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1eaa736d3ca9c8cb6ed58a0eebbc1d46
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FACULTÉ DE DROIT D'A I X
DR O IT ROMA I N
De !'Usucapion.
DROIT C IV IL FRANÇAI S
Origine, sen s et applications de la Règle « En fait de
m eubles possession vaut titre "
( Art. 227~-2280)
THÈSE
POUR
LE DOCTORAT
PRQSBNTtE ET SOUTENUE
PAR
JO SEPH
CABASSOL
Avocal à la Cour d'Appel
-.
AIX
ACHILLE l\fAKAIRE,
DIPill~ŒU R-LIBRAIRE
2 , rue Th1or , !
1885
li li
llll llll l li Ill Ill/ 11 11111
094 085610 2
�A MON ONCLE
M.
CARLES
Doyen honoraire de la Faculté de Droit d'Aix,
Chevalier do la Légion d'Bonncur
�INTRODUCTION
'
...'
La possession étant la base soi t de l'usuca pion ou prescription acquisitive, soit et spécialement de l'art. 2279 que
nous avons à commenter, il faut commencer par la définir:
La possession est la puissance que nous avons sui· une
chose, le pouvoir d'en user et jouir, de la retenir à l'exclusion de toute autre personne, d'opérer enfin sur elle à
plaisir et volonté. L'étymologie du mot indique déjà cela,
possidere est l'augmen tatif ùe passe, c'est la puissance à l'état
complet el continu.
Quand celle puissance est jointe au droit, elle constitue
la propriété qui est en effet le droit de faire tout cc que
nou s venons de dire dan les limites permises par la loi :
Jus ULendi, frn endi et abutendi qua tenus juris ratio patilur.
La propriété es t donc le droit et la possession le fait. Elles
sont jointes ordinairement et doivent l'être, sans quoi la
propriété séparée de la pos.ession ne figurerait que comme
une abstraction jurid ique et serait privée de tous les avantages qu' elle doit procurer à l'homme.
La possession au contraire. si ell e e l seul e à son tour
ou du moins co mm ence par être seule, peut produire Jes
effets importants par elle-même el ce la dans plusieurs ca. :
C'es t ce qni arri,·e d'abord quand elle porte sur de bien,
qui n'appartienn ent il pcr' onn e, res u11l/i11s. Elle allire alors
la propriété à ollc immédiatement ; le possesseur de\'ient
�Il
propriétaire aux yeux mêmes do la loi dès l' instant qu'il
s'est emparé de la chose. C'est co qu'on appelle Je dro it du
premier occupant, prima occupatio, et c'est par là, a dit
Pascal, que la propriété a comm encé sur la terre.
En second lieu, la possession peut ex ister senle parce
que le propriétaire aura été dépouillé. Ell e est alors sur
une tête, la propriété sur une autre, et cela peut arriver
assez fréquemment. En cet état, la possession produit deux
efiets, l' un provisoire l'autre défi nitif.
Provisoirement, le possesseur est présumé propriétaire
jusqu'à preuve contraire. Si une demande judiciaire est
intentée contre lui, il a le rôle le plus facile à. remplir, celui
de défendeur ; c'est au demandeur à faire la preuve de sa
propriété, sinon il succombera. Si, au con tra ire, le possesseur, au lieu d'être attaqué en justice est troublé en fai t ou
dépossédé par violence, il a alors une action qu i lui est
propre pour faire cesser le trouble ou pour se fai re rendre
la chose enlevée. Cette actio n appelée en droit français
complainte ou réintégrande est donnée contre l'auteur du
trouble ou de l'enlèvement, qu el qu'il soit, fut-vc même le
vrai propriétaire de la chose qui a eu le tort d'employer de
pareils moyens. Ceci form e la classe des actions di tes
possessoires, qui ressemblen t plus on moi ns à cc que les
Romains nommaient Intcrclicta 710 sessoria et qui ne s'exercent il est vrai chez nous que pour les immeubles.
Notre thèse doit rester étrangère à ces premières manifestations et conséquences de la possession. Elle s' occupc
seulement du résullat que nous avons appelé définitif et qui
provient d'une possession ordinairement prolongée.
Ill
Après qu'elle a duré en effet plus ou moins longtemps,
le moment vient où pou r que les droits de chacun ne soient
pas indéfin iment suspendus, la loi anéantit la propriété de
l'ancien maître et la fait passer au possesseur. Le fait devient
alors le droit et la possession est transformée. Ce mode
d'acquérir par une possessio n plu s ou moins longue, appelée
prescription, présente des hyp othèses nombreuses et diverses :
Si elle a duré trente ans, ell e s'appliqu e à tous les biens
meubles ou immeubles, en droit français du moins, quoique
le possesseur ait su qu' il détenait le bien d'autrui , quoiqu'il
ait été de mauvaise fo i selon l'expression usi tée. De hautes
raisons d' utilité publique ont fait admettre ce résultat qui
semblerait à première vu e froisser l'équité naturelle.
Si, au contraire, le possesseur est de bonne foi, dix ou
vingt ans suffisent pour lui assurer la prop riété en droit
romain et en droit français à l'égard des immeubles. Mais
s' il s'agit de meubles, une différence profonde sépare les
deux législations : le droit romain exigea d'abord un an
puis trois sous Justinien ; le droi t français , par une
décision hardie et accep tée lentement dans la pratique judiciaire, a affranchi la prescri ption des meubles de Lou te
durée. Il suffi t que l'acheteur ait reçu la chose de bonne foi
pour que cette possession in tantanée l'ait rendu aussitôt
propriétaire, comme s'il s'agissai t d' une chose n'appartenan t
à personne. C'est le sens de la maxime: En ;ait de meubles
vosscssion vaut titre.
Nous ne fa isons qu' in diquer ici Je terrain sur lequel portera notre travail. Le développement deHa tout expliquer,
�IV
entr'autres commen t cette règle, qui à première vue étonne,
a été inspirée par de puissants motifs et est au ssi sage
qu'utile en la restreignant dans le cercle des choses pour
lesquelles elle a été faite.
Encore un mot: la possession à fin de prescrire doit être
une possession vraie et complète, c'est-à-dire réun ir le fait
et l' intention ; le fait, d'avoir une chose sous sa puissance,
l'intention d'en être le maître , de l'avoir r.n un mot
comme propriétaire. C'est ce que les Romains appelaient
posidere corpore et animo,
Dans beaucoup <le circo nstance, de la vie civile, on
pourra détenir la chose d'atJtrui en sachant qu 'elle est à
autrui et vou lant qu'elle lui res te , par exemple , dans le
prêt à commodat, le louage, le gage, ele. Il n'y a pas ici
une naie possession mais un e simple détention , nuda detenlio, ou comme disaient encore les jurisconsultes romains,
cc n'est pas la possidere S<'d tanlmn esse in possessioue. Nous
<liso ns nous ordinairement c'es t une p o~sess i o n ou détention à titre précaire, l'appelant ainsi parce que souvent on
a reçu la chose par complaisance du maitre, sur la demanüe
ou prière qu'on lui en a fa ite, precario nomine.
Le détenteur précaire a si peu la possession juridique
que c'est le prop riétai re qui co ntinue à posséder par ses
mains, Io considérant avec raison comme so n rep résentant.
Le détenteur n'a d'autres droits qu e ceux qui résullent pour
lui du contrat intervenu : prêt, louage, gage, etc., cc dont
nous n'avons pas h nous occ uper.
DROIT
ROMAIN
�DROIT ROMAIN
DE
L'USUCAPION
, Oig l.il"l'tl XLI . Tilre Ill
l
~-
•
L' usucapion est un IDl'ycn .d'acquérir la propriété par
une possession prolongée et revêtue de certaines condiLions.
C'est ainsi que la défi nit Modestin : Usucapio est adjectio
dominii per contirwationem po scssio1tis tcmporis lege definiti.
Cicéron, pour exprimer la même idée se sert du mot usus:iuctorilas 1 , V sus desigoan t la possession et auctaritas le
caractère dont la loi la recouvre en la tr:insforman t en pro• Top . 4 ; pro cœcina,
m.
�-2priété. En d'autres termes, l' usage de la chose pendant une
certaine durée, assure par elle-même au possesseur un e
propriété légitime.
C'est là une institution tle Droit Civi l qui au premier abord
paraît contraire au droit des gens entendu clans le sens romain et d'après lequ el la propriété ne doit pouvoir s'acquérir
· que par la tradition émanée du propriétaire, de celu i qui seul
a la liberté d'en disposer. Elle sembl e aussi en co ntradi ction
avec l'équité qui défend que l' un s'enrich isse du bien de
l'autre à son insu et malgré lui. Pourtant on la tro uve établie dès les temps les plus reculés dans la législation des
peuples. C'est que le bien public exigeait que la propriété
ne restât pas trop longtemps incertaine : Ne scilicet fere semper incerta dominia essent, et qu'on fixâ t un terme après
lequel les possesseurs ne pourraien t plus être inqu i1Hés en
déclarant désormais de nul eITe t les droits restés jusqu'alors
sans exercice. Sans cela, il serai t arrivé souvent qu'u n
acquéreur de bonne foi aurait été évincé après un e longue
et paisible possession et que celui -là même qu i avai t acquis
du véritable prop ri étaire, perdant accidentell ement son titre,
se serait vu lui aussi dépouillé. D'ailleurs, une pareill e institution est d'autant moins inj uste que la loi laisse aux propriétaires tout le temps suffisant pour la recherche et la
revendication de leurs droits et qu'en somme l' usucapion
ne frappe que des négligents: Vix est ut non videatur alienare
qui patit.ur usucapi (L. 28. Dig. lit. XVI, Liv. L, de verb.
sign.) Aussi fut-elle appelée Patrotia generis Jiumani; tous
les jurisconsultes vantèrent son étab lissemen t et les empereurs l'entourèrent d' une protection très efficace.
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L'usucapion a traversé à Rome trois périodes successives:
le droit classique , la législation prétorienne et celle de
Jnstinien :
La loi des XII tables est le premier mon ument législatif
qui la mentionn e. Aux termes de cette loi , l' usucapion
accomplie avait les mêmes elTets que la mancipatio c'est-àdire elle transférai t le plenum jus quiritium. Or, le territoire
rnmain étai t à celle époque renfermé dans des limites
étroites et même un petf plus tard c'est au fond italique
seu l que l' usucapion eut lieu de s'appliquer. Mais quand
Rome eû t po rté au lo in la gloire de ses armes, il semble
qu'elle aurait dù donner à ses possessions nouvelles la même pro tection et les mêmes droits qu'à son sol primitif.
L'e$prit romain s'y refusa soit par une sorte de fierté nationale soi t parce que les biens de la conquête étant censés
apparten ir au peu ple ou à l'empereur, ils ne pouvaient faire
l'ol.Jjel que d'une simple concession ; ou disait que le possesseur les avai t in bonis el il payait pour cela un tribut annuel.
Au surp lus, le délai de l' usucapion étant fort court, il él:lil
difficile de l'appliquer à des biens situés à des distances
très éloignés de lacapitale.
On comprit cependant qu'il importait à la tranqnililé
publique que celui qu i pendant un certain temps avait
possédé un fonds provin cial fut couvert d'une protection
d'autant plus rationelle que son droit ne dilTerait cruère
de la propriété véritable, que par le nom qu'il lui ;:.donnait ; dans ce but, le préteur créa en sa faveur le droit ,
après un délai de 10 ou 20 ans, de se main tenir dans sa
possession par la prescriptio lo11gi temporis. Cette expression
�-4nouvelle venait de ce que au moment où le préteur allait
délivrer la formule au demandeur, si l'adversaire voulait se
défendre par la possession longi temporis, il obtenait du
magistrat que mention fut faite de ce moyen en tête de la
formule. De la vint le mot de prœ-scriptum, écrit en tête
ou avant.
Laprescriptio longi temporis eût néanmoins sur l'usucapion
ce désavantage qu'elle n'était , à l'origine, qu'un moyen de
défense, une exception pour repousser l'action du ti ers
qui se serait affirmé concessionnaire et non pas un mod e
d'acquérir transformant en propriété civile le simple fait
de la possession. Il en résultait dans la rigueur du droi t,
que si Je possesseur perdait la chose, il ne poUYait plus la
revendiquer. La pratique chercha de plus en plus à assimiler cette institution nouvelle à l' usucapion ancienne,
d'autant plus qu'elle ne reposait pas sur une loi positive,
et le préteur finit par admettre la poss ibilité d'une revendication utile 1 • Mais la prescripli o avait, d'un au tre côté,
un résultat que l' usucapio ne pouvait produire : c'est que
lorsqu'elle était acquise, l' immeuble restait au possesseur ,
li bre de toutes les charges an téri eures. Aussi finit-on par
admettre qu e les immeubles italiques eux-mêm es pourraient bénéficier de la prescription (LL. 5 et 9 Dig. til. 3,
liv. /~4, de divers temp. prroscript.) - Quand aux meu-
t Cette modification fut failo sans doute bien avant Justm1011 ,
car cel empereu1· dit lui- mème en la mentionnant : Hoc wim et
veteres leges sanciebanL (L. 8, pr. in line. C. do prrescr. xxx vol
xi. annorum).
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bles, ils étaient susceptibles d'usucapion, aussi bien en
province qu'en Italie, par la raison qu'ils n'ont pas de situation et suivent la personne.
Justinien confondit l'usucapio et la prescriptio l-Ongi
temporis en une seule et même institution. Il supprima
toute différence entre les fonds italiques et provinciaux,
accorda aux uns et aux autres le même droit et établit un
délai uniforme de trois ans pour les meubles, dix et vingt
ans pour les immeubles.
L' usucapion avait pour but de remplir t1ne double
fonction :
1° Transformer en domaine quiritaire la simple propriété bonitaJre d'une res mancipi qui n'a été mise au pouvoir de l'acquéreur que par la tradition. Les Romains distinguaient en effet deux sortes de biens, les choses man cipi
et les choses nec mancipi : Afancipi sunt prœdia in l talico
solo tam rustica quam urbana ; item servi et quadrupedes
quœ dorso collove dornantur. Ces biens étaient ainsi appelés
quod quasi mann caperentur, et parce qu'ils ne passaient
en la puissance de l'acquéreur qu'au moyen de l'aliénation
qui s'en faisait par l'antique solennité per œs Pt libram appelée mancipatio. La simple tradilion n'en transmettait
donc pas le plenum jus Quiritium, mai seulement nne
propriété imparfaite qui ne donnait pas les zctions directes
et légales du droit civil. C'est dans cette dernière hypothèse
que la loi venait au secours du possesseur en lui permettant d'acquérir le dominium plenum par l' usucapion.
2° L'u ucapion change aussi en propriété q.uiritaire la
simple possession juridique, lorsqu'une chose mancipi ou
�-6non a été livrée ex justd causâ par un tiers qui n'en était
pas le propriétaire. S1 le possesseur l'a reçue de bonne
fo i et continue à la posséder il en dev iendra propriétaire
d'après le droit civil.
Cette seconde application de l' usucap ion subsista seule
lorsque Justinien fusionna la propriété quiritaire avec la
propriélé bonitaire, et que la ùi stinclion entre les fonds
italiques et provinciaux disparut.
.Mais pour pouvoir in\'oquer cc mode particulier d'acquisition et s'en prévaloir, il était nécessaire cle réunir
certaines conditions relatives soi t à la pc1sonn c qui usucapc, soit à la chose qui est usucapée, soit au mode
d'usucapion.
CHAPITRE l..
Personnes
caa•ablcs cl'u s 11capc1•.
L'usucapion appartenait an droit civil. Il en résultait
nécessairement qu'elle ne pouvait avoir lieu qu'entre
citoyens romains ; elle fut plus lard permi e aux latins,
mais l'étranger ne pût jamais s'en fai re un titre : Adversus
hostem œterna auctoritas esto disait la loi des Douze Tables :
hustis était synonyme de peregrim1s. Pour lui , la po;session
si longue fut-elle ne lui donnait pas le dominium ex jure
Quiritium et le propriétaire avait toujours le dro it de rovenùiquer à so n encontre. Pour qu'il en fut autrement,
-7 il aurait fallu que le peregrin obtint le bénéfice spécial du
commercium. C'était là évidemment une lacune qui se
comprenait à. l'origine de Rome où les sujets pérégrins
étaient fort peu nombreux, mais que le préteur combla
plus tard en leur applicant la prescriptio longi temporis,
c'est-à-dire en maintenant dans leur possession les pérégrins eux-mêmes au moyen d'une exœptio opposable à
toute revend ication.
Les esclaves ne ponvaient pas davantage usucaper pour
eux; ils acquéraient seulement pour leur maître , car
ils ne constituaient pas une personne civile : servus personnam non habet. Le fils de famille leur était sur ce point
assimilé et ne formait pas non plus une personnalité distincte de celle du paterramilias. Il se distinguait toutefois
de l' esclave dans l'an1:ien droit, en ce qoe il pouvait usucaper son pécule castrense et quasi castrense, et sous Justin ien, par un pouvoir encore plus étendu , il put usucaper
tout ce qui ne lui provenait pas des deniers de son père.
Un pupille peut us11caper lorsqu'il a commencé sa possession avec l'autorisation de son tuteur , ou s'il a pu avoir
lui-même l'intention réfléchie de posséder. De là il semble
découler que celui qui est infans ne pourra jamais acquérir
par usucapion, car s'il peut en quelque sorte appréhender
matériellement la chose, il ne pourra pas avoir de volonté,
et comme il est de règle que l'autorisation du tuteur complète mais ne remplace pa l'incapacité du pupille, l'usucap ion deviendra impossible. Les jurisconsultes abandonnèrent dans ce cas spécial la logique rigoureu e de· prin~ipcs et aùmirenL que le tuteur non-seulemen t compléte-
�-8rait mais remplacerait la volonté de l'infans . J11dici111n infantis supplettir auctoritate Llltoris.
Enfin, le furieux peut continu er la possession qu'il a
commencée avant sa folie, mais il faut évidemment pour
cela qu'il possède à. un titre qui donne lieu à l'usucapion 1• An contraire, celui qui devient prisonnier des ennemis ne peut pas non seulement commencer une possession mais encore continuer cell e qui déjà était en train de
s'accomplir, parce que en devenant prisonnier de l' enn emi
il a perdu le droit de cité. Bien plus, si un jour il recouvre
sa liberté, il n'aura pas le droit d'inYoq uer le temps d' usucapion couru antérieurement à sa ca ptivité, en se fondant
sur le jus post liminii, parce que c'es t là une ficlion qui
ne s'applique point aux choses de fait et que la po~sessi o o
est considérée comme telle 2 • Mais ses héritiers du moin s
ne pourront-ils pas s'en prévaloir dans le cas où il est
mort chez l'ennemi? Paul soutient l'affirmative (Dig.
L. 1 ~ de Usucap.) et en donne celle raison tout à. fait conforme aux principes : Que le prisonnier étant mort chez
l'ennemi , il est, d'a près la loi Cornelia, censé mort du
jour de sa captivité n'ayant pas cessé de son vivant de posséder utilement.
Il est des cas où le citoyen romain acqui ert par au trui :
Adquiritur autem nobis ctia111 per eas person11as q11as in potestate, manu, mancipiove habemus. » par ses fil s, ses esclaves~ l'esclave d'autrui, par l' homme li ure qu 'il possède de
' L. 4, § 3. Dig. hoc tilulo.
L. rn, Dig. c~ quibus causis, tit VI, liv. IV.
i
-9bonne foi. En principe, la possession peut s'acquérir corpore alieno, c'est-à-dire par l'appréhension physique d'autrui. Mais il faut que le maitre ait un annimus personnel,
une volonté consciente. Par exception, les personnes placées sous sa puissance, si elles se trouvent à la tête d'un
pécule, lui acquièrent la possession même à son insu lorsqu'elles appréhendent une chose ex peculiarii causâ. Par
conséquent, le captif pourra obtenir le bénéfice de l'usucapion, si l'acquisition provient des deniers de ce pécule
et s'il meurt chez l'ennemi, en raison encore de la fi ction
ùe la loi Cornelia, r,omme il est supposé mort du jour où
il a été fait prisonnier, c'est son fils qui bénéficiera de
l' usucapion depuis son origine. Le fariosus pourra de la
même façon acquérir par son esclave. - Le jurisconsulte
Pedius sou tenait au contrai re que celui qui ne peut pas
prescrire par lui-même ne peut pas non plus prescrire par
son esclave 1 •
Une constitution de Sévère et Antonin alla jusqu'à autoriser l' usncapion par procureur, à condition qu'au moment où elle commence, celui pour le cc1mpte de qui elle
a lieu sache bien que la chose a été mis~ dans les main s
de ce procureur. Cela tient à ce que l'u -ucapion nécessite
la bonne foi dès le premier in tant de possession et que le
mandant ne pent avoi r cette bonne foi qu'autant qu'il
connaît le fait de la possession.
Enfin, suivant le droit commun, une succession vacante
1
L. 8,
s 1, Di g. hoc iitulo.
�-
10 -
ne peul pas acquérir par usucapion, et si l'esclave héréditaire commençait à posséder une chose avant l'additioc1
d'hérédité, l'usucapion ne pourrait couri r que du jour de
cette addition 1• Quand à celle que le défnnt lui-même
aurait commencée, elle s'accomplira avant l'addition,
si le délai voulu par la loi est à ce moment entièrement
achevé. C'est là une conséquence da principe admis en
Droit Romain que Je défunt vit encore par sa succession :
De{uncti hereditas personum sustinet.
Remarquons ici d'une façon générale que si la chose
usucapée était antérieurement grevée de droits réels, l'usu~pien s ne l'acquiert pas libre de toute charge mais au
con traire cum sua causa, c'est-à-dire grevée des droits antérieurs, parce que l'usucapion n'est pas un mode originaire
d'acquisition . Celui qui a usucapé n'a fait qa'afTermir une
possession vici euse et il ne peut pas être mieux traité qu e
s' il avai t reçu la chose, selon les règles du droit civil , des
mains du véritable propriétaire lui-même 2 • A l'époque
de Justinien il n'en est plus ainsi et avant lui déjà la prescriptio prétorienne anéantissait d' une façon définitive toutes les charges antérieures (L. 5, § 1, et L. 12 Dig. tit. 5,
liv. 44, de divers. temp. presc.).
Un cas particulier sembl e pourtant exister même sous
l'ancien droit dans lequel l'usucapiens acquerra l'immeuble lib re de servitude : c'est lorsque celle servitude est un
usufruit. En eflet la perte de l'usufruit par le non usage
1
L. 4,5, § 4, J)ig. de Usurp.
• Machelar<l. Explical. des teAtOs sn1· los h) potli.
- 11 se renferme toujours dans un délai de deux ans, biennio,
or c'est là précisément le délai même de l'usucapion. Est-ce
à dire qu'on ne peut concilier les actes de possession émanés
de J' usucapiens avec le mainti en de l'usufruit au profit
d'un Liers ? L'objection n' est pas irréfutable. Il est certain
que si l'usufruit existait déjà quand l'usucapion a commencé et n'a pas éLé mis depuis en exercice, si son existence ne s'est manifestée d'aucune façon, ce résultat est
inévitable. Mais il peut se faire aussi que l'usufruit ait été
cons titué par le propriétaire alors que le possesseur était
déjà. en voie d'usucaper et cela soit par legs soit par in jure
cessio, ou bien encore il est possible qu'il fut suspendu
par une condition, qu'il eut été constitué ex die. Dans tous
ces cas, l'inertie fo rcée de l'usufruitier ne saurait amener
la perte de son droit et n'empêche cependant pas la possess ion ad usucapionem. Dans ce cas particulier. l'usu capiens, bien qu'il possède sans connaître l'usufru it, n'acquerra pas l'immeuble libre de tou te charge.
CHAPITRE IL
Cho ses qui p e uvent èta•e osocapées.
En règle générale, toute choses qui son t dan le commerce so nt res habiles c'est-a-dire pcuvenL être acquises
par usucapion. Par exception, il en est qui n'en sont pas
�- i2 susceptibles : les unes d'une façon perpétuelle et absolu e,
certaines autres à. raison seulement de la personne qui les
possède; plusieurs enfin parce qu'elles sont entachées
de vices.
1. Sont insusceptibles d'usucapion d'une façon absolue
el perpétuelle les choses hors du commerce :
l'homme libre. La liberté était considérée comme uu
bien inaliénable, et les Romains qui faisaient de leurs
captifs des esclaves n'en proclamaient pas moins que l'esclavage est une violation de la nature.
Les clwses sacr~es, saintes ou religieuses. On appeléiit
choses sacrées, celles o: qure Diis superis consecratro sunt.~
Ce caractère leur était imprimé par une dedicatio solennelle émanée des pontifes. Depuis le triomphe du christianisme on donna ce nom aux objets que l'autorité ecclésiastique avait désignés pour servir au culte divin . L'aliénation en fut cependant quelqu efois permise par exception, notamment pour racheter les captifs. - Les choses
saintes étaient les portes et murs d'enceinte d'une ville,
et cela provenait des cérémonies qui se célébraient toujours au moment de sa fondation. Justini en, en établissant une division nouvelle entre res in patrimonio et ex tra
patrimonium, mit les res sanctro au nombre ùe ces dernières. - Les choses religieuses étai ent dans l'ancien
droit, celles o: Quro diis manibus relictro sunt ». Les dieux
mânes étaient les âmes des morts et c'était la portion de
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t5 -
terrain ou reposaient leurs restes qui devenait religieux
et insusceptible d'usucapion. Les Romains ne distingaient
pas sur ce point entre les citoyens et leurs esclaves, et la
sépulture d'un ennemi seule restait profane. Dans le droit
de Justinien, cette définition subsista tout entière, car le
christianisme, en detrônant les divinités païennes conserva Je culte des tombeaux.
L'usucapion est inapplicable en troisième lieu, au choses
qui appartiennent au peuple ou à. des corporations, aux res
communes ou publicœ. Res communes sont celles qui
échappent à. toute appropriation privée et dont l'usage est
à tous, comme la mer et ses rivages. Res publicœ sont celles
qui ont l'État pour maître, en tant que celui-ci les affectera
à l'usage public, comme les rues et places d'une ville.
Les choses incorporelles sont aussi insusceptibles d' usucapion parce que la possession est la base même de ce mode
d'acquérir et que les choses incorporelles sont des abstractions qui ne peuvent être possédées. On admit pourtant à
l'origine l'usucapion des servitudes; mais en l'an 720 de
Rome une loi Scribonia la prohiba en tant que mode
d'acquisition et la laisse subsister comme mode de libération 1 • Plus tard, le préteur revenant à l'idée primitive,
donna dans certaines hypothèses des actions utiles, des
interdits à ceux qui depuis longtemps jouissaient des servitudes particulières et les empereurs confirmèrent, dan s
leurs constitutions, cette décision nouvelle. C'est ainsi que
les servitudes urbaines, c'est-à-dire celles dont la conception
• L. 4 § 29, hoc titulo.
�-
i4 -
se lie dans l'esprit à une idée de cons lruction ayan t un
caractère continu, pouvaient en général être acquises par un
long usage; mais, il n'en était plus de même des serviludes
rurales, si ce n'est par exception et dans l'intérêt de l'agriculture pour les droits de passage et de prise d'eau (LL. t>.
§ 5. Dig. XLIIl, 19 et L. 10 pr. VIII, 5.)
Justinien, allant plus loin que le préteur, elîaca toutes
ces distinctions et accorda le bénéfice de la prescription
prétorienne à. toute servi tude quelle qu' elle fut et même à
un droit d'usufruit qui jusque là n'était pas susceptible
d'acquisition par l'usage 1•
Échappent aussi à l'usucapion proprement dite, les fonds
provinciaux et pour combler cette lacune le préteur créa,
ainsi que nous l'avons dit déjà, la possessio longi temporis,
II. Il est en second lieu, des choses qui échap pent à l' usu·
capion à cause de la personnali té de ceux qui les possèdent
et tant qu'elles sont en leur pouvoir.
La loi des Xll tables rangeait dans cette e<.tégorie les
choses mancipi appartenant à une femme en tutelle. Elles
n'étaient susceptibles d'usucapion que lorsque elles avaien t
été livrées par la femme ayant obtenu à cet effet l'auctoritas
de son tuteur {Gaïus. § 47). Si quelqu'un en effet achetait
de cette femme une chose mancipi en sachant que le tuteur
n'a pas donné son consentement à la vente, il aurait reçu
d' un tradens qui n'av.ait pas la capacité d'aliéner et ne
" L. 12, Cod. VII 33.
- 15 pourrait en conséquence invoquer aucune juste cause de sa
possession l'aliénation ayant été nulle, l'usucapion ne peul
pas devenir valable. Toutefois si l'accipiens ayant conservé
la possession de la chose et a perçu les fruits, ce dernier fait
s'accomplira de par la volonté de la femme puisque les
fruits ne sont pas choses mancipi et qu'elle aurait pu les
aliéner sans recourir à l'autorisation de personne, l'accipiens
pourra donc les gagner et les faire siens. C'est l'opinion
que Cassius et Proculus ont soutenu. Julien ajoutait à. ce
sujet que si l'acheteur avait payé son prix il pouvait usucaper mais qu e la femme avait toujours le moyen de l'en
empêcher en lui offrant la restitution de ce qu'il avait
débo ursé. (Frag. Vatic. § 1, Ex empto et vendito).
La tutelle des femmes pubères qui à. l'origine était
vraiment sérieuse en cc que le tuteur gérait et autorisait
tout à la foi s, perdit de son importance sous Gaïus; à cette
époque le tuteur ne gérait plus et si son autorisation était
encore nécessa ire dans certaines opérations comme l'aliénation d'une res man cipi, le préteur pouvait toujours le
co ntraindre à la donner. Seule la tutell e des patrons et des
ascendants resta toujours indépendan te.
Les fonds dotaux sont , de par la loi Julia de fund o do·
tali , inaliénables par le mari qui n'a pas le consentement de
sa femme, et sous Justinien même avec ce consentemen t.
Ils sont par là. même imprescriptibles, car l'usucapion n'est
qu'une aliénation indirecte (L· 28. D. tit XVI. Liv. L. de
verbor. signif.) Si donc, le mari ne revendique pa contre
un tiers même de bonne foi qui a acquis à non domino
l'immeuble qui lui avait été remis à. lui à titre de dot il ne
�-16mettra pas pour cela ce tiers dans la possibilité d'usucaper.
Cependant, si la prescription avait commencé avant le mariage elle continuerait même après et la dépossession seule
pourrait l'interrompre. La dot reste inaliénable soit directement soit indirectement même après la dissolution du
mariage tant qu'elle n'a pas été restituée, que la femme
n'est. pas redevenue maitresse de ses droits. Par fonds
dotal, on entend les fonds urbains comme les fonds ruraux;
mais on se demandait à l'époque de Gaïus, si \'inaliénabilité
s'étendait aux fonds provinciaux aussi bien qu'aux fonds
italiques. Justinien trancha la question affirmativement.
Il est toutefois des cas où par exception la possession du
fonds dotal et par suite l' usucapion est permise. C'est, par
exemple, sous la législation prétorienne, lorsque le mari
ayant refusé de fournir la cautio damni infecti au propriétaire voisin du fonds dotal, celui-ci se fait envoyer en
possession à l'effet d'acquérir la propriété bonitaire et plus
tard à l'aide de l'usucapion le dominium plenum . Sous
Justini en, où cette distinction avait été effacée, pareil cas
ne pouvait plus se présenter.
Quand aux biens des mineurs, ils pouvaient à l'origine
être prescrits, mais Dioclétien et Maximien firent à leur
profit l'application de la restitutio in integrum 1, c'est-à-dire
de cette voie de droit qui se fondant sur l'équité, rétablissait dans l'état de choses primitif Je mineur qui , selon la
rigueur des principes généraux, avait souITert un dommage .
Justinien décida qu'à l'avenir fa. prescription ne courrait
-
plus contre eux. au moins pour l'usucapion ordinaire et
dans le cas où l'ancien droit décidait qu'ils pourraient être
restitués : 1'/ elius est intacra eorum jura servai'i quam post
causam vulneratam remedium quœrere (L. 5. Cod. II, 41) 1
Pour les biens des pupilles, on peut affirmer que depuis
le règne d'Honorius et Théodose, ils échappaient à toute
espèce de prescriptions soit perpétuelles ou temporaires
soit à la prescriptio longi temporis. Cela résulte de la loi 5,
Livre XVIl, 59, au code de prescrip. XXX vel, XL ann. :
Non sexus fragilitate...• sed pupillari tantum œtate. .Mais il
faut se demander s' il en était ainsi dans l'ancien droit? La
loi 7 § 5, XLI, 4 pro Emptore, dispose que les choses
volées et vendues par un tuteur au préjudice de son pupille
pourront être usucapées lorsqu' un e fois elles seront revenues aux mains de cc dernier: Si tulor rem pupilli subri1i•writ el vendiderit usucapio non ro1ttingit priusquam res ùi
pupilli protestat~m reddeat. . ... Il semble rësulter de re texte
que l'obstacle à l' usucapion provient non point de ce que
les biens d'un pupille sont en principe soustraits à ce mode
d'acq uisition, mais de cc qu'il y a chose furtive. D'un autre
côté il résul te très catégoriquement d'un fragment de Paul
que la chose du pupille n'est pas susceptible d'usucapion.
On lit en effet dans la loi 1O pr. Dig. ti tre VI. livre YIII ,
quemad. serr. am. : ({Si communem fundmn ego et puplllus
haberemus, licet uterque 11on uteretur, tamm propter pupillwn
et ego viam retiaeo J>. Si le droit du pupille ne peut pas se
1
• L. I Cod. JI, 36.
~~
. 4 1.t.
p
~
•
-
·
V. auss.i. L. 3 Code Quib. non ob31c. long. temp. liv. VII, 1i-
1ro 35.
...
-
- -
·
-
.
..
-
• •
f7 -
�-
18 -
perdre non ittendo il faut en conclure naturellemen t que
l'usucapion ne s'appliquera jamais aux biens de ce pupille.
Comment donc concilier ces deux tex tes contradictoires?
Il suffit de se rappeler le principe d'après lequel une chose
qui n'est aliénable qu'avec l'emploi de certain es formalités
est imprescriptible. Or, il étai t une catégorie de biens du
pupille, les prœdia rustica ou suburbana qui ne pouvaient
être aliénés qu'en vertu d'un décret du ma~i s trat. Ce son t
ceux-là que l'u!'ucapion ne pouvait pas atteindre; mais en
reYan che tous les au tres en étaien t susceptibles, sauf le
bénéfice pou r l'impubère de la restitutio in integrum.
La législation de Ju stinien ne nous indique pas si les
biens de ceux qui sont soumis à un e curatelle, les prodigues
et les individus en état d'imbécillité ou de démence peuvent
ou non être usucapés. Mais depu is l'ora tio divi Severi il
était admis qu e les immeubles de toute personn e en curatelle ne pouvaient être aliéné$ sans un décret do préteur ;
dès lors, il semble qu e leur inaliénabilité devait les soustraire aussi à l' usucapion, en vertu de ce principe qu e nous
rappelions tantô t au sujet des pupilles (L. 1, § 2, Dig. de
rcb. titre IX, li vre 27, Eor. qui subtntelâ) .
Quan t aux enfants qu i sont encorr. so ns la puissance
paternelle, s'ils possèdent des biens adven tices c'est-à-dire
des Li ens qu'ils ont recueillis dans la succession de leur
mère, aucune nsucapion ne pourra les atteindre tant qu e
dore la puissa nce patern elle. Et encore au moment où
celle-ci sera dissoute ce n' est pas la prescripti on ordinaire
qu i pourra cou rir contre enx mais seul ement la prescription de trente an s. Si donc quelqu'un ac.quiert du père de
-
19 -
famille les biens adventices des enfants sans puissance :
Nullam poterit prœscriptiouem opponere filiis quandocumque
rem suam vindicantibus. (C. L. 1, livre G, titre GO, de bonis
maternis et novelle 22, chap. XXIV).
Les clloses litigieuses ne peuvent pas être aliénées tant
que le procès est encore pendant (L. 2, titre 57, livre 8,
1. 4, C. de Litig). Elles ne peuvent donc pas dans le même
délai être usucapées.
Les biens du fisc ne sont pas davantage susceptibles
J'usucapion. Il faut remarquer toutefois à ce sujet que Papinien et après lui l\Iodestin enseignèrent que les biens
vacants d'nne succession en déshérence n'appartiendraient
do plein droit au fisc que lorsque ses agents les auraient
dénoncés. Jusque là l'usucapion pouvait s'accomplir au
profit de l'acheteur. Le fi cavait d'aill eurs un délai de quatre ans pour réclamer les biens sans maître.
Enfin on n'u sucape pas une universitas rerum en ce sens
qu e lorsqu'il s'agi t d'un ensemble de choses si les diliérents
objets qui forment cet ensemble ont chacun une existence
séparée , les conditions requises pour l'usucapion doivent
être accompl ies à l'égard de chacun d'eux. Par contre, si
l'acqui 'ilion po rte sur un ensemble de choses indissolublement unies Corpus connexmn comme dit Pomponius, c'e t
le tout qui est appréhendé et c'est à ce point de vue que doit
être envisagée l'usucapion. Cependant si, avant que celle-ci
soit acco mplie, l'un des objets qui font partie de ce tout
venait à en être détaché, celui qui le posséderait commencerait à son égard une possession nou\'elle (L. 23, § 2. D.
Hoc titulo) .
�-
20 -
Il est en dernier lieu une catégorie de choses qu i ne
peuvent pas être usucapées parcequ' elles sont entachées de
certains vi ces: le vol et la violence (Gaïus, § 45, li).
La loi des Douze Tables est le premier acte législatif qui
considère Je vol comme un empêchement à l' usucapion
« Res furtiva vitiosa est ». Cetle prohibition ne s'applique
pas évidemment au voleur lui-même qui manque déjà des
premières conditions nécessaires pour usuca per, la bonne
fo i et la juste cause ; mais ell e concerne les acquéreurs de
bonne foi à qui la chose aurait été transmise par le voleur
lui-même ou ul térieurement par un tiers.
La Lex Attin ia reprodu isit cette défense (a n 557 de R.)
Quod subreplum erit ejus rei œtem a aworilas esta 1 •
Elle décida de plus que l' usucapion deviendra it possiulc
dès que la chose s~rait revenue dans la puissance du maî tn:,
à co ndition que celui-ci la recouvrerait de faço n ~L ce que
elle ne puisse lui être ôtée et avec la pensée qu'il rentre
ùans un droit qui a toujou rs été le sien. Le vi ce de vol ne
serait do nc pas purgé si la chose re ntrait dans les mains du
propriétaire à titre précaire.
La loi ALLioia ne réglai t que l'hypo thèse du vol, elle ne
s'appli quai t do nc qu'aux meubles, mais les lois Julia et
Plautia (an 665 de R.,l , prévoyant le cas spécial de violence,
prohibèren t l'usucapion des immeubles ainsi envahis. EnJî n
'
une loi Julia de vi sous Auguste, renouvela cette dernière
disposi Li on.
1
Aull. Gell., noct. att. VII, 7.
-
2t -
Si la chose volée n'est pas susceptible d'usucapion, il
semble qu' il n'y aura jamais de meubles usocapés, parce
que le meuble livré a non domi no sera touj ours alTecté du
vice de vol, étant ùon né su rtout qu'en Droit Romain ce mot
avait un sens beaucoup moins restreint qoe dans le droit
moderne. Les institutes le définissaient : Contrectatio rei
{rauduwsa , vel ipsius rei . t•r.l etia,m usus ejus possl'ssionis ve.
Ain si le dé posi taire qni se serait servi de la chos.e à lui
co nfiée, aurait commis un fo rtum us us et si un débiteur,
après avoir rem is à son créancier un objet en gage, le lui
avait repris, il se serait rendu coupable d'on fortum possessionis. L'esclave fugi ti( lui-même étai t mis au nombre des
choses volées parce qu'i l était censé se voler à son maître :
Sui f urtmn facere intl'lligitur.
Si l'usucapio n des meubles est plus rare, 11 e~ t nai, que
celle des immeubles, elle n'est pas cependan t impossible e l
Ga'ius qui a prévu l'objection a su en même temps la ré oudre. En eliet. un élémen t essentiel du furtu m , c'est 1'a11imus fitrandi c'est-à-tlire l'intention frauduleuse. Or, il peut
se présenter de ca' où cette inten tion n'existe pas et où par
conséquen t il n'y a p:is cle furtum. Ainsi: un héntier lroine
dan la succession de ~on auteur un objet que, de bonne
foi. il croyait a\'oir t'té la propriété de ce dernier; dans
celle croyance, il le nmd à un acheteur qui est, lui an si,
de bonne foi, il n'a éntlemment pas commis de fllrtum,
donc l'acq uéreur nouveau ponrt".\ usncaper. Il en sera cle
mènie si un tiel's PO fa"cur duqu el nn premier te tunen l
avait été fait, ignore q11'unt1 seconde (fo~po ilion C$l venn r.
révoquer ses Llrnits el livl'0 un objet d0 l'héré11il6 a un
�-
~2
-
acquéreur de bonne foi. D'ailleurs nous avons vu que dans
le droit classique l'usucapion était applicable lorsqu'i l s'agissait d'un meuble mancipi sim plement livré par Je propriétaire. C'était là surtout la très fréquente et grande application de l'ancienne usucapio civilis.
Nous disions tanlôt que l'usucapion redevient possible
dès que la chose a fai~ retour dans les mains du propriétaire. Si celui-ci était un furiosus ou un impubère, il suffirait, pou r que pareil e[et se produisit que la chose rev int
au tuteur ou au curateur : cr Qui tutelam gerit transigere
cmn {ure potest et si in potestatem suam redegerit rem furtivam
desinit {urtiva esse quia tutor dornini habetur, sed et circa curatorem furiosi eadem diœnda sunt. (L. 08 § 1,. p. de fu rt.)
Supposons maintenant qu'au lieu d'un furtum ipsius
rei, il s'agisse seulement d'un fu rtum U$ US vel possessionis; dans les mains de qui la chose devra-t-elle revenir
pour que l' usucapion soit de nouveau possible? La loi 4
§ 6 Dig. à notre titre répond : dans cell es du propriétaire
lui-même: In domini potestatem debeat reverti; c'est-à-dire,
si une chose remise en gage à un créancier ou prêtée à
un commodataire vien t b1 lui être volée, elle ne sera pas
purgée du vice de vol par sa rentrée aux mai ns ùu gaCTiste
ou du dépositaire et devra pour cela revenir en la ;uissance du propriétaire. Ce sentiment n' était pas celui de
t~us les juri~consu l tes et plusieurs textes soutiennent l'opinion con traire, entre autres une loi 1,.g à notre titre empruntée à Paul, lequ el supposant qu' un débi teur a ' so ustr~i_t à son cré~ncier la chose qu' il lui a donnée en gage,
dec1de que le vice de vol ne disparait que par le retour
J
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23 -
de la chose aux mains du créancier. (V. aussi L. 6 Cod.
de usuc. pro emptore, XLI , 4).
Au surplus, le fait par le pro priétaire de reprendre sa
chose n'était pas le seul moyen de purger le vice attaché
au vol, et il en aurait été tout aussi bien par la remise de
l'objet chez une personne désignée par le dominus, ou par
la vente faite au voleur en connaissance de cause. On admettait même qu e lorsque ayant pu revendiquer la chose,
le propriétaire ne l'avait pas fai t, il était censé avoir fai t
abandon de son droi t et celle chose cessait d'être furtive,
un simp le fai t de négLigence ne pouvan t lui laisser éler11ellement ce caractère (L. ~ 1 ~ Dig. L. L. tit. XVI de verb.
syn.).
La loi 4 § 8 hoc titulo suppose qu'un esclave, après
avoir volé un objet à son maître le remet en sa place et
ùécide que cet objet pourra être usucapé si le maitre qui
ignore la resti tution, a également ignoré le vol. Au cas
contraire, il faudra it pour qu e la chose cessât d'être fu rtive, qu'il connut aussi la resti tu tion. Enû n au§ 7 de la
même loi, Labéon enseigne que si une chose faisant parti e
du pécule d'un esclave a été volée à l'insu du maitre et recouvrée ensuite par l'e clave, elle est censée par ce fait
revenue dans les mai ns du maitre et a cessé d' être fu rtive.
i\fai ici encore si le maitre a connu la sou traction, il faut
qu' il sache que l' objet reYient dans le pécule de l'esclave,
et qu'en ou tre il consen te à l'y la1$ser.
Puisqnc tout vol comp orte l'iùéc d'un e sou traction,
ll" un dérlaccmcnt. il :;nit que le' immeubles ne pcuYcnt
pas faire l'objet u'u n vol, mais le proprietaire peut en être
�-
24 -
dépossédé par violence : « Abolita est enim quorundam veterittn sententia cxistimantiurn etiam {undi loci ve {ttrturn
fi,eri. J> (L. 58 hoc tit.). C'est donc seulement quand ils
ont été appréhendés violemment res vi possessœ qu e les
immeubles ne peuvent pas être usucapés. Remar1p10ns
à. ce sujet que pour qu'un fonds soit vi possessus, il
faut non-seulement que le possesseur soit ex pulsé, mais
encore que la possession soit prise par celui-là même qo i
a exercé la violence (Lois 4 § 22, et 53 § 2, hoc tit.)
Le vice de violence est d'ailleurs suscep tible d'être pu rgé de la même façon qu e lorsqu'il s'agit d'un meuble volé,
c'est-à-dire par le retonr de l'immeuble au propriétaire
Qnstit. L. li, lit. 6, § 8). Toutefois, si ce dernier se faisant lui-même justice, reprenait violemment son bien,
il élait exposé à. se voir de nouveau contraint à le restituer
par l'interdit unde vi et dans ce cas le vice originaire n'avait pas été purgé par ce retour imparfait de la chose entre
ses mains (L. 4 § 26, hoc titulo).
Puisque les immeubles ne peuvent pas faire l'objet
ù'un vol, si quelqu'un s'est emparé d'un fond s sans violence et le vend à. un tiers de bonn e foi, ce fonds n'étant
pas furtif pourra donc être nsucapé. Ju stinien modifia cet
état de choses et par la novelle CIXX chap. 7 décida que
le possesseur de bonne foi lu i-même, s'il avait acq ui s d'un
tiers de mauvaise foi et à l'insu du propriétaire, ne serait
plus in caus.:î. usucapicndi et n'aurait d'au tre rrssonrc~
que la prescription trentenaire. C'était bouleverser les
théo ries jusqu'alors admises et supprimer 1t peu près
l' usucapion ordinaire qui ne pouva it plus s'appliquer que
-
25 -
daus le cas où il s'agissait d'un sous-acquéreur de bonne
foi ayant recu d'un premier acquéreur qui était lni-même
de bonne foi.
En l'an 695 de Rome, Jules César avait prohibé par une
loi Julia repetendarum toute donation en faveur des gou''erneurs de province. Il avai l voulu en cela réprimer les
nombreux abus de fon ctionnaires qui profilaient de leur
situation pour s'enrichir aux dépens de leurs administrés
el pour mieux assurer l'exécution de cette défense, il
décida qu e l'usucapion elle-même ne pourrait pas faire
acquérir la propriété des choses obtenues au mépris de
cette règle. Toutefois, par application du principe que nous
avons posé tantôt, l'usucap ion redevenait possible par le
retour de la chose dans les mai11s du donateur.
CHAPITRE ll1
Des conc1Uloo8 requises pont• l'mn1caplon
En définis·ant l'usueapion nous avons dit que la base
première de cc mode d'acqui.ition étai t la pos ~ession. Or,
celle possession doit réunir plusieurs qualités . Elle do~l
avoir une durée déterminée et non interrompue, avoir
cemmencé de bonne foi et élre fondée sur un juste titre.
Il est~\ peine besoin de faire remarquer qu e la possc·sion dont il s'agit ici est la pos cssion juridique, c'est-à-
�-
'l6 -
dire exercée à titre de prnpriëtaire. Ceux qui ne font que
détenir pour autnn no peuvent pas usucaper pour euxmêmes mais seulement pour celui qu'ils représentent et
dont ils reconnaissent les droils.
§ i ••. -
Durée de la possession.
Dans l'anci en ùroit et d'après la loi des Douze Tables,
le délai de l' usucapion était fi xé à deux ans pou r ce qu'on
appelait le fundus, et pour les cœlerro res à un an. A s'en
tenir à la rigueur des mots, les maisons auraient dû être
comprises dans la catégorie des cœterro res, mais dans la
pratique on les assimila au fundus.
Le délai ainsi requis quoiqu e paraissant fort court, ëlai t
pourtant suffisant à un e époqu e comme celle dont nous
parlons où la société étai t encore fort reslreinte et les relations faciles. Mais plus tard le préleur statuant pour lés
fonds provinciaux et ne faisant plus de distinction entre
les meubles et les immeubles, fixa uniformément la durée
de la prescriptio longi temporis à dix ans entre présents et
vi ngts ans entre absents. Enfi n Justinien don t tous les
sujets étaient désormais citoyens et personnellement capabl~s ~· usucaper, fusionna l'usucapion ancienn e cl la prescr1pt10 prétorienne. Il établit une durée nouvelle de trois
ans pour les meubles, et pour les immeubl es conserva le
délai prétorien, c'est-a-d ire di x ans entre présents et vingt
ans entre absents.
- 27 On dit que la prescription court entre présents, lorsque le possesseur et le propriétaire babiten~ la même province, entre absents dans le cas contraire ; on ne se
préoccupait donc pas comme aujourd'hui de la situ~tion
ùe l'immeuble. Il peut se faire que pendant les délais de
l'usucapion, les parties aient été tantôt présentes et tantôt
absentes : on fait alors un calcul mixte en donnant aux
années de présence la valeur de deux années d'absence.
D'un autre côté, on ne considère pas dans la prescription les moments et les heures : de momento ad tnomentum.
Cc mode de calcul eut donné lieu à_ toutes sortes d'entraves, vu les difficultés qu' il y aurait eu de connaître bien
exactement l'instant même où la possession a commencé.
Les Romains comptaient de die ad diem en faisant abstraction du jour dans lequel ava it eu lieu la prise de possession. Quant au dernier jour, il suffisait au contraire
qu 'il fùt commencé ponr qu' il fut mis en compte : in usucapionibus non a momento ad momentum sed totwm po tremum diem computamus . (L. 6 et 7 Dig. de usurp et us. L. rn, de divers. temp .). D'autres textes paraissant au
premier abord en contradicti on avec celui-ci, exigent que
le dernier jour soit achevé : « ln omnibus temporalibus actionibus nisi novissimus totus dies compleatttr non fi.nire
obligationem (L. 6 D. de oblig. el act.). Mais il est à remarquer que rette dernière décision ne ~'applique que dans
Je cas de prescri pti ons non favorables, c'est-à-dire dans la
prescription des actions temporaires et la raison en est
qu' elle n'a été établi e que pour pun ir un créancier trop
�-
28 -
négligent, non pour favoriser un débiLeur qui reste de
mauvaise foi.
D'ailleurs, pour que l'asucapi ùn s'accomplisse il n'est
pas nécessaire qne la même personne ait possédé pendant
toute la durée du temps requi s. Il est permis à celui qui
possède de joindre à sa possession celle de son auteur ;
c'est ce qu'on appelle : L'accessio temporum ou possessionis.
Cette réunion s'opère toutefois de façons diliérentes ,
suivant qu'il s'agit de successeurs universels ou seul ement
à titre particulier. On dit dans le premier cas qu'il y a
continuation de possession et jonction seulement dans le
second.
L'héritier universel en effet continue la personne du défont , et il s'identifie avec lui de tel le fa çon qu'il a les mêmes droits et les mêmes obligations. li en résulte que si,
à l'origine, la possession du défunt était de bonne foi
'
l'héritier même de mauvaise foi la continuera avec le même
caractère qu'elle a eu du chef de son auteur, parce que la
mauvaise foi qui survient .'.lu cours de la possession n' empêche pas l'usucapion de s'accomplir. Il est vrai, qu 'à
l'inverse, l'bérilier de bonne foi ne pou rra jamais usucaper lorsque son auteur aura commencé par être de mauvaise fo i, ou s'il a possédé à titre de précaire. Si le vice au
lieu de provenir du chef du prem ier possesseu r résidait
dans la nature de la chose elle-même, l'héritier· pourrait
commencer nnc posse. sion 11Lile du jour seul ement oü cc
v! ce aurait. disparu. 11 n'c t pas nécessaire enfi n que l'héri tier connaisse exactement en \'Crtu de quelle cause son
auteur avait pris possession : ci Si de{unctus emil, /uns au-
-
~9
-
tem putal eum ex donationi.s causa possedisse : usu eum capturum Julianus afl. (L. 31 § 6 Dig. hoc titulo).
Les successeurs à titre particulier peuvent aussi unir à
leur possession celle de leur auteur, mais ils se distinguent
des successeurs universels en ce que ils peuvent toujours
commencer de leur chef une possession parliculière et
usucaper alors même que leur prédécesseur ne l'aurait
pas pu à raison d'un vice personnel. li y a donc dans ce
second cas deux possessions bien distinctes que le possesseur peut ou non joindre ensemble suivant qu'elles son t
ou ne sont pas utiles pour l' usucapion. Il doit d'ailleurs
dans tous les cas être lui-même de bonne foi, parce qu'il
ne représente pas comme l'hèritier universel celui dont il
tient la chose.
L'accessio possessionis avait été d'abord admise dans deux
institutions prétoriennes : l'interdictum utrubi et la prescriptio longi temporis. Ce n'est que plus tard qu'elle fut appliquée à l'usucapion. Un re~crit de Sévère et d'Antonin
disposa qu'entre le vendeur et l'acheteur il pouvait y avoir
jonction de possession, et le droit qui n' était ainsi accorùé
à l'origine qu'aux successeurs particuliers à titre onéreux,
fut étendu par Justini en aux successeurs à titre gratuit.
Dans tous les cas, pour que la possession puisse conduire
à l'usucapion il faut qu'elle ait été continue c'est-à-dire
qu'elle n'ait pas été interrompue un seul instant.
L'interruption est appelée dans les textes d Usurpat\o •
et elle rend inutile tout le temps qui a pré~édé.
On distingue l'interruption naturelle et l'interruption
civile. La première existe lorsque la possession :i cessé pen-
�-
50 -
dant un certain temps par la faute du possesseur ou de
tout autre façon, par Io fait du propriétaire ou de quelque
autre personne que ce soit. La seule condition est donc que
la possession de celui qui est en voie d'usucaper cesse.
Pourtant, on ne pourrait pas dire qu'il y a interruption
naturelle si l'esclave du possesseur cachai t ou distrayait la
chose que son maître usucape, car dans ce cas, celui-ci
continuerait à posséder par l'intermédiaire de son esclave ;
de même, une succession peut rester jacente pendant un
certain temps sans que la possession soit interrompue :
Quia possessio defuncti, quasi juncta descendit ad heredem
(L. 50. D. Ex quib. causis).
Enfin, si le possesseur livre la chose à titre de nantissement ou de dépôt à une person ne autre que le véritable
propriétaire, il n'en continuera pas moin s à la posséder par
l'intermédiaire de cette personne qui détient pour lui et ne
peut pas posséder pour elle-même. Mais si le propriétaire
donnait à bail l'hérita ge qu'il est en voie d'usucaper aceluilà même qui en est le propriétaire, l'usucapion serai t interrompue parce que nul ne peut être fermier de sa propre
chose et le propriétaire ne peut pas la tenir de ce lui qui n'en
est que le possesseur (L. 21. Dig. Hoc titulo).
La possession serait encore interrompue si le possesseur
tombait au pouvoir de l'ennemi et même si plus tard il
revenait à Rome il ne pourrait pas se prévaloir du temps
antérieurement écoulé. 11 est vrai qu e par la fiction du Jus
poslliminii il n'a pas perdu la cité romaine, mais nous
avons VL1 que ce droit ne s'appliquait pas aux choses de (ail
comme est la possession ([ Causa facti non continetur postli-
..- 51 -
minio l>. U recouvrera donc tous les droits qui étaient les
siens le jour où il est tombé aux mains des ennemis mais
l'usucapion ne lui aura point acquis un droit nouveau.
L'interruption naturelle existait seule dans le droit classique. A cette époque, la revendication formée par le propropriétaire contre l'usucapiens, en d'autres termes, la
citation en justice, et même la litis contestatio, c'est-à-dire
la délivrance de la formule par le magistrat qui engage ainsi
définitivement l'instance, n'interrompait pas l'usucapion
parce que rien n'avait établi le bien fo nd é de la demande.
Il fallait donc attendre la sentence de condamnation et jusqu e là le défenùeur pouvait usucaper etiam pende111e lite.
Avec la prescriptio longi temporis prétorienne qui était un
moyen a opposer à. l' ac tion, la demande intentée interrompait au contraire la possession utile dès qu'il y avait litis
contestatio, et sous Justinien qui fondit en une seule institution \'usucapion et la prescriptio longi temporis, cette pres·
crip tion se trouva interrompue non plus seulement à partir
de la litis contestatio qui a été supprimée dans la procédure
nouvelle mais dès les premières poursuites. Si le propriétaire
ou le créancier hypothécaire ne peuvent pas agir contre le
possesseur parce qu'il e t absen t, infans, ou dément sans
tuteur ni curateur, ils pourront sauvegarder leurs droit ~ et
interrompre civilement la prescription en présentant une
requête au présiùent, à l' évêque ou au defensor civitatis et
à leur défaut, en affichant ce libelle, signé d'un tabellion
ou de trois témoins, au domicile du possesseur.
Il résulte de ce qui précède que si par quelque évènement
le pos esseur perùait la possession avant que l'usuc.'lpion ou
�-
52 -
la prescription fu ssent accomplies, la perte était pour lui
irréparable. Le préteur Publicius corrigea cet état de choses
en créant une action qu'on appela publicienne et à l'aide de
laquelle Je possesseur pouvait réclamer la chose comme si
déjà il l'eùt acquise par usucapion. En principe cette action
n'appartient qu 'à ceux qu i se trouvant in causâ usttca7Jiendi
ont perdu la possession avant l'achèvement du délai légal.
lis doivent donc tout d'abord établir ce fait et c'es t ensui te
au défendeur à prouver qu e quelque chose s'oppose à l'usuca.pion, par exemple la mauvaise foi ou le vice de la chose.
La publicienne pouvait d'ailleurs profiter au propriétaire
Ex jure quiritium lui-même car elle n'exige pas la preuve de
Il propriété mais seulement cell e de la possession et on
comprend que souvent il devait être difficile au dominos de
justifi er du droit de ses auteurs. Enfin celle action peut
s' intenler contre toute personn e et même contre Je vrai
propriétaire qui toujours anra la ressource de faire ajouter
à la formule une exception justi dominü avec laq uelle il
triomphera dn demandeur si celui-ci, à son tour, n'en détruit l'effet par une réplique.
Enfi n, on ne possèderait pas davantage utilement si le
titre de possess ion se tro uvait suspendu par une condition.
L'acheteur mis en possession d' une chose qui a été venùue
sous co ndition ne pourra donc commencar à usucaper que
lorsque la condition se sera accomplie. Si, en fait, ell e
l'était déjà. au moment de la tradition et que l'acheteur ne
le sut point, l' usucapion courrait alors à son insu car, ainsi
qu e le dit Sabinus, la réalité des faits l'emporte sur l' opinion des parties.
..
-
§ 2. -
55 -
Juste titre.
L'existence d' un juste titre est la seconde condilion
reqo ise pour pouvoir usncaper, condition tellement rigoureuse qu'elle ne se présume poin t et que le possesseur doit
la prouver.
Posséder ex justa caus~. ex justo titulo, c'est posséder
en vertu d'un acte susceptible de transférer la propriété.
Lorsque cet acte émane du maître lui même, il transfere le
domaine et rend la prescription inutile et s'il provient ùe
quelqu' un qu i, n'ayant pas la propriété, ne peut pas la
transférer, il met l'acquéreur ùe bonne foi à même de
prescri re à raison de la tradition qui lui a été faite. En
d'autres termes, le titulus nécessaire pour l'usucapion est la
cause par laquelle on peut cro ire être légalement autorisé à
se mettre en possession avec animus domini.
Il importe peu d'ailleurs, que le titre soit lucratif ou à •
titre onéreux, il suffit qu'il soit de nature à transférer la ·
propriété: on ne pourrait donc pa prescrire en vertu d'un
contrat de bail, de dépôt ou de gage parce que ces divers
titres excluent par eux-mêmes l'animus domini.
Il y a autant de justes titres d'u uca.pion qu'il y a d'actes
juridiques à la suite desquels la prise de po session peut
faire acquérir la propriété de la chose appréhendée.
Les Pandectes citent en première ligne la po session Pro
emptore, c'est-à-dire la possession en vertu d'un contrat de
3
�-
54 -
vente. Si l'acheteur a reçu d'un tiers qui n'6tait pas propriétaire ou incapable d'aliéner il aura besoi n, pour acquérir la propriété, du secours de l' usucap ion et c'est lorsque
elle sera accomplie qu'on dira qu'il a usucapé pro emptore.
Au reste, on peut comprendre aussi sous cette expression,
la datio in solutum car dare in solutum est vendere, et
même y comprendre le paiement de la chose réclamée en
justice (li lis restimatio) lorsque le défendeur, condamné à
restiluer la chose, s'est trouvé au cas d'en payer la valeur.
En thèse générale l'usucapio pro emplore exige que l'acheteur ait payé le prix d'achat car sans cela, il ne peut se
croire propriétaire.
Celui qui a reçu en vertu d' un contrat de donation, une
chose qui n'appartenait pas au donataire, usucape pro donato
mais il faut pour cela qu'il puisse recevoir à. titre de donation l'objet qu'il veut usucaper. Ainsi ce genre d' usucapion
ne peut pas avoir lieu entre époux. Toutefois, remarqu ons
que les donations entre époux n' étaient prohibées qu'autant
qu'elles enrichissaient le donataire aux dépens du donateur,
si donc ce dernier donnait à son conjoint une chose qui
ne lui appartenait pas, il !ni rournissait une justa causa
usucapionis.
Si un mari reçoit en dot des choses qui n'étaient pas la
propriété du constituant, il les usucape pro dote. Mais il va
sans dire qu'il ne le pourrait plus si le mariage était annulé,
car il n'y a dot que s'il y a mari age 1 •
' L. 1, § 3. XLI, 9.
-
5!:S -
Le légataire, en vertu d'un testament, d' une chose qui
n'était pas la propriété du dérunt, l'usucape pro legato. Peu
importe d'ailleurs que la chose ait été remise au léoataire
l!l
par celui qui était chargé d'acquitter le legs ou que luimème se soit mis en possession pourvu qu'il ne l'ait pas
fait d'une façon illicite.
Nous avons vu que l'héritier étant mis au lieu el place
du défunt continue la possession telle que celui-ci l'avait
commencée ; si donc elle étai t vicieuse à l' origine, l'héritier
ne pourra lui même jamais usucaper ; et de même si le
défunt possédait déjà ad 11sucapionem, l'héritier pourra
bien accomplir l'usucapion et acquérir la propriété, mais
ce ne sera point pro herede . En elîet, ne faisant que continuer la possession de son auteur, so n acqu isition doit se
faire au même titre: pro emplore, pro soluto ou tout autre.
Nous aurons un peu plus loin l'occasion de dire dans quel
cas particuli er l'héritier pourr:i. usucaper pro herede.
Une personne usucape pro dereliclo lorsque elle s'est mise
en possession d'une chose abandonnée par un tiers qui
était en train de la posséder mais qui n'en était pas le vériLable maître. Cet abandon volontaire ne procure pas immédiatement la propriété :i celui qui trouve la chose, au premier occupant, car n'ayant pas été délaissée par le dominos
lui-même celui-ci n'a pas cessé d'en garder la propriété et
elle n'est pas devenue res nullws, mais il con tilue tout au
moins un juste titre qui donnera prise à l' usucapion.
On possède Pro suo, quand on possède animo domini
c'est-a-dire en vertu d'un litre translatif de propriété (L. 1.
XLI. 10). C' est là. en quelque sorte une expression géné-
�-
56 -
rale qui vise tout aussi bien les titres précédents et tous
ceux ayant une dénon.ciation parti culière que ceux qui n'ont
pas une signification déterminée mais c'est à ces deroiel's
plus spécialement qu'elle s'applique. Ainsi, si une femme
esclave est volée à son maître et vendue ensuite à un tiers
celui-ci ne l' usucapera pas parcequ'elle est res furtiva,
mais si elle met au monde un enfant , cet enfant n'ayant été
ni volé ni acheté, le maître actuel de la mère l' usucapera
Pro Suo. (L. 48, § !5. O. de furtis) . Celui qui achète un
fonds de quelqu' un qu i n'est pas propriétaire possède le
fonds pro emplore, mais quanù aux fruits qu' il perçoit il
usucape pro suo car on ne peut pas dire qu'il les a achetés
(L. 2. XLI. 10).
Lorsqu'un débiteur dans le but de se libérer, livre à so n
créancier une chose qui ne lui appar tient pas , celui- ci possède et usucupera Pro Soluto, le paiement étant un juste
titre.
Celui fa aussi a une juste cause d' usucapi on qui possède
en vertu de l'autorité du magistrat « Juste poss idet qui
auctore prœtore possidet » .(L. Il. rle arlq. vel. amitt. pos.)
Oe même co esl-il pour· celu i qui a été mis en possession
par suite d'un jugement défini tif, en exécution d'une
transaction ou par tou te autre cause analogue.
Enfin, c'était à Rome une question controversée de
savo ir i Li croyance à un Litre qu i n'ex iste pas, si le titre
putati f en un mol peut don ner naissance à l' usucapi on.
Justinien dans ses Institu tes a tranché la co ntroverse: Erro1·
57 falsœ causœ usur:apione1n non parit. Œ: Il. de usucap.) 1•
Donc en principe, cette croyance ne peut suppléer à une
juste cause, mais le Digeste a conservé plusieurs fragments
qni semblent apporter 3. cette règle des excep tions. Ainsi, les
Jurisconsultes avaient admi s que toutes les fo is que l'erreur
serait excusable et qu'aucun e faute ne pourrait être reprochée acelui qui l'a commise, le juste titre serait supposé.
Si par exemple, j'ai chargé un esclave bien famé de m'acheter un objet déterminé, s' il revien t en me l'apportant et
disant qu'o n le 11,; i a livré et qu'rl l'a payé, mon erreur sera
plausible (probabil is) et je pourrai usucaper 2 • C[ Quia i1l
alieni facti ignorantia, tolerabilis error est. , ce sera d'ail leurs au possesseur à prouver, devant la revendication du
propriétaire, qu'il a été malgrë lui amené à croire à l'exislence d' une justa causa.
Bien en tendu, ce que nous "enon de ùire se rapporte
seulemen t à. l'erreur de fa it ; quan t à l'erreur de droit, nul
ne peut s'en prévaloir: J11ris error uulli prodest (L. 2. §. 1 :).
-
XLI .
t~.)
§ 3. -
La bonne foi.
La bonne foi est la tro1 1eme condition e~ ·entwlle de
l'usucapion. Elle co n,· i. Le da us l'i~ooranct} ùu droit d'autrui
' L. 2, pro lcg<110. - L. 1 pro donalù - contra.
XLl , L
L. 5, § t, XLI. 1O.
2 L. .t, X.Ll, \., -
L. 1 § U ,
�- 58 sur ce que l'on possède. C'est-à-dire que le possesseur doit
avoir eu, au moment où il a pris possession, la conviction
intime que la chose appartenait réellemen l à celui qui la
lui a livrée et qu e dès lors il en a acquis lui même la propriété pleine et entière; s'il doute de son droit, il ne pourra
pas usucaper. Ici encore, il fau t d in~ quE' l'erreur de fait
n'empêche pas l'usucapion d'avoir lieu à moins qu'el le ne
provienne d'une négligence coupable, tandis qu e l'erreu r
de droit y apporte un obstacle absolu cl o 'est jamais excusable. Ainsi, celui qui achète d' un pup ille qu'il croit pubère
aura une bonne foi suffisante pour prescrire; si, au contraire, il croyait l' impu bère c:ipahle en droi t d'agir seul et
sans son tuteur, il ne pourrait pas usucaper.
On a longuement discuté la qu estion de savoir si !ajusta
causa n' éU1it qu'un élément do la bonne foi. Cc sont pou rtant choses parfaitement distinctes et il su ffit de se reporter
aux défin itions ùonn éos par les tex tos pour s'en convaincre.
Le juste titre, c'est l' existence d' un fait générateu r de
droit, d'un fait qu i impli que chez le précédent propriétaire
la volonté de transférer la propriété; la bonne foi, c'est la
croyance que celui dont on a reçu la chose était véritablement , propriétaire : « Jure civili constiwwm fuerat ut qui
bona ~de ab eo qui dominus non erat cum crediderit ewn dominum esse, rem emerit vel ex du11atio11e aliave qua vis jusra causa
acceperi< (princip . de usucap. Institutes).
L'intérêt de la distin ction est que la jusla causa ne so
présume pas et que c'est à l'us ucar1ens d'en rapporter la
preuve tandis que la bonne foi est toujours présumée et la
preuve du contraire appartient au revendiquant. li n'en est
-
59 -
pas moins vrai que le juste titre et la possession sont intimement liés, le titre étant l'acte extérieur qui motive la
bonne foi.
Il est indispensable, pour que l'usucapion s'accomplisse,
que cette bonne foi existe au moment même où la possession
a commencé, c'est-à-dire au moment de la tradition. Peu
importe, en règle générale, qu'elle n'existe pas au moment
du cont rat ayant motivé la tradition. Si donc, j'ai stipulé
sciemment la chose d'autrui, il suffit qu'au jour de la tradi tion je crois le promettant devenu propriétaire.
Par exception, la bonne foi est nécessaire aux deux
époques en matière de vente. La Loi 2 pro emptore l'exige
expressément : i sciens stipuler r~m alienam , 11sucapiam, si,
cum tradilur mihi existimen illius esse ; at ia emptione et i/Jud
tempus inspicitur quo contrahitu1·.
Il serait difficile de donner un motif rationnel de cotte
disposition positive. C'est une anomalie qui ne peut s'expliqu er qu'à cause de la rédaction même de la loi des Douze
Tables .. . Si quis ùona /ide emerit. .. d'où on a conclu qu'il
fallait être de bonne foi au moment de l'achat. Les expro sions employées par la loi des Douze Tables ne se referaient
pourLant qu'au ca de la mancipation . Si le mancipant était
propriétaire c'est au moment du contrat que se tran férait
la propriété, c'est à. ce moment que l' acquéreur deYait être
de bonne foi; pour respecter le texte de la loi, les Jurisconsu ltes ont étendu cette appl ication à la vente. (Demangeat :
1. page 549).
Lorsqu' on objet est possédé par un fils de famill e ou un
esclave, la bonne foi doit exister tant du côté du paterfa-
�-
40 -
milias que de celui du fils ou de l'esclave. Le pater ne
pourrait donc pas malgré sa bonne foi , u ucaper la
chose que son fils ou son esclave a achetée en sachant bien
qu'elle n' était pas la propnNé uu vendeur, et réciproquement, l'usucapion n'aura pas lien si le fils achetan t de
bonne foi, le pater savait, que le vendeur n'était pas propriétaire.
Enfi n, lorsqu'une personne acquiert la possession par
l'intermédiaire d'un représentant, homme libre, c'est elle
qui doit avoir la bonne foi parce que c'est ell e qui usucape.
Par ceb même, l' usucapion ne commencera à courir quP,
du jour où le mandant au ra eu connaissance de la prise de
possession, mais il faut pour cela que Je mandataire ne se
soit pas fait remettre la chose en so n nom personnel car il
usucaperait dans ce cas pour son propre romp te et le mandant ne pourrait à son tour co mmcn c~ r l' usucapion qu'a u
moment où la possession lui aurait été remise par le
mandataire.
D'ailleurs, si la bonne fo i doit exister au moment où la
possession comm ence, il n'est pas nécessaire qu'elle se
continue pendant Lout le temps requ is pLiur l'usucapion .
« Alala (ides supervenieus non impedit usucapionem . ~ Cela
s'expl ique parce que, en retour de la translation de propriété qu' il a cru lui être faite. le possesseur a donn é le
plus souvent quelque chose on pris un engagement. Ce
motif avait amené quelques jnrisco nsnltes à exclnre de
l'application de cette règle l'usucapion pro donMo, q11 i
ne fait qu'enrichir le possesseur et ne le dépou il k de
-
41 -
rien 1 • Dans tous les cas, la mauvaise foi rend l'acquisition des frnils désormais impossible, et à l'inverse celle
acquisition pourrait très bien avoir lieu et l'usucapion de
la chose principale ne pas naitre si le possesseur étant de
bonne foi , la chose était furtive.
Il faut donc en principe qne la bonne fo i concorde avec
l'initi-um possessionis. Mais il existait plusieurs cas où. l'usucapion était possible, bieu qne le possesseur n' ent pas été à.
l'origine de bonne foi, et ne l' eu t même jamais été. C'était
ce que !°on appelait l'usumpio lucratii;a et l'usureceplio.
L'ancienne jurisprudence romai ne avait admis que lorsqu' un tiers s'est emparé des biens d' une successio n dont
l'héritier n'a pas pris encore possession el à laquelle le
ti ers sait bien n'avoir aucun droit, s'il possède ces biens
pendant un an il pourra en acquérir la propriété, quoique
n'ayan t ni juste titre, ni bonne fo i. et soit qu' il s'agisse
de meubles ou d'immeubles (Gaïus, II, ~ 2- !S7) . C'est la
première phase de l'usucapio pro herede.
Cette insti tution fo rt curieuse avait pour but d'assurer
un double intérêt : encourager l'héritier à appréhender
le plus tôt possible la succession ùe façon à ce que les
sacra privuta du défunt, c'est- à-dire le r,ulte domestique,
ne soit pas interrompu, et ensuite permettre aux créanciers hérédi taires, qtli il défant d'héritiers ne savaient
comment obtenir ce qui leur était dù , de faire valoir leurs
droits contre quelqu' un . Toutefois ceux. qui antérieurement à l'ouverture do la succession auraient eu déjà la
1
L. II § 3, tle pub. m rem acl.
�-
42 -
détention à titre précaire des objels héréditaires, n'auraient pas pu malgré leur intention en devenir propriétaire,
parce qu'ils ne pouvaient se changer à. eux-mêmes la cause
de leur possession.
Dans l'histoire ùe cett e usucap io particulière, il convient
de distinguer trois périod es :
A l'origine, elle fait acquérir l' hérédité elle-même, de
telle façon que le tiers qui a possédé pendant un an acquiert même les choses dont il n'a pas eu la possession,
pourvu que personne autre ne les ait usucapées 1 ; il acquiert même les créances du de cuj us, bien qu'elles ne
soient pas susceptibles <l'une véritable possession, et il est
en échange obl igé aux dettes. La loi des Douze Tables en
effet, n'avait exigé deux ans de possession que pour les
fon ds de terre considérés isolémen t ; pour tontes les autres
choses une année suffisait; or l'hérédité, chose incorporell e
rentrait forcément dans cette deroièrn catégorie. Il n'en
est pas moins vrai qu'il y avait là quelque chose de contraire au principe d'après lequ el les cl1oses incorporelles
sont insusceptibles d'usucapion. (L, 45, 1 Dig. de acqu.
rer. dom.),
L'usucapio lucrativa ou improba, comme l'appelle trèsjustement Gaïus, u'eut plus sa raison d'être le jour ou
les sacra privata perdiren t de leur importance, et oli le
préteur autori5a les créanciers d' un débiteur défunt, dont
personne ne réclamait la succession, à vendre son patri1
l'if. Accarias, I, n• 24.S.
-
45 -
moine (Gaïus Ill, § 18) . Elle ne fit néanmoins que se modifier. Cc ne fut plus en général le titre d'héritier luimême qui pût s'usucaper, mais seulement la propriété
des choses corporelles héréditaires que l'usucapiens avait
possédées. li resta ceci de particulier que l'usucapion
n'exigeait ni juste titre, ni bonne foi et s'accomplissait par
le laps d' un an, même al'égard des immeubles (Gaïus, Il,
55). Certaines conditions demeuraient aussi nécessaires :
Et d'abord il doit s'agir de choses héréditaires, c'est-à-dire
1
des biens d'un homme dont la mort est certaine . li faut
en second lieu, que celui qui s'est emparé de lares bereditaria n'ait pas commis de furtum, en d'autres termes,
qu'il ne l'ait pas soustraite à quelqu'un qui déjà l'avait
détenue depuis le décès du de cujus. Il faut enfin qu'il ait
la factio testamenti, et cette règle toute naturelle à. l'époque
où l'usucapion devait faire de lui un héritier avait été
conservée sans doute par la routine dans cette seconde
période (Dig. L. 4, XLI, 5).
Dans sa troisième phase, l'usucapion pro herede n'enrichit plus le possesseur d'une façon définitive. En e[et,
un sénatu -consulte d' Adri en décida que les héritiers
légitimes ou prétoriens pourraient toujours revendiquer
par pétition d'hérédité les chose, acquise de cette facon
avec ou sans bonne foi (Gaïus, Il, 57). Cependant une
distinction était faite à ce dernier pornt de vue : Le pos e·seur de bonne foi ne restituait que cc dont il ·'était en-
1
L. 1, Dig. XLI, 5
�-
44 -
ricl1i, et celui de mauvaise foi devait même ce dont il aurait dû s'enrichir.
Enfin , Marc-Aurèle abrogea deûaitivement l'i1suca1>io
lucrativa pro herede en créant cc qu'o n appela le judicium
criminis e.xpilarœ lwreditati.s, c'est-à-dire en autorisant une
poursuite criminelle contre quico nque s' emparait sans
droit el en connaissance de cause d'une chose héréditaire
qui n'a pas été encore appréhendée par l'héritier. (LL. 1
el 2, XLVII , 19).
C'est le moment de se demander dans quel cas il pouvaiL y avoir enco re lieu depuis celle époque et sous Justinien a l' usucapion pro herede '? Cc sera seul ement lorsque
l'héritier ayant trouvé dans la maison du défunt un objet,
il le possèdera avec la croyance qu' il fait partie de la succession, alors qu'en réalité il en est autrement. Dans cc
cas on ne peut pas di re qu e l' llériticr continue la possession de son auteu r, puisqu e celui-ci ne possédait pas, il
pourra donc usucaper la chose à titre d' hériti er (L. 5, XLI,
5) . Juli en prévoyant une seconde hypothèse, enseigne que
celui qui se met en possession d' une succession à laquelle
il se croit appelé, usucapc au ssi pro herede. (L. 53, § 1 hoc
tilulo).
L'ancien droit nous présente une autre sorte d' usucapio n excepti onnelle, cell e-là aussi rationnelle et aussi murale que la précéùcnte l'était peu. On l'appelait us11receptio
parce qu'elle con ·istc dan la reprise de la propriété d'une
chose par celui qu i déj:t en a élé le maitre. Gaïus en signale
trois applicati ons: - Dans certaines circontaoces, celui fJUI
vo ulait remettre sa chose moLllièrc ou immobilière à titre
-
45 -
de dépôt ou de gage chez son ami ou son créancier lui
en transférait le dominium, en l'accompagnant d'un contrat de fidu cie. Par ce contrat, le dépositaire ou le créancier ga~istc s'engageait à retransférer la propriété au déposant dès qu'il viendrait réclamer sa chose ou payer sa
dette. Mais ce dernier n'ava}t alors pour usucaper qu'à
rentrer en possession et de s'y maintenir pendant une
année, sans avoir besoin de l'acquérir de nouveau par
mancipation ou rétrocession. Si dans le cas de gage,
l'usureceptio a lieu sans que le débiteur ait payé, l'uso receptio est dite encore lucrativa, p~rce qu'elle enrichit ce
dernier au détriment du créancier qu'elle prive d'one sûreté qui lui était encore nécessaire . Le débiteur qui recouvre sa chose ne peut toutefois l' usucaper qu'autant
qu e le créancier ne la lui a pas remise pour la détenir à
titre de location ou de précaire.
Ces deux premiers cas de l' usureceptio disparurent le
jour où l'aliénation à titre de dépôt ou de gage ne fut plus
accompagnée d' un con trat de fiducie.
La troisième application de l' Gsureceptio était appelée
gx prœdiatura. Pour qu'elle puisse se pro duire, il faut
supposer que Je fisc fait vendre une chose qu i lui a été affectée à titre de gage. On appell e prrediator celui qui se
rend acheteur; or, s' il néglige de se mettre en possession
de l' objet acheté et si le débiteur le retient. il pourra l'usucaper par un an de possession si c'est un meuble, et par
deux ans si c'est un immeuble : on pouvait supposer que
le débiteur après la vente avai t payé sa delle ou désintéressé le prœdiator (L. 9 D. de rcsciod. vend.).
�-
46 -
On ne sait pas au jusle a quelle époque disparut celle
usurecep tio.
Dans le droit de Justinien, il existe encore une hypothèse où l'on peut acquérir par usucapion sans bonne foi :
c'est au cas d'abandon noxal, lorsque le propriétaire d'un
esclave qui a commis un dêlit l'abandonne à celui qui a
souffert le préjudice pour ne pas être obligé de payer
lui-même. S'il le lui abandonnait spontanément, de gré à.
gré et par contrat pour ainsi dire, il ferait une datio in
solutum, mais nous supposons ici que le maître refuse
de se présenter devant le préteur, et que sur l'ordre de
ce dernier l'esclave est emmené par la victime du délit.
Par cela seul, le tiers ne reçoit pas la propriété de l'esclave, mais il peut l' usucaper a: Quamvis sciens al:ienmn
possideat., Et c'est justice, car, si le maître de l'e$clave
se refuse à réparer le dommage, il faut bien que celui qui
l'a subi en trouve d'autre part la réparation. (L 26 § G, D.
de noxal. act.. - L. 1, § 2, O. si ex causa nox. agat).
No us devons ajouter en finissant, que d'après un é constitution de Marc-Aurelle (L. 5 Cod, si adv. fi sc.), si qu elqu'un achetait du fi sc une chose appartenant à au trui , il
avait le droit, après cinq ans écoulés depuis la vente, de
repousser par voie d'exception le propriétaire revendiquant. Cette décision ne pouvait guère avoir d'utilité pour
Je possesseur que dans le cas où il n'aurait pas pu usucaper déjà par un délai plus court ; par exemple quand il
n'y avait pas bonne foi, lorsqu'il s'agissait de choses fur-
-
47 -
tives ou d'immeubles occupés par violence. Aussi l'empereur Zénon crut-il devoir garantir complètement ceux
qui recevaient quelque chose du fisc, en décidant (L. 2,
Cod. de quad. prescrip.), qu'ils en auraient, dès l'instant
de la tradition, la pleine propriété; un recours de quatre
années était laissé à ceux qui croyaient avoir des droits
sur la chose pour se retourn er contre le fisc. - Justinien
étendit l'effet de cette constitution aux aliénations consenties par la maiso n de l'empereur on de l'impératrice. (Inst.
L. II, 14).
APPENDICE
On serait étonné si avant de termmer cette étude sur
l'usucapion, nous ne disions un mot de la prescription de
trente ans que les interprètes ont appelé extraordinaria ou
longissimi temporis, et qui joue un si grand rôle dans la
législation moderne.
La prescription de trente ans avait lieu toutes les fois
que l'usucapion ordinaire ne pouvait pas être invoquée
�- 48 parce qu'ell e ne réunissait pas les conditions légales.
D'après Cujas, elle doit son origine au grand Théodose, mais
nous ne connaissons pas la constitution qui l'établit ; il
ne nous reste que celle de Théodose le Jeune et Honorius.
(Cod. C. 5, VII, 59). On sait qu'elle eut pour but de réduire à trente ans toutes les actions qui jusqu e-là étaient
perpétuelles et qui ont continué ~i être ainsi appelées
depuis.
li suit de là que cette prescriptio n'étant destinée ~t
l'origine qu'à produire un e!Tet extinctif, ne procurait au
possesseur qu' un simple moyen de défense opposable au
propriétaire exerçant contre lu i l'action en revenditation.
Si par conséquent, il venait à perdre lui-même la possession, il n'avait pas d'action pour reprendre la chose entre
les mains du tiers, et le propriétaire dont le droit n'avait
été que momentanément paralysé, pouvait exercer util ement la revendication contre ce nouveau possesse ur.
La prescription de trente ans n'avait donc à cette époque qu'un eITet puremeut extinctif. Mais par une consti tution 8 au Code de prescript. XXX vel XL annorum ,
Justinien établi t à. ce suj et une distinction entre le possesseur de bonne et celui de mauvaise foi. Ce dernier n'avait
bien connu à l'origine qu'un moyen de défense, mais le
premier aa contraire obtenait une véritable prescription
acquisitive qui l'au torisait à. recouvrer par action réelle la
chose dont il venait à perdre la possession. Dans tous les
cas, elle courrait con tre toutes personnes e~cepté les pupill es et s'appliquait à toutes choses si cc n'es t les biens
-
/f9 -
hors ùu commerce, les biens dotaux d'une femme mariée
et ceux des impulJères (L. SO Cod. de Jure dot. et J .., i),
VII, 59).
La pre3cription ùe quarante ans a été insti tuée par
l' empereur Anastase an profit ùes fundi patrimoniales ùe
l'empereur. (L. 14 Cod. de funù. patr.). Justinien J'é.tenclit aux biens ùcs élal>lissemcns pieux et con•rréaation~cli_gicuses (Novcll c 1;) l, chap. G). Spécialemen~ p~ur le:
cgltses, le délai avait été jusque là de cent ans 1 .
~I
établit en second lieu dans l'intérêt des plaideurs,
qui sou,·ent se trouvaien t déchus de leurs droi ts, :i raison
des délais forts courts de k procédure, qu'une action
déùnite en justice ne serait périmée qu'après un délai de
quarante ans à partir du dernier acte judiciaire. (L. 9, CoJ.
\li, 39).
Enfin une dernière prescri ption de quarante ans est
celle qu e le déb itenr peut opposer i1 l'action hypothécaire
clu créanci er. Elle fut creée par l'empereur Justin et on
l'explique en disant que la creance et l'action personnelle
_( L.. 23, Co1L <lo Sact'l)S Eccles). SmJas raconte 11uc ccllt:
consutu11on fut obtenue <lo Justinien par un certain Priscu,;, a<lnunislrateur <le l'Eglise <l'Emèse. Celle-ci a\aÏI éte institue' héritièrtl
depuis plus de trente ans par un palricieu uommé lfamianus. Pour
éviter qu'on ne. lui opposai la prc~1·riplion, Priscus acheta <le l'empereur la constitution <[ui fhait le 1hibi ù cent :ins.
1
�-
50 -
une fois éteinte par la prescription de trente ans, il n'en
restait pas moins à. la charge du débiteur une obligation
naturelle qui suffisait a conserver l'hypothèque pendant
dix ans encore (L. 7, Cod. VII, ;>9).
DROIT
FRANÇAIS
�DROIT
DE
~ RANÇAIS
LA
1
'
REGLE
EN FAIT DE MEUBLES POSSESSION VAUT TITRE
( Art. 2279-2280 C. C.)
Notre étude sur le droit Romain s'est terminée par la
prescription de trente ou quarante ans que nous avons dit
être appelée avec raison longissima ; Le droit français va
nous offrir, par un contraste remarquable, la propriété
acquise en certains ca par une posse. sion instantanée, tmo
momento ; c'est cc qu'indique l'article 2279. Mai pour
savoir ce que renferme dans ses termes cette maxime i
�-
~4
-
-
concise, il faut rechercher : 1° Son origme ; 2° le sens
qu'elle comporte ; 5° ses divers cas d'application.
CHAPITRE t··
Origine de la R ègle
La règle tt En fait do meubles, possession vaut ti tre,
ëtait incon nue à Rome. Nous avons vu que le Droit Romain
ex igeait pour l'acquisition des meubles livrës à non domino
une possession de bonne foi prolongée pendant un an
dans la lëgislation primi tive et trois ans sous Justinien.
Toutefois le vo l, était un obstacle absolu à l' usucapion et
Justinien fut le premier aadmettre que l'action du propriétaire injustement dépouillé pou rrait être repoussëe après
une prnscription de trente ans.
Le Droit Germani que se préoccupa lui aussi de cette
question. et aùmit que le propriétaire dépouillé malgré lui
peut toujours revendiquer le meuble sorti de sa saisine.
1\Jais quant à celui dont il s' est volontairemeut déssaisi il n'a
contre celui-là. même à qu i il l'a co nfié qu'une action personnelle et ne peut jamais le réclamer à l'encon tre du tiers
qui l'aurait acquis de ce premier détenteur. VoiH1 donc
mise en vigueur pour la première fo is cette règle que le
lëgislateur fran Çdis consacra vin gt siècles plus tard et qu i
pendan t un certain temps disparut sous l' influ ence domi-
~)?) -
nante du Droit Romain. - Pareille solution se conçoit
facilement à une époque comme celle dont nous parlons.
La terre seule avait alors une importance véritable et les
meubles n'étaient guère qu'une valeur accessoire à laquelle
les Germains attachaient peu de prix. « Quand la personnalité humaine, dit M. Renaud , se fut dégagée davantage
et constituée en dehors de la propriété, les meubles furent
traités comme un accessoire de la personne, le dessaisi ne
pouvait les suivre. 1 ]) c'est ce qui résulte d' une façon indire~te du titre XXXIX de la loi salique (V• siècle) qui en
indiquant les choses volées comme po uvant seules être
revendiquées suppose par la même en règle générale la non
revendication des meubles. C'est ce qui est écrit aussi dans
la loi ripuaire titre XXXIIl (VI• siècle), dans celle des
Wisigoths Liv. VII titre II ; Et aux Capitulaires de Charlemagne L. V -CXC ll.
L'acheteur de bonne foi doit par exception seulement
restituer au propriétaire dépouillé par un vol, l'objet qu' il
a acquis. Il faut remarquer ici que les Germains faisaient
une distinction entre le vol proprement dit : raub et la
rétention frauduleuse. Le vol était pu ni d' une peine corporelle qui n'était rien moins que la peine capitale et la rétention frauduleuse n'entrainait qu' une amende; d'autre part,
les choses proprement volées étaient seules susceptibles de
revendication. Peu à peu cependant cette exception s'étendit
à des choses qui quoiques sorties de la saisine du proprié-
1
H.onaud Lrauuil par Chauffour, He' ue de Législat. 1843.
�-
5G -
taire sans sa volonlé, n'avaient pas été volées, comme les
objets emportés par l' inondation ou pris par erreur. On
arrive ainsi à admettre la possibilité de la revendication
pour les choses perdues parce qu'on assimilait ~l un voleur
celui qui , après avoir trouvé une chose, ne faisait pas les
diligences nécessaires pou r en connaîlro le propriétaire et la
lui restituer: Si quis cuballum, hominem , vel quarnlibet rem
in vià propiseril, aut e11111 sernws f11erit, per tres marcas e1tm
osteudat et sic pustea [Jer n:gis stapl111n ducat; sin aute111 aliter
egeril fur judicandus est.
Les mêmes principes et leurs exceptions ont élé reproduits plus tard par les Etablissemenlil de St-Louis, L. li, Ch.
17 : Se aucune per:;owie suit aucune chose gui li a esté emùlée,
et il la requiert comme emblée, il doit mellre quatre démers seur
la chose, et dire en tète ma 11 iére à la justice: sire, cette chose m'a
esttJ embltJe et sui prest de je/lrer sur sains que je 11e fis oncqucs
chose de quoi je en deusse perdre la sesine .
Les Assises de Jérusalem nous fou rni ssent des textos tou t
aussi précis (Cap. 13 l et le (;rand Couswmier qui fut rédigé
à la fin du XIV siècle, sous le règne de Charles VI, co ntient
los mêmes errements, Li1•. Ill, Ch. Liil).
Notre vieux Jroit coutumier se préoccupa aussi do celle
lJUestion fort importante, mais sur cc point comme s1Jr tan t
d'autres, les couturn('s u'a<.loptèrent pas un principe uni forme . Celles des pay" du mir\i de la France, qu'on appela
plus tard pays de droit écra, Loo t imprérnées encore de la
législation que les Romains ava ient apportée <.lans les G:rnlcs,
admettaient l'usucapion des meubles, t,rnclis que ks pays
de coutume rnirnient la tradition gt•rmaniquo. Pourtant, it
-
57 -
partir Llu xn· siècle, l' étnde des lois romaines joui t en
France d' un tel engouement et d'une telle influence qu'un
moment vint où le principe germanique avait à. peu près
disparu. C'est l'époque oü Loysel écrivait : Pour simples
meubles on ne peut intenter complainte ; mais en iceux échet
aveti et contre aveu , c'est-à-dire qu' ils peuvent être reven·
diqués, et oü Domat ajoutait plus explicitement encore : Si
apr~s la mort du d1>positaire, son héritier ignoraat le dépôt,
vencl la chose déposée, le propriétaire consen:e toujours son
droit de vendiqucr la chose entre les mains de celui qui en serait
saisi. Ce ne sera donc que par l'usucapion que le possesscnr pourra échapper à la revendication du propriétaire.
Mais pendan t combien de temps la reYendication restera·
t-elle possihle? La diYersitè des usages élait sur cc point
infinie. La coutume de Bretagne (art. 28!•) disait : Le
meubles se prescrivent par cinq ans, sauf s'il y a obligation, lettre ou promesse par écrit; celle de Valenciennes
lixait une durée de dix ans; dans le Berri et la coutume
d'Oudenarde on s'était rallié à la prescription trentenaire ;
c'était aussi l'opinion consacrée par les parlements de
Bordeaux et de Tou Io use et professée par certains jor isconsultes qui soutenaient que pour les meubles et les
immeubles il n'y arnit qn'une seule prescription, celle de
30 ans. Enfin, cette opinion fut admi~e par le parlement <le
Paris le 11 juillet 1i;)8.
Jla1s le principe dominanl fut Cl·lui de la prescriplion
triennale accompagnée de juste titre et bonne foi. Il en était
ainsi clans les coutumes d' .\mi~n::;, de Clermont, du ~bine,
de Bourgogne, etc. Dan3 nos pays de Provence. cc fut la
�-
58 -
règle admise ainsi que cela résulte des lettres patentes de
François I••, 19 mai 15 17, confirmant un établissement
des États de Provence: L'exception de prescription, dans
l'avenir, aura lieu selon la forme et disposition du droit écrit
selon lequel ledit pays est régi et gouverné.
Enfi n de nombreux au teurs enseignèrent cette solution :
Dunod, dans le traité de la prescription où il a recueilli
principalement la jurisprudence du comté de Bourgogne,
s'exprime de la faç.on sui vante : l es mettbles se prescrivent par
trois ans avec titre et bonne foi selon ce qui est communément
recti dar1s le royaume . Pocquet de Limonières, sur la coutume d'Angers, disait aussi : De droit commun les meubles se
prescrivent par une possession publique el paisible de trois ans .
Il ne fau t pas oublier pourtan t qu'il était encore quelques
coutumes et quelques jurisconsul tes restés fidèles au vieux
principe germanique. Voët, le jurisconsulle Hollandais, en
es t la preuve lorsqu'il dit: Sed cum nunc usu frequ<mtata sit
parœmia secundurn quam m.obilia non habent sequelam. Un
peu plus tard , Bourjon était plus exp licite encore dans son
traité sur le droit commun de la France : Exiger la prescription, dit- il , pour l'acquisilion d'111i meuble possedé par autrui,
c'est aller contre la trariquillité et le bieu du commerce. Et plus
loin : la prescription n'est d' auwnc considération , elle ne pelll
être d'aucun usaye quant aux nwubles puisque par rupport à
de tels biens, la simple possessio11 produit tout l'eflet d'un titre
parfait. Telle était aussi suiranl lu i, la jurisprudence constante du Châtelet de Paris, et il combat l'o pinion de qu elques-uns de ses con temporains qu i avaien t adopté le système opposé : Duples:;is r•stime r1n'avec bo111te foi, il faut trois
- 59 aus pour prescrire la propriété d'un meuble et trente ans lorsqu'il n'y a pas bonne foi. Brodeau est de même sentiment. J'ai
toujours vtt celle opinion rejetée au Chatelet où l'on tient pour
maxime qi'' en matière de meubles la possession vaut titre de
propriété. On a opposé quelqu efois à. cette affirmation le
passage suivant du traité de la prescrip tion de Denizard,
qui avait été procureur au Châtelet même : I\'ous tenons au,
Châtelet pour maxime certaiue, dit-il, que celui qui est en
possession de meubles, bijoux et argent comptant, en est répute
]Jropriétaire s'il n'y ci titre c<mtraire. Admettre ainsi que le
tiers acquéreur possesseur d'un meuble eo est seulement
réputé propriétaire c'est loin d'admettre qu'il l'ait acquis
par prescription. D'ailleu rs, avec ce sy tème quelle dilîéreoce y aurait-il entre les meubles et les immeubles puisque
pour les immeubles il est certain aussi que celui qui possède depuis un :10 ûSl présumé propriétaire jusqu'à preuve
contraire '? Cela seul suffirait pour nous faire préférer
l'assertion de Bourjon à celle de Denizard si ce dernier ne
no us rournissait en outre lui-même la preuve du peu de
confiance que méritent quelquefois ses afiirmations; ainsi il
ajoute : La coutume de Paris n'a pas réglé et je n'en connais
pas, qui {i:re le temps pendant lequel il faut posséder des meubles
pour en acquérir la propriété. Nous Yenons de voir au contraire qu e de très nombreuses coutumes enseignaient la
prescription triennale ou trenten:i.ire.
Le sentiment de Bourjon se confirme el se complète enfin
par la lecture de Pothier sur la coutume d'Orl~ans : le
fJOssesscw· d'un 111euble e.~t parmi uow; pn•;:;11111é proprit'ta1re
sans qu'il soit besoù1 de recuurù· a 1<1 pre11criptio11, a moillli que
�-
60 -
celui qui le réclame '/le justifie qn'il en a perdit la possession
par quelque accident comme par vol (Titre XIV, n° 4). En résumé, dans ce dernier système, dès que l'acquéreur de
bonne foi est possesseur d' un meuble qui n'a pas été volé
ou pris par violence le propriétaire ne peut plus exercer
à. son encontre de revendication. Deux motifs expliquent la
règle: c'est d'abord qu'il serait ordinairement très difficile
de contrôler les titres de propriété de celui dont on est
l'ayant cause; c'est sans doute aussi no souvenir du vieil
adage : Vilis rnobilium possessio.
Disons en finissant, qu'à côté de cette divergence d'opinions relativement au délai de la prescription il était un
point sur lequel les coutumes ét:iient généralement d'accord pour déroger à la tradition du Droit Romain : c'était
pour refuser e::. matière de meubles toute action pos5esso ire ; c'est-à-dire : au cas ou l'on pouvait revendiquer un
meuble on ne pouvait pas intenter une action distincte de
la propriété.
Seule la coutume de Normandie admit (art. 55) que Je
propriétaire dépouillé pouvait réclamer verbalement et en
public ; c'est ce qu'on appelait : La clameur de haro.
Tels étaient les précédents juridiques à l'heure ou la
France s'apprêtait à renouveler la face de ses institutions.
Le législateur moderne ap pelé ase prononcer sur les idées
qui nous occupent n'hesita point à consacrer la maxim e de
Bourjon et copia la phrase même qui résumait 5a doctrin e:
([ E1i fait de meubles possession vaut titre » .
Pour rendre complet cet exposé, en quelque so rte prél iminaire do notre questi on il faut ajou ter que la plupart des
- 61 Etats européens qui ont été appelés, dans ce dernier siècle,
a modifier leur législation et codifier leurs lois ont adopté
sur ce point un système opposé à. celui de la législation française dont ils ont pourtant adopté un grand nombre de dispositions. Dans la Saxe, par exemple, on exige que la possession se soit continuée pendant un an, six semaines et trois
jours (de St Joseph). En Bavière, on suit la prescription
triennale du Droit Romain. En Autriche, oo exige un délai
ùe six ans, si le possesseur a reçu le meubl e d'un inconnu
ou d'un homme de mauvaise foi. En Portugal, il faut trente
ans. Seuls, les codes Sarde et des deux Siciles ont aùopté
sans modification la règle qu'en fait de meubles possession
vaut titre.
CHAPITRE Il.
Sens de la Règle
Il est difficile d'élablir aYec certitude qu'elle a été la
pensée du législateur en éùictant l'article ~2ï9_ ùont
l'importance apparait de plus en plus à mesure qu'on l'étudie. Aussi, cet article a-t-il subi des interp rétations nombreuses et aujourd'hui encore la contrn,erse n'est pas
éteinte. Cela vient évidemment do ce que les rédacteurs du
Code n'ont fait que reproduire purement et simplement
dans sa formule trop concise et par là même obscure un
adage déjà. ancien, laissant ainsi un champ libre à toutes les
appréciations :
�-
62 -
Toullier, l'un <les premiers commentateurs du code civil,
a soutenu 1 que notre article signifie seulement que le possesseur d'un meuble, quoique le détenant sans titre, peut
le prescrire par trois ans. En d'autres termes, il écarte en
matière mobilière la nécessité du titre que la loi exige
pour la prescription des immeubles; il suffit, d'après lui ,
que le possesseur ai t la bonne foi et qu' il jouisse pendant
trois années ; de sorte que si un mari, par exemple,
vend à un acqu éreur de bonne foi les diamants que sa
femme s'est constitués en dot, celle-ci aura , à la dissolution
du mariage trois ans pour les revend iquer 1 • - C'est la
reproduction litLérale de la vieille doctrine des pays de
droit écrit et Toullier se fonde sur ce que notre arlide ne
dit pas que le possesseur d'un meuble en devien t immédiatement propriétaire mais que sa possession équivaut à
un titre. Pour se convaincre de la fausseté de cette explication que Troplong a longuement réfutée, Il suffit de
comparer les deux alinéas qui composen t l'arti cle 2279 ;
on voit que ce n'est que par exception, dans le cas de
choses volées ou perdues, quo la loi accorde expressémen t
au propriétaire un délai de trois ans pour les revend iquer.
T. u, 11·· 1o~à 1 19.
Dalloz, t. 36, n• '.26;j. - Pot hier ava il émis celle <loctri ne
dan~ UT~ tr:aité. des donntions entre mari et femme, Joctrino qui
consistai t a dire lJlle nonobstanl le~ rè·glc~ de !'Ordonnance de
~tou li n~ (1566), le possesseur ~·un meublu de bonne foi, n'a p;1s
a. fournir la preuve de son t1Lre pour in voquer la presc1·iption
L;1enna le.
1
~
-
65 -
Si d'ailleurs, le seul e!Tet de la possession du meuble
élait de faire présumer 1jusqu'à preuve contraire le possesseur propriétaire, il n'eut pas été nécessaire de faire
un article spécial à. ce sujet puisque déjà. l'article 151?> avait
établi que la présomption est toujours en faveur de celui
qui a l'exercice du droit.
Duranton enseigne une opinion tout à. fait opposée et
donne à l'art. 2279 un sens véritablement exorbitant.
D'après lui, dès que le meuble est sorti des main:; du véritable propriétaire et pourvu qu'il n'ait été ni volé ni perdu
il n'est plus susceptible d'être réclamé ; le nouveau possesseur est armé envers et contre tous, d'une présomption
insurmontable jnris et de jure, de légitime propriété. C'est
là assurément méconnaître l'esprit de la loi et en forcer la
lettre. La jurisprudence a, pourtant, adopté quelquefois
cette interprétation que, pour notre part, nous ne pouvon
pas accepter parce qu'alors il faudrait aller jusqu'à. dire
que le possesseur de mauvaise foi et le détenteur précaire
pourront se retrancher derrière cette barrière infranchi ' sable et que le propriétaire dont ils ont à. l'origine reconnu
les droits ne pourra pas prouver contre eux la nature de
leur pos ession ; dans ses derniers arrèts la jurisprudence
semble vouloir abandonner ce système et proclame que
l'art. 2279 n'établit en faveur du possesseur qu'une simple
présomption qui peut être ùétruite soit par la preuve testi_
moniale soit par lles présomptions con traires qui réunissent un caractère de précision et de gravité •usceptible <le
les faire prévaloir.
~Iarcadé a. proposé à son tour une nouvelle explication.
�-
GI~
-
Il soutient que l'article 2279 ne fait que consacrer une
prescription d'une nature particulière, une prescription
instaotannée, et se fond e pour cell sur ce que notre article
est placé au titre même des prescripti ons acquisitiYes . Ce
~ystème est adopté encore par d'autres jurisconsultes entre
autres par M. Demol ombe 1 ; mais l'opinion ùn plus grand
nombre est encore qu'il n'est pas beso in pour expliquer
notre règle de recourir ~1 la prescription. Si la possession
vaut titre, disent ils, elle est plus qu'un e prescription ;
d'un autre côté, pour qu'il y est prescription, il faut
comme base première un laps de temps déterminé (art.
2219 c'est même fa son caractère essentiel, or, la possession des meubles en est précisément dispensée. Enfi n, il
faut se souvenir que la disposition du Code est empruntée
à l'ancien Droit et nous a'Toos vu déja que Pothier traitant
de la fin de non recevoir qui resulte de la possession d' un
meuble ne lui donne pas pour base la prescription. Ainsi
raisonnent ces auteurs ; on ''erra qu'après avoir étudié les
diverses applications de l'art. 2279, il est possible ùe
concilier ces deux opinions diverses ; si d'ailleurs, elles
diITèrent dans la manière de caractériser notre règle, elles
sont d'accord sur les résullats qu'ell e produit.
Mais quelle est la raison d'être Je celte règle et n' est-il
pas de l'essence même de la propriété que Je propriétaire
puisse, dans tous les cas, maintenir son droit à l' égard ùc
qui que ce soit? Il est bi0n sur qu' en édictant l'article
1
De la proprirtr N <le l'usufruit, T. I p. 532.
-
6?S -
2279, le législateur était dominé par le souvenir du droit
ancien dont Bourjon et Pothier avaient conservé la tradition dans leurs ouvrages, et Bigot-Préameneu, dans l'exposé des motifs, n'a pu s'empêcher de dire : Qu'on maintenait la règle : En fait de meubles, possession vaut titre.
- Mais cette règle se justifie encore par des raisons de la
plus haute gravité. Que serait-il advenu en effet, si le propriétaire d'un meuble qui en a perdu la possession pouvait
dans tous les cas le r~vendiquer? Les acquéreurs eussent
été exposés à. des recours sans fin et le commerce eut élé
par fa-même entravé. En effet, quan1l il s'agit d'immeubles, il est facile de constater l'origine de la propriété
parce qu'ils ne se transmettent jamais sans qu'un acte
vienne constater cette mutation, mais les meubles passent
de main en main avec uo e célérité extrême et on n'a pas
d'autre titre à. leur égard , d'autre moyen de contrôle que
la possession elle-même. Il est donc impossible de suivre
un meuble dans la circulation rapide dont il peut être
l'objet et si des lors le vrai propriétaire pouvait le revendiquer, l'acheteur qui a été dans une erreur invincible
et que ri en ne pouvait éclairer sur l'origine du bien qu'il
a acquis serait victime de sa bonne foi. C'est à. cette injustice que pare l' article 2279, sans porter atteinte aux intérêts du propriétaire qui est en faute d'avoir suivi trop légèrement la foi de celui qui l'a trompé et de lui avoir
confié imprudemment son meuble à titre de mandat, de
dépôt ou de gage.
Nous devons terminer ces considérations par un rapprochement. Aux termes de l'article 2119, les meubles
5
�-
66 -
ne peuvent pas donner naissance à un droit de suite au
profit des créanciers hypothécaires. Dès lors, il fallait
pour être logique écarter aussi l'action en revendication,
qui n'est de la part da propriétaire qu'une manifestation
de ce droit de suite, et ne laisser à ce dernier d'autre recours qu'une action personnelle contre son mandataire.
§ 2.
Le tiers détenteur qui n'a pas directement contracté
avec le propriétaire, peut donc opposer à la revendication
de ce dernier les termes de l'article 2279 . .Mais ce droit
existe-t-il dans tous les cas, n'est-il pas soumis à certaines
conditions, et les juges peuvent-ils d'office l'appliquer?
Deux conditions sont indispensables pour pouvoir invoquer le bénéfice de notre règle. En premier lieu , c'es t
d'être de bonne foi. La loi peut en efîet excuser l'erreur
'
mais non pas protéger la fraud e. On a essayé 1 pourtant
de contester cette vérité en disant: L'art. 2279 n'exige
pa) la bonne foi d'une façon textuelle, et quand la loi pose
une condition elle s'en expl iqu e toujours expressément.
Ainsi en est-il dans les articles ?S49 et 226?>. Le sil ence du
texte ici est donc très significatif.
Pour répondre à cntte première objection, il suffit de
remonter aux origines de la loi. Il est écrit eu effet dans
1
Aubry et Rau, t. 2, § ~ 83, n• 26 .
-
67 -
Bourjon que la possession produil. tout l'effet d'un titre parfait dans le cas de bonne foi. Or, nous savons que c'est là
l'opinion que le Code a voulu consacrer. D'un autre côté
l'article 1141 qui n'est vraiment qu' une application particulière de notre article, prévoyant le cas d'une aliénation
de chose mobilière consentie par la même personne à deux.
acheteurs dilTérents, déclare que si le dernier a été mis en
possession il sera préféré et restera propriétaire pourvu
q1t'il soit de bonne foi. Enfin, le souvenir des motifs qui ont
servi de base à notre maxime démontrerait encore au
besoin la nécessité de cette première condit:on. Ces motifs,
avons-nous <lit, sont la rapide et facile transmission des
meubles en même Lemps que l' ignorance dans laquelle
\'acquéreur est supposé être de leur origine. Mais si on
ad met que cet acq uéreur esl de mauvaise foi, on admet
par là même qu'il ne peul plus se faire une arme de son
ignorance.
On a fait une seco nde objection en disant que le législateur a laissé subsister pour le transfert de la propriété
des meubles la nécessité de la tradition , que dès lors peu
importe la bonne foi, car si le vendeur reste propriétaire
jusqu'au moment de la livraison de l'objet, il ~ -pu v~a
blement le vendre à un second acheteur sans qu 11 puisse
être question de bonne ou de mauvaise foi. Ce systè~e , e
base sur les anciens principes du Droit Romain qui ont
élé entièrement modifiés par les articles 7t t et t 138 dn
Code civil, aux termes desquels la propriété se transfère
désormais par le simple consentement. Il n'est pas pos-
�-
68 -
sible que le législateur, dans l'article 1141 ait voulu contredire ce qu'il avait édiclé 'dans l'article 1158.
D'ailleurs pour établir une distinction entre les meubles
et les immeubles, il faudrait un texte formel. Or, nonseulement il n'en existe pas en l'espèce, mais encore l'article
1141 exige d'une façon très explici te la bon ne foi. Rappelons d'ailleurs en un seul mot que celle-ci se présume
toujours (art. 1116 et 2268).
Heste à se demander à quel moment la ponne foi doit
exister chez l'acquéreur? Suffit-elle au moment du contrat
ou est-elle nécessaire encore au moment de la tradition?
1\1. Larombière (sur l'article 1 J41 n.. 6 et 16) soutient
la première opinion en se fondant sur l'article 2269, aux
termes duquel la bonne foi suffit au moment de l'acquisition. Nous n'adoptons pas ce système. D'abord parce
que c'est à la possession qu e les articles 2279 et 1141 attachent l'effe t qu'ils consacrent, que dès lors c'est au moment où elle commence qu'il faut se placer pour examiner
si les co nditions légales existent ou non; que d'ailleurs
l'article 2269 placé au litre de la prescription par dix et
vingt ans ne régit que J'hypothè e où il s'agit d' immeubles.
La bonne foi est donc nécessaire, mais elle n'est pas
suffisante ; il faut enco re un jusle titre. Le mot titre n'est
pas p~is· ici dans le sens d'écrit, instrumentum probationis,
Il désigne Lout fait juridique qui considéré en lui-même
était susceptible uetransférer la propriété et qui n'a manqué de produire cet e[~t que parceque celui de qui Ja
t.:hose est venue n'était pas le véritable propriétaire. Il ne
- @faut donc pas que le possesseur soit obligé personnellement
à la restitution. Cette formule repousse d'une !açon générale tous ceux dont le titre est la négation même de l'animus domini. Nous ne faisons pas de ceci une troisième
condition comme l'enseigne l'auteur que nous avons tous
eu en tre les mains, Mourlon. Toutes les fois en effet que
l'acquéreur sera obligé de restituer la c~ose pour une caus.e
quelconque, il sera dans la position d un détenteur pre.
. .
caire.
Le successeur universel d'un détenteur precaire qui
dont était tenu son auteur , ne peut pas
ianore l'ob\iaation
0
I!>
davantage opposer au propriétaire revend'1quant l'. e~c~p tion de l'article 2279' parce que Je débiteur origma1~e
dont il représente la personne n'aurait pas pu. s'en pre~·
valoir' et qu'il ne fait que conli nuer sa possession avec le;:.
mêmes vices dont elle a été entachée dès le début. I~ en
serait encore ainsi it fortiori si \'obligati;m de restituer
résultait d'un délit ou d'un quasi-délit.
Enfin il va sans dire que celui à qui nous donnons
l'hospita{ité ne pourrait s'autoriser de l'article 2279 . pour
prétendre siens les meubles mis à son usage. C'est la une
détention précaire par excellence et nous n'en _parlons. que
pour examiner si la même solution doit s'appliquer n gou_reusement an domestique habi tant la mai on de_ son mat·
tre. Peut-il ré ulter des circonstances, qu' il ait da~~ la
maison la posse ion exclu ive de certains elîet mob1_l1er:
lui permettant d'invoquer le bénéfice de notre article.
C'est dans ce sens qne la Cour de cassation (1 ~ . févrie1:
t 839) ' a rejeté la prétention de certains bént1ers qui
�-
70 -
rnulaient exiger du domestique de leur auteur la preuve
que des sommes trouvées dans un meuble aJTe~té à son
usage personnel étaient bien sa propriété. Par contre si
le~ o~jets dont il est tromé détenteur avaient été la pro~néte du maitre d'uno façon cerlaiue, ce serait au domestique qui prétend que ces objets mobiliers lui on t été rem1.s à titre de don manuel, à prouver la mutation de propriété.
' Il f~ut donc que le possesseur ait reçu la chose en vertu
~un ~1~re qu.i l'eut ~ ussitôt rendu maître absolu , si celui
a\'a1t été le légitime propriétaire. 01· , s··1
ue• qui il la tient
1
.
na pas acqms par l'un des modes légaux. c'est-a-dire de
ve~.te ~u de donation, etc ... il ne pourra pas se croire propnelall'ea· et. posséder de Lonne roi. C'est dire que la secon d
.e con it1on se rattache intimément à la première : c Ln
titre et la bonne foi sont deux correlatif:s , dit Dunod E t
. s -ce
'
,·
• d·
a ire qu ils. se. confonden t ? non ' et il ..,ux1"ste me·me en tre
eux cette .d1fierencc '.'CmarquaLlt~ que la bonne foi se présume lOUJOurs,tand1s que le juste litre doit être. prouvé.
. N.e ~e~ble-t-il pas cependant étrange qu e la loi e:xiae
.. . ~
a1ns1 l existence réelle d'un juste litre aloi s
prec1sement
qu' Il d"
e e it que la possession Yaut titre et le rempla c?
Il '.~ut se garder ici d·une confusion de mols. Le L'tre cte;
dans les term es de l'article• 2"'79
qu ,.li est, entendu
" , ce' 1u.1
.
<~u J1• s agit de remplacer et dont la possession devient
1 éqm:alent, c'est le titre efficace qui confère efiectivement
. titre indispensable
le droit de propriét'>e, tan d'is que le ;usie
pour que ce dernier etTet se produise • c'est celrn. qui. est
-
71 -
émané d'un autre que du vrai propriétaire et qui n'a donné lieu qu'à. une acquisition de fait.
Pour compléter nolr~ pensée, nous dirons : un titre impuissant suffit pour l'application de l'article 2279, mais
il en faut un. Nous n'admettons donc pas que la croyance
à l' existence d'un titre, quand il n'y en a point, opinio
justi tituli puisse sulfire. Rappelons l'exemple vulgairement
cité : un mandataire que j'ai chargé de m'acheter tel meuble m'écrit qu'il l'a acheté en e!Iet, quoique cela ne soit
pas; puis il parvient, n'importe comment, mais sans qu'il
y ait vol, à se mettre en possession de ce meuble en mon
nom ou à m'y mettre personnellement à l'insu du maiLre.
Serai-je devenu propriétaire en vertu de ma possession
instantanée et de ma bonne foi?
Nous ne le pensons pas. Il est vrai que le possesseur
dans cette hypothèse, a été de bonne foi, et nous avons vu
que plusieurs jurisconsultes romains avaient admis en pareil cas l'usucapion. Mais en Droit Romain, le propriétaire
dépossédé avait un an, et même trois sous Justinien, pour
réclamer; chez nous, il n'aurait pas même un iour , pas
une heure. Ce serait le rendre victime de la fraude d'un
mandataire dont le mandant n'a pas été complice sans
doute dès l'origine, mais il a commis au moins la faute
d'avoir placé sa confiance dans un homme qui en a abusé.
li ne faut pas qu'il lui soit permis de profiter après coup
de cette fraude.
Plusieurs arrêts, il est vrai, sont contraires à cette doctrine. lis ont admis qu'il suflisait dans tous les cas au possesseur de se croire propriétaire, pourvu qu'il fut de
�-
72 -
bonne foi. Exiger davantage, c'est, dit-on, ajouter à. l'article. Mais ii cette jurisprudence nous opposons l'autorilé
des auteurs qui ont le mieux traité la question, et cette
phrase surtou t de Bigot-Préameneu qui nous semble devoir être décisive ayant été prononcée lors de l'adoption
de l'article 2279 : c Nul ne peut croire de bonne foi qu'il
possède comme prop11étaire s'il n'a pas un juste titre qui soit
de sa nature translatif de propriété et qui soit d'ailleurs
valable. »
La possession dont s'agit doil être au surplus une possession réelle et effective, c'est-à-dire certaine, non équi''oque, révélée aux tiers par un fait matériel. L'article
t 141 le démontre suffisamment : de deux acquéreurs
successifs, le premier a bien reçu la propriété, mais le second est préféré parce qu'il a été mis en possession, pourvu
qu'il ait été de bonne foi.
Ainsi, si l'on suppose qu' un acheteur est convenu avec
son vendeur que celui-ci gardera quelque tamps encore
la chose vendue à titre de dépôt ou de prèl, sa possession
ne sera pas assez extérieure et sensible à l'égard des tiers
pour qu'il puisse s'en prévaloir. Quel sera donc le critérium de cet acte palpable pour ainsi dire, qui constituera
la possession réelle? C'est là une question de fait sur
laquelle les juges auront à exercer, eu égard aux circonstances, leur droit <l'apprécialion. Prenons qu elqu es exemples : nou s con sidéreron~ comme pri e de possession
su.ffisante la re~ise manuell e â quelque litre que ce oit,
~ eme de donation, car il n'est pas contesté que la donation manuell e qu'on appelait dans l'ancien droit de moiu
-
'15 -
chaude est dispensée des formalités de l'article 93t. Le
fait de la part de l'acquéreur qui ne peut appréhender
lui-même, de préposer quelqu'un à. la garde de l'objet
mobilier, ou l'ordre par lui donné de l'apporter dans
ses magasins si cet ordre a reçu un commencement d'exécution, révèlent aussi suffisamment le fait de la transmission. En Droit Romain déja les jurisconsultes Javolenus
et Celsus avaient soutenu cette opinion (L. ~H D. de acq.
vel amit. possess. - L. 18, § ~ eodem).
Au contraire, la remise des titres seuls ne suffira pas
à notre avis pour transmettre la possess ion réelle qu'exige
l'article i1 4i, parceque ce n' est qu'une tradition symbolique qui ne met dans les mains de l'acquéreur qu'une
représentation de la chose elle-même et qui à l'égard de
tiers n'est pas suffisamment notoire et caractérisée.
Quant à la remise des clefs qui servent à. ouvrir le meuble dont s'agit, certains auteurs ont prélendu devoir
1
l'assimiler ala remise des titres. M. de Folleville soutient
que la remise des clefs ne constitue pas une prise de possession assez évidente et réelle pour être opposable aux
tiers. Et la preuve, c'est qu'en Droit Romain cette remise
devait nécessairement avoir lieu in re prœsenli, apuà lwrrea,
~t que l'article 1606 du Code civil n'exige rien de pareil,
de façon que les clefs pourraient être remises dans un lieu
très éloigné de celui où se tronve la chose el au même instant celle-ci être livrée à un tiers acquéreur de bonne foi.
C'est là. en effet uno hypothèse qui pourra bien se prêsen' Revue pratique rie droit,
t.
'26, p. 5 l'l.
�- 74 ter dans la pratique, mais elle ne permet pas de généraliser et de poser une règle. Nous pensons en conséquence,
avec la plupart des auteurs 1 , que la délivrance des clefs
n'est pas seulement un symbole mais est tout aussi réelle
que la délivrance manuelle, puisqu'elle donne à l'acquéreur Je moyen bien évident d'appréhender la chose et de
s'en servir quand bon lui semblera. D'ailleurs, ainsi que
nous l'avons dit déjà, les tribunaux restent souverains
appréciateurs de Il question de fait.
L'objet du contrat peut consister en plusieurs choses
spécialement déterminées. En pareil cas, si ces objets sont
bien distincts les uns des autres, il est certain que la
prise de possession réelle de l'un ne présuppose pas celle
de l'autre, mais il peut se faire aussi qu'ils soient tous
confondus ayant éte vendus in globo. M. Demolombe 2 et
après lui M. Larombière 3 prévoient à ce sujet l'hypothèse
où une coupe de bois ayant été vendue à non domino,
\'acquéreur a déjà abattu une partie des arbres et mis la
forêt en exploitation , lorsque le vrai propriétaire se
présente. Les arbres déjà coupés sont meubles, cela est
certain, et comme tels tombent sous l'application de l'article 2279. Mais l'acquéreur peut-il soutenir qu'en ayant
fait abattre une certame partie de la forêt, il a par là même
pris possession de cell e qui reste debout? Le savant professeur estime que ce commencement d'exécution constitue
1
Dalloz, Rép. n• 36, 269.
' T. 24, n• 483 .
3
Oblig. T. 1, arl. H t 1, n• 1'.2.
-
75 -
une main mise suffisante et que la coupe doit être considérée comme un tout indivisible. li nous semble difficile
d'adopter ce sentiment, car si la coupe peut en effet être
considérée comme un tout indivisible vis-à-vis du vendeur
et de l'acquéreur , il ne peut plus en être ainsi vis-à-vis du
propriétaire. De même si les arbres non coupés sont censés meubles, ce n' est qu e par une fiction valable entre les
co ntractants, mais vi s-à-vis du propriétaire ils restent,
selon la règle générale, partie intégrante de son immeuble.
La délivrance entre vendeur el acheteur pent résulter quelqu efoi s du simple consentement des pélrties contractantes,
lorsque le transport ne peut pas s'en foire à l'in5lant même,
par exemple si la chose étant éloignée, le vendeur se contente de donn er l'ordre de la livrer ; ou bien encore lorsque
l'acheteur convient avec le vendeur que celui-ci gardera la
chose à titre de dépositaire ou de locataire; ou enfin si l'on
suppose qu e l'acquéreur détenait déjà la chose a un autre
titre que celui de propriétaire, par exemple d'emprunteur.
Dans ces diverses hypothèses en aura-t-il une possession
suffisante pour appliquer l'article 2279?
Dans la première, on ne pent pas dire que l'acheteur est
définitivement saisi envers les tiers, parce que s'il peut
repousser le vendeur en lui exhibant l'ordre de délivrance
par lui donné, à l' égard de ceux-ci sa possession n'est pas
co mplète : et la preuve c'est qu' on second acheteur ~eut
encore être mis en possession de la chose. Les articles
:>76, -77, -7 8 du Code de Commerce vienn ent à l'appui de
cette solution en décidant ùans une es pèce particulière que
pour qu' il y est marchandise livrée, il ne suffit pas que la.
�-
76 -
facture ait êté reçue par l'acheteur il faut encore que la
chose soit sortie des magasins du vendeur.
Dans le second cas, si le non dominus qui vend le
meuble le conserve à litre de louage par exemple ou de
dépôt, il n'y aura pas davantage tradition suffisante à
l'égard des Liers parce que cette façon clandestine de transporter la propriété à autrui ne serait dans la plupart é!es
cas qu'une fraude que la loi ne doit pas protéger ; c'était
dans l'ancien Droit déjà l'opinion de Bourjon : « La vente
des meubles faite sans déplacement est nulie à l'égard des créaitciers du vendeur. De là ii suit que les créanciers de celui qui a
fait une telle vente peuvent nonobstant icelle, les faire saisir et
vendre sur leur débiteur qui en est resté en possesion. ~ (T. 1
p . 146 n• 11).
Dans la troisième hypothèse au contraire, si on suppose
que l'acquéreur était déjà en possession à titre de locataire,
de fermier ..... etc. de la chose qui lui a été vendue,
il nous semble qu'il y a possession suffisamment réelle pour
pomoir repousser la revendication du véritable propriétaire, parce que s'il n'y a pas eu tradition il y a du moins
possession réelle telle que l'exige l'article 1t41.
La règle générale est donc qu'en notre matière la délivrance ne peut pas résulter du seul consentement des
parties comme aux termes de l'article 1606 relalivemen t
à la vente. Cette différence s'explique aisément : J'arliclc
f 606 ne règlemente que les elfot' de la transmi ssion entre
parties contractantes: landi que l'article 2279 a pour but
de sauvegarder l'intérêt des tiers vis-à-vis desquels le contrat intervenu est res inter alios acta.
-
1i -
Enfin, à cette possession réelle il faut que l'acheteur
joigne l'intention bien arrêtée d'avoir telle chose spécialement déterminée, c'est-à-dire, il ne doit pas y avoir
erreur sur l'identité de l'objet : Le meuble qui a été livré
doit bien être celui que l'acquéreur a l'intention de posséder. Celui qui après avoir acheté un meuble en recevrait
un autre quoique semblable n'aurait pas l'intention requise
et ne pourrait pas se prévaloir de la présomption qu'en fait
de meubles possession vaut titre.
Aux termes de l'article ~223, les juges ne peuvent pas
suppléer d'office le moyen résultant de la prescription :
c'est à celui au profit duquel cette prescription s'est
accomplie à en•réclamer l'application. Or, peut on adopter
la mème solution en ce qui concerne l'articlP, 2279 ? Nous
le croyons, parce que si une considération d'intérêt public
a fait édicter la règle qu'il consacre, il n'en est pas moins
vrai que la protection dont le possesseur est par elle couvert, peut ne consacrer parfois qu'une injustice et préjudicier à un propriétaire dont les droits son t certains. Si
ùonc la conscience et de justes scrupules ne permettent
pas à l'acheteur de garder pour lui les profits résultant de
cette sorte de spoliation, de quel droit viendrait-on le
forcer à se servir de moyens qu'il réprouve? La loi a créé
pour lui un droit et non pas une obligation.
Toutefois remarquons que c'est un de ces droits qui ne
sont pas attachés exclusivement à. la personne et que les
créanciers de l'acheteur pourraient, suivant l'opinion universellement admise, s'en prévaloir s'il négligeait lui-même
de le faire. Par r~ciprocité, il est éviden t que les créanciers
�-
78 -
resteraient toujours soumis aux exceptions qui étaient
opposables au débiteur.
Mais ce dernier ne pourrait-il pas, en prenant J'initiali\•e
â'une renonciation an bénéfice de notre article, empêcher
ses créanciers d' exercer les droits que leur confère l'article
i t.66 ? li semble au premier abord que si le débiteur
reconnait que sa posse~sion est illégitime et qu'il ne doit pas
se prévaloir d'une présomption injuste , ses créanciers ne
pourront pas le forl!er à agir d'autre façon. Cependant
n'est-il pas certain qu'il serait trop facile à un débiteur d'être
scrupuleux et honnête lorsqu'il le serait aux dépens de ses
créanciers et n'est-il pas plus logique d'admetlre en inYoquant par analogie l'article 222~ que les créanciers qui ont
intérêt à re que la prescription soit acquise veuvent l'opposer
encore que le débiteur y renonce ?
Mais qu'auront-ils à faire pour annuler la renonciati.rn
tacite de leur débiteur? Devront-ils, suivant l'article 1167,
prouver qu'elle a été frauduleuse? Cette preuve serait la
plupart dn temps impossible parce que le débiteur dira
toujours qu'il n'a agi que dans un but louable, pour obéir
à sa conscience. lis n'auront clone, croyons-nous, qu'à
démontrer le préjudice. L'article 2~25 que nous rappelions
tout à l'heure n'exige pas d'autre condition et les divers
textes dans lesquels il est question aussi de renonciation ne
se préoccupent pas davantage de l'intention fraudul euse :
articles 622, 788, i 053. C'est dire que nous sommes ici
en présence d'une exception aux conditions que l'article
1167 exige en général de$ créanciers qnand ils veulent
-19 faire annuler, en vertu de cet article, les actes faits par leur
débiteur.
Que décider d'autre part, si après avoir vendu un objet
mobilier et ne l'ayant pas encore livré à l'acheteur les
créanciers du vendeur viennent pratiquer sur ce me~ble
une saisie-exécution ? L'acheteur pourra-t-il, par une
demande en distraction telle qu'elle est prévue en l'article
608 du code de procédure, se le faire attribuer sans avoir
à craindre le concours des créanciers saissisants? On l'a
contesté en disant: le débiteur a bien vendu le meuble mais
il esl demeuré en possession ; or en fait de meubles possession vaut titre, donc le vendeur est demeuré propriétaire,
par suite la saisie est valable. C'était fa, dans l'ancien droit
l'argumentation de Bourjon. Mais il ne faut pas oublier
qu'à cette époqus la propriété n'était transférée que par la
tradition tandis qu'aujourd'hui elle l'est par le seul effet du
contrat et l'article 2279 n'a certainement pas voulu porter
atteinte à ce principe. Si donc, l'acheteur est devenu immédiatement propriétaire, il peut demander la distraction du
meuble qui a été à tort englobé dans la saisie. Cette solution
est d'autant plas équ itable que les créanciers avaient la
possibilité d'exiger un nantissement et celle de pratiquer
plus tôt leur saisie ; s'ils ne l'ont pas fait, ils ont commis
une négligence dont ils doivent supporter les suites. Mais il
faut pour cela que l'acheteur fasse sans délai sa demande en
distraction car s'il laissait les créanciers procéder à la vente
et à l'adjudication il serait déchu de son droit par application de l'article t Ui dont nous avons déjà parlé.
Pour en finir sur ce point, il faut remarquer que lare-
�-
30 -
vendication du propriét.aire peut être repoussée en vertu
de l'article 2279 non pas seulement par celui qui possède
en vertu d'un contrat onéreux mais aussi par un donataire
et un légataire. Dire en effet que le propriétaire certat de
damno vitand-0 tandis que le donataire certat de lucro captan<ÙJ, formule qui a sa raiso n d'être dans l'action paulienne de l'article 1167 , est ici un motif d'équité qui ne
saurait prévaloir devant la généralité du texte.
Il nous reste à indiquer quels sont les meubles dont
entend parler l'article ~279.
§ 5.
Sans doute , nous ne pouvons pas conserver ici a ce mol
le sens restreint qui lui a été donné dans l'article t>55 ; ce
serait soustraire à l'application de notre règle une infinité
de choses pour lesqu elles elle a été faite, mais n'admet-elle
pas cependant certaines restrictions ?
Il suffit pour répondre à cette qu estion de rappeler les
motifs pour lesquels l'article.2279 a été édicté. C'est, avons
nous dit, d'abord parce que la plupart du temps il est
impossible à l'acquéreur de connai tre avec certitude les
droits de celui qui lui a vendu la chose, ces droits n'étant
pas constatés par écrit, de telle sorte qu'il est obligé de
s'en rapporter à sa déclaration. En second lieu, les meubles
passant rapidement de main en main ce serait donner
-
81 -
naiss1nce il toutes sortes de procès dont les frais dépasseraient souvent la valeur de l'objet en litige que d'en autoriser la revendication. S'il en est ainsi, nous pouvons dire
d'une façon générale que les meubles dont la transmission
ne serait pas purement manuelle seront soustraits à l'application de la règle :
1°Y sont soustraits conséquemmen t les navires qui d'après
leur nature sont meubles 1 et dont pourtant la propriété ne
peut reposer que su r un titre. Cela résulte de leur importance d'abord et ensuite des termes formels de l'article 195
du code de commerce, comme aussi de l'article 226 d'après
lequel l'acte de propriété doit être mis au nombre des
pièces de bord que le navire emporte avec lui dans ses
voyages.
M. Laurio, dans le premier volume de son commentaire
sur le Droit Maritime'.!, cite deux arrêts qui rendus contrairement à cette solution ont été réformés par la Cour suprême. D'ailleurs, ainsi que le dit Je savant professeur, la
question n'est plus aujourd'hui susceptible de controverse
en l'état de la loi sur l'hypothèque maritime, (to décembre
1874). On peut dire que d'après cette loi les narires sont
immeubles a plusieurs points de vue et dès lors ne tombent
pas sous l'application de notre article.
Cet article s'appliquera au contraire, selon nous du
moins, à certains autres meubles quoiqu'ils aient élé immobilisés aussi ; ce sont ceux que la. volonté du propriétaire a
attachés à. un immeuble à perpétuelle demeure et qu'on
1
t
Art. 53 1 Co<l. civ. ; ·190 Cod. comm.
Page 218 ot suiv,
6
�- 82 appelle immeubles par destination, tels sont les instrumen ts
aratoires, les semences, etc. Le tiers qui deviendra acquéreur
de ces divers objets pourra certainement repousser en vertu
de notre article 2~79 toute sorte de revendication. Et en
ellet ces choses ne sont immeubles que dans les rapports du
propriétaire avec son fermier ou son acheteur, mais elles
cessent de l'être dès qu'on les détache du fond s et l'acquéreur est en droit de croire qu'elles appartiennent à. celui
qui les lui vend ainsi séparées.
Si maintenant nous supposons que le meuble n'est pas
réclamé d'une manière principale mai~ seulement à ti tre
d'accessoire d'un immeuble revendiqué, il est régi par le
pl'incipe: Accessorium sequitur principale, et ne peut plus
tomber sous l'application de notre article. Cependant l'article ?549 dispose que le possesseur de bonne foi conserve
même à l'encontre du propriétaire revendiquant les fruits
détachés de l'immeuble. Le Droit Civil ne distingue même
pas sur ce point, comme faisait le Droi t Romain, entre fruils
consommés et fruits encore existants. Pour expliquer cette
anomalie apparen te, M. Bravard 1 a simplement invoqué
t'article 2.279 et Marcadé a reprod uit ce système que nous
ne croyons pas fondé, parce que pour être logique il faudrait
aller jusqu'à dire que les produits, qu i ne sont pas fruits,
seront eux aussi attribués au possesseur de bonne foi qui
les a déjà touchés, et on se trouverait alors en contradiction
avec la distinction que consacre l'article ?>98. Au surplus
1
Etude du Droit Romain, p. 302.
- 85 l'ancien droit avait adopté déjà. la théorie de l'article 549
alors que la règle c En fait de meubles possession vaut
titre" n'était pas admise partout. La vraie raison réside
dans le fait même de la production des fruits par le possesseur. Ils sont le résultat dt3 son travail, ils ont augmenté la
richesse publique et le législateur a pensé avec juste raison
qu'il fallait attacher à cela un avantage spécial, d'autant plus
équitable que dans la plupart des cas les fruits perçus auront
été consommés lautius vivendo, et qu'une demande en restitution pourrait causer au possesseur un très grave embarras.
2° li est admis aussi d'une façon à peu près générale que
les meubles incorporels tels que les rentes et les créances
ne tombent pas sous l'application de l'article 2279. Déjà.,
dans l'ancien droit, Bourj on, que le législateur a copié sur
cette matière,. avait dit : Par rapport aux droits inccrporel.s
la simple pussession du titre ne suffit pas. C'est qu'en e[et dans
ce cas les moti fs qui ont fait édicter l'article précité ne se
conçoivent plus. D'une part, la circulation des meubles
incorporels n'est pas aussi rapide ni aussi répétée que celle
des autres; et en outre, il est toujours facile de constater si celui duquel on tient la créance en est le véritable
propriétaire. L'acquéreur n'a qu'à exiger que son vendeur
lui remette le titre et à voir s'il est conçu en son nom. S'il
en est autrement, c'est que ce dernier n'est pas propriétaire
ou peut-être qu'il possède la créance à titre de cessionnaire,
de légataire ou d'héritier. Mais dans ce dernier cas encore
on n'a qu'à se faire exhiber l'acte de cession, ou le testament,
ou la preuve que le vendeur a succédé ab intestat au ~éfunt.
�-
84 -
Si la contestation s'èlèvo entre deux cessionnaires de
la même crèance, il ne peut plus être question de l'arlicle
2279, car le législateur a pris soin d'établir par des règles
toutes spéciales la transmission des créances à l' égard des
tiers. (articles t 690 et suiv.).
Il existe une e:œeption au principe que la simple possession de bonne foi des meubles incorporels ne vaut pas
titre, c'est lorsqu' il s'agit de titres au porteur ou d'eITets
à ordre transmis par endossement en blanc. Nous lisons
dans l'exposé des motifs de la loi du 23 mai 1865 sur le
gage commercial : o:. La propriété des titres au porteur est
transmissible sans endossement, sans nolifu;ation au débiteur
s'il s'agit d' obligalions et par la seule tradition, absolument
comme la propriété d'un lingot. d'un bijou, d'un meuble. »
Cependant une action au porteur n'est pas un bien corporel et le petit morceau de papier qui représente pou r
celui qui le détient une somme plus ou moins considërable, n'est que le signe, l'expression matérielle de cette
action. Il en est de même pour les billets de banque. li
semble donc que l'un et l'autre ne devraient pas bénéfier
de notre règle. Ils tombent cependant sous son appli cation
précisément parce que, à l'imitation des meubles corporels, ils se transmettent de mains en mains avec une ext1ême facilité, sans qu'o n ait besoin de dresser acte de leur
transmission. C'est même là l'unique avantage pour lequel
ils ont été institués. Par contre les valeurs nominatives
échappent au principe, parce qu'elles sont la propriété
d'une personne déterminée et ne peuvent passer dans le
85 -
domaine d'une aulre qu'après l'accomplissement de certaines formalités.
5° Il faut excepter de l'article 2279, les universalités
de meubles de qu elqu e nature qu'elles soient, car ainsi
que le dit M. Delvincourt, il s'agit moins dans ce cas des
choses qui composent la succession que du droit même
de succession, c'est - à - dire en somme , d' une chose
incorporelle. Au surplus, il ex iste toujours, à l' égard des
univer alités, des titres qui perm ettent de constater avec
certitude leur origine. Les_tiers._seront dès lors dûment
avertis. Celui, par exemple, qui achètera une succession
mob ilière ne manquera jamais, s'il est prudent, de se
fai re rep résenter l'acte testamentaire ou les titres de famille
qui établissent les droits de l'héritier.
Déjà clans l'ancien droi t, les universalités ou quotesparts d'universalités tan t mobilières qu'immobilières n'étaient soumises qu'à la prescription trentenaire et BigotPréameneu disait, encore à. ce sujet, au Corps législatif:
S'il s'agit d'une w1iversalit~ de meubles telle qu'elle échoit à iui
héritier , le titre iiniversel se conserve par les actions qui lui
sont propres . »
Enfin , il est en dernier lieu, des choses qui sont tout
à la fo is corporelles et in corporelles, et on s'est demandé
s'il fallait les comprendre dans les termes de l' article
2279?
La question 'est po -ée relati•emen t aux lettres mis' i-
ves , aux manu crits, ala propriété artistique, industrielle
et littéraire. Sur tous ces poi nts une distinction doit êlre
faite.
�I
-
86 -
Ordinairement une lettre missive porte une suscription
qui permet de connaître celui à qui elle est adressée. C'est
donc celui-là qui doit tout d'abord en être présumé le
propriétaire, et le tiers qui la détiendrait dans ces conditions, au lieu et préjudice dn destinataire véritable, manquerait de la bonne foi nécessaire pour pouvoir se mettre
à l'abri de la maxime : En fait de meubles ... etc... Si au
contraire, nous supposons que cette lettre est tombée dans
le commerce, qu'elle est deven ue objet précieux et par
conséquent un meuble ordinaire, si c'est par exemple un
fragment de la correspondance d'un personnage célèbre,
un. autographe en un mot qui déjà. a passé dans la propriété de diliérents amateurs, il est évident que l'acquéreur de bonne foi pourra repousser la revendication
du véritable propriétaire.
La solution est à peu près la même relativement à la
propriété littéraire, in dustrielle ou artistique.
~'écrivain, l'artiste, l'omi rier créateur ne pourront jamais se voir dépouillé même par un possesseur de bonne
foi de ce qui est le fruit de leur pensée, l'invention de leur
génie . .Po~r eux, la valeur ùe I' œuvre ne réside pas dans
la réalisat10n matérielle qu'elle a reçue. Mais lorsque le manuscrit, le tableau ou la statue sont tombés da ns le commerc~, si celui qui le revendiqu e est un tiers qui les a
achetes de ses propres deniers, l'arti cle 2279 produit ses
efTe~s et la bonne foi est suffisante pour en faire acquérir
au tiers-possesseur la propriété.
, Il importe de remarquer que le simple fait de posséder
n emporte pas présomption du droit de publication ou
87 -
de reproduction. Ce droit n'appartient qu'à l'auteur luimême ou à ses héritiers, et ne peut être transmis que par
une convention particulière 1• Nous sommes donc tout à. fait
en dehors de l'article 2279.
4° Ajoutons en terminant que par un tout autre motif que
ceux jusqu'à présent développés notre article ne sera pas
applicable non plus aux objets qui, quoique transmissibles
facilement de main en main, sont insusceptibles de propriété
privée : ce sont ceux qui font partie du domaine public et
sont par cela même inaliénables et imprescriptibles . En
conséquence, celui qui de bonne foi aurait acquis une chose
de cette nature faisant partie par exemple d'une bibliothèque
nationale ou d'un musée ne pourrait pas, en invoquant
l'article 2279, repousser la revendication de l'État. L'espèce
s'estprésentéedevant la Cour de Cassation . D. P, 52. 2. 96.
§ 4.
Le législateur moderne a apporté deux exceptions à la
règle que les meubles ne peuvent être revendiqués : c'est
lorsqu'il s'agi t de choses volées ou perdues. Le deuxième
alinéa de l'article 2279 est en effet ainsi conçu : ~ Néanmoins, celui qui a perdu ou auquel il a été volé nne chose
peut la revendiquer pendant trois ans à. compter du jour
de la perte ou du vol, contre celui dans les mains duquel
Seine, 20 juin
1 Cnssat. 1O ùéc. 1850. Deville. ·1850 1 2, 265. 1883. Gaz. Palais, 1883, 2 163. - Lois du 19 juillet n93 - 5
juillet 1844. (brovets ù'invontion). - H juitlet 1866 (droits d'autour).
�-
88 -
il la trouve. .. » C'était, nous l'avons vu, le système du
très ancien droit coutumier, tandis que Bourjou n'aùm cttait qu'une seule exception, le vol. Quand à Pothier, il
considérait ce correcti f à la règle générale comme absolument arbitraire. (Prescription , n° 240).
Les deux exceptions aujourd'hui consacrées recoivent
application au cas où la chose se trouve entre les. mains
d' un tiers de bonne fo i qui l'a acqu ise du voleur ou de
l'inventeur même. Quand à ceux-ci, ils ne peuve nt prescrire que par trente ans, parce qu'ils n' ont ni juste tilre,
ni la croyance de bonne fo i à lem droit de propriété. lis
sont obligés de restituer à raison soit du vol, sait de
l'invention et l'action qui naît d'une obligation dore tren te
ans. - Mais ne semble-t-il pas y avoir en cela quelque
chose d'anormal ?
En effet, lorsqu'un délit est commis, il est de principe
que l'action civile ne peut pl us être intentée dès que
l'action publique est éteinte. Or, celle-ci est soumise à une
prescription de dix aùs, trois ans ou un an, suivant qu'il
s'agit d'un crime, d'un délit ou d'une contravention. Si
donc le voleur ne peu t jamais plus être poursuivi publiquement après dix années, comm ent pourrait-il l' être
civilement ? Cette objection n'est pas fondée, car il ne
faut pas confond re l'ac tion en revend ication avec l'action
civile en réparation du dommage causé. La première a sa
so urce dans le droit même de propriété, la seconde ne
naît qu'à raison du délit et à condition de prouver le vo l
qui l'a fait naître ; elle a pour bu t la condam nation ~l tics
dommages intérêts dont la restitution de l'objet n'est que
-
89 -
)a première application. Elles sont donc tout-à-fait indépendantes l'une de l'autre, et si après dix ans le voleur ne
peut plus être poursuivi comme voleur , rien ne peut empêcher le propriétaire do le poursuivre pendant trente années par actioo réelle et comme détenteur du meuble reYcndiqué . La raison d'être de cette dilîérence se conçoit
aisément. Lorsque le demandeur intente l'action civile
ex delicto, il tend à. fa ire établir \'existence d'un fait crim1nel et il ne pourra le plus souvent y arriver qu'en faisant
appel à d P,S témoignages. Or, après une cerlaioe durée,
les souvenirs s'effacent, \es témoins disparaissent et il de·
vient plus difficile ùc connaître la vérité. L'ordre public
exigeait donc que le législateut évitât de raviver la pensée
d'un crime impossible à démontrer. Quand le demandeur
exerce au contraire \a revendication, il n'a ças besoin de
faire all usion ~t la faute commise, il lui suffit de prouver
que Je po.sesseur illégitime savait que Je meuble était la
propriété du revendiquant.
Le véritable propnétaire poDrra revendiquer pendant
trois ans \a chose qui lui a été volée ou qu'il a perdue et
qui est aujourd'hui dans les mains d'un possesseur de
bonne foi . Cela se conçoit puisque ayant été nctime ù'un
vol ou ù'un cas fortuit, il a ~ubi one force majeure. l\ n'en
est pas moin~ vrai qu' 11 fal\:.lit nn tex te formel pour .ét:iblir que dans ce cas spécial, le possesgeur de bonne foi ne
· · 1e de l'arllcle 9-.~0 79.
· \e genera
pourrait pas imoquer la reg
et prolonger ainsi la protc1,;tion acconlûc à la pro1~11~tl'.
Le Code a toutdo1:, re::.treint consitlérab\cment le delai de
b. revendication dt! meuble H 1lé, qui était berucoup plus
�-
90 -
long dans notre ancien droit ; c'est Je souvenir de
la prescription ordinaire sous Justinien qui a fait choisir
celui de trois ans. Après cet espace de temps, le propriétaire est dune déchu du privilège que lui accorde l'article
2279-2°, et tombant dans le dro it commun il ne peut
plus agir contre le possesseur que s'il prouve que ce dernier, étant de mauvaise foi, ne peut prescrire que par trente
ans.
Ajoutons que le laps de trois ans dont s'agit n'est pas
un délai de prescription acquisitive puisque la loi n'exige
pas la continuité de possession chez le tiers acquéreur, et
n'envisage qu e la durée'de la dépossession du propriétaire;
c'est un délai de déchéance.
Nous devons rappeler ici que le Droit Français s'est
écarté en deux points du Droit Germanique : en comprenant dans le cas de vol les soustractions commises par des
domestiques, et d'autre part en retirant de cette catégori e,
celles dont se sont rendus coupables des époux, descendants ou ascendants (art. 580-586 C. P.).
A quel genre de meubles s'applique l'exception de l'article 2279?
elle-même s'ils
A tous ceux qui tomberaient sous la rèole
0
n'étaient volés ou perd us. Les titres au porteur qui auront l'un de ces deux caractères pourront donc être revendiqués pendant trois ans. La loi du 5 juillet 1872 dispose à ce sujet que le propriétaire dépoui llé de son titre
peut en réclamer un nouveau à la compagnie q1.1i a émis
le premier. La Cour de Rouen a jugé (14 janvi er 1820) en
vertu du même principe que lorsque une lettre de change
-
9t -
portant un endossement en blanc a été volée, celui à qui
le voleur l'a transmise peut être tenu pendant trois ans,
envers le propriétaire, à sa restitution : c'est dire que l'ex·
ception de vol s'applique aux effets de commerce comme
aux meubles corporels.
S'applique-t-elle aussi aux billets de banque? non, ils
sont assimilés en tous points à la monnaie d'or et d'argent
et si le voleur peut et doit être poursuivi, ceux qui les ont
reçus de bonne foi ne peuvent pas êlre contraints à les restituer, il leur aurait été trop difficile, impossible même
le plus soment, de s'assurer si celui de qui ils les tiennent
avait le droit d'en disposer.
Que faut-il dire des coupons d'action ou d'obligation
détachés de leur titre ? La jurisprudence, après les avoir
d'abord assimilés aux billets de banque dont elle déclarait
la transmission inattaquable, a fini avec raison par adopter
la solution inverse, c'est-à-dire qu'elle considère les coupons volés ou perdus comme sujets à revendicati~n , même
entre les mains d'un acquéreur de bonne foi pendant
trois ans. En e!Tet, si la négociation et la circulation des
coupons peut s'accomplir comme celle des billets de
banque avec une extrême facilité , il existe entre les deux
des di!Térences caractéristiques : les billets de banqne,
narticulier
at cun siane
•
.
.
r
~
monnaie conventionne11 e , n on1 1
qui établisse leur individualité , ils sont en outre remboursables à. toute époque; au contraire, les coupons
portent un numéro d'ordre qui permet de les rapprocher
de leur souche pou r les contrôler, et ils ne sont le plus
souvent détach6s du titre qu'au moment de l'échéance.
�-
9~
-
-
Cela suffit pour nous permettre de dire que les coupons
comme les actions elles-mêmes doivent entrer dans l'exception de l'article 2279 relative aux choses volées, d'autant
plus qu'il n'existe aucun texte autorisant à croire que la
loi n'a pas voulu les classer dans la catcgorie des meubles ordinaires.
Que faut-il entendre en notr~ matière, par choses volées ou perdues?
li sera souvent bien difficile <l'établir si une chose trouvée a été perdue ou seulement abandonnée volontairement
par son propriétaire. La distinction a cependant une
grande importance, puisque clans le premier cas seulement l'exception de l'article 2279 'applique, tandis que
dans le second la cbose étant devenue res nullius appartient légitimement au premier occupant. C'est là. évidemment un point ùe fait que les juges auront à apprécier en
se fondant sur des présomptions diverses. Ainsi, si l'objeL trouvé n'est que d'une très petite Yaleur, il est probable que le propriétaire s'en es t sciemment dessaisi,
tandis qu'on croira plus aisémen t qu'il l'a perdu si la valeur
est considérable.
On donne le nom générique d'épa\'es à toute chose dont
le propriétaire est inconnu. Dans l'ancienn e jurisprudence,
les épaves non réclamées étaient attribuées au seigneur
haut-justicier; aujourd'hui il n'y a pas de rènle uniforme
a t:e sujet, mais il existe quelques dispositions particuliè:es, .des. règlemen ts qui fixent dans certaines hypothèses
a qui doit appartenir l'objet perdu.
L'article 717 du Coùe civil dispose que Jes effets jetés
•
•
è')
95 -
à la mer ou rejetés par (:lie sont soumis à des lois spé-
ciales. Cet article fait allusion al'ordonnance de la ·Marine
ùe 1681, titre 8 et!>, L. IV, - a l'arrêté du 18 thermidor an X, - et au décret du 12 dér,embre 1806. Ceux
qui trouvent dans la mer ou sur ses rivages des objets qui
proviennent d'un naufrage, doiv~nt en avertir l'autorité
maritime qui les fait déposer en un lieu sûr, et après l'an
et jour, si personne ne les a réclamés, ils sont attribués
pour les 2/5 à l'Etat et pour l'autre tiers à l'inventeur.
L'ordonnance des eauK et forêts de l 669 et une loi du
15 avril 1829 disposent que les épaves trouvées dans les
neuves deviennent la propriété Je l'Etat, qui peut les
vendre après un mois, lai.sant au propriétaire un mois
encore pour en réclamer la raleur.
Un décret du 13 août 1810 attribue aussi à l'Etat les
objets perdus dans les bureaux <le messageries ou chez les
entrepreneurs de voitures publiques et la vente peut en
être faite six mois après la perte.
Un autre décret du 18 juin 181 t (art. 39) décideque les
bestiaux trouvés errants et sans maître seront mis en fourrière et vendus huit jours plus tard au bénéfice du trésor
public.
Enfin une loi du 31 janvier t 853 reconnait appartenir
à. l'Etat les sommes confiées à la poste, si elles ne sont
réclamées dan s les huit années du dépôt.
En dehors <le ces cas spécialement prévus par la loi•
la propriété définitive d'un objet perdu doit être attribuée
al'inventeur . .Mais au bout de combien de temps ? Quelques auteurs, s'en tenant rigoureu ement à la lettre
�-
94 -
de l'article 2279 ont dit : au bout de trois ans. Nous ne
le croyons pas, car ce texte ne reçoit d'application que
lorsque le possesst>ur est de bonne foi, et celui qui a
trouvé un objet sait au contraire à. n'en pas douter qu'il
appartient à autrui. Bien plus il doit faire des recherches
à ce sujet, aller faire sa déclaration au commissaire de police ou au greffe ùu tribunal, de peur que sa conduite
ne puisse être considérée comme une dissimulation frauduleuse, assimilable au vol. Il faut donc appliquer le droit
commun de l'artiele 2262, et dire que l'inventeur ne sera
propriétaire incommutable qu'au bout de trente ans.
L'article 579 du Code Pénal définit le vol : une soustraction frauduleuse de la chose d'autrui. Le Droit Romain
moins restrictif considérait comme tel tout maniement
fraud uleux du bien d'autrui, de telle sorte que le dépositaire ou le créancier gagiste qm non-seulement vendait,
mais même se servait de la chose dont il n'était que nanti
se rendait coupab le aux yeux de la loi . Le Droit cou tumier
n'admit pas une pareille extension et Bourjon disait :
« L'effet mobilier furtif peut être rev.mdiqué même des mains
de l'acquéreur de bonne foi pourvu que I.e furte soit constaté. ])
Il ne fau t donc pas, comme certains auteurs et plusieurs
Cours d'appel l'ont fait 1 , assimiler au vol l'escroquerie et
l'ab~s de co~fi.ance, délits auxquels la loi donne une qualificat10n spéciale et qu'elle punit de peines particulières.
Toullier 0-IV, n• ~ 18) - Troplong (II. 1069). - Lyon, 28
i
nov. 56 (D. P. 57, 2, 136). - Bordeaux 3 1·anv 1;9 (D p 1· 9 "~
'
)
~ 64),
V
'
'
\)
)
95 -
Ce qm constitue le vol, c'est l'enlèvement, l'appréhension
de la chose à l'insu et contre le gré de celui qui la possède.
Ce qui au contraire constitue l'abus de confiance, c'est le
détournement d'un objet par celui-là même qui déjà. le détient au su et au gré du possesseur. De même en est-il
pour l'escroquerie : ce n'est pas le coupable qui vient
lui-même s'emparer par ruse ou violence de l' objet
dont il convoite la possession, c'est le propriétaire luimême qui trompé dans sa confiance au moyen d'intrigues
et de circonstances frauduleusement amenées, prend l'initiative de remettre l' eliet mobilier aux mains de l'escroc.
Or, ce fait de la part du propriétaire de se dessaisir volontairement lui ôte le droit d'invoquer le bénéfice de l'article
2279, et de revendiquer sa chose aux mains de celui qui
depuis lors l'a acquise de bonne foi. Bien plus, il a été
jugé que si ap rès avoir été victime d'un abus de confiance
le propriétaire opérait entre les mains du tiers détenteur
de bonne foi une saisie revendication et lui causait ainsi nn
préj udice, il lui en devrait réparation (Paris, 1anYier 1.851.
Sirey, 52, 2, 58. -- Tnb . de la Seine, 12 janvier 1882,
Gaz. du Palais, 82, 2, 77). Et en e[et, si une fraude a
été commise, il n'en est pas moins vrai qu'il y a eu dessaisissement volontaire et nous ne sommes plus dès lors
dans l'exception : Exceplio11.es sunt striclissimœ interpre-
talionis .
Il n'est pas besoin de se préoccuper des conséquences
pénales qne doit entrainer le vol pour donner au propriétaire l'exercice de son action en revendication. Ainsi, si ~i
raison de son âge l'auteur de la soustraction n'est pas
�-
96 -
punissable, l' arLicle .2270 n'en reçoi t pas moins son application, puisqu'il n'y co a pas moins eu enlèvement de
la chose contre le gré du propriétaire, et que c'est là ce
qui constitue le fai t sinon la culpabilité du vol, donnant h
l' objet dont il s'agit la qualité de chose volée et au torisant
la revendication.
Reste à. se demander si la revend ication serai t encor
possible dans le cas où s'agissant de choses fongibles,
l'acheteur les aurait consommées. - La restitution de la
chose el\e-mème n'est é\ idemment plus possible puisqu'elle n'existe plus, mais du moins le propriétaire ne
pourra-t-il pas ùemander des dommages-intérêts?
Distinguons : si l'ache•eur a été de mauvaise foi en
consommant, il est certain qu'on peut dire qu' il y a délit
ou quasi-délit donnant lieu à l'application des articles
1582, 1385, mais s'il a été de bon ne foi, on ne peut plus
l'accuser de faute et il ne peut être tenu que dans la mesure de son enrichissement, q11ate11i1s locupletior (accus est.
De mème si la chose a péri fû t-ce par la négligence de
l'acqnéreur, il est à. l'abri de toute poursuite: Nulli querelœ
subjectus esse potest qui rem quasi suam negla.rit. ,,
L'exception de l'article 2279 reçoit elle-même une restriction dans les termes de l'article 2280 :
Lorsque le possesseur a acheté la chose perdue ou yolée
dans une foire ou un marché, dans une vente publique, ou
d'un marchand Yenùant des choses pareilles, si le propriétaire veut se la faire restituer, il doit d'abord oITri r au
possesseur le prix que celui-ci a déboursé. La raison d'être
ùe cette décision se conço it facilement . En effet, si dans les
-
97 -
cas ordinaires, l'acheteur qui est obligé de restituer la chose
volée ou perùu e, et qui veut exerser son recours comme de
droit Cù nlre Je vendeur, trouve celui-ci insolvable, il doit
s'imputer à lui-même de ne s'être pas mieux enquis
de la moralité de cc dernier. Mais, dans les cas spéciaux
de l'article 2280, l'erreur du possesseur est aussi légitime
que sa bonne foi est évid ente, et il serait iuj uste de le dépouiller de la chose en lui faisant perdre en outre le prix
qu' il en a payé . D'ailleurs l'intérêt public lui-même exige
qu' il en soit autrement , car si l'on ne donne point de sécurité à de pareils acheteurs, le commerce devient impossible, - Ce n'est là bien enten du qu' une exception et
comme telle elle doit être restreinte dans ses limites ricrou1!>
reuses.
Le pro priétaire qui rembourse au possesseur évincé le
prix qn'il a ùéboursé n'est pas obligé de lui tenir compte
des intérêts de ce prix parce que la jouissance qu'il a eue
ùe la chose lui en a tenu lieu. O'un au tre côté si le possesseu r avai t fa,it pou r la conservation de cette chose des
dépenses nécessaires ou tout au moins utiles, le propriétaire
en serait débiteur pour le tout dans le premier cas, et
jusqu'à concurrence de l'augmentation de Yaleur dans le
seconù , par application de celle règle d'équité que nul ne
doit s'enrichir aux dépens ù'autrui . Bien plus, le pc1sse seur aurait le droit de retenir la chose tant qu'il ne ,erait
pas désintéressé. Quanù aux dépenses voluptuaires qu'il
aurait faites pour sa satisfaction personnelle, elles restent
entièrement à sa charge 1•
1 Il faut ajouter qno Io propriétaire doit en outre du prix. le·
frais et lo)aux co1\ts du contrat. 1< M. do Lamoignon, dit Troplong,
lo décidaiL ainsi et celle opinion est trop équitable pour être rejetêo. »
7
�-
-
98 -
Après avoir ainsi remboursé au possesseur ce qu' il lui
doit, le propriétaire conserve un recou rs contre celui par
le fait duquel il a élé injustement dépouillé, c'est-à-dire
contre le voleur ou l' inventeur de mauvaise foi . Ces
derniers ne doivent pas en effet s'enrichir aux dépens
d'autrui et comme ils sont personnellement tenus à 18. restitution de la cbose, ils doiven t ~l défaut , des dommagesinLérêLs.
Remarquons en dernier lieu que si l'acquisition de la
chose par le possesseur au lieu de provenir d'on acte à titre
onéreux, comme une vente ou un échange, résultait d'un
acte à titre gratuit , d'une donation ou d' un legs, il ne
pourrait pas être question de remboursement puisqu' il n'y
aurait pas eu de prix payé. Le tiers acquéreur aurait seulemen t le pouvoir d'user du dro it de rétention concédé par
l'article 2280 si à l'occasion de la chose 11 avait fait des
impenses nécessaires ou utiles .
Aux termes de l'article 2280 pour que le possesseur
puisse exiger le remb oursement du prix qu'i l a payé , il
faut que la chose ait été achetée par lui dans une foire, un
marché, une vente publique 0 1.1 d'un marchand vendant
des choses pareilles. Cette condition indispensable a donné
naissance à quelques difficultés.
Oo s'est demandé d'abord si les Monts de piété et en
général les maisons de prêt sur gage autorisées qu i reço ivent en dépôt des objets volés ou perdu s doivent êLre régis
par l'article 2280. En principe, il faut répondre affirmativement, à raison de lois et règlements par ticuliers sur la
99 -
matière , mais à. la condition que les formalités prévues et
imposées par lesdits règlements auront été suivies. Si, par
e:<emple, le dépôLa été fait par \jne personne qui n'était ni
connue ni domiciliée dans la localité, sur laqaelle le directeur de l'établissement devait avoir de justes soupcons, si
de toutes autres circonstances il ressort que la provenance
des objets déposés devait nécessairement lui paraître douteuse, il est sur que le propriétaire pourrait être autorisé à
reprendre son bien sans être pour cela obligé à rembourser
les avances faites au déposant 2 • 11 y a fa une question d'appréciati on qu'il appartiendra aux juges de trancher. C'est
là une décision fort sage qui sauvegarde tout à la fois et
l'intérêt des Monts-de-piété qui, obligés à. une extrème
discrétion ne peuvent pas évidement s' enquérir avec une
complète certitude de tous ceux qui viennent faire des
dépôts, et l' intérêt du propriétaire qui peut établir qu'on
n'a pris à. ce sujet ni ménagement ni précaution d'aucune
sorte.
On s'est posé aussi la question de savoir si celui qui
achète dans le comptoir d'un changeur un effet au porteur
volé peut, en vertu de l'article 2280, exiger aussi du propriétaire légitime le remboursement du pris. quïl a payé.
Nous le pensons ainsi, parce que les changeurs sont dans
l'usage d'acheter et vendre des valeurs, leur comptoir est
1
' Règ\oment du 8 thermidor an XUI, - Lettre du ministre de
la justice, 26 septombro 1836. - Circulaire ministériello du 30
mai 1861.
2
Cassation, 28 nov. 183':2.
�-
100 -
un endroit pnblic on chacun peut Yenir traiter ; ils
doivent en conséquence être placés dans la catégorie de
ceux que l'arücle appelle des marchands vendant des choses pareilles.
Toutefois, ces derniers mots doivent être pris dans un
sens essentiellement restreint et il ne faudrait pas aller jusqu'à penser avec Troploog que pour que l'article devienne
applicable, il suffit que l'acquéreur ait eu quelque sujet de
croire que son vendeur était véritablement marchand de
profession : Cette simple croyance ne suffira it pas. En conséq uence, si un tiers achète ùu premier venu se donnant
une qualité qu'il n'a p:is, une action, une obligation, une
valeur au porteur qu elconque qui a été volée ou perdue, il
subira la revendication du propriétaire san pt>uvoir deman·
der le remboursement dn prix par lui payé.
li en serai t tout autrement s' il avait acheté en Bourse.
Les Bourses sont en e!Tet considérées comme des marchés
publics qui rendent au commerce d' immenses avantages et
comme tels sont compris clans les term es de l'article 2280.
Cependant , dans un but de protection pour les propriétaires facilement dépouillés, une loi du 15 jnin 1872 autori:;e ces derniers, moyennant cert ai nes co nditions énumérées
dans son article 2, a former opposition au près du syndicat
des agents de change do Paris, par ooti fü;ation d'h uissier ;
h requérir ensuite pour préYeni r la négociation ou la transmi ssion des titres dont il a été dëpossédé, Ja publication des
numéros de ses titres (art. 11). Cette publication empêche
toute négociation postérieure an jour où le Lulletin a pu
parvenir dans Je lieu oil elle a él6 faite et conserve au
-
j
101 -
propriétaire le droit de réclamer sans être tenu de remhourser à. l'acheteur son prix d'achat.
Quand il s'agit de titres nominatifs, les formalités sont
plus simples et cela se conçoit car il est très difficile à celui
qui les délient de les négocier: le propriétaire n'a qu'à
signaler le fait de la perte ou du vol à la Compagnie qui a
émis le titre, an moyen d'un acte extraj udiciaire, et il s'en
fait délivrer un duplicata.
Dans tous les cas, le propriétaire dépouillé n'aura-t-il pas
contre l'agent de change ou le changeur qui a servi d'intermédiaire une action naissan t de la responsaLilité professionnelle de ces derniers? La qu estion a été prévue par la
doctnne et s' est présen téc en jurisprudence. On a plusieurs
fois décid é que les agents de change devaient garantir
l'iù cntité de ceux qui viennent les prier de Yendre des
valeurs pour leur compte. En d'autres term es, on a étendu
~\ leurs opérati ons, les dispos1t1ons de la loi du 21 mai
1791 et dn décret dn 19 brn m:iire An YI qui imposent aux
marchands d'or et d'argent l'obli gation de n'acheter qne de
personnes à eln connues. Pour cela on s'est basé sur un
arrêté du 2î prairial An X qui ùéclare les agent de change
rt->spon'abl es de la dernière signature apposée snr l' effet
qu'ils négocient. Une pareille argumentation Ct'ntenait une
erreur que la. Cour ile Cas-ation a relevée par un arrêt dn
'2 1 no,'embre 18 1-'5 tl:in, leqnel elle démontre que cette
disposition légi:;bti rn llû s'applique qu'aux. titres nomina·
ti fs puisq ue les lilr<'!\ :tn portcnr ne supportent aucune
signature . Les agenls de c11ange n•ont donc q··'1·:," certilîer la
sin cérité ùu titre, à justifier de l'ordre de vente par eu'\
�-
- 102 reçu et exécuté et de l'inscri ption de ces opérations sur
leurs registres commerciaux. Ils ne so nt en un mo t responsables que dans la mesure du droit commun , c'est-à-dire
dans le ClS de faute ét suivant les articles 1582 et 1585 .
C'est an tribunal qu'est laissée l'appréciation de savoir s' il
y a eu on non faute commi e.
Enfin, nous devons indi quer que sous notre législation
ainsi qu'en Droit Romaiu, le vice de perte ou de vol est
susceptible d'être purgé par le retour de l'effet mobilier
dans les mains du véritable propriétaire, et à condition qu e
celui-ci aura conscience qu'il reprend un droit dont il avait
été injustement dépouillé. Si donc il achetai t la chose icruoo
rant qu'elle était à. lui, et si plus tard elle passait sans son
fait à un second acquéreur même de bonne fo i, le retour
opéré un instan t dans ses mai ns ne ferai t pas disparaître le
vice de la chose autrefois volée, cl n'enlèverait pas à ce propriétaire le droit de revendiquer utilement, po urvu qu'il
fut encore dans les délais.
CHAPITRE
Nouveau x
ca~
Ill
d'applicac.iou de la règle
« Eu iaU de meubles po ssession vaut titr e
))
.
Nous avons vu déjà au cours do cette élude di verses
applications de l'article 2270 , en cc qui concerne la propriété pleine et entière des choses mobilières. Qu'en serait-
105 -
il d'un simple démembrement: droit d'usufruit ou droit
de gage?
Si quelqu'un reçoit à non domino un meuble pour en
avoir l'usufruit pourra-l-1\ opposer à. la revendication du
propriétaire l'article 2279 el soutenir qn'il a le droit d'en
conserver la jouissance? L'affirmative na saurait faire doute.
Il existe en l' espèce un argnmenl à fortiori de ce que nous
avons dit relativement à la propriété; à la charge toujours
de remplir les mêmes conditions.
Quand au droit de gage il peut être conventionnel ou
tacite et il bénéficie, dans les deux cas, de la règle : Eri fait
de meubles possession vaut titre. C'est surtol1t au point de vue
du gage tacite que nous avons à. examiner la question, le
législateur ayant établi dans cette partie des rêgles que
nous aurons à appliquer au gage conventionnel. On voit que
nous visons l'article 2102 du cod~ civil où, sous le nom
de certains privilèges sur les meubles, nous allons rencontrer de véritables gages tacites. Mais avant de montrer ce
que ceux-ci ont de corrélatif à. notre matière, rappelons en
peu de mots ce que l'article 2102 contient à. leur égard, en
commençant par le privilège du locateur d'immeubles qui y
est le plus développé.
On sait que le Droit Romain accordait au locateur une
hypo thèque snr le" eJTets mobiliers de son locataire. Mais il
fesait une di tiocti on en décidant que le propriétaire d'un
fonds urbain avait de plein droit l'action servienne, soit hypothécaire, sur les meubles apportés dans son bâtiment et
ce en vertu d'une con,·enlion tacite toujourssous entendue;
tandis que le maitre d'un rond rural n'avait ce même droit
�-
104 -
qu'en vertu d'une convention expresse : Eo jure utimur ut
quœ in prœdia ·urbana inducta, illata s11nt, pignori esse credantur, quasi id tacite convenerit ; i11 rusticis prodüs contra observatur. L. / V. Dig. pr . in quib. caus. pign.
Cette distinction était, diso ns-le, peu rationnell e et notre
législation ne l'a jamais admise. L'article 21 02, rep rod msant en cela le droit ancien, déclare que l·~ propriétaire
locateur acquiert un privil ège sur les meubles qui garn issent sa maison ou sa ferme.
Les mots qui garnissent, sont plus précis que ne l'avait
été l'article 171 de la Coutume de Paris, lequel semb lait
comprendre dans le privilège tous les meubles apportés
dans la maison, ou comme s'exprime cet article : Toi;s les
meubles t:tant dans ladüe maison. Ceux-là seuls au contraire
la garnissent qui y on t été apportés à perpétuelle demeure,
ceux sans lesquels les füvers appartements de la maison ne
paraîlraient pas complets: tels sont les meubles meublants,
les marchandises d'un magasin , les livres que con tient un
cabinet d'études, etc. , etc. Sont exclnes au contraire du
privilège les choses qui ne sont déposées que momentanément, comme l'argent qui est fait pour être dépensé el les
valeurs dont Potbier a très bi en dit : ([ Quro in solo jure
consistunt et nullo circumscribuntur loco » (Louage. n°148) .
.Maintenant, et c'est ici que nous rentrons sur le terrai n
de notre article 2279, si le locataire ap portait dans \a
maison ou dans la ferme des meubles qui ne lui appartien nent pas, ceux-ci tomberaient-il s sous le privi lège?
Oui sans doute, la loi ne <li~ Lin gue ras eL ne doi t pas di stinguer. De même que celui qui achète un meuLte n'appar-
-
105 -
tenant pas ason vendeur en acquiert la propriété par la
possession, de même et a fortiori le locateur acquiert sur
les meubles apportés par le locataire qui n'en est pas le
maître, le droit de gage légal, simple démembrement de la
propriété. La possession qu'ils reçoivent a non domino les
investit tous deux et par elle seule du droit qu'ils ont entendu acquérir; pour eux la possession vaut titre.
li est vrai que le maitre des objets apportés pourra de
cette façon devenir victime de la confiance qu'il avait mise
dans le Jccataire, mais il doit s'imputer à lui-même de
l'avoir si mal placée. Bien plus digne de faveur est le propriétaire locateur, qui ayant reçu des meubles dans sa maison
a du croire qu'ils appartenaient à celui qui \es y a mis. 11
ne doit pas être victime ù'une erreur de sa part ioc',·i table.
D'a illeurs, le maître des meubles peut toujours sauvegarder
ses intérêts en fesanl signifier au locateur, lors de l'apport,
que lesdits meubles n'app.ir tiennenl pas au locataire. C'est
dans ce sen timent que l'article 181 5 dispose que lorsque le
cheptel est confi é au fermier par un tiers, celui-ci doit en
faire la notification au pt'Opriétaire ùe la ferme, sans quoi
ce dernier pourra sai ir et faire vendre les téles de bétail
pour se payer de ce que lui doit son fermier.
Pour que le locateur pui se exercer son pri\'i\ège, il fau t
qu' il ait été <le bonne foi, c'e t-à-dire qu'il ait pu croire que
les meubles apportés dans la maison par le lo~ataire étaient
bien sa propriété. Mais ici comme en règle générale, la
mauvaise foi ne se pré urne pas et ce serait au propriét.:iire
des meubles à. la prou,·cr. Il est toutefois certaines choses
que le localeur n'a pas pu un ~eul inctant consitlérer
�-
-
106 -
comme appartenant à son preneur, sur lesquelles par conséquent il n'a pas du compter; par exemple si celui-ci est
horloger ou relieur, les montres et les livres qui ont été mi s
chez lui en reparation.
Il ne rentre pas dans le cadre de cette étude de nous
étendre sur le point de savoir quelles sont les créances du
locateur ainsi garanties par l'article 2102. Disons en un
senl mot que ce sont les loyers et fermages et tout ce qui
touche à l'exé.cution du bail.
L'exception de l'article 2279 trouve elle aussi , dans
l'espèce, son application. Il est incontestable que si les
meubles qui sont déposés chez le l ocata~re étaient des objets
vol és ou perdus, le locateur ne pourrait pas exercer sur eux
son privilège et le prnpriétaire pou rrait les revendiquer
pendant trois ans.
Il ressort des explications qui précèdent que pour que le
privilège puisse être exercé il fant qu'il y ait possession.
En conséquence si les meubl es sont déplacés avec le
consentement du bailleur , celui-ci perd son privilège; par
contra, s'ils l'ont été malgré lui, il conserve son privilège
et pourra les saisir en quelques mains qu'il les retrouve,
en exerçant la revendication, dans les 1 ~ j o urs s' il s'agit
d'une maison, dans les /i-0 jours s'il s'agit d'une ferme. Cette
différence dans les déle.is provient de ce que le locateur sera
pl us facilemen t et plus tût averti dans le premier cas qu e
dans le second, du détournement commis.
Cependant si quelques meubles ayant été déplacés par le
locataire, il en restait encore une quantité suffisante pour
garantir le paiement des loyers, le bailleur ne pourrait pas,
107 -
croyons-nous, empêcher d'une façon arbitraire el absolue
le déplacement partiel, il pourra avoir recours à la saisiecraaerie saufau locataire à la faire invalider en justice. C'est
l!>
ce qui résulte implicitement des termes de l'article 17~2
d'après lequel le locataire ne peut être expulsé que s'il ne
garnit pas la maison de meubles suffisants.
Revendiquer signifie ici reprendre non la propriété mais
la possession. Et le privilège donne naissance à. un droit de
suit6 qui en est Je complément et la sanction .
Le fait de la part du locataire de déplacer le meuble sans
le consentement du locateur constitue en quelque sorte un
vol du droit de gage. Or, l'article 2279 déclare précisement,
dans sa dernière partie, que la revendication est possible
toutes les fois qu' il y a vol de la chose. De même donc que le
propriétaire volé peut reprendre son meuble là où il le
trouve, de même Je locateur peut reprendre son ga.ge ent~e
les mains du tiers qui l'aurait acheté quoique de bonne foi,
avec celte différence pourtant qu'au lieu de 5 ans le locateur n'a que 1t> ou t~O jours pour exercer l'action en reven·
dication. Après ce délai, cette action ne serait plus recevable à moins que le tiers acquéreur n'eut été de mauvaise
foi , auquel cas il ne peut être à l'abri de poursuites qu'a<!)
.
près 50 ans.
Il ne résulte pas de ces observations, remarquons-le bien,
que ce gage so it un e hypothèque sur meubles comme e?
Droit Romain ; dans cette législation, en elîet, le droit
suivait la chose alors même qu'elle était aliénée avec le
consentement du propriétaire locateur, chez nous au contraire, en pareil cas, le gage serait éteint.
�-
-
108 -
Le co nsentement nécessaire pour que Je locateur no
puisse plus exercer son droit de sui te n'a pas toujours
besoin d'être exprès. Il suffira par exemple qu' il ne s'oppose pas à ce que son locataire continue la vente habituelle
des marchandises qui sont déposées dans ses magasins.
Celles-ci, en effet, étant destinées à être vendues, le locateur est censé avoir co nsenti dûs le p1·incipe à ce qu'elles
puissent être enlevées sans autorisation spéciale, il y serai t
même obligé, car ça été fa une clause tacite du bail. Le locatenr ne pourrait arrêter les opérations de son locataire marchand. que_ s'il n'était pas payé de ses loyers, auquel cas il
devrait agir par une saisie gagerie, sauf à la faire valider
ensu ite par 1 ~ !ribonal et à procéder à Ja vente publique
des effets sa1s1s selon l'arlicle 821~ du code de procédure.
Enfin, si les meubles enlevés par Io locataire de la maison
ou de la ferme du locateur et sans le consentement de ce
dern ier avaient été vendus à un tiers de bonne foi par un
marchand vendan t des choses parei lles, on par tonte antre
personne dans une vente publique ou un marché, l'article
2280 recevrait aussi son application et le locateur ne
pourrai t utilemen t revendiquer qu'en remboursant au
possesseur le prix qu e celui·ci avait débo1trsé.
Tout ce que nous avons dit du propriélaire localcur doiL
par
el a plus forte raison <lu créancier Drrao-iste
être dit aussi
~
.
contrat, puisque le premier n'a qu'un droit de gage tacite
et le second on droit formol. Si donc, son débiteur lui
remet en nantissement une chose qui n'est pas sienne, il
él.Cquerra aussitôt sur ce meuble un droit de 0(Jagc en vertu
Jo l'article 2279 ; c'est l'opinion coscignûo par tous los
l
,
109 -
au teurs 1• De même, il pourra revendiquer dan les mains
de qui que ce soit la chose à loi engagée, s'il l'a perdue ou
si elle lui a été volée. Toutefois, le ùélai dans lequel il
pourra exercer son él.Ction ne sera plus le même que pour
le propriétaire locateur , car la loi n'a pas établi à. son égard
de disposition spéciale. Il faudra suivre dès lors la règle
habituelle de l'article 2279 qui donne trois ans pour revendiquer le meuble vo lé ou perdu 2 • Tout en ad mettant cette
solution imposée par le texte, noas ne pournns pas nous
empêcher de remarquer qu'en pareille hypothèse le délai
de trois ans est quelque peu exagéré, car il n'est véritablement pas possible que le créancier gagiste ait !aissé s'écouler un temps si long sans s'apercevoir qu'on lui a volé la
chose dont il était nanti. S'il a gardé le silence jusqu'alors,
le tribunal pourrait selon les circonstances voir dans cette
inaction un abandon tacite du gage et l'on sait qu'il est souverain appréciateur ùes faits.
Ici encore, il va sans dire que si le possesseur actuel avait
acquis do bonne foi la chose dans une des circonstances
prévues par l'article 2280, Io c1'éancier gagiste devrait lui
rembourser son prix.
Les mêmes explications s'imposent relativement au privilège qui est donné a l'~ubergiste : (art. 2102 - 5°) pour le
paiement de ses fournitures sur les effets que les roya.geurs
apportent dans son auberge, alors même qu'ils appartiennent à autrui et poorrn qu'il ait été de bonne foi. C'est
Duran100. t. 48, n• 533.
t Delvincourt, 1. 3, p. 668. - Bugn0t sur Pot hier, t. :>.
~ Valette.
�-
110 -
encor là l'application de l'article 22i9 . Il n'y a rien d'ailleurs que de très équitable, car l'aubergiste ne peut guère
apprécier la solvabilité des personnes reçues chez lui que
par les effets qu'elles apportent. Ne pas considérer ces
objets comme une garantie des paiements qui lui sont dus
serait le rendre bieo souvent victime de sa confiance.
Ce privilège, comme celui du locateur, est fondé sur
une idée tacite de gage et partant est subordonné à la
conservation de la possession. Il s'en suit que si le voyageur a fait dans un voyage précédent des dépenses qui
n'ont pas encore été soldées, l'aubergiste ne pourra pas
à leur occasion exercer son droit sur les meubles actuellement apportés chez lui, parce qu'en ayant perdu la possession en temps opportun, il est censé avoir renon cé
à son privilége. li peut toutefois revendiquer lui aussi les
objets qui ont été enlevés de son auberge d'une façon
abusive et à son insu.
On s'est demandé relativement au privilège que l'article
2102 6° accorde au voituri er sur la chose transportée à.
l'occasion des frais de voiture et dépenses accessoires, s'il
repose lui aussi sur une idée de gage ou sur celle de plus
value ? La question est importante, car dans le premier
cas seulement, le voiturier perdra son droit dès qu'il se
sera dessaisi et le tiers acquéreur de bonne foi pourra lui
opposer la règle : « En fait de meubles, possession vaut titre. D En revanche, il acquéra sur les objets voiturés un
droit de gage, même fussent-ils à. autrui, et au besoin un
droit de revendication. C'est la pt·0mière opinion que
nous croyons devoir admettre avec le plus grand nombre
- Ht d'auteurs, par la raison que le privilège ne s'éteint pas
si l'on transporte l'objet d'un lieu, où il est coté à. un
prix très élévé, clans un autre où il aurait uoe moindre
valeur.
Le 4° de l'article 2102 en doonant au vendeur des meubles un privilège sur la chose vendue et non payée, nous
présente encore de nombreuses applications de l'article
2279 et même une extension nouvelle qu'on n'aperçoit pas
tout d'abord. Il faut pour ce motif analyser à fond cette
partie.
L'article di t : Le prix d'effets mobiliets sera payé de pré{érence s'ils sont encore 1m la possession de l'acheteur. D
A première vue, cela n'offre auclllle difficulté et semble
signifier que le privilège existe tant que le meuble n'a pas
été revendu, que l'acheteur en a gardé la propriété, et
qu'il s'e.!Tace au contraire par la reYente, en vertu de ce
principe que si les charges nées du chef des précédens
propriétaires passen t sur les nouveaux, lorsqu' il s'agit
d'immeubles, il n'en est pas de même pour les meubles.
C'est ce qu'on exprime par cet ancien adage : «Les meubles
n'ont pas de suite par hypoth~fJ.tte . D
Faut-il prendre le mot de vossesswn employé par l'article
dans le sens de propriété? Et comme d'après une grande
de notre droit nouveau la propriété se transmet par
rè<Yle
0
le seul consentement, faut-il dire que même au cas où le
premier acheteur aurait gardé b possession du meuble,
ayant été autorisu ~t ne le livrer au second qu'à un terme
convenu , le privilège du vtmùeur primitif est éteint?
Cc serait fa changer pleinement le mot de l'article et
C(
�-
112 -
c'est néanmoins l'opinion adoptée par quelques auteurs,
notamment par f\larcadé qui raisonne de la manière suivante :
Il faut, dit-il, saisir la pensée du législateur même sous
Je terme impropre dont il s'est servi. Le mot de possession
es t un souvenir de l'ancien droit suivant lequel la propriété n'était transférée qu e par la tradition. Tant qu e
celle-ci n'avait pas été faite Io vendeur restait propriétaire,
et il était alors exact de dire que tant qu'il conservait la
possession et la propriété réunies, le privilège du premier
vendeur devait continuer à grever le meuble. :Mais aujourd'hui que la propriété se transmet solo consensu, avant tou te
remise de possession, il faut dire que le privilège du premi er Yendeur s'est éteint en même temps ; le fait qui a
Llépbcé la propriété a dû l'anéantir, sinon vous livrez les
meubles au droit de suite.
Cette opini on de Marcadé a été rejetée par la plupart
des auteurs : Troplong, Zachari::c, Valette, Paul Pont, etc.
etc...
Nous sommes de leur avis.
li ne faut pas changer facilement un mot employé par la
loi ; on ne peut se le permettre guo lorsqu'il est impossible de lui donner un sens rationnel. Or, le mot de possession écrit dans l'article 2'102 a sa raison d'être et c'est
ici que nous allons rencontrer une appl ication nouvelle de
l'article 227!>.
Tant que le premi er acheteur garde entre ses mains le
meuble non payé, so n vendeur es t autori sé à croire qn'il
en est demeuré propriétaire et it agir en conséquence;
-
113 -
sinon, il serait trop aisé de le dépouiller de son droit. Il
faut un fait public, patent, pour l'avertir que ce droit va
s'éteindre; or, ce fait public est, pour les meubles, la
possession. Inutile quand il s'agit d'en transférer la propriété cotre les parties contractantes, c'est elle qui désigne
aux tiers le propriétaire, et la publicité qu'elle produit est
surtout nécessaire quand il faut savoir si des droits antérieurement acquis sur ces meubles sont conservés ou perdus.
Pour mieux expliquer notre pensée faisons un rapprochement : nous prendrons comme exemple la vente faite
par un autre que le propriétaire de la chose, la vente à
non domino. Si le tiers chez qui j'avais déposé un meuble
ou à qui je l'avais prêté, trahissant ma confiance le vend à
mon insu, l'acheteur, quoiqu' il soit parfaitement de bonne
foi, nou s le supposons, n'aura pas acquis le meuble par Je
seul eiTet de ce contrat; il devra attendre qu e remise lui
en soit faite et pourra alors invoquer la règle possession vaut
titre. Cette possession me dépouillera en même temps,
faisant en un instant ce qui exigeait autrefois un an ou
même trois ans. Mais il faut qu' elle existe, que le fait public qui la constitue ait eu lieu en réalité; la volonté intime
des parties n'aurait pas suffi. Si elle suffit quand le droit
sur lequel on traite apparLieut à celui des contractants qui
veut le céder, elle ne peut et ne doit pas suffîre quand
c'est le droit d'un autre qui est en jeu. C'est déjà beaucoup que la mise en possession, cette exécution publique
du contrat, éteigne le droit d'autrui par elle seule et on un
instant, n'allons pas jusqu'à l'éteindre par anticipation.
8
�-
114 -
De même donc que la vente faite par le non domirms
laisse la propriété à l'ancien et vrai maître tant que l'acquéreur de bonne foi n'a pas reçu la possession, de même
le vendeur d'un meuble non payé garde son privilège tant
que son acheteur bien qu'ayant revendu n'a pas fait livraison, en un mot tant qu'il est resté en possession. Cela explique et justifie pleinement le mot employé par l'article
21 02, il faut prendre ce mot à la lettre.
Il est facile de voir maintenant en quoi cette théorie de
r article 2102 touche à l'article 2279. L'un et l'autre ont
eu le même objectif: la possession. L'article 2279 s'était
occupé surtout de procurer à l'acquéreur de bonne foi un
droit nouveau par la possession, il lui assure la propriété.
L'article 2102 pourvoit à. ce que les droits antérieurement
acquis sur !~meuble soient conservés, tant que la pos session en est restée à. l'ancien maitre, et bien qu'il en ait
perdu la propriété.
Ce dernier article donn e donc une extension nouvell e
au premier, ainsi que nous l'avions annoncé.
La théorie que nous venons de développer facilitera
l 'ex pli~tion de ce qui nous reste à dire sur l'article 2102.
Les mots : « tant que le premier acheteur sera resté en
possession )>, auront le même sens qu e ci-dessus, lorsqu'il s'agira du second droit accordé au vendeur, savoir la
revendication dans la huitaine de la livraison.
La revendication ... de quoi? Une grande controverse a
eu lieu à. ce sujet. Revendiquer indique ordinairement la
réclamation que le propriétaire fait de sa chose entre les
mains d'u n tiers. Est-ce dans co sens que le mot est pris
-
H?S -
ici ; le vendeur a-t-il le droit de réclamer dans la huitaine la
propriété du meuble non payé? - Il l'avait en Droit Romain, mais il ne l'a plus aujourd'hui. La revendication que
l'article 2102 autorise n'est que la reprise de ce qu'on a
appelé le droit de rétention.
Dans le Droit Romain, quand la vente était faite sans
terme, la tradition ne transférait pas la propriété tout de
suite, si le prix n'était payé en mème temps. Le vendeur était censé avoir fai t de ce paiement une sorte de
condition qui suspendait le transfert. Tant que la condition
n'avait pas été accomplie, le vendeur demeurait propriétaire de la chose comme si la vente n'avait pas eu lieu : res
erat inempta. Il suit de là. qu'il pouvait la reprendre entre
les mains de l'acheteur comme il l'eut fait à l'encontre de
tout tiers qui aurait détenu la chose sans droit. C'était une
véritable revendication : le mot gardai t son sens propre.
No tre droit ancien ne l'avait pas entendu ainsi. L'article
176 de la coûtume de P:i.ris disait : Qui vend aucune chose
mobilière sans jour ni terme. espérant etre payé promptement,
il peut sa chose poursuivre en quelque lieu qu'elle soit transportae, vour ètre payé du pria; qii'il l'a vendue; et Dumoulin dans
ses notes ad consuetudines Gallicas expliquait mieux encore
la disposition, en disant : « pour recouvrer la chose et en
demeurer saisi jusqu'à ce qit' il ~oit payé. > En d'autres termes,
la reprise était faite à. titre de gage ; l ~ vendeur n'entendait
pas recouvrer la propriété comme s'il n'y avait pas eu vente,
il voulait au contraire maintenir le contrat et rentrait seulement en possession de l'objet vendu pour assurer le paiement du prix.
�,..
-
116 -
Le Code Civil a adopté cette manière de voir. L'article
1612 permet d'abord au vendeur de ne pas délivrer la
chose s'il n'est pas payé du prix; et si lrop confiant il l'a
livrée et que l'acheteur trompe son espérance, l'article 2102
l'autorise à reprendre la possession qu'il aurait pu garder,
mais ce n'est jamais qu'à. titre de gage ; il ne s'agit pas
d'anéantir la vente faite.
Voilà le sens du ~ot revendication dans notre article. Il
faut convenir qu'il était amphybologique et semblait indiquer la reprise de la propriété. Aussi beauco~p d'auteurs
s'y étaient trompés ; Duranton, Troplong avaient vu dans
l'article 2102 un retour au Droit Romain. On sait qu e l'explication que nous venons de reproduire a été donnée pour
la première fois par M. le Professeur Vuatrin et elle a fermé,
croyons-nous, la porte à. l:l. controverse.
La reprise de son gage n'est permise au vendeur qu'a
trois conditions, c'est d'abord, qu'elle ait lieu dans un
temps fort court: huit jours depuis la livraison, c'est-a-dire
depu is qu'il s'est dessaisi et non depuis la vente. Cette
reprise ùe la possession qui anéantit retroaclivement la délivrance consentie, doit avoir lieu au pins-tôt, dans l'intérêt
des contractants et dans un intérêt général. - Une seconde
condition est que la chose vendue n'ai t pas souliert de
changements tels qu'on ne puisse plus en reconnaître
l' identité; et une dernière, c'est qu'elle soit encore en la
possession du premier acheteur.
Nous n'avons pas à. nous expliquer sur la seconde de ces
conditions et nous avons développé la troisième dans les
pages précédentes, lorsqu'il s'agissait du privilège propre·
-
H7 -
ment dit du vendeur. Ajoutons seulement que tou te cette
économie de l'article 2102 ne s'applique qu'au cas où le
vendeur n'a pas accordé terme a l'acheteur. La distinction
étail déjà. faite dans le Droit Romain, de même en est-il
chez nous. Quand le vendeur s'est obligé à livrer et livre en
e[ et la chose en co nsentant a n' être payé que pins tard, il
abandonne son droit de rétention de l'article 1612 et perù
par celà.même le droit de le reprendre d'après l'article 2102.
Il perd en d'autres termes son droit de revendication dans
la huitain e, mt is il ne perd pas son privilège.
Ceci nou s ramène 11 l'article 2279 veri lable objet de cc
travail ; d'ailleurs, si nous avons donné sur l'article 2102
une explication forcéme nt un peu longue, c'est que tout ce
qu e nous en avons dit était indispensable pour ce qui suit :
Le privilège ùu vendeur se présente donc sous deux formes : ou il e t accompagné de la rétention matérielle du
meuble, soi t que le vent.leur ai l refusé de le livrer en vertu
de l'articl e 161 2, soit qu'il l'ai t repris en vertu de l'article
2 102 ; ou bien il s'est dessaisi du meuble et l'a livré à.
l'acheteur ayant confiance en lui. Au premier cas, c.'est un
gage parfait, qu'est-ce en effet que le gage si ce n'est la
réun ion de ces <leux éléments : détention matérielle d'un
meuble par le créancier, droit pour lui d'être payé de préférence sur le prix ? au second cas, la détention manquant,
ce n'est plus le gage véritable mais un privilège sui generis
créé par la loi.
Les conséquences seront di fférentes au point de Yuc de
l'article 2279, selon que le privilège du vendeu\' se présentera sous l' une ou l'autre de ces deux formes.
�-
118 -
i 0 Si le vendeur est privé malgré lui du meuble qu'il
retenait, soit qu'on le lui vole ou qu'il l'ait perdu casu fortuito, l'acquisition de bonne foi par un tiers aura-t-elle
éteint le privilège du vendeur au moment de la mise en
possession en vertu de l'article 2279? Non ... Il faudra
pour cela attendre trois ans, car le droit qui résullait pour
le premier vendeur de sa possession, droit dont il a été dépouillé involontairement est comme une chose volée ou
perdue qui ne permet l'application que du second paragraphe dudit article. Le premier vendeur est alors dans la
même situation que le gagiste conventionn el.
2° Si le premier vendeur a. livré la chose vendue à l'acheteur et si celui-ci la revend à un tiers de bonne foi, qu'en
est-il du privilège? - Il faut dédoubler la question : ou le
second acheteur a payé son prix ou il le doit encor lui aussi.
S'il a payé le prix en recevant la chose, le privilège du vendeur primitif es t à. coup sùr éteint. En efiet, le second
acheteur a cru le meuble fran c de toute charge, il a été de
bonne foi, sa possession doit effacer Je droit de privilège
qui grevait le meuble comme elle aurait eiTacé la propriété
même s' il y avait eu vente a non domino : possession vau t
titre. - Si au contraire, le prix de la seco nde vente n'a pas
plus été payé que celu i de la première, s'il y a eu même
plusieurs ventes successives sans qu'aucun prix ait jamais
été payé, on a soutenu 1 que le privilège du premier ve~de ur
élait toujours conservé et pourrait être exercé sur le prix
1
Paul Ponl
-
11 9 -
distribué tôt ou tard ùe la dernière vente, pour nombreuses
qu'elles aient été.
Nous ne croyons pas devoir adopter celle opinion quoiqu'elle s'appuie sur un e haute autorité. Dés que le second
acheteur (et ce que nous disons de lui doit s'appliquer à
tous les autres) a reçu le meuble, ignorant qu'il fut grevé
d'un privilège ou de toote autre charge, il l'a reçu franc et
libre ; tout droit qui grevait à. un degré quelconque le
meuble s'eiTace par su ite de sa bonne foi : possession lui
vaut titre.
Cette solution s'appuie encor sur cette autre règle : les
meubles n'ont pas de suite par hypothèque. Ce qui ne veut
pas dire qu'ils ne sont jamais soumis à. aucun droit de suite,
nous avons vu en eITet qu'ils le sont au cas de gage conventionnel, du gage légal du propriétaire locateur et de quelques
aotres ; mais cet axiome signifie que lorsqu'on acquiert un
meuble ne connaissant point les charges qui pèsent sur lui,
elles s'eITacent au profit de l'acquéreur, à la différence des
immeubles qui frappés d'une hypothèque continuent à. en
être grevés, quoique l'acheteur en ait complètement ignoré
l'existence.
Nous avons raisonné jusqu'ici en s1Jpposant que les
acquisitions successives du meuble avaient eu lieu de bonne
foi . S'il en était autrement, si le second acheteur en le prenant pour exemple, avait su que le prix n'était pas payé, le
pri' ilège du vendeur ne serait pas éteint, pas plus que dans
une vente a non domino, le vrai propriétaire n'aurait perèu
ses droits. L'article 2279 ne protège que la bonne foi .
Ceci fait naître uno ùernière question qui se rattache aux
�-
-
120 -
articles 2102 et 2279: Pour que le second acheteur soit de
mauvaise foi suffit-il qu'il ait su que le prix reste dû ?
On aurait pu en douter à première vue et dire: sa mauvaise foi n'existera que si le débiteur est insolvable, sinon
ceux qui ont traité avec lui ont pu croire qu'il payerait. Il
devrait en être, cc semble, comme dans l'action paulienne
(art. 1167) où la doctrine juridique exigeant pour qu' il y
ait fraude le doubl e élément du préjudice et de la connaissance qu'on en a, décide qu' il n' y a préjudice pour le
créancier que si l'acte attaqué a produit ou augmenté
l'insolrnbilitè dn débiteur.
Cette assimilation ne serait pas exacte, le texte et la raison
la repoussent. En elîet, l'article 2102, mettant le privilège
du vendeur en concurrence avec celui du locateur d' immeubles, donne la priorité à ce dernier dans le cas seulement
où il a ignoré que le meuble apporté dans sa maison ou sa
ferme n'avait pas été payé; ce qui implique que s'il l'a sn
il est déchu de sa priorité. Cette disposition doit s'appli qncr
évidemment à. tous les cas ana!ogues. Or l'article a parfaitement raison. Si, dan<; le cas de l'actio~ paulienn e, il faut
que le débiteur soit insolvable pour que le tiers soit déclaré
de mauvaise foi, c'est que les créanciers n'ayant pas de
droit sur tel bien plutôt que sur d'autres, il leur est indifférent que certains soient sortis de son patrimoine pourvu
qu'il en reste assez pour les payer. Dans notre matière au
contraire, le privilége constitu ant nne garantie spéciale sur
tel bien déterm iné, si cc droit ''icnt à être perdu il y a par
cela seul préjudice causé au créancier. Il sui t de là que si le
tiers acquéreur du meuble a agi connaissant cc préjudice, i1
12i -
y a dès lors contre lui le double élément qui constitue la
fraude: Eventus damni, consilium fraudis. li est dès lors,
de mauvaise foi.
On voit par tout ce qui précède combien l'article 2 t 02
est lié à l'article 2279 auquel nous avions joint déjà. l'article
1141. Ces trois textes se complètent l'un par l'autre et c'est
sur eux qu'est assise toute notre théorie. On voi l en même
temps combien l' article 2279 , si court dans sa première
formule, est puissant et fécond en applications dans notre
droit. Il y a J'autres applications encor que nous pou rrion~
rencontrer dans tout le parcours du Code Civil , mais on
trouvera, nous l'espérons, que nous en avons assez ana-
..
•
lysées.
Nous ponvons maintenant mieux caractériser la formule
de l'article 2279, et concilier par là peut ètre les opinions
diverses des jurisconsultes, dont les uns n'y ont vu qu'une
très ancienne disposition exhumée du droit germanique, les
autres qu' un changement apporté aux règles de la prescription. .. . Après avoir montré d' une part que l'article 2279
fait acquérir un e propriété nouvelle par une possession instantanée, modifiant profondément en cela sans doute la
prescription des meubles;
Et, d'autre part , comment en se complèlant par l'article
2102, il conserve des droits anciens sur un meuble dont
la propriété a passé à un antre, le premier maître n'en
ayant plus qu e la possession ;
Ayant mis ainsi on reli crles deux grand cITets de celle
�- t 22 théorie dont l' un s'applique à l'avenir, l'autre au passé,
nous dirons :
C'est là. une vieille règle que la loi moderne a conservée
par des motifs nouveaux ou mieux compris, et à laquelle
elle a fait produire des résultats complexes, les uns anciens, les autres nouveaux aussi ; le tout en vertu de la
possession ; et cela, so it pour faciliter la circulation des
meubles et le mouvement commercial, soit pour sauvegarder
des droits acquis.
En voyant comment la possession opère ici d' une manière exceptionnelle et remarquable, on reconnait la justesse de cette ancienne maxime de Loysel dans ses institutes
coutumières :
La possession est de grande dignité au Palais.
POSITIONS
,
Droit Romain
I. Le mineu r de 2?S ans qui a obtenu la restitutio in integrum contre une obligation par lui contractée, reste tenu
d' une obligation naturelle.
II. La dot mobilière est, à. toutes les époques du Droit
Romain, aliénable dans les mains du mari.
Ill. Dans le cas de traditio incertœ personnre, le droit du
derelinquens subsiste jusqu'à. l'oc:cupation de la chose par
un tiers.
IV. Un fideicommis peut être reçu et restitué per pro-
curatoreni.
V. La datio in solutum produit, comme le paiement,
l'extinction de la dette ipso jure .
oroU Civil .
1. Le propriétaire ne peut pas conserver' sans
ind~moilé,
les constructions faites par l'usufruitier sur le terram soumis à. l' usufruit.
�-
124- -
Il. Le mari ne peut pas avoir recours à la force publique
pour amener sa femme à réintégrer le domicile conjugal.
III. Les formalités et conditions prescrites par les articles
769 et suivants aux enfants naturels, au conjoint ou à
l'État, qui demandent à ·être envoyés en possession d'une
succession, ne sont imposées ni aux père et mère, ni aux
frères et sœurs qui demandent à être envoyés en possession
de la succession de leur enfant ou frère naturel décédé.
-
125 -
Droit maritime .
..
1. Dans le cas d'incendie sur un navire, on présume
qu e le sinistre a en lieu par fortune de ~er: et c'est à. l'~s
sureur à. établir on qu'il y a eu faute (s 11 n a pas garanti la
baraterie du patron) ou qu'il y a vice propre.
li. La signature de l'assuré n' est pas in?i~p.ensa~le,
lorsqu e la police est souscrite par l'intermed1a1re d un
IV. Les juges ont un pouvoir souverain pour apprécier si
les fai ts reconnus constants par un jugement de séparation
de corps, présentent une gravité suffisante pour justifier une
demande de conversion dudit jugement en jugement de
divorce. (Loi du 29 juillet 188/i).
courtier.
Le Professeur, Présidem de la Thèse,
G. BRY .
Droit Pénal.
L B DoYBN :
ALFRED JOURDA ,
Chevalier cle la Légion d' Honneur·
l. Dans le cas de complicité par recel, la prescription
commence à courir du jour ou l'action est exercée con tre
l'auteur du vol, et non pas seulement du jour où le recéleur
s'est dessaisi de l'objet.
II. La prescription en matière criminelle peut être
1nvoquée en tout état de cause, même après la déclaration
du jury, et les juges doivent la prononcer d'office si le prévenu ne l'o ppose pas.
vu et permb d' imprimer ·
Pour le Recteur,
L' Inspecteur d' Académie délégué,
G R A ' ET.
Chevalier de la Légion d'ho 1me11r.
m. Les experts nommés par un tribunal
ne peuven t être
considérés comme citoyens investi d'un service publ ic :
en conséquence le délit de diffamation qui les atteint en
leur qualité, est de la compétence des tribunaux correctionnels. (Loi dn 29 juillet 1881).
Vu,
i
�THÈSE POUR LE DOCTORAT
�
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Monographie imprimée
Description
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Ouvrages imprimés édités au cours des 16e-20e siècles et conservés dans les bibliothèques de l'université et d'autres partenaires du projet (bibliothèques municipales, archives et chambre de commerce)
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A name given to the resource
De l'usucapion en droit romain ; Origine, sens et application de la règle "En fait de meubles, possession vaut titre", Art. 2279-2280, en droit civil français : thèse présentée et soutenue devant la faculté de droit d'Aix
Subject
The topic of the resource
Droit civil
Droit romain
Description
An account of the resource
Etude de l’usucapion, fait d’acquérir juridiquement un droit réel que l’on exerce sans en posséder le titre, après l’écoulement d’un délai de prescription pendant lequel toute personne peut le contester ou le revendiquer
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Cabassol, Joseph (Avocat)
Faculté de droit (Aix-en-Provence, Bouches-du-Rhône ; 1...-1896). Organisme de soutenance
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence), cote RES-AIX-T-141
Publisher
An entity responsible for making the resource available
A. Makaire (Aix)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1885
Rights
Information about rights held in and over the resource
domaine public
public domain
Relation
A related resource
Notice du catalogue : http://www.sudoc.fr/241566290
Vignette : https://odyssee.univ-amu.fr/files/vignette/RES-AIX-T-141_Cabassol_Usucapion_vignette.jpg
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
1 vol.
IV-125 p.
23 cm
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
text
monographie imprimée
printed monograph
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/447
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
France. 18..
Alternative Title
An alternative name for the resource. The distinction between titles and alternative titles is application-specific.
Origine, sens et application de la règle "En fait de meubles, possession vaut titre" (Art. 2279-2280). - droit civil français (Publié avec)
Abstract
A summary of the resource.
Thèse : Thèse de doctorat : Droit : Aix : 1885
Cette thèse porte sur la notion d’usucapion, ou prescription acquisitive, qui consiste dans le fait d’acquérir la propriété d’un bien par celui qui le possède, après l’écoulement d’un délai de prescription pendant lequel le propriétaire non possédant peut le revendiquer. La seconde thèse porte également sur la possession, et plus particulièrement les articles 2279 et 2280 du Code civil, disposant qu’« en fait de meubles possession vaut titre ».
Résumé Luc Bouchinet
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence)
Biens (droit romain) -- Thèses et écrits académiques
Biens (droit) -- France -- 19e siècle -- Thèses et écrits académiques
Prescription (droit) -- France -- 19e siècle -- Thèses et écrits académiques
-
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/1/411/RES-AIX-T-133_Odon_Causes.pdf
043f0177ac73817e60813e39cffae3f4
PDF Text
Text
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UNIVKRSITK DE FRANCE -
FACULTE DE DROIT D'AIX
DES CAUSES
D'INTERRUPTION ET DE SUSPENSlON
DE LA
PRESCRIPTION
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ODON DE GlRA UD D'AGA Y
AV OC A T
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AIX
IMPRD1ERI!i: J . NICOT, R UE DU LOUYRE,
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�A MON PÈRE ET A MA. MÈRE
A MES PARENTS
A MES AMIS
�•
IN1tRODUCTION
La prescription peut, d'une manière générale, être
définie: Un moyen d'acquérir ou de se libérer par un
certain laps de temps et sous certaines conditions déterminées par la loi.
Son but est de fixer les biens dans les mains de détenteurs souvent dig nes d'intérêt, d'assurer aux débiteurs
leur tranquillité contre les poursuites des créanciers, et
de mettre fin, après des délais suffisamment prolongés,
à toute incertitude pour les uns contre les autres. Aussi,
est-ce à juste titre qu'elle a été proclamée par un philosophe des temps anciens la protectrice ciu genre humain,
patrona genm·s humani.
Le~ législateurs de toutes les époques ont compris la
nécessité de la prescription . Sans elle, en effet, il n'y a
pas de société possible. Comment admettre une société,
où les droits de chacun pourraient être remis continuellement eu question, sous préte:de de vices, dont l'origine
se perdrait dans la nuit des temps . La vie humaine ne
serait qu'un perpétuel procès, si, après des siècles, les
génération~ successives pouvaient encore être inquiétées
�-6-
-7-
pour des obligations contractées par les générations précédentes. Le temps, ce grand destructeur, auquel rien
n'échappe ici-bas, devait avoir, lui aussi, sa part d'action
dans l'acquisition des droits de propriété et dans l'extinction des obligations.
La prescription est donc .fondée sur les plus hautes
considérations d'ordre social et d'intérêt politique. Son
utilité est dès lors incontestable. Mais, si c'est là une institution nécessaire et indispensable, il ne faut pas cependa.ntq~ 'elle devienne une iniquité légale. C'est pourquoi,
si tous les législateurs l'ont admise dans leurs codes, tous
l'ont soumise à certaines conditions qui en limitent la
portée et les effets.
C'est ainsi qu'en fixant les délais pour arri ver soit à la
prescription acquisitive, soit à la prescription libératoire,
ils se sont demandé s'il n'y avait pas des circonstances
susceptibles de prolonger les délais antérieurement établis. Les circonstances qu'i ls ont prév ues dans cet ordre
d'idées, peuvent se ranger dans deu x catégories. Les unes
ont pour base la vigilance du propriétail'e ou du créancier ; les autres résultent de particularités inhérentes à
sa personne même, ou bien encore elles sont d'u ne
nature telle que, par la force même des choses, elles le
dispensent d'agir et arrêtent le cours de la prescription .
Les premières s'appell ent, en droit, causes d'1:nterrup tion; les secondes causes de suspension de la prescription.
L'interruption et la suspension diffèrent non seulement
au point de vue des actes qui les con::;tituent, mais encore
par leurs effets.
L'interruption, moyeu agressif, arrête le cours de la
prescription, et efface complètement le temps antérieur,
de sorte que la nouvelle prescription court du jour de
l'interruption. La suspension, moyen purement défensif,
anête bien , elle aussi, le cours de la prescription, Ill6is
son effet est beaucoup moins radical, puisqu'elle laisse
su bsister le temps antérieur, de façon à permettre au
prescrivant de compter, une fois l'obstacle disparu, et le
temps antérieur et le temps postérieur.
Cette première différence entre l'interruption et la suspension en entraîne une seconde très importante. Puisqu'avec lï nterrupbion c'est une nouvelle prescription
qui commence, elle pourra très bien ne pas avoir la même
durée que la première, elle sera tantôt plus longue, tantôt
plus courte. Ainsi la prescription en matière de lettre de
change s'établit par cinq ans; si elle est interrompue
par la reconnaissance du débiteur, reconnaissance opérée
par un acte ordinaire, qui n'a aucun caractère commercial ; la prescription, qui originairement était de cinq
ans, sera désormais une prescription trentenaire. Ce
changement provient de ce que la reconnaissance a
changé la dette c01:nmerciale en un e det.te civile. La solution serait inverse, si l'on donnait au titre d'une dette
civile la forme d'un titre purement commercial. La prescription quinquennale succèderait à la. prescription trentenaire. La _s uspension, au contraire, ne modifie jamais
la durée de la prescription dont elle empêche pendant
quelque temps l'accomplissement. Lorsque la cause de la
suspension a cessé, la prescription reprend son cours.
Ainsi u n possesseur est en train d'acquér ~r un immeuble
par la prescription de trente ans; vingt-cinq ans après
son entrée en jouissance, le tiers, contre lequel il prescr.it, meurt laissant un héritier mineur ; pendant le temps
de la minorité la prescription est suspendue, mais une
fois que l'héritier sera devenu majeur, cinq annétls seront
suffisantes au possesseur pour achever sa prescription .
L'interruption est, en générai}, un fait instantané, per-
�-8mettant à la. prescription de recommencer à courir au
moment même où elle est interrompue; la suspension au
contraire est nn fait continu, se prolongea.nt pendant un
temps plus ou moins long.
Bien que rufférentes dans leurs effets, l'interruption
et la suspension peuvent naître en même temps d'un fait
complexe. Un débiteur .reconnaît une dette actuellement exigible et s'engage à la payer dans un délai déterminé; la. prescription se trouve interrompue et suspendue
en même temps; intenompue, puisque le débiteur a
reconnu sa dette; suspendue, puisqu'il a contracté une
nouvelle dette accompagnée d'un terme.
Ce sont ces diverses circonstances, c'est-à-dire l'interruption et 1a suspension de la prescription qui feront
l'objet de notre étude, et que nous examinerons successivement dans trois parties distinctes: en droit romain,
dans l'ancien droit et sous la législation du Code civil.
PRE;tllÈU.E
P.&.RTIE
. DROrr ROMAIN
De l'Interruption
Les commentateurs distinguent en droit romain deux
sortes d'interruptions : l'interruption naturelle, qu'ils appellent 11surpalio natu.ralis, et l'interruption civile qu'ils
désignent sous Je nom d'1isu.1·patio civilis. La première
·résulte de la perte de la possession, la seconde de la poursuite judiciaire, de la litis contestatio.
Cette distinction établie, nous passons immédiatement
à l'étude de l'interruption naturelle, q1:1i est de beaucoup
la plus importante en droit r~ain. C'est même la seu le
cause d'interruption que connurent les Romains de l'époque classique.
�-
10 -
-
CHAPITRE Ier
De l 'Iutera•uptlon
~aharelle.
Cette cause d'înterruptioo était généralemenf appelée à
Rome usurpatio. UsU?·palio est interruptio u.rncapionis
(L. 2, D. De usmp. et usucap.).
Nous ferons remarquer en premier lieu qne cette dénomination J'm1&r-patio n'est pas rigoureusement exacte;
car, si l'interruption a son vent pour cause une usurpation
étrangère, souvent aussi elle n'est que le fait du propriétaire qui recouvre sa possession. L'interruption peut encore provenir soit d'un fait personnGI au possesseur, soit
d'on évènement fortuit et de force majeure; or, dans ces
hypothèses. la définition juridique du mot usutpatio n'est
pas applicable.
L'interroµti on naturelle consistant dans la perte de la
possession (L . tî, D. De 11sw·p. et U8ucap.), elle se produira chaq ue fois que la possession sera perdue. circo nstance indiquée dans les texte.~ que nous allons examiner.
La possession est le fondemen t, la base de l'usucapion;
sans elle, l'usuœpion ne peut pas s'accomplir. Sine posses11ione ii,suca7Jio contingere non potesl (L. 25, O. Deusurp .
et usucap. ).
La possession et l'usuGapion sont $i intimement liées
l'une à l'autre qne la perte de la prèmière entraîne forcément la perte de la seconde. Cc principe reçut toutefois
1t -
certains tempéraments commandés par les nécessités de la
pratique.
Ainsi. bien qua la possession ne soit pas comprise parmi
les droits du défunt transmis a l'héritier (L. 23, D. De
possess .), la mort du possesseur n'interrompt pas cependant l'usucapion: La raison de cette dérogation au principe repose sur cette idée que l'usucapion avait été
établie dans un but d'utilité publique, éviter l'incertitude
dans la propriété. Or, ce but n'aurait pas été atteint , si la
mort avait interrompu l'usucapion . Du reste, il est évident que, dans son principe et considérée en elle-même,
la possession n'est qu'un simple fait, échappant aux règles
édictées par le législateur pour l'acquisition et la perte des
droits, et ne pouvant dès lors faire l'objet d'une transmission proprement dite ; mais, d'un autre côté, il est tout
aussi i;ertain que des conséquences légales sont attachées
a la possession et que par fa elle ressemble à un véritable
droit. (Savigny , Traité de la Possession .) A ce point de
vue, il était tout naturel d'assimiler la possession aux
autres rapports juridiques el de la faire passer de la tête
du défunt sur celle de l'héritier. C'était d'ailleurs la conséquence du principe romain , que l'héritier continue la
personne du défunt.
Une seconde exception à la règle, sine 7Jossessione 1tsuca1Jio contingere non potest, a lieu dans le cas oü un débiteur remet un gage à son créancier. Celui-ci est seul possesseur, seul il a droit aux interdits en cas de trouble ou
d'éviction, et cepen dan t le débiteur con tinu e à usucaper
(L. 1 ô, O. De ·1t.mrµ. cl uswap .). Savigny lrouve la justification de cette seconde oxccptioo dans une possession
�-----
-
-
i2 -
fictive ad usucapionem , qu'il attribue au débiteur , possession basée sur le contrat de gage intenenu entre les deux
parties.
Sauf ces deux exceptions, tout évènement qui met fin
à la possession. interrompt l'usucapion.
La possession étant composée de deu~ éléments. l'élément matériel, le corpus . et l'élément intentionnel, l'tmimus,
il en résulte qu'elle sera perdue, si l'un de ces deux éléments vient à. disparaître, ejus quidem fJtlod corpore rioslro
leneremus. possessionem amitti vel a1timo, vel eliam corpore (L. 44. § 2, 0. De possess.). .. ut igitur n ulla
possessio adquiri, nisi anima et rorp01·e, 7Jolest ; ita niilla
amittitur nisi in qua utrtJ.mque in conlraritun actwn.
( L. 1~5 , D. De 1·eg. ;'itris.). Sans insister snr la controverse qu'a soulevée le mot u.trumque. nous pensons avec
Savigny que ce mot est synonyme d'allerntrum, et nous
abordons immédiatement les divers cas de perte de la
possession .
Nous étudierons dans quéltre sections distinctes : 1° la
perte de la possession co,.po1·e; 2° la perte de la possession a1dmo; 3° la perte de la possession par le fait d'nn
représentant; 4° la perte de la quasi-possession des servitudQs.
SECTION I
PER.TE Df: L.\ P OSSESSION (( CORPORE .
1)
La possession peut être perdue corpore soit par nn cas
fortuit , soit par le fait d'un tiers .
15 -·
§ 1°• Perte par cas Fortuit. -
Une première consécessons de posséder
nons
que
c'est
idée,
cette
quence de
les objets perdus, si id quod possiderimu~, ila p111"didc1·imus, itl ignoremus ubi .~it, desinimus posside1'e. (L. 25.
Pr. D. De possess.) Cette décision ne s'applique qu'aux
objets perdus au point d'ignorer ce qu'ils sont de,·ehus, et
non point à ceux qai sont simplement égarés. Ainsi Primus, après avoir caché un trésor dans son champ. bien
qu'il ne sache pas au juste l'endroit où il l'a caché, n'en
conserve pas moins la possession ; car les précautions qu'il
a prises. lni donnent la certitude de le 1·e~rouver un jour.
A l'inverse, quoique sachant parfaitement o'ij. se trouve un
objet, la possession en est perdue, quand l'endroit où il
est, ces..;e de nous être ac1;essible. Quum lapides demersi
essent riau{ragio el 7Josl lempu.s e:Dtracti ... dominium me
retinere puto, 1Jossessionem non puto (L. t 3, Pr. De
possess.).
Eo somme, nous continuons à posséder, tant que l'objet
est à notre disposition, quatemts, si velimt,s, naturnlem
possessionem nancisci possinws. (L . 5, § 15. 0. De
7Jossess.). Du jour où nous perdons la possession, l'usu-
capion est interrompue.
Cette règle est applicable aux animaux. pour lesquels il
fau t toutefois faire une distinction entre les animaux domestiques et les animaux sauvages. La possession d'un
troupeau e~t perdue quand ou ignore absolu~ent ce qu'il
est devenu et qu'on ne peut pas le retrouver (L. 5, § i 5.
D. De possess.) . Quant aux animaux vivant à l'état sau·
. vage. MUS les possédons tan t qu'ils n'ont pas recouvré la
li uerté, et qu'ils sont par consaquent en notre pouvoir,
�-
14 -
comme des oiseaux dans une cage. (L. 5, § 15, D. De
possess.). Si les animaux sauvages sont apprivoisés. ils
ont considérés comme en notre pouvoir. tant qu'ils ont
conservé l'habitude de revenir a l'endroit où ils sont enfermés. donec revertencli animum habeant (L. 5, § 5, D.
De acq. rcr. dom . - L. 5. § 16. D. De 71ossess.) .
Les principes sont les mêmes pour la possession des
esclaves. Elle subsiste ta~t que l'esclave garde l'esprit de
retour, 1'a11imus t-evCJ·tendi; il est censé persévérer dans
cette disposition. malgré sa fuite, s'il ne se considère pas
comme libre, ou s'il ne se soumet pas à un nouveéiu
maitre ( L. 15,§ 1. D De 11surp . et usucap.- L. 47, D.
D. Posses.). Nous ferons observer à ce sujet que la loi
romaine. en permeuant au maîlre de conserver la possession de son esclave par la seule volonté de t;e dernier.
a fait brèche à. la vieille maxime: Servus cap ut non habel.
§ 2.
La possession est perdue et l'usucapion interrompue, si un tiers enlève au
possesseur la chose qu'il étail en train d'usucaper ; pen
importe que set enlèvement soi t effectué avec viotence
ou clandestinement, au point de vue de la perte de la possession . le résultat est le même : il y a u.surpatio dans les
deux cas (L. 15, D. De possess. - L. ?5, De usurp. et
usucap.). Peu importe encore que le volé ait ignore le vol.
Cela est si vrai que si le voleur , sous l'in1luence du remords, venait à remettre la chose au lieu où il l'avait prise,
l'usucapion n'aurait pas moins été interrompue, car. en
fait , il y a eu pendant un certain temps absence de rapports physiques entre le volé et sa chose (Savigny).
Par le /'ait d'un Tiers. -
- ns Il n'est pas nécessaire pour que l'usucapion soit interrompue, que celui qui s'empare de la chose la possède.
Supposons que l'esclave d'autrui :soit l'auteur du vol, il est
hors de doute qu'il n'acquiert pas la possession pour lui,
puisque, n'ayant pas de persoonaltté, il ne peut avoir
d'animus possi~ndi (L. i 18, O. De t·eg. juris.) . Mais
l'acquiert-il pour son maître ? Pas davantage, puisque
celui-ci ne loi a donné aucun ordre (L. 5. § 12 . D. De
possess. - Paul, Sent .. 5. 2. 1). L'acquiert-il dès lors
ex causa peculiari .9 Non encore, car le pécule ne peut être
la cause d'un vol (L. 24, O. De possess .). Cependant bien
que la possession de la chose n'ait été acquise par personne. l'usucapion n'a pas moins été interrompue. La
même règle s'appliquerait au cas où le voleur serait fou .
Il y a toutefois à mentionner une ex.ception pour l'hypothèse où le voleur serait la propriéLé du volé. Ainsi un
esclave •dérobe à son maître un objet que celui-ci est en
train d'nsucaper, l'usucapion n'est pas inte1Tompue, parce
que le mailre. en ayant le voleur a sa disposition, conserve
la possession de la chose volée (L. U:S, D. De possess.) .
Julien nous don ne uo exemple de l'application de ce
principe. li suppose un débiteur en train d'usucaper une
chose. Celui-ci la donne en gage à. son créancier, et l'esclave du créancier la ~oie ; l'usucapion est-elle interrompue ? Non, répond le jnrisconsulte, parce que le débiteur a conservé la possession, puisque son représentant,
le créancier, ne l'a pas perdue. Si l'auteur du vol était
l'esclave du débiteur , le crèancier perdrait bien la possession, mais le débiteur continuerai>l à. usucaper, car il est de
principe que les esclaves ne peuvent pas par leur fait
�-
16 -
porter préjudice à leurs maitres (L. 35, ~ 6, D. De u.surp.
et usucap. - L. 153, D. De reg. jm·is .). Que décider en
pareil cas, si l'esclave est en fuite ? Nous avons admis plus
haul que l'esclave continue à être possédé, tant qu'il n'a
pas perdu l'esprit de retour ; par conséquent. jusque là le
maitre garde la possession de la chose volée. Si l'esclav~
esL affranchi, l'usucapion est alors interrompue, car ici
l'escla~ n'est qu'un usurpateur ordinaire; l'on ne peut pas
le considérer comme le représenlant du maître. puisque
celui-ci lui a donné la liberté (L. 15, §8, D. De possess .).
La même règle s'appliquerait au cas où le vol aurait
été commis par un enfant an préjudice du chef de famille
(L. 25, § 2. D. De liberali causa). Mais, dans les deux
hypothèses, l'interrup~i on se produirait si le voleur laissait échapper la déten Lion ( L. 1 ?S. D. De possess.).
Voyons maintenant commenl se régit l'inlerruption en
malière immobilière. Les principes sonl les mêmes~ l'usucapion est interrompue par tout fait qui enlève au possesseur la jouissance de l'héritage possédé.
Nous conservons la possession d'un immeuble, tant que
nous n'en avons pas élé expulsés, soit par un tiers, soit
par le vrai prop:-iétaire (L. 5, § 9, D. De possess. , L. !5,
D. De ustirp. et urncap. ). li en est de même si l'immeuble
est possédé par un représentant , un fermier par exemple,
tant que ce fermier n'a pas élé chassé. L'interruption est
réalisée, au dire d'Ulpien. aussilôt l'éviction accomplie,
avant même que la nouvelle en soit parvenue au représenté
(L. 1, § 22, D. Devi). A l'inverse, Je bailleur expulsé ne
perdrait pas la possession. si son fermier restait sur l'immeuble (L. 1, § 45, D. Devi) .
-17De simples troubles, immédiatament comprimés, ne
suffisent pas pour interrompre l'usucapion ; il faut que
les violences de l'usurpateur aient amené une dépossession
complète et effective (L. 17 , D. Devi.) Ne peut-on pas
dire que , si le dejectus emploie l'interdit uti possidetis, et
s'il triompbe. la possession n'aura pas été interrompue!
Cette opinion est celle de quelques auteurs modernes; mais
nous préférons admettre avec Savigny que, d'après les textes
du droit romain (L. 5, O. De usurp. el us1scap.). l'interdit
uti possidetis ne peut être employé dans cette hypothèse.
En effet, il ne peut y avoir lieu à cet interdit, parce qn'il
manque une des conditions requises pour son exercice,
à savoir que le trouble n'ait pas encore fait cesser la possession.
L'expulsion matérielle n'est pas la seule circonstance
qui entraîne l'interruption de l'usucapion. D'autres évènements produisen t le même effet. Si le possesseur est tenu
enfermé dans son héritage. s'il le quitte et qu'on l'empêche
d'y rentrer, si dans le même but on l'arrête en route. dans
ces divers cas le possesseur est censé avoir été chassé du
fonds et l'usucapion e~t interrompue (L. i , § :24 et 47,
O. De vi - Paul, Sent .. ~. 6. 6).
Nous traiterons ici une des questions qui ont le plus
divisé la jurisprudence ancienne. L'usucapion esl-elle
interrompue quaud le possesseur abandonne son immeuble
dans la erainte de violences oil de menaces ? On trouve des
textes dans l?.s deux sens; les uns (L. 55, § 2, D. De
t.mu-p. elttsucap.-L. 9, Pr. D. quod metus causa - L.5,
§ 6, D. Devi), considèrent la possession comme ~erdue,
et par suite l'usucapion serait interrompue; les autres
�-
18 -
(L. t , § 29, D. ne vi -- L. 9. Pr. D.quod mctua cai1sa).
semblent la considérer comme continuée. Pour les concilier, on a prétendu que les premiers se rapportent à nn
danger présent, les seconds à un danger futur. Quant à
nous, nous croyons que la possession esl perdue dans l~s
deux cas (L. 55.§ 2. D. De 1i.surp. el usi,cap.); et que les
textes qui paraissent <ldmettre la c.ontinua~ion de la possession, ne visent que le fait matériel de la cle.fectio. lequel
efTectivement ne se rencontre pas dans notre hypothèse.
Maintenant, est-ce bien là un cas de perle de la possession
corpore, comme le yeu t Van-Welter (Traité de la possessio11), ou bien un cas de perte de la possession animo,
comme le pense Savigny, peu importe puisque le résultat
est le même.
Le poss&seur conserve la possession de son immeuble
tant que dure pour lui la faculté d'en disposer librement,
bien qu'il n'y soit pas continuellemen t présent. Mais si à
la non-présence du possesseur sur l'immeuble vient se
joindre une circonstance extérieure. telle que l'us1:1 rpalion
d'un tiers, la faculté de disposer de l'immeuble est pe'rdue,
et la possession devrait cesser. C'était du reste l'opinion
de l'ancienne jurisprudence qui appliquait les mêmes
règles aux meubles et aux immeubles. Toutefois les jurisconsultes postérieurs firent admettre le principe contraire,
à savoir que la possession d'un fonds ne se perd point par
l'occupation clandestine, mais qu'elle se conserve jusqu'au
moment où le possesseur, ayant eu connaissance de l'usurpation, renonce à reprendre son immeuble. Celle doctrine
que Gaïus déclare dominante à son époque fut rléfi nitivement consacrée par Justinien (L. 6, § 1, D. De possess.).
-t9Les règles que nous venons d'expliquer ne s'appliquaient autrefois qu'au cas où l'usurpation s'était effectuée
1
à la faveur d une absence de courte durée. Si l'absence
était très longue, si le possesseur mourait sans successeur, s'il laissait l'immeuble sans culture pendant de
longues années, les jurisconsultes romains voyaient là un
cas de perte de la possession et autorisaient les tiers à
s'emparer de l'immeuble, sans que cette occupation parût
violente ou clandestine (L. 4, § 28, L. 37. § 1. D. De
usurp. et usucap.). Justinien abrogea celle doctrine et
d~cida que l'usurpateur serait traité de prœd-0 et comme tel
soumis aux. actions ordinaires à l'effet de restituer la possession (L. 11, C. Unde vi).
La possession est encore perdue corpore, quand la chose
subit un changement qui l'empêche d'être possédée légalement. Un fonds de terre, en train d'être usucapé, est envahi
par les eaux d'un flenve qui y fixe son lit (L. 3, § 17,
D. De Possess. ) ; un possesseur dépose un mort dans son
immeuble (L. 50, § 1, D. De Possess.); une chose devient l'objet d'une spécification (L. ::SO, § 4, D. De
Possess.). Dans ces diITérentes hypothèses, la chose se
trouve placée hors du commerce et l'usucapion n'est plus
possible.
SECTION JI
PERTE DE LA POSSESSIOI\
« ANIMO. »
Le second élément requis pour la continuation de la
possession est l'élément iolentionnel , l'animus possidendi;
s'il vient à disparaître, la possession est perd ne, et dès lors
�-
20 -
l'usucapion inrerrompue. Seulement cet animas n'a pas
besoin d'être exercé à tous les instants., il suffit qu 'il
exUe 3 l'état passif et latent. Exiger du possesseur qu'il
pense cooliouellement à. sa chose, serait rendre la prescription impossible: Loul ce qu'on lui demande. c'est qu'il
ne manifeste pas une volonté contraire. C'est par une
conséquence de cette idée que les Romains ont admis que
le possesseur continuerait à posséder. même après être
dernnu fou ; car, disaient-ils. il est censé persévérer dans
l'intention qu'il avait manifestée avant de tomber en démence (L. 4. § 5, L. 44, § 6, D. De usw·p. et usttcap.).
La perle de la possession animo résulte toujours d'une
renouciation , qui doit être clairement établie. bien qu'elle
puisse avoir lieu tacitement ou expressément.
Ainsi un possesseur abandonne sa chose. il la jette dans
les flols, son intention ùe renoncer à la possession est certaine (L. 9. § 8, D. De acq . 1·e 1· dom .) . Le possesse!lr
d'un esclave l'afîranchit, il ne peut pas lui accorder la
liberté puisqu'il n'en est pas propriétaire, mais il n'en
perd pas moins la possession ( L. 5, D. p·ro donato). De
même dans l'hypothèse suivante : une chose est possédée
par un Li ers el revenùiquée par deux personnes diITérenles,
dans le but d'interrompre toute usucapion antérieure, elles
déciden t de transférer la possession au tiers (L. 57. O.
JJe possess .).
La renonciation , au lieu d'être pure el simple, peut êl re
faite au profit d'one personne déterminée et accompagnée
de la tradition de la chose. Dans ce cas. la possession sp.rait
perdu e alors même que celui à qui la chose devait être
transmise, ne pourrait pas l'acquérir , ce qui arriverait
-
2t -
dans r.hypolhèse d'une tradition faite à un enfant agissant
seul et sans l'intervention de son tuteur , ou à une personne en démence (L. 18, § 1, O. De possess .). JI faut
et 11 suffit. pour que le tradens cesse de posséder. que la
tradition ait été réellement effectuée. Nous rappellerons, a
ce sujet. que la tradition peut s'opérer sans qu'il y ait a•acte
palpable et manifeste, ce qui se présente particulièrement
dans les deux hypothèses connues sous les noms de tradilio
brevi manu et de cot1stitutum 11ossessoriwm.
Il semble résulter de là que toute tradition doit nécessairement interrompre l'usucapion. C'est du reste la solution rigoureusement juridique ; mais, comme elle avait des
inconvénients considérables, la pratique imagina pour y
rémédier la théorie de l'accessio possessionis. Celte théorie
reçoit son application dans la succession universelle, bien
que lg successeur universel soit de mauvaise foi. et dans
la succession à titre particulier. quand Je successeur est
de bonne foi .
Puisque, pour perdre la possession animo, il faut une
volonté incontestable de renoncer à la possession , 11 en
résulte que les personnes incapables de volonté ne peuvent pas cesser de posséder animo . Par conséquent les
fous et les enfants ne peuvent pas abandonner la possessiun ni faire tradition valable. Furiosus non potest desir1ere a?iimo possidere (L. 27. O. De 7Jossess.). lis continuent donc à posséder jusqu'au jour où ils subissent une
exp ulsion violente (Van-Wetter). Savigny soutient même
que le fou. expulsé de l'imm euble qu'il possède, n'en perd
pas la possession, parce qu'a ra i~o n de son état de folie. il
1Juil être assimilé à nn absent. Si cependant ces personnes
�- 2.2 foot tradition, leur tradition est nulle, le o·adms n'ayant
pas la volonté de transférer la propriété, et l 'ar.cipiens ne
peut pas invoquer l'accessio possessionis du chef du tradens.
Mais, comme ces mêmes personnes peuvent perdre la possession corpore, dès que l'accipiens reçoit la chost:, il
pourra l'usucaper, s'il est de bonne foi.
L'absence suffit-elle pour interrompre l'usucapion ? Non
eo principe, car elle n'implique pas forcément l'idée
d'abandon, de renonciation. Ainsi pour les saltus hiberni
et œstivi, on continue à les posséder, bien qu'on en soit
absent pendant un certain temps (L. 5, § t 1. D. De
possess.). Mais si l'absence se prolongeait lougtclmps. au
point de faire cro•e à l'intention de renoncer à la possession, elle deviendrait alors une véritable cause d'interruption de l'usucapion (L. 57 , § 1, D. De usurp. et
1
usucap.).
Que décider au cas où le possesseur tombe en esclavage? En perdant la liberté, il perd n êce~sairement la pos.
session. puisque les esclaves, dénués de toute personnalité
civile, sont incapables de possédeP ; l'usucapion se trouve
dès lors interrompue. Si, au lieu de tomber en esclavage.
le possesseur est pris par l'ennemi. il perd naturellement
la possession, comme il perd tous ses droits de citoyen.
Mais qu'en est-il dans l'hypothèse où il recouvre la liberté
et avec elle tous ses droits en vertu du poslliminùtm, la
possession est-elle comprise dans cette restitution ? Non.
car la possession est un état de fait, et le postlimirifom ne
s'applique pas aux choses de fai t, 7Jossessio aulern vturim um f acti habet, causa vero (acti non conlùietur postlimi11io (L.19, D. F:x q11iln 1scausi1i inof-L. 12, § 1.
-
23 -
De captiv. et postl .). Des doutes s'étaient élevés au sajet de
l'héritier du captif, quand ce dernier mourait chez l'ennemi!
L'héritier n'aurait-il pas pu continuer la possession que
son auteur aTait commencée avant d'être réduit en captivité? li faut répondre négativement. car comment admettre qu'un fait qui n'aurait pas profité au captif lui-même,
s'il était revenu. pût profiter à. l'héritier. Bien plus,
quand grâce à la fiction introduite par la loi Cornelia te1tamenlaria, le prisonnier fut censé mort au jour de son
entrée en captivité. celle fiction ne s'appliqua pas à la posses~ion, c'est ce qui résulte expressément d'on le1te de
Paul (L. 15. Pr. D. De usu,rp . et usucap.).
L'esclave n'ayant d'autre capacité que celle qui lui est
communiquée par son maître, il s'ensuit qne, si le maitre
est captif, la possession de l'esclave n'aura été qn'un simple fait destitué de tout elîet civil (L. t 1, D. De usurp.
et us"cap.) Rigoureusement il faudrait appliquer la même
règle à la possession ex cat~sa peculiari. Cependant laquestion était controversée. Julien pensait que l'usucapion
pouvait être considérée comme accomplie au profil du
maître, s'il recouvrait la liberté, au profit de son héritier
en vertu de la loi Cornelia, si le maitre mourait chez l'ennemi. Marcellus sol\lenait la th~se contraire en se basant
sur ce que no captif ne peut pas. après son retour, avoir
plus de droit sur les choses possédées par son esclave que
sur celles qu'il possédait lui-même. Ju!-tioien mit fin à la
controverse en consacrant l'opinion de Julien. Il décida
qu'en pareille hypothèse la possession serait maintenu e et
l'usucapion non interrompue (L. 25. § 5, D. Ex quib11s
�-
24 -
causis maj.
L. 44, Pr. D. De usurp. et usucap. L. 12, § 2, L. 22. § 5, L. 29 , D. De capl. et post.).
Les deux idées de propriétaire et de locataire étant contradictoires, si un possesseur ùonne à bail la chose qu'il
possède an propriétaire lui-même, il perd la possession au
moment de l'entrée en jouissance de ce dernier. et son
usucapion est interrompue. D'une part, en elTet, Je propriétaire acquiert la possession juridique. puisqu'il a la
volonté et le pouvoir physique de disposer de la chose;
d'autre part, le contrat est nul faute d'objet, et l'on ne
saurait considérer le propriétaire comme détenant sa
chose dans l'intérêt dn bailleur (L. 21 , D. De usurp. et
u~ucap.).
La même solution doit être donnée lorsque Je possesseur vend la chose au vrai propriétaire, lorsqu'il la Jni
remet à titre de nantissement, de prêt ou de dépôt. Dans
ces diverses hypothèses. la possession qu'acquiert le vrai
propriétaire efface celle do vendeur, du débiteur, du
prêteur et du déposant , et il est indifférent que le propriétaire ait su ou ignoré qu'on loi remettait sa propre chose
(L.4,§3,D. Deprecario . --L . 15, D Depositi .--L . 55,
§ 5, D. De usurp. et usuca11 . -- L. 4~ , D. De reg. j-uris).
II y a pourtant une exception à établir pour le cas où le
gage aurait été constitué 11ttda pactionc. Ici la possession
n'étant pas transférée, l'usucapion n'est pas interrompue
(L. 55, § 5, D. De usurp . el itsutJap .).
Signalons un dernier cas ct:interruption anima admis tout
au moins par quelques jurisconsultes. En principe la bonn e
foi n'est exigée 1~hcz le possesseur qu 'a n délrnt ùe l'usncapi on. Ces jurisconsultes veulcn t quc la bonne foi Je celui qui
-
2!j --:
possède comme donataire persévère depuis l'entrée en jouis·
sance jusqu'à l'expiration du délai fixé pour l'accomplissement de l'usucapion. Ulpien, l'on d'eux. décide formellement
que l'usucapion prodonato se trouve interrompue dès que le
possesseur cesse d'èlre de bonne foi. Et c'est celte exception
qne vise sans doute Justinien quand, voulant faire disparaître toute différence entre le titre pro dtmato et les autres
juslœ ea·usœ, il s'exprime ainsi à propos de la nouvelle
usucapion qu'il établit: . .. Non interrumpatur ex poile·
1·iore {orsitan alienœ rei scientia, licet ex titulo lucrativo
ca cœpta est. (L. 1, C. De usucap. tram{orm.) (Deman-
geal).
SECTION Ill
PERTE DE LA POSSESSION PA R. UN REPRÉSENTANT
De même que la possession peut être conservée par
\'intermédiaire d'un représentant, de même elle peut être
perdue par son fait. Une première remarque à faire , c'est
qu'ici les deux éléments constitutifs de la possession ,
l'animus el le corpus, n.e ré.,ident pas dans la même personne. Le représenté a l'animus el le représentant le
co1'Pus ; il résulte de là que, pour savoir si la possession
est perdue co17101·e, il faut se référer au représentant et
non an représenté. Ainsi, le représenté oe perd pas la
possession, s'il est expulsé, ponrvu que son représentant
reste sur l'immeuble: à l'inverse, il la perd, bien qu'il
ne lni soit fait au cun e violence. si .on représentant est
chassé de l'héritage , car il ne ùétrent plus dès lors la
�-
26 --
chose. qui n'était à sa disposition que par l'intermédiaire
du représentant (L. f , § 45, D. Devi) .
Mentionnons d'abord les causes indépendantes de la volonté du représentant, telles que sa mort ou sa d6mence ,
il est évident qu'elles ne foot pas perdre la possession au
représenté; elles n'ont d'autre effet que de faire retourner la possession tout entière , c01·pus et animus , à cc
dernier (L. 1, § 8. - L. 21>, § 1. - L. 40, § f , D.
De possess. - L. 31 , § 3 , O. De usurp . et usucap.).
Pour les causes qui dépendent de !a volonté du représentant1 deux cas sont à distinguer : en premier lieu ,· le
représentant a l'intention d'acquérir pour lui la possession ; en second lien, it veut la procnrer à un tiers.
Dans la première hypothèse. il ne peut pas devenir possesseur par un simple changement de volonté, en vertu de
la règle , nemo sibi ipsi causam possessionis mutare polest
(L 3 , § 19. D. De usurp. et us1,tca71.). Il faut un acte
matériel et visible, qoi ne laisse aucun doute sur son intention de devenir possesseur. Cet acte sera une contrectatio rei frauclulo$a , s'il s'agit d'objets mobiliers ; une
dejP.ctio , s'il s'agit de choses immobilières. Il est de principe, en effet, que le vol et la violence font perdre la
possession et interrompent l'nsucapion (L. 5, § 18. D.
Depossess . - L. 1, § 2. -- L. 67. D. De fiirlis) .
Dans la seconde hypothèse, une nou rnlle distinction est
nécessaire :
Le représentant peut abandonner la chose , soit par
négligence, soit dans un out fraudulenx , pour permettre à
un Liers de s'en emparer . Pour les obj~ts mobiliers, cet
abandon fait perdre la possess ion , puisqu'il enlève la
-
27 -
chose à la disposition du possesseur; mais produit-il le
même e!Tet à Pégard des immeubles. Les Sabiniens traitaient les immeubles comme les objets mobiliers. Ils voulaient que la pos~ession en fût perdue par le seul effet du
délaissement (L. 31 , - L. li.0 , § 1, D. De posscss.).
Les Proculéens , moins sévères , décidaient que la possession n'était perdue qu'au moment où l'usurpation du tiers
était venue a la connaissance du représenté (L. 31, D. De
dolo malo.- L. 44 , § 2 . - L. 45 el 46 , D. De possess.).
Cette seconde opinion fut adoptée plus tard par Justinien
(L. 12, C. De pos1ess.).
Le représentant fait directement tradition de la cbose à
un tiers. foi encore. pas de doute pour les objets mobiliers. puisque, par le seul fait de la amtrectalio, le repré.sentant en a acquis la possession , il peut donc en faire
t11.adition valable. Julien le décide en termes formels (L. 55.
§ 1., , D. De usurp . et 11sucap. ), à propos d'une tradition
effectuée par un dépositaire , un commodataire et un
créancier gagiste. Mais, pour les immeubles. celte tradition di recte à un tiers est-elle possible ~ Les Proculéens ne
le pensaient pas , parce que, d'après eux, le reprèsentant
ne peut pas transférer une possession qu'il n'a pas. La
règle est donc la même q•Je pour le Gas de délaissement .
la possession n'est perdue que par l'usurpation connue du
représenté. Le. Sal>iniens, au contraire, assimilaient la
tradition au délaissement et décidaient qu'elle produisait
le même effet. Cette controverse fut tranchée par un re cl'it des empereurs Dioclétien et Maximien, qui défendil au
fbrmier de changer le titre de . a possession et qui , dans le
t:as de vente frauduleuse operée par ce dernier . enjoignit
�-
28 -
-
au gouverneur de la province de maiolenir le bailleur
dans ses droits (L. ~. C. De po.9sess.). Justioieo renouvela cetle disposition , et il ajouta que. dans aucun cas, le
représenté ne devait subir de préjudice par le dol ou la négligence de son représentant (L. 1:2, C. De possess. ).
SECTION IV
PERTE DE LA QuAs1-PossESSION DES
SER~ITUDES
On sait que la loi Scribonia avait défendu d'appliquer
l'usucapion comme mode d'acquisition des servitudes.
Mais celte loi n'atteignait pas les provinces: au5si. admirent-t-elles l'acquisition des servitudes prrediales par la
prœscriptio longi t&mporis. A partir de Juslinien , l'usucapion Oll la prescription s'appliqua iodislinctemeot aux
servitudes prrediales et personnelles (L. 12 , C. De pos8ess. ). (Maynz, Droit romain).
La quasi-·possession exige , comme la possession , la
réunion des deux éléments matériel et inten tionnel , animus et corpus ; aussi. est-elle perdue par la disparition
de l'un d'iux.
L'animus consiste ici dans l'intention d'exercer la servitude. et il ne cesse que par la résolution de ne plus
l'exercer.
Le corpus est la possibilité physique d'exercer celle
même servitude. Il n'est pas nécessaire qu'ell e soit exercée à chaque instant, il suffit qu'elle puisse l'êlre. si Je
quasi-possesseur le désire. Le ()o rpus cessera quand 1:1
servitude ne pourra plus ètrc exercée, 4u and un acte co 11 -
29 -
traire en rendra l'exercice impossible. Cet acte contraire,
quel sera-t-il ? Dans !es servitudes perwonelles, il est le
même que dans la possession corporelle. Car la qoasipossession du droit est jointe à la possession naturelle de
la eho5e asservie. Ce sera donc une usurpation violente
ou clandestine à laquelle il faudra appliquer les mêmes
régies qu'à la possession proprement dite. Dans les servitudes prrediales. cet acte contraire varie avec la nature de
la servitude. S'agit-il d'une servitude /aciendi , !'acte contraire consiste dans une opposition violente à l'exercice
du droit. S'agit-il d'une servitude haben.di, il consiste dans
la destruction de l'ouvrage auquel la servitude donnait
droit. S'agit-il enfin d'une servitude p1·ohibendi, c'est l'acte
dont devait s'abstenir le propriétaire du fonds servant en
vertu de la servitude.
Il faut encore ajou ter que la quasi-possession de la servitude se perd par voie de conséquence, quand est perdue
la possession de l'immeuble auquel elle était attachée.
Enfin, nous ferons observer que si la petite de la quasipossession enlraine l'tnterru ption naLurelle de l'usucapion,
à l'inverse l'exercice même de la servitude entraîne l'interruption naturelle de la prescription libératoi re des servitudes qui s'éteignen t par le non· usage.
En terminant cette matière de l'interruption naturelle,
nous signalerons un cas d'interruption.qui. bien qu'appartenan t à i.;n tout autre ordre d'idées. ne mérite pas moins d'être
indiqué. A Rome , le mariage ne produisait pasparlui-même
la puissance maritale , il fallai t de plus l'accomplissement
de diverses formalités particulières qui étaieoi. l'usi1s, la
con f'<irreatio et la rocmptio. Pour tomber sous la puissance
�-
50 -
maritale par l'u.rns, la femme devait cohabiter une aonée
entière avec s0n mari, si elle voulait éviter ce résullat, il
lui suffisait de s'absenter tous les ans trois nuits de suite
du domicile conjugal, usut-patum fri triuoctio , il y avait
alors usurpatio, interrnption de l'usucapion , et la femme
échappait à la puissance de son mari (Gaius. I, § t 11 ).
Comme oous l'avons déjà dit an début de ce premier
chapitre, les Romains de l'époque classique ne connaissaient que 1'1mo·patio. que l'interruption naturelle, comme
moyen efficace pour interrompre l'usucapion. Ils poursuivaieo t logiquement cette idée que le possesseur continue
à usucaper tant qu'il n'a pas perdu la possession . C'est
pourquoi la /itis contcstatio elle-même oe produisait pas
cet elîet, puisqu'elle n'enlevai t pas la possession au défendeur. Mais pratiquement le résultat était Je même, au
moins entre les deux parties. puisque le défenfleur condamné (le possesseur) était tenu par l'aclion judicati
d'exécuter l'obligation contracté9 par la litis contcstatio ,
et que même il pouvait être obligé à fournir un e cautio
doli pour indemniser le demandeur du préjudice que lui
causait la restitution tardive de la chose. A l'égard des
tiers. au contraire , l'usucapion conservait tout son elîet,
parce qu'ils n'avaient contracté aucune obligation vi~-à-vis
du demandeur. Si donc le possesseur , après avoir usucapé
la chose, inter moras titis, même après la litis contcstatio ,
en disposait au profit d'un tiers. celte disposilion était
pleinement valable et celui-ci ne pouvait pas être inquiété
(L. 18, D. De rei vindicatio-nc).
Un second remède à cet état de choses consistait dans la
dfifense d'aliéner les obj~ts litigieux. Cette défense re-
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31 -
montait, d'après Gaius, à la loi ries Douze Tables, qui
défendait de consacrer aux dieux une chose litigieuse, ne
liceat eo nomine duriorem advc1·sa1·ii conditionem f acere.
Elle ne s'appliquait au début qu'au demandeur non possesseur. Elle fut étendue par la suite ::.u défendeur possesseur (L. 4 , C. De litigiosis . - Nov t 12 , ch. 1). Il faut
remarquer que le mot aliena,.e, dont se l'iervent les textes,
est général. et qu ïl doit s'entendre même d'une omission
qui a pour eJTet de nous faire perdre uo droit, alietiationis
verbum etiam usucapionem continel ; via; est enim ut non
videatur alienare, qui patitur mu!'api ( L. 28, D. De
verb. sign.). (Maynz).
Enfin. un dernier remède était l'itl iutegrum restitutio,
dont nous parlerons à propos des causes de suspension de
la prescription .
CHAPITRE li
Interruption Cl"lle.
L'interruption civile. nous )'avons déjà dit, est celle qui
résulle d'une poursuite judiciaire, de la litis conleslatio.
Avec le développement continuel de Rome. l'usucapion
ne tarda pas à être insuffisante à un double point de Yue :
d'abord elle appartenait au jus civile, elle ne pouYait donc
jamais s'accomplir an profit d'un pérégrin qui n'avait pa
�-
52 -
reçu la concession spéciale du commercium (G. 2, 65) ;
en second lieu, elle élai t inapplicable aux fond s provinciaux non investis du jus italicum. Les propriétaires de
ces fonds restaient donc sous une perpétuelle menace
d'éviclion . C'est pour mettre nn terme à cette incertitude
qne fut introduite la longi temporis prœscrip,io. Cette institution prétorienne. à l'exemple de l'usucapion , mais
d'une façon plus générale, eut poul' but de protéger le
possesseur de bonne foi
Ce n'est qu'à. cette prœsc1'iptio lon9i temporis que s'appliqua au début l'interruption civile, l'usucapion ne pouvant être interrompue, comme nous l'avons remarqué.
que par la perte de la possession. ( L. 1, § 1. C. De
p1·œscrip. t•cl tempor. L. 26, C. De rei vindicat.).
Si l'on recherche le pourquoi de cette difTérence entre
l'usucapion et la prescription de long temps, on le trouve
dans le caractère même de ces deux institutions. L' usucapion , mode civil d'acquisition de la propriété, ne pouvai t être interrompue que par la perte de la possession.
ain'li le décidait formellement le droit civil. La prescription
de long temps, au contrâire, n'était pas dans le principe un
mode d'acquisition de la propriété, mais bien une simple
exception accordée au possesseur de bonne foi, défendeur
daIJs une instance, pour repousser le demandeur. Comme
toute exception, elle devait être acquise au momen t de la
délivrance de la formule pour être opposée avec snccès. Si
elle ne l'était pas à ce moment·là. le demandeur conservait son droi t intact et il pouvait l'exercer sans crainte.
Telle est l'explication de l'interruption civile par la litis
contestatio en matière de prescription de long temps. Cet
:>5 -
effet interruptif continua à subsister, qoand plus tard la
prescription de long temps devint un véritable mode
d'acquérir la propriété.
La p1'œscriptio longi temporis était donc une exception
qui ne pouvait être opposée qu'aux actions réelles se rapportant aux immeubles . Les autres acti ons étaient perpétuelles; et ce fut l'empereur Théodose II qui créa la
p1·œscriptio lonyissimi tempo1·is, exception qui pouvait être
opposée à n'importe qu'ell e action, réelle ou personnelle,
~i elle n'avait pas été intentée dans le délai de trente ans
( L . i , Th. C. De act. cert . te111por, finiend.) Cette dernière prescription ayant le même caractère que la précédente, elle était , comme celle-ci, susceptible d'être interrompue par la litis contestatio.
Comme la litis contestalio étai t le mode principal d'interruption civile, nous croyons utile d'en exposer tout
d'abord la théorie. Nous nous demanderons en second lieu
si la missio in possessionem n'était pas, elle aussi, une cause
d'interruption civile de la prescription : nous verrons
ensuite les effets de l'interruption naturelle ou civile sur
la prescription , et nous terminerons notre chapitre en
montrant l'influence de l'interruption sur le temps requis
pour prescrire.
SECTION 1
DE LA
«
LITIS CONTESTATIQ . »
A l'époque des actions de .la loi, le demandeur pouvait
exiger de son adversaire que celui-ci le suivit immédiatement devant le magistrat, ou qu'il lui lîl une promesse
�-
54 -
garantie par un vit1dex de se présenter à jour fix e. Si le
dëfendeur refnsait, le demandeur faisait constater son
refus par témoins en prononçant les paroles consacrées :
"Licet te antestari • (Hor .. L. 1 . Sat . 9) , et il pouvait
dès lors l'entraîner de force, etiam obtorto collo. Arrivées
devant le magistrat, les parti es ex posaient leurs prétentions,
et, après avoir accompli les formalités de la Legis acti<>,
elles pren:lienl à témoin les personn es présentes de ce
qai venait de se passer (testes estote), d'où l'expression de
litis conteslatio, pour marquer qu e l'organisation de l'instancP. était dès lors chose acquise.
Après la suppression des aclions de la loi, cette formalité
de la litis conteslatio n'eut plus lieu, mais le nom subsista,
quoique avec un sens clilTérent ; il désigna alors le moment de la délivrance de la formu!e.
Nous plaçons ici la solution d'un e question qui a longtemps divi sé les commentateurs. Etant donnée la distin ction
que fai sait la ~rocédure fcrmulaire entre le jus et le j1~di
ciuni, à laquelle de ces deux périodes appartient la titis
contescatio ~ Nous croyong avec la grande majorité des
auteurs que la litis contcstatio est le derni er acte de la
procédure in j ure. Cette opinion, conforme a la tradition
historique, a de plus l'avantage de reposer sur des textes
nombreux ; (L. 16 et 17 , O. Deprocuratore), où les mots
ante et 110st lilem contestatam ne penvcnt signifier qu'avant
et après la concession de la formule; (L. 8. § 2, O. eodem) ,
où les mots tem710re titis conlestala signifient nécessairement devant le prétenr; ( L. 25, § 8, O. De œd. œdificand. )
où il est dit qu'après la litis conlestatfo, on vient ad
judices , conjic·iendœ co11sislendœr1ue cattsœ grntia . Enfin le
-
55 -
mot lui-même de litis contestatio semble confirmer notre
manière de voir. (Zimmern, Des actions ; Keller, procédtl.f'e cfoile ; Bonjean, Des actions).
L'opinion contraire est basée tout entière sar la loi
1, C. de litis contestatione : lis enim tune contestata
videtur ,quum j udex pe1· narrationem. negotii causatn audire
cœperit. Ce texte, dit-on, est une preuve indiscutable que
la litis conteslatio avait lieu in judicio . Il est facile de
répondre que rien ne prouve que ce texte nous soit parvenu sans altération, et en admettant qae cela soit, on
peut très raisonnablement l'appliquer am: cognition.es
extraordinariœ, hypothèses où le magistral ne renrnyait
pas les parties devant un juge, mais tranchait lui-même
le dilJéreod (Accarias). Dans les instances de cette nature,
la litis contestalio était le moment où le défendeur répondait devant le juge au nouvel eïposé que le demandeur
lui faisait oralement de sa prétention, en alléguant luimême les moyens qu'il jugeait convenables. Cet instant de
la lit·is contestalio avait de l'importance comme étant proprement le commeocement du procès, par lequel t·es sive
lis in j udici u m deducebatur , el auquel se rattachaient
divers elJets particuliers et de rigoureuses obligations surtout de la part du défendeur .
Cette question résolue, uous définissons aîec Savigny
la lilis contestatio, un acte qui se passe devant le préteur
et où les parties, par leurs déclarations respectirns. fixent le
litige en le rendant susceptible d'être porté devant le
juge.
La litis coutestatio produit des effets très importants
que nous allons examiner successivement.
�-
56 -
1• Elle détermine les éléments, réels et personnels du
procès. Les parties ne peuvent pas d'un commun accord
changer l'u ne des personnes qui doivent figurer dans le
judiciurn, ni modifier les questions que doit examiner le
juge. Tout changement est également interdit au magistrat, parce que la rédaction de la formule est définitive.
Ce pl'incipe subit cependant des exceptions. En ce qui
concerne les éléments matériels. elles sont très rares , et
la restitutio in i11tegrum est le seul remède employé par le
préteur pour corriger une formule inexacte ou incom plète.
Pour les éléments personnels, les changemen ts so nt plus
fréquents; ils ~'opèrent sous le nom de trar1slatiD judicii,
soit qu'ils portent su r le juge, mutatio judicis , soit qtt'il s
portent sur l'une des parties mutatio pm·tis. C'est le magistrat qui les réalise, cognila causa.
2° Elle transforme le droit déduit en justictl. C'est
l'e!Tet le plus curieux de la litis contestatiu. Pour le bien
comprendre, i 1 fan t distinguer deux choses : )'extinction
du droit ancien et la création du droit nouveau rGaïus,
'
5. 180).
Extinction du Droit ancien . - Elle a lieu i1lso jure,
quand l'action est personnelle, la formule conçue in jus,
le judicium legitimwn , exceptionis ope, quand l'une de
ces lmis conditions fait défaut, c'est-à-dire quand l'action
est réelle, la formule conçue in factum. , le judiciurn
imperio conlinens . (Gaïus. 4, 106 et 107).
L'extinction du droit ancien laisse toutefois snbsister
une obligation naturelle (L. 8, ~ ~ . L. (iO, D. De fidejus.).
-
37 -
qui produit ses effets dans le cas de la péremption d'instance. Ainsi elle maintient le gage que Je créancier a
reçu (L. 30 , ad. leg. aquil.) et lui fournit, s'il y a lit?u,
matière a rexception de dol ( L. 8. § 1 , Ratam rem hab.)
( Acearias).
C1·eation du Droit nouveau. - Gaïus (5, 180), définit
ainsi ce rlroit nouveau : 7JO$l litem contestatam, debitorem
condernnari oppo1·tere, ce qui indique que le droit nouveau est un droit de créance (opporlere). Or, comme Loute
condamnation est pécuniaire, cette créance aura pour
objet de l'argent, d'où il résulte que la titis contestatio
change la nature du droit dans les actions réelles et qu'elle
en change l'objet toutes les fois qu'à l'origine cet objet
n'est pas de l'argent. Uo autre changement à remarquer
est Je changement de cause indiqué par Gaïus en ces
termes : Incipit leneri 1·eus litis contestatione. Le caractère
de cette nouvelle cause est. non pas un véritable contrat,
mais un quasi contrat, et cela suffit pour que le droit qui
en résulte soit un droit de créance.
C:e second effet de la lilis contestatio l'a fait considérer
par quelques auteurs comme une novation nécessaire par
opposition à. la novation volontaire (Zimmern. Keller).
Nous préférons adopter l'avis d'Accarias qui ne voit dans
la titis contestatw qu'u ne opération st4i generis parfaitement distincte de la novation. En effet la novation ne peut
avoir lien que par la stipulation et elle ne comporte jamais
de changement d'objet, à la différence de la litis contestatio
oü celle modific:itinn est très fréquente.
�- 58 5° Elle détermine Je moment où doit se reporter le juge
pour savoir si Je défendeur doit être condamné ou absous.
pour savoir quel doit êtr~ le 1Juantum de la condamnation.
C'est à ce troisième etîet que se rattache l'interruption
de la prescription par la titis contestatio. Le jugP.. en eITet,
se place au jour de la lilis conleslatio pour apprécier les
moyens de défense; si donc ces moyens de défense ne sont
pas acquis au jour de la demande. le défondeur succombera dans ses prétentions. et pour rentrer . dans notre
sujet la prœscriptio longi temporis ser:i interrompue . L'elTet
de cette interruption était tel que, même dans le cas
d'abandon par le demandeur de son action. la prescription
ne pouvait plus recommencer. Q1tod si prior 1Jossessor
inquietatus est, elsi poslea per longum lern7Jus sine aliqua
interpellatione in possessione remansil, tamen non potest
uti longi temporis 7n·œscriptione. ( L. 1 , C. De prœscrip .
long. tem1> .) .
4° Elle rend possible la sentence maigré le défaut du
défendeur ; car, une fois que le quasi-contrat existe entre
les parties, l'absence de l'une d'elles n'empêche pas l'affaire
de suivre régulièrement son cours.
Telle est en résumé la théorie de la titis conlestatiu dont
nous avons cru l'exposé nécessaire pour rendre notre travail complet.
Justinien fusionna l'usucapion et la proscription de
loug temps. Dès lors la nouvelle usucapion fu t-elle interrompue, non seulement par la perte tle la passes ion, mais
aussi par la titis contestatio .9 La négative est sou tenue par
de nombre•Jx auteurs. Ils se uascnL sur le pr111c1}1ium des
-
59 -
I nstitules, t. VI, De usucapione : Et ideo conslitutionem
super hoc 1J1'omutgavimus, qua caulum c&t ut res qrJidem.
mobiles 1Jer triennium immobiles vero per wngi tempori1
possessionem .. ... usucapiantur. Le mot usucapianlur dont
s'est servi Justinien. prouve bien. d'après eux, que cet
empereur a entendu consacrer les principes de l'ancienne
usucapion. lis ajoutent à l'appui de leor théorie que, si la
titis contestatio avait interrompu l'usucapion, il n'aurait
pas élé nécessaire d'édicter une disposition spéciale au
sujet des absents (L. 2, C. De annali exceptione - Demangeat; Maynz, Accarias).
L'opinion contraire nous P.araiL préîérable. car à partir
ue Justinien, les mots usucapio et prœscriptio sont synonymes. il n'y a plus qu'une institution. La preuve en est
que ce prince les emploie indifféremmen t l'un pour l'autre
dans la loi unique au Code de usucapio11e irans{ormanda.
De plus, c·est la solution qui ressort de la Novelle 119.
chapitre VII. (Ortolan).
Sous Justinien , l'usucapion est donc interrompue par la
r oursuite en justice, et non seulement à partir de la titis
contestatio , comme la lort9i tem11oris prœscriptio de l'ancien
droit. mais encore à partir de la notification de l'assignation , du tibellus conventio11is, car la titis contestatio
n'existe plus à cette époque (L. 1O. C. De prœscrip. loug.
tempor.).
Nous avons dit plus hant que l'interruption civile résultau l de la titis contcst11tio s'a ppliquait aussi et par les
mêmes raisons à la prescriptio lo11gissimi temporis. Celle
prescription fll t, elle aussi. ous Justinien, interrompue
par la ùemande en justice.
�-
40 -
SECTION li
DE LA « MISS!O IN POSSESSIONEM. ))
La litis contestatfo était-elle le seul mode d'interruption
civile de la prescription ? Qu 'en était-il de la missio in possessionem .'il Produisait-elle le mème effet ?
Voici l'hypothèse dans laquelle la solution de la question est intéressante: Il faut supposer qu 'un créancier ne
.
'
.
I
peut parvemr a atteindre son débiteur pour se faire payer.
Comme la prescription court contre lui . il s'adresse directement au préteur. qui lui accorde, après vérification de sa
demande. cognita causa, une missio in possessionem sur
les biens du débiteur.
Cette missio in pos$cssionem avait, croyons·nous, pour
efTet d'interrompre la presc ripti on parce qu 'il ne faut pas
que le créancier soit lésé dans ses droits par suite du mauvais Touloir du débiteur. Celte opinion, du reste, était celle
de d'Argentrée ( Des appropriances , art. 226), qui fa professait, qu oiqu 'elle ne puisse s'appuyer sur aucun tex te.
Ce mode d'interrnption civi le produisait même des elîets
beaucoup plus absolus que ceux de la titis contcstatio
comme nous le verrons. en étudian t les effets de l 'inter~
ruption civile.
SECTION
JJJ
EFFETS DE L' INTERRUPTION
L'i~terruption naturelle. nous l'avons déjà cons taté,
produit des efîets généraux et absolus. de Lulle sorte qu 'elle
profite non seulement au nouveau possesseur, mais encore
-
4t -
à tous ceux qui ont intérêt à l'invoquer : Non adversus
emn lanl14m qu.i eripit. intern,mpitur possessio. sed adversus om.nes (L. 5, D. De usurp. et usucap .). L'interruption civile. au contraire, produit des effets particuliers et relatifs, de telle sorte qu'elle ne profite qu'à celui
qui en est l'auteur, et qu'elle ne nuit qu'à celui con tre qui
elle est dirigée. Ainsi, dans le cas de plusieurs créanciers
solidaires de la même chose, l'action intentée par l'un
d'eux n'interrompt la prescription que pour sa part, et
elle la laisse courir à l'encontre des autres créanciers. De
même, la poursuite dirigée contre l'un de plusieurs débiteurs non solidaires n'empêche pas la prescription de
courir en faveur des autres.
Ce principe de la relativité des effets de l'interruption
civile souffre exception d·rns les trois cas suivants : en
matière de corréalité, d'i ndi,·isibililé el de cautionnement.
t ° Corréalite. -
En matière de corréalité active ou
passive. la prescription interrompue soit par un des créanciers. soit à l'encontre d'un des débiteurs, profite aux au tres
créanciers et nuit aux autres débiteurs. Justinien donne
la raison de cette première exception dans la loi 5, C. De
dttobus reis : Sil itaqrie generalis devolio et nemini liceat
alieuam indevotionem St:'Jui , qtw.m ex una stfrpe unoque
fonte imus efllu~it contract11s vel debiti cat.sa e:r eadem
actione a71paruit. Comme il n'y a qu'un seul contrat pour
tous les créanciers et qn'one seule action pour tous les débiteurs. l'inlerrnplion doi t se produire en faveur de tons
les créauciers et à l'encontre ùe tous lüs débiteurs.
�-
42 -
2° Indivisibilité. - Ici encore la prescription interrompue par un des créanciers de la chose indivisible, ou
à l'encontre d'un des débiteur~ de cette mème chose , l'esl
aussi en faveur des antres créanciers et à l'encoolre des
autres débiteurs (L. 5, C. De duobus t·eis).
li ne faudrait pas assimiler à l'hypothèse d' une dette indivisible, celle où un débiteur. après avoir donné une hypothèque pour sûreté de sa créance, meurt en laissant
plusieurs héritiers, car l'interruption adressée à l'un des
héritiers du débiteur n'empêcherait pas les autres de prescrire et leur libération personnelle et la libération de
l'objet hypothéqué pour les parts qu'ils ont dans cet objel.
5° Cautionnement. - Bien que l'on ne trouve pas de
textes à l'appui de celte troisième exception, on n'hésite
pas généralement à admettre que l'interruption produite à
l'encontre du débiteur principal doit également produire
son effet contre la cauti on par application de la maxime :
Accessorium seqi,itu.r 11rincipale. Si Justinien n'a pas parlé
des cautions, c'est. di t-on, qu'il les a comprises sous le
mol correi (L. 5, C. de <ltiobus reis), pu isqu'elles sonl rei
ejt!Sdem obligationis, Elles son t codébitrices du débiteur
'
principal,
non ·pas à la véri té codébitrices principales ,
mai!' au moins codébitrices accessoires de la même obl igation.
Faut-il admettre par réciprocité que l'interruption qui
se produit à l'égard de la caution a lieu en même temps à
l'égard du débiteur principal.
D'éminents an lenrs souti ennent l'affirm ative, eL ils assim ilen t le fidéjusseur et le débiteur principal à ùes obligés
-
45 -
solidaires (Molitor, Obligations). Cette opinion doit être
rejetée, selon nous, parce qne la fid éjussion et l'obligation
solidaire sont deux choses essentiellement distinctes. Tandis
que l'obligation solidaire est une, dans celle garantie par la
fidéjussion. il y a deux obligations. l'une principale, l'autre
accessoire , destinée à fortifier l'obligation principale. Dès
lors, s'il e~t naturel de régler le sort de l'accessoire par
celui du principal , par exemple quand il s'agit de l'interruption adrec;sée au débi teur principal; il paraît tou t à fait
étrange de régler le sort du principal par celui de l'accessoire.
Aux .trois exceptions déjà signalées, il faut en ajouter
une quatrième. L'envoi en possession en faveur d'un
créancier produit un efTet interruptif non seulement
en faveur du créancier poursuivant. mais aussi en faveur
de tous les créanciers du déb iteur, et idco cœteris quoqiie
prodest (L. 12. D. De rebus aiicloritate j udicis vossidendis).
Justinien a égalemen t consacré ceLte opinion : Quid en im
justius est quam mnncs qui ad 1·es debiloris milti debcnt,
esse 7Jartic1)ws lwjusmodi commoclitatis (L. Ult. C. De
bou , a11rt.judic, ?Jossict. ). Seulement il y apporte le tempéramen t suivant, à savoir que les créanciers présents dan
les deu'.\ ans. les créanciers absf1nts dans les quatre ans à
dater de l'envoi en possession, doivent faire la justificatiùn
de leurs créances et indemniser le poursuivant de ses frais
et de ses avances.
Il ne faudrai t pas regarder comme ùes exceptions à la
relativité des e!Tets produits par l'in terruption civile les
actes interruptifs fa it s , oil par le nu propriétaire, soil par
J' nsufruilier contre celui qui possède la chose pro clominu.
�-
44 -
-
Si c'est le nu propriétaire qui agit, il interrompt la prescription au profit de l'usufruitier, puisque l'usufruit est
compris dans la revendication de la propriété (L. 4, D.
De usu{t·uct. at quemad.), Si c'est l'usufruitier, il interrompt
la prescription au profit du nu pr0priétaire , car il est
censé son mandataire. toutes les fois qu'il est question de
sauvegarder ses droits (L. 15, § 7, H. t.).
Nous venons de voir qu'en thèse générale les effets de
l'interruption ci\'ile ne s'étendent pas d'une personne à une
autre, la règle est la même pour les actions. Mais elle
souffre exception, toutes les fois qu'une action est contenue
dans une autre. C'est ce qui arrive dans les deux hypothèses suivantes :
Un créancier. possesseur de plusieurs créances. intente
une action générale pour obtenir tout ce qui lui est dû.
Cette action interrompt la prescription pour toutes ses
créances (L. 5, C. De annali except.).
Un créancier, qni a sa créance garantie par une hypothèque portant sur un bien détenu par le débiteur, intente
l'action personnelle. Cette poursuite, qui interrompt la
prescription de l'action personnelle. produit le même effet
sur l'action hypothécai re, car elles sont intimement liées
entre elles (L. 5, C. Deantwli except. ).
SECTION
1
INFLUENCE DE L IN'rERRUPTION
IV
DE LA PRESCRIPTION
SUR LE 1'Ell1PS REQUIS POUR PRESCRIRE
lnterruvtion Natm•elle. - Le possesseur, dépouillé de
la chose, ne peut plus pres~rire; s'il vient à en recouvrer
4?> -
la possession, il commence une prnscription nouvelle ,
d'une durée égale à la première.
Interruption Civil.e. - La litis conteslatio avait pour
e!Tet de rendre perpétuelles les aclions temporaires .
Bepuis Théodose Il, il faut entendre, par aclions perpétuelles, celles dont la durée est de trente ans. Justinien
décida que les actions perpétuelles seraient prorogées jusqn'à 4uarante ans par la lilis contestatio. Ainsi, s'agit-il
d'une action temporaire, la litis conte,,ta,io la proroge
jusqu'à trente ans; s'agit-il d'une action p01p~tuelle, elle
la proroge jusqu'à quarante ans (L. Ult.. C. De71rœscript.
50 vcl 40 ann. ).
Les commentateurs sonl divisés sur le point de savoir
si celle loi Ult. C. de prœset·ipt.. 50 vel 40 ann. a été
abrogée par la loi Properandwm C. de judiciis. On se prononce généralement dan~ le sens tie la négativie, parce que
cette dernière loi se 1:-ol'lle à prescrire des mesures pour
que les procès soient jugés dans l'espace de trois années, à
dater de la conlestation en cause, et qu'elle ne fait ré.sui Ler
du défaut de jugement dans ce terme aucun elîeL qui ait
le moindre rapport avec la péremption.
�-- 46 -
De la Suspension
A la dilTérence de l'interruption, la suspension n'est
qu'un temps d'arrêt, un obstacle passager à la prescription . de telle sor~e qu' une fois l'obstacle disparu. la prescription antérieure est utile et elle se joint à la prescription
nouvelle qui recommence à courir.
A l'époque classique, de même qu'il n'y avait pas de
causes d'interruption civile. de même il n'y avait pas de
causes de suspension, et le remède à cet état de choses
était !'in integrum 1·estittttio. Aussi est-il très ùifficile de
présenter une théorie complète et uniforme sur cette
matière, et faut-il se contenter de rechercher les di vers
exemples cités par les textes. On peut les grouper sous ces
deux idées principales : impossibilité d'agir el protection
due à certaines personnes.
L' in integrum restitutio ayant suppléé si longtemps au
manque de causes de suspension, il ne sera pas hors de
propos de comme0t·er par en faire l'exposé.
SECTION J
-
47 -
formalistes, ce qui. dans la pratique, amenait souvent des
iniquités flagrantes.
Savigny définit \'in integrum restitutio • le rétablissement d'un état antérieur du droit, moti vé par une opposition entre l' équité et le droit rigoureux, et opéré par le
préteur qui change avec connaissance de cause un droit
réellement acquis. •
Cette définiti on fait ressortir les deux particularités les
plus saillantes de l'in integru:m reslitutio; en premier lieu ,
c'est le préteur seu l. Je magistrat romai n par excellence,
qui peut accorder cette faveu r; en second lieu, son pouvoir n'est limité par rien en cette matière, sa conscience
est son seul guide ; anssi peut-il l'accorder en tel oo tel
cas, suivant qu'il Je 1uge r,onwmable.
Les conditi ons de la restitution sont les suivantes :
1° Il faut une lésion. et par lésion on doit entendre
« un changement véritable de l'état du droit, un changemen t préjudiciable à celui qui réclame la restitution. •
(Savigny). Celle lésion doit être d'une certaine importance
(L. 1, C. si advers. donat. , L. 1, C. si ad1Jers, fisc.).
Elle peut provenir soi t d'un acte, soit d·une simple omission : usucapion accomplie au préjudice d'on mineur
(L. 45, Pr. D. De minor .). au préj udice d'un absent
(L . 'l , § 1. D. ex quibus causis).
D E « L'! N l NTEGRUi\1 RESTITUTIO. »
C'était un remède créé par le préteur pour corriger la
trop g~and e rigueur du droit civil ; car les Romains.
comme tous les peuples primitifs, étaient essentiellement
2° Il faut un motif de restitution, c'est-à-dire un état
irrégulier, qui nécessite l'emploi de ce remède extraordinaire. Nous e:rnminerons tantôt les diverses causes de
restitution.
�- 48 3° Il faut qu'il n'y ai t pas de disposition excluant la
restitution. comme cela existe en matière de déli L public
ou privé (L. 9, § 2, ts , D. De minor. L. 1, 2, C. si
advers. delict.). La restitution est encore impossible,
quand le débiteur est coupable de dol (L 9. § 2. D. De
minor.),quand l'acte. à cause de sa nature spéciale. ne peut
être rétabli dans son état antérieur : a.lîranchissement
(L. i, 2. 5, C. si advel's . libcrt. L. 9, § 6. D. De min.or) .
4° fi faut qu'il n'y ait pas d'autres moyens de prévenir
le dommage dont il s'agit (L. 16 , Pr. § 1, 5. D. De
minor .) A ce sujet, il fau t se poser une hypothèse où la
rcstitutio in integnmi semble faire double emploi avec une
action déjà existante. Bien que le pupille ait l'action ttaelœ
direcla , il peut, quand il est lésé, demander la restitution.
L'explication de cette superfétation apparente est fac.ile à
trouver ; l'action tutelœ n'est donnée que contre la mauvaise administration du tuteur, chose toujours difficile
à prouver, aussi peut-ell e être insulfisante ; tandis que
la restitution étant accorriée c.o ntre un fai t particuliar.
la preove est beaucoup plus facile à administrer et la
protection du mineur est par cela même plus effica~e.
Lorsque ces diverses conditions sont réunies, la personne lésée peut demander au préteur la restitution qui
lu i est donnée, cognila causa, tantôt in rem, tantôt in
personam. Le délai pour la demander était d'une année
utile, Justinien le remplaça par un délai de quatre années
con tinues (L. Ult. C. De temp. i1i integr. restitut .).
L'effet de la restitution étant de rétablir la personne
lésée dans l'état antérieur à la lésion, celle-ci peut récla-
-
49 -
mer tout ce que les conséquences de cet acte lui ont faiJ
perdre, par exemple les fruits et les accessoires de sa
chose. Ut i11111s'Juisque jus suum in inlegnm& 1·ecipiat
(L. 24,
§ 4, D. De minor).
Les causes de restitution. laissées d'abord à l'appréciation du préteur, furent développées par la jurisprudence.
Quelques-nnes mêlJ)e furent créëes par les constitutions
impériales. Ces causes sont la violence, le dol. la minorité,
l'absence. le changement d'état, la juste erreur. (L. 1, 2.
D. De in iritegr . reslitut.).
La restitution n'intervient que dans les
cas où l'acLion et l'exception qu"d metu.s causa sont insuffisantes. Ainsi dans le cas d'insolvabilité de la personne
contre laquelle on agi t (L. 6. D. De dolo malo), dans le
cas d'une acceptation ou d'une répudiation d'hérédité
extorquée par violence (L. 21. § 5, 6, D. quod mclus
Viol.enr.e. -
cattsa).
La restitution doit être préférée à l'action de
dol, parce qu'à la diliérence de celle-ci. elle n'entraîne pas
l'infamie con tre le défendeur ( L. 7. § 1. O. De in integr .
Dol. -
1·eslit ul.).
Pour tout acte fait par le mineur. le
préteur, se réservait le droit de l'apprécier et d'accorder
la restitution , s'i l le jugeait convenable (L. {, § 1. D.
De minor). Cependant Je mineur ne pouvait obtenir la
restitution, quand il s'était fait passer pour majeur au
momen t de l'acte (L. 2, C. Si minor mujo.,.em) , quand
Min orite. -
�-
50 -
il avait ratifié l'acte une fois majeur (L. 1, C. Si major
{aclu.s) , quand il avait accompli cet acte après avoir obtenu
la venia œtatis (L. l, C. De his q1û veniam).
li est probable que celle cause de restitution fut admise d'abord dans l'intérêt d'un absent Reip ublicœ causa et qu'elle fut plus tard étendue à tou:; les cas
où l'on éprouvait un préjudice soit par sa propre absence,
soit par l'absence d'un tiers (L. 1, § 1, O. Ex quibus
causis). Justinien, sans abolir l'in intefp'U'l·n restitutio, permit d~ prévenir les pertes et déchéances qui peuvent résulter de l'absence rl'un tiers, au moyen d'une protestation
devant l'autorité judiciai re ou ecclésiastique (L. 2, C. De
amiali except.).
Absence.
Changement d'~tat. - Ceci s'applique à la capitis
diminutio minima qni anéantissait les droits des créan-
ciers; Je prëteur, pour leur venir en aide, leur donnait
l'in inlegrum 1'eslitiitio (L. 7-9, O. De capite minulis).
A partir de Justinien , ce ne fut plus nécessaire, puisque
cette capitis diminutio n'existait plus.
Juste Errettr. - ·- Tel est le cas ù'un contrat fait :wec
un pupille assisté d'un {al.fus tutor , c'est-à-dire d'une per-
sonne qui se donne pour tuteur du pupille sans l'être
réellement. Le préteur donne encore dans cette hypothèse
le bénéfice de la restitution .
Enfin le préteur, après avoir mentionné un cerlain nombre de causes de restitution, avait eu soin d'ajouter dans
son édit : Item si quti a.lfo mihi justa causa viclebitur, in
-
51 -
integrum restituam , d'où l'on peut conclure qoe la resti-
tution était accordée toutes les fois que la lé!>ion provenait
d'un évènement non imputable à la personne lésée.
Un rescrit d' Adrien accordait la restitution contre un
jugement définitif basé sur de faux témoignages (L. 55,
D. De re j t'dicata).
La restitution était encore accordée contre un jugement
qui avait acquitté un défendeur par suite d'un serment
déféré par le juge, si le demandeur avait en main de
nouveaux titres déeouverts depuis le jugement (L. 3 f , D.
De jurej urando),
Cette étude de la restitution achevée. nous arrivons aux
divers cas de suspension mentionnés dans les textes.
SECTION Il
IMPOSSIBILITÉ D'AGIR
Les causes de suspension, groupées sons cette première
idée ne sont que l'application de la maxime : Contra non
'
.
valentem agere non cu1·rit pnescriptio. La prescription ne
court pas contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir.
Comme il serait impossible d'énumérer toutes les hypothèses qui contiennent une impossibilité d'agir, nous nous
bornerons à signaler les principaux cas prérns par les lois
romaines.
En premier lieu la prescription ne eourait pas contre le
propriétaire de matériaux employés à une construction
appartenant à autrui . tant qu'ils faisaient corps avec celle
construction. ne ~1Jel'ttt.S urbis ruit11's de/'ormel10-. Telle
�-
!")2 -
est la raison , bien peu juridique. il faut le reconnaître.
qu'en donne le préteur dans son édit. La vraie raison c'est
qu'à partir du moment où les matériaux font partie intégrante de la constru ction , il n'y a plus de matériaux, et
dès lors plus d'action pour les réclamer. Mais si l'édifice
venait à être rJP.truit par une cause quelconque, l'action en
répétition pouvait être intentée. et la prescription recommençait à courir(§ 29 , lnstit. De dir>ision e renun, L. 7,
§ 10, D. De acq . rer. domin .).
La prescription était suspendue en faveur des créanciers conditionnels et des créanciers à terme (L. 7. § 4, C.
De prrescri11. 50 vcl. 40 ann .). On )P, comprend aisément,
puisque la créance cond itionnelle ne commence à exister
qu'à l'époque de la réalisation de la conùition, et que la
créance à terme. bien qu'existant dores et déjà, ne deY ien t
exigible qu'à l'arrivée dn terme.
Elle étai t encore suspendu e en faveur des créanciers
d'une s~ccession penùaot les délais accordés à l'héritier
pour faire inventaire et délibérer, parce que pendant ce
temps il n'y avait personne contre qui ils pussent agir . N1.tllo
scilicct ex hoc intcrval/o crcdito1· ibus hereditariis circa
lemporalern p1·œscriptionem prœj tulicio generando (L. 2 2.
§ 11 , C. De j1.we deliber. ).
Enfin elle était suspendue en faveur du fils de fam ille
pour les biens qui formaient son pécul e adven tice . Car
autrement le fil s aurait eu à soulTrir d'évènemen ts qu'il
n'aurait pas pu empêcher. le père de fam ill e ayant l'administration et l'usufruit de ce pécule. A ce snjet, Ju sti nien
s'exprim e ainsi : • Saricimus ... nullarn temporalem exCCJJ·
tionem opponi. nisi ex q110 actionem movc1·c potuernnt, id
- 53 est, postqua m manu patcrna, vcl ejus in cujus potestate
erant constituti, {ueririt liberati. • (L. 1, § 2 , C. De amiali
except. ).
SECTION Ill
PROTECTION DUE A CERTAINES P ERSONNES
L'usucapion des immeubles n'avait pas lieu contre les
pupilles (L. 48, D. De acq. rer. domin.) La raison de
cette disposition est, d'après Pothier. que les immeubles ne
pouvaient être aliénés sans l'autorisation du tuteur (Pothier, Pandectes).
En ce qui concerne les meubles, les pupilles ne jouissaient pas de la même faveur, au dire de Cujas ( Obsero.,
L. 14 , ch. 14). Ce jurisconsulte se fonde sur ce que la
chose dn pupille cesse d'être furtive dès qu'elle a fai t
retour au tuteur , il est donc inu tile de rechercher si elle ne
peut pas être usucapée par cela seul qu'elle apparlien~ au
pu pille (Pothier. Pandectes) .
Quand plus tard fet introduite la prescription de trente
ans. elle fut suspendue en faveur des pupilles (L. 5, C.
De prœscrip. 50 vel. 40 amL).
Dans l'ancien droit . il est probable que l'usucapion des
immeubles n'était pas suspendue en faveur des mineurs;
la raison en est que, µourvus seuleme nt d'ur1 curateur,
ils étaient capables d'administrer leurs biens. Ils avaient
cependan t la ressource de l'i11 integrnm restihuio (L. t ,
C. ~i adversus i1siwapio,nem).
Sous Justinien, il fau t ùUingner. s'il s'agit de la prescription de ùix ou vin gt aus ou de la prescription tren-
�-
54 --
tenaire. La première était suspendue pendant la minorité,
parce que. dit \'empereur , melius est intacta jura 1>ervari,
quam posl causctm vulneratam remeditun quœr<'re . La
seconde au contraire ne cessait pas de coul'ir pendant le
même temps (L. 5, C. Bx quibus ca1Ïsis in integr.).
La prescription était également snspendnc en faveur de
la femme mariée, en ce qui concernait ses biens dotaux ,
pendant la durée du mariage ( L. 16 . D. De {umdo <lotali).
Cette cause de suspension aurait aussi bien trouvé sa
place dans la section pré~éd ente, ( De l'impossibilité d'agù-),
puisque Je mari devenait propriétaire de la dot et pouvait
seul intenter les actions qui s'y ratlachaient. Omnis autem
lemporalis exceptio ..... ea mtdieribus ex eo lempore oppo·
natw· ex quo 7wssit11l arliones movere, id est.. . . . posl
dissolutum matrimoniurn . (L . 30, C De ju1·e dotium ).
JI ne faudrait pas conclure de là que toutes les actions
relatives à la dot ne pou vaient être prescrites qu'à partir
de la dissolution du mariage; ce n'étaient que celles qui
avaient trait à la répélion de la d0t.
Cette cause de suspension l'eposait sur la protection
dont les Romains en tourèrent la dot de la femme . La loi
Julia, en eŒet, défendait au mari. quoiq uc propriélai re
des biens dotaux , de les aliéner sans le consentemen t de
la femme, et de les hypothéquer même avec son consentement. Or. la prescripti on était comprise dans celle prohibition d'aliéner, cela n'esl pas douteux ( L. t G. D. De
f undv dotali ) . A plus forle raison, y fut- elle comprise
sous Justinien qui defendit non seulement l'hypothèqu e.
mais :rn :>si l'aliénation directe al'ec Ir cnnseutemen t de la
femm e. afin d'assurer a celle-ci ·la con:;ervation ùc sa dot
-
55 -
et de lui permettre de convoler en secondes noces . ... .. . .
ut nube,·e possint ( Pr. lnstil. quibus alienare licel, - L .
1. § 15. C. De rei uxoriœ ). Ajoutons que la suspension n'avait lieu qu'autant que la prescripli1Jn n'avait pas
commencé avant le mariage ( L. 16. D. De fundo dotali ),
solution que notre droit moderne a reproduite. mais qui
est tou t aussi inadmissible au point de vue rationnel, puisque la prescription ne devient no droit qu'autant qu'elle
est entièrement achevée.
La prescription était encore suspendue en faveur du
tuteur pour les actions qu'il avait contre son pupille (L. 1,
§ 7. D. De c,ontrar . tutel. act.). Cette disposition s'explique par cette idée que le tuteur. détenteur du patrimoine du pupille, ne devait pas être obligé à faire des frais
qui seraient retombés à la charge de ce dernier.
Les jurisconsultes romains s'étaient demandé. si la folie,
l'ignorance, l'absen ce étaient de véritables causes de suspension de la prescri ptioo. Au sujet de la folie, il existe
une loi qui nous amène à conclure que les fous ne bénéficiaien t pas de la suspension ( L. 7. § 5, D d-e curat . furio~i). Cette loi accorde, en effet, le bénMice de l'usucapion à celui qui a reçu un héritage du curateur d'un
fou ; ce qui revient à dire que la prescription n'était pas
suspendue en faveur du fou. - Pour l'ignorance. Justinien décida qu'elle ne suspendait pas la prescription ( L.
12, C. De prescrip. long. tempor. - L. 1, C. De 11suca1>lra11sfonn. ). Admellre la olu lion contraire, c'eût été
supprimer la prescri ption. - Quant à l'absence, bien
riu'indiquée par l' édit du préteu1· comme u ~ cause de
restitution , elle ne fut jamais mise au nombre des causes
�-
56 -
de suspension parce que les raisons de protection qui militent, soit en faveur du mineur. soit en faveur de la femme
mariée, ne se rencontrent pas dans cette hypothèse.
Tel est l'exposé de la législation romaine dont les principes ont servi de base aux législations modernes.
DEIJXIÈ HE
P .4 RTIE
ANCIEN DROIT
De !'Interruption
Les moyens qui interrompent la prescription son t, au
dire de Dnnod ( Traité des Prescriptions), tirés de la nature
ou de la loi. C'est pourquoi l'on distingue l'interruption
naturelle et l'in terruption civile.
CHAPITRE ler
l11te r1•u1•Clo n i'{ature lle
L'ancien droit, tout imprégné des principes du droit
romain, décid ai t que l'interruption naturelle résultait de
la perte de la possession. A1m i, pour ériter une répétition
inutile, nous renverrons purement el simplement au x dé-
�-
58 -
veloppemenls qui ont élé donnés ci-des:ms. Peu imporlP,
donc que la possession soit perdne volontairement ou par
le fait d'un tiers ; dès qu'elle.est perdue, la prescription
est interrompue . C'était là. du moins , le principe généralement admis sous l'ancien droit. Mais ce principe ne tarda
pas à recevoir cerlain tempérament. Au dire de Pothier.
déjà de son temps, quelques auteurs, et parmi enx Dunod,
soutenaient que la dépossession par le fait d'un tiers n'était
pas suffisante pour interrompre la prescription, ils exigeaient de plus qu'il se fût écoulé une année sans que le
dépossédé eût été rétabli dans ses droits. Cette modification a été consacrée par le législateur moderne dans
l'article 2245.
Comme le droit romain , le droit civil ancien admettait la maxime : /Jlala fi.des m71ervc11iens non interrnm7>il
usucapioncm; la mauvaise foi, postérieure au commencement de la possession . n'interrompt pas la prescription .
Le droit canon, au contraire. exigeait la bonne foi pendant
toute la durée de la prescription ; de telle sorte que la
mauvai3e foi, intervenant postérieu··ement, interrompait la
prescriptior. par une voie naturelle ( Dnn od ): et, chose
digne de remarque, cette cause d'interruption. Lien que
naturelle, ne produisait que des effets · relatifs. Elle ne
profilait qu'à celui par rapport a qui elle était inter venue,
les autres y demeuraient complètement étrangers. Voici
l'hypothèse : une personne acquiert a non clominu une
chose hypothéquée; elle peut très bien en prescrire la
propriété, si elle est de bonne foi à l'égard du vendeur .
sans prescrire l'hypothèque. si elle en connaît l'ex istence.
Ferrières donne la rai')On de celle cause <l'interruption :
- 59 • Autrement, dit-il. la possession serait furtive et vicieuse.
" et la personne qui corinait ce vice de possession serait
• obligée. en conscience. ala restitution de la chose .... •
(Coutume de Paris, art. 115).
L'inondation était, elle aussi, une cause d'interruption
naturelle de la prescription, seulement à la différence da
droit romain qui exigeait une inondation définitive. c'està·dire anéantissant complètement la chose inondée; les
docteurs de l'ancien droit étaient moins sévères el admettaient l'interruption de la prescription dès que l'inondation
avait duré une année.
Le Droit féodal fournit un cas particulier d'interruption
naturelle. li s'agit de la transmission d'un fief à un roturier dans une province. où les fiefs ne peuvent être
tenus que par des personnes nobles. La prescription est
interrompue par ce fait relativement au souverain qui a
tout intérêt à. conserver à la noblesse les fiefs qui relèvent
de lui ( Dunod ).
Mentionnons encore les diverses causes d'interruption
qui existaient déjà en droit romain , telles que la mise en
possession du propriétaire. soit à titre de locataire, soit
à titre de dépositaire, etc.... qui on l passé sans modification dans l'ancien droit.
Il y avait égalt:ment interruption naturelle rie la prescription acqui, itive des servitudes quand le pre crivanl
était empêcbé de jouir par celui sur le fonds duquel dernit
s'exercer la servitude.
Seulement de simples voies de fait étaient insuffisantes
pour interrom pre la prescription, , i celni qui en av:iit été
l'objet continuait qua nd mémo ii jouir de la chose. C'c-sl ce
�..
-
60 -
qu'a décidé un arrêt de 17 t 7 dn Parlement de Besançon,
portant que « les habitants de Lamar ont prescrit le droit
de parcours sur un can Lon du territoire de Baune; quoique les habitants de ce dernier lieu eussent prouvé qu'ils
avaiePt plusieurs fois chassé Je bétail de ceux de Lamar
et même qu'ils l'avaient saisi. Mais ils l'avaient rendu et
n'avaient fait aucune poursuite en justice et les habitants de
Lamar avaient continué de prescrire comme auparavant. » (Dunod ).
CHAPITRE II
Nous avons à voir les causes d'interruption civile, les
elTets de cette interruption et son influence sur le temps
requis pour prescrire.
SECT ION 1
CAUSES D'I NTERRUPTION CIVILE
L'ancien droit reconriaissait comme causes d'interruption
civile: l'assignation en justice, la saisie, la reconnaissance
du débiteur et le commaudement qui finit après de nombreuses controverses par être aclm1s par la majorité des
auteurs.
§ 1'•. Assig nation en Justice. -
L'ass ignation en
justiœ, doooéc pu1· un exploit t.lûmeoL libellé. est le pre•
-- 6t -
mier mode d'interruption civile que nous allons étudier.
Potbier (Prescription) dit à ce sujet que l'exploit d'assignation , sur une demande en revendication donnée contre
un possesseur. forme l'interruption civile. parce qu 'à
dater de ce moment u sa possession cesse d'être une possession sans in1uiétation telle que la demandent les
coutumes. ,, L'exploit d'assignation devait être remis au
véritable possesseur pour produire son elîet interruptif.
Ainsi, s'il était remis au fermier au lieu de l'être au vrai
possesseur , la prescription cootiouait à courir jusqu'à ce
qu'un nouvel exploit fût donné à ce dernier, et si la
prescription s'était accomplie dans l'inttlrvalle des deax
assignations, tant pis pour le demandeur. Il y avait cependant une exception à faire pour le cas où le possesseur
et le fermier s'étaient concertés dans un but frauduleux
pour donner à la prescription le temps de s'accomplir ; s'il
en était ainsi, le demandeur pouvait invoquer. et avec
succès, l'exception de dol. contre le possesseur qui aurait
vuulu se prévaloir de la prescription.
Le mot • assignation • étai1 en tendu Lalo sensti, et l'on
décidait que la demande formée par l'une des parties dans
le cours d'une instance interrompait également la prescription •comme si cette demande avait été proposée par
manière de compensation on de reconvention . • (Dunod) .
Ce mode interruptif s'appliquait aussi bien à la prescription acquisitive qu'à la prescription libératoire. li
cessait de produire son effet dans les hypothèses suivantes :
1° Quand l'assignation était nulle pour défaut de
formes. li ne fallait pas comprendre dans les vices de
�-
62 -
formes te défaut de capacité dans la personne qui agit.
AinEi, uo min~ur qui assignai ~, sans autorisation. celui qui
prescrivait son immeuble, interrompait valablement la prescription , car, pour sauvegarder ses droits, l'incapable a
toujours une capacité suffisante : /n acquirendo el conset··
vando ji,re sua mullo magis mitior habetur ]>1'0 majore.
/t<tque omnem actum j uris conset·vatorium polest gerere . ..
filiuni{amilias sci:ticet, qui uliqui persotiam tion habet
sta11lli in judicio ad inlerrnptionem usque in judicio proce·
dere (d'Argeotrée). Il en était de même pour la femme
mariée non autorisée. _
2° Si le demandeur se dP,sistait de son action. Le fait
même du désistement établissant que le demandeur reconnaissait sa préteolioo mal fon dée , la prescription
n'était pas interrompue.
50 S'il perdait son procès, la solution était la mêm.e
que pour l'hypothèse précédente.
4° S'il laissait périmer l'instance, et qu'un jugement
déclarât cette instance périmée, parce que la péremption
n'était pas acqu ise de plein droit (Dunod). Le Mlai de la
péremption avait été fixé à. trois ans par l'ordonnance du
Roussillon. Néanmoins, quelques coutumes, telles que celles
de la Franche-Comté et du Dauphiné, exigeaient un délai
beaucoup plus long, trente ans.
Que décider dans l'hypothèse où le possesseur. dans le
cours de l'instance périmée, avait eu connaissance des
titres établissant le droit du demandeur ; pouvait-il continuer à prescrire? L'instance était périmée, elle n'avait
donc pas produit d'effet. Mais ne pouvait-on pas opposer
au défendeur que la connaissance qu'il avait eue des tiLres
-
65 -
de propriété de son adversaire l'avait consLituê en état de
mauvaise foi, et qu'elle m~ttait dès lors un obstacle à sa
prescription ; d'autant plus qu'il était admis par certains
parlements que , pour les prescriptions inférieures à
trente ans. la bonne fo i devait durer jusqu'à la fin de la
prescription. Malgré cette exigence. oo décidait généralement que la prescription n'ayait pas été interrompue,
quoique le possesseur eût pris connaissance des titres.
Rien ne prouve. disait-oo, qu'il y ai t trouvé un juste sujet
de croire que la chose appartenait au demandeur; au
contraire, il a pu penser qu'elle ne lui appartenait pas.
puisque ce dernier a laissé périmer l'instance.
L'assignation donnée devant un juge incompétent interrompail-elle la prescription ! C'était là une des questions
les plus controversées de l'ancien droit.
Quelque!> auteurs, s'appuyant sur les lois romaines, refusaient à celle assignation tout effet interruptif. • L'as" signatioo. donnée devant un juge incompétent, dit
~ Legrand ( Cout1nne de Troyes, art. 25, n° 51). semble
« aussi ne deYoir interrompre la prescription ; par la
• même raison que la con testation en cause faite touchant
• l'état et la condition de la personne. apuâ procuratorem
• fisci incompetenlem, n'interrompait pas la prescription ,
• suivant la loi Si pater au Code Ne de slatu Def1m clor,
• laquelle loi Mornac, (ad leg. U.i, D.De 111jus vocando.)
• alleste être observée en France. • Pothier penchait
vers cette opinion. tout en cherchan t à la tempérer: •Un
• ajournement Jonné devant un juge incompétent. disait• il , dans la r igaem· des 1J1·incipes, n'interrompt pas la
• prescription, Néanmoins. lorsque la eompétence a pu
�()4
•
•
•
•
P.tre douteuse. la Cour, en pron on~.ant sur l'incompétence du juge devant qui l'assignation esL donn ée.
renvoie quelquefois les parties devant le juge qui doit
connaitre de l'a!Taire avec celle clause, 7miir y procéder
, en l'état qt,'elles ~laient lors de l'ajournement. n (Obligations. n• 697) .
D'autres distinguaient entre l'incompélence ratione materiœ et l'incompéteoce ratione perso11œ, la dernière seule
interrompait la prescription .
Enfin . d'après une troisième opinion soutenue par
Ounod et Ferrières (Coutume de Paris), la prescription
était interrompue dans tous los cas par l'assignation donnée
devan t un juge incompétent. Ils le décidaient ainsi, parce
qu'ils trouvaient juste de favoriser la diligence de celui
qui s'adresse à la justice. Cette opinion devait être consacrée plus tard par le Code civil.
§ 2. Sai.sie. -
La saisie. dûment notifiée, interrompait, elle aussi , la prescription (Dunod ). La notification
était nécessaire puur prodoire l'interruption. C'est ce qu'a
jugé un arrêt du parlement du Languedoc. du 8 février f719. • La possession, dit cet arrêt. qui a corn• mencé avant la saisie, n'est pas interromp ue par la
• saisie subséquente ou la séquestration. si le possesseur
• continue de jouir sans trouble et sans être appelé dans
• l'instance. • (Journal du Palais de Toulouse). En cas
de décret, était-ce la saisie réelle ou seulement l'opposition
du créancier qui interrompait la prescription ? La saisie,
au dire de Dunod, quand les biens du débiteur sont séquestrés : Quia p·igniis prœtoriU'm in 1·em e/it Pt omnibus
-
6!> -
creditoribus proclest. Dans les autres hypothèses, la saisie
n'interrompai t la prescription qu'en faveur do créancier
qui l'avait faite, et l'inLerruplion subsistait quand même
le décret aurait été déclaré nul.
§ 3. Commandement. -
Les auteurs n'étaient pas
d'accord sur l'eftet inlerruptif du commandement.
Les uns et, parmi eux Legrand. lui déniaient cet effet.
• Un commandement. disait-il , fait à un débiteur de
• payer une certaine somme en vertu d'une obligation ou
• sentence, ne doit pas interrompre la prescription, si
• l'exploit n'est suivi d'une saisie de meubles avec trans• port, en sorte qu'on reconnaisse que la saisie et la
• vente sont venues à la connaissance de la partie, ce
• qa 'il serait utile d'observer à présent , pour éviter les
• faussetés qui se commettent souvent pour ce sujet.
• même pour faire revivre des obligations acquittées. Jt
(Coutume de Troyeli) . C'était aussi la j nrisprudence du
parlement de Bordeaux. Seulement, ce dernier donnait
au commandement la force ùe faire courir les intérêts
pendant trois ans, à dater du jour où il était fail. A l'expiration de ce délai , un nouveau commandement étail
nécessaire. Pour le capital, un simple commandement
n'était pas interruptif , même pour trois années (Lapeyrère).
Les autres lui accordaient cet etiet (Pothier, Parlement
de Dijon), parce qu'i l témoigne. de la part de celui qui le
fait, une volonté suffisante pour agir contre son débiteur.
Le command ement n'étant pas so umis à la péremption,
son effet interruptif durait tl'ente an$ (Nouveau Deaizart,
�68 -
prouver les payements, si le débiteur les dénie. L'ancienne
jurisprudence venait an secours do créancier en décidant
que son livre de raison faisait ,preuve des paye~ents par
lµi reçus, lorsqu'il était homme de probité et qu~ la delle
étant certaine, il ne s'agissait que d'écarte,r la prescription,
• parce qu'il cqoste d'aille1,1rs, d'é\près DU,no~ , de l ~
• créance que le payement noté est présumable ; que
« cette note est presque la seule preuve que le créancier
• puisse faice et qu'il est bien juste que son livre fasse foi
• en ce cas, comme celui des marchands le fait en
• d'autres. • Polhier comballait celle jurisprudence en
se fondant sur ce qu e " le journal du créancier sur lequel
• il al!rait ins~rit les payements qui lui auraient été faits,
• ne peut servir de preuve pour lui, qu'il a reçu lesdits
• payements. parce qu'or ne peut ~e fé>iire une preuve à
• ,sGi·roêwe pour soi-même. • (L. 5, C. De prcb. obligJJtùm., n• 696).
.La r~non ciation à la prescription pou vait aussi résulter
de réserves wises dans un contrat.
Henrys dopne l'exemple suivant : u Titius se trouve
• obligé à Mrev~u s à diverses somJ)'.les et 1par diverses qbli• gatiQns, la dernière desqu elles porvrnt réserve des
• précédentes en ces termes : Outre aul1'es dell~s et pour
• em.pt!clw· la siwan11ati.011. Le c~éaQcier et le débiteur
• étant décédés, et l'h~ritier de ci~lui-Jà ayant fait assigner
• le tuteur des enfants et héritiers de celui-ci en déa.la" ration d'obligations exécutoires, le tuteur accorde jµg.e• ment pour quelques-nnes et débat )es autres de pres• cripLion pour y ayoir pl.us de tre.ote ans et pour Qoe
• ou deux plus de quar:)nte ans.
·- · 6'9 • Contre celte prescription l'héritier du créancier
• oppose . .. qu'il ne fallait compteï les quarante ans du
• jour et date des premières obligations, mais du jour de
• la dernière, à canse cle la réserve et clause, outre autres
• dettes , qui les avait renouvelées et faisait obstacle à la
• prescription .. . qae cette cfause insérée dans les der• nières obligations ... était one reconnaissance expresse;
• que ces termes ne pouvaient être inutiles, et qu'il
• fall~it qu'ils opèrassen t quelque chose : qu'il n'es( pas'
• de cette clause comme de cèlles que le notaire peut
• ajouter de son style: mais qu'au contraire il fallait
• croire qu'il n'avait inséré cela que parce que le créan• cier l'avait désiré et que Je débiteur l'avait consenli .
• o'n disait au contraire, qu'il n'y avait pas apparence
• de faire demande d'obligations si vieilles, et dont il y
" avait plus de quarante ans; qu'on ne pouvait pas outre• passer ce Lerme, sous prélexte d'une clause qui est
• assez commu'fl'e et que le notàrre peut autant ajouter
• d'offi ce que par l'ordre des parties .
• Par arrêt de ia Cour. fa sentence du bailfi a été in• firmee. et les mineurs ont été condamnés à payer toutes
• les obligatîons, nonobstant la prescription à laquelle on
; a jugé que la clause otdre aulres deltes a fait obstacle. •
( Liv . 5, chap . 6, Quest. 102).
Cette opinion, adoptée par plusieurs parlements. était
approuvée par Dunod. • La réserve même générale des
• sommes dues faile dans uo contrat, interrompt la pres• cription. ,. Cependant Bretonoier était d'avis que cette
maxime n'était pas assez certaine pour s'y fier et qu'il
faÙt faire une réserve expresse des aotr~s obligations. ( L.
�-
70 --
sur Henrys. loc. cit.). et il ajoutait que le Parlement de
Paris repoussait les réserves vagues et générales, parce
qo'_il les considérait comme de style.
Qu'en était-il du transport de créances? lnterrompaitil la prescription ? Il fa liait distinguer. d'après Ra viol
(sur Périer, Qttest. 54~ ) . si le transport avait ou non été
signifié au débiteur. Dans le premier cas, la prescription
était interrompue, quoique le transport n'eCtt été suivi
d'aucune demande en j oslice ( arrêt dtt Parlement de
Dijon du 22 mars t 678), • parce que la prescription
opposée par le débiteur est toujours odieuse, est impium
prœsidimn, disent les lois et les jurisconsultes. » Dans le
second cas, elle ne l'était pas , puisque le débiteur ignorait
le transport. ( Arrêt <Lu même Parlemetit du 11 août
1671).
SECTION II
EPF ETS DE L'INTERRUPTION
Les effets, produits dans l'ancien droit , sont les mêmes
que ceux déjà. constatés en droit romain, effets absolus
pour l'interruption naturelle, efTets relatifs pour l'interrurJtion ci-vile. On y rencontre les mêmes exceptions en
matière de solidarité, d'indivisibilité, et de cautionnement;
aussi suffir:H-il de faire les observations suivantes :
En ce qui touche la solidarité, des coutumes et des
jurisconsultes lui assimilèrent l'indivision au point de vue
des effets de l'interrnption civile de la prescription.
Ainsi les coutumes de Bourbonnais (art. 57), Nivernais
( Lit. 3ü, art. 5), Berry (Lit. 12 , art. '15) , Anjou (art.4 55) ,
-
7t -
décidaient que l'interruption faite contre l'un de ceux qui
possédaient en commun ou par indivis, profitait comme si
elle était faite i1 l'égard de tous.
Domat tirait la même règle de lajloi, (Ult. C. de duobus
reis), tant en faveur de ceux qui jouissent en commun que
contre eux.
Chabrol ( snr Auvergne) donnait de cette doctrine la
justification suivante : • li en est des hèritiers du débi• teur comme des co-obligés même, tant que ces héritiers
• n'ont pas fait de partage. Ils sont censés mandataires
• les uns des autres à. cet égard. Ainsi la poursuite faite
• contre l'un d'eux est réputée faite contre la succession
• même, et si, pour un droit appartenant à plusieurs en
• commun. un seul agissait pour le tout, sa demande
• interromprait la prescription aussi pour la totalité ;
• chacun de ceux qui possèdent un droit indivis est
• réputé procureur constitué des autres et il peut agir
• pour la totalité. •
Cette opinion n'était pas unanimement adoptée. Despeisses, Pothier, Dunod, enseignaient le contraire, et le
dernier de ces auteurs s'appuyait surtout sur un argument qui nous parait décisif. à savoir que l'état d'indivision
n'empêche pas les communistes d'avoir des droits distincts.
Pour le cautionnement la question était controversée.
Les uns distinguaient entre les cautions judiciaires et les
cautions conventionnelles. et ce n'était qu'à l'égard des
premières que \'interpellation donnée au débiteur principal devait s'étendre à la caution (Dunod).
Les autres voulaient que dans aucun cas la poursuite
�-
72 -
dirigêe contre le débiteur ne rejaillît contre la caution,
parce que les deux dettes sont distinctes (Dupérier).
D'autres enfin ne faisaient pas de distinction et décidaient que l'interruption avait lieu dans tous les cas à
l'égard de la caution (Pothier) . C'est l'opinion qui finit
par prévaloir et qui , a jnste titre, a été consacrée par le
Code civil.
La ~aisie immobilîère, comme la missio in possessionem
du droit romain, profitait à tous les créanciers.
La saisie par décret empêchait la prescription de cinq
années de rentes constituées par argent, encore que ceux
auxquels elles étaient dues n'eussent pas opposé en conséquence de ladite saisie. On sait que l'opposltl'on au décret
équivalait à. notre acte de 1>rodttil. D'Héricourt expliquait
ainsi cette règle: • Un opposant à un décret est colloqué
• pour tous les arrérages qui lui sont d:Js d'une rente
" constituée, sans qu'on puisse lui opposer le défaut de
" sommation pendant cinq années, depuis soh opposition ,
" même depuis la saisie réelle. La raison qu'on peut ren• dre de cet usage es t que la saisie réelle est faite non
" seulement pour la conservaliol'l des droits du saisissant
• mai~ encore po ur Lou!\ les créanciers de la partie en cas'
• qu'ils forment opposition au décret. Or, tant qu'il y a
" inslance pendante an sujet des arrérages d'une rente,
• celte instance empêche le cours de la péremption intro" d.u.ite par l'ordonnan ce de Loui.~ XII . Il y a une dispo" s1t1on expresse pour le Parlement de Normandie dans
• le reglement de 1666. " (De la vente deR immeubles
r1rll' 1lécret.) Dans cette hypnthèsc la saisie même donnait
-
75 -
naissance à ('action commune des créanciers et interrompait la prescription à leur profit.
SECTION III
INFLUENCE DE L'INTERRUPTION SUR LE TEMPS REQUIS
POUR PRESCRIRE
La solution élail la même
qu'en d.roit romafn. Si le possesseur dépouillé de son
immenble vP.nait à Je recouvrer, il commençait une nouvelle prescription d'une durée égale à. celle qui avait été
interrompue.
Interruption Naturelle. -
interrup(ion èivile. - Il faut examiner successivement
i'es divers actes qui formaient cette interruption.
1• Ajournement. - Nous avons vu q~··en droÙ romain la litis contestalio prorogeait à. trente ans les actions
1
,
temporaires et à. qt{arante ans les actions perpét uel1es. Ce
résultat ne se rencontrait plus dans l'ancien droit. L'ordonnance du Roussillon de t :S65 ayant abrogé la constitution
de Justinien : • L'instance intentée, quoiqu'elle soit con• testée, si, par le laps de trois ans, elle est discontinuée.
• n'aura aucuu elTet de proroger ou de perpétuer l'action.•
(art. 15 de l'Ord. ).
Voici quel était l'état du droit dans notre ancienne
jurisprudence. La prescription était interrompue par
l'ajournement, et l'interruption subsistait autant que l'instance, i;elle-ci eût-elle duré plus de trente ans. Mais la
�-
74 -
prescription con tin nait à courir, si l'instance était périmée,
soit qu'il y eùt eu contestation en cause, soit que l'ajournement n'eût pas eu de suite; de telle sorte que si, pendant
ce temps, l'action était. arrivée ason terme de trente ans,
la péremption emportait la prescription de l'action.
(Boniface) .
Pothier n'admettait pas ce système, quand il s'agissait
des actions annales. Il distinguait pour elles, s'il y avait eu
ou non contestation en cause. Dans le premier cas. l'action
annale était prorogée a trois ans ; dans le second, la
demande était périmée par un an . Il écartait l'ordonnance
de Roussillon , en disant qu'il ne fallait pas l'appliquer aux
actions annales, puisque son esprit était d'abréger le
temps des péremptions et non de le prolonger .
Dunod rejetait cette distinction , parce que la coutume
ne distinguait pas c:ette action des autres et que la seule
demande en justice devait la perpétuer comme elles suivant Je droit civil.
2° Commandement. - Il prorogeait à trente ans
l'action d'une durée moindre. C'était la doctrine généralement admise par l'ancien droit. (Dunod . Pothier ,
Bourjon.)
0
~ Saisie, -
Comme elle était précédée d'un commandement, si elle venait a disparaitre par l'effet de la
péremption , Je commandement subsistait et prorogeait
l'action jusqu'à. trente ans; si elle se poursuivait, l'action
durait autant que l'instance.
-
7:> -
4° Reconnaissance du fübiteut·. -- Elle prorogeait
elle aussi. jusqu'à trente ans, la créance prescriptible
par un temps moindre (Dunod). Comme les exemples
cités par cet auteur n'ont trait qu'à une reconnaissance
· expresse, il est probable que la reconnaissance tacite ne
devait pas produire le même effet.
�-
- 77 -
76 ~hè~es
Suspension
Il n'y a pas, croyons-nous, dans l'ancien droit de matière plus embrouillée, où l'on rencontre plus do controverses et d'incertitudes que celle des causes qui suspendent la prescription. Partout des divergences, dans la
doctrine, dans la jurisprudence, dans les cou tumes.
Rechercher la raison d'une semblable confusion. d'un
pareil cabos juridique. n'est pas chose facile, on peut cepen·
dant l'expliquer, soit par l'état d'isolement dans lequel
vivaient les provinces entre elle~ . soit encore et surtout
par l'obscurité de la loi romaine sur ce suj el. Cette obscurité et le peu de précision de:; textes permirent à nos
anciens auteurs de donner un libre cours à leur esprit
subtil et à leur imagination féconde. lis entassèrent dans
leurs ouvrages distinctions sur ëfiSiiôcGons, limitations sur
limitations et en arrivèrent à rendre incompréhensible un
sujet déjà très difficile par lui-même.
Avantd'aborrler cette matière, il faut remarquer que les
auteurs se servaient tantôt du mot suspension , tantôt du
mot restittAtion . C'était là nne simple question de procédure, mais le résultat était le même dans les deux cas.
Le mot • suspension • était employé de préférence quand
il s'agissait d'un cas prévu par la loi o:.i la coutume; on
invoquait alors directement leur dispositif devant les tribunaux. Le mot • restitution • était réservé aux hypo-
qui , quoique n,on prévues par la loi ni la coutuJ.De.
~érita~ent cependant l'attention du législateur • .C'était le
~onverain qui , par • lellres royaux• délivrées en chanceller\e, annulait le temps qui ,a.vjlil cour~ ,contre .le r~
quérant.
Nous allons examiner successivement les différentes
causes de suspension ou d~ ,restitution , ad~ises dans l'anci ~o droit ; pour pins de clarté, nous les grouperons dans
trois catégories distinctes ; dans la première. nous parl~
rons des causes qui tiennent à l'Atat et à la qua\ité des personnes ; dans la seconde, de celles qui dérivent des rapports
des personnes; µa,ns la troisième, de celles qui sont fondées
sur les ~odalités ries droits de créance ou de propriété.'
SECTION 1
1
CAUSES TENANT A L ÉTAT OU A LA QUA.LITÉ
DES PERSONNES
C'étaient la pupillarité, la minorité, l'imbécillité Gu la
foli e, l'état de fils de famille. la qualité de femme mariée,
l'absence. l'ignorance, la peste et la guerre. la succession
vacante, et le concours d'actions.
§ l. PwpiUarité. -
Le seul exemple bien clair qu'on
ait dans le droit civil est celui de la loi sicut au Code de
prn!sc1·iplione triginta vel quadraginta, annorum , d'après
laquelle la prescription de trente ans ne court pas contre
es pupilles et dort pendant la pupillarité (Dunod) .
-·
- ~
--
-
--
.
~·
�- so Il eo était de même pour la prescription lég~le judiciaire.
Quant à la prescription légale extrajudiciaire, il fallait distinguer, s'il s'agissait d'une prescription légale extraj udiciaire te.mporaire. ou d'une prescription légale extrajudiCijlire perpftuelle.
Qans la première hypothèse. l'ancien droit, pçenant
pour guide Justinien , suspendait la prescription en faveur
des mineurs dans les cas où ceux-ci auraient été restitués,
et leur refusait ce bénéfice dans le cas où le droit romain
ne leur accordait pas la restitution. Ces derniers cas étaient
ceux où le mineur exerçait une action odieuse qui tendait
moins à son propre avantage qu'au détriment d'un tiers,
ou qui ne pouvait l'enrichir qu'en dépouillan t quelqu'nn.
Ainsi la prescription d'une injure ou d'un délit courait à
l'égard du mineur comme du majeur (Montholon). La
même solution se présentait en matière de commise
(Jol;i~JQt ,
Coutume de Franche-Comté).
Une remarque à faire. c'est que dans les cas où la prescription était suspendue en faveur des mineurs, la prescription commencée contre un majeur cessait de courir en
faveur de \'héritier mineur et q1;1e cette suspension conti .
nuait, si ~ cet héritier mineur succédait une personne
également mineure (Raviot sur Périer).
Dans la seconde bypothèse, c'est·à-dire quand il s'agis:
sait d'une prescription légal~ extrajudiciaire perpétuelle
(trente ans et au·dessus), il y avait de nombreuses <;ijver:
gences.
Un fait indiscutable, c'est que dans le dernier état de la
légis)atio,u rqm~ine. les µiineurs n'étaient pas restitués
con,tre la prescription de trente ans (L. 5, C. qe prœserip.
-81lriginta vel. quadraginta ann.) Aussi d'Argentrée voulait-il
que la même règle fût suivie dans l'ancien droit. Cependant la question était très controversée non seulement dans
les pays de coutumes. mais même dans les pays de droit
écrit, où les termes si clai~s de la loi romaine n'auraient
pas dû être mis en contestation. Elle donna naissance à
plusieurs systèmes que npus allons rapidement examiner.
Un premier système (d'Argentrée) admettait qu'en aucun
cas les mineurs ne devaient être restitués contre la prescription de trente ans, parce que le bien public doit l'emporter sur la faveur de la minorité. C'était le système le
plus conforme aux traditions romaines. Il fut adopté par
les Parlements d'Aix et de Besançon. Toutefois leur jurisprudence ne fut pas uniforme, et le second de ces deux
Parlements finit par accorder la restitution (Dunod).
D'après un second sy~tème , la prescription courait contre
les mineurs, mais ils pouvaient se faire restituer par lettres
du prince (Parlements de Toulouse, Grenoble, et en dernier lieu Besançon).
La Peyrère voulant assimiler la jurisprudence du Par·
lement de Bordeaux à celle du Parlement de Toulouse
s'expliquait en ces termes : « En prescription de trente
« ans, soit qu'elle commence par Je mineur, ou qu'elle
" ait succédé au maj eur , elle dort en pupillarité et elle
• court en minorité, mais avec le bénéfice de la resti« tution. lequel se doit demander dans les dix ans de
« l'ordonnance pour les années qui ont couru jusqu'à
• l'âge de vingt-cinq ans ; autrement les dix ans passés,
« toutes les années se joindront et courront sans diffé• rence.. . Cette décision est toute véritable et nous
�-
82 -
avons peine à nous en défaire nonobstant quelques arrêts
" contraires donnés en ce Parlement. • Cette opinion
êtait reproduite par la coutume du Berry. ( P1'escriptions ,
art. i el 2.)
Un troisième système (Parlements rie Paris et de Bordeaux). tenait pour la suspension pure et simple de la
prescription en faveur des mineurs. 11 fut adopté par un
grand nombre de coutumes (Paris, art. 118; Calais, art.
50 ; -Amiens, art. 160; Reims , art , 58 1 : Douai, art. 2.
Lod unois, ch. 20 , art. 7 ; Bourbonnais, art. 35; Hainaut,
ch . 107 , art. 'Z) . Au sujet de ces trois dernières coutu mes.
nous ferons une remarque particulière à chacune d'elles.
La coutume de Lodun ois admettait bien que la prescription ne courait pas contre les mineurs. quanrl elle
avait commencé pendant la minorité, mais elle ajoutait
que, si ell e avait commencé contre un majeu r, el!~ courait contre un héritier mineur, disposition extraordiuaire, dit Cottereau (Dr. gén ér . de la France) , qu'il fau t
restreindre aux cas où les mineurs sont pourvus de
tuteur!/.
La coutume du Bourbonnais distin guait , s'i l s'a gissait
d'un jeune homme ou d'une jeune fille . Elle suspenùait la
prescription jusqu'à vingt ans dans la première hypothèse,
j usqn 'à seize ans seulement dans la seconde.
La coutume du Hainaut, la plus singuli è1·e des trois,
exigeait que la prescripti on n'eût pas couru six années
contre la personne maj eure, après ce délai, elle courait
contre le mineur .
A côté de ces trois systèmes principaux, il en existait un
quatrième sou tenu par Dupérier , qui dislinguait si le mi·
o:
-
85
neur était ou non pourvu d'un curateur . S'il était pourvu
d'un curateur, la prescription courait contre lui ; s'il n'en
avait pas, elle était suspendue en sa faveur. Ce système
fut consacré par la coutume de Bretagne, article 286,
« les prescriptions introduites et approuvées par la cou« turne ou par les contrats et conventions des parties,
o: commencées avec les majeurs.
courent contre les
" absents pour quelque cause que ce soit, mineurs,
• insensés, furieux prodigues, interdits, étant pourvus
• de tuteurs ou curateurs, sans aucun espoir de restitution
" ou relief. sauf leur recours contre les tuteurs ou cura« teurs el autres administrateurs. • Le Parlement de
Rennes en de nombreux. arrêts élucida cette distinction et
décida que la prescription courait même contre le mineur
irnpouruu, c'est-à-dire sans curateur. (Journal des audiences de Bretagne.)
§ III. Interdiction . Folie. lmbeciltité. -
Un premier
point certain , c'est que les prescriptions qui couraient contre
les pupilles couraient également contre les interdits. Mais
la controverse existait pour les prescriptions légales extrajudiciaires, surtout pour les perpétuelles. Le Parlement
d'Aix tout imbu des idées romaines décidai t qu'elles
n'étaient pas suspendues en leur faveur, se basant sur ce
que la durée souvent fort longue de l'imbécillité ou de la
fureur pouvait rendre très lourds les inconvénients de
la. suspension . L'opinion contraire comptait cepenùant le
plus de partisans. Lp,s Parlements de Paris et de Toulouse
l'admettaient, ainsi qu'un grand nombre de coutumes, entre
autres celle de Metz qui portait (tit. '14 . art. 4) que
�c
c
c
84 -
la prescription ne court pas contre mineurs pendant Je
temps de la minorité, ni contre autres personnes qui
sonl en curatelle d'autrui eb qui ne peuvent agir. ,,
§ IV. Fil,s de Famille. - Il fallait> distinguer si l'objet
qu·'il s1agissait de prescrire dépendait dt1 pécule castrense
ou du pécule adventice . La prescription n'était pas suspendue dans le premier cas , parce que Je fils de famille
était pleinement indépendant ; elle l'était dans Je second,
parce que la loi refu sait toute action au fils et n'en permettait l'exercice qu'a a père usufruitier (Danod). Il résultait de fa , que peu importait la nature de la prescription ;
qu'elle fût tlrentenaire ou d'une dorée moindre; qu'elle
provînt do fait du père ou de sa négligence; qu'elle eût
commencé avec le fils ou avec son auteur, elle devait être
suspendne, tant que le fils n'avait pas l'exercice de ses
actions.
§ V. Femme ma1·iée. - L'ancien droit, suivant l'exemple du droit romain , déclarait prescriptiLles les actions relatives au paiement de la dot ; la femme ponvait, en
êlîet, agir soit par elle-m ême. soit par l'interméd iaire de
~~ ~ari. Si ce dernier laissait s'accomplir la prescription,
fi era1t soumis à un recours de la part de la femme: mais
les tiers ne de\•aient pas être inquiétés.
Pour savoir si l'on pouvait prescrire contre la femme
soit la propriété de ses biens. soit la libération de ses
créances, il fallait se demander si la prescription avait
commencé avant le mariage, ou si elle n'avait commencé
que depuis cette époque.
-
8~
-
Dans la première hypothèse, la prescription continuait
à courir pendant le mariage, seulement la femme avait un
recours contre son mari, s'r\ était en faute. C'était là une
question d'appréciation laissée à l'intelligence du juge. La
question devenait plus délicate, quand 11insolvabilité du
mari rendait le recoufls de la fomme illusoire, fallait·il dans
ce cas suspendre la prescription en sa faveur ~ Carnbalas
et Bupérier soutenaient l'affirmative el invoquaient, à. l'appui de leu r doctrine, l'un un arrêt du Parlement de ·Toulouse. l'autre la jnr:isprudence du Parlement d'Ai:x. Cette
opinion n'était pas unanimement approuvée, Catellan la
combattait en se basant sur la loi 16, de {imdo dolali, qui
porte en termes exprès que la prescription n'était pas suspendue quand elle avait commencé avant le mar.iage.
Dunod, lui aussi, pensait que l'on devait d'autant moins
admettre la femme à se faire restituer, dans le cas d'insolvabilité de son mari , que toutes les actions de la femme
devaient, suivant la coutume, être exercées en son nom
ou avec sa procuration au pétitoire, et que si, suivant la
même coutume. elle ne pouvait ester en justice sans le
consentement de son mari, elle pouvait à son refus, se
faire autoriser d'office. Dès lors, la négligence leur étant
commune. elle devait en supporter les conséquences.
Dans la deuxième hypothèse,' c'est-à-dire quand la prescription n'avait pas commencé pendant le mariage. il fallait
encore so us-distinguer. S'agissait-il d'un débiteur qui prescrivait sa li bération~ Catellan ensei~ne c que la prescrip• Lion d'une somme due à la femme courait en faveur de
• son débiteur, quoique la femme eût con~titué à son
• mari tous ses biens, et que la prescription n'eût pas
�-86 • commencé avant le mariage. • Et cela parce qlle l'imprescriptibilité n'était que la conséquence de l'inaliénabililé,
et que celle-ci, d'après la loi Julia, ne visait que les fonds
dotaux et non les droits incorporels? S'agissait-il d'un possesseur qui prescrivait afin d'acquérir ? La prescription
n'était suspendue qu 'alltant que le mari s'était porté garant.
ou que l'action intentée par la femme allrait réfléchi contre
llli (arrêt de règlement du Parlement de Bordeaux du
9 décembre 16 56) .
Pour les menbles dotallx, on admettait généra lement
qu'ils étaient prescriptibles. Le Parlement de Provence
était le seul à tJ.Cr.order la restitution à leur sujet aux
femmes mariées.
Pour les actions rescisoires, il n'y avait pas de difficultés, quand la femme avait contracté avec son mari.
La prescription était suspendue en sa faveur. On présumait que le respect, la craint e ou la puissance maritale,
l'empêchaient de revenir d'un contrat qu'elle avait fait
avec son mari même; quand c'étai t avec un tiers. la prescription n'était suspendue que si le mari s'étail porté
garant (Dunod) .
Que décider dans le cas où le mari était obligé solidairemen t avec sa femme? Le Parlement de Paris avait admis,
par deux arrêts consécuti fs (27 mai et 1er juillet 1672),
que Ja prescription serait suspend ue en faveur de la
femme pour épargner au mari des poursuites rigoureuses
de la part des créanciers.
On s'était demandé si la séparation de biens faisait
courir la prescription. Les pal'lemenls de Guienne et de
Normandie s'étaient prononcès pour la négatirn, parce
-
87 -
que. « dès que le même principe d'afTection peut subsister
« chez une femme séparée aussi puissamment que chez
« celle qui ne l'est pas, il serait injuste que la prescrip« tion à laq uelle l'une par faiblesse, l'autre par con« descendance pour le mari, pourrait s'exposer. courût
« contre l'nne et qu'elle ne courût pas contre l'aulre. »
Cette jurisprudence ne prévalut cependant pas, et tous
les auteurs admettaient que la prescription devait avoir
son libre cours contre les femmes séparées de biens. La
question se réduisant dès lors à déterminer le point de
départ de la séparation de biens.
Mourgues (Statuts ~de Prover1cc). tout tlD rappelant
que très anciennement le Parlement de celte province
fai sai t courir la prescription du jour où le dérangement
des affaires du mari avait commencé d'être notoire, ajoute
que. de son temps, la prescription ne courait que du jour
où l'insolvabilité avait été judiciairement constatée. C'était
aussi l'o pinion du Parlement de Toulouse.
§ VI. Absence. - Lïn certitud~ Q1Ji avait régné .~ur
cette matière dans la législation romaine passa tout ent1ere
dans l'ancien droit et s'y traduisit par les décisions les
plus diverses. De là, des difficultés multiples qui insp~
raient à Dunod les réflexions suivantes ; • On connait
• assez par ce qui vient d'être di t dans quelles discussions
« jettent les restitutions pour cause <l'absence;. qu'e~les
• sont une source inépuisable de procès, et que rien n est
• plus opposé à l'esprit des lois qui ont introduit. l~ .pres• cription dans la vue du repos et de la tranqmlhte P~
« bliqu e ; on le ferait bien mieux sentir si \'on rapportait
�-
88 -
• tous les cas dans lesquels les docteurs disent que ces
• restilutions doivent êlre accordées, mais il faudrait uo
• volume pour les tous comprendre. »
Sans ent1·er dans le détail des nombreuses causes d'absence reconnues par l'ancienne jurisprudence. ni dans
l'examen des nombreuses questions que ferait naître cette
matière . nous nous bornerons à citer, après Dunod, les
cas qui comportaient généralement la restitution. C'étaient :
1° l'absence pour le service de l'Etat, comme celle des ambassadeurs, des envoyés, de ceux que le prince commet
pour exercer quelque magistrature hors de chez eux, des
soldats et de leurs femmes qui les suivent, de ceux qui
sont à l'armée pour servir, tels que les intendants, les
trésoriers, les médecins et chirur~iens; 2° l'absence pour
une juste cause, comme serait celle de la mort, des tourments, celle de perdre la liberté, ses biens, l'honneur.
c'est au juge d'arbitrer. quand il y a lieu à cette crainte?
5° l'absence qui vient d'une étude actuelle dans les universités et collèges approuvés. Pour jouir du bénéfice de
la restitution, l'absent ne devait pas avoir laissé de procureur, ou s'il en avait laissé un , il fallait qu'il fût insolvable.
Au sujet de la prescription de long temps, un grand
nombre de coutumes, se conformant en cela au droit
romain, la faisaient courir à l'encontre des absents, en
exigeant une possession de vingt ans. Seu(ement, elles entendaient par absents, non pas ceux qui habitaient des
provinces différentes, mais ceux qui avaient leur domicile
dans les ressorts de difTérentes juriùictions royales de première inst<!;nce, quoique dans la même province.
-
89 -
Il y avait même des coutumes qui réputaient absents
ceux. qui , domiciliés dans leurs territoires. s'en éloignaient
temporairement. La prescription était suspendue en leur
faveur, quel que fût le motif de leur absence. Tetle était
la coutume de Lille (tit. 15, art. 4): On ne peut pres« crire contre absents du pays. et dort pendant ce temps
• la prescription. • Pollet, en commentant cette coutume,
ajoutait : cc Par ces mots, absents du pays. la coutume
• entend ceux qui, ayant leurs demeures au pays. en
• son t éloignés soit pour afTaires publiques.... et qui
• <:onservent pourtant toujours la ''olonté d'y retourner .
• Mais la coutume n'entend point ceux qui n'y ont jamais
• demeuré, ou qui l'ont tout à fait quitté et se sont
• établis en quelqu'autre lieu. •
1(
§ VII. Ignorance. - Bien que le droit romain décidàt
d'une façon formelle que l'ignorance n'était pas une juste
cause de restitution, les anciens auteurs parvinrent à la
faire considérer comme telle en s'appuyant sur cette particl
de l'édit du préteur : •Item si qua alia mihi justa causa
videbitur, t·estituam in integrum, • à laquelle ils donnèrent l'interprétation la plus large. lis allèrent même plus
loin et finirent par déclarer que l'ignorance serait présumée. Celui qui invoquait la prescription devait prouver
que son adversaire avait eu connaissance de soo droit.
C'était détruire complètement la prescription. Aussi frappé
de la justesse de celle observation, Dunod repoussait-il
énergiquement cette doctrine : " \.e serait, disait-il, faire
« Illusion aux lois qui établissent b prescription ot les
« rendre inutiles que d'admellre ce moyen. parce qu'il
�-
.. arrive souvent que la prescription court coo tre des
« personnes qui l'ignorent, et ceux même qui l'on su,
" ~e manqueraient pas de prétextes pour dire qu'ils l'ont
" i~no~ée. Ce ~er~it du moins charger d'une preuve trop
" d1~ctle ceux qt11 ont prescrit que <le les obliger à faire
• ro1r que les intéressés ont su Ja prescription. »
§ VIII.
Les coutumes de Bouillon
et. d~ Boulonnais admettaient la suspension de la prescriptw~ p~ndant le temps de la peste ou de la guerre. Bro· . commune des
deau dit egalement que · suivant l'o p1mon
docteurs, la prescription ne conrait point pendant le temps
~e .la pes!e, et cela parce qu'elle arrête l'exercice de la
. du
JUSt1ce. Lon trouve la même solution dans un arret
Parleme?t de Toulouse qui, à l'occasion d'une prescription
treo.tena1re, déduit le temps de la peste arrivée à Montpellier en 1627.
Peste et Guer1·e. -
Dunod était d'un avis contraire du mo1'ns quant à la
.
. . une disposition
de trente ans · Il exigeait
prescription
..
. .
spec1ale. autorisant la suspension de la
prescr1pt1on pend t d .
1
. et i! citait à
1 em1e,
ran a· duree des hostilités ou de l'ép'd.
. , portant
a•ppm e sa thèse un édit spécial et ex pres
qu aucune prescription de droit ni de fait d
· es coutu mes
d
ou d
es or onoances. n'avait couru dans le comté de
. .
Bourgogne depuis le 26 mai i 656 jusqu'au
premier JOUr
de l'an t650 1
.
r ·
et la cool a61
, . a guerre
on ayant 10terrompu
.
1e cours de la 1ust1ce pendant cet intervalle.
J
-
90 -
. .
§ IX. Succession vacaute __ 0
n avait mis en doute
·
·
a question de savoir s· 1 ., . .
t a p1 vscr1pt1on pouvait courir
9t -
contre une succession non pourvue d'un curateur . L'affirmati ve était indiscutable, d'après Pothier, parce que les
créanciers, intéressés à la conservation de la succession
pouvaient très bien faire nommer un curateur , e~ s'ils ne
le faisaient pas, c'était une négligence qu'ils ne devaient
imputer qu'à eux-mêmes. Il repoussait \a distinction proposée par Henrys. qui suspendait la prescription pendan L
le délai accordé à \'appelé pour prendre parti.
§ X. Concours d'Action. -
ll n'entraînait pas la
suspension de la prescription d'après la plupart des auteurs.
Boniface cite deux arrêts du Parlement de Paris sur cette
matière: par le premier du 12 janvier 1654, il a été jugé
que la prescription de l'action en regrès n'était pas sus·
pendue pbnrlant que le créancier plaidait sur l'action en
droit d'offrir ; par le second, que l'action en regrès s'était
prescrite pendant que le créancier avait agi en exhibition
de collocation.
Quant à la sépara tion de l'usufruit d'avec la propriété,
elle n'empêchait pas la prescription de courir contre le nu
propriétaire. ( Arrêt cfo Pat'ltr1ne1Ll de Paris d1J, 4 jtiillet
1598) .
SECTION Il
SUSPENSION DE LA
PRESCRIPTJO~ ,\ RAISO.'.'{ DES RAPPORTS
QUI EXISTENT ENTRE L E P ROPRIÉTAIRE ou CRÉANCIER
ET LE PossESSEUR ou Df:BITEUR.
Bien que l'empêchement d'agir soit ici encore l'origine
des nouvelles dérogations au prrnc1pe de la prescription
que nous allons étudier , il ne l'anl pas cependant les
�- 92 confondre avec les précédentes, car cel empêchement n'a
plus ici son fondement immédiat dans l'incapacité des
individus ou dans la difficulté des poursuites; il tient au
contraire à des rapports d'affection el de respect, ou à
l'inutililé des frais de justice occasionnés par les interruptions.
Les causes de suspension qui rentrent dans cette seconde
catégorie sont : la suspension entre le tuteur et le pupille,
la ~uspension entre l'héritier bénélfoiaire et la succession,
la suspension entre époux , la suspension à raison de la
puissance paternelle, la suspension à raison de la suzeraineté.
§ 1. Suspensùm entre le Tuteur
Pupille. - Le
tuteur ne pouvait prescrire contre son pupille, quoique
la prescription statutaire courût régulièrement contre lui
dans les matières qu'ell e avait pour objet. Au ssi Auzanet
(Coutume de Pm·is) rapporte un arrêt du mois de décembre
1659 portant que le tuteur qui av;1it acquis un bien passible de retrait de la part de s~n pupille, ne pouvait pas.
à la majorité de celm-ci, se prévaloir de cette prescription.
<:l le
§ II. Suspe11sion entre l'héritier ûénrficiaire et let
succession. - La prescription était suspendue en faveur
de l'héritier bénéficiaire, parce qu'au di re d'Henrys il ne
pouvait agir coutre lui-même et qu'il avait en sa posses si<>n les eITets de la succession. Oupérier disti ncrnait entre
.
"
les creances que l'héritier avait acquises pour Je compte de
l'hoirie et celles qui lui étaient propres vis-a-vis du défunt.
-
95 -
Il admettait la suspension dans le premier cas et la rejetait
dans Je second.
§ Ill. Suspension entre Epoux . -
La prescription ne
courait pas, d'après Pothier , pour les créances qu'une
femme, quoiqu e séparée de biens, pouvait avoir contre son
mari. Il en donnait une raison insuffisante, puisqu'il la
trouvait uniquement dans la position de la femme à l'égard
de son mari. Si c'était là Je fondement de cette cause de
suspension, il aurait fallu décider que la prescription
n'était pas suspendue eo faveur du mari. Or, la suspension avait lieu dans les deux cas. La vraie raison est
que ta loi ne voulait pas que des mesures vexatoires vinssen t troubler la bonne harmonie qui doit régner entre
époux .
§ IV. Suspension à rai.son
de la P 11issance Paternelle .
- Les anciens auteurs et ùe nombreux arrêts avaient , par
un sentiment de convenance, consacré cette cause de suspension. La prescription ne courait pas en favP.ur du ~ère
contre l'enfant soumis à sa puissance et ayant la libre
administration de ses propres biens. car • le respect,
" l'honneur et l'obéissance qu'un enfant doit à celui qui
d l'a mis au monde lui ôtent la liberté d'implorer la justice
• coutre son propre père. • ( Arrêt du Parlement de Pro vence du '27 noi;emûre 1665).
§ V. Suspension entre
le Seigneu1· el le Vassal. -
Les Parlements de Paris, Toulouse et Bordeaux suspendaient la prescription entre le seigneur et le vassal. La
'
�-
94 -
raison se trouvait dans les rapports de subordination qui
existaienl en tre eux. Le Parlement de Grenoble faisait une
exception pour la prescripLion centenaire.
SECTION III
SUSPENSION FONDÉE SUR LA MODALITÉ DES D ROITS
DU P ROPRIÉTAIRE OU C RÉANCIER.
Ces modalités sont la c;ondition el le terme.
§ l. Condition. -
Quand un droit réel ou personnel
se troovait soumis à un terme ou a une condition, le droit
romain en suspendait la prescription jusqu'à la réalisation
de l'évènemen t prévu. C'était l'application toute logique
de cette idée que l'on ne peut reprocher au propriétaire ou
créancier de n'avoir pas agi, tant qu e son action n'est pas
née. Les mêmes principes furent consacrés par l'ancien
droit. Loysel dit , en effet, ( Coutiune de Paris) " qu'en
• douaire et autres actions qui ne sont pas encore nées ,
• le temps de la prescription ne commence à courir que
• du jour où l'action esl ouverte. »
.La condition qui suspendait le droit lui-même suspendait donc en même temps la prescription de ce droit. La
jurisp~ud.ence ancienne olirai t une fo ule d'applications de
ces pnnc.1p~. Ainsi pour les droits et gains de survie ; pour
les subst1tuhons conditionnelles : pour les droits de résolution'. dépendan t de la condition implicite, si l'obligé ne
rempl.1t pas les clauses el charges de son r,ontrat ; pour les
donations avec condition de retour , si le donataire prédé-
-
95 -
cède; pour les actions hypothécaires qui ne p1ill vent se poursuivre qu'autant que le débiteur ne paye pas. etc .. ; pour
toutes ces hypothèses. la créance ne se prescrivait qu'à
dater de l'évènement qui la rendait pure et simple.
Voila comment les choses se passaient entre le créancier et le débiteur; mais en était-il de même quand l'immeuble affecté par le droit conditionnel passait dans les
mains d'un tiers détenteur! En droit romain. la question
n'était pas douteuse, la prescription d'un droit conditionnel
était arrêtée même à l'égard d'un tiers détenteur , tant qoe
la condition ne s'était pas réalisée. Notre ancien droit
s'écarta sur ce point rl u droit romain et, dans le but de
laisser le moins possibl e incertaines les questions qui touchent à la propriété, il imagina l'action en interruption
d'hypothèqu e. Celte action était intentée par le créancier
conditionnel contre le tiers détenteur pour forcer ce dernier à reconnaître que son immeuble était hypothéqué
Elle servait donc , comme son nom l'indique, à interrompre
le temps pendant lequel le détenteur aurait pu prescrire
la libération de l'hypothèqu e qui grevait son immeuble.
Elle diflérai t de l'action hypothécaire en ce qu'elle ne tendai t n:lllement au délaissement de l'immeuble, mais seulement à la reconnaissance des droits du créancier.
Cette ingénieuse invention du droit fra nçais présentait
des avantages trop considérables pour ne pas se propager.
bien -qu'elle heurtât directement les lois romaines. Dès
lors il fut g&néralement aùmis que le créancier hypothécaire, ayant le pouvoir d'agir désormais avant l'arrivée de
la condition , ne ponvail plus prétendre au bénéfice de la
suspension . Voici les termes dans lesquels Loy::eau
�-
96 -
( Dégutnpimment) retraçait cette dérogation aux lois romaines : «Nous l'avons étendue aux dettes in diem et aux
• dettes conditionnelles. lesquelles de droit ne se pres• cri vent, sinon après le jour passé ou la condition échue,
• comme aussi aux hypothèques sujettes à la garantie
« d'un autre héritage, dont la prescription n~ commen" çait à c@
urir que du jour de l'éviction (ut vidt glossa
« in leg. empt . C. de evict. ); bref en toutes dettes hypo·
• thécaires qui ne sont pas promptes et exigibles ; ce qui
• était une grande incommodité en droit, parce que par
• ce moyen jamais les hypothèques n'étaient purgées, ni
u les détenteurs assurés. et en France cette incommodité
• cesse à cause de cette action dont ceux qui ont bypo• thèque se pouvant aider en tout temps, ils sorH inexcu« sables, s'ils laissent l'hypothèque. » Ainsi en matière
d'hypothèque, la règle que la prescription ne courait pas
contre le créancier pendant la suspension de la condition
devait être restreinte aux rapports du créancier et du débiteur. Toutefois les anciens auteurs faisaient un e exception
pour le douaire et les gains nuptiaux. La prescription de
l'hypothèque qui leur servait de garantie sur les immeubles
possédés par un tiers détenteur . ne commençait à courir
que du jour du décès du mari. Logiquement elle est inexplicable.
Comme entre le créancier hypothécaire conditionnel et
.le propriétaire sous condition, les analogies abondent, ils
furent mis sur la même ligne, et l'on attribua à ce dernier
une action équivalente. La conséquence de cette assimilation devait être de refuser au propriétaire le bénéfice de
la suspension ; cependant ce dernier point ne fut pas
-
97 -
admis sans difficultés. D'Olive enseigne que le Parlemen ~
de Toulouse rejetait comme contraire à la loi 5, paragraphe 5 co11imunia de legatis au Code cette théorie sur
la prescripli on des droits réels conditionnels.
•
La question se présentait surtout au sujet des biens
substitués; et, en cette matière, l'innovation avait de la
peine à triompher de l'idée, dont étaient fortement imbus
les anciens jurisconsultes , relativement à la nécessité
sociale de conserver les biens dans les familles. C'est ce
motif en effet qu'invoquaient bien fo rt ceux qui repoussaient la prescription des biens substituès (Legrand et
Ferrières). Dunod et Dumoulin pensaient au contraire que
ces biens devaient être soumis à la prescription trentenaire, dès avant l'ouverture de la substitution, mais leur
opinion ne prévalut point.
Dans un autre ordre d'idées, on décidait que si un
vassal avait aliéné un fief au préjudice des agnats que la
loi y appelait après lui, ceux-ci avaient une action révocatoire contre l'acquéreur . action prescriptible par trente
ans. mais dont la prescription ne pouvait commencer à
courir qu'à la mort d11 vassal. De même encore d'après les
coutumes de Flandre. d'Artois et de Boulonnais, dans le
cas de vente de biens aliénables seulement à charge a·emploi. ou dans le CllS de vente par nécessité, la prescription
ne courait contre l'héritier du ''endeur qu'à l'époque du
décès de ce dernier. Ces exceptions montrent la difficulté
que l'on éprouva à. appliquer l'action d'interruption aux
droits conditionnels de propriété.
�- · 98 -
§ Il.
Le Lerme certain ou incertain , peu
importe, suspendait la prescription entre le créancier et
le débiteur. Ce point ne faisait pas de doute dans l'ancien
droit. (Arrél de la chambre de ( édit de Castres du 2 1
j"i11 1649). Il a même été jugé que lorsque une dette
devait être payée en plusieurs termes. la prescription ne
courait que du jour de l'échéance dn dernier terme. (hr~l
dtt Parlement de Toulouse du 2 1 {~vrier 167 f .) Pothier
n'était pas de cet avis. et il faisait courir la presr.ription de
. 1.. • • •
' ' tt' IÎ 11 rlfl h drltP. .do jn11r de so n exigibilité.
r:•"" •
I 1::al1:: eldtL la règle. ~U:lnÙ la p r.e~criplion était opposée
par le dëbiteur ou qréaucier. En étaH-il de même quand
un tiers détenleur \'~nait opp~ser la· ·prescription? Voici
l'hypothèse: Primus:.vènd à Secund1i~ un immeuble avec
la condition de ponvôir .Je reP.rootlre
après un certain
...
temps; dans l'intervalle, Secuodus revend l'immeuble à
Tertius; le délai pour le réméré étant expiré, Primus
réclame son immer1ble; Tertius. s'il possède depuis plus
de trente aos à partir de son acqu isition. peut-il opposer
la prescription à Primns? La négative fut admise par un
arrêt du Parlemen t de Flandre du 15 janvier 1700 et
par une sentence de la gouvernance de Douai du 24 mars
1785. Ces décisions étaient basée5 sur ce que, jusqu'à
l'arriréc du terme fix é. Primus n'ayan t pas d'action contre
Tertius, la prescription ne pouvait courir contre lu i
Malgré ces deux arrêts, la généralité des auteurs persi<;tai t dans l'opinion con traire el elle ad mettait l'extension
de l'arli on e11 iulerruption a tous les tiers détenteurs; car
si. dans l'hypothèse prévue plus haut. Primus, pour ne
pas violer la convention ùes parties. ne pouvait pas
Terme. -
-
99 -
s'adresser à Secundus, il pouvait très bien exercer contre
Tertius son action en déclaration de propriété et interrompre par là toute prescription à son encontre.
Toutes ces divergences et ces obscurités servent à mieux
faire ressortir la simplicité de la législation moderne dont
nous allons nous occuper.
�TBOUUÈllE
P~il'l'I•
DROIT CIVIL
Pour mettre pins de o\ar&é dàns notre sujet de droit
civil. nous suivrons les mêmes divisions que pour l'ancien
droit.
De l'interruption
Aux termes de l'article 2242, la prescription ,peut.être
interrompue nalurellemen·l 01:1 c1vilement..
CHAPITRE I"'
De l' interruption i'Waturellc.
L'article 2245 porte qu'il y a inl.erruption naturelle,
quand le flOSsesseur est prive pendant plus d'un an de la
jouissance de la chose, soit par l'ancien propriétaire, soi.t
même par Qn tiers. Cet article suggère une double remar-
�-
102 -
que. Les termes a ancien propriétaire • dont il s'est servi
sont inexacts. Le mot « ancien • est de trop, puisque le
propriétaire n'a pas cessé de l'être, tant que la prescription
qui court contre lui ne s'est pas accomplie. En second
lieu, bien que le cas d'interruption naturelle prévu par
cet article soit le seul dont se soit occupé le Code, on se
tromperait en concluant de là qu'il n'en existe pas
d'autres.
Cependant nous ne sortirons pas des limites que le Code
a tracées et nous nous en tiendrons à l'hypothèse de l'article 2245.
· En examinant attentivement cet article, on y voit que
trois conditions sont exigées pour qu'il y ait interruption
naturelle. Il faut:
1° Qu'il s'agisse d'une prescription acquisitive ou tout
au moins d'une prescription libératoire de servitude, car
ce n'est que dans celles-là que la possession est nécessaire pour arriver à la prescription.
2° Que le possesseur soit privé de la jouissance de la
chose pendant plus d'un an . L'occupation pendant un
temps moindre n'a pas de portée juridique, elle n'acquiert de l'importance que par sa durée. Le délai d'une
année a été jugé nécessaire comme le plus propre à maintenir l'ordre public, car' si la simple occupation momen~née d'un fo.nds avait suffi ~our faire perdre la possession, ce serait une cause de désordres perpétuels. C'est
pendant la révolution d'une ann ée que les fruits d'un
fonds on t été recueillis, c'est pendant une pareille révo-
-
t05 -
Jution qu'une possession publique et continuP. a pris un
caractère qui empêche de la confondre avec une simple
occupation. (Fenel, tom. XV,pag. 5>32).
Par le mot « plus d'un an • il faut entendre un an
révolu Il n'est pas nécessaire que la privation de jouissance
ait duré un an et un jour complet. comme le voulaient
quelques auteurs de l'ancien droit.
5° Que la privation de jouissance soit causée par un
autre possesseur, comme l'indiquent ces mots • soit par
l'ancien propriétaire. soit par un tiers. • Car tout Je monde
sait que la possession peut être conservée solo animo,
tant que personne ne l'a acquise, alors même que la
chose aurait été laissée inculte et que les fruits n'auraient
pas été rer,ueillis. C'est donc avec raison que le législateur
a rejeté le système de l'ancien droit , patroné par la Cour
de Grenoble (Fenet, tom. 3, pag. 599), d'après lequel
la prescription était interrompue par une simple inondation. Pour qu'il y eût interruption naturelle, il faudrait
que le terrain fût, non pas simplement inondé, mais emporté par les flots. car il s'agirait alors d'un changement
absolu dans la nature de la chose.
li résulte de ce que nous venons de voir que, si le
possesseur obtient sa réintégration par l'exercice des
actions possessoires, c'est-à-dire avant l'expiration de
l'année, il est censé n'avoir pas perdu la possession, celle
de l'usurpateur étant effacée.
La question devient plus délicate quand le possesseur
primitif laisse éco uler une année sans intenter le!> actions
possessoires. agit et triomphe au pétitoire : peut-il joindre
sa possession à celle de l'usurpateur ?
�-
104
~
L'affirmative , opinion dominante dans l'ancien droit,
est encore soutenue.de nos jours par Vazeille et Troplong
Seulement ces auteurs n'admettent la jonction des possessions que dans Je cas où le jugement accorde au propriétaire et la propriété et la restitution des fruits. Ils invoquent la tradition et ils prél endent que les articles 22:95
et 2245 n'y ont pas dérogé.
L'article 2255 est ainsi conçu : « Pour compléter la
c prescription, on peut joindre à. sa possession celle de son
• auteur, de quelque manière qu'on lui ait succédé , soit
c à titre universel ou particulier, soit a titre lucratif ou
• onéreux. • Le mot auteur ne doit pas, au dire de Troplong. être pris dans le sens restreint qu'il a ordinairement.
Il faut entendre par auteur quiconque transfère une chose
à autrui et lui remet la possession en vertu d'un rapport
juridique. Ainsi le légataire peut se prévaloir de la possession de l'héritier; il en est de même dans les cas de retrait
conventionnel, de rescision, de résolution, où les choses
sont rétablies dans leur ancien état , et, où, d'après l'acceptation exacte du mot autritr, on ne trouve pas les relations d'un auteur et d'un successeur . Or, la relation juridique entre le propriétaire et celui qu'il év ince es t palpable; son droit s'augmen te de celui du possesse nr, puisque celui-ci est obl igé de lui remettre les fruits. On sait
qu.e le mot auteur , auctor vien t du latin (iugcre, qui sign ifie augmenter, s'ajou ter, de tell e sorte que cette expression signifie grammaticalemen t que l'auteur est celu i dont
le droit accroît à. quelqu'un qui rient après loi en vertn
d'u ne cause juridique. et celle sign ification doit être la
seule exacte quand il s'agit de l'accession des possessions.
-
105 -
L'usurpateur est donc un véritable auteur dans le sens
de l'article 2255 (Troplong). Vazeille ne va pas si loin , il
ne fait pas dn propriétaire qui triomphe l'ayant cause de
l'usurpateur évincé. Il reconnaît 4u'il ne succède pas à
celui qu'il a fait juger sans droits et condamner à lui
rendre le fonds usurpé et les fruits de ce fonds. • Seu" lement, dit-il, il a fait un grand acte de propriété en
« poursuivant l'usurpateur; en oblenant la restitution de
« la chose et des fruits dont il avàit été indûment privé,
« il a renoué sa possession interrompue. Celui qu'il a
« évincé n'a été qu'un détenteur précaire, qui n'a pos• sédé que pour le maître auquel il a r~pporlé sa jouis• sance. N'e~t-ce donc pas une manière de posséder et la
• plus éclatante de toutes que d'agir en ju sti~e r.omme
• propriétaire pour retirer sa propriété des mains de
• l'usurpateur . Et que peut·il manquer à l'ancien posses« senr dont la justice re~onnaiL ·1e droit et rétablit la
• possession injnsternent altérée? La loi romaine ne le
• disait pas, mais les interprètes l'ont bien senti; l'auto" rité de la chose jugée ne permet pas de voir l'interrup• tion qu'elle a effacée. •
.
L'article 2245 n'a pas touché à ces principes. au dire
de ces mêmes aolenrs. Car si cet anide déclare qu'il Ya
interruption naturelle, quand le possesseur est privé de la
jouissance de la chose pendant plus d'un ao, soit par l'ancien propriétaire. soit par un tiers. il ne dit pas qu ~ l'interruption soit ineffaç.able. Or ici l'interruption est ple1oem~~t
effacée par l'autorité de la chose jugée, puisqu ~ le p1:o p1:1etaire doit rci:urnir la chose avec tous ses fruits. L article
�-- 106 2245 n'est donc pas applicable, et la jonction des posses-
sions doit avoir lieu.
Quelques spécieux que soient les argumen ts donnés par
ces auteurs , nous n'hésitons pas, d'accord avec la majorité
de la doctrine, à les repousser et à décider que le possesseur
primitif ne peut pas joindre à sa possession celle de l'usurpateur. Les articles 2255 et 2245 nous paraissent péremptoires. Le premier n'autorise la jonction des possessions
qu'autant qu'il y a un auteur et un ayant cause. Or il est
impossible de voir dans le possesseur qui rentre dans la
possession rie sa chose un ayant cause de l' nsu rpateu r. et
dans l'usurpateut un auteur, à moi os de torturer. ·~omme
le fait le premier système, le sens qne l'on donne généralement à ces mots.
Le second est encore plus décisif. Il déclare interrom~~e I~ possession de celui qui, pendant pli1s d'un an, a
ete privé de sa chose. En présence d'un. texte aussi absolu et aussi précis, commen t établir une distinction qu'il
DE' fait pas?
-
107 -
A ce cas, ne s'applique pas la loi 15, § 9, de
" acquirenda possessionc qui autorise celui qui a com• mencé à prescrire une chose. à joindre à sa possession
• celle du tiers qu'il a fait évincer. Cette loi ne doit être
« étenJue qu'en un sens non contraire aux principes gé- ·
• néraux du droit sur les actions possessoires et l'interc ruption naturelle de la prescription. • (Joi,rnal du
Palais, année t85~, p. 561 ) .
Terminons ce chapitre en raprelant les différences qui
existent entre les deux interruptions,
L'interruption natnrelle est absolue dans ses effets.
L'interruption civile. au contraire, ne profite en général
qu'à celui qui l'a faite et ne préjudicie qu'à celui à qui elle
est adressée.
La premiére est propre à la prescription acquisitive et à
la prescription libératoire des servitudes. la seconde à
toute prescri pli on .
" taire. -
La ~radition ne peut être invoquée ici, puisqu'elle est
con traire aux dispositions du Code.
En~n , le système que nous adoptons a été r,onsacré par
un a~ret de la Cour de cassation du 12 janvier 1852. La
ru~n~ue de l'arrêt est ainsi conçu : •Celui qui. possédant
" a .litre ~e pr~priétt1ire (par lui-même ou par son fer• mie~) , s est laissé dépouiller par un tiers de cette pos" sess10n.' sans réclamer dans l'année, ne peut ensuite et
• lors?u'il a fait évincer ce tiers. réunir la possession de
• ce tu~rs à la sienne propre pour compléter le temps de
• la prescription à son profit contre le véritable proprié-
CHAPITRE Il
lntcrr111•tlon t"lvlle
Nous avons déjà eu. dans le cours de cette élude ,
l'occasion de définir l'in terruption civile. aussi nous abordons immédiatem ent l'examen des divers actes qui la
constituent dans notre législation moderne.
�- ms SECTION l
CAUSES D'INTERRUPTION CIVILE
Les causes indiquées par les articles ~244, 2245 .
22a0 sont la citation en justice. la citation en conciliation ,
le commandement. la saisie et la reconnaissance du dé·
biteur.
§ 1. Citation en Justice. -- Au~ termes et en tête
de l'article 2244: •Une citation en justice .... forme l' in·
terruption civile. » Seulement. il faut observer que le mot
• citation 11 doit s'entendre de to1lte demande en justice.
La formule de la loi n'est pas assez large. car il y a des
demandes qui s' introd uisenl sans citatfon; tell es sont les
interven tions qui se forment par voie de requête d ·avoué à
avoué ; telles sont aussi les demandes incidentes ou reconventionnellès (art. 557 , 445 C. pr. c ). Il est aujourd'hui
universellement admis qn e ces demandes interrompent la
p.rescription (Metz. 19 mars 1817 , Cassation . 25 janvier ·t 857). Il eû t donc été plus exact de dire que toute
d&mande en justice, formée par citation on autrement, interrompt la prescription.
. Faut.· il accorder cet elîet à une simple requ ête, afin
d ohtenir la permission d'assigner? Evidemment non. car
~e~aoder l'an torisation d'assigner ' ce n'est pas agir en
Justice (Caen, 15 mai 1854).
Qu'en est-il de l'assignation en référé? Est-ce un e vér itable .de~anrle eu jusLice susceptible <l'interrompre la
prescription ? La question. qui pa1·ait nouvelle en doctrine
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et en jurisprudence, vient d'être tranchée ces dernieres années dans un sens négatif par denx arrêts, l'un de la Cour
de Pa1·is do 16 mai 1877 , l'autre de la Cour d'Amiens du
'1 6mai1880.
Ces Cours se fondent sur ce que l'assignation en référé
ne présente pas les véritables caracteres d'une demande
en justice, puisqu'à la di11érence de celle-ci elle ne manifeste pas d'uO"e manière suffisante les prétentions du
créancier ou du propriétaire, son intention de les faire
valoir en justice, et el le ne tend pas à faire reconnaitre
par les tribunaux les <lroits de ce propriétaire ou de ce
créancier. Son but est plutôt d'arriver à des constalalions
de fai t en vue de droits pouvant ultérieurement se dégager
de ces constatations, mais qui ne son t encore détermi nés
ni revendiqués. Ce n'est, en somme, qu'une mesure conservatoi re préalable à. l'action, qui n'a pas pour objet d'intenter un procès, mais seulement d'en préparer les éléments ; elle ne doit donc pas interrompre la prescrip tion.
La solution in verse nous paraît préférable, car le juge
du référé est un véritable juge, el la demande qu'on lm
adresse une véritable demande en justice. L'urgence même
qui détermine la demande en référé est un motif de plus
pour lui donner le pouvoir d'interrompre la prescription.
L'acte de produit dans un ordre contient une véntable
interruption de prescription. Car, ce n'est pas à la lettre
mais à l'espt'it de la loi qu'il fau t s'a1tacher, or l'esprit de
la loi étant qne la prescription est inter rompue par toote
demande judiciaille, elle doit l'être aussi par la production
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HO-
du créancier en ordre, production qui est une véritable
demande incidente. ( Cassation , 27 avril 1864.)
La dem.ande en justice n'est interruptive qu'autant
qu'elle est signifiée à celui que l'on veut empêcher de
prescrire ; mais il n'est pas nécessaire , pour qu'elle produise son effet, qu'elle soit conçue en termes directs et
explicites. il suffit que ces termes indiquent clairement, de
la part du poursuivant, son intention de faire reconnaître
un droit ou une obligation sur le point de se prescrire. C'est
ainsi qu'il a été jugé que, pour interrompre une action en
nullité. il n'est pas absolument nécessaire que l'acte que
l'on veut faire annuler soit précisé dans la demande, il
suffit que les termes de l'exploit laissent entendre le sens
et la portée de la demande. pour qu'il soit interruptif
(Req. 14 juillet 1~29). Si l'interprétation ne doit pas
être trop stricte, elle ne doit pas non plus être trop large.
Ainsi, l'action en pétition d'hérédité n'interromprait pas la
prescription que pourrait opposer un cohéritier à. son cohéritier , alors que ses droits ne constitueraient qu'une
créance pure et simple et ne feraient pas l'objet d'un rapport à la succession à partager. (Limoges, t ••juin 1857.)
La demande en justice interrompt la prescription, alors
même qu'elle a été formée devant un juge incompétent
(art. 2246), peu importe qu'il s'agisse d'une incompétence ralione materiœ ou d'une incompétence ratione personœ. Cette disposition est venue mettre fin à la con troverse que nous avons signalée dans l'ancien droit ; elle se
justifie très bien par cette idée que les questions de ~om
pétence présentant le plus souvent de grandes difficultés, il
ne faut pas rendre le demandeur victime de son erreur.
-
tH -
L'interruption produite par la demande en justice n'a
d'effet qu'autant que cette dernière obtient un plein
succès; aussi, le législateur du Code, reproduisant l'ancien
droit , a-t-il décidé que la prescriplion n'aurail pas cessé
de courir dans les quatre cas suivants :
f 0 Si l'assignation est nulle pour cléfa11.l de (01·me3
(art. 2247. § 1). Il est éviden t que la nullité doit être demandée et prononcée, car il est de principe que les nullités n'opèrent pas de plein droit et qu'elles sont susceptibles de se couvrir. Les articles 6 t et suivants du Code de
procédure donnent une énumération complète des nullités
de formes.
La règle consacrée par cet article 2247 est tout à fait le
contraire de celle de l'article 2246; aussi, est-il permis de
se demander pourquoi le législateur dans deu x hypothèses
si voisines a donné deux solutions diamétralement opposées. Pourquoi ctitte différence dans les résultats, puisqne
l'acte, nul par sa forme, reste sans effet comme l'acte nul
pour incompétence; pnisque, dans les deux cas, une nou
velte assignation est nécessaire. Nous allons même plus
loin, et nous soutenons que l'assignation nulle pour incompétence est plus nulle, s'il est toutefois permis de
nous exprimer ainsi , que l'assignation pour vices de
formes, puisque cette dernière peut très bien se couvrir
par le silence du défendenr ; tandis que celle-là, aux termes
de l'article 170 du Code de procédure. quand il s'agit de
l'incompétence ratione materiœ , ne le peut point, si bien
- que. malgré la renonciation expresse du défendeur à invoquer celle cause de nullité, les juges doivent la prononcer
�H2
t
1
d'office. Dès lors, n'est-ce pas à /'ortiori que le législateur
aurait dû reprodui re ùans J'arLicle 224 7 , la règle qu'il
avaiL edictée dans l'arti cle précédent. L'exposé des motifs
a bien essayé d'expliquer celle différence ; « La nullité
• pour incompétence, dit-il , est plus conforme au maintien
• du droit de propriété. la nullité pour vices de formes y
• fait obstacle, parce qu'il n'y a pas réellement ci tation. ,,
(Feoet, t. 15, p. 183), Celle explication, qui a paru suffisante à Troplong, ne suffit pas avei; raison , d'après Marcadé, pour lever l'antinomie réelle qui existe entre ces
deux articles. L'assignation pour défaut de form es révèle,
tout aussi bien que l'autre, la volonté de faire valoir son
droit, et s'il a paru du r de rendre le demandeur victime de
son erreur en mati ère d'incompétence, n'est-il pas plus dur
de le rendre vicLime de l'erreur commise par l'officier
ministériel qui a fait l'exploit ? (Laurent). Cette distinction
est donc inexplicable, oé.inmoins la loi est formell e.
2° Si le demandeur s~ désiste etc fa demande (art. 2247 ,
§ ~). li Ya deux espèces de désistement. ; celui qui a pour
objet. le droit lui-même et celui qui ne porte que sur l'action;
la. 1_01 ne vise ici que le désistement de l'action ; quant au
d~ist~m ~nt du droit lui-même. il empêche la prescription
d,av~ir lieu, car on ne prescrit pas contre un droit qui
n ex~ste pas, et dès lors il ne saurait être question d'interruptwn. 11 Y a cependant un cas où le désistement du
. . ,
.1. e. de la prescr1pt10u
laisse place ·a l' ut111
droit
.
, lui-même
c est le smvant : un créan cier solidaire se désiste de son
dr.oit.' le défendaur a cependanl intérêt ainvoquer la prescription contre les autres créanciers solidaires qui pour-
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115 -
raient le poursuivre en vertu de l'article H 98, paragraphe 2 du Code civil.
Lorsque c'est la procédure qui a été abandonnée, cet
abandon n'est définitif que du jour où il a été accepté par
le défendeur (art. 403. Cod. proc. civ.).
Le désistement motivé sur l'incompétence du juge devant
lequel la demande a été portée, n'enlève pas à cette demande l'effet interruptif. Il est assimilé au jugement qui
aurait prononcé l'incompétence (Caen, 8 février 1845).
5° Si le demandeur laisse périmer l'inslance (art. ~24 7 ,
§ 5). La péremption d'instance est l'exti nclion de la pro -
cédure par la discontinuation des poursuites pendant trois
ans ou trois ans et demi suivant les cas (art. 597, Cod.
proc. civ.). Elle n'a jamais lieu de plein droit, elle doit
être prononcée par jugement ; elle est mème susceptible
d'être couverte par le$ acles valables. faits par l'une on
par l'autre des parties, avant qu'elle ait été demandée
dans les formes voulues (art. 599 ot 400 , Cod. pr. civ.).
Comme le désistement, elle n'anéantit que la procédure et
elle laisse le droit intact. li peut cependant arriver qu'elle
produise indirectement l'extinction du droit lui-même.
C'est ce qui a lieu lorsque la prescription s'accomplit pendant l'instance.
4° Si la demande est rejetée (art. 2247 , § 4). Au premier abord , cette disposition peut parailre inutile, car si la
demande est rejetée, le défendeur repoussera par l'exception de la chose jugée toute demande nouvelle qui serait
dirigée contre lui. L'exception de la chose jugée éteignant
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114 -
le droit, il n'y a plus lieu d'invoquer la prescription, ni par
conséquent .de parler d'interruption. Cette disposition
n'est cependant pas inutile et elle recevra son application
dans bien des cas où l'exception de la chose jugée serait
insuffisante. Ainsi un débiteur est poursuivi par un créancier solidaire et triomphe contre lui, il n'a pas besoin
d'invoquer la prescription. l'exception de la chose jugée
Je protège suffisamment ; mais qu'un autre créancier vienne
a Je poursuivre. il ne pourra pas lui opposer l'exception
de la chose jugée, puisque ce dernier n'a pas été pa rtie
dans l'instance. il aura dès lors tout intérêt à lui opposer
la prescription que le rejet de la première demande
n'avait pas interrompue.
Faut-il disti nguer si la demande a été rejetée purement
et simplement ou si ell e n.e l'a été que par une fin de nonrecevoir? La Cour de cassatio~ a admis avec raison qne la
disposition de l'article 2247 est ~bsolue et qu'elle ne comporte aucune distinction entre le cas -0.ù la demande est
rejetée par un moyen de fond et celui où elle ne l'a été
que par une fin de non-recevoir qui laisse subsis ter le droit
d'action ; que dans l'une et dans l'autre hypothèse, l'assignation ne saurait, après l'extinction de l'instance continuer à prod uire aucun elTet au profit dn demand~ur dont
1es conclusions n'o nt pas été adm ises (Cassation, 8 janvier
i 877 . Aubry el Rau).
Qu~ décider ùans le cas où une demande, formée quelques. JOnrs avant l'expiration du délai de la prescription,
admise en première instance et même en appel, est rejetée
~ar la Cour de cassati on? JI est clair qu'elle n'a pas
interrom pu la prescription conformément à l'articlo 224 7.
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li ~
-
A l'inverse la prescription serait interrompue par une
demande qui, rejetée en première instance et même en
appel. aurait été admise par la Cour suprême.
Le Code de procéd ure présente une hypothèse qui peut
donner lieu à quelque difficulté. Un créancier assigne son
débiteur en justice et fait défaut, le tribunal prononce
contre lui un jugement de défaut-congé. Ce jugement a-til un effet sur le fond même de la demande ou simplement
sur l'assignation? L'intérêt pr;\tique qui s'attache à cette
question est le suivant : si le jugement renvoie le défendeur de la demande elle-même, le demandeur devra se
pourvoir contre la sentence dans les délais voulus. sous
peine de faire acquérir à son adversaire le bénéfice de la
chose jugée; si. au contraire. le jugement constate uniquement le défaut du demandeur, il y é\ là une simple déclaration portant sur un fait patent, sans examen du fond du droit;
le demandeur ne sera pas obligé de faire opposition et il
pourra. quand il le voudra, renouveler son ajournement.
L'on admet généralement que, dans l'hypothèse du défautcongé, le défendeur est simplement relaxé de l'assignation,
il ne pourrait dès lors se prévaloir de l'autorité de la
chose jugée, il a donc tout intérêt à ce que la prescription
n'ait pas été interrompue pour pouvoir l'invoquer (Boncenne. Pr. civ., tom. 21. pag. 5. 21).
§ II. Citation en Conciliation. -
Nous plaçons la
citation en conciliation ii côté de la demande en justice,
parce qn'elle en est le préliminaire obligé. Elle interrompt,
elle aussi, la prescription, quand elle est suivie d'une
assignation en justice donnée dans le mois à dater du jour
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UG -
de la non-comparution ou de la non-conciliation (art. 2245).
Ce qui explique l'effet interruptif auaché a la citation en
conciliation, c'est que le législateur ne pouvait pas vonloir
que ce préliminaire, qu'il exige. ptît occasionner un préjudice quelconque au demandeur.
Nous venons de dire plus haut que, pour être interru ptive de prescription, la citation en conciliation doit être
suivie d'une demande en justice dans un délai déterminé, il
est évident que cette demande doit être pleinement valable.
Si donc elle ne l'était pas, soit pour un vice de forme,
soit par suite d'une péremption ou d'un désistement , soit
encore par suite d'un rejet, l'interruption ne se produirait pas.
Cette cause d'interrnption a fait naitre deux. questions
délicates et controversées que nons allons examiner successivement.
La première est la suivante : bien que l'article 2245 ne
parle pas de la. comparution volontaire des parties devant
le juge de paix. celle-ci doit-elle prod ui re le même effet
que la citation en conciliatirm? li faut sans hésiter répondre affi rmativement. car l'article 48 du Code de procédure civile, en mellant sur la même ligne la comparution
volontaire et la ci tation en conciliation . a levé tous les
doutes. Du reste, il n'y a aucun motif pour lui refuser cet
effet interruptif ; car, comme la citation en conciliation, la
comparution est constatée par le procès-verbal du juge de
paix. Or, nous savons que c'est à dater du jour dn procèsverbal que co1Jrt le délai de \'assignation à donner. La
seule différence qui ex iste entre les deux cas, c'est qu e
dans l'hypothèse de la comparntion volontaire, les frai:; de
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t17 -
la citation auront été épargnés. C'est là. un résultat assurément fort désirable que le législateur doit au contraire
encourager (Marcadé, Troplong, Vazeille. Le Roux de
Bretagne, Laurent). Duranton, le seui des auteurs qui
n'admette pas notre opinion, se contente d'approuver un
arrêt du 1:> juillet 1807 de la Cour de Colmar, arrêt qni
avait admis une doctrine contraire, mais il n'apporte à
\'appui de sa solution aucun motif, aucune discussion.
La seconde queslion est beaucoup plus controversée.
La citation en conciliation interrompt-elle la prescription,
quand elle a été donnée dans une affaire dispensée du
préliminaire de conciliation ?
Trois systèmes sont en présence.
Le premier tient pour la négative d'une façon absolue.
Il décide que, dans le cas oü ce préliminaire n'est pas
exigé. la citation en conciliation est un acte frustratoire et
inutile qu i ne doit produire aucun effet. (Pigean, Laurent.
Dalloz, Rd1Jert. V. Prescription. Cassation, 16 janvier 1845,
17 janvier 1877 .)
Le second distinaue si l'affai re est ou non susceptible de
transaction. Dans le premier cas. comme elle peut se terminer devant le bureau de paix, l'in terruption aura lieu,
dans le second cas, elle n'aura pas lieu, parce que (même
argument que celui donné par le précédent système), elle
n'est qu'une tentative impuissante et vaine, une méprise du
demandeur qui croit faire quelque chose d'utile et qui se
livre à. des actes frustratoires (Troplong. Le Roux de Bretagne. Rouen, 15 décembre t 842).
Le troisième admet l'interruption de la prescription
~
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H8 -
dans tous les cas. C'est celui que nous adopteroos. Tout
d'abord , la distinction que fait le second système n'est pas
admissible, car elle ne se trouve écrite nulle p:irt dans la
loi. L'article 2245 est général et absolu. Ensuite est-il
bien certain que c'est parce qu'elle peut amener une conciliation, que la citation en conciliation est interruptive de
la prescription? Ce point nous parait des plus contestables. Aussi nous passons à l'argument capital du premier
système : La citation en conciliation ainsi donnée n'est
qu'une tentative impuissante et vaine, un acte inutile el
frustratoire, un acte complètement nul , • une espèce de
coup porté à vide , • pour nous servir des expressions de
Troplong. Il est facile de répondre, que l'assigna tion
devant un tribunal incompétent est, elle aussi, une tenta·
live impuissante et stérile et quP, cependant, le législateur
n'a pas hésité à lui faire produire un effet interruptif.
Pourquoi n'en serait-il pas de même pour la citation en
conciliation donnée dans une hypothèse qui ne l'exigeait
pas?
Nous opposera-t-on que l'article 2246 ne parle que de
la citation en justice et que dès lors il ne peut s'appliquer
à la citation en coIJciliation? Ce serait s'attacher bi ei:i rigou reusement à la lettre de la loi, car si le tex te manque ici,
sonespritn'estpas douteux. Du reste les partisans du premier système reconnaissent eux-mêmes que, dans Je cas où
ce préliminaire est exigé, la cit ation en conciliation interrompt la prescriptioo, quand elle est donnée devant un juge
de paix autre que r,elui devant lequel elle devait être donnée.
Dès lors, puisque l'innocuité de l'incompétence est la même
pour les citations en conciliation qoe pour les assignations,
-- lt9 pourquoi ne pas l'admettre d'une citation à une assignation?
Qu'a fait le demandeur qui s'est adressé au bureau de paix,
alors qu'il devait porter directement sa demande devant
les juges de première instance ; il s'est trompé de tribunal,
sa citation doit donc par analogie produire l'interruption
de la prescripLion aux termes de l'article 2246. Du reste
notre opinion parait de plus en plus rationnelle et juste,
si nous cherchons à pénétrer la pensée du législateur
quand il a proclamé la règle de l'innocuité de l'incompétence. Il n'a pas voulu rendre le demandeur victime d'une
erreur à laquelle il ne pouvait pas le plus souvent se soustraire. Cette considération se rencontre avec la même
force quand il s'agit d'une citation en conciliation donnée
dans une affaire qui ne l'exigeait pas, elle doit avoir Je
même résultaL (Vazeille, Marcadé, Zacharim).
La solution que nous· venons d'adopter dans celte
seconde question, nous conduit naturellement à une solution identique pour la question inverse : l'assignation
donnée directement devant le tribunal de première instance interrompt-elle la prescription dans le cas où elle
devait être précédée du préliminaire de conciliation ?
D'après ce qui vient d'être dit ci-dessus. l'affirmative est
certaine ; de plus. comme il s'agit ici d'une véritable assignation, l'article 2246 doit recevoir son application. Cependant l'opinion contraire a été consacréë par un arrêt de
la Cour suprême du 50 mai ·1814 et soutenue depuis par
d'éminents auteurs (Troplong, Le Roux de Bretagne.
Laurent).
Examinons donc les arguments contenus dans cet arrêt.
Le premier est tiré de l'articl e 1.,g du Code de procédure
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120 -
qui défend aux tribunaux de recevoir aucune demande
tant que le préliminaire de conciliation n'a pas eu lieu.
L'assignation ainsi donnée est nuite et, par conséquent,
ne peut pas produire d'interruption (art. 224 7). Nous
répondons à ce premier argument que ce n'est pas toute
assignaLion nulle qui ne peut interrompre la prescription,
mais seulement l'assignation nulle pour vice de formes. Or
la question est précisément de savoir si, dans notre hypothèse, nous sommes en présence d'uo vice de formes ou
d'un vice d'incompétence '
Pour soutenir que c'est un vice de formes, la doctrine contraire s'appuie sur l'article 6 5 du Code de procédure. C'est même son principal argument. Cet article 65
exige à peine de nullité que l'exploi t d'assignation contienne la copie du procès-verbal d'essai de conciliation,
d'où il résulte , dit-on, que l'absence de cette copie dans
l'assignation est un véritable vice de formes, tombant sous
l'application de l'article 224 7. Ce second argument quoique plus spécieux que le premier n'est pas sans réponse.
Les deu x articles 48 et 65 du Code de procédure prévoient deux hypothèses distinctes qui ne peuvent se rencontrer en même temps; ou bien le demandeur. après
avoir appelé son adversaire au bureau de conciliation·
donne son assignation sa ns y insérer la copie du procès·
verbal. c'est alors le cas de l'article 65 et la prescription
n'aura pas été interrompue; ou bien le demandeur sans
appeler son adversaire au bureau de paix , l'assigne directement devant le tribunal, c'est alors le cas d'appliquer
l',~rticle 4~, et la prescription aura été interrompue, car,
s li est clair qu'il y a vice de formes dans le cas de l'article
- t2t 65 , il est tout aussi clair qu'il y a vice d'incompétence
dans celui de l'article 48, puisque le défendeur a été
appelé devant un tribunal qm n'est pas celui où la demande
doit être portée en premier lieu. (Marcadé, Mourlon).
La citation en conciliation interrompt encore la prescription, quand l'assignation qui la complète est donnée
devant des arbitres nommés par un compromis. Cela n'est
pas douteux, puisque les arbitres constituent un véritable
tribunal. Il en serait de même de la comparution volontaire devant eux (Toulouse. 4 juin t 863) .
Mais quel est l'effet d'un compromis qui ne serait suivi
ni d'assignation , ni de comparution volontaire devant des
arbitre:; ? Est-il aussi interruptif de prescription? La Cour
de Paris. par un arrêt du 9 juin t 8~6, s'est prononcée
dans le sens de l'affirmative, par la raison que le compromis équivalait ici à un ajournement. Cette jurisprudence n'a
' cependant pas prévalu , et l'on enseigne généralement que
la prescription n'est interrompue qu'à la condition d'être
suivie d'une assicrnation ou d'une comparution volontaire;
car jusque là l'ayant droit n'a pas manifesté d'une façon
formelle l'intention qu'il a de poursuivre son droit, de
lier l'instance arbitrale (Marcadè).
Dans les affaires qui ressortissent du tribunal dè paix.
il n'y a pas lieu au préléminaire de conciliation , mais,
depuis la loi du 2 maii 8 !H5. à un avertissement préalable,
sauf pour les cas qui requièrent célérité. et ceux où le défendeur est domicilié hors du canton ou des cantons de !a
même ville. JI est évident que cet avertissement, appelé
aussi lettre de conciliation. ne peut pas interrompre la
prescriplion, puisque ce p.'est pas un acte judiciaire, et
~
�--
12'.1 - ·
que, d'un autre côté, il ne fait connaître au défendeu1· ni
l'objet de la demande, ni Je nom de son adversaire.
Comme celle formée devant un tribunal de première
instance, la demande reconventionnelle formée devant Je
bureau de paix interrompt la prescription (Cassation,
50 frimaire an x1) .
§ III. Commande·ment. - Nous avons vu qu'il y avait
eu controverse à son sujet dans l'ancien droit , et que
l'opinion qui avait fini par triomvher était celle qui mettait
le commandement au nombre des actes interruptifs de la
prescription. Cette opinion a été consacrée par Je Code
civil dans l'article 2244.
Le commandement est un exploit d'huissier par lequel
une personne reçoit une injon c~ion de payer en vertu d'un
titre exécutoire, avec menace, si le paiement n'est pas
effectué, d'y être contrainte par certain· mode déterminé '
d'exécution, Il doit contenir copie des titres à exécuter et
être signifié au débiteur. à son domicile, un jour avant la
saisie mobilière et trente jours avant la saisie immobilière.
Pour être interruptif de prescription,ï e commandement
doit être valable et régulier. Aussi, a-t-on décidé qu'un
commandement fait en vertu d'un titre nul, ne produirait
aucun effet, alors même qu'il serait régulier dans la forme
(Cassation , 8 juin 1841) . Car si le commandement nul au
fo nd , mais régulier dans sa forme ex térieure, avait pu interrompre la prescription , comme témoignant d'une volonté
suffisante de la part de celui qui le fa it, il aurait fallu en dire
autant de la sommation extrajudiciaire. Or, cela n'est pas
-
125 -
admis par la loi; donc, on ne peut donner au commandement , nul pour une cause indépendante de la forme, un
effet qu'il n'a pas en se basant sur cette raison que , par cet
acte, le requérant a manifesté son intention de ne pas
laisser prescrire contre lui .
L'article 616 du Code de procédure enjoint au créancier qui a laissé écouler plus de quatre-vingt-dix jours
entre le commandement et la saisie de le réitérer, mais il
n'a pas pour but de modifier l'effet interruptif du commandement. C'est la saisie seule qui ne peut avoir lieu
sans un nouveau commandement, la prescription a été interrompue par le premier commandement.
Le commandement ne servant ordinairement que de préliminaire à une saisie. son eŒet interruptif se rencontre le
plus souvent en matière de prescription libératoire. Il peut
cependant se produire en matière dè prescription acquisitive. Ainsi, dans l'espèce suivante : Pr im us obtient contre
Secundus un jugement qui condamne ce dernier adélaisser
un immeuble. Il peut recourir a la force publique pour
l'exécution du jugement ; mais . avant d'employer ce
moyen, il doi t lui faire commandement de délaisser. Ce
commandement sera interruptif de la prescription acquisiti ve qui courai t an profit du défendeur.
A la différence du commandement , la sommation n'interrompt pas la prescription . Le législateur , dit-on . a
pensé que la sommation n'indiquait pas d'une façon suffisante la volonté du demandeur. puisqu'il la faisait sans
recourir aux voies judiciaires . ou sans employer les
moyens propres a faire exécuter son droit. Cette explication ne nous paraît pas suffisante, car, par cela seul que le
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i24 -
créancier recourt à un huissier pour manifester sa volonté , c'est qu'il agit sérieusement , La sommation constitue le débiteur en demeure, elle fait même, dans certains
cas, courir Je3 intérêts ; -elle aurait bien pu interrompre
la prescription ; si elle ne le peut pas, c'est que le législateur a voulu, par tous les moyens, favoriser l'extinction
des obligations. En règle générale, la sommation n'interrompt pas 1a prescription; il y a cependant une hypothèse
où, par exception, elle produit cet effet, c'est l'hypothèse
où le tiers détenteur d'un immeuble hypothé<] ué est sommé
de payer la dette ou de délaisser l'immeuble. Ici, la sommation est au food un véritable commandement, quoiqu'on
ne puisse pas lui donner rigou reusement ce oom, parce
qu'elle s'adresse à un tiers détenteur qui n'est pas débiteur.
La Cour de cassation qui, dans un arrêt du 7 novembre
f858 , avait dénié à la sommalion de payer ou de délaisser tout effet interruptif. est depuis revenue sur sa jurisprndence (Cassation. 27 décembre f 854) et d'accord avec
la doctrine, elle a décidé que cette sommation , quoique
non assujettie à la forme parti culière du commandement,
produisait cependant le même effet à l'égard du tiers détenteur.
On s'est demandé si la signification préalable d'un titre
exécutoire faite à l'héritier, conformément à l'article 877
du Code civil, avait Je pouvoir d'interrompre la prescrip·
lion ? La jurisprudence a varié sur ce point. Elle avait
d'abord admis l'effet interruptif (Toulouse, 27 mars 183 !) ;
Riom , 14 janvier t 845); aujourd'hui elle penche, et avec
juste raison, vers l'opinion contraire (Bordeaux , 11 jan·
vier i 856), Car il est difficile d'admettre qu'une simple
-
U ?> -
signification qui n'aurait pas la force d'interrompre la
prescription à l'égard du défunt, le puisse à l'égard de
ses héritiers . Le commandement peut seul interrompre la
prescription et vis-a-vis du défunt et vis-a-vis de ses héritiers, seulement pour ces derniers l'exécution est soumise
à une formalit.è de plus : la signification .
§ IV. Saisie. -
Aux termes de l'article 2244, la
saisie est, elle aussi, un mode interro ptif de prescription.
ce qui s'explique très bien par cette idée que la saisie est
la manifestation la plus énergique de la part du créancier,
de l'intention qu'il a de poursui vre \'exécÙtion de son
droit. Comme le commandement, la saisie ne peut produire
son effet qu'autant qu'elle a été signifiée à celui que l'on
veut empêcher de prescrire.
Mais, a-t-on dit, à quoi bon attacher à la saisie le pouvoir d'interrompre la prescription . puisqu'elle a déjà été
interrompue par le commandement, préliminaire obligé de
la saisie? La disposition de l'arti cle 2244 est donc parfaitement inutile. Non, cette disposition n'est pas inutile,
car toutes les saisies ne sont pas précédées d'un commandement, par exemple la saisie-arrêt (art, 557. Cod. pr.
civ.) , la saisie revend ication (art. 826. Cod. pr. civ.). la
saisie foraine (art. 819 . Cod . pr. civ. ), la saisie gagerie
(art. 819. Cod. pr. civ, ) , et même dans le cas où la
saisie est précédée d'un commandement, il est nécessaire
de donner à la saisie le pouvoir d'interrompre la prescription, car le commandement ne l'interrompt que pour
le passé, et ne l'empêche pas de recommencer le jour où il
a été sign ifié, la saisie interrompt donc cette nouvelle pres-
�-
126 -
cription, qui court du jour du commandement, et de plus,
comme elle donne lieu à une instance, elle empêche la
prescription de recommencer pendant toute la durée de
l'instance.
Faut-il accorder à toute saisie l'elîet interruptif de prescription? Duranton n'accorde cet effet qu'à la sâisie·
arrêt ' la Cour de Bordeaux , au contraire, le refusait à
cette même saisie; prétendant que ce n'était là qu'un acte
conservatoire, qui ne pouvait dès lors entrainer l'interruption de la prescription (Bordeaux, i 5 mai 1828).
Cette jurisprudence n'a pas prévalu . et la première opinion
a été consacrée par de nombreux arrêts (Nîmes, 6 mars
1852; -Toulouse, 24 décembre 1842; - Lyon, janvier 1868; - Cassation , 25 mars ·1874 ; - Besançon,
25 avril 1875). Seulement, allant plus loin que Duranton , la doctrine est unanime à reconnaître que l'effet in terruptif doit être attaché à toutes les saisies, puisque
l'article 2244 ne fait pas de distinction (Marcadé).
Faut-il, pou!' que la prescription soit interromp11e, que la
saisie-arrêt soit suivie d'une demande en validité, confor·
mément aux articles 565 et 564 du Code de procéd ure ?
Cette formalité ne nous paraît pas nécessaire, car la saisie
produit deux effets bien distincts : l'arrêt des sommes
saisies et l'interruption de la prescription. Ces deux effets
ne sont pas si intimement liés l'un à l'autre que la perte
du premier entraine nécessairement la perte du second.
Le premier peut bien disparaitre et le second subsister.
L'article 565 vient lever tous les doutes, puisqu'en prononçant la nullité de la saisie. faute de demande en validité, il ne se réfère qu'au premier de ces deux. effets.
-
127 -
Les paiements faits par le tiers saisi resteront valables.
N'est-ce pas dire d'une manière clai re que le second effet.
l'interruption de la prescription , subsiste par cela seul que
l'opposition a été dénoncée au saisi? (Le Roui rle Bretagne).
Ici se place la solution d'une question délicate, qui a
donné lieu en doctrine à plusieurs systèmes; c'est la suivante : faut-il assimiler à la saisie-arrêt la signification au
débiteur d'une créance cédée, au point de vue de l'interruption de la grescription?
Un premier système admet sans hésiter l'affirmative. La
sign ification d'una créance cédée vaul pour lui opposition.
Elle doit donc produire le même elîet, puisque comme le
tiers saisi, le débiteur cédé ne peut se libérer qu'aux
mains du nouveau créancier. Ce n'est donc pas se mettre
en contradiction avec la loi, mais plutôt s'attacher à son
esprit que de mettre la signification au nombre des <ictes
interruptifs de prescription. (Vazeille).
A côté de ce premier système, il y en a un second
beaucoup moins absolu. li faut, dit-on, dislinguer si la
créance cédée était, au moment du transport, frappée de
saisie-arrêt, ou si elle était libre dans les mains du débiteur cédé. Au premier cas, elle vaut opposition, elle doit
donc produire les mêmes effets et par conséquent interrornpre la prescription ; dans le second cas, la créance
étant libre dans les mains du débiteur, la signification ne
peut avoir aucun caractère d'exécution. ni. valoi~ s~~sie
arrêt puisque le débiteur cesse d'être un tiers des l 1.nstant de la signification et que la saisie-arrét n'est possible
que contre un tie.rs (Troplong, Marcadé).
li y a enfin un troisième système auquel nous nous
�-
128 -
rallions, car il nous parait le plus juridique. D'après ce
système la prescription n'est jamais interrompue par la
signification de la cession. D'aprèS nous, l'énumération
qu'a donnée le législateur des actes interruptifs de prescription, est essentiellement limitative. Il en exclut par
conséquent la signification qui n'y est pas comprise. De
plus, la nature même de la signification ne permet pas
d'en faire un acte interruptif ; c'est un simple acte de
publicité donnée à la cession dans l'intérêt des tiers,
publicité bien restreinte en fait, puisque c'est le débiteur
seul qui en bénéficie. Mais ce dernier ne saurait y voir
de la part du créancier l'intention fermement arrêtée de le
poursuivre en justice. (Paris, i 7 avril 185 t ; Nîmes, 6
mars i 852 .)
Le second système va trop loin quand il pose en prin·
cipe que la signification du transport d'une créance déjà
frappée de saisie-arrêt vaut opposition ; car ee principe,
vrai sans doute , en ce qui concerne les rapports du cessionnaire et des tiers saisissants ne l'est plus à l'égard du
débiteur, car il n'est dit nulle part que la signification du
transport constitue pour lui un acte équivalent à un commandement ou à une saisie. (Merlin , Reperl . Interruption.
- Dalloz, Repert. P1·escription. Le Roux de Bretagne,
Laurent, Aubry et Rau).
La saisie n'intervenant ordinairement que pour oble~ir
le payement d'une dette, elle n'interrompt Je plus souvent
que la prescription libératoire ; il peut se faire cependant
qu'elle interrompe la prescription acquisitive. Ainsi sup·
posons un défendeur condamné à délaisser et à payer une
somme déterminée par chaque jour de retard s'il n'exécute
-
129 -
pas; le demandeur fait saisir l'immeuble pour obtenir le
payement de l'indemnité qui lui a été accordée. Sa 'Saisie
interrompt la prescription acquisitive qui courait au profil
du défend eur .
§ V. Reconnaissance du. T>ébiteur. -
La dernière
cause d'interruption civile qn1 est indiquée par le Code est
la recon naissance du débiteur (art. 2248) . Une première
remarqu e à faire, c'est que de sa nature l'interruption
civile suppose un acte de la part de celui contre lequel
court la prescriptfon, et que c'est en partant de cette idée
que Zacharire appelle celte cause d'interruption, une in terruption improprement dite ou fictive.
Cette reconnaissance peut être ex presse ou tacite. Estelle expresse. elle peut avoir lieu soit par écrit, soit verbalement. Si elle a lieu par écrit, pèn importe que cet
écrit soit authentique ou sous seing privé, au point de vue
qui nous occupe, sa force est la même dans les deux cas.
Elle peut résulter d'une simple lettre missive, comme
l'admettait déjà d'Argcntrée dans l'ancien droit. Ainsi l'on
a jugé qu'une lettre missive. àdressée par le gérant d'une
société à un actionnaire pour l'inviter à prendre part à une
délibération des associés, interrompt la prescription que
la société voudrait opposer à l'exercice des droits de cet
actionnaire (Douai, 29 mai 18 52). Bien plus, une lettre
sans date peut être considérée comme interruptive de
prescription, quand en la combinant avec les éléments du
procès, il est visible qu'elle est antérieure à l'époque où la
prescription a été acquise (Lyon , 1!) mars t810). :
�-
150 -
Si la reconnaissanc.e est verbale, il faut appliquer la
règle' générale en matière d'obligation et n'admettre la
preuve testimoniale qne ~i lïntèrêt engagé est inférieur à
t 50 francs, sauf toutefois les exceptions des arl icies f 54 7
et t348 (commencement de preuve par écrit, impossibilité de se procurer nne preuve écrite).
Que décider dans le cas où le débiteur dénie son aveu
veciYcll et que la preuve testimoniale n'est pas admissible!
Le créancier peut-il lui déférnr le serment~ L'affirmative
ne nous parait pas douteuse. En ''ain l'on objecterait que
la délation du serment n'a lieu que par exception pour
les petites prescripti ons conformément à l'article 227 !i.
Les deux hypothèses sont en efTet parfaitement distinctes
l'une de l'autre, et l'on ne peul rien induire de l'article
2275 contre la solution que nous adoptons. Dans la première hypothèse, il s'agit d'une prescription acquise et
l'on comprend que le législateur n'ait permis la délation
du serment que pour les courtes prescriptions. Dans la
seconde, au contraire, la question est toute difTérente, il
ne s'agit pas de déférer le sermen t à l'encontre cl'une prescription acquise, mais bien de savoir si la prescription est,
oui on non, acquise. si elle a été, oui on non, interrompue.
Le serment ne porte donc pas sur le fond même du droit,
mais exclusivement sur le fait de la reconnaissance; or
rien ne s'oppose ici à l'admission du serment qui, aux
termes même de l'article 15~8 peut être déféré sur toute
espèce de contestation.
La reconnaissance tacite résulte de tout fait qui suppose
l'existence du droit et l'aveu de la delle. C'est là une
question dont la soluti on est entièrement abandonnée à
-
15i -
l'appréciation du juge. On peut citer à titre d'exemple le
payement des arrérages d'une rente (Cassation. 15 mai
1822), le payement des intérêts d'un capi tal en tout ou
en partie (Cassation. 15 juillet 1875). le payement à
titre d'acompte (Cassation, 29 janvi~r 1838). La Cour
suprême a même éLé beaucoup plus loin ; elle a admis des
présomptions de payement, comme reconnaissance tacite;
ainsi elle a jugé que si, sur la demande en payement des
arrérages d'une rent e, le défendeur a offert les termes
échos à partir d'une certaine époque antérieure à la demande. il doit être répu té les avoir payés jusqu'à cette
époque, et cette prestation présumée a suffi pour interrompre la prescription (Rej, 5 juin 1855).
La recon.naissance n'a pas besoin d'être acceptée par le
créancier pour prod uire son efTet interruptif, il suffit qu'il
ne la répudie pas pour qu'elle loi profile. C'était l'opinion
de Pothier daus l'ancien droit, c'est encore auj ourd'hui
l'opinion de la doctrine. « Une convention, dit Merlin. ne
« peut être formée sans contredit, que par le concours
« des deux parties qui l'ont formée par leur consentement
« réciproque ; mais une fois que cet effet obligatoire est
« acquis à l'une des parties par le concours de son con" sentement avec celui de l'autre; quel obstacle y a-t-il à
« ce qu'il soit conservé et confirmé sans ce concours et
• par le seul consentement de celle des parties sur
« laquelle pèse l'obligation? Aucun, puisque l'objet de ce
« consentement isolé n'est pas de former un nouveau
« contrat, puisqu'au moment où il intervient existe déjà
• le concours des deux consentemen ts qui ont formé 1e
• contrat primitif, p.uisqu'il se rapporte à ce concours et
�-
152 -
• qu'il ne fait qu'en consolider le résultat. • (Merlin,
Quest. de Droit, § 12) . La jurisprudence est du même
avis. (Grenoble, 26 janvier 185?> ; Poitiers, 50 juillet
1877) . Ainsi lorsque, da"ns un acte de pa~tage. les copartageants prennent un terrain détel\miné pour limite de
leurs propriétés indivises, ils reconnaissent par là que ce
terrain est exclu du partage et qu'ils n'y ont aucun droit.
Aussi cet acte de partage peul très bien être invoqué c•>mme
ayànt interrompu la prescription par le possesseur de ce
même terrain contre celui des copartageants qui en revendiquait la propriété (Cassation , 25 février 1863). JI a été
jugé également que la 1!éclaration, clans un acte de vente
ou de partage. d'une rente grevan t l'immeuble, objet du
contrat, constituait une reconnaissance des droits du
créancier, bien que ceh1i'-ci n'y ait pas été partie, recon·
naissance interruptive de la prescription (Cassation. 27
.janvier 1868; Rouen, 20mars1868).
De qui doit émaner la reconnaissance? La réponse à
CP,lte question est dans l'article 224.8 lui-même. C'est le
débiteur ou le possesseur qui doit reconnaître le droit de
celui contre lequel il a commencé à prescrire. Cela ne
souffre pas de difficultés. puisque la reconnaissance est nne
véritable renonciation et qu'il est tout naturel que Je possesseur d'un droit puisse seu l y renoncer. La jurisprudence a eu plusieurs fois l'occasion d'appliq uer ce principe en matière de droits d'usage forestiers. Certains
usagers avaien t voulu voir une reconnaissanee de leurs
droits dans des sentences émanées d'une juridiction qui
rendait la justice au nom du seigneur , ils en avaient co nclu
que celle 1·eeonnaissance avait interrompu la prescription
-
155 -
en lenr faveur. Lem· manière de voir n'a pas été admise
par la Cour de cassation , par ce motif que la reconnaissance
n'émanait pas du propriétaire. et que les juges seigneuriaux ne pouvaient ètre considérés comme les mandataires
de celui au nom duqnel ils rendaient la justice (Cass<l-tion,
21 mars 1852).
Si la reconnaissance doit émaner toujours du débiteur
ou possesseur. peut-elle être faite par tout débiteur ou tout
possesseur? Un premier point admis sans contestation est
relatif à la prescription acquisitive. Quant à elle, celui-là
seul peut faire une reconnaissance efficace qui a la capacité
d'aliéner. Ceux donc qui n'ont pas cette capacité ne peuvent par ce moyen interrompre valablement la prescription
qui court à leur profit, puisque ce serait renoncer aux
avantages d'une possession de nature à consolider la propriété dans leurs mains (art. 2222 et 2248 combinés) .
La question est au contraire beaucoup plus controversée
en ce qui ·touche la prescription libératoire. Cependant
l'opinion dominante est celle qui·permet de faire une reconnaissance interruptive de la prescription extinctive à toute
personne jouissant de l'administration de ses biens, ainsi
qu'aux administrateurs du patrimoine d'autrui. (Paris ,
29 avril 1814. - Cassation , 26 juin 182t. - Vazeille.
Aubry et Rau .)
Que les personnes jouissant de l'administration de leurs
biens puissent faire une reconnaissance capable d'interrompre une prescription extinctive, nous ne le contestons
pas , mais que les administrateurs du patrimoine d'autrui
le puissent également, c'est ce que nous ne saurions
admettre. Car la loi, ne leur ayant pas donné le droit
�-
'
.
154 -
d'aliéner le mobilier, ils ne doivent pas pouvoir. renoncer
à la prescription d'un droit de cette nature. Objectera-t-on
que les administrateurs ont le droit de payer et qu'ils
ont, par cela mème, celui d'interrompre la prescription?
Evidemment non , car les administrateurs sont établis dans
l'intérêt des personnes dont ils gèrent Je patrimoine et
non pour leur porter préjudice. Leurs pouvoirs sont limités par la loi aux actes d'administration. Ces actes sont
nécessaires ou avantageux; renoncer à une prescription
commencée n'est ni nécessaire ni avantageux. Que
l'administrateur laisse donc courir la prescription. Celui
dont il gère les intérêts aura toujours la faculté d'y
renoncer, quand il sera plei nement capable (Laurent).
Que faut-il penser d'une reconnaissance faite dans un
acte nul ? On doit sans hésiter admettre qu'elle peut interrompre la prescription. Ainsi une reconnaissance faite
dans un acte de novation est valable, malgré la nullité de
cet acte, pourvu que la nullité ne provienne. pas d'un
défaut de capacité dans celui dont il éman e. Même dans
ce derni er cas, si d'après les circonstances cet acte contenait la preuve de payemen ts fai ts jusqu'à celle époqu e, il
contiendrait encore une recon nai s~an ce toute capable de
relever le créancier de la prescription. (Paris. 29 août
181 4. -Troplong, Vazeille.)
Nous avons dit plus haut que le payement des intérêts
constitue une reconnaissance tacite interruptive de la prescription, cela est exact ; mais, comme le plus souvent ces
intérêts sont payés , sans qu'il en reste la preuve dans les
mains du créancier, il est très difficile d'établir qu'ils l'ont
été réell ement et qu'ils ont , par cela même, interrompu
-
13?5 -
Ja prescription. Nous ne reviendrons pas sur la discussion
que nous avons reproduite à ce sujet dans notre ancien
droit, nous dirons seulement que de nos joars les registres et papiers domestiques ne font jamais foi en faveur
de celui qui les a écrits, ils font au contraire foi contre lui
en certains cas (art. 1551). La preuve ne peut dès lors
être faite que d'après le droit commun (Cassatioo, i t
mai t842).
Le législateur a prévu, en matière de rentes, le danger
que nous venons de signaler et l'a écarté pat' un moyen
spécial. Il permet au crédi-rentier d'exiger du débiteur
de la rente un renouvellement de son titre au bout d'un
certain temps. Ce temps est fixé à vingt-huit ans pour ne
pas mulliplier les reconnaissances et les frais, article 2265.:
• Après vingt-huit ans de la date du dernier titre, le dé~t• teur d'une rente peut êlre contraint de fournir à ses frais
• un titre nouvel au créancier ou à. ses ayants cause. •
Cette disposition spéciale au cas où il s'agit d'une rente ne
saurait être étendue par voie d'analogie à. d'autres matières. Ainsi , l'article 67:5 dit bien que le titre constitutif
d'une servitude non prescriplible ne peut ètre remplacé
que par un titre recognitif de la servitude, émané du propriélaire du fonds servant , nous ne penso~s pas que le
propriétaire du fonds dominant puisse conlramdre le p~o_
priétaire du fonds servant à lni faire un titre recogmt1f
en dehors des termes de la loi. Celle-ci n'impose pas en
effet au propriétaire du fonds servant l_'obliga~ion de
prendre à sa charge les frais d'un nouveau ltlre. A1ontons
que le plus souvent le crédi-rentier n'a pas d'autres
. t"ion, tandis
nue le prornoyens d'i ntorrompre la prescnp
<
'1
�-
136 -
-
priétaire ùu fonds dominant peut toujours interrompre la
prescription libératoire de la servitude par le non-usage,
en faisant des actes d'exercice. De même, dans l'hJpothèse
d'un capital exigiblo, bien que l'exigibilité soit renvoyée à
plus de trente ans, l'article 2265 ne peut recevoir d'application; car le créancier peut former sa demande en
p:üement, si le terme est échu; s'il ne l'est pas, il n'a rien
à craindre, puisque la prescription est suspendue en sa
faveur , en vertu de l'article 22 57.
La situation particulière du crédi-rentier mérite donc
seule la faveur contenue dans l'article 22 65. Ce n'est qu'à
lui seul qu'il faut l'appliquer (Paris. 12 jnin 1866.
Troplong. - Marcadé, - co11 tra Taulier).
li ne faudrait pas tirer de l'article 2263 celle singulière
conséquence que !~ créancier ne peut interrompre la
prescription que par un litre nouvel et tourner ainsi
contre lui une disposition qui n'a été faite qu'en sa
faveur, c'est un moyen de plus que la !oi-accorde au
crédi-reotier ; mais s'il en possède d'autres, il peut très
hi1rn les faire valoir , sans recourir à l'article 2265
( LaurP,nt, Cassation, 20 novembre 1827 ; - Paris ,
19 juin 1866).
SECTJON 11
1
DE
L EXTE.'.'i"SI01\"
DES EFFETS
1
DE L 1N'1 'ERRUPTION
CIVILE
1
A CERTAl:'o!ES PERSONNES ET D UXE ACTION A UNE AUTRE
Nous avons déjà remarq ué ùans le cours de cette cfü1de
que d'une façon générale l'interruption· naturell e produit
des effets absolus, c1'ga 011111 cs , tandis qne l'inter ru pli on
i57 -
civile ne produit que des effets relatifs, des efTets à l'égard
de la personne â. laquelle elle est adressée. Le Code a rependant prévu trois hypothèses. où les effets de l'interruption civile s'étefldent à plusieurs personnes. Ces trois
hypothèses se rencontrent en matière de solidarité, d'indivisibilité et de cautionnement (art. 2249 et 2~50j.
§ 1. Solida1·ité (art. 2249 ) . - La solidarité peut
exister soit entre créanciers, soit entre débiteurs :
·t • Entre créanciers. - Tout acte qui interrompt la
prescription au profit d'un créancier solidaire l'interrompt
également au profit des autres. Celle disposition s'explique
très bien par l'idée de mandat qui préside aux rapports des
créanciers entre eux. Les actes du mandataire doivent dès
lors profiter aux mandants. Mais s'il y a, parmi les créanciers solidaires. un créancier con tre laquel la prescription
ne court pas à raison d'un privilège parti culier (minori té.
interdiction) , elle con tinue cependant al'égard des autres .
car le mandant ne peut invoquer les privilèges spéciaux
attachés à la personne de son mandataire. L'argument
d'analogie qu'on a voulu tirer de l'article 710 du Code
civil ne nous parait pas admissible. Cet article ainsi
conçu : • Si, parmi les copropriétaires, il s'en troure un
c contl'e leq uel la prescription n'ait pu courir, comme un
« mineur, il aura conservé le droit de tous, • est spécial
et particulier à l'indivisibilité, et il ne peut être étendu à
la solidarité.
2° Entre débiteurs. - L'interpellation adressée à un
des débiteurs solidaires ou sa reconnaissance interrompt
la prescription contre les autres débiteurs et même contre
�-
158 -
leurs héritiers. Au contraire, l'interpellation, adressée à
l'un des héritiers d'un débitenr solidaire, n'interrompt
pas la prescription à l'égard des autres héritiers, pourvu
que l'obligation ne soit pas indivisible, maiF> elle l'interrompt à l'égard des autres débiteurs solidaires pour la
part dont cet héritier est tenu. Pour que la prescription
soit interrompue pour le tout et à. l'encontre de tous les
autres codébiteurs, il faut que l'interpellation soit adressée
à. tous les héritiers du débiteur décédé.
Il est facile d'expliquer ces di!Térences en remontant
aux. principes admis en matière de solidarité. En effet. aux
termes de l'article 1206 , les IJOUrsui tes dirigées contre l'un
des autres débiteurs solidaires interrompent la prescription
contre les débiteurs, et, aux termes de l'article 1215. l'obli·
galion solidaire se divise de plein droit en tre chacnn des
débiteurs qui l'ont contractée, tandis qu'aux. termes de l'article 1220 . les dettes se divi sent de plein droit entre les
héritiers d'un même débiteur . Or, comme ceux-ci ne sont
pas tenus solidairement au delà de la portion pour laquelle
ils représenten t le défunt, il faut leur adresser à tous une
interpellation pour in terrompre la prescription pour le
tout et à l'P-gard des autres débiteurs solidaires. La solution serait la même si l'on était en présence d'une créance
hypothécaire. ou bien d'une créance personnelle. Quelques
auteurs souti ennent que la poursuite dirigée contre l'héritier p osse~seur de l'immeuble hypothéqué interrompt la
prescription con tre les au tres héritiers , parce que ce possesseur représente complètement le défunt (Aubry et Rau.
Vazeille). Il est facile de répondre qu'en vertu du principe
de la di1·ision des deltes (art . 1220), chaque héritier n'est.
-
159 -
tenu personnellement que pour sa part. Le créancier a
donc contre lui deux actions distinctes ; l'action personnelle et l'action hypothécaire . La première est limitée
à la part de &et héritier, la seconde est indivisible. Mais
ceu.e indivisibilité ne subsiste que pendant le temps que la
dette subsiste pour le tout, mais une fois la deue divisée,
l'action hypothécaire n'étant que l'accessoire de l'action
personnelle doit subir les extinctions ou diminutions que
subit cette dernière (Laurent, Troplong. Marcadé) .
Faut-il assimiler aux créanciers et débiteurs solidaires
les cohéritiers d'une suc~egsion indivise? La question
controversée dans l'ancien droit ne l'est plus aujourd'hui ,
les articles 2249 et 2250 étant limitatifs. Tous les
auteurs admettent qu e les cohéritiers d'une succession indivise ont des droits distincts, parfaitement indépendant~
les uns de:; autres. JI y a toutefois dans la jurisprudence un
arrêt portan t que la reconnaissance faite par l'héritier
possesseur de toute la succession avait interrompu la prescription de la dette pour le tou t (Pau, 29 juin i8~5). Cet
arrêt, qui semble contraire à l'opinion que nous avons
émise plus haut , se justifie par la considération suivan te : dans l'espèce soumise à la Cour de Pau, le cohéritier, en possession de la succession, la détenait avec le
consentement des autres cohéritiers. il était leur mandataire . C'était l'application pure et simple des principes généraux en matière de mandat.
Qu'en est-il de l'interruption adressée à l'héritier apparen t ? Interrompt-elle la prescription à l'égard du véritable hêrilier? L'alllrmative nous parait certaine, puisque l'héritier apparent est possesseur . et que l'héritier
�-
140 -
réel peut joindre sa possession à la sienne propre. Il P.n
rérnlte q11e l'interruption adressée à l'héritier apparent interrompt la prescriptiun vis-à-vis de l'héritier· réel (contra
Laurent). .
Ne pourrait-on pas assimiler aux. débite11rs solidaires les
détenteurs de biens hypothéqués ala même dette et décider
que l'interpellation adressée à l'un des détenteurs interrompra la prescription à l'égard des a11tres? Il fa11t sans
hésiter répondre négativement, car les deux situations
sont différentes. Le droit de créance que l'on a contre
pl11sieurs débiteurs solidaires est 11n se11I et même droit
qui réside en la personne du créancier, aussi le droit d11
créancier c<olntr·e le débite11r interpellé est le même q11e
celai ~u'il a contre les a11tres. Les droits d'hypothèque, au
contraire, que l'on a s11r différents biens hypothéqués à la
même dette sont des droits réels rési dant sur des choses
différentes , droits par conséquent aussi distincts les uns
~es autres que les choses sur lesquelles ils portent sont distmctes les unes des autres.
La reconnaissance de la dette que ferait un débiteur so!idaire, après la prescription acqu ise, ne préjudicierait pas
a ~es coobligés (Paris, 9 fé'1rier 1855), car le temps expiré a~ant fait acquérir un droit aux autres codébiteurs,
ceux-c'. n.e peuvent le perdre par le fait du renonçant , sa
renonc1at1on leur est donc complètement étranoère.
Une ~ern'.ère q11estion nous reste à exam~er au sujet
de la sohdanté. C'est la suivante : un jugement par défaut,
f~11te de constitution d'avoué, est rend11 contre deux indi~1dus q~'il a ~ondamnés solidairement ; il n'est exéc11té que
wntre 1un deux dans le délai prévu par l'article 156 du
-
Ui
Code de procédure civile. Ce jugement est-il sauvé de la
déehéance à l'égard de l'autre ? C'est-à-dire celui qui a
obtenu le jugement peut-il abandonner le débiteur qu'il a
d'abord poursuivi pour revenir contre l'autre . alors
même que les six mois se seront écoulés~ En d'autres termes, le délai de l'arlicle 156 est-il une prescription et dès
lors soumis à l'article 2249 ?
La Cour de cassation, d'accord avec la majori té des
auteurs, s'est prononcée pour l'affirmative, ·en se fondant
sur ce que « les articles 1206 et 2242 qui ont étendu à
tous les débiteurs solidaires l'interruption de la prescription opérèe à l'égard de l'un d'eux s'a ppliq11ent dans leur
généralité à tous les genres de prescriptions et sont conçus
en des termes absolus, et que l'article 156 du Code de
procèdure établit. à l'égard des jugements par défaut, une
véritable prescription en faveur des parties condamnées,
qui , comme les autres, peut ètre interrcmpue a11x termes
de la loi.• (Cassation. 9 février t84i. ) Ladoctrioeajoute
que la dette solidaire est la même dans sa substance et
dans sa ca11se pour chacone des parties qui y sont obligées ; le codébiteur, pour ou contre lequel jugement a
été rendu. ne forme moralement avee l'autre qu'un seul
et mème individu, parce qu'ils n'ont p11 s'obliger solidairement à la même delle, sans se constituer mandataires
l'un de l'autre pour la payer, et, par suite. pour se représenter mutuellement dans tous les actes et toutes les procédures qui tendraient à la faire payer, et pour faire valoir
dans leur intérêt commun tous les moyens qu'ils pour·
raient avoir de s'exempter de la pay~r'. Dès lors , l'exécution dirigée contre l'un des débiteurs solidaires l'est en
�-
142 -
même temps coolre l'autre, el produit par cela même une
interruption de rrescription à son encontre. Celte opinion,
bien que généralement admise par les autorités les plus
recommandables. nous parail sujetle à critique. n·abord
elle confond la créance et l'aclion qui sont deux choses
parfaitement distinctes; la créance peut être solidaire, et
l'action , et par suite Je jugement, n'aurait d'effet qu'envers
celui contre qai elle est dirigée, et de ce que le jugement
conserve ou perd sa force vis-à-vis de l'un des débiteurs,
11 ne s'ensuit pas que le même résultat se produise à
!"égard des autres. L'article t 206 ne vise que les obligations conventionnelles, le jugement par défant n'est pas
lui-même un titre d'obligation. il ne le devient qu'autant
qu'il a été exécuté dans les six mois (art. t ~6). Ainsi,
avant d'exister comme obligation solidaire, il faut qu'il
existe comme obligation; or, il n'existe pas, tant qu'il n'a
pas été exécuté dans les six mois . Comment la poursuite
dirigée contre l'un des débiteurs pourrait - elle réagir
contre l'autre, alors qu'à son égard il n'y a pas même
d'obligation? Nous conduons donc que la poursuite dirigée
contre l'une des deux personnes condamnées par défaut
Sl)Jidairement n'a aucun erre~ vis-à-vis de l'autre (Tl'Oplong,
Vazeille).
JI faut donner la même solution dans l'hypothèse d'un
acquiescement à un jugement de défaut non exécuté
contre l'autre débiteur dans les six mois.
§ li.
La loi place sur la même ligne
que la solidarité, l'indivisibilité. L'interruption adressée à
l'un des débiteurs d'une chose indivisible l'interrompt à
Indivisibilité. -
-
145 -
l'égard des autres. L'on peut même ajouter qne son effet
est plus puissant, puisqu'à la différence de ia solidarité
dont l'elTel n'a pas lieu entre les héritiers d'on même débiteur d'une delle solidaire. cet effet se produit entre les
héritiers d'un même débiteur d'une chose indivisible. Cette
différence s'explique par celle considération que la solidarité repose sur une idée de mandat exprès oo tacite, peu
importe. idée qui ne se retrouve pas chez les héritiers d'un
débiteur d'une chose indivisible. L'indivisibilité est un fait
qui s'impose à tous, aux héritiers du débiteur comme au
débiteur lui-même. Cette assimilation de l'indivisibilité à
la solidarité n'est que le résultat d'une exagération des
pri ncipes en matière d'indivisibilité. Le législateur aur:lit
très bien pu ne pas consacrer celle exception el accorder
aux débiteurs qui n'avaient pas été interpellés le bénéfice
de la prescription ; car de ce qu'une chose est indivisible,
on conclut que , dès qu'elle est dne par un débiteur à un
créancier, elle est due à tous les créanciers par tous
les débiteurs. Ce résultat n'est pas nécessaire. Supposons un créancier d'one chose indivisible et plusieurs
débiteurs dont un seul est interpellé, la créance aurait
très bien pu être conservée pour le tout, sauf au créancier
à tenir compte an débiteur poursuivi des parts que les
antres débiteurs libérés par la prescription auraient dû
supporter dans la dette. s'ils étaient restés obligés;. supposons à l'inverse plusieur~ créanciers et un seul débiteur, la
créance aurait ici encore pu être conservée pour le
tout par l'interruption faite par un des créanciers., à ~on
dition d'indem niser le débiteur de la valeur du droit qu aurailmt perd11 les autres créanciers par la prescription. C.'est
�144 -
du reste ce qu'a fait le législateur dans le cas de remise
d·une obligation indivisible par l'u n des héritiers du créancier. Son cohéritier ne peut demander l'exécution de
l'obligation indivisible qu'en tenant compte de la remise
(art. 1224). Il n'y avait pas de raison pour s'écarter de
cette dernière solution. Néanmoins, la loi est formelle.
Quant aux obligations indivisibles. solutione tantum, le
Code les a rangées dans la classe des obligations divisibles et soumises, par fa même, au droit commun.
§ 111. Cautionnement. -
Le Code a mis fin par son
article 2250 aux controverses qui existaient dans l'ancien
droit à ce sujet. Aujourd'hui , l'interruption qui se produit
à l'égard du débiteur principal se produit également à
l'égard de la caution, en vertu de la règle. accessorium
sequitur vrincipale; et l'on ne peut objecter que la situation de la caution est aggravée, puisqu'elle s'est engagée à
payer toute la dette.
'
La réciproque est-elle vraie? L'interruption adressée à
la caution réagit-el!~ contre le débiteur principal ? Une
première opinion admet l'affirmative, en se basant sur les
considérations suivantes. Elle invoque par analogie ce qui
se passe entre les débi teurs solidaires. Elle ra même jusqu'à
soutenir que le droi t du créancier est un et iden tique
tant con tre la caution que contre l'obligé principal ; de
sorte que le créancier en usan t de son drnit contre la
cau tion en use nécessairement contre le débiteur (Troplong.
Vazeille, le Roux de Bretagne, Dalloz, Répert., Prescription ).
-
t45 -
L'on répond à cette première opinion qu'il n'y a pas
d'analogie possible entre la situation du débiteur et de la
caution et celle des débiteurs solidaires, leur mode d'engagement respectif en est la preuve la plus manifeste. En
second lieu. l'obligal10n de la caution et celle du débiteur
sont Join d'être identiques. Elles sont parfaitement distinctes, et l'une peu t très bien s'éteindre sans que l'aatre
cesse d'exister.
Un second système soulienl que l'interruplion adressée
à la caution n'empêche pas la prescription de courir au
profit Ju débiteur principal. Son premier avantage est de
s'en tenir exclusivement au :exle de l'article 22!10, qui ue
s'appliq ue qu'au cas où l'interpellation est faite au débiteur principal et non à la c:rntioo. L'article 2250 est une
excep tion à la règle générale, il ne faut donc pas l'étendre
d'un cas à un autre, puisqu'il n'y a pas les mêmes raisons.
En effet. cet article n'a été adopté, d'après l'exposé des
motifs (Fenet. t. ·t 15, p. 584), que par cette raison que
l'obligation de la caution étant l'accessoire de celle du débiteur, elle ùoi t durer aussi longtemps que celle-ci. raison
qui ne se rencontre pas dans notre hypothèse. Ajoutons,
en outre, que si le plus souvent la caution n'intervient
qu'en vertu d'un mandat du débiteur principal, il peut se
faire qu'elle intervienne à son insu, par exemple, à titre de
géran t d'affaires; dès lors, il est injuste de faire supporter
au débiteur les conséquences d'une geslion qu'il a ignorée (Marcadé, Aubry et Rau. Laurent).
Les deux systèmes que nous venons d'exposer. bien que
diamétralement opposés. puisque l'un admet que l'interruption adressée à la caulio11 réagit contre le débiteur et
�IMi -
que l'antre ne l'admeL pas, paraissent en pratique aboutir
au mème résultat. Avec le premier, la prescripti on étant
interrompue à l'encontre du débiteur 1 il doit naturellement payer ; avec le second. la prescripti on étant interrompue con tre la ca ution . c'est elle q01 paie. mais com me
ell e a un recours contre le débiteur , ce dernier n'aura pas
profité de la prescription poi ~ qo 'il doit rembourser à la
cau tion ce qu'elle a donné pom lui. Le résultat n'est-il
pas le mème dans les deux cas? C'est pourquoi !'on a
imaginé un t.roisième système (Duranton). d'après leq uel
l'interpellation adressée à la caution n'interrompt la prescription oi contre le débi teur principal,' ni même contre la
caution. El_le ne l'in terrompt pas contre le débitenr, puisqu'il n'a pas été interpellé; elle ne l'interrom pt pas contre
la caution puisqu'elle serait obligée de payer et de recou rir
con tre le débiteur, ce qui fera it perdre à ce dernier le
bénéfice de la prescription, chose qu i ne doi t pas être.
Ce système n'a cependant pas prévalu et c'est au second
que nous préférons nous rallier; la prescription est interrompue a l'égard de la caution par l'i nterpellation qui lui
e,:;t adressée. Elle doit donc payer s:rnf son recou rs contre
le débiteur. Nous objecte·t-on la similitude des résultats
qui se produisen t avec le premier el te seconJ systèmes?
Nous répondons que si en apparence la situation semble
la même, il peut arriver avec notre système que la libération 1lu débiteur produ ise aussi Jes conséquences importantes.
t • La caution pen t être insolrnblc; elle n'a pas de
recours à exercer contre le débiteur , pu isqu'elle n'a pas
payé. celui-ci est don c bien libt'•ré.
-
147 -
2° Les droits du créancier a l'encontre du débiteur
étant prescrits, ils ne pourror1t faire l'objet d'une subrogation an profit de la caution.
Mais ici se présente une objection sérieuse. Aux termes
de l'article 2057 la caution est déchargée quand la sob1·0gation aux droits privilèges et hypothèques du créancier
ne peut plus s'opérer par le fait de ce dernier en faveur
de la cantion. Or c'est ce qui arrivera da us notre hypothèse, la caution poursuivie r&pondra au créancier : je ne
vous dois rien. je suis complètement libéré. puisque par
votre fait, par votre négligence. vous avez rendu la subrogation impossible en laissant la prescription !l'accomplir
en faveu r du débiteur. Cette objection est fondée et ce
raisonnement devra être admis. quand le créancier aura
fait son interpellation peu de temps avant la fin du délai
de la prescriplion, de façon à ne pas laisser à la cau~io~
un temps suffisant pour poursuivre le débiteur; mais il
devra en être autrement quaud l'interpellation aura été
faite longtemps avant la fin du délai ; la caution sera alors
en faute , si elle ne poursuit pas le débiteur ; elle aura donc
à en supporter les conséquences, car c'est surtout ~ar son
fait et non par celui du créancier que la subrogation est
devenue impossible.
Remarquons à la fin de cette discussion que si. la caution reconnaît la dette après la prescription acqmse, cette
reconnaissance ne produit d'effet que contre elle, il s'agit
là plutôt de la naissance d'une doue nouvelle que de la
reconnaissance d'une ancienne o ~ligation .
· d'1quees
· par le Code , il faut en
A ces trois excepti0ns 10
.
.
ajouter
une quatrtème
que nous av oos déJ.à. rencontrée
�-
148 -
dans l'ancien ùroit. C'est celle qui résulte de la saisie
immobilière.
La saisie immobilière profile non seul ement au créancier saisissan~. mais aussi anx autres créanciers. Cette disposition qui existait déjà en droit romain est passéè sa11s
contestation dans l'ancien droit et de là dans la législation
moderne qui l'a même fortifiée en ex igeJn t certaines notifications (art. 692, Cod. pr. civ.). Le but de la sai~ie est
de placer l'immeuble so1;s la m:iin de la justice pour
servir de gage à tous les créanciers qui peuvent y avoir
des droits. Les fruits sont immobilisés à leor profit commun pour êt:'e distribués en même temps que le prix de
l'immeuble par ordre d'hypothèque. Bien qu'émanan t d'un
seul créancier, la saisie produit à l'égard de tous des effets
définitifs pouvant conùui re à la distribution du prix. Comment ne prod uirait-elle pas également h l'égard de tous
l'interruption, acte simplemen t conserva toire? Le doute
n't~st donc pas possible. La que. lion déli cate est de savoir
à quel moment la saisie deviont comm une?
Merlin sou tient que la saisie devient commune â. tous
les creanciers. à dater de la sommati on aux créanciers
inscrits, parce que jusque là le saisissan t peut très bien
se ùésister sans le concours <le. ses co-créanciers. Troplong
place aa contraire ce qu 'il :1ppelle v la coalition <les créanciers • au moment où après la rédaction ùu procès-verba l
(art. 67 5, Cod. pr .), la saisie est dénoncée au débiteur
en vertu de l'article 677 du mèrne Code. li invoque la
tradition a l'appui de sa théo1ie. et il repousse l'o pin ion
de Merlin parce que celle sommation n 'é ta o ~ adressée
qu'aux créanciers inscrits ne peut produire d'effet à l'egart.1
-
149 -
des créanciers non inscrits, ni les rendre parties à l'instance.
Quant à nous, la questiorr nous parait tranchée par
l'article 695 du Code de procédure civile. qui est ainsi
conçu : « Mention de la notification prescrite par les deux
a articles précédents sera faite dans les huit jours de la
<< date du dernier exploit de notification , en marge de la
c transcription de la saisie au bureau des hypothèques.
• Dn jour de cette men tion . la saisie ne pourra plus être
• rayée que du consentement des créanciers inscrits, ou
• en vertu de jugements rendus contre eux. • N'est-ce
pas indiquer d'une manière claire que ce n'est qu'à dater
de ce moment (mention en marge de la transcription) que
la saisie produit son effet interruptif à l'égard de tous les
créanciers, même à l'égard des créanciers à hypothèque
légale dispensée d'inscription.
Nous venons de voir que l'interruption de la prescription ne s'étend pas d'une personne a une autre.
règle
est la même pour les action!'. Ainsi dans le cas où un immeubl e hypothéqué à une dette n'est pas détenu par le
débitenr. le tiers détenteur peut très bien prescrire l'action hypothécaire , lors même que l'action personnelle
contre le débi teur ne peut être prescrite à raison d'une
interruption quelconque. A J'inverse, l'action hypothécaire
peut très bien être interrompu e sans que l'action perso11nelle le soit pour cela. Seulement il fau t remarquer que
si l'action personnelle est prescri te, le tiers dé lenteur
pourra \'invoquer. car. lorsqu'une créance n'existe plus,
il ne peu t y avoir de gage auaché à celte créance. Rappelons pour mém oire l'opi nion paradoxale de yazeille que
La
�-
150 -
nous avons déjâ. mentionnée et réfutée à propos de la solidarité. d'après laquelle l'action hypothécaire survivrait à
l'action personnelle dans le cas où un seul de plusieurs
héritiers posséderait tous les biens hypothéqués.
Quand l'immeuble hypothéqué est clans les mains du
débiteur, les actions personnelle et hypothécaire sont
réunies. et les actes qui ont trait à la conservation de
l'une empêchent la prescription de l'autre, car elles se
soutiennent. pour nous servir des expressions de Troplong,
• par un mutuel secours. • Mais quand le créancier ne
peut exercer les actions personnelle et hypothécair~ que
contre deux personnes diITérfln tes. il doit toujour:; avoir
soin de dénoncer au débiteur le:; poursuites qu'i l veut
intenter cootre le tiers détenteur.
L'action hypothécaire exercée rar le vendeur d'un immeuble con tre le sous-acquéreur soit en payement du prix,
soit en délaissement, est prescrite par la possession du
sous-acquéreur pendant dix ou vingt ans avec Juste titre
el bonne foi. L'exercice de cette action par le vendeur n'a
aucun effet interruptif de prescription sur l'action en résolution de la vente à défaut de payement du prix . (Paris, 25
janvier 185 1). Ces deux actions sont dilTérentes dans leurs
buts et dans leurs causes, les deux intérêts son t distincts
et soumis a une prescription distincte. Mais il n'en serait
plus de même si les deux actions étaien t dirigées non plus
contre le ti ers détenteur mais con tre l'acquéreur direct.
L'action en résolution serait conser\'ée par l'exercice de
l'action hypothécaire. En effet Je droit de résol ution est
inhérent à la vente. tant que l'obligation de payer le prix
n'est pas prescrite; or ici elle ne l'est pas, puisqn e la pour-
-
151 -
suite hypothécaire a interrompu la prescription. il demeurP. donc sain et entier, comme conséquence forcée du
contrat.
L'action ex testamento et l'action donnée par la loi sur
la succession ab intestat ayant un objet diITérent , n'ont
aucun efTet l'une sur l'autre. La première pourra donc
être interrompue sans que l'autre Je soit, et réciproquement (Nîmes, 6 mars 1852). Ce principe n'est cependant
pas absolu , et il y a des cas où la poursuite faite en qualité
d'hérilier ab int~stat arrête la prescription de l'action
testamen taire. Snpposons qu'une personne instituée légatajre par un testament attaque ce testament comme nul,
et réclame la succession en qualité d'héritier ab intestat.
Le défendeur qui soutien t la validité du testament, reconnait par là même les obli gations qui en dérivent. Il ne peut
pas. s'il triomphe, invoquer, soit contre le légataire, soit
contre tout autre intéressé, la prescription de ces obligations quelle qu'ait été la durée du procès (Troplong). Hors
ce cas, où. il résulte de la position des parties une reconnaissance interruptirn, la poursuite dirigée en qualité
d'héritier ab intestat n'aura pas d'e!Iet sur l'action C'J,; testamen to. Ainsi la personne qui, trente ans après avoir
réclamé sa part comme héritier légitime1 voudrait se prévaloir de la découverte d'un testament en sa faveur pour
réclamer un legs, se verràit opposer a,·ec succès la prescripti on de l'action testamentaire.
.
On a prP.lendu quelquefois que notre règle ne doit pas
s'appliquer quand les deux actions sont incompatibles:
mais i1 n'en est rien. car elles peuvent touj ours être
exercées ensemble par fi n sub iùiaire. Ainsi l'action eu
�-
t5 2 -
réduction d'une libéralité faite par testament court contre
l'héritier à réserve. même pendant qu'il exerce contre le
testament l'action en nullité pour faux ou pour vices de
formes . (Troplong, contra Vazeille).
Il faut décider également que les poursui tes au possessoire n'interrompent pas la prescription de l'action pétitoire.
L'interruption a-t-elle lieu d'une quantité à une autre?
Evidemment non . Ainsi un créancier qui a deux créances
de cent. contre no même débiteur, en réclame une sans
rien préciser, il n'interrompt pas la prescription de l'autre.
11 en serait autrement si le créancier réclamait en tennes
généraux tout ce qui lni est dû. ou Lien encore s'il réclamait une portion de dette, comme fraction d'une dette
plus considérable.
L'interruption a lieu au contraire du tout à la partie
qui lui est connexe. Ainsi la demande dn capital interrompt également la prescription des intérêts produ its par
ce capital pendant les cinq dernières ann ées.
SECTION JJf
-
155 -
départ à une prescription nouvelle. Mais est-ce à dire que
cette prescription nouvelle s'accomplira par Je même laps
de temps que !,'ancienne? La question ne se présente évidemment pas, quand l'interruption est venue arrêter une
prescription trentenaire , car cette prescription étant la plus
longue, la nouvelle prescription ue pourra dépasser ce
terme. La question se pose au con·traire quand la prescription interrompue est une prescription dont le délai est
inférieur à trente ans.
Pour arriver à. une solution exacte, il faut distinguer
s'il s'agit d'une interruption naturelle ou d'une interrnption
civile.
Pour l'interruption naturelle, la prescription ne peut
recommencer tant que le nouveau possesseur n'a pas
perdu la possession ; mai3 une fois qu'il l'a perdue et que
l'ancien possesseur la recouvre, une nouvelle prescription
recommence ayant la même durée que la précédente
(Cassation , 2 avril 1845).
Pour l'interruption civile, on ne peul dire a priol'i quels
sont les eiTet.s de celle interruption, il faut considérer
séparément les divers actes qui la produisent, car tous ne
produisent pas les mêmes effets.
EFFETS DE L'!:x.rERRUPTIO""
SUR LE TEJ\IPS REQUIS
n
POUR PRESCRIRE
,
.
Ces effets se produisent dans le passé el dans J'a\'enir.
~ans ~e passé, l'interruption elîace complètemeot le temps
ecoule, aussi ne peut-on plus le compter désormais, c'est
là un principe absolu ; clans l'avenir, car~ partir du mnment où elle est produite, l'interruption sert de point de
§ 1. Demancle en Justice. -
Quand c'est une demande
en justice qui interrompt la prescription, celle-ci n~ peul
recommencer tan t que dure l'instance, l'inst:mce durât·
elle plus de lrenle ans (Cassation, 6 décembre f 852).
La raison e11 est que les di\'el's actes de la procédure,
quoique n'étrn t pas des demandes propl'ement dites , se
lient si intimement i1 la demande qu'on peu l les considérer
�-
1M -
comme des réitérations de cette demande. dont l'effet se
trouve aiosi renouvelé. Celle règle reçoit cependant exception au cas prévu par l'article 187 du Code de commerce.
Cet article, en effet, permet à la prescription de recommencer à courir à partir du dernier acte de poursuite,
quand même l'instance n'aurait pas élf\ déclarée périmée et
devrait être considérée comme subsistante. Cel.le exception
trouve sa justification dans l'intérêt qui s'attache à la
sécurité des transactions commerciales. (Cassation, 24
décembre f 860). L'instance nons offre ce caractère particulier qu'elle peut tomber en péremption par défaut
d'actes de procédure. Si la péremption est demandée, l'interruption est non avenue (art. 2247), el la prescription
primitive n'a pas cessé de courir. Mais si elle n'est pas
demandée, faut-il décider que l'instance se perpétuera à
l'infini? Evidemment non. Le droit commun reprend son
empire, et l'action judiciaire se prescrira par trente ans.
(Cassation. 12 mai 1829 . - Le Roux de Bretagne,
Laurent).
Nous avons vu que l'assignation devant un juge incompétent interrompt la prescription ; mais à pal'lir de quel
moment recommencera-t-ellc à courir! Ce sera du jour où
le jugement d'incompétence an ra été rendu ; il n'est pas
nécessaire qu'il ait été signifié. (Cassation, 24. août 1860).
Qu'arrivera-t-il dans le cas où l'auteur de l'interruption
reste inactif, après le jugement d'incompétence ? ~farcadé
pense que le défendeur peut après trois ::ins le citer devant
le tribunal incompétent, pour faire déclarer l'ajournement
périmé el se prévaloir, l'interruption étant dès lors effacée,
de l'ancienne prescription . Cette opinion ne nous parait pas
-
155 -
très juridique. Car: le tribunal. mal à propos saisi, est
complètement dessaisi une fois le jugement d'incompétence
rendu . Il ne peut dès lors apprécier l'effet d'un des ar,tes
d'une procédure qui n'existe plus. Comme il n'y a plus
d'instance, la citation doit être dès lors traitée comme un
acte extrajudiciaire, non soumis à la péremption et conserver son efîet interruptif pendant trente ans (Doran ton ,
Le Roux de Bretagne).
Quand la demande rP.gulièrement introduite s~ termine
par un jugement qui l'accuaille favorablement, la prescription de l'action judicati ne s'accomplit que par trente
ans, quoique la condamnation ait été prononcée en vertu
d'une créance soumise à une prescription de plus courte
durée. Cette substitution d'une prescription à. une autre
s'explique par la novation particulière qui résulte du contrat judiciaire.
§ Il . Comma11Clement. - Quand la prescriptiùn est interrompue par un commandement. cet acte elîace le temps
antérieur, ce n'est pas douteux ; mais quel elîet a-t-il sur
le temps postérieur ? La prescription qui recommence au
moment même où l'acte a été fait. sera-t-elle nécessairement trentenaire, alors que la prescription interrompue
était d'une durée moindre?
Bien que le contrai re ait été soutenu par Duranton . et
jugé par la Cour de Toulouse (20 mars l 8~ 5), no~s
pensons que la nouvelle prescription aura la rneme du ree
que l'ancienne, car il nous paraît difficile rl'admet~re qu ~
le commandement ait plus d'olTet que la convention qui
�-
t56 -
fixe la naturn de l'action et que la loi qui en règle la durée
(Troplong. Le Roux de Bretagne , Marcadé) .
Troplong rait cependant une exception pour la prescription qui oxige la bonne foi. Ici Je commandement fai sant
connaître au possesseur les titres qui condamnent sa possession , le constitue en élat de mauvaise foi ; la prescription nouvelle doit être trentenaire.
§Ill. . Saisie. - A la différence du commandement , la
saisie est uoe procédure qui se continue jusqu'à la distribution des deniers aux créanciers. Il en résulte que l'interruption durera aussi longtemps que la procédurb ellemême.
§ IV. Reconnaissance . - La reconnaissance a-t-elle en-
•'
..
core aujourd'hui le ponvoir de transformer en prescription
trentenaire la prescription primitive d'une durée plus
courte? L'affirmative est certaine s'il s'agit d'une reco 11 naissance expresse, faite par un acte spécial et constituant
un titre nouveau (art. 189 , Cod. comm. ). Si au contraire
il n'y a qu'uue reconnaissance tacite ou indirecte, il n'y
a p~s novation. Une telle reconnaissance vaut interrupti on,
mais ue peut pas substituer une prescription à nne autre;
une pareille substitution ne peut résulter que d'une novation soit dans le titre, soit dans la qualité de la créance.
Comment une reconnaissance tacite pourrait·elle chan11er
I~ droit du créancier et la position du débiteur, ne co~s
t1t~e-t-elle pas un e continuation pure et simple de cc qui
existe. C'est l'opinion de la doctrine (Troplong). La jurisd t dé c1·de· par deux arrêts qu'une
rnrudence· a cepen an
-
157 -
reconnaissance tacite pouvait substituer une prescription
trentenaire à une prescription plus courte. Le premier
arrêt (Nancy, 16 mars 1854) . admet qne le débiteur
qui se laisse saisir et ne s'oppose point à ce que ie créancier se paye sur la chose saisie, d'une partie des intérêts.
fait une reconnaissance qui rend les intérêts encore dus,
prescript ibles par trente ans. Le second arrêt porte que
la déclaration d'effets de commerce faite par le souscripteur dans un inventaire. constitue une reconnais:.auce
capable de donner naissance à la prescription trentenaire.
(Paris, 12 février f 855). Nous n'hésitons pas à repousser
cette tbèorie. car il n'y a pas fa un acte ex près, un titre
nouveau rendant le premier inutil e, mai5 plutôt une
simple déclaration.
La reconnaissance de la dette relative à des fermages
échus. contenue dans une déclaration affirmative. soumet
ces fermages à la prescription trentenaire (P:iris, 10 juillet
18 52) . C'est là. une rec0nnaissance expresse, entrainant
novation; si au lieu de fermages échus il s'agissait de fermages à échoir, ils resteraient soumis à la prescription de
cinq ans. alors même que le débiteur, par une reconnaissance spéciale, aurait promis ùe les payer régulièrement,
par la raison qu e. ne pouvant renoncer à une prescription
non acquise, il ne peut changer le d~lai de cette prescription
(Paris, 17 décembre 1 8&. ~J) .
Un au tre efTet de la reconnaissance que nous devons
mentionner en terminant, c'est qu'elle peut empêcher la
prescription nouvelle soi t temporairement. soit pour toujours. Supposons que le débiteur donne un gage à son
crëanciC'r, il reconuaîl par fa sa dette. la prescription est
�-
t:S S
~
interrompue, recommence·t-elle à courir immédialement
après! Non, car le gage forme en quelque sorte une
reconnaissance continue, et lant que le créancier en est
nanti, la prescription ne peut recommencer à courir
(Laurent).
Plaçons-nous maintenant en matière de prescription
acquisitive. Un possesseur en train de prescrire la propriété d'une chose, reconnait la détenir à titre de fermier,
sa possession étant désormais précaire, sa reconnaissance
aura rendu de sa part toute prescription impossible.
-
1?)9 -
Suspension
Nous avons vu en étudiant l'ancien droit les longues et
innombrables controverses qu'avait soulevées cette question
de la suspension de la prescription . Le Code civil voulant
y mettre un terme a énuméré limitativement dans les
articles 2251 à 21 :S9 les divers cas de suspension. La
preuve en est dans l'article 22!'> 1 qui pose le principe
dominant en cette matière. Cet article est ainsi conçu :
• La prescription court contre toutes personnes à moins
• qu'elles ne soient dan s quelque exception établie par la
• loi . » Ce sont ces exceptions indiquées par le Code que
nous allons parcourir successivement, tout en adoptant les
mêmes divisions que pour l'ancien droit.
SECTION 1
CAUSES DE
SusPES 10x
FosDÉE
suR
LA
QUAJJTÉ
PEHSOXNELLE DU PROPRIÉTAIRE ou CRÉAXClER
Les personnes qui rentrent dans cette première section
sont les mineurs et iiilerdils (art. 221S2), et les femmes
mariées (art. 225!5-22!)8).
~
l". Mineurs et foterdits. - Lors de la rédaction
de l'article 2252 , on discul.a beaucoup pour savoir si l'on
suspendrait ou non la prescription en faveur des mineurs?
�-
160 -
Le Tribunal de cassalion était d'avis de les soumcltre au
droit commun. li n'y avait pas, d'après lui, de raisons
suffisantes pour faire passer \'intérêt privé avant l'intérêt
général. d'autant plus que le mineur avait déjà un représentan t, capable de veiller à. la bonne gestion de son
patrimoine, dans lrl personne de son tuteur. Cette théorie
n'a pas été admise. et avec raison, par le législateur , car
le plus souvent le mineur n'aurait eu ~onlre son tuteur
qu'un recours illusoire , et il serait par conséquent resté
sans défense . .Aussi fut-il décidé que la prr,scription serait
suspendue en faveur du mineur et de l'interdit (art.
2252) .
'
.
Cet article ne faisant pas de distinction, il faut l'appliquer indifiéremment au mineur en tutelle et au mineur
émancipé. Mais faut-il l'étendre aux prodigues, aux personnes pourvues d'un conseil judiciaire, à celles qui, sans
être interdites, sont placées dans une mai$On d'aliénés.
conformément à la loi de 1858 ? Evid emment non, car
les exceptions sont de droit étroit. (Angers, 6 février
1847 . -Cassation. 6juin 1860 ; 51décembre 1866).
Bien que l'avis du tribunal de Cassation n'ait pas été
admis par Je législateur , comme nous l'avons vu plus
haut , il a laissé cependant sa trace dans le Code civil, et
r,'est certainement sous l'empire de son influence qu'ont
été édictés les articles 2278, 16 65, 1 676. Le premier de
·~es articles porte que les courtes prescriptions courent
contre les mineurs et les interdits sauf Jeurs recours contre Jeurs tuteurs; l'article 1665 fait courir contre eux le
délai de réméré, l'article 1676 l'action rescisoire fondée
sur la vilité <lu prix de vente d'un immeuble.
-
161 -
Dans ces <lilTérentes hypothèses la discussion n'est pas
possible, car il existe un tex te formel ; mais le doute est
permis et l'hésitation possible, quand on se trouve en face
de certaines prescriptions, au sujet desquelles le législateur n'a pas tranché d'une façon explicite la question de
la suspension. Nous voulons parler des prescriptions établies par les articles 1504 et 475.
Examinons d'abord la question en ce qui conceme l'artide t 504? Quelques auteurs (Toullier, Duran ton) , soutiennent que l'article 1504 contient un délai préfixe. invariable, amenant toujours par son échéance l'extinction de
l'action en rescision ou en résolution, en d'autres termes
ils admellent que ce délai court sans distinction aucune
contre toute personne, capable ou incapable. Voici les
arguments sur lesq uels ils appuient leur doctrine.
L'article ·l 504 suspend bien la prescription de l'action
en nullité ou en résolution jusqu'au jour de la majorité ou
de la mainlevée de l'interdiction. mais ce n'est qu'autant
qu'il s'agit d'actes passés par les mineurs ou les interdits
eux-mêmes; par a contrario, il en est autrement pour
ceux que les mineurs ou interdits n:ont pas. faits euxmême, mais qui ont été faits par des personnes mineuçes
ou interdites auxquelles ils ont succéd é. Ces actes ne rentrent pas dans les termes de l'article i 504. celui-ci ne
peut donc être invoqué.
Les mêmes auteurs repoussent la tradition contraire
admise dans le droit romain el dans l'ancien droit, parce
que d'après eux l'article 462 « dans le cas où la succession
répudiée au nom du mineur n'aurait pas été acceptée par
un autre, elle pourra être reprise soit par le tuteur. auto-
�-
..
162 -
risé à cet effet par nne nou\'elle délibération du conseil de
famill e. soit par le min eur rlevenu majeur . mais clans
l'état où elle se trouvera lors de la reprise et sans pouvoir
attaquer les ventes et autres actes qui :rnraient été légalement faits durant la racance, • prouve clairemen t qu e
les mineurs ne peuvent plus de nos jours se faire restituer.
Ils ajoutent que les artdes 16G5 et 1676 viennent
confirmer leur opinion, pui sqn'ils décident à propo:; de
courtes prescriptions. qu'elles courent contre les mineurs
et les interdits: ils en c1.mcluent par a fortiori qu'i l doit
en être de même des delais de l'article 1304., que leur
durée rend moins dangereuse. Leur oùjeclc-l-on que
celle durée même est une preuve qu 'il s'agit d'une longue
prescription régie par l'article 2252 , ils répo ndent qn e
la placr, de l'article 1304. en dehors du ti tre xx, titre
contenant la théorie généra le de la prescription, détruit
celle objection. puisque d'après l'an icle 2264 les règles
de la prescri ption ou d'autres oLjels que ceux mentionnés
dans le présen t titre. son t ex pliq uées dans les li tres qu i
le1:r sont propres.
Ce système. quelque spécieux. qD'il parnisse au prem ier
abord , ne saurait nous convaincre. En effet la règle
établie par l'article 2252 est une règle générale. devant
s'appliquer à toutes les parties du Code. L'article 226/i.
n'y fait pas obstacle, il di t seulemen t qu e dan s le cas où
celle règle générale se trouve en présence d'un texte
précis, la con tred isan t formellement, c'es t ce dernier qu i
doit l'emporter, mais il ne dit pas, comme on veut le ln i
faire dire, fjll e le~ tex les erars dans le f:ndP et relatif~ il
-
165 -
la prescription doivent se suffire à. eux-mêmes. indépen damment des principes généraux qui dominent toute
cette matière. Aussi croyons-nous entrer dans resprit du
législateur, en étendant à l'espèce prévue par l'article 1304,
le bénéfice de la suspensiou. Vainement nous oppose-t-on
la rédaction, la lellre. de l'article 150 1.. car cet article
n'avait pas à parler de suspension . puisque la prescription
dont il s'occupe n'a pas en1;ore co mmencé, et qu'il en
fixe seulement le poin t de départ. D'ailleurs si celte objection était fon dèe, ou serait conduit à cette conclusion
tout au moins singulière, que le législateur n'a pas voulu
protéger la minorité et l'interdiction en elles-mêmes et
d'une façon générale. mais qu'il a simpl ement eu l'intention
de protéger les mineurs el les interdi ts dans telle ou telle
circonstance parti culière; or une pareille conclusion nous
semb!e difficile il admettre. Resle l'argument tiré des articles l 665 et 'I 67 6. Ici la réponse es t facile. Ces articles
disent précisémen t ce que l'article 1304 ne dit pas, c'està-dire que la prescription ne doit pas être snspendue,
aussi ne faut-il pas le lui faire dire malgré lui . C'est donc
en vain que l'on a essayé de tran former la prescription de
l'article 130/i. en un ùélai préfixe. in variable ; tout démontre au contraire que c'est une prescription de longne
durée , soumise aux mêmes conditious que les prescriptions
de ùix , vingt et trente ans, et suspendue comme elles
pon r cause de mi oori Lé et d'in terd1ction. Ce caractère déjà
admis par le droit romain \ni a tonjours été reconnu par
l'ancien droit, et \'article li.82 qu'on nous oppose n'est pas
assez oxplicite pour en conclure que le législatenr ai l
voulu inn over snr cc point. Ajoutons enfin que notre opi·
�-
1G4-
nion. aujourd'hui clomi oan le clans la doC'lrine (~larcadé .
Aubry et Rau,Colmel de Sa nlerre. Le Ronx de Bretagne,
Laurent) , a élé consacr.;e par la jnrigprudence dans .de
nombreux arrèls. ( Pau. l 1 décembre ·1835. - Nîmes,
20 juin 1859 . Cassation, 8 novembre ·1845. Agen, fO janvier 185 1).
La mème difficulté se pose pour l'arti cle !1-7 5, qui son.
met à la prescription de dix ans l'aclion du mineur conlre
son tutenr, pour les faits de la tnlell e. nous adoptons la
mème solution, c'est-à-dire que nous admettons également
la suspension pendant la mi norité et l'interdiction .
On dit quelquefois que le mineur relève Io majeu1·,
c'est-à-di re que la suspension qni a li eu en fa reur du
mineur profile aussi à sou copropriétaire ou à so n cocréancier
majeur. Cette règle ne doit pas être en tendu e d'une fa çon
trop générale, elle doit être restrein te dans do justes limites. Ainsi, pour les ~hoses indi visibles, ell e s'y applique
sans restriclions. Le droit étant indi visible. et par suile
non suscepLible de s'éteind re par parties, il en résulte que
toutes les fois qu'i l est conscn é, il l'est nl'cessairement
pour le tont. Cette solution es t formell ement i ndi~uée dans
les articles 709 et 710 dü Code civil. li n'en est pl us de
mème qnand il s'agit de cho~es simplement indivises. La
suspension ne découlant plus de la natu re mème de la
chose. mais n'étant plus admise qu'à raison de l'état per·
sonne! du mineur. le co propriétaire majeur ne peut ir1voque1· cette exception tonte personnelle.
'
..
, Ces ~ri ncipes établis, nous nons tro uvons en présence
dune d1f0cullé so ule1·ée par la combinaison des ar ticles
1 1o e,t ss :>
~ r
· portP. commr nous 1'enons de le
• ,e prem1el'
-
16 0 -
voir , que, dans les choses indi\'isibles, le mineur relève le
majeur. le seco nd proclame l'elîet déclarati f du partage.
c'esl·à-dire que chaque cohél'ilier est censé avoir succédé
seu'i et immédiatement aux objets qui lui sont échus, et
n'a\'OÎI' jamais eu la propriété des autres elTets. Cet ar·
licle 7 10 est-il , oui ou non, une dérogation à l'article 885?
Voici l'hypothèse: un majeur et un mineur acquièrent
par succession entre autres choses un droit indivisible,
une servitude par exemple. ils en sont copropriétaires . Le
partage a lieu, le droit indivisible tombe dans le lot du
majeur , celui-ci veut exercer son droit. il se voit opposer
l'extinction de la servitude en vertu de l'article 883. penl·
il soutenir qu e la prescription a été suspendue en sa fa\'eur
pendant l'indi vision, en vertu de l'arti cle 710 ?
La Cour rie cassation, par Jeux arrêts(~ décembre t s1.,5
el 29 août 1853) , l'a décid é négativement , en se fondant
su;· les corn:id érations suivantes :
La fiction de l'article 885 est générale ; le majeur est,
par l'effet du partage. censé avoir succédé seul à tous les
biens comp ris dans son lot : le mineur n'y a jamais eu
aucun droil : il résulte de fa que le cohéritier majeur possède le bien à lui échu en p:irtage . comme s'il l'arai t reçu
directement an momen t même de l'ouverture de la succes·
sion , sans qu'il y ait eu de propriété commune. et. d'autre
pal'l, que le privilège de la minorité n'a pu suspendre le
cours cie la prescripli•)ll il l'encontre d'un droit auquel le
mi neur est censé avoir llluj ours ètô étranger.
En outre, les articles 7 10 el 883 prévoient deux hypo ·
1hè~cs disliucte. : le premi er riso uno copropriété défini·
�-
166 -
tive et permanente; le second une indi\·ision passagère et
transitoire, ils ont ùooc chacun leur sphère d'application
particulière.
Celle opinion n'est pas partagée par la doctrine, qui
admet, à juste titre. que l'article 710 contient une véritable dérogation à l'article 883.
Cet article 7i0 est. en errer, on ne peut plus formel,
il déclare que si, parmi les copropriétaires, il se trouve un
mineur , il conservera le droit des au tres. Arec la théorie
de la Cour de cassation, le mineur n'a rien conservé du
tou t dans l'espèce que nons avons pré\'lle, et l'article est
inutile.
La distinction que l'on rnut faire entre la copl'oprié té définitive el la copropriété passagère n'exi ste pas dans le
texte qui parle de copropriétaires en termes généraux.
L'effet de l'article 885 n'est pas 5i absolu qu'on mu t
bien le dire, et. la fiction du pal'Lage déclaratif ne fait pas
disparaîlre complètement la possession commu ne qui a eu
lieu pendant l'indi vision. La gara ntie (art. 884) et Je privilège (art, 2105), qui résultent du partage, en sont la
preuve évidente. Notre concl usion rsl donc que le majeur
peut, après le partage , malgré l'article 883 , opposer Je
bénéfice de la suspension dont il a joui pendant l'indivision, en vertu de l'article 710 (.-\ubry et Bau . Demolombe).
Nous venons d'étudier l'extension du priYilège de la
minorité au majeur en mali ère dïmlivisibilité. En est-il de
même en mati ère de solidarité? D'é minents auteurs sont
de cet avis.
Tant que la créance, d1se11L-i ls, subsiste comme créance
-
167 -
soli daire dans les rapports de l'un des créanciers avec le
Jébiteur, elle subsiste nécessairement comme créance solidaire dans les rapports des créanciers entre eux. Or, le
créancier. en faveur duquel la prescription a été suspendue , est resté créancier solidaire, il ùoil donc pouvoir
demander au débiteur le paiement de tou te la créance;
mais s'il en est ainsi, il doit en même temps reconnaitre
la solidarité en fayeur de ses cocréanciers el les faire participer au paiement qu'il a reçu.
Ilien est ainsi , du reste, en matière d'interruption; pourquoi n'en serait-il pas de même qu:rn<l il s'agit de la suspension ?
La doctrine con traire. ajoutent ces mêmes auteurs, en
arrive à celle conséquence bizarre que la créance solirlaire n'est conservée que pour la part du créancier mineur,
tand is qu'elle est éteinte pour la part des autres créanciers; ces derniers son t censés avoir fait remise de Jeurs
droits en les laissant prescrire. C'est fa une atLeinle portée
aux droits dt1 créancier mineur et des autres créanciers :
dn créaucier mineur, car il peut a\'Oir in térêt a recernir la
totalité de la créance: des autres créanciers. car ils se
voient opposer une remise qu'ils n'on t nullement consentie.
La créance solidaire doit donc être consen·ée pour le tout
par le privilège de la minorité (Ouraoton, Demolombe).
Cette extension a la soliùar1tè d'un e!Tet de l'indivisihilité rù cependant pas prevalu dans la doctrine, et l'on
soutient généralement avec raison qu'au cas de solidarité
le mineu r ne relève pa-s le majeur.
L'opinion qnu nous repoussons ne con rond pas ùe prime
abord la solidaritt>. a\'Cl' l ï11divisi bilit~ ; mai:> le résulla
�-
f68 -
auquel elle aboutit est identique. D'après elle, en effet,
dans l'indivisibilité, c'est la nature de la chose qui produit
la suspension au profil du créancier capable ; dans la solidarité, c'est la nature dn lien qui unit chaque créancier
au débiteur . Cette donnée pourrait être exacte, tant que
la créance subsiste comme créance solidaire; mais c'est là
justement la question de savoir si celle créan ce continue à
subsister comme créance solidaire. quand la prescription
suspendue en faveur d'un des créanciers est accomplie
contre les autres. Or, c'est ce que nous n'admettons pas, car
comment une créance qui n'existe plus comme simple
créance, pourrait-elle exister comme créance solidaire?
Cette opinion se défend encore de confondre l'interruption et la suspension , mais c'est là encorn u11 point
auquel elle arrive nécessairement, puisqu'elle considère la
suspension comme une interru ption que la loi fait elle- ·
même de plein droit et à tout momen t en faveur de celui
des créanciers qu'ell e veut protéger. Ce qui n'est pas, car
si l'interruption., formée par l'nn des créanciers solidaires
profüe aux autres , c'est qu'en la formant, il agit comm~
leur mandataire, et que les actes du mandataire, même
mineur, doivent profiler au mandant; mais il est impossible de soutenir, comme le remarquent très justemen t
Aubry et Rau , que la minorit é du mandataire doive profit er au mandant.
Enfin , cette opinion, pour ne pas diminuer les avantages attachés à la créance de l'incapable, en vi ent a
créer une exception que rien ne justifie.
Nous concluons donc que la suspension accordée à l'un
Jes créanciers solidaires ne j)l'Ofite pas aux autres, et qu'en
-
169 -
cas de solidarité passive, la suspension qui se produit
contre l'un des débiteurs solidaires ne nuit pas aux autres
(Troplong, Marcadé, Le Roux de Bretagne).
li faut eacore décider que la suspension, qui aurait lieu
contre le débiteur principal. ne nuirait pas à la caolioo
(Cassation , 25 février 1852 , Aubry et Rau).
§ 11. Femme inari~e. - A la différence de l'article 2252, qui pose en principe que la prescription ne
court pas contre les mineurs, l'article 2254 décide qu'elle
court à l'encontre de la femme mariée, encore qu'elle nesoil
point séparée par contrat de mariage ou en justice, à l'égard
des biens dont le mari a l'ad ministration, sauf son recours
contre lui . Est-ce à dire par a conl1'fu-io que la prescl'ipLion
est suspendue à l'égard des biens dont il n'a pas l'administration? Evidemmen t non. Le législateur a eu pour but
de préveni r toutes les difficultés , car on aurait pu croire
quep•)Ut' les biens dont l'administration est confiée au mari ,
la femme devait être assimilée au mineur qui a ses biens
également gérés par autrui. Il a voulu. au contraire, soumettre à la prescription même les biens dont le mari a
J'aclministration ; seulement, pour ne pas laisser la femme
sans défenses, il lui a donné. en cas de mauvaise gestion
de la part du mari , un recours contre loi el le droit de
demander la séparation. Au sujet de ce recours. il fau t
remarquer que la forume ne peut l'exercer qu'autant que
le mari est en faute. et qne la prescription lui est impula\.Jl e. C'est là un e ~uesti o n de fait laissée à la libre appréciation dn j nge.
En thèse générale, la femme est donc comme loule
�-
lïO -
autre personne as~ujeltie à la prcscritJlion ; celle rè"'le
"
subit cependant quatre exceptions que nous allons étudier
successivement (art. 2255, 2256, 1504).
1
1
Première exception (art. 2:255). - La prescription
ne c0ort point. pendant le mariage, à l'égard de l'aliénation d'un fonds constitué sous le régime dolai, conformément à l'article 1561 au Litre Ju contrat Je mariage et
des droits respe~tifs des époux ; à peine est-il besoin d'indiquer que l'article 2255 ne s'applique qu'au fonds dolai
stipulé inaliénable. Si Jonc le fond s dotal avait été déclaré
aliénable, ou estimé avec déclaratiou expresse que l'eslimatio11 valait vente , le droit commun reprendrait son empire. 11 en serait Je même si la pres.: : ription avait com·
meucé avant le mariage (art. 1%1).
Ce point établi, il résulte des articles 1560 el 2255 qne
la prescription ne court pas contre la femme pendant le
mariage à l'égard des immeubles dotaux ina liénables. Que
signifie donc l'article 15G 1 auquel renvoie l'article 2255,
quand il dit, dans son second paragraphe, que les immeubles dotaux. sont prescriptible- après la séparation de
biens, quelleque soitl'érwq ueoù la possession ait commencé .
Réelle ou apparente, il y a fa une antinomie qui a donnJ
naissance à deux systèmes différents.
Le premier système admet qne l'a rticle 1560 a été modifié par l'article 1 ~ 1}1 , e l qu'il fa:Jl s'en Lenir au tex.le
même du Code, l'article 'i255 renvoi e à l'&rlicle 156 1.
C'esl cel. article qui doit êtrn appliqué a Il lellre, peu im, porte qu'il s'agisse de l'action en révocaLio11 contre un tiers
.
1· ·
acc[néreu r • ou de l'act'o
1 n en rcve11c 1ca l1on contre un tiers
-
171 -
détenteur . Le motif de la suspension n'existe plus , au dire
des partisans rle ce système, quand la femme a obtenu la
séparation de biens. puisqu'elle a recouvré la liberté d'intenter ses actions (Vazeille. Troplong. Valette).
Le second système , i:elui qui nous paraîl préférable.
soutient que l'article i 5G5 n'a nullement modifié l'article 1560 , mais que ces deux articles visent deux. hypothèses distinctes, La dilîérence de rédaction en est une
preuve des plus manifestes. Eu effet , l'article 1560
s'occupe du tiers acquéreur du fonds dotal et décide que
l'action en révocation est suspendue pendant toute la
durée du mariage. L'article i 56 1, au contraire. s'occupe
du tiers détenteur et lui permet de prescrire à partir de
la séparation de biens. Quant 1u renvoi à l'article 1 561 ,
c'est le résultat d'une erreur matérielle. parfaitement établie par les travaux préparatoires du Code, et dont on ne
peut tirer aucune conséquence. Au reste, les contradictions
mêmes auxquelles on aboutiL. si l'on veut appliquer le texte
à la. leltre , suffisent pour démontrer l'erreur . L'article 2255 ne fait pas courir la prescription pendant le
mariage . et il serait conforme à l'article 156 1 qui la fait
courir pendant cette époque, après la séparation de biens.
L'arti cle 2255 parle de l'aliénation d'un fonds , et il serait
~onforme a l'article 1561 qui suppose précisément \'absence d'aliénation . C'e, t donc i1 l'article 1560 et non à
l'article 156 1 que le législateur a entendu renvoyer dans
l'article 22 trn. (Le Roux lùe Bretagne, Duran lon. Dalloz,
R.rµert., Contrat de 1111triage ; Marcad6).
�-
172 -
Deuxùimc exceptio1i (art. 2~.)6 § 1). - La suspension
est pareillement suspendue pendant le mariage, dans le
cas où l'action de la femme ne peut s'exercer qu'après une
option à faire sur l'acceptation ou la renonciation de la
communauté. Un exemple est néeess:iire pour bien comprendre cette exception. Une femme a, par son contrat de
mariage, ameubli un immeuble. sous la condition que cet
ameublissement sera non avenu. si elle renonce à la communauté; elle a donc sur cet immeuble un droit de propriété subordonné à l'option qu'ell e fera lors de la clissolution de la communauté ; si, pendant la communauté. un
tiers se met en possession de cet immeuble. il ne
pourra'. aux termes ùe l'article 22:56, en prescrire la
propriété qu'à la disso lution . parce qu e jusqu'à celle
époque la femme ne peul renoncer à la communauté, ni
par conséquent intenter son action en revendication.
Quelques auteurs ont. voulu voir dans l'article 2256
paragraphe t , une application de la règle générale contenue dans l'article 2257 : cette règle. comme nous le
Yerrons plus tard , vise les créances conditionnelles et en
suspend la prescription jm:qn'à l'arrivée de la con dition.
Si celle donnée était exacte. il fau<lraiL en conclure avec
Troplong que l'article 2256. paragraphe ·t , n'est nullement limitatif. el qu'il cloit être étendu u à tous les cas où
le droit de la femme est suspendu par une conditi on ou
par l'attente forcée d'un évènement. •
Cependant. l'on décide ordinairement que l'article 225 6,
paragraphe 1, a un motif particuli er el une portée spéciale, différents de ceux de l'article 2257. Un motif particulier , qui repose sur la considération moral e suivante :
-
175 -
si la femme pouvait elercer durant la commu nauté les
actions dont l'exercice ultérieur dépend de son option
après la dissolution, elle serait amenée forcément à s'immiscer dans l'administration du mari et à se substituer à
lni , quand elle le trouverait négligent. Or, il est facile de
comprendre que cette surveillance de la femme sur les
hiens communs s'accorderait mal avec les pouvoirs que la
loi accorde au mari. en tant que chef de la communaolë.
C'est donc un conOit qu'a voulu éviter le législateur en
édictant la disposition de l'article 22:S6. paragraphe 1. Ce
motif est d'autant plus vraisemblable, que c'est une considération morale du mème genre qui a inspiré la rédaction
du paragraphe 2 du même article 22 5G. Une portée spéciale puisqu'à la dilTérence de l'article 2257 , qni est applicable à toutes les créances conditionnelles, l'article 2256.
paragraphe 1 , ne s'applique qu'aux actions dépendant <l'une
option à.raire sur l'acceptation. ou la renonciation de la communauté. L'option à faire à la rlissoln Lion , voilà le seul évenement qui suspend la prescription dans notre hypothèse.
Cela ne veut pas <lire que la femme ne puisse jouir du bénéfice de la snspens1on pour d'autres conditions en vertu
de l'article 22!>7. non , elle le peut très bi en ; seulement,
elle en jouit comme tou te autre personne el non en qualité
de femme mariée. Ainsi. avec l'article 2257. elle n'obtient
le bénéfice de la suspension que pour les actions personnelles; avec l'article 2~56. p:iragraphe 1 . pour Je~
actions réelles et persc.nne\les (Marcadé, Lo Roux de Bret:igne) .
�-
-
174 -
T1·oisi~mc exception (art. 2~.5 6 ,
§ 2). -
Celle exception esl indépendan ~~ du régime malrimonial adopté par
les époux . Elle a lieu dans le cas où le mari ayant vendu
le bien propre de sa femme san s son consentement est
garant de la vente, et, dans tous les alltres cas. où l'aclion
de la femme réfléchirait contre le mari. Si donc un mari
vend un propre de sa femme sans son consentement,
l'action qu'a la femme pour le revendiquer ne court pas
pendant le mariage. En effet, si la femme avait pu le faire
pendant celle époque, le tiers aurait , de son côlé, nn recours en garaolie cont.rc le mari , et la bonn e harmonie
qui doit régner en tre les épota aurait été troublée. C'est
pour épargner à la femme cette alternative fàchcuse de sacrifier son droit ou son devoir, que le lëgislatellr a établi
cette cause de suspension. Si l'immeuble avait été vendu
sans clause de garantie et aux risques et périls de l'acheteur. le mari n'étant plus sujet à aucun recours. la presc1·iplion ne serait pas suspendue en faveur de la femme.
ce n'est pas senl emen t dans le cas où l'action de la femme
fait naître un recours en garantie que la prescription est
suspendue en sa faveur , mais encore dans tous les cas où
cette action doit rétléd1ir contre Je mari, soit d'une faço n
soit d'une autre . Celle interprétation ex tensive est commandée aussi bien par l'espril que par le Lex te de la loi.
Aussi, regarderons-nous comme suspendue la prescri ption
de l'action en nullité appartenant à une femme mineure
'
. .
. '
qu'. s ~s t ob\Jgee en dehors des bornes de sa capaci té et
solidairement avec son mari, soit pour une delle personnelle à ce dernier , soit pour un e dette de communauté.
Celte action, en elTet, sans faire naitre de recours en 1:>aa-
17 5 -
rantie contre le mari . réfléchit cependant contre lui ,
puisqu e le créa ncier , voyant un de ses deux débiteurs lui
echapper. exercera nécessairement contre l'antre des poursuites pins rigoureuses.
Deux questions restent lL résoudre an sujet de cette
troisième exception :
La prescription des actions indiquées par l'article 22 56.
paragraphe 2 . est-elle suspendue, même après la séparati on de biens ?
Ne court-elle pa du moins à partir de la séparation de
co rps~
Au sujet de la première que lion, Vazeille est le seul
des auteurs modernes qui la tranche négativement. Après
al'oir essayè de prou ver qne c'était là. l'opinion des anciens
au teurs, il ajoute qu e la prescription est de droit commun ,
et que la suspension doit être restrei nte dans le cas où
elle est commandée par une impéri euse nécessité. Or, la
femm e, qui ne craint pas de demander la séparation , rede\'ient maitresse rie ses droits: e!le no doit pas , a fortior,i .
craind re d'exercer le actions qui peuvent réfléchir contre
son mari ; la co nsidération morale snr laquelle repose l'article 2256 ne se retrou ve plus ici. Enfin. l'article 221>6
se rattache à l'article 22 5 :; par le mot 71areillement • la
prescription est 7wrei/le111e11 1 suspendue, etc.... » Or. cel
al'licle 2255 renvoie à l'arti cle 156 1 (d'aprè les partisans de l'interprétation littérale), qni fait courir la prescri ption Lies immeubles dotau x après la séparation de
biens. «N'est-on pas. dès l or~. condu it h penser par l'en• chaînement Jes idées et l'ordre grammatical. que celle
• nou,·elle suspension doit ùtre scmlllahlc à l'autre pour
�-
1
..
1
'
--
t76 -
• la durée. qu'elle doit s'étendre et se renfermer dans te
• même espace de temps ; ne croit-on pas avoir lu : La
• prescription est pareillement suspendue pendant le
• mariage, sous la modification de l'article 1561 .•
(Vazeille) .
'
Cette spécieuse argumentation n·a cependant touché ni
la doctrine ni la jurisprudence. qui se sont prononcées
d'une façon formelle pour l'opinion contraire. L'argument
tiré du mot pareillement n'est pas sérieux , la prescription
sera pareillement suspendue, cela veut dire il y a encore
suspension de la prescription dans tel ou tel cas, et rien de
plus. - Que la femme soit maitresse de ses droits et capable d'agir, quand le mari n'est nullement intéressé dans
les poursuites, personne ne le conteste, mais si ces attaques
contre les tiers doivent exposer le mari à un recours de
leur part, la femme n'est pas plus capable d'agir après
qu'avant la séparation de biens. parce que la considération morale indiquée plus haut reparait avec la même
force. - Objecte-t-on que la femme n'a pas craint de de~an~r I~ séparation de biens, donc ... . mais Ja séparation de biens, loin d'être une mesure vexatoire à l'encontre du mari , est Je plus souver.lt commandée par ses
intérêts ; du reste, elle laisse à la femme sa dépendance
vis-à-vis du mari, au point de vue de la vie conjugale, et
l'on ne peut rien en induire contre lui . Il y a enfin à
l'appui de cette seconde opinion , un argument de te~te
qui est capital ; l'article 2256 déclare la prescription suspe_ndue pendant le mariage. Pourquoi s'en écarter , sans
raison absolue et péremptoire (Troplong, Marcadé, Le
177 -·
Roux de l3retagnc, Auhry et Rau , Lanrenl, Dalloz : R~pert.
Prescri7Jtion) .
Au suj et ùe la seconùc question : la prescription cstell c suspendne, même après l;i séparation de corps? Ce
qui a fait naîlre le doute. c'est qu'à partir de la séparation
de corps, la vie commune ayant disparo, il n'y a plus a
craindre que les actions qui pourraient réfléchir contre
le mari viennent troubler la borsoe harmonie entre les
époux. Mais il est à observer qu'une pure considération
ne peut pas prévaloir contre le texte formel de l'article 22!'>(r
Quatrième l.i.cception ( urt. 1504). - Ici encore, sous
qoelque régime f) Oe soit mariée la femme, la prescription
ne court pas contre elle pour les actes qu'elle a passés
sans l'autorisation de son mari ou de justice. Nous ne reviendrons pas sur ce que nous avons dit a propos de la
mi norité pour ùémontrer que le délai de l'article 1304
est une véritable prescription. Cette exception est fondée
sur cette idée que, pour ratifier un acte. il faut être capable; or. pendant le mariage , la femme ne l'est pas, tant
qu e le mari lui refuse son autorisation, et que la justice
ne l'a pas suppléée. Cc n'est ùonc qn'à la dissolution du
mariage qu'elle recon\'l'c sa capaci té, et que, par conséquent. la prescription doit courir contre elle. Cette incapacité survit à la séparation de bieus, car celle-ci laisse subsisler l'état de ùapendancc de la femme et l'obligation pour
elle de recourir à l'autorisation ùn mari ou de justice pour
tous les actes qui ùépassent les limites de l'administration
tracées par l'article 1 W9 (Cassation, 1.. mars '1847).
�-
180 -
-
Du reste, la pensée du lé&islalenr cl l'importance docldnale de cet article 22;) 1 re5sorten L très bien d'un examen allen tif des tr~H·aux préparaloiras du Ccdc. Le rremier projet qui fnt soumis au Corps législatif ne contenait
pas Ct!lle disposition, elle ne fnL introduite qu'après coup.
N'est-ce pas là une preuve évidente que le législateur a
voulu avec intention meure fin à toute diseussion théorique
ou pratique sur ce sujet '
Qnant à la fameuse maxime : « Contra non valentcm
agere non r,m·rit prœscl'iptio a • nous rcconi1ai~sons volontiers qu'elle a pu inspirer les rédacteurs du Code, cela est
même certain, mais nous ne voulons pas lui accorder une
autorité égale à celle 4ni émane· de tex tes positifs. Or,
l'article 2251 . nous le répétons de non veau, est on ne
peul plus formel. Comment, dès lors, permetLre aux juges
d'apprécier. en dehors des termes de cet article, les circonstances diverses qui leur paraissent plus ou 'ffioins
dignes d'int érêt~
1
~
Reste enfin le reproche, que nous font les partisans de la
première opinion, de diminuer singulièrement la haute mi .
sion du jurisconsul te en en faisant )'esdave de la loi. Cette
objection purement décl:\matoire ne doit pas être prise au
sérieu~, car n ou~ avons vu it quels résull"ts fàcheux avai t
abouti , dans l'ancien droit. la laLitude que laissait aux jurisconsulLas lll manque de précision dans les actes législatifs.
Gardons-nous de ramener une pareille confusion. Le j urisconsulte. loin Je $e plaindre de l'exis tence d'une loi
p.osilire, doiL èlre le premier il s'en fêliciter , ·~ar [lins est
Cll'C1~nscri~ le Champ de l'inlerprélalio11 , fllll:; l'applicaLÎOll
est lu en fa11 0. O'ail lenr::. la ni1·ill1H1re lni n'tJsl pas oe lle qui
t
1~1
-
laisse le champ !il.ire à l'interprétation, mais celle qui dé-termine avec le plus d'exactitude les droits de chacun pour
empêcher Lout e contestation (Marcadé, Coin·Delisle, Rev ue
de Droit français et ~tran ger. 184 7).
Ces principes étant désormaii' établis, nous ~dmettons
que ni l'absence pour quelqu e motif que ce soit, ni l'indivision , ni l'ignorance, ni la séparation de l'usufruit avec
la propriété, ni le conco urs d'une action avec une autre ne
suspendent la prescripti on , sous l'empire du Code civil. La
faillite. elle aussi, n'est pas une cause de suspension ni
pour le failli. ni pour ses créanciers. parce qu'ils sont représentés par les syndics, qui ~ont chargés de prendre
toutes les mesures r.onservatoires dans leurs intérêts respectifs.
La difficullé est plns sérieuse quand il s'agit de la peste
ou de la guerre. Cependant ici encore, alors même que ces
évènements auraient occasionné une impossibilité complète
d'agir, par suite de l'établissement de cordons sanitaires,
par suite de la rupture <les communications. nous n'hésitons pas à admettre qn'ils ne suspendent pas la prescription. Sans doute. celle conclusion pourra parfois sembler
rigoureuse; elle pourra parfois blesser l'équité, et peut-être
faut-il regretter que le législateur n'ait pas prévu ces hy·
pothèses; mais son silence ne nous autorise pas à les
mettre au nombre des cau,es de s11spension de la prescription .
Nous repoussons égalemen t l'opinion mixte qui admet
la peste et la guerre r,omme cau:;es de suspen ion. dans le
cas où l'empêchemon t qui en résu!Le se produit dans un
temps voisin de l'êcheance (Troplong). Car ontre qu e celle
�-
t8! -
distinction est purement arbitraire, il fau t. pour y arriver.
admettre en principe que la peste et la guerre peuvent
suspendre la prescription, ce que nous contestons énergiquement.
Nous ferons remarquer à l'appui de notre thèse que les
délais de la prescription on l été calculés avec assez de latitude pour qu'il n'yait pas lieu de les augmenter, à raison
des évènements momentanés qui peuvent survenir. Si les
rédacteurs du Code ont donné dix , vi ngt et trente. ans
au créancier ou au propriétaire pour agir, c'est qu'ils ont
tenu compte des diverses éven tualités qui peuvent entraver l'exercice de leurs actions. Peut-être, se 1·en .~o n
trera-t-i l quelques cas exceptionnels où le système du Code
produira un résultat fàcheux; mais au moins fa ut-il reconnaitre que ces inconvénients particuliers ne sont en
rien comparables aux dangers de l'arbitraire que ferail
renaître le système opposé (Marcadé).
Du reste, en pratique, le législateur ne manq ue jamais
quand de pareils évènements se produisent d'édi cter des
mesures spéciales pour suspendre la prescripti on. Nous
citerons, à cet égard , pour le droit ancien ou intermédiaire, l'édit rle pacification rendu en 1596 , l'édit de
Nantes de f 598, les lois du ':22 août f 795 et du 25 frimaire an II. rendues à l'occasion des guerres de Vendée.
Plus récemmen t, un avis dn Conseil d'Etat du 25 janvier
1814. régulièrement approuYé par le chef du gourernement et inséré au Bulletin des Lois, leq uel déclare • Que
• l'exception tirée de la force maj eure est applica lJle. en
•ènemen ts de guerre,
« cas ri' in vasion de l'ennem i et des é 1
• pour relever les porteurs des leLLl'es de change cl des
-
185 -
• billets à ordre de la déchéance prononcée par le Code
• de commerce à défaut de p,rotêt, à l'échéance et de dé• uonciation dans les délais, et que l'application, suivant
• les cas et circonstances, est laissée à l'appréciation des
• tribunaux. " On ne saurait ti rer de cet avis du Conseil
d'Etat aucune induction de nature à infirmer notre doctrine. Les rédacteurs du Code de commerce traitant de
matières spéciales, qui requièrem célérité et s'occupant
des protêts qui doivent se faire dans un délai fort cou~t,
n'ont. pu suivre les principes du droit com mun. Le relief
d'une déchéance pour force majeure, selon les cas et circonstances , devait leur paraitre aussi juste, aussi nécessaire
que les rédacteurs du Code l'avaient trouvé funeste en législation civile et pour les prescriptions ordinaires .. - Et,
de uos jours , le décret du 9 septembre t 870 qu1 a st~s
penùu , pendant la duré6 de la guerre. toutes .les prescriptions el péremptions en matière civile, lesquelles n'ont
recommencé à courir qu'à dater du onzième jour après
celui de la promulgation de la loi du 26 mai 1871 :
Il nous paraît difficile. en présence de pareils fatts, de
soutenir que la vieille maxime co11trn t1on valcntem. · · ·
suffi t encore aujourd' hui . indépendamment d'un texte positif. pour faire admettre la peste et la guerre au nombre
ues causes de suspension de la prescription·
Nous terminerons celle première section en rappel an ~ .
h litre purement historique, quelques dispositions ~rans1toire:>. ljUi visaient ues situations tout à f~it temporair~ el
qui n'ont plus aujourd'hui de portée pratique. u_ne. 101 du
fi urnmaire an V avait suspendn toute prescription ~n
. ti··ie et de"• citoyens auache,
..
a p.l
<1c 1
fa veur des rl clensems
�-
184 -
au service des al'mées de terre et de mer pendan t le Lemps
qui s'était écoulé ou yui s'écou lerait depuis leur départ de
leur domicile. s'il était postérieur il la guerre. ou depuis
la déclaraLion, s'ils 1Haient déjà. au ~ervi ce , jnsqu'à l'expiration d'un mois après la paix générale ou après la
signature du congé absolu qui leur serait délin.é avant
cette époque. - Une seconde loi du 2 1 décembre 18 14
prorogea jusqu'au 1cr aHil f 8 ! 5 les délais fixés par Ja loi
de brumaire. Ces dispositions sont depuis longtemps sans
vigueur; elles sont d~finitiveme.nt périmècs , el le fait d'une
nouvell e déclaration de guerre ne sulfirait pas pour les
faire revivre (Grenoble, i2 déccmbl'e 1>324) .
Un arrête du 17 fructidor an X avait accordé des
sursis aux colons de Saint-Domingue. relativement aux
ventes d'habitations et de nègres. 0 11 pour avances fai tes à
la culture dans la colonie. Ces sursis , successivement pro rogés par le décret du 20 janvier 1807 , par h~s lois des
2 décembre '181 4, 21 févricl' 1816, 1:i aoüt 18 18, ont
ex-piré définitivement i1 la fin de juillet J 820. Ils n'ont
jamais concerné que les dettes co ntractées pour des biens
dans la colonie.
Est-il besoin d'ajouter qn e !'émigralion ne fu L jamais
considérée comme. une cause de suspension <le la prescri ption . Dans l'esprit du légi·i:ttcur 1·érnln tionnaire .
l'émigration était un délit. elle n'a dime j:unais pn exo·
nérer l'émigré de la prescription. TClutofo is . la loi dn
25 août 1825 (art. 17) a relevé les érn if! rés des prescriptions et cléchéanGrs qu 'ils p<H l\'aiell I :i \'nir l'l1C(JUruc
quant à l'indemnité qu 'elle leur '>c:troyail . - Du momen t
qu'on fa isait courir la prescrip1in11. r011 lre l'1"mi gré, il
-
18 5 -
étai t bien juste qu'elle courût également en sa faveur.
Aussi. malgré une vive résistance, l'opinioo avait prévalu
que les émigrés pouvaient opposer la prescription à leurs
créanciers restés dans l'inaction. Cette disposition, favorable à l'émigré, n'était admi se qu'autant que la dette élai t
constatée par acte authentiqu e. Si c'était une delle constatée par acte sons seiog privé, la prescr iption était suspendue en favem du créancier, parce qu'il étaHcondamné ,
en fait , à une inaction absolu e el forcée , l'Etat, représentant légal de l'émigré, n'admettaut à la liquidation 1ue
les dclles 0ontractees par acte authentique (Paris. 28 janvier J 828) .
SECTION li
CA USES DE SUSPENSIO:\ F ON DÉES SU R CERT.UNES HELATIO"S
Q UI EXISTENT EXTRE L E CRÉANCIER ET LE DÉBIT F.UR ,
L E PROP RIÉTAIRE ET J, E P(). SESSE UR.
Ces cas de suspension sont la suspension entre époux
0t la suspension entre l'héritier bénéficiaire et la succes·
sion (art. 22 55, '22 38) .
§ 1.
uspeusion rntrJ J!.:po11x (art. 2255). - ~ous
arnns \' Ll daus la section précédente que le législateur,
dans le bu t ùo maintenir la bonne harmonie entre les
epuux, avait su pendu la pre cription Jes actions de la
femm e cont rc le" tiL'I s, qu anù l' ûS aclions p1Hl\·aicnt rélléchir contre le mari . a plus forte raison ùerai t-il la suspend rc c1u a11d il s':igit d'une action Jirecle tic l'un Jes
�-
18 6 -
époux couLre l'~ u ll'e. C'est en ce sens qu'est conçu l'ar.
ticle2255: • La prescription ne court point en lreépoux .•
• li serait contraire à la .nature de la société même du
• mariage, dit Bigot-Préameoeu. dans l'ex posé des motifs,
• que les droils de chicon ne fussen t pas l'un à l'égard de
l'autre respectes et conservés. L'nnion intime qui fait
, leur bonheur esl en même tem ps si nécessaire à l'har• morde de la société qne toute occasion de la troubler est
• écartée par la loi. Il ne pe ul y avoir de prescription
• quand il oe pl:lul pas mêni e y avoir d'action pour l'in·
• terrompre. • La su. pension de la prescr i p~i on entre
époux s'imposait donc comme une nécessité à la fois morale el sociale.
Du reste, le plus soll\'enl le mariage lüi·même sera
l'occasion d'une véritable interru ption de la prescription
eolre conjoints. En effet, comme le co ntrat de mariage
mentionne les divers droi ts conslitués par les époux.
chacun ù'eux, en le signant, reconnaît impl icitement les
droi ts de son conjoint et interrompt par la la prescription.
Cette t'econnaissance eITace en effet toute prescription anté·
neure .
Nous observerons encore que la loi. défendant aux
époux de se faire des libéralil és indirectes ùevail sus·
'
pendre la prescription pour renùre cette prohibition efficace; autrement, rie11 n'aurait été pins facile que de
l'éluder, les époux auraient lais.é la presc ription s'accomplir, cl ils se sernienL avantagés aux dépens 1'011 de
l'autre.
Cette cause ùc su spen~io n , q11 i se re11c0Btre sous tons
les régimes, snb,iste pe11ùa11l toutc la durée dn rnari:.ige.
-
187 -
Elle survi t no11 seulement à la séparation de biens, mais
même à la séparation de co1·ps, car elle ne leur fait pas
perd re leur qualité d'époux,
La prescription est donc suspendue entre époux. tel
est le principe ; mais son application pratique soulève de
nombreuses difficultés don t nous :ilions exam iner les principales.
En premier lieu , l'acti on on on Ili Lé du contrat de mariage esl-elle régie par l'article 22 ?j;) ?
Voici l'hypothèse: une fill e mineure contracte mariage
sans le consentemen t ùe ses parent On sait généralement
que la nullité du mariage est couverte, en tre antres causes.
par la cohabitation ~onlinu e pendant plus d'un an après
l'époque de la majorité de l'époux. mineur au momen t du
mariage (art. 185). Cette cohabitation efface-t-elle aussi la
uullilé du contrat de mariage. résultan t au x termes ùe l'article 1598 de ce que le fu tur époux mineur n'a pas été
assisté de personnes dont le consentement élait requis par
la validité de son mariage.
Une premicre opinion, soutenue surtout par Troplong,
ad;net que la cohabitation. en v:.ilidant le mariage. doit
valider en même temp les con\'ention matrimoniales ,
c'est-à-dire en d'autres termes que J'artide 2255 n'est
pas appl icable ii l'ac tion eu nullité du con trat de marrage.
Elle im·üque l'ancien JroiL (Lebrun , Parlement de
Paris), el pr6tenù que le Code ci ,·il .n'a pa~ en tendu i11 11uv111. Lui ohjcctc-l-on l'article 22J:i? Elle réponù que
cet article n'esl pas :->ans exception. L'article ·1S:) Pn est la
rneilleurc preu vu . Or , !'i l'arlide 1~;:) l'a il exreption i1 1'ar·
�-
188 -
ticle 2255 pour lo mariage lui-même, ne doil·il pas en être
ainsi par a fortiori, pour les conventions matrimoniales
qui n'en sont que l'accessoire? N'est- ce pas complètement
entrer dans l'esprit de la loi qu e de dédder que celui
qu 'elle a déclaré capable de ratifier son mariage. elle l'a.
à plus forte raison, jugé capable de ratifier les conventions malrimoniales ?
Le mariage et le contrat cle mariage, ajonte-t-'elle, for.
ment un tont. dont il ne serait pas bon de scinder les deux
parties. La stabilité donnée an mariage , par des raisons
faciles à comprendre, s'étend aux conventions qui l'ont
précédé el qui en ont été la condition, car qui veut la fin
vent les moyens, il ne saurait y avoir deux lois différentes
pour doux choses si intimément liées et souffrant du même
vice : ce qui est apte à rendre valide l'union des personnes
est également apte à con.:;oli der le pacte relatif à leurs intérêts.
Enfin. elle termine en montrant le fàcheux résultat
auquel aboutit le système opposé. Comment. dit-elle. le
législateur valide pleinement le mariage pour fa ire régner
la bonne harmonie entre les époux, et voilà que mus faites
surgir entre eux des nnllités rl'actes, des conO its d' intérêts,
des causes de procè ! N'est-ce pas aller directement contre
le but de la loi? N'est-ce pas lui fa ire dire une chose impossible que <le lui prêter l'intention d'unir les époux en
exigeant qu'ils soient brou illé' d'intérêts? (Troplong, Marcadé, qui propose toutefois une re, Lriction au cas de gros·
sesse de la femme).
Cette opinion ne compte cepe11da11t que peu de par-
-
189 -
tisans . La Joctrinc et la jurisprudence se sont prononcées
en sens con traire.
Eu elîet, qu'importe la tradi tion en pré~ence d'un texte
formel, tel qu e l'article 22 ~5. cet ar·ticle est conçu en
termes généraux , il comprend donc la prescription de
l'action en nullité du contrat de mariage comme les au tres
prescriptions.
Le mariage et le contrat de mariage, 4u0tque liés l'un
à l'autre ne sont point des actes du même ordre et de la
même importance. Ils out chacun leurs règles propres et
particulières. Si la nullité du mariage est cou,·erle, lorsqu'il s'est écoulé une année depuis qnc l'époux marié en
minorité a attein t l'âge 1:ompélent sans réclamation de sa
part : on comprend qu'il n'en soit plus de même de la
nullité des conventions matrimoniales , 11 femme du rant le
mariage, étant soumise à la puissance maritale et n'ayant
p<i$ la liberté d'opter entre le maintien et l'annul ation de
ces conventions dans lesquelles le mari est partie intéres sée.
Le texte même du Cod e vient à l'appui J e cette seconde
opinion, pu isque l'article ·t 8;> , qui fait exception à l'article 2255, ne parle que dn mariage. Ne peut-on pas. au
lieu d'en tirer un argument a {o l'Liori , en tirer avec autant
de raison un argument a coutrario, et dire que si le législateu r n'a pas parlé de l'action en nu llité du eontrat de
mariage , c'est qu'il a en tend u la laisser sous l'empire du
droit commun (art. 2'2 55).
Enfin, il n'y aura, pendant le mariage. ni conflits dïntèréts, 11i causes de procès. comme le prétend la première
opi11i0n, puisque l'action ue la fernme ne sera in tentée qu'à
�-
190 -
sa rlissolution (Duranlon . Rodière el Ponl. - Cassation.
25 décembre t856: - - t 5 juillet f 8:->7).
Une autre question controverscc est relath·e à l'action
en révocation cles avantages matrimoniaux pour ca use d'in·
gratitude (art. 95i ). La prèscriplion de cette action est.
elle suspendue pendant le mariage en rcrtu de l'article 2255 !
Pour donner à cette question une soin lion exacte. il faut
tout d'abord se demander si le délai dans le:tuel doit être
exercée l'action en ré,·ocation po111· ingratirude est ou non
une véritable prescription ? Si c'est une véritable preserip·
lion, il s'ensuit naturellemen t qu'elle est suspendue pendant le mariage en vertu de l'article 2'2~5 : si c'est un
délai préfixe. il échappe complètemen t à la suspension de
l'article 22 55.
La jurisprudence, en de nombreux: arrêts, admet. a
priori , qne ce délai de l'article 957 est une véritable
prescription. elle en conclut dès lors qn'il est soumis à la
règle générale de l'article 22 55 (Cassation. 1 7 mars 1855 :·
- Rouen , 25 juillet 1829 . - Caen, 22 avri l 1859; Rouen , 2 juillet 1840: - Rennes, 20 juillet 1845; Caen, 50 décembre t 854) . (Troplong, Massé et Vergé,
sur Zacharire,)
Celte jurisprudence ne saurai t nous con vaincre. Que Je
délai de l'article 9~7 ne soit pas un simple délai ùe pro·
~d~re, nous ne le contestons pas ; mais que ce soit là une
vrrtta~le prescri pli on, nous ne l'admettons pas. Le vrai
caractere de ce délai est celui d'une disposition sui generis,
reposant sur. une presomptton
·
· de pardon. la preuve en est
que ce délai est uniforme , quel que soit le fait d'ingra·
J
-
191 -
titude, qni aul'ait étê comm i!' , crime 0 11 délit, à l'égard
ùoquel l'action publique et l'action civile ne se prescrivent
que par trois on dix ans. S'il en est ainsi, cette clécbéance
de l'article 9 57 est nat11relleme11t opposahle entre époux,
puisque entre eux la remise d'une olîense se présnme plus
facilement qu'entre perso nn e~ étrangères.
En vain , dirai t-on qu e la pn\somption de pardon peut
être écartée par les circonslanr,es de la cause, par exemple
par la séparation de fait en tre les époux. car nous nons
trou~·o os en présenr.e d'une présomption snr le foudement
de laqnelle la loi rlénie l'action en justice. et qui. par con·
séq uent, n'admet pas\:\ prenve con traire (art. 1552).
En rain , opposerait.on que l'éponx peut n'avoir pas
d'intérêt à llemander la révocation pendant le mariage.
comme dans l'hypothèse rl'une donation d'usufruit après
le décès du dona teur. JI est facile de répondre que le
texte même de l'articl e 9 57 résiste à toute distinction. et
que même la raison essentielle de la loi s'y oppose. puisqu'elle a voulu renfermer celte action dans les limites les
plus restreintes.
Nous arrivons donc ~l celle conclusion. admise par la
grande majorité des au teurs. que l'article 957 n'est pas
une véritable prescl'i ption, et que l'action en nullité des
avantages matrimoniaux pour i ngrati ~ude n'est pas suspend ue par l'article 2253 ( Marcadé, Aubry et Rau. Demolombe, Laurent; - Rouen. 5 aoù t 186:5 ; - Metz ,
19février1868).
Une dernière question est relative 11 la prescription quin~u enna le des intér~!ls. Ici le doute n'e~ t pas permis.
D'.'\ùord , il s'agit tl'nnc véritable prescription. en second
�-
·192 -
lieu, l'article 2 278, qui fait cou rir les courtes prescrip·
lions à l'encontre des mineur·$ el des interdits, ne p:irle
pas des époux. C'est que le législateur a voulu les laisse~.
même pour les prescriptions de cette nature , dans la St·
tnation privilégiée que lenr fait l'articl e 2253 (Rouen,
15 avril 1869; - Bordeaux. 5 février 1873).
§ II Suspension cntrr, l' H~ritier bénéficiaire et lei Suc·
2~58).
La prescription ne court pas
contre l'héritier bénéficiaire à l'égard des créa nces qu'il a
contre la succession (arl. 2258). On a \'Oulu trouYcr le
motif de celle disposition dans celte considération que l'hé·
rilier bénéficiaire ne peut pas agir contre lni-m ême. Ce
motif ne nous parait pas suffisant, car si l'héritier béné·
ficiaire ne peut pas agir contre lui-même, il peut très bien
agir contre la succession. L'article 976 du Code de procédure civile lui en donne le moyen. « Les actions à intenter par l'héritier bénéficiaire contre la succession seront
intentées contre les autres héritiers, et s'il n'y en a pas. ou
qu'elles le soient par tous, elles le seront con~re un curateur au bénéfice d'inventaire. nommé en la même forme
que le curateur à la succession vacante. " Nous préférons
dire que la prescription ne court pas contre lui, par~e
qu'il n'a pas intérêt à agir, puisqu'il est nanti de la suc·
cession, dont les valeurs doivent servir à le désintéresser.
A l'inverse, faut-il suspendre la prescription des actions
appartenant à l'être moral, succession. contre l'héritier ?
L'affirmatirn rencontre de nombreux partisans et dans la
doctrine et clans la jurisprudence. L'héritier, dit-on, qui
accepte sous bénéfice d'inventaire. devient, par le fait même
cession (art.
-
-
195 -
de son acceptation, le mandalaire légal de la succession. Il
doit donc veiller à la conservation des droits héréditaires et
interrompre contre toutes. person nes les prescriptions qui
)es menacent. Est-il lui-même débiteur de la succession?
Sa personnalité civile se dédouble; il y a en lui deux per.
sonnes distinctes. Je mandataire de la succession et le débi leur . S'il ne paie pas, il est en faute; or, nul ne peut
exciper d'un manqueinent h son de voir pour en tirer un
profit personnel.
Cette opinion n'a qu'un tort, à notre avis, c'est de méconnaître complètement le principe doctrinal de l'article 2251 et de créer une cause de suspension dans une
hypothèse que le législateur n'a pas prévue. Aussi. nous
paraît-il plus juridique d'admeltre qu'en droit pur la prescription court contre l'héritier bénéficiaire. Mais est-cé à
dire qne l'héritier bénéficiaire retirera un profit personnel
de cette prescription? Non, puisqu'il doit indemniser les
créanciers et légataires de la succession du préjudice que
leur cause sa néaliuence
ou sa mauvaise administration
I!> 0
(Laurent).
Voilà. pour la prescription libératoire. mais qu'en est-il
de la prescription acquisitive ?
S'agit-il de la prescription acquisiti ve que l'héritier voudrait opposer à la succession ? [ci encore, contrairement à
l'opinion généralement reçue. nous n'admettons pas la sus.
pension de la prescription pour les motifs que nous avons
donnés plus haut.
S'agit-il de la presGt'iption acquisitive qui cou.rt .en
faveur de la succession contre l'héritier ? La prescnpllon
n'est pas suspendue en faveur de ce dernier, cela ne fait
�-
1 '
•'
194 -·
pas doule. Car, grâce 11 l'arlicle !>7 6 dn Code de procéda re
1:ivile. l'héritier peut toujours reqaérir la nomination
d'un curatenr cl procéder contre lu i à r:l es actes interru ptifs rie prescription. Une coflsidèration d' un a~1Lre ordre
vient aassi à l'appui de notre solution. Si l'h éritier trou ve
dans la succession an immeuble à lai appartenant, que le
défunt était en train de prescrire. et si an li eu de le revendiquer. il continue à le posséder et iL l'administrer
comme bien de la saccessioo. n'est-il pas censé le posséder
pour la sn cces~ion , et celle-ci ne doi t-elle pas pouvoir
compter utilement sa possession ? La circonstance que le
mandataire qni possède pour la succession est le vra i propriétaire. do il-elle nu ire à celle possessio n, ne la rer.dclle pas au contraire pins efficace?
La suspension 11e s'applique qu'aux créances de l'héri tier contre la sncccssion: elle est étrangère à cel le qne
l'héritier peut avoir co n ~re son cohériLie1·. Ainsi une personne meurt, en laissant deux successibles don t l'an est
son créancier d'un e somme de.... L'hériti er créanr,ier
accepte la saccession soas bénéfice ù'inve11 taire. La delle
s'est diYisée en deux delles : l'une à la charge de l'héritier
bénéficiaire. l'autre Î\ la charge de son cohéritier. La prescription n'est suspendue que pour la delle échac à l'héritier bénéficiaire, elle con tinue de co nrir pour celle échue
i l'a~ tre cohéritier (Dnranton).
On s'est demandé si. dans le cas oü la prescription de la
créance de l'héritier contre la succession s'est accomplie
avant l'acceptation de ce dernier so us bénéfice d'inven taire,
l'<irlicle 2258 doit encore recevo ir son application? La
dillicnlté vient de cc ~n e . t:!n ver111 rie l\1rliclc 777 . l'ac-
-
195 -
ceplaLion remontant au jour de l'ouverture de la succession, on aurait pu prétendre qae l'hériliet· bénéficiaire était
iovesti de cette <Jualité depais celle époqne. et qu'il dev&it
dès lors. à partir de cc moment, joui!· da bénéfice de la
saspension. Il ne fa ut cependant pas hésiter à admettre
que la prescri ption n'a p~s cessé de cou1·ir tant qoe l'acceptation n'a pas ou liea (art. 2258 § 2, et 2259), et qu'u ne
acceptation tard ive ne peut pas venir enlever aux créanciers
et légataires du défunt un droit acquis par le fait même de
l'échéance du temps requis pour prescrire.
La prescription court contre une succession vacante,
quoique non pourvue de curateur (art. 2258 § 2 ). li est
facile de comprendre le motif de celte disposition. Le législateur n'a pas vou lu suspendre le cours de la prescription,
parce qu'il avait déjà donné aux personnes intéressées un
moyen dr. sauvegarder leurs intérêts. L'article 812 . en
elTet, lear permet de requérir. le ca$ échéant, la nomination d'an curalenr; si elles ne le font pas et si elles laissent
la prescription s'accomplir aa détrimen t de l'hérédité, c'est
lear faute, elles n'ont pas à se plaindre. La prescription
court-elle au profit d'une saccession vacante! Voici l'objection qai se présente: quand ane succession est vacante.
et qu'un curateur est nommé par les ~ins des créanciers,
celui-ci l'administre en réalité d:ios leur intérèt, il est leur
mandataire. Comment la saccession peut-elle prescrire
contre eux? La réponse est facile; la succession n'est pas
le patrimoine des créanciers, c'est nne personne morale,
un être de raison, continuant la personne du défunt et ne
représentant que lui. Les créanciers n'acquièrent pas plas
de droits qu'ils n' en avaient da vivant de leur débiteur;
�-
196 -
les biens qui la composenl ne sont que leur gage. Le curateur, en conservant le gage, agit dans '1eur intérêt sans
doule, mais comme l'enssenl fait les héritiers eux-mêmes,
il n'a pas du tout le ca1·actère de leur fondé de pouvoirs
(Troplong, VazElille), Voudrait-on soutenir que le fait
d'avoir requis la nomination d'un curateur doit être considéré comme un acte tl'inlerruption; cela ne se peot pas ,
puisque la loi ne l'a pas compris parmi les modes d'interruption de prescription. Il faut donc J écider d'une façon
générale que la prescription courl au profit des successions
Yacantes qu'elles soient ou nou pourvu es d'un curateur.
L'article 2259 ajoute que la prescription court aussi
contre la succession pendant les délais pou r faire inventaire et délibérer. En eITet, l'héritier peut très bien. sans
craindre d'engager sa liberté sur le parti qu'il choisira plus
tard, prendre toutes les mesures utiles à la conservation
des biens héréditaires et par conséquent interrompre la
prescription.
Réciproquement, la prescription ne cesse pas de courir
au profil de la- succession pendant les délais de l'article 791, si les tiers on t des droits a faire valoir 'contre
elle, ils assigneront le successible qui délibère. Celui-ci
pourra bien. il est v.rai , leur opposer l'excepti on dilatoire
de l'article 79'1. Mais ce n'est là qu'un sim ple retard. et
quand l'affaire sera reprise soit con tre lui, s'i l l'acr,ept e.
soit en cas de renonciation de s:i part contre ceux qn i auront succédé a sa place, l'assignati on n'aura pas moins
produit lous ses effets. Elle aura doue valablement interrompu la prescripti on.
L0s deux hypothèses que uous venons J'exa1nioer sont-
-
197 -
elles les seules oit la prescription se trouve suspendue par
~uile des r<1pports qu i unissent le propriétaire et le possesseur. le créancier et le débiteur ? Qu'en est-il des rapports
qui unissent le tuteur et le pupille? Ces relations journa·
li ères et nécessaires qui existr,nl entre eux ne sont-elles
pas suffisantes pour paralyser le libre exereice des actions
qu'ils peuvent a\'Oir a exe rcer à l'encontre l'un de l'autre,
et dès lors ne constituent-elles pas one véritable cause de
suspension de la prescription ?
Un premier point incontestabl e, c'est qu e la prescription ne court pas a l'encontre du mineur au profit du
tuteur , débiteur du mineur, ou possesseur d'immeubles à
lui appartenant. L'article 2252 est formel en ce sens. Il
est vrai qne cet article 2252 ne s'applique qu'aux longues
p1·escriptions; le.s courtes pourront donc tr~,s bien s'accomplir au profit du tuteur . Toutefois, cette dernière dispo·
sition n'aura pas grand inco nvénien t pou r le mineur,
puisqu'il trouvera un remède suffisant dans l'action en
reddition de com pte de tutell e, action qui comprend la
réparation de tout le préjudice qne peut lni avoir causé
la négligence du tuteur. Pas ùe difficulté encore dans l'hypothèse où Io mineur, ou son auteur, possédait avant l'entrée en fonction du tuteur. des immeubles appartenant ·à
r.e dernier. La prescription continue à courir en sa faveur
par un a fortiori, puisque nous avons admis que la succession continue a prescrire les biens appartenant à. l'héritier, malgré le bénéfice d'inventaire.
La controverse s'élûl'c anssilôl qu'il s'agit de créances
du llll eur contre le miueur. Fant-il , par analogie de l'ar-
�-
'.
1 ~8
-
Licle 2258, suspendre la prescription pendant la durée de
la tutelle.
L'affirmative compte de nombreux partisans. Il en était
ainsi. dit-on, en droit romain (L. 1. § 7. D. De contrarin
T1uelœ) ; du droit romai n, cette disposition est passée dans
l'ancien droit, et rien ne prouve que le Code ait ent endu
innover. S'il n'a pas reprodu it clai1·ement la décision romaine, c'est qu'elle résulle de l'analogie frappante qui existe
enlre le tuteur créancier du pupille et le mari créancier de
sa femme. ou l'hérétier bénéficiaire créancier de la succes·
sion, hypothèses dans lesquelles la suspension n'es t pas
douteuse (art. 2255, 2258 § 1). Ce système a de plus
l'avantage d'épargner des frais au minenr (Duran ton ,
Marcadé, Le Roux de Bretagne).
Malgré ces arguments, l'opinion contrai re nous parait
préférable. Nous ne répondrons pas à l'argument tiré du
droit romain ; car, depuis, les principes ont changé.
L'analogie que l'on veut tirer des arlicles 2255 el 2258
paragraphe 1 n'est pas suffisante pour créer une cause
de suspension , car il ne faut pas oublier· qu e l'article 22 51
est la base fondamentale dans celle malière. Or, cel
a.rticle fait courir la pre~criplion contre toute personne.
à moins d'uue exception formellemen t élaùlie par la loi.
Peut-on , en présence de cet article si précis, raisonn er par
analogie? Ne vaut-il pas mieux admeLLre qu e si le législateur n'a pas parlé des cré<rnces du tuteur coutre son pupil le.
c'est qu'il a voulu les laisser sous l'empire du droit commun! Du reste, pourquoi faire une exception en farcur du
tuteur ? N'a-t-il pas la ressource d'agir co ntre le subrogé
tuteur, toutes les fois qu e son intérêt est en co ntrad icti on
-
1 9~
-
avec celui dn mineur . Les frais ne sont pas si considérables pour qu'il en résulte on préjudice sérieox pour ce
dernier . Tell es sont les diverses co nsidérations qui nous
font rejeter celle cause ùe suspension.
Les mêmes qoe:\Lions se posent poor les 'rapports qui
ex istent en tre les interdits et laurs tuteurs. Elles doirnnt
être résolues de la même manière, puisque le Code a placé
les interdits sur la même ligne que les mineurs.
Si nous généralisons les données précédentes. nous
sommes amenés à nous demander quels principes doivent
régir, en rait ùe prescription. les rapports des administrateu rs avec les administrés. par exemple les rapports de
l'ahserit avec l'envoyé en possession provisoire de ses biens.
les rapports du père administrateur légal avec ses enfants !
' Faut-il snspendre la prescription entre ces dillérenles personnes? Ici . encore. la néga ti\'e noos paraît impérieusement command ée. Tant pis pour les administrateurs, s'.ils
laissent act:om plir contre eux les prescriptions acquisiti1•es
ou libératoires qui courent au profit des personnes dont
ils doivent gérer le patrimoine. Quant anx administrés. la
loi ne les laisse pas sans défense. Elle vient, ao contraire,
à leur secours, en leur accordant une action en reddition
de compt e co ntre les administrateurs. Ces derniers étant
tenus de protéger h·s int érê~s de leurs admini~trés, ils sont
responsables du préjudice qu 'ils leur occasionnen t en
prescrivant co ntre eux.
�-
200 -
~ECTION
Ill
CAUSES DE SUSPENSIOi'i FO~DBES SUR f,A )10DAUTÉ DES DROITS
OU CRÉA:\CIER ( ART.
2237).
L'article 2257. qui consacre ces canses de suspension,
est ainsi conçu : •La prescription ne co urt point à l'égard
" d'une créance qui dépend t1'ur1è condition, jusqu'à ce
" que la condition arrive : à l'égard d'une aclion on
• garantie, jusqu'à ce que l'é,·iction ait lieu : à l'éganJ
• d'une créance à jour fixe, jusqu'à ce que ce joui' soit
• arrivé. • Il semble résu lter dP, la lecture de cet article
que les causes de suspension. fondées sur la modalité des ,
droits du créancier sont au nombre de trois : la condition ,
la gal'antie et le Lerme. Il n'en est rien cerendant. L'o l.Jligation de garan tie n'étan t qu'une oliligation conditio11n13Jle,
la garantie ren tre dans la condition ; nous !l'a vons donc à
étudier que deux causes : la condition el le terme.
§ I. Condition (art. 2:25i) . - l.c créancier cond itionnel ne peul actionne!' son débiteur al'an t l'arri1•ée ùe
la condition. Que pourrait-il deman der ara nt celle ép<que~
Le droit lui-même. Mai ce serait con lrair.; à l'esprit
même de la com•en tion, puisque les parties on t précisément eu l'intention Je retarder l'existence ùe l'obl:gation
jusqu'à la réalisation d'un é1•èncment détcrrnin~ . Dira-ton que la demande ù11 créancier aurait pnur objet la reconnaissance <le son droit ? Mais a quoi lion , cette rcco11naissance ne peut être con testée. car entre les partiPs ell e
201 -
est constante, perpfituelle ; Je Litre la constate de la façon la
plus énergique avant l'arrivée de la condition. Le créancier
ne peut donc ni poursuivre son débiteur. ni intenter contre
lui une action en reconnaissance. car il n·y a pas d'intérêt.
La loi devait bien dès lol's suspendre la prescription en sa
faveur.
De quelle condition s'agi t-il ~ Evidemmenl de la condition suspensive. Car il n'y a pas les mêmes motifs dans la
prescription résolutoire, pu isqu'elle ne vise pas l'existence
du droit . mais seulement sa résol ution. On peul même
ajouter que J'ouligation contractée sous une condition résolntoire n'est pas une obligation conditionnelle (Laurent).
D'après les termes mêmes de l'article 2257 , la suspension ne s'applique qu'aux droits de créance; elle est complètement étrangère aux. droits réels. Le possesseu r prescrit donc contre tout le monde, aossi bi en contre cel ui qui
n'a sur la chose qu'un droit conditionnel. que contre
celui qui a sur clic un droit pur et simpl e. Ainsi. un héritier vend un immet1ble que le défunt avait légué sous
condition suspensive. L'acq uéreur qui aura possédé de
bonn e foi pendant le temps voulu aura prescrit à dater du
premier jour de ~a possession. ~o utiendra-t- on qu'il a
prescrit injustement. Le légataire conditionnel o'a"ait qu'à
as iancr
Je tiers déten teur en reconnaissance de son droit,
0
pour éviter ce résultat. L'article t 1 0 loi permettant de
faire tons le actes conservatoires de son droil. s'il n'a pas
:igi. tan t pi pour lui .
li n'en est pas moi11s n ai qu e celle thüoric en arri1·e it
ùes conséquences bizarres. Un débiteur conditionnel conse nt une hypo thèque à so n aëancier pour la garan tie de
�-
202 -
-
,on droit futur el incerlai11 . Tant qu'il conserve dans se·
mains la propriété de l'immeuble ainsi greré, il ne pent
êLre qoeslion ni de prescri ptioo de l'at:tion personnelle, ni
de prescription de l'aclion réelle hypothécaire dont le sort
csLin timément lié à la première. Mais qu'il vienne à vendre l'immeuble, l'acquérnur prescrira dès ce jour , avant
l'arriréede la condition, la propriélé libre de toute alTectation hypothécaire.
Cette conséquence, conforme aux précédents crëés par
l'ancien drl.lit, résulte, commtJ nous l'a\'ons déjà fa it remarquer, de la lettre même de notre article qui ne parle
que des droits personnels. Le tiers détenteur, bien que
condi tion11ellement tenu , ne se trouve pas dans les liens de
l'obligation personnelle. Pour 1ui , la prescription n'est pas
un moyen de se libérer. mai s nn moyen d'acquérir l'alîran chissemenL de son immeuble; comme il est étran11er à
l'obligation principale, on co nçoit très bien qu'il puisse
acquérir cet a!Tranchissement, pendan t le temps même où
la prescription est suspendue entre le créa ncier et le débiteur person nel. Au~si , l'ancien droit avait im agi né, comme
nous l'a\'ons vu , l'action en déclaration dï1ypothèque,
action par l<iquelle le créa ncier. sans conclu re au paiement
de la delle, ni au dëlais cment de l'héritane
demandait
0 '
que l'immeuble fût reconnn afTccté de l'hypothèq ue.
Celle acti on en déclara Lion 0 11 en inlerru pli on . comme
on l'appelai Laussi, ex iste-t-ellc enl'. Orl! aujourd 'hui ? Nous
n'hésitons pas a répondre a{füma1i,·ement, car 11ous en
trouvons la pl'eurn dans les arlicles 2 1i:) et 2 180 . Le
premier de ces deux article:; pr~\'o il le cas ou le Liers détenteur a été condamné en cette qualité i1 roconnaîlre
~
'·
203 -
l'obligation hypothécaire. N'est-ce pas dire que le créancier
peut l'assigner en reconnaissance de son droit.hypothécaire
conditionnel ' Le second autorise. en faveur du tiers détenlenr , la prescription de l'hypothèquHpar le temps réglé
pour la prescription de la propriété à son profit. Il ne dis·
tingue nullement si la créance est pure et simple ou conditionnelle. C'est la théorie dominante en doctrine (Troplong.
Marcadé. Le Roux de Bretagne, Aubry et Rau, Laurent),
La jurisprudence, au con traire, accuse une tendance
marquée à étendre aux droits réels le bénéfice de \'article 225i (Cassation. 4 mai 1846; 16 novembre 1~ 5i;
28 janvier 186 2 ; - Pau , 22 no\'embre 1856 ; - Besançon , 25 décemure 1855; - Agen, 22 juillet 1862) .
Elle se fonde sur les considérations su ivantes : la section
relati re anx causes de suspen ·ion est ~énérale. et, sauf
exception, elle doit embrasser tontes les presr,riptions.
L'artide 22 57 n'a pas pour but de sonstraire les droits
réels à. la règle qu'il éd i ~te . Le mot créance ilont il se sert
doit être en tendu loto senrn; il est synonyme de droit.
C'est ainsi que nous voyons l'article l 138 désigner. sous
le mot crean cier, une personne investie de droits réels. - D'ailleurs, l'article 2<
:Ui7 n'est qu'une application de la
maxime co11 1ra non ualcntem .. .. et la condition paralyse
également les actions personnelles et les actions réelles.
Enfin, aux termes de l'article 2244, l'interruption ne peut
résul ter que d'une citation on ju Lice, d'un commande·
ment , d'un e saisie, eL ces ùi,·crs moyens ne peuvent être
empl oyé$, pc1ule11tc ro11clitio11e, co ntre le Liers ùélenteur .
Nous ne réponùon· qu'un moL:1ces coosideraLions de
la juri sprudence, c'est que, si le titt1laire d'un droi l réel
�-
20/i- -
conditionnel ne peut procéder à l'encontre du tiers délcnteor par voie de délaissement. il peut très bien l'assigner
en ret:onnaissance de ses droits, comme nous l'avons dit
pins haot. et cette reconnais ance sera suffisante pour in terrompt·e la prescription qui peut le menaeer. 11 n'est
donc rJa" nécessaire de créer nne cause de suspension contraire à la lettre de l'arLicle 22157.
Entre ces deux opinions ab'oln es et opposées, est venu
se placer on système éd ectique. Il admet la su-pension,
quanJ les droits réels ont été con$entis par le débit eur. et
il l'écarte quand ces droits proviennent d'une ca use étran gère. par exemple, l'u, urpalion d'nn tiers. La raison qu'il
donne c'est que. dans ce dernier cas. l'usurpateur, par
exemple. n'a pas à se préoccuper des rapports qui existent
entre le créancier et le débiteur . Lanùis que. dans le premier cas. l'acquéreur est l'ayant cause du "endeur. et il est
dès lors so umis, comme lui , à la condition (Thésard ,
Revue critique. L. 53 , p. 385).
Cette distinction est purement arbitraire; rien ne la
justifie, ni le texte ni l'esprit de la loi. Nous la rejetons
donc pour nous en teni r au système qu e nous avons exposé le premier , à sarnir que l'article 2257 ne s'applique
pas am droits réels.
Nous opposera-t-on qu'a"ec notre système, l'ayant ca use
en arrirn a arnir plus de droits que son antenr? Il n'y a là
rien d'éton nant , puisqu e, après l'expiration ùes délais de la
prescription, ce n'est pas un droit à lui transmis pzr son
auteur qu'invoq ue le Liers détenteur pour repousser l'action
du créa n~ier cundi ti onu cl. mais un droit ;.1 lui propre. u11
-
205 -
droit non\leau, qui a pris naiss:ince dan sa personne, et
qui n'est, dès lors. soumis à aucune modalité.
Notre systèmt-, nous l'admettons même en matière de
substitution. Car, de nos jours, le caractère de la substitution a complètement changé: le motif politique et social
qui ex istait dans l'ancien droit, la conservation des biens
dans les fami lles ne se retrouve plus aujourd'hui. D'au tre
part, comme nom> en avons fait plusieurs foi la remarque,
il ne suffit pas qu 'une personne soit dans l'irnpo.sibiliré
d'agir pour créer en sa faveur one cause de suspension ,
il faut de plus un texte formel (art. ~251 ). Enfin. les
appelés ne sont pa. sans défen e, puisqu'ils ont auprès
d'eux un tuteur chargé, so11s are ponsabilité personnelle,
de rniller à leu r intérêt (Troplong, Duranton, Marcadê.
Le Roux de Bretagne. - Co111rn Grenier, Coin-Delisle.
Vazeille).
Faut-il admettre la même solution, lorsque les :ippelés
sont mineurs? Les uns admellent la négatirn en se basant
sur le prinôpe de la rétroactivité. de la condition et sur
l'article 2252 (Duranton. Marcaùé, Massé el Vergë).
Les autre se prononcent pour l'aflirmati\•e, p:irce que
l'article 2 2 52 n'a rien à faire ici. puisque le grevé est
propriétaire jusqu'à l'ouverture de la substitution ; c'est
Jonr. con tre lui P.t non contre l'appelé qu'a couru la prescription, à défaut J'actes d'interruption émanés soit du
gre,·é. soit du tuteur des appelés (Aubry el Rau. Le Roux
de Rretagne. Demolombe). C'est à celle .econde opiniou
que nous nous rallions, seulement nons repo1nons la
restriction que font ce, même auleuri,; pour le cas où le
ti('rs dêtc111on r e. t l'ayant cause du grevè. el, par consé-
�-
206 -
quent, d'après eux , possesseurs à titre précaire. Nous no
pensons pas que la prescription soil empêchée par le vice
tlu titre du tiers ùéltnleur qui tient ses _droilS du grevé. Ce
\'ice ne peut pas, en efîet. être assimi lé an r ice de précarité,
pu isque le grevé, quoique soumis à la condition de restituer les biens substitués, ne les possède pas m0ins en son
propre nom , pour son propre compte; il ne saurait, dès
lors. être rangé dans la classe des détenleurs précaires.
Allons plus loin , mêm&dans le ca · d'une vente faite par
un simp!e déteoteor précaire. le vice de précarité s'efface
par la transmission ~\ titre partictilier. Si donc l'acquéreur
est de mauvaise foi, il preserira par trente ans au lieu de
prescrire par dix ou vingt ans, mais on ne peut en conclure
que son titre est Yi cieux et s'oppose à toute prescription.
La eule exception qui existe à l'opinion que nous avons
ad optée, à savoir qu e l'article 2257 ne s'applique pas aux
droilS réels, est celle consacrée par l'article 966 ; • Le
donataire, ses hériti ers ou ayants cause, ou autres détenteurs de choses données , ne pourront opposer la prescription pour fairn valoir la donation révoquée par survenance d'enfant qu'après une pos5ession de trente années.
qui ne pourront commeneer à courir que du jou r de la
naissance du dernier enfant du donateur même posthume.
et ce. sans préjudice des interruptions, telles que de droit. •
Elle vient la confirmer, puisqu'elle déroge au droit commun , el quant au point de départ de la prescription el
quant il sa durée.
Nous terminons ce premier paragraphe, relatif à la condition, en faisant remarquer qu'il no faut pas con fondre
les droits conditionnels avec les droits éventuels. Les
- · 207 -
premiers ont une existence légale, la preuve en est
•
·
. .
que
creant.:1er cnod1twn11el peut faire Lous les actes conservatoires de son droit. avont l'arrivée de la condition. Les
seconds n_'ont pas d'ex istence légale, ils ne reposent que
sur une simple espérance, sui· une simple expectative. fi
n·est pas nécessaire de rechercher leur nature pour voir
sï ls sont ou 11on prcscript1ul es: car, réels ou personnels ,
la prescr iption ne peut les atteindre, puisquïls n'existent
p:ls.
1e
§ II. Terme (art . 2251) . -
L'article 225ï. paragraphe 2. porte que la prescription ne court pas à l'égard
d'une créance à jour fix e jusq•J'à ce que ce jonr soit arri vé. Les observa tions qt;e nous avons consacrées à la
condition s'appliquent L>galement au terme. aussi nou
bornons-nous il y rcn\'Oyer sans entrer dans de plus amples
détails . Nous itjouterons. cependan t, une double remarque:
tou t d'abord le jour dn term e appartient en enlier au débitcnr, la prescription ne commence donc il eourir que le
lendemain de l'échéa nce. En second lieu, i la delle e. t
payable en µlusienr. terme. , il y a. d'après la Cour de
ca sation . autant ùe prescriptions que d'échéances distin cte· (Cassation. 1ï aoùt 183 1). Toutefois, la Cour de
Colma r a jugé. et arec raison. que l'action du prix de
rc11te, payable par fraction. ne commença it à être prescrite. au profit de l'acquéreur. que du jour de l'expiration
du dernier Lerme (Colmar, 8 juillet 18/d ).
Telles sont les trois cla. ses de ca115e:; de suspen.ion
aù mi es par la législati on motlerno. Avcc elles . nous
nvons lini notre éllld c sur les cause ù'in lcrrurLion et de
. u ~ pen sinn de la presGripti ou en droit ci1•il.
�POSITIONS
DROIT ROMAIN
1. -
Le Postliminium appartient au droit des gens.
Le colonnat n'est pas une institution créée par
Constantin.
III. - La Restitutio itt integrum , obtenue par un mineur
de vingt-cinq ans contre une obligation par lui contractée laisse subsister une obligation naturelle.
1(. -
~ .
IV. -
Elle ne peut avoir lieu contre un mutuum contracté par un fils de famille sur l'ordre de son
père.
DROIT CIVIL
,,
l. -
La possession d'état prouve la filiation naturelle
tant à l'égard du père qu'à l'égard de la mère .
L'enfant naturel peul ètre adopté par son père ou
par sa mère qui l'a reconnu .
Hl . - L'enfant qui renonce ~1 la succession pour s'en
tenir aux. biens que le défunt lui a donnés ou légués
sans dispense de rapport. ne peut les retenir que
jusqu'à concurrence de la quotité disponible ordi-
li . -
naire.
�-
!10 -
IV. -- L'artide l 09'• fixe le maximum de la quotité
disponible entre époux.
y. - La femme. qui exerce ses reprises sur les biens de
la communauté, les exerce en qualité de créancier.
La dot mobilière est aliénable.
VI.
DROIT PÉNAL
-
Il.
La recommandation et le hénélice sont l'origine
de la féoda!ité .
Vu par le Doyen, clicvalier de la légion J'honneur,
président de la Thèse,
ALFRED .JOURDAN.
Vu et permis d'imprimer
L'action civile, née d'un crime ou d'un délit, se
prescrit par les mêmes délais que l'action publique,
alors même que celle action est portée devant les
tribunaux civils.
l. -
·.
Il. -
211 -
l e Rcctctff,
Che1 alier de la lrgion d'honneur,
.J. BOURGET.
Les indi1idus en farcur desquels l'am nistie a lieu
n ~ pe11vent pas renoncer à son bénéfice.
. •,
.•J
.; . DROIT MARITIME
~ .
,.
.:~., -
··W.
li . -
~,
Les cr~a-nÇiers chirographaires peuvent faire assurer
J.e .qavïf~ pour la garantie de leurs créa nces.
L'assurance des objets de contrebande à l'étranger
est \'alable.
Ill . -- Lorsqu'un armateur fait assurer de mauvaise foi
un na\'irc qui a péri , il tombe sons le coup de
l'article 405 du Code pénal relatif à l'escroquerie.
HlSTOIRE DU DROlT
1.
t 'ôrigine de la communau té entre époux se trouve
dans les commu nautés seniles ùu moyen âge.
Aix. -
lmp rimerio J . N1cvr, rul' du Louvrr, \ ti. -'!!5S~.
�
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Monographie imprimée
Description
An account of the resource
Ouvrages imprimés édités au cours des 16e-20e siècles et conservés dans les bibliothèques de l'université et d'autres partenaires du projet (bibliothèques municipales, archives et chambre de commerce)
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Title
A name given to the resource
Des causes d'interruption et de suspension de la prescription en matière civile : thèse présentée et soutenue devant la faculté de droit d'Aix
Subject
The topic of the resource
Procédure civile
Droit romain
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Giraud d'Agay, Odon de
Faculté de droit (Aix-en-Provence, Bouches-du-Rhône ; 1...-1896). Organisme de soutenance
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence), cote RES-AIX-T-133
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1882
Rights
Information about rights held in and over the resource
domaine public
public domain
Relation
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Vignette : https://odyssee.univ-amu.fr/files/vignette/RES-AIX-T-133_Odon_Causes_vignette.jpg
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
1 vol.
211 p.
21 cm
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
text
monographie imprimée
printed monograph
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/411
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
France. 18..
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence)
Description
An account of the resource
Une analyse des raisons de la suspension de la prescription, moyen d'acquérir ou de se libérer, ou de son interruption, qui crée une nouvelle prescription. Une approche de la complexité des relations entre débiteurs et créanciers
Publisher
An entity responsible for making the resource available
J. Nicot (Aix)
Abstract
A summary of the resource.
Thèse : Thèse de doctorat : Droit : Aix : 1882
La prescription est un délai au-delà duquel une action civile ou pénale n’est plus recevable. Cette thèse s’intéresse à l’interruption ou à la suspension de délai, à l’époque classique romaine. Dans cette première partie, l’auteur distingue La suspension et l’interruption. La suspension est un délai qui vient arrêter la prescription de façon temporaire, et qui prend en compte le délai qui le précède cet obstacle. Tandis que l’interruption est l’arrêt définitif d’une prescription avant le commencement d’un nouveau délai de prescription. Il existe deux types d’interruption : celle naturelle et celle civile. Tout au long de la thèse, l’auteur cherche à étudier l’évolution de ces procédures. Quelles sont les mutations qu’elles ont connues de l’époque romaine classique jusqu’à la naissance du code civil, en passant par l’Ancien Régime ? Les trois parties de cette thèse répondent à cette question.
R&sumé Liantsoa Noronavalona
Prescription (droit) -- France -- 19e siècle -- Thèses et écrits académiques
Procédure civile -- France -- 19e siècle -- Thèses et écrits académiques
-
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/1/394/RES-AIX-T-130_Talagrand_Proescriptio.pdf
10c9144d814ccfb1fff12ac1290725d7
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FACULTÉ DE DROIT D' AIX
LA
DE
PRŒSCRIPTIO LONGI TEMPORIS
EN DROIT ROMAIN
DE
LA
PRESCRIPTION DB DIX A VINGT ANS
EN DROIT FRANÇAIS
THÈSE POUR LE DOCTORAT
PAR
Auguste TALAGRAND
AVOCAT
UZÈS
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LA
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PRŒSCRIPTIO LONGI TEMPORIS
EN DROIT ROMAIN
DE
LA
PRESCRIPTION DB DIX A VINGT ANS
EN DROIT FRANÇAIS
THÈSE POUR LE DOCTORAT
PAR
Auguste TALAGRAND
AVOCAT
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MA _}1ÈRE
��CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES
Parmi les institutions humaines, il n'en est point qui
aient été l'objet d'appréciations aussi diverses que la
prescription. Tandis, en effet, que quelques-uns, la considérant dans l'injustice de quelques applications particulières, sont allés jusqu'à la qualifier irnpium prœsidium (1), d'autres, au contraire, l'envisageant sous le
rapport de l'utilité générale, ont vu en elle une des
premières garanties d'ordre et de sécurité parmi les
hommes et n'ont pas craint de l'appeler: patrona generis
humani (2); Cicéron (3) la nomme : fi,nem sollicitudinis
ac periculi litiuni.
La prescription remonte aux temps les plus reculés (4);
elle a dû suivre de près l'établissement de la propriété,
et l'on peut dire que c'est à cette époque surtout qu'a dû
se faire sentir la nécessité de cette institution. En effet,
(1) Justinien, Novel. 9.
(2) Cassiodore.
(3) Orat. pro Cœcinâ.
(4) Démosthène, dans son plaidoyer pour Phormion, opposa
une fin de non-recevoir tirée d'une prescription établie par les
lois de Solon.
�-6lorsque l'écriture était encore inconnue, ou du moins peu
répandue, la propriété n'ayant pas de titres, et les conventions étant confiées à la mémoire des témoins, on
conçoit que de très bonne heure la possession paisible
et publique ait été considérée comme une preuve suffisante de la propriété, et que, dans J'intérêt du repos
public, autant que par des motifs d'équité, les lois aient
protégé celui·que l'on venait inquiéter après une longue
et paisible possession. De nos jours, au contraire, où la
propriété est presque toujours constatée par écrit, et
où, grâce au système de publicité établi par la loi de
1855, la condition des fonds de terre se trouve déterminée par des registres comme l'est celle des individus, la
prescription acquisitive est d'une application moins fréquente. On pourrait même concevoir un Etat dans lequel cette prescription ne saurait plus recevoir aucune
application. Si on suppose en effet que, même à l'égard
des parties contractantes, la convention n'est translative
de propriété que si elle a été soumise à la formalité de
la transcription; si on suppose, en outre, qu'il existe des
registres sur lesquels l'étendue des fonds a été déterminée d'une façon certaine, et que ces registres font foi
en justice, celui-là seulement pourra se prétendre propriétail'e qui pourra montrer son nom inscrit sur le
registre en regard du fonds qu'il réclame; toute possession qui ne sera pas confirmée par l'inscription sera
une usurpation; il existe quelque chose d:analogue en
Allemagne.
Si on se place à un point de vue purement philosophique, et si on considère les droits en eux-mêmes et
dans leur essence, on voit qu'ils sont par leur nature
même éternels et impérissables. A un point de vue
moins absolu, et si on considère l'homme comme sujet
�-7actif ou passif de~ droits, on voit aussi que la nature
des droits reste la même, que ces droits ne sont nulle·
ment soumis aux atteintes du temps, car si l'homme,
s_ujet des droits, vieillit et meurt, ses droits lui survivent
et forment le patrimoine de ses héritiers.
La prescription ne vient en rien infirmer ces considérations, car si elle a pour effet d'éteindre soit le droit de
propriété, soit le droit de créance, cet effet n'est pas le
résultat unique du temps, mais a son fondement et sa
source dans une présomption de renonciation chez
celui qui néglige de les exercer.
Avant d'entrer dans le détail de la prescription, il
importe de se poser et de résoudre une question intéressante surtout à cause du point de vue philosophique qui
la caractérise. La prescription est-elle une création
arbitraire du droit civil, ou bien a-t-elle son fondement
et ses racines dans le droit naturel et l'équité?
Cette qu·estion capitale, les jurisconsultes romains
ne manquèrent pas de se la poser. Dès l'origine du droit
romain, et déjà dans la loi des XII Tables, on voit en
effet les décemvirs consacrer, sous le nom d'usucapion,
une institution analogue à celle de la prescription; on
conçoit donc que de très bonne heUl'e les jurisconsultes
se soient demandé quel! était le fondement de cette
institution.
Gaïus (1) ne voit dans l'usucapion qu'une création
purement arbitraire du droit civil, une institution dont
le but a été exclusivement politique et considéré comme d'intérêt public, savoir : la nécessité de prévenir
l'instabilité et l'incertitude dans ia propriété, et de
(1) L. 1, Dig. de usucap.
�-8déterminer les citoyens à s'occuper de la gestion de
leurs affaires comme de bons pères de famille. Plus
tard Cujas, dans le commentaire qu'il nous a laissé de
Gaïus, regarde la prescription comme une institution du
droit ci vil.
D'autre part et en sens contraire, de nombreux auteurs (1), et parmi eux Cicéron, considèrent la prescription non pas comme une création arbitraire du droit
civil, mais comme une institution dont le fondement se
trouve dans le droit naturel. En d'autres termes, ils
considèrent que le droit civil n'est pas venu de sa propre
autorité et dans un but d'intérêt général, créer un droit
pour le possesseur et le débiteur, et prononcer une
déchéance contre le propriétaire ou contre le créancier
négligent, mais qu'il n'a fait en cette matière que consacrer un principal de droit naturel et déterminer les
. conditions dans lesquelles ce droit devait s'exercer.
Pour nous, et bien que l'opinion de Gaïus semble à
première vue plus conforme à la nature des choses,
nous adopterons néanmoins cette dernière manière de
voir.
Je dis que l'opinion de Gaïus paraît plus conforme à la
nature des choses ; en effet, puisque les droits· sont
perpétuels, puisque la propriété est sacrée et qu'on ne
peut la perdre sans son propre fait, comment se fait-il
qu'on soit arrivé jusqu'à sanctionner le droit de celui
qui n'est entré en possession que par une véritable
usurpation, ou qui s'appuie sur une possession vicieuse?
(1) Puffendorff, Droit cle la nature et cles gens, livre 4, chap.
12, § 9 et 11. - D'Ar()'entré, Coutume cle Bretagne. - Merlin,
v' prescription, sect. l" § 1". - Vazeille, prescription, chap.
1, n' 5 et suiv. - Troplong, Prescription, n' 2 et suiv.
�-9Des considérations d'intérêt général telles que nous les
indiquions plus haut, ont pu sans doute déterminer le
législateur à déclarer le possesseur propriétaire, si sa
possession réunit d'ailleurs des conditions qui seront·
plus ou moins rigoureuses, suivant l'époque de l'histoire
à laquelle on se placera, mais ce sera alors une èréation
du droit civil, et non pas la confirmation d'un principe
du droit naturel.
Certains auteurs ont cru résoudre la question, mais
en réalité ils n'ont fait que tourner la difficulté, en · se
basant sur un principe dont la fausseté est évidente. Ils
on dit que la propriété · n'est qu'une création du droit
civil, et qu'elle n'est sanctionnée par la loi qu'à certaines
conditions qu'elle a pu arbitrairement déterminer. Etant
admise cette idée, · que la propriété est une création du
droit civil, rien n'est plus facile que de légitimer la
presc1'iption, car si la loi a créé le droit de propriété,
elle a pu en fixer les limites. Mais il est aujourd'hui
universellement admis, et nous ne nous attarderons pas
à en faire la démonstration, que la propriété est de
droit naturel, que ce n'est pas la loi qui a créé le droit
de propriété, mais qu'elle n'a fait que le sanctionner.
L'origine de la propriété se t1;ouve en effet dans l'occupatiém; c'est l'occupation s'exerçant sur un objet sans
maître qui a donnné naissance à un droit respectable
sans doute, mais qui l'est devenu bien davantage encore
lorsque la matière a été façonnée, améliorée par le travail et l'intelligence de l'homme . Ce droit de pro"priété
une fois acquis par l'occupation et le travail, s'est naturellement conservé, non seulement par les mêmes
moyens, mais encore par la seule volol).té de ne pas l'abdiquer, car, jè le répète, il est de la nature du droit de·
se perpétuer et d'avoir une durée indéfinie.
�-
10 -
Nous arrivons ainsi à la question que nous nous étions
posée plus haut : le droit de propriété étant de son
essence perpétuel, comment se fait-il que · la loi soit
venue d"éclarer ·déchu de son droit de propriété celui
qui a cessé de posséder pendant un certain lap·s de
de temps, et propriétaire celui dont la possession réunit
certaii1es conditions déterminées ? Cette déchéance prononcée contre le propriétaire, cette attribution de droit
aù profit du possesseur, sont-èlles une création arbitraire du droit civil, ou bien ont-elles lem· base daris
l'équité et le droit naturel?
· Cette dernière manière de voir nous a paru la seule
.exacte ; voyons comment on peut la justifier.
Tout d'abord il importe de faire remarquer que la possession de celui qui invoque la prescription peuû être de
deux sortes : le possesseur, peut être de bonne foi, il
peut être aussi de mauvaise foi. Ces deux hypothèses
doivent être soigneusement distinguées, car on comprelid
que la justification de la prescription sera plus facile
dans le premier cas que dans le second.
Si nous nous plaçons dans l'hypothèse de la possession
de bonne foi, la justification de la prescription se trouvera dans cette considération que le droit de 'propriété,
pas plus que les autres droits, n'est absolu, et qu'il se
trouve nécessairement borné par l'idée de devoir. Tout
droit se trouve en effet limité par un corrélatif, et quiconque refuse de subir la loi du devoir qui restreint sa
liberté pour assurer celle des autres, s'expose à la perte
de son droit. Sans doute, ainsi que je l'indiquais précédemment, le droit de propriété est de sa nature perpétuel,
mais il ne s'en suit pas de là que ce soit un droit absolu;
les droits de chacun sont naturellement limités par les
droits des autres, et les lois ne sont autre chose que la
�-
'11 -
'détermination faite par une autorité légitimement constituée, des conditions d'équilibre sans lesquelles la société
ne saurait exister.
Si clone on se place dans la situation d'un individu qui
a tout lieu de croire qu'il est devenu légitimement propriétaire de la chose qu'il possède, par exemple parce
qu'elle lui a été livrée à la suite d'une vente, d'un
échange, d'une donation ou de tout autre contrat translatif' de propriété ; si, de plus, on suppose que par un
travail de tous les jours il a amélioré la chose qu'il
possède ainsi de bonne fo i, qu'il y a incorporé des capitaux considérables, résultat d'un travail antérieur ; qu'il
a constitué sur cette · chose et à l'égard des tiers des
droits qui ont paru incontestables et irrévocables, parce
que jusqu'à ce moment le droit du constituant n'avait
paru contestable à personne, fauclra-t-il qu'en présence
d'une situation aussi solidement établie et de droits
aussi sacrés, le propriétaire puisse s'armer de son droit
de propriété, qu'il a négligé d'exercer pendant si longtemps, pour réduire à néant un état de chose si digne
d'intérêt ? N'est-ce pas alors qu'il est utile de se rappeler que les droits de chacun sont limités par les droits
des autres, et que si le droit de propriété est toujours
digne d'être sauvegardé, il faut du moins que ce ne soit
pas à l'encontre d'autres droits non moins légitimes et
non moins dignes d'être respectés ?
A l'origine l'erreur était réparable, il suffisait d'une
réclamation émanée du propriétaire pour faire tomber
les illusions et montrer les vices d'une situation qui ne
se connaissait pas elle-même ; mais en vieillissant, en
passant de degrés en degrés, elle a fini par ressembler
tellement à la vérité, des liens si nombreux et si légitimes se sont étendus en sens si divers, des intérêts si
�-
12 -
sacrés ont pris naissance sur ce sol où on voudrait les
anéantir aujourd'hui, que l'on peut se demander avec
raison, s'il n'y aurait pas une perturbation plus grande
à remettre les choses dans leur état de vérité, qu'à
sanctionner une erreur qu1 est devenue le droit. Le droit
ne va jamais sans un devoir qui le limite; or, le devoir
du demandeur était de ne pas laisser le possess·eur dans
sa bonne foi. Que si l'on nous objecte que le propriétaire
n'a ·peut-être aucune négligence à se reprocher, èar il
ignorait que sa chose était possédée par un tiers, nous
répondrons que cette ignorance est une faute, et que lui
seul doit supporter les conséquences d'une erreur qui
porterait atteinte au droit d'autrui.
Ces cvnsidérations, à elles seules, suffisent à légitimer
au profit du possesseur de bonne foi la prescription
acquise à l'encontre du propriétaire. Ce droit du possesseur est donc antérieur-au droit civil et exclusivemenl
basé sur l'équi_té et le droit naturel. Que le droit civit
soit ensuite intervenu pour déterminer le laps de temps
à l'expiration duquel le droit du propriétaire serait définitivement perdu, cela était nécessaire pour donner à
tous une règle uniforme, mais il n'en est pas moins vrai
que dans cette matière de la prescription, comme dans
beaucoup d'autres d'ailleurs, le droit civil est venu, non
pas créer et innover, mais qu'il n'a fait que travailler sur
des notions déjà fournies par le droit naturel et l'équité,
et qu'il s'est borné à les adapter aux besoins variables
des sociétés.
J'arrive maintenant à la deuxième partie de la question
que je m'étais posée plus haut, c'est-à-dire à l'hypo·thèse où le possesseur est de mauvaise foi ; dans ce cas,
faudra-t:-il dire encore que la prescription a son fonde-
---
--
---
---
�-
13 -
ment dans le droit naturel, ou qu'elle est au contraire
une création du droit civil ?
Cette question, je le reconnais, sort un peu du sujet
que je me propose de traiter, car n'ayant à parler que de
la prescription de dix et vingt ans, je n'ai pas à me
préoccuper du possesseur de mauvaise foi; et néanmoins, il .m'a paru nécessaire, sous peine d'être incomplet,
d'envisager au moins brièvement ce deuxième côté de
la question, surtout dans un chapitre à la tête duquel
j'ai mis ces mots : Considérations générales.
Ici, j'en conviens, et lorsque on se place en face du
possesseur de mauvaise foi, ce n'est pas dans le droit
naturel qu'il faut chercher le fondement de la prescription : l'injustice et la violence ne sauraient rien fonder.
Sans doute la situation de l'usurpateur finira par ressembler de plus en plus à celle du propriétaire, il utilisera par son travail la chose qu'il possède, il paiera à
l'Etat les sommes exigées du propriétaire, il supportera
les charges que la loi lui impose au profit des propriétaires voisins ; en un mot, tandis que ses actes tendront
de plus en plus à l'assimiler au propriétaire, le propriétaire, de son côté, semblera oublier et abdiquer ses
droits. Néanmoins, cette apparence de légitimité ne
saurait jamais être assez forte pour annuler le droit luimême; on ne saurait concevoir que ce qui est vicieux
à l'origine se m~tamorphosât en droit par sa propre
énergie; il faut donc qu'un fait nouveau vienne régulariser la possession de mauvaise foi et lui fasse prendre
place parmi les droits.
Nous avons vu que ce qui légitime l'acquisition de la
propriété par le possesseur de bonne foi, c'est le préjurlice que lui cause le propriétaire en le laissant dans
l'ignorance de son di·oit ; ici, cette raison ne peut plus
�-
14 -
être invoquée, car le possessem de mauvaise foi est
toujours plus coupable que le propriétaire négligent. Il
faut donc chercher le fondement de la prescription dans
des raisons d'intérêt général. Or, si l'on considère
quelles sont les nécessités de l'ordre public, on se convaincra qu'il est un terme au-delà duquel il serait dangereux de demander compte aux citoyens de l'origine de
lem'. fortune et de leur condition. Vouloir remonter à la
source de tous les droits; ce serait remettre tout en
question, et sous prétexte de justice, bouleverser la
société tout entière. Ancienneté a autorité, a dit Loisel,
et par cela seul qu'une possession est demeurée paisible pendant une longue suite d'années dans les mêmes
mains, elle devra être réputée légitime. Sans doute, il
arrivera quelquefois que l'usurpation se trouvera à l'origine de cette possession, mais parce que dans quelques
applications particulières une règle générale produit des
conséquences regrettables, faut-il rejeter l'institution
elle-même?
Il ne faut pas en outre s'exagérer l'importance du
sacrifice que la loi positive demande à la loi naturelle,
car . s'il est juste de regretter que .ces deux lois ne
soient pas toujours et sur tous les points eu harmonie
parfaite, il faut cependant constater que la négligence
du propriétaire poussée jusqu'à ses extrêmes limites,
justifie pleinement la déchéance proi:ioncée contre lui.
La loi est donc parfaitement fondée à considérer ce
long silence comme un acquiescement à l'état de chose
apparent et à consacrer d'une façon définitive la situation
du possesseur. L'Etat est d'ailleurs intéressé à ce que
les droits ne restent pas trop longtemps en suspens,
et il a bien le droit d'exiger, au profit de l'intérêt
général, le sacrifice de quelques intérêts particuliers.
�-
15 -
Usucapio darnno est dominis, dit Cujas (1), bono reipublicm.
Cette vérité a toujours été profondément sentie par
l'opinion publique, et, pour ne citer qu'un exemple
récent, on trouve encore partout des traces de l'émotion
profonde que ressentirent, à l'époque de la Restam'ation,
les détenteurs des biens nationaux, et on se rappelle
qu'il ne fallut pas moins de plusieurs déclarations émanées de l'autorité législative (2) pom; calmer l'agitation
qu'avait fait naître la crainte de voir rechercher l'o rigine de la possession de ces biens.
(1) Sur la loi J, Dig . cle Usucap.
(2) Les ventes de domaines nationaux sont irrévocablement
maintenues : 6 avril 1814, art. 24; 2 mai 1814; 4 juin 1814,
Charte, al't. 9; 5 déc. 1814, art. 1"; 2i avril 1825, art. 24; 14
'
noCtt 1830, Charte, art. 8.
On a poussé le respect pour les ventes de domaines nationaux
jusqu'à décide!' que lorsq ue, pa1· erreur, un domaine patrimonial a été compris dans une vente fai.te par l'autorité administrative, une fois la vente consommée, le propriétairn est
non recevable :'t. exercer l'action en revendication contre l'adjudicataire, et n'a que l'action en indemnÙé contre le Gouvernement (li mar s 1815). Mais la survenance de la Charte constitutionnelle a paru à la Cour de cassation un motif suffisant
pour décider que le propriétaire pouvait revendiquer (arrêt 26
déc. 1825, Syrey, 26, 1, 2i0; Dall. 26, 1, 86.).
�.•. .J .
�PREMIÈRE PARTIE
DROIT ROMAIN
DE LA PROESCRIPTIO LONG! TEMPORIS
INTRODUCTION
Le mot prœsm·iptio, dont nous avons fait dans notre
langue moderne le mot prescription, avait à Rome un
sens tout différent de celui dans lequel nous l'entendons
n.ujourd'hui. Ce mot, tiré du verbe latin prœscribere, ne
signifiait pas autre chose que ce qu'on entendait par le
terme exceptio : nihil enim aliud est prœscribere, quam
eœceptionem apponere, dit Cujas, et l'on trouve au
Digeste un titre avec cette rubrique : de eœceptionibus,
prœscriptionibus, et prœjuàiciis (liv. 44, tit. 1°').
Il importe toutefois de remarquer que bien que les
mots prescription et exception soient synonimes dans le
�-
18 -
langage des jurisconsultes romains, néanmoins le mot
exception a. plus d'étendue :· _fa .:prescription est à
l'exception ce que l'espèce est au genre.
L'exception est un moyen de défense, mais un moyen
qui présente ce caractè.re particulier, que le défendeur
qui l'invoque ne s'attaque pas directement à la prétention du demandeùr pour soutenir qu'elle n'est pas
fondée; il allègue un droit indépendant, de manière à
paralyser celui que peut avoir le demandeur. Ainsi vous
intentez contre moi une condictio ce1·tià l'effet d'obtenir
la restitution de dix sous d'or que vous prétendez m'avoir
prétés; si je réponds que je ne les dois pas, parce que
je vous les ai rendus, je n,'invoque pas une exception, car
j'attaque directement votre prétention; si je reconnais
au contraire que vous me les avez prêtés, mais qu'il a
été convenu entre nous que vous ne me 1es réclameriez
pas, j'oppose alors une véritable exception.
Le caractère de la prœscriptio est certainement le
même que celui de l'exception, et lorsque une prœscriptio
se ra invoquée par le défendeur, le juge, comme en
matière d'exception, ne prononcera la condamnation que
tout autant qu'il aura reconnu : 1° que l'exceptl_on ou la
prœscriptio n'est pas justifiée; 2° que la prétention du
demandeur est elle-même fondée.
Toutefois·, ce qui caractérise la prœscriptio, et ce ·qui
m'a permis de dire qu'elle est à l'exception ce que
l'espèce est au genre, c'est que la prœscriptio est une
exception mise en tête de la formule; la question
soulevée par le défendeur est 'de telle nature·, qu'il y a
intérêt à ce que le juge commence par.T examiner.· Ainsi,
je revendique un immeuble contre une personne ·· qui
invoque la possessio longi temporis, le juge commence par
rechercher si les conditions voulues pour cette possessio
1
�-
19 -
existent réellement : si leur existence est une fois établie,
peu importe que je fusse ou non propriétaire, ma
demande sera repoussée .
. « Prœscribere est ante scribere, '' voilà d'où nous est
venu le nom de .p rescription. C'est donc un accident de
procédure, cette circonstance particulière que l'exception
tirée de.la possession se trouvait inscrite en tête de la
formule qui a donné à une institution le nom qu'elle
conserve encore aujourd'hui, bien que depuis le règne de
Constantin, l'usage des formules ayant été supprimé, le·
mot prœscriptio ne correspondit plus à quelque chose de
réel.
J'ajoute d'ailleurs que sous la période de la procédure
formulaire, le mot p1·œscriptio ne s'appliquait pas seulement à l'exception fondée sur la possessio longi temporis,
mais qu'on appelait ainsi d'une façon générale toutes
les exceptions qui soulevaient des questions d'une nature
telle, qu'il fallait les examiner avant la demande ellemême : ainsi l'exception tirée de la chose jugée .
Quintilien a parfaitement indiqué le caractère général
des prescriptiones quand il a dit : « cùm ex prœscriptione
lis pendet, de ipsa re qiiœri non est necesse. »
Après avoir ainsi indiqué quel était le sens clans lequel
ces mots prœscriptio lqngi temporis furent primitivement
entendus, . et avoir montré que cette prœscriptio fut
originairement une espèce d'exception au moyen de
laquelle l'homme qui depuis longtemps possédait une
chose, pouvait repousser ceux qui l'actionnaient en
restitution, il me restera à faire voir comment, ce qui
n'était primitivement qu'une exception, finit par devenir
un véritable mode d'acquisition de la propriété et à
déterminer quelles furent les conditions requises pour ce
mode d'acquérir.
�-
20 -
Ces conditions, je dois le dil'e dès maintenant, sont,
sauf une différence relative à la durée de la possession,
absolument les mêmes qu'en matière d'usucapion. C'est
ainsi que les règles sur la juste cause, la bonne foi, sur
le mode de calculer le délai et sur l'açcessio temporis,
comme aussi sur les obstacles qui rendent la possession
inutile, se retrouvent dans la théorie de l'usucapion et
dans celle de la prœscriptio longi temporis.
Toutefois, ce serait une erreur de croire que ces deux
institutions soient absolument identiques; dans de telles
conditions, la prœscriptio, qui est moins ancienne que
l'usucapion, n'aurait certainement pas pris naissance ;
mais outre que la prœscriptio fut créée pour répondre à
des · besoins nouveaux auxquels ne pouvait satisfaire
l'usucapion, nous verrons, au point de vue de leurs
effets, des différences fondamentales entre ces deux
institutions.
Ce qui caractérise les législations anciennes et
notamment la législation romaine, c'est que les créations
et les transformations juridiques ne s'opèrent pas chez
elles par voie législative ; aujourd'hui, lorsqu'une institution a vieilli et ne correspond plus à l'état de chose
actuel, lorsque des besoins nouveaux se font sentir, il
existe des assemblées législatives qui viennent supprimer
ou corriger l'institution ancienne et élaborer des lois
plus conformes aux nécessités du moment.
A Rome il n'en était pas ainsi ; presque toujours à
côté du droit civil, c'est-à-dire d'un droit très ancien,
mo1·es majorum, formulé pour la première fois par les
Décemvirs dans la loi de XII Tables, se trouve un droit
de formation plus récente appelé droit Prétorien. Ce
droit, suivant l'expression de Papinien, complète, corrige
�-
21 -
ou supplée le droit civil propter utililatern publiccvm, ; ce
n'est pas que les dispositions de l'Edit de Préteur soient
arbitraires; quand le Préteur s'écarte du droit civil, c'est
toujours parce que celui-ci ne convient plus aux mœurs
nouvelles, parce qu'il ne donne plus satisfaction à des
situations inconnues autrefois et fréquentes aujourd'hui :
le jus gentiurn et la coutume lui fournissent le plus
souvent les règles qu'il consacre dans son Edit.
Cette action du Préteur sur le droit civil, que l'on
trouve à chaque pas dans l'histoire du droit romain,
nous la trouvons encore en matière d'usucapion.
Lorsque pour des raisons que nous aurons à exposer
plus loin, l'usucapion fut devenue insuffisante, le Préteur,
fidèle à son .rôle, intervint et créa cette prescription dl
dix et vingt ans, qui dans le principe apparaît comme
secondaire et se pose en présence de l'usucapion, pour
reproduire l'antagonisme que nous trouvons partout
chez les Romains entre le droit civil et un droit moins
sévère et plus humain.
Dans cette étude, à laquelle nous allons nous livrer sur
la prœscriptio longi ternporis considérée ·comme moyen
d'acquérir la propriété, nous distinguerons deux sortes
de conditions : les unes relatives à la personne qui
invoquait cette prœscriptio, les autres relatives à la
chose même qu'il s'agissait d'acquérir par ce mode.
Sous le premier rapport, nous verrons que pour que
la prœscriptio pût être invoquée il fallait une juste cause
à la possession, la bonne foi dans le possesseur et la
possession continuée pendant le laps de temps déterminé par la loi.
Sous le second rapport, il fallait que la chose fût
dans le commerce, qu'elle n'eût été ni volée, ni prise
2
�-
22 -
ou usurp ée par violence, et, de plus, qu'elle fût susceptible de possession.
Après avoir ainsi étudié dans les deux premiers
chapitres ces deux ordres de conditions, nous examinerons dans un troisième chap itre quels étaient les effets
de la prœscriptio, et quelles furent les innovations de
Justinien.
CHAPITRE IEI\
Des conditions relatives à la personne
Pendant très longtemps, à Rome, les modes d'acquérir la propriété furent distingués en modes du droit
civil et en modes du droit des gens . Cette distinction
entre le droit civil, c'est-à-dire un droit exclusivement
réservé aux membres d'une nation, et le droit des gens,
c'est-à-dire un droit dont l'exercice appartient à toute
personne sans distinction de nationalité, se trouve, au
début de toutes les civilisations, marquée d'une façon
très nette, et le peuple romain, plus encore peut-être
que tous les autres peuples, en est un exemple frappant.
De nos jours, cette distinction subsiste encore sans
doute, car il faut qu'une nation reste maîtresse chez
elle, et qu'il es t certains droits d'une nature telle qu'on
ne saurait en conférer l'exercice à des étrangers sans
�-
23 -
compromettre la sécurité nationale; mais cette exclusion
qui les frappe n'e~t relative qu'à l'exercice des droits
politiques, et l'on peut dire d'une façon générale, quoique
la question soit cependant controversée, que sauf quelques
exceptions limitativement énumérées par notre Code, les
étrangers jouissent en France des mêmes droits civils
que les Français eux-mêmes. Enmême temps que la civilisation a progressé, les barrières entre les nations se sont
abaissées, les rapports internationaux sont devenus
infiniment plus considérables, et la notion du droit des
gens étant une notion essentiellement élastique et se
prêtant à des interprétations variables, a été successivement étendue par la Cour de cassation et s'applique
aujourd'hui dans des cas de plus en plus nombreux: c'est
ainsi que les alliances entre Français et étrangers devenant de plus en plus fréquentes, la tutelle a été confiée au plus proche parent français ou étranger, et est
ainsi devenue du droit des gens, après avoir été longtemps considérée comme un rwunus publicum exclusivement réservé aux membres de la nation.
Autrefois, au contraire, la société fut organisée d'une
manière toute différente, et la séparation était marquée
d'une façon profonde entre le droit civil et le droit des
gens. Cette séparation ainsi établie entre les membres
des nations différentes avait d'ailleurs sa raison d'être
et s'explique d'une façon toute naturelle si l'on considère
quelle fut à l'origine la nature des relations internationales.
Dès le début, la préoccupation unique des peuples, et
notamment du peuple romain, fut de se maintenir en pos-'
session de ce qu'ils · avai:ent acquis par la conquête et
d'étendre même leur domination sur les peuplades voisines. La caste principale, sinon la caste ùnique, était
�-
24-
celle des guerriers ; la richesse consistait dans le butin
enlevé à l'ennemi, et les membres de la nation vaincue
se livraient seuls à l'agriculture pour le compte des
vainqueurs. Au milieu d'un état social semblable, les
relations civiles devaient être fort restreintes, et le commerce, s'il existait, devait occuper une place très petite
et ne s'exercer qu'entre les membres d'une même nation.
Quant îaux hommes de nationalité différente, ils ne se
rencontraient que les armes à la main et sur les champs
de bataille. Les hommes étant ainsi dans un état de
guerre à peu près permanent, et les relations de nation
à nation étant pour ainsi dire nulles, on conçoit que les
peuples se soient habitués à considérer leurs institutions
comme exclusivement propres à leurs membres et que
les étrangers n'aient pas été admis à en invoquer le ·
bénéfice. Ces idées pénétrèrent profondément dans les
institutions du peuple romain, et, dès le début, l'usucapion fut considérée comme un mode d'acquérir exclusivement propre aux citoyens ; les étrangers furent
exclus de ce droit par un article formel de la loi des
XII Tables : adversùs hostern (1) œterna auctoritas (2) esta.
(1) Ce terme, hostem, ne doit pas s'entendre d'un ennemi,
mais seulement d'un étranger; c'est ce que nous dit Cic6ron,
lib. I, de Ojfi.ciis : Hosti.s apucl majorns nostros, is dicebatur
quem nunc PEREGRINUM clicùnus : indicant XII Tabulœ ..... aclve1·sus hosten œterna auctoritas esta. Le terme qui signifiait
ennemi était celui de perduellis, comme l'observe Gaïus sur la
loi des XII Tables : quos nos hastes appellamus, eos veteres
PERDUELLES appellabant, per eam adjectionem inclicantes cwn
quibus bellum esset, 1. 234 de verb. signif.
(2) Auctoritas est pris lu pour le droit de revendiquer la
chose.
�-
25 -
,/)'\insi l'usucapion étant une institution du droit civil,
quel que fût le laps de temps pendant lequel un étranger
eût possédé. une chose, il ne pouvait en acquérir le domaine, et le propriétaire était toujours recevable à la
revendiquer contre lui en justifiant de son droit de propriété. Dès l'origine, cet état de chose était, ainsi que
je l'ai montré, parfaitement normal et ne présentait
aucun inconvénient à une époque où le territoire romain
était excessivement restreint et où Rome, en guerre
avec presque toutes les nations voisines, ne contenait
dans ses murs que des citoyens romains.
Mais il devait arriver bientôt que les Romains euxmêmes sentiraient les vices de cette organisation et
comprend_raient qu'en excluant ainsi systématiquement les étrangers des bénéfices de leur droit civil,
ils apportaient à l'agrandissement et au développement
de leur cité un obstacle considérable. Lorsque Rome,
par la force des armes, eut rendu tributaires la plupart
des nations voisines ; lorsque, par des traités d'alliance,
elle se fut liée avec les autres, il arriva bientô.t que les
Romains ne furent plus les seuls à habiter la cité et à
posséder son territoire. Les étrangers entrés à Rome
non pais comme des prisonniers et des vaincus, mais
attirés par l'hospitalité qui leur était offerte, ne tardèrent pas à y acquérir des richesses et à devenir pos·
sesseurs à leur tour. On comprend sans doute que Rome
ait refusé longtemps de cesser de les considérer comme
des étrangers et de leur accorder d'une façon générale
les mêmes droits qu'aux citoyens romains; mais il fallait
pourtant, et sous peine de leur rendre le séjour de Rome
impossible, leur accorder dans une certaine mesure
l'exercice de certains droits civils.
Dès ce moment, on aurait pu sans doute déclarer que
t .
�..
- 26 l'usucapion cessait d'être considérée comme un mode
d'acquérir exclusivement réservé aux citoyens romains,
et que les étrangers, les pérégrins, pourraient désormais
l'invoquer. Mais, ainsi que je l'indiquais plus haut, cette
façon de procéder n'était pas dans les habitudes romaines, les innovations n'étaient point faites par voie
législative, et lorsque un besoin nouveau se faisait
sentir, c'était à la coutume, aidée le plus souvent pa1·
le Préteur, qu'était réservé le soin de modifier le droit
civil ou d'en combler les lacunes. L'usucapion fut donc
maintenue avec son caractère primitif, c'est-à-dire qu'elle
resta un mode d'acquérir exclusivement réservé aux
citoyens romains; mais on vit naître à côté d'elle la
longi ternporis prœscriptio.
On ne peut indiquer d'une façon précise l'époque
exacte de la: naissance' de cette institution. On sait
pourtant qu'elle remonte à des temps fort reculés, et
l'on peut conjecturer que ce fut à partir du moment où
les relations de Rome avec les peuples voisins devenant
plus pacifiques, et le nombre des étrangers grossissant
de plus en plus, on sentit le pesoin d'une institution nouvelle qui, à l'exemple de l'usucapion, mais d'une façon
plus générale, protégeât les possesseurs de bonne foi .
Conformément à l'esprit ordinaire des 'créations du
Préteur, la longi temporis prœscriptio ne supprima ni ne
restreignit en rien l'utilité de l'usucapion; mais tandis
que les citoyens romains demeurèrent les seuls qui pussent invoquer cette dernière, les pérégrins trouvèrent
désormais dans la première. un moyen d'acquérir parfaitement analogue.
Cette nécessité de donner ·aux pérégrins un moyen
d'acquérir la propriété par la possession, fut sans doute
un ma.tif déterminant pour la création de la longi tem-
�-
27 paris p1·œscriptio, m.ais ce ne fut pas le seul. Si les
ci~oyens romains pouvaient seuls invoquer l'usucapion,
ils ne le pouvaient pas toujours, car ce moyen était inapplicable aux fonds provinciaux non investis du jus italicum. Item provincialia prœdia usucapionem non recipiunt
(Gaîus II, § 46). Par conséquent, les citoyens romains
eux-mêmes, lorsqu'ils avaient acquis un fonds de cette
nature a non proprietario, restaient sous une menace
permanente d'éviction. C'est donc un deuxième rapport
sous lequel l'usucapion était devenue insuffisante et que
nous traiterons dans le chapitre II, quand nous nous
occuperons des conditions relatives à la chose possédée.
Après avoir ainsi montré à la suite de quelles transformations sociales l'usucapion était devenue un moyen
d'acquisition insuffisant et incomplet, et comment la
longi temporis prœscriptio vint ~onner satisfaction à des
besoins nouveaux, il nous reste à étudier maintenant
quelles sont les conditions qui doivent se trouver réunies dans la person_ne de celui qui invoque ce mode d'acquérir la propriété. Ces conditions, ainsi que nous
l'avons indiqué déjà, sont ~u nombre de trois : il .faut
que le possesseur ait une juste cause de posséder, qu'il
soit de bonne foi, qu~ sa possession ait duré pendant
tout le laps de temps déterminé par la loi; nous allons
examiner la première.
�-
28 -
SECTION PREMIÈRE
De fa juste cause
La possession de celui qui invoque la prescription de
longtemps doit avoir, disons-nous, une juste cause. II
importe de se faire une idée très exacte de ce que les
jurisconsultes romains ont entendu par ces mots juste
cause en matière d'usucapion et de prescription de longtemps, et de ne pas confondre cette juste cause avec
celle qu'on retrouve dans la théorie de la tradition.
Parmi les modes d'acquérir la propriété à titre particulier, la tradition fut classée par les jurisconsultes
romains dans la catégorie des modes du droit des gens,
c'est-à-dire que l'usage n'en était pas restreint aux
citoyensromains (Gaïus II,§§ 65 et 66). En sa qualité de
mode du droit des gens, la tradition dut nécessairementapparaître avant les modes du droit civil, et il est à
remarquer qu'elle leur survécut néanmoins; dès l'époque de Justinien, en effet, les 1·es mancipi disparaissant,
la mancipation n'avait plus de raison d'être, et l'in jure
cessio, depuis longtemps inutile à l'égard des 1·es corporales, le devint aussi à l'égard des res incorporales
lorsqu'on admit pour ces dernières la possibilité d'une
quasi tradition.
Indépendamment des conditions relatives à la 1·es
tradita, pour que la tradition fût translative de propriété
on exigeait qu'il y eût remise effective du co1pus, c'est-
�-
29 -
à-dire de l'élément corporel de la possession; il fallait
en outre à cette tradition une justa causa; c'est cette
dernière condition qu'il nous importe surtout d'étudier.
En matière de tradition, la juste cause consiste dans
l'intention chez .le tra!J§ns detran~férer la propriété de
la 1·es tradita, et chez l'accipiens dans l'.intention de l'acquérir. C'est donc l'ac,Q.Qrd ré"..,iproque de deux volontés,
tendant, l'une à aliéner la chose et l'autre à l'acquérir,
qui. constitue la juste cause. Sans doute le plus souvent
cet accord de volonté sera la conséguence d'un acte
antérieur, acte obligato ire, tel que le legs per darnnatfoneni, vente ou _stipulation; ou acte dépourvu par luimême de toute force obligatoire, tel que échange, donation; roais dans aucun cas ce fait indép~ndant ne doit
êtJ:.f;l confondu avec la justa causa de l ~ tradifil.Ql!.. Il
suffira donc, pour que la tradi_tion produise son effet 01;dinaire, c'est-à-dire la translapion de propr!_été, que la
volonté récip~oque des deux parties existe i;iu m..Pment
de...laremis.e de a__c,liru;e.
Si maintenant nous nous reportons à la théorie de la
prescription de long temps, nous voyons que l'idée de la
juste cause est toute différente en cette matière. Ici, en
effet, la ·uste caus..eJle c.onsj,<St.e_plus_dans.J.e_c.o.nc.ours_d~
Çleux volouié_s, tendant l'une à aliéner et l'aajr~à acquétl!:, mais dans le fait lJJi-même antérieur...à.Ja tradition et
indépenda.ru d'illle, qui dénot_Et c.hez les parties cette in~on d'aliéner d'une part et cl'._acqQérir de l'autre. Ce
fait, ainsi que nous l'indiquions tout à l'heure, peut être
générateur d'oQJ.ig_g,t' JJ., tel qu'une vente, une stipulation,
et dans ce cas l~ tradition n'est qu'un moyen d'exécuter
une obligation antérieure, ou bien ~mut être un fait
~ll.Q.1!IVU lui-même de t out caractère obligatoire, tel
qu'un échange ou une donation, et la tradition dans ce
�-
30 -
cas vient lui donner sa force et le rendre exécutoire.
On peut donc dire d'une façon générale, et bien que
pourtant cette règle souffre quelques exceptions (1),
qu'en matière de possession la juste caus~oon:;?iste <t!:gs
un fuit ailtérieur à ln. tradition, qµi dé11ote cliez les_ ar·
ties l'intention r~ciproque d'aliéner et d'acquérir; dans
un fait d'une nature telle, que la tradition qui en est
la conséquence eût transféré la propriété si l'acte eût
émané du véritable propriétaire, nous écartons le cas
où, la chose étant une res mqg.icipi, l'obstacle au trans·
fert de la propriété vient de ce que les modes solennels
n'ont pas été employés .
On voit donc que la juste cause en matière de tradition, et la juste cause en matière d'usucapion, sont
choses parfaitement distinctes ; la différence apparaît
encore plus nette dans les applications qu'on peut faire
de ces principes, et c'est ce que nous allons montrer par
un exemple .
Soit une tradition faite par une personne qui se croit
débitrice d'une chose en vertu d'un legs ou d'une stipulation, bien qu'en réalité il n'existe ni legs ni stipulation;
si toutes les conditions requises en matière de tradition
se trouvent d'ailleurs réunies, cette tradition sera parfaite, c'est-à-dire qu'elle sera translative de propriété,
sans qu'on puisse alléguer que la justa causa fait défaut.
Sans dôute la chose n'aurait pas été livrée si le tradens
(1) Ainsi, celui qui s'empare d'une res derelicta commence
certainement a usucaper, bien qu'on ne puisse trouver de juste
cause en dehors de cette ' tradition incertœ personœ que les
Romains reconnaissaient dans la de1·elictio (L. 4, P1·0 derelicto,
liVl'e XLI, tit. 7.)
�-
31 -
avait eu connaissance de l'absence de legs ou de stipu·
lation, mais cette erreur n'infirme en rien l'existence
de cette juste cause, elle l'explique au contraire, car
elle indique d'une part que le tradens a voulu transférer la
propriété de la chose dont il se croyait faussement débi·
teur, et d'autre part que l'accipiens a entendu l'acquérir,
ce qui constitue précisément la justa causa; il n'y a pas
à se préoccuper de savoir si l'accipiens a su ou non que
la chose ne lui était pas due.
Supposons maintenant que la même personne qui se
croit faussement débitrice en vertu d'un legs ou d'une
stipulation, livre une res aliena. L'accipiens qui la prend
sachant que la chose ne lui est pas due·, ne commence
pas à prescrire, car sa possession manque d'une juste
cause : sa possession manque de juste cause, et en effet,
la juste cause en matière d'usucapion est un fait anté·
rieur à la tradition, et qui explique cette tradition, tel
que testament ou stipulation disions-nous; or, dans notre
hypothèse, ce testament, cette stipulation, n'existent que
dans l'imagination du tmclens; la possession de l'accipiens
est donc dépourvue de juste cause, et il ne peut par
conséquent pas prescrire.
Il résulte de ce que nous venons de dire, qu'une tradition faite par le propriétaire de la chose livrée, alors
même que cette chose n'était pas due, est translative
de propriété, tandis que dans la même hypothèse, la
tradition d'une res aliena ne met pas l'accipiens in causa
ucapiendi; en d'autres termes, on devient plus facile·
ment propriétaire de la chose livrée a domino, qu'on
n'usucape celle livrée a non domino. Quant à la raison
de cette différence, elle est facile à donner : si le propriétaire d'une chose est dans l'erreur et la livre parc'e
qu'il s'en croit faussement le débiteur, la faute en est
�-
32 -
à lui, et la tradition n'en produit pas moins son effet
ordinaire; la loi, d'ailleurs, ne l'abandonne pas et lui
donne une action personnelle à l'effet de contraindre
l'accipiens à lui retransférer la propriété de la chose
indûment livrée, c'est la condictio indebiti (D. liv. xn,
tit. 6); si, au contraire, l'erreur est commise par un autre
que le propriétaire de la chose livrée, il serait injuste
que celui-ci pût se trouver ainsi dépouillé sans son fait.
Dans l'hypothèse que nous faisions précédemment relativement à la chose livrée à non domino, nous avons
supposé que l'accip iens savait que la chose ainsi livrée
ne lui était pas due, et la y'usta causa faisant ainsi défaut,
nous avons conclu que l'usucapion ou la prescription de
long temps n'était pas possible. Il reste à nous demander
maintenant si la solution devait être la même dans le
cas où l'accip'iens aurait cru que la chose livrée
lui était due; ainsi l' accipiens croyait à une vente qui n'a
jamais eu lieu, à un legs qui n'a jamais été fait. La
même question peut se poser encore lorsque, par suite
d'une erreur de fait, l'accipiens croit à la validité d'un
titre qui existe en fait, mais qui est nul' en droit : ainsi,
une dot lui a été constituée, mais le mariage est nul et
avec lui la constitution de dot. Dans ces deux hypothèses'
la tradition faite en vertu de ce titre inexistant, ou nul,
permet-elle d'usucaper ? En d'autres termes, le titre
putatif peut-il remplacer le titre réel-?
En principe, il faut répondre négativement ; la y'usta
causa est une condition essentielle à l'usucapion comme
à la prœscriptio longi temporis; c'est d'ailleurs ce que dit
Justinien dans ses Institutes d'une façon très explicite :
Error falsœ causœ usucapione1n non parit ; veluti si quis
cùm non eriwrit, emisse se existimans, possiclcat; vel cwni
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33 -
si ctonaturn non fuerù, quasi ex donationè, possideat (1).
Si des Institutes on passe au Digeste, on trouve au
contraire que la solution de cette question a paru plus
douteuse à l'esp rit des juriconsultes romains, et l'on voit
notamment Hermogénien attester l'existence de longues
controverses : Pro legato urncapit, cui rectè legatum relictum est. Sed et si non jure legatum, rel-inquatii·r, ·vel legatuni
adeptum sit, pro legato itsuwpi, post niagnas varietates
obtinu'it (2). Cette affirmation d'Hermogénien est parfaitement exacte, aussi voit:-on que tandis que certains
jurisconsultes placent le titre apparent sur la même
ligne que le titre réel, d'autres, au contraire, déclarent
que le titre réel peut seul servir de fondement à l'usucapion.
Parmi ceux qui repoussent le plus énergiquement le
titre putatif, nous nous bornerons à citer Ulpien, qui ne
fait d'ailleurs, ainsi qu'il l'indique lui-même, qu'adopter
l'opinion de Celsus : << Celsus libro tricessimo quarto errare
esos ait, qui existimarent, cujus rei quique bonâ (ide adeptu,s
sit possessionnem, pro sua usucapere non passe, nihilque
referre, emerit necque, donMiim sit nec ne, si modo emtum
vel donatum sibi existimaverit, quia neque pro legato,
neque pro donato, ncque pro dote usucapio valeat, si nulla
clonatio, nulla dos, nullum legatum sit. Idem et in litis
œstimatione placet, eut nisi vere quis litis œstimationem
subierit usucapere non possit (3). »
La question fut donc longtemps controversée, ce que
ne ferait pas supposer la lecture des Institutes; toutefois
il en fut de cette controverse ce qu'il en avait été déjà
(1) § 11 de usucup.
(2) L. 9, D. Pro legato, livre XLI, titre 8.
(1) L. 27, D., de usurp. et usuc. livre XLI tit. 3
�-
34 -
de bien d'autres, c'est-à-dire que ni l'une ni l'autre des
deux opinions extrêmes ne triompha absolument; il se
forma une doctrine intermédiaire que nous trouvons
nettement formulée dans deux textes, l'un d'Africain et
l'autre de N ératius; d'après cette doctrine, la nécessité
du titre réel était posée comme règle générale, mais à
ce principe on apporte une restriction considérable :
dans tous les cas où le possesseur est tombé dans une
erreur plausible, dans tous les cas où les circonstances
étaient telles, que même un homme raisonnable et
attentif y · aurait été trompé, le titre putatif équivaudra
à une justa C(J!Usa réellement existante.
Voici, en effet, ce que dit Africain : (( Quod vulgo
traditum est, eum qui existiniet se quid emisse, nec
emerit, non passe pro emptore usucapere, hactenits verum
esse ait, si : nulla;rn justam ca·usam ejus erroris empto1·
habeat ; nam si forte servw vel procurator, cui emendam
rem mandasset, persuaserit ei, se emisse, atque ita
tmdiderit, magis esse, ut 'iMucapio sequatur (1). »
Né~atius est non moins explicite : Secl id, quod quis,
qwum swum esse existimaret, possiderit, usucapiet, etiamsi
falsa fuerit ejus existimatio. Quod tamen ita interpretandum est, ut prnbabilis error possidentis usucapioni
non obstet, veluti .... etc ... (2) .
Cette opinion, d'ailleurs parfaitement conforme à la
saine logique et à l'équité, finit par prévaloir d'une façon
définitive dans l'esprit des jurisconsultes de l'~poque
classique. (( Je crois volontiers, clit M. Accarias, que cette
circonstance d'une erreur plausible doit être réputée
(1) L. 4, D., Dejuris et Jacti ignorentiu. liv. XXXII, tit. 6.
(2) L. 5, § 1 D., Pro suo. livre XLI, titre 3.
�· - 35 sous-entendue dans les textes qui admettent l'usucapion
sans juste cause, et absente dans ceux qui la repoussent; de telle sorte que la controverse aurait beauc-oup
moins porté sur le principe lui-même que sur le nombre
et l'étendue des exceptions qu'il pouvait recevoir; ce
point de vue n'a pas seulement l'avantage d'atténuer la
portée de la controverse; il est le seul acceptable si l'on
ne veut pas trouver un même jurisconsulte en contradiction avec lui-même (1). >>
Cette doctrine une fois admise, les jurisconsultes en
firent de nombreuses applications; c'est ainsi que
P1·oculus déclare que le mari usucape les valeurs apportées en dot par sa femme esclave, s'il la croyait libre au
moment où il l'a épousée : quod si vir eam pecuniam pro
sua possidenda usuceperit, silicet quia eœistimavit,
·m ulierem libemm esse, propius est, ut eœistimarem eum
lucri fecisse (2). On trouve dans Paul une décision
analogue dans le cas où quelqu'un aurait acheté d'un
pupile qu'il croyait pubère, ou d'un fou qu'il croyait sain
d'esprit. (L. 13, § 1, cle usurp. et usucap. - L. 2,
§§ 15 et 16, pro empt). Il est bon de faire remarquer que
dans les différentes hypothèses que nous venons de citer
et où le titre existe en fait, mais est nul en droit, il faut
que le possesseur ait ignoré la qualité de la personne
avec laquelle il traitait; s'il a su, par exemple, que la
femme qu'il épousait était esclave, et qu'il ait cru
néanmoins que sa possession avait une juste cause,
l'usucapion deviendra alors impossible, car nous nous
trouvons en présence non plus d'une erreur de fait, mais
(1) Tome 1", page 527.
(2) L. 67, D., De jure dotium. livre XXIII, titre 3.
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36 -
d'une erreur de droit, et c'est une règle générale que
l'erreur de droit ne peut servir de fondement à l'u ucapion : juri~ ignorentia in us1wap ione n egatur prodesse ;
facti vero ignorentia prodesse constat, dit Pomp onius (1).
Cette doc trine, que professaient Africain et Nératius,
et que nous avons vue adoptée par la plupart des
jurisconsultes de l'époque classique, était certainement
très équitable en principe, car on ne saurait rendre
quelqu'un responsable d'une erreur à laquelle il ne
pouvait se soustraire ; mais si l'on se place au point de
vue de son application, on voit qu'elle ne saurait mél'iter
les mèmes éloges et que la critique au contraiee en est
bien fac ile. Comment, en effet, déterminer les cas dans
lesquels l'erreur du possesseur devra être considérée
comme plausible et ne faisant pas obstacle à la
prescription ; dans quels cas au contraire faudra-t-il dire
que l'erreur du possesseur a été d'une nature t rop grossière et que l'existence fictiv e d'un titre qui n'a jamais
existé, ou qui était nul aux yeux de la loi, a été
impuissante à fond er la possession ? Question évidemment délicate et susceptible d'être résolue par les
jurisconsultes en sens très divers ; aussi est-ce bien là ce
qu'ils ne manquèrent pas de faire ; de là des controverses
nombreuses . Cette doctrine présentait d'ailleurs un autre
danger, c'est que, soulevant des questions de fait ·
touj ours très délicates , elle tendait à fav oriser l'esprit
de chicane. Ces inconvénients ne tardèrent pas à se
faire sentir, et la pratique en fut tellement embarrassée
que nous trouvons au code des constitutions imp éri ales
(1) L. 4, D., De ;w·is et Jactis ignorentia. livre XXXII .
titre 6.
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37 -
nombreuses, qui toutes exigent absolument le titre réel :
Nullo justo titulo possidentes ratio juris quœrere dominium
prohibet (1). Au titre de la longi ternporis prœsoriptio, une
constitution de Dioclétien et de Maximien est non
moins énergique : << Nec petentum dorninium ab eo, 'cui
petentis solus error causam possessionis sine vero titulo
prœstitit, silentii longi temporis prœscriptio 1·epelli, juris
evidentissimi est (Loi 5). >> Ainsi, tandis que dans son
Digeste, iustinien nous cite l'opinion de jurisconsultes
admettant le titre putatif avec la restriction que nous
avons indiquée, dans son Code, au contraire, nous
trouvons des constitutions exigeant le titre réel ; en face
d'une semblable contradiction, il est impossible de
savoir quelle est la doctrine qu'il a entendu définitivement consacrer.
Après avoir ainsi indiqué en quoi consiste la justa
coosa usucapionis et avoir montré que c'est un fait
antérieur à la tradition, il nous reste à examiner quels
peuvent être ces faits générateurs de lajusta causa. Ces
faits sont indiqués au Digeste dans une série de titres
séparés; nous les examinerons successivement.
j)ro jJmptore. - Possède à titre d'acheteur celui qui,
à la suite d'une vente dont il a payé le prix, ou pour le
paiement duquel il a obtenu un terme, a reçu livraison ·
de la chose vendue. Nous verrons dans la section
suivante que le titre pro emptore présente une particularité remarquable relative à la bonne foi du possesseur.
Le titre Pro emptore s'applique non seulement à celui
qui possède une chose en vertu d'un contrat de vente,
(1) L. 24, De 1·ei vindic. III, titre 32.
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38 -
mais encore à celui qui, défendeur à l'action en rQ_Yendication, paye la litis œstiniatio et garde pour lui la chose
revendiquée : litis œstimatio similis est emplioni, dit
Ulpien('l).
L'action en revendication étant une action arbitraire
comme toutes les actions réelles, le juge ordonne que la
chose soit rendue au demandeur qui a prouvé sa qualité
de propriétaire (loi 68, de rei vendic.). Mais il. peut se
faire que le défendeur refuse d'ob~ir à l'ordre du juge et
de faire la restitution ordonµée ; dans ce cas, pourra-t-il
être contraint à l'effectuer même mctnu militari? Sans
entrer dans l'examen de cette longue controverse, nous
nous bornerons à dire que, repoussant l'opinion de
M. de Savigny et l'hypothèse d'une interpolation de
Tribonien nous adoptons l'opinion d'Ulpien formulée
dans la loi 68, et croyons possible l'exécution forcée de
la condamnation. Mais si, d'après nous, le demandeur
peut employer l'exécution f'2_rcée pour lever les obstacles
de fait, sinon les obstacles de droit, nous reconnaissons
aussi que c'est pour lui non pas une néc~té, mais une
simple faculté ; aussi peut-il, s'il le préfere, laisser au
défendeur récalcitrant la chose revendiquée et fixer sous
serment le montant de la restitution; c'est ce que les
textes appellent la lit'is œstimatio et qu'ils assimilent à
ia vente : « Possessor qui lilis œstimalù:mem obtulil pro
emplore incipit possidere (2). » La position du défendeur
est en effet sensiblement analogue à celle d'un acbe~ur;
il a refusé de restituer la chose réclamée, mais il en a
payé le prix arbitré par le demandeur, et si l'on arrivait
(1) L. 3, D., Pro emptore, liv. XLI, titre 4.
(2) L. 1 D., Pro emptore, liv. XLI, tit. 4.
�-
39 -
plus tard à établir que la propriété de la chose n'a
jamais appartenu à ce dernier, le défendeur pourrait
alors invoquer la longi temporis prœscriptio.
Nous trouvons enfin au § 3 des Fragmenta foticana
une dernière application du titre pro emptore ; il s'agit
des 1·es œstirnatœ qui ont été livrées au mari à titre de
dot pendant ou avant le mariage .
jf)ro hœrede. - Pour qu'une longi temporis prœcriptio
puisse s'accomplir au titre pro hœrede, il faut nécessairement supposer que l'initiurn prœscriptionis se trouve
·dans la personne de celui qui invoque cette prescription.
La possession de l'héritier se joignant en effet à celle du
défunt, aura dans la pel'Sonne de l'héritier le même
caractère que dans la personne du déf~1t, et si ce dernier
possédait au titre pro mnptore, p1·0 don~to ou à l'un des
autres titres énumérés dans le Digeste, la prescription
s'accomplira au profit de l'héritier au titre pro emptore,
p1·0 donato, etc ... Il faut donc supposer que le défunt ne
possédait pas la chose et que l'héritier ne peut invoquer
d'autre titre que s.a qualité d'héritier. C'est l'hypothèse
dans laquelle se place Pornponius lorsqu'il dit : « Plerique
putaverwnt, si hœres sim, ei puteni rem altquam ea; hœ·
1·editale esse, quœ non sit passe me 'lhsucapere, (1). '' Il
s'agit donc d'une chose que l'héritier trouve parmi les
biens héréditaires; il la possède croyant qu'elle appartenait au défunt, alors pourtant qu'elle lui avait été
remise en dépôt, par exemple; dans une semblable hypo·
thèse, le possesseur ne peut invoquer d'autre titre que
sa qualité d'héritier ; ce titre est sans doute inexact,
(1) L. 3, D., XLI, tit. 5.
�- 40 car la chose ne se trouvait pas parmi les choses hérédi·
taires, mais l'erreur de l'héritier est plausible; en d'autres
termes, c'est une application de la doctrine d' Africain,
et de Némtius sur le titre putatif.
p1·0 J!!}onato . - Pm donato is usucapit, cui donationis
ca;usa res tradita est, dit Paul (1), et j'ajoute qu'il faut
en outre que la personne à laquelle la chose a été
ainsi livrée soit capable de recevoir à ce titre; c'est
bien là d'ailleurs ce que suppose ce jurisconsulte, car
dans le premier paragraphe de la même loi, se référant
à l'hypothèse d'une donation faite par un père de ·
famille à son fil s actuellement sous sa puissance, il
déclare qu'après le décès du père, l'usucapion n'est pas
possible. Non, sans doute, après le décès du père,
l'usucapion ne pourra pas s'accomplir au profit du fils
au titre pro donato, car il n'y a pas eu de donation,
quoniam mulla donatio fuit (2), mais il continuera à
posséder au même titre que possédait son auteur, et à
ce titre la prœscriptio longi temporis sera possible.
Dans le paragraphe 2 de la même ·loi, Paul, parlant
des donations entre époux, déclare qu' elles ne peuvent
pas servir de fondement à l'usucapion : « Si inter vfrurn
et uxorem, donatio {acta sit, cessat usucapio . » Cette
affirmation est certainement très exacte chez un jurisconsulte de l'époque classique, mais si on remonte aux
origines de la législation romaine sur cette matière, on
voit qu'elle fut réglée d'abord d'une manière différente.
Dès le début, en effet, l'usage de la rnanus étant excessi-
(1) L. 1, D., liv. XLI, tit. 6.
(2) L. 1. Eod. tit.
�- 41 vement répandu, les donations entre époux étaient très
rares, .par conséquent aussi furent-elles longtemps
permises comme ne présentant aucun danger; à cette
époque, on le voit donc, la donation entre époux pouvait
servir de fondement à l'usucapion. Plus tard, au
contraire, la manus ayant .à peu près disparu des
habitudes romaines, le danger des donations entre époux
se fit bientôt sentir, danger résultant, comme le dit
Ulpien, de la trop grande influence qu'un époux pourrait
exercer sur l'autre pour le déterminer à se dépouiller
à son profit; les donations entre époux furent donc
prohibées.
Toutefois, comme il était certains cas particuliers
dans lesquels le motif qui avait fait interdire les dona·
tions entre époux n'existait pas, ces cas furent exceptés;
c'étaient, rar exemple, les donations qui n'appauvriraient
pas le donateur; celles que la femme ferait au mari
honoris causâ; celles qui auraient pour objet un terrain
destiné à servir de sépulture; celles qui auraient pour
objet une res aliena, et que l'époux donateui:' ne pouvait
pas usucaper. En dehors de ces cas exceptionnels et .de
quelques autres d'une nature analogue, la donation
était dénuée de tout effet et ne pouvait servir de base
à la prœsci·iptio longi temporis.
Plus tard, sous le règne de Septime Sévère, une loi
rendue sur la proposition d'Antonin Caracalla, et
appelée pour cela par les textes Oratio Antonini, vint
déclarer que la donation entre époux, quoique nulle de
plein droit, devrait être considérée· comme tacitement
confirmée, par cela seul que le donateur ne manifesterait
pas de volonté contraire jusqu'à sa mort, le mariage
durant encore à cette époque; les donations entre époux
furent donc révocables. Ait oratio : fas esse, eum
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�42 -
quidem, qui donavit, pœnite1·c ; herœdcm ve?·o eripe1·e
f orsitan adversus valontatem supremam ejus qui donaverit, du1·um et avarum esse (1).
Parmi les cas exceptionnels que nous citions tout
à l'heure, et dans lesquels la donation entre époux peut
servir de juste cause à une acquisition, nous avons
mentionné la donation d'une ?'es az.iena que l'époux
donateur ne pouvait pas usucaper. Si l'on se rappelle
que la prescription de long temps ne peut s'accomplir
qu'autant que le possesseur est. de bonne foi, c'est-àdire croit le t1·adens son conjoint propriétaire, on peut
nous objecter que pa1· cela même il doit tenir la
donation pour nulle, sinon il commet une erreur de
droit, erreur qui fait obstacle à la prescription de
long temps. (( La ré1)onse est fo rt simple, dit M. Acca1·ias (2) ; :on erreur ne supprime pas les éléments de fait
qui rendent la donation valable, et c'est le cas de dire :
. plus est in re quam in existimatione mentis. lL. 954,
de Jiir. el faict ignor. XXII, 6).
Enfin, nous terminerons en faisant observer que
J:-Iérmogénien, faisant ici l'application de ce principe qui
consi ·te à déterminer la nature d'une opération, non pas
par le nom que lui ont donné les parties, mais par le but
qu'elles se proposaient d'atteindre, déclare dans la
loi VI que, dans l'hypothèse d'une donation faite sous
forme de vente, le possesseur commencerait une
possession fondée non pas sur le titre pro ernptore, mais
pro donato : donationis caiisa {acta venditione, non pro
emptore, sed pro donato ?'es tradita umcapitu1· (3).
(1) L. 32, D., § 2. XXXIV, t it. 1.
(2) Tome 1", page 728, not. 1.
(3) L. 6. D., Pro donato, L. XLI, tit. 6.
�-
4.3 -
f)ro Jlerelicto. - Celui qui, trouvant une chose
abandonnée par son propriétaire, s'en empare, en
acquiert lui-même la propriété; mais de quelle manière
cette acquisition se réalise-t-elle ? Est-ce par tradition
ou par occupation? D'après M. Acca1·ias, se serait
toujours par tradition. Ce fut, dit-il, la doctrine unanime
des jurisconsultes romains, et s'ils se divisèrent, ce fut
seulement sur la question secondaire de savoir à quel
moment précis le de1·elinquens perdait la propriété.
Tandis que les Sabiniens, suivis en cela par Justinien,
la lui déniaient immédiatement, les Proculiens voulaient
qu'il perdit seulement la possession et retint la propriété
jusqu'à ce que la chose eut été occupée par un tiers.
Que les Proc·uliens aient rattaché à la tradition
l'acquisition d'une chose abandonnée, c'est une consé·
quence logique de leur système; mais que les Sabiniens,
et après eux Justinien, aient admis la même conséquence,
nous ne le croyons pas. La raison que M. Accarias
invoque à l'appui de son système est double : « Pomponius, dit-il, qui appartenait cependant à l'école
Sabinienne, assimile une res derelieta à l'œs jeté dans la
foule, •et nous savons que le peuple n'acquiert ce œs
que par la tradition. Je remarque de plus, ajoute-t-il,
que les choses nnllius, celles qu'on occupe, sont l'objet
d'une possession pro sua, tandis que les choses abandonnées font l'obj et d'un titre de possession spécial.
(Pro derelicto, X L.d, 7).
>l
•
Sans doute Pomponius compare les choses abandonnées à l'argent qu'on jette dans la foule, et que celle-ci
acquiert par la tradition; id quod quis pro derelicto
habue1·it, continuo meurn fit : sicuti cùm œs spm·serit;
mais il ajoute : ant aves a;rniserit (1); et nous savons
(1) L. 5, D.,
P1·0
derelicto, XLI, 7.
�-
44 -
que les oiseaux rendus à la liberté sont acquis par
occupation par celui qui s'en empare de nouveau. On
ne peut donc rien conclure du texte de Pomponius, et
nous ferons observer que si l'une des deux comparaisons
est exacte, c'est assurément la seconde. Lorsque en effet
je jette de l'argent dans la foule, j'ai l'intention évidente
de faire une libéralité; à qui sera-t-elle faite? peu m'importe; lorsque au contraire j'abandonne une chose qui
n'offre plus pour moi aucune utilité, j'ai certainement
l'intention d'abdiquer ma propriété, mais rien ne fait
·supposer que je veuille la transférer à quelqu'un; de
même lorsque j'ouvre sa cage à un oiseau.
Quant à la deuxième raison, tirée de ce que les choses
abandonnées font l'objet d'un titre spécial, tandis_que
les res nullius sont rangées sous le titre pro suo, nous
répondons que ces dernières n'étant pas susceptibles de
prescription, les compilateurs du Digeste n'ont pas cru
devoir leur consacrer un chapitre spécial au titre de la
prescription, et que la possession pro sito n'est pas
d'ailleurs particulière aux res nullius. Quelle que soit
.d'ailleurs l'opinion que l'on suive, si l'on suppose que la
chose a été abandonnée, le tiers qui s'en emparera
n'acquerra pas immédiatement la propriété, mais commencera une possession fondée sur le titre pro derelicto
qui pourra le mener à la prescription : Id, quod pro
derelicto habitiim est, et haberi piitamus, usucapere
• possumus (1).
§Jro legato. - Pour que la prescription puisse s'accomplir au titre pro legato, il faut nécessairement que
celui qui l'invoque ait la /'actio testamenti avec le dé(1) L. 4. D., Pro de1'elicto, XLI, 9.
�-
45 -
funt, car c'est du testament, dit Javolenus que la posses·
sion tient son origine et sa force : quia ea possessio ex
ju1·e testamenti proficiscitur (1). .
C'est dans le titre VII.I du Digeste, pro legato, que
nous avons pris les principaux arguments pour établir
l'existence de la controverse relative à l'efficacité du
titre putatif: ce même titre nous fournit encore de nouveaux exemples dans lesquels nous voyons l'erreur de
fait paraître suffisante aux jurisconsultes pour conduire
à la prescription; les cas principaux dans lesquels la
prescription peut se fonder sur ce titre sont énumérés
par Paul (2) ' : lorsque la chose léguée n'appartenait pas
au testateur; lorsque le legs a été révoqué par un co·
dicille à l'insu du légataire; lorsque une personne portant
le même nom que le légataire s'est crue désignée par le
testateur et s'est mise en possession de la chose léguée
à son homonyme. De même encore Pomponius nous in·
dique que la prescription serait possible au titre p1·0
legato, quoique la chose livrée à titre de legs fit partie
du patrimoine d'une personne encore vivante, si d'ailleurs le légataire a cru le testateur déjà mort; le mème
juri~consulte déqlare au contraire qu'on ne peut possé·
der utilement pro hœrede le bien d'une personne
vivante (3).
pro dote. - Nous avons vu plus haut, en examinant
le titre pro empt01·e, que lorsque les objets que la fem·
me s'est constituée en dot ont été livrés au mari après
estimation, celui-ci commence une possession fondée
(1) L. 7, D., Pro leg. XL, 8.
(2) L. 4, eod tit.
(3) L. 1, D., Pro hœrede, XLI,5.
-- - -- --
�-
46-
sur le titre pro emptore, et non pas pro dote; c'est une
applica tion de ce principe bien connu, que l'estimation
vaut vente. Si nous supposons au contraire que la dot
de la femme a été livrée au m~ri sans estimation, cùm
res dotales sunt, dit le § 111 des Fragmenta vaticana, et
que d'ailleurs ces objets ainsi constitués en dot n'ap·
partiennent pas à la femme, le mari commence une
possession fondée sur le titre p1·0 dote, qui le mènera
à l'acquisition de ces objets. Le jurisconsulte Ulpien (1),
après avoir constaté que rien n'est plus équitable que
cette acquisition ainsi réalisée, déclare qu'il importe peu
que la dot ait été constituée à titre partfoulier ou à
titre universel.
Ce même jurisconsulte, supposant ensuite que pour
une raison quelconque, le mariage n'a pas lieu immé·
diatement après la tradition de la dot, se demande si
la possession du mari, fondée sur le titre p1·0 dote, commence dès le jour de la tradition, ou seulement à partir
de la célébration du mariage ? Voici dans quel sens la
question aurait été résolue par le jurisconsulte Julien:
si la femme a livré sa dot àsonfutur mari sousla réserve
expresse qu'il n'en deviendrait propriétaire que du jour
du mariage, le mari ne commencera à usucaper qu'à
dater de ce jour, si les choses livrées en dot n'appartenaient pas à la femme; si au contraire la femme n'a fait
aucune réserve expres e au moment de la tradition, il
faudra supposer qu'elle a entendu que son futur mari
deviendrait propriétaire dès l'instant de la tradition, et
c'est par conséquent à partir de ce moment qu'il prescrira si les choses livrées n'appartenaient pas à la fem-
(1) L. 1, D., Pl'o clot, XLI, 9.
�_ /17 -
me. Sans doute sa possession ne sera pas fond ée sur le
titre p1·0 dote, car il ne saurait être ques tion de dot
tant qu'il n'y a pas de mariagE1 ; mais elle sera fondée
sur le titre pro siio jusqu' au jour du mariage , et se
transformera en possession p1·0 dote à partir de ce moment.
lfJro lfuo. - L e titre p1·0 suo , no~s dit Ulpien (1), présente ce caractère p~rticulier qu'on le teouve dans toute
possession en vertu de laquelle nous acquérons la
propriété . Ainsi, dit-il , lorsqu'une chose nous a été livrée
à la suite çl'une vente ou d'un legs, notre possession es t
sans doute fond ée sur le titre pro ernptore. ou p1·0 le,qato,
mais aussi sur le titre pro sua. Il convient néanmoins
de remarquer que ce titre pro sua s'applique plus
spÙ ialement à une possession dérivant d'une cause qui ·
n'est pas munie d'un nom techriique. Nous venons de
voir tout à l'heure que, jusqu'au j_our du mariage, le
mari possède à titre pro sua les obj ets livrés en dot par
sa femme. Pomponius (2) cite enco re le cas d'un partage
fait par un père de famille entre ses enfants : si dans
le lot de l'un d' eux se trouv e une res aliena, l'enfant
usucapera p1·0 suo.
lf'Jro soluto. - A la différence des ,autres titres, les
compilateurs du Digeste n'ont pas c0nsac ré un chapitre
spécial à celui-ci ; nous trouvons dans la loi 46 (de usurp .
et usuc. ) que ce titre s'applique au créancier qui a reçu
tradition de la chose due, ou de t oute autre chose qu'il
a bien voulu "agréer à sa place .
(1) L. 1, D., Pro suo, XLI, 10.
(2) L. 4,, § 1, D., XLI, 10.
�-
48 -
A ce titre on peut rattacher le titre pro cessa, qui
suppose que celui auquel j'allais intenter un procès
m'a abandonné la possession de l'objet litigieux. (L. 33,
'
§ 3, D., L. 1, 3.)
/jPro Judicato. - cc Ce titre s'applique probablement,
dit M. Accarias (1), lorsque pour exécuter une condamnation prononcée, ou, sur l'ordre du juge pour éviter
une condamnation, le défendeur livre au demandeur
une 1·es aliena. (L. 3, § 1. D., 62). »
Dans les hypothèses que nous avons examinées jusqu'à maintenant, la possession résultait d'une tradition;
il nous re~te· à faire observer que la possession accordée par le Préteur est aussi une juste cause de
• prescription : Juste possidet qui auctore Prœtore, possidet,
dit Paul (1). Cette volonté du magistrat peut résulter
d'une disposition générale de l'édit qui autorise la prescription directement et sans nouvelle décision du
Préteur.
Ainsi en est-il du bonorum emptor ou possessor.
Plus rarement elle résulte d'un décret spécial rendu
par le magistrat. On peut citer l'exemple de l'envoi en possession ordonné par le second décret du Préteur ex causâ
dMnni infecti. Si le propriétaire d'une maison qui menace
ruine ne veut pas consentir la stipulation damni infecti,
le propriétaire de la maison voisine obtient par un premier décret l'envoi en possession; au bout d'un certain
temps et par un deuxième décret, le Préteur lui donne
l'ordre de posséder, possidere jubet. Ce décret ne le rend
(1) Précis de Dt·oit Romain, tome 1, pag. 525, not. 6.
(2) L. 11, D., de acqa. vel amitt. poss. XLI, 2.
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49 -
pètS propriétaire de la maison, mais il le met en position de le devenir au moyen de la prescription. (L. 5.
D., 32, 2).
Il nous reste à faire observer en terminant, que lorsque l'effet du titre en vertu duquel on possède est suspendu par une condition, la prescription ne commence
pas à courir, et le jurisconsulte Paul (1) ajoute qu'il en
serait de même si le possesseur croyait faussement à
l'existence d'une condition.
Lorsque, dans la section suivante, nous étudierons en
quoi consiste la bonne foi du possesseur, nous verrons
qu'elle n'est autre chose qu'une erreur de fait, consistant à croire le tradens propriétaire de la chose livrée.
Quelques auteurs, s'inspirant de cette idée que la prescription serait imposi;;ible si le possesseur a su que la
chose livrée n'appartenait pas au tradens, en ont conclu
que le juste titre était un élément de bonne foi ; comment, en effet, soutenir, disent-ils, que la tradition ait
une juste cause, lorsque l'accipiens savait que la cho se
ainsi livrée était une ires aliena. Nous ne nous arrêterons pas longtemps à refuter cette doctrine; nous savons
en effet que. la juste cause est un acte antérieur à la
tradition et qui l'explique, acte ayant une existence
propre et parfaitement indépendante de la bonne foi.
Lorsque, par exemple, j'ai sciemment acheté la chose
d'autrui et en ai reçu livraison, je n'en suis pas moins
acheteur, quoiqu-e dans l'impossibilité de prescrire, l'obstacle à la prescription venant de ma mauvaise foi (2). Il est
enfin un dernier argument qui suffit à lui seul à refuter
(1) L. 2, § 2, D., p1·0 empt. XLI, 4.
(1) Vere dicitur quis emisse, licet mala fide, quemadmodum
qui scicns rem alienam esse emit. - Paul. L. 3, § 1, D., XLI, 4.
�-
50 -
le sys tème ci-dessus : le juste titre ne se présume pas;
c'est à celui qui prétend avoir une juste cause de possession à le prouver; s'il soutient, par exemple, qu'il possède à titre d'acheteur? qu'il prouve la vente; la bonne
foi au contraire se présume toujours ; ce sera donc à
c~lui qui prétend que la prescription était impossible,
parce que le possesseur savait que le tradens n'était pas
propriétaire de la chose livrée, à prouver la mauvaise
foi du possesseur.
SECTION
DEUXIÈME
De la bonne foi
Celui qui prétend avoir prescrit une chose, c'est-àdire avoir acquis la propriété de cette chose par sa
possession, doit non seulement avoir possédé en vertu
d'un juste titre, mais encore avoir possédé d<". bonne foi;
car, nous dit Paul (1), separala est causa possessionis et
usucapionis, et tel qui peut se prétendre acheteur ne
peut cependant pas prescrire s'il a su qu'il achetait la
chose d'autrui.
·
La loi 109, au titre de verbor'Wln significatione (D., L.
16), nous dit que la bonne foi consiste à croire que le
tradens était propriétaire de la chose, ou du moins investi
du pouvoir de l'aliéner comme mandataire ou tuteur.
(1) L. 2, § 1, D., pro empt. XLI, 4.
�-51Cette croyance, qui n'est autre chose qu'une erreur de
fait, doit se trouver dans la personne du possesseur ; en
d'autres termes, la bonne foi est essentiellement personnelle, et dans l'hypothèse où un mandataire aurait
reçu tradition d'une chose à l'insu du maître, celui-ci ne
commencerait à prescrire qu'à partir de l'époque où il
aurait connu la tradition, car sa bonne foi ne saurait
précéder la connaissance de l'acte de son mandataire.
La bonne fo i consiste, avons-nous dit, dans une erreur
de fait; mais à côté de l'erreur de fait se trouve l'er·
reur de droit; il importe donc de les distinguer soigneusement, car cette dernière, loin de constituer le possesseur en état de bonne foi, forme au ·contraire un obstacle
absolu à la prescription. (L. 4. D., XXIII, 6).
Si je reçois de Primus une chose dont je le . croyais
propriétaire, alors qu'en fait il n'en était que le simple
administrateur, je commets une erreur de fait; si,
sachant au contraire que Primus n'en était pas propriétaire, j'ai cru que sa qualité de simple administrateur
lui donnait le pouvoir d'aliéner, je commets une erreur
de droit.
Nous trouvons au Digeste (1) deux textes dans lesquels le jurisconsulte P aul, supposant que la chose a été
livrée par un mineur que je croyais pubère, ou par un
fou que je croyais sain d'esprit, déclare la prescription
possible , et certains interprètes en ont conclu que
l'erreur de fait consistant à croire à la capacité d'un
incapable, constituait le possesseur en état de bonne
foi et lui permettait d'usucaper. Nous croyons plus
volontiers, avec M. Accarias (1), que dans cette hypothèse
(1) L. 2, § 15 et 16, D., XLI, 5.
(1) Prècis de D1·oit Romain, tome 1, p. 530, not. 1.
�- 52 la bonne foi du possesseur n'est pas en cause et que la
question est toute autre : les actes faits par un incapable
étant nuls ipso jure, il sagit de se demander non pas si
le possesseur est de bonne foi, ce que suppose d'ailleurs
le texte, mais si la possession, se fondant sur un titre
nul, peut conduire à la prescription, Paul résoud cette
question affirmativement; et ce qui montre bien que
c'est là le point de vue auquel il se place, ce sont les
termes dont il se sert; utilitatis ca1tsa usucapere passe,
dit-il. On conçoit l'intérêt de .la question, car si la
bonne foi se présume, c'est au contraire au possesseur
à prouver l'existence d'une juste cause.
Nous avons dit que l'erreur de droit, à la différence de l'erreur de fait, obstacle à la prescription; on
trouve n~anmoins au Digeste (i) quelques exemples dans
lesquels, à raison de circonstances particulières, l'erreur
de droit est excusée chez certaines personnes, et d'autres, à l'inverse, où l'erreur de fait est tellemen~ grossière, qu'elle est assimilée à l'erreur de droit.
La bonne foi étant une des qualités que doit présenter la possession pour conduire à la prescription, c'est
à l'origine de la possession qu'il faut se placer pour
voir si elle présente ce caractère; or, la possession
consistant dans la possibilité de disposer physiquement
d'une chose, c'est au moment où ce pouvoir de disposer
existera, c'est-à-dire après la tradition, qu'il fauqra se
demander si celui qui désormais est possesseur, peut
se dire de bonne foi. La bonne foi n'étant exigée qu'au
moment de l'entrée en possession, il n'y aura pas à examiner si elle existait au moment où s'est produit le
(1) L. 6 et 9, D., XXII, 6.
�-
53 -
fait constitutif de la justa causa possessionnis, et ,qui
· explique la tradition : auss i voyons-nous au Digeste (1)
que celui qui a sciemment stipulé la chose d'autrui
prescrit néanmoins s'il a cru, au moment de la tradition,
que le promettant en était devenu propriétaire.
Une exception se produisait toutefois en matière de
vente; l'acheteur ne pouvait usucaper qu'à la condition
d'avoir été de bonne foi au moment du contrat et au
moment de la tradition. Il est d'abord une chose certaine et dont on trouve la preuve dans un fragment
d'Ulpien (2), c'est que cette règle ne fut pas acceptée par
tous les jurisconsultes romains, et fut au contraire l'objet
de longues controverses. Ulpien nous dit, en effet, · que les
Proculiens l'entendaient en ce sens, qu'au lieu d'exiger
la bonne foi d'après la règle générale, au moment de
l'entrée en possession, il leur suffisait qu'elle existât au
moment de la vente, tandis què les Sabiniens exigeaient
la bonne foi aux deux époques : au moment de la vente
et au moment du contrat. Ce fut cette dernière opinion,
nous apprend le fragment précité, qui finit par triompher
définitivement.
Lorsqu'on se demande maintenant quelle fut l'origine
de cette règle exceptionnelle, il faut constater qu'on en
est réduit à de simples conjectures. Il en est qui ont
voulu la trouver dans la nature même du contrat de
vente. Pour prescrire, a-t-on dit, il faut être de bonne
foi à l'initium possessionis et avoir un juste titre ; or, si
j'achète une chose que je sais ne pas appartenir à mon
vendeur, alors même que je serais de bonne foi au
moment de la tradition, je ne puis invoquer de juste
(1) L. 15, § 3, D., de usurp. et
(2) L. 10, pr. D., XLI, 3.
~uc.
XLI, 3.
�-
54 -
titre qu'à la condition d'avoir été de bonne foi au moment
de la vente, autrement je posséderais non pas pro
emptore, mais pro suo. Cette manière de voir nous paraît
tout à fait inexacte, car la vente de la chose d'autrui
étant valable en droit romain, aurait pu parfaitement
servir de juste cause à celui qui invoquait la prescription, pourvu toutefois qu'il fût de bonne foi au moment
de la tradition, et l'on ne voit aucun motif de déroger à
cette règle générale.
1' La plupart des interprètes donnent à cette anomalie
une explication historique. D'après M. Demangeat, cette
règle spéciale à la vente remonterait à la loi des
XII Tables, qui, à propos de l'usucapion pro emptore,
supposait le cas d'un homme qui bonà fide eajt. << Alors,
dit-il (1), les jurisconsultes, pour observer à la fois le
téxte de la loi et la règle générale qui veut que la bona
fides existe à l'initium .possessionis, sont arrivés à dire :
l'usucapion pro emptore suppose qu'il y a eu bonne foi,
non seulement au moment de la tradition, mais encore au
moment de la vente. n Seulement, ajoute-t-il, le texte de
la loi des XII Tables préygyait, non pas le cas de vente,
mais celui de mancipation, et i;ien ne justifie cette substitution de mots.
M. Accarias (2) considère cette conjecture comme inadmissible et la repousse pour deux raisons qui nous semblent décisives : la mancipation, dit-il, n'était pas une
justa causa usucapiendi, et en outre, ce qui prouve que
la règle particulière à la vente est très postérieure à la
loi des XII Tables, c'est que les jurisconsultes discutaient encore, au premier siècle de notre ère, sur le
(1) Cours de Droit romain, t. 1, p. 549,
(2) Précis cle Droit Romain, t. 1, p. 530, not. 3
�-
55 -
point de savoir si la bonne foi devait être exigée au
moment de la tradition. Il rattache alors oette anomalie
à la rédaction de l'édit Prétorien sur l'action publicienne,
action qui était donnée par le Préteur à celui qui bonâ
fide emit. Dès lors, comme cette action n'appartient qu'à
la personne dépossédée qui était in justâ causâ usucapiendi, les jurisconsultes durent, pour satisfaire à la
lettre de l'édit, exiger la bonne foi de l'acheteur au jour
du contrat, ce qui ne le's empêcha pas de l'exiger aussi,
et c~la par application de la règle générale, au jour de
la tradition.
L'action publicienne étant postérieure à l'usucapion,
on a quelquefois reproché à ce système d'emprunter à
l'action publicienne une règle de l'usucapion, alors qu'on
devait faire l'inverse et emprunter à l'usucapion les
règles de l'action publicienne. Cette objection ne nous
paraît nullement fondée : il ne s'agit pas, en effet, d'emprunter une règle à l'action publictenne, mais de se
demander pourquoi une règle générale de l'usucapion a
reçu une modification en matière de vente. La raison de
cette modification, on a cru la trouver dans la rédaction
de l'édit du Préteur sur l'action publicienne ; que la
modification soit de beaucoup pustérieure à la règle
générale, il n'y a là rien que de très naturel, et cette
circonstance permet même d'expliquer l'existence de la
controverse à une époque où l'action publiciénne étant
encore récente, on pouvait se demander si le Préteur
avait voulu, en matière d'usucapion pro emptore, ajouter
une condition nouvelle, ou, au contraire, remplacer une
des conditions par une autre .
Il nous reste à faire observer en terminant, que celui
qui de bonne foi a açheté la chose d'autrui et en a reçu
tradition, ne commence à prescrire que du moment où il
�- 56a payé le prix de la chose vendue, ou satisfait le vendeur
d'une manière quelconque; on ne saurait admettre, en
effet, que celui qui a besoin de prescrire pour acquérir
la propriété soit traité plus favorablement que celui qui
acquiert par l'effet de la vente. Or, si la chose eût réellement appartenu au vendeur, l'acheteur n'en serait devenu propriétaire qu'après la paiement du prix convenu.
Nous avons vu que d'une manière générale on n'exigeait la bonne foi chez le possesseur qu'à un seul
moment, à l'initium possessionis ; nous avons constaté
qu'en matière de vente il existait une dérogation à cette
règle générale, puisque la bonne foi était exigée non
seulement à l'entrée en possession, mais encore au
moment du contrat ; il nous faut encore signaler une
deuxième anomalie relative à celui qui possède pro
donato. Ici, la dérogation consiste en ce que la bonne foi
doit exister non seulement à l'initium possessionis, mais
qu'elle doit encore durer jusqu'à l'expiration du temps
requis pour la prescription. Outre un texte d'Ulpien (1),
dans lequel cette différence entre le titre • gratuit et le
titre onéreux se trouve parfaitement marquée, il existe
encore une constitution de Justinien qui ne saurait laisser
aucun doute à cet égard. L'empereur, dans la nouvelle
usucapion qu'il établit, déclare qu'il n'existera plus
désormais .aucune différence entre le titre pro donato et
les autres }ustœ causœ, et que la mauvaise foi survenue
pendant la possession du donataire n'aura plus pour effet
d'interrompre l'usucapion. C'est donc qu'antérieurement
à cette constitution, la bonne foi était requise chez le
donataire jusqu'à l'achèvement de la prescription.
A la différence de c.e que nous avons vu pour la vente,
(1) L. 11, § 3, D., VI, 2.
�-
57 -
il est beaucoup plus facile d'expliquer cette dérogation
à la règle générale. Lorsque la possession résulte d'un
contrat à titre onéreux, c'est-à-dire lorsque en échange
de la chose reçue le possesseur a donné un équivalent
en argent ou de 'toute autre nature, on conçoit que la
mauvaise foi, survenue au cours de la possession, ne
fasse pas obstacle à la prescription ; il a reçu la chose de
bonne foi et en a payé la valeur, il est en droit d'attendre
qu'on vienne la lui réclamer. Le possesseur à titre
gratuit est dans une situation toute différente ·: il a reçu
la chose et n'a rien déboursé ; dès qu'il apprend que
la chose n'appartenait pas au donateur, il doit la rendre
immédiatement au propriétaire, sous peine de s'enrichir
aux dépens d'autrui. Quel que fût d'ailleurs le fondement
de cette distinction, nous avons vu qu'ell~fuLs~pprimj_e
par Justinien.
Lorsque quelqu'un ne possède pas directement luimême, mais par l'intermédiaire d'une personne placée
sous sa puissance, d'un esclave, par exemple, la bonne foi
est exigée non seulement chez le maître, mais encore
chez l'esclave; c'est en effet ce que nous trouvons au Digeste (1) : si servus tuus emat rem, quam scit alienam licet
tu ignores alienam esse, tamen usu non capies. A l'inverse,
la bonne foi de l'esclave ne profiterait pas au maître
de mauvaise foi.
Pour résoudre la question de savoir à quel instant
doit exister la bonne foi chez le maître, si c'est au moment de l'acquisition faite par l'esclave, ou lorsqu'il a
eu connaissance de cette acquisition, il faut nécessairement faire la distinction suivante : l'acquisition réalisée
par l'esclave a-t-elle été faite sur l'ordre du maître, ou
(1) L. 2, § 10, D., XLI, 4.
�-58 bien la tradition faite à l'esclave est-elle relative à son
pécule? Dans la première hypothèse, la prescription,
ainsi que nous l'indiquons plus haut, ne commence à
courir au profit du maître qu'à partir du moment où il
a eu connaissance de l'acquisition réalisée par son esclave ; c'est donc à ce moment qu'il doit être de bonne
foi; dans la deuxième, par une disposition toute de
faveur, le maître commence à prescrire, quoiqu'il n'ait
pas encore connaissance de l'acquisition réalisée par
l'esclave ; c'est donc au moment même de la tradition
faite à l'esclave que la bonne foi devra exister chez le
maître. (L. 2, §§ 11et13, D., XLI, 4).
· Nous trouvons au Digeste deux textes (1), l'un de
Paul, l'autre de Julien, qui établissent d'une manière
générale, la nécessité de la bonne foi chez celui qui
rentre en possession d'une chose dont il avait été dépouillé avant l'ach~vement de la prescription; celui qui
est de mauvaise foi au moment où il recouvre !:!possession n'usucape pas, nous dit Paul, quia initium secundœ
possessionis vitosum est. Il existe pourtant une hypothèse
pour laquelle on admet généralement que l'existence de
la mauvaise foi chez celui qui recouvre la possession,
ne fait pas obstacle à la prescription : c'est le cas où,
par suite de l'exercice de l'action publicienne, quelqu'un
rentre en possession d'un fond provincial dont il
avait été dépouillé avant l'achèvement de la prescription.
Quoiqu'il fût de mauvaise foi au moment de l'exercice
de l'action, il ne recommencera pas moins à prescrire,
car on a pensé que si la survenance de la mauvaise foi
ne fait pas obstacle à la prescription de celui qui n'est
pas dépossédé, il doit en être de même lorsque celui
(1) L. 15, § 2, D., XLI, 3. - L. 7, § 4, D., XLI, 4.
�.- 59qui a été dépouillé rentre en possession en vertu d'une
action dans laquelle on le considère comme ayant achevé
le temps requis pour la prescription.
Il nous reste maintenant à examiner rapidement quelques cas exceptionnels dans lesquels la bonne foi n'est
pas requise chez le possesseur.
I. - Le premier de ces cas, et de beaucoup le plus
important, est l'usucapio lucrntiva pro hœrede. La découverte des Institutes de Gaïus a permis de se faire une
idée claire de cette usucapion particulière. Nous trou. vons, en effet, dans les §§ 52 et suivants, que celui qui a
possédé pendant un an le patrimoine d'une personne
décédée testat ou ab instestat, en devient l'héritier, alors
même qu'il aurait été de mauvaise foi. Quant au motif
qui a pu faire établir une usucapion qui paraît si con·
traire à l'équité : Illa ratio est, nous dit Gaïus, quod
valuerunt veteres matwriùs hœ?·editates adiri, ut essllnt qui
sacra fecerent, quorum illis temporibus swmma observatio
fuit, et ut creclito?·es haberent a quo summ consequerentur.
Et ce qui nous montre bien que la nécessité de ne laisser
subir au culte domestique, aux sacra privata, aucune interruption, préoccupa l'<;Jsprit des jurisconsultes de cette
époque, c'est un passage de Cicéron dans lequel nous
voyons que le défunt n'ayant point d'héritier, adstringitur sacris is qui de bonis, quœ ejus fuerint c'Ùlln moritur,
usuceperit plurimwm possidenclo.
Cette usucapio, qui dès le début avait été vue avec
beaucoup de faveur et faisait acquérir au possesseur
l'hérédité elle-même, ne lui conféra plus tard que la
propriété des choses corporelles héréditaires sur lesquelles sa possession avait porté. Plus tard encore, et
lorsque les sacrn privata furent à peu près tombés en
dessuétude et que le Préteur eut autorisé les créanciers
�- 60 à vendre les biens d'un débit~ur mort sans héritier,
l't'1sucapio pro hœrede n'eut plus de raison d'être. En
vertù d'un sénatus-consulte rendu sur la proposition de
l'empereur Adrien, elle cessa de pouvoir être invoquée
contre l'héritier, et Marc-Aurelle, allant encore plus loin,
établit une accusation particulière, le crimen expilatœ
hœreditatis, contre celui qui se serait emparé des choses
héréditaires avant l'adition ou la prise de possession de
l'héritier.
II. - Lorsqu'une chose a été aliénée fiduciœ causa,
c'est-à-dire lorsque l'acquéreur s'est obligé à la · restituer à l'aliénateur à l'époque où celui-ci lui aura payé ce
qu'il lui doit, ou lorsque il la lui redem~mdera, si l'aliénateur rentre en possession de cette chose d'une manière quelconque, et la conserve pendant un an, il en
acquiert la propriété; c'est ce que les jurisconsultes
romains appelaient usureceptio, de usu recipere. Toutefois, si la chose ayant été aliénée à titre de gage, le
créancier n'a pas été payé, le débiteur usucapera seulement si neque conduxerit eam ?"em a me neque prœcario
ragaverit ut eam rem possidere liceret. Cette usucapion
disparut le jour où on n'eut plus recours à l'aliénation
pour constituer le dépôt ou le gage.
III.- Sous Justinien, les servitudes urbaines ne s'éteignent point par le non usage; pour elles, il faut, de la
part du propriétaire du fonds servant une usucapio libertatis, usucapio qui s'accomplit sans bonne foi.
Enfin, on trouve encore à l'époque de Justinien une
dernière hypothèse où la prescription s'accomplit même
de mauvaise foi. Si l'on suppose qu'un esclave possédé
par une personne qui n'en est pas propriétaire 'commet
un délit, la victime du délit sera dans la nécessité d'intenter son action noxale contre le détenteur de l'esclave,
�- 61 bien qu'elle sa'che qu'il n'en est PiS propriétaire; or, si
ce détenteur refuse de réparer le dommage causé et
préfère abandonner l'esclave au demandeur, celui-ci commencera à prescrire, bien qu'il sache qu'il ne tient pas
l'esclave du propriétaire.
SECTION TROISIÈME
Du laps de temps
Lorsque au début de cette étude nous avons examiné
le caractère de la prescription, nous avo;ns dit que le
laps de temps à l'expiration duquel le possesseur d'une
chose en devient le propriétaire, était une de ces matières
livrées en quelque sorte à l'arbitraire législatif; qu'il'
appartenait à cette autorité seule de déterminer, eu
égard à l'état de civilisation et aux mœurs des temps,
l'époque à laquelle la possession se transformait en propriété. Nous avons constaté qu'à l'origine, le nombre
relativement restreint des membres d'une même nation,
où chacun pouvait avoir une connaissance approximative
des affaires des autres, devait avoir pour conséquence
l'établissement d'une prescription de courte durée. L'histoire de l'usucapion, à Rome, vient pleinement confirmer
ces considérations. Tant que le sol romain proprement
dit eut une étendue peu considérable, et tant que les
relations de citoyen à citoyen ne dépassèrent pas un
�,.- 62 -
cercle restreint, la nécessité d'un longue prescription
ne se fit pas sentir; chaque propriétaire, habitant sur
sa propriété elle-même, devait nécessairement avoir
connaissance d'une usurpation si elle se produisait, et
son silence ne pouvait s'interpréter que dans le sens de
l'abandon de la propriété au profit de l'occupan.t. Aussi
l'usucapion s'accomplissait-elle à cette époque par un
an pour les meubles et deux ans pour les immeubles :
i·er-um mobilium a.n ni, immobilium, bienni, nous dit
Ulpien (1).
Plus tard, quand le peuple romain prit une importance
de plus en plus considérable, quand les citoyens devinrent plus nombreux et le territoire plus vaste, la propriété se trouva insuffisamment protégée par les règles
de l'usucapion ; la nécessité d'une protection plus efficace
se fit sentir, surtout à l'époque où la pratique vint effacer
toute différence entre le sol provincial et le sol italique,
et Justinien,. obéissant à cette nécessité, vint décider
que désormais l'usucapion s'accomplirait, quant aux
meubles, par le délai nouveau de trois ans, quant aux
· immeubles, par les délais prétoriens de dix ans entre
présents et de vingt ans entre absents.
Comment se calcule le laps de temps exigé pour la
prescription ? Faut-il compter d'heure à heure ? Ulpien,
résolvant la question, déclare que pour calculer le délai
on compte non pas d'heure à heure, mais de jour à jour,
et il ajoute que le dernier jour est réputé accompli dès
qu'il est commencé : in usucapionibus non a momento ad
momentum, sed totum postremum diem computamus.
ldeoque qui hera seœta diei kalendarum januarium possidei·e cœpit, hora seœta noctis pridie kalendas januarias
(1) Tit. XIX, de clominiis et aclquisitionibus 1·e1·um, § 8.
�- 63 implet usucapionem (1). Ainsi on néglige le jour où a corn·
mencé la possession, et on considère le dernier comme
complet dès qu'il est commencé.
Lorsqu'avant l'expiration du laps de temps requis pour
la prescription, le prescrivant perd la possession, il
perd en même temps tous les titres que la possession lui
avait donnés à l'acquisition de la propriété, et si plus
tard il recouvre la possession, il recommencera une
prescription nouvelle.
Par application de cette règle générale, il faudrait
décider que celui qui rentre en possession de la chose
par l'action publicienne ou à l'aide des interdits Utrubi ou
Uti possidetis, doit réunir toutes les qualités requises
pour prescrire, et notamment la bonne foi. En ce qui
concerne l'action publicienne, nous avons déjà indiqué,
lorsque nous nous occupions de savoir à quel moment
doit exister la bonne foi, que 1.a solution contraire nous
semble préférable, et qu'il vaut mieux décider, sous
peine de méconnaître le caractère et le but de cette
action, qu'il n'est pas nécessaire que la bonne foi existe
encqre chez le demandeur au moment où il est r~mis en
possession de la chose réclamée. Quant aux interdits
Utrubi et Uti possidetis, la même solution nous paraît
encore la bonne. Les interdits, en effet, ont toujours été
qualifiés par les jurisconsultes interdits rœtinendœ possessionis, même lorsqu'ils ont plutôt pour effet de rendre
que de conserver la possession; or, cette qualification
indique clairement que l'on doit considérer la possession
nonpascomme interrompue, mais plutôtcommecontinuée
(1) L. 6, 7, D., XLI, tit. 3. Dans l'exemple indiqué par
Ulpien, le délai va du premier janvier à midi, à minuit avant
le premier janvier de l'année suivante.
�-
64 -
avec tous les caractères qu'elle présentait avant l'événement qui a rendu nécessaire l'exercice de ces interdits.
L'interruption de la prescription par la cessation de la
possession, c'est-à-dire l'interruption naturelle, est la
seule dont s'occupent les jurisconsultes de l'époque classique ; aucun d'eux ne parle de ce que nous appelons
aujourd'hui l'interruption civile. Il en résultait cette
conséquence, en matière d'usucapion, que, comme dans
l'action en revendication, le demandeur ne triomphe que
si son droit de propriété existait non seulement au
moment de la litis contestatio, mais encore au jour du
jugement, si dans les délais de l'instance lé défendeur
achevait l'usucapation, le demandeur ne pouvait obtenir
de condamnation faute d'intérêt. Cependant, comme le
demandeur ne doit pas souffrir des délais de l'instance,
l'usucapion accomplie au profit du défendeur n'empêche
pas que le demandeur n'obtienne gain de cause. Le juge
lui accordera tout ce qu'il aurait obtenu si justice lui
avait été rendue au moment de la l-itis contestatio, et la
revendication aboutira ainsi à une transmission de
propriété, si d'ailleurs le défendeur possède encore
au jour du jugement; car la restitution ne peut être
demandée qu'au possesseur, de même que l'action ne se
donne que contre lui. Hâtons-nous de dire qu'en matière
de prœscriptio longi temporis, une semblable conséquence _n 'était pas à craindre. La prœsoriptio fut en effet
considérée, à l'origine, non pas comme un mode d'acquérir la propriété, mais comme un moyen donné au
possesseur de repousser l'action en revendication du
propriétaire; or, comme le moyen de défense ne triomphe
que s'il est acquis au jour de la demande, la p1·œscriptio
ne pouvait être invoquée, encore que le temps requis
pour prescrire vint à expirer inter moras titis.
�-
65 ~
Dans son principe, et considérée en elle-même, la
possession n'étant qu'un simple fait, il en résulte cette
conséquence qu'elle ne saurait faire l'obj et d'une transmission proprement dite, c'est-à-dire qu'un po ssesseur
ne peut jamais, comme tel, être dite successeur du possesseur antérieur; il acquiert, au contraire, pour luimême une possession nouvelle, indépendante de celle
de son prédécesseur. Mais si ces principes sont rigoureusement exacts , il faut bien convenir que dans la pra·
tique, et surtout dans la matière de la prescription, ils
devaient être rejetés ; et, en effet, si ces idées · étaient
admises , il faudrait décider que le possesseur ne devient
pi·opriétaire qu'autant que le fait de la possession s'est
maintenu chez lui, corpore suo, soit chez son représentant, corpore alieno, pendant tout le laps de temps
nécessaire à l'achèvement de la prescription. Une semblable théorie aurait constitué un obstacle grave à la
transmission des biens ; aussi voyons-nous qu'il a été
admis, dès l'origine, que la possession utile du défunt
compte à son successeur universel. Diutina possessio , dit
Justinien, quœ prodesse cœperat defuncto, et heredi et
bonorum possessori continuatu1·. Quod nostrn constitutio
similiter, et in usucap·ionibus observari constituit, ut tempora continuentu1· (1) . Ainsi, lorsque l'héritier se met en
possession des choses laissées par le défunt, il commence une possession qui n'est, en quelque sorte, que
la continuation et le prolongement de la possession antérieure, et la propriété lui est acquise à l'expiration du
laps de temps requis pour prescrire, comme si les biens
n'avaient pas changé de mains.
(1) Inst., § 12,
de usucap.
L. 11, t. VI.
�-
66 -
Cette fâculté accordée à l'héritier de joindre à sa
possession personnelle, celle du défunt, appelée par les
jurisconsultes accessio possessionum ou continuatio possessionis, est celle qui, dans l'ordre naturel des choses,
devait se produire, et se produisit la première, parce
que le besoin s'en faisait sentir d'avantage; mais on ne
s'en tint pas là. Nous trouvons en effet aux Institutes
de Justinien (1), que même le successeur ou ayant cause
particulier peut profiter de la possession de son auteur,
en la joignant à sa propre possession : inter venditorem
quoque et ernptorem conjungiternpora Divi Severus et Anto·
ninus ?·escripserunt; et l'on a pensé avec raison que cette
accessio possessionum, admise d'abord au. profit de l'acquéreur à titre onéreux, tel que l'acheteur, le fut également plus tard au profit de l'acquéreur à titre gratuit,
tel que le donataire ou le légataire; on comprend en
effet que la situation de celui qui n'a acquis une chose
qu'en échange d'un équivalent donné par lui, ait paru
tout d'abord plus digne d'intérêt et méritât davantage
d'être sauvegardée, que celle d'un acquéreur à titre
gratuit, c'est-à-dire d'une personne qui a sans doute voulu
acquérir, mais qui n'a rien déboursé pour cela.
Bien que le successeur universel et le successeur particulier puissent invoquer l'un et l'autre l'accessio possessionum, c'est-à-dire joindre à leur possession personnelle celle de leur auteur, il faudrait bien se garder de
croire que leur condition fut identique ; elles sont séparées au contraire par des différences profondes que
nous allons indiquer rapidement.
En ce qui concerne le successeur universel, un texte
de Javolenus contient le principe de ces différences.
(1) § 13, de usucap.
�•
-
67 -
Cù11n heredes institut·i sU11nus, dit ce jurisconsulte (1), adità
hœroditate omnia quidem jura ad nos transenut, possessio
tamen, nisi naturaliter comp1·ehensa, ad nos non pertinet.
Ainsi, après l'adition d'hérédité, tous les droits passent
en la personne de l'héritier tels qu'ils se comportaient
en la personne du défunt, et parmi ces droits se trouve
la possession, car s'il es t vrai de dire que la possession
est avant tout un fait, il est également vrai qu'elle est
aussi un droit par les conséquences légales qui y sont
attachées . La possession a donc chez l'héritier les caractûes qu'elle présentait chez le défunt, ou plutôt il
n'y a pas deux possessions, mais une seule; posséssio
defuncti quasi juncta descendü ad heredmn (2) . Or, si la·
possession du défunt continue en la personne de l'héritier, il importe peu que celui-ci soit de mauvaise foi; il
en profite, dit Justinien, licet ipse sciat prœdium alienum,
et en effet, si le défunt vivait encore, la mauvaise foi
survenant en sa personne, ne l'empêcherait point d'accomplir l'usucapion.
L a condition du successeur particulier est toute autre;
il ne succède pas à la personne de son auteur, il succède
à la chose seulement ; aussi faut-il que toutes les conditions relatives à la personne, et notamment la bonne
foi; existent chez lui au moment de la prise de possession : si eam rem quarn pro emptore usucapiebas, scienti
nihi alienam esse vendideris, non capiam usu (3).
De ce principe que la possession de l'héritier a forcément le même caractère que celle du défunt, il résulte
(1) L. 33, D., de acquir·vel amit. poss. XLI, 2.
(2) Paul. L. 30, pr., D., Ex qaib. caus. maj. IV, 6.
(3) Paul, L. 2, § 17, D., pro empt. XLI, 4.
�•
-
68-
cette autre conséquence remarquable que le successeur
universel ne peut pas usucaper quand la possession du
défunt n'était pas utile. Quod si defunctus initium justum
non habuit, heredi et bonorun possessori, licet ignoranti,
possessio non prodest (1) . Le successeur particulier peut
au contraire répudier la possession vicieuse de son
auteur et invoquer la sienne propre.
Nous avons dit plus haut, qu'après l'adition d'hérédité et la prise de possession de l'héritier, la possession
de défunt se joignait à celle de l'héritier, de manière à
n'en former qu'une seule sans aucune interruption. Mais
il arrivait souvent qu'un laps de temps considérable
s'écoulait entre le décès du défunt et l'adition ou la
prise de possession de l'héritier ; pendant cet intervalle,
les choses héréditaires n'étaient certainement possédées
ni.par le · défunt, ni par l'héritier, ce qui semblait ren·
dre impossible la jonction des deux possessions. Les
jurisconsultes obvièrent à cet inconvénient en donnant
à l'hérédité jacente une sorte de personnalité : Heredi·
tas personam sustinet, disaient·ils ; et comme la possession ne subissait plus désormais aucune interruption, on
dut décider que la prescription pouvait s'accomplir entre
le décès du de cujus et l'adition de l'héritier : ante
aditam hereditem impleri constitutum est (2).
(1) Inst., § 12, de usucap.
(2) L. 40, D., de usurp.
�CHAPITRE II
Des conditions relatives à la chose
SECTION PREMIÈRE
La chose doit être in commercio
Dans un sens étroit et véritablement technique, le
corwmercium n'est autre chose que l'un des éléments de
la civitas roma;na, qui au point de vue du droit privé
donne le droit de figurer dans la solennité appelée mancipation. Ce n'est évidemment pas dans ce sens que
nous entendons ce mot, lorsque nous disons que les
· choses in commercio sont les choses qui sont susceptibles d'être prescrites, nous voulons désigner par la les
choses qui peuvent être un objet de propriété, de possession ou de créance, et nous les opposons ainsi à
celles pour lesquelles il n'y a ni droit réel ni créance
possible. Cette formule exclut les hommes libres, les
choses sacrées ou religieuses, les choses du domaine
public.
�-
70 -
I. - Les hommes libres. - Parmi les cas dans lesquels
la possession ne saurait jamais conduire à la prescription, Justinien cite en ·première ligne la possession d'un
homme libre, alors même qu'elle serait de bonne foi.
Ce n'est là qu'une application du principe de l'inaliénabilité de la liberté. Les Romains pensèrent avec raison
que la liberté était une chose trop précieuse, et d'une
nature trop noble, pour qu'elle pût jamais faire l'objet
d'une spéculatiog (1 ); or, comme la prescription s'analyse
en un abandon tacite de la part de celui auquel appartient une chose, on devait nécessairement empêcher de
réaliser par une.voie détournée ce qu'il eût été impossible
de faire directement.
II. - Les choses sacrées ou religieuses. - Sans nous
arrêter à donner une énumération complète des res divini
juris, qui formèrent à l'origine de Rome une classe très
considèrable, nous nous bornerons à citer parmi les plus
importantes, au point de vue qui nous occupe, les immeubles qui ont revêtu un caractère sacré en vertu
d'une loi, d'un sénatus-consulte, et plus particulièrement,
à compter du troisième siècle, par une constitution impériale. A partir de Justinien, la nécessité d'une autorisation publique disparut, et il appartint aux évêques de
faire à leur gré des 1·es S'1:1,Crœ.
III. - Les choses du doniaine public. - Il faut entendre
par là les choses qui sont affectées à un usage public,
c'est-à-dire commun à tous les citoyens, soit que chacun
d'eux en jouisse directement, comme les places publiques
et les rues des villes, soit que ce caractère résulte de
leur destination, comme les arsenaux et les forteresses.
(1) Lomo enùn libe1-, nullo pretio œstimatur. Pauli. sent.
L. 5, t. 1, § J.
�-
71 -
Il nous reste à faire observer que certaines choses
qui par leur nature sont in commercio, et comme telles
susceptibles d'être acquises par prescription, sont temporairement, pour des raisons spéciales, mises extra
commerciwm, et deviennent imprescriptibles : tels sont
les immeubles dotaux.
Cette imprescriptibilité des immeubles dotaux n'est
qu'une conséquence de leur inaliénabilité ; sans elle, rien
n'eut été plus facile pour le mari que d'éluder les dispositions de la loi Julia, aussi décida-t-on dès l'origine
que la dotalité faisait obstacle non seulement aux alié·
nations conventionnelles, mais qu'elle affectait la chose
d'un vice qui en rendait impossible l'acquisition par la
prescription : Nam licet lex Julia, quœ vœtat fundum dota
lem alienari, pertineat etiami ad hujus modi acquisitionem (1 ). Comme cette imprescriptibilité n'a d'autre but
que la protection de la femme, il faut en conclure
qu'elle commence et finit avec le danger qu'elle a pour
objet de prévenir, c'est-à-dire avec le droit de propriété
du mari. Elle a donc pour point de d~part le jour même
de la constitution de dot, et pour point d'arrêt le jour
de la restitution. (L. L. 4 et 12 pr., De (und dot.,
XXXIIJ,
5)._
Quelquefois certaines choses, tout en restant in commercio d'une façon générale, en sortent cependant à
l'égard de certaines personnes, et, à ce titre, deviennent imprescriptibles pour elles; tels sont les fonds
situés dans une province à l'égard du gouverneur de la
province et de certaines personnes investies de fonctions
civiles ou militaires ; les biens du pupille ou de l'indi-
(1) L. 16, D., de fund. dot. XXII, 5.
�-
72 -
vidu en curatelle, à l'égard du tuteur ou du curateur, et
d'une façon générale les biens d'un tiers à l'égard de
celui qui en a l'administration.
Les biens vacants rentrent dans la catégorie des choses
imprescriptibles. On appelait ainsi les biens des personnes décédées sans successeur et qui sont acquis au
fisc, à moins que quelqu'un n'ait commencé à les posséder avant la dénonciation de la vacance aux agents,
et seulement tant que le délai de quatre années continues
donné au fisc pour exercer ses droits n'est pas écoulé.
Enfin, il est une dernière catégorie de choses dont
l'acquisition par prescription est impossible, ce sont les
biens appartenant à un pupille ou à une personne en
curatelle.
En ce qui concerne les prœdia rustica vel suburbana,
tout le monde reconnaît que leur imprescriptibilité tient
à cette raison, que l'aliénation directe et immédiate de
ces choses étant défendues, on ne pouvait admettre à
leur égard l'aliénation par la voie oblique de la prescription. Pour les meubles, au contraire, la question de
savoir à qui tient leur imprescriptibilité paraît plus douteuse. Quelques-uns, s'appuyant sur le texte de Paul (t);
qui parle des biens du pupille sans distinguer, admettent
que l'obstacle à la prescription tient à la même cause,
c'est-à-dire à la qualité du propriétaire. Dans une autre
opinion qui nous paraît préférable, on s'appuie sur un
texte de Julien (2). Ce jurisconsulte, déclarant que les
choses volées à un pupille ne peuvent être usucapées,
considère que c'est le vol seul qui rend la chose vicieuse
et met obstacle à la prescription. Ce texte nous paraît
(1) L. 48, pr. D., XLI, 1.
(2) L. 7, § 3, D., XLI, 4.
�- 73décisif et s'appliquer aux meubles du pupille : en effet,
le vol ne saurait atteindre les immeubles, et, d'un autre
côté, comme aui yeux des Rqmains, les meubles eurent
toujours une importance secondaire; il n'y a rien d'étonnant à ce qu'ils aient .considéré ceux du pupille comme
susceptibles d'être acquis par prescription.
Quoiqu'il en soit, une constitution de l'empereur
Théodore-le-Jeune, rendue en l'année 424, vint déclarer
les biens quelconques des pupilles impresc1:iptibles.
SECTION DEUXIÈME
Des choses volées ou occupées par violence
Il fut de tout temps admis à Rome que les meubles
volés et les immeubles occupés par violence échappaient
à la prescription. Ainsi que le rapporte Justinien dans
ses Institutes, la prohibition remonte, pour les meubles.,
à la loi des XII Tables et fut reproduite par la loi
Atinia, rendue en l'an de Rome 537 : nam furtivarwrn
1·m·um lea; duodecim tabularUtm et lea; A tinia inhibent usucapionem; vi possessorum lea; Julia et Plautia; pour les
immeubles, et après qu'il fut reconnu qu'ils ne comportaient pas de furtum, elle date seulement de la loi Plautia
rendue en l'an de Rome 665, et fut renouvelée sous Auguste par la loi Julia de vi.
�-
74 -
L'esclave fugitif est assimilé aux choses volées :
prendre ainsi la fuite c'est furtum sui facere. Il y a vol et
par conséquent obstacle à la prescription, non seulement
lorsque la chose a été enlevée à celui qui en était propriétaire, ou lorsque l'esclave s'est enfui de chez son
maître, mais encore lorsque celui qui a été victime du
vol ou de la violence était un simple possesseur de la
chose . Cette solution est donnée par Paul d'une façon
positive pour le cas de violence : etiam si malà fide fwndum nie possidentem dejeceris, et vendideris, non poterit
capi, quoniam verum est vi possessum esse, licet à non
domino (1).
Lorsqu'on dit que les choses volées ne peuvent être
prescrites,_ on n'entend pas par là interdire la prescription au voleur; une telle prohibition n'eut pas été
nécessaire, car ainsi que nous l'explique Gaïus, et aprèsL,,.;..
Justinien, pour prescrire· il faut être de bonne foi et
posséder ex justâ causâ, ce qui n'est jamais le fait du
voleur ; la prohibition trouve son a1LPlication contre le
tiers de bonne foi qui possède la chose volée ex justâ
causa.
Gaïus nous fait observer qu'en ce qui concerne les
meubles, la prescription aura rarement son application,
car, en effet, presque toujours, lorsque le propriétaire
n'aura pas consenti à l'aliénation, il y aura vol. Il existe
cependant quelques cas dans lesquels l'aliénation,
quoique faite par celui qui n'était pas propriétaire de la
chose, ou qui n'avait pas le droit de la faire, ne constitue pas un vol, par cette raison qu'elle n'a pas été
accompagnée d'intention frauduleuse ; tel est le cas cité
au~· Institutès , où un défunt ayant reçu une chose à titre
(1) L. 4, § 23, D., clc usurpai.
�-
75 -
de dépôt, de louage ou de commodat, son héritier la
prenant pour un bien héréditaire, la vend-ou la donne à
une personne qui la reçoit de bonne foi.
Le vice qui affecte la re~ fwrtiva ou vi possessa et qui
rend la prescription impossible, n'est pas perpétuel et
peut être purgé par le retour de la chose volée, aux
ma~ns et en la possession du propriétaire. Cette règle,
nous dit Paul, fut établie par la loi Atinia. Pour que la
prescription soit de nouveau possible, il ne suffit pas que
la chose volée revienne aux mains du propriétaire d'une
manière quelconque ; s'il l'achète, par exemple, ignorant
qu'elle lui a été volée, elle n'est pas censée rentrée en
sa possession : il faut que le propriétaire ait eu connaissance du vol et qu'il la recouvre d'une manière légale :
cum possessionem ejus nactus sit, ut juste avelli non possit,
.t sed et tanquam suœ rei ; nam si ignorans rem mihi subrep·
tam eman, non videri in potestatem meam reversam (1).
On trouve cependant cité au Digeste un cas où il n'est
pas nécessaire que le maître sache que la chose volée
lui a été rendue pour que la prescription en soit de nouveau possible ; une chose a été mise en dépôt chez une
· personne; le dépositaire la vend pour en bénéficier, puis,
se repentant de son infidélité, il la rachète et la reprend
au même titre qu'auparavant; le vice est purgé, soit
que le maître ait connu, soit qu'il ait ignoré tous ces
faits (2). Enfin, Paul nous . apprend que le vice résultant
du vol est purgé, et que la prescription est possible lors·
que le propriétaire, après avoir exercé l'action en revendication contre le voleur, a reçu de lui, non pas larestitution de la chose, mais a accepté la litis ee~test6ttfo.
a.g~
(1) L. 4, § 12, D., XLI, 3.
(2) L. 4, § 10, D., XLI, 3.
�-
76 -
Lorsque la chose a été volée entre les mains du commodataire, du créancier· gagiste ·ou de l'usufruitier, Paul
nous apprend que pour que · l'obstacle à la prescription
soit levé, il faut que la chose revienne aux mains du
propriétaire et non du commodataire, du créancier
gagiste ou de l'usufruitier (1) . En ce qui concerne lecréancier gagiste, Labéon enseigne une doctrine con·
traire en l'attribuant à Paul. En présence de cette contradiction, on a pensé, avec raison, que Labéon faisait
allusion au contrat de fid!ucie, par lequel le débiteur se
dépouillait de la propriété : le créancier devenant alors
propriétaire, la chose devait revenir entre ses mains.
On dit qu'un fonds est occupé par violence, et que
comme tel il ne peut être prescrit, lorsque le possesseur
en ayant été expulsé, l'auteur de l'expulsion en a pris
possession ; mais si un tiers étranger aux voies de fait
s'établit sur le fonds, sa possession ne sera pas violente.
Ainsi que nous l'avons dit pour la chose volée, le vice
résultant de la violence nuit, non pas au spoliateur,, pour
lequel il ne saurait y avoir de prescription, mais au tiers
de bonne foi auquel il aurait transmis l'immeuble.
(1) L. 20, § 1, D., XLVII, 2. Deful'tis.
�-
77 -
SECTION TROISIÈME
La prescription de long temps ne s'applique
qu'aux choses susceptibles de possession
L a prescription de long temps étant, comme l'usucapion, fondée sur la possession, les choses susceptibles
d' être possédées sont les seules qui soient sqsceptibles
d' être prescrites ; nous avons donc à nous demander
quelles sont les choses susceptibles de possession.
L es jurisconsultes romains, considérant que l'un des
éléments essentiels de la possession consiste dans la
détention matérielle de la chose, en conclurent que les
choses ayant un corpus, c'est-à-dire l'élément physique,
étaient seules susceptibles de possession (1). L e droit de
propriété (pas plus que les autres droits) n' aurait jamais
dû être rangé dans la catégo rie des choses corporelles ,
car pas plus que le droit d'usufruit ou de créance, il ne
tombe sous nos sens. Mais par suite d'une habitude de
langage qu'explique la nature différente des droits, le
droit de propriété fut confondu avec l'obj et sur lequel
il porte et rangé dans la catégorie des choses corporelles. LorsG_[u'il s'agissait au contraire d'un démembrement du droit de propriété, on le distinguait de la chose
(1) L. 3, pr. de pass.
corporalia.
" Possidere autem possunt quœ sunt
�-
78 -
sur laquelle il reposait, et l'on fut ainsi amené à les
ranger parmi les choses incorporelles. La conclusion fut
donc que le droit de propriété, chose corporelle, fût susceptible de possession et par conséquent de prescription,
tandis que les autres droits, choses incorporelles, ne
pouvaient être l'obj et ni de possession, ni de prescription (1).
De bonne heure, néanmoins,)e Préteur considère que
la base du droit aux interdits, consistant en un trouble
apporté illégitimement au droit de propriété, s'il existait
d'autres droits dont l'exercice puisse être troublé par
un acte de violence, il était logique de les protéger
contre ce trouble au moyen des mêmes interdits. Or, tel
était le cas pour les démembrements de la propriété, et
notamment pour l'usufruit et les servitudes réelles, car
il est évident qu'un trouble se conçoit tout aussi bien
dans l'exercice de ces droits, que dans celui· du droit de
propriété. Aussi le Préteur accorda-t-il des interdits
utiles, et c'était reconnaître par là que la tradition
d'une servitude, soit personnelle, soit préd:iale, et la
patience du propriétaire à en souffrir l'exercice, constituait une sorte de possession que les jurisconsultes
appelèrent quasi possessio, possessio juris. On accorda
même plus tard au possesseur de ce droit une action
réelle, utile, l'action publicienne. (L. 11, § 1, D., VI, 2).
Mais faut-il aller plus loin, et décider que celui qui a
l'exercice d'un jus in 1·e, c'est-à-dire une quasi possession, pourra acquérir ce droit par la prescriptio longi
temporis? En ce qui concerne l'usufruit, la solÙtion ne
(1) L. 4, § 2i, de
incorpomle.
ltSW'P : "
Qaiu nec possicle1'i intelliqitw· jus
�-
79 -
saurait être douteuse; aucun t xte,..tln effet avant Justinien1 ne peut nermettre de supposer u'il füt susceptib~e
cl'ac uisition ar la possession. y
Quant aux servitudes, i es également certain qu'après
la loi Scribonia elles ne purent plus s'établir par l'usucapion, mais antérieurement à cette loi en était-il de
même ? L'affirmative a été soutenue; en effet, a-t-on dit,
l'usucapion n'étant autre chose qu'un mode d'acquisition
par la possession, ne saurait s'appliquer qu'aux choses
susceptibles d'être possédées; or, les servitudes étarit des
choses incorpor.elles, n'admettent pas la possession; ce
ne fut que plus tard et à une époque postérieure à la lQ.!
Scribonia, qu'on admit à leur égard une quasi possessio;
il faudrait donc supposer dans l'opinion contraire, que la
quasi possession existait avant la loi Scribonia, et disparut ensuite, ce qui est inadmissible. Il est plus probable, conclue-t-on, .que l'usucapion des servitudes était
déjà impossible avant la loi Scribonia, et que cette loi
n'eut d'autre but que de venir consacrer une règle qui
était la conséquence logique des principes admis à cette
époque.
Malg1~é la logique de ce raisonnement, l'opinion contraire nous paraît préférable. Il existe en effet au Digeste
un texte qui ne saurait être conçu d'une manière plus
affirmative, et qui nous dit que la loi Scribonia vint
désormais rendre impossible l'acquisition des servitudes
par usucapion; c'est donc qu'antérieurement cette usucapion était possible, sinon cette loi n'aurait eu aucun
sens. On peut, nous dit Paul dans ce passage, acquérir
par usucapion l'extinction d'une servitude, car ce que
la loi Scribonia est venue défendre, ce n'est pas l'extinction des servitudes par usucapion, mais leur acquisition : Libertatem servituti~m usucapi passe, verius est,
�-
80 -
quia eam usuca,pionem sustulit lea; scribonia, quœ servitutem constituit, non etiam eam, quœ libertatem prœstat
sublata servitute.
Il nous reste à nous demander maintenant si le Préteur, après avoir reconnu les servitudes susceptibles de
quasi possession, et en avoir protégé l'exercice par un
interdit, alla jusqu'à admettre qu'elles pouvaient être
acquises par la prescription de dix à vingt ans. Un point
sur lequel tout le monde e t d'accord,, et gui était unsi
consé uence nécessaire du principe admis ar le Pr teur, c'est qu'un exercice longtemps prolongé suffij;
pour faire acquéTir une servitude prédiale.; mais faut-il
aller plus loin et dire q~ de même que la propriété
peut s'acquérir par une longi tern;poris possessio, de même
les servitudes peuvent être constituées par une quasi
longi temporis possessifJ, et que lw règles de l'une sont
applicables à l'autre ?
Malgré l'autorité de certains interprètes, i10us n'hé~i
tons pas à ado ter ' ffirmafüre et à admettre qu'il
exü~te pour les ser itu.d.
uue uasi "jgng} tem11pris possessio, dont les rè les fuœnt arfaitement analogues ~
celles de la longi temporis 1!_ossessio, sauf ourtant ce quj.
regardeJa juste cause.
D'après les partisans de l'opinion contraire, le délai
exigé pour arriver à l'acquisition d'une servitude ne
serait pas un délai fixe de dix à vingt ans, comme pour
l'acquisition de la propriété, mais serait un délai variable, entièrement livré à l'appréciation du juge. L'argument sur lequel on se base est uniquement tiré des
expressions employées par les textes, dans lesquels on
trouve les mots diuturnus usus, longa quasi possessio,
longa consuétudo, longi temporis consuétudo, mais jamais
quasi longi temporis possessio. Cet argument de mots nous
�-
St -
(1) C. L, 3, tit. 34, l. 1, de servit. et acqu ...
(2) Lyon-Caen. Revue critiqua de législation, t. Ill, 1874
p 394 et 95.
(1) L. 10, D., VIII, 5. Si servit. 1Jincl.
�-
82~-
remarquer néanmoins, que si la nécessité d'une juste
cause se fait sentir quelque part, c'est surtout dans la
matière de l'acquisition des servitudes, car la propriété
étant naturellement présumée libre, c'est à celui qui
prétend le contraire à jstifier son dire.
Il est bien certain d'ailleurs qu'à l'époque de Justinien
on put acquérir les servitudes par la quasi possessio longi
temporis; il en est de même de l'usufruit, ainsi que cela
résulte de la loi 12 au Code VII, 33.
CHAPIT&E III
Effets de la Prescriptio longi temporis
SECTION PREMIÈRE
Effets de la prescription dans le droit classique
La longi temporis prescriptio fut, à l'origine, non pas
un mode d'acquérir la propriété comme l'usucapion,
mais, ainsi que nous l'avons expliqué lorsque nous recherchions le caractère de cette institution, une exception
�83 -
d'une nature particulière, qui n'avait d'autre effet que
de donner au possesseur d'une chose le moyen de
repousser la revendication du propriétaire. De ce que la
prœsc;riptio longi temporis n'était pas un mode d'acquisition, il en résultait qu'après l'expiration de dix ou
vingt ans, le propriétaire qui avait conservé son droit
pouvait toujours intenter une action contre le possesseur ; de telle sorte que la question posée au juge étant
uniquement de savoir si le demandeur était propriétaire,
devait toujours être résolue affirmativement, et le défendeur succombait nécessairement, à moins qu'il ne fit
insérer son exception dans la formule.
De ce principe que la prescription de long temps
n'était pas un mode d'acquérir, il résultait cette autre
conséquence que si le possesseur venait, pour une cause
quelconque, à perdre la possession, il ne pouvait pas
intenter une action en revendication, car cette action
n'est donnée qu'au propriétaire, et qu'il se trouvait ainsi
dépourvu de tout moyen, à moins qu'il ne réunit les
conditions requises pour exercer quelque interdit. Nous
avons eu déjà l'occasion de dire que cette situation défavorable pour le possesseur ne dura pas longtemps, et
que de bonne heure le Préteur lui accorda une revendication utile ; cc de sorte, dit M. Accarias, que désormais
la longi ternporis prœscriptio put être considérée très
exactement comme un mode prétorien d'acquérir. ,, Utilem, habet actionem, nous dit Ulpien, et Justinien, après
avoir établi que celui qui a accompli la prescription de
long temps pourra exercer l'action en revendication,
ajoute : hoc enim et veteres leges, si quis eas recte inspexit,
santiebant (1).
(1) L, 8, pr. C. VII, 39.
�-84.-
A un autre point de vue, et outre que la prœscriptio
longi temporis exige une possession d'une plus longue
durée, on peut encore dire qu'elle est moins avantageuse
que l'usucapion, car tandis que dans cette dernière, le
demandeur n'obtient gain de cause que si son droit de
propriété existe encore au moment du jugement, la prœs·
criptio ne peut être invoquée encore que le délai vienne
à s'accomplir inter moras litis, car . c'est une règle générale que nul moyen de défense ne triomphe s'il n'est
acquis au jour de la demande.
Sous un autre rapport, on a soutenu que la prescrip·
tion de long temps était préférable à l'usucapion, en ce
qu'elle fournissait un moyen de défense opposable non
seulement au propriétaire, mais encore à ceux qui
avaient des droits réels sur la chose. cc Par l'usucapion,
dit M. Demangeat (1), j'acquiers la propriété salvo jur·e
servitutis vel hypothecœ. Au contraire, quand je puis in·
voquer la prœscriptio longi temporis, ce n'est pas seulement contre le propriétaire c'est également contre tous
ceux qui prétendraient avoir acquis du chef des précédents propriétaires, un droit réel sur la chose. » Il appuie
sa théorie sur une constitution de Gordien, dans laquelle
cet empereur déclare que les créanciers hypothécaires
n'auront pas d'action contre celui qui a accompli la prescription de long temps : Dinturnum silentii11rn longi tem·
poris prœscriptione corroboratum, creditoribus pignus pm··
sequentibus inefficacem constituit actionem (2).
Cette doctrine, contraire au principe d'après lequel la
propriété ne s'acquiert que sous la réserve des charges
(1) Cour·s de droit romain, t. 1", p. 536.
(2) L. 1, C., si odv. crvd. prœscr. appo. VII, 36.
�-
85 -
dont elle est grevée, est de plus en plus abandonnée. On
considère auj ourd'hui que la prescription d~ long temps
pouvait sans doute, à la différence de l'usucapion, être
opposée au créancier hypothécaire ou à celui qui avait
une servitude, mais que ce droit, loin d'être une conséquence de la prescription opposable au propriétaire, était
un effet de la prescription accomplie directement contre
le créancier hypothécaire ou le titulaire de la servitude ;
en un mot, il y avait deux prescriptions distinctes opposables, l'une au propriétaire, l'autre aux titulaires des
droits réels sur la chose, et pour chacune d'elle il fallait
la réunion des conditions distinctes de temps et de
bonne foi. Quant au texte invoqué dans l'opinion contraire, il prouve seulement une chose, qui n'est contestée
par personne, c'est que la prœscriptio longi temporis
pouvait être opposée au créancier hypothécaire.
SECTION DEUXIÈME
Innovations
de Justinien
Lorsqu'au début de cette étude nous nous demandions pour quels motifs, à côté de l'usucapion, mode
d'acquérir fondé sur la possession, la prescription de
long temps, institution parfaitement analogue, avait pris
naissance, nous avons vu que la raison en était double :
la nécessité de donner aux pérégrins un .mode d'acqui6
�-
86 -
sition analogue à celui dont jouissaient les citoyens
romains, et aux citoyens romains le moyen d'acquérir
par la possession les fonds qui ne faisaient pas partie du
sol italique, c'est-à-di re les fonds provinciaux. A l'époque
de Justinien, les différences établies pour le vieux choit
quiritairc, entre les Cives romani et les Pereg?·ini, entre
le sol italique et le sol provincial, et bien d'autres encore,
avaient depuis longtemps disparu sous l'influence de la
jurisprudence plus large des Préteurs et des Constitutions impériales. Le· droit de cité, étendu peu à peu à
tous les sujets de l'empire, quelquefois même aux bar·
bares, et la distinction tout à fait artificielle des fonds
provinciaux et des fonds italiques complètement effacée,
la prœsc?·iptio longi ternporis n'avait plus de raison d'être.
Consacrant légitimement cette pratique, Justinien était
conduit à supprimer l'une des deux institutions parallèles de l'ancien droit, o~ à les fondre ensemble : c'est
à ce second parti qu'il s'arrêta. <( Pour emprunter son
propre langage, dit M. Accarias, il transforme l'usucapion (L. unie. C., De usuc. transf. VII, 31), c'est-àdire qu'il la laisse soumise aux règles qui lui étaient
autrefois communes avec la prescription, que là où il
rencontre des règles contraires, il opte ou innove; mais
que dans son silence, il faut plutôt présumer le maintien
du droit propre à l'usucapion, car, jusqu'à preuve con·
traire, qui conserve le mot conserve la chose. »
Ainsi, à partir de Justinien, celui qui reçoit une chose
à non domino et de bonne foi, celui-là en devient propriétaire, sans qu'on ait à se préoccuper désormais de
savoir s'il est citoyen romain ou pérégrin, ou si le fonds
possédé est situé en Italie ou en province . Reste à se
demander quelle doit être la durée de la possession.
Pour les immeubles, Justinien décida que la propriété en
�- -87 -
serait acquise au possesseur à l'expiration du délai de
l'ancienne prœscriptio longi temporis, c'est-à-dire après
dix ou vingt ans, et pour les meubles après un délai de
trois ans .
Quelques commentateurs, remarquant que Justinien
parle de prœscriptio ou possessio longi ternporis, tandis
qu'il emploie habituellement l'expression usucapio lorsqu'il s'agit de meubles, en ont conclu qu'on doit appliquer
aux immeubles les règles de l'ancienne prœscriptio longi
ternporis, et aux meubles les règles spéciales de l'ancienne usucapio.
Nous avons expliqué déjà que nous pensions que Justinien a entendu, sauf en ce qui concerne le délai, consacrer les règles générales de l'usucapion; et ce qui
prouve bien que la même règle existe ·pour les meubles
et pour les immeubles, ce sont les expressions employées
par Justinien aux Institutes : Constitutionem super hoc
prornulgavimus, quâ cauturn est ut res quidem mobiles
per trienniwm, irnmobiles vero per longi temporis possessionem usucapiantur. Quant aux termes longi temporis
possessio, dont il se sert quand il parle des immeubles,
cela tient uniquement à ce que désormais ils s'usucapent
par le longum ternpus, tandis qu'il réserve aux meubles
l'expression technique usucapio.
Justinien tranche, en outre, une difficulté qui s'était
élevée dans l'ancien droit, et détermine en quel sens
doivent être entendus les termes présent et absent. Le
propriétaire et le possesseur habitent-ils des provinces
différentes, la prescription s'accomplit inter absentes, et
la· propriété ne s'acquiert que par vingt ans de possession ; on n'a donc point égard, comme dans notre droit
actuel, à la situation de l'immeuble possédé. M. Accarias
fait remarquer que si l'on eût ainsi égard au domicile
�-
88 -
du propriétaire et à la sit nonuation de l'immeuble possédé, cela tient à l'influence toujours si puissante du langage. Op. abrégeait le délai inter prœsentes et non pas
contra p1·œsentem. Or, ce pluriel n'indiquait-il pas qu'il
fallait considérer le domicile du propriétaire dans son
rapport avec celui du possesseur, plutôt que dans son
rapport avec la situation de la chose? C'est le propriétaire et le p.ossesseur qui devaient être présents, non le
propriétaire et la chose.
Quant à ses effets, la prescription n'est plus, comme
autrefois, un simple moyen de défense ; elle est devenue
un mode d'acquérir la propriété ; elle fournit à celui qui
l'a accomplie une véritable action en revendication, au
moyen de laquelle il peut poursuivre la chose contre tout
détenteur.
Après avoir admis implicitement que la litis contestatio
n'interrompt pas la nouvelle usucapion, puisqu'il suppose qu'une usucapion s'est accomplie inter moras litis
(L. IV, 32, t. 17), :Justinien, oubliant, ou voulant modifier
la règle posée aux Institutes, consacra, dans la Novelle 119, chapitre 7, une décision contraire.
D'après la législation de Justinien, les mineurs ne peuvent perdre aucun droit par une prescription d'une durée
inférieure à trente ans ; il en résulte que leurs biens ne
sont pas susceptibles d'être occupés. Cette doctrine est
directement le but que l'ancien droit n'atteignait qu'à
l'aide de l'in integruni restitutio .
Quand c'est un absent, un infans ou un fou sans curateur qui possède, Justinien permet au propriétaire ou
au créancier hypothécaire d'interrompre la prescription
par une requête adressée au préteur ou au président de
la province, et, en leur absence, à l'évêque ou au defensor
civitatis. Si ces personnes font elles-mêmes défaut, il
�•
-
89 -
suffit d'afficher au domicile du possesseur une protes·
tation signée des Tabularii ou de trois témoins.
D'après l'opinion la plus généralement admise par les
jurisconsultes, les immeubles n'étaient pas, avons -nous
dit, susceptibles d'être volés ; il suffisait au possesseur
de bonne foi, que l'immeuble n'eût jamais été possédé
par violence pour qu'il· pût l'usucaper, encore que son
auteur eût été de mauvaise foi . Justinien modifia cette
doctrine en exigeant, par la N ovelle 119, que l'auteur ait
été lui-même de bonne foi, ou que, dans le cas contraire,
le maître ait eu connaissance de son droit et du fait qui
a transporté la possession à un tiers. En l'absence de ces
conditions, le possesseur, malgré sa bonne foi, ne peut
prescrire que par trente ans. Cette décision ne doit
cependant pas être étendue à ceux qui traiteraient avec
acquéreur resté de bonne foi, sinon l'usucapion des immeubles serait à peu près impossible.
�•
�DEUXIÈME PARTIE
DE LA PRESCRIPTION DANS L'ANCIEN DROIT. FRANÇAIS
Après avoir étudié l'origine de la prescri.ption et avoir
suivi son développement dans le droit romain jusqu'à
son organisation complète sous Justinien, il importe de
se demander quel fut le sort de cette institution dans
l'ancien droit français, c'est-à-dire durant la longue
période qui s'étend depuis la conquête de la Gaule par
les barbares, jusqu'à la rédaction de notre code civil.
S'il est des institutions qui ne sauraient survivre à un
bouleversement général de la société, tel qu'il dut se
produire à l'époque de l'invasion des barbares, la prescription n'est certainement pas de ce nombre. Nous
avons constaté, en effet, que c'est surtout aux époques
de trouble et de désordre que doit se faire sentir davantage la nécessité de la prescription; on conçoit donc de
quelle utilité elle devait être à une société sans cesse
livrée à la violence et à l'instabili té . La possession
étant devenue à ce moment le titre rinci J!.l,_sinon le
titre unique de la pro:r>riété, les vaincus ne manquèrent
pas de s'en faire un moyen pour conserver leurs domaines sans cesse menacés. Par une constitution rendue dès
�-
92-
l'an 5.§.9, l'em ereur QlfilaiI'al~ vint déclarer que l'Eglise,
les ecclésiastiques et les provinciales, c'est-à-diré les
Romains, pourraient se défendrê contre toute revendication par la prescription de trente ans.
Quelques années plus tard, vers 595, une constitution
de Childebert, roi d'Austrasie, établit une prescription
nouvelle dont l'origine est évidemment romaine. La
propriété d'un immeuble se prescrivait par dix ans si le
propriétaire avait son domicile dans la juridiction du
dux ou du judex où l'immeuble était situé; par trente
ans dans le cas contraire.
A côté de ces règles en quelque sorte générales, ou
du moins applicables à mw agglomération ·considérable
d'individus, et . qui exigeaient une possession de longue
durée, on trouve des chartes de communes antérieures
au treizième siècle, qui se contentent d'une durée excessivement restreinte. C'est ainsi que les chartes des
communes de Troyes, de Pontoise, de St-Quentin, dé·
clarent qu'une année de possession suffit pour acquérir
la propriété d'un immeuble. La brieveté de ce délai,
qui peut étop.ner tout d'abord, est cependant facile à
justifier : ces lois ne régissant qu'un nombre d'individus
fort restreint, le fait de la possession devait nécessairement être bientôt connu du propriétaire, et son silence
ne pouvait s'interprêter que dans le sens de l'abandon
de son droit. Rien, d'ailleurs, n'était plus variable que le
délai imposé par les différentes coutumes, et tandis que
les unes exigeaient deux ans, d'autres trois ans, la
charte de la _commune d'Amiens, rédigée en 1190, admet·
tait pour les immeubles une prescription de sept années.
A partir du treizième siècle, cette diversité dans les
délais avait déjà disparu d'une façon à peu près com·
plète, quoiqu'on retrouve pourtant le délai de sept ans
�-
93 -
d:;ms la coutume de Hayonne, et 4Beaumanoir, obéissant
à une règle à peu près générale, fixa à dix ans, daii.s sa
coutume du Beauvoisis, le temps nécessaire pour acquérir par la possession les immeubles des majeurs.
Au seizième siècle l'organisation définitive de la prescription était chose accomplie, et l'on voit presque toutes
les coutumes exiger la réunion des trois conditions nécessaires encore aujourd'hui, c'est-à-dire le juste titre,
la bonne foi et un certain laps de temps de possession.
La coutume de Paris l'établissait en ces termes dans
son article 113 : << Si aucun a joui ou possédé héritage
ou rente à juste titre, tant pour lui que pour ses successeurs dont il a le droit et cause, franchement et sans
inquiétation par dix ans entre présents, et vingt ans
entre absents, il acquiert la prescription dudit héritage
ou rente. >> Ce serait toutefois une erreur de croire que
ce délai de dix ans ait été adopté d'une façon uniforme
par toutes les coutumes . Celles qui l'admirent furent
certainement très nombreuses, et avec l'article 11 3 de la
coutume de Paris, que nous avons déjà rapporté, on
peut citer, à titre d'exemples, la coutume de Calais ,
art. 205 ; celle de Meaux, art. 80 ; celle de Blois, art.
192; celle d'Auxerre, art. 188; celle de Melun, art. 170;
celle de Verdun, art. 1, titre 13; celle de Montfort, art.
61 ; etc. Mais à côté de ces coutumes il en existait
d'autres qui n'admettaient que la prescription de trente
ans. C'est ainsi, nous dit Dunod, << que ce qui est prescriptible par dix et vingt ans, suivant le droit romain,
ne peut être prescrit que par trente ans en FrancheComté. Il en est de même . en Bourgogne, Normandie,
Nivernais, Orléanais, la Marche, Bourbonnais et Auvergne. » Et ce jurisconsulte, approuvant cette décision,
ajoute << que ces coutumes ont ainsi coupé sagement la
�-
94 -
racine d'une infinité de procès, que la diversité des temps
des prescriptions introduites par le droit romain, la
preuve de la bonné foi et la qualité des titres qu'il exige
dans les prescriptions courtes, faisaient naître. » Il fau t
enfin ajouter que si quelques coutumes, comme celle de
Lorraine, par exemple, se contentaient de la bonne foi
pour permettre la prescription, d'autres, plus sévères,
notamment celle de Bruxelles, exigeaient le titre et la
bonne foi même pour la prescription de trente ans .
Il semble que dans les pays de droit écrit, où les
traditions du droit romain subsistaient davantage, la
prescription de dix à vingt ans devait seule prévaloir, et
c'est bien là ce que dit Dunod (1).
Nous croyons plus volontiers, avec Merlin (2), que cette
règle, loin d'être absolue, comme l'affirme Dunod, souffrait au contraire de nombreuses exceptions . Chorier,
dans sa Ju1·isprudence de Guy-Pape, page 333, dit que le
parlement de Grenoble ne reconnaît que les prescriptions de trente et quarante ans; et lorsque Bretonnier
affirme, dans ses Qiiestions alphabétiques, au mot prescription, que cette Cour est la seule qui juge ainsi, il se
trompe certainement, car Serres, dans ses Institutions
au droit français, livre 2, titre 6, dit que dans les pays
de droit écdt on n'a conservé la prescription de dix à
vingt ans qu'à l'égard des hypothèques. La même doctrine était établie au parlement de Bordeaux, et l'annotateur de La Peyrère fait remarquer que bien que la
prescription de dix ans soit établie contre le créancier,
néanmoins il faut trente ans pour prescrire contre le
(1) Traité de la p1'esc1'iption, part. 2, chap. VIII.
(2) Répertoi1'e, V' prescription, section II.
�-
95 -
propriétaire. Julien, dans son Corrvmentaire sur les statuts
de Provence, tome 2, page 516, assure que la même
chose existait au parlement d'Aix.
Après ce rapide exposé, qui nous permet de constater
une foi s de plus l'infinie variété des règles de notre ancien droit français, nous allons examiner les diverses
conditions requises par les coutumes ou les pays de droit
écrit qui admettaient la prescription acquisitive de dix
à vingt ans.
CHAPITRE IER
Du juste titre
Dunod, après avoir constaté que le droit civil, comme
le droit canon, exigent que la possession soit fo ndée s ur
un juste titre pour mener à la prescription, après un
délai de trois ans pour les meubles, et de dix ans poi;tt'
les immeubles , le définit de la mani ère suivante : cc ~
· 't_p..e.s_ gens,
~~n elle-même, soit ar
~.LJ2ar le droit civil, à transférer l e domaü1e, ''
Or, comme dans notre ancien droit, le simple consentement ne pouvait à lui ~eul transférer la propriété, c'est
avec raison que ~· a pu dire que le juste titre était
~t , ou un autre aci&_, de natun à transférer la
�..-- 96 p_!'gpriété par la tradition }!i _.Q.!!_~tait~ conséquence,
~e manière que l.orsque la propriété n'était pas transférée, c'était par le défaut de droit en la personne qui faisn,it la tradition, et non par le défaut du titre en conséquence duquel la tradition avait été faite. La notion du
juste titre est donc dans notre a!!_ciell_droit français ce
qu'elle était en droit romain, c'est-à-dire que le juste
titre est un acte juridique antérieur à la tradition et qui
l'explique, acte qui aurait eu pour conséquence le transfert de la propriété s'il eût émané du véritable propriétaire. Les contrats de vente, d'échange, de donation, les
' legs, etc., sont donc des justes titres ; au contraire, un
bail à ferme ou à loyer, un contrat de nantissement,
n'en sont pas.
Par application des principes du droit romain, c'était
à celui qui prétendait que sa possession était fondée sur
un juste titre, à justifier de l'existence de ce titre. S'il
prétendait, par exemple, qu'elle provenait d'une vente, il
devait en justifier par la présentation d'une expédition
du contrat qui avait été passé devant notaire. Si la
vente avait été faite sous signature privée, le possesseur de l'héritage en justifiait suffisan1ment par la
présentation de l'acte sous seing privé qui la constatait.
Mais ici se présentait un danger, car si, même à_ l' é~'trd
des ti~rs, cet acte sous seing privé prou!ait l'existerice
de la vente, il y avait à craindre que la facilité de l'antidater ne poussât les parties à la fraude. Un arrêt du
29 novembre 111.§..(1) vint pa~r à cet inconvénient, en
décidant que le possesseur devrait prouver par témoin
la durée de la possession qui procédait de ce titre.
(1) Journal cles Audiences, tome 6.
�- 97 Quant à fair e par témoin la preuve de la vente ellemême, ou de tout autre juste titre, le possesseur n'y était
autorisé ~e dans les trois cas
i nts : lorsque la
chose vendue était d'une valeur qui n'excédait pas cent
livres ; lorsqu'il y avait déjà un commencement de preuve
par écrit; lorsque l'écrit dressé pour constater l'existence du juste titre avait péri par suite de quelque
accident de force majeure ; lorsqu'il avait été détruit,
par exemple, dans l'incendie de la maison où il avait été
déposé, et, d'une faço n générale, toutes les foi s que le
possesseur pouvait justifier qu'il avait été perdu sans sa
faute.
La coutume du Poitou présentait une disposition bien
singulière en ce qui concerne le mode de preuve admis
pour établir l'existence d'un juste titre. Le possesseur
était cru et était dispensé de toute autre preuve , lorsqu'il
affirmait sous serment que l'immeuble pour lequel il
opposait la prescription lui avait été livré par un ti ers
en vertu d'un j~s te _!;itre. Il existait cependant deux cas
dans lesquels le serment du possesseur était impuissant
à établir l'existence d'un juste ti tre ; c'était, premièrement, lorsqu'il disait qu'il avait acquis l'immeuble du
demandeur lui-même, et que celui-ci le niait sous serment; et en second lieu, lorsqu'il prétendait que le juste
titre s'était produit, non pas en sa personne, mais en
celle de son auteur.
P othier (1) fait remarquer que cette disposition de la
coutume de P oitou, d' après laquelle le possesseur justifiait par son serment de l'existence du juste titre de sa
possession, devait être restreintè au territoire de cette
(1) Traite de la prescription art. IV, part. 1.
�-
98 -
province, car, ajoute-t-il, « elle ne s'accorde guère avec
l'horrible corruption des mœurs de notre siècle et avec
l'irréligion qui fait tant de progrès, et qu'on professe si
publiquement et si impunément . »
D'après Dunod, le titre sur lequel se fonde la possession doit présenter les caractères suivants; il faut :
® qu'il soit certain ;@ qu'il soit véritable et qu'il puisse
être appliqué à celui qui veut s'en servir;@ enfin qu'il
soit valable et capable de mettre le possesseur en bonne
foi, car, dit-il, cc l'erreur de droit n'excusant pas, il ne
suffirnit pas de croire bon un titre qui serait nul. »
D'après J;..othier (1), il fout: @ que le titre soit valable;
@ qu'il ne soit pas suspendu par quelque condition;
(fil) enfin, qu'il continue d'être le titre de cette possession
pendant tout le temps requis pour l'accomplissement de
la prescription. Le titre nul, nous dit Pothier, n'étant
pas un titre, la possession qui en procède est une possession sans titre qui ne peut opérer la prescription, et
comme exemple d'un titre nul, il cite le cas où quelqu'un s'est mis en possession des biens de son parent
qu'il croyait mort, quoique celui-ci fût encore vivant.
Il rapproche de ce cas celui où un légataire s'est mis en
possession, du vivant du testateur, de la chose léguée,
et il déclare que dans ce cas la possession a un juste
titre. cc Cujas, nous dit-il, donne pour raison de cette différence qu'il ne peut pas y avoir de succession d'un
homme vivant, au lieu qu'il peut y avoir des legs d'un
homme vivant, un testateur pouvant délivrer d'avance à
q)..lelqu'un la: chose qu'il lui a léguée. >>
Le titre putatif était-il suffisant pour mener à la prescription? Po-thier, adoptant la théorie du droit romain,
(1) frescrip . part. 1, chap. 3, art. 2.
�-
99 -
n'hésite pas à résoudre. cette question affirmativement
et réfute l'opinion contraire qui avait été soutenue par
Lemaitre . Celui-ci, s'appuyant sur les termes mêmes de
la coutume de Paris « si aucun a joui et posséclé ....... à
juste titre, etc ., en concluait que le système romain avait
été abandonné par cette coutume et autres semblables,
car, disait-il, l'opinion erronée d'un titre, quelque fon dement qu'elle ait, n'est pas un titre et ne peut pas
remplir ce que la coutume exige pour la prescription.
La réponse, disait Pothier, est que l'opinion qu'a le ,
possesseur que sa possession procède de quelque juste
titre, quoiqu'elle soit fausse, lorsqu'elle est appuyée sur·
un juste fondement, est elle-même un juste titre comme
sous le titre général p1'o sua : un tel possesseur peut
donc dire qu'il est dans les termes de la coutume de
Paris et qu'il a possédé à juste titre : << La coutume de
Paris, en l'article 113, ajoute-t-il, et les autres coutumes
semblables n'ont entendu faire autre chose que d'adopter
la décision du droit romain sur la prescription de dix et
vingt ans : les dispositions de ces coutumes doivent donc
s'entendre et s'interpréter suivant les principes du droit
romain, lorsque rien n'oblige de s'en écarter. >i
�CHAPITRE II
De la bonne foi
La bonne foi qui doit accompagner la possession pour
opérer la prescription est, nous disent les anciens auteurs, la juste opinion qu'a le possesseur d'avoir acquis
la propriété de la chose qu'il possède; en d'autres termes,
c'est la croyance, chez le possesseur, que la chose lui a
été transmise par celui qui en était propriétaire.
Comme on se demandait, nous dit Dunod, si celui qui
doutait était de bonne foi, on avait distingué deux sortes
de doutes : le possesseur pouvait. avoir des doutes sur
les droits de celui qui lui avait transmis la chose; ce
premier doute pouvait en faire naître un autre chez lui,
sur le point de savoir s'il devait retenir la chose en
sûreté de conscience et sans péché. Lorsque ces deux
doutes étaient réunis, le possesseur ne pouvait ni commencer, ni continuer une possession utile pour la prescription. Le motif qui avait fait admettre cette solution
était que celui qui est incertain sur le point de savoir
s'il doit continuer ou abandonner la possession de la
chose abdique, en quelque sorte, l'animus domini, condition essentielle à toute prescription. Si le do.ute portait
seulement sur le droit de celui qui lui avait transmis la
chose, la prescription ne pouvait sans doute pas corn-
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101 -
mencer, mais le possesseur pouvait continuer la prescription commencée déjà, lorsque, malgré ce doute, il
n'en était pas moins décidé à conserver le bien et à l'acquérir par prescription ; c'était une application de la
doctrine romaine mala (ides superveniens non nocet ; le
possesseur n'était pas sans doute à l'abri de tout reproche,
mais au moins avait-il conservé l'animus po'Ssidendi.
En ce qui concerne l'erreur de droit chez le posses·
seur, Dunod répond qu'elle était une excuse suffisante
« si la matière était épineuse et difficile, mais que si le
doute portait sur un droit clair, l'ignorance du droit
n'excusait pas la mauvaire foi. >> Pothier, s'appuyant sur
le texte de Paul, numquami in usucapionibus juris errnr
possessori prodest, rejetait dans tous les cas l'erreur de
droit.
D'après le droit romain, il suffisait que la bonne foi eût
existé chez le possesseur au commencement de la pos·
session j la connaissance qu'il pouvait acquérir plus tard
que )a chose ne lui appartenait pas, ne faisait nullement obstacle à la prescription et la chose devenait
sienne à l'expiration du temps requis pour prescrire. Le
droit canonique, au contraire, exigeait que la bonne
foi eüt existé chez le possesseur pendant toute la durée
de la possession : quoniam omne quod non est eœ fidè,
peccatum est .... , unde opportet, ut qui p1·œscribit, in nulla
temporis pa;rte, rei habeat conscientiam alienam ; de là la
question de savoir si le droit canon devait être suivi de
préférence au droit civil. Cette difficulté avait donné
naissance à cinq opinions différentes qui nous sont rapportées par Dunod de la manière suivante :
<< La première soutenait que les lois civiles doivent
être suivies dans les terres du prince q~i les a faites ou
reçues, et les canons seulement dans les terres du pape.
7
�-
102 .-
La seconde, que les lois civiles . servent de règle pour
le for extérieur et que l'autorité des canons doit être
bornée au for intérieur ou de la conscience.
La troisième, que les canons ne sont applicables qu'à
la prescription des choses, et que les lois civiles sont
demeurées dans leur force pour celles des· actions personnelles.
La quatrième étend les canons aux actions personnelles , même lorsque le débiteur a été mis en retardement.
La cinquième , que les canons doivent être suivis préalablement à toute loi qui autoriserait la prescription en
mauvaise foi . » Cette dernière opinion fut adoptée par
Pothier. « Cette disposition du droit canonique est très
équitable, dit-il. Par ln. connaissance qui survient au
possesseur avant qu'il ait accompli le temps de la prescription, que la chose qu'il avait commencé de bonne foi
à prescrire ne lui appartient pas, il contracte l'obligation
de la rendre, laquelle obligation naît du précepte de la
loi naturelle, qui défend de retenir le bien d'autrui. Cette
obligation étant une fo is contractée , dure toujours jusqu'à ce qu'elle soit acquittée et résiste à la prescription (t ). >>
Comme sous l'empire du droit romain, le successeur
pouvait joindre à sa possession celle de son auteur'.
Lorsque c'était un héritier ou .un autre successeur universel, sa possession étant censé n'être que la continuation de la possession du défunt, si ce dernier avait possédé de bonne foi un héritage et était mort avant l'accomplissement du temps de la prescription, son héritier,
quoiqu'il fût de mauvaise foi, pouvait l'acquérir par pros(1) Prcscrip . part. J, cliap. II art. 1.
�-
f03 -
cription en continuant à le posséder pendant le temps
qui restait à courir. Cette conséqueli.ce, exacte suivant le
droit romain, ne l'était plus dans notre ancien droit, car
nous avons vu que d'après la règle empruntée au droit
canonique: la bonne foi du possesseur devait durer pendant tout le temps requis pour prescrire. L a question de
savoir si l'héritier bénéficiaire hérite de la mauvaise foi
de son auteur avait fait cloute. Dunod pensait avec
raison que l'héri tier bénéficiaire n'en reste pas m~ ü1s un
véritable héritier , un successeur universel qui représe nte touj ours la personne du défunt.
CHAPITRE III
Du laps de temps
D'après la coutume de Paris, article 113, la prescription s'accomplissait par dix ans entre présents et vingt
ans entre absents. Le sens dans lesquels ces mots présents et absents s'entendaient était le même que sous
Justinien, c'est-à-dire que la prescription était censée
courir entre présents lorsque, tant le pos·s.esseur que le
propriétaire, demeuraient l'un et l'autre dans le ressort
du même parlement. On ne tenait nul compte de la situa.
tion de l'immeuble. L'article 116 de la ·coutume de Paris
dit : sont réputés présents ceux qui sont clemeurants en
la ville, prévoté et vicomté de P aris » , et la coutume de
�- 104 Meaux, article 82, cc on tient pour présents ceux qui
demeurent au même baillage royal. »
Lorsqu'on dit que la prescription court entre présents
quand le possesseur et le propriétaire ont leur domicile
dans le même baillage, on entend parler du domicile de
· fait, et c'est dans ce sens que le prend l'ordonnance
de 1667; il ne suffirait donc pas que l'un et l'autre eussent leur domicile de droit dans le même baillage, si
l'un ou }'autre n'y avait pas sa demeure actuelle. Lorsque
le possesseur ou le propriétaire n'avait de demeure fixe
nulle part, la prescription était censée courir entre
absents. Quand la prescription avait commencé entre présents et que, avant son accomplissement, le possesseur
ou le propriétaire transférait son domicile dans un
autre baillage, il fallait, pour l'accomplissement de la
prescription, doubler le temps qui restait à courir pour
la prescription de dix ans. Dans le cas il~verse, il ne
fallait plus, pour accomplir li:t prescription, que la moitié
du temps qui restait à courir de la prescription de vingt
ans, lorsque le propriétaire et le possesseur commençaient à demeurer clans le même baillage.
La coutume de Sedan s'était F,;eule écartée du droit
commun et faisait dépendre la présence ou l'absence de
la distance qui séparait l'héritage du domicile du propriétaire : cc Sont réputés présents, dit l'article 313, ceux
qui sont demeurants dedans dix lieux à l'environ de la
situation de l'héritage; et ceux qui sont clemeurants plus
loin que de dix lieux sont réputés absents. »
Lorsque quelqu'un prescrivait un héritage contre d~ux
propriétaires par indivis dont l'un habitait le même
baillage que le pbssesseur, et l'autre un baillage différent, la prescription de dix ans s'appliquait seulement à
la part de celui qui était réputé présent.
�CHAPITRE IV
Au profit de qui et contre qui pouvait courir la
prescription ? Effets de la prescription
Nous avons vu que dans le droit romain, les citoyens
étaient seüls admis au bénéfice de l'usucapion. Les
mêmes motifs qui avaient déterminé l'application de cette
règle à Rome, paraissent devoir recevoir application
dans notre ancien droit français, pour y exclure du droit
d'acquérir par prescription les étrangers non naturalisés.
Aussi Pothier pensait-il que le temps de la· prescription ne pouvait courir à leur profit tant qu'ils
n'avaient pas obtenu des lettres de naturalisation.
Le seigneur ne peut prescrire contre son vassal, était un
axiome reçu dans la plupart des coutumes ; il devait être
entendu en ce sens que le seigneur ne pouvait acquérir
la propriété du fief de son vassal en le possédant en
vertu d'une saisie féodale faite en sa qualité de seigneur ;
en effet, le seigneur possédait le fief saisi, non pas
comme s'il devait le conserver toujours, maisjusqu'à ce
que le vassal se présentât à la foi.
Il y avait dans notre ancien droit certaines personnes
contre lesquelles la prescription ne courai~ pas ; tels
étaient _les mineurs de vingt-cinq ans. Bien plus, lorsque
la prescription avait commencé à courir contre un
�- 106 majeur auquel succédait un mineur, elle était suspendue
au profit de cet héritier pendant sa minorité . Il y avait
cependant quelques coutumes qui s'étaient écartées de
cette règle ; celles du Ludunois et de Bretagne déclaraient que la prescription continuait à courir contre les
mineurs lorsqu'ils étaient pourvus de tuteurs . « Les
prescriptions commencées avec les · majeurs courent
contre ..... les mineurs, étant pourvus de tuteurs, etc ... >>
dit l'article 9 de la coutume de Bretagne.
A côté des biens des mineurs on rangeait dans la
catégorie des biens qui n'étaient pas soumis à la prescription de dix ou vingt ans : 1° les biens des églises et
des communautés ; la prescription de quarante ans leur
était seule applicable ; 2° les biens du domaine de la couronne. Le décret de 1790, qui déclarait à l'avenir le
domaine national aliénable, décida aussi qu'il pouvait
être prescrit, mais seulement par une possession de
quarante ans .
Les choses incorporelles étaient, dans notre ancien
droit, susceptibles de quasi possession et pouvaient,
comme telles, être acquises par la prescription de dix
à vingt ans par la jouissance qu'on en avait eue pendant ce temps-là. C'est ce qu'exprime formellement la
coutume de Paris : << si aucun a joui ou possédé héritage ou 1·ente ... '' ce qui s'entendait tant des rentes consti. tuées que des rentes foncières, et s'étendait aux autres
choses incorporelles. Quant à la prescription des servitudes, la plus grande diversité régnait dans les coutumes
(Merlin, Report. v0 • servit. § 22 et suiv .). On pourrait
cependant ranger les coutumes en quatre classes : les
unes admettaient la prescription pour toutes les servitudes sans distinction ; les autres ne l'admettaient que
pour certaines servitudes. Il y en avait qui rejetaient
�-
107 -
absolument la prescription, d'autres, enfin, qui suivaient
la regle « nulle servitude sans titre n et n'admettaient
pour la prescription que la possession colorée .
La prescription de dix à vingt ans était, dans notre
ancien droit, un véritable mode d'acquisition de la propriété; cette manière de voir, exprimée formellement
par l'article 113 de la coutume de Paris, avait été adop tée par la plupart des autres coutumes; l'article 118 de
la coutume de Senlis dit : << ils acquièrent par prescription la propriété et seigneurie, '' et l'article 431 de
celle d'Anjou.« a acquis le droit de propriété de la chose. n
La prescription faisait acquérir non seulement la propriété, mais, aux termes de l'article 114 de la coutume
de Paris, elle la faisait acquérir <<franche et quitte; ''
?lle éteignait donc de plein droit les rentes foncières,
hypothèques et autres charges réelles dont l'héritage
était grevé , pourvu, toutefois, que le possesseur eût été
de bonne foi et eût ignoré l'existence de ces charges.
Quoiqùe les coutumes disent « toutes rentes))' il faut néanmoins en excepter celles qui sont récognitives de la
seigneurie directe que le seigneur, de qui l'héritage
relève, s'est réservé; les droits de seigneurie étaient en
effet imprescriptibles, et il en était de même des devoirs
et des redevances qui en étaient ré~ognitifs. De même
encore le possesseur ne pouvait acquérir par prescription l'affranchissement du retrait seigneurial ou du retrait
lignager, car ces retraits étant de droit commun, il
avait dû s'y attendre ; la prescription, au contraire, le
déchargeait du retrait conventionnel.
Les droits de substitution dont les héritages pouvaient
être chargés n' étaient point sujets à la prescription de
dix ou vingt ans, lorsque b substitution avait été insinuée ; le motif en était que le possesseur de l'héritage
�-
108 -
grevé ne pouvait être de bonne foi, car il avait dû consulter les registres publics où ces substitutions étaient
enregistrées.
A l'époque de la rédaction du Code civil, le proj et du
titre de la prescription ayant été communiqué aux Cours
d'appel, il y en eut quelques-unes qui, se fondant sur
les difficultés que faisaient naître le domicile du propriétaire, souvent incertain, et la bonne foi du possesseur, proposèrent de supprimer la prescription acquisitive de dix et vingt ans. Le législateur pensa avec raison
que ces difficultés, quoique réelles, n'étaient cependant
pas suffisantes pour faire rejeter une institution aussi
utile, et le Code, dans son titre XX, décrété le 24 ventôse an XII , consacra la prescription décennale à côté de
la prescription trentenaire. Ap rès avoir constaté que la.
prescription s'impose par des considérations d'ordre
public, M. Bigot-Prearnenen, l'orateur du gouvernement,
déclare qu'une distinction doit nécessairement être faite
entre le possesseur avec titre et bonne foi, et celui qui
n'a à opposer que le fait même de sa possession : cc Le
possesseur avec titre et bonne foi, dit-il, se livre avec
confiance à tous les frais d'amélioration; le temps après
lequel il doit être dans une entière sécurité doit donc
être beaucoup plus court. Quant aux possesseurs qui
n'ont pour eux que le fait même de leur possession, on
n'a point de raison pour traiter à leur égard les propriétaires avec plus de rigueur que ne le sont les créanciers à l'égard des débiteurs. ''
<:..
�TROISIÈME PARTIE
DROIT FRANCAIS
>
DE LA PRESCRIPTION PAR · DIX A VINGT ANS
(Code civil, art. 2265-2269)
INTRODUCTION
Il est universellement admis que la possession est le
fait par lequel le droit de propriété se manifeste, d'où il
suit que, lorsque le droit marche d'accord avec le fait, la
possession est unie à la propriété, sans que la volonté
du propriétaire qui consent ·à céder la possession à un
tiers, comme dans le cas de louage, brise le lien qui unit
le droit au fait, car alors le propriétaire est censé jouir
de la chose par son fermier . .Mais lorsque le droit de
propriété est contesté, et que, parmi des personnes qui
�110 allèguent des prétentions également plausibles, il faut
rechercher où il se trouve, on est alors forcé de considérer la possession abstraction faite de la propriété. La
loi, fidèle à ce principe que la possession est un attribut
ùe la propriété, présume pro:visoirement, et jusqu'à
preuve contraire, que celui qui possède est propriétaire ;
si la possession a été assez longue pour établir cette
présomption, si elle a duré un an et un jour, elle lui
accorde les actions possessoires; si elle a continué pendant dix ou vingt ans avec certaines conditions, la loi
déclare le possesseur propriétaire.
Quelques auteurs , considérant rue la prescription
repose en grande partie sur la présomption de fait d'un
droit antérieurement acquis, ont pensé que la rédaction
de l'article 2019 était défectueuse, et que la prescription,
au lieu d'être un mode d'acquérir, 6tait plutôt la présomption légale d'une acquisition préexistante.
Cette manière de voir ne nous paraît pas admissible .
En effet, outre qu'il ne saurait y avoir d'autres présomptions légales que celles qui ont été attachées par un e
loi spéciale à certains actes ou à certains faits, dire que
la prescription est une présomption, c'est dire qu'elle
est un mode de preuve de la propriété. Or, telle n'est pas
certainement l'idée que le législateur s'est faite de la
prescription, puisque clans l'article 712 il la met sur la
même ligne que la donation et le testament ; la proscription est rangée par la loi parmi les faits par lesq uels
la propriété s'acquiert, ce n'est donc pas une preuve.
Un titre n'est d'ailleurs translatif de propriété que s'il
émane du propriétaire; or, celui qui invoque la prescription se fonde sur un titre qui n'émane pas du propriétaire, sans quoi la prescription serait inutile ; comment
donc soutenir que la prescription est la présomption lé-
�- 111 gale d'une acquisition puisqu'elle se fonde sur un titre
qui ne pouvait transférer la propriété ?
Cette notion de la prescription, contraire aux textes,
constitue d'ailleurs une innovation contraire à la doctrine
admise dans le droit romain et dans notre ancienne jurisprudence: A Rome, la prescription acquisitive, appelée
usucapion, était un des modes d'acquérir la propriété
quiritaire ; la définition du code civil a été empruntée
à Domat, pour lequel la prescription était un mode d'acquisition, et Dunod s'inspire de la même pensée quand il
dit : cc la prescription est un rnoyen d'acquérir le domaine
des choses en les possédant. 11
L'intérêt de la question est d'ailleurs purement théorique, car tout le monde es t d'accord sur la solution
de la difficulté' qu'elle présente dans l'application.; on
reconnaît, en effet, que bien que la prescription soit un
véritable mode d'acquisition, ses effets remontent au
jour où elle a commencé. Le législateur, il est vrai, n'en
pose pas le principe, bien moins encore en donne-t-il
la raison, mais il en consacre une application dans l'article 14.02. Si l'un des époux mariés sous le régime de la
communauté, achève pendant la durée de la communauté,
une prescriptisn commencée avant le mariage, l'immeuble sera-t-il acquet ou propre ? L'immeuble est propre, nous dit la loi ; c'est donc que la prescription produit son effet du jour où elle a commencé, car si l'effet
de l'acquisition eftt daté du jour où la prescription s'es t
accomplie, l'immeuble eftt été un acquet.
Avant d'entrer dans l'examen détaillé de la prescription décennale, faisons remarq'uer une inexactitude clans
la terminologie employée par le code. La rubrique de la
section III du chapi tre IV porte en effet ces mots : cc De
la prescription par dix ou vingt ans». On a souvent fait
�- 112 observer que cette formule semble indiquer que la prescription s'accomplit tantôt par dix ans, tantôt par vingt
ans, sans pouvoir présenter jamais de délai intermédiaire, tandis, au contraire, qu'elle est susceptible de se
réaliser dans un espace de temps compris entre le
minirrvuni de dix ans et le maxinvwm de vingt . .
Supposant la possession revêtue des caractères énumérés par l'article 2229 et nécessaires pour toute pres cription acquisitive, nous allons étudier successivement
les conditions particulières à cette · prescription privilégiée, et nous le ferons dans l'ordre que nous avons suivi
déjà pour l'étude de la prœscriptio long·i temporis du
droit romain, c'est-à-dire que nous distinguerons les
conditions relatives à la personne qui invoque la prescription, et celles relatives à la chose qu'il s'agit d'acquérir par ce mode ; dans un dernier chapitre, nous
parlerons des effets de cette prescription.
;
�CHAPITRE lllR
Conditions relatives
à la personne
SECTION PREMIÈRE
Du juste titre
Le juste titre nécessaire à la prescription de dix à
vingt ans est celui « qui de sa nature est translatif du
droit de propriété . >1 C'est ainsi que le définissait BigotPréameneu dans l'exposé des motifs. Ce titre est appelé
juste , non pas parce qu''ü émane du propriétaire, car
alors la prescription serait inutile, mais parce qu'il est
l'expression d'un des modes reconnus par la loi pour
opérer le déplacement du domaine des choses; parce que
lui seul peut déterminer chez l e possesseur la croyance
plausible qu'il s'est passé un événement qui l'a investi
de la propriété. Sans doute, à l'égard du propriétaire, ce
titre est injuste et celui-ci peut en paralyser les effets
en intentant l'action en revendication en temps 'utile ;
mais s'il ne le fait pas, on n'a plus égard à l'absence du
�-
114 -
droit dans la personne de celui qui s'est faussement prétendu maître de ln. chose afin de pouvoir l'aliéner, la
faute de l'aliénateur ne jaillit pas sur l'acquéreur qui
n'en est pas le complice, et le titre se dépouille de son
vice originaire en faveur de la possession. de borrne foi.
Les faits ou les conventi ons constitutifs du juste titre
sont aussi nombreux qu'il y a de manières différentes
d'acquérir la propriété ; nous examinerons les plus usuels.
La vente, contrat essentiellement · translatif, es t, de tous
les justes titres celui qu'on invoque le plus souvent pour
servir de base à la presc ription. L'échange es t un contrat tout à fait analogue à la vente. De même encore le
paiement et la dation en paiement, car donner en paiement c'est vendre; seulement il faut ici fair e remarquer
que lorsque c'est la chose due qui m' a été payée, comme
dans ce cas le paiement n'est que l'exécution d'une
convention antérieure, le titre pm solu to conc ourt toujours avec un autre, t andis que s'il y a dation en pp.iement proprement dite, le titre unique de la possession
consiste dans le paiement ; de même encore lorsque la
chose vendue est une chose indéterminée, comme la propriété est transférée par le paiement, le paiement seul
constitue le juste titre.
L es actes à titre gratuit peuvent également constituer
de justes titres , tels sont les donations et les legs . En
est-il de même du ti tre d'héritier ?
Les jurisconsultes romains plaçaient le titre pro hœr13de
parmi les justes titres , et notre Code dit que la propriété
s'acquiert par succession. Il n'en es t pas moi_ns vrai cependant que dans notre droit actuel, le titre d'héritier ne
peut servir de fondement à la prescrip tion de Q.ix an .
L'héritier n'a d'autre droit, en effet, que celui de son
auteur; si celui-ci avait un juste titre, l'héritier y succé-
�115 dera, mais il ne commencera pas une possession fondée
sur un titre nouveau, et si le défunt n'avait pas de titre
l'héritier ne saurait en avo ir aucun . S'il en était autrement en droit romain, c'est qu'on avait admis que le ti tre
n'était pas absolument nécessaire et que la bonne foi
était suffisante, pourvu qu'elle fût claire et légitime : tel
était le cas de l'héritier qui, trôuvant une 1·es aliena
parmi les choses héréditaires, la possédait croyant
qu'elle faisait partie de l'hérédité . Notre droit moderne
est plus rigoureux, il exige un titre translatif; or, si
dans cette hypothèse l'héritier a possédé, c'est évidemment sans titre, et la prescription de dix ans no le con. cerne pas .
Le titre pro dote se rencontrera rarement dans notre
droit français, car le mari devient, non pas propriétaire,
mais seulement administrateur de la dot de sa femme .
Si l'on se place cependant dans l'hypothèse de l'article
1552 et si on suppo se que l'immeuble appor té en dot a été
estimé avec déclaration que l'estimation vaut vente, le
mari l'usucapera par dix à vingt ans dans le cas où il
appartiendrait à un tiers. Sans cloute il y a eu dans ce
cas plutôt vente que constitution de dot, mais comme la
vente n' a d'autre but que de réaliser la constitution do
dot, on peut dire que le mari possède pro dote.
La tmnsaction est-elle un juste titre pour proscrire ?
La question ne souffrait aucune difficulté en droit
romain, et la solution affirmative se trouve dans plusieurs
textes ; en est-il de même dans notre droit français?
Nous ne le croyons pas .
Nous savons en effet qu'à la différence du droit romain,
qui s'attachait plutôt à la juste opinion du titre qu'au
titre lui-même, et qui souvent même co nsentait à ce
qu'on s'en passât , notre droit actuel se montre plus
�116 -
rigoureux sur l'existence du juste titre. Nous repoussons
aussi la doctrine admi s~ par les anciens interprètes et
qui consistait à distinguer si la transaction avait ou non
déplacé la possession. Il faut, croyons-nous, s'attacher
uniquement à la cause du contrat, et après avoir examiné les faits , voir si la transaction n'a fait que confirmer un droit antérieur, ou si elle a créé un droit nouveau. Si l'on supp ose que quelqu'un, dépouillé d'une
chose, transige avec le possesseur et l'abandonne à ce
dernier, la transaction devra être considérée comme un
titre véritablement translatif et pourra servir de base à
la prescription de dix à vingt ans. On peut même dire
que ce titre, quoique qualifié de transaction, est une
véritable vente, et que la possession est basée sur le
titre pro emptore.
La transaction constitue également un juste titre lorsque l'une des parties, afin d'amener un accord entre
elles, cède à l'autre un immeuble qui n'est pas compris
dans le litige .
Mais le plus souvent il n'en sera pas ainsi; la transaction interviendra presque touj ours sur un droit trèsdouteux, de telle sorte qu'il sera impossible de dire s'il
y a eu translation de propriété. Dans d!'l telles conditi ons , soit que la possession de la chose qui fait l'obj et
de la transaction ait été déplacée, soit que cette chose
soit restée entre les mains du possesseur primitif, celui
auquel elle est attribuée est censé l'avoir désormais au
ti tre dont il se prévalait avant la transaction.
Une transaction offre beaucoup d'analogie avec un
jugement; nous sommes ainsi amenés à nous demander
si ~s j.u.gé_e constitue un juste titre à l'effet de pres·
crire par dix et vingt ans.
A raison même de l'analogie qui existe entre la tran-
�-
117 -
saction et le jugement, nous sommes conduits à décider
pour le jugement ce que nous avons admis déjà pour la
transaction. Il y a des jugements qui sont de véritables
contrats de vente; tels sont les jugements d'adjudication. De tels jugements sont translatifs de propriété, ils
peuvent donc être invoqués comme justes titres. Mais
d'o rdinaire les jugements n'ont pas ce caractère, ils sont
déclaratifs de droits et non pas translatifs; ils déclarent
et sanctionnent un droit préexistant, ils ne le créent
point; ils ne sauraient donc être invoqués comme un
juste titre d'acquisition. Nous devons constater cependant que la Cour de cassation est d'un avis contraire et
que, par deux fois, elle a attribué au jugement la force
du juste titre (21 février 1827, Sir. 27, 1, 451; 14 juillet
1835, Sir 35, 1, 754).
Le contmt de société est-il un juste titre dans le sens
que nous donnons à ce mot au point de vue de la pres·
crip tion de dix à vingt ans?
L'affirmative ne semble pas douteuse si l'on considère
que le contrat de société est translatif de propriété. En
effet, à partir de la constitution de la société, la propriété des apports P9'SSe de chacun d<?s associés à l'être
moral que constitue leur réunion (1 ). Il faut dire cependant
que le contrat de société ne peut pas servir de fondement
à la prescriptio·n de dix à vingt ans; car, de deux choses
l'une, ou bien celui qui a mis dans la société un immeuble qui ne lui appartenait pas, le possédait en vertu d'un
juste titre et de bonne foi, et alors la société n'aura pa.s
besoin de commencer une prescription nouvelle~ mai_s
continuera la prescripyon commencée par l'associé qui
lui a transmis la chose; ou bien cet associé avait une
(1) Nous ne parlons que des sociétés commerciales, laissant
en dehors les sociétés civiles.
8
�-
118 -
possession sans titre et par conséquent de mauvaise foi,
et dans ce cas la possession sociale, qui ne saurait avoir
un caractère différent de la possession de l'associé par
lequel elle s'exerce, sera nécessairement viciée et la
prescription décennale inadmissible.
Si nous examinons maintenant la société ayant des
caractères particuliers qui se forme entre les époux
mariés sous le régime de la communauté, nous voyons
que la solution doit être différente. Si c'est la femme
qui apporte à la communauté un immeuble qu'elle savait
ne pas lui appartenir, le mari de bonne foi, seul maître
et seigneur de ce bien comme de tous ceux qui composent la communauté (art. 1421), commencera une prescription qui ne saurait être viciée par la mauvaise foi
de la femme, étrangère à la possession. Si l'apport a été
fait par le mari, la mise en communauté ne le déssaisissant pas de l'exercice du droit de propriété, la prescription demeurera impossible pendant comme avant le
mariage, à cause de sa mauvaise foi.
Après avoir parlé du contrat de société et de la prescription que l'on peut fonder sur ce titre, il nous reste à
examiner le partage, qui est la conséquence de la dissolution de la société ou de la communauté, et à voir si on
peut l'invoquer comme un titre suffisant pour servir de
base à la prescription de dix à vingt ans .
Nos anciens auteurs, suivant la doctrine du droit
romain, plaçaient le partage au nombre des titres translatifs et le considéraient par conséquent comme un juste
titre au point de vue de la prescription. Nous savons
au contraire que notre droit actuel s'est tout à fait écarté
des principes admis à Rome sur l'effet du partage, qui
est aujourd'hui purement déclaratif et jamais translatif.
Mais par .cela même que le partage, effaçant le temps de
�-
119 -
l'indivision, pr·oduit un effet rétroactif à l'époque de la
mise en société, de l'entrée en communauté, de l'ouverture de la succession, il peut se produire, relativement
à la prescription,, des difficultés qu'il importe d'examiner.
Voyons d'abord le partage, qui est la conséquence de la
dissolution d'une société .
Si par l'effet du partage, l'apport d'un associé tombe
clans son propre lot, cet associé sera considéré comme
n'ayant jamais cessé d'être propriétaire, et la prescription aura suivi son cours comme si la société n'avait
jamais existé .
'
Si l'immeuble apporté par un associé tombe dans le
lot de son coassocié, l'effet translatif remontant au jour
de la constitution de la société, le contrat de société
servira de juste titre à ce dernier. S'il était de mauvaise
foi au moment de la constitution de la société, c'est-àdire s'il savait que l'immeuble apporté par son associé
ne lui appartenait pas, il ne pourra évidemment pas
invoquer la prescription décennale; mais s'il était de
bonne foi il pourra certainement s'en prévaloir, car, par
l'effet du partage, le temps de l'indivision étant effacé,
il réunira les conditions exigées par l'article 2265.
Lorsqu'un partage se produit à la suite de la dissolution de la comml1nauté, les mêmes principes doivent
dicter les solutions.
Enfin, s'il sagit d'un partage entre cohéritiers, c'est-àdire d'un partage intervenu à la suite de l'ouverture
d'une succession, la question de savoir s'il peut constituer un juste titre ~e prescription dépend de l'étendue
que l'on donne à l'article 883 . Si l'on admet que le partage est déclaratif non seulement entre les cohéritiers,
mais encore à l'égard des tiers, erga onvnes, chacun des
héritiers étant censé tenir directement du défunt les
.·
�120 -
biens qui constituent son lot, ne saurait- invoquer d'autre
titre que celui que le défunt pouvait invoquer lui-mêmeIl nous s~mb l e préférable de croire que la fiction de
l'article 883 n'a d'effet que dans les rapports des cohéritiers entre eux, mais qu'à l'égard des tiers, à l'égard
du propriétaire, le partage constitue pour chaque héritier un juste titre. Chacun d'eux, en effet, doit être considéré, à l'égard des biens qui composent son lot, comme
un étranger qui les aurait acquis à la suite d'une
licitation.
Nous venons de voir quels sont les titres principaux
que le possesseur peut invoquer comme source de son
droit; mais il ne suffit pas que le titre soit de sa nature
translatif de propriété pour constituer un juste titre. Il
doit réunir encore d'autres conditions que l'on peut
résumer de la façon suivante. Il faut : 1° que le titre soit
réel et non putatif; 2° qu'il soit valable; 3° qu'il soit
définitif et non pas suspendu par l'effet d'une condition;
4° qu'il dure pendant tout le temps nécessaire à la prescription.
1° Nous disons que le titre doit être réel et non pas
putatif, et par titre putatif il faut entendre un titre qui
n'existe point, mais que le possesseur croit exister .
Notre ancien droit français, s'inspirant de la doctrine
romaine, admettait au contraire, ainsi que nous l'avons
vu, que le titre putatif pouvait servir de base à la prescription de dix à vingt ans ; on distinguait néanmoins
entre l'erreur de droit et l'erreur de fait. Si la personne avait possédé en vertu d'un titre sans existence
légale, mais qu'elle avait cru valab le par une erreur de
droit, elle ne prescrivait pas ; si, au contraire, elle avait
possédé en vertu d'un titre sans existence légale, mais
qu'elle avait cru valable par une erreur de fait, elle
�-
121 pouvait se prévaloir de la prescription. Nous avons vu,
aussi de bonne heure nos anciens jurisconsultes s'étonner
qu'on ne fit aucune distinction entre celui qui avait
acquis réellement et celui qui par erreur croyait avoir
acquis, et Lemaitre, commentant la coutume de Paris,
affirmer la nécessité d'un titre réel. Pothier, au contraire, fidèle à la doctrine romaine, admettait le titre
putatif ; cette doctrine a-t-elle été consacrée par le
Code? Quelques-uns l'ont pensé, se fondant sur ce que
les rédacteurs du Code suivent généralement la tradition.
Nous croyons, au contraire, que le titre réel peut seul
être invoqué pour la prescription. Tout d'abord, la tradition n'étant pas constante, ne saurait être invoquée, et
l'on peut objecter que le titre putatif étant un titre fictif,
un titre qui n'existe pas, on ne saurait se fonder sur le
silence du Code pour admettre une telle fiction, car il
appartient au législateur seul de créer des fictions et de
déterminer les conditions dans lesquelles il les admet. Si,
d'ailleurs, le Code n'exclut pas formellement le titre
putatif, il le rejette néanmoins d'une façon implicite, car
l'article 2265, beaucoup plus expressif que les anciennes
co_utumes, exige nécessairement un titre d'acquisition,
un titre translatif de propriété. Les travaux préparatoires confirment cette opinion : « Nul, dit Bigot-Préameneu, ne peut croire de bonne foi qu'il possède comme
propriétaire s'il n'a pas un juste titre, c'est-à-dire s'il n'a
pas un titre qui soit de sa nature translatif du droit de
propriété et qui soit d'ailleurs valable. ''
La· nécessité d'un titre réel étant admise, la solution
ne peut être douteuse dans les différentes hypothèses
que l'on peut rencontrer. Un acheteur, par exemple,
dont le titre ne porte que sur une partie des objets possédés, ne saurait invoquer la prescription que pour la
�-
122 -
partie de l'immeuble comprise dans son titre ; pour l'excédant il possède sans titre, ce qui rend la prescription
décennale impossible. Il faut remarquer, toutefois, qu'il
n'est pas nécessaire que le titre comprenne une désignation spéciale de toutes les parties de l'héritage qui
fait l'objet du contrat; mais c'est à celui qui prétend que
tel objet s'y trouve compris à en faire la preuve. Ainsi,
la donation faite à une personne d'une ferme telle quelle
<< s'étend, poursuit et comporte)) comprend telle pièce de
terre qui a toujours été considérée comme une dépendance dudit domaine ; et si un tiers revendique cette parcelle contre le donataire, celui-ci pourra certainement lui
opposer une prescription fondée sur la donation, à la
charge, toutefois, de prouver que la portion revendiquée
est comprise dans la donation (Cassation, 23 janvier 1837).
2° Il faut que le titre soit valable. Parmi les causes
nombreuses de nullité qui peuvent atteindre un titre, le
défaut des solennités prescrites est la seule que la loi ait
cru devoir consacrer.
L'article 2267 dit : « le titre nul pour défaut de forme
ne peut servir de base à la prescription de dix à vingt
ans. Il faut entendre par forme, dans cet article, la
solennité que la loi requiert dans certains actes comme
une condition substantielle, sans laquelle l'acte n'existerait pas ; on les appelle pour cette raison des actes
solennels : tels sont les donations et les testaments. La
loi ne nous dit pas que l'acte doit être valable en la
forme, mais, ce qui est bien différent, que le titre
nul pour défaut de forme ne peut servir de base à la
prescription; or, la nullité de l'acte n'entraîne la nullité
du titre que dans l~s contrats que nous venons de nommer et pour lesquels la loi exige des solennités qui constituent leur essence. La jurisprudence donne cependant
>)
�-
123 -
à l'article 2267 une étendue beaucoup plus grande~ëet
applique sa disposition à tous les écrits . C'est ainsi qu'il
a été jugé qu'un acte de vente notarié, dont la minute
n'avait été signée ni par le vendeur, ni par les témoins,
ne pouvait servir de juste titre à la prescription (Angers,
19 mars 1855; Dalloz, au mot prescript. n° 900, 2°). C'est
une confusion évidente entre le titre et la preuve du
titre . Le seul consentement des parties suffit à la validité de la vente, à la validité du titre, l'écrit n'est qu'un
moyen pour elles de se procurer une preuve littérale de
leur convention ; la nullité de l'acte ne peut donc pas
atteindre le titre . Ce que nous disons de la vente est
également vrai pour tous les contrats dont l'existence est
indépendante de l'écrit qui les constate. Lorsqu'il s'agit,
au contraire, d'actes solennels, d'actes pour lesquels les
formes déterminées par la loi sont exigées, non pas ad
probationeni, mais ad solemnitatem, la nullité de l'écrit
entraîne la nullité du titre, et l'on peut dire d'une donation nulle en la forme ce que l'article 1131 dit des contrats
sans cause : elle ne peut avoir aucun effei; j partant elle
ne peut servir de base à la prescription.
Ces principes, quoique certains donnent .lieu, dans
l'application, à une difficulté sérieus_e qui provient de la
disposition de l'article 1340. Après avoir dit, dans l'article 1339, que les donations nulles en la forme ne p_eu e..-v1\'
ètre confirmées, ce qui implique qu'elles sont inexistantes, le législateur dit, dans l'article suivant, que les
héritiers du donateur peuvent valablement confirmer la
donation en l'exécutant; ce qui revient à dire qu'à leur
égard la donation est seulement considérée comme nulle,
car ce qui caractérise les actes nuls, c'est qu'ils peuvent être confirmés, tandis que les actes inexistants ne
sont pas susceptibles de confirmation. On se demande
�-
124 -
""x alors si une donation exécutée par les héritiers du
donateur peut servir de base à la prescription.
La donation faite en dehors des formes légales étant,
à l'égard des héritiers du donateur, non pas un titre
inexistant, mais un titre frappé d'une nullité établie dans
leur intérêt, ceux-ci peuvent, en exécutant la donation,
c'est-à-dire en confirmant l'acte, le rendre valable : cette
donation peut donc ainsi devenir un juste titre.
On objecte que d'après' l'article 1338, la confirmation
ne saurait préjudicier aux droits des tiers ; or, ne seraitce pas violer cette disposition que d'opposer au propriétaire, comme servant de base à la prescription, une donation nulle en la forme ? Ce raisonnement ne nous
paraît. pas exact. En effet, par tiers l'article 1338 entend
ceux qui ont acquis un droit dans la chose postérieurement à l'acte nul, droit que la confirmation ne saurait
leur enlever. Mais la position du propriétaire n'est pas
telle ; son droit ne résulte pas de la donation, il est, au
contraire, antérieur à elle, et il peut le faire valoir
malgré elle en revendiquant la chose . La donation ne lui
enlève donc rien et on se trouve en dehors du principe
de l'article 1338.
Il faut appliquer aux legs et pour les mêmes motifs la
théorie des donations ; en effet, lorsque le testament est
nul en la forme, le legs est inexistant, il ne saurait constituer un juste titre. Mais pour que l'on puisse se demander si un legs contenu dans un testament nul en la
forme peut servir de base à la prescription, il faut nécessairement supposer que le legs a été exécuté; et alors se
pose la question de savoir si cette exécution ne constitue
pas une confirmation, et si, comme pour la donation, le
vice ne se trouve pas purgé? Nous ne le pensons pas.
L'article 1340 contient une disposition exceptionnelle
�- 125 relative aux donations, que l'on ne peut pas étendre aux
legs sans dépasser les termes de la loi. Nous devons
constater, toutefois, que la tradition est contraire et que
Pothier, se fondant sur la loi romaine, enseigne que le
legs devient un juste titre lorsque l'héritier le confirme .
Il est plus vrai de dire, nous semble-t-.il, que dans cette
hypothèse l'héritier n'exécute pas le legs, mais fait une
libéralité nouvelle qui doit être soumise aux formes
prescrites par la loi.
Les nullités de formes que nous avons étudiées jusqu'ici sont des nullités qui appartiennent à l'ordre public
et qui peuvent être invoquées par tout le monde . Mais,
à côté de ces nullités absolues il en est d'autres qui ne
sont que relatives, c'est-à-dire que ce sont des nullités
établies en faveur de certaines personnes déterminées
et qui ne peuvent être invoquées que par elles ; telles
sont les nullités qui intéressent les mineurs et les interdits . On se demande alors si, lorsque l'acte est vicié
par une de ces nullités relatives, la prescription décennale peut néanmoins être opposée au propriétaire.
Il arrivera quelquefois que l'acquéreur, traitant avec
le mineur ou l'interdit, connaîtra la qualité de la personne avec laquelle il traite, de telle sorte que les formalités légales protectrices de l'intérêt de ces personnes
n'étant pas observées, l'obstacle à la prescription se
trouvera dans la mauvaise foi de l'acquéreur. Toutefois,
dire que la prescription est impossible parce que l'acquéreur est de mauvaise foi, c'est tourner la difficulté,
car on peut avoir un juste titre et être de mauvaise foi,
et la question est de savoir si le titre frappé d'une nullité
relative est un juste titre. Nous croyons que cette question doit être résolue affirmativement, car la nullité
relative dont le titre est frappé n'empêche pas ce titre
�-
126 -
d'être translatif de propriété et de produire ses effets
tant que le mineur ou l'interdit n'invoque pas le bénéfice
du droit civil pour faire prononcer la nullité de son
obligation. Le tiers qui se prétend propriétaire et
combat la prescription invoquerait inutilement la nullité
de l'acte; la nullité n'existe qu'en faveur du mineur, et
tant que celui-ci ne l'invoque pas il ne saurait en être
question. Nous devons ajouter que, le plus souvent,
lorsque le possesseur invoquera la pre cription, l'action
en nullité qui appartient au mineur sera prescrite de
telle sorte qu'on ne saurait plus méconnaître le caractère translatif de l'acte. Sans doute alors pourra se poser
la question de bonne foi, mais nous ne nous occupons
ici que du juste titre et nous pensons que la nullité relative dont il est frappé ne l'empêche pas de servir de
base à la prescription de dix à vingt ans. Disons cependant que la Cour de cassation a jugé en sens contraire
que la vente des biens de mineurs faite en dehors des
formalités légales ne constitue pas un juste titre (Cassation, 1°' floréal an V. Dalloz, prescription, n° 900, 1°).
// Jusqu'à maintenant, nous renfermant dans les termes
de l'article 2267, nous avons supposé que la nullité de
l'acte invoqué comme juste titre tenait à la forme même
de l'acte ; mais un acte peut être nul pour un grand
nombre de causes prises ailleurs que dans sa forme. Il
peut être entaché de quelque vice intrinsèque, par
exemple, être attaquable pour cause d'erreur, de dol,
de violence, ou comme contraire aux lois ou aux bonnes
mœurs. Hâtons-nous de dire que le Code ne contient
aucune règle sur le point de savoir si de tels titres
peuvent servir de fondement à la prescription, et que
nous sommes par conséquent forcés de remonter à la
tradition. D'Argentré avait introduit une distinction fort
�-
127 -
rationnelle et qui doit encore· être suivie aujourd'hui,
entre les nullités absolues et les nullités relatives . Les
premières , fo ndées sur des raisons d'intérêt public, pouvant être invoquées par toute personne, seront opp osables par le propriétaire: à celui qui prescrit; ainsi , les
titres prohib és par la loi, les substitutions, les contrats
qui ont un caractère déshonnête ou contraire aux mœurs,
tel que l'achat d'un immeuble litigieux par un magistrat
ou un officier ministériel dans le cas prévu par l'article 1597, et aut res analogues, sont entachés d'une nullité d'ordre public que tout le monde peut invoquer. Ces
l'rnllités pourront donc être opposées par le propriétaire
qui revendique : de semblables titres ne sauraient servir
de base à la prescription décennale.
Restent les titres que la loi ne déclare nuls que dans
un intérêt privé . Si la partie intéressée n'en demande pas
la nullité , rien n'empêche qu'ils ser vent à fonder la
prescription. P armi ces nullités relatives, nous avons
déjà vu celles qui tiennent à l'absence des fo rmalités
légales qui doivent accompagner les actes faits par certaines personnes naturellement incapables, telles que les
mineurs et les interdits , nous pouvons y ajouter les actes
d'aliénation faits par la femme sans l'autorisation de son
mari.
· L e défaut de transcription _des donati ons de bîens
immobiliers est enco re une nullité relative, et l'article 941
nous dit que la nullité de la donation pourra être opposée
par t oute personne intéressée . La question se pose alors
de savoir si le donataire qui a reçu un immeuble de
quelqu'un qui n'en était pas le propriétaire et n'a pas
fait transcrire la donation, peut néanmoins opposer au
propriétaire qui revendique l'immeuble la prescription
de dix à vingt ans fond ée sur une donation non trans-
�-
128 -
crite; en d'autres termes, si le propriétaire peut être
rangé parmi les intéressés que la transcription a pour
but de protéger. Nous ne le croyons pas. D'après l'article 938, la donation dûment acceptée est parfaite par
le seul consentement des parties; la transcription n'est
nullement nécessaire pour opérer le transfert de propriété. Cette formalité n'a d'autre but que de permettre
d'opposer la transmission de propriété à certains tiers,
et par ce mot il faut entendre seulement ceux qui auraient acquis des droits réels sur l'immeuble du chef
du donateur postérieurement à la donation. L e propriétaire qui revendique ne peut être rangé dans cette catégorie, puisque son droit est antérieur à la donation.
La loi du 23 mars 1855, en exigeant la transcription
des actes translatifs de propriété immobilière, a fait
naître, pour les actes à titre onéreux, une question analogue à celle que nous venons d'étudier pour les aliénations à titre gratuit. L'acquéreur qui n'a pas fait transcrire son contrat d'acquisition peut-il opposer la prescription de dix ans au propriétaire qui revendique l'immeuble ? La réponse nous paraît encore devoir être
affirmative, et voici pour quels motifs. Le but de la loi
de 1855, qui exige la transcription des actès translatifs
de propriété immobilière, est de prévenir, par ce moyen,
les tiers qui pourraient traiter avec le précédent propriétaire. Ce sont donc ceux qui, postérieurement à la
vente, ont acquis des droits sur l'immeuble du chef du
vendeur qui ont. intérêt à invoquer le défaut de transcription . Mais si on suppose que la vente a été faite a
non domino, qu'importe au véritable propriétaire que le
contrat ait ou non été transcrit ? Le fait de sa dépossession avait dû suffisamment l'avertir et le mettre en
demeure d'exercer son action en revendication; la trans-
�-
129 -
cription du contrat de vente est donc pour lui une chose
indifférente.
Sans doute, d'après l'article 2180, le tiers détenteur ne
commence à prescrire contre les créanciers privilégiés
et hypothécaires qu'à partir du moment où il a fait transcril"e son contrat d'acquisition, mais il ne faudrait pas
en conclure que ce qui est vrai des créanciers privilégiés
et hypothécaires, le soit aussi du propriétaire. La disposition spéciale de l'article 2180 s'explique par cette considération, qu'une simple substitution dans la personne
du détenteur de l'immeuble affecté au privilége ou à
l'hypothèque, n'étant pas regardée comme suffisante pour
avertir les créanciers de la mutation de propriété, le
législateur a dû imposer, dans leur intérê"t, une transcription qui la leur révélât. La situation du propriétaire est toute différente, et lorsque l'acquéreur a non
domino aura possédé pendant le temps requis par l'article 2265, son droit reposera, non pas sur la vente que
le propriétaire n'avait nul intérêt à connaître, mais SUL'·
la prescription qui s'est accomplie à son profit et à la
quelle la vente est seulement venue servir de titre.
- 3° Il faut que le titre soit définitif et non pas suspendu
par l'effet d'une condition. Disons tout d'abord que lorsque le titre est sous condition résolutoire, il ne constitue
pas moins un juste titre dans le sens de l'article 2265,
car cette condition ne suspend pas les effets du contrat.
La 10i fait une application de ce principe dans l'article
1665 à celui qui acquiert avec faculté de rachat pour le
vendeur: l'acquéreur, quoique propriétaire sous condition
résolutoire, prescrit néanmoins contre le véritable propriétaire.
Lorsque la condition s'accomplit, comme la résolution opè~·e son effet rétroactivement, le titre est censé
�-
130 -
n'avoir jamais existé et le possesseur ne peut invoquer la prescription.
La condition suspensive est d'une nature toute différente. Elle suspend les effets du contrat, notamment en
ce qui concerne la translation de la propriété. Le titre
affecté d'une semblable condition n'est donc pas un titre
translatif de propriété, d'où il suit qu'il ne peut pas être
invoqué pour la prescription. Mais, objecte-t-on, pour
qu'on puisse se poser la question de savoir si le titre
sous condition suspensive peut servir de base à la prescription, il faut nécessairement supposer que la condi- ·
tion est accomplie, car autrement il n'y aurait pas de
titre, et alors, comme la condition rétroagit, ne peut-on
pas dire que l'acquéreur est devenu propriétaire au jour
du contrat et qu'il peut invoquer son titre à partir de
ce moment ? On répond que si l'acquéreur est entré en
possession avant l'arrivée de la condition, ce n'est évidemment pas en vertu de son titre, car le titre ne lui
donnait pas droit à une possession actuelle ; s'il est
entré en possession, c'est en vertu d'une convention
ultérieure qui l'obligeait éventuellement à re's tituer : il
ne peut donc pas invoquer la prescription, car il ne
possédait pas à titre de propriétaire.
4° Il faut que le titre dure pendant tout la temps
nécessaire à la prescription. Cette dernière condition ne
saurait faire l'objet d'aucune difficulté, car il est évident
que si la possession cesse d'être ce qu'elle était à l'origine, s'il survient un événement qui change le caractère
de la possession, la prescription devient impossible.
Comme la prescription dont nous traitons s'accomplit
par un laps de temps qui peut varier de dix à vingt
ans, le possesseur qui l'invoque doit justifier que
le titre sur lequel il la fonde remonte au moins dix
�-
131 -
ans en arrière. Si le possesseur produit un acte authentique, il ne saurait y avoir de contestations; mais s'il
invoque un acte sous signature privée, comme cet acte
ne fait foi de sa date qu'entre les parties, l'acquéreur ne
pourra l'opposer au tiers revendiquant qu'à partir du
jour de l'enregistrement ou de l'événement qui lui aura
donné date certaine (art. 1328, C. civ .).
SECTION DEUXIÈME
De la bonne foi
La deuxième condition qui doit se trouver clans la
pers<mne de celui qui invoque la prescription de dix à
vingt ans, c'est la bonne foi.
La b0nne foi exigée par l'article 2265 peut être définie
la juste opinion qu'a le possesseur d'avoir acquis la
propriété de l'immeuble qu'il possède : jus ta (opineo
q·uœsiti domini. Dunocl, disant que la bonne foi consiste
dans l'ignorance du droit qu'un tiers a sur la chose
qu'on prescrit, n'avait pas donné une idée assez lai:ge
de cette condition nécessaire à la prescription de dix à
vingt ans, car on peut ignorer le droit du tiers contre
lequel on prescrit et n'être cependant pas de bonne
foi. Ainsi, il n'y a pas de bonne foi de la part de celui
�132 -
qui achète contre la prohibition de la loi, quand même
il serait de bonne foi par rapport au véritable propriétaiee de la chose.
Nous établirons plus loin, quand nous traiterons des
effets de la prescription de dix à vingt ans, qu'elle a pour
objet non seulement de consolider l'acquisition faite
par un tiers, mais encore de le libérer des charges qui
grèvent l'immeuble.
Il faut donc, pour arriver à ce résultat, que le tiers
acquéreur ne connaisse pas l'existence du droit qui
grève l'immeuble. C'est ainsi qu'il a été jugé que l'adjudicataire d'une forêt soumise à un droit d'usage ne
peut opposer la prescription décennale à l'usager lorsqu'il a été fait mention du droit de celui-ci dans le
cahier des charges.
On peut résumer ainsi les conditions constitutives de
la bonne foi. Il faut : 1° ignorer qu'un autre que celui
qui vous transmet la chose en est propriétaire; 2° être
convaincu que celui qui vous la transmet avait le droit
et la capacité de l'aliéner; 3° la recevoir par un contrat
pur de fraude et de tout autre vice .
Ainsi, si l'acquéreur sait que le bien qu'il achète n'appartenait pas à son vendeur, il est de mauvaise foi ; sur
ce point il ne saurait y avoir de doute. Mais la jurisprudence est allée plus loin, et on considère l'acquéreur
comme de mauvaise foi lorsque il a su que le droit de
propriété de son auteur était judiciairement contesté au
moment du contrat; il ne peut, en ce cas, être convaincu
que le vendeur était propriétaire et qu'il l'est devenu
lui-même. On ne doit donc pas considérer comme étant
de bonne foi celui qui doute si son auteur était ou non
propriétaire de la chose vendue, avait ou non le droit
de l'aliéner; car autre chose est croire, autre chose est
�-
133 -
douter. Troplong dit que la bonne foi est une croyance
positive, une confiance entière dans le droit qu'on
exerce; le doute n'est qu'un milieu entre la bonne et la
mauvaise foi . Ce principe, quoique certain, semble avoir
été méconnu par un arrêt de la Cour de Lyon du 28
décembre 1841. Dans l'espèce, un acheteur savait que
l'immeuble acquis par lui avait été l'objet d'une donation
de la part de son vendeur, mais il soutenait que des
faits antérieurs à son contrat de vente lui avaient fait
croire que le donataire n'avait point accepté la donation :
ce donataire ne s'était pas mis en possession, il avait
repoussé une demande en aliments fondée sur l'existence
de cette donation. Il y avait peut-être là raison de douter
de l'acceptation, mais y avait-il cette justa opinio
quœsiti dominii exigée par les auteurs, cette certitude
de bonne foi requise pour prescrire? Nous ne le croyons
pas .
Lorsque l'acquéreur d'un immeuble sait qu'il n'appartenait au vendeur que pour une partie déterminée, ce
n'est qu'à l'égard de cette partie qu'il est acquéreur de
bonne foi. Mais celui qui, avant le partage d'une succession composée de plusieurs immeubles, aurait acheté
l'un d'eux d'un seul des cohéritiers, bien qu'il n'ignorât point que par l'événement du partage cet immeuble
pouvait être exclu en tout ou en partie du lot de son
vendeur, devrait être considéré comme n'ayant rien
acquis de bonne foi, et n'aurait pas de titre à la prescription. L'arrêt de la Cour de cassation qui repousse la
prescription décennale semble dire que, dans cette
-hypothèse, l'obstacle à la prescription se trouve dans
le défaut de titre de l'acquéreur auquel l'héritier n'a pu
transmettre plus de droit qu'il n'en avait lui-même. Il y
a là certainement une confusion; l'acquéreur avait un
9
•
�-
1311 -
titre, car il prétendait que son aute ur était héritier apparent, et la jurisprudence admet que l'héritier apparent
peut vendre; mais là n'était pas la question, car, n,insi
que nous l'avons dit, les circonstances de la cause prouvaient que le vendeur ne pouvait pas être considéré
comme héritier apparent, et que par conséquent la bonne
foi manquait à l'acquéreur.
Du principe que nul n'est censé ignorer la loi il suit
que l'erreur de droit exclut toujours b possession de
bonne foi. C'est ainsi qu'il a été décidé, par un arrêt de
la Cour d'Orléans du 15 juin 18'20, que l'ignorance des
vices d'un acte translatif de propriété nécessaire pour
constituer la bonne foi de celui qui possède comme propriétn,ire, ne doit pas s'entendre d'une nullité de droit JUi
vicierait cet acte.
"? Malgré la parfaite validité du titre d'acquisition, la
prescription de dix à vingt ans peut encore être rendue
impossible lorsqu'une disposition légale mettait obstacle
à l'aliénation; ainsi celui qui, dans l'ignorance de l'article 1988, aurait cru pouvoir acquérir valablement d'un
mandataire muni d'une ,procuration conçue en termes
généraux, ne prescrirait, malgré sa bonne foi réelle,
que par le laps de trente ans. De même encore les donataires ne pourraient opposer la prescription décennale
aux héritiers du donateur qui réclament la délivrance de
la légitime qui leur est due (Nancy, 6 mars 1840).
Lorsque le titre de l'auteur est vicié par une cause de
nullité ou de rescision et que l'acquéreur a connaissance
de ce vice, il ne saurait être considéré comme de bonne
foi . La question ne fait aucun doute lorsque la nullité
est absolue et d'ordre public, car le possesseur doit
s'attendre ù. être évincé ; mais en est-il de même des
nullités relatives? Nous avons déjà décidé que la nullité
•
�-
135 -
relative qui entache le titre du possesseur n'tlmp êche
pas qu'il ne constitue un juste titre; mais ici, et en ce qui
concerne la bonne foi du possesseur; nous adoptons une
opinion différente. La nullité relative rend en effet la
propriété annulable, et par cela seul que le possesseur
connaît cette cause de nullité, il ne peut plus invoquer
sa bonne foi . Ce qui est vrai de la nullité ou de la rescision, l'est aussi de la résolution qui affecte le titre de
l'auteur.
La mauvaise foi continuerait à subsister, même après
que la prescription décennale de l'article 1304 aurait
effacé, à l'égard .des parties, la cause de nullité ou de
rescision de l'acte ; cette prescription n'empêcherait
nullement !le vrai propriétaire, tant que la prescription
trentenaire ne serait pas acquise contre lui , de faire
valoir, pour évincer l'acquéreur, le défaut de bonne fo i
de celui-ci au moment de l'acquisition. Mais si la nullité
était couverte lors de la tradition par la renonciation de
la partie intéressée à s'en prévaloir, la possession de
l'acquéreur serait alors de bonne foi. Ainsi, lo"rsque l'héritier, renonçant à faire valoir quelque défaut de forme
du testament, fait délivrance de la chose léguée, le légataire devient capable de prescrire la propriété par dix
à vingt ans contre le vrai propriétaire.
L'article 2268 dispose que la bonne fo i est toujours
présumée, d'où il suit que c'est à celui qui allègue la
mauvaise foi de la prouver. II y a cependant des circonstances de fait qui, si elles ne sont point contestées, dispensent celui qui les allègue de toute autre preuve de
mauvaise foi . Ainsi, suivant un arrêt de la Cour de
Bourges (10 janvier 1826), la circonstance que dans 1a
vente d'un acquet de communauté consentie par le mari
seul après le décès de la femme, on a relaté l'acte
�-
136 -
d'acquisition des époux, a fait assez connaître à l'acquéreur la nature du fonds vendu pour qu'il ne soit point
fondé à se prévaloir' de sa bonne foi vis-à-vis des héritiers de la femme, ni, par suite, à leur opposer la prescription de dix à vingt ans. Il a été jugé en sens contraire, que la seule énonciation, dans l'acte de revente,
du titre du second vendeur, constatant que celui-ci
n'avait pas payé son prix, ne suffit pas pour constituer
le sous-acquéreur en état de mauvaise fo i. Il faudrait
encore, dit la Cour, qu'il fût prouvé que le sous-acquéreur
a réellement connu que le vendeur n'était pas payé. '
L a preuve de la mauvaise foi du possesseur est soum~se aux règles du droit commun, c'est-à-dire que la
preuve par t émoin ne sera admissible que s'il a été impossible de se procurer une preuve litt érale. Toutes les
fois que la preuve testimoniale est admise , les présomptions le sont aussi; or, comme le plus souvent il sera
difficile d'établir la mauvaise foi par témoin, c'est au moyen des présomptions que les juges établiront la mauvaise
foi du possesseur.
A quelle époque doit exister la bonne foi ainsi présumée? L'article 2269 nous dit qu'elle doit exister au moment de l'acquisition, c'est-à-dire qu'il suffit qu'elle
existe à l'origine de la possession. C'est la reproduction
de la doctrine romaine. Nous avons vu cependant que
même à Rome, et lorsque la fusta causa était à titre gratuit, la question de savoir si la bonne foi ne devait pas
persister pendant toute la durée de la possession. était
douteuse. Justinien trancha la controverse en décidant
que même lorsque la possession serait fondée sur le
titre prn donato, la bonne fo i qui n'a existé qu'à l'origine
seulement suffirait. Le droit canonique, au contraire,
plus sévère, exigeait que la bonne foi persistât pendant
�-
137 -
tout le temps de la possession, et la plupart de nos
anciennes coutumes avaient adopté ce principe.
La doctrine du Code civil, déjà critiquée par la Cour
de Bourges dans ses observations sur le projet de Code,
a été vivement blamée par la plupart des auteurs modernes. Dans la prescription de dix à vingt ans, dit-on,
le temps n'est abrégé qu'en considération du juste titre
et surtout de la bonne foi; or, si la cause cesse, l'effet
doit cesser aussi. Le manque de bonne foi lève toutes
les différences entre le porteur d'un titre et le simple
possesseur à qui la loi ne permet de prescrire que par
trente ans. Approuver la doctrine du Code civil « c'est
dire que la loi doit être plus indulgente que la morale,
dit M. Laurent (t. 32, n° 416). Cela est vrai en ce sens
que la loi ne peut pas toujours condamner ce que la
morale condamne; mais quand elle établit un principe
sur le fondement de la morale, elle doit être conséquente
et séyère jusqu'au bout. Nous ne concevons pas que le
législateur soit moral au début de la prescription et
qu'il soit immoral ~nsuite; car c'est être immoral que
d'autoriser une prescription fondée sur la bonne foi,
alors que le possesseur n'est pas de bonne foi. Le législateur ne doit jamais favoriser la mauvaise foi. »
On ne saurait contester que le système adopté par le
Code civil ne présente quelque inconséquence, mais nous
sommes loin de souscrire à la sévère appréciation du
savant professeur belge, et d'admettre avec lui que la
loi fait preuve ici d'immoralité. Il nous semble au contraire que l'indulgence de la loi est pleinement justifiable
et cela pour plusieurs motifs. Personne n'ignore, en effet,
les difficultés inextricables et les contestations nombreuses auxquelles la doctrine du droit canonique avait
donné lieu. Lorsque le propriétaire exerce son action
�- 138 en revendication contre le possesseur qui lui oppose la
prescription de dix ans, nous avons vu qu'il doit faire la
preuve de la mauvaise foi de ce dernier au moment de
son entrée en possession, et que cette preuve il ne peut
la trouver le plus souvent que dans des présomptions
livrées entièrement à l'appréciation des juges . Si cette
preuve est déjà pleine d'incertitude et d'arbitraire
lorsqu'il s'agit cependant d'établir que la mauvaise foi
existait à un moment déterminé, combien plus d'incertitude et d'arbitraire ne doit-elle pas présenter lorsqu'il
s'agit de démontrer que pendant une période qui varie
entre dix et vingt ans, la bonne foi du possesseur a pu
être un moment suspectée. Peut-on s'étonner alors que le
législateur ait voulu mettre un terme à ces contestations
fâcheuses, et peut-on l'accuser d'immoralité pour avoir
voulu tarir la source de procès si dangereux pour l'honnêteté des parties? Car si la morale publique souffre de
voir ·un possesseur conserver une chose qu'il sait appartenir à autrui, ne souffre-t-elle pas davantage de voir
le propriétaire chercher à faire la preuve d'une immoralité que le plus souvent il ne pourra pas établir ?
En second lieu, et quoiqu'il soit contraire à la conscience de ile pas restituer le bien d'autrui qu'on possède
sciemment, cette faveur que la loi accorde à celui qui
a perdu la bonne foi qu'il avait à l'origine de sa possession, n'est pas sans fondement, et la distinction faite
entre celui qui dès son acquisition était de mauvaise foi
et celui qui, de bonne foi à l'origine, n'a connu que plus
tard le droit d' un tiers sur la chose qu'il possède, n'est
pas sans raison d'être. Le premier a commis un acte
coupable que rien n'excuse et qui ne mérite aucune indulgence; si le législateur consolide la mauvaise foi
après trente ans, on peut dire que c'est par nécessité,
�-
139 -
•
et pour rie pas éteruiser l'incertitude des possessions .
Le second, au contraire, est dans une situation toute
différente et qui certainement mérite quelque faveur. En
même temps qu'il acquérait la possession, il a cru qu'il
devenait propriétaire et s'est conduit en conséquence ;
il a cultivé et amélioré la chose ainsi reçue, il y a peutêtre incorporé des capitaux considérables; dans tous
les cas, il en a payé le prix à son auteur, et ce dernier
?St-il peÛt-ètre déjà insolvable au moment où il s'aperçoit que, n'étant pas propriétaire, il n'a pu lui transférer
ce qu'il n'avait pas. Sans doute, si ce possesseur est
d'une honnêteté parfaite, il préférera restituer la chose
à son pr9priétaü;e, au risque bien souvent de consommer
sa propre ruine; mais on ne saurait reprocher au législateur de ne lui avoir pas imposé cette dure nécessité,
d'autant plus que, si le plus souvent le possesseur n'a
aucune faute à se reprocher, il n'en est pas de même du
propriétaire négligent qui a abandonné sa chose pendant
de longues années.
Quelle que soit la valeur de ces considérations, il
nous semble que le législateur aurait pu se soustraire
aux reproches que nous avons vu lui adresser les jurisconsultes modernes, en consacrant la distinction admise
à Rome entre les aliénations à titre gratuit et les aliénations à titre onéreux, distinction supprimée bie·n à tort,
selon nous, par Justinien. Si après avoir payé un immeuble dont je me crois devenu le propriétaire, je ne
pouvais opposer la prescription de dix à vingt ans à
celui qui le revendique plus tard, en se fondant sur ce
que mon auteur n'en avait pas la propriété, j'éprouverais
un préjudice considérable, préjudice que ne saurait justifier l'intérêt d'un propriétaire négligent. Au contraire,
si le possesseur est un donatafre, la situation est toute
•
�-
140 -
différente. Quelle que soit la négligence du propriétaire,
elle ne saurait devenir une cause de gain pour le possesseur qui certat de lucro captando.
L'application de ce principe qu'il suffit que la bonne
foi ait existé lors de l'acquisition du tiers détenteur pour
qu'il puisse se prévaloir de la prescription de dix à vingt
ans, a donné lieu à une question intéressante. On sait
que lorsque la prescription est interrompue, à dater de
l'interruption elle reprend son cours et dans les mêmes
conditions que celles qui existaient antérieurement. Mais
si la prescription de dix à vingt ans a été interrompue
par un acte par lequel on revendique le droit de propriétaire, la prescription qui recommencera peut-elle
être celle de dix à vingt ans ? Troplong soutient la né·
gative (Prescript. t. II, n°688). La prescription qui recommence, dit-il, ne peut être que la prescription trente- ,
naire, car là où manque la bonne foi, la prescription décennale est impossible. Un arrêt du 2 avril 1845 a cependant jugé en sens contraire, en se fondant sur ce que
l'interruption rend seulement inefficace la possession
•
antérieure sans affecter le titre duquel elle procède.
Ce même principe qu'il suffit que la bonne foi ait
existé au commencement de la possession, a soulevé une
difficulté par rapport au successeur particulier. Lorsqu'il
s'agit d'un successeur universel, comme sa possession
n'est que la continuation de celle de son auteur, il
prescrit par dix ou vingt ans, malgré sa mauvaise foi
personnelle, pourvu que la possession du défunt ait été
de bonne foi à l'origine. La solution doit-elle être la
même lorsque le défunt, ayant été de bonne foi, le successeur particulier est de mauvaise foi? Celui-ci peut-il
invoquer la prescription décennale ? Troplong admet
cette solution ; il veut que le successeur particulier qui
•
�- 141 est de mauvaise foi puisse toujours tirer de la possession
de bonne foi de son auteur le même avantage qu'un successeur universel ; et la raison qu'il en donne, c'est
qu'aux termes de l'article 2269, il suffit que la bonne foi
·ait existé au commencement de la possession. Cela nous
paraît être une erreur. Sans doute il suffit que la bonne
foi ait existé au début de la possession, et tant qu'il n'y
aura qu'une seule possession, la mauvaise foi, survenant
au cours de cette possession unique, sera insignifiante.
Mais lorsqu'en droit comme en fait les possessions sont
multiples, n'est-il pas vrai de dire que chacune de ces
possessions, pour être efficace, doit réunir les conditions
exigées par la loi ? Si donc le successeur particulier est
de mauvaise foi au début de la possession, il ne pourra
pas invoquer la prescription décennale, malgré la bonne
fo i de son· auteur, parce que sa possession est distincte
de celle de son auteur. Troplong dit vainement que,
puisque la mauvaise foi du successeur universel est indifférente pour la prescription décennale, il doit en être de
même de celle du successeur particulier, et qu'on ne
saurait donner une bonne raison de cette différence.
Cette raison se trouve précisément dans ce principe
développé par M. Troplong lui-même, que pour le successeur universel il n'y a qu'une seule possession, tandis
que pour le successeur particulier il y a deux possessions distinctes. Puisqu'il y a deux possessions, et par
conséquent deux commencements de possession, il faut
qu'il y ait deux fois existence de la bonne foi. Si d'ailleurs le système de M. Troplong, sur le successeur particulier, était adopté, il en résulterait cette conséquence
qu'il n'y aurait plus aucune différence entre celui qui,
de bonne foi à l'origine, n'a connu que plus tard le droit
du propriétaire, et celui qui a été de mauvaise foi dès le
�-
142 -
début de sa possession. Or, cette solution aurait dû
être encore plus inadmissible pour M. Troplong que
pour tout autre, car nous savons que ce savant magistrat ne se contente pas de trouver indulgente la disposition de l'article 2269, qui absout un possesseur de sa ·
mauvaise fo i postérieure à raison de sa bonne fo i originaire; il déclare qu'elle est en opposition avec la morale;
or, si dans le cas d'un possesseur plus malheureux que
coupable cette indulgence est une immoralité, que seraitelle donc dans le second cas ?
L'article 2269 nous dit que la bonne foi du possesseur
doit exister « au moment de l'acquisition ii; que faut-il
entendre par ces mots? Dans notre droit actuel, quand il
s'agit d'actes entre vifs, le moment de l'acquisition est
certainement celui du contrat; le concours des volontés
suffit en effet à transférer la propriété : c'est donc à ce
moment que se réalise l'acquisition et que l'acquéreur
doit par conséquent être de bonne foi. Il faut cependant
remarquer que cette façon de s'exprimer << au moment
de l'acquisition >i, a quelque chose de défectueux et
d'impropre dans l'article 2269 . La prescription, supposant en effet que l'aliénateu r n' est pas propriétaire, le
contrat ne saurait avoir pour effet la réalisation d'une
acqu isition. La bonne foi doit donc exister, non pas au
moment de l'acquisition, puisqu'il n'y en a pas, mais au
moment où se serait réalisée l'acquisition si le transmettant eût été propriétaire de la chose qui fait l'obj et
du contrat. C'est donc dans un sens conditionnel que le
mot acquisition est employé dans l'article :2269, et cette
même idée se retrouve dans la rédaction de l'article 2265,
où l'on lit : « celui qui acquiert >i au lieu de « celui qui
aurait [tCquis ,, ,
En ce qui concerne le legs , comme b propriété se
�-
143 -
transfère par l'effet du testament, et que le testament
produit son effet à l'ouverture de la succession, il nous
semble que c'.e st à ce moment que doit exister la bonne
foi . On objecte que l'acquisition ne se consomme d'une
manière définitive que par l'acceptation du legs, d'où
suivrait que c'est lors de l'acceptation que le légataire
doit être de bonne foi. Cette raison n'est pas déterminante ; la loi dit, en effet (ârl;. 711), que la propriété s'acquiert par donation testamentaire; c'est donc au décès
du testateur que le légataire devient propriétaire. Sans
doute son droit n'est pas définitif, mais s'il accepte le
legs, son acceptation rétroagira au jour de l'ouverture
de la succession; ce qui prouve bien que l'acceptation
n'est exigée que pour confirmer son droit et non pour le
faire naître.
Il est un auteur, M.. Delvincourt, qui admettait bien
comme nous qu'il suffit que la bonne fo i ait existé au
moment de l'acquisition; sous ce rapport, le texte de ln.
loi est trop formel pour pouvoir soutenir le contraire ;
mais, considérant que si la propriété peut s'acquérir
cmimo solo, il n'en est pas de même de la possession, qui
ne peut s'acquérir que CM'JJOre et a1n/imo, il décidait que,
conformément aux anciens principes, la prescription ne
commençait à courir qu'à partir de la tradition de la
chose . La réponse est fac ile : l'article 2228 nous dit, en
effet, que la possession est la détention d'une chose que
nous tenons par nous-mêmes ou qu'un autre tient en
notrn nom ; or, lorsque le vendeur cesse d'être propriétaire, il ne possède plus, il détient seulement poue l'acheteur, quand même les titres de propriété ou las clés des
bâtiments vendus n'auraient pas été remis à l'acheteur.
Ajoutons, d'ailleurs, que la question ne présente d'intérêt que lorsque le vendeur n'étant pas de bonne foi,
�-
144 -
ne prescrivait pas par dix ou vingt ans; car, autrement,
l'acheteur pouvant joindre à sa possession la sienne
propre, il deviendrait indifférent que le temps écoulé
entre le contrat et la délivrance de la chose fit partie de
la première ou de la seconde possession.
SECTION TROISIÈME
De la durée de la possession
Ainsi que nous le faisions remarquer plus haut, le
temps pendant lequel doit durer la possession du détenteur est, non pas un délai préfix de dix ou vingt ans,
mais un délai qui peut varier de dix à vingt ans, suivant la présence ou l'absence du propriétaire. Cette distinction établie dans la durée de la possession, suivant
que le propriétaire est réputé présent ou absent, fut critiquée par la Cour de cassation lors de la communication du projet du Code civil aux cours et tribunaux.
Le motif sur lequel s'appuyait cette Cour était que cette
distinction n'avait plus de raison d'être, étant donnée la
grande faci lité de communications qui ne permet plus de
supposer qu'il est trop difficile de veiller à ses biens
quand on n'est pas dans le ressort de la mème cour
d'appel. La Cour de Lyon fit une observation semblable,
�- 145 et celle de Paris proposa de fixer à quinze ans le délai
de la prescription avec titre et bonne foi, sans avoir
égard à la présence ou à l'absence des parties.
Quoiqu'il en soit, cette distinction a été maintenue par
le Code; seulement, le sens dans lequel on doit entendre
ces mots présent et absent est tout autre que celui dans
lequel on les entendait en droit romain. D'après le droit
romain, suivi à peu près universellement dans notre
ancien droit, la prescription était réputée courir entre
présents lorsque celui qui prescrivait et celui contre
lequel on prescrivait avaient leur domicile dans une
même circonscription déterminée ; on ne se préoccupait
pas de savoir en quel lieu était situé l'immeuble qui
faisait l'objet de la prescription. La présence ou l'absence était donc une relation du propriétaire au possesseur, et non du propriétaire à l'immeuble . Il n'y avait
qu'une seule coutume, celle de Sedan (art . 313), où l'on
eùt égard à la distance qui séparait l'immeuble possédé du domicile des parties. Cette disposition isolée
est devenue la règle de l'article 2265. Il n'y a plus à ·
s'occuper du domicile du possesseur, mais seulement
de la situation de l'immeuble possédé, et c'est par rapport à cet immeuble qu~ le propriétaire est réputé
présent où absent, suivant qu'il a ou non son domicile
dans le ressort de la cour où l'immeuble est situé.
Il est hors de duute que cette innovation du Code civil
constitue une amélioration sensible de l'ancien droit, qui
n'avait pas assez considéré que le présence des individus
dans un même lieu ne leur apprend rien sur la possession et l'usurpation d'un immeuble qui est peut-ê_tre situé
bien loin de l' endroit où ils habite~t. Voici, d'ailleurs,
quel fut le langage de l'orateur du gouvernement pour
justi:füer cette innovation : <c Le but que l'on se propose
�-
146 -
est de donne r à celui qui possède une plus grande faveur
à raison de la négligence du propriétaire, et cette faute
est considérée comme plus grande s'il est pr ésent. Mais
ceux qui ne se sont attachés qu'à la présence du propriétaire et du possesseur dans le même lieu ou clans un lieu
voisin, n'ont pas songé que les actes possessoires se
font sur l'héritage même. C'est clone par la distance à
laquelle le propriétaire se trouve de l'héritage qu'il est
plus ou moins à portée de se maintenir en possession ;
il ne saurait, le plus souvent, retirer aucune instruction
du voisinage du nouveau possesseur. Ces lois ont été
faites clans les temps où l'usage le plus général était
que chacun vécût auprès de ses propriétés. Cette règle
a dû changer avec nos mœurs, et le vœu de la loi sera
rempli en ne regardant le véritable propriétaire comme
présent que lorsqu'il habitera dans le ressort du tribunal
d'appel où l'immeuble est situé . ''
Nous avons dit que la disposition de l'article 2265 a
été empruntée par les rédacteurs du Code civil à la
coutume de Sedan. Il est à regretter qu'après avoir
admis avec raison le principe qui consiste à rega rder le
propriétaire comme plus ou moins négligent, suivant
qu'il est plus ou mo ins éloigné de sa propriété possédée
par un tiers, ils n'aient pas appliqué toutes Tes conséquences de ce principe en établissant d'une manière
invariable, comme le faisait l'article 313 de la coutume
précédemment nommée, la distance ù laquelle il est
réputé absent. Au lieu de cela, ils se sont arrêtés au fait
de son habitation dans le même ressort que celui où est
situé l'immeuble, sans r emarquer qu'avec une semblable
règle il peut arriv~r que le propriétaire soit réputé
absent, alors cependant que l'immeuble est situé à
quelques pas de sa maison, t andis qu'il peut être réputé
\.
�-
147 -
présent bien qu'il en soit séparé par une distance de
plus de quarante lieues .
L'article 2266 a pour objet de régler le cas où le véritable propriétaire a eu son domicile, en différents temps,
hors du ressort et dans le ressort : « Si le véritable propriétaire a eu son domicile, en différents temps, hors
du res sort et dans le resso rt, il faut, pour compléter la
prescription, ajouter à ce qui manque aux dix ans de
présence un nombre d'années d'absence double de celui
qui manque pour compléter les dix ans d'absence. n Bien
que jamais aucune difficulté ne se soit élevée sur l'interprétation à donner à cet arlicle, il faut convenir
néanmo ins que b rédaction en est défectueuse . En supposant avec la loi que le propriétaire a été successivement présent et absent dans le sens légal du mot, le
nombre d'années d'absence double, nécessaire pour compléter la prescrip tion, doit être ajouté, non pas à ce qui
manque aux années de présence, mais bien aux années
de présence déjà accomp lies.
La question s'est posée de savoir si la distinction que
la loi fait entre les présents et les absents était applicable
à l'Etat. L'affirmative a été soutenue et on a prétendu
que l'Etat devait être réputé présent là où siège le gouvernement, et absent ailleurs. Nous ne croyons pas qu'il
soit nécessaire d'insister beaucoup pour prouvel' que
partout 011 prescrit pour dix ans contee l'Etat ; en effet,
l'Etat est présent partout, car partout il a des agents
chargés de veiller à ses in térêts .
Après avoir ainsi indiqué quelle est la durée que doit
avoir la possession, nous ne nous arrêterons pas à examiner les règles . ur la manière ds la calculer, car ces
règles ne sont pas spécüiles à la prescription décennale
et sont, au contraire, communes à toute espèce de pres-
�- 148 cription. Nous nous demanderons seulement dans quel
sens la loi a entendu la présence ou l'absence du propriétaire, en d'autres termes, si on doit s'attacher a son
domicile de droit ou simplement à sa résidence, son
domicile de fait.
Disons tout d'abord qu'au point de vue des textes,
cette question qui a divisé la jurisprudence et la doctrine
est indécise. En effet, l'article 2265 commence par dire :
« si le véritable propriétaire habite dans le ressort, '' ce
qui indique la résidence de fait; puis, prévoyant l'absence,
il continue : << s'il est domicilié hors dudit ressort, » ce
qui, évidemment, doit s'entendre du domicile de droit.
Lorsque nous avons étudié la prescription décennale
clans l'ancien droit français, nous avons vu que Pothier
décidait d'une façon formelle que la présence du propriétaire devait s'entendre du domicile de fait, de la
résidence, et non pas du domicile de droit. Or, si on
considère que ln. décision de. Pothier est en harmonie
parfaite avec l'esprit de la loi et avec les travaux préparatoires, il nous semble qu'aujourd'hui encore, et bien
que la présence du propriétaire ait une signification
autre que dans notre ancien droit, on doit l'entendre
toujours du domicile de fait, de la présence effective du
propriétaire. Mais ce qui, d'après nous, doit surtout décider la question, ce sont les considérations dont s'est
inspiré le législateur en cette matière, considérations
que nous indiquions plus haut en rapportant les paroles
mêmes de l'orateur du gouvernement. Le législateur a
pensé avec raison que cette circonstance que le propriétaire et le possesseur habitent dans le même ressort,
était sans importance au point de vue de. savoir si un
immeuble avait été l'objet d'une usurp ation, parce que
l'immeuble pouvait être situé bien loin de là. Il a cru'
�-
149 -
que le propriétaire serait plus facilement informé des
faits de possession lorsqu'il habiterait dans le voisinage
de son domaine, et c'est pour cela que, dans cette
hypothèse, il a décidé que la prescription s'accomplirait
contre lui par dix ans . Dans l'opinion contraire, et en
rattachant la présence au domicile légal, ·ces considérations n'auraient plus aucune valeur, car une personne
peut avoir son domicile dans un lieu où elle n'a jamais
résidé et où par conséquent il lui est impossible d'exercer
une surveillance quelconque.
Quelques auteurs, et parmi eux M. Troplong, ont
pensé au contraire que la présence ou l'absence du propriétaire étaient uniquement déterminées par son domicile de droit; et le principal argument sur lequel ils
se sont fondés est tiré de l'embarras considérable que
susciterait l'application de l'article 2266, si la loi eftt
voulu qu'on tînt compte de toutes les allées et venues,
de tous les déplacements du propriétaire. Nous y répondrons en faisant remarquer que le domicile de droit a
aussi ses inconvénien,ts à raison de la difficulté qu'il y
a souvent à le déterminer; que, d'ailleurs, des déplacements momentanés ne suffisent pas pour changer la résidence, l'habitation de fait . On a aussi invoqué l'esprit
général de notre législation sur le domicile, et cette
idée que pour le règlement des rapports juridiques dans
lesquels une personne peut se:trouver avec une autre
elle est toujours censée présente au lieu de son domicile
(Aubry et Rau, t. 11, p. 136, note 38, § 218). Nous
répondrons, avec M. Laurent, que c'est donner aux principes une prépondérance sur la réalité des choses; que
les principes sont faits pour les hommes et non les
hommes pour les principes. Qu'importe. que le domicile
de droit soit la règle générale ? Cette règle peut et doit
10
�-
150 -
recevoir des exceptions· quand c'est l'habitation plutôt
·que le domicile de droit qui doit être prise en considération. Quand les principes conduisent à des conséquences absurdes, le législateur fait bien de laisser là les
principes et de tenir compte de la réalité des choses .
Lorsque la possession s'exerce sur une chose appartenant à deux propriétaires par indivis, dont l'un demeure
dans le ressort où l'immeuble est situé, et l'autre dans
un autre ressort, le possesseur acquiert par dix ans la
part du propriétaire présent; mais il lui faut vingt ans
de possession pour acquérir la part de l'autre. Si la
chose était indivisible, la prescription ne pourrait s'accomplir que par vingt ans.
CHAPITRE II
Des conditions relatives à 1a chose
La prescription de dix à vingt ans, quoique constituant
une dérogation au principe formulé par l'article 2262, qui
consacre la prescription trentenaire, n'en est pas moins
soumise aux règles générales sur la prescription:Nous
ne nous arrêterons pas néanmoins à examiner les caractères généraux qui rendent les choses susceptibles de
prescription, car notre étude a uniquement pour objet
les règles partï"culières à la prescription décennale.
�-
15'1 -
Mais par cela même qu e les règles de la prescription
de dix à vingt ans sont des règles exceptionnelles , elles
ne doivent pas être étendues , et nous en concluerons
t out de S\Üte que, l'article 2265 ne parlant que des
immeubles ip.dividuellement déterminés, les universalités
de biens irrimobiliers se trouvent par là exclues de cette
prescription pri vilégiée .
Ainsi, en général, et conformément au principe de
l'article 2226, tout immeuble qui est dans le commerce
peut être l'obj et de la prescription décennale. Une
exception qui mérite d' être mentionnée comme fait historique a été apportée cependant à cette règle générale
par une loi du 12 m, · 1871. L'article premier de cette loi,
r endue à la suite des funes tes excès commis à P aris sous
la commune, est ainsi conçu : << sont d éc~ ar és inaliénables, jusqu'à leur retour aux mains du propriétaire,
to us les biens meubles et immeubles de l'Etat, du département de la Seine, de la ville de P aris et des communes
suburb aines , des établissements publics , des églises ,
des fabriques, des sociétés civiles, commerciales ou
savantes, des corporations, des communautés , des particuliers, qui auraient été soustraits, saisis , mis sous
sequestre, ou détenus d'une manière quelconque, depuis
le 18 mars 1871 , au nom ou par les ordres d'un prétendu
Comité central, comité du Salut public, d'une soit-disant
commune de P aris ou de tout autre pouvoir insurrectionnel, par leurs agents, par toute personne s'autorisant
de ces ordres, ou par tout autre individu ayant agi
même sans ordre à la faveur de la sédition. ii L'article
second de la loi consacre la conséquence qui résulte
de 'l'inaliénabilité proclamée par l'article premier : « Les
aliénations frapp ées de nullité ne pourront, pour les
immeubles, servir de base à la prescription de dix à
�- 152 vingt ans, et pour les meubles donner lieu à l'application des articles 2279 et 2280 du Code civil. Les biens
aliénés pourront être revendiqués, sans aucune condition
d'indemnité et contre tous détenteurs, pendant trente
ans à partir de la cessation officiellement constatée de
•
l'insurrection de Paris. »
J-usqu'ici nous avons considéré la prescription de dix
à vingt ans comme s'appliquant à la pleine propriété
d'un immeuble; il faut se demander maintenant si elle
peut s'appliquer aussi au simple démembrement de la propriété d'autrui à l'effet de le faire acquérir. La base de la
prescription acquisitive se trouvant dans la possession,
il faut nécessairement supposer que. ce démembrement
est susceptible de possession. L'usufruit se présente en
première ligne.
La prescription décennale s'applique-t-elle à l'usufruit?
Cette question ne saurait faire l'objet d'aucune difficulté.
En effet, l'article 526 range l'usufruit dans la catégorie
des immeubles, et l'article 2118 nous dit qu'il peut servir
de base à l'hypothèque ; il se trouve donc nécessairement comp ris dans la formule générale employée par le
législateur dans l'article 2265, et il faut en conclure que
la jouissance à titre d'usufruitier, fondée sur un titre
émané du propriétaire apparent, fera prescrire l'usufruit
contre le véritable propriétaire après un délai de dix ou
vingt ans.
Quant aux droits d'usage et d'habitation, nous croyons
que leur quali té d'immeubles les fait aussi tomber sous
l'application de l'article 2265. La loi , il est vrai, ne les a
pas rangés, dans l'article 526, parmi les droits immobiliers, mais puisque l'usage n'est en réalité qu'un
usufruit restreint, il nous semble que lorsque son objet
�-
153 -
est immobilier, i\ doit être, comme ce dernier, rangé
dans la catégorie des ifomeubles .
La ques tion de savoir si la presc ription de dix à vingt
ans s'applique aux servitudes présente beaucoup plus de
difficultés ; nous ne voulons, bien entendu , parler que
des servitudes continues et apparentes , car ce sont les
seules qui soient susceptibles d'être acquises par la prescription. M. Troplong pense qu'il y a analogie parfaite
entre les servitudes et l'usufruit; que comme lui elles
sont immeubles par l'obj et auquel elles s'appliquent, et
que par conséquent elles ne sauraient échapper à la
disposition de l'article 2265. Cherchera-t-on à se prévaloir de l'article 690 pour dire que la loi exclut toute
autre prescription que celle de trente ans ? Ce serait une
erreur. L'article 690 ne parle que de la prescription qui
s'appuie sur la seule possession, il ne s'occupe pas de la
prescription avec titre : le L es servitudes continues et
apparentes s'acquièrent par titre, ou par la possession
de trente ans. ii Dans ce dernier membre de phrase , la
po ssession es t séparée du titre, par conséquent il est
naturel qu'elle ne conduise à la prescription que par le
délai de trente ans.
L es partisans de cette opinion invoquent ensuite la
t radition. Sous l'empire des coutumes où l'on suivait la
maxime (( nulle servitude sans titre ii, et où par conséquent on n'admettait pas la prescrip tion trentenaire, on
reconnaissait cependant la prescription décennale fond ée
sur un titre qui n' émanait pas du véritable propriétaire.
Or, il n'est pas vraisemblable, dit-on, que les r édacteurs
du Code civil, qui ont consacré la prescripti on de trente
ans repoussée par les coutumes , n'aient pas admis, à
l'égard des servitudes, la prescription de dix ans fond ée
�-
154 -
sur un titre, prescription admise par les coutumes ellesmêmes. Si dans l'article 690 il· n'est parlé que de la
prescription de trente ans, c'est que cette prescription
constitue elle seule une innovation ; la prescription décennale se trouvant déjà autorisée par les coutumes, le
Code n'avait pas à en parler.
Nous ne suivrons pas cette doctrine. Nous croyons
au contraire que la prescription de dix à vingt ans ne
s'applique pas aux servitudes, et qu'en cette matière,
l'article 690 est la seule règle à suivre ; en d'autres termes, que malgré le juste titre et la bonne foi, il faut une
possession de trente ans pour acquérir les servitudes
par la prescription. L'argument qui nous paraît décisif
est celui que l'on tire du rapprochement des articles 690
et 2264 . L'article 2264, qui se trouve clans le chapitre V,
intitulé : Du temps requis pour prescrire, dit que les
règles de la prescription sur d'autres objets que ceux
mentionnés dans le titre de la prescription, sont expliquées dans les titres qui leur sont propres. Or, dans le
titre consacré aux servitudes, on trouve une disposition
spéciale concernant la prescription; c'est l'article 690,
qui exige une prescription de trente ans pour l'acquisition d'une servitude par prescription ; la prescription
décennale se trouve par cela même exclue .
On nous objecte, avons nous vu, que l'article 690
contient deux dispositions distinctes, l'une réglant l'acquisition des servitudes en vertu d'un titre émanant du
véritable propriétaire, l'autre s'occupant des servitudes
basées uniquement sur la possession séparée du titre
coloré; que convertir en une disposition limitative les
termes évidemment énonciatifs de l'article 690, et transporter dans son texte la formule restrictive qùi n'est
écrite que dans l'article 691, c'est changer la loi et la
�-
155 -
refaire à son idée. Il nous semble que ce reproche se
retourne contre ceux qui nous l'adressent, car ils méconnaissent la généralité absolue du t exte et introduisent une distinction que ses termes et son esprit repoussent également.
Sans doute, dans nos anciennes coutumes on admettait
l'acquisition des se rvitudes par la prescription de dix à
vingt ans en vertu d'un titre color é, mais c'était là un
temp érament à la rigueur extrême de la maxime généralement suivie « nulle servitude sans titre. » L e Code,
en décidant que les servitudes peuvent s'acquérir ·par
une prescription de trente ans, n'est pas venu compléter
la th éorie admise par les coutumes ; il a créé un sys tème
nouveau qui se suffit à lui-mêI)le, et rien n'est plus facile
que de le justifier lorsqu'il exige pour les servitudes
une possession de trente ans. L a possession d'une servitude es t moins caract érisée que celle de la propriét é
ou de l'usufruit ; elle n'éveille pas au même degré
l'attention du propriétaire, elle est donc plus à redouter.
S'il est juste que le législateur ait refus é l'action en
revendication au propriétaire après un délai qui varie
entre dix et vingt ans, on s'étonnerait qu'il en eût décidé
de même en matière de servitude.
Nous avons dit que la prescription de l'article 2265 est
une prescription exceptionnelle ; elle ne saurait donc
être étendue ; il faudrait pour cela un texte précis, et
ce texte n'existe pas . On a dit enfin que, dans notre
sys tème, on ne fait aucune distinction entre le possesseur de bonne foi qui s'appuie sur un titre et celui qui
n'a ni titre ni bonne fo i; que, pour l'un comme pour
l'autre, le délai est le même, ce qui est une grave inconséquence.
· - Nous répondons à cela, qu'en mati ère de prescription,
�-
156 -
la loi, avant de prononcer la déchéance des droits du
propriétaire, ne s'est pas uniquement préoccupée de la
condition du possesseur. Sans doute le législateur a
voulu que, dans l'intérêt de ce dernier, la possession ne
restât pas longtemps incertaine, mais il a vu aussi dans
la prescription un moyen de punir le propriétaire qu'il
considère comme ayant fait une abdication de son droit.
C'est en s'inspirant de cette dernière idée qu'on a fait
varier la durée de la prescription entre dix et vingt ans,
suivant que le propriétaire avait plus ou moins de facilité
pour connaître l'usurpation dont il avait été la victime.
Si le Code s'est occupé de l'intérêt du possesseur en
abrégeant, dans certains cas, le délai de la prescription,
il tient compte avant tout des droits contre lesquels on
prescrit, et c'est ainsi que nous voyons, dans l'article
2180, que la prescription ne court contre les créanciers
hypothécaires qu'à partir de la transcription de l'acte
d'acquisition. Si la loi n'avait tenu compte que de l'intérêt du possesseur, elle aurait fait courir le délai de
l'affranchissement de l'hypothèque du jour de la prise
de possession ; mais comme elle a pensé que les créanciers ne seraient pas suffisamment avertis du changement
qui s'est produit dans la propriété de l'immeuble, elle a
exigé la transcription pour les en prévenir. Nous avons
suffisamment indiqué déjà que l'exercice d'une servitude
sur son immeuble était un événement qui ne devait pas
frapper l'attention du propriétaire comme la perte de la
possession, et c'est là certainement le motif qui a déterminé le législateur à garantir le propriétaire, non pas
pendant dix ans, mais dans tous les cas pendant trente
ans.
Après avoir recherché si les droits réels qui constituent des démembrements de la propriété, tels que l'usu-
�- 157 fruit et les servitudes, peuvent faire l'objet de la prescription de dix à vingt ans, il nous reste à parler de
l'emphitéose. Le Code ne dit rien de l'emphitéose, il
ne la mentionne pas parmi les droits réels qui sont
énumérés dans l'article 543, ni parmi les droits immobiliers qui sont susceptibles d'hypothèque. De là des doutes sérieux sur la question de savoir si l'emphitéose
existe encore en droit français à titre de droit réel
immobilier. Nous n'avons pas à entrer dans l'examen
de cette question, mais avoir constaté après que la
jurisprudence s'est décidée pour le maintien de l'emphitéose comme droit réel immobilier, il nous reste à
nous demander si ce droit peut faire l'objet de la prescription de l'article 2265.
La question ainsi posée ne nous paraît pas douteuse,
et la solution affirmative doit nécessairement découler
des principes généraux admis en matière de prescription. La propriété s'acquiert par la prescription, ainsi
que les démembrements de la propriété ; pourquoi n'en
serait-il pas de même de l'emphitéose? L'argument a
d'autant plus de force, que d'après les articles 711 et
2219 la prescription est un moyen général d'acquérir ;
peut-il y avoir une exception pour l'emphitéose sans un
texte qui la consacre ? Quant aux motifs qui nous ont
fait repousser la prescription décennale pour l'acquisition des servitudes, ils ne sauraient être invoqués dans
la matière qui nous occupe, car la possession de l'emphitéose est aussi caractérisée que celle de l'usufruit.
Celui qui a passé avec une personne qu'il croyait propriétaire de l'immeuble, ce que dans l'usage on appelle
un bail emphitéotique, pourra donc invoquer l'article
2265, si d'ailleurs les autres conditions exigées par cet
article se trouvent réunies.
�-
158 -
Nous allons indiquer maintenant en quelques mots
pourquoi l'hypothèque, à la différence des autres droits
réels, n'est pas susceptible de faire l'objet de la prescription de l'article 2265. La raison en est bien simple,
c'est que l'hypothèque n'est pas susceptible de possession, et nous savons que la possession est la base de
toute prescription acquisitive. Ce qui prouve que l'inscription hypothécaire ne constitue pas une possession de
l'hypothèque pour le créancier, c'est que l'article 2180
nous dit que les inscriptions ·prises par le créancier n'interrompent pas le cours de la prescription établie par la
loi en faveur du débiteur ou du tiers détenteur. Ainsi, si
l'on suppose que celui qui se prétend propriétaire d'un
immeuble, consent à un tiers de bonne foi une hypothèque sur cet immeuble, celui-ci, malgré l'inscription
régulièrement prise et conservée pendant dix, quinze ou
vingt ans, n'aura jamais acquis l'hypothèque ainsi consentie a non dornino, et lorsque le propriétaire aura
exercé son action en revendication contre le possesseur,
le créancier hypothécaire ne pourra pas lui opposer son
droit réel malgré la date ancienne de son inscription,
car, nous le répétons, l'inscription ne constitue pas une
possession du droit.
�-
159 -
CHAPITRE
III
Des effets de la prescriptiôn de dix à vingt ans
Les effets de la prescription de dix à vingt ans sont
réglés par l'article 2265, qui nous dit que celui qui acquiert de bonne foi et par un juste titre un immeuble, en
prescrit la propriété. Par là, il faut entendre la propriété pleine et entière, de telle sorte que si l'immeuble
était grevé de charges r éelles consenties par le précédent propriétaire, l'acquéreur qui l'a possédé comme
libre de toute charge aura prescrit contre ces droits
réels et aura acquis une propriété non démembrée. Cette
doctrine est parfaitement conforme à la logique, car on
ne conçoit pas qu'une possession, considérée comme
suffisante pour acquérir la propriété, puisse être insuffisante lorsqu'il s'agit d'acquérir les démembrements de
la propriété.
Nous devons constater cependant que cette question
n'est pas aussi ~imple qu'elle peut le paraître au premier
abo rd; qu'elle a été, au contraire, l'objet de longues
discussions, et que la Cour de cassation s'est prononcée
souvent contre la doctrine que nous avons adoptée('! ).
Disons tout d'abord que le motif principal sur lequel on
(1) C. Cass., 20 décembre 1836; 31 décembre 1845; 14 novemhre 1853.
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se base est que, prescrire les charges qui grèvent un
immeuble, c'est se libérer, et que la prescription libératoire ou extinctive est de trente ans.
Nous allons exposer maintenant les motifs qui nous ·
ont déterminé à croire que celui qui a acquis par juste
titre et de bonne foi, comme franc de toute charge, un
immeuble grevé en réalité de servitudes et qui le possède
libre pendant dix à vingt ans, acquiert la franchise de
cet immeuble. ·
La question de savoir si la prescription de dix à vingt
ans peut affranchir un immeuble des servitudes qui le
grèvent peut se présenter dans deux cas : il peut se faire
que j'achète un immeuble de son véritable propriétaire,
immeuble grevé de servitudes que le vendeur ne me
déclare pas et que j'igno~·e par conséquent. Si je possède
cet immeuble, libre de toute charge, pendant dix à vingt
ans, j'aurai acquis la liberté de l'immeuble. Dans cette
première hypotèse, notre solution, ainsi que nous l'avons
déjà fait remarquer, est parfaitement conforme aux principes qui régissent la prescription, car si je puis prescrire la propriété par dix ou vingt ans, pourquoi ne
pourrais-je pas la prescrire toute entière, c'est-à-dire
libre de tout droit réel ? Tamti'vm prœscriptum quant'Ùlm
possesswni, dit un principe admis par tout le monde, si
je possède un immeuble co~nme libre de.toute servitude,
je · dois acquérir cet immeuble en toute propriété. En
second lieu, il peut arriver que j'achète un immeuble de
celui qui n'en était pas le propriétaire ; cet immeuble
était grevé de servitudes, mais je les ai toujours ignorées.
Dans cette hypothèse, comme dans la précédente, après
dix ou vingt ans de possession j'aurai acquis, disonsnous, la pleine propriété de l'immeuble. Quant à justifier
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cette acquisition au point de vue des principes, c'est
encore plus facile que dans le cas précédent. N'est-il
pas évident, en effet, que si je puis prescrire contre le
droit du propriétaire, je puis prescrire aussi contre le
droit de celui qui n'a qu'un démembrement de la propropriété ? Le but de la prescription est bien ici d'acquérir l'immeuble, et comme en l'acquérant je l'acquiers
tout entier, la servitude dont il est grevé, et qui n'est
qu'une partie et un démembrement du dominiwm, se
trouve acquise avec ce dominium, à l'obtention duquel
me conduit la prescription. Cela est tellement vrai qu'un
auteur, M. Marcadé, qui sur la question qui nous accupe
adopte d'une façon générale l'opinion de la jurisprudence, reconnaît cependant que, dans ce cas particulier
où l'aliénation est faite a non d01nino, il s'agit bien de
la prescription acquisitive de l'article 2265 et non pas
de la prescription extinctive de l'article 706.
Mais s'il est si facile de justifier notre système au point
de vue des principes, en est-il de même au point de vue
des textes? Car nous reconnaissons que quelle que soit
la valeur des principes, ils ne sauraient se passer de
l'appui des textes. Nous avons déjà invoqué l'article 2265
lui-même : la prescription décennale, nous dit cet article,
nous fait acquérir la pr·opriété, et donnant à ce mot
toute l'étendue qu'il comporte, nous en avons conclu
qu'il devait s'entendre de la propriété absolue, de la
propriété toute entière. Ce qui prouve bien que cette
interprétation est exacte et que l'on peut prescrire ·1a
liberté d'un fonds comme on peut en prescrire la propriété, c'est l'article 2180 lui-même, qui admet la prescription des hypothèques par dix à vingt ans, quand le
fonds est entre les mains d'un tiers détenteur; la loi assimile donc la prescription de l'hypothèque à la prescrip-
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tion de la i)ropl'iété, et l'article 2180 est uue application
de l'article 2265 .
Il es t donc établi par le Code lui-même que les droits
réels s'éteignent par la prescription de dix à vingt ans.
Comme, a.in ·i que nous le verrons plus loin , il est également admis que la prescription de dix à vingt ans peut
éteindre le droit d'usufruit, on se demande alol's pourquoi ce qui est vrai de l'hypothèque et de l'usufruit, ne
le serait pas également des servitudes. On répond que
la solution affirmative, admise en matière d'usufruit, ne
saurait l'être en matière de servitude, car les deux choses
sont d'une nature toute différente. Il faut, en effet, que
le possesseur ait possédé ce qu'il prétend avoir prescrit;
or, s'il est vrai de dire que la jouissance de l'acquéreur
s'exerce contre la jouissance de l'usufruitier , il ne saurait
en être de même en matière de servitude, car l'acquéreur
n'exerce pas les droits du propriétaire du fonds dominant; il ne peut clone rien acquérir par la prescription
acquisitive, puisqu'il ne possède pas . Outre qu'on pourrait répondre que celui qui possède toute la propriété en
possède par cela même les démembrements, il y a un
argument tiré de l'article 2180 qui fait tomber cette
objection. Cet article consacre l'extinction des hypothèques par l'effet de la prescription décennale; or, nous
avons indiqué déjà que l'hypothèque n'est pas susceptible
de possession ; c'est clone que, dans la. théorie du Code,
la prescription de dix à vingt ans fait acquérir la propriété pleine et entière, libre de tout droit réel.
Il est enfin un argument de texte qui est la base du
système que nous combattons ; il est tiré de l'article
2264, aux termes duquel « les règles de la prescription
sur d'autres objets que ceux mentionnés dans le présent
titre, sont expliqués dans les titres qui leur sont
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propres. » Lorsque nous examinions ln. question de savoir si les servitudes peuvent s'établir par la prescription de dix à vingt ans, c'est cet article qui nous a
déterminé à adopter la négative; il semble donc que si
nous considérons ln. prescription décennale comme incapable d'établir une servitude, nous devons admettre aussi
qu'elle est incapable d'en amener l'extinction. On a
ainsi, en ce qui concerne les servitudes, un système
complet, dans lequel la prescription de l'article 2265 est
remplacée par la prescription trentenaire : l'article 690
réglant l'acquisition, l'article 706 réglant l'extinction des
servitudes par la possession.
Nous répond{)ns à cela que la matière de l'extinction
et celle de l'acquisition des servitudes par la possession
a été réglée d'une façon toute différente par le législateur. En ce qui concerne l'acquisition, l'article 690 consacre une dérogation évidente à l'article 2265 ; nous
avons dû par conséquent admettre que la prescription
décennale était impuissante à faire acquérir une servitude. Pour l'extinction, au contraire, nous ne trouvons
aucune exception à la règle générale; l'article 706 n'est
qu'une application de l'article 2262, consacrant l'extinction des actions réelles par une prescription de trente
ans. Mais ici, nous le répétons, nous sommes en face
d'une prescription acquisitive; c'est donc l'article 2265
qui est seul applicable .
Ajoutons que notre système peut invoquer la tradition .
La coutume de Paris contenait en effet deux dispositions
distinctes, l'une réglant la prescription à l'effet de se
libérer, prescription résultant uniquement du non usage
de la servitude et qui en fait acquérir la libération même
à ceux qui les auraient constituées (l'article 706 n'en est
que la reproduction); l'autre consacrant une prescription
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qui n'avait rien de commun avec la précédente, ainsi que
le dit Pothier (1), prescription que pouvait invoquer
l'acquéreur de bonne foi qui avait possédé l'héritage
comme libre de toute servitude, et qui en opérait l'extinction par dix à vingt ans ; cette dernière disposition
était contenue dans l'article 114 de la coutume de Paris ;
les rédacteurs du Code civil, qui suivaient cette coutume, en ont fait l'article 2265.
Nous avons déjà eu l'occasion de constater, en invoquant l'article 2180, que la prescription de dix à vingt
ans avait pour effet d'éteindre les hypothèques qui
grèvent l'immeuble possédé par [le tiers détenteur. Le
tiers détenteur peut acquérir la pleine propriété par une
possession de dix ou vingt ans appuyée sur un titre et
sur la bonne foi; il est donc naturel qu'il puisse acquérir, sous les mêmes conditions, un démembrement de la
propriété, dans l'espèce l'hypothèque qui ne lui laisse
qu'une propriété démembrée . On a objecté que le tiers
détenteur ne peut jamais invoquer la prescription de dix
à vingt ans contre les créanciers hypothécaires, parce
que ,la bonne foi lui manque nécessairement, parce qu'il
doit être réputé avoir connaissance des droits hypothécaires affectant l'immeuble qu'il a acquis. Nous répondons que sans doute, si l'acquéreur est prudent, il
consultera le registre du conservateur des hypothèques,
qui lui donnera connaissance des inscriptions; mais il
n'en est pas moins vrai que la bonne foi est une question
de fait et que ce serait renverser la présomption de la
loi que de présumer la mauvaise foi.
(1) Traite de la presc1'iption, n' 139.
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165 -
Faisons remarquer, en terminant, que si le tiers détenteur prescrit par dix ou vingt ans contre les créanciers
hypothécaires, cette prescription de l'hypothèque n'est
pas une conséquence de la prescription de la propriété,
mais constitue une prescription distincte qui ne commence à courir qu'à partir de la transcription du titre
d'acquisition.
Examinons maintenant l'hypothèse où le droit réel
dont on veut s'affranchir par la prescription est un usufruit. Celui qui, par un juste titre et de bonne foi, a
acquis, soit du nu-propr~étaire, soit d'un non-propriétaire
un immeuble grevé d'usufruit, peut-il acquérir l'affranchissement de cet usufruit par une prescription de dix à
vingt ans ? Ici, comme en matière de servitude, nous
admettrons l'affirmative.
On a dit, dans un système contraire, que l'acquéreur
de la pleine propriété d'un immeuble n'ayant pas entendu
acquérir et posséder l'usufruit comme tel, ne pouvait, à
l'aide de la prescription acquisitive, réunir cet usufruit à
la propriété. La réponse est facile, car si l'acquéreur
n'a possédé l'usufruit que comme un attribüt de la pleine
propriété, et non comme un démembrement de cette dernière, il n'en a pas moins exercé en fa,it la jouissance
que l'usufruitier aurait dû exercer.
Reste enfin un argument de texte analogue à celui
que nous avons vu invoquer à propos des servitudes, et
qui est tiré du rapprochement des articles 2264 et 617.
Puisque ce dernier article n'admet pas d'autre mode
d'extinction de l'usufruit par voie de prescription que le
non usage pendant trente ans, c'est donc que l'application de l'article 2265 se trouve écartée. Cette seconde
objection n'a, en matière d'usufruit, qu'une valeur
11
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relative, car nous pouvons répondre ici ce que nous
avons déjà dit à propos des servitudes, sur le sens et
l'étendue à donner 'à l'article 2264; nous avons déjà vu
que la disposition de cet article n'empêche pas l'acquéreur de l'usufruit d'un immeuble de consolider son
acquisition par la prescription de dix à vingt ans, alors
que cet usufruit avait déjà été constitué au profit d'une
autre personne. On peut d'ailleurs répondre que les
principes généraux suffisent à décider la question; que
celui qui possède la pleine propriété prescrit la pleine
propriété, c'est-à-dire la propriété libre de toute charge.
Nous avons déjà vu que la loi. applique ce principe à
l'hypothèque; si le plus favorable des droits réels s'éteint par la prescription acquisitive, il doit en être ainsi
à plus forte raison de l'usufruit, dont la loi favorise
l'extinction.
On peut invoquer enfin l'article 1665, qui dit que l'acheteur à réméré peut prescrire « tant contre le véritable propriétaire que contre ceux qui ont des droits ou
hypothèques sur la chose. Ces droits autres que les
hypothèques ne peuvent être que des servitudes réelles
ou personnelles . La prescription acquisitive a donc
pour effet d'éteindre l'usufruit aussi bien que l'hypothèque.
Nous venons de voir comment la prescription de dix à
vingt ans a pour effet de faire tomber les droits réels qui
pesaient sur l'immeuble possédé par le tiers détenteur;
il nous reste maintenant à étudier une question analogue
et qui consiste à savoir si le tiers détenteur, après avoir
prescrit la propriété de l'immeuble, pourra repousser,
par la prescription, l'action intentée contre lui par suite
de l'annulation, de la rescision ou de la résolution du
titre l1e son autem.
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L'affirmative est admise par la jurisprudence, et elle
uous paraît certaine. Il suffit, en effet, de remarquer· que
lorsque le propriétaiL'e, après avoir fait prononcer la
nullité, la résolution ou la rescision de la vente, par
exemple, se retourne contre le tiers détenteur, il agit
non pas par une action personnelle, mais par une action
réelle, l'action en revendication. S'il en est ainsi, la
prescription que le possesseur oppose au propriétaire est
non. pas la prescl'iption extinctive, dont la durée doit
être de trente ans, mais la prescription acquisitive, qui
est de dix à vingt ans, lorsque les conditions de l'article
2265 se trouvent réunies.
Quelques-uns, p::i.rtant de cette idée fausse que le
propriétaire peut intenter une action en nullité, en
rescision ou en résolution contre le tiers acquéreur, en
avaient conclu que la prescription extinctive pouvait
seule être invoquée, puisqu'il s'agissait d'une action personnelle. Nous savons au contraire que les actions personnelles ne peuvent être in~entées que par le créancier
contre le débiteur et jamais contre un tiers. Mais lorsque
la nullité, la rescision ou la résolution de contrat ont été
prononcées, tous les droits concédés par le propriétaire
dont le droit a été résolu venant à tomber, la chose
peut alors être revendiquée par le propriétaire entre les
mains du tiers détenteur. C'est alors que le possesseur
peut opposser la prescription acquisitive, comme il peut
l'opposser à toute action en revendication.
Nous pouvons encore, à l'appui de notre système,
reproduire ici l'argument que nous avons invoqué déjà
lorsqu'il s'agissait d'établir que la prescription acquisitive avait pour effet d'éteindre tous les droits réels qui
pèsent sur l'immeuble possédé, et montrer que notre
doctrine est en conformité parfaite avec l'ancien droit.
�-
168 -
Pothier pose en principe que la prescription de dix à
vingt ans non seulement fait acquérir au possesseur la
propriété de l'héritage, mais qu'elle le lui fait acquérir
tel qu'il a cru le posséder, c'est-à-dire libre de toutes
les rentes foncières, hypothèques et autres charges réelles dont il était grevé, si elles n'ont pas été déclarées à
l'acquéreur par son contrat d'acqufsition et s'il les a
ignorées. Cette doctrine était formellement consacrée
par l'article 114 de la coutume de Paris. Il ne faut pas
isoler l'article 2265 de la tradition ; sans cloute cet article ne reproduit pas les termes de la coutume de Paris,
mais il en reproduit la substance en déclarant que l'acquéreur prescrit la p1·opriété, c'est-à-dire que la possession de bonne foi fait acquérir au possessseur ce qui
manquait à la perfection de son domaine, en affranchissant l'héritage de toutes les charges dont il était grevé.
Il nous reste à constater une exception au principe
que le possesseur prescrit l'immeuble libre de toutes les
charges qui pesaient sur lui ; cette exception est écrite
dans l'article 966. Voici l'espèce prévue par la loi: une
personne fait une donation à l'époque où elle n'avait
point d'enfants ; plus tard, un ou plusieurs enfants surviennent au donateur. Par application de l'article 960, la
donation se trouve révoquée, pourvu que le donateur
demande la révocation dans le délai de trente ans qui
court à partir de la naissance du dernier enfant, même
posthume. Si le donateur ne veut pas intenter son action,
ou s'il néglige de l'exercer à l'expiration des trente ans,
le donataire deviendra propriétaire des biens donnés,
mais les conservera à titre de donation et non à titre de
biens acquis par prescription. Cette décision de la loi
est parfaitement logique et n'a d'autre but que d'empêcher que la révocation de la donation ne devienne pour
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le donataire la cause d'une situation meilleure que celle
qu'il avait auparavant. Si donc il continue à détenir l'immeuble à titre de donataire, il demeurera soumis à toutes
les charges que ce titre lui impose, de telle sorte que
s'il se rend coupable de l'un de ces actes qui, d'après
la loi, constituent l'ingratitude envers le donateur, celuici pourra, nonobstant la prescription, demander de ce
chef la révocation de la donation. Au point de vue de
l'action en réduction qui appartient aux enfants du do- .
nateur, il importe encore de constater que le possesseur
conserve la qualité de donataire.
, Cette impuissance de la prescription à lib érer l'immeuble donné des charges auxquelles il est tenu à ce
titre, aurait dû, semble-t-il, s'arrêter à la personne du
donataire ou de ses ayants cause. Mais la loi est allée
plus loin et n'a fait aucune distinction entre le donataire
et un tiers quelconque possesseur de l'immeuble donné.
Ainsi, lorsqu'une personne, sans traiter avec le donataire, a: possédé l'immeuble donné et l'a acquis par prescription, elle ne peut invoquer cette prescription contre
le donateur ou ses enfants qu'à l'effet de faire valoir la
donation. Il est probable que s'il en est ainsi, c'est que
le législateur a eu surtout en vue l'intérêt des enfants du
donateur, auxquels il a voulu, par ce moyen, conserver
leur action en réduction.
Lorsque la prescription décennale est accomplie, celui
au profit duquel. elle se produit voit s'effacer le titre qui
a coloré sa possession, car ce n'est pas ce titre qui lui
a transféré la propriété, mais bien la prescription : le
titre n'a eu pour lui qu'un seul effet, celui d'abréger le
temps ordinaire de la prescription. Nous venons de voir
une première dérogation à ce principe en montrant que,
après la révocation d'une donation pour cause de surve-
�-
170 -
nance d'enfants, la prescription avait pour effet de maintenir la chose entre les mains du donataire à titre de
chose dorinée. Il faut se demander maintenant s'il n' existe
pas une seconde dérogation au principe que nous venons
de rappeler, et si l'acheteur, après la prescription de dix
à vingt ans, ne continue pas à détenir la chose à titre
d'acheteur.
En droit romain la question ne présentait aucune difficulté et il était admis que lorsque l'usucapation s'était
accomplie au profit de l'acheteur, celui-ci n'en était pas
moins tenu de payer le prix de la chose ainsi acquise.
Cette solution était une conséquence nécessaire de la
doctrine romaine en matière de vente. L'obligation principale dont était tenu le vendeur romain était, non pas
de transférer la propriété de la chose vendue, mais de
procurer à l'acheteur une vaCJUam possessionem; en un
mot, de mettre l'acquéreur in causa usucapiandi. D'où
il résultait que dans le ca·s de vente de la chose d'autru i
et d'usucapion accomplie au profit de l'acquéreur, celuici ne pouvait se refuser à payer son prix d'acquisition
au venclem qui avait rempli toutes ses obligations. Notre
droit actuel s'est montré plus sévère, et l'article 1599
prononce la nullité de la vente de la chose d'autrui.
Puisque la vente de la chose d'autrui est nulle, il semblerait logique de décider que, après la prescription
accom1)lie au profit de l'acquéreur, il ne saurait être
question d'exiger de lui le i.;aiement de son prix d'acquisition, car ce qui est nul ne peut produire aucun effet.
La jurisprudence admet cependant le con.t raire ; cette
solution provient de ce que elle considère la nullité de
la vente de la chose d'autrui comme une nullité simplement relative.
Cette façon d'interpréter l'article 1599 et de considérer
�-
171 -
la vente de la chose d'autrui comme frappée d'une nullité
simplement relative n'est pas admise par tous les auteurs . Mais il nous semble que, même en donnant à l'article 1599 la portée qu'il comporte, et en considérant la
vente de la chose d'autrui comme frappée d'un nullité
absolue, on doit néanmoins imposer à l'acheteur qui
inv-oque la prescription décennale l'obligation de payer
son prix d'acquisition. Sans doute, c'est en vertu de la
prescription et non en vertu de la vente que l'acquéreur
est devenu propriétaire, mais il n'en est pas moins vrai
que la vente a eu pour effet de lui servir de juste titre
et d'abréger le temps requis pour prescrire. Or, parmi
les obligations que fait naître la vente, la principale,
pour l'acheteur, consiste à payer son prix d'acquisition.
Si donc l'acheteur invoque la prescription de dix à vingt
ans, prescription qui a son fondement dans le titre
d'acheteur, il doit nécessairement accepter toutes les
conséquences que ce titre lui impose. Refuser de payer
le prix, ce serait nier les obligations qui résultent du ·
titre qu'il invoque ; ce serait se mettre dans l'impossibilité de l'opposer au propriétaire qui revendique; ce
serait, en un mot, renoncer au titre qui servait de base
à sa possession et lui donnait droit à la prescription
décennale.
Pour terminer ce que nous avions à dire sur les effets
de la prescription dans les rapports du possesseur avec
le propriétaire de l'immeuble, il nous reste à examiner
la question de savoir si la prescription court contre le
propriétaire sous condition suspensive . Voici l'espèce
que l'on peut prévoir : un immeuble a été vendu par le
propriétaire qui a stipulé que la vente serait résolue si
l'acheteur ne lui payait pas le prix dans un délai déterminé, huit ans par exemple. L'acheteur devient proprié-
�- 172 taire sous condition résolutoire, et le vendeur, par conséquent, reste propriétaire sous condition suspensive.
Si dans ces conditions un tiers entre en possession de
l'immeuble, il prescrira évidemment contre l'acheteur,
mais prescrira-t-il aussi contre le vendeur? En d'autres
termes, et pour poser la question sous une forme plus
générale, la prescription court-elle contre les dro.its
réels conditionnels ?
En ce qui concerne les droits personnels, les créances
conditionnelles, la question est tranchée par l'article 2257
qui déclare que la prescription ne commence à courir
qu'à partir de l'arrivée de la condition. Cette solution
est facile à justifier, car, d'une part la prescription
étant considérée comme une peine infligée à la négligence du créancier qui reste clans l'inaction, ne saurait
commencer à courir tant que le créancier ne peut agir
contre son débiteur, et, d'autre part, par rapport au
débiteur, la prescription libératoire étant fondée sur une
présomption de paiement, il ne serait pas rationnel
d'établir cett~ présomption à une époque antérieure à
celle où le paiement doit s'effectuer.
Pour les droits réels, il n'en est pas de même, et
notre ancienne jurisprudence, afin d'éviter l'i'nconvénient
immense qui résultait de la suspension de la prescription
jusqu'~ l'arrivée de la condition, avait créé une action
d'interruption par laquelle le titulaire d'un droit réel
conditionnel pouvait mettre obstacle à la prescription
qui avait commencé à courir contre lui ; il ne pouvait
donc plus invoquer en sa faveur la maxime : con.tra non
valentem agere non cu1·rit prœscriptio. Le Code n'a fait,
croyons-nous, que consacrer cette doctrine, car nous
voyons l'article 2257 ne parler que des créances. Nous
devons constater cependant que la Cour de cassation a
�-
173
~
décidé que la prescription d'un droit conditionnel était
suspendue jusqu'à l'arrivée de la condition, aussi bien
vis-à-vis du tiers détenteur d'un immeuble que vis-à-vis
du débite~r ; la Cour se fonde sur ce que les actes interruptifs de l'article .2224 ne sauraient être faits en vertu
d'un dt·oit conditionnel (Cassation, 4 mai 1846). Cette
doctrine nous paraît inexacte ; il nous semble que la
prescription n'est suspendue qu'entre les parties contractantes, mais non pas à l'égard des tiers qui détiennent
des immeubles affectés d'un droit réel conditionnel. Dire,
en effet, que l'article 2257 est applicable aux tiers détenteurs, c'est méconnaître le principe de l'article 1165, en
vertu duquel les contrats n'ont d'effet qu'entre les partles
contractantes; c'est assujettir le tiers détenteur aux obligations formées entre d'autres parties et lui créer une
position toujours incertaine, puisque, après de longues
l:tnnées de possession paisible et de bonne foi, il pourrait
être recherché pour un immeuble que ses ancêtres auraient ainsi acquis, ignorant que le vendeur était soumis
à une action de la part de son auteur. Si d'ailleurs le
titulaire d'un droit conditionnel ne peut faire aucun des
actes interruptifs énumérés dans l'article 2224, il peut
du moins • exiger une reconnaissance de son droit. Cela
est tellement vrai que l'article 2173 suppose que le tiers
détenteur d'un immeuble hypothéqué a reconnu l'hypothèque, ce qui se réfère à l'action d'interruption que le
créancier hypothécaire peut intenter pour la conservation de son droit.
Jusqu'ici nous ne nous sommes occupé des eff~ts de
la prescription que dans les rapports du propriétaire et
du possesseur, et nous avons vu qu'elle avait pour conséquence directe de donner à ce dernier un moyen de
�-
174 -
repousser l'action en revendication dirigée contre lui.
Mai. ce n'es t pas là le seul effet de la prescription, et par
cela môme que le propriétaire est dépouillé de son droit,
il voit naîtrn à son profit une action en indemnité contre
celui qui a fourni au possesseur les moyens d'arriver à la
prescription en lui délivrant un titre. Le propriétaire ne
peut plus revendiquer, puisque son action en revendication est prescrite, mais il a une action personnelle qui
ne se prescrit que par trente ans, action qui peut être
intentée contre tous ceux qui étaient tenus de lui rendre
la chose en vertu d'une obligation dérivant d'un contrat,
d'un quasi-contrat, d'un délit ou d'un quasi-délit. Si on
supp0se que l'aliénation a été faite pa-r un détenteur précaire, par un fermier, par exemple, l'acquéreur peut.
prescrire l'immeuble par dix ans, puisqµ'il a un juste titre
et que nous le supposons de bonne foi; mais cette prescription laisse intacte l'obligation dont est tenu le fermier de restituer la chose à l'expiration de son bail.
L'exécution de cette obligation a été rendue impossible
par sa faute, puisque l'acquéreur est devenu propriétaire; mais alors naît une actiun en dommages-intérêts,
action qui' ne se prescrit que par trente ans à partir du
jour où le bail est expiré, puisque c'est alors que naît
l'obligation de restituer. Le fermier ne pourrait pas prétendre que la prescription a couru à son profit à partir
du jour où il a disposé de la chose, sous ce prétexte que
c'est ce fait qui a donné naissance à l'action contre lui;
è'est, en effet, un principe que, lorsqu'il s'agit d'un droit
ou d'une créance à terme, la prescription ne commence
à courir que di;t jour de l'échéance du terme (article 2257) ;
or , la.restitution de la chose donnée à ha.il ne devait être
faite qu'à l'expii·ation du bail.
Si celui qui a disposé de l'immeuble et qui ne le pos-
�- 175 sédait pas encore depuis trente ans, s'en était emparé
sans titre, il est clair que l'usurpation obligeant l'usurpateur à la restitution, il sera passible pendant trente
ans d'un recours en indemnité de la part du propriétaire.
La seule questio.n qui puisse présenter quelque difficulté
est de savoir quel est le point de départ de cette prescription contre l'act"ion en indemnité du propriétaire :
est-ce le jour où l'usurpateur s'est emparé de l'immeuble,
ou le jour où il en a disposé? Il semble, tout d'abord,
que la prescription ne commence à courir à son profit
que du jour où il a disposé de l'immeuble, puisqu.e c'est
à partir de ce moment que, conformément au principe
de l'article 1382, il a contracté l'obligation d'indemniser
le propriétaire du préjudice que l'aliénation pouvait lui
causer. Il n'en est cependant pas ainsi, et il est vrai de
dire, au contraire, que c'est le jour où il s'est emparé de
l'immeuble qui est le point de départ de la prescription
trentenaire; et, en effet, s'il n'avait pas disposé de l'immeuble, la prescri]_)tion de trente ans n'aurait pas moins
couru contre l'ancien propriétaire à partir de l'entrée
en P.ossession. L'aliénation n'a rien ajouté au préjudice
éprouv é par le propriétaire, puisque s'il n'a pas réclamé
sa chose dans les trente ans qui se sont écoulés depuis
qu'il a cessé de posséder, la prescription lui est toujours
opposable. L 'obligation de restituer, pour celui quipossède sans titre, naît en même temps que sa possession,
et c'est à partir de ce moment que le propriétaire peut
agir contre lui ; mais il serait inexact de dire que la
possession sans titre donne naissance à une obligation
successive et de chaque jour de restituer la chose, car
s'il en était ainsi, la prescription serait !3n réalité de
soixante ans, et le Code n'en consaere pas de plus longue
que celle de trente ans ; l'article 2262 pose, en effet, en
�- 176 principe, que toutes les actions, tant réelles que personnelles, se prescrivent par trente ans, sans qu'on puisse
opposer l'exception déduite de la mauvaise foi. ·
Lorsque nous avons étudié les effets de la prescription
dans les rapports du propriétaire et du possesseur, nous
avons vu que quand la prescription était acquise au
profit de ce dernier, le propriétaire ne pouvait pas lui
opposer les causes de nullité, de rescision ou de résolution dont était entaché le titre de son auteur. Mais si
l'on envisage les rapports du propriétaire avec celui qui
a consenti l'aliénation, il faut constater que ce dernier
demeure toujours soumis aux causes de nullité, de rescision ou de résolution dont pouvait être entaché son
propre titre. Il est vrai que ces actions se prescrivant
aussi par dix ans, il arrivera souvent que lorsque le
possesseur pourra invoquer la prescription acquisitive
contre le propriétaire, l'aliénateur pourra aussi se prévaloir contre lui de la prescription lib ératoire. Mais il
peut arriver aussi que le contraire ait lieu, car le point
de départ de ces deux prescriptions n'est pas le même.
Le possesseur commence à prescrire dès son entrée en
possession, tandis que le débiteur ne commence à prescrire que lorsque l'action du créancier est née; or, elle
peut s'ouvrir longtemps après que le contrat a été exécuté, si le vice qui l'entache s'est prolongé, comme cela
arrive en cas d'erreur, de dol ou d'incapacité. Il peut donc
se faire que l'action en revendication soit prescrite
quand le tiers acquéreur a possédé pendant dix ans,
tandis que l'action personnelle du propriétaire subsiste
contre l'aliénateur.
�POSITIONS
DROIT
ROMAIN
1. - Dans l'action en revendication, le défendeur qui
possède la chose et refuse de la restituer peut y être
contraint par la manus milita1ris.
II. - Lorsque, pour faire disparaître la lésion dont il se
se plaint, le mineur a à sa disposition tout à la fois
la demande en restitution et la condictio ince1·ti, on
lui donne toujours le choix entre ces deux moyens.
III. - Même à l'époque de Justinien, les servitudes prédiales et l'usufruit ne peuvent s'établir par pactes et
stipulations.
IV. - L'innovation de Justinien, qui étend la compensation aux actions in 1·em, a une portée générale et
ne s'applique pas seulement dans les cas où le droit
réel se convertit en une somme d'argent, comme
par exemple lorsque la restitution de la chose est
devenue impossible.
�-
178 -
DROIT CIVIL
I. - Le rapport des meubles incorporels se fait en
moins prenant.
Il. ..
~
L'action en revendication organisée par l'article
2102 - !1• au profit du vendeur n'est autre chose que
la revendication du droit de rétention, et non po,s
l'action en résolution exercée à l'encontre des créanciers de l'acheteur.
III. - Dans l'hypothèse d'une institu tion contractuelle,
le donateur ne peut disposer à titre gratuit de::;
biens compris clans la donation, même avec l'assentiment du donataire.
IV. - La renonciation de la femme à son hypothèque
légale en faveur d'un tier s est une vé ritable cession .
DROIT
CRIMINEL
1. - L'action civile résultant d'un crime se prescrit par
dix ans, comme l'action publique.
II. - Le sequestre dont parle l'article 471 du Code pénal
pour les biens des condamnés par contumace consiste dans l' administration des biens par la régie
des domaines et non clans l'administration par les
héritiers présomptifs du condamné, comme sous le
Code de l'an IV, et comme semble l<? dire l'article
28 : « seront régis comme biens d'abs~nts. »
�-
179 -
ENREGISTREMENT
I. - En matière de droits d'actes, la cause génératrice
du droit se trouve, non pas dans la rédaction d'un
écrit, mais dans l'opération juridique, l'accord intervenu entre les parties.
II. - Le jugement qui prononce la résolution d'une
convention pour cause de nullité relative n'est pas
soumis au droit proportionnel; en d'autres termes,
les nullités relatives doivent être considérées comme des millités radicales dans le sens de l'article
68, § 3, n° 7, de la loi du 22 frimaire an VII.
lll. - Les nullités qui repo ·ent sur la lésion rentl'ent
aussi dans la catégorie des nullités radicales.
HISTOIRE
DU
DROlT
I. - L'o rigine du cens se trouve dans la convention intervenue entre le serf affranchi et le seigneur.
Il. - L'origine de la communauté se tl'ouve dans les
sociétés serviles.
Vu pcir nous Projessear, P1·ésiclent clc la Thèse,
PISON.
VU ET PERMIS D'IMPR!l\I ER :
Le R ecteur cle l'Académie ,
BE~LIN.
��TABLE DES MATIÈRES
Pages
CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES ............. . .......
PREMIÈRE PARTIE. -
5
DROIT ROMAIN
I NTRODUCTION ........ . ..................... . • • . • •
I. - Des conditions relatives à la personne.. ... . ................. . ..
Section 1. - De la juste cause .. .. .
Section II. - De la bonne fo i......
Section III. - Du laps de temps...
CHAPITRE II. - Des conditions relatives à la chose
Section 1. - La chose doit être in
commercio . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. ..
Section II. - Des choses volées ou
occupées par violence . . . . . . . . . .
Section III. - La prescription de
long temps ne s'applique qu'aux
choses susceptibles de possession ....... .. ...... . . . . . . . . . .. . .
CHAPITRE III. - Effets de la prœscriptio longi temporis ...... . ................. . . .
Section 1. - Effets de la prescription
. dans le droit classique....... ...
Section II. - Innovations de Justinien
16
CHAPITRE
22
28
50
61
69
69
73
77
82
82
85
�18:?
DEUXIÈME PARTIE -
ANCIEN DROIT
])1.; L .\ PRF.SCRIPTION DA:"iS r/ .\!\ CIEX DROIT FRANÇAIS
91
Dn ju:ste titre...... . . . . . . . . . . . . . .
95
Cn.\PITRE
I. -
CHAP ITRE
II. - De la bonne foi ........ ... ....... 100
CHAPITRE
111. - Du laps de temps ...... . .. . ....... 103
CHAP ITRE
TV. - Au pt'ofit de qui et contre qui pouYait courit· la prescription. -E:ffe t;s
do la pr0sc1·iption. . . . . . . . . . . . . . 105
TROISIÈME PARTJE. -
DROIT FRANÇAIS
Î:-!TROD lJC:'l'JO~ . ........ .. ..... . .. . ...... , ..... .. . .
'l llH
Dr..· courl itions relatiYes h la personne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Section r. - ·bu ju:te titre. . . . . . . . .
Section II. - De la bonne foi.... . .
Section III. - Do la durée de la po. :;e.,ion ................ . .......
1 l3
1:3 1
CrrA Pr1'nv. J. -
CHAPIT RE
CnAPI'I' RE
·11 3
1't4
Il. - Des conditions relai ives à la chose 1:JO
TTJ. - Des effets de la prescription cle dix
ù vingt ans .. .. ... .. .. ...•. .. .. t:J9
PosrTro:-;s . .. . . . ... . ............. . ... .. .. ... .. . .. 177
��
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Title
A name given to the resource
Monographie imprimée
Description
An account of the resource
Ouvrages imprimés édités au cours des 16e-20e siècles et conservés dans les bibliothèques de l'université et d'autres partenaires du projet (bibliothèques municipales, archives et chambre de commerce)
Dublin Core
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Title
A name given to the resource
De la "Prœscriptio longi temporis" en droit romain. De la prescription de dix à vingt ans en droit français : thèse présentée et soutenue devant la faculté de droit d'Aix
Subject
The topic of the resource
Droit pénal
Droit romain
Description
An account of the resource
La propriété étant constatée par écrit, qu'est-ce qui fonde le droit de prescription qui limite le droit de propriété et le droit de créance, comme le permettait autrefois l’usucapion
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Talagrand, Auguste
Faculté de droit (Aix-en-Provence, Bouches-du-Rhône ; 1...-1896). Organisme de soutenance
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence), cote RES-AIX-T-130
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Malige (Uzès)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1883
Rights
Information about rights held in and over the resource
domaine public
public domain
Relation
A related resource
Notice du catalogue : http://www.sudoc.fr/24040937x
Vignette : https://odyssee.univ-amu.fr/files/vignette/RES-AIX-T-130_Talagrand_Proescriptio_vignette.jpg
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
1 vol.
182 p.
23 cm
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
text
monographie imprimée
printed monograph
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/394
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
France. 18..
Alternative Title
An alternative name for the resource. The distinction between titles and alternative titles is application-specific.
De la prescription de dix à vingt ans en droit français
Abstract
A summary of the resource.
Thèse : Thèse de doctorat : Droit : Aix : 1883
Cette étude s’intéresse à la prescription, dont l’auteur estime qu’elle remonte aux temps les plus reculés, en droit romain, en ancien droit français et en droit français moderne
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence)
Prescription (droit) -- France -- 19e siècle -- Thèses et écrits académiques
Prescription (droit) -- Rome -- Thèses et écrits académiques
Procédure (droit) -- France -- 19e siècle -- Thèses et écrits académiques
Procédure pénale -- France -- 19e siècle -- Thèses et écrits académiques
Procédure pénale (droit romain) -- Thèses et écrits académiques
-
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/1/515/RES-AIX-T-172_Totti_Injure.pdf
1d68a5ca345a189ad32a2965d75f0a62
Dublin Core
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Title
A name given to the resource
Monographie imprimée
Description
An account of the resource
Ouvrages imprimés édités au cours des 16e-20e siècles et conservés dans les bibliothèques de l'université et d'autres partenaires du projet (bibliothèques municipales, archives et chambre de commerce)
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Title
A name given to the resource
De l'injure en droit romain ; De la prescription de l'action publique en droit français : thèse présentée et soutenue le 22 juin 1893
Subject
The topic of the resource
Droit pénal
Droit romain
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Totti, Jean. Auteur
Faculté de droit (Aix-en-Provence, Bouches-du-Rhône ; 1...-1896). Organisme de soutenance
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence), cote RES-AIX-T-172
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Chevalier-Marescq et Cie (Paris)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1893
Rights
Information about rights held in and over the resource
domaine public
public domain
Relation
A related resource
Notice du catalogue : http://www.sudoc.fr/245405593
Vignette : https://odyssee.univ-amu.fr/files/vignette/RES-AIX-T-172_Totti_Injure_vignette.jpg
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
1 vol.
341 p.
25 cm
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
text
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/515
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
France. 18..
Alternative Title
An alternative name for the resource. The distinction between titles and alternative titles is application-specific.
De la prescription de l'action publique en droit français (Publié avec)
Abstract
A summary of the resource.
Thèse : Thèse de doctorat : Droit : Aix-Marseille : 1893
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence)
Description
An account of the resource
La légitimité de la prescription d'une infraction est très critiquée : pourtant 3 raisons liées au temps qui passe la justifie : d'abord on oublie l'infraction, ensuite on peut considérer qu'elle est expiée et enfin, les preuves disparaissent
Droit pénal (droit romain) -- Thèses et écrits académiques
Injures -- Rome -- 30 av. J.-C.-476 (Empire) -- Thèses et écrits académiques
Prescription (droit) -- France -- 19e siècle -- Thèses et écrits académiques
Prescription extinctive (droit administratif) -- France -- 19e siècle -- Thèses et écrits académiques