1
200
2
-
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/1/485/BULA-RES-33798_Bonafous_Lecon-ouverture.pdf
3cbf9b4781eecffe227fb07fcec27c28
Dublin Core
The Dublin Core metadata element set is common to all Omeka records, including items, files, and collections. For more information see, http://dublincore.org/documents/dces/.
Title
A name given to the resource
Monographie imprimée
Description
An account of the resource
Ouvrages imprimés édités au cours des 16e-20e siècles et conservés dans les bibliothèques de l'université et d'autres partenaires du projet (bibliothèques municipales, archives et chambre de commerce)
Dublin Core
The Dublin Core metadata element set is common to all Omeka records, including items, files, and collections. For more information see, http://dublincore.org/documents/dces/.
Title
A name given to the resource
Cours de langues et littératures de l'Europe méridionale. Leçon d'ouverture (mercredi 11 décembre 1895)
Subject
The topic of the resource
Littérature
Histoire de l'université
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Bonafous, Raymond
Source
A related resource from which the described resource is derived
BU des Fenouillères - Arts, lettres et sciences humaines (Aix-en-Provence), cote RES-33798
Publisher
An entity responsible for making the resource available
J. Remondet-Aubin (Aix)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1896
Rights
Information about rights held in and over the resource
domaine public
public domain
Relation
A related resource
Notice du catalogue : http://www.sudoc.fr/245332103
Vignette : https://odyssee.univ-amu.fr/files/vignette/BULA-RES-33798_Bonafous_Lecon-ouverture_vignette.jpg
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
1 vol.
39 p.
cm
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
text
monographie imprimée
printed monograph
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/485
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
Aix-en-Provence. 18..
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
BU des Fenouillères - Arts, lettres et sciences humaines (Aix-en-Provence)
Description
An account of the resource
Premier cours de Raymond Bonafous, professeur de langues et spécialiste de littérature italienne et de littérature espagnole, alors nommé à la Faculté des lettres d'Aix en cette fin du 19e siècle
Littérature espagnole -- Histoire et critique
Littérature italienne -- Histoire et critique
Universités -- France -- Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône) -- Histoire
-
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/1/437/BULA-40098_Mignon_Lecon-inaugurale.pdf
ecf034ae779ea3d979ba9fbee88a46ab
PDF Text
Text
~
MA URI CE
0, 0 9 8
MIGNON
Chargé de Cours à la Faculté des Lettres
de l'Université Aix-Marseille
---<•---- - -
du Cours de
Littératures de l'Europe Méridionale
•
AIX-EN-PROVENCE
PAUL
ROUBAUD,
ÉDITEVR
10, Rue Thiers, 10
1923
��Leçon Inaugurale du Cours de Littératures
de l'Europe Méridionale
�DU MÊME AUTEUR
E'tudes de Littérature Italienne, un volume
5 fr. 75
broché, in-16.
Les Affinités intellectuelles de l;Italie et de
la France, un volume broché, in-16. 12 fr.
�40,098
MAURICE
MIGNON
Chargé de Cours à la Faculté des Lettres
de l'Université Aix-Marseille
Leçon Inaugurale
du Cours de
Littératures de l'Europe Méridiona·le
AIX-EN -PROVENCE
PAUL
ROU BAUD'
ÉDITEUR
10, Rue Thiers, 10
1923
��MONSIEUR LE DOYEN,
MESDAMES,
MESSIEURS,
(l)
Au moment d'inaugurer le Cours de langues et littératures de l'Europe méridionale, à la place laissée
vacante par le regretté Raymond .Bonnfous, je sens le
devoir d'exprimer ma gratitude aux maîtres qui m'ont
initié aux études méridionales, et m'en ont donné la
vocation : d'abord, au fond d'une de noR vieilles
provinces, alors que, dans ma quinzième année, sur les
bancs d'un collège libre du Nivernais, je me préparais
à affronter les épreuves du baccalauréat, un professeur
de philosophie 1 M. Charon, qui me mit entre les mains
Le mie prig,i,oni, de Silvio Pellico ; puis, à la Sorbonne, Charles Dejob et Emile Gebhart, aujourd'hui disparus, et tous les deux, à leur manière, fondateurs de
(1) Cette leçon d·ouverture a été faite au Grand Amphithéâtre de
la Faculté des Lettres, le vendredi 8 décembre 1922.
�6
l'enseignement actuel de l'italien en France, le premier
par sa haute con~cience, j'allais dire par son apostolat
de professeur, et, aussi, par la création de cette Société
d'Etudes Italiennes qui réunit autour de l'italianisme
renaissant l'élite de nos lettrés et de nos savants,
société aujourd'hui continuée par M. Henri Hauvelle
avec l'Um'on intellect'lœlle fmnco-italierine, le second par
ses spirituelles leçons sur l'histoire littéraire du moyen
âge et de la nenaissance, ainsi que par les prJcieux
volumes gui le portèrent à l'Académie Française ;
M. Antoine ·Thomas, gui m'initia, à la Sorbonne et à
l'Ecole Pratique des Haules-Etüdes, à la science de la
philologie ; et, au Collège de France, MM. Morel-Falio
et Abel Lefranc, qui, me .donnant le goût des recherches érudites, m'enseignèrent la sûreté de leurs méthodes et la probité de leur critique.
Il est d'usage que le nouveau chargé de cours fasse
l'éloge de son prédécesseur. Je me conformerai d'autant
plus volontiers à cetle tradilion que, sans avoir pu
fréquenter beaucoup M. Bonafous, j'ai eu le plaisir de le
voir siéger au jury d'un de mes concours en Sorbonne,
et, depuis lors pendant mes missions en Italie, ainsi
que pendant les années de mon enseignement au Lycée
et à la Faculté des Lettres Je Lyon, et aux Universités de Rome et de Grenoble, je n';ü cessé d'entretenir
avec lui les meilleures relations par correspondanc8 ; je
�7
l'ai vu pour la dernière fois l'hiver dernier, à l'occasion
des magnifiques fêtes organisées par la Ville et l'Universilé d'Aix pour célébrer le sixième centenaire de la
mort de Dante ; il me reçut avec son affabililé coutumière dans son cabinet de la rue du Bras-d'Or, et
comme je lui disais qu'à ces fètes en l'honneur d'un
poèle qu'il avait tant étudié, sa place élait marquée
beaucoup mieux que la mienne, il me répondit par
un gesle triste qui signifiait que sa voix et ses forces
n'élaient déjà plus là pour le soutenir. Peu de temps
après, en effet, la mort le prenait, sans qu'il eût voulu
cesser son travail, dans cette bonne ville d'Aix oü il
avait passé son enfance et une partie de sa vie.
Exemple, par excellence, de celte vie calme d'universitaire, dont il parle en quelque endrnit de son Kleist,
commencée et finie aux mêmes lieux, et dont la
trndition était dans sa famille. Né en 18ti6, à Salon, où
son père Norbert Bonafous, originaire d'Albi, s'était
marié, en 18ts0, avec une provençale, Joséphine Expilly,
élève au Collège Bourbon d'Aix, dont son oncle était
directeur, puis au Lycée de Marseille, il revint à ce
Lycée huit ans après, en 1882, en qualité de professeur
de rhétorique, dans cette même chaire qui avait été
occupée par son père, et, comme son père, il passa
du Lycée de Marseille (après avoir touùhé Paris, oü il
enseigna un an la seconde au Lycée Lakanal) à la
�8
Faculté des Lèttres d'Aix, en 1890 ; il devait y occuper
la chaire de Langues et Littératures de l'Europe méridionale, d'abord comme ~hargé de cours, puis, à partir
de 1899, comme titulaire, pendant vingt-sept années.
Ce n'est pas qu'il n'eût le goût des voyages. Semblable à ces étudiants allemands qui allaient, avant la
guerre, « de Berlin à Leipzig, de Leipzig à Munich ou
à Bonn » et ra·isaient « leur tour d'Allemagne dans les
trois années que durent les études académiques », en
1879, dès sa sortie de l'Ecole ormaie, où il eut pour
condisciples MM. Camille Jullian, Lévy-Brühl, Lanson,
Reinach, Dupuy, Marcou, Lafaye, Chabot, Albert
Cahen, il s'en fut outre - Rhin, et sa mission se
prolongea jusqu'en 1881 ; il alla aussi en Espagne
et en Italie, à maintes reprises : pendant l'été, il
se rendait assez régulièrement sur les Alpes de la
frontière ou en Piémont, où l'air pur de la montagne
et la compagnie de quelques amis choisis apportaient,
dans les derniers temps, un utile réconfort à sa santé
ébranlée. « Les hautes montngnes ne sont pas seule<< ment saines ; elles sont belle~ à voir. Les grands
« spectacles de la nature, un immense horizon, un
« un fleuve majestueux, créent ou développent en
« nous le sentiment artistique. Il y a plus ; ils élèvent
« l'âme, et toute l'école de Rousseau est là pou1· en
« témoigner ». Je prends celte phrase dans le Discours
�ÉCOLE NORMALE SUPÉRIEURE
de yauche à droite
MARCOU
AUERBACH
KEIFFER
LÉVY
flONAFOUS
JOUFFRET
LEMAIRE
DUl'llESNII.
CAHEN
01, MAGF.S
LACOUR
LANSON
(Promotion 1876 • 79)
LEGRAND
BERNARDIN
REINACH
CHABOT
DUBOIS
ROBE.11'1'
DUPUY
GROUSSARD
'VERNIER
NEBOlT'I'
��9
que Raymond Bonafous prononça à la Distribution des
Prix du Lycée de Marseille, le 27 juillet 1886, sur
l'Util1:té des Voyages pour l'Ediication de la Jeunesse.
Idée banale, dira-t-on ; hélas non ! pas assez banale
chez nous, du moiris, oü l'habitude des voynges est
trop peu répandue, et où la connaissance de l'étranger
demeure si imparfaite et souvent si fausse. « Au
moyen-âge , les écoliers passaient volontiers d'une
Université à l'autre, et nous ne voyons pas que Maître
François Rabelais se soit mal trouvé de s'être conformé
à cette coutume » : ma propre expérience m'aulorise à
dire que, depuis cette ~poque, nous n'avons guère fait
de progrès, s'il est vrai que les échanges interscolaires
institués, par exemple, il ,Y a bienlôt qualre ans, entre
la France et l'Italie, non seulement pour les élèves,
mais aussi pour les professeurs, de tous les ordres
d'tnseignement, fonctionnent encore d'une manière trop
incomplète et trop précaire. Or, sans aller jusqu'à proclamer, avec M. Marinetti, dans son dernier manifeste
futuriste (~lilan, 1er octobre '1922) la cc nouvelle religion-morale de la Vitesse»(« vitessc=synlhèse de Lous
les courages en action. Agressive, guerrière » : et il ne
serait peul-être pas malaisé de trouver ici quelques-unes
des raisons philosophiques de l'actuelle révolution
fasciste), il est certain que cc la vie des nutions est dans
le mouvement, comme celle des individus : vita in
�10
motu », et il faut savoir gré à Haymond Bonafous de
l'avoir rappelé, en des termes si heureux, aux jeunes
élèves du Lycée de Marseille.
II leur donnait en même lem.ps une leçon de patriotisme, car l'amour de la p::ilrie ~e développe surtout à
l'étranger, et à l'étranger « notre patriotisme ne devient
pas seulement plus vit'», mais plus éclairé : « Les voyages à l'étranger, les explorations lointaines, no sonl pas
seulement utiles aux particuliers et à l'Etnt ; ils affirment et épurent en nous le sentiment pal1·iotiquo».
Permettez-moi d'insister sur ce point, important dans
la vie de Raymond Bonafous. Le , recevant à l'Arndémie d'Aix, le 29 avril 1902, le Docteur Ph. Aude
citait cette phrase de sa leçon d'ouverture à la Faculté:
cc La littérature est chose universelle, parce qu'une
« œuvre artistique peut éclore sur n'importe quel point
<< du globe et que l'esprit souffle où il veut » ;· et
n'ayant pas comme << lui celle grâce d'état riui donne la
même pnlrie aux lettres, nux arts, aux sciences >,, le
Docteur Aude se montrait plus sévère pour Kleist,
allemand de Prusse, patriote exallé qui rêvait d'assassiner Napoléon ; mais en même temps il rnppelait à
Raymond Bona fous sa harangue de 1897 aux étudiants
de Marseille, au moment des massacres d'Arménie et
de Crète : c< La jeunesse des écoles ... protestait et
réclamait l'annexion de la Crète à la Grèce. Les étu-
�11
diants s'étaient réunis à la Brasser1e Phocéenne, et là,
sous le fumet de la bière, toujours favorable aux mouvements d'éloquence que suscitent les malheurs d'une
Pologne ou d'une Grèce, vous avez uni vos sentiments
élevés à ceux de vos auditeurs et vuus avez été applaudi
avec frénésie». Tel était bien le caractère généreux du
paLriotisme de Raymond Bonafous, prêt à s'enflammer
pour toutes les causes qu'il croyait justes, et également éloigné de tout étroit chauvinisme.
« Le vrai patriotisme pour un peuple, disait-il dans
« son Discours de réception à l'Académie d'Aix 1 ne
« consiste pas à s'enfler d'une sotte vanité, ni mèrne à
« se complaire dans un légitime orgueil, nrnis réside
« dans le ferme propos de faire toujours mieux, soit en
<< s'aidant de ses propres ressources, soit en dérobant à
<c l'étranger les outils une fois reconnus bons >>.
Je veux citer encore, à ce propos, la belle page de
· son Discours du Lycée de Marseille : « On a ~axé les
<c Français de chauvinisme. On a dit que nous admirions
<< à la légère tout de qui se produisait chez nous, et ne
« savions pas rendre justice aux qualités <)es autres
<< peuples. Il y a parfois du vrai dans ce reproche.
cc Mais, ·quand nous aurons étudié nos voisins, nous
« saurons mieux faire notre examen de conscience.
« Toute nation a ~es travers, el il e::,t bon pour elle de
« les connaitre. C'est un mauvais signe, a dit Molière,
�12
quand un malade ne sent pas son mal. Lorsque nous
« nous serons comparés aux étrangers, nous verrons
que sur certains poinb,, il peut nous être utile de le~
f(
« imiter. On ne se mesure à sa valeur qu'en se compa« rant à autrui. C'est une force que de reconnaître ses
« faiblesses,
« Du rostP, nous n'avons pas à craindre la compa« raison. Nos ancêtres nous ont laissé un hé1'itage de
c< qualités et de vertus dont nous avons le droit d'être
c< fiers. A l'étranger, nous reconnaissons ce qui nous
« manque. Nous apprenons aussi à dü,cerner les rnéri« tes réels quP- possède notre nation. H est bon d'être
« privé quelque temps des avantages et des agréments
« que le sol et le peuple français peuvent. nous offrir
« pour les apprécier avec plus de juslice, j'allais dire
« de reconnaissance. C'est à l'étranger sur!out, au
« moment où semblent rompus les liens (]UÏ nous
« attachent à nos compulriotes, que ces liens devien« 11ent plus nombreux et plus puissanls ; que nous
cc sentons plus que jamais combien les autres Français
cc sont nécessaires à notre bonheur. C'eet au moment
« où la patrie est absente de nos yeux qu'elle ~•empare
cc de nos cœurs, en entier et à jamais ».
Il n'y avait pas de danger qu'au cours de ses nombreux séjours à l'étranger, la patrie sortît jamais de
son cœur ; les splendeurs roses du Cervin ni les tons
«
�1.3
chauds de Sévilie ne risquaient point de lui faire
oublier le ciel bleu ni les montagnes blanches de sa
Provence ; et il pouvait s'écrier, avec Calendal, devant
le défilé des confréries, à Aix,, pour la Fête-Dieu :
« Jamais mieux que là, ô Patrie, je n'ai senti ta flamme, et mon âme éblouie s'élève dans le ravissement ».
nom
Dans la maison paternelle de Canourgues si
maison
cette
«
fois,
la
à
provençal et grec tout
charmante, si bien ombragée, sur le toit de laquelle le
tulipier de l'Amérique du Nord avance ses grands bras
chargés de feuilles » et dans la petite ville voisine de
Salon, « aux aspects religieux et féodaux », entourée
d'arbres et de canaux, non loin de la Crau aux herbes
odorantes et de la Camargue avec ses « champs de
salicornes et de tamaris », avec ses << étangs où se
mirent les flamants roses ii, il put apprendre dès son
enfance à aimer cette douce terre provenç~le, dont il ne
cessera de chanter la lumineuse beauté. « Notre Provence
ensoleillée >>, « notre belle Provrnce ii : ce sont des
expressions qui reviennent à chaque instant sous sa
plume : à côté de la « vieille cité d'Aix, >> il célèbre la
« ·merveilleuse rade de Toulon ii et le « pays désert,
mais sain et parfumé >> de Cassis. Ce n'est pas seulement, en dfet, le cc beau soleil de la Provence i> qui le
charme, ce soleil qui revêt de lumière éclatante les
montagnes de l'horizon, couvtlrtes, semble-t-il, « d'une
�14
gloire angéli11ue », selon l'heureuse expression de
Taine, ce sont ê.lUssi ses parfums et ses chants : les
« senteurs des arbres verts » dont les branchages
desséchés, amassés sur des charrettes, apportent dans
les rues d'Aix l'odeur vivifi:rnte de la campagne, les
effluves des amandiers, du thym et de la lavande, en
somme tout « l'arome agréable » de cc cc coin de Paradis » que, Mistral glorifie dans la Reine Jeanne; et le
« chant des cigales » dont parlait déjà Virgile dans un
vers qui est tout 'un paysage provençal :
Sole sub ardenti resonant arbusta cicadis.
Il n'est pas jusqu'aux légendes de la Provence qu'il
ne défende cc,ntre ceux qui voudraient les détruire, dans
la rigueur de leurs raisonnements scientifiques : ainsi
revendique-t-il celle de Marie-Madeleine: violemment
attaquée par l'vW Duchesne, « pourfendeur peut-être
excessif de traditions religieuses locales >> : car cc la
mémoire du repentir de la belle sainte donne un
surcroît de beauté » aux lieux où la tradition veut
qu'elle oit vécu et qu'elle soit morte.
Animé d'u1i pareil amour pour la Provence, il n'est
pas étonnant que nous le voyions prendre une part
active aux travaux de l'Académie d'Aix, à laquelle
il appartint pendant plus de vingt-deux ans, y succédant à son collègue, Charles Joret, profes3eur à la
�15
Faculté des Lettres, membre de l'Institut : son rapport
sur l'important concou:-s dù prix Thiers, décerné pour
la première fois en juin 1917, eL son discours d'installation en qualité de président, en décembre 1913,
resteront comme des modèles de consciencieuse analyse
d'une part: et, d'autre part, d'humour et de bonhomie
charmante. Il fut en outre jusqu'à sa mort viceprésident du Comité de rédaction des Annales de
Pr-ovence et président de l'Association des Anciens
élèves du Lycée d'Aix.
Ce serait assez , déjà , que cet attachement de
Raymond Bonafous à la terre de Provence , pour
expliquer qu'il se soit tourné vers l'étude de la civilisation gréco-latine, et en particulier des littératures
italienne et espagnole. Sous èe toit familial de Canourgues, que je rappelais tout-à-l'heure, au mili~u de ces
plaines où l'antiquité grecque et · romaine surgit à
chaque pas, les langues classiques n'étaient-elles pas
heureusement cultivées par son père, auteur d'excellentes études sur Ari'itote et de précieuses traductions
inédites des tragiques grecs ? Dans ce « délicieux coin
de terre >), écrit Louis Méry au début d'une Lettre
à Madame Norbert Bonafous (publiée à Marseille
en 1802), « Horace et Virgile auraient retrouvé, l'un
son frais Tibur, l'autre ses rives aimées du Galèse ». Il
n'est pas indifférent que la coiffure anubienne des
�16
jeunes salonaises ressemble à ces « ornements de tête »
dont se parait « la j'eune paLricienne dans la cité où
elle repose depuis dix - huit siècles , sous la terre
d'Eliscamp ». Et ces paysages , dignes de Claude
Lorrain, où l'auteur de la Lettre à M. de Fontanes
égarait sa mélancolie, humectant ses lèvres aux eaux
vertes de la fontaine de Salon, n'ont-ils pas été célébrés
par Dante, lorsqu'au sixième cercle de son Enfer, il
parie des tombeaux qui couvrent la plaine, vers Arles,
où le Rhône s'étend,
..... ad Arli, ove Rodano stagna ?
Solitude semblable à celle de la campagne romaine,
avec le même aspect de <' cimetière abandonné », où
les « longs tertres montueux se suivent en files interminables, pareils à ceux que l'on voit sur les champs
de bataille, quand on a recouvert les grandes tranchées
où sont entassés les morts )). La légende , reprise
par !'Arioste, ne veut-elle pas, précisément, que ce lieu
ait été le théâtre d'un important combat de Charlemagne contre les Sarrasins ? De la même manière, on a
cru reconnaître dans la campagne aixoise certains traits
caractéristiques de la campagne florentine, et je n'y
contredirai pas, s'il est vrai qu'ici comme là le cyprès
noir met sa note précise sur le fond du paysage, ainsi
que dans les tableaux des primitifs toscans, et si sous
�17
le même ciel bleu_se découpe le même huizon, dont la
couleur rappellerait plutôt l'Hymelle ou le Pentélique,
mais dont la ligne harmonieuse semble digne des
contours de Fiesole ou de San Miniato.
D'ailleurs , la ville d'Aix , « depuis longtemps
renommée » pour son souci des choses de l'esprit,
pour son attachement aux S(;iences et aux artg ,
revendique des titres à la fois plus lointains et plus
proches à la culture des lellres italiques : il y a, en
effet, plus de deux mille ans que les légions romaines
de Caïus Marius tombèrent ici pour défendre la civilisation romaine contre les Teutons, et depuis cette date
« l'abrupt rocher de la Sainte - Victoire », ·pour le dire
avec Maurir.e Barrès (en des paroles justement rappelées
par M. Ch . . de Bonnecorse ),. toujours inspirateur de
belles et hautes pensées, produit toujours des << vies
rythmées et vigoureuses, franches et nobles comme des
poèmes ».
Nous devons donc être .reconnaissants à Raymond
Bonafous d'avoir inauguré à Aix, dans l'enseignement
supérieur, l'étude des littératures méridionales, qui ont
leur place toute marquée dans la capitale de la Provence,
centre naturel de l'italianisme en France.
Ici encore, il trouvait l'exemple autour . de lui, dans
sa famille et à la Faculté. Avant de devenir helléniste,
son père avait été italianisant: ses deux thèses de docto-
�18
rat traitent des sujets relatifs à la littérature italienne;
la thèse française s'occupe d'Honoré d'Urfé, dont on sait
les rapports avec l'EsfJagne et l'Ilalie : la lhèse latine,
sur Ange Politien, le fait pénétrer << dans ce merveilleux humanisme italien, » que son fils se promettait
d'étudier un jour du haut de celle chaire. Au cours de
ses nombreux voyages en Italie, Norbcl't Bonafous avait ,
rassemblé « une bibliothèque italienne aussi importante
que choisie >>, où Raymond puisa le goftt des éludes
méridionales, et dont il put largement se servir. A la
Faculté, Henri Ouvré, professeur d'histoire, devenu
ensuite recteur à Bordeaux, n'avait-il pas écrit une
thèse latine, qui fait aulorilé encore aujourd'hui, sur le
De Monarchia de Dante ?
Fidèle aux meilleures traditions, celles des Ozanam:
des Faurie! et des Gebhart, RaymonJ Bonafous estimait que la cullure clas,;ique doit demeurer à la base
de la cullure moderne et que l'étude du latin el
du grec doit toujours accompagner et sou!enir celle
des langues étrangères vivantes. « Les littératures latine
et grecque, déclarait-il dans sa Leçon d'ouverture,
prenant position dans un débat encore aujourd'hui
ouvert, doivent continuer à former le fonds solide de
toute instruclion el l'affaiblissement des études classiques se traduirait, dès la première génération, par un
abaissement du niveau intellectuel des peuples ».
�19
Aussi se proposait-il d'étudier les langues néo-,latines
en « s'efforçant de rattacher ces langues à leur mère
commune, le latin ».
Il le pouvait assez aisément, ayant été d'abord, cl
élanL resté surtout un latiniste : à dix-neuf ans, il
remportait le premier prix de dissertalion latine au
concours général, à trente-huit, il écrivait dans un fort
joli latin les cent-dix pages in-8° de sa thèse latine sur
les amours et la poésie de Properce, ne craignant pas
d'examiner les textes de près et de rompre plus d'une
lance avec un latiniste éminent, très versé dans la
connaissance du même auteur, Frédéric Plessis. Tout
en étudiant les littératures de l'Europe méridionale,
Haymond Bonafous ne laissera pas non plus de parler
souvent de la littérature française qu'il avait enseignée
à la Faculté des Lettres -d'Aix, en 1884-8ti, et où se
mêlent, •à diverses époques, des influences variées et
complexes venues d'au-delà des Alpes et d'au-delà des
Pyrénées.
Ecoulez cette page, si précise et si nourrie, sur les
nlpports entre les trois principales litlératures néolaLines : « Au xue siècle, c'est lêt France qui a l'avance.
« Les chansons épiques du Nord et les produits lyriqued
« des Troubadours passent les Alpes 6t les Pyrénées, et
« vont éveiller l'Italie et l'Espagne restées en arrière.
« Puis, notre littérature fait banqueroute. L 'llalie, au
�20
contraire, arrive à ce moment à une superbe jeunesse,
« l'éroriuo de Dante, de Pétrarque et de Boccaçe, et,
« fortifiée par les études classiques qu'elle fait au xve siè« cle, elle atteint au xv1e siècle le plein épanouisse<< ment d'une vigoureuse maturité. Dès lors: les rôles
c< changent. C'est l'Italie qui -est l'éducatrice, l'Espagne
« et la France qui sont les élèves. Des deux élèves, c'est
cc l'Espagne qui prend les devants, un peu parce que,
c< dans sa flerté, elle ne se croit pas obligée de tout
« devoir à s[1 maîtresse, et se hasarde plus tôt à marcher
cc toute seule ; un peu aussi parce que la France est alors
cc gênée par le voisinage de la réforme, et que: si la pen« sée devient plus profonde à ce contact, vu l'importance
« des intérêts engagés, nombre d'esprits ne trouvent
« pas à côté d'eux la sérénité nécessaire à la création des
« œuvres d'art. La France y gagna de produire mieux
« par la suite; mais pour le moment elle resta, au point
« de vue purement littéraire, en arrière de l'Espa« gne. Ronsard essaya de pindariser : on connaît et on
cc goûte surtout de lui ce qu'il doit à Pétrarque. Ses discc ciples, surtout Desportes et Bertaut, se bornèrent à
« pétrarquiser. La France persistait à être tributaire de
es:. l'Iblie, et cet état durait depuis que Saint-Gelais avait
« traduit la Sophonisbe de Trissin. Malherbe débutant
« traduisait Les Larmes de Saint-Pierre -de Tansillo. On
« prenait tout à la littérature italienne, même ses
cc
\
�21
défauts, ses « concetti », dont le cavalier Marin pro« pagea la mode.
« Bientôt on joignit, puis on substitua à l'imilation
« italienne l'imitation de la littérature espagnole, que
« l'on reconnaissait par cela même comme supérieure.
« Dès le xv1e siècle, Herberay des Essarts Lraduisail
« }'Amadis des Gaules de Montaho. Au xvne siècle,
cc Corneille, Rotrou, Molière, pour ne citer que les
« grands noms, empruntèrent plusieurs sujets à l'Espa« gne. Le roman picaresque fit fureur de Scarron
<< jusqu'à Lesage, au début du xvmc siècle.
« Mais alors, et même bien avant Lesage, qui, pour ses
« modèles, est en retard sur son temps, les rôles furent
« intervertis. Au commi-mcement du règne personnel de
« Louis XIV, on entendait et goûtait encore, à Paris,
« les acteurs italiens et espagnols qui y jouaient leurs
Dès la fin du règne qui avait vu le plein
<< pièces.
« épanouissement de notre littérature, ce furent nos
« productions qui furent goûtées et imitées au-delà des
« Alpes et des Pyrénées, et -cette imitation ne cossa
« qu'au début de notre siècle, où nos deux sœurs latines
« revendiquèrent leur indépendance et reconquirent
« leur originalité. »
Enfin, rien n'emr:,êchait cet historien des littératures
méridionales d'étendre son domaine, par comparaison,
jusqu'à celui des littératures du nord de l'Europe,
«
�22
puisqu'aussi bien il possédait une sérieuse culture
anglo-saxonne, ayant écrit. un volume ' important (qui
fut sa thèse principale de doctorat) sur le « seul vrai
poète des romantiques » allemands, cet Henri de Kleist,
émule de Gœthe, plus pessimiste que Leopardi, qui
mourut de mort volontaire dans le pleih essor de son
génie, à l'âge de trente-quatre ans.
Ainsi Raymond Bonafous continuait à la Faculté des
Lettres d'Aix la tradition de ces esprits encyclopédiques, donl son collègue et son prédlcesseur à l'Académie de celte ville, Charles Joret, avait donné un
magnifique exemple par ses nombreux et érudits travaux de philologue et de folkloriste, de germanisant,
d'historien et de botaniste.
Justement persuadé que la connaissance des langues
élrangères ne s'acquiert bien que dans le pays où on
les parlé, persuadé aussi que l'histoire de la civilisation
est inséparable de l'histoire littéraire - « une littérature étant surtout l'il peinture d'une société, n'est-il pas
logique, si l'on veut comprendre une littérature, d'étudier d'abord la société dont elle est la fidèle image ? »
- Raymond Bonafous avait suffisamment séjourné en
llnlie et en Espagne pour posséder, de la langue italienne, de la langue espagnole, ainsi que de la civilisasation italienne et de la civilisation espagnole, ce qui
est nécessaire à !'intelligence de ces littératures, dont il
�23
fit, pendant plus d'un quart de siècle, l'objet de son
enseignement . En vérité, à part son Arioste, édité'
dans la Collection de classiques italiens fondée en 1900
par Charles Dejob, et où. le lecteur trouve, après une
une bonne introduction de soixante pages, d'abondants
extraits du Roland furieux, reliés par des analyses, et
accompagnés de notes explicatives, avec les passages
les plus intéressants des Satires trop peu conues, et
quelques scènes des Comédies commentées pour la
première fois en notre langue, Raymond Bonafous a
peu publié dans cet ordre de travaux, et il faut assurément le regretter. Grâce à l'obligeance de Madame et
de Mademoiselle Bonafous, j'ai eu sous les yeux la
plupart des leçons qu'il a professées à la Faculté des
Lettres : j'y ai trouvé, avec beaucoup d'ordre et de
méthode, des ensembles de faits clairement ordonnés,
des jugements toujours judicieux, une clarté d'exposition remnrquable. La leçon xxv: par exemple, sur le
Dolce stil nuovo (quïdatc de janvier 1898), la leçon XLX
sus les Œuvres latines de Dante, qu'il tint en juin 1900
avant d'aborder l'étude de la Divine Coméd-ie, et la
leçon LII, qui dat~ du mois de décembre de la même
année, et où il s'arrête, avant de commencer l'analyse
de l'Enfer, pour résumer toutes les noti0ns acquises en
deux ans et demi d'exégèse dantesque, me parai~sent très
�24
significatives de sa manière, à la fois large et restreinte,
farte de généralités et de précisions tout ensemble.
Du reste, il ne s'attachà guère qu'aux grands auteurs
et c'est à peine s'il arriva j-œsqu'à la Renaissance :
Pétrarque et Boccàce, !'Arioste et le Tasse eurent toujours ses préférences, et, avant eux, et bien au-dessus
d'eux, Dante, dont il étudia avec amour, pendant de
longues années, non seulement le poème sacré, mais,
on vient de le voir, les œuvres mineures, et ces œuvres,
non seulement en elles-mêmes, mais dans leurs origines
les pl us lointaines, si bien qu'il fut amené à consacrer
un nombre considérable de leçons à la littérature
prédantesque.
Il ne faut pas croire qu'entraîné par ces r~cherches
érudites, Raymond Bonafous perdît de vue ce qui fait
la raison d'être et la noblesse de l'étude: d'abord, pour
le dire avec Gaston Paris, cette pensée qu'on travaille,
dans la mesure de ses forces, « à rédification de ce
monument, l'histoire de l'esprit humain )), mais ensuite
et surtout cette foi que l'on a, qu'il faut avoir, que de
tous les matériaux assemblés sortira une vérité pins
haute et plus pure et plus féconde, meilleure pour
l'homme, qu'elle rendra meilleur el moralement plus
grand. Humanio1·es litterae. Après avoir admiré, en
Italie, les musées et los bibliothèques, « où sont enfer« més les trésors de la Renaissance, manuscrits sacrés
�25
« comme les œuvres qu'ils nous ont conservées, édi-
lions de savants enthousiastes, statues grandrs corn« me le génie de Michel-Ange, ou tableaux divins
« comme l'âme de Raphaël ))' Raymond Bonafous
disait : « La vue de ces richesses accumulées meuble la
« mémoire et élargit le cœur, el je ne sache pas
« d'homme intelligent qui ne soit revenu meilleur
cc après a voir vu de si belles choses ».
Il se peint tout entier dans ces paroles. La vision de
la beauté, et de la vérité, conduisant à la bonté : 'voilà
une maxime d'action qu'il faisait sienne, non seulemant dans son enseignement: maü; dans tous les actes
de sa vie. Et ici, je devrais montrer ce que fut l'homme
avec cette modestie qui le faisait s'effacer toujours
devant le souvenir de son père, soit qu'il commençât
sa leçon d'ouverture à la Faculté par un éloge de
Norbert Bonafous, s'en excusant par ces mots : « C'est
« à son souvenir surtout que j'ai dll la nomination
« dont on m'a honoré. Ce n'était donc pas seulement
<< un fils qui accomplissait un pieux devoir, c'était un
<< débiteur qui payait sa dette à son ~réancier » ; soit
qu'il reportât sur la mémoire de son père Je mérite
d'avoir été choisi pour successeur de Charles Joret à
l'Académie : « C'est à mon nom bien plus qu'à mes
cc faibh,s mérites, que je dois l'avanhige de m'asseoir
avec cette bienveillance, qui
« près de vous », «
�26 '
semblait une tradition de famille : << Le Lycée de Marseille, disail le Docteur Aude, président de l'Académie,
au récipiendaire , se souviendra toujours du savant et
paternel professeur qui occupa longtemps la chaire de
rhétorique. Au baccalauréat, les candidats, par un
anachronism e bien permis à ùes jeunes gens insouciants
de la succession des années, continuent à penser que le
professeur qui les interroge est celui dont ils ont
entendu vanter par ltmrs pères la mansuétude et l'indulgence » ; - avec cette loyauté surtout, qui le
rendait incapable de toute duplicilé et de toute mauvaise action, et avec cette bon té foncière, qui se
traduisait chez lui; dit Edouard Aude, par une cc expansion affectueuse ))' par un cc besoin d'intimilé et de
confidence qu'il portait partout avec lui » : << Celte
« bonne Faculté des Lellres d'Aix, avait-il coutume
<< de dire, cette petite famille dan.s la grande famille
,< universitaire, où je reviens si volontier,- >>. Comment
s'étonner, avec de telles qmilités, qu'il fût« si estimé et
si aimé » de tous ceux qui ont pu le connaître ?
Le portrait que j'ai voulu tracer de lui ne serait pas
•complet, si je n'ajoutais que cet homme di} bien fut
aussi un homme d'esprit, dont les boutades sont reslécs
fameuses parmi nous, et qui assaisonnait ses écrils et
ses propos d'un humour inépuisabhi. ' Je cède ici la
parole à mon ami Edouard Aude, le savant conserva-
�'Z'/
teur de la Bibliothèque Méjanes, qualifié de toutes les
manières pour apprécier, à côté du talent de Raymond
Bonafous, son caractère, si finement mis en lumière par
lui, dans le discours qu'il prononça à ses obsèques, lorsqu'il rappela « le charme de sa conversation, cette bonhomie qui était souvent malicieuse, cette mali(;e qui
n'était jamais méchante, ce regard amusé qu'il prpmenait sur la vie, cette façon qu 'il avait de rendre pittoresque le moindre des détails, de raconter une anecdote,
de camper un per::;onnage, et tout l'esprit qu'il jetait à
à profusion sans jamais blesser personne ». Nul mieux
qu'Edouard Aude ne pouvait tracer le portrait que je
viens de lire.
En somme, cet « Athénien de Provence », qui était
aussi un épicurien à la façon d'Horace et de !'Arioste,
a su fuir « l'humeur morose qui est souvent le fruit
d'une application trop prolongée », tristitia quae continuatione pertinacis studi adducitur, comme dit Sénèque
le père, et son savoir, qui« n'avait rien de revêche»,
s'est toujours allié cc à cette douce bonne humeur
provoquée par ce sentiment qu'on mène une vie intel' en bonne compagnie».
ligente et utile et qu'on la mène
Revenant à ce que je disais, au début de cette étude,
de sa vie calme d'universitair e, passée tout entière
au sein de sa Provence, je terminerai en affirmant qu'il
fut par excellence, un sage. Dans sa bibliothèque, que
�28
,•
À
des mains pieuses ont laissée tellA qu'elle était au
dernier jour de sa vie, j'ai trouvé entre l'Italie mystique
et les Origines de la Renaissance, d'Emile Gebhart, deux livres de science fondament ale, - un volume
auquel il demandait sans doule, aux heures de désespoir, les consolation s ~uprêmes, La Bonne souffmnce_,
de François Coppée ; j'ai ouvert ce volume, et je suis
tombé, à la page !'.>7, sur le passage où le poète commente le Pater noster : « Panem quotic!,ianum ! Oui,
c'est tout ce que l'on devrait demander à la vie et
attendre d'elle» . Raymond Bonafo~s n'a · pas demandé
davantage à la vie: c'est pourquoi il a vécu heureux.
L'histoire de cetle chaire, lVlessieurs, est celle du
professeur Raymond Bonafous, qui l'occupa le premier,
puisqu'elle fut créée en 189~, grâce à l'appui du
Conseil Général des Bouches - du - Rhône, justement
soucieux des intérêts intellectue ls d'une région dé~ignée
entre toutes pour devenir, en France, le foyer des
études méridional es.
Dans sa leçon d'ouvertur e, prononcée à cette Faculté,
le mercredi 11 décembre 189!'.>, Raymond Bonafous fixa
lui-même les limites du nou~,rn Coui·s de langues el
littératures de l'Europe méridionale, en excluant le
provençal qui était alors enseigné par M. Constans, et
�29
qui ]'est aujourd'hu i par Emile Ripert, et le grec
mode.ne, qui est bien une langue de l'Europe méridionale: mais qui n'appartien t pas au groupe des
langues néo - latines. Le domaine de Gette chaire
s'étend donc théoriquem ent à l'Italie, à l'Espagne el au
Portugal, dont les langues et les littératures , et rar
exception les production s dialectales , souvent très
importante s (qu'il rhe suffise de citer la littérature catalane et la littérature piémontaise) peuvent être étudiées
ici, ainsi que deux idiomes, l'un qui relève presque
exclusivPm ent de la linguistiqu e , le romanche ou
rhéto-roma n, parlé << dans une partie du canton des
Grisons, en Suisse >> (et qui a fait l'objet des savantes
études de M. Graziarlio Ascoli), l'autre qui a fourni une
abondante littérature, le roumain.
De ces langues et de ces littératures , en fait Raymond
Bonafous ne retint que l'italienne et l'espagnole, se
consacrant plus particulièr ement, comme je l'ai dit, à
l'étude des auteurs classiques. Nous restreindro ns encore
davantage notre champ d'action~ si vous le voulez bien,
et nous limiterons , au moins pour l'instant , nos
recherches à l'Italie : il y a, à cela, d'impérieu ses
raisons d'opportun ité.
Aujourd'hu i, et dans le peu de temps qui me reste,
au lieu de vous montrer l'importan ce du domaine
de la langue italienne dans le monde, ou la richesse et
�30
la valeur de l'histoire littéraire d0 l'Italie, ainsi que
l'avait fait . le profe5seur Raymond Bonafous, je désirerais insister sur l'utililé de connaître la littérature
italienne pour apprécier comme il faut notre propre
littérature, que nous ne perdrons jamais de vue, et
marquer par là l'esprit dans lequel j'entends traiter le
sujet qui nous occupe cette année, La Poé.:j'ie ilal-ienne
contemporaine.
Le romantisme est sans doute, avec la Rcnaissan~e,
l'époque où le génie français et le génie italien se sont
compris et pénétrés le mieux , l'influence italienne
dominant dans la première époque, et l'influence française paraissant prérondérante dans la seconde.
On pourrait faire voir, et c'est à quoi nous nuus
attacherons, en ce qui concerne plus parti eu lièremen t
la poésie, - dans la prochaine leçon - comment, tout
1:.m demeurant original sur bien des points, et surtout
national et patriotique (les révolutions sont proches, et
nous allons vers les victoires du « Risorgimento))), le
romantisme italien a su s'inspirer des idées de nos philosophes du xvmc siècle, retenant la partie positive
de leurs doctrines et rejetant la négative, jusque dans
ses œuvres les plus italiennes et les plus chrétiennes
comme les tragédies et les hymnes s1crés d'Alessandro
Manzoni, jusque dans ses productions les plus pures,
comme les Proses morales de Giacomo Leopardi.
�31
Nous montreron s ensuile quel culte le plus .grand poète italien du x1xe siècle après Leopardi et avant Gabriel
cl'Annunzi o, Giosue Carducci, a voué à notre Victor
Hugo, de qui il célèbre en vers magnifique s le quatrevingtième anniversai re. Homère, Eschyle, Pindare,
voilà ses devanciers , ceux dont il fut l'émule :
cc Parmi ces poèmes immortels, dans mon cabinet de
travail, ô Victor, j'ai placé ta tête aux cheveux blancs,
ta tête prophétiqu e que la douleur incline sur la main
droite >>.
Pensi i ftgli o la patria ? pensi il dolore umano ?
Non so ; ma quandv, o vate, raccolgo in quell'arcan.o
Dolore gli occbi e il cuor,
Scordo i miei danni anticbi, scordo il recente danno,
E rammemoro gli anni che fûro e cbe saranno
E cio che mai non muor.
Colsi per l'Appia via sur un tumulo ignoto
E posi alla tua fronte, segnacol de'l mio vota,
Un ramuscel d'allor.
Poeta, a te il ·trionfo su la forz..a e su'l fato l
Poeta, co'l lucente piede tu bai calcato
bnpero e imperator I
�32
Puis, montrant en lui toutes les puissances poétÎques
de la France, les rêves des pleines normandes, l'ardeur
du granit pyrénéen, la joie et la santé bourguignonnes,
le génie de Provence où chantent les grecques harmonies, l'inspiration délicate qui naît entre la Marne et la
Seine, le poète italien caractérise l'uni versalilé de
Victor. Hugo, sa lyre aux mille cordes, son âme aux
mille voix, par ce vers ajmirable d'expression synthétique :
Tu di Gallia e di Francia sei l'anima infinita,
et il montre la poète-prophète indiquant aux nations,
comme le divin archange, le chemin de l'avenir :
Canta a la nuova proie, o vegliardo divino,
Il carme secolare de'l popolo latino.
Rendant à la fois hommage à Giosue Carducci et à
celui qui les a inspirés tous les deux, c'est encore
Victor Hugo que Gabriel d'Annunzio chantera, dans
une de ses plus belles odes, composée à l'occa~ion du
premier centenaire de la naissance du poète français,
en 1902 :
0 nembo sonante dell'Ode,
rischiara dei tuai rotti lampi
�l' immensita del suo cuore !
La Gallia, distesa tra i campi
nubilosi e le prode
del Mediterraneo lucente,
nel suo cuore è compresa
con la profonda Ardenna
e la Provenz.a serena
ove canta la cicala
d'Apolline all'olivo d'Atena,
e la Bretagna silente
dai candidi lini
che prega rammemora e sogna
coronata di giunchi marini,
e la Borgogna che al ferro
duro partitor di retaggi
è madre e alle vigne opime
onde fiammea gioia s'esprime.
Integro nel suo petto
è il suo dolce paese;
e nell'anima sua ferve il solco
della nave f ocese
che venne recando il perfetto
dell'Ellade fiore
nel seno petroso ove nacqut
Massilia a specchio dell'acqut
•
�« 0 nue où gronde le tonnerre de l'Ode,
illumine de tes soudains éclairs l'immensité
de son cœur ! La France, étendue entre
ses plaines nuageuses et les rives de la Méditerranée lumineuse , s'est recueillie dans
son cœur, avec les Ardennes et la Provence
sereine où chante la cigale d'Apollon sur
le laurier d'Athêna: avec la Bretagne sileneieuse aux blanches coiffes, qui prie, se souvient et rêve, couronnée de joncs marins,
avec la Bourgogne qui donne le fer, dont la
dure loi règle le partage des terres, et la
vigne féconde source de joie ardente. Tout
entier en lui est son doux pays ; et dans
son âm~ bout le sillon du navire phocéen,
qui vint apporter la plus pure fleur de l'Hellade dans la baie pierreuse où naquit Marseille sur le miroir des eaux ».
Je m'arrête : qu'il me suffise de redire ici que,
,depuis l'époque où Dantè, selon la légende, venait
écouter , dans les écoles parisiennes de la rue du
Fouarre, indulgentes à l'averroïsme audacieux de Sigier,
les syllogismes de nos professeurs de théologie, qui
rendirent fameuse dans le monde entier la Sorbonne,
.depuis l'époque, plus lointaine encore, où la poésie di
�35
-nos chansons de geste et de nos troubadours suscitait
l'admiration des foules sur les places publiques des
villes d'Italie, et faîsait naître en divers endroits de la
péninsule des écoles de lyrisme, jusqu'à ces années
dernières oü le même Gabriel d'Annunzio écrivait, en
France, son Martyre de Saint-Sébastien et sa Pisanelle,
et jusqu'aujourd'hui même, oü s'affirme à nouveau la
sympathie entre nos deux r,ays, la France et l'Italie
n'ont jamais cessé d'êtres unies, en dépit des àpparentes
dissensions, par les liens de la parenté intellectuelle la
plus étroite (1).
C'est avec cette pensée, je dirai avec cette foi, que
je compte traiter devant vous cette année le sujet que
je me suis proposé, et j'estime que je serai suffisamment
récompensé de mes efforls, si je puis inspirer à quelques-uns d'entre vous le désÜ' d'aller puiser dans la
connaissance de la langue et de la civilisation de l'Italie
des raisons de mieux comprendre et de mieux aimer sa
littérature, et, par suite, de mieux comprendre et
de mieux aimer la nôtre .
.Aix-en-Provence, 3 - 5 décembre 1.922.
(1) Cf. mon volume Les Affinités intellectuelles de l'Italie et de
la France, Paris, Hachette, 1.923, in-16 de 288 pages.
�Imprimerie
PAUL
ROUBAUD,
10,
Rue Thiers. -
Aix-en-Provence
���
Dublin Core
The Dublin Core metadata element set is common to all Omeka records, including items, files, and collections. For more information see, http://dublincore.org/documents/dces/.
Title
A name given to the resource
Monographie imprimée
Description
An account of the resource
Ouvrages imprimés édités au cours des 16e-20e siècles et conservés dans les bibliothèques de l'université et d'autres partenaires du projet (bibliothèques municipales, archives et chambre de commerce)
Dublin Core
The Dublin Core metadata element set is common to all Omeka records, including items, files, and collections. For more information see, http://dublincore.org/documents/dces/.
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
Aix-en-Provence. 19..
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Mignon, Maurice (1882-1962)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1923
Description
An account of the resource
Après le décès en 1922 de Raymond Bonafous, professeur de littérature italienne et espagnole à la Faculté des lettres d'Aix, son successeur lui rend un vibrant hommage sur fond des liens qui unissent la France et l'Italie
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
1 vol.
35 p. : ill.
22 cm
Language
A language of the resource
fre
Publisher
An entity responsible for making the resource available
P. Roubaud (Aix-en-Provence)
Relation
A related resource
Notice du catalogue : http://www.sudoc.fr/241452422
Vignette : https://odyssee.univ-amu.fr/files/vignette/BULA-40098_Mignon_Lecon-inaugurale_vignette.jpg
Rights
Information about rights held in and over the resource
domaine public
public domain
Source
A related resource from which the described resource is derived
BU des Fenouillères - Arts, lettres et sciences humaines (Aix-en-Provence), cote BULA-40098
Subject
The topic of the resource
Littérature
Histoire de l'université
Title
A name given to the resource
Leçon inaugurale du cours de littératures de l'Europe méridionale
Type
The nature or genre of the resource
text
monographie imprimée
printed monograph
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/437
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
BU des Fenouillères - Arts, lettres et sciences humaines (Aix-en-Provence)
Abstract
A summary of the resource.
Ex-libris de l'auteur en page de garde.
Après le décès en 1922 de Raymond Bonafous, professeur de littérature italienne et espagnole à la Faculté des lettres d'Aix, son successeur lui rend un vibrant hommage sur fond des liens qui unissent la France et l'Italie
Littérature espagnole -- Histoire et critique
Littérature italienne -- Histoire et critique
Universités -- France -- Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône) -- Histoire