des mineurs dans le droit romain – qui était assez protecteur – afin de percevoir si le droit français de son époque a retenu les principes romains.
Résumé Jean-Michel Mangiavillano
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence)
Description
An account of the resource
Lors de l’exécution d’un contrat, les mineurs sont dans une position d'inégalité obligationnelle. Ce principe, reconnu par les juristes romains sous le terme de lésion, est toujours présent dans le droit français moderne
Enfants -- Statut juridique -- France -- 19e siècle -- Thèses et écrits académiques
Enfants -- Statut juridique -- Rome -- Thèses et écrits académiques
Lésion (droit) -- France -- 19e siècle -- Thèses et écrits académiques
Lésion (droit) -- Rome -- Thèses et écrits académiques
Restitution (droit) -- France -- 19e siècle -- Thèses et écrits académiques
Restitution (droit) -- Rome -- Thèses et écrits académiques