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FACULTÉ DE DROIT D' AIX
LA
DE
PRŒSCRIPTIO LONGI TEMPORIS
EN DROIT ROMAIN
DE
LA
PRESCRIPTION DB DIX A VINGT ANS
EN DROIT FRANÇAIS
THÈSE POUR LE DOCTORAT
PAR
Auguste TALAGRAND
AVOCAT
UZÈS
DI PRIM E'H I E H. · MALI GE
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PRŒSCRIPTIO LONGI TEMPORIS
EN DROIT ROMAIN
DE
LA
PRESCRIPTION DB DIX A VINGT ANS
EN DROIT FRANÇAIS
THÈSE POUR LE DOCTORAT
PAR
Auguste TALAGRAND
AVOCAT
UZÈS
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MA _}1ÈRE
��CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES
Parmi les institutions humaines, il n'en est point qui
aient été l'objet d'appréciations aussi diverses que la
prescription. Tandis, en effet, que quelques-uns, la considérant dans l'injustice de quelques applications particulières, sont allés jusqu'à la qualifier irnpium prœsidium (1), d'autres, au contraire, l'envisageant sous le
rapport de l'utilité générale, ont vu en elle une des
premières garanties d'ordre et de sécurité parmi les
hommes et n'ont pas craint de l'appeler: patrona generis
humani (2); Cicéron (3) la nomme : fi,nem sollicitudinis
ac periculi litiuni.
La prescription remonte aux temps les plus reculés (4);
elle a dû suivre de près l'établissement de la propriété,
et l'on peut dire que c'est à cette époque surtout qu'a dû
se faire sentir la nécessité de cette institution. En effet,
(1) Justinien, Novel. 9.
(2) Cassiodore.
(3) Orat. pro Cœcinâ.
(4) Démosthène, dans son plaidoyer pour Phormion, opposa
une fin de non-recevoir tirée d'une prescription établie par les
lois de Solon.
�-6lorsque l'écriture était encore inconnue, ou du moins peu
répandue, la propriété n'ayant pas de titres, et les conventions étant confiées à la mémoire des témoins, on
conçoit que de très bonne heure la possession paisible
et publique ait été considérée comme une preuve suffisante de la propriété, et que, dans J'intérêt du repos
public, autant que par des motifs d'équité, les lois aient
protégé celui·que l'on venait inquiéter après une longue
et paisible possession. De nos jours, au contraire, où la
propriété est presque toujours constatée par écrit, et
où, grâce au système de publicité établi par la loi de
1855, la condition des fonds de terre se trouve déterminée par des registres comme l'est celle des individus, la
prescription acquisitive est d'une application moins fréquente. On pourrait même concevoir un Etat dans lequel cette prescription ne saurait plus recevoir aucune
application. Si on suppose en effet que, même à l'égard
des parties contractantes, la convention n'est translative
de propriété que si elle a été soumise à la formalité de
la transcription; si on suppose, en outre, qu'il existe des
registres sur lesquels l'étendue des fonds a été déterminée d'une façon certaine, et que ces registres font foi
en justice, celui-là seulement pourra se prétendre propriétail'e qui pourra montrer son nom inscrit sur le
registre en regard du fonds qu'il réclame; toute possession qui ne sera pas confirmée par l'inscription sera
une usurpation; il existe quelque chose d:analogue en
Allemagne.
Si on se place à un point de vue purement philosophique, et si on considère les droits en eux-mêmes et
dans leur essence, on voit qu'ils sont par leur nature
même éternels et impérissables. A un point de vue
moins absolu, et si on considère l'homme comme sujet
�-7actif ou passif de~ droits, on voit aussi que la nature
des droits reste la même, que ces droits ne sont nulle·
ment soumis aux atteintes du temps, car si l'homme,
s_ujet des droits, vieillit et meurt, ses droits lui survivent
et forment le patrimoine de ses héritiers.
La prescription ne vient en rien infirmer ces considérations, car si elle a pour effet d'éteindre soit le droit de
propriété, soit le droit de créance, cet effet n'est pas le
résultat unique du temps, mais a son fondement et sa
source dans une présomption de renonciation chez
celui qui néglige de les exercer.
Avant d'entrer dans le détail de la prescription, il
importe de se poser et de résoudre une question intéressante surtout à cause du point de vue philosophique qui
la caractérise. La prescription est-elle une création
arbitraire du droit civil, ou bien a-t-elle son fondement
et ses racines dans le droit naturel et l'équité?
Cette qu·estion capitale, les jurisconsultes romains
ne manquèrent pas de se la poser. Dès l'origine du droit
romain, et déjà dans la loi des XII Tables, on voit en
effet les décemvirs consacrer, sous le nom d'usucapion,
une institution analogue à celle de la prescription; on
conçoit donc que de très bonne heUl'e les jurisconsultes
se soient demandé quel! était le fondement de cette
institution.
Gaïus (1) ne voit dans l'usucapion qu'une création
purement arbitraire du droit civil, une institution dont
le but a été exclusivement politique et considéré comme d'intérêt public, savoir : la nécessité de prévenir
l'instabilité et l'incertitude dans ia propriété, et de
(1) L. 1, Dig. de usucap.
�-8déterminer les citoyens à s'occuper de la gestion de
leurs affaires comme de bons pères de famille. Plus
tard Cujas, dans le commentaire qu'il nous a laissé de
Gaïus, regarde la prescription comme une institution du
droit ci vil.
D'autre part et en sens contraire, de nombreux auteurs (1), et parmi eux Cicéron, considèrent la prescription non pas comme une création arbitraire du droit
civil, mais comme une institution dont le fondement se
trouve dans le droit naturel. En d'autres termes, ils
considèrent que le droit civil n'est pas venu de sa propre
autorité et dans un but d'intérêt général, créer un droit
pour le possesseur et le débiteur, et prononcer une
déchéance contre le propriétaire ou contre le créancier
négligent, mais qu'il n'a fait en cette matière que consacrer un principal de droit naturel et déterminer les
. conditions dans lesquelles ce droit devait s'exercer.
Pour nous, et bien que l'opinion de Gaïus semble à
première vue plus conforme à la nature des choses,
nous adopterons néanmoins cette dernière manière de
voir.
Je dis que l'opinion de Gaïus paraît plus conforme à la
nature des choses ; en effet, puisque les droits· sont
perpétuels, puisque la propriété est sacrée et qu'on ne
peut la perdre sans son propre fait, comment se fait-il
qu'on soit arrivé jusqu'à sanctionner le droit de celui
qui n'est entré en possession que par une véritable
usurpation, ou qui s'appuie sur une possession vicieuse?
(1) Puffendorff, Droit cle la nature et cles gens, livre 4, chap.
12, § 9 et 11. - D'Ar()'entré, Coutume cle Bretagne. - Merlin,
v' prescription, sect. l" § 1". - Vazeille, prescription, chap.
1, n' 5 et suiv. - Troplong, Prescription, n' 2 et suiv.
�-9Des considérations d'intérêt général telles que nous les
indiquions plus haut, ont pu sans doute déterminer le
législateur à déclarer le possesseur propriétaire, si sa
possession réunit d'ailleurs des conditions qui seront·
plus ou moins rigoureuses, suivant l'époque de l'histoire
à laquelle on se placera, mais ce sera alors une èréation
du droit civil, et non pas la confirmation d'un principe
du droit naturel.
Certains auteurs ont cru résoudre la question, mais
en réalité ils n'ont fait que tourner la difficulté, en · se
basant sur un principe dont la fausseté est évidente. Ils
on dit que la propriété · n'est qu'une création du droit
civil, et qu'elle n'est sanctionnée par la loi qu'à certaines
conditions qu'elle a pu arbitrairement déterminer. Etant
admise cette idée, · que la propriété est une création du
droit civil, rien n'est plus facile que de légitimer la
presc1'iption, car si la loi a créé le droit de propriété,
elle a pu en fixer les limites. Mais il est aujourd'hui
universellement admis, et nous ne nous attarderons pas
à en faire la démonstration, que la propriété est de
droit naturel, que ce n'est pas la loi qui a créé le droit
de propriété, mais qu'elle n'a fait que le sanctionner.
L'origine de la propriété se t1;ouve en effet dans l'occupatiém; c'est l'occupation s'exerçant sur un objet sans
maître qui a donnné naissance à un droit respectable
sans doute, mais qui l'est devenu bien davantage encore
lorsque la matière a été façonnée, améliorée par le travail et l'intelligence de l'homme . Ce droit de pro"priété
une fois acquis par l'occupation et le travail, s'est naturellement conservé, non seulement par les mêmes
moyens, mais encore par la seule volol).té de ne pas l'abdiquer, car, jè le répète, il est de la nature du droit de·
se perpétuer et d'avoir une durée indéfinie.
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Nous arrivons ainsi à la question que nous nous étions
posée plus haut : le droit de propriété étant de son
essence perpétuel, comment se fait-il que · la loi soit
venue d"éclarer ·déchu de son droit de propriété celui
qui a cessé de posséder pendant un certain lap·s de
de temps, et propriétaire celui dont la possession réunit
certaii1es conditions déterminées ? Cette déchéance prononcée contre le propriétaire, cette attribution de droit
aù profit du possesseur, sont-èlles une création arbitraire du droit civil, ou bien ont-elles lem· base daris
l'équité et le droit naturel?
· Cette dernière manière de voir nous a paru la seule
.exacte ; voyons comment on peut la justifier.
Tout d'abord il importe de faire remarquer que la possession de celui qui invoque la prescription peuû être de
deux sortes : le possesseur, peut être de bonne foi, il
peut être aussi de mauvaise foi. Ces deux hypothèses
doivent être soigneusement distinguées, car on comprelid
que la justification de la prescription sera plus facile
dans le premier cas que dans le second.
Si nous nous plaçons dans l'hypothèse de la possession
de bonne foi, la justification de la prescription se trouvera dans cette considération que le droit de 'propriété,
pas plus que les autres droits, n'est absolu, et qu'il se
trouve nécessairement borné par l'idée de devoir. Tout
droit se trouve en effet limité par un corrélatif, et quiconque refuse de subir la loi du devoir qui restreint sa
liberté pour assurer celle des autres, s'expose à la perte
de son droit. Sans doute, ainsi que je l'indiquais précédemment, le droit de propriété est de sa nature perpétuel,
mais il ne s'en suit pas de là que ce soit un droit absolu;
les droits de chacun sont naturellement limités par les
droits des autres, et les lois ne sont autre chose que la
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'détermination faite par une autorité légitimement constituée, des conditions d'équilibre sans lesquelles la société
ne saurait exister.
Si clone on se place dans la situation d'un individu qui
a tout lieu de croire qu'il est devenu légitimement propriétaire de la chose qu'il possède, par exemple parce
qu'elle lui a été livrée à la suite d'une vente, d'un
échange, d'une donation ou de tout autre contrat translatif' de propriété ; si, de plus, on suppose que par un
travail de tous les jours il a amélioré la chose qu'il
possède ainsi de bonne fo i, qu'il y a incorporé des capitaux considérables, résultat d'un travail antérieur ; qu'il
a constitué sur cette · chose et à l'égard des tiers des
droits qui ont paru incontestables et irrévocables, parce
que jusqu'à ce moment le droit du constituant n'avait
paru contestable à personne, fauclra-t-il qu'en présence
d'une situation aussi solidement établie et de droits
aussi sacrés, le propriétaire puisse s'armer de son droit
de propriété, qu'il a négligé d'exercer pendant si longtemps, pour réduire à néant un état de chose si digne
d'intérêt ? N'est-ce pas alors qu'il est utile de se rappeler que les droits de chacun sont limités par les droits
des autres, et que si le droit de propriété est toujours
digne d'être sauvegardé, il faut du moins que ce ne soit
pas à l'encontre d'autres droits non moins légitimes et
non moins dignes d'être respectés ?
A l'origine l'erreur était réparable, il suffisait d'une
réclamation émanée du propriétaire pour faire tomber
les illusions et montrer les vices d'une situation qui ne
se connaissait pas elle-même ; mais en vieillissant, en
passant de degrés en degrés, elle a fini par ressembler
tellement à la vérité, des liens si nombreux et si légitimes se sont étendus en sens si divers, des intérêts si
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sacrés ont pris naissance sur ce sol où on voudrait les
anéantir aujourd'hui, que l'on peut se demander avec
raison, s'il n'y aurait pas une perturbation plus grande
à remettre les choses dans leur état de vérité, qu'à
sanctionner une erreur qu1 est devenue le droit. Le droit
ne va jamais sans un devoir qui le limite; or, le devoir
du demandeur était de ne pas laisser le possess·eur dans
sa bonne foi. Que si l'on nous objecte que le propriétaire
n'a ·peut-être aucune négligence à se reprocher, èar il
ignorait que sa chose était possédée par un tiers, nous
répondrons que cette ignorance est une faute, et que lui
seul doit supporter les conséquences d'une erreur qui
porterait atteinte au droit d'autrui.
Ces cvnsidérations, à elles seules, suffisent à légitimer
au profit du possesseur de bonne foi la prescription
acquise à l'encontre du propriétaire. Ce droit du possesseur est donc antérieur-au droit civil et exclusivemenl
basé sur l'équi_té et le droit naturel. Que le droit civit
soit ensuite intervenu pour déterminer le laps de temps
à l'expiration duquel le droit du propriétaire serait définitivement perdu, cela était nécessaire pour donner à
tous une règle uniforme, mais il n'en est pas moins vrai
que dans cette matière de la prescription, comme dans
beaucoup d'autres d'ailleurs, le droit civil est venu, non
pas créer et innover, mais qu'il n'a fait que travailler sur
des notions déjà fournies par le droit naturel et l'équité,
et qu'il s'est borné à les adapter aux besoins variables
des sociétés.
J'arrive maintenant à la deuxième partie de la question
que je m'étais posée plus haut, c'est-à-dire à l'hypo·thèse où le possesseur est de mauvaise foi ; dans ce cas,
faudra-t:-il dire encore que la prescription a son fonde-
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ment dans le droit naturel, ou qu'elle est au contraire
une création du droit civil ?
Cette question, je le reconnais, sort un peu du sujet
que je me propose de traiter, car n'ayant à parler que de
la prescription de dix et vingt ans, je n'ai pas à me
préoccuper du possesseur de mauvaise foi; et néanmoins, il .m'a paru nécessaire, sous peine d'être incomplet,
d'envisager au moins brièvement ce deuxième côté de
la question, surtout dans un chapitre à la tête duquel
j'ai mis ces mots : Considérations générales.
Ici, j'en conviens, et lorsque on se place en face du
possesseur de mauvaise foi, ce n'est pas dans le droit
naturel qu'il faut chercher le fondement de la prescription : l'injustice et la violence ne sauraient rien fonder.
Sans doute la situation de l'usurpateur finira par ressembler de plus en plus à celle du propriétaire, il utilisera par son travail la chose qu'il possède, il paiera à
l'Etat les sommes exigées du propriétaire, il supportera
les charges que la loi lui impose au profit des propriétaires voisins ; en un mot, tandis que ses actes tendront
de plus en plus à l'assimiler au propriétaire, le propriétaire, de son côté, semblera oublier et abdiquer ses
droits. Néanmoins, cette apparence de légitimité ne
saurait jamais être assez forte pour annuler le droit luimême; on ne saurait concevoir que ce qui est vicieux
à l'origine se m~tamorphosât en droit par sa propre
énergie; il faut donc qu'un fait nouveau vienne régulariser la possession de mauvaise foi et lui fasse prendre
place parmi les droits.
Nous avons vu que ce qui légitime l'acquisition de la
propriété par le possesseur de bonne foi, c'est le préjurlice que lui cause le propriétaire en le laissant dans
l'ignorance de son di·oit ; ici, cette raison ne peut plus
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être invoquée, car le possessem de mauvaise foi est
toujours plus coupable que le propriétaire négligent. Il
faut donc chercher le fondement de la prescription dans
des raisons d'intérêt général. Or, si l'on considère
quelles sont les nécessités de l'ordre public, on se convaincra qu'il est un terme au-delà duquel il serait dangereux de demander compte aux citoyens de l'origine de
lem'. fortune et de leur condition. Vouloir remonter à la
source de tous les droits; ce serait remettre tout en
question, et sous prétexte de justice, bouleverser la
société tout entière. Ancienneté a autorité, a dit Loisel,
et par cela seul qu'une possession est demeurée paisible pendant une longue suite d'années dans les mêmes
mains, elle devra être réputée légitime. Sans doute, il
arrivera quelquefois que l'usurpation se trouvera à l'origine de cette possession, mais parce que dans quelques
applications particulières une règle générale produit des
conséquences regrettables, faut-il rejeter l'institution
elle-même?
Il ne faut pas en outre s'exagérer l'importance du
sacrifice que la loi positive demande à la loi naturelle,
car . s'il est juste de regretter que .ces deux lois ne
soient pas toujours et sur tous les points eu harmonie
parfaite, il faut cependant constater que la négligence
du propriétaire poussée jusqu'à ses extrêmes limites,
justifie pleinement la déchéance proi:ioncée contre lui.
La loi est donc parfaitement fondée à considérer ce
long silence comme un acquiescement à l'état de chose
apparent et à consacrer d'une façon définitive la situation
du possesseur. L'Etat est d'ailleurs intéressé à ce que
les droits ne restent pas trop longtemps en suspens,
et il a bien le droit d'exiger, au profit de l'intérêt
général, le sacrifice de quelques intérêts particuliers.
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Usucapio darnno est dominis, dit Cujas (1), bono reipublicm.
Cette vérité a toujours été profondément sentie par
l'opinion publique, et, pour ne citer qu'un exemple
récent, on trouve encore partout des traces de l'émotion
profonde que ressentirent, à l'époque de la Restam'ation,
les détenteurs des biens nationaux, et on se rappelle
qu'il ne fallut pas moins de plusieurs déclarations émanées de l'autorité législative (2) pom; calmer l'agitation
qu'avait fait naître la crainte de voir rechercher l'o rigine de la possession de ces biens.
(1) Sur la loi J, Dig . cle Usucap.
(2) Les ventes de domaines nationaux sont irrévocablement
maintenues : 6 avril 1814, art. 24; 2 mai 1814; 4 juin 1814,
Charte, al't. 9; 5 déc. 1814, art. 1"; 2i avril 1825, art. 24; 14
'
noCtt 1830, Charte, art. 8.
On a poussé le respect pour les ventes de domaines nationaux
jusqu'à décide!' que lorsq ue, pa1· erreur, un domaine patrimonial a été compris dans une vente fai.te par l'autorité administrative, une fois la vente consommée, le propriétairn est
non recevable :'t. exercer l'action en revendication contre l'adjudicataire, et n'a que l'action en indemnÙé contre le Gouvernement (li mar s 1815). Mais la survenance de la Charte constitutionnelle a paru à la Cour de cassation un motif suffisant
pour décider que le propriétaire pouvait revendiquer (arrêt 26
déc. 1825, Syrey, 26, 1, 2i0; Dall. 26, 1, 86.).
�.•. .J .
�PREMIÈRE PARTIE
DROIT ROMAIN
DE LA PROESCRIPTIO LONG! TEMPORIS
INTRODUCTION
Le mot prœsm·iptio, dont nous avons fait dans notre
langue moderne le mot prescription, avait à Rome un
sens tout différent de celui dans lequel nous l'entendons
n.ujourd'hui. Ce mot, tiré du verbe latin prœscribere, ne
signifiait pas autre chose que ce qu'on entendait par le
terme exceptio : nihil enim aliud est prœscribere, quam
eœceptionem apponere, dit Cujas, et l'on trouve au
Digeste un titre avec cette rubrique : de eœceptionibus,
prœscriptionibus, et prœjuàiciis (liv. 44, tit. 1°').
Il importe toutefois de remarquer que bien que les
mots prescription et exception soient synonimes dans le
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langage des jurisconsultes romains, néanmoins le mot
exception a. plus d'étendue :· _fa .:prescription est à
l'exception ce que l'espèce est au genre.
L'exception est un moyen de défense, mais un moyen
qui présente ce caractè.re particulier, que le défendeur
qui l'invoque ne s'attaque pas directement à la prétention du demandeùr pour soutenir qu'elle n'est pas
fondée; il allègue un droit indépendant, de manière à
paralyser celui que peut avoir le demandeur. Ainsi vous
intentez contre moi une condictio ce1·tià l'effet d'obtenir
la restitution de dix sous d'or que vous prétendez m'avoir
prétés; si je réponds que je ne les dois pas, parce que
je vous les ai rendus, je n,'invoque pas une exception, car
j'attaque directement votre prétention; si je reconnais
au contraire que vous me les avez prêtés, mais qu'il a
été convenu entre nous que vous ne me 1es réclameriez
pas, j'oppose alors une véritable exception.
Le caractère de la prœscriptio est certainement le
même que celui de l'exception, et lorsque une prœscriptio
se ra invoquée par le défendeur, le juge, comme en
matière d'exception, ne prononcera la condamnation que
tout autant qu'il aura reconnu : 1° que l'exceptl_on ou la
prœscriptio n'est pas justifiée; 2° que la prétention du
demandeur est elle-même fondée.
Toutefois·, ce qui caractérise la prœscriptio, et ce ·qui
m'a permis de dire qu'elle est à l'exception ce que
l'espèce est au genre, c'est que la prœscriptio est une
exception mise en tête de la formule; la question
soulevée par le défendeur est 'de telle nature·, qu'il y a
intérêt à ce que le juge commence par.T examiner.· Ainsi,
je revendique un immeuble contre une personne ·· qui
invoque la possessio longi temporis, le juge commence par
rechercher si les conditions voulues pour cette possessio
1
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existent réellement : si leur existence est une fois établie,
peu importe que je fusse ou non propriétaire, ma
demande sera repoussée .
. « Prœscribere est ante scribere, '' voilà d'où nous est
venu le nom de .p rescription. C'est donc un accident de
procédure, cette circonstance particulière que l'exception
tirée de.la possession se trouvait inscrite en tête de la
formule qui a donné à une institution le nom qu'elle
conserve encore aujourd'hui, bien que depuis le règne de
Constantin, l'usage des formules ayant été supprimé, le·
mot prœscriptio ne correspondit plus à quelque chose de
réel.
J'ajoute d'ailleurs que sous la période de la procédure
formulaire, le mot p1·œscriptio ne s'appliquait pas seulement à l'exception fondée sur la possessio longi temporis,
mais qu'on appelait ainsi d'une façon générale toutes
les exceptions qui soulevaient des questions d'une nature
telle, qu'il fallait les examiner avant la demande ellemême : ainsi l'exception tirée de la chose jugée .
Quintilien a parfaitement indiqué le caractère général
des prescriptiones quand il a dit : « cùm ex prœscriptione
lis pendet, de ipsa re qiiœri non est necesse. »
Après avoir ainsi indiqué quel était le sens clans lequel
ces mots prœscriptio lqngi temporis furent primitivement
entendus, . et avoir montré que cette prœscriptio fut
originairement une espèce d'exception au moyen de
laquelle l'homme qui depuis longtemps possédait une
chose, pouvait repousser ceux qui l'actionnaient en
restitution, il me restera à faire voir comment, ce qui
n'était primitivement qu'une exception, finit par devenir
un véritable mode d'acquisition de la propriété et à
déterminer quelles furent les conditions requises pour ce
mode d'acquérir.
�-
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Ces conditions, je dois le dil'e dès maintenant, sont,
sauf une différence relative à la durée de la possession,
absolument les mêmes qu'en matière d'usucapion. C'est
ainsi que les règles sur la juste cause, la bonne foi, sur
le mode de calculer le délai et sur l'açcessio temporis,
comme aussi sur les obstacles qui rendent la possession
inutile, se retrouvent dans la théorie de l'usucapion et
dans celle de la prœscriptio longi temporis.
Toutefois, ce serait une erreur de croire que ces deux
institutions soient absolument identiques; dans de telles
conditions, la prœscriptio, qui est moins ancienne que
l'usucapion, n'aurait certainement pas pris naissance ;
mais outre que la prœscriptio fut créée pour répondre à
des · besoins nouveaux auxquels ne pouvait satisfaire
l'usucapion, nous verrons, au point de vue de leurs
effets, des différences fondamentales entre ces deux
institutions.
Ce qui caractérise les législations anciennes et
notamment la législation romaine, c'est que les créations
et les transformations juridiques ne s'opèrent pas chez
elles par voie législative ; aujourd'hui, lorsqu'une institution a vieilli et ne correspond plus à l'état de chose
actuel, lorsque des besoins nouveaux se font sentir, il
existe des assemblées législatives qui viennent supprimer
ou corriger l'institution ancienne et élaborer des lois
plus conformes aux nécessités du moment.
A Rome il n'en était pas ainsi ; presque toujours à
côté du droit civil, c'est-à-dire d'un droit très ancien,
mo1·es majorum, formulé pour la première fois par les
Décemvirs dans la loi de XII Tables, se trouve un droit
de formation plus récente appelé droit Prétorien. Ce
droit, suivant l'expression de Papinien, complète, corrige
�-
21 -
ou supplée le droit civil propter utililatern publiccvm, ; ce
n'est pas que les dispositions de l'Edit de Préteur soient
arbitraires; quand le Préteur s'écarte du droit civil, c'est
toujours parce que celui-ci ne convient plus aux mœurs
nouvelles, parce qu'il ne donne plus satisfaction à des
situations inconnues autrefois et fréquentes aujourd'hui :
le jus gentiurn et la coutume lui fournissent le plus
souvent les règles qu'il consacre dans son Edit.
Cette action du Préteur sur le droit civil, que l'on
trouve à chaque pas dans l'histoire du droit romain,
nous la trouvons encore en matière d'usucapion.
Lorsque pour des raisons que nous aurons à exposer
plus loin, l'usucapion fut devenue insuffisante, le Préteur,
fidèle à son .rôle, intervint et créa cette prescription dl
dix et vingt ans, qui dans le principe apparaît comme
secondaire et se pose en présence de l'usucapion, pour
reproduire l'antagonisme que nous trouvons partout
chez les Romains entre le droit civil et un droit moins
sévère et plus humain.
Dans cette étude, à laquelle nous allons nous livrer sur
la prœscriptio longi ternporis considérée ·comme moyen
d'acquérir la propriété, nous distinguerons deux sortes
de conditions : les unes relatives à la personne qui
invoquait cette prœscriptio, les autres relatives à la
chose même qu'il s'agissait d'acquérir par ce mode.
Sous le premier rapport, nous verrons que pour que
la prœscriptio pût être invoquée il fallait une juste cause
à la possession, la bonne foi dans le possesseur et la
possession continuée pendant le laps de temps déterminé par la loi.
Sous le second rapport, il fallait que la chose fût
dans le commerce, qu'elle n'eût été ni volée, ni prise
2
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ou usurp ée par violence, et, de plus, qu'elle fût susceptible de possession.
Après avoir ainsi étudié dans les deux premiers
chapitres ces deux ordres de conditions, nous examinerons dans un troisième chap itre quels étaient les effets
de la prœscriptio, et quelles furent les innovations de
Justinien.
CHAPITRE IEI\
Des conditions relatives à la personne
Pendant très longtemps, à Rome, les modes d'acquérir la propriété furent distingués en modes du droit
civil et en modes du droit des gens . Cette distinction
entre le droit civil, c'est-à-dire un droit exclusivement
réservé aux membres d'une nation, et le droit des gens,
c'est-à-dire un droit dont l'exercice appartient à toute
personne sans distinction de nationalité, se trouve, au
début de toutes les civilisations, marquée d'une façon
très nette, et le peuple romain, plus encore peut-être
que tous les autres peuples, en est un exemple frappant.
De nos jours, cette distinction subsiste encore sans
doute, car il faut qu'une nation reste maîtresse chez
elle, et qu'il es t certains droits d'une nature telle qu'on
ne saurait en conférer l'exercice à des étrangers sans
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23 -
compromettre la sécurité nationale; mais cette exclusion
qui les frappe n'e~t relative qu'à l'exercice des droits
politiques, et l'on peut dire d'une façon générale, quoique
la question soit cependant controversée, que sauf quelques
exceptions limitativement énumérées par notre Code, les
étrangers jouissent en France des mêmes droits civils
que les Français eux-mêmes. Enmême temps que la civilisation a progressé, les barrières entre les nations se sont
abaissées, les rapports internationaux sont devenus
infiniment plus considérables, et la notion du droit des
gens étant une notion essentiellement élastique et se
prêtant à des interprétations variables, a été successivement étendue par la Cour de cassation et s'applique
aujourd'hui dans des cas de plus en plus nombreux: c'est
ainsi que les alliances entre Français et étrangers devenant de plus en plus fréquentes, la tutelle a été confiée au plus proche parent français ou étranger, et est
ainsi devenue du droit des gens, après avoir été longtemps considérée comme un rwunus publicum exclusivement réservé aux membres de la nation.
Autrefois, au contraire, la société fut organisée d'une
manière toute différente, et la séparation était marquée
d'une façon profonde entre le droit civil et le droit des
gens. Cette séparation ainsi établie entre les membres
des nations différentes avait d'ailleurs sa raison d'être
et s'explique d'une façon toute naturelle si l'on considère
quelle fut à l'origine la nature des relations internationales.
Dès le début, la préoccupation unique des peuples, et
notamment du peuple romain, fut de se maintenir en pos-'
session de ce qu'ils · avai:ent acquis par la conquête et
d'étendre même leur domination sur les peuplades voisines. La caste principale, sinon la caste ùnique, était
�-
24-
celle des guerriers ; la richesse consistait dans le butin
enlevé à l'ennemi, et les membres de la nation vaincue
se livraient seuls à l'agriculture pour le compte des
vainqueurs. Au milieu d'un état social semblable, les
relations civiles devaient être fort restreintes, et le commerce, s'il existait, devait occuper une place très petite
et ne s'exercer qu'entre les membres d'une même nation.
Quant îaux hommes de nationalité différente, ils ne se
rencontraient que les armes à la main et sur les champs
de bataille. Les hommes étant ainsi dans un état de
guerre à peu près permanent, et les relations de nation
à nation étant pour ainsi dire nulles, on conçoit que les
peuples se soient habitués à considérer leurs institutions
comme exclusivement propres à leurs membres et que
les étrangers n'aient pas été admis à en invoquer le ·
bénéfice. Ces idées pénétrèrent profondément dans les
institutions du peuple romain, et, dès le début, l'usucapion fut considérée comme un mode d'acquérir exclusivement propre aux citoyens ; les étrangers furent
exclus de ce droit par un article formel de la loi des
XII Tables : adversùs hostern (1) œterna auctoritas (2) esta.
(1) Ce terme, hostem, ne doit pas s'entendre d'un ennemi,
mais seulement d'un étranger; c'est ce que nous dit Cic6ron,
lib. I, de Ojfi.ciis : Hosti.s apucl majorns nostros, is dicebatur
quem nunc PEREGRINUM clicùnus : indicant XII Tabulœ ..... aclve1·sus hosten œterna auctoritas esta. Le terme qui signifiait
ennemi était celui de perduellis, comme l'observe Gaïus sur la
loi des XII Tables : quos nos hastes appellamus, eos veteres
PERDUELLES appellabant, per eam adjectionem inclicantes cwn
quibus bellum esset, 1. 234 de verb. signif.
(2) Auctoritas est pris lu pour le droit de revendiquer la
chose.
�-
25 -
,/)'\insi l'usucapion étant une institution du droit civil,
quel que fût le laps de temps pendant lequel un étranger
eût possédé. une chose, il ne pouvait en acquérir le domaine, et le propriétaire était toujours recevable à la
revendiquer contre lui en justifiant de son droit de propriété. Dès l'origine, cet état de chose était, ainsi que
je l'ai montré, parfaitement normal et ne présentait
aucun inconvénient à une époque où le territoire romain
était excessivement restreint et où Rome, en guerre
avec presque toutes les nations voisines, ne contenait
dans ses murs que des citoyens romains.
Mais il devait arriver bientôt que les Romains euxmêmes sentiraient les vices de cette organisation et
comprend_raient qu'en excluant ainsi systématiquement les étrangers des bénéfices de leur droit civil,
ils apportaient à l'agrandissement et au développement
de leur cité un obstacle considérable. Lorsque Rome,
par la force des armes, eut rendu tributaires la plupart
des nations voisines ; lorsque, par des traités d'alliance,
elle se fut liée avec les autres, il arriva bientô.t que les
Romains ne furent plus les seuls à habiter la cité et à
posséder son territoire. Les étrangers entrés à Rome
non pais comme des prisonniers et des vaincus, mais
attirés par l'hospitalité qui leur était offerte, ne tardèrent pas à y acquérir des richesses et à devenir pos·
sesseurs à leur tour. On comprend sans doute que Rome
ait refusé longtemps de cesser de les considérer comme
des étrangers et de leur accorder d'une façon générale
les mêmes droits qu'aux citoyens romains; mais il fallait
pourtant, et sous peine de leur rendre le séjour de Rome
impossible, leur accorder dans une certaine mesure
l'exercice de certains droits civils.
Dès ce moment, on aurait pu sans doute déclarer que
t .
�..
- 26 l'usucapion cessait d'être considérée comme un mode
d'acquérir exclusivement réservé aux citoyens romains,
et que les étrangers, les pérégrins, pourraient désormais
l'invoquer. Mais, ainsi que je l'indiquais plus haut, cette
façon de procéder n'était pas dans les habitudes romaines, les innovations n'étaient point faites par voie
législative, et lorsque un besoin nouveau se faisait
sentir, c'était à la coutume, aidée le plus souvent pa1·
le Préteur, qu'était réservé le soin de modifier le droit
civil ou d'en combler les lacunes. L'usucapion fut donc
maintenue avec son caractère primitif, c'est-à-dire qu'elle
resta un mode d'acquérir exclusivement réservé aux
citoyens romains; mais on vit naître à côté d'elle la
longi ternporis prœscriptio.
On ne peut indiquer d'une façon précise l'époque
exacte de la: naissance' de cette institution. On sait
pourtant qu'elle remonte à des temps fort reculés, et
l'on peut conjecturer que ce fut à partir du moment où
les relations de Rome avec les peuples voisins devenant
plus pacifiques, et le nombre des étrangers grossissant
de plus en plus, on sentit le pesoin d'une institution nouvelle qui, à l'exemple de l'usucapion, mais d'une façon
plus générale, protégeât les possesseurs de bonne foi .
Conformément à l'esprit ordinaire des 'créations du
Préteur, la longi temporis prœscriptio ne supprima ni ne
restreignit en rien l'utilité de l'usucapion; mais tandis
que les citoyens romains demeurèrent les seuls qui pussent invoquer cette dernière, les pérégrins trouvèrent
désormais dans la première. un moyen d'acquérir parfaitement analogue.
Cette nécessité de donner ·aux pérégrins un moyen
d'acquérir la propriété par la possession, fut sans doute
un ma.tif déterminant pour la création de la longi tem-
�-
27 paris p1·œscriptio, m.ais ce ne fut pas le seul. Si les
ci~oyens romains pouvaient seuls invoquer l'usucapion,
ils ne le pouvaient pas toujours, car ce moyen était inapplicable aux fonds provinciaux non investis du jus italicum. Item provincialia prœdia usucapionem non recipiunt
(Gaîus II, § 46). Par conséquent, les citoyens romains
eux-mêmes, lorsqu'ils avaient acquis un fonds de cette
nature a non proprietario, restaient sous une menace
permanente d'éviction. C'est donc un deuxième rapport
sous lequel l'usucapion était devenue insuffisante et que
nous traiterons dans le chapitre II, quand nous nous
occuperons des conditions relatives à la chose possédée.
Après avoir ainsi montré à la suite de quelles transformations sociales l'usucapion était devenue un moyen
d'acquisition insuffisant et incomplet, et comment la
longi temporis prœscriptio vint ~onner satisfaction à des
besoins nouveaux, il nous reste à étudier maintenant
quelles sont les conditions qui doivent se trouver réunies dans la person_ne de celui qui invoque ce mode d'acquérir la propriété. Ces conditions, ainsi que nous
l'avons indiqué déjà, sont ~u nombre de trois : il .faut
que le possesseur ait une juste cause de posséder, qu'il
soit de bonne foi, qu~ sa possession ait duré pendant
tout le laps de temps déterminé par la loi; nous allons
examiner la première.
�-
28 -
SECTION PREMIÈRE
De fa juste cause
La possession de celui qui invoque la prescription de
longtemps doit avoir, disons-nous, une juste cause. II
importe de se faire une idée très exacte de ce que les
jurisconsultes romains ont entendu par ces mots juste
cause en matière d'usucapion et de prescription de longtemps, et de ne pas confondre cette juste cause avec
celle qu'on retrouve dans la théorie de la tradition.
Parmi les modes d'acquérir la propriété à titre particulier, la tradition fut classée par les jurisconsultes
romains dans la catégorie des modes du droit des gens,
c'est-à-dire que l'usage n'en était pas restreint aux
citoyensromains (Gaïus II,§§ 65 et 66). En sa qualité de
mode du droit des gens, la tradition dut nécessairementapparaître avant les modes du droit civil, et il est à
remarquer qu'elle leur survécut néanmoins; dès l'époque de Justinien, en effet, les 1·es mancipi disparaissant,
la mancipation n'avait plus de raison d'être, et l'in jure
cessio, depuis longtemps inutile à l'égard des 1·es corporales, le devint aussi à l'égard des res incorporales
lorsqu'on admit pour ces dernières la possibilité d'une
quasi tradition.
Indépendamment des conditions relatives à la 1·es
tradita, pour que la tradition fût translative de propriété
on exigeait qu'il y eût remise effective du co1pus, c'est-
�-
29 -
à-dire de l'élément corporel de la possession; il fallait
en outre à cette tradition une justa causa; c'est cette
dernière condition qu'il nous importe surtout d'étudier.
En matière de tradition, la juste cause consiste dans
l'intention chez .le tra!J§ns detran~férer la propriété de
la 1·es tradita, et chez l'accipiens dans l'.intention de l'acquérir. C'est donc l'ac,Q.Qrd ré"..,iproque de deux volontés,
tendant, l'une à aliéner la chose et l'autre à l'acquérir,
qui. constitue la juste cause. Sans doute le plus souvent
cet accord de volonté sera la conséguence d'un acte
antérieur, acte obligato ire, tel que le legs per darnnatfoneni, vente ou _stipulation; ou acte dépourvu par luimême de toute force obligatoire, tel que échange, donation; roais dans aucun cas ce fait indép~ndant ne doit
êtJ:.f;l confondu avec la justa causa de l ~ tradifil.Ql!.. Il
suffira donc, pour que la tradi_tion produise son effet 01;dinaire, c'est-à-dire la translapion de propr!_été, que la
volonté récip~oque des deux parties existe i;iu m..Pment
de...laremis.e de a__c,liru;e.
Si maintenant nous nous reportons à la théorie de la
prescription de long temps, nous voyons que l'idée de la
juste cause est toute différente en cette matière. Ici, en
effet, la ·uste caus..eJle c.onsj,<St.e_plus_dans.J.e_c.o.nc.ours_d~
Çleux volouié_s, tendant l'une à aliéner et l'aajr~à acquétl!:, mais dans le fait lJJi-même antérieur...à.Ja tradition et
indépenda.ru d'illle, qui dénot_Et c.hez les parties cette in~on d'aliéner d'une part et cl'._acqQérir de l'autre. Ce
fait, ainsi que nous l'indiquions tout à l'heure, peut être
générateur d'oQJ.ig_g,t' JJ., tel qu'une vente, une stipulation,
et dans ce cas l~ tradition n'est qu'un moyen d'exécuter
une obligation antérieure, ou bien ~mut être un fait
~ll.Q.1!IVU lui-même de t out caractère obligatoire, tel
qu'un échange ou une donation, et la tradition dans ce
�-
30 -
cas vient lui donner sa force et le rendre exécutoire.
On peut donc dire d'une façon générale, et bien que
pourtant cette règle souffre quelques exceptions (1),
qu'en matière de possession la juste caus~oon:;?iste <t!:gs
un fuit ailtérieur à ln. tradition, qµi dé11ote cliez les_ ar·
ties l'intention r~ciproque d'aliéner et d'acquérir; dans
un fait d'une nature telle, que la tradition qui en est
la conséquence eût transféré la propriété si l'acte eût
émané du véritable propriétaire, nous écartons le cas
où, la chose étant une res mqg.icipi, l'obstacle au trans·
fert de la propriété vient de ce que les modes solennels
n'ont pas été employés .
On voit donc que la juste cause en matière de tradition, et la juste cause en matière d'usucapion, sont
choses parfaitement distinctes ; la différence apparaît
encore plus nette dans les applications qu'on peut faire
de ces principes, et c'est ce que nous allons montrer par
un exemple .
Soit une tradition faite par une personne qui se croit
débitrice d'une chose en vertu d'un legs ou d'une stipulation, bien qu'en réalité il n'existe ni legs ni stipulation;
si toutes les conditions requises en matière de tradition
se trouvent d'ailleurs réunies, cette tradition sera parfaite, c'est-à-dire qu'elle sera translative de propriété,
sans qu'on puisse alléguer que la justa causa fait défaut.
Sans dôute la chose n'aurait pas été livrée si le tradens
(1) Ainsi, celui qui s'empare d'une res derelicta commence
certainement a usucaper, bien qu'on ne puisse trouver de juste
cause en dehors de cette ' tradition incertœ personœ que les
Romains reconnaissaient dans la de1·elictio (L. 4, P1·0 derelicto,
liVl'e XLI, tit. 7.)
�-
31 -
avait eu connaissance de l'absence de legs ou de stipu·
lation, mais cette erreur n'infirme en rien l'existence
de cette juste cause, elle l'explique au contraire, car
elle indique d'une part que le tradens a voulu transférer la
propriété de la chose dont il se croyait faussement débi·
teur, et d'autre part que l'accipiens a entendu l'acquérir,
ce qui constitue précisément la justa causa; il n'y a pas
à se préoccuper de savoir si l'accipiens a su ou non que
la chose ne lui était pas due.
Supposons maintenant que la même personne qui se
croit faussement débitrice en vertu d'un legs ou d'une
stipulation, livre une res aliena. L'accipiens qui la prend
sachant que la chose ne lui est pas due·, ne commence
pas à prescrire, car sa possession manque d'une juste
cause : sa possession manque de juste cause, et en effet,
la juste cause en matière d'usucapion est un fait anté·
rieur à la tradition, et qui explique cette tradition, tel
que testament ou stipulation disions-nous; or, dans notre
hypothèse, ce testament, cette stipulation, n'existent que
dans l'imagination du tmclens; la possession de l'accipiens
est donc dépourvue de juste cause, et il ne peut par
conséquent pas prescrire.
Il résulte de ce que nous venons de dire, qu'une tradition faite par le propriétaire de la chose livrée, alors
même que cette chose n'était pas due, est translative
de propriété, tandis que dans la même hypothèse, la
tradition d'une res aliena ne met pas l'accipiens in causa
ucapiendi; en d'autres termes, on devient plus facile·
ment propriétaire de la chose livrée a domino, qu'on
n'usucape celle livrée a non domino. Quant à la raison
de cette différence, elle est facile à donner : si le propriétaire d'une chose est dans l'erreur et la livre parc'e
qu'il s'en croit faussement le débiteur, la faute en est
�-
32 -
à lui, et la tradition n'en produit pas moins son effet
ordinaire; la loi, d'ailleurs, ne l'abandonne pas et lui
donne une action personnelle à l'effet de contraindre
l'accipiens à lui retransférer la propriété de la chose
indûment livrée, c'est la condictio indebiti (D. liv. xn,
tit. 6); si, au contraire, l'erreur est commise par un autre
que le propriétaire de la chose livrée, il serait injuste
que celui-ci pût se trouver ainsi dépouillé sans son fait.
Dans l'hypothèse que nous faisions précédemment relativement à la chose livrée à non domino, nous avons
supposé que l'accip iens savait que la chose ainsi livrée
ne lui était pas due, et la y'usta causa faisant ainsi défaut,
nous avons conclu que l'usucapion ou la prescription de
long temps n'était pas possible. Il reste à nous demander
maintenant si la solution devait être la même dans le
cas où l'accip'iens aurait cru que la chose livrée
lui était due; ainsi l' accipiens croyait à une vente qui n'a
jamais eu lieu, à un legs qui n'a jamais été fait. La
même question peut se poser encore lorsque, par suite
d'une erreur de fait, l'accipiens croit à la validité d'un
titre qui existe en fait, mais qui est nul' en droit : ainsi,
une dot lui a été constituée, mais le mariage est nul et
avec lui la constitution de dot. Dans ces deux hypothèses'
la tradition faite en vertu de ce titre inexistant, ou nul,
permet-elle d'usucaper ? En d'autres termes, le titre
putatif peut-il remplacer le titre réel-?
En principe, il faut répondre négativement ; la y'usta
causa est une condition essentielle à l'usucapion comme
à la prœscriptio longi temporis; c'est d'ailleurs ce que dit
Justinien dans ses Institutes d'une façon très explicite :
Error falsœ causœ usucapione1n non parit ; veluti si quis
cùm non eriwrit, emisse se existimans, possiclcat; vel cwni
�-
33 -
si ctonaturn non fuerù, quasi ex donationè, possideat (1).
Si des Institutes on passe au Digeste, on trouve au
contraire que la solution de cette question a paru plus
douteuse à l'esp rit des juriconsultes romains, et l'on voit
notamment Hermogénien attester l'existence de longues
controverses : Pro legato urncapit, cui rectè legatum relictum est. Sed et si non jure legatum, rel-inquatii·r, ·vel legatuni
adeptum sit, pro legato itsuwpi, post niagnas varietates
obtinu'it (2). Cette affirmation d'Hermogénien est parfaitement exacte, aussi voit:-on que tandis que certains
jurisconsultes placent le titre apparent sur la même
ligne que le titre réel, d'autres, au contraire, déclarent
que le titre réel peut seul servir de fondement à l'usucapion.
Parmi ceux qui repoussent le plus énergiquement le
titre putatif, nous nous bornerons à citer Ulpien, qui ne
fait d'ailleurs, ainsi qu'il l'indique lui-même, qu'adopter
l'opinion de Celsus : << Celsus libro tricessimo quarto errare
esos ait, qui existimarent, cujus rei quique bonâ (ide adeptu,s
sit possessionnem, pro sua usucapere non passe, nihilque
referre, emerit necque, donMiim sit nec ne, si modo emtum
vel donatum sibi existimaverit, quia neque pro legato,
neque pro donato, ncque pro dote usucapio valeat, si nulla
clonatio, nulla dos, nullum legatum sit. Idem et in litis
œstimatione placet, eut nisi vere quis litis œstimationem
subierit usucapere non possit (3). »
La question fut donc longtemps controversée, ce que
ne ferait pas supposer la lecture des Institutes; toutefois
il en fut de cette controverse ce qu'il en avait été déjà
(1) § 11 de usucup.
(2) L. 9, D. Pro legato, livre XLI, titre 8.
(1) L. 27, D., de usurp. et usuc. livre XLI tit. 3
�-
34 -
de bien d'autres, c'est-à-dire que ni l'une ni l'autre des
deux opinions extrêmes ne triompha absolument; il se
forma une doctrine intermédiaire que nous trouvons
nettement formulée dans deux textes, l'un d'Africain et
l'autre de N ératius; d'après cette doctrine, la nécessité
du titre réel était posée comme règle générale, mais à
ce principe on apporte une restriction considérable :
dans tous les cas où le possesseur est tombé dans une
erreur plausible, dans tous les cas où les circonstances
étaient telles, que même un homme raisonnable et
attentif y · aurait été trompé, le titre putatif équivaudra
à une justa C(J!Usa réellement existante.
Voici, en effet, ce que dit Africain : (( Quod vulgo
traditum est, eum qui existiniet se quid emisse, nec
emerit, non passe pro emptore usucapere, hactenits verum
esse ait, si : nulla;rn justam ca·usam ejus erroris empto1·
habeat ; nam si forte servw vel procurator, cui emendam
rem mandasset, persuaserit ei, se emisse, atque ita
tmdiderit, magis esse, ut 'iMucapio sequatur (1). »
Né~atius est non moins explicite : Secl id, quod quis,
qwum swum esse existimaret, possiderit, usucapiet, etiamsi
falsa fuerit ejus existimatio. Quod tamen ita interpretandum est, ut prnbabilis error possidentis usucapioni
non obstet, veluti .... etc ... (2) .
Cette opinion, d'ailleurs parfaitement conforme à la
saine logique et à l'équité, finit par prévaloir d'une façon
définitive dans l'esprit des jurisconsultes de l'~poque
classique. (( Je crois volontiers, clit M. Accarias, que cette
circonstance d'une erreur plausible doit être réputée
(1) L. 4, D., Dejuris et Jacti ignorentiu. liv. XXXII, tit. 6.
(2) L. 5, § 1 D., Pro suo. livre XLI, titre 3.
�· - 35 sous-entendue dans les textes qui admettent l'usucapion
sans juste cause, et absente dans ceux qui la repoussent; de telle sorte que la controverse aurait beauc-oup
moins porté sur le principe lui-même que sur le nombre
et l'étendue des exceptions qu'il pouvait recevoir; ce
point de vue n'a pas seulement l'avantage d'atténuer la
portée de la controverse; il est le seul acceptable si l'on
ne veut pas trouver un même jurisconsulte en contradiction avec lui-même (1). >>
Cette doctrine une fois admise, les jurisconsultes en
firent de nombreuses applications; c'est ainsi que
P1·oculus déclare que le mari usucape les valeurs apportées en dot par sa femme esclave, s'il la croyait libre au
moment où il l'a épousée : quod si vir eam pecuniam pro
sua possidenda usuceperit, silicet quia eœistimavit,
·m ulierem libemm esse, propius est, ut eœistimarem eum
lucri fecisse (2). On trouve dans Paul une décision
analogue dans le cas où quelqu'un aurait acheté d'un
pupile qu'il croyait pubère, ou d'un fou qu'il croyait sain
d'esprit. (L. 13, § 1, cle usurp. et usucap. - L. 2,
§§ 15 et 16, pro empt). Il est bon de faire remarquer que
dans les différentes hypothèses que nous venons de citer
et où le titre existe en fait, mais est nul en droit, il faut
que le possesseur ait ignoré la qualité de la personne
avec laquelle il traitait; s'il a su, par exemple, que la
femme qu'il épousait était esclave, et qu'il ait cru
néanmoins que sa possession avait une juste cause,
l'usucapion deviendra alors impossible, car nous nous
trouvons en présence non plus d'une erreur de fait, mais
(1) Tome 1", page 527.
(2) L. 67, D., De jure dotium. livre XXIII, titre 3.
�-
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d'une erreur de droit, et c'est une règle générale que
l'erreur de droit ne peut servir de fondement à l'u ucapion : juri~ ignorentia in us1wap ione n egatur prodesse ;
facti vero ignorentia prodesse constat, dit Pomp onius (1).
Cette doc trine, que professaient Africain et Nératius,
et que nous avons vue adoptée par la plupart des
jurisconsultes de l'époque classique, était certainement
très équitable en principe, car on ne saurait rendre
quelqu'un responsable d'une erreur à laquelle il ne
pouvait se soustraire ; mais si l'on se place au point de
vue de son application, on voit qu'elle ne saurait mél'iter
les mèmes éloges et que la critique au contraiee en est
bien fac ile. Comment, en effet, déterminer les cas dans
lesquels l'erreur du possesseur devra être considérée
comme plausible et ne faisant pas obstacle à la
prescription ; dans quels cas au contraire faudra-t-il dire
que l'erreur du possesseur a été d'une nature t rop grossière et que l'existence fictiv e d'un titre qui n'a jamais
existé, ou qui était nul aux yeux de la loi, a été
impuissante à fond er la possession ? Question évidemment délicate et susceptible d'être résolue par les
jurisconsultes en sens très divers ; aussi est-ce bien là ce
qu'ils ne manquèrent pas de faire ; de là des controverses
nombreuses . Cette doctrine présentait d'ailleurs un autre
danger, c'est que, soulevant des questions de fait ·
touj ours très délicates , elle tendait à fav oriser l'esprit
de chicane. Ces inconvénients ne tardèrent pas à se
faire sentir, et la pratique en fut tellement embarrassée
que nous trouvons au code des constitutions imp éri ales
(1) L. 4, D., De ;w·is et Jactis ignorentia. livre XXXII .
titre 6.
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37 -
nombreuses, qui toutes exigent absolument le titre réel :
Nullo justo titulo possidentes ratio juris quœrere dominium
prohibet (1). Au titre de la longi ternporis prœsoriptio, une
constitution de Dioclétien et de Maximien est non
moins énergique : << Nec petentum dorninium ab eo, 'cui
petentis solus error causam possessionis sine vero titulo
prœstitit, silentii longi temporis prœscriptio 1·epelli, juris
evidentissimi est (Loi 5). >> Ainsi, tandis que dans son
Digeste, iustinien nous cite l'opinion de jurisconsultes
admettant le titre putatif avec la restriction que nous
avons indiquée, dans son Code, au contraire, nous
trouvons des constitutions exigeant le titre réel ; en face
d'une semblable contradiction, il est impossible de
savoir quelle est la doctrine qu'il a entendu définitivement consacrer.
Après avoir ainsi indiqué en quoi consiste la justa
coosa usucapionis et avoir montré que c'est un fait
antérieur à la tradition, il nous reste à examiner quels
peuvent être ces faits générateurs de lajusta causa. Ces
faits sont indiqués au Digeste dans une série de titres
séparés; nous les examinerons successivement.
j)ro jJmptore. - Possède à titre d'acheteur celui qui,
à la suite d'une vente dont il a payé le prix, ou pour le
paiement duquel il a obtenu un terme, a reçu livraison ·
de la chose vendue. Nous verrons dans la section
suivante que le titre pro emptore présente une particularité remarquable relative à la bonne foi du possesseur.
Le titre Pro emptore s'applique non seulement à celui
qui possède une chose en vertu d'un contrat de vente,
(1) L. 24, De 1·ei vindic. III, titre 32.
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38 -
mais encore à celui qui, défendeur à l'action en rQ_Yendication, paye la litis œstiniatio et garde pour lui la chose
revendiquée : litis œstimatio similis est emplioni, dit
Ulpien('l).
L'action en revendication étant une action arbitraire
comme toutes les actions réelles, le juge ordonne que la
chose soit rendue au demandeur qui a prouvé sa qualité
de propriétaire (loi 68, de rei vendic.). Mais il. peut se
faire que le défendeur refuse d'ob~ir à l'ordre du juge et
de faire la restitution ordonµée ; dans ce cas, pourra-t-il
être contraint à l'effectuer même mctnu militari? Sans
entrer dans l'examen de cette longue controverse, nous
nous bornerons à dire que, repoussant l'opinion de
M. de Savigny et l'hypothèse d'une interpolation de
Tribonien nous adoptons l'opinion d'Ulpien formulée
dans la loi 68, et croyons possible l'exécution forcée de
la condamnation. Mais si, d'après nous, le demandeur
peut employer l'exécution f'2_rcée pour lever les obstacles
de fait, sinon les obstacles de droit, nous reconnaissons
aussi que c'est pour lui non pas une néc~té, mais une
simple faculté ; aussi peut-il, s'il le préfere, laisser au
défendeur récalcitrant la chose revendiquée et fixer sous
serment le montant de la restitution; c'est ce que les
textes appellent la lit'is œstimatio et qu'ils assimilent à
ia vente : « Possessor qui lilis œstimalù:mem obtulil pro
emplore incipit possidere (2). » La position du défendeur
est en effet sensiblement analogue à celle d'un acbe~ur;
il a refusé de restituer la chose réclamée, mais il en a
payé le prix arbitré par le demandeur, et si l'on arrivait
(1) L. 3, D., Pro emptore, liv. XLI, titre 4.
(2) L. 1 D., Pro emptore, liv. XLI, tit. 4.
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39 -
plus tard à établir que la propriété de la chose n'a
jamais appartenu à ce dernier, le défendeur pourrait
alors invoquer la longi temporis prœscriptio.
Nous trouvons enfin au § 3 des Fragmenta foticana
une dernière application du titre pro emptore ; il s'agit
des 1·es œstirnatœ qui ont été livrées au mari à titre de
dot pendant ou avant le mariage .
jf)ro hœrede. - Pour qu'une longi temporis prœcriptio
puisse s'accomplir au titre pro hœrede, il faut nécessairement supposer que l'initiurn prœscriptionis se trouve
·dans la personne de celui qui invoque cette prescription.
La possession de l'héritier se joignant en effet à celle du
défunt, aura dans la pel'Sonne de l'héritier le même
caractère que dans la personne du déf~1t, et si ce dernier
possédait au titre pro mnptore, p1·0 don~to ou à l'un des
autres titres énumérés dans le Digeste, la prescription
s'accomplira au profit de l'héritier au titre pro emptore,
p1·0 donato, etc ... Il faut donc supposer que le défunt ne
possédait pas la chose et que l'héritier ne peut invoquer
d'autre titre que s.a qualité d'héritier. C'est l'hypothèse
dans laquelle se place Pornponius lorsqu'il dit : « Plerique
putaverwnt, si hœres sim, ei puteni rem altquam ea; hœ·
1·editale esse, quœ non sit passe me 'lhsucapere, (1). '' Il
s'agit donc d'une chose que l'héritier trouve parmi les
biens héréditaires; il la possède croyant qu'elle appartenait au défunt, alors pourtant qu'elle lui avait été
remise en dépôt, par exemple; dans une semblable hypo·
thèse, le possesseur ne peut invoquer d'autre titre que
sa qualité d'héritier ; ce titre est sans doute inexact,
(1) L. 3, D., XLI, tit. 5.
�- 40 car la chose ne se trouvait pas parmi les choses hérédi·
taires, mais l'erreur de l'héritier est plausible; en d'autres
termes, c'est une application de la doctrine d' Africain,
et de Némtius sur le titre putatif.
p1·0 J!!}onato . - Pm donato is usucapit, cui donationis
ca;usa res tradita est, dit Paul (1), et j'ajoute qu'il faut
en outre que la personne à laquelle la chose a été
ainsi livrée soit capable de recevoir à ce titre; c'est
bien là d'ailleurs ce que suppose ce jurisconsulte, car
dans le premier paragraphe de la même loi, se référant
à l'hypothèse d'une donation faite par un père de ·
famille à son fil s actuellement sous sa puissance, il
déclare qu'après le décès du père, l'usucapion n'est pas
possible. Non, sans doute, après le décès du père,
l'usucapion ne pourra pas s'accomplir au profit du fils
au titre pro donato, car il n'y a pas eu de donation,
quoniam mulla donatio fuit (2), mais il continuera à
posséder au même titre que possédait son auteur, et à
ce titre la prœscriptio longi temporis sera possible.
Dans le paragraphe 2 de la même ·loi, Paul, parlant
des donations entre époux, déclare qu' elles ne peuvent
pas servir de fondement à l'usucapion : « Si inter vfrurn
et uxorem, donatio {acta sit, cessat usucapio . » Cette
affirmation est certainement très exacte chez un jurisconsulte de l'époque classique, mais si on remonte aux
origines de la législation romaine sur cette matière, on
voit qu'elle fut réglée d'abord d'une manière différente.
Dès le début, en effet, l'usage de la rnanus étant excessi-
(1) L. 1, D., liv. XLI, tit. 6.
(2) L. 1. Eod. tit.
�- 41 vement répandu, les donations entre époux étaient très
rares, .par conséquent aussi furent-elles longtemps
permises comme ne présentant aucun danger; à cette
époque, on le voit donc, la donation entre époux pouvait
servir de fondement à l'usucapion. Plus tard, au
contraire, la manus ayant .à peu près disparu des
habitudes romaines, le danger des donations entre époux
se fit bientôt sentir, danger résultant, comme le dit
Ulpien, de la trop grande influence qu'un époux pourrait
exercer sur l'autre pour le déterminer à se dépouiller
à son profit; les donations entre époux furent donc
prohibées.
Toutefois, comme il était certains cas particuliers
dans lesquels le motif qui avait fait interdire les dona·
tions entre époux n'existait pas, ces cas furent exceptés;
c'étaient, rar exemple, les donations qui n'appauvriraient
pas le donateur; celles que la femme ferait au mari
honoris causâ; celles qui auraient pour objet un terrain
destiné à servir de sépulture; celles qui auraient pour
objet une res aliena, et que l'époux donateui:' ne pouvait
pas usucaper. En dehors de ces cas exceptionnels et .de
quelques autres d'une nature analogue, la donation
était dénuée de tout effet et ne pouvait servir de base
à la prœsci·iptio longi temporis.
Plus tard, sous le règne de Septime Sévère, une loi
rendue sur la proposition d'Antonin Caracalla, et
appelée pour cela par les textes Oratio Antonini, vint
déclarer que la donation entre époux, quoique nulle de
plein droit, devrait être considérée· comme tacitement
confirmée, par cela seul que le donateur ne manifesterait
pas de volonté contraire jusqu'à sa mort, le mariage
durant encore à cette époque; les donations entre époux
furent donc révocables. Ait oratio : fas esse, eum
--
- -
-
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�42 -
quidem, qui donavit, pœnite1·c ; herœdcm ve?·o eripe1·e
f orsitan adversus valontatem supremam ejus qui donaverit, du1·um et avarum esse (1).
Parmi les cas exceptionnels que nous citions tout
à l'heure, et dans lesquels la donation entre époux peut
servir de juste cause à une acquisition, nous avons
mentionné la donation d'une ?'es az.iena que l'époux
donateur ne pouvait pas usucaper. Si l'on se rappelle
que la prescription de long temps ne peut s'accomplir
qu'autant que le possesseur est. de bonne foi, c'est-àdire croit le t1·adens son conjoint propriétaire, on peut
nous objecter que pa1· cela même il doit tenir la
donation pour nulle, sinon il commet une erreur de
droit, erreur qui fait obstacle à la prescription de
long temps. (( La ré1)onse est fo rt simple, dit M. Acca1·ias (2) ; :on erreur ne supprime pas les éléments de fait
qui rendent la donation valable, et c'est le cas de dire :
. plus est in re quam in existimatione mentis. lL. 954,
de Jiir. el faict ignor. XXII, 6).
Enfin, nous terminerons en faisant observer que
J:-Iérmogénien, faisant ici l'application de ce principe qui
consi ·te à déterminer la nature d'une opération, non pas
par le nom que lui ont donné les parties, mais par le but
qu'elles se proposaient d'atteindre, déclare dans la
loi VI que, dans l'hypothèse d'une donation faite sous
forme de vente, le possesseur commencerait une
possession fondée non pas sur le titre pro ernptore, mais
pro donato : donationis caiisa {acta venditione, non pro
emptore, sed pro donato ?'es tradita umcapitu1· (3).
(1) L. 32, D., § 2. XXXIV, t it. 1.
(2) Tome 1", page 728, not. 1.
(3) L. 6. D., Pro donato, L. XLI, tit. 6.
�-
4.3 -
f)ro Jlerelicto. - Celui qui, trouvant une chose
abandonnée par son propriétaire, s'en empare, en
acquiert lui-même la propriété; mais de quelle manière
cette acquisition se réalise-t-elle ? Est-ce par tradition
ou par occupation? D'après M. Acca1·ias, se serait
toujours par tradition. Ce fut, dit-il, la doctrine unanime
des jurisconsultes romains, et s'ils se divisèrent, ce fut
seulement sur la question secondaire de savoir à quel
moment précis le de1·elinquens perdait la propriété.
Tandis que les Sabiniens, suivis en cela par Justinien,
la lui déniaient immédiatement, les Proculiens voulaient
qu'il perdit seulement la possession et retint la propriété
jusqu'à ce que la chose eut été occupée par un tiers.
Que les Proc·uliens aient rattaché à la tradition
l'acquisition d'une chose abandonnée, c'est une consé·
quence logique de leur système; mais que les Sabiniens,
et après eux Justinien, aient admis la même conséquence,
nous ne le croyons pas. La raison que M. Accarias
invoque à l'appui de son système est double : « Pomponius, dit-il, qui appartenait cependant à l'école
Sabinienne, assimile une res derelieta à l'œs jeté dans la
foule, •et nous savons que le peuple n'acquiert ce œs
que par la tradition. Je remarque de plus, ajoute-t-il,
que les choses nnllius, celles qu'on occupe, sont l'objet
d'une possession pro sua, tandis que les choses abandonnées font l'obj et d'un titre de possession spécial.
(Pro derelicto, X L.d, 7).
>l
•
Sans doute Pomponius compare les choses abandonnées à l'argent qu'on jette dans la foule, et que celle-ci
acquiert par la tradition; id quod quis pro derelicto
habue1·it, continuo meurn fit : sicuti cùm œs spm·serit;
mais il ajoute : ant aves a;rniserit (1); et nous savons
(1) L. 5, D.,
P1·0
derelicto, XLI, 7.
�-
44 -
que les oiseaux rendus à la liberté sont acquis par
occupation par celui qui s'en empare de nouveau. On
ne peut donc rien conclure du texte de Pomponius, et
nous ferons observer que si l'une des deux comparaisons
est exacte, c'est assurément la seconde. Lorsque en effet
je jette de l'argent dans la foule, j'ai l'intention évidente
de faire une libéralité; à qui sera-t-elle faite? peu m'importe; lorsque au contraire j'abandonne une chose qui
n'offre plus pour moi aucune utilité, j'ai certainement
l'intention d'abdiquer ma propriété, mais rien ne fait
·supposer que je veuille la transférer à quelqu'un; de
même lorsque j'ouvre sa cage à un oiseau.
Quant à la deuxième raison, tirée de ce que les choses
abandonnées font l'objet d'un titre spécial, tandis_que
les res nullius sont rangées sous le titre pro suo, nous
répondons que ces dernières n'étant pas susceptibles de
prescription, les compilateurs du Digeste n'ont pas cru
devoir leur consacrer un chapitre spécial au titre de la
prescription, et que la possession pro sito n'est pas
d'ailleurs particulière aux res nullius. Quelle que soit
.d'ailleurs l'opinion que l'on suive, si l'on suppose que la
chose a été abandonnée, le tiers qui s'en emparera
n'acquerra pas immédiatement la propriété, mais commencera une possession fondée sur le titre pro derelicto
qui pourra le mener à la prescription : Id, quod pro
derelicto habitiim est, et haberi piitamus, usucapere
• possumus (1).
§Jro legato. - Pour que la prescription puisse s'accomplir au titre pro legato, il faut nécessairement que
celui qui l'invoque ait la /'actio testamenti avec le dé(1) L. 4. D., Pro de1'elicto, XLI, 9.
�-
45 -
funt, car c'est du testament, dit Javolenus que la posses·
sion tient son origine et sa force : quia ea possessio ex
ju1·e testamenti proficiscitur (1). .
C'est dans le titre VII.I du Digeste, pro legato, que
nous avons pris les principaux arguments pour établir
l'existence de la controverse relative à l'efficacité du
titre putatif: ce même titre nous fournit encore de nouveaux exemples dans lesquels nous voyons l'erreur de
fait paraître suffisante aux jurisconsultes pour conduire
à la prescription; les cas principaux dans lesquels la
prescription peut se fonder sur ce titre sont énumérés
par Paul (2) ' : lorsque la chose léguée n'appartenait pas
au testateur; lorsque le legs a été révoqué par un co·
dicille à l'insu du légataire; lorsque une personne portant
le même nom que le légataire s'est crue désignée par le
testateur et s'est mise en possession de la chose léguée
à son homonyme. De même encore Pomponius nous in·
dique que la prescription serait possible au titre p1·0
legato, quoique la chose livrée à titre de legs fit partie
du patrimoine d'une personne encore vivante, si d'ailleurs le légataire a cru le testateur déjà mort; le mème
juri~consulte déqlare au contraire qu'on ne peut possé·
der utilement pro hœrede le bien d'une personne
vivante (3).
pro dote. - Nous avons vu plus haut, en examinant
le titre pro empt01·e, que lorsque les objets que la fem·
me s'est constituée en dot ont été livrés au mari après
estimation, celui-ci commence une possession fondée
(1) L. 7, D., Pro leg. XL, 8.
(2) L. 4, eod tit.
(3) L. 1, D., Pro hœrede, XLI,5.
-- - -- --
�-
46-
sur le titre pro emptore, et non pas pro dote; c'est une
applica tion de ce principe bien connu, que l'estimation
vaut vente. Si nous supposons au contraire que la dot
de la femme a été livrée au m~ri sans estimation, cùm
res dotales sunt, dit le § 111 des Fragmenta vaticana, et
que d'ailleurs ces objets ainsi constitués en dot n'ap·
partiennent pas à la femme, le mari commence une
possession fondée sur le titre p1·0 dote, qui le mènera
à l'acquisition de ces objets. Le jurisconsulte Ulpien (1),
après avoir constaté que rien n'est plus équitable que
cette acquisition ainsi réalisée, déclare qu'il importe peu
que la dot ait été constituée à titre partfoulier ou à
titre universel.
Ce même jurisconsulte, supposant ensuite que pour
une raison quelconque, le mariage n'a pas lieu immé·
diatement après la tradition de la dot, se demande si
la possession du mari, fondée sur le titre p1·0 dote, commence dès le jour de la tradition, ou seulement à partir
de la célébration du mariage ? Voici dans quel sens la
question aurait été résolue par le jurisconsulte Julien:
si la femme a livré sa dot àsonfutur mari sousla réserve
expresse qu'il n'en deviendrait propriétaire que du jour
du mariage, le mari ne commencera à usucaper qu'à
dater de ce jour, si les choses livrées en dot n'appartenaient pas à la femme; si au contraire la femme n'a fait
aucune réserve expres e au moment de la tradition, il
faudra supposer qu'elle a entendu que son futur mari
deviendrait propriétaire dès l'instant de la tradition, et
c'est par conséquent à partir de ce moment qu'il prescrira si les choses livrées n'appartenaient pas à la fem-
(1) L. 1, D., Pl'o clot, XLI, 9.
�_ /17 -
me. Sans doute sa possession ne sera pas fond ée sur le
titre p1·0 dote, car il ne saurait être ques tion de dot
tant qu'il n'y a pas de mariagE1 ; mais elle sera fondée
sur le titre pro siio jusqu' au jour du mariage , et se
transformera en possession p1·0 dote à partir de ce moment.
lfJro lfuo. - L e titre p1·0 suo , no~s dit Ulpien (1), présente ce caractère p~rticulier qu'on le teouve dans toute
possession en vertu de laquelle nous acquérons la
propriété . Ainsi, dit-il , lorsqu'une chose nous a été livrée
à la suite çl'une vente ou d'un legs, notre possession es t
sans doute fond ée sur le titre pro ernptore. ou p1·0 le,qato,
mais aussi sur le titre pro sua. Il convient néanmoins
de remarquer que ce titre pro sua s'applique plus
spÙ ialement à une possession dérivant d'une cause qui ·
n'est pas munie d'un nom techriique. Nous venons de
voir tout à l'heure que, jusqu'au j_our du mariage, le
mari possède à titre pro sua les obj ets livrés en dot par
sa femme. Pomponius (2) cite enco re le cas d'un partage
fait par un père de famille entre ses enfants : si dans
le lot de l'un d' eux se trouv e une res aliena, l'enfant
usucapera p1·0 suo.
lf'Jro soluto. - A la différence des ,autres titres, les
compilateurs du Digeste n'ont pas c0nsac ré un chapitre
spécial à celui-ci ; nous trouvons dans la loi 46 (de usurp .
et usuc. ) que ce titre s'applique au créancier qui a reçu
tradition de la chose due, ou de t oute autre chose qu'il
a bien voulu "agréer à sa place .
(1) L. 1, D., Pro suo, XLI, 10.
(2) L. 4,, § 1, D., XLI, 10.
�-
48 -
A ce titre on peut rattacher le titre pro cessa, qui
suppose que celui auquel j'allais intenter un procès
m'a abandonné la possession de l'objet litigieux. (L. 33,
'
§ 3, D., L. 1, 3.)
/jPro Judicato. - cc Ce titre s'applique probablement,
dit M. Accarias (1), lorsque pour exécuter une condamnation prononcée, ou, sur l'ordre du juge pour éviter
une condamnation, le défendeur livre au demandeur
une 1·es aliena. (L. 3, § 1. D., 62). »
Dans les hypothèses que nous avons examinées jusqu'à maintenant, la possession résultait d'une tradition;
il nous re~te· à faire observer que la possession accordée par le Préteur est aussi une juste cause de
• prescription : Juste possidet qui auctore Prœtore, possidet,
dit Paul (1). Cette volonté du magistrat peut résulter
d'une disposition générale de l'édit qui autorise la prescription directement et sans nouvelle décision du
Préteur.
Ainsi en est-il du bonorum emptor ou possessor.
Plus rarement elle résulte d'un décret spécial rendu
par le magistrat. On peut citer l'exemple de l'envoi en possession ordonné par le second décret du Préteur ex causâ
dMnni infecti. Si le propriétaire d'une maison qui menace
ruine ne veut pas consentir la stipulation damni infecti,
le propriétaire de la maison voisine obtient par un premier décret l'envoi en possession; au bout d'un certain
temps et par un deuxième décret, le Préteur lui donne
l'ordre de posséder, possidere jubet. Ce décret ne le rend
(1) Précis de Dt·oit Romain, tome 1, pag. 525, not. 6.
(2) L. 11, D., de acqa. vel amitt. poss. XLI, 2.
�-
49 -
pètS propriétaire de la maison, mais il le met en position de le devenir au moyen de la prescription. (L. 5.
D., 32, 2).
Il nous reste à faire observer en terminant, que lorsque l'effet du titre en vertu duquel on possède est suspendu par une condition, la prescription ne commence
pas à courir, et le jurisconsulte Paul (1) ajoute qu'il en
serait de même si le possesseur croyait faussement à
l'existence d'une condition.
Lorsque, dans la section suivante, nous étudierons en
quoi consiste la bonne foi du possesseur, nous verrons
qu'elle n'est autre chose qu'une erreur de fait, consistant à croire le tradens propriétaire de la chose livrée.
Quelques auteurs, s'inspirant de cette idée que la prescription serait imposi;;ible si le possesseur a su que la
chose livrée n'appartenait pas au tradens, en ont conclu
que le juste titre était un élément de bonne foi ; comment, en effet, soutenir, disent-ils, que la tradition ait
une juste cause, lorsque l'accipiens savait que la cho se
ainsi livrée était une ires aliena. Nous ne nous arrêterons pas longtemps à refuter cette doctrine; nous savons
en effet que. la juste cause est un acte antérieur à la
tradition et qui l'explique, acte ayant une existence
propre et parfaitement indépendante de la bonne foi.
Lorsque, par exemple, j'ai sciemment acheté la chose
d'autrui et en ai reçu livraison, je n'en suis pas moins
acheteur, quoiqu-e dans l'impossibilité de prescrire, l'obstacle à la prescription venant de ma mauvaise foi (2). Il est
enfin un dernier argument qui suffit à lui seul à refuter
(1) L. 2, § 2, D., p1·0 empt. XLI, 4.
(1) Vere dicitur quis emisse, licet mala fide, quemadmodum
qui scicns rem alienam esse emit. - Paul. L. 3, § 1, D., XLI, 4.
�-
50 -
le sys tème ci-dessus : le juste titre ne se présume pas;
c'est à celui qui prétend avoir une juste cause de possession à le prouver; s'il soutient, par exemple, qu'il possède à titre d'acheteur? qu'il prouve la vente; la bonne
foi au contraire se présume toujours ; ce sera donc à
c~lui qui prétend que la prescription était impossible,
parce que le possesseur savait que le tradens n'était pas
propriétaire de la chose livrée, à prouver la mauvaise
foi du possesseur.
SECTION
DEUXIÈME
De la bonne foi
Celui qui prétend avoir prescrit une chose, c'est-àdire avoir acquis la propriété de cette chose par sa
possession, doit non seulement avoir possédé en vertu
d'un juste titre, mais encore avoir possédé d<". bonne foi;
car, nous dit Paul (1), separala est causa possessionis et
usucapionis, et tel qui peut se prétendre acheteur ne
peut cependant pas prescrire s'il a su qu'il achetait la
chose d'autrui.
·
La loi 109, au titre de verbor'Wln significatione (D., L.
16), nous dit que la bonne foi consiste à croire que le
tradens était propriétaire de la chose, ou du moins investi
du pouvoir de l'aliéner comme mandataire ou tuteur.
(1) L. 2, § 1, D., pro empt. XLI, 4.
�-51Cette croyance, qui n'est autre chose qu'une erreur de
fait, doit se trouver dans la personne du possesseur ; en
d'autres termes, la bonne foi est essentiellement personnelle, et dans l'hypothèse où un mandataire aurait
reçu tradition d'une chose à l'insu du maître, celui-ci ne
commencerait à prescrire qu'à partir de l'époque où il
aurait connu la tradition, car sa bonne foi ne saurait
précéder la connaissance de l'acte de son mandataire.
La bonne fo i consiste, avons-nous dit, dans une erreur
de fait; mais à côté de l'erreur de fait se trouve l'er·
reur de droit; il importe donc de les distinguer soigneusement, car cette dernière, loin de constituer le possesseur en état de bonne foi, forme au ·contraire un obstacle
absolu à la prescription. (L. 4. D., XXIII, 6).
Si je reçois de Primus une chose dont je le . croyais
propriétaire, alors qu'en fait il n'en était que le simple
administrateur, je commets une erreur de fait; si,
sachant au contraire que Primus n'en était pas propriétaire, j'ai cru que sa qualité de simple administrateur
lui donnait le pouvoir d'aliéner, je commets une erreur
de droit.
Nous trouvons au Digeste (1) deux textes dans lesquels le jurisconsulte P aul, supposant que la chose a été
livrée par un mineur que je croyais pubère, ou par un
fou que je croyais sain d'esprit, déclare la prescription
possible , et certains interprètes en ont conclu que
l'erreur de fait consistant à croire à la capacité d'un
incapable, constituait le possesseur en état de bonne
foi et lui permettait d'usucaper. Nous croyons plus
volontiers, avec M. Accarias (1), que dans cette hypothèse
(1) L. 2, § 15 et 16, D., XLI, 5.
(1) Prècis de D1·oit Romain, tome 1, p. 530, not. 1.
�- 52 la bonne foi du possesseur n'est pas en cause et que la
question est toute autre : les actes faits par un incapable
étant nuls ipso jure, il sagit de se demander non pas si
le possesseur est de bonne foi, ce que suppose d'ailleurs
le texte, mais si la possession, se fondant sur un titre
nul, peut conduire à la prescription, Paul résoud cette
question affirmativement; et ce qui montre bien que
c'est là le point de vue auquel il se place, ce sont les
termes dont il se sert; utilitatis ca1tsa usucapere passe,
dit-il. On conçoit l'intérêt de .la question, car si la
bonne foi se présume, c'est au contraire au possesseur
à prouver l'existence d'une juste cause.
Nous avons dit que l'erreur de droit, à la différence de l'erreur de fait, obstacle à la prescription; on
trouve n~anmoins au Digeste (i) quelques exemples dans
lesquels, à raison de circonstances particulières, l'erreur
de droit est excusée chez certaines personnes, et d'autres, à l'inverse, où l'erreur de fait est tellemen~ grossière, qu'elle est assimilée à l'erreur de droit.
La bonne foi étant une des qualités que doit présenter la possession pour conduire à la prescription, c'est
à l'origine de la possession qu'il faut se placer pour
voir si elle présente ce caractère; or, la possession
consistant dans la possibilité de disposer physiquement
d'une chose, c'est au moment où ce pouvoir de disposer
existera, c'est-à-dire après la tradition, qu'il fauqra se
demander si celui qui désormais est possesseur, peut
se dire de bonne foi. La bonne foi n'étant exigée qu'au
moment de l'entrée en possession, il n'y aura pas à examiner si elle existait au moment où s'est produit le
(1) L. 6 et 9, D., XXII, 6.
�-
53 -
fait constitutif de la justa causa possessionnis, et ,qui
· explique la tradition : auss i voyons-nous au Digeste (1)
que celui qui a sciemment stipulé la chose d'autrui
prescrit néanmoins s'il a cru, au moment de la tradition,
que le promettant en était devenu propriétaire.
Une exception se produisait toutefois en matière de
vente; l'acheteur ne pouvait usucaper qu'à la condition
d'avoir été de bonne foi au moment du contrat et au
moment de la tradition. Il est d'abord une chose certaine et dont on trouve la preuve dans un fragment
d'Ulpien (2), c'est que cette règle ne fut pas acceptée par
tous les jurisconsultes romains, et fut au contraire l'objet
de longues controverses. Ulpien nous dit, en effet, · que les
Proculiens l'entendaient en ce sens, qu'au lieu d'exiger
la bonne foi d'après la règle générale, au moment de
l'entrée en possession, il leur suffisait qu'elle existât au
moment de la vente, tandis què les Sabiniens exigeaient
la bonne foi aux deux époques : au moment de la vente
et au moment du contrat. Ce fut cette dernière opinion,
nous apprend le fragment précité, qui finit par triompher
définitivement.
Lorsqu'on se demande maintenant quelle fut l'origine
de cette règle exceptionnelle, il faut constater qu'on en
est réduit à de simples conjectures. Il en est qui ont
voulu la trouver dans la nature même du contrat de
vente. Pour prescrire, a-t-on dit, il faut être de bonne
foi à l'initium possessionis et avoir un juste titre ; or, si
j'achète une chose que je sais ne pas appartenir à mon
vendeur, alors même que je serais de bonne foi au
moment de la tradition, je ne puis invoquer de juste
(1) L. 15, § 3, D., de usurp. et
(2) L. 10, pr. D., XLI, 3.
~uc.
XLI, 3.
�-
54 -
titre qu'à la condition d'avoir été de bonne foi au moment
de la vente, autrement je posséderais non pas pro
emptore, mais pro suo. Cette manière de voir nous paraît
tout à fait inexacte, car la vente de la chose d'autrui
étant valable en droit romain, aurait pu parfaitement
servir de juste cause à celui qui invoquait la prescription, pourvu toutefois qu'il fût de bonne foi au moment
de la tradition, et l'on ne voit aucun motif de déroger à
cette règle générale.
1' La plupart des interprètes donnent à cette anomalie
une explication historique. D'après M. Demangeat, cette
règle spéciale à la vente remonterait à la loi des
XII Tables, qui, à propos de l'usucapion pro emptore,
supposait le cas d'un homme qui bonà fide eajt. << Alors,
dit-il (1), les jurisconsultes, pour observer à la fois le
téxte de la loi et la règle générale qui veut que la bona
fides existe à l'initium .possessionis, sont arrivés à dire :
l'usucapion pro emptore suppose qu'il y a eu bonne foi,
non seulement au moment de la tradition, mais encore au
moment de la vente. n Seulement, ajoute-t-il, le texte de
la loi des XII Tables préygyait, non pas le cas de vente,
mais celui de mancipation, et i;ien ne justifie cette substitution de mots.
M. Accarias (2) considère cette conjecture comme inadmissible et la repousse pour deux raisons qui nous semblent décisives : la mancipation, dit-il, n'était pas une
justa causa usucapiendi, et en outre, ce qui prouve que
la règle particulière à la vente est très postérieure à la
loi des XII Tables, c'est que les jurisconsultes discutaient encore, au premier siècle de notre ère, sur le
(1) Cours de Droit romain, t. 1, p. 549,
(2) Précis cle Droit Romain, t. 1, p. 530, not. 3
�-
55 -
point de savoir si la bonne foi devait être exigée au
moment de la tradition. Il rattache alors oette anomalie
à la rédaction de l'édit Prétorien sur l'action publicienne,
action qui était donnée par le Préteur à celui qui bonâ
fide emit. Dès lors, comme cette action n'appartient qu'à
la personne dépossédée qui était in justâ causâ usucapiendi, les jurisconsultes durent, pour satisfaire à la
lettre de l'édit, exiger la bonne foi de l'acheteur au jour
du contrat, ce qui ne le's empêcha pas de l'exiger aussi,
et c~la par application de la règle générale, au jour de
la tradition.
L'action publicienne étant postérieure à l'usucapion,
on a quelquefois reproché à ce système d'emprunter à
l'action publicienne une règle de l'usucapion, alors qu'on
devait faire l'inverse et emprunter à l'usucapion les
règles de l'action publicienne. Cette objection ne nous
paraît nullement fondée : il ne s'agit pas, en effet, d'emprunter une règle à l'action publictenne, mais de se
demander pourquoi une règle générale de l'usucapion a
reçu une modification en matière de vente. La raison de
cette modification, on a cru la trouver dans la rédaction
de l'édit du Préteur sur l'action publicienne ; que la
modification soit de beaucoup pustérieure à la règle
générale, il n'y a là rien que de très naturel, et cette
circonstance permet même d'expliquer l'existence de la
controverse à une époque où l'action publiciénne étant
encore récente, on pouvait se demander si le Préteur
avait voulu, en matière d'usucapion pro emptore, ajouter
une condition nouvelle, ou, au contraire, remplacer une
des conditions par une autre .
Il nous reste à faire observer en terminant, que celui
qui de bonne foi a açheté la chose d'autrui et en a reçu
tradition, ne commence à prescrire que du moment où il
�- 56a payé le prix de la chose vendue, ou satisfait le vendeur
d'une manière quelconque; on ne saurait admettre, en
effet, que celui qui a besoin de prescrire pour acquérir
la propriété soit traité plus favorablement que celui qui
acquiert par l'effet de la vente. Or, si la chose eût réellement appartenu au vendeur, l'acheteur n'en serait devenu propriétaire qu'après la paiement du prix convenu.
Nous avons vu que d'une manière générale on n'exigeait la bonne foi chez le possesseur qu'à un seul
moment, à l'initium possessionis ; nous avons constaté
qu'en matière de vente il existait une dérogation à cette
règle générale, puisque la bonne foi était exigée non
seulement à l'entrée en possession, mais encore au
moment du contrat ; il nous faut encore signaler une
deuxième anomalie relative à celui qui possède pro
donato. Ici, la dérogation consiste en ce que la bonne foi
doit exister non seulement à l'initium possessionis, mais
qu'elle doit encore durer jusqu'à l'expiration du temps
requis pour la prescription. Outre un texte d'Ulpien (1),
dans lequel cette différence entre le titre • gratuit et le
titre onéreux se trouve parfaitement marquée, il existe
encore une constitution de Justinien qui ne saurait laisser
aucun doute à cet égard. L'empereur, dans la nouvelle
usucapion qu'il établit, déclare qu'il n'existera plus
désormais .aucune différence entre le titre pro donato et
les autres }ustœ causœ, et que la mauvaise foi survenue
pendant la possession du donataire n'aura plus pour effet
d'interrompre l'usucapion. C'est donc qu'antérieurement
à cette constitution, la bonne foi était requise chez le
donataire jusqu'à l'achèvement de la prescription.
A la différence de c.e que nous avons vu pour la vente,
(1) L. 11, § 3, D., VI, 2.
�-
57 -
il est beaucoup plus facile d'expliquer cette dérogation
à la règle générale. Lorsque la possession résulte d'un
contrat à titre onéreux, c'est-à-dire lorsque en échange
de la chose reçue le possesseur a donné un équivalent
en argent ou de 'toute autre nature, on conçoit que la
mauvaise foi, survenue au cours de la possession, ne
fasse pas obstacle à la prescription ; il a reçu la chose de
bonne foi et en a payé la valeur, il est en droit d'attendre
qu'on vienne la lui réclamer. Le possesseur à titre
gratuit est dans une situation toute différente ·: il a reçu
la chose et n'a rien déboursé ; dès qu'il apprend que
la chose n'appartenait pas au donateur, il doit la rendre
immédiatement au propriétaire, sous peine de s'enrichir
aux dépens d'autrui. Quel que fût d'ailleurs le fondement
de cette distinction, nous avons vu qu'ell~fuLs~pprimj_e
par Justinien.
Lorsque quelqu'un ne possède pas directement luimême, mais par l'intermédiaire d'une personne placée
sous sa puissance, d'un esclave, par exemple, la bonne foi
est exigée non seulement chez le maître, mais encore
chez l'esclave; c'est en effet ce que nous trouvons au Digeste (1) : si servus tuus emat rem, quam scit alienam licet
tu ignores alienam esse, tamen usu non capies. A l'inverse,
la bonne foi de l'esclave ne profiterait pas au maître
de mauvaise foi.
Pour résoudre la question de savoir à quel instant
doit exister la bonne foi chez le maître, si c'est au moment de l'acquisition faite par l'esclave, ou lorsqu'il a
eu connaissance de cette acquisition, il faut nécessairement faire la distinction suivante : l'acquisition réalisée
par l'esclave a-t-elle été faite sur l'ordre du maître, ou
(1) L. 2, § 10, D., XLI, 4.
�-58 bien la tradition faite à l'esclave est-elle relative à son
pécule? Dans la première hypothèse, la prescription,
ainsi que nous l'indiquons plus haut, ne commence à
courir au profit du maître qu'à partir du moment où il
a eu connaissance de l'acquisition réalisée par son esclave ; c'est donc à ce moment qu'il doit être de bonne
foi; dans la deuxième, par une disposition toute de
faveur, le maître commence à prescrire, quoiqu'il n'ait
pas encore connaissance de l'acquisition réalisée par
l'esclave ; c'est donc au moment même de la tradition
faite à l'esclave que la bonne foi devra exister chez le
maître. (L. 2, §§ 11et13, D., XLI, 4).
· Nous trouvons au Digeste deux textes (1), l'un de
Paul, l'autre de Julien, qui établissent d'une manière
générale, la nécessité de la bonne foi chez celui qui
rentre en possession d'une chose dont il avait été dépouillé avant l'ach~vement de la prescription; celui qui
est de mauvaise foi au moment où il recouvre !:!possession n'usucape pas, nous dit Paul, quia initium secundœ
possessionis vitosum est. Il existe pourtant une hypothèse
pour laquelle on admet généralement que l'existence de
la mauvaise foi chez celui qui recouvre la possession,
ne fait pas obstacle à la prescription : c'est le cas où,
par suite de l'exercice de l'action publicienne, quelqu'un
rentre en possession d'un fond provincial dont il
avait été dépouillé avant l'achèvement de la prescription.
Quoiqu'il fût de mauvaise foi au moment de l'exercice
de l'action, il ne recommencera pas moins à prescrire,
car on a pensé que si la survenance de la mauvaise foi
ne fait pas obstacle à la prescription de celui qui n'est
pas dépossédé, il doit en être de même lorsque celui
(1) L. 15, § 2, D., XLI, 3. - L. 7, § 4, D., XLI, 4.
�.- 59qui a été dépouillé rentre en possession en vertu d'une
action dans laquelle on le considère comme ayant achevé
le temps requis pour la prescription.
Il nous reste maintenant à examiner rapidement quelques cas exceptionnels dans lesquels la bonne foi n'est
pas requise chez le possesseur.
I. - Le premier de ces cas, et de beaucoup le plus
important, est l'usucapio lucrntiva pro hœrede. La découverte des Institutes de Gaïus a permis de se faire une
idée claire de cette usucapion particulière. Nous trou. vons, en effet, dans les §§ 52 et suivants, que celui qui a
possédé pendant un an le patrimoine d'une personne
décédée testat ou ab instestat, en devient l'héritier, alors
même qu'il aurait été de mauvaise foi. Quant au motif
qui a pu faire établir une usucapion qui paraît si con·
traire à l'équité : Illa ratio est, nous dit Gaïus, quod
valuerunt veteres matwriùs hœ?·editates adiri, ut essllnt qui
sacra fecerent, quorum illis temporibus swmma observatio
fuit, et ut creclito?·es haberent a quo summ consequerentur.
Et ce qui nous montre bien que la nécessité de ne laisser
subir au culte domestique, aux sacra privata, aucune interruption, préoccupa l'<;Jsprit des jurisconsultes de cette
époque, c'est un passage de Cicéron dans lequel nous
voyons que le défunt n'ayant point d'héritier, adstringitur sacris is qui de bonis, quœ ejus fuerint c'Ùlln moritur,
usuceperit plurimwm possidenclo.
Cette usucapio, qui dès le début avait été vue avec
beaucoup de faveur et faisait acquérir au possesseur
l'hérédité elle-même, ne lui conféra plus tard que la
propriété des choses corporelles héréditaires sur lesquelles sa possession avait porté. Plus tard encore, et
lorsque les sacrn privata furent à peu près tombés en
dessuétude et que le Préteur eut autorisé les créanciers
�- 60 à vendre les biens d'un débit~ur mort sans héritier,
l't'1sucapio pro hœrede n'eut plus de raison d'être. En
vertù d'un sénatus-consulte rendu sur la proposition de
l'empereur Adrien, elle cessa de pouvoir être invoquée
contre l'héritier, et Marc-Aurelle, allant encore plus loin,
établit une accusation particulière, le crimen expilatœ
hœreditatis, contre celui qui se serait emparé des choses
héréditaires avant l'adition ou la prise de possession de
l'héritier.
II. - Lorsqu'une chose a été aliénée fiduciœ causa,
c'est-à-dire lorsque l'acquéreur s'est obligé à la · restituer à l'aliénateur à l'époque où celui-ci lui aura payé ce
qu'il lui doit, ou lorsque il la lui redem~mdera, si l'aliénateur rentre en possession de cette chose d'une manière quelconque, et la conserve pendant un an, il en
acquiert la propriété; c'est ce que les jurisconsultes
romains appelaient usureceptio, de usu recipere. Toutefois, si la chose ayant été aliénée à titre de gage, le
créancier n'a pas été payé, le débiteur usucapera seulement si neque conduxerit eam ?"em a me neque prœcario
ragaverit ut eam rem possidere liceret. Cette usucapion
disparut le jour où on n'eut plus recours à l'aliénation
pour constituer le dépôt ou le gage.
III.- Sous Justinien, les servitudes urbaines ne s'éteignent point par le non usage; pour elles, il faut, de la
part du propriétaire du fonds servant une usucapio libertatis, usucapio qui s'accomplit sans bonne foi.
Enfin, on trouve encore à l'époque de Justinien une
dernière hypothèse où la prescription s'accomplit même
de mauvaise foi. Si l'on suppose qu'un esclave possédé
par une personne qui n'en est pas propriétaire 'commet
un délit, la victime du délit sera dans la nécessité d'intenter son action noxale contre le détenteur de l'esclave,
�- 61 bien qu'elle sa'che qu'il n'en est PiS propriétaire; or, si
ce détenteur refuse de réparer le dommage causé et
préfère abandonner l'esclave au demandeur, celui-ci commencera à prescrire, bien qu'il sache qu'il ne tient pas
l'esclave du propriétaire.
SECTION TROISIÈME
Du laps de temps
Lorsque au début de cette étude nous avons examiné
le caractère de la prescription, nous avo;ns dit que le
laps de temps à l'expiration duquel le possesseur d'une
chose en devient le propriétaire, était une de ces matières
livrées en quelque sorte à l'arbitraire législatif; qu'il'
appartenait à cette autorité seule de déterminer, eu
égard à l'état de civilisation et aux mœurs des temps,
l'époque à laquelle la possession se transformait en propriété. Nous avons constaté qu'à l'origine, le nombre
relativement restreint des membres d'une même nation,
où chacun pouvait avoir une connaissance approximative
des affaires des autres, devait avoir pour conséquence
l'établissement d'une prescription de courte durée. L'histoire de l'usucapion, à Rome, vient pleinement confirmer
ces considérations. Tant que le sol romain proprement
dit eut une étendue peu considérable, et tant que les
relations de citoyen à citoyen ne dépassèrent pas un
�,.- 62 -
cercle restreint, la nécessité d'un longue prescription
ne se fit pas sentir; chaque propriétaire, habitant sur
sa propriété elle-même, devait nécessairement avoir
connaissance d'une usurpation si elle se produisait, et
son silence ne pouvait s'interpréter que dans le sens de
l'abandon de la propriété au profit de l'occupan.t. Aussi
l'usucapion s'accomplissait-elle à cette époque par un
an pour les meubles et deux ans pour les immeubles :
i·er-um mobilium a.n ni, immobilium, bienni, nous dit
Ulpien (1).
Plus tard, quand le peuple romain prit une importance
de plus en plus considérable, quand les citoyens devinrent plus nombreux et le territoire plus vaste, la propriété se trouva insuffisamment protégée par les règles
de l'usucapion ; la nécessité d'une protection plus efficace
se fit sentir, surtout à l'époque où la pratique vint effacer
toute différence entre le sol provincial et le sol italique,
et Justinien,. obéissant à cette nécessité, vint décider
que désormais l'usucapion s'accomplirait, quant aux
meubles, par le délai nouveau de trois ans, quant aux
· immeubles, par les délais prétoriens de dix ans entre
présents et de vingt ans entre absents.
Comment se calcule le laps de temps exigé pour la
prescription ? Faut-il compter d'heure à heure ? Ulpien,
résolvant la question, déclare que pour calculer le délai
on compte non pas d'heure à heure, mais de jour à jour,
et il ajoute que le dernier jour est réputé accompli dès
qu'il est commencé : in usucapionibus non a momento ad
momentum, sed totum postremum diem computamus.
ldeoque qui hera seœta diei kalendarum januarium possidei·e cœpit, hora seœta noctis pridie kalendas januarias
(1) Tit. XIX, de clominiis et aclquisitionibus 1·e1·um, § 8.
�- 63 implet usucapionem (1). Ainsi on néglige le jour où a corn·
mencé la possession, et on considère le dernier comme
complet dès qu'il est commencé.
Lorsqu'avant l'expiration du laps de temps requis pour
la prescription, le prescrivant perd la possession, il
perd en même temps tous les titres que la possession lui
avait donnés à l'acquisition de la propriété, et si plus
tard il recouvre la possession, il recommencera une
prescription nouvelle.
Par application de cette règle générale, il faudrait
décider que celui qui rentre en possession de la chose
par l'action publicienne ou à l'aide des interdits Utrubi ou
Uti possidetis, doit réunir toutes les qualités requises
pour prescrire, et notamment la bonne foi. En ce qui
concerne l'action publicienne, nous avons déjà indiqué,
lorsque nous nous occupions de savoir à quel moment
doit exister la bonne foi, que 1.a solution contraire nous
semble préférable, et qu'il vaut mieux décider, sous
peine de méconnaître le caractère et le but de cette
action, qu'il n'est pas nécessaire que la bonne foi existe
encqre chez le demandeur au moment où il est r~mis en
possession de la chose réclamée. Quant aux interdits
Utrubi et Uti possidetis, la même solution nous paraît
encore la bonne. Les interdits, en effet, ont toujours été
qualifiés par les jurisconsultes interdits rœtinendœ possessionis, même lorsqu'ils ont plutôt pour effet de rendre
que de conserver la possession; or, cette qualification
indique clairement que l'on doit considérer la possession
nonpascomme interrompue, mais plutôtcommecontinuée
(1) L. 6, 7, D., XLI, tit. 3. Dans l'exemple indiqué par
Ulpien, le délai va du premier janvier à midi, à minuit avant
le premier janvier de l'année suivante.
�-
64 -
avec tous les caractères qu'elle présentait avant l'événement qui a rendu nécessaire l'exercice de ces interdits.
L'interruption de la prescription par la cessation de la
possession, c'est-à-dire l'interruption naturelle, est la
seule dont s'occupent les jurisconsultes de l'époque classique ; aucun d'eux ne parle de ce que nous appelons
aujourd'hui l'interruption civile. Il en résultait cette
conséquence, en matière d'usucapion, que, comme dans
l'action en revendication, le demandeur ne triomphe que
si son droit de propriété existait non seulement au
moment de la litis contestatio, mais encore au jour du
jugement, si dans les délais de l'instance lé défendeur
achevait l'usucapation, le demandeur ne pouvait obtenir
de condamnation faute d'intérêt. Cependant, comme le
demandeur ne doit pas souffrir des délais de l'instance,
l'usucapion accomplie au profit du défendeur n'empêche
pas que le demandeur n'obtienne gain de cause. Le juge
lui accordera tout ce qu'il aurait obtenu si justice lui
avait été rendue au moment de la l-itis contestatio, et la
revendication aboutira ainsi à une transmission de
propriété, si d'ailleurs le défendeur possède encore
au jour du jugement; car la restitution ne peut être
demandée qu'au possesseur, de même que l'action ne se
donne que contre lui. Hâtons-nous de dire qu'en matière
de prœscriptio longi temporis, une semblable conséquence _n 'était pas à craindre. La prœsoriptio fut en effet
considérée, à l'origine, non pas comme un mode d'acquérir la propriété, mais comme un moyen donné au
possesseur de repousser l'action en revendication du
propriétaire; or, comme le moyen de défense ne triomphe
que s'il est acquis au jour de la demande, la p1·œscriptio
ne pouvait être invoquée, encore que le temps requis
pour prescrire vint à expirer inter moras titis.
�-
65 ~
Dans son principe, et considérée en elle-même, la
possession n'étant qu'un simple fait, il en résulte cette
conséquence qu'elle ne saurait faire l'obj et d'une transmission proprement dite, c'est-à-dire qu'un po ssesseur
ne peut jamais, comme tel, être dite successeur du possesseur antérieur; il acquiert, au contraire, pour luimême une possession nouvelle, indépendante de celle
de son prédécesseur. Mais si ces principes sont rigoureusement exacts , il faut bien convenir que dans la pra·
tique, et surtout dans la matière de la prescription, ils
devaient être rejetés ; et, en effet, si ces idées · étaient
admises , il faudrait décider que le possesseur ne devient
pi·opriétaire qu'autant que le fait de la possession s'est
maintenu chez lui, corpore suo, soit chez son représentant, corpore alieno, pendant tout le laps de temps
nécessaire à l'achèvement de la prescription. Une semblable théorie aurait constitué un obstacle grave à la
transmission des biens ; aussi voyons-nous qu'il a été
admis, dès l'origine, que la possession utile du défunt
compte à son successeur universel. Diutina possessio , dit
Justinien, quœ prodesse cœperat defuncto, et heredi et
bonorum possessori continuatu1·. Quod nostrn constitutio
similiter, et in usucap·ionibus observari constituit, ut tempora continuentu1· (1) . Ainsi, lorsque l'héritier se met en
possession des choses laissées par le défunt, il commence une possession qui n'est, en quelque sorte, que
la continuation et le prolongement de la possession antérieure, et la propriété lui est acquise à l'expiration du
laps de temps requis pour prescrire, comme si les biens
n'avaient pas changé de mains.
(1) Inst., § 12,
de usucap.
L. 11, t. VI.
�-
66 -
Cette fâculté accordée à l'héritier de joindre à sa
possession personnelle, celle du défunt, appelée par les
jurisconsultes accessio possessionum ou continuatio possessionis, est celle qui, dans l'ordre naturel des choses,
devait se produire, et se produisit la première, parce
que le besoin s'en faisait sentir d'avantage; mais on ne
s'en tint pas là. Nous trouvons en effet aux Institutes
de Justinien (1), que même le successeur ou ayant cause
particulier peut profiter de la possession de son auteur,
en la joignant à sa propre possession : inter venditorem
quoque et ernptorem conjungiternpora Divi Severus et Anto·
ninus ?·escripserunt; et l'on a pensé avec raison que cette
accessio possessionum, admise d'abord au. profit de l'acquéreur à titre onéreux, tel que l'acheteur, le fut également plus tard au profit de l'acquéreur à titre gratuit,
tel que le donataire ou le légataire; on comprend en
effet que la situation de celui qui n'a acquis une chose
qu'en échange d'un équivalent donné par lui, ait paru
tout d'abord plus digne d'intérêt et méritât davantage
d'être sauvegardée, que celle d'un acquéreur à titre
gratuit, c'est-à-dire d'une personne qui a sans doute voulu
acquérir, mais qui n'a rien déboursé pour cela.
Bien que le successeur universel et le successeur particulier puissent invoquer l'un et l'autre l'accessio possessionum, c'est-à-dire joindre à leur possession personnelle celle de leur auteur, il faudrait bien se garder de
croire que leur condition fut identique ; elles sont séparées au contraire par des différences profondes que
nous allons indiquer rapidement.
En ce qui concerne le successeur universel, un texte
de Javolenus contient le principe de ces différences.
(1) § 13, de usucap.
�•
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67 -
Cù11n heredes institut·i sU11nus, dit ce jurisconsulte (1), adità
hœroditate omnia quidem jura ad nos transenut, possessio
tamen, nisi naturaliter comp1·ehensa, ad nos non pertinet.
Ainsi, après l'adition d'hérédité, tous les droits passent
en la personne de l'héritier tels qu'ils se comportaient
en la personne du défunt, et parmi ces droits se trouve
la possession, car s'il es t vrai de dire que la possession
est avant tout un fait, il est également vrai qu'elle est
aussi un droit par les conséquences légales qui y sont
attachées . La possession a donc chez l'héritier les caractûes qu'elle présentait chez le défunt, ou plutôt il
n'y a pas deux possessions, mais une seule; posséssio
defuncti quasi juncta descendü ad heredmn (2) . Or, si la·
possession du défunt continue en la personne de l'héritier, il importe peu que celui-ci soit de mauvaise foi; il
en profite, dit Justinien, licet ipse sciat prœdium alienum,
et en effet, si le défunt vivait encore, la mauvaise foi
survenant en sa personne, ne l'empêcherait point d'accomplir l'usucapion.
L a condition du successeur particulier est toute autre;
il ne succède pas à la personne de son auteur, il succède
à la chose seulement ; aussi faut-il que toutes les conditions relatives à la personne, et notamment la bonne
foi; existent chez lui au moment de la prise de possession : si eam rem quarn pro emptore usucapiebas, scienti
nihi alienam esse vendideris, non capiam usu (3).
De ce principe que la possession de l'héritier a forcément le même caractère que celle du défunt, il résulte
(1) L. 33, D., de acquir·vel amit. poss. XLI, 2.
(2) Paul. L. 30, pr., D., Ex qaib. caus. maj. IV, 6.
(3) Paul, L. 2, § 17, D., pro empt. XLI, 4.
�•
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68-
cette autre conséquence remarquable que le successeur
universel ne peut pas usucaper quand la possession du
défunt n'était pas utile. Quod si defunctus initium justum
non habuit, heredi et bonorun possessori, licet ignoranti,
possessio non prodest (1) . Le successeur particulier peut
au contraire répudier la possession vicieuse de son
auteur et invoquer la sienne propre.
Nous avons dit plus haut, qu'après l'adition d'hérédité et la prise de possession de l'héritier, la possession
de défunt se joignait à celle de l'héritier, de manière à
n'en former qu'une seule sans aucune interruption. Mais
il arrivait souvent qu'un laps de temps considérable
s'écoulait entre le décès du défunt et l'adition ou la
prise de possession de l'héritier ; pendant cet intervalle,
les choses héréditaires n'étaient certainement possédées
ni.par le · défunt, ni par l'héritier, ce qui semblait ren·
dre impossible la jonction des deux possessions. Les
jurisconsultes obvièrent à cet inconvénient en donnant
à l'hérédité jacente une sorte de personnalité : Heredi·
tas personam sustinet, disaient·ils ; et comme la possession ne subissait plus désormais aucune interruption, on
dut décider que la prescription pouvait s'accomplir entre
le décès du de cujus et l'adition de l'héritier : ante
aditam hereditem impleri constitutum est (2).
(1) Inst., § 12, de usucap.
(2) L. 40, D., de usurp.
�CHAPITRE II
Des conditions relatives à la chose
SECTION PREMIÈRE
La chose doit être in commercio
Dans un sens étroit et véritablement technique, le
corwmercium n'est autre chose que l'un des éléments de
la civitas roma;na, qui au point de vue du droit privé
donne le droit de figurer dans la solennité appelée mancipation. Ce n'est évidemment pas dans ce sens que
nous entendons ce mot, lorsque nous disons que les
· choses in commercio sont les choses qui sont susceptibles d'être prescrites, nous voulons désigner par la les
choses qui peuvent être un objet de propriété, de possession ou de créance, et nous les opposons ainsi à
celles pour lesquelles il n'y a ni droit réel ni créance
possible. Cette formule exclut les hommes libres, les
choses sacrées ou religieuses, les choses du domaine
public.
�-
70 -
I. - Les hommes libres. - Parmi les cas dans lesquels
la possession ne saurait jamais conduire à la prescription, Justinien cite en ·première ligne la possession d'un
homme libre, alors même qu'elle serait de bonne foi.
Ce n'est là qu'une application du principe de l'inaliénabilité de la liberté. Les Romains pensèrent avec raison
que la liberté était une chose trop précieuse, et d'une
nature trop noble, pour qu'elle pût jamais faire l'objet
d'une spéculatiog (1 ); or, comme la prescription s'analyse
en un abandon tacite de la part de celui auquel appartient une chose, on devait nécessairement empêcher de
réaliser par une.voie détournée ce qu'il eût été impossible
de faire directement.
II. - Les choses sacrées ou religieuses. - Sans nous
arrêter à donner une énumération complète des res divini
juris, qui formèrent à l'origine de Rome une classe très
considèrable, nous nous bornerons à citer parmi les plus
importantes, au point de vue qui nous occupe, les immeubles qui ont revêtu un caractère sacré en vertu
d'une loi, d'un sénatus-consulte, et plus particulièrement,
à compter du troisième siècle, par une constitution impériale. A partir de Justinien, la nécessité d'une autorisation publique disparut, et il appartint aux évêques de
faire à leur gré des 1·es S'1:1,Crœ.
III. - Les choses du doniaine public. - Il faut entendre
par là les choses qui sont affectées à un usage public,
c'est-à-dire commun à tous les citoyens, soit que chacun
d'eux en jouisse directement, comme les places publiques
et les rues des villes, soit que ce caractère résulte de
leur destination, comme les arsenaux et les forteresses.
(1) Lomo enùn libe1-, nullo pretio œstimatur. Pauli. sent.
L. 5, t. 1, § J.
�-
71 -
Il nous reste à faire observer que certaines choses
qui par leur nature sont in commercio, et comme telles
susceptibles d'être acquises par prescription, sont temporairement, pour des raisons spéciales, mises extra
commerciwm, et deviennent imprescriptibles : tels sont
les immeubles dotaux.
Cette imprescriptibilité des immeubles dotaux n'est
qu'une conséquence de leur inaliénabilité ; sans elle, rien
n'eut été plus facile pour le mari que d'éluder les dispositions de la loi Julia, aussi décida-t-on dès l'origine
que la dotalité faisait obstacle non seulement aux alié·
nations conventionnelles, mais qu'elle affectait la chose
d'un vice qui en rendait impossible l'acquisition par la
prescription : Nam licet lex Julia, quœ vœtat fundum dota
lem alienari, pertineat etiami ad hujus modi acquisitionem (1 ). Comme cette imprescriptibilité n'a d'autre but
que la protection de la femme, il faut en conclure
qu'elle commence et finit avec le danger qu'elle a pour
objet de prévenir, c'est-à-dire avec le droit de propriété
du mari. Elle a donc pour point de d~part le jour même
de la constitution de dot, et pour point d'arrêt le jour
de la restitution. (L. L. 4 et 12 pr., De (und dot.,
XXXIIJ,
5)._
Quelquefois certaines choses, tout en restant in commercio d'une façon générale, en sortent cependant à
l'égard de certaines personnes, et, à ce titre, deviennent imprescriptibles pour elles; tels sont les fonds
situés dans une province à l'égard du gouverneur de la
province et de certaines personnes investies de fonctions
civiles ou militaires ; les biens du pupille ou de l'indi-
(1) L. 16, D., de fund. dot. XXII, 5.
�-
72 -
vidu en curatelle, à l'égard du tuteur ou du curateur, et
d'une façon générale les biens d'un tiers à l'égard de
celui qui en a l'administration.
Les biens vacants rentrent dans la catégorie des choses
imprescriptibles. On appelait ainsi les biens des personnes décédées sans successeur et qui sont acquis au
fisc, à moins que quelqu'un n'ait commencé à les posséder avant la dénonciation de la vacance aux agents,
et seulement tant que le délai de quatre années continues
donné au fisc pour exercer ses droits n'est pas écoulé.
Enfin, il est une dernière catégorie de choses dont
l'acquisition par prescription est impossible, ce sont les
biens appartenant à un pupille ou à une personne en
curatelle.
En ce qui concerne les prœdia rustica vel suburbana,
tout le monde reconnaît que leur imprescriptibilité tient
à cette raison, que l'aliénation directe et immédiate de
ces choses étant défendues, on ne pouvait admettre à
leur égard l'aliénation par la voie oblique de la prescription. Pour les meubles, au contraire, la question de
savoir à qui tient leur imprescriptibilité paraît plus douteuse. Quelques-uns, s'appuyant sur le texte de Paul (t);
qui parle des biens du pupille sans distinguer, admettent
que l'obstacle à la prescription tient à la même cause,
c'est-à-dire à la qualité du propriétaire. Dans une autre
opinion qui nous paraît préférable, on s'appuie sur un
texte de Julien (2). Ce jurisconsulte, déclarant que les
choses volées à un pupille ne peuvent être usucapées,
considère que c'est le vol seul qui rend la chose vicieuse
et met obstacle à la prescription. Ce texte nous paraît
(1) L. 48, pr. D., XLI, 1.
(2) L. 7, § 3, D., XLI, 4.
�- 73décisif et s'appliquer aux meubles du pupille : en effet,
le vol ne saurait atteindre les immeubles, et, d'un autre
côté, comme aui yeux des Rqmains, les meubles eurent
toujours une importance secondaire; il n'y a rien d'étonnant à ce qu'ils aient .considéré ceux du pupille comme
susceptibles d'être acquis par prescription.
Quoiqu'il en soit, une constitution de l'empereur
Théodore-le-Jeune, rendue en l'année 424, vint déclarer
les biens quelconques des pupilles impresc1:iptibles.
SECTION DEUXIÈME
Des choses volées ou occupées par violence
Il fut de tout temps admis à Rome que les meubles
volés et les immeubles occupés par violence échappaient
à la prescription. Ainsi que le rapporte Justinien dans
ses Institutes, la prohibition remonte, pour les meubles.,
à la loi des XII Tables et fut reproduite par la loi
Atinia, rendue en l'an de Rome 537 : nam furtivarwrn
1·m·um lea; duodecim tabularUtm et lea; A tinia inhibent usucapionem; vi possessorum lea; Julia et Plautia; pour les
immeubles, et après qu'il fut reconnu qu'ils ne comportaient pas de furtum, elle date seulement de la loi Plautia
rendue en l'an de Rome 665, et fut renouvelée sous Auguste par la loi Julia de vi.
�-
74 -
L'esclave fugitif est assimilé aux choses volées :
prendre ainsi la fuite c'est furtum sui facere. Il y a vol et
par conséquent obstacle à la prescription, non seulement
lorsque la chose a été enlevée à celui qui en était propriétaire, ou lorsque l'esclave s'est enfui de chez son
maître, mais encore lorsque celui qui a été victime du
vol ou de la violence était un simple possesseur de la
chose . Cette solution est donnée par Paul d'une façon
positive pour le cas de violence : etiam si malà fide fwndum nie possidentem dejeceris, et vendideris, non poterit
capi, quoniam verum est vi possessum esse, licet à non
domino (1).
Lorsqu'on dit que les choses volées ne peuvent être
prescrites,_ on n'entend pas par là interdire la prescription au voleur; une telle prohibition n'eut pas été
nécessaire, car ainsi que nous l'explique Gaïus, et aprèsL,,.;..
Justinien, pour prescrire· il faut être de bonne foi et
posséder ex justâ causâ, ce qui n'est jamais le fait du
voleur ; la prohibition trouve son a1LPlication contre le
tiers de bonne foi qui possède la chose volée ex justâ
causa.
Gaïus nous fait observer qu'en ce qui concerne les
meubles, la prescription aura rarement son application,
car, en effet, presque toujours, lorsque le propriétaire
n'aura pas consenti à l'aliénation, il y aura vol. Il existe
cependant quelques cas dans lesquels l'aliénation,
quoique faite par celui qui n'était pas propriétaire de la
chose, ou qui n'avait pas le droit de la faire, ne constitue pas un vol, par cette raison qu'elle n'a pas été
accompagnée d'intention frauduleuse ; tel est le cas cité
au~· Institutès , où un défunt ayant reçu une chose à titre
(1) L. 4, § 23, D., clc usurpai.
�-
75 -
de dépôt, de louage ou de commodat, son héritier la
prenant pour un bien héréditaire, la vend-ou la donne à
une personne qui la reçoit de bonne foi.
Le vice qui affecte la re~ fwrtiva ou vi possessa et qui
rend la prescription impossible, n'est pas perpétuel et
peut être purgé par le retour de la chose volée, aux
ma~ns et en la possession du propriétaire. Cette règle,
nous dit Paul, fut établie par la loi Atinia. Pour que la
prescription soit de nouveau possible, il ne suffit pas que
la chose volée revienne aux mains du propriétaire d'une
manière quelconque ; s'il l'achète, par exemple, ignorant
qu'elle lui a été volée, elle n'est pas censée rentrée en
sa possession : il faut que le propriétaire ait eu connaissance du vol et qu'il la recouvre d'une manière légale :
cum possessionem ejus nactus sit, ut juste avelli non possit,
.t sed et tanquam suœ rei ; nam si ignorans rem mihi subrep·
tam eman, non videri in potestatem meam reversam (1).
On trouve cependant cité au Digeste un cas où il n'est
pas nécessaire que le maître sache que la chose volée
lui a été rendue pour que la prescription en soit de nouveau possible ; une chose a été mise en dépôt chez une
· personne; le dépositaire la vend pour en bénéficier, puis,
se repentant de son infidélité, il la rachète et la reprend
au même titre qu'auparavant; le vice est purgé, soit
que le maître ait connu, soit qu'il ait ignoré tous ces
faits (2). Enfin, Paul nous . apprend que le vice résultant
du vol est purgé, et que la prescription est possible lors·
que le propriétaire, après avoir exercé l'action en revendication contre le voleur, a reçu de lui, non pas larestitution de la chose, mais a accepté la litis ee~test6ttfo.
a.g~
(1) L. 4, § 12, D., XLI, 3.
(2) L. 4, § 10, D., XLI, 3.
�-
76 -
Lorsque la chose a été volée entre les mains du commodataire, du créancier· gagiste ·ou de l'usufruitier, Paul
nous apprend que pour que · l'obstacle à la prescription
soit levé, il faut que la chose revienne aux mains du
propriétaire et non du commodataire, du créancier
gagiste ou de l'usufruitier (1) . En ce qui concerne lecréancier gagiste, Labéon enseigne une doctrine con·
traire en l'attribuant à Paul. En présence de cette contradiction, on a pensé, avec raison, que Labéon faisait
allusion au contrat de fid!ucie, par lequel le débiteur se
dépouillait de la propriété : le créancier devenant alors
propriétaire, la chose devait revenir entre ses mains.
On dit qu'un fonds est occupé par violence, et que
comme tel il ne peut être prescrit, lorsque le possesseur
en ayant été expulsé, l'auteur de l'expulsion en a pris
possession ; mais si un tiers étranger aux voies de fait
s'établit sur le fonds, sa possession ne sera pas violente.
Ainsi que nous l'avons dit pour la chose volée, le vice
résultant de la violence nuit, non pas au spoliateur,, pour
lequel il ne saurait y avoir de prescription, mais au tiers
de bonne foi auquel il aurait transmis l'immeuble.
(1) L. 20, § 1, D., XLVII, 2. Deful'tis.
�-
77 -
SECTION TROISIÈME
La prescription de long temps ne s'applique
qu'aux choses susceptibles de possession
L a prescription de long temps étant, comme l'usucapion, fondée sur la possession, les choses susceptibles
d' être possédées sont les seules qui soient sqsceptibles
d' être prescrites ; nous avons donc à nous demander
quelles sont les choses susceptibles de possession.
L es jurisconsultes romains, considérant que l'un des
éléments essentiels de la possession consiste dans la
détention matérielle de la chose, en conclurent que les
choses ayant un corpus, c'est-à-dire l'élément physique,
étaient seules susceptibles de possession (1). L e droit de
propriété (pas plus que les autres droits) n' aurait jamais
dû être rangé dans la catégo rie des choses corporelles ,
car pas plus que le droit d'usufruit ou de créance, il ne
tombe sous nos sens. Mais par suite d'une habitude de
langage qu'explique la nature différente des droits, le
droit de propriété fut confondu avec l'obj et sur lequel
il porte et rangé dans la catégorie des choses corporelles. LorsG_[u'il s'agissait au contraire d'un démembrement du droit de propriété, on le distinguait de la chose
(1) L. 3, pr. de pass.
corporalia.
" Possidere autem possunt quœ sunt
�-
78 -
sur laquelle il reposait, et l'on fut ainsi amené à les
ranger parmi les choses incorporelles. La conclusion fut
donc que le droit de propriété, chose corporelle, fût susceptible de possession et par conséquent de prescription,
tandis que les autres droits, choses incorporelles, ne
pouvaient être l'obj et ni de possession, ni de prescription (1).
De bonne heure, néanmoins,)e Préteur considère que
la base du droit aux interdits, consistant en un trouble
apporté illégitimement au droit de propriété, s'il existait
d'autres droits dont l'exercice puisse être troublé par
un acte de violence, il était logique de les protéger
contre ce trouble au moyen des mêmes interdits. Or, tel
était le cas pour les démembrements de la propriété, et
notamment pour l'usufruit et les servitudes réelles, car
il est évident qu'un trouble se conçoit tout aussi bien
dans l'exercice de ces droits, que dans celui· du droit de
propriété. Aussi le Préteur accorda-t-il des interdits
utiles, et c'était reconnaître par là que la tradition
d'une servitude, soit personnelle, soit préd:iale, et la
patience du propriétaire à en souffrir l'exercice, constituait une sorte de possession que les jurisconsultes
appelèrent quasi possessio, possessio juris. On accorda
même plus tard au possesseur de ce droit une action
réelle, utile, l'action publicienne. (L. 11, § 1, D., VI, 2).
Mais faut-il aller plus loin, et décider que celui qui a
l'exercice d'un jus in 1·e, c'est-à-dire une quasi possession, pourra acquérir ce droit par la prescriptio longi
temporis? En ce qui concerne l'usufruit, la solÙtion ne
(1) L. 4, § 2i, de
incorpomle.
ltSW'P : "
Qaiu nec possicle1'i intelliqitw· jus
�-
79 -
saurait être douteuse; aucun t xte,..tln effet avant Justinien1 ne peut nermettre de supposer u'il füt susceptib~e
cl'ac uisition ar la possession. y
Quant aux servitudes, i es également certain qu'après
la loi Scribonia elles ne purent plus s'établir par l'usucapion, mais antérieurement à cette loi en était-il de
même ? L'affirmative a été soutenue; en effet, a-t-on dit,
l'usucapion n'étant autre chose qu'un mode d'acquisition
par la possession, ne saurait s'appliquer qu'aux choses
susceptibles d'être possédées; or, les servitudes étarit des
choses incorpor.elles, n'admettent pas la possession; ce
ne fut que plus tard et à une époque postérieure à la lQ.!
Scribonia, qu'on admit à leur égard une quasi possessio;
il faudrait donc supposer dans l'opinion contraire, que la
quasi possession existait avant la loi Scribonia, et disparut ensuite, ce qui est inadmissible. Il est plus probable, conclue-t-on, .que l'usucapion des servitudes était
déjà impossible avant la loi Scribonia, et que cette loi
n'eut d'autre but que de venir consacrer une règle qui
était la conséquence logique des principes admis à cette
époque.
Malg1~é la logique de ce raisonnement, l'opinion contraire nous paraît préférable. Il existe en effet au Digeste
un texte qui ne saurait être conçu d'une manière plus
affirmative, et qui nous dit que la loi Scribonia vint
désormais rendre impossible l'acquisition des servitudes
par usucapion; c'est donc qu'antérieurement cette usucapion était possible, sinon cette loi n'aurait eu aucun
sens. On peut, nous dit Paul dans ce passage, acquérir
par usucapion l'extinction d'une servitude, car ce que
la loi Scribonia est venue défendre, ce n'est pas l'extinction des servitudes par usucapion, mais leur acquisition : Libertatem servituti~m usucapi passe, verius est,
�-
80 -
quia eam usuca,pionem sustulit lea; scribonia, quœ servitutem constituit, non etiam eam, quœ libertatem prœstat
sublata servitute.
Il nous reste à nous demander maintenant si le Préteur, après avoir reconnu les servitudes susceptibles de
quasi possession, et en avoir protégé l'exercice par un
interdit, alla jusqu'à admettre qu'elles pouvaient être
acquises par la prescription de dix à vingt ans. Un point
sur lequel tout le monde e t d'accord,, et gui était unsi
consé uence nécessaire du principe admis ar le Pr teur, c'est qu'un exercice longtemps prolongé suffij;
pour faire acquéTir une servitude prédiale.; mais faut-il
aller plus loin et dire q~ de même que la propriété
peut s'acquérir par une longi tern;poris possessio, de même
les servitudes peuvent être constituées par une quasi
longi temporis possessifJ, et que lw règles de l'une sont
applicables à l'autre ?
Malgré l'autorité de certains interprètes, i10us n'hé~i
tons pas à ado ter ' ffirmafüre et à admettre qu'il
exü~te pour les ser itu.d.
uue uasi "jgng} tem11pris possessio, dont les rè les fuœnt arfaitement analogues ~
celles de la longi temporis 1!_ossessio, sauf ourtant ce quj.
regardeJa juste cause.
D'après les partisans de l'opinion contraire, le délai
exigé pour arriver à l'acquisition d'une servitude ne
serait pas un délai fixe de dix à vingt ans, comme pour
l'acquisition de la propriété, mais serait un délai variable, entièrement livré à l'appréciation du juge. L'argument sur lequel on se base est uniquement tiré des
expressions employées par les textes, dans lesquels on
trouve les mots diuturnus usus, longa quasi possessio,
longa consuétudo, longi temporis consuétudo, mais jamais
quasi longi temporis possessio. Cet argument de mots nous
�-
St -
(1) C. L, 3, tit. 34, l. 1, de servit. et acqu ...
(2) Lyon-Caen. Revue critiqua de législation, t. Ill, 1874
p 394 et 95.
(1) L. 10, D., VIII, 5. Si servit. 1Jincl.
�-
82~-
remarquer néanmoins, que si la nécessité d'une juste
cause se fait sentir quelque part, c'est surtout dans la
matière de l'acquisition des servitudes, car la propriété
étant naturellement présumée libre, c'est à celui qui
prétend le contraire à jstifier son dire.
Il est bien certain d'ailleurs qu'à l'époque de Justinien
on put acquérir les servitudes par la quasi possessio longi
temporis; il en est de même de l'usufruit, ainsi que cela
résulte de la loi 12 au Code VII, 33.
CHAPIT&E III
Effets de la Prescriptio longi temporis
SECTION PREMIÈRE
Effets de la prescription dans le droit classique
La longi temporis prescriptio fut, à l'origine, non pas
un mode d'acquérir la propriété comme l'usucapion,
mais, ainsi que nous l'avons expliqué lorsque nous recherchions le caractère de cette institution, une exception
�83 -
d'une nature particulière, qui n'avait d'autre effet que
de donner au possesseur d'une chose le moyen de
repousser la revendication du propriétaire. De ce que la
prœsc;riptio longi temporis n'était pas un mode d'acquisition, il en résultait qu'après l'expiration de dix ou
vingt ans, le propriétaire qui avait conservé son droit
pouvait toujours intenter une action contre le possesseur ; de telle sorte que la question posée au juge étant
uniquement de savoir si le demandeur était propriétaire,
devait toujours être résolue affirmativement, et le défendeur succombait nécessairement, à moins qu'il ne fit
insérer son exception dans la formule.
De ce principe que la prescription de long temps
n'était pas un mode d'acquérir, il résultait cette autre
conséquence que si le possesseur venait, pour une cause
quelconque, à perdre la possession, il ne pouvait pas
intenter une action en revendication, car cette action
n'est donnée qu'au propriétaire, et qu'il se trouvait ainsi
dépourvu de tout moyen, à moins qu'il ne réunit les
conditions requises pour exercer quelque interdit. Nous
avons eu déjà l'occasion de dire que cette situation défavorable pour le possesseur ne dura pas longtemps, et
que de bonne heure le Préteur lui accorda une revendication utile ; cc de sorte, dit M. Accarias, que désormais
la longi ternporis prœscriptio put être considérée très
exactement comme un mode prétorien d'acquérir. ,, Utilem, habet actionem, nous dit Ulpien, et Justinien, après
avoir établi que celui qui a accompli la prescription de
long temps pourra exercer l'action en revendication,
ajoute : hoc enim et veteres leges, si quis eas recte inspexit,
santiebant (1).
(1) L, 8, pr. C. VII, 39.
�-84.-
A un autre point de vue, et outre que la prœscriptio
longi temporis exige une possession d'une plus longue
durée, on peut encore dire qu'elle est moins avantageuse
que l'usucapion, car tandis que dans cette dernière, le
demandeur n'obtient gain de cause que si son droit de
propriété existe encore au moment du jugement, la prœs·
criptio ne peut être invoquée encore que le délai vienne
à s'accomplir inter moras litis, car . c'est une règle générale que nul moyen de défense ne triomphe s'il n'est
acquis au jour de la demande.
Sous un autre rapport, on a soutenu que la prescrip·
tion de long temps était préférable à l'usucapion, en ce
qu'elle fournissait un moyen de défense opposable non
seulement au propriétaire, mais encore à ceux qui
avaient des droits réels sur la chose. cc Par l'usucapion,
dit M. Demangeat (1), j'acquiers la propriété salvo jur·e
servitutis vel hypothecœ. Au contraire, quand je puis in·
voquer la prœscriptio longi temporis, ce n'est pas seulement contre le propriétaire c'est également contre tous
ceux qui prétendraient avoir acquis du chef des précédents propriétaires, un droit réel sur la chose. » Il appuie
sa théorie sur une constitution de Gordien, dans laquelle
cet empereur déclare que les créanciers hypothécaires
n'auront pas d'action contre celui qui a accompli la prescription de long temps : Dinturnum silentii11rn longi tem·
poris prœscriptione corroboratum, creditoribus pignus pm··
sequentibus inefficacem constituit actionem (2).
Cette doctrine, contraire au principe d'après lequel la
propriété ne s'acquiert que sous la réserve des charges
(1) Cour·s de droit romain, t. 1", p. 536.
(2) L. 1, C., si odv. crvd. prœscr. appo. VII, 36.
�-
85 -
dont elle est grevée, est de plus en plus abandonnée. On
considère auj ourd'hui que la prescription d~ long temps
pouvait sans doute, à la différence de l'usucapion, être
opposée au créancier hypothécaire ou à celui qui avait
une servitude, mais que ce droit, loin d'être une conséquence de la prescription opposable au propriétaire, était
un effet de la prescription accomplie directement contre
le créancier hypothécaire ou le titulaire de la servitude ;
en un mot, il y avait deux prescriptions distinctes opposables, l'une au propriétaire, l'autre aux titulaires des
droits réels sur la chose, et pour chacune d'elle il fallait
la réunion des conditions distinctes de temps et de
bonne foi. Quant au texte invoqué dans l'opinion contraire, il prouve seulement une chose, qui n'est contestée
par personne, c'est que la prœscriptio longi temporis
pouvait être opposée au créancier hypothécaire.
SECTION DEUXIÈME
Innovations
de Justinien
Lorsqu'au début de cette étude nous nous demandions pour quels motifs, à côté de l'usucapion, mode
d'acquérir fondé sur la possession, la prescription de
long temps, institution parfaitement analogue, avait pris
naissance, nous avons vu que la raison en était double :
la nécessité de donner aux pérégrins un .mode d'acqui6
�-
86 -
sition analogue à celui dont jouissaient les citoyens
romains, et aux citoyens romains le moyen d'acquérir
par la possession les fonds qui ne faisaient pas partie du
sol italique, c'est-à-di re les fonds provinciaux. A l'époque
de Justinien, les différences établies pour le vieux choit
quiritairc, entre les Cives romani et les Pereg?·ini, entre
le sol italique et le sol provincial, et bien d'autres encore,
avaient depuis longtemps disparu sous l'influence de la
jurisprudence plus large des Préteurs et des Constitutions impériales. Le· droit de cité, étendu peu à peu à
tous les sujets de l'empire, quelquefois même aux bar·
bares, et la distinction tout à fait artificielle des fonds
provinciaux et des fonds italiques complètement effacée,
la prœsc?·iptio longi ternporis n'avait plus de raison d'être.
Consacrant légitimement cette pratique, Justinien était
conduit à supprimer l'une des deux institutions parallèles de l'ancien droit, o~ à les fondre ensemble : c'est
à ce second parti qu'il s'arrêta. <( Pour emprunter son
propre langage, dit M. Accarias, il transforme l'usucapion (L. unie. C., De usuc. transf. VII, 31), c'est-àdire qu'il la laisse soumise aux règles qui lui étaient
autrefois communes avec la prescription, que là où il
rencontre des règles contraires, il opte ou innove; mais
que dans son silence, il faut plutôt présumer le maintien
du droit propre à l'usucapion, car, jusqu'à preuve con·
traire, qui conserve le mot conserve la chose. »
Ainsi, à partir de Justinien, celui qui reçoit une chose
à non domino et de bonne foi, celui-là en devient propriétaire, sans qu'on ait à se préoccuper désormais de
savoir s'il est citoyen romain ou pérégrin, ou si le fonds
possédé est situé en Italie ou en province . Reste à se
demander quelle doit être la durée de la possession.
Pour les immeubles, Justinien décida que la propriété en
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serait acquise au possesseur à l'expiration du délai de
l'ancienne prœscriptio longi temporis, c'est-à-dire après
dix ou vingt ans, et pour les meubles après un délai de
trois ans .
Quelques commentateurs, remarquant que Justinien
parle de prœscriptio ou possessio longi ternporis, tandis
qu'il emploie habituellement l'expression usucapio lorsqu'il s'agit de meubles, en ont conclu qu'on doit appliquer
aux immeubles les règles de l'ancienne prœscriptio longi
ternporis, et aux meubles les règles spéciales de l'ancienne usucapio.
Nous avons expliqué déjà que nous pensions que Justinien a entendu, sauf en ce qui concerne le délai, consacrer les règles générales de l'usucapion; et ce qui
prouve bien que la même règle existe ·pour les meubles
et pour les immeubles, ce sont les expressions employées
par Justinien aux Institutes : Constitutionem super hoc
prornulgavimus, quâ cauturn est ut res quidem mobiles
per trienniwm, irnmobiles vero per longi temporis possessionem usucapiantur. Quant aux termes longi temporis
possessio, dont il se sert quand il parle des immeubles,
cela tient uniquement à ce que désormais ils s'usucapent
par le longum ternpus, tandis qu'il réserve aux meubles
l'expression technique usucapio.
Justinien tranche, en outre, une difficulté qui s'était
élevée dans l'ancien droit, et détermine en quel sens
doivent être entendus les termes présent et absent. Le
propriétaire et le possesseur habitent-ils des provinces
différentes, la prescription s'accomplit inter absentes, et
la· propriété ne s'acquiert que par vingt ans de possession ; on n'a donc point égard, comme dans notre droit
actuel, à la situation de l'immeuble possédé. M. Accarias
fait remarquer que si l'on eût ainsi égard au domicile
�-
88 -
du propriétaire et à la sit nonuation de l'immeuble possédé, cela tient à l'influence toujours si puissante du langage. Op. abrégeait le délai inter prœsentes et non pas
contra p1·œsentem. Or, ce pluriel n'indiquait-il pas qu'il
fallait considérer le domicile du propriétaire dans son
rapport avec celui du possesseur, plutôt que dans son
rapport avec la situation de la chose? C'est le propriétaire et le p.ossesseur qui devaient être présents, non le
propriétaire et la chose.
Quant à ses effets, la prescription n'est plus, comme
autrefois, un simple moyen de défense ; elle est devenue
un mode d'acquérir la propriété ; elle fournit à celui qui
l'a accomplie une véritable action en revendication, au
moyen de laquelle il peut poursuivre la chose contre tout
détenteur.
Après avoir admis implicitement que la litis contestatio
n'interrompt pas la nouvelle usucapion, puisqu'il suppose qu'une usucapion s'est accomplie inter moras litis
(L. IV, 32, t. 17), :Justinien, oubliant, ou voulant modifier
la règle posée aux Institutes, consacra, dans la Novelle 119, chapitre 7, une décision contraire.
D'après la législation de Justinien, les mineurs ne peuvent perdre aucun droit par une prescription d'une durée
inférieure à trente ans ; il en résulte que leurs biens ne
sont pas susceptibles d'être occupés. Cette doctrine est
directement le but que l'ancien droit n'atteignait qu'à
l'aide de l'in integruni restitutio .
Quand c'est un absent, un infans ou un fou sans curateur qui possède, Justinien permet au propriétaire ou
au créancier hypothécaire d'interrompre la prescription
par une requête adressée au préteur ou au président de
la province, et, en leur absence, à l'évêque ou au defensor
civitatis. Si ces personnes font elles-mêmes défaut, il
�•
-
89 -
suffit d'afficher au domicile du possesseur une protes·
tation signée des Tabularii ou de trois témoins.
D'après l'opinion la plus généralement admise par les
jurisconsultes, les immeubles n'étaient pas, avons -nous
dit, susceptibles d'être volés ; il suffisait au possesseur
de bonne foi, que l'immeuble n'eût jamais été possédé
par violence pour qu'il· pût l'usucaper, encore que son
auteur eût été de mauvaise foi . Justinien modifia cette
doctrine en exigeant, par la N ovelle 119, que l'auteur ait
été lui-même de bonne foi, ou que, dans le cas contraire,
le maître ait eu connaissance de son droit et du fait qui
a transporté la possession à un tiers. En l'absence de ces
conditions, le possesseur, malgré sa bonne foi, ne peut
prescrire que par trente ans. Cette décision ne doit
cependant pas être étendue à ceux qui traiteraient avec
acquéreur resté de bonne foi, sinon l'usucapion des immeubles serait à peu près impossible.
�•
�DEUXIÈME PARTIE
DE LA PRESCRIPTION DANS L'ANCIEN DROIT. FRANÇAIS
Après avoir étudié l'origine de la prescri.ption et avoir
suivi son développement dans le droit romain jusqu'à
son organisation complète sous Justinien, il importe de
se demander quel fut le sort de cette institution dans
l'ancien droit français, c'est-à-dire durant la longue
période qui s'étend depuis la conquête de la Gaule par
les barbares, jusqu'à la rédaction de notre code civil.
S'il est des institutions qui ne sauraient survivre à un
bouleversement général de la société, tel qu'il dut se
produire à l'époque de l'invasion des barbares, la prescription n'est certainement pas de ce nombre. Nous
avons constaté, en effet, que c'est surtout aux époques
de trouble et de désordre que doit se faire sentir davantage la nécessité de la prescription; on conçoit donc de
quelle utilité elle devait être à une société sans cesse
livrée à la violence et à l'instabili té . La possession
étant devenue à ce moment le titre rinci J!.l,_sinon le
titre unique de la pro:r>riété, les vaincus ne manquèrent
pas de s'en faire un moyen pour conserver leurs domaines sans cesse menacés. Par une constitution rendue dès
�-
92-
l'an 5.§.9, l'em ereur QlfilaiI'al~ vint déclarer que l'Eglise,
les ecclésiastiques et les provinciales, c'est-à-diré les
Romains, pourraient se défendrê contre toute revendication par la prescription de trente ans.
Quelques années plus tard, vers 595, une constitution
de Childebert, roi d'Austrasie, établit une prescription
nouvelle dont l'origine est évidemment romaine. La
propriété d'un immeuble se prescrivait par dix ans si le
propriétaire avait son domicile dans la juridiction du
dux ou du judex où l'immeuble était situé; par trente
ans dans le cas contraire.
A côté de ces règles en quelque sorte générales, ou
du moins applicables à mw agglomération ·considérable
d'individus, et . qui exigeaient une possession de longue
durée, on trouve des chartes de communes antérieures
au treizième siècle, qui se contentent d'une durée excessivement restreinte. C'est ainsi que les chartes des
communes de Troyes, de Pontoise, de St-Quentin, dé·
clarent qu'une année de possession suffit pour acquérir
la propriété d'un immeuble. La brieveté de ce délai,
qui peut étop.ner tout d'abord, est cependant facile à
justifier : ces lois ne régissant qu'un nombre d'individus
fort restreint, le fait de la possession devait nécessairement être bientôt connu du propriétaire, et son silence
ne pouvait s'interprêter que dans le sens de l'abandon
de son droit. Rien, d'ailleurs, n'était plus variable que le
délai imposé par les différentes coutumes, et tandis que
les unes exigeaient deux ans, d'autres trois ans, la
charte de la _commune d'Amiens, rédigée en 1190, admet·
tait pour les immeubles une prescription de sept années.
A partir du treizième siècle, cette diversité dans les
délais avait déjà disparu d'une façon à peu près com·
plète, quoiqu'on retrouve pourtant le délai de sept ans
�-
93 -
d:;ms la coutume de Hayonne, et 4Beaumanoir, obéissant
à une règle à peu près générale, fixa à dix ans, daii.s sa
coutume du Beauvoisis, le temps nécessaire pour acquérir par la possession les immeubles des majeurs.
Au seizième siècle l'organisation définitive de la prescription était chose accomplie, et l'on voit presque toutes
les coutumes exiger la réunion des trois conditions nécessaires encore aujourd'hui, c'est-à-dire le juste titre,
la bonne foi et un certain laps de temps de possession.
La coutume de Paris l'établissait en ces termes dans
son article 113 : << Si aucun a joui ou possédé héritage
ou rente à juste titre, tant pour lui que pour ses successeurs dont il a le droit et cause, franchement et sans
inquiétation par dix ans entre présents, et vingt ans
entre absents, il acquiert la prescription dudit héritage
ou rente. >> Ce serait toutefois une erreur de croire que
ce délai de dix ans ait été adopté d'une façon uniforme
par toutes les coutumes . Celles qui l'admirent furent
certainement très nombreuses, et avec l'article 11 3 de la
coutume de Paris, que nous avons déjà rapporté, on
peut citer, à titre d'exemples, la coutume de Calais ,
art. 205 ; celle de Meaux, art. 80 ; celle de Blois, art.
192; celle d'Auxerre, art. 188; celle de Melun, art. 170;
celle de Verdun, art. 1, titre 13; celle de Montfort, art.
61 ; etc. Mais à côté de ces coutumes il en existait
d'autres qui n'admettaient que la prescription de trente
ans. C'est ainsi, nous dit Dunod, << que ce qui est prescriptible par dix et vingt ans, suivant le droit romain,
ne peut être prescrit que par trente ans en FrancheComté. Il en est de même . en Bourgogne, Normandie,
Nivernais, Orléanais, la Marche, Bourbonnais et Auvergne. » Et ce jurisconsulte, approuvant cette décision,
ajoute << que ces coutumes ont ainsi coupé sagement la
�-
94 -
racine d'une infinité de procès, que la diversité des temps
des prescriptions introduites par le droit romain, la
preuve de la bonné foi et la qualité des titres qu'il exige
dans les prescriptions courtes, faisaient naître. » Il fau t
enfin ajouter que si quelques coutumes, comme celle de
Lorraine, par exemple, se contentaient de la bonne foi
pour permettre la prescription, d'autres, plus sévères,
notamment celle de Bruxelles, exigeaient le titre et la
bonne foi même pour la prescription de trente ans .
Il semble que dans les pays de droit écrit, où les
traditions du droit romain subsistaient davantage, la
prescription de dix à vingt ans devait seule prévaloir, et
c'est bien là ce que dit Dunod (1).
Nous croyons plus volontiers, avec Merlin (2), que cette
règle, loin d'être absolue, comme l'affirme Dunod, souffrait au contraire de nombreuses exceptions . Chorier,
dans sa Ju1·isprudence de Guy-Pape, page 333, dit que le
parlement de Grenoble ne reconnaît que les prescriptions de trente et quarante ans; et lorsque Bretonnier
affirme, dans ses Qiiestions alphabétiques, au mot prescription, que cette Cour est la seule qui juge ainsi, il se
trompe certainement, car Serres, dans ses Institutions
au droit français, livre 2, titre 6, dit que dans les pays
de droit écdt on n'a conservé la prescription de dix à
vingt ans qu'à l'égard des hypothèques. La même doctrine était établie au parlement de Bordeaux, et l'annotateur de La Peyrère fait remarquer que bien que la
prescription de dix ans soit établie contre le créancier,
néanmoins il faut trente ans pour prescrire contre le
(1) Traité de la p1'esc1'iption, part. 2, chap. VIII.
(2) Répertoi1'e, V' prescription, section II.
�-
95 -
propriétaire. Julien, dans son Corrvmentaire sur les statuts
de Provence, tome 2, page 516, assure que la même
chose existait au parlement d'Aix.
Après ce rapide exposé, qui nous permet de constater
une foi s de plus l'infinie variété des règles de notre ancien droit français, nous allons examiner les diverses
conditions requises par les coutumes ou les pays de droit
écrit qui admettaient la prescription acquisitive de dix
à vingt ans.
CHAPITRE IER
Du juste titre
Dunod, après avoir constaté que le droit civil, comme
le droit canon, exigent que la possession soit fo ndée s ur
un juste titre pour mener à la prescription, après un
délai de trois ans pour les meubles, et de dix ans poi;tt'
les immeubles , le définit de la mani ère suivante : cc ~
· 't_p..e.s_ gens,
~~n elle-même, soit ar
~.LJ2ar le droit civil, à transférer l e domaü1e, ''
Or, comme dans notre ancien droit, le simple consentement ne pouvait à lui ~eul transférer la propriété, c'est
avec raison que ~· a pu dire que le juste titre était
~t , ou un autre aci&_, de natun à transférer la
�..-- 96 p_!'gpriété par la tradition }!i _.Q.!!_~tait~ conséquence,
~e manière que l.orsque la propriété n'était pas transférée, c'était par le défaut de droit en la personne qui faisn,it la tradition, et non par le défaut du titre en conséquence duquel la tradition avait été faite. La notion du
juste titre est donc dans notre a!!_ciell_droit français ce
qu'elle était en droit romain, c'est-à-dire que le juste
titre est un acte juridique antérieur à la tradition et qui
l'explique, acte qui aurait eu pour conséquence le transfert de la propriété s'il eût émané du véritable propriétaire. Les contrats de vente, d'échange, de donation, les
' legs, etc., sont donc des justes titres ; au contraire, un
bail à ferme ou à loyer, un contrat de nantissement,
n'en sont pas.
Par application des principes du droit romain, c'était
à celui qui prétendait que sa possession était fondée sur
un juste titre, à justifier de l'existence de ce titre. S'il
prétendait, par exemple, qu'elle provenait d'une vente, il
devait en justifier par la présentation d'une expédition
du contrat qui avait été passé devant notaire. Si la
vente avait été faite sous signature privée, le possesseur de l'héritage en justifiait suffisan1ment par la
présentation de l'acte sous seing privé qui la constatait.
Mais ici se présentait un danger, car si, même à_ l' é~'trd
des ti~rs, cet acte sous seing privé prou!ait l'existerice
de la vente, il y avait à craindre que la facilité de l'antidater ne poussât les parties à la fraude. Un arrêt du
29 novembre 111.§..(1) vint pa~r à cet inconvénient, en
décidant que le possesseur devrait prouver par témoin
la durée de la possession qui procédait de ce titre.
(1) Journal cles Audiences, tome 6.
�- 97 Quant à fair e par témoin la preuve de la vente ellemême, ou de tout autre juste titre, le possesseur n'y était
autorisé ~e dans les trois cas
i nts : lorsque la
chose vendue était d'une valeur qui n'excédait pas cent
livres ; lorsqu'il y avait déjà un commencement de preuve
par écrit; lorsque l'écrit dressé pour constater l'existence du juste titre avait péri par suite de quelque
accident de force majeure ; lorsqu'il avait été détruit,
par exemple, dans l'incendie de la maison où il avait été
déposé, et, d'une faço n générale, toutes les foi s que le
possesseur pouvait justifier qu'il avait été perdu sans sa
faute.
La coutume du Poitou présentait une disposition bien
singulière en ce qui concerne le mode de preuve admis
pour établir l'existence d'un juste titre. Le possesseur
était cru et était dispensé de toute autre preuve , lorsqu'il
affirmait sous serment que l'immeuble pour lequel il
opposait la prescription lui avait été livré par un ti ers
en vertu d'un j~s te _!;itre. Il existait cependant deux cas
dans lesquels le serment du possesseur était impuissant
à établir l'existence d'un juste ti tre ; c'était, premièrement, lorsqu'il disait qu'il avait acquis l'immeuble du
demandeur lui-même, et que celui-ci le niait sous serment; et en second lieu, lorsqu'il prétendait que le juste
titre s'était produit, non pas en sa personne, mais en
celle de son auteur.
P othier (1) fait remarquer que cette disposition de la
coutume de P oitou, d' après laquelle le possesseur justifiait par son serment de l'existence du juste titre de sa
possession, devait être restreintè au territoire de cette
(1) Traite de la prescription art. IV, part. 1.
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98 -
province, car, ajoute-t-il, « elle ne s'accorde guère avec
l'horrible corruption des mœurs de notre siècle et avec
l'irréligion qui fait tant de progrès, et qu'on professe si
publiquement et si impunément . »
D'après Dunod, le titre sur lequel se fonde la possession doit présenter les caractères suivants; il faut :
® qu'il soit certain ;@ qu'il soit véritable et qu'il puisse
être appliqué à celui qui veut s'en servir;@ enfin qu'il
soit valable et capable de mettre le possesseur en bonne
foi, car, dit-il, cc l'erreur de droit n'excusant pas, il ne
suffirnit pas de croire bon un titre qui serait nul. »
D'après J;..othier (1), il fout: @ que le titre soit valable;
@ qu'il ne soit pas suspendu par quelque condition;
(fil) enfin, qu'il continue d'être le titre de cette possession
pendant tout le temps requis pour l'accomplissement de
la prescription. Le titre nul, nous dit Pothier, n'étant
pas un titre, la possession qui en procède est une possession sans titre qui ne peut opérer la prescription, et
comme exemple d'un titre nul, il cite le cas où quelqu'un s'est mis en possession des biens de son parent
qu'il croyait mort, quoique celui-ci fût encore vivant.
Il rapproche de ce cas celui où un légataire s'est mis en
possession, du vivant du testateur, de la chose léguée,
et il déclare que dans ce cas la possession a un juste
titre. cc Cujas, nous dit-il, donne pour raison de cette différence qu'il ne peut pas y avoir de succession d'un
homme vivant, au lieu qu'il peut y avoir des legs d'un
homme vivant, un testateur pouvant délivrer d'avance à
q)..lelqu'un la: chose qu'il lui a léguée. >>
Le titre putatif était-il suffisant pour mener à la prescription? Po-thier, adoptant la théorie du droit romain,
(1) frescrip . part. 1, chap. 3, art. 2.
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99 -
n'hésite pas à résoudre. cette question affirmativement
et réfute l'opinion contraire qui avait été soutenue par
Lemaitre . Celui-ci, s'appuyant sur les termes mêmes de
la coutume de Paris « si aucun a joui et posséclé ....... à
juste titre, etc ., en concluait que le système romain avait
été abandonné par cette coutume et autres semblables,
car, disait-il, l'opinion erronée d'un titre, quelque fon dement qu'elle ait, n'est pas un titre et ne peut pas
remplir ce que la coutume exige pour la prescription.
La réponse, disait Pothier, est que l'opinion qu'a le ,
possesseur que sa possession procède de quelque juste
titre, quoiqu'elle soit fausse, lorsqu'elle est appuyée sur·
un juste fondement, est elle-même un juste titre comme
sous le titre général p1'o sua : un tel possesseur peut
donc dire qu'il est dans les termes de la coutume de
Paris et qu'il a possédé à juste titre : << La coutume de
Paris, en l'article 113, ajoute-t-il, et les autres coutumes
semblables n'ont entendu faire autre chose que d'adopter
la décision du droit romain sur la prescription de dix et
vingt ans : les dispositions de ces coutumes doivent donc
s'entendre et s'interpréter suivant les principes du droit
romain, lorsque rien n'oblige de s'en écarter. >i
�CHAPITRE II
De la bonne foi
La bonne foi qui doit accompagner la possession pour
opérer la prescription est, nous disent les anciens auteurs, la juste opinion qu'a le possesseur d'avoir acquis
la propriété de la chose qu'il possède; en d'autres termes,
c'est la croyance, chez le possesseur, que la chose lui a
été transmise par celui qui en était propriétaire.
Comme on se demandait, nous dit Dunod, si celui qui
doutait était de bonne foi, on avait distingué deux sortes
de doutes : le possesseur pouvait. avoir des doutes sur
les droits de celui qui lui avait transmis la chose; ce
premier doute pouvait en faire naître un autre chez lui,
sur le point de savoir s'il devait retenir la chose en
sûreté de conscience et sans péché. Lorsque ces deux
doutes étaient réunis, le possesseur ne pouvait ni commencer, ni continuer une possession utile pour la prescription. Le motif qui avait fait admettre cette solution
était que celui qui est incertain sur le point de savoir
s'il doit continuer ou abandonner la possession de la
chose abdique, en quelque sorte, l'animus domini, condition essentielle à toute prescription. Si le do.ute portait
seulement sur le droit de celui qui lui avait transmis la
chose, la prescription ne pouvait sans doute pas corn-
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101 -
mencer, mais le possesseur pouvait continuer la prescription commencée déjà, lorsque, malgré ce doute, il
n'en était pas moins décidé à conserver le bien et à l'acquérir par prescription ; c'était une application de la
doctrine romaine mala (ides superveniens non nocet ; le
possesseur n'était pas sans doute à l'abri de tout reproche,
mais au moins avait-il conservé l'animus po'Ssidendi.
En ce qui concerne l'erreur de droit chez le posses·
seur, Dunod répond qu'elle était une excuse suffisante
« si la matière était épineuse et difficile, mais que si le
doute portait sur un droit clair, l'ignorance du droit
n'excusait pas la mauvaire foi. >> Pothier, s'appuyant sur
le texte de Paul, numquami in usucapionibus juris errnr
possessori prodest, rejetait dans tous les cas l'erreur de
droit.
D'après le droit romain, il suffisait que la bonne foi eût
existé chez le possesseur au commencement de la pos·
session j la connaissance qu'il pouvait acquérir plus tard
que )a chose ne lui appartenait pas, ne faisait nullement obstacle à la prescription et la chose devenait
sienne à l'expiration du temps requis pour prescrire. Le
droit canonique, au contraire, exigeait que la bonne
foi eüt existé chez le possesseur pendant toute la durée
de la possession : quoniam omne quod non est eœ fidè,
peccatum est .... , unde opportet, ut qui p1·œscribit, in nulla
temporis pa;rte, rei habeat conscientiam alienam ; de là la
question de savoir si le droit canon devait être suivi de
préférence au droit civil. Cette difficulté avait donné
naissance à cinq opinions différentes qui nous sont rapportées par Dunod de la manière suivante :
<< La première soutenait que les lois civiles doivent
être suivies dans les terres du prince q~i les a faites ou
reçues, et les canons seulement dans les terres du pape.
7
�-
102 .-
La seconde, que les lois civiles . servent de règle pour
le for extérieur et que l'autorité des canons doit être
bornée au for intérieur ou de la conscience.
La troisième, que les canons ne sont applicables qu'à
la prescription des choses, et que les lois civiles sont
demeurées dans leur force pour celles des· actions personnelles.
La quatrième étend les canons aux actions personnelles , même lorsque le débiteur a été mis en retardement.
La cinquième , que les canons doivent être suivis préalablement à toute loi qui autoriserait la prescription en
mauvaise foi . » Cette dernière opinion fut adoptée par
Pothier. « Cette disposition du droit canonique est très
équitable, dit-il. Par ln. connaissance qui survient au
possesseur avant qu'il ait accompli le temps de la prescription, que la chose qu'il avait commencé de bonne foi
à prescrire ne lui appartient pas, il contracte l'obligation
de la rendre, laquelle obligation naît du précepte de la
loi naturelle, qui défend de retenir le bien d'autrui. Cette
obligation étant une fo is contractée , dure toujours jusqu'à ce qu'elle soit acquittée et résiste à la prescription (t ). >>
Comme sous l'empire du droit romain, le successeur
pouvait joindre à sa possession celle de son auteur'.
Lorsque c'était un héritier ou .un autre successeur universel, sa possession étant censé n'être que la continuation de la possession du défunt, si ce dernier avait possédé de bonne foi un héritage et était mort avant l'accomplissement du temps de la prescription, son héritier,
quoiqu'il fût de mauvaise foi, pouvait l'acquérir par pros(1) Prcscrip . part. J, cliap. II art. 1.
�-
f03 -
cription en continuant à le posséder pendant le temps
qui restait à courir. Cette conséqueli.ce, exacte suivant le
droit romain, ne l'était plus dans notre ancien droit, car
nous avons vu que d'après la règle empruntée au droit
canonique: la bonne foi du possesseur devait durer pendant tout le temps requis pour prescrire. L a question de
savoir si l'héritier bénéficiaire hérite de la mauvaise foi
de son auteur avait fait cloute. Dunod pensait avec
raison que l'héri tier bénéficiaire n'en reste pas m~ ü1s un
véritable héritier , un successeur universel qui représe nte touj ours la personne du défunt.
CHAPITRE III
Du laps de temps
D'après la coutume de Paris, article 113, la prescription s'accomplissait par dix ans entre présents et vingt
ans entre absents. Le sens dans lesquels ces mots présents et absents s'entendaient était le même que sous
Justinien, c'est-à-dire que la prescription était censée
courir entre présents lorsque, tant le pos·s.esseur que le
propriétaire, demeuraient l'un et l'autre dans le ressort
du même parlement. On ne tenait nul compte de la situa.
tion de l'immeuble. L'article 116 de la ·coutume de Paris
dit : sont réputés présents ceux qui sont clemeurants en
la ville, prévoté et vicomté de P aris » , et la coutume de
�- 104 Meaux, article 82, cc on tient pour présents ceux qui
demeurent au même baillage royal. »
Lorsqu'on dit que la prescription court entre présents
quand le possesseur et le propriétaire ont leur domicile
dans le même baillage, on entend parler du domicile de
· fait, et c'est dans ce sens que le prend l'ordonnance
de 1667; il ne suffirait donc pas que l'un et l'autre eussent leur domicile de droit dans le même baillage, si
l'un ou }'autre n'y avait pas sa demeure actuelle. Lorsque
le possesseur ou le propriétaire n'avait de demeure fixe
nulle part, la prescription était censée courir entre
absents. Quand la prescription avait commencé entre présents et que, avant son accomplissement, le possesseur
ou le propriétaire transférait son domicile dans un
autre baillage, il fallait, pour l'accomplissement de la
prescription, doubler le temps qui restait à courir pour
la prescription de dix ans. Dans le cas il~verse, il ne
fallait plus, pour accomplir li:t prescription, que la moitié
du temps qui restait à courir de la prescription de vingt
ans, lorsque le propriétaire et le possesseur commençaient à demeurer clans le même baillage.
La coutume de Sedan s'était F,;eule écartée du droit
commun et faisait dépendre la présence ou l'absence de
la distance qui séparait l'héritage du domicile du propriétaire : cc Sont réputés présents, dit l'article 313, ceux
qui sont demeurants dedans dix lieux à l'environ de la
situation de l'héritage; et ceux qui sont clemeurants plus
loin que de dix lieux sont réputés absents. »
Lorsque quelqu'un prescrivait un héritage contre d~ux
propriétaires par indivis dont l'un habitait le même
baillage que le pbssesseur, et l'autre un baillage différent, la prescription de dix ans s'appliquait seulement à
la part de celui qui était réputé présent.
�CHAPITRE IV
Au profit de qui et contre qui pouvait courir la
prescription ? Effets de la prescription
Nous avons vu que dans le droit romain, les citoyens
étaient seüls admis au bénéfice de l'usucapion. Les
mêmes motifs qui avaient déterminé l'application de cette
règle à Rome, paraissent devoir recevoir application
dans notre ancien droit français, pour y exclure du droit
d'acquérir par prescription les étrangers non naturalisés.
Aussi Pothier pensait-il que le temps de la· prescription ne pouvait courir à leur profit tant qu'ils
n'avaient pas obtenu des lettres de naturalisation.
Le seigneur ne peut prescrire contre son vassal, était un
axiome reçu dans la plupart des coutumes ; il devait être
entendu en ce sens que le seigneur ne pouvait acquérir
la propriété du fief de son vassal en le possédant en
vertu d'une saisie féodale faite en sa qualité de seigneur ;
en effet, le seigneur possédait le fief saisi, non pas
comme s'il devait le conserver toujours, maisjusqu'à ce
que le vassal se présentât à la foi.
Il y avait dans notre ancien droit certaines personnes
contre lesquelles la prescription ne courai~ pas ; tels
étaient _les mineurs de vingt-cinq ans. Bien plus, lorsque
la prescription avait commencé à courir contre un
�- 106 majeur auquel succédait un mineur, elle était suspendue
au profit de cet héritier pendant sa minorité . Il y avait
cependant quelques coutumes qui s'étaient écartées de
cette règle ; celles du Ludunois et de Bretagne déclaraient que la prescription continuait à courir contre les
mineurs lorsqu'ils étaient pourvus de tuteurs . « Les
prescriptions commencées avec les · majeurs courent
contre ..... les mineurs, étant pourvus de tuteurs, etc ... >>
dit l'article 9 de la coutume de Bretagne.
A côté des biens des mineurs on rangeait dans la
catégorie des biens qui n'étaient pas soumis à la prescription de dix ou vingt ans : 1° les biens des églises et
des communautés ; la prescription de quarante ans leur
était seule applicable ; 2° les biens du domaine de la couronne. Le décret de 1790, qui déclarait à l'avenir le
domaine national aliénable, décida aussi qu'il pouvait
être prescrit, mais seulement par une possession de
quarante ans .
Les choses incorporelles étaient, dans notre ancien
droit, susceptibles de quasi possession et pouvaient,
comme telles, être acquises par la prescription de dix
à vingt ans par la jouissance qu'on en avait eue pendant ce temps-là. C'est ce qu'exprime formellement la
coutume de Paris : << si aucun a joui ou possédé héritage ou 1·ente ... '' ce qui s'entendait tant des rentes consti. tuées que des rentes foncières, et s'étendait aux autres
choses incorporelles. Quant à la prescription des servitudes, la plus grande diversité régnait dans les coutumes
(Merlin, Report. v0 • servit. § 22 et suiv .). On pourrait
cependant ranger les coutumes en quatre classes : les
unes admettaient la prescription pour toutes les servitudes sans distinction ; les autres ne l'admettaient que
pour certaines servitudes. Il y en avait qui rejetaient
�-
107 -
absolument la prescription, d'autres, enfin, qui suivaient
la regle « nulle servitude sans titre n et n'admettaient
pour la prescription que la possession colorée .
La prescription de dix à vingt ans était, dans notre
ancien droit, un véritable mode d'acquisition de la propriété; cette manière de voir, exprimée formellement
par l'article 113 de la coutume de Paris, avait été adop tée par la plupart des autres coutumes; l'article 118 de
la coutume de Senlis dit : << ils acquièrent par prescription la propriété et seigneurie, '' et l'article 431 de
celle d'Anjou.« a acquis le droit de propriété de la chose. n
La prescription faisait acquérir non seulement la propriété, mais, aux termes de l'article 114 de la coutume
de Paris, elle la faisait acquérir <<franche et quitte; ''
?lle éteignait donc de plein droit les rentes foncières,
hypothèques et autres charges réelles dont l'héritage
était grevé , pourvu, toutefois, que le possesseur eût été
de bonne foi et eût ignoré l'existence de ces charges.
Quoiqùe les coutumes disent « toutes rentes))' il faut néanmoins en excepter celles qui sont récognitives de la
seigneurie directe que le seigneur, de qui l'héritage
relève, s'est réservé; les droits de seigneurie étaient en
effet imprescriptibles, et il en était de même des devoirs
et des redevances qui en étaient ré~ognitifs. De même
encore le possesseur ne pouvait acquérir par prescription l'affranchissement du retrait seigneurial ou du retrait
lignager, car ces retraits étant de droit commun, il
avait dû s'y attendre ; la prescription, au contraire, le
déchargeait du retrait conventionnel.
Les droits de substitution dont les héritages pouvaient
être chargés n' étaient point sujets à la prescription de
dix ou vingt ans, lorsque b substitution avait été insinuée ; le motif en était que le possesseur de l'héritage
�-
108 -
grevé ne pouvait être de bonne foi, car il avait dû consulter les registres publics où ces substitutions étaient
enregistrées.
A l'époque de la rédaction du Code civil, le proj et du
titre de la prescription ayant été communiqué aux Cours
d'appel, il y en eut quelques-unes qui, se fondant sur
les difficultés que faisaient naître le domicile du propriétaire, souvent incertain, et la bonne foi du possesseur, proposèrent de supprimer la prescription acquisitive de dix et vingt ans. Le législateur pensa avec raison
que ces difficultés, quoique réelles, n'étaient cependant
pas suffisantes pour faire rejeter une institution aussi
utile, et le Code, dans son titre XX, décrété le 24 ventôse an XII , consacra la prescription décennale à côté de
la prescription trentenaire. Ap rès avoir constaté que la.
prescription s'impose par des considérations d'ordre
public, M. Bigot-Prearnenen, l'orateur du gouvernement,
déclare qu'une distinction doit nécessairement être faite
entre le possesseur avec titre et bonne foi, et celui qui
n'a à opposer que le fait même de sa possession : cc Le
possesseur avec titre et bonne foi, dit-il, se livre avec
confiance à tous les frais d'amélioration; le temps après
lequel il doit être dans une entière sécurité doit donc
être beaucoup plus court. Quant aux possesseurs qui
n'ont pour eux que le fait même de leur possession, on
n'a point de raison pour traiter à leur égard les propriétaires avec plus de rigueur que ne le sont les créanciers à l'égard des débiteurs. ''
<:..
�TROISIÈME PARTIE
DROIT FRANCAIS
>
DE LA PRESCRIPTION PAR · DIX A VINGT ANS
(Code civil, art. 2265-2269)
INTRODUCTION
Il est universellement admis que la possession est le
fait par lequel le droit de propriété se manifeste, d'où il
suit que, lorsque le droit marche d'accord avec le fait, la
possession est unie à la propriété, sans que la volonté
du propriétaire qui consent ·à céder la possession à un
tiers, comme dans le cas de louage, brise le lien qui unit
le droit au fait, car alors le propriétaire est censé jouir
de la chose par son fermier . .Mais lorsque le droit de
propriété est contesté, et que, parmi des personnes qui
�110 allèguent des prétentions également plausibles, il faut
rechercher où il se trouve, on est alors forcé de considérer la possession abstraction faite de la propriété. La
loi, fidèle à ce principe que la possession est un attribut
ùe la propriété, présume pro:visoirement, et jusqu'à
preuve contraire, que celui qui possède est propriétaire ;
si la possession a été assez longue pour établir cette
présomption, si elle a duré un an et un jour, elle lui
accorde les actions possessoires; si elle a continué pendant dix ou vingt ans avec certaines conditions, la loi
déclare le possesseur propriétaire.
Quelques auteurs , considérant rue la prescription
repose en grande partie sur la présomption de fait d'un
droit antérieurement acquis, ont pensé que la rédaction
de l'article 2019 était défectueuse, et que la prescription,
au lieu d'être un mode d'acquérir, 6tait plutôt la présomption légale d'une acquisition préexistante.
Cette manière de voir ne nous paraît pas admissible .
En effet, outre qu'il ne saurait y avoir d'autres présomptions légales que celles qui ont été attachées par un e
loi spéciale à certains actes ou à certains faits, dire que
la prescription est une présomption, c'est dire qu'elle
est un mode de preuve de la propriété. Or, telle n'est pas
certainement l'idée que le législateur s'est faite de la
prescription, puisque clans l'article 712 il la met sur la
même ligne que la donation et le testament ; la proscription est rangée par la loi parmi les faits par lesq uels
la propriété s'acquiert, ce n'est donc pas une preuve.
Un titre n'est d'ailleurs translatif de propriété que s'il
émane du propriétaire; or, celui qui invoque la prescription se fonde sur un titre qui n'émane pas du propriétaire, sans quoi la prescription serait inutile ; comment
donc soutenir que la prescription est la présomption lé-
�- 111 gale d'une acquisition puisqu'elle se fonde sur un titre
qui ne pouvait transférer la propriété ?
Cette notion de la prescription, contraire aux textes,
constitue d'ailleurs une innovation contraire à la doctrine
admise dans le droit romain et dans notre ancienne jurisprudence: A Rome, la prescription acquisitive, appelée
usucapion, était un des modes d'acquérir la propriété
quiritaire ; la définition du code civil a été empruntée
à Domat, pour lequel la prescription était un mode d'acquisition, et Dunod s'inspire de la même pensée quand il
dit : cc la prescription est un rnoyen d'acquérir le domaine
des choses en les possédant. 11
L'intérêt de la question est d'ailleurs purement théorique, car tout le monde es t d'accord sur la solution
de la difficulté' qu'elle présente dans l'application.; on
reconnaît, en effet, que bien que la prescription soit un
véritable mode d'acquisition, ses effets remontent au
jour où elle a commencé. Le législateur, il est vrai, n'en
pose pas le principe, bien moins encore en donne-t-il
la raison, mais il en consacre une application dans l'article 14.02. Si l'un des époux mariés sous le régime de la
communauté, achève pendant la durée de la communauté,
une prescriptisn commencée avant le mariage, l'immeuble sera-t-il acquet ou propre ? L'immeuble est propre, nous dit la loi ; c'est donc que la prescription produit son effet du jour où elle a commencé, car si l'effet
de l'acquisition eftt daté du jour où la prescription s'es t
accomplie, l'immeuble eftt été un acquet.
Avant d'entrer dans l'examen détaillé de la prescription décennale, faisons remarq'uer une inexactitude clans
la terminologie employée par le code. La rubrique de la
section III du chapi tre IV porte en effet ces mots : cc De
la prescription par dix ou vingt ans». On a souvent fait
�- 112 observer que cette formule semble indiquer que la prescription s'accomplit tantôt par dix ans, tantôt par vingt
ans, sans pouvoir présenter jamais de délai intermédiaire, tandis, au contraire, qu'elle est susceptible de se
réaliser dans un espace de temps compris entre le
minirrvuni de dix ans et le maxinvwm de vingt . .
Supposant la possession revêtue des caractères énumérés par l'article 2229 et nécessaires pour toute pres cription acquisitive, nous allons étudier successivement
les conditions particulières à cette · prescription privilégiée, et nous le ferons dans l'ordre que nous avons suivi
déjà pour l'étude de la prœscriptio long·i temporis du
droit romain, c'est-à-dire que nous distinguerons les
conditions relatives à la personne qui invoque la prescription, et celles relatives à la chose qu'il s'agit d'acquérir par ce mode ; dans un dernier chapitre, nous
parlerons des effets de cette prescription.
;
�CHAPITRE lllR
Conditions relatives
à la personne
SECTION PREMIÈRE
Du juste titre
Le juste titre nécessaire à la prescription de dix à
vingt ans est celui « qui de sa nature est translatif du
droit de propriété . >1 C'est ainsi que le définissait BigotPréameneu dans l'exposé des motifs. Ce titre est appelé
juste , non pas parce qu''ü émane du propriétaire, car
alors la prescription serait inutile, mais parce qu'il est
l'expression d'un des modes reconnus par la loi pour
opérer le déplacement du domaine des choses; parce que
lui seul peut déterminer chez l e possesseur la croyance
plausible qu'il s'est passé un événement qui l'a investi
de la propriété. Sans doute, à l'égard du propriétaire, ce
titre est injuste et celui-ci peut en paralyser les effets
en intentant l'action en revendication en temps 'utile ;
mais s'il ne le fait pas, on n'a plus égard à l'absence du
�-
114 -
droit dans la personne de celui qui s'est faussement prétendu maître de ln. chose afin de pouvoir l'aliéner, la
faute de l'aliénateur ne jaillit pas sur l'acquéreur qui
n'en est pas le complice, et le titre se dépouille de son
vice originaire en faveur de la possession. de borrne foi.
Les faits ou les conventi ons constitutifs du juste titre
sont aussi nombreux qu'il y a de manières différentes
d'acquérir la propriété ; nous examinerons les plus usuels.
La vente, contrat essentiellement · translatif, es t, de tous
les justes titres celui qu'on invoque le plus souvent pour
servir de base à la presc ription. L'échange es t un contrat tout à fait analogue à la vente. De même encore le
paiement et la dation en paiement, car donner en paiement c'est vendre; seulement il faut ici fair e remarquer
que lorsque c'est la chose due qui m' a été payée, comme
dans ce cas le paiement n'est que l'exécution d'une
convention antérieure, le titre pm solu to conc ourt toujours avec un autre, t andis que s'il y a dation en pp.iement proprement dite, le titre unique de la possession
consiste dans le paiement ; de même encore lorsque la
chose vendue est une chose indéterminée, comme la propriété est transférée par le paiement, le paiement seul
constitue le juste titre.
L es actes à titre gratuit peuvent également constituer
de justes titres , tels sont les donations et les legs . En
est-il de même du ti tre d'héritier ?
Les jurisconsultes romains plaçaient le titre pro hœr13de
parmi les justes titres , et notre Code dit que la propriété
s'acquiert par succession. Il n'en es t pas moi_ns vrai cependant que dans notre droit actuel, le titre d'héritier ne
peut servir de fondement à la prescrip tion de Q.ix an .
L'héritier n'a d'autre droit, en effet, que celui de son
auteur; si celui-ci avait un juste titre, l'héritier y succé-
�115 dera, mais il ne commencera pas une possession fondée
sur un titre nouveau, et si le défunt n'avait pas de titre
l'héritier ne saurait en avo ir aucun . S'il en était autrement en droit romain, c'est qu'on avait admis que le ti tre
n'était pas absolument nécessaire et que la bonne foi
était suffisante, pourvu qu'elle fût claire et légitime : tel
était le cas de l'héritier qui, trôuvant une 1·es aliena
parmi les choses héréditaires, la possédait croyant
qu'elle faisait partie de l'hérédité . Notre droit moderne
est plus rigoureux, il exige un titre translatif; or, si
dans cette hypothèse l'héritier a possédé, c'est évidemment sans titre, et la prescription de dix ans no le con. cerne pas .
Le titre pro dote se rencontrera rarement dans notre
droit français, car le mari devient, non pas propriétaire,
mais seulement administrateur de la dot de sa femme .
Si l'on se place cependant dans l'hypothèse de l'article
1552 et si on suppo se que l'immeuble appor té en dot a été
estimé avec déclaration que l'estimation vaut vente, le
mari l'usucapera par dix à vingt ans dans le cas où il
appartiendrait à un tiers. Sans cloute il y a eu dans ce
cas plutôt vente que constitution de dot, mais comme la
vente n' a d'autre but que de réaliser la constitution do
dot, on peut dire que le mari possède pro dote.
La tmnsaction est-elle un juste titre pour proscrire ?
La question ne souffrait aucune difficulté en droit
romain, et la solution affirmative se trouve dans plusieurs
textes ; en est-il de même dans notre droit français?
Nous ne le croyons pas .
Nous savons en effet qu'à la différence du droit romain,
qui s'attachait plutôt à la juste opinion du titre qu'au
titre lui-même, et qui souvent même co nsentait à ce
qu'on s'en passât , notre droit actuel se montre plus
�116 -
rigoureux sur l'existence du juste titre. Nous repoussons
aussi la doctrine admi s~ par les anciens interprètes et
qui consistait à distinguer si la transaction avait ou non
déplacé la possession. Il faut, croyons-nous, s'attacher
uniquement à la cause du contrat, et après avoir examiné les faits , voir si la transaction n'a fait que confirmer un droit antérieur, ou si elle a créé un droit nouveau. Si l'on supp ose que quelqu'un, dépouillé d'une
chose, transige avec le possesseur et l'abandonne à ce
dernier, la transaction devra être considérée comme un
titre véritablement translatif et pourra servir de base à
la prescription de dix à vingt ans. On peut même dire
que ce titre, quoique qualifié de transaction, est une
véritable vente, et que la possession est basée sur le
titre pro emptore.
La transaction constitue également un juste titre lorsque l'une des parties, afin d'amener un accord entre
elles, cède à l'autre un immeuble qui n'est pas compris
dans le litige .
Mais le plus souvent il n'en sera pas ainsi; la transaction interviendra presque touj ours sur un droit trèsdouteux, de telle sorte qu'il sera impossible de dire s'il
y a eu translation de propriété. Dans d!'l telles conditi ons , soit que la possession de la chose qui fait l'obj et
de la transaction ait été déplacée, soit que cette chose
soit restée entre les mains du possesseur primitif, celui
auquel elle est attribuée est censé l'avoir désormais au
ti tre dont il se prévalait avant la transaction.
Une transaction offre beaucoup d'analogie avec un
jugement; nous sommes ainsi amenés à nous demander
si ~s j.u.gé_e constitue un juste titre à l'effet de pres·
crire par dix et vingt ans.
A raison même de l'analogie qui existe entre la tran-
�-
117 -
saction et le jugement, nous sommes conduits à décider
pour le jugement ce que nous avons admis déjà pour la
transaction. Il y a des jugements qui sont de véritables
contrats de vente; tels sont les jugements d'adjudication. De tels jugements sont translatifs de propriété, ils
peuvent donc être invoqués comme justes titres. Mais
d'o rdinaire les jugements n'ont pas ce caractère, ils sont
déclaratifs de droits et non pas translatifs; ils déclarent
et sanctionnent un droit préexistant, ils ne le créent
point; ils ne sauraient donc être invoqués comme un
juste titre d'acquisition. Nous devons constater cependant que la Cour de cassation est d'un avis contraire et
que, par deux fois, elle a attribué au jugement la force
du juste titre (21 février 1827, Sir. 27, 1, 451; 14 juillet
1835, Sir 35, 1, 754).
Le contmt de société est-il un juste titre dans le sens
que nous donnons à ce mot au point de vue de la pres·
crip tion de dix à vingt ans?
L'affirmative ne semble pas douteuse si l'on considère
que le contrat de société est translatif de propriété. En
effet, à partir de la constitution de la société, la propriété des apports P9'SSe de chacun d<?s associés à l'être
moral que constitue leur réunion (1 ). Il faut dire cependant
que le contrat de société ne peut pas servir de fondement
à la prescriptio·n de dix à vingt ans; car, de deux choses
l'une, ou bien celui qui a mis dans la société un immeuble qui ne lui appartenait pas, le possédait en vertu d'un
juste titre et de bonne foi, et alors la société n'aura pa.s
besoin de commencer une prescription nouvelle~ mai_s
continuera la prescripyon commencée par l'associé qui
lui a transmis la chose; ou bien cet associé avait une
(1) Nous ne parlons que des sociétés commerciales, laissant
en dehors les sociétés civiles.
8
�-
118 -
possession sans titre et par conséquent de mauvaise foi,
et dans ce cas la possession sociale, qui ne saurait avoir
un caractère différent de la possession de l'associé par
lequel elle s'exerce, sera nécessairement viciée et la
prescription décennale inadmissible.
Si nous examinons maintenant la société ayant des
caractères particuliers qui se forme entre les époux
mariés sous le régime de la communauté, nous voyons
que la solution doit être différente. Si c'est la femme
qui apporte à la communauté un immeuble qu'elle savait
ne pas lui appartenir, le mari de bonne foi, seul maître
et seigneur de ce bien comme de tous ceux qui composent la communauté (art. 1421), commencera une prescription qui ne saurait être viciée par la mauvaise foi
de la femme, étrangère à la possession. Si l'apport a été
fait par le mari, la mise en communauté ne le déssaisissant pas de l'exercice du droit de propriété, la prescription demeurera impossible pendant comme avant le
mariage, à cause de sa mauvaise foi.
Après avoir parlé du contrat de société et de la prescription que l'on peut fonder sur ce titre, il nous reste à
examiner le partage, qui est la conséquence de la dissolution de la société ou de la communauté, et à voir si on
peut l'invoquer comme un titre suffisant pour servir de
base à la prescription de dix à vingt ans .
Nos anciens auteurs, suivant la doctrine du droit
romain, plaçaient le partage au nombre des titres translatifs et le considéraient par conséquent comme un juste
titre au point de vue de la prescription. Nous savons
au contraire que notre droit actuel s'est tout à fait écarté
des principes admis à Rome sur l'effet du partage, qui
est aujourd'hui purement déclaratif et jamais translatif.
Mais par .cela même que le partage, effaçant le temps de
�-
119 -
l'indivision, pr·oduit un effet rétroactif à l'époque de la
mise en société, de l'entrée en communauté, de l'ouverture de la succession, il peut se produire, relativement
à la prescription,, des difficultés qu'il importe d'examiner.
Voyons d'abord le partage, qui est la conséquence de la
dissolution d'une société .
Si par l'effet du partage, l'apport d'un associé tombe
clans son propre lot, cet associé sera considéré comme
n'ayant jamais cessé d'être propriétaire, et la prescription aura suivi son cours comme si la société n'avait
jamais existé .
'
Si l'immeuble apporté par un associé tombe dans le
lot de son coassocié, l'effet translatif remontant au jour
de la constitution de la société, le contrat de société
servira de juste titre à ce dernier. S'il était de mauvaise
foi au moment de la constitution de la société, c'est-àdire s'il savait que l'immeuble apporté par son associé
ne lui appartenait pas, il ne pourra évidemment pas
invoquer la prescription décennale; mais s'il était de
bonne foi il pourra certainement s'en prévaloir, car, par
l'effet du partage, le temps de l'indivision étant effacé,
il réunira les conditions exigées par l'article 2265.
Lorsqu'un partage se produit à la suite de la dissolution de la comml1nauté, les mêmes principes doivent
dicter les solutions.
Enfin, s'il sagit d'un partage entre cohéritiers, c'est-àdire d'un partage intervenu à la suite de l'ouverture
d'une succession, la question de savoir s'il peut constituer un juste titre ~e prescription dépend de l'étendue
que l'on donne à l'article 883 . Si l'on admet que le partage est déclaratif non seulement entre les cohéritiers,
mais encore à l'égard des tiers, erga onvnes, chacun des
héritiers étant censé tenir directement du défunt les
.·
�120 -
biens qui constituent son lot, ne saurait- invoquer d'autre
titre que celui que le défunt pouvait invoquer lui-mêmeIl nous s~mb l e préférable de croire que la fiction de
l'article 883 n'a d'effet que dans les rapports des cohéritiers entre eux, mais qu'à l'égard des tiers, à l'égard
du propriétaire, le partage constitue pour chaque héritier un juste titre. Chacun d'eux, en effet, doit être considéré, à l'égard des biens qui composent son lot, comme
un étranger qui les aurait acquis à la suite d'une
licitation.
Nous venons de voir quels sont les titres principaux
que le possesseur peut invoquer comme source de son
droit; mais il ne suffit pas que le titre soit de sa nature
translatif de propriété pour constituer un juste titre. Il
doit réunir encore d'autres conditions que l'on peut
résumer de la façon suivante. Il faut : 1° que le titre soit
réel et non putatif; 2° qu'il soit valable; 3° qu'il soit
définitif et non pas suspendu par l'effet d'une condition;
4° qu'il dure pendant tout le temps nécessaire à la prescription.
1° Nous disons que le titre doit être réel et non pas
putatif, et par titre putatif il faut entendre un titre qui
n'existe point, mais que le possesseur croit exister .
Notre ancien droit français, s'inspirant de la doctrine
romaine, admettait au contraire, ainsi que nous l'avons
vu, que le titre putatif pouvait servir de base à la prescription de dix à vingt ans ; on distinguait néanmoins
entre l'erreur de droit et l'erreur de fait. Si la personne avait possédé en vertu d'un titre sans existence
légale, mais qu'elle avait cru valab le par une erreur de
droit, elle ne prescrivait pas ; si, au contraire, elle avait
possédé en vertu d'un titre sans existence légale, mais
qu'elle avait cru valable par une erreur de fait, elle
�-
121 pouvait se prévaloir de la prescription. Nous avons vu,
aussi de bonne heure nos anciens jurisconsultes s'étonner
qu'on ne fit aucune distinction entre celui qui avait
acquis réellement et celui qui par erreur croyait avoir
acquis, et Lemaitre, commentant la coutume de Paris,
affirmer la nécessité d'un titre réel. Pothier, au contraire, fidèle à la doctrine romaine, admettait le titre
putatif ; cette doctrine a-t-elle été consacrée par le
Code? Quelques-uns l'ont pensé, se fondant sur ce que
les rédacteurs du Code suivent généralement la tradition.
Nous croyons, au contraire, que le titre réel peut seul
être invoqué pour la prescription. Tout d'abord, la tradition n'étant pas constante, ne saurait être invoquée, et
l'on peut objecter que le titre putatif étant un titre fictif,
un titre qui n'existe pas, on ne saurait se fonder sur le
silence du Code pour admettre une telle fiction, car il
appartient au législateur seul de créer des fictions et de
déterminer les conditions dans lesquelles il les admet. Si,
d'ailleurs, le Code n'exclut pas formellement le titre
putatif, il le rejette néanmoins d'une façon implicite, car
l'article 2265, beaucoup plus expressif que les anciennes
co_utumes, exige nécessairement un titre d'acquisition,
un titre translatif de propriété. Les travaux préparatoires confirment cette opinion : « Nul, dit Bigot-Préameneu, ne peut croire de bonne foi qu'il possède comme
propriétaire s'il n'a pas un juste titre, c'est-à-dire s'il n'a
pas un titre qui soit de sa nature translatif du droit de
propriété et qui soit d'ailleurs valable. ''
La· nécessité d'un titre réel étant admise, la solution
ne peut être douteuse dans les différentes hypothèses
que l'on peut rencontrer. Un acheteur, par exemple,
dont le titre ne porte que sur une partie des objets possédés, ne saurait invoquer la prescription que pour la
�-
122 -
partie de l'immeuble comprise dans son titre ; pour l'excédant il possède sans titre, ce qui rend la prescription
décennale impossible. Il faut remarquer, toutefois, qu'il
n'est pas nécessaire que le titre comprenne une désignation spéciale de toutes les parties de l'héritage qui
fait l'objet du contrat; mais c'est à celui qui prétend que
tel objet s'y trouve compris à en faire la preuve. Ainsi,
la donation faite à une personne d'une ferme telle quelle
<< s'étend, poursuit et comporte)) comprend telle pièce de
terre qui a toujours été considérée comme une dépendance dudit domaine ; et si un tiers revendique cette parcelle contre le donataire, celui-ci pourra certainement lui
opposer une prescription fondée sur la donation, à la
charge, toutefois, de prouver que la portion revendiquée
est comprise dans la donation (Cassation, 23 janvier 1837).
2° Il faut que le titre soit valable. Parmi les causes
nombreuses de nullité qui peuvent atteindre un titre, le
défaut des solennités prescrites est la seule que la loi ait
cru devoir consacrer.
L'article 2267 dit : « le titre nul pour défaut de forme
ne peut servir de base à la prescription de dix à vingt
ans. Il faut entendre par forme, dans cet article, la
solennité que la loi requiert dans certains actes comme
une condition substantielle, sans laquelle l'acte n'existerait pas ; on les appelle pour cette raison des actes
solennels : tels sont les donations et les testaments. La
loi ne nous dit pas que l'acte doit être valable en la
forme, mais, ce qui est bien différent, que le titre
nul pour défaut de forme ne peut servir de base à la
prescription; or, la nullité de l'acte n'entraîne la nullité
du titre que dans l~s contrats que nous venons de nommer et pour lesquels la loi exige des solennités qui constituent leur essence. La jurisprudence donne cependant
>)
�-
123 -
à l'article 2267 une étendue beaucoup plus grande~ëet
applique sa disposition à tous les écrits . C'est ainsi qu'il
a été jugé qu'un acte de vente notarié, dont la minute
n'avait été signée ni par le vendeur, ni par les témoins,
ne pouvait servir de juste titre à la prescription (Angers,
19 mars 1855; Dalloz, au mot prescript. n° 900, 2°). C'est
une confusion évidente entre le titre et la preuve du
titre . Le seul consentement des parties suffit à la validité de la vente, à la validité du titre, l'écrit n'est qu'un
moyen pour elles de se procurer une preuve littérale de
leur convention ; la nullité de l'acte ne peut donc pas
atteindre le titre . Ce que nous disons de la vente est
également vrai pour tous les contrats dont l'existence est
indépendante de l'écrit qui les constate. Lorsqu'il s'agit,
au contraire, d'actes solennels, d'actes pour lesquels les
formes déterminées par la loi sont exigées, non pas ad
probationeni, mais ad solemnitatem, la nullité de l'écrit
entraîne la nullité du titre, et l'on peut dire d'une donation nulle en la forme ce que l'article 1131 dit des contrats
sans cause : elle ne peut avoir aucun effei; j partant elle
ne peut servir de base à la prescription.
Ces principes, quoique certains donnent .lieu, dans
l'application, à une difficulté sérieus_e qui provient de la
disposition de l'article 1340. Après avoir dit, dans l'article 1339, que les donations nulles en la forme ne p_eu e..-v1\'
ètre confirmées, ce qui implique qu'elles sont inexistantes, le législateur dit, dans l'article suivant, que les
héritiers du donateur peuvent valablement confirmer la
donation en l'exécutant; ce qui revient à dire qu'à leur
égard la donation est seulement considérée comme nulle,
car ce qui caractérise les actes nuls, c'est qu'ils peuvent être confirmés, tandis que les actes inexistants ne
sont pas susceptibles de confirmation. On se demande
�-
124 -
""x alors si une donation exécutée par les héritiers du
donateur peut servir de base à la prescription.
La donation faite en dehors des formes légales étant,
à l'égard des héritiers du donateur, non pas un titre
inexistant, mais un titre frappé d'une nullité établie dans
leur intérêt, ceux-ci peuvent, en exécutant la donation,
c'est-à-dire en confirmant l'acte, le rendre valable : cette
donation peut donc ainsi devenir un juste titre.
On objecte que d'après' l'article 1338, la confirmation
ne saurait préjudicier aux droits des tiers ; or, ne seraitce pas violer cette disposition que d'opposer au propriétaire, comme servant de base à la prescription, une donation nulle en la forme ? Ce raisonnement ne nous
paraît. pas exact. En effet, par tiers l'article 1338 entend
ceux qui ont acquis un droit dans la chose postérieurement à l'acte nul, droit que la confirmation ne saurait
leur enlever. Mais la position du propriétaire n'est pas
telle ; son droit ne résulte pas de la donation, il est, au
contraire, antérieur à elle, et il peut le faire valoir
malgré elle en revendiquant la chose . La donation ne lui
enlève donc rien et on se trouve en dehors du principe
de l'article 1338.
Il faut appliquer aux legs et pour les mêmes motifs la
théorie des donations ; en effet, lorsque le testament est
nul en la forme, le legs est inexistant, il ne saurait constituer un juste titre. Mais pour que l'on puisse se demander si un legs contenu dans un testament nul en la
forme peut servir de base à la prescription, il faut nécessairement supposer que le legs a été exécuté; et alors se
pose la question de savoir si cette exécution ne constitue
pas une confirmation, et si, comme pour la donation, le
vice ne se trouve pas purgé? Nous ne le pensons pas.
L'article 1340 contient une disposition exceptionnelle
�- 125 relative aux donations, que l'on ne peut pas étendre aux
legs sans dépasser les termes de la loi. Nous devons
constater, toutefois, que la tradition est contraire et que
Pothier, se fondant sur la loi romaine, enseigne que le
legs devient un juste titre lorsque l'héritier le confirme .
Il est plus vrai de dire, nous semble-t-.il, que dans cette
hypothèse l'héritier n'exécute pas le legs, mais fait une
libéralité nouvelle qui doit être soumise aux formes
prescrites par la loi.
Les nullités de formes que nous avons étudiées jusqu'ici sont des nullités qui appartiennent à l'ordre public
et qui peuvent être invoquées par tout le monde . Mais,
à côté de ces nullités absolues il en est d'autres qui ne
sont que relatives, c'est-à-dire que ce sont des nullités
établies en faveur de certaines personnes déterminées
et qui ne peuvent être invoquées que par elles ; telles
sont les nullités qui intéressent les mineurs et les interdits . On se demande alors si, lorsque l'acte est vicié
par une de ces nullités relatives, la prescription décennale peut néanmoins être opposée au propriétaire.
Il arrivera quelquefois que l'acquéreur, traitant avec
le mineur ou l'interdit, connaîtra la qualité de la personne avec laquelle il traite, de telle sorte que les formalités légales protectrices de l'intérêt de ces personnes
n'étant pas observées, l'obstacle à la prescription se
trouvera dans la mauvaise foi de l'acquéreur. Toutefois,
dire que la prescription est impossible parce que l'acquéreur est de mauvaise foi, c'est tourner la difficulté,
car on peut avoir un juste titre et être de mauvaise foi,
et la question est de savoir si le titre frappé d'une nullité
relative est un juste titre. Nous croyons que cette question doit être résolue affirmativement, car la nullité
relative dont le titre est frappé n'empêche pas ce titre
�-
126 -
d'être translatif de propriété et de produire ses effets
tant que le mineur ou l'interdit n'invoque pas le bénéfice
du droit civil pour faire prononcer la nullité de son
obligation. Le tiers qui se prétend propriétaire et
combat la prescription invoquerait inutilement la nullité
de l'acte; la nullité n'existe qu'en faveur du mineur, et
tant que celui-ci ne l'invoque pas il ne saurait en être
question. Nous devons ajouter que, le plus souvent,
lorsque le possesseur invoquera la pre cription, l'action
en nullité qui appartient au mineur sera prescrite de
telle sorte qu'on ne saurait plus méconnaître le caractère translatif de l'acte. Sans doute alors pourra se poser
la question de bonne foi, mais nous ne nous occupons
ici que du juste titre et nous pensons que la nullité relative dont il est frappé ne l'empêche pas de servir de
base à la prescription de dix à vingt ans. Disons cependant que la Cour de cassation a jugé en sens contraire
que la vente des biens de mineurs faite en dehors des
formalités légales ne constitue pas un juste titre (Cassation, 1°' floréal an V. Dalloz, prescription, n° 900, 1°).
// Jusqu'à maintenant, nous renfermant dans les termes
de l'article 2267, nous avons supposé que la nullité de
l'acte invoqué comme juste titre tenait à la forme même
de l'acte ; mais un acte peut être nul pour un grand
nombre de causes prises ailleurs que dans sa forme. Il
peut être entaché de quelque vice intrinsèque, par
exemple, être attaquable pour cause d'erreur, de dol,
de violence, ou comme contraire aux lois ou aux bonnes
mœurs. Hâtons-nous de dire que le Code ne contient
aucune règle sur le point de savoir si de tels titres
peuvent servir de fondement à la prescription, et que
nous sommes par conséquent forcés de remonter à la
tradition. D'Argentré avait introduit une distinction fort
�-
127 -
rationnelle et qui doit encore· être suivie aujourd'hui,
entre les nullités absolues et les nullités relatives . Les
premières , fo ndées sur des raisons d'intérêt public, pouvant être invoquées par toute personne, seront opp osables par le propriétaire: à celui qui prescrit; ainsi , les
titres prohib és par la loi, les substitutions, les contrats
qui ont un caractère déshonnête ou contraire aux mœurs,
tel que l'achat d'un immeuble litigieux par un magistrat
ou un officier ministériel dans le cas prévu par l'article 1597, et aut res analogues, sont entachés d'une nullité d'ordre public que tout le monde peut invoquer. Ces
l'rnllités pourront donc être opposées par le propriétaire
qui revendique : de semblables titres ne sauraient servir
de base à la prescription décennale.
Restent les titres que la loi ne déclare nuls que dans
un intérêt privé . Si la partie intéressée n'en demande pas
la nullité , rien n'empêche qu'ils ser vent à fonder la
prescription. P armi ces nullités relatives, nous avons
déjà vu celles qui tiennent à l'absence des fo rmalités
légales qui doivent accompagner les actes faits par certaines personnes naturellement incapables, telles que les
mineurs et les interdits , nous pouvons y ajouter les actes
d'aliénation faits par la femme sans l'autorisation de son
mari.
· L e défaut de transcription _des donati ons de bîens
immobiliers est enco re une nullité relative, et l'article 941
nous dit que la nullité de la donation pourra être opposée
par t oute personne intéressée . La question se pose alors
de savoir si le donataire qui a reçu un immeuble de
quelqu'un qui n'en était pas le propriétaire et n'a pas
fait transcrire la donation, peut néanmoins opposer au
propriétaire qui revendique l'immeuble la prescription
de dix à vingt ans fond ée sur une donation non trans-
�-
128 -
crite; en d'autres termes, si le propriétaire peut être
rangé parmi les intéressés que la transcription a pour
but de protéger. Nous ne le croyons pas. D'après l'article 938, la donation dûment acceptée est parfaite par
le seul consentement des parties; la transcription n'est
nullement nécessaire pour opérer le transfert de propriété. Cette formalité n'a d'autre but que de permettre
d'opposer la transmission de propriété à certains tiers,
et par ce mot il faut entendre seulement ceux qui auraient acquis des droits réels sur l'immeuble du chef
du donateur postérieurement à la donation. L e propriétaire qui revendique ne peut être rangé dans cette catégorie, puisque son droit est antérieur à la donation.
La loi du 23 mars 1855, en exigeant la transcription
des actes translatifs de propriété immobilière, a fait
naître, pour les actes à titre onéreux, une question analogue à celle que nous venons d'étudier pour les aliénations à titre gratuit. L'acquéreur qui n'a pas fait transcrire son contrat d'acquisition peut-il opposer la prescription de dix ans au propriétaire qui revendique l'immeuble ? La réponse nous paraît encore devoir être
affirmative, et voici pour quels motifs. Le but de la loi
de 1855, qui exige la transcription des actès translatifs
de propriété immobilière, est de prévenir, par ce moyen,
les tiers qui pourraient traiter avec le précédent propriétaire. Ce sont donc ceux qui, postérieurement à la
vente, ont acquis des droits sur l'immeuble du chef du
vendeur qui ont. intérêt à invoquer le défaut de transcription . Mais si on suppose que la vente a été faite a
non domino, qu'importe au véritable propriétaire que le
contrat ait ou non été transcrit ? Le fait de sa dépossession avait dû suffisamment l'avertir et le mettre en
demeure d'exercer son action en revendication; la trans-
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129 -
cription du contrat de vente est donc pour lui une chose
indifférente.
Sans doute, d'après l'article 2180, le tiers détenteur ne
commence à prescrire contre les créanciers privilégiés
et hypothécaires qu'à partir du moment où il a fait transcril"e son contrat d'acquisition, mais il ne faudrait pas
en conclure que ce qui est vrai des créanciers privilégiés
et hypothécaires, le soit aussi du propriétaire. La disposition spéciale de l'article 2180 s'explique par cette considération, qu'une simple substitution dans la personne
du détenteur de l'immeuble affecté au privilége ou à
l'hypothèque, n'étant pas regardée comme suffisante pour
avertir les créanciers de la mutation de propriété, le
législateur a dû imposer, dans leur intérê"t, une transcription qui la leur révélât. La situation du propriétaire est toute différente, et lorsque l'acquéreur a non
domino aura possédé pendant le temps requis par l'article 2265, son droit reposera, non pas sur la vente que
le propriétaire n'avait nul intérêt à connaître, mais SUL'·
la prescription qui s'est accomplie à son profit et à la
quelle la vente est seulement venue servir de titre.
- 3° Il faut que le titre soit définitif et non pas suspendu
par l'effet d'une condition. Disons tout d'abord que lorsque le titre est sous condition résolutoire, il ne constitue
pas moins un juste titre dans le sens de l'article 2265,
car cette condition ne suspend pas les effets du contrat.
La 10i fait une application de ce principe dans l'article
1665 à celui qui acquiert avec faculté de rachat pour le
vendeur: l'acquéreur, quoique propriétaire sous condition
résolutoire, prescrit néanmoins contre le véritable propriétaire.
Lorsque la condition s'accomplit, comme la résolution opè~·e son effet rétroactivement, le titre est censé
�-
130 -
n'avoir jamais existé et le possesseur ne peut invoquer la prescription.
La condition suspensive est d'une nature toute différente. Elle suspend les effets du contrat, notamment en
ce qui concerne la translation de la propriété. Le titre
affecté d'une semblable condition n'est donc pas un titre
translatif de propriété, d'où il suit qu'il ne peut pas être
invoqué pour la prescription. Mais, objecte-t-on, pour
qu'on puisse se poser la question de savoir si le titre
sous condition suspensive peut servir de base à la prescription, il faut nécessairement supposer que la condi- ·
tion est accomplie, car autrement il n'y aurait pas de
titre, et alors, comme la condition rétroagit, ne peut-on
pas dire que l'acquéreur est devenu propriétaire au jour
du contrat et qu'il peut invoquer son titre à partir de
ce moment ? On répond que si l'acquéreur est entré en
possession avant l'arrivée de la condition, ce n'est évidemment pas en vertu de son titre, car le titre ne lui
donnait pas droit à une possession actuelle ; s'il est
entré en possession, c'est en vertu d'une convention
ultérieure qui l'obligeait éventuellement à re's tituer : il
ne peut donc pas invoquer la prescription, car il ne
possédait pas à titre de propriétaire.
4° Il faut que le titre dure pendant tout la temps
nécessaire à la prescription. Cette dernière condition ne
saurait faire l'objet d'aucune difficulté, car il est évident
que si la possession cesse d'être ce qu'elle était à l'origine, s'il survient un événement qui change le caractère
de la possession, la prescription devient impossible.
Comme la prescription dont nous traitons s'accomplit
par un laps de temps qui peut varier de dix à vingt
ans, le possesseur qui l'invoque doit justifier que
le titre sur lequel il la fonde remonte au moins dix
�-
131 -
ans en arrière. Si le possesseur produit un acte authentique, il ne saurait y avoir de contestations; mais s'il
invoque un acte sous signature privée, comme cet acte
ne fait foi de sa date qu'entre les parties, l'acquéreur ne
pourra l'opposer au tiers revendiquant qu'à partir du
jour de l'enregistrement ou de l'événement qui lui aura
donné date certaine (art. 1328, C. civ .).
SECTION DEUXIÈME
De la bonne foi
La deuxième condition qui doit se trouver clans la
pers<mne de celui qui invoque la prescription de dix à
vingt ans, c'est la bonne foi.
La b0nne foi exigée par l'article 2265 peut être définie
la juste opinion qu'a le possesseur d'avoir acquis la
propriété de l'immeuble qu'il possède : jus ta (opineo
q·uœsiti domini. Dunocl, disant que la bonne foi consiste
dans l'ignorance du droit qu'un tiers a sur la chose
qu'on prescrit, n'avait pas donné une idée assez lai:ge
de cette condition nécessaire à la prescription de dix à
vingt ans, car on peut ignorer le droit du tiers contre
lequel on prescrit et n'être cependant pas de bonne
foi. Ainsi, il n'y a pas de bonne foi de la part de celui
�132 -
qui achète contre la prohibition de la loi, quand même
il serait de bonne foi par rapport au véritable propriétaiee de la chose.
Nous établirons plus loin, quand nous traiterons des
effets de la prescription de dix à vingt ans, qu'elle a pour
objet non seulement de consolider l'acquisition faite
par un tiers, mais encore de le libérer des charges qui
grèvent l'immeuble.
Il faut donc, pour arriver à ce résultat, que le tiers
acquéreur ne connaisse pas l'existence du droit qui
grève l'immeuble. C'est ainsi qu'il a été jugé que l'adjudicataire d'une forêt soumise à un droit d'usage ne
peut opposer la prescription décennale à l'usager lorsqu'il a été fait mention du droit de celui-ci dans le
cahier des charges.
On peut résumer ainsi les conditions constitutives de
la bonne foi. Il faut : 1° ignorer qu'un autre que celui
qui vous transmet la chose en est propriétaire; 2° être
convaincu que celui qui vous la transmet avait le droit
et la capacité de l'aliéner; 3° la recevoir par un contrat
pur de fraude et de tout autre vice .
Ainsi, si l'acquéreur sait que le bien qu'il achète n'appartenait pas à son vendeur, il est de mauvaise foi ; sur
ce point il ne saurait y avoir de doute. Mais la jurisprudence est allée plus loin, et on considère l'acquéreur
comme de mauvaise foi lorsque il a su que le droit de
propriété de son auteur était judiciairement contesté au
moment du contrat; il ne peut, en ce cas, être convaincu
que le vendeur était propriétaire et qu'il l'est devenu
lui-même. On ne doit donc pas considérer comme étant
de bonne foi celui qui doute si son auteur était ou non
propriétaire de la chose vendue, avait ou non le droit
de l'aliéner; car autre chose est croire, autre chose est
�-
133 -
douter. Troplong dit que la bonne foi est une croyance
positive, une confiance entière dans le droit qu'on
exerce; le doute n'est qu'un milieu entre la bonne et la
mauvaise foi . Ce principe, quoique certain, semble avoir
été méconnu par un arrêt de la Cour de Lyon du 28
décembre 1841. Dans l'espèce, un acheteur savait que
l'immeuble acquis par lui avait été l'objet d'une donation
de la part de son vendeur, mais il soutenait que des
faits antérieurs à son contrat de vente lui avaient fait
croire que le donataire n'avait point accepté la donation :
ce donataire ne s'était pas mis en possession, il avait
repoussé une demande en aliments fondée sur l'existence
de cette donation. Il y avait peut-être là raison de douter
de l'acceptation, mais y avait-il cette justa opinio
quœsiti dominii exigée par les auteurs, cette certitude
de bonne foi requise pour prescrire? Nous ne le croyons
pas .
Lorsque l'acquéreur d'un immeuble sait qu'il n'appartenait au vendeur que pour une partie déterminée, ce
n'est qu'à l'égard de cette partie qu'il est acquéreur de
bonne foi. Mais celui qui, avant le partage d'une succession composée de plusieurs immeubles, aurait acheté
l'un d'eux d'un seul des cohéritiers, bien qu'il n'ignorât point que par l'événement du partage cet immeuble
pouvait être exclu en tout ou en partie du lot de son
vendeur, devrait être considéré comme n'ayant rien
acquis de bonne foi, et n'aurait pas de titre à la prescription. L'arrêt de la Cour de cassation qui repousse la
prescription décennale semble dire que, dans cette
-hypothèse, l'obstacle à la prescription se trouve dans
le défaut de titre de l'acquéreur auquel l'héritier n'a pu
transmettre plus de droit qu'il n'en avait lui-même. Il y
a là certainement une confusion; l'acquéreur avait un
9
•
�-
1311 -
titre, car il prétendait que son aute ur était héritier apparent, et la jurisprudence admet que l'héritier apparent
peut vendre; mais là n'était pas la question, car, n,insi
que nous l'avons dit, les circonstances de la cause prouvaient que le vendeur ne pouvait pas être considéré
comme héritier apparent, et que par conséquent la bonne
foi manquait à l'acquéreur.
Du principe que nul n'est censé ignorer la loi il suit
que l'erreur de droit exclut toujours b possession de
bonne foi. C'est ainsi qu'il a été décidé, par un arrêt de
la Cour d'Orléans du 15 juin 18'20, que l'ignorance des
vices d'un acte translatif de propriété nécessaire pour
constituer la bonne foi de celui qui possède comme propriétn,ire, ne doit pas s'entendre d'une nullité de droit JUi
vicierait cet acte.
"? Malgré la parfaite validité du titre d'acquisition, la
prescription de dix à vingt ans peut encore être rendue
impossible lorsqu'une disposition légale mettait obstacle
à l'aliénation; ainsi celui qui, dans l'ignorance de l'article 1988, aurait cru pouvoir acquérir valablement d'un
mandataire muni d'une ,procuration conçue en termes
généraux, ne prescrirait, malgré sa bonne foi réelle,
que par le laps de trente ans. De même encore les donataires ne pourraient opposer la prescription décennale
aux héritiers du donateur qui réclament la délivrance de
la légitime qui leur est due (Nancy, 6 mars 1840).
Lorsque le titre de l'auteur est vicié par une cause de
nullité ou de rescision et que l'acquéreur a connaissance
de ce vice, il ne saurait être considéré comme de bonne
foi . La question ne fait aucun doute lorsque la nullité
est absolue et d'ordre public, car le possesseur doit
s'attendre ù. être évincé ; mais en est-il de même des
nullités relatives? Nous avons déjà décidé que la nullité
•
�-
135 -
relative qui entache le titre du possesseur n'tlmp êche
pas qu'il ne constitue un juste titre; mais ici, et en ce qui
concerne la bonne foi du possesseur; nous adoptons une
opinion différente. La nullité relative rend en effet la
propriété annulable, et par cela seul que le possesseur
connaît cette cause de nullité, il ne peut plus invoquer
sa bonne foi . Ce qui est vrai de la nullité ou de la rescision, l'est aussi de la résolution qui affecte le titre de
l'auteur.
La mauvaise foi continuerait à subsister, même après
que la prescription décennale de l'article 1304 aurait
effacé, à l'égard .des parties, la cause de nullité ou de
rescision de l'acte ; cette prescription n'empêcherait
nullement !le vrai propriétaire, tant que la prescription
trentenaire ne serait pas acquise contre lui , de faire
valoir, pour évincer l'acquéreur, le défaut de bonne fo i
de celui-ci au moment de l'acquisition. Mais si la nullité
était couverte lors de la tradition par la renonciation de
la partie intéressée à s'en prévaloir, la possession de
l'acquéreur serait alors de bonne foi. Ainsi, lo"rsque l'héritier, renonçant à faire valoir quelque défaut de forme
du testament, fait délivrance de la chose léguée, le légataire devient capable de prescrire la propriété par dix
à vingt ans contre le vrai propriétaire.
L'article 2268 dispose que la bonne fo i est toujours
présumée, d'où il suit que c'est à celui qui allègue la
mauvaise foi de la prouver. II y a cependant des circonstances de fait qui, si elles ne sont point contestées, dispensent celui qui les allègue de toute autre preuve de
mauvaise foi . Ainsi, suivant un arrêt de la Cour de
Bourges (10 janvier 1826), la circonstance que dans 1a
vente d'un acquet de communauté consentie par le mari
seul après le décès de la femme, on a relaté l'acte
�-
136 -
d'acquisition des époux, a fait assez connaître à l'acquéreur la nature du fonds vendu pour qu'il ne soit point
fondé à se prévaloir' de sa bonne foi vis-à-vis des héritiers de la femme, ni, par suite, à leur opposer la prescription de dix à vingt ans. Il a été jugé en sens contraire, que la seule énonciation, dans l'acte de revente,
du titre du second vendeur, constatant que celui-ci
n'avait pas payé son prix, ne suffit pas pour constituer
le sous-acquéreur en état de mauvaise fo i. Il faudrait
encore, dit la Cour, qu'il fût prouvé que le sous-acquéreur
a réellement connu que le vendeur n'était pas payé. '
L a preuve de la mauvaise foi du possesseur est soum~se aux règles du droit commun, c'est-à-dire que la
preuve par t émoin ne sera admissible que s'il a été impossible de se procurer une preuve litt érale. Toutes les
fois que la preuve testimoniale est admise , les présomptions le sont aussi; or, comme le plus souvent il sera
difficile d'établir la mauvaise foi par témoin, c'est au moyen des présomptions que les juges établiront la mauvaise
foi du possesseur.
A quelle époque doit exister la bonne foi ainsi présumée? L'article 2269 nous dit qu'elle doit exister au moment de l'acquisition, c'est-à-dire qu'il suffit qu'elle
existe à l'origine de la possession. C'est la reproduction
de la doctrine romaine. Nous avons vu cependant que
même à Rome, et lorsque la fusta causa était à titre gratuit, la question de savoir si la bonne foi ne devait pas
persister pendant toute la durée de la possession. était
douteuse. Justinien trancha la controverse en décidant
que même lorsque la possession serait fondée sur le
titre prn donato, la bonne fo i qui n'a existé qu'à l'origine
seulement suffirait. Le droit canonique, au contraire,
plus sévère, exigeait que la bonne foi persistât pendant
�-
137 -
tout le temps de la possession, et la plupart de nos
anciennes coutumes avaient adopté ce principe.
La doctrine du Code civil, déjà critiquée par la Cour
de Bourges dans ses observations sur le projet de Code,
a été vivement blamée par la plupart des auteurs modernes. Dans la prescription de dix à vingt ans, dit-on,
le temps n'est abrégé qu'en considération du juste titre
et surtout de la bonne foi; or, si la cause cesse, l'effet
doit cesser aussi. Le manque de bonne foi lève toutes
les différences entre le porteur d'un titre et le simple
possesseur à qui la loi ne permet de prescrire que par
trente ans. Approuver la doctrine du Code civil « c'est
dire que la loi doit être plus indulgente que la morale,
dit M. Laurent (t. 32, n° 416). Cela est vrai en ce sens
que la loi ne peut pas toujours condamner ce que la
morale condamne; mais quand elle établit un principe
sur le fondement de la morale, elle doit être conséquente
et séyère jusqu'au bout. Nous ne concevons pas que le
législateur soit moral au début de la prescription et
qu'il soit immoral ~nsuite; car c'est être immoral que
d'autoriser une prescription fondée sur la bonne foi,
alors que le possesseur n'est pas de bonne foi. Le législateur ne doit jamais favoriser la mauvaise foi. »
On ne saurait contester que le système adopté par le
Code civil ne présente quelque inconséquence, mais nous
sommes loin de souscrire à la sévère appréciation du
savant professeur belge, et d'admettre avec lui que la
loi fait preuve ici d'immoralité. Il nous semble au contraire que l'indulgence de la loi est pleinement justifiable
et cela pour plusieurs motifs. Personne n'ignore, en effet,
les difficultés inextricables et les contestations nombreuses auxquelles la doctrine du droit canonique avait
donné lieu. Lorsque le propriétaire exerce son action
�- 138 en revendication contre le possesseur qui lui oppose la
prescription de dix ans, nous avons vu qu'il doit faire la
preuve de la mauvaise foi de ce dernier au moment de
son entrée en possession, et que cette preuve il ne peut
la trouver le plus souvent que dans des présomptions
livrées entièrement à l'appréciation des juges . Si cette
preuve est déjà pleine d'incertitude et d'arbitraire
lorsqu'il s'agit cependant d'établir que la mauvaise foi
existait à un moment déterminé, combien plus d'incertitude et d'arbitraire ne doit-elle pas présenter lorsqu'il
s'agit de démontrer que pendant une période qui varie
entre dix et vingt ans, la bonne foi du possesseur a pu
être un moment suspectée. Peut-on s'étonner alors que le
législateur ait voulu mettre un terme à ces contestations
fâcheuses, et peut-on l'accuser d'immoralité pour avoir
voulu tarir la source de procès si dangereux pour l'honnêteté des parties? Car si la morale publique souffre de
voir ·un possesseur conserver une chose qu'il sait appartenir à autrui, ne souffre-t-elle pas davantage de voir
le propriétaire chercher à faire la preuve d'une immoralité que le plus souvent il ne pourra pas établir ?
En second lieu, et quoiqu'il soit contraire à la conscience de ile pas restituer le bien d'autrui qu'on possède
sciemment, cette faveur que la loi accorde à celui qui
a perdu la bonne foi qu'il avait à l'origine de sa possession, n'est pas sans fondement, et la distinction faite
entre celui qui dès son acquisition était de mauvaise foi
et celui qui, de bonne foi à l'origine, n'a connu que plus
tard le droit d' un tiers sur la chose qu'il possède, n'est
pas sans raison d'être. Le premier a commis un acte
coupable que rien n'excuse et qui ne mérite aucune indulgence; si le législateur consolide la mauvaise foi
après trente ans, on peut dire que c'est par nécessité,
�-
139 -
•
et pour rie pas éteruiser l'incertitude des possessions .
Le second, au contraire, est dans une situation toute
différente et qui certainement mérite quelque faveur. En
même temps qu'il acquérait la possession, il a cru qu'il
devenait propriétaire et s'est conduit en conséquence ;
il a cultivé et amélioré la chose ainsi reçue, il y a peutêtre incorporé des capitaux considérables; dans tous
les cas, il en a payé le prix à son auteur, et ce dernier
?St-il peÛt-ètre déjà insolvable au moment où il s'aperçoit que, n'étant pas propriétaire, il n'a pu lui transférer
ce qu'il n'avait pas. Sans doute, si ce possesseur est
d'une honnêteté parfaite, il préférera restituer la chose
à son pr9priétaü;e, au risque bien souvent de consommer
sa propre ruine; mais on ne saurait reprocher au législateur de ne lui avoir pas imposé cette dure nécessité,
d'autant plus que, si le plus souvent le possesseur n'a
aucune faute à se reprocher, il n'en est pas de même du
propriétaire négligent qui a abandonné sa chose pendant
de longues années.
Quelle que soit la valeur de ces considérations, il
nous semble que le législateur aurait pu se soustraire
aux reproches que nous avons vu lui adresser les jurisconsultes modernes, en consacrant la distinction admise
à Rome entre les aliénations à titre gratuit et les aliénations à titre onéreux, distinction supprimée bie·n à tort,
selon nous, par Justinien. Si après avoir payé un immeuble dont je me crois devenu le propriétaire, je ne
pouvais opposer la prescription de dix à vingt ans à
celui qui le revendique plus tard, en se fondant sur ce
que mon auteur n'en avait pas la propriété, j'éprouverais
un préjudice considérable, préjudice que ne saurait justifier l'intérêt d'un propriétaire négligent. Au contraire,
si le possesseur est un donatafre, la situation est toute
•
�-
140 -
différente. Quelle que soit la négligence du propriétaire,
elle ne saurait devenir une cause de gain pour le possesseur qui certat de lucro captando.
L'application de ce principe qu'il suffit que la bonne
foi ait existé lors de l'acquisition du tiers détenteur pour
qu'il puisse se prévaloir de la prescription de dix à vingt
ans, a donné lieu à une question intéressante. On sait
que lorsque la prescription est interrompue, à dater de
l'interruption elle reprend son cours et dans les mêmes
conditions que celles qui existaient antérieurement. Mais
si la prescription de dix à vingt ans a été interrompue
par un acte par lequel on revendique le droit de propriétaire, la prescription qui recommencera peut-elle
être celle de dix à vingt ans ? Troplong soutient la né·
gative (Prescript. t. II, n°688). La prescription qui recommence, dit-il, ne peut être que la prescription trente- ,
naire, car là où manque la bonne foi, la prescription décennale est impossible. Un arrêt du 2 avril 1845 a cependant jugé en sens contraire, en se fondant sur ce que
l'interruption rend seulement inefficace la possession
•
antérieure sans affecter le titre duquel elle procède.
Ce même principe qu'il suffit que la bonne foi ait
existé au commencement de la possession, a soulevé une
difficulté par rapport au successeur particulier. Lorsqu'il
s'agit d'un successeur universel, comme sa possession
n'est que la continuation de celle de son auteur, il
prescrit par dix ou vingt ans, malgré sa mauvaise foi
personnelle, pourvu que la possession du défunt ait été
de bonne foi à l'origine. La solution doit-elle être la
même lorsque le défunt, ayant été de bonne foi, le successeur particulier est de mauvaise foi? Celui-ci peut-il
invoquer la prescription décennale ? Troplong admet
cette solution ; il veut que le successeur particulier qui
•
�- 141 est de mauvaise foi puisse toujours tirer de la possession
de bonne foi de son auteur le même avantage qu'un successeur universel ; et la raison qu'il en donne, c'est
qu'aux termes de l'article 2269, il suffit que la bonne foi
·ait existé au commencement de la possession. Cela nous
paraît être une erreur. Sans doute il suffit que la bonne
foi ait existé au début de la possession, et tant qu'il n'y
aura qu'une seule possession, la mauvaise foi, survenant
au cours de cette possession unique, sera insignifiante.
Mais lorsqu'en droit comme en fait les possessions sont
multiples, n'est-il pas vrai de dire que chacune de ces
possessions, pour être efficace, doit réunir les conditions
exigées par la loi ? Si donc le successeur particulier est
de mauvaise foi au début de la possession, il ne pourra
pas invoquer la prescription décennale, malgré la bonne
fo i de son· auteur, parce que sa possession est distincte
de celle de son auteur. Troplong dit vainement que,
puisque la mauvaise foi du successeur universel est indifférente pour la prescription décennale, il doit en être de
même de celle du successeur particulier, et qu'on ne
saurait donner une bonne raison de cette différence.
Cette raison se trouve précisément dans ce principe
développé par M. Troplong lui-même, que pour le successeur universel il n'y a qu'une seule possession, tandis
que pour le successeur particulier il y a deux possessions distinctes. Puisqu'il y a deux possessions, et par
conséquent deux commencements de possession, il faut
qu'il y ait deux fois existence de la bonne foi. Si d'ailleurs le système de M. Troplong, sur le successeur particulier, était adopté, il en résulterait cette conséquence
qu'il n'y aurait plus aucune différence entre celui qui,
de bonne foi à l'origine, n'a connu que plus tard le droit
du propriétaire, et celui qui a été de mauvaise foi dès le
�-
142 -
début de sa possession. Or, cette solution aurait dû
être encore plus inadmissible pour M. Troplong que
pour tout autre, car nous savons que ce savant magistrat ne se contente pas de trouver indulgente la disposition de l'article 2269, qui absout un possesseur de sa ·
mauvaise fo i postérieure à raison de sa bonne fo i originaire; il déclare qu'elle est en opposition avec la morale;
or, si dans le cas d'un possesseur plus malheureux que
coupable cette indulgence est une immoralité, que seraitelle donc dans le second cas ?
L'article 2269 nous dit que la bonne foi du possesseur
doit exister « au moment de l'acquisition ii; que faut-il
entendre par ces mots? Dans notre droit actuel, quand il
s'agit d'actes entre vifs, le moment de l'acquisition est
certainement celui du contrat; le concours des volontés
suffit en effet à transférer la propriété : c'est donc à ce
moment que se réalise l'acquisition et que l'acquéreur
doit par conséquent être de bonne foi. Il faut cependant
remarquer que cette façon de s'exprimer << au moment
de l'acquisition >i, a quelque chose de défectueux et
d'impropre dans l'article 2269 . La prescription, supposant en effet que l'aliénateu r n' est pas propriétaire, le
contrat ne saurait avoir pour effet la réalisation d'une
acqu isition. La bonne foi doit donc exister, non pas au
moment de l'acquisition, puisqu'il n'y en a pas, mais au
moment où se serait réalisée l'acquisition si le transmettant eût été propriétaire de la chose qui fait l'obj et
du contrat. C'est donc dans un sens conditionnel que le
mot acquisition est employé dans l'article :2269, et cette
même idée se retrouve dans la rédaction de l'article 2265,
où l'on lit : « celui qui acquiert >i au lieu de « celui qui
aurait [tCquis ,, ,
En ce qui concerne le legs , comme b propriété se
�-
143 -
transfère par l'effet du testament, et que le testament
produit son effet à l'ouverture de la succession, il nous
semble que c'.e st à ce moment que doit exister la bonne
foi . On objecte que l'acquisition ne se consomme d'une
manière définitive que par l'acceptation du legs, d'où
suivrait que c'est lors de l'acceptation que le légataire
doit être de bonne foi. Cette raison n'est pas déterminante ; la loi dit, en effet (ârl;. 711), que la propriété s'acquiert par donation testamentaire; c'est donc au décès
du testateur que le légataire devient propriétaire. Sans
doute son droit n'est pas définitif, mais s'il accepte le
legs, son acceptation rétroagira au jour de l'ouverture
de la succession; ce qui prouve bien que l'acceptation
n'est exigée que pour confirmer son droit et non pour le
faire naître.
Il est un auteur, M.. Delvincourt, qui admettait bien
comme nous qu'il suffit que la bonne fo i ait existé au
moment de l'acquisition; sous ce rapport, le texte de ln.
loi est trop formel pour pouvoir soutenir le contraire ;
mais, considérant que si la propriété peut s'acquérir
cmimo solo, il n'en est pas de même de la possession, qui
ne peut s'acquérir que CM'JJOre et a1n/imo, il décidait que,
conformément aux anciens principes, la prescription ne
commençait à courir qu'à partir de la tradition de la
chose . La réponse est fac ile : l'article 2228 nous dit, en
effet, que la possession est la détention d'une chose que
nous tenons par nous-mêmes ou qu'un autre tient en
notrn nom ; or, lorsque le vendeur cesse d'être propriétaire, il ne possède plus, il détient seulement poue l'acheteur, quand même les titres de propriété ou las clés des
bâtiments vendus n'auraient pas été remis à l'acheteur.
Ajoutons, d'ailleurs, que la question ne présente d'intérêt que lorsque le vendeur n'étant pas de bonne foi,
�-
144 -
ne prescrivait pas par dix ou vingt ans; car, autrement,
l'acheteur pouvant joindre à sa possession la sienne
propre, il deviendrait indifférent que le temps écoulé
entre le contrat et la délivrance de la chose fit partie de
la première ou de la seconde possession.
SECTION TROISIÈME
De la durée de la possession
Ainsi que nous le faisions remarquer plus haut, le
temps pendant lequel doit durer la possession du détenteur est, non pas un délai préfix de dix ou vingt ans,
mais un délai qui peut varier de dix à vingt ans, suivant la présence ou l'absence du propriétaire. Cette distinction établie dans la durée de la possession, suivant
que le propriétaire est réputé présent ou absent, fut critiquée par la Cour de cassation lors de la communication du projet du Code civil aux cours et tribunaux.
Le motif sur lequel s'appuyait cette Cour était que cette
distinction n'avait plus de raison d'être, étant donnée la
grande faci lité de communications qui ne permet plus de
supposer qu'il est trop difficile de veiller à ses biens
quand on n'est pas dans le ressort de la mème cour
d'appel. La Cour de Lyon fit une observation semblable,
�- 145 et celle de Paris proposa de fixer à quinze ans le délai
de la prescription avec titre et bonne foi, sans avoir
égard à la présence ou à l'absence des parties.
Quoiqu'il en soit, cette distinction a été maintenue par
le Code; seulement, le sens dans lequel on doit entendre
ces mots présent et absent est tout autre que celui dans
lequel on les entendait en droit romain. D'après le droit
romain, suivi à peu près universellement dans notre
ancien droit, la prescription était réputée courir entre
présents lorsque celui qui prescrivait et celui contre
lequel on prescrivait avaient leur domicile dans une
même circonscription déterminée ; on ne se préoccupait
pas de savoir en quel lieu était situé l'immeuble qui
faisait l'objet de la prescription. La présence ou l'absence était donc une relation du propriétaire au possesseur, et non du propriétaire à l'immeuble . Il n'y avait
qu'une seule coutume, celle de Sedan (art . 313), où l'on
eùt égard à la distance qui séparait l'immeuble possédé du domicile des parties. Cette disposition isolée
est devenue la règle de l'article 2265. Il n'y a plus à ·
s'occuper du domicile du possesseur, mais seulement
de la situation de l'immeuble possédé, et c'est par rapport à cet immeuble qu~ le propriétaire est réputé
présent où absent, suivant qu'il a ou non son domicile
dans le ressort de la cour où l'immeuble est situé.
Il est hors de duute que cette innovation du Code civil
constitue une amélioration sensible de l'ancien droit, qui
n'avait pas assez considéré que le présence des individus
dans un même lieu ne leur apprend rien sur la possession et l'usurpation d'un immeuble qui est peut-ê_tre situé
bien loin de l' endroit où ils habite~t. Voici, d'ailleurs,
quel fut le langage de l'orateur du gouvernement pour
justi:füer cette innovation : <c Le but que l'on se propose
�-
146 -
est de donne r à celui qui possède une plus grande faveur
à raison de la négligence du propriétaire, et cette faute
est considérée comme plus grande s'il est pr ésent. Mais
ceux qui ne se sont attachés qu'à la présence du propriétaire et du possesseur dans le même lieu ou clans un lieu
voisin, n'ont pas songé que les actes possessoires se
font sur l'héritage même. C'est clone par la distance à
laquelle le propriétaire se trouve de l'héritage qu'il est
plus ou moins à portée de se maintenir en possession ;
il ne saurait, le plus souvent, retirer aucune instruction
du voisinage du nouveau possesseur. Ces lois ont été
faites clans les temps où l'usage le plus général était
que chacun vécût auprès de ses propriétés. Cette règle
a dû changer avec nos mœurs, et le vœu de la loi sera
rempli en ne regardant le véritable propriétaire comme
présent que lorsqu'il habitera dans le ressort du tribunal
d'appel où l'immeuble est situé . ''
Nous avons dit que la disposition de l'article 2265 a
été empruntée par les rédacteurs du Code civil à la
coutume de Sedan. Il est à regretter qu'après avoir
admis avec raison le principe qui consiste à rega rder le
propriétaire comme plus ou moins négligent, suivant
qu'il est plus ou mo ins éloigné de sa propriété possédée
par un tiers, ils n'aient pas appliqué toutes Tes conséquences de ce principe en établissant d'une manière
invariable, comme le faisait l'article 313 de la coutume
précédemment nommée, la distance ù laquelle il est
réputé absent. Au lieu de cela, ils se sont arrêtés au fait
de son habitation dans le même ressort que celui où est
situé l'immeuble, sans r emarquer qu'avec une semblable
règle il peut arriv~r que le propriétaire soit réputé
absent, alors cependant que l'immeuble est situé à
quelques pas de sa maison, t andis qu'il peut être réputé
\.
�-
147 -
présent bien qu'il en soit séparé par une distance de
plus de quarante lieues .
L'article 2266 a pour objet de régler le cas où le véritable propriétaire a eu son domicile, en différents temps,
hors du ressort et dans le ressort : « Si le véritable propriétaire a eu son domicile, en différents temps, hors
du res sort et dans le resso rt, il faut, pour compléter la
prescription, ajouter à ce qui manque aux dix ans de
présence un nombre d'années d'absence double de celui
qui manque pour compléter les dix ans d'absence. n Bien
que jamais aucune difficulté ne se soit élevée sur l'interprétation à donner à cet arlicle, il faut convenir
néanmo ins que b rédaction en est défectueuse . En supposant avec la loi que le propriétaire a été successivement présent et absent dans le sens légal du mot, le
nombre d'années d'absence double, nécessaire pour compléter la prescrip tion, doit être ajouté, non pas à ce qui
manque aux années de présence, mais bien aux années
de présence déjà accomp lies.
La question s'est posée de savoir si la distinction que
la loi fait entre les présents et les absents était applicable
à l'Etat. L'affirmative a été soutenue et on a prétendu
que l'Etat devait être réputé présent là où siège le gouvernement, et absent ailleurs. Nous ne croyons pas qu'il
soit nécessaire d'insister beaucoup pour prouvel' que
partout 011 prescrit pour dix ans contee l'Etat ; en effet,
l'Etat est présent partout, car partout il a des agents
chargés de veiller à ses in térêts .
Après avoir ainsi indiqué quelle est la durée que doit
avoir la possession, nous ne nous arrêterons pas à examiner les règles . ur la manière ds la calculer, car ces
règles ne sont pas spécüiles à la prescription décennale
et sont, au contraire, communes à toute espèce de pres-
�- 148 cription. Nous nous demanderons seulement dans quel
sens la loi a entendu la présence ou l'absence du propriétaire, en d'autres termes, si on doit s'attacher a son
domicile de droit ou simplement à sa résidence, son
domicile de fait.
Disons tout d'abord qu'au point de vue des textes,
cette question qui a divisé la jurisprudence et la doctrine
est indécise. En effet, l'article 2265 commence par dire :
« si le véritable propriétaire habite dans le ressort, '' ce
qui indique la résidence de fait; puis, prévoyant l'absence,
il continue : << s'il est domicilié hors dudit ressort, » ce
qui, évidemment, doit s'entendre du domicile de droit.
Lorsque nous avons étudié la prescription décennale
clans l'ancien droit français, nous avons vu que Pothier
décidait d'une façon formelle que la présence du propriétaire devait s'entendre du domicile de fait, de la
résidence, et non pas du domicile de droit. Or, si on
considère que ln. décision de. Pothier est en harmonie
parfaite avec l'esprit de la loi et avec les travaux préparatoires, il nous semble qu'aujourd'hui encore, et bien
que la présence du propriétaire ait une signification
autre que dans notre ancien droit, on doit l'entendre
toujours du domicile de fait, de la présence effective du
propriétaire. Mais ce qui, d'après nous, doit surtout décider la question, ce sont les considérations dont s'est
inspiré le législateur en cette matière, considérations
que nous indiquions plus haut en rapportant les paroles
mêmes de l'orateur du gouvernement. Le législateur a
pensé avec raison que cette circonstance que le propriétaire et le possesseur habitent dans le même ressort,
était sans importance au point de vue de. savoir si un
immeuble avait été l'objet d'une usurp ation, parce que
l'immeuble pouvait être situé bien loin de là. Il a cru'
�-
149 -
que le propriétaire serait plus facilement informé des
faits de possession lorsqu'il habiterait dans le voisinage
de son domaine, et c'est pour cela que, dans cette
hypothèse, il a décidé que la prescription s'accomplirait
contre lui par dix ans . Dans l'opinion contraire, et en
rattachant la présence au domicile légal, ·ces considérations n'auraient plus aucune valeur, car une personne
peut avoir son domicile dans un lieu où elle n'a jamais
résidé et où par conséquent il lui est impossible d'exercer
une surveillance quelconque.
Quelques auteurs, et parmi eux M. Troplong, ont
pensé au contraire que la présence ou l'absence du propriétaire étaient uniquement déterminées par son domicile de droit; et le principal argument sur lequel ils
se sont fondés est tiré de l'embarras considérable que
susciterait l'application de l'article 2266, si la loi eftt
voulu qu'on tînt compte de toutes les allées et venues,
de tous les déplacements du propriétaire. Nous y répondrons en faisant remarquer que le domicile de droit a
aussi ses inconvénien,ts à raison de la difficulté qu'il y
a souvent à le déterminer; que, d'ailleurs, des déplacements momentanés ne suffisent pas pour changer la résidence, l'habitation de fait . On a aussi invoqué l'esprit
général de notre législation sur le domicile, et cette
idée que pour le règlement des rapports juridiques dans
lesquels une personne peut se:trouver avec une autre
elle est toujours censée présente au lieu de son domicile
(Aubry et Rau, t. 11, p. 136, note 38, § 218). Nous
répondrons, avec M. Laurent, que c'est donner aux principes une prépondérance sur la réalité des choses; que
les principes sont faits pour les hommes et non les
hommes pour les principes. Qu'importe. que le domicile
de droit soit la règle générale ? Cette règle peut et doit
10
�-
150 -
recevoir des exceptions· quand c'est l'habitation plutôt
·que le domicile de droit qui doit être prise en considération. Quand les principes conduisent à des conséquences absurdes, le législateur fait bien de laisser là les
principes et de tenir compte de la réalité des choses .
Lorsque la possession s'exerce sur une chose appartenant à deux propriétaires par indivis, dont l'un demeure
dans le ressort où l'immeuble est situé, et l'autre dans
un autre ressort, le possesseur acquiert par dix ans la
part du propriétaire présent; mais il lui faut vingt ans
de possession pour acquérir la part de l'autre. Si la
chose était indivisible, la prescription ne pourrait s'accomplir que par vingt ans.
CHAPITRE II
Des conditions relatives à 1a chose
La prescription de dix à vingt ans, quoique constituant
une dérogation au principe formulé par l'article 2262, qui
consacre la prescription trentenaire, n'en est pas moins
soumise aux règles générales sur la prescription:Nous
ne nous arrêterons pas néanmoins à examiner les caractères généraux qui rendent les choses susceptibles de
prescription, car notre étude a uniquement pour objet
les règles partï"culières à la prescription décennale.
�-
15'1 -
Mais par cela même qu e les règles de la prescription
de dix à vingt ans sont des règles exceptionnelles , elles
ne doivent pas être étendues , et nous en concluerons
t out de S\Üte que, l'article 2265 ne parlant que des
immeubles ip.dividuellement déterminés, les universalités
de biens irrimobiliers se trouvent par là exclues de cette
prescription pri vilégiée .
Ainsi, en général, et conformément au principe de
l'article 2226, tout immeuble qui est dans le commerce
peut être l'obj et de la prescription décennale. Une
exception qui mérite d' être mentionnée comme fait historique a été apportée cependant à cette règle générale
par une loi du 12 m, · 1871. L'article premier de cette loi,
r endue à la suite des funes tes excès commis à P aris sous
la commune, est ainsi conçu : << sont d éc~ ar és inaliénables, jusqu'à leur retour aux mains du propriétaire,
to us les biens meubles et immeubles de l'Etat, du département de la Seine, de la ville de P aris et des communes
suburb aines , des établissements publics , des églises ,
des fabriques, des sociétés civiles, commerciales ou
savantes, des corporations, des communautés , des particuliers, qui auraient été soustraits, saisis , mis sous
sequestre, ou détenus d'une manière quelconque, depuis
le 18 mars 1871 , au nom ou par les ordres d'un prétendu
Comité central, comité du Salut public, d'une soit-disant
commune de P aris ou de tout autre pouvoir insurrectionnel, par leurs agents, par toute personne s'autorisant
de ces ordres, ou par tout autre individu ayant agi
même sans ordre à la faveur de la sédition. ii L'article
second de la loi consacre la conséquence qui résulte
de 'l'inaliénabilité proclamée par l'article premier : « Les
aliénations frapp ées de nullité ne pourront, pour les
immeubles, servir de base à la prescription de dix à
�- 152 vingt ans, et pour les meubles donner lieu à l'application des articles 2279 et 2280 du Code civil. Les biens
aliénés pourront être revendiqués, sans aucune condition
d'indemnité et contre tous détenteurs, pendant trente
ans à partir de la cessation officiellement constatée de
•
l'insurrection de Paris. »
J-usqu'ici nous avons considéré la prescription de dix
à vingt ans comme s'appliquant à la pleine propriété
d'un immeuble; il faut se demander maintenant si elle
peut s'appliquer aussi au simple démembrement de la propriété d'autrui à l'effet de le faire acquérir. La base de la
prescription acquisitive se trouvant dans la possession,
il faut nécessairement supposer que. ce démembrement
est susceptible de possession. L'usufruit se présente en
première ligne.
La prescription décennale s'applique-t-elle à l'usufruit?
Cette question ne saurait faire l'objet d'aucune difficulté.
En effet, l'article 526 range l'usufruit dans la catégorie
des immeubles, et l'article 2118 nous dit qu'il peut servir
de base à l'hypothèque ; il se trouve donc nécessairement comp ris dans la formule générale employée par le
législateur dans l'article 2265, et il faut en conclure que
la jouissance à titre d'usufruitier, fondée sur un titre
émané du propriétaire apparent, fera prescrire l'usufruit
contre le véritable propriétaire après un délai de dix ou
vingt ans.
Quant aux droits d'usage et d'habitation, nous croyons
que leur quali té d'immeubles les fait aussi tomber sous
l'application de l'article 2265. La loi , il est vrai, ne les a
pas rangés, dans l'article 526, parmi les droits immobiliers, mais puisque l'usage n'est en réalité qu'un
usufruit restreint, il nous semble que lorsque son objet
�-
153 -
est immobilier, i\ doit être, comme ce dernier, rangé
dans la catégorie des ifomeubles .
La ques tion de savoir si la presc ription de dix à vingt
ans s'applique aux servitudes présente beaucoup plus de
difficultés ; nous ne voulons, bien entendu , parler que
des servitudes continues et apparentes , car ce sont les
seules qui soient susceptibles d'être acquises par la prescription. M. Troplong pense qu'il y a analogie parfaite
entre les servitudes et l'usufruit; que comme lui elles
sont immeubles par l'obj et auquel elles s'appliquent, et
que par conséquent elles ne sauraient échapper à la
disposition de l'article 2265. Cherchera-t-on à se prévaloir de l'article 690 pour dire que la loi exclut toute
autre prescription que celle de trente ans ? Ce serait une
erreur. L'article 690 ne parle que de la prescription qui
s'appuie sur la seule possession, il ne s'occupe pas de la
prescription avec titre : le L es servitudes continues et
apparentes s'acquièrent par titre, ou par la possession
de trente ans. ii Dans ce dernier membre de phrase , la
po ssession es t séparée du titre, par conséquent il est
naturel qu'elle ne conduise à la prescription que par le
délai de trente ans.
L es partisans de cette opinion invoquent ensuite la
t radition. Sous l'empire des coutumes où l'on suivait la
maxime (( nulle servitude sans titre ii, et où par conséquent on n'admettait pas la prescrip tion trentenaire, on
reconnaissait cependant la prescription décennale fond ée
sur un titre qui n' émanait pas du véritable propriétaire.
Or, il n'est pas vraisemblable, dit-on, que les r édacteurs
du Code civil, qui ont consacré la prescripti on de trente
ans repoussée par les coutumes , n'aient pas admis, à
l'égard des servitudes, la prescription de dix ans fond ée
�-
154 -
sur un titre, prescription admise par les coutumes ellesmêmes. Si dans l'article 690 il· n'est parlé que de la
prescription de trente ans, c'est que cette prescription
constitue elle seule une innovation ; la prescription décennale se trouvant déjà autorisée par les coutumes, le
Code n'avait pas à en parler.
Nous ne suivrons pas cette doctrine. Nous croyons
au contraire que la prescription de dix à vingt ans ne
s'applique pas aux servitudes, et qu'en cette matière,
l'article 690 est la seule règle à suivre ; en d'autres termes, que malgré le juste titre et la bonne foi, il faut une
possession de trente ans pour acquérir les servitudes
par la prescription. L'argument qui nous paraît décisif
est celui que l'on tire du rapprochement des articles 690
et 2264 . L'article 2264, qui se trouve clans le chapitre V,
intitulé : Du temps requis pour prescrire, dit que les
règles de la prescription sur d'autres objets que ceux
mentionnés dans le titre de la prescription, sont expliquées dans les titres qui leur sont propres. Or, dans le
titre consacré aux servitudes, on trouve une disposition
spéciale concernant la prescription; c'est l'article 690,
qui exige une prescription de trente ans pour l'acquisition d'une servitude par prescription ; la prescription
décennale se trouve par cela même exclue .
On nous objecte, avons nous vu, que l'article 690
contient deux dispositions distinctes, l'une réglant l'acquisition des servitudes en vertu d'un titre émanant du
véritable propriétaire, l'autre s'occupant des servitudes
basées uniquement sur la possession séparée du titre
coloré; que convertir en une disposition limitative les
termes évidemment énonciatifs de l'article 690, et transporter dans son texte la formule restrictive qùi n'est
écrite que dans l'article 691, c'est changer la loi et la
�-
155 -
refaire à son idée. Il nous semble que ce reproche se
retourne contre ceux qui nous l'adressent, car ils méconnaissent la généralité absolue du t exte et introduisent une distinction que ses termes et son esprit repoussent également.
Sans doute, dans nos anciennes coutumes on admettait
l'acquisition des se rvitudes par la prescription de dix à
vingt ans en vertu d'un titre color é, mais c'était là un
temp érament à la rigueur extrême de la maxime généralement suivie « nulle servitude sans titre. » L e Code,
en décidant que les servitudes peuvent s'acquérir ·par
une prescription de trente ans, n'est pas venu compléter
la th éorie admise par les coutumes ; il a créé un sys tème
nouveau qui se suffit à lui-mêI)le, et rien n'est plus facile
que de le justifier lorsqu'il exige pour les servitudes
une possession de trente ans. L a possession d'une servitude es t moins caract érisée que celle de la propriét é
ou de l'usufruit ; elle n'éveille pas au même degré
l'attention du propriétaire, elle est donc plus à redouter.
S'il est juste que le législateur ait refus é l'action en
revendication au propriétaire après un délai qui varie
entre dix et vingt ans, on s'étonnerait qu'il en eût décidé
de même en matière de servitude.
Nous avons dit que la prescription de l'article 2265 est
une prescription exceptionnelle ; elle ne saurait donc
être étendue ; il faudrait pour cela un texte précis, et
ce texte n'existe pas . On a dit enfin que, dans notre
sys tème, on ne fait aucune distinction entre le possesseur de bonne foi qui s'appuie sur un titre et celui qui
n'a ni titre ni bonne fo i; que, pour l'un comme pour
l'autre, le délai est le même, ce qui est une grave inconséquence.
· - Nous répondons à cela, qu'en mati ère de prescription,
�-
156 -
la loi, avant de prononcer la déchéance des droits du
propriétaire, ne s'est pas uniquement préoccupée de la
condition du possesseur. Sans doute le législateur a
voulu que, dans l'intérêt de ce dernier, la possession ne
restât pas longtemps incertaine, mais il a vu aussi dans
la prescription un moyen de punir le propriétaire qu'il
considère comme ayant fait une abdication de son droit.
C'est en s'inspirant de cette dernière idée qu'on a fait
varier la durée de la prescription entre dix et vingt ans,
suivant que le propriétaire avait plus ou moins de facilité
pour connaître l'usurpation dont il avait été la victime.
Si le Code s'est occupé de l'intérêt du possesseur en
abrégeant, dans certains cas, le délai de la prescription,
il tient compte avant tout des droits contre lesquels on
prescrit, et c'est ainsi que nous voyons, dans l'article
2180, que la prescription ne court contre les créanciers
hypothécaires qu'à partir de la transcription de l'acte
d'acquisition. Si la loi n'avait tenu compte que de l'intérêt du possesseur, elle aurait fait courir le délai de
l'affranchissement de l'hypothèque du jour de la prise
de possession ; mais comme elle a pensé que les créanciers ne seraient pas suffisamment avertis du changement
qui s'est produit dans la propriété de l'immeuble, elle a
exigé la transcription pour les en prévenir. Nous avons
suffisamment indiqué déjà que l'exercice d'une servitude
sur son immeuble était un événement qui ne devait pas
frapper l'attention du propriétaire comme la perte de la
possession, et c'est là certainement le motif qui a déterminé le législateur à garantir le propriétaire, non pas
pendant dix ans, mais dans tous les cas pendant trente
ans.
Après avoir recherché si les droits réels qui constituent des démembrements de la propriété, tels que l'usu-
�- 157 fruit et les servitudes, peuvent faire l'objet de la prescription de dix à vingt ans, il nous reste à parler de
l'emphitéose. Le Code ne dit rien de l'emphitéose, il
ne la mentionne pas parmi les droits réels qui sont
énumérés dans l'article 543, ni parmi les droits immobiliers qui sont susceptibles d'hypothèque. De là des doutes sérieux sur la question de savoir si l'emphitéose
existe encore en droit français à titre de droit réel
immobilier. Nous n'avons pas à entrer dans l'examen
de cette question, mais avoir constaté après que la
jurisprudence s'est décidée pour le maintien de l'emphitéose comme droit réel immobilier, il nous reste à
nous demander si ce droit peut faire l'objet de la prescription de l'article 2265.
La question ainsi posée ne nous paraît pas douteuse,
et la solution affirmative doit nécessairement découler
des principes généraux admis en matière de prescription. La propriété s'acquiert par la prescription, ainsi
que les démembrements de la propriété ; pourquoi n'en
serait-il pas de même de l'emphitéose? L'argument a
d'autant plus de force, que d'après les articles 711 et
2219 la prescription est un moyen général d'acquérir ;
peut-il y avoir une exception pour l'emphitéose sans un
texte qui la consacre ? Quant aux motifs qui nous ont
fait repousser la prescription décennale pour l'acquisition des servitudes, ils ne sauraient être invoqués dans
la matière qui nous occupe, car la possession de l'emphitéose est aussi caractérisée que celle de l'usufruit.
Celui qui a passé avec une personne qu'il croyait propriétaire de l'immeuble, ce que dans l'usage on appelle
un bail emphitéotique, pourra donc invoquer l'article
2265, si d'ailleurs les autres conditions exigées par cet
article se trouvent réunies.
�-
158 -
Nous allons indiquer maintenant en quelques mots
pourquoi l'hypothèque, à la différence des autres droits
réels, n'est pas susceptible de faire l'objet de la prescription de l'article 2265. La raison en est bien simple,
c'est que l'hypothèque n'est pas susceptible de possession, et nous savons que la possession est la base de
toute prescription acquisitive. Ce qui prouve que l'inscription hypothécaire ne constitue pas une possession de
l'hypothèque pour le créancier, c'est que l'article 2180
nous dit que les inscriptions ·prises par le créancier n'interrompent pas le cours de la prescription établie par la
loi en faveur du débiteur ou du tiers détenteur. Ainsi, si
l'on suppose que celui qui se prétend propriétaire d'un
immeuble, consent à un tiers de bonne foi une hypothèque sur cet immeuble, celui-ci, malgré l'inscription
régulièrement prise et conservée pendant dix, quinze ou
vingt ans, n'aura jamais acquis l'hypothèque ainsi consentie a non dornino, et lorsque le propriétaire aura
exercé son action en revendication contre le possesseur,
le créancier hypothécaire ne pourra pas lui opposer son
droit réel malgré la date ancienne de son inscription,
car, nous le répétons, l'inscription ne constitue pas une
possession du droit.
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159 -
CHAPITRE
III
Des effets de la prescriptiôn de dix à vingt ans
Les effets de la prescription de dix à vingt ans sont
réglés par l'article 2265, qui nous dit que celui qui acquiert de bonne foi et par un juste titre un immeuble, en
prescrit la propriété. Par là, il faut entendre la propriété pleine et entière, de telle sorte que si l'immeuble
était grevé de charges r éelles consenties par le précédent propriétaire, l'acquéreur qui l'a possédé comme
libre de toute charge aura prescrit contre ces droits
réels et aura acquis une propriété non démembrée. Cette
doctrine est parfaitement conforme à la logique, car on
ne conçoit pas qu'une possession, considérée comme
suffisante pour acquérir la propriété, puisse être insuffisante lorsqu'il s'agit d'acquérir les démembrements de
la propriété.
Nous devons constater cependant que cette question
n'est pas aussi ~imple qu'elle peut le paraître au premier
abo rd; qu'elle a été, au contraire, l'objet de longues
discussions, et que la Cour de cassation s'est prononcée
souvent contre la doctrine que nous avons adoptée('! ).
Disons tout d'abord que le motif principal sur lequel on
(1) C. Cass., 20 décembre 1836; 31 décembre 1845; 14 novemhre 1853.
�-
160 -
se base est que, prescrire les charges qui grèvent un
immeuble, c'est se libérer, et que la prescription libératoire ou extinctive est de trente ans.
Nous allons exposer maintenant les motifs qui nous ·
ont déterminé à croire que celui qui a acquis par juste
titre et de bonne foi, comme franc de toute charge, un
immeuble grevé en réalité de servitudes et qui le possède
libre pendant dix à vingt ans, acquiert la franchise de
cet immeuble. ·
La question de savoir si la prescription de dix à vingt
ans peut affranchir un immeuble des servitudes qui le
grèvent peut se présenter dans deux cas : il peut se faire
que j'achète un immeuble de son véritable propriétaire,
immeuble grevé de servitudes que le vendeur ne me
déclare pas et que j'igno~·e par conséquent. Si je possède
cet immeuble, libre de toute charge, pendant dix à vingt
ans, j'aurai acquis la liberté de l'immeuble. Dans cette
première hypotèse, notre solution, ainsi que nous l'avons
déjà fait remarquer, est parfaitement conforme aux principes qui régissent la prescription, car si je puis prescrire la propriété par dix ou vingt ans, pourquoi ne
pourrais-je pas la prescrire toute entière, c'est-à-dire
libre de tout droit réel ? Tamti'vm prœscriptum quant'Ùlm
possesswni, dit un principe admis par tout le monde, si
je possède un immeuble co~nme libre de.toute servitude,
je · dois acquérir cet immeuble en toute propriété. En
second lieu, il peut arriver que j'achète un immeuble de
celui qui n'en était pas le propriétaire ; cet immeuble
était grevé de servitudes, mais je les ai toujours ignorées.
Dans cette hypothèse, comme dans la précédente, après
dix ou vingt ans de possession j'aurai acquis, disonsnous, la pleine propriété de l'immeuble. Quant à justifier
�-
161 -
cette acquisition au point de vue des principes, c'est
encore plus facile que dans le cas précédent. N'est-il
pas évident, en effet, que si je puis prescrire contre le
droit du propriétaire, je puis prescrire aussi contre le
droit de celui qui n'a qu'un démembrement de la propropriété ? Le but de la prescription est bien ici d'acquérir l'immeuble, et comme en l'acquérant je l'acquiers
tout entier, la servitude dont il est grevé, et qui n'est
qu'une partie et un démembrement du dominiwm, se
trouve acquise avec ce dominium, à l'obtention duquel
me conduit la prescription. Cela est tellement vrai qu'un
auteur, M. Marcadé, qui sur la question qui nous accupe
adopte d'une façon générale l'opinion de la jurisprudence, reconnaît cependant que, dans ce cas particulier
où l'aliénation est faite a non d01nino, il s'agit bien de
la prescription acquisitive de l'article 2265 et non pas
de la prescription extinctive de l'article 706.
Mais s'il est si facile de justifier notre système au point
de vue des principes, en est-il de même au point de vue
des textes? Car nous reconnaissons que quelle que soit
la valeur des principes, ils ne sauraient se passer de
l'appui des textes. Nous avons déjà invoqué l'article 2265
lui-même : la prescription décennale, nous dit cet article,
nous fait acquérir la pr·opriété, et donnant à ce mot
toute l'étendue qu'il comporte, nous en avons conclu
qu'il devait s'entendre de la propriété absolue, de la
propriété toute entière. Ce qui prouve bien que cette
interprétation est exacte et que l'on peut prescrire ·1a
liberté d'un fonds comme on peut en prescrire la propriété, c'est l'article 2180 lui-même, qui admet la prescription des hypothèques par dix à vingt ans, quand le
fonds est entre les mains d'un tiers détenteur; la loi assimile donc la prescription de l'hypothèque à la prescrip-
�-
162 -
tion de la i)ropl'iété, et l'article 2180 est uue application
de l'article 2265 .
Il es t donc établi par le Code lui-même que les droits
réels s'éteignent par la prescription de dix à vingt ans.
Comme, a.in ·i que nous le verrons plus loin , il est également admis que la prescription de dix à vingt ans peut
éteindre le droit d'usufruit, on se demande alol's pourquoi ce qui est vrai de l'hypothèque et de l'usufruit, ne
le serait pas également des servitudes. On répond que
la solution affirmative, admise en matière d'usufruit, ne
saurait l'être en matière de servitude, car les deux choses
sont d'une nature toute différente. Il faut, en effet, que
le possesseur ait possédé ce qu'il prétend avoir prescrit;
or, s'il est vrai de dire que la jouissance de l'acquéreur
s'exerce contre la jouissance de l'usufruitier , il ne saurait
en être de même en matière de servitude, car l'acquéreur
n'exerce pas les droits du propriétaire du fonds dominant; il ne peut clone rien acquérir par la prescription
acquisitive, puisqu'il ne possède pas . Outre qu'on pourrait répondre que celui qui possède toute la propriété en
possède par cela même les démembrements, il y a un
argument tiré de l'article 2180 qui fait tomber cette
objection. Cet article consacre l'extinction des hypothèques par l'effet de la prescription décennale; or, nous
avons indiqué déjà que l'hypothèque n'est pas susceptible
de possession ; c'est clone que, dans la. théorie du Code,
la prescription de dix à vingt ans fait acquérir la propriété pleine et entière, libre de tout droit réel.
Il est enfin un argument de texte qui est la base du
système que nous combattons ; il est tiré de l'article
2264, aux termes duquel « les règles de la prescription
sur d'autres objets que ceux mentionnés dans le présent
titre, sont expliqués dans les titres qui leur sont
�-
163 -
propres. » Lorsque nous examinions ln. question de savoir si les servitudes peuvent s'établir par la prescription de dix à vingt ans, c'est cet article qui nous a
déterminé à adopter la négative; il semble donc que si
nous considérons ln. prescription décennale comme incapable d'établir une servitude, nous devons admettre aussi
qu'elle est incapable d'en amener l'extinction. On a
ainsi, en ce qui concerne les servitudes, un système
complet, dans lequel la prescription de l'article 2265 est
remplacée par la prescription trentenaire : l'article 690
réglant l'acquisition, l'article 706 réglant l'extinction des
servitudes par la possession.
Nous répond{)ns à cela que la matière de l'extinction
et celle de l'acquisition des servitudes par la possession
a été réglée d'une façon toute différente par le législateur. En ce qui concerne l'acquisition, l'article 690 consacre une dérogation évidente à l'article 2265 ; nous
avons dû par conséquent admettre que la prescription
décennale était impuissante à faire acquérir une servitude. Pour l'extinction, au contraire, nous ne trouvons
aucune exception à la règle générale; l'article 706 n'est
qu'une application de l'article 2262, consacrant l'extinction des actions réelles par une prescription de trente
ans. Mais ici, nous le répétons, nous sommes en face
d'une prescription acquisitive; c'est donc l'article 2265
qui est seul applicable .
Ajoutons que notre système peut invoquer la tradition .
La coutume de Paris contenait en effet deux dispositions
distinctes, l'une réglant la prescription à l'effet de se
libérer, prescription résultant uniquement du non usage
de la servitude et qui en fait acquérir la libération même
à ceux qui les auraient constituées (l'article 706 n'en est
que la reproduction); l'autre consacrant une prescription
�-
164 -
qui n'avait rien de commun avec la précédente, ainsi que
le dit Pothier (1), prescription que pouvait invoquer
l'acquéreur de bonne foi qui avait possédé l'héritage
comme libre de toute servitude, et qui en opérait l'extinction par dix à vingt ans ; cette dernière disposition
était contenue dans l'article 114 de la coutume de Paris ;
les rédacteurs du Code civil, qui suivaient cette coutume, en ont fait l'article 2265.
Nous avons déjà eu l'occasion de constater, en invoquant l'article 2180, que la prescription de dix à vingt
ans avait pour effet d'éteindre les hypothèques qui
grèvent l'immeuble possédé par [le tiers détenteur. Le
tiers détenteur peut acquérir la pleine propriété par une
possession de dix ou vingt ans appuyée sur un titre et
sur la bonne foi; il est donc naturel qu'il puisse acquérir, sous les mêmes conditions, un démembrement de la
propriété, dans l'espèce l'hypothèque qui ne lui laisse
qu'une propriété démembrée . On a objecté que le tiers
détenteur ne peut jamais invoquer la prescription de dix
à vingt ans contre les créanciers hypothécaires, parce
que ,la bonne foi lui manque nécessairement, parce qu'il
doit être réputé avoir connaissance des droits hypothécaires affectant l'immeuble qu'il a acquis. Nous répondons que sans doute, si l'acquéreur est prudent, il
consultera le registre du conservateur des hypothèques,
qui lui donnera connaissance des inscriptions; mais il
n'en est pas moins vrai que la bonne foi est une question
de fait et que ce serait renverser la présomption de la
loi que de présumer la mauvaise foi.
(1) Traite de la presc1'iption, n' 139.
�-
165 -
Faisons remarquer, en terminant, que si le tiers détenteur prescrit par dix ou vingt ans contre les créanciers
hypothécaires, cette prescription de l'hypothèque n'est
pas une conséquence de la prescription de la propriété,
mais constitue une prescription distincte qui ne commence à courir qu'à partir de la transcription du titre
d'acquisition.
Examinons maintenant l'hypothèse où le droit réel
dont on veut s'affranchir par la prescription est un usufruit. Celui qui, par un juste titre et de bonne foi, a
acquis, soit du nu-propr~étaire, soit d'un non-propriétaire
un immeuble grevé d'usufruit, peut-il acquérir l'affranchissement de cet usufruit par une prescription de dix à
vingt ans ? Ici, comme en matière de servitude, nous
admettrons l'affirmative.
On a dit, dans un système contraire, que l'acquéreur
de la pleine propriété d'un immeuble n'ayant pas entendu
acquérir et posséder l'usufruit comme tel, ne pouvait, à
l'aide de la prescription acquisitive, réunir cet usufruit à
la propriété. La réponse est facile, car si l'acquéreur
n'a possédé l'usufruit que comme un attribüt de la pleine
propriété, et non comme un démembrement de cette dernière, il n'en a pas moins exercé en fa,it la jouissance
que l'usufruitier aurait dû exercer.
Reste enfin un argument de texte analogue à celui
que nous avons vu invoquer à propos des servitudes, et
qui est tiré du rapprochement des articles 2264 et 617.
Puisque ce dernier article n'admet pas d'autre mode
d'extinction de l'usufruit par voie de prescription que le
non usage pendant trente ans, c'est donc que l'application de l'article 2265 se trouve écartée. Cette seconde
objection n'a, en matière d'usufruit, qu'une valeur
11
�-
166 -
relative, car nous pouvons répondre ici ce que nous
avons déjà dit à propos des servitudes, sur le sens et
l'étendue à donner 'à l'article 2264; nous avons déjà vu
que la disposition de cet article n'empêche pas l'acquéreur de l'usufruit d'un immeuble de consolider son
acquisition par la prescription de dix à vingt ans, alors
que cet usufruit avait déjà été constitué au profit d'une
autre personne. On peut d'ailleurs répondre que les
principes généraux suffisent à décider la question; que
celui qui possède la pleine propriété prescrit la pleine
propriété, c'est-à-dire la propriété libre de toute charge.
Nous avons déjà vu que la loi. applique ce principe à
l'hypothèque; si le plus favorable des droits réels s'éteint par la prescription acquisitive, il doit en être ainsi
à plus forte raison de l'usufruit, dont la loi favorise
l'extinction.
On peut invoquer enfin l'article 1665, qui dit que l'acheteur à réméré peut prescrire « tant contre le véritable propriétaire que contre ceux qui ont des droits ou
hypothèques sur la chose. Ces droits autres que les
hypothèques ne peuvent être que des servitudes réelles
ou personnelles . La prescription acquisitive a donc
pour effet d'éteindre l'usufruit aussi bien que l'hypothèque.
Nous venons de voir comment la prescription de dix à
vingt ans a pour effet de faire tomber les droits réels qui
pesaient sur l'immeuble possédé par le tiers détenteur;
il nous reste maintenant à étudier une question analogue
et qui consiste à savoir si le tiers détenteur, après avoir
prescrit la propriété de l'immeuble, pourra repousser,
par la prescription, l'action intentée contre lui par suite
de l'annulation, de la rescision ou de la résolution du
titre l1e son autem.
�-
167 -
L'affirmative est admise par la jurisprudence, et elle
uous paraît certaine. Il suffit, en effet, de remarquer· que
lorsque le propriétaiL'e, après avoir fait prononcer la
nullité, la résolution ou la rescision de la vente, par
exemple, se retourne contre le tiers détenteur, il agit
non pas par une action personnelle, mais par une action
réelle, l'action en revendication. S'il en est ainsi, la
prescription que le possesseur oppose au propriétaire est
non. pas la prescl'iption extinctive, dont la durée doit
être de trente ans, mais la prescription acquisitive, qui
est de dix à vingt ans, lorsque les conditions de l'article
2265 se trouvent réunies.
Quelques-uns, p::i.rtant de cette idée fausse que le
propriétaire peut intenter une action en nullité, en
rescision ou en résolution contre le tiers acquéreur, en
avaient conclu que la prescription extinctive pouvait
seule être invoquée, puisqu'il s'agissait d'une action personnelle. Nous savons au contraire que les actions personnelles ne peuvent être in~entées que par le créancier
contre le débiteur et jamais contre un tiers. Mais lorsque
la nullité, la rescision ou la résolution de contrat ont été
prononcées, tous les droits concédés par le propriétaire
dont le droit a été résolu venant à tomber, la chose
peut alors être revendiquée par le propriétaire entre les
mains du tiers détenteur. C'est alors que le possesseur
peut opposser la prescription acquisitive, comme il peut
l'opposser à toute action en revendication.
Nous pouvons encore, à l'appui de notre système,
reproduire ici l'argument que nous avons invoqué déjà
lorsqu'il s'agissait d'établir que la prescription acquisitive avait pour effet d'éteindre tous les droits réels qui
pèsent sur l'immeuble possédé, et montrer que notre
doctrine est en conformité parfaite avec l'ancien droit.
�-
168 -
Pothier pose en principe que la prescription de dix à
vingt ans non seulement fait acquérir au possesseur la
propriété de l'héritage, mais qu'elle le lui fait acquérir
tel qu'il a cru le posséder, c'est-à-dire libre de toutes
les rentes foncières, hypothèques et autres charges réelles dont il était grevé, si elles n'ont pas été déclarées à
l'acquéreur par son contrat d'acqufsition et s'il les a
ignorées. Cette doctrine était formellement consacrée
par l'article 114 de la coutume de Paris. Il ne faut pas
isoler l'article 2265 de la tradition ; sans cloute cet article ne reproduit pas les termes de la coutume de Paris,
mais il en reproduit la substance en déclarant que l'acquéreur prescrit la p1·opriété, c'est-à-dire que la possession de bonne foi fait acquérir au possessseur ce qui
manquait à la perfection de son domaine, en affranchissant l'héritage de toutes les charges dont il était grevé.
Il nous reste à constater une exception au principe
que le possesseur prescrit l'immeuble libre de toutes les
charges qui pesaient sur lui ; cette exception est écrite
dans l'article 966. Voici l'espèce prévue par la loi: une
personne fait une donation à l'époque où elle n'avait
point d'enfants ; plus tard, un ou plusieurs enfants surviennent au donateur. Par application de l'article 960, la
donation se trouve révoquée, pourvu que le donateur
demande la révocation dans le délai de trente ans qui
court à partir de la naissance du dernier enfant, même
posthume. Si le donateur ne veut pas intenter son action,
ou s'il néglige de l'exercer à l'expiration des trente ans,
le donataire deviendra propriétaire des biens donnés,
mais les conservera à titre de donation et non à titre de
biens acquis par prescription. Cette décision de la loi
est parfaitement logique et n'a d'autre but que d'empêcher que la révocation de la donation ne devienne pour
�-169 -
le donataire la cause d'une situation meilleure que celle
qu'il avait auparavant. Si donc il continue à détenir l'immeuble à titre de donataire, il demeurera soumis à toutes
les charges que ce titre lui impose, de telle sorte que
s'il se rend coupable de l'un de ces actes qui, d'après
la loi, constituent l'ingratitude envers le donateur, celuici pourra, nonobstant la prescription, demander de ce
chef la révocation de la donation. Au point de vue de
l'action en réduction qui appartient aux enfants du do- .
nateur, il importe encore de constater que le possesseur
conserve la qualité de donataire.
, Cette impuissance de la prescription à lib érer l'immeuble donné des charges auxquelles il est tenu à ce
titre, aurait dû, semble-t-il, s'arrêter à la personne du
donataire ou de ses ayants cause. Mais la loi est allée
plus loin et n'a fait aucune distinction entre le donataire
et un tiers quelconque possesseur de l'immeuble donné.
Ainsi, lorsqu'une personne, sans traiter avec le donataire, a: possédé l'immeuble donné et l'a acquis par prescription, elle ne peut invoquer cette prescription contre
le donateur ou ses enfants qu'à l'effet de faire valoir la
donation. Il est probable que s'il en est ainsi, c'est que
le législateur a eu surtout en vue l'intérêt des enfants du
donateur, auxquels il a voulu, par ce moyen, conserver
leur action en réduction.
Lorsque la prescription décennale est accomplie, celui
au profit duquel. elle se produit voit s'effacer le titre qui
a coloré sa possession, car ce n'est pas ce titre qui lui
a transféré la propriété, mais bien la prescription : le
titre n'a eu pour lui qu'un seul effet, celui d'abréger le
temps ordinaire de la prescription. Nous venons de voir
une première dérogation à ce principe en montrant que,
après la révocation d'une donation pour cause de surve-
�-
170 -
nance d'enfants, la prescription avait pour effet de maintenir la chose entre les mains du donataire à titre de
chose dorinée. Il faut se demander maintenant s'il n' existe
pas une seconde dérogation au principe que nous venons
de rappeler, et si l'acheteur, après la prescription de dix
à vingt ans, ne continue pas à détenir la chose à titre
d'acheteur.
En droit romain la question ne présentait aucune difficulté et il était admis que lorsque l'usucapation s'était
accomplie au profit de l'acheteur, celui-ci n'en était pas
moins tenu de payer le prix de la chose ainsi acquise.
Cette solution était une conséquence nécessaire de la
doctrine romaine en matière de vente. L'obligation principale dont était tenu le vendeur romain était, non pas
de transférer la propriété de la chose vendue, mais de
procurer à l'acheteur une vaCJUam possessionem; en un
mot, de mettre l'acquéreur in causa usucapiandi. D'où
il résultait que dans le ca·s de vente de la chose d'autru i
et d'usucapion accomplie au profit de l'acquéreur, celuici ne pouvait se refuser à payer son prix d'acquisition
au venclem qui avait rempli toutes ses obligations. Notre
droit actuel s'est montré plus sévère, et l'article 1599
prononce la nullité de la vente de la chose d'autrui.
Puisque la vente de la chose d'autrui est nulle, il semblerait logique de décider que, après la prescription
accom1)lie au profit de l'acquéreur, il ne saurait être
question d'exiger de lui le i.;aiement de son prix d'acquisition, car ce qui est nul ne peut produire aucun effet.
La jurisprudence admet cependant le con.t raire ; cette
solution provient de ce que elle considère la nullité de
la vente de la chose d'autrui comme une nullité simplement relative.
Cette façon d'interpréter l'article 1599 et de considérer
�-
171 -
la vente de la chose d'autrui comme frappée d'une nullité
simplement relative n'est pas admise par tous les auteurs . Mais il nous semble que, même en donnant à l'article 1599 la portée qu'il comporte, et en considérant la
vente de la chose d'autrui comme frappée d'un nullité
absolue, on doit néanmoins imposer à l'acheteur qui
inv-oque la prescription décennale l'obligation de payer
son prix d'acquisition. Sans doute, c'est en vertu de la
prescription et non en vertu de la vente que l'acquéreur
est devenu propriétaire, mais il n'en est pas moins vrai
que la vente a eu pour effet de lui servir de juste titre
et d'abréger le temps requis pour prescrire. Or, parmi
les obligations que fait naître la vente, la principale,
pour l'acheteur, consiste à payer son prix d'acquisition.
Si donc l'acheteur invoque la prescription de dix à vingt
ans, prescription qui a son fondement dans le titre
d'acheteur, il doit nécessairement accepter toutes les
conséquences que ce titre lui impose. Refuser de payer
le prix, ce serait nier les obligations qui résultent du ·
titre qu'il invoque ; ce serait se mettre dans l'impossibilité de l'opposer au propriétaire qui revendique; ce
serait, en un mot, renoncer au titre qui servait de base
à sa possession et lui donnait droit à la prescription
décennale.
Pour terminer ce que nous avions à dire sur les effets
de la prescription dans les rapports du possesseur avec
le propriétaire de l'immeuble, il nous reste à examiner
la question de savoir si la prescription court contre le
propriétaire sous condition suspensive . Voici l'espèce
que l'on peut prévoir : un immeuble a été vendu par le
propriétaire qui a stipulé que la vente serait résolue si
l'acheteur ne lui payait pas le prix dans un délai déterminé, huit ans par exemple. L'acheteur devient proprié-
�- 172 taire sous condition résolutoire, et le vendeur, par conséquent, reste propriétaire sous condition suspensive.
Si dans ces conditions un tiers entre en possession de
l'immeuble, il prescrira évidemment contre l'acheteur,
mais prescrira-t-il aussi contre le vendeur? En d'autres
termes, et pour poser la question sous une forme plus
générale, la prescription court-elle contre les dro.its
réels conditionnels ?
En ce qui concerne les droits personnels, les créances
conditionnelles, la question est tranchée par l'article 2257
qui déclare que la prescription ne commence à courir
qu'à partir de l'arrivée de la condition. Cette solution
est facile à justifier, car, d'une part la prescription
étant considérée comme une peine infligée à la négligence du créancier qui reste clans l'inaction, ne saurait
commencer à courir tant que le créancier ne peut agir
contre son débiteur, et, d'autre part, par rapport au
débiteur, la prescription libératoire étant fondée sur une
présomption de paiement, il ne serait pas rationnel
d'établir cett~ présomption à une époque antérieure à
celle où le paiement doit s'effectuer.
Pour les droits réels, il n'en est pas de même, et
notre ancienne jurisprudence, afin d'éviter l'i'nconvénient
immense qui résultait de la suspension de la prescription
jusqu'~ l'arrivée de la condition, avait créé une action
d'interruption par laquelle le titulaire d'un droit réel
conditionnel pouvait mettre obstacle à la prescription
qui avait commencé à courir contre lui ; il ne pouvait
donc plus invoquer en sa faveur la maxime : con.tra non
valentem agere non cu1·rit prœscriptio. Le Code n'a fait,
croyons-nous, que consacrer cette doctrine, car nous
voyons l'article 2257 ne parler que des créances. Nous
devons constater cependant que la Cour de cassation a
�-
173
~
décidé que la prescription d'un droit conditionnel était
suspendue jusqu'à l'arrivée de la condition, aussi bien
vis-à-vis du tiers détenteur d'un immeuble que vis-à-vis
du débite~r ; la Cour se fonde sur ce que les actes interruptifs de l'article .2224 ne sauraient être faits en vertu
d'un dt·oit conditionnel (Cassation, 4 mai 1846). Cette
doctrine nous paraît inexacte ; il nous semble que la
prescription n'est suspendue qu'entre les parties contractantes, mais non pas à l'égard des tiers qui détiennent
des immeubles affectés d'un droit réel conditionnel. Dire,
en effet, que l'article 2257 est applicable aux tiers détenteurs, c'est méconnaître le principe de l'article 1165, en
vertu duquel les contrats n'ont d'effet qu'entre les partles
contractantes; c'est assujettir le tiers détenteur aux obligations formées entre d'autres parties et lui créer une
position toujours incertaine, puisque, après de longues
l:tnnées de possession paisible et de bonne foi, il pourrait
être recherché pour un immeuble que ses ancêtres auraient ainsi acquis, ignorant que le vendeur était soumis
à une action de la part de son auteur. Si d'ailleurs le
titulaire d'un droit conditionnel ne peut faire aucun des
actes interruptifs énumérés dans l'article 2224, il peut
du moins • exiger une reconnaissance de son droit. Cela
est tellement vrai que l'article 2173 suppose que le tiers
détenteur d'un immeuble hypothéqué a reconnu l'hypothèque, ce qui se réfère à l'action d'interruption que le
créancier hypothécaire peut intenter pour la conservation de son droit.
Jusqu'ici nous ne nous sommes occupé des eff~ts de
la prescription que dans les rapports du propriétaire et
du possesseur, et nous avons vu qu'elle avait pour conséquence directe de donner à ce dernier un moyen de
�-
174 -
repousser l'action en revendication dirigée contre lui.
Mai. ce n'es t pas là le seul effet de la prescription, et par
cela môme que le propriétaire est dépouillé de son droit,
il voit naîtrn à son profit une action en indemnité contre
celui qui a fourni au possesseur les moyens d'arriver à la
prescription en lui délivrant un titre. Le propriétaire ne
peut plus revendiquer, puisque son action en revendication est prescrite, mais il a une action personnelle qui
ne se prescrit que par trente ans, action qui peut être
intentée contre tous ceux qui étaient tenus de lui rendre
la chose en vertu d'une obligation dérivant d'un contrat,
d'un quasi-contrat, d'un délit ou d'un quasi-délit. Si on
supp0se que l'aliénation a été faite pa-r un détenteur précaire, par un fermier, par exemple, l'acquéreur peut.
prescrire l'immeuble par dix ans, puisqµ'il a un juste titre
et que nous le supposons de bonne foi; mais cette prescription laisse intacte l'obligation dont est tenu le fermier de restituer la chose à l'expiration de son bail.
L'exécution de cette obligation a été rendue impossible
par sa faute, puisque l'acquéreur est devenu propriétaire; mais alors naît une actiun en dommages-intérêts,
action qui' ne se prescrit que par trente ans à partir du
jour où le bail est expiré, puisque c'est alors que naît
l'obligation de restituer. Le fermier ne pourrait pas prétendre que la prescription a couru à son profit à partir
du jour où il a disposé de la chose, sous ce prétexte que
c'est ce fait qui a donné naissance à l'action contre lui;
è'est, en effet, un principe que, lorsqu'il s'agit d'un droit
ou d'une créance à terme, la prescription ne commence
à courir que di;t jour de l'échéance du terme (article 2257) ;
or , la.restitution de la chose donnée à ha.il ne devait être
faite qu'à l'expii·ation du bail.
Si celui qui a disposé de l'immeuble et qui ne le pos-
�- 175 sédait pas encore depuis trente ans, s'en était emparé
sans titre, il est clair que l'usurpation obligeant l'usurpateur à la restitution, il sera passible pendant trente
ans d'un recours en indemnité de la part du propriétaire.
La seule questio.n qui puisse présenter quelque difficulté
est de savoir quel est le point de départ de cette prescription contre l'act"ion en indemnité du propriétaire :
est-ce le jour où l'usurpateur s'est emparé de l'immeuble,
ou le jour où il en a disposé? Il semble, tout d'abord,
que la prescription ne commence à courir à son profit
que du jour où il a disposé de l'immeuble, puisqu.e c'est
à partir de ce moment que, conformément au principe
de l'article 1382, il a contracté l'obligation d'indemniser
le propriétaire du préjudice que l'aliénation pouvait lui
causer. Il n'en est cependant pas ainsi, et il est vrai de
dire, au contraire, que c'est le jour où il s'est emparé de
l'immeuble qui est le point de départ de la prescription
trentenaire; et, en effet, s'il n'avait pas disposé de l'immeuble, la prescri]_)tion de trente ans n'aurait pas moins
couru contre l'ancien propriétaire à partir de l'entrée
en P.ossession. L'aliénation n'a rien ajouté au préjudice
éprouv é par le propriétaire, puisque s'il n'a pas réclamé
sa chose dans les trente ans qui se sont écoulés depuis
qu'il a cessé de posséder, la prescription lui est toujours
opposable. L 'obligation de restituer, pour celui quipossède sans titre, naît en même temps que sa possession,
et c'est à partir de ce moment que le propriétaire peut
agir contre lui ; mais il serait inexact de dire que la
possession sans titre donne naissance à une obligation
successive et de chaque jour de restituer la chose, car
s'il en était ainsi, la prescription serait !3n réalité de
soixante ans, et le Code n'en consaere pas de plus longue
que celle de trente ans ; l'article 2262 pose, en effet, en
�- 176 principe, que toutes les actions, tant réelles que personnelles, se prescrivent par trente ans, sans qu'on puisse
opposer l'exception déduite de la mauvaise foi. ·
Lorsque nous avons étudié les effets de la prescription
dans les rapports du propriétaire et du possesseur, nous
avons vu que quand la prescription était acquise au
profit de ce dernier, le propriétaire ne pouvait pas lui
opposer les causes de nullité, de rescision ou de résolution dont était entaché le titre de son auteur. Mais si
l'on envisage les rapports du propriétaire avec celui qui
a consenti l'aliénation, il faut constater que ce dernier
demeure toujours soumis aux causes de nullité, de rescision ou de résolution dont pouvait être entaché son
propre titre. Il est vrai que ces actions se prescrivant
aussi par dix ans, il arrivera souvent que lorsque le
possesseur pourra invoquer la prescription acquisitive
contre le propriétaire, l'aliénateur pourra aussi se prévaloir contre lui de la prescription lib ératoire. Mais il
peut arriver aussi que le contraire ait lieu, car le point
de départ de ces deux prescriptions n'est pas le même.
Le possesseur commence à prescrire dès son entrée en
possession, tandis que le débiteur ne commence à prescrire que lorsque l'action du créancier est née; or, elle
peut s'ouvrir longtemps après que le contrat a été exécuté, si le vice qui l'entache s'est prolongé, comme cela
arrive en cas d'erreur, de dol ou d'incapacité. Il peut donc
se faire que l'action en revendication soit prescrite
quand le tiers acquéreur a possédé pendant dix ans,
tandis que l'action personnelle du propriétaire subsiste
contre l'aliénateur.
�POSITIONS
DROIT
ROMAIN
1. - Dans l'action en revendication, le défendeur qui
possède la chose et refuse de la restituer peut y être
contraint par la manus milita1ris.
II. - Lorsque, pour faire disparaître la lésion dont il se
se plaint, le mineur a à sa disposition tout à la fois
la demande en restitution et la condictio ince1·ti, on
lui donne toujours le choix entre ces deux moyens.
III. - Même à l'époque de Justinien, les servitudes prédiales et l'usufruit ne peuvent s'établir par pactes et
stipulations.
IV. - L'innovation de Justinien, qui étend la compensation aux actions in 1·em, a une portée générale et
ne s'applique pas seulement dans les cas où le droit
réel se convertit en une somme d'argent, comme
par exemple lorsque la restitution de la chose est
devenue impossible.
�-
178 -
DROIT CIVIL
I. - Le rapport des meubles incorporels se fait en
moins prenant.
Il. ..
~
L'action en revendication organisée par l'article
2102 - !1• au profit du vendeur n'est autre chose que
la revendication du droit de rétention, et non po,s
l'action en résolution exercée à l'encontre des créanciers de l'acheteur.
III. - Dans l'hypothèse d'une institu tion contractuelle,
le donateur ne peut disposer à titre gratuit de::;
biens compris clans la donation, même avec l'assentiment du donataire.
IV. - La renonciation de la femme à son hypothèque
légale en faveur d'un tier s est une vé ritable cession .
DROIT
CRIMINEL
1. - L'action civile résultant d'un crime se prescrit par
dix ans, comme l'action publique.
II. - Le sequestre dont parle l'article 471 du Code pénal
pour les biens des condamnés par contumace consiste dans l' administration des biens par la régie
des domaines et non clans l'administration par les
héritiers présomptifs du condamné, comme sous le
Code de l'an IV, et comme semble l<? dire l'article
28 : « seront régis comme biens d'abs~nts. »
�-
179 -
ENREGISTREMENT
I. - En matière de droits d'actes, la cause génératrice
du droit se trouve, non pas dans la rédaction d'un
écrit, mais dans l'opération juridique, l'accord intervenu entre les parties.
II. - Le jugement qui prononce la résolution d'une
convention pour cause de nullité relative n'est pas
soumis au droit proportionnel; en d'autres termes,
les nullités relatives doivent être considérées comme des millités radicales dans le sens de l'article
68, § 3, n° 7, de la loi du 22 frimaire an VII.
lll. - Les nullités qui repo ·ent sur la lésion rentl'ent
aussi dans la catégorie des nullités radicales.
HISTOIRE
DU
DROlT
I. - L'o rigine du cens se trouve dans la convention intervenue entre le serf affranchi et le seigneur.
Il. - L'origine de la communauté se tl'ouve dans les
sociétés serviles.
Vu pcir nous Projessear, P1·ésiclent clc la Thèse,
PISON.
VU ET PERMIS D'IMPR!l\I ER :
Le R ecteur cle l'Académie ,
BE~LIN.
��TABLE DES MATIÈRES
Pages
CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES ............. . .......
PREMIÈRE PARTIE. -
5
DROIT ROMAIN
I NTRODUCTION ........ . ..................... . • • . • •
I. - Des conditions relatives à la personne.. ... . ................. . ..
Section 1. - De la juste cause .. .. .
Section II. - De la bonne fo i......
Section III. - Du laps de temps...
CHAPITRE II. - Des conditions relatives à la chose
Section 1. - La chose doit être in
commercio . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. ..
Section II. - Des choses volées ou
occupées par violence . . . . . . . . . .
Section III. - La prescription de
long temps ne s'applique qu'aux
choses susceptibles de possession ....... .. ...... . . . . . . . . . .. . .
CHAPITRE III. - Effets de la prœscriptio longi temporis ...... . ................. . . .
Section 1. - Effets de la prescription
. dans le droit classique....... ...
Section II. - Innovations de Justinien
16
CHAPITRE
22
28
50
61
69
69
73
77
82
82
85
�18:?
DEUXIÈME PARTIE -
ANCIEN DROIT
])1.; L .\ PRF.SCRIPTION DA:"iS r/ .\!\ CIEX DROIT FRANÇAIS
91
Dn ju:ste titre...... . . . . . . . . . . . . . .
95
Cn.\PITRE
I. -
CHAP ITRE
II. - De la bonne foi ........ ... ....... 100
CHAPITRE
111. - Du laps de temps ...... . .. . ....... 103
CHAP ITRE
TV. - Au pt'ofit de qui et contre qui pouYait courit· la prescription. -E:ffe t;s
do la pr0sc1·iption. . . . . . . . . . . . . . 105
TROISIÈME PARTJE. -
DROIT FRANÇAIS
Î:-!TROD lJC:'l'JO~ . ........ .. ..... . .. . ...... , ..... .. . .
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Dr..· courl itions relatiYes h la personne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Section r. - ·bu ju:te titre. . . . . . . . .
Section II. - De la bonne foi.... . .
Section III. - Do la durée de la po. :;e.,ion ................ . .......
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CHAPIT RE
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Il. - Des conditions relai ives à la chose 1:JO
TTJ. - Des effets de la prescription cle dix
ù vingt ans .. .. ... .. .. ...•. .. .. t:J9
PosrTro:-;s . .. . . . ... . ............. . ... .. .. ... .. . .. 177
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Dublin Core
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Title
A name given to the resource
Monographie imprimée
Description
An account of the resource
Ouvrages imprimés édités au cours des 16e-20e siècles et conservés dans les bibliothèques de l'université et d'autres partenaires du projet (bibliothèques municipales, archives et chambre de commerce)
Dublin Core
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Title
A name given to the resource
De la "Prœscriptio longi temporis" en droit romain. De la prescription de dix à vingt ans en droit français : thèse présentée et soutenue devant la faculté de droit d'Aix
Subject
The topic of the resource
Droit pénal
Droit romain
Description
An account of the resource
La propriété étant constatée par écrit, qu'est-ce qui fonde le droit de prescription qui limite le droit de propriété et le droit de créance, comme le permettait autrefois l’usucapion
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Talagrand, Auguste
Faculté de droit (Aix-en-Provence, Bouches-du-Rhône ; 1...-1896). Organisme de soutenance
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence), cote RES-AIX-T-130
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Malige (Uzès)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1883
Rights
Information about rights held in and over the resource
domaine public
public domain
Relation
A related resource
Notice du catalogue : http://www.sudoc.fr/24040937x
Vignette : https://odyssee.univ-amu.fr/files/vignette/RES-AIX-T-130_Talagrand_Proescriptio_vignette.jpg
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
1 vol.
182 p.
23 cm
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
text
monographie imprimée
printed monograph
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/394
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
France. 18..
Alternative Title
An alternative name for the resource. The distinction between titles and alternative titles is application-specific.
De la prescription de dix à vingt ans en droit français
Abstract
A summary of the resource.
Thèse : Thèse de doctorat : Droit : Aix : 1883
Cette étude s’intéresse à la prescription, dont l’auteur estime qu’elle remonte aux temps les plus reculés, en droit romain, en ancien droit français et en droit français moderne
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence)
Prescription (droit) -- France -- 19e siècle -- Thèses et écrits académiques
Prescription (droit) -- Rome -- Thèses et écrits académiques
Procédure (droit) -- France -- 19e siècle -- Thèses et écrits académiques
Procédure pénale -- France -- 19e siècle -- Thèses et écrits académiques
Procédure pénale (droit romain) -- Thèses et écrits académiques