Document relié dans un recueil de 7 pièces.
Que faire des personnes condamnées à une peine de privation de liberté ? La prison a beau être la réponse de tout système judiciaire, non seulement elle ne résout rien mais elle aggrave sérieusement les choses : plongés dans la promiscuité avec les autres criminels, les plus amendables s'endurcissent et ce qu'on appelle
Maison de correction mériterait davantage le titre de
Maison de corruption !
Bagnard à Saint-Martin-de Ré (Île de Ré)
Au 19e siècle, ce constat est déjà largement partagé et à partir de 1840, il s'étend au delà des seules conséquences morales sur les prisonniers (1) : avec la fin du régime des galères et le choix de concentrer la population carcérale dans les anciens arsenaux (Brest, Rochefort, Toulon), une partie de la population s'inquiète de ce nouveau risque (libération, évasion). D'autres se préoccupent du coût de fonctionnement de ces grands centres pénitentiaires.
Embarquement de l'Île de Ré pour Cayenne, Guyane (1852-1953)
Pour E. Julienne, le plus nocif dans ce système de réclusion est l'état d'oisiveté forcé et permanent dans lequel on maintient les prisonniers. L'issue est courue d'avance : les condamnés libérés "
ne sortent de prison que pour y rentrer chargés de nouveaux crimes". Pour preuve, le fort taux de récidive, un tiers environ pour l'ensemble de la population carcérale, ce taux étant plus élevé encore pour ceux condamnés aux travaux forcés, la moitié. La réponse pénale fabrique littéralement une dangereuse "
armée de repris de justice".
Transportés, déportés : éloigner pour protéger la société civile
Comment parer à ce danger social ? En ayant recours à la transportation et à la déportation. Le premier cas n'est applicable que pour les crimes d'ordre privé et réservé à ceux qui ont commis un délit pour la première fois : on demande à l'accusé s'il reconnaît les faits, et si oui, s'il préfère être transporté dans une colonie spéciale et pénitentiaire (Îles Marquise ou Tahiti, par ex.) pour dix ans en échappant à toute publicité et jugement public. Une grâce entre peine et liberté qui n'exclut ni le travail ni la propriété (colonies agricoles, par ex.) et qui permet à l'État de faire l'économie des procès et de l'entretien des prisons continentales coûteuses, malgré les frais du transport par delà les mers.
La déportation dans une colonie spéciale, est proposée aux prisonniers qui ont montré leur volonté de revenir dans le droit chemin. On remarquera qu' E. Julienne, soucieux de la réinsertion des nouveaux libérés, n'emploie jamais le terme de bagnards mais de colons. Rédigé en 1849, il ne peut imaginer que trois ans plus tard, en 1852, l'État français créera les véritables bagnes coloniaux vers lesquels, durant un siècle, près de 100 000 condamnés (quelques centaines de femmes) seront conduits et devront y "vivre" dans des conditions depuis unanimement dénoncées (2) : 75% le seront à Cayenne et 80% le seront sous le statut juridique de Transporté.
1. Michel Pierre, «Le siècle des bagnes coloniaux (1852 - 1953)», Criminocorpus, revue hypermédia [En ligne], Les bagnes coloniaux, Articles, mis en ligne le 01 janvier 2006, consulté le 10 juin 2012. URL : http://criminocorpus.revues.org/174
2. Robert Badinter : « Le bagne de Guyane, un crime contre l’humanité », Le Monde, éd. du 24 nov. 2017: https://www.lemonde.fr/idees/article/2017/11/24/robert-badinter-le-bagne-de-guyane-un-crime-contre-l-humanite_5219546_3232.html