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UNIVERSITE PAUL CEZANNE- AIX-MARSEILLE III
FACULTE DE DROIT ET DE SCIENCE POLITIQUE D'AIX-MARSEILLE
Analyse juridique de la vente des
biens nationaux dans le département
des Bouches-du-Rhône (1789-1799)
Réalisé sous la co-direction de Monsieur le Professeur Christian BRUSCHI et de Monsieur
François QUASTANA
Présenté par STAHL Hugo
Mémoire pour l'obtention du
MASTER 2 RECHERCHE « HISTOIRE
DES INSTITUTIONS ET DES IDEES
POLITIQUES »
Année universitaire 2012-2013
1
�2
�A mon Père, ma Grand-Mère et mon
Anaîs, pour leurs soutiens inconditionnels
3
�4
�REMERCIEMENTS
Ma gratitude va naturellement à mes deux co-directeurs, le Professeur Christian Bruschi et
Monsieur François Quastana, qui m'ont guidé, et conseillé. Leurs attentions constantes et remarques
pertinentes m'ont été très précieuses. Sans eux la réalisation de ce mémoire n'aurait pas été possible.
Je tiens à remercier vivement le Professeur Jean-Louis Mestre, pour sa disponibilité, sa
gentillesse et pour le prêt de plusieurs ouvrages personnels, ainsi que pour ses précieux conseils
méthodologiques et théoriques.
Je ne peux que remercier Monsieur Julien Broch, pour m'avoir apporté la primeur de son
article éclairant sur l'utilité publique et ce avant sa publication.
Je tiens à témoigner de ma gratitude à Madame Christiane Derobert-Ratel, pour m'avoir reçu
et régalé d'anecdotes sur Aix-en-Provence, et des ouvrages de sa main dont elle m'a fait don.
Je tiens également à remercier l'archiviste et chartiste de la BU de Droit d'Aix-en-Provence,
Monsieur Rémi Burget.
Enfin, sans pouvoir tous les nommer, je remercie l'ensemble des bibliothécaires des BU de
Droit et de Lettres d'Aix-en-Provence, mais aussi les membres des Archives Départementales de
Marseille et d'Aix-en-Provence.
Mes dernières pensées vont à mon grand ami, Monsieur Julien Dubot, pour son amitié et sa
relecture attentive. Les idées et opinions exprimées et les erreurs qui pourraient subsister sont
entièrement de ma responsabilité.
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�SOMMAIRE
TITRE 1 : Les modalités de vente des biens nationaux : la fusion d'intérêts
politiques et financiers
CHAPITRE 1 : La phase préparatoire de la vente des biens nationaux
Section 1 : Les motivations financières et politiques dans le choix de l'assise des biens
nationaux
Section 2 : Les formalités préparatoires à la vente des biens nationaux : l'estimation
controversée et les nécessaires formalités de publicité
CHAPITRE 2 : La réalisation de la vente des biens nationaux : Étude des critères politiques et
financiers dans l'évolution législative
Section 1 : Étude sur les raisons des échecs successifs des moyens de paiement des
biens nationaux
Section 2 : L'opposition entre le caractère social et le caractère financier dans les
modalités d'adjudication et de paiement des ventes de biens nationaux
TITRE 2 : L'omniprésence du concept d'intérêt général dans le contentieux de
la vente des biens nationaux : Études sur la contestation de la propriété
ecclésiastique
CHAPITRE 1 : l'intérêt général au centre des motivations administratives dans les
contentieux de l'opposition des autorités publiques et de l'annulation
Section 1 : l'opposition des municipalités : la primauté de l'intérêt général sur les intérêts
locaux et particuliers
Section 2 : le contentieux de l'annulation des enchères : La dérogation de l'intérêt
général sur la procédure d'enchère
CHAPITRE 2 : Le contentieux de l'opposition des personnes privées : La convergence de
l'intérêt général avec la déchristianisation et la fin des corporations
Section 1 : l'opposition d'un ou plusieurs particuliers : la convergence de l'intérêt général
et de la déchristianisation
Section 2 : l'opposition des membres du clergé : la redéfinition de l'intérêt général ou
l'aménagement du culte
Section 3 : l'opposition d'un corps de citoyen : le chant du cygne de la corporation des
portefaix de Marseille
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�10
�'' La plus magnifique ressource que
jamais gouvernement ait eu la bonne
fortune de trouver à sa disposition, les
milliards des biens du Clergé et des
émigrés ''1
1 Marcel Marion, Histoire financière de la France depuis 1715, Tome II, 1789-1792, Paris, éd Rousseau, 1919, p.V
(introduction)
11
�12
�INTRODUCTION
Jean-Marc Moriceau, dans sa préface de l'ouvrage « l'événement le plus important de la
Révolution : la vente des biens nationaux » de Bernard Bodinier et d’Éric Tessier, dresse un constat
remarquable, la vente des biens nationaux, '' constitua [ …] depuis le XIIIème siècle au moins, le
plus vaste mouvement de transfert foncier et immobilier qu'ait connu la France, en valeur de
capital, en importance sociale, psychologique et politique'' 2. Ce constat à lui seul devrait suffire à
mesurer l'ampleur du sujet, et son intérêt indéniable. De nombreux ouvrages ont traité du sujet 3 ; les
aspects économique, sociologique, monétaire, et financier prenant une place prégnante dans l'étude
de la vente des biens nationaux. Malgré la quantité d'études effectuées, Michel Vovelle note que la
question semble être '' un dossier à reprendre à la base''4. Cependant, sans doute à cause de
l'ampleur de l'étude, aucune n'a été consacrée au seul département des Bouches-du-Rhône d'un point
de vue strictement juridique. C'est un aspect bien regrettable auquel il convient donc de remédier,
car si les législations nationales furent communes à tout le pays, elles n'en durent pas moins subir
une '' adaptation aux réalités locales, et [prirent] des formes très nuancées ''5.
La vente des biens nationaux s'inscrit dans un contexte particulier, celui de la Révolution
française de 1789. Sa compréhension repose donc sur une base particulière qu'il faut préciser. La
situation de la France en 1789 était alors désastreuse, touchée d'une part par une crise sociale, et
d'autre part, morale, mais aussi politique, financière, économique, et enfin monétaire 6. Cette tension
palpable s'extériorisa au travers de diverses émeutes, un peu partout en France 7, ainsi que par des
attaques de couvent, à Aix-en-Provence notamment8. C'est dans ces conditions que les états
2 Eric Teyssier et Bernard Bodinier, l'événement le plus important de la Révolution : la vente des biens nationaux
(1789-1867) en France et dans les territoires annexés, Paris, Société des études robespierristes, 2000, p.8
3 Cf Georges Lefebvre, Marcel Marion, Ivan Loutchisky, Marc Bouloiseau, Jean-Claude Martin...
4 Michel Vovelle, la découverte de la politique, géopolitique de la Révolution française, Paris, La découverte, 1993,
p.83
5 Eric Teyssier et Bernard Bodinier, op cit, p.43
6 Cf Jean Tulard, Jean-François Fayard, Alfred Fierro, Histoire et dictionnaire de la Révolution Française 1789-1799,
Paris, éd Robert Laffont, 2004, p.15-26
7 Ainsi note- t'on des '' émeutes à Rennes entre nobles et étudiants '' le 27 janvier 1789, à Marseille, le 30 avril, où '' la
foule s'empare de trois forts et tue l'un de leurs commandants, le chevalier de Beausset '' ( Alfred Fierro ''
Chronologie : la Révolution jour par jour '', in Histoire et dictionnaire de la Révolution Française...op cit, p.313
8 Cf Norbert Rouland,’’Bourgeoisie et Révolution française à Aix d’après une correspondance inédite’’, Aix-enProvence, Salle d’histoire du droit, HD535, p.4
13
�généraux s'ouvrirent le 5 mai 1789.
En effet, face à une banqueroute imminente, le Roi Louis XVI consentait par '' l'arrêt du
conseil en date du 8 août 1788 ''9 à la convocation des états généraux pour le 1er mai 1789. Florin
Aftalion la décrit comme le '' dernier recours [ à une] crise du Trésor […] insoluble''
10
. Une
réaction autre, qu'une politique d'expédients menée par Necker entre 1776 et 1781 11, reposant sur
une théorie selon laquelle la diminution constante de la valeur de l'argent, ainsi que l'augmentation
de la population et des facultés contributives tendraient à diminuer le poids de la dette publique. Par
conséquent, même si elle n'était pas amortie, elle n'était pas un danger pour un pays 12. Cette théorie
étant vivement décriée par Florin Aftalion, ou Marcel Marion 13. Tout comme celle de dépenses
publiques de Calonne, afin de susciter la confiance des prêteurs (ou obligataires du Trésor) 14. Ou
bien la théorie visant à une augmentation des impôts ('' qui paraissait impossible car il était
communément admis, que ceux-ci avaient atteint une limite infranchissable''15).
François Quastana, dans sa thèse sur Mirabeau, rapporte l'avis de ce grand homme qui
dénonce la politique de Calonne, considérant le ministre, '' comme incapable, inconstant,
inconséquent dans sa politique'' 16. L'intermède de Brienne ne fut lui non plus guère plus brillant par
son échec à obtenir une contribution demandée à une assemblée de notables17. Marcel Marion
résumait la situation ainsi : '' Clugny18 allait conseiller la banqueroute, Necker recourir à l'emprunt
jusqu'à l'abus, Joly de Fleury19 tenter timidement et tardivement quelques augmentations d'impôts,
Calonne achever d'emprunter jusqu'à l'épuisement du crédit''20. Comme François Quastana
l'analyse : '' reculer les impôts, c'était tout simplement les aggraver'' 21. C'est donc bien cette ''
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Jean Tulard, Jean-François Fayard, Alfred Fierro, op cit, p.27
Florin Aftalion, l'économie de la Révolution française, Paris, collection Pluriel, éd Hachette, 1987, p. 45
Cf Florin Aftalion, ibid, p.37-39
Cf Marcel Marion, Histoire financière de la France depuis 1715, Tome I 1715-1789, Paris, éd Rousseau, 1914,
p.298-305
'' l'emprunt continuel, voilà donc ce qui caractérise sa gestion financière '' Marcel Marion, op cit Tome I , p.295
Cf Florin Aftalion, ibid, p.40-42 ( L'auteur compare de manière assez implicite mais claire, ce type de politique,
avec celle du premier gouvernement Chirac, et sa politique de déficit public...)
Florin Aftalion, op cit, p.41 ( Florin Aftalion précise que ces idées reçues étaient pour grande part l’œuvre du
genevois Necker, qui par ses écrits avait laissé accroire que la France était le pays le plus imposé, complexe de
persécution qui tend à caractériser les discours politiques contemporains)
François Quastana, la pensée politique de Mirabeau (1771-1789) : Républicanisme classique et régénération de la
monarchie, Thèse Aix, PUAM, 2007, p.411
Cf Florin Aftalion, op cit, p.42-43
Cf Marcel Marion, op cit Tome I, p.290 ( Clugny ne fut en poste que de mai à octobre 1776)
Cf Marcel Marion, op cit Tome I, p.338-340
Marcel Marion, op cit Tome I, p.290 ( L'auteur est très critique, seul Turgot, trouvait grâce à ses yeux, même s'il note
que Turgot n'apporta que fort peu d'innovations fiscales ( Cf p.281-283)
François Quastana, op cit, p.420
14
�conjonction de crises immédiates et anciennes qui a engagé la monarchie de Louis XVI dans la voie
parlementaire en 1789, avant de la faire disparaître corps et biens en 1792 ''22.
Face à cette situation inextricable il fallut donc bien se tourner vers les États Généraux.
Cette démarche ayant pour objet de trouver une solution aux crises financières et économiques du
Royaume se heurta, cependant à des revendications plus larges, car les constituants souhaitaient ''
une réforme capitale dans le sens de la simplification et de l'unification, réalisées le plus
radicalement et le plus systématiquement qu'il soit possible''23. Aspects et aboutissants primordiaux
de la Révolution qui mériteraient un développement particulier, malheureusement hors de propos,
dont on retiendra qu'ils débouchèrent sur la constitution du tiers-état en Assemblée Nationale le 17
juin, et sur la prise de la Bastille le 14 juillet 1789. Pour le sujet traité il convient d'avancer jusqu'au
rapport Treilhard devant l'Assemblée nationale du 23 septembre 1789, et à la proposition de
Talleyrand24 du 10 octobre 1789 de nationaliser les biens de l'église, afin de combler la dette
publique ; « le diable boiteux », qui fut agent général du clergé, pouvait évaluer sans peine
(puisqu'il en avait eu la charge) la valeur de ceux-ci ; grosso modo, deux milliards25. Suite à des
débats houleux26 '' le 2 novembre 1789, fut votée la loi relative à la confiscation de ces biens ''27.
Cette dernière, aura un impact sociétal important, puisqu'il consacrera (en lui retirant sa
puissance terrienne toute influence au clergé, l’assujettissant même par la suite avec la constitution
civile du clergé) l'abaissement et la dissolution du système d'ordre. Ainsi, Laurence Américi et
Xavier Daumalin peuvent avancer sans risques que cet acte ouvrit ''une période d'effervescence et
de troubles populaires propice à la remise en cause et au renouvellement des positions sociales
établies de longue date ''28. Plus précis, l'éminent Gabriel Lepointe, rappela que '' le clergé essaya
22 Jean-Clément Martin, '' la fin des assignats: comment le franc sauve la France '', in Marianne, n°818-819, décembre
2012, p.90
23 Gabriel Lepointe, Histoire des institutions du droit public français au XIXème siècle, 1789-1914, Paris, éd Domat,
Montchrestien, 1952, p.229
24 Gabriel Lepointe, op cit, p.444 ( Il convient néanmoins de relever que '' Calonne, quelques temps déjà auparavant,
avait encouragé la tendance à la main-mise de la Nation sur ces biens, en contre-partie de l'acquit des frais de cultes
et des services publics assurés par le Clergé '') . L'idée est donc loin d'être novatrice, et il est amusant de noter que la
contrepartie de Calonne sera retenue.
25 Trois milliards selon N.Petiteau, '' biens nationaux '', in Dictionnaire de l'Histoire de France, J-F Sirinelli et D.
Couty (dir), Paris, Armand Colin, Larousse, 1999, p.168 et noter les estimations farfelues des contemporains... cf
marion
26 Cf Philippe Cocatre-Zilgien, les controverses juridiques relatives à la propriété des biens ecclésiastiques en France
à la fin de l'Ancien Régime, Thèse Paris II, dactylo, 1986 et au livre de la pléiade les orateurs de la révolution
27 N.Petiteau, op cit, p.168
28 Laurence Américi, Xavier Daumalin, les dynasties marseillaises de la Révolution à nos jours, Paris, Perrin, 2010,
p. 13
15
�de sauver ses biens en proposant [… d'aliéner] lui-même ses biens, mais on lui opposa un refus, car
c'eut été garder le clergé comme ordre ''29. L'idée est donc communément admise.
Au-delà de la Révolution, cette « appropriation » des biens de l'église sera en l’occurrence la
plus importante depuis la tentative de Philippe le Bel sur les biens des templiers, que ce dernier
saisira. Cependant, la conclusion en sera différente, puisque ses successeurs les rendront contre des
rentes ou compensations, qui ne furent selon toute apparence jamais payées
30
. Plus proche sera
l'exemple des jésuites dont les biens seront confisqués, après leur bannissement. Néanmoins, il n'y a
là rien de comparable quant à l'importance des biens, et de l'impact sociétal.
Ainsi, foncièrement, les '' propriétés séculaires de l'église disparurent totalement en
quelques années tandis que des milliers de familles d'émigrés […] eurent leurs biens dispersés ''31.
Cette manne financière permettra de ''pourvoir aux besoins immenses de la Révolution'' 32. Mais audelà de l'expérience française, Marcel Marion, citait en exemple celui de la '' Révolution
américaine, dont l'histoire financière offre avec celle de la Révolution française, le plus curieux
parallélisme''33.
Politiquement, l'apport de la vente des biens nationaux multiplia les controverses, qui ne
sont à ce jour pas vraiment résolues de manière satisfaisante. Ainsi, récemment Eric Teyssier, et
Bernard Bodinier dans leur magistral ouvrage précité, retenaient que '' participer à la vente des
biens nationaux, c'était aussi parier sur l'avenir de la Révolution, et accepter d'apparaître de fait
comme un de ses partisans''34. Ce point de vue fut sévèrement décrié, longtemps avant eux par
Marcel Marion, qui notait très justement, que la vente des biens nationaux fut un '' fait
[politiquement] en vérité bien naturel, extraordinaire seulement aux yeux de personnes s'imaginant
bien à tort sur la foi de Michelet et d'autres historiens mal informés, qu'il fallut, pour acheter des
biens nationaux, faire acte de foi, et d'amour envers la Révolution, lier indissolublement sa cause à
la sienne, épouser à tout jamais ses intérêts, ses passions, ses ressentiments ''35. L'auteur s'appuyant
29 Gabriel Lepointe, op cit, p.453
30 Cf Alain Demurger, les templiers, une chevalerie chrétienne au Moyen-Âge, Paris, Seuil, Collection Points Histoire,
2ème éd, 2008, p.468-469
31 Eric Teyssier et Bernard Bodinier, op cit, p.41
32 Eric Teyssier et Bernard Bodinier, op cit, p.41
33 Marcel Marion, op cit Tome II, p.VI-VII surtout par rapport au régime de l'assignat
34 Eric Teyssier et Bernard Bodinier, op cit, p.42
35 Marcel Marion, op cit Tome II, p.298
16
�sur des lettres de la Reine à Fersen 36, ou sur des témoignages d'aristocrates ou d'ecclésiastiques
estimant la vente des biens nationaux comme le meilleur investissement possible37. Son argument le
plus pertinent, étant statistiquement, que nombre de biens de première origine, revinrent sur le
marché comme biens de seconde origine38. Ainsi, acheter des biens nationaux ne fut jamais une
protection contre la vindicte révolutionnaire, selon lui. Sans être aussi catégorique que les deux
points de vue présentés ci-dessus, on peut relever que toutes les classes sociales y participèrent,
dans un intérêt financier pour tous, dans un objet politique pour certains. La seule certitude fut
qu'elle consacra la dissolution des ordres, en fut-ce le but avoué ? Certains n'hésitent pas à
l'affirmer, il convient néanmoins de rester prudent sur le sujet.
Ces biens de l'église constitueront ce que l'on appellera désormais communément les
biens de première origine, tandis que ceux de seconde origine seront les biens confisqués aux
émigrés, à partir de 17923940. La confusion des deux formant ce que l'on a coutume de désigner
comme les biens nationaux. La distinction classique de biens immobiliers/mobiliers peut paraître la
plus simple. Cependant, la division classique d'origine fut tétrarchique, il y eut donc d'une part, les
biens ruraux, et les biens citadins, et d'autre part, les rentes, prestations en nature, et en numéraire 41.
Dans un souci de concision, il ne sera pertinent, en l'espèce, de ne traiter que des biens
immobiliers42.
Chronologiquement, la vente des biens de première origine commença en 1790, suite à la loi
du 19 décembre 1789 '' créant des assignats émis par l'état et gagés sur les biens de l'église''43 mais
se développa également sous d'autres formes, avec la création de mandats territoriaux (à partir du
28 pluviôse an IV-17 février 1796), ou l'autorisation d'user de monnaie métallique ( 5 thermidor an
IV-23 juillet 1796)44. Est-il nécessaire de rappeler que les assignats-monnaie connurent plusieurs
précédents, avec l'essai de Catherine II de Russie en 1768, et ses billets d'état, et bien avant avec
l'échec du système de Law sous la régence du Duc d'Orléans. En se penchant attentivement sur les
modalités de vente, on peut s'apercevoir que celles-ci ont évoluées en fonction des différents
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Cf Marcel Marion, op cit Tome II, p.299-300
Cf Marcel Marion, op cit Tome II, p.297-302
Cf Marcel Marion, op cit Tome II, p.298
Cf N. Petiteau, op cit, p.168
Un développement plus ample sera apporté dans les parties s'y référant
Cf Marcel Marion, op cit Tome II, p.126-127
Mettre des sources se rapportant à la vente des biens mobiliers et objets d'art de l'église
Jean Tulard, Jean-François Fayard, Alfred Fierro, op cit, p.60
Cf Coudart, '' Assignats'', in Dictionnaire de l'Histoire de France, J-F Sirinelli et D. Couty (dir), Paris, Armand
Colin, Larousse, 1999, p.104-105
17
�régimes qui se sont succédés, s'adaptant donc à la volonté des gouvernants, et à leur politique,
visant parfois à favoriser les petits propriétaires, ou les intérêts financiers de l’État. C'est là, le
juridique au service du versant politique de la vente des biens nationaux. Mais, il y a aussi le
juridique au service de l'aspect financier, et les tentatives plus ou moins malheureuses d'enrayer la
dévaluation des assignats ou leur fraude. Pour cette dernière hypothèse, il ne conviendra pas ici de
traiter des astuces d'écritures permettant de lutter contre la fraude, pour cela l’œuvre de Maurice
Muzcynski45, et l'ouvrage de Jean Bouchary46 se révéleront aussi érudits que possible. En l'espèce, il
serait plus opportun de traiter des fraudes entraînant déchéance des droits. C'est l'hypothèse des
manœuvres spéculatives. Il ne faudra pas non plus négliger le mécanisme de l'agiotage.
Sur un tout autre aspect des biens nationaux, il n'est pas anecdotique de rappeler que
l'historien Marcel Marion, écrivant au lendemain de la Grande Guerre n'hésita pas à comparer
l'effort consenti, autant pendant les guerres révolutionnaires, que lors de celle de 1914-1918, et que
afin de les financer toutes deux, des moyens similaires furent usités 47. Pour lui, la différence
majeure fut la confiance dans le franc que la population garda, au contraire de la défiance que les
assignats révolutionnaires inspirèrent toujours48. À ce propos, Michel David-Weill explique que ''
la création monétaire illimitée, ça marche tant que les monnaies inspirent confiance'' 49. Cet ancien
patron de la Banque Lazard de 1977 à 2001 évoque ainsi la politique entreprise suite à la crise de
2008, on voit donc sans peine que les mécanismes usités par les révolutionnaires et les financiers
actuels se ressemblent, le paramètre de la confiance est le seul qui puisse limiter une dangereuse
descente aux enfers. L'étude du régime des assignats est donc éclairant à cet égard.
Marcel Marion analyse que le déficit de confiance tenait à ce qu'il n'y a actuellement '' point
de dualité de prix, selon que l'on paye en papier ou en monnaie ''50 au contraire du papier-monnaie
révolutionnaire. Il y avait ainsi, un décalage entre la valeur nominale, et la valeur réelle ( évaluable
en numéraires) d'un assignat. Il reconnaît que si la vente des biens nationaux, sous la forme des
assignats, fut indispensable au début pour pallier à '' l'écroulement du crédit public, [ et ] au
45 Maurice Muzcynski, Les assignats de la Révolution française, Paris, éd Le Laudet, 1981. Cf les timbres secs (p.19)
et les signatures (p.20)
46 Jean Bouchary, Les faux-monnayeurs sous la révolution française, Paris, éd Rivière et cie, 1946
47 Marcel Marion faisait référence en l'espèce à un usage déconsidéré de ce que l'on nomme vulgairement, '' la planche
à billets ''.
48 Cf Marcel Marion, op cit Tome II, p.VIII-IX
49 Michel David-Weill, '' de la vertu des crises'', in Le Point, numéro double n°2101 et 2102 du 20 et 27 décembre
2012, p.99
50 Marcel Marion, ibid, p.VIII
18
�dépérissement des revenus réguliers ''51, c'est une voie sans issue heureuse, qu'il n'aurait pas fallu
poursuivre plus avant. '' Il importait d'en limiter le plus possible, et l'étendue, et la durée''52. Cela
n'aurait ainsi du être selon lui qu'un moyen supplétif à la cessation des recettes normales, durant les
premiers troubles révolutionnaires, et non pas '' un élément puissant d'enrichissement, une manne
salutaire ''53. A juste titre, il récusa les thèses, qui justifiaient la dépréciation de l'assignat, dans le
contexte de coalitions opposées à la France 54. Pour lui, elle est ''bien antérieure aux dépenses
considérables dont la guerre fut le signal ''55.
Cependant, il apparaît que l'échec de ce système reposait aussi sur le non-respect des
prérequis de la théorie d'Adam Smith sur la nécessité de garantir une monnaie non métallique. En
l'espèce, il y avait un défaut de garantie de l'assignat.
Autre épisode intéressant de la période, et directement lié au sujet, « la banqueroute des
deux-tiers ». Devant l'inanité des assignats, et la dette étouffante, une solution originale mais surtout
radicale est mise en œuvre. Jean-Clément Martin, dans sa synthèse parue dans Marianne, la décrit
comme le résultat recherché par un remboursement à concurrence des deux-tiers du capital des
créances sur l'état, '' en bons de trésorerie admis en paiement des impôts ou de biens nationaux ''56.
Ainsi, par ce mécanisme ressemblant étrangement aux assignats, le directoire se déchargeait de la
dette de l'état à moindre frais sur des biens nationaux réduits à peau de chagrin. Moyen risible, par
la simplicité du procédé, ayant pour effet de ruiner les rentiers de l'état, mais aussi la confiance des
prêteurs et donc du crédit à venir, mais ayant pour efficience incontestable d'effacer « l'ardoise ».
Le remède général semble être l'argent facile. Michel David-Weill, sur ce point, transcendant les
périodes, expose '' deux prétendues solutions. La première : imprimons de l'argent, dépensons et
les choses vont s'arranger. L'autre : soyons rigoureux, diminuons les dépenses, et ça finira par
s'arranger. La vérité, c'est que les deux politiques seules ne mènent nulle part'' 57. Pour le cas
révolutionnaire, le rétablissement d'une assiette d'imposition stable et efficace était la seule voie
viable, mesure recommandée par plusieurs révolutionnaires, opposants visionnaires du régime des
assignats.
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54
Marcel Marion, ibid, p.X
Marcel Marion, ibid, p.X
Marcel Marion, ibid, p.X
Il s'oppose en particulier, à Jean Jaurès qui soutenait lui que l'assignat n'aurait pas été déprécié avant 4 ans sans la
coalition européenne.
55 Marcel Marion, op cit Tome II, p. XI
56 Jean-Clément Martin, la fin des ...op cit, p.91
57 Michel David-Weill, op cit, p.99
19
�Juridiquement, l'article 17 de la déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen (votée le 26
août 1789) dispose que '' la propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si
ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la
condition d'une juste et préalable indemnité ''. A la lumière de cet article paraissant protéger la
Propriété, n'y a t'il pas là une incohérence à voir la saisie des biens ecclésiastiques, ou des biens des
émigrés, sans l'ombre d'une indemnité, et face à une nécessité publique évasive ?
Comme le rappelle très justement, le professeur Mestre : '' l'interprétation de l'article 17
[…] fait toujours l'objet de débats ''58. Cet éminent historien du droit expose avec rigueur le cœur de
la controverse et ses aboutissants59. Celle-ci repose sur '' l'opinion selon laquelle cet article ne
concernait à l'origine que la propriété foncière ''60. Et donc qu'il n'inclurait point la propriété
mobilière. Il rappelle ainsi, la théorie du doyen Savy, qui estimait que cet article avait pour principal
objet de parvenir à une unité foncière entre les anciennes catégories de domaine utile/ domaine
éminent61. Cependant, Monsieur Mestre considère à juste titre que, sur ce point, les constituants ont
voulu aller au-delà de cette simple unité 62. Il rappelle aussi, l'argument principal en faveur de cette
position minoritaire de la doctrine, celui du '' contexte socio-économique dominé par la maxime
« res mobilis, res vilis » ''63. Argument pertinent, mais encore insuffisant, quand on sait que les biens
mobiliers '' représentaient une part très importante du patrimoine, dont la spoliation sans
indemnités aurait été très péniblement ressentie ''64. Impression confirmée, par le travail d'archives
du Professeur Mestre, épluchant les débats, certes de l'Assemblée Nationale donc postérieurement
au vote de la DDHC de 1789, mais où l'interprétation du ministre Narbonne est sans équivoque 65.
'' L'article 17 de la Déclaration de 1789 concerne les meubles ainsi que les immeubles ''66.
Cependant, on retiendra que les deux courants doctrinaires s'accordaient au moins sur la
protection de la propriété foncière par la DDHC. La justification est différente pour les biens de
l’Église, et ceux des émigrés. Pour les premiers, il y a recours au concept de personne morale. Par
58 Jean-Louis Mestre, '' la déclaration des droits de 1789 et la propriété mobilière '', in Revue française de Droit
constitutionnel, 1996, p.227
59 Ibid, p.227-229 (il développe ensuite son propre point de vue)
60 Ibid, p.227
61 Jean-Louis Mestre, '' le conseil constitutionnel, la liberté d'entreprendre et la propriété '', in Recueil Dalloz, 1984,
p.5
62 Cf Ibid, p.5 ('' Aucun de ses arguments ne résistent à l'examen des conditions dans lesquelles la DDHC a été
élaborée'')
63 Jean-Louis Mestre, ''la déclaration ...op cit, p.228
64 Ibid, p.233
65 Cf Ibid, p.230
66 Ibid, p.232
20
�une fiction juridique réinventée pour l'occasion, Mirabeau a divisé la personne morale en deux
corps67. Tout d'abord, le corps à destination privé, ou les individus qui le composent sont
propriétaires du bien foncier, ou mobilier, ou autres, retirant le bénéfice du démembrement de ce
dernier. Enfin, ceux à destination publique qui retournent en cas de dissolution du corps, non pas
aux personnes le composant, mais à ceux qu'ils étaient sensés servir. C'est donc à la Nation qu'ils
doivent revenir, comme nouveau garant de la continuité d'un « service public ». De plus, le Clergé
n'étant pas une personne « physique », mais « morale », il ne pouvait pas être protégé par la
définition révolutionnaire de l'article 17 de la DDHC68.
Pour les émigrés, leurs biens étant des « possessions », il suffit de remonter à la source de
ces droits, de les abolir, et puisqu'ils ne sont pas des propriétés, de les en priver sans porter atteinte
au droit de propriété69. Astuce formelle, permettant, à l'historien Jean-Clément Martin, de parler
d'encouragement à l'achat de '' biens nationaux '', et de '' propriété privée préservée '' dans une
même phrase, sans pour autant énoncer une hérésie70. Anne-Marie Patault ajoute que pour les biens
des émigrés, on assistait là à des '' confiscation-sanctions, destinées à ôter aux ennemis de la
Révolution les moyens de nuire à la Patrie'' 71.
Somptueuse hypocrisie, où la notion de propriété est érigée en droit inviolable, et sacré, mais
où le législateur se réserve le droit de définir à sa guise ce que cette notion recouvre excluant ce qui
l'arrange. Là encore, cette impression est confirmée par le propos d'Anne-Marie Patault précisant
qu' '' aux yeux des révolutionnaires, la propriété des personnes morales n'est pas de même nature
que la propriété des particuliers, et peut lui être sacrifiée '' 72. Face à ce constat, on peut même
légitimement s'interroger sur la valeur juridique de l'article 17 de la DDHC, pendant la période
révolutionnaire, et plus généralement sur celle de la DDHC. En l'absence de garanties face à sa
violation, et au vu de sa mise à l'écart dans des moments opportuns, il ne paraît pas extravagant de
dire qu'elle n'en avait aucune, et relevait donc de la déclaration de principe selon Monsieur Leca.
Cependant, la thèse de Monsieur Halpérin, '' le tribunal de cassation sous la Révolution'' permet
67 Cf ibid, p.241 ( Il reprend là, la distinction d'Anne-Marie Patault, introduction historique au droit des biens, Paris,
PUF, 1ère éd, 1989, p. 192-193 )
68 Anne-Marie Patault, op cit, p.189 ('' la personnalité morale n'est coutumièrement reconnue qu'aux seuls groupements
chargés d'une mission de service public '') (Ce qui était le cas du Clergé)
69 Cf Marc Suel, '' la déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen:l'énigme de l'article 17 sur le droit de propriété,
la grammaire et le pouvoir '', in Revue de Droit Public, 1974, p.1314
70 Jean-Clément Martin, la fin des assignats...op cit, p.91
71 Anne-Marie Patault, op cit, p.190
72 Anne-Marie Patault, op cit, p.190
21
�d'avancer que la DDHC de 1789 fut perçue comme un texte de droit applicable, et non d'une nature
simplement philosophique73. Affirmation confirmée par Jérôme Ferrand74.
Cette étude passionnante ne saurait négliger le versant contentieux, inévitable lors d'un tel
transfert qui permet de voir à l’œuvre les nouvelles administrations, mais aussi l'application
concrète de la « summa divisio », ordre judiciaire/ ordre administratif, à partir des décrets de
décembre 178975 (dont l'application ne fut pas toujours respectée strictement 76). Ce versant permet
également de préciser, au travers de la pratique, les modalités de ventes mettant en exergue les cas
non prévus par la loi, mais aussi les aménagements à y apporter, comme la jouissance possible par
une municipalité d'un bien jusqu'à sa vente, et tout cela dans le cadre strict de l'intérêt général 77.
Intéressantes aussi sont les obligations faites à certains acheteurs d'aménager un passage dans le
milieu urbain, permettant ainsi une réfection du réseau de circulations, ou la création de nouvelles
artères, et cela à un moindre coût pour les finances publiques78.
La vente des biens nationaux ne peut être étudiée que dans une temporalité close. En effet,
elle déploie ses tentacules du début de la Révolution en 1789, jusqu'à la promulgation de la loi du
Milliard du 27 avril 1825 qui était censée réparer les émigrés lésés par la confiscation de leurs
terres. A propos de cette fameuse loi, on peut retenir que si elle eut un effet pacificateur, puisque
rassurant les acquéreurs des biens nationaux sur la propriété de leurs terres, elle fut néanmoins
fortement décriée après la Révolution de 1830, '' comme une spoliation colossale au préjudice des
classes laborieuses ''79. Cependant, elle ne bénéficia en réalité qu'à un petit nombre d'émigrés dans
des proportions raisonnables, alors que beaucoup n'obtinrent qu'un dédommagement dérisoire80.
73 Cf Jean-Louis Halpérin, Le tribunal de cassation sous la Révolution (1790-1799),thèse droit, Paris II, 1985, dactyl,
p.499-500
74 Jérôme Ferrand, '' Aux confins du politique et du juridique ou du bon usage des déclarations des droits par les
corps administratifs et judiciaires de la Révolution '', in Clio et thémis
75 Cf la préservation de l'autorité de l'administration par Jean-Louis Mestre, dans le chapitre Histoire du droit
administratif, in Traité de droit administratif, Pascale Gonod, Fabrice Melleray, Philippe Yolka (dir), Paris, Traité
Dalloz, 2011, p.17-18
76 Cf Solange Ségala, l'activité des autorités administratives départementales des Bouches du Rhône de 1790 à 1792,
Thèse Aix-en-Provence, PUAM, 1997, p.370
77 Cf Solange Ségala, op cit, p.362
78 Paul Cambon, la vente des biens nationaux pendant la Révolution dans les districts de Béziers et de Saint-Pons,
thèse droit, Montpellier, 1950, p.24
79 l'article lumineux de Marc Bouloiseau, '' la vente des biens des émigrés, 1792-1830 '', in l'information historique,
Janvier-Février 1949, numéro 1, p.6
80 Cf ibid, p.10 ( '' un certain nombre n'atteignit pas 300 francs'') ( '' majeure partie entre 10000 et 100000 francs '')
22
�Néanmoins, si la vente des biens nationaux pouvait alors paraître terminée, elle persista pour
les domaines encore aux mains de l’État, et le contentieux s'étendit pour certaines régions, comme
la Savoie, jusqu'au début du XX ème siècle où ''le tribunal civil de Chambéry statuait encore sur les
limites des propriétés vendues en l'an IV ''81. Cependant, en raison du volume d'archives à
compulser, et afin d'apporter une véritable analyse, il semble préférable de se limiter à la période
précédant le coup d’État du 18 brumaire an VIII-9 novembre 1799 de Napoléon Bonaparte.
Enfin, contrairement à ce qu'on pourrait penser, la vente des biens nationaux ne se limita pas
seulement à la France, mais toucha aussi l'actuelle Belgique, l'Italie, et l'Allemagne. L'étude possède
donc de nombreuses ramifications82. Celle qui sera approfondie portera sur le département des
Bouches-du-Rhône, car il est un département important comprenant une des plus grandes villes
françaises, Marseille, et que la lutte de pouvoirs entre cette dernière, et la belle Aix-en-Provence, en
vue '' d'obtenir [le] chef-lieu du [département]''83rend l'étude plus passionnante. Ce fut le décret du
22 décembre 1789 qui posa le principe de la division de la France en 75 à 85 départements, à la
base, puis définitivement à un nombre de 83, à partir du 15 janvier 1790. Des chef-lieux furent
également établis le 11 septembre 1791, (après l'échec d'un système d'alternance entre villes
rivales)84. Le terme de « département » n'est pas un néologisme, il était déjà préexistant sous
l'Ancien Régime, comme une division, et usité par d'Argenson, comme l'unité la plus petite des
généralités de l'intendant85. Ce département s'étendait sur la portion la plus riche de l'ancienne
province de Provence, à l'ouest de la Basse-Provence86.
Pourquoi diviser cette grande province ? Selon l'érudit Gabriel Lepointe : '' la division
administrative de la France en départements fut très vite décidée afin d'empêcher la survivance des
traditions abolies entre autres par la nuit du 4 août ''87. Il fallait donc chasser tous les
particularismes provinciaux, d'où découlerait donc la division de la Provence en plusieurs
départements. Le département des Bouches-du-Rhône '' comprenait au nord de la Durance,
l'ancienne viguerie d'Apt, des parties des vigueries d'Aix, et de Forcalquier, et plus loin vers le
81
82
83
84
85
86
Eric Teyssier et Bernard Bodinier, op cit, p.69
Cf Eric Teyssier et Bernard Bodinier, op cit, p.41
J-C Martin, la Révolution française 1789-1799, Paris, Belin, 2004, p.97
Cf Gabriel Lepointe, op cit, p.237-238
Ibid
Cf ibid, p. 87-88, Pour la Haute-Provence, le département des Basses-Alpes, chef-lieu Dignes, et celui des HautesAlpes, chef-lieu Gap, et pour la Basse-Provence, le département des Bouches-du-Rhône, chef-lieu Aix, et celui du
Var, chef-lieu Toulon, le Vaucluse n'étant formé qu'à partir de 1793.
87 Gabriel Lepointe, op cit, p.229
23
�nord, Mondragon''88. Le département était composé de six districts, celui d'Aix, d'Apt, d'Arles, de
Marseille, de Salon, et enfin celui de Tarascon. L'ancienne principauté d'Orange, '' d'abord
rattachée provisoirement à la Drôme, fut […] réunie aux Bouches-du-Rhône par un décret du 12
octobre 179089''. Ce fut le septième district fusionné avec Mondragon. La réunion de la partie
méridionale du Comtat Venaissin, et d'une partie des États du Pape à la France provoqua
l'intégration d'un huitième district, celui du Vaucluse90. Mais, le décret du 25 juin 1793 créa le
département du Vaucluse, limitant le département des Bouches-du-Rhône aux cinq districts d'Aix,
Arles, Marseille, Salon et Tarascon91. Dans cette réorganisation de la France en révolution, '' on dit
qu'Aix a tout perdu ''92. Ce ne fut pas tout à fait vrai au début. Paris se méfiant de Marseille, trop
turbulente, le district d'Aix obtint la part du lion 93. Cependant, si de prime abord, ''Aix l'emport[a],
[finalement] les marseillais march[èrent] sur leur rivale, et s'empar[èrent] de la puissance
départementale ''94, et ramenèrent avec eux, '' sous leur contrôle, le chef-lieu des Bouches-duRhône : il y est encore''95. Néanmoins, il faut préciser qu'un '' décret du 7 pluviôse an III le rétablit
à Aix-en-Provence ''96, avant que le décret de ventôse an VIII ne redonne le chef-lieu à Marseille.
Selon Laurence Américi, contrairement aux idées reçues, '' jusqu'en 1792, la cité phocéenne
ne sembl[a] pas profondément affectée par les événements en cours et sa situation économique
demeur[a] relativement prospère ''97. Cette affirmation apparaît à moitié vraie, car en effet s'il
apparaît qu'économiquement avant les blocus, les négociants98 pouvaient maintenir leurs échanges,
et donc contribuer à la prospérité de la cité, pourvoyant ainsi les 58% de salariés marseillais en
ouvrages99, et que suivant la courbe des prix, celle-ci nous indique certes '' une hausse réelle, mais à
tout prendre limitée ''100. Il n'en demeure pas moins que selon Édouard Baratier,'' Marseille anim[a]
de son incessant dynamisme la Révolution provençale dans [les] années 1789 à 1791, où la lutte
88 C. Badet, R. Bertrand, B. Cousin, Guide des sources régionales pour l'Histoire de la Révolution française : Alpes de
Haute-Provence, Haute-Alpes, Alpes-Maritimes, Bouches-du-Rhône, Var, Vaucluse, Aix-en-Provence, Publication
diffusion, Université de Provence, 1987, p.73
89 Ibid
90 Cf décret du 23 septembre 1791 et décret du 26 mars 1792
91 Cf C. Badet, ...op cit, p.73
92 Dominique Buisine (dir), Histoire d'une ville : Aix-en-Provence, Collection Parcours Histoire, CRDP Aix-Marseille,
2008, p.99 ( partie réalisée par le grand Michel Vovelle)
93 Cf Ibid, p.99
94 J-C Martin, op cit, p.97 (Le 24 août 1792)
95 Maurice Agulhon et Noël Coulet, Histoire de la Provence, Paris, PUF, 4ème éd, Collection Que sais-je ?, 1987, p.89
96 C. Badet, ...op cit, p.73
97 Laurence Américi, Xavier Daumalin, op cit, p.13
98 '' Ce haut du pavé marseillais, représente 3% de la population'' ( Édouard Baratier (dir), Histoire de Marseille,
Collection Univers de la France et des pays francophones, Toulouse, éd Privat, 1973, p. 266
99 Cf Ibid, p.264 ( 58% de la population était salariée)
100 Édouard Baratier (dir), Histoire de la Provence,Toulouse, Collection Univers de la France et des pays
francophones, Toulouse, éd Privat, 1969, p.399
24
�resta incertaine entre forces de réaction et de changement ''101. Le département des Bouches-duRhône fut donc très loin de la non-affectation des événements décrite par l'auteure précitée, même si
le ''mythe véhiculé [par] Mirabeau d'une Provence soulevée ''102 est quelque peu surfait. François
Quastana rappelle ainsi que si Mirabeau, à propos des émeutes du 23 mars 1789, '' contribua par sa
présence, et son action à les calmer'', il fut aussi accusé d'en être responsable 103. Celui-ci a donc pu
gonfler l'importance du trouble afin de magnifier son action, tout comme César avait pu surestimer
les forces coalisées dans sa guerre des Gaules, pour magnifier d'autant l'importance de sa conquête.
Il n'en demeure pas moins que la lutte entre révolutionnaires, et contre-révolutionnaires ne fut point
épisodique104. Aix-en-Provence par le nombre de ses aristocrates, et de ses clubs patriotiques (« les
amis de la constitution »(jacobins), ou les « Antipolitiques ») ne fut pas en reste. La conspiration
royaliste du Sud-Est eut ainsi de nombreuses ramifications aixoises, et fut décapitée par la
pendaison de trois aristocrates sur le Cours Mirabeau 105. De plus, l'épisode fédéraliste
particulièrement prenant dans cette région rehausse encore l'intérêt de cette période, s'il y en eut
déjà besoin. (chercher déf précise federalisme dans la thèse Roland Debbasch). La reconquête par
les troupes révolutionnaires débouchera directement sur la terreur, puis la terreur blanche qui furent
particulièrement fortes dans ces deux villes, où révolutionnaires radicaux, et contre-révolutionnaires
se succédèrent106.
Quel sentiment de plénitude que de naviguer dans ces périodes troublées, et donc d'observer
l'application des différentes législations sur les biens nationaux, et leurs conséquences non
négligeables dans un département riche en rebondissements, où les opportunistes se mélangent aux
craintifs, où l'achat des biens nationaux sous un régime peut être un sésame (Terreur), ou une
condamnation à mort ( répression de la terreur blanche contre les acquéreurs). Où ce
bouleversement foncier marque l’avènement de la Bourgeoisie. Il serait sans aucun doute
passionnant de s'intéresser à l'évolution des mentalités sous ces périodes, et la réception locale des
idéaux révolutionnaires au travers de la vente des biens nationaux, de l'influence que ces dernières
ont eu dans l'esprit des acquéreurs lors des modifications de modalités de ventes. Cette étude a été
faite sur un pan particulier de la population aixoise, celui du personnel municipal, dans la
101 Édouard Baratier (dir), Histoire de la Provence...op cit, p.402
102 Edouard Baratier, ibid, p.399
103 François Quastana, op cit, p.554-555
104 Maurice Agulhon, Noël Coulet, op cit, p. 89 ( '' les clubs et les sections électorales, vivant dans la peur d'un complot
aristocratique, encadrent l'agitation du petit peuple urbain'')
105 Cf Dominique Buisine (dir), op cit, p.100
106 Cf ibid, p.103
25
�magnifique thèse de Christiane Derobert-Ratel 107. Cependant, il paraîtrait prétentieux de penser
pouvoir en faire l'étude sur tous les pans de la population aixoise, quand Madame Derobert-Ratel ne
le fait que sur un seul. De plus, tout aussi intéressante que soit cette analyse, elle peut paraître
hasardeuse, car si Madame Derobert-Ratel a pu dégager une unité de comportement des officiers
municipaux, il serait plus difficile d'en trouver une pour le pan de la bourgeoisie dans son ensemble,
notamment pour une question de sources.
Pourrait-on alors se rapporter à quelques occurrences de la bourgeoisie ? La réponse est
limpide selon le Professeur Rouland, ''déduire cette unité de l'étude de la seule individualité serait
évidemment illusoire, en revanche y voir comme un reflet d’attitudes mentales et politiques
dominantes dans une catégorie [peut paraître] constituer une interprétation raisonnable''
108
. Cette
limite énoncée par l'auteur pour la Bourgeoisie aixoise est valable pour tous les pans de populations.
Surtout quand on sait que le degré d'alphabétisation reste faible en-dehors des couches aisées.
Étendre l'étude de Madame Derobert-Ratel, à la population aixoise dans son ensemble, et sur
l'idéologie des biens nationaux, plus particulièrement, paraît donc difficile, mais pas impossible,
l'étude des journaux de l'époque, et des correspondances ( comme le professeur Rouland), pouvant
en être un baromètre fiable pour peu que l'on sache en repérer les éléments subjectifs. Néanmoins,
cela ne sera pas fait dans le présent travail.
Le contentieux de la vente des biens nationaux est vaste, et porte sur tous les cas possibles et
imaginables. Cependant, comme il n'est pas possible de tout traiter, on se limitera à l'étude du
contentieux visant à sortir de la catégorie des biens nationaux certains biens. Les cas de fraude sont
aussi intéressants, notamment au travers du mécanisme de l'agiotage. Ce dernier étant responsable
d'une perte considérable pour l’État lors du paiement des biens vendus. Ces deux hypothèses
constitueront le pan sur le contentieux des biens nationaux dans le département des Bouches-duRhône. On remarquera à cet égard que la notion d'intérêt général occupera une place essentielle
( Titre 2).
107 Christiane Derobert-Ratel, Institutions et Vie municipale à Aix-en-Provence sous la Révolution, éd Chaudoreilleédisud, 1981
108 Norbert Rouland, op cit, p.10
26
�Néanmoins, afin de comprendre ce contentieux, il faut aussi évaluer les modalités de vente
des biens nationaux. Leur étude révèle une lutte entre les intérêts financiers et les intérêts politiques
( Titre 1). L'intérêt politique pouvant parfois prendre un caractère social. La division des modalités
de vente épousera naturellement la démarche permettant le transfert de propriété. Il faudra ainsi
commencer par dégager l'assise des biens nationaux, en distinguant les biens de première origine et
ceux de seconde origine. Cette étude montrera les aspects financiers et politiques intrinsèquement
complémentaires. Ensuite, il conviendra de revenir sur l'évaluation des biens ainsi que de leurs
formalités de publicité. Par la suite, il faudra s'attacher aux modalités d'adjudication et de paiement,
révélatrices d'un caractère social souvent supplanté par le caractère financier omniprésent. Enfin, il
ne faudra pas oublier l'étude des moyens de paiement. Ces derniers seront particulièrement éclairant
sur les causes de l'échec partiel de la vente des biens nationaux. Un affreux gâchis.
27
�28
�TITRE 1 : Les modalités de vente des biens nationaux : la fusion
d'intérêts politiques et financiers
Il faut donc avant tout comprendre et assimiler les modalités de vente des biens nationaux,
afin d'en saisir une particularité originale. Il apparaît évident que la vente d'un bien répond à un
besoin ou tout du moins à un intérêt financier. Jusque-là, rien de bien extraordinaire. En revanche,
lorsque cette vente cache un intérêt politique, la situation devient plus alléchante. Or on peut
s'apercevoir que dans le cadre de la vente des biens nationaux, ces deux intérêts se confondent dans
la phase préparatoire à leur vente (Chapitre 1), que ce soit dans la détermination de l'assise des
biens nationaux ou dans les formalités préparatoires. Pour ne rien gâcher, ces deux caractères se
retrouvent aussi, mais en opposition dans la réalisation de la vente des biens nationaux
( Chapitre 2). Ainsi, on peut constater que la vente des biens nationaux en général revêt ce caractère
d'interpénétration du financier et du politique. Cette étude nécessite de revenir à la source des
décrets, et donc de parcourir consciencieusement les débats parlementaires de ceux visant les biens
nationaux. Le rattachement de la pratique au département des Bouches-du-Rhône passe
nécessairement par l’œuvre de Paul Moulin. Ces deux travaux en raison de leur ampleur ne pourront
se réclamer d'une recherche parlementaire exhaustive, mais se voudront dans le premier cas, le plus
explicatif possible, et dans le second cas, le plus illustratif.
29
�30
�CHAPITRE 1 : La phase préparatoire de la vente des biens nationaux
La phase préparatoire de la vente des biens nationaux doit être appréhendée dans l'ordre. Il
faut d'abord dégager les biens concernés, l'assise des biens nationaux, tout en ne perdant pas de vue
que leur choix répond à un besoin financier, mais aussi à une sanction politique (Section 1). Il
faudra ensuite analyser les formalités préparatoires aux ventes. Par celles-ci, on entend l'estimation
des biens et les formalités de publicité (Section 2). Là encore, on ne saura trop le répéter, intérêts
financier et politique sont étroitement liés.
31
�32
�Section 1 : Les motivations financières et politiques dans le choix de l'assise des
biens nationaux
Ces deux intérêts sont particulièrement visibles dans le choix de l'assise des biens nationaux.
Ainsi, les biens de première origine majoritairement issus de la nationalisation des biens de l'église
ont un caractère éminemment politique dans le sens où ils marquent l'abaissement ecclésiastique.
Mais ils répondent prioritairement à la situation financière et économique critique du Royaume,
puis de la République. La portée apparaît donc implicitement politique et surtout explicitement
financière. Progressivement, on remarquera que cette nationalisation s'est étendue à différents biens,
dépouillant un peu plus le Clergé ( Paragraphe 1). En revanche, pour les biens de seconde origine,
certes si l'aspect financier n'est pas négligeable, il apparaît néanmoins que la visée est explicitement
politique au départ. Par la suite, les deux courbes auront tendance à s'inverser ( Paragraphe 2).
33
�34
�Paragraphe 1 : Étude des caractères financiers et politiques dans l'évolution asymptotique des
ventes de biens de première origine
En étudiant l'assise des biens de première origine, on s'aperçoit que cette dernière a été
instantanée par la mise à disposition de tous les biens ecclésiastiques. En revanche, les biens vendus
comme biens nationaux, eux ont connu un élargissement asymptotique. Ainsi, tous les biens mis à la
disposition n'ont pas été mis en vente immédiatement. Progressivement, de nouvelles catégories
seront intégrées à la catégorie primaire. On peut s'apercevoir que des motivations financières et
politiques sous-tendront cette évolution.
L'étude de la vente des biens nationaux passe par l'évaluation de la ''répartition sociale de la
propriété foncière à la veille de la Révolution''109. Christian Bonnet note que '' la paysannerie est
bien pourvue, possédant le plus souvent plus de la moitié de la terre, parfois plus des deux tiers (
Auriol:74%)''110. La propriété nobiliaire est elle aussi importante. En revanche, la ''propriété
ecclésiastique est infime''111. Elle est généralement inférieure à 2% selon Christian Bonnet.
Comparativement aux pays du Nord, où le Clergé possède près de 20% des terres. C'est
effectivement très faible. On peut donc à partir de ces premières données avancer que l'impact
financier de la vente des biens nationaux de première origine dans les Bouches-du-Rhône, sera
moindre par rapport à d'autres régions. Ainsi, Paul Moulin note qu'il y eut 620 adjudications pour le
seul district de Marseille pour un total de 5067 adjudications dans tout le département 112. Cela
n'éclaire pas vraiment sur la superficie totale des biens vendus. À vrai dire, le nombre de lots et la
diversité de superficie oblige à une catégorisation systématique qui peut se révéler fastidieuse. Il
semble plus opportun d'illustrer d'exemples ponctuels, les différentes hypothèses et de s'attacher à
l'analyse des décrets qui en augmentèrent l'assise. On peut néanmoins relever ces quelques chiffres,
grâce au travail de Christian Bonnet. À Aix-en-Provence, les ventes commencèrent le 22 janvier
1791. Il y eut 103 ventes en 1791 pour un montant de 1.245.850 livres, et 104 ventes en 1793 pour
un montant de 755.400 livres113114. En tout il y eut 404 ventes, dont 35 furent inférieures à 1000
109 Christian Bonnet, '' La vente des biens nationaux dans les Bouches-du-Rhône'', in Histoire, économie et société,
1988, 7ème année, p.117
110 Ibid
111 Ibid, p.118
112 Cf Paul Moulin, Documents relatifs à la vente des biens nationaux, Tome 1, Marseille, Barlatier, 1908, p.LXXILXXII
113 Christian Bonnet, op cit, p.118
114 On remarquera juste l'écoulement de 6 mois entre la loi imposant les ventes et le début des ventes. On peut
35
�livres et 229 comprises entre 1000 et 5000 livres115.
Tout commence avec le décret du 2 novembre 1789 qui dispose que '' tous les biens
ecclésiastiques sont à la disposition de la nation'' 116. Il faut particulièrement insister sur les mots
« tous les biens ». Il n'y aura en effet pas d'exception. En revanche, tous ne seront pas vendus, mais
tous seront susceptibles de l'être. Progressivement, cette mise à disposition touche chaque bien
ecclésiastique, mais pas seulement. Ainsi, le décret du 9 mai 1790, quant à lui, met à disposition de
la Nation les biens de la Couronne. Il ne paraît pas y avoir de cas référencés dans les recherches de
Paul Moulin pour les Bouches-du Rhône.
En revanche, les exemples ne manquent pas pour les biens ecclésiastiques. Ainsi, le décret
du 5 février 1790 ''supprime les maisons de religieux de chaque ordre ''117. Par exemple la
communauté des Feuillants à Marseille, d'après la déclaration faite par le supérieur regroupe
environ 18 maisons pour un revenu égal à 15.119 livres 118. En retraçant ce bien, on en découvre
l'estimation faite à 385.400 livres 119. Le bien sera divisé en différents lots vendus respectivement par
bloc le 29 mars 1791, le 28 et le 29 avril 1791, le 2 mai 1791, et un unique lot le 2 frimaire an V 120.
La valeur totale d'adjudication est de 543.250 livres. Un constat s'impose, la plupart des lots de
l'ancienne communauté des Feuillants ont été vendus avant 1792, un seul a mis un certain temps
avant de trouver preneur. On peut étendre ce constat a la plupart des biens des ordres et couvents
aliénés. La majorité le sont avant 1793.
En revanche, certains biens étaient exclus de l'aliénation car destinés aux exercices d'un
culte. On en laissait généralement subsister ''une par municipalité''121. Cette affirmation de Bodinier
et de Teyssier est partiellement vraie dans le cadre des Bouches-du-Rhône. Pour les petites villes,
comme Cassis ou Istres, elle est vraie puisque leurs uniques paroisses respectives en ont été
conservées122. Mais ce serait là négliger le cas de Marseille qui conserva 42 églises, comme celle de
la Major. Arles est dans le même cas de figure avec 5 églises. Jouques, relativement petite ville en
légitimement se demander ce qui a pris autant de temps.
115 Paul Moulin, op cit, Tome 1, p. XLV (introduction)
116 Jacques Duvergier, Collection complète des lois, décrets ordonnances, règlements, avis du Conseil d'état, Paris,
Guyot et Scribe, 1824-1949 , Tome 1, p.54-55
117 Eric Teyssier et Bernard Bodinier, op cit, p.26
118 Cf Paul Moulin, op cit, p.155-156
119 Cf Paul Moulin, Documents relatifs à la vente des biens nationaux, Tome 3, Marseille, Barlatier, 1910, p.31-32
120 Cf Paul Moulin, op cit Tome 4, p.137, p.142-143 et p.268
121 Eric Teyssier et Bernard Bodinier, op cit, p.26
122 Cf Paul Moulin, Documents relatifs à la vente des biens nationaux, Tome 4, Marseille, Barlatier, 1911, p.232
36
�conserve 2, néanmoins l'une des deux est en ruine. Son cas n'est donc pas pertinent. En revanche,
pour Marseille et Arles, on trouve une exception claire à cette règle d'une église par municipalité 123.
L'explication en est assez aisée, la division repose plus sur un lieu de culte conservé par paroisses.
On ne tient donc pas compte du critère « municipalité » mais du critère « paroisse ». Cela a
l'avantage de prendre en compte le nombre de paroissiens, qui varie de municipalité en
municipalité. Ainsi, prendre le critère « municipalité » reviendrait à obliger quelques dizaines de
milliers d'habitants à se réunir dans une seule église. Alors que l'usage du critère « paroisse » permet
de répartir ceux-ci en plusieurs églises, en paroisses. Cette logique est visible dans cette lettre
d'Amelot, où ce dernier évoque la nécessité de répondre au besoin légitime des citoyens ''d'un
secours spirituel de la religion'' 124. Ceux-ci doivent donc avoir un accès facilité à leur culte. Cette
détermination entraînera des frictions entre le district de Marseille, et les autorités départementales
notamment125.
Autre exception à la vente matérialisée, par le décret du 6 août 1790 excluant '' des ventes
les forêts et les bois'' de plus de 50 hectares. Ainsi, la forêt de la Queyrié de 1.490.400 toises à Aix
ne risque pas d'être vendue126. Ceux-ci restent propriété de l'état127.
Ensuite, par le décret du 6 mai 1791, il est décidé que ''les églises, chapelles, presbytères des
paroisses et des ordres supprimés seront vendus''128. On peut prendre comme exemple, la vente de la
chapelle de Saint-Giniez de l'abbaye de Saint-Sauveur à Marseille, estimée à 3.594 livres et vendue
pour 7.000 livres le 21 mars 1791 à Esprit Izouard129.
Plus intéressante est la décision de vendre les biens des corporations. Cette dernière est prise
par le décret du 26 septembre 1791. Le cas des portefaix de Marseille est particulièrement
intéressant et sera plus amplement développé dans la partie contentieuse.
123 Cf Paul Moulin, ibid, p.232-233
124 AD, L183, Lettres d'Amelot du 26 novembre 1792, f°93
125 Il en sera traité dans la partie contentieuse
126 Cf Paul Moulin, op cit, Tome 4 , p.233
127 Eric Teyssier et Bernard Bodinier, op cit, p.27
128 Ibid, p.27
129 Paul Moulin, op cit, Tome 3, p.136
37
�Enfin, le décret du 1er avril 1793 ordonne la vente des palais épiscopaux et des palais
royaux. Dans les Bouches-du Rhône, si des biens des archevêchés ont été vendus, on ne trouve
nulle trace de la vente des palais épiscopaux que ce soit pour Aix, ou pour Marseille 130. Le même
constat apparaît pour l'archevêché d'Arles.
Cette frénésie va même jusqu'à vendre les biens des hôpitaux sur la base la loi du 11 juillet
1794 (23 messidor an II)131. Ainsi peut-on relever la vente de l'Hôpital de la Charité à Aix-enProvence132, ou l'Hospice de la Grande-Miséricorde à Marseille 133. Finalement, la vente est
suspendue par le biais du décret du 26 août 1795 (9 fructidor an III). Finalement, le décret du 2
brumaire an IV suspendra définitivement la loi du 23 messidor an II. Elle ne sera jamais reprise
avant la Restauration. On peut s'étonner de la vente de biens destinés au service public, car ce n'est
pas ce qui transparaît dans les législations révolutionnaires, plutôt soucieuses des indigents, et donc
des moyens de leur venir en aide, néanmoins durant cette courte période cela prévalu134. Au final, en
France, on estime que 75% des biens hospitaliers furent vendus. Pour le département des Bouchesdu-Rhône, cette estimation semble sensiblement inférieure135.
On constate sans difficulté l'intérêt financier à retirer de la vente des biens nationaux de
première origine. Mirabeau dans son discours à l'Assemblée Nationale du 30 octobre 1789 sur la
propriété des biens du clergé avait résumé la situation ainsi : '' les autres ont parlé de l'influence
qu'aurait sur le crédit public le décret[...], de l'immense hypothèque qu'il offrirait aux créanciers
''136. Cependant, ce qui transparaît en filigrane, c'est l'aspect politique. Ainsi, certains ordres
religieux influents sont muselés, comme les jésuites dont la vente des biens est imposée par le
décret du 18 juillet 1793. Plus généralement, priver le clergé de ses terres revient à le priver de ses
principales ressources, mais surtout les rend dépendants pour leur subsistance, soit de dons, soit ( et
c'est l'hypothèse recherchée) de l’État. En effet, c'est assurément cette visée qui fut recherchée. Pour
s'en assurer, il suffit de reprendre les termes du décret du 2 novembre 1789. Ceux-ci affirment une
130 Cf Paul Moulin, op cit tome 2, p.195,p.197,p.200,p.395,p.658 ( Pages référençant les ventes des biens de l'Évêché
de Marseille) et pour les ventes des biens de l'archevêché d'Aix ibid, p.511-512 et Paul Moulin, op cit tome 1, p.444445
131 Jean Imbert, Le droit hospitalier de la Révolution et de l'Empire, Paris, éd Sirey, 1954, p.79
132 Cf Ibid tome 1, p.504
133 Cf ibid tome 3, p.245
134 Jacques Duvergier, op cit, Tome 10, 17 octobre 1798-26 vendémiaire an VII, p.367 '' sera vendu dans les formes ciaprès réglées, une quantité suffisante de domaines nationaux, autres que les bâtimens affectés au service public et
les bois non aliénables par les lois précédentes, pour fournir en l'an 7, en numéraire et valeur effective, la somme
de 125 millions''
135 60%
136 Les orateurs de la Révolution française, Tome 1 Les constituants, Paris, Gallimard, 1989, p.693
38
�contrepartie à la nationalisation des biens de l'église...''la charge de pourvoir[...] aux frais de culte,
à l'entretien de ses ministres, et au soulagement des pauvres'' 137. Pourquoi cette exigence de mise en
dépendance ? Il existe plusieurs raisons assurément. La première est de détruire la société d'Ancien
Régime divisée en ordres. Or '' si le clergé conserve ses biens, l'ordre du clergé n'est pas encore
détruit''138. Ces paroles de Le Chapelier sont sans appel. Cet aspect est couramment admis, et il est à
vrai dire le plus évident rétrospectivement.
La seconde raison est que la parole du clergé est précieuse, surtout dans les petites
campagnes illettrées. Par conséquent, l'assujettir, c'est garantir d'une part, que ce dernier ne montera
pas la populace contre le gouvernement, car '' le peuple n'est pas instruit parce qu'il ne sait pas
lire''139. Sur ce point, le nouveau clergé, enfant de la Constitution[...] se fera un plaisir et un devoir
de concourir de toutes les manières à l'instruction publique dont dépend le bonheur des peuples''
140
. Et d'autre part, il faut garantir qu'il en parle favorablement. En effet, la thèse de Solange Ségala
met en exergue la nécessité du recours aux curés pour faire passer un message gouvernemental 141.
Cet intérêt est visible, il suffit pour cela de citer Le Chapelier dans son discours sur les biens
ecclésiastiques du 2 novembre 1789 à l'Assemblée Nationale :''Pour qui les églises retentissentelles de prières ? Pour la Nation. À qui a-t-on donné ? Aux individus ? Vous ne le pensez pas ; au
culte ? Vous avez raison ; mais le culte à qui appartient-il ? À la Nation''142. Les administrateurs
départementaux des Bouches-du-Rhône en étaient parfaitement conscients143.
Les mêmes éléments se retrouvent dans les biens de seconde origine, mais à des degrés
divers.
137 Jacques Duvergier, op cit, Tome 1, p.55
138 Les orateurs de la Révolution française, Tome 1 Les constituants, Paris, Gallimard, 1989, p.394
139 AD, L122, 29 août 1790, p.104
140 Ibid
141 Cf Solange Ségala, op cit, p.209-210 ( une administration soucieuse de subordonner étroitement le clergé )
142 Les orateurs de la Révolution...op cit, p.394
143 AD, L122, 29 août 1790, op cit
39
�40
�'' Dans les gouvernements
d'Europe, la base de
l'aristocratie est la
propriété de la terre, la
base de la monarchie la
force publique, la base de
la démocratie la richesse
mobilière ''144
144 Antoine Barnave, ''De la Révolution et de la Constitution'' , préface François Furet, PUG, 1988, p.54
41
�42
�Paragraphe 2 : Les biens de seconde origine : La transformation d'une confiscation juridicopolitique en opportunités financières et sociales
Pour le révolutionnaire Barnave, la base de l'aristocratie est la propriété de la terre. C'est en
effet assez cohérent, avec le fait de punir les émigrés en leur confisquant leurs terres, si on considère
que'' la propriété territoriale […] est le principe de l'aristocratie, […] parce qu'il est dans sa nature
de donner l'empire et la force militaire à ceux qui la possèdent'' 145. Leur ôter cette propriété, c'est
leur retirer leur puissance, et donc dissoudre leur ordre, dans son effectivité. Leur enlever leurs
terres, c'est leur retirer leur assise, leur puissance. Cela peut aussi être vu comme un moyen de
chantage puissant pour qu'ils reviennent. Et si cela ne suffit pas, on peut alors en venir à confisquer
les biens de leurs parents146. La confiscation des biens des émigrés apparaît donc originellement
idéologique. Cependant, en raison des circonstances, elle se transformera en opportunité financière,
mais aussi sociale.
Cependant, il faut reprendre la base juridique de la confiscation des biens des émigrés depuis
le début. L'origine se trouve dans le décret du 9 février 1792. Ce dernier comporte plusieurs
éléments qu'il convient d'analyser car il démontre le caractère éminemment politique de cette
mesure sanction. Il y eut ainsi le vote d'une mesure d'urgence, puis la mise sous la main de la nation
des biens des émigrés. Les termes sont importants.
'' L' Assemblée nationale, considérant qu'il est instant d'assurer à la nation l'indemnité
qui lui ai (sic) due, pour les frais extraordinaires occasionnés par la conduite des émigrés, et de
prendre les mesures nécessaires pour leur ôter les moyens de nuire à la Patrie, décrète qu'il y a
urgence''147. Il faut s'arrêter sur les premiers mots « assurer à la nation l'indemnité qui lui ai
due ». Plusieurs raisons furent dégagées durant les débats parlementaires. Ainsi, le rapporteur
Sédillez entendait qu'un citoyen ne saurait abandonner son pays, '' sans lui porter un notable
145 Antoine Barnave, op cit, p.61
146 Cf décret du 17 décembre 1793 séquestrant les biens des pères et mères d'émigrés
147 AP, 1ère série, Tome 38, p.314 (décret du 9 février 1792)
43
�préjudice, sans compromettre le bien et la tranquillité du pays'' 148. À plus forte raison, l'abandonner
dans le péril, c'est le déserter, et en ce cas, ''l’État est en droit de punir sévèrement''
149
. La violation
du devoir de secours de sa nation en danger, ''doit donc donner lieu à une peine ou, au moins, à une
indemnité''
150
. Plus grave encore, '' les trames connues de plusieurs de ces français auprès des
puissances pour les armer contre nous'' font que ''la guerre nous menace, ils en sont la cause'' 151.
L'indemnité est donc due premièrement pour « les frais extraordinaires » occasionnés par « la
conduite des émigrés ». Il y a donc une dénonciation à la fois de la trahison mais aussi du devoir
défaillant. Le député poursuit en disant que '' nous devons à la patrie nos talents et notre vie quand
elle en a besoin''
152
. Deux obligations auxquelles les émigrés ne répondent pas, et qui justifient
aussi une indemnisation. ''Ils en doivent non seulement pour les forces dont ils nous privent, mais
encore pour celles qu'ils tournent contre nous''
153
. Au-delà du manque au devoir, c'est surtout la
trahison qui hérisse les députés. Cette idée d'indemnisation de la nation pour le préjudice subi, tous
s'y accordent. En revanche, le choix de sa forme n'est pas déterminé unanimement. Certains sont
partisans d'une forte amende, d'autres d'une mise sous séquestre des biens, et les derniers d'une
confiscation pure et simple.
L'unanimité est trouvée sur le principe « de prendre les mesures nécessaires pour leur ôter
les moyens de nuire à la Patrie », mais pas sur ces mesures. Ainsi, le député Basire, dont la
proposition de décret sera adoptée estime que ''le séquestre n'est qu'une mesure préparatoire de
cette indemnité''
154
. Pour lui, ''elle est politique''
155
. L'idée d'une triple ou quadruple contribution
foncière est progressivement écartée au profit de la mise sous séquestre. Le député Merlet donnant
un argument décisif. La contribution étant sise sur les biens fonciers et mobiliers, il suffit aux
émigrés de les aliéner pour retrouver une liberté d'action totale 156. Ainsi, l'idée de séquestration
s'impose pas à pas. Pour le député Goupilleau, '' leur fuite les soustrait au bras vengeur de la
Justice : mais leurs biens sont les garants naturels des pertes et des dépenses qu'ils nous
occasionnent''157. Pour le député Gohier, '' c'est la peine de l'incivisme''158.
148 AP, 1ère série Tome 38, 9 février 1792, p.303
149 Ibid
150 Ibid
151 Ibid, p.304
152 Ibid
153 Ibid
154 Ibid, p.305
155 ibid
156 Cf ibid, p.307
157 Ibid, p.308
158 Ibid, p.310
44
�Finalement, '' L' Assemblée nationale […] décrète que les biens des émigrés sont mis sous
la main de la nation, et sous la surveillance des corps administratifs''159. Par « émigrés », les
députés ont voulu viser les émigrés '' sans cause légitime''160. Pourquoi employer les termes « sous
la main de la nation » et pas celui de séquestre ? Le député Lagrevol estime que '' l' Assemblée,
par son décret veut s'indemniser et non pas rendre compte'' 161. Il faut donc bannir le mot séquestre,
même si dans la pratique, il en sera un. Intrigante apparaît la dénomination de
« sous la
surveillance des corps administratifs ». En effet, la visée est que l'on ne croit pas '' à une saisie
générale'' selon le député Bigot de Préameneu 162. Cela permettra d'en faire '' connaître le véritable
sens'' et d'éviter '' qu'un zèle indiscret interprète mal votre loi''
163
. On note la crainte du député
comme pathologique des excès remontant régulièrement à l'échelon national.
Toujours, pour lutter contre les ennemis de la Patrie, l'article 5 du décret du 30 mars 1792
prévoit '' que les biens situés en France, appartenant à l'ordre de Malte, sont à la disposition de
la nation'' 164. Cette disposition est bien accueillie, mais on peut s'étonner que cette extension se soit
faite autour d'articles parlant d'indigence, sans plus de discussion préalable. Ce décret est un décret
« fourre-tout » réunissant des dispositions sur les réélections de juges, sur l'adoption. Le principe en
était peut-être déjà admis. Mais c'est regrettable de ne pas avoir plus de détails.
Cependant, la mise sous séquestre avait élevé des objections dont celles du rapporteur
Sédillez, sur le coût qu'elle aurait. Il avait ainsi mis en exergue le fait que '' les frais de régie
auraient absorbés le produit'' 165. Or effectivement, les frais sont importants, et ainsi, '' il serait utile
de les vendre au profit de l'état''
profit de la nation''
167
166
. Le député Marant en demande '' la confiscation et la vente au
. Le député Thuriot estime que la juste indemnité repose désormais sur la
vente des biens des émigrés168. L' Assemblée sans plus de discussions décrète cette proposition. De
manière rapide, la vente est décidée, par le décret du 27 juillet 1792. On est passé de la sanction
politique et réparatrice, à une manne financière, comme pour les biens de première origine. Il n'y a
plus de limites.
159 Ibid, p.314
160 Ibid, p.313 ( on peut ainsi émigrer pour raisons de santé, pour affaires, pour une mission diplomatique. Dans tous
les cas, on doit recevoir un permis de sortir, en-dehors il n'y a pas de cause légitime.)
161 Ibid
162 Ibid, p.314
163 Ibid
164 AP, 1ère série Tome 40, 30 mars 1792, p.708
165 AP, 1ère série Tome 38, 9 février 1792, p.303
166 AP, 1ère série Tome 47, 27 juillet 1793, p. 180
167 Ibid
168 Cf ibid, p.181
45
�Il faut remarquer qu'on n'invoque plus la DDHC comme cela avait pu être fait quelques mois
auparavant. C'est la guerre, et la guerre permet tout. Au-delà de ces considérations, la principale
objection reposait dans la saisie des biens, une fois celle-ci acquise, les soucis pratiques engendrés
ne pouvaient que conduire à la vente. C'était déjà visible dans les débats du décret du 9 février
1792, où le député Gensonné proposait déjà que les '' biens des conspirateurs convaincus [soient]
confisqués au profit de la nation à titre d'indemnité'' 169. Certes, sa proposition ne portait que sur les
conspirateurs convaincus, mais son extension à tous les émigrés sans cause légitime était assez
aisée. Les prémisses en étaient ainsi présentes dès la mise sous séquestre. Le cheminement de la
confiscation puis de la vente des biens des émigrés est assez limpide. Le décret du 27 juillet 1792 en
ordonnera la vente. Par la suite, le sort des déportés sera lié au régime des émigrés 170, ainsi que ceux
des suspects171.
Dans le département des Bouches-du-Rhône, les biens des aristocrates sont présents en
grande proportion. L'assise financière y sera donc très intéressante. L'application sera très
rigoureusement suivie par les administrateurs aixois, comme en témoigne cette proclamation de
l'administration d'Aix, relative à la conservation des biens des émigrés du 1er septembre 1792 : '' L’
Assemblée nationale a déclaré qu'ils sont affectés, ainsi que les revenus des émigrés, à l'indemnité
due à la Nation''
172
. Les émigrés sont '' coupable de lèse-nation''173. À Aix-en-Provence, les ventes
commencèrent le 11 mai 1794. Il y eut 104 ventes d'une valeur de 637.034 livres en 1794, 18 ventes
en 1795, puis 35 en 1796, puis finalement, 5 en 1798, et 2 en 1799 174. Néanmoins, Christiane
Derobert-Ratel note dans sa thèse que des dégradations furent commises. Ce qui eut ''pour
conséquence une vente à vil prix des biens des émigrés'' 175.
On peut cependant s'interroger sur les personnes touchées par l'émigration. Logiquement, il
y eut des membres de la noblesse, qui constituèrent la première vague avant le 10 août 1792. Cette
vague est commune à la France. En revanche, une particularité exista dans les pays du Midi et de
l'Ouest, et donc particulièrement dans les départements des Bouches-du-Rhône et du Var. Celle-ci
reposait sur le '' fédéralisme et la Terreur [qui] obligèrent des gens de toutes classes à chercher
169 AP, 1ère série,Tome 38, 9 février 1792, p.312
170 Cf AP, 1ère série, Tome 74, p.397 (L'article unique du décret du 17 septembre 1793 dispose '' le principe que les
déportés, seront en tout et partout traités comme les émigrés '')
171 Décret du 3 mars 1794-13 ventôse an II article 3
172 Paul Moulin, op cit, tome 4, p.336
173 Ibid
174 Christian Bonnet, op cit, p.119
175 Christiane Derobert-Ratel, op cit, p.417
46
�refuge à l'étranger après juin 1793''
176
. Marc Bouloiseau avance néanmoins que cela n'accrut pas
outre mesure le total des biens de seconde origine177. Or sur ce point, Guy Martinet peut apporter
une raison objective. En effet, après la chute de Robespierre, le 9 Thermidor, ''la Convention
thermidorienne veut faire alors une distinction entre les émigrés''
178
. Plus précisément, '' entre les
contre-révolutionnaires et ceux qui ont fui la tyrannie de Robespierre''
179180
. Guy Martinet relève
que bien peu de nobles sont revenus grâce à ces lois. En revanche, tous émigrés non-nobles ou nonprêtres reviennent sans difficultés et l'administration fait preuve à leurs égards de la plus grande
mansuétude. Ils sont aisément radiés des listes d'émigrés. L'heure est à la réconciliation. Enfin, pas
tout à fait, puisque certains de ces anciens émigrés participeront férocement à la réaction
thermidorienne violente181.
Marc Bouloiseau tente aussi d'évaluer la valeur des biens de seconde origine. Il avoue sur ce
point, que l'estimation nationale s'élève à 2 milliards 182. Néanmoins, il reconnaît '' à quel point il est
difficile de chiffrer un fonds agraire si important et si varié''
183
. En tout cas, pour le département
des Bouches-du-Rhône, l'estimation s'élève à 1.270.306 livres le 20 floréal an III (9 mai 1795). Il
seront vendus pour 2.086.343 livres184. Paul Moulin relèvera que le montant des restitutions aux
émigrés s’élèvera à 37.979.952 livres en 1806185. Il s'avère donc que bien peu des biens d'émigrés
furent vendus dans le département des Bouches-du-Rhône.
Une fois, l'assise des biens nationaux déterminée, il faut s'intéresser aux formalités
préparatoires à la vente. L'estimation des biens ainsi que les formalités de publicité.
176 Marc Bouloiseau, op cit, p.7
177 Cf ibid
178 Guy Martinet, '' quelques aspects de l'émigration dans le district de Marseille pendant l'an III'', in L'information
historique, mars-avril 1961, n°2, p.64
179 Ibid
180 Les lois du 22 germinal an III (11 avril 1795)( cf Jacques Duvergier, op cit, tome 8, p.94) et celle du 22 nivôse an
III ( 11 janvier 1795) ( cf Jacques Duvergier, op cit, Tome 7, p.442) rapportent les décrets sur les émigrés fuyant la
tyrannie de la terreur. Il suffit pour cela de présenter un faux-certificat de résidence ininterrompue. (Cf Guy
Martinet, op cit, p.68)
181 Ibid, p.69
182 Cf Marc Bouloiseau, op cit, p.7
183 Ibid
184 AD, Q, Notice décadaire adressée à la commission des revenus nationaux, certifiée par les administrateurs du
district d'Aix le 21 floréal an III
185 Paul Moulin, op cit, p.XI (introduction)
47
�48
�Section 2 : Les formalités préparatoires à la vente des biens nationaux : l'estimation
controversée et les nécessaires formalités de publicité
Les formalités préparatoires à la vente des biens nationaux reposent essentiellement sur
l'estimation des biens. Celle-ci fut notoirement sous-évaluée, jusqu'au directoire. Néanmoins, cette
sous-estimation de leur valeur réelle eut des effets qu'il convient de relativiser fortement
(Paragraphe 1). L'étude des formalités de publicité permet en revanche de dégager, qu'elles eurent
un caractère préventif contre la fraude, mais qu'elles servirent aussi à rendre le bien plus attractif,
car plus visible (Paragraphe 2).
49
�50
�Paragraphe 1 : L'effet relatif de l'estimation des biens nationaux : Une valeur réelle sous-estimée
jusqu'à la fin du Directoire
L'estimation des biens nationaux fut faible économiquement, mais aussi portée par une
législation insuffisante qui tendra à s'améliorer sans jamais atteindre la perfection. Néanmoins, son
importance qui était grande dans le sens où elle donnait une base de calcul du prix de vente,
n'emportera pas le même degré quant à ses erreurs d'appréciation. En effet, ces dernières restèrent
assez faibles, en comparaison de l'erreur des assignats186.
L'article 3 du décret du 14 mai 1790 prévoit que '' le prix capital des objets portés dans les
demandes sera fixé d'après le revenu net, effectif ou arbitré, mais à des deniers différents, selon
l'espèce de biens[...] en vente […]''187. La division en est faite en quatre classes. La deuxième et la
troisième classe représentent les rentes en nature et en argent dont les biens sont grevés. Ils ont déjà
été exclus de notre propos car ayant tendance à compliquer, l'explication d'un système déjà
complexe, limitée dans le développement. La première classe est constituée des biens ruraux et des
biens meubles afférents. La quatrième classe comporte tout le reste. Ce sont donc ces deux classes
qui sont le centre de notre développement. En effet, leur mode d'estimation est assez particulier, et
fut sujet à controverse188. Ainsi, l'article 4 du même décret dispose que l'estimation reposera sur un
coefficient multiplicateur du revenu annuel. En l'espèce, 22 fois le revenu net pour la première
classe. Jusque-là rien de choquant.
186 Sur ce point, Christophe Vincent dans sa thèse ( La vente des biens nationaux dans le district de Saint-Étienne
(1790-1814, Lyon III, Université Jean Moulin, 1988, p.260 ( cf note de bas de page 39)) laisse penser que
l'estimation basse devait relativiser la dévaluation des assignats dans le cas fermé des baux ruraux. S'il est vrai que
l'estimation en était faussée, il apparaît plutôt que c'est la dévaluation des assignats dont l'importance plus élevée,
permettait de relativiser, voire de tenir pour rien ces estimations sous-évaluées. Il y a donc là une inversion des
ordres d'importance. C'est l'une des seules remarques négatives contre cette thèse très précise et très documentée,
d'autant plus qu'il semble redonner son degré d'importance à la dévaluation ( Cf p.276).
187 AP, 1ère série, Tome 15, 14 mai 1790, p.506
188 Le mode d'estimation de la 2ème et de la 3ème classe répond au même système, on comprend donc l'inutilité de le
développer plus avant.
51
�Cependant, le problème réside dans l'évaluation du revenu net. Celui-ci se base sur ''les baux
à termes existants''189. Or Jacques Godechot relève très justement que ceux-ci, '' la plupart du temps
étaient calculés très bas'' 190. De manière anecdotique, il faut relever que l'article 18 du décret du 29
juin 1790 disposait que pour les baux emphytéotiques, il fallait recourir à une estimation par
expert191. Cependant, René Caisso dans sa thèse sur la vente des biens nationaux dans le district de
Tours a évalué que l'estimation du revenu net, prenait en compte ''les charges supportées par le
fermier''192. Cependant, ces dernières prenaient en compte les dîmes, cens et droits féodaux
supprimés193. Cela contribue donc à abaisser la valeur réelle du bien qui est libéré de toutes « ces
charges ».
En revanche, pour les biens des émigrés, le mode d'estimation diffère car il est possible de
prendre pour base le '' prix commun de chaque nature d'héritage dans la commune où il est situé''
194
. Le décret du 22 novembre 1793 étend à tous les biens nationaux ce mode d'estimation195. On
remarquera pour tous ces systèmes, que le mode d'enchères compensant une estimation légèrement
sous-évaluée, celle-ci perd en importance. De plus, la dévaluation de l'assignat, prenant une grande
place, rend ce mode d'estimation très secondaire dans le calcul de la perte d'argent sur les ventes de
biens nationaux.
Le changement de régime politique amènera une nouvelle législation, qui portera également
sur le mode d'estimation. Le seul progrès à noter, par rapport aux régimes précédents, est
certainement une loi éventail, reprenant tous les points concernant la vente des biens nationaux, on
n'a donc plus le risque de se perdre dans le labyrinthe créé par l'inflation législative. Ainsi, l'article 4
de la loi du 28 ventôse an IV dispose que l'acheteur '' pourra se présenter à l'administration de
département de la situation du domaine national qu'il voudra acquérir, et le contrat de vente lui en
sera passé sur le prix de l'estimation qui en sera faite''
196
. Le prix de l'estimation revêt donc une
plus grande importance, car il ne peut pas être compensé par une enchère plus élevée. Néanmoins,
les remarques générales faites précédemment demeurent justes.
189 AP, 1ère série, Tome 15, 14 mai 1790, p.506 ( article 4)
190 Jacques Godechot, Les Institutions de la France sous la Révolution et l'Empire, Paris, PUF, 3ème éd, 1985, p.182
191 AP, 1ère série, Tome 16, 29 juin 1790, p.564
192 René Caisso, La vente des biens nationaux de première origine dans le district de Tours ( 1790-1822), Paris,
Bibliothèque nationale de France, 1967, p.86
193 Cf ibid
194 AP, 1ère série, Tome 59, 4 mars 1793, p. 592 ( article 4)
195 Cf AP, 1ère série, Tome 79, 22 novembre 1793, p.647
196 Jacques Duvergier, op cit, Tome 9, 18 mars 1796-28 ventôse an IV, p.64
52
�En revanche, si l'estimation prend plus d'importance dans le processus de vente, les
modalités d'estimation évoluent peu. Ainsi, l'article 5 de la loi précitée dispose que '' la valeur des
biens à vendre sera fixée sur le pied de 1790, et calculée à raison de 22 fois leur revenu net, pour
les terres labourables, prés, bois, vignes et dépendances, d'après les baux de 1790. A défaut de
baux, la valeur de ces biens sera fixée d'après le montant de la contribution foncière de 1793, en
prenant, pour revenu net, quatre fois le montant de cette contribution, en multipliant cette somme
par 22 '' 197. On remarquera juste la suppression des différentes classes. Pour le reste, le montant de
la contribution financière est le seul ajout notable, à un point essentiel mais rébarbatif de la vente
des biens nationaux.
Pour tous les régimes d'estimation vus jusqu'à maintenant, la base de ceux-ci étaient le
montant des baux associés à un coefficient multiplicateur. Ces derniers étant peu fiables, il aurait été
sans doute plus opportun de se baser sur le revenu annuel du bien, ce qui pour les biens ruraux
l'augmente considérablement, et pour les biens citadins tient compte de la mise en valeur du bien. À
cela, on pouvait ajouter un coefficient multiplicateur de même rang 198. Le régime de l'an VII va dans
ce sens, de manière bienheureuse.
Ainsi, l'article 4 de la loi du 26 vendémiaire an VII dispose que '' les formes des estimations,
affiches et enchères ordonnées par la loi du 16 Brumaire an 5, seront observées dans les ventes qui
seront faites en vertu de la présente''
199
. Ce qui signifie que le montant de la mise à prix sera
équivalent au ¾ du montant de l'estimation200.
Enfin, l'article 5 de la loi précitée dispose que '' la première mise à prix des biens ruraux
sera de huit fois le revenu annuel ; celle des maisons […] servant uniquement à l'habitation […]
sera de six fois le revenu annuel'' 201. On remarque d'emblée une disproportion entre les deux
coefficients multiplicateurs. Pourquoi ? Celui des logements apparaît moins élevé. Alors que
pourtant le revenu annuel qu'on peut en tirer est inférieur à celui des biens ruraux. Est-ce pour
faciliter l'accès au logement, à la propriété ? Cela relève de la conjecture, et on ne saurait y répondre
avec certitude.
197 Ibid
198 En l'espèce, vingt-deux.
199 Jacques Duvergier, op cit, Tome 10, 17 octobre 1798-26 vendémiaire an VII, p.367
200 Cf article 10 de la loi du 16 brumaire an V-6 novembre 1796 ( Jacques Duvergier, op cit, tome 9, p.220)
201 Jacques Duvergier, op cit, Tome 10, 17 octobre 1798-26 vendémiaire an VII, p.367
53
�En revanche, ce qu'il y a de certain, c'est que la base des régimes d'estimation a changé. En
effet, on ne se soucie plus de la valeur des baux, mais plutôt du revenu annuel. Ce changement est
opportun car moins sujet à une décote et surtout au calcul des charges obsolètes 202. De plus, la base
d'appréciation commune du revenu de 1790 était difficilement appréciable, et ne pouvait constituer
une fiable estimation203. Cependant, il présente un désavantage certain, car on se base sur le revenu
annuel. Or, dans le cas des biens ruraux, cela ne conduit pas à une valeur constante. Une année de
mauvaises récoltes divise le revenu annuel par deux ou trois voire plus. Tandis qu'une année de
bonnes récoltes peut le multiplier d'autant. Le plus sage aurait donc été d'établir une moyenne
pondérée du revenu annuel de chaque bien sur les dix dernières années. Ainsi, les mauvaises et les
bonnes années auraient pu s'équilibrer. Autre remarque, le coefficient multiplicateur est plus faible
que celui de l'ancien régime. Sans doute, le mode d'enchère permettrait un rééquilibrage. Pourtant il
est aussi plus faible que celui du régime de 1790, où le système d'enchères prévalait.
Cependant, l'estimation ne prend son sens que de la vente, encore celle-ci doit-elle être
connue de tous. Les formalités de publicité tentèrent d'y pourvoir.
202 On fait ici référence au calcul des charges dans le revenu net du précédent régime d'estimation. Cela a été vu un peu
avant. Voir supra, p.46
203 Cf Marc Bouloiseau, op cit, p.7
54
�Paragraphe 2 : Les formalités de publicité : La protection contre la fraude administrative et
l'attractivité du bien
L'article 1 du titre 1 du décret du 14 mai 1790 exprime la nécessité pour les municipalités
souhaitant acquérir personnellement, d'adresser leurs demandes au comité d'aliénation. L'article 2
du titre 1 sus-cité prévoit les mêmes formalités pour les particuliers souhaitant acquérir directement
les domaines nationaux204. Le régime primaire sera cependant, celui de la soumission par les
municipalités, avec reventes aux particuliers. C'est une manière de se décharger sur les
municipalités de tous les tracas des ventes. Afin d'en améliorer l'attractivité, l'article 7 du titre 1
dispose que '' les biens vendus seront francs de toutes rentes, redevances ou prestations foncières,
comme aussi de tous droits de mutation'' 205. L'article 1 du titre 3 dispose que '' dans les quinze jours
qui suivront la [soumission], les municipalités seront tenues de faire afficher aux lieux accoutumés
de leur territoire, à ceux des territoires où le bien est situé, et des villes chefs-lieux de district de
leur département, un état imprimé et détaillé de tous les biens [soumissionnés], avec énonciation
du prix de chaque objet''206. Le but fut clairement de pouvoir attirer un maximum d'enchérisseurs et
aussi d'éviter les collusions qui permettraient la vente en secret de biens à des prix forcément moins
élevés. L'obligation de deux publications et d'un délai d'un mois après la seconde publication pour
parvenir à l'adjudication définitive démontre cette volonté de s'adresser au maximum d'acheteurs
potentiels207. Pour les biens des émigrés, la procédure de publicité sera similaire. L'article 10 de la
section 3 de la loi du 4 mars 1793 dispose que '' les affiches et publications [...]seront faites dans
les lieux et de la manière prescrite pour les domaines nationaux'' 208. De même, les biens seront
vendus francs de toutes hypothèque et rente. Rien d'original sur ce point. Cependant, il y eut une
autre raison à cette publicité. Elle était censée garantir les fraudes ou les arrangements entre
responsables des ventes et acheteurs peu scrupuleux.
Ces préliminaires terminés, il faut désormais s'intéresser à la réalisation de la vente des biens
nationaux. Cette partie sera sans doute la plus complexe.
204 AP, 1ère série, Tome 15, 14mai 1790, p.506
205 AP, 1ère série, Tome 15, 14 mai 1790, p.506
206 AP, 1ère série, Tome 15, 14 mai 1790, p.507-508
207 Article 4 du titre 3 du décret du 14 mai 1790, Cf AP, 1ère série, Tome 15, p.508
208 AP, 1ère série, Tome 59, 4 mars 1793, p.592
55
�56
�'' Le monde est voué aux
crises, il vit de crises''209
209 Michel David-Weill, op cit, p.99
57
�58
�CHAPITRE 2 : La réalisation de la vente des biens nationaux : Étude des
critères politiques et financiers dans l'évolution législative
La réalisation de la vente des biens nationaux inclut aussi les deux critères d'évolution vus
précédemment210, à savoir le financier et le politique. Deux points doivent être développés, d'une
part, les moyens de paiements et d'autre part, les modalités d'adjudication et de paiement. Ce choix
de division tient à ce que les moyens de paiements à eux seuls méritent un long développement. En
effet, traiter de cela revient à exposer les différentes monnaies qui eurent cours, mais aussi de leurs
échecs respectifs. L'usage politique de ce type de monnaie n'est pas l'angle le plus évident alors que
l'angle financier apparaît plus abordable, plus naturel. Et pourtant, les deux sont présents. Pour
faciliter la compréhension, il faut commencer par traiter des moyens de paiements, car il y sera fait
appel constamment dans l'étude des modalités d'adjudication et de paiement où le financier et le
social-politique se mêlent sans cesse (Section 2), sans oublier une dose d'opportunisme. Ainsi, on
s'apercevra qu'une partie de l'évolution de la législation s'attachera à compenser le déficit de
confiance et l'échec des moyens de paiement successifs (Section 1), quand ces échecs ne serviront
pas à éteindre artificiellement la dette au moyen d'une banqueroute subtilement menée.
210 Voir supra, p.26 (chapitre 1)
59
�60
�'' Le remède général
semble être l'argent facile ''211
211 Michel David-Weill, op cit, p.98
61
�62
�Section 1 : Étude sur les raisons des échecs successifs des moyens de paiement
des biens nationaux
L'histoire monétaire de la Révolution française de 1789 peut laisser songeur. En tant
qu'observateur, on ne sait si on a affaire à des amateurs ou bien à des êtres froids et conscients de
leurs actes. Certains députés furent ainsi dénoncés par leurs frères d'assemblée comme des
complices d'agioteurs212. L'accusation est peut-être un peu orientée, mais ne manque pas de fonds,
lorsqu'on constate le caractère inachevé des moyens de paiement. On aurait plutôt tendance à
remettre en cause les capacités des députés que leurs mauvaises intentions. Même si, certains
devaient être conscients des difficultés et s'y complaire.
Ainsi, les assignats semblent être de l'argent facile pour certains révolutionnaires, permettant
d'augmenter le transit monétaire et surtout de combler les déficits, et les dettes. Ils reçurent
néanmoins cours de monnaie. La leçon de l'échec du système de Law ne semblant pas encore
digérée. Suivant la célèbre protestation de Bergasse, il faut se demander ce que sont les assignatsmonnaies ? Quel influence sur le commerce et la circulation du numéraire ont-ils ? Ce député avait,
sans doute bien avant les autres, saisi le caractère néfaste des assignats. S'inspirant de la doctrine
des effets réels d'Adam Smith sans la nommer. Il estimait que dans l'hypothèse de l'émission d'une
monnaie autre que métallique, celle-ci devait répondre à certains critères de confiance que l'or ou
l'argent inspirait naturellement. Chaque émission devait donc être garantie pour que la monnaie
inspire confiance. Par conséquent, pour des raisons qui seront développées ci-dessous, cela créera
différents troubles, provoquant une dévaluation de cette monnaie. Ainsi, la dévaluation de l'assignat
dont la valeur nominale restera haute mais dont la valeur réelle sera faible, permettra d'acquérir des
biens nationaux à faible coût. Cela entraînera une perte sèche pour l’État. Il n'empêche que cet
échec était prévisible ( Paragraphe 1). L'échec de l'assignat repose donc sur le peu de confiance qu'il
212 L'abbé Maury vise en ces termes ceux qui réclament le papier-monnaie. Pour lui ce sont '' les marchands d'argent,
les agents de change et les marchands de province'' sans oublier ''la caisse d'escompte''. Cette dernière avait émis
des billets en circulation dans la seule capitale, ce qui avait eu un effet néfaste, et avait entraîné une pénurie de
denrées car le manque de confiance des paysans ne leur faisait pas accepter ce papier vilain, et donc leur avait fait
vendre leurs biens ailleurs. L'extension au niveau national privera le pays à moyen terme de commerce avec
l'étranger. Ainsi, ce billet, une fois déprécié, on désirait le remplacer et surtout le compenser par des assignats, au
niveau national cette fois. Affreuse manœuvre pour l'abbé Maury, et avec raison. ( Les orateurs de la Révolution
Française, op cit, p.543 ( discours du 15 avril 1790 de l'abbé Maury)).
63
�inspira. Ce constat, pourtant évident, n'empêchera pas de créer un avatar similaire, le mandat
territorial ( Paragraphe 2). Son échec, tout aussi cuisant, amènera le retour à plus de pragmatisme et
donc au paiement exclusivement en numéraire des biens nationaux. Cependant, ce retour se fera au
détriment des créanciers de l’État, touchés par la banqueroute des deux tiers ( Paragraphe 3). Cette
étude réclama un recours aux archives parlementaires, mais aussi au précieux recueil de Duvergier.
64
�'' Belzébuth engendra Law ;
Law engendra Mississipi ;
Mississipi engendra le système ;
le système engendra le papier ;
le papier engendra la banque ;
la banque engendra le billet ;
le billet engendra l'action ;
l'action engendra l'agio ;
l'agio engendra le registre ;
le registre engendra le compte ;
le compte engendra le bilan
général ;
le bilan engendra zéro, à qui
toute puissance d'engendrer fut
ôtée''213
213 Charles Kunstler '' un résumé satirique du système de Law, Historiana, in L'information Historique, mai-juin 1961,
n°9, p.138
65
�66
�Paragraphe 1 : La dévaluation de l'assignat : Chronique d'un échec annoncé
La dévaluation de l'assignat provoqua des conséquences dramatiques sur la vente des biens
nationaux. Il convient cependant de définir celui-ci avant d'en évoquer les faiblesses, et leur
conséquence, sa dévaluation...son échec. Ce dernier était pourtant prévisible, et plusieurs
contemporains le dénoncèrent, en vain.
Selon Bergasse, les assignats sont des '' espèces de délégations données d'avance sur le
produit d'une vente qui n'est pas faite mais qui se fera''
214
. En l'espèce, le produit de la vente trouve
sa base dans les biens nationaux. Pour le Duc d'Aiguillon, '' c'est une lettre de change, payable à
une époque indéterminée, dont la valeur numérique est garantie par une portion des biens à la
disposition de la Nation''
215
. Le problème soulevé par Bergasse est intéressant, car pour lui les
assignats '' ne laisseront pour gages […] que des espérances incertaines'' 216. La vente n'est pas faite
mais se fera, elle a pour assise les biens nationaux. Cependant, il convient de relever qu'on n'en a
jamais estimé la valeur. En cela, l'espérance devient incertaine.
Ainsi, on donne pour garantie des biens de la Nation, mais on est incapable d'en tirer une
estimation puisque les biens n'en sont pas désignés à l'avance. Est-ce vraiment sérieux ? Qui serait
prêt à investir une somme dont il ne serait pas certain de voir les fruits, faute de savoir dans quoi il
investit ? Bergasse peut alors avancer que '' cet espèce de papier, puisqu'il ne répond à aucune
valeur bien déterminée, bien certaine, éprouvera en très peu de temps un discrédit considérable''
217
. Le Duc d'Aiguilllon en a aussi conscience, puisqu'il propose dans son projet de décret de '' fixer
exactement […] le tableau des objets dont la vente doit faire l'objet de l'hypothèque des
assignats''218. La confiance, le discrédit sont les maîtres mots des assignats qui décideront de leur
dévaluation ou pas. Mais si cela devait arriver... Serait-ce un réel échec ? La Nation conserverait
tout de même les biens nationaux qui ne se vendraient donc pas. Elle émettrait des billets que
personne ne prendrait, où serait alors la perte ? Sauf que son insuccès provoquera sa dévaluation et
214 AP, 1ère série, Tome 10, 21 décembre 1789, p.682
215 AP, 1ère série, Tome 13, 15 avril 1790, p.51
216 AP, 1ère série, Tome 10, 21 décembre 1789, p.682
217 Ibid, p.684
218 AP, 1ère série, Tome 13, 15 avril 1790, p.52
67
�favorisera l'agiotage219. Ou bien ce papier peut avoir un premier succès relatif, mais son cours ne
sera pas reconnu en-dehors des frontières françaises. Quels effets cela provoquerait-il ?
Malheureusement, en évaluant la balance commerciale de la France, on s'aperçoit qu'elle est
déficitaire... Ainsi donc il faut payer en monnaie reconnue par les pays étrangers...donc en
numéraire. Alors, par ce mécanisme, tout le numéraire finira par disparaître... Et une fois, que le
numéraire aura disparu, il n'y aura plus de commerce extérieur possible. Sachant que le royaume
était déjà dans une crise financière doublée d'une crise monétaire, cela ne ferait que les aggraver.
Ainsi, en voulant résoudre la crise monétaire, on l'aggravera.
Il y a également un autre problème, la dévaluation de la monnaie provoquera une hausse
artificielle des prix220. Cela aura aussi pour effet de ruiner le crédit. En effet, les débiteurs paieront
une dette à hauteur de la valeur nominale des billets, alors que la valeur réelle y sera bien inférieure,
puisque la monnaie est dépréciée. Les créanciers perdront donc de l'argent, ce qui ne les incitera
plus à prêter...et donc ruinera le crédit. Il y aura aussi le problème de la falsification, plus aisée que
sur des pièces car laissant impuissant la masse des illettrés. Bergasse ne pensait pas non plus à la
méfiance naturelle du petit peuple pour une monnaie, fragile matériellement, ni non plus sur
l'habitude de ceux-ci envers la monnaie métallique. Jacques Godechot relève très justement que
''les cahiers de doléances, reflétant la tendance de la France, condamnaient le papier-monnaie'' 221.
Si Bergasse a négligé les aspects sociaux de la dévaluation, en revanche, il a bien cerné les
conséquences économiques des assignats-monnaies. Cela provoquera une érosion monétaire,
favorisera l'agiotage, et la spéculation. Mais cela entraînera aussi une fuite des capitaux, et une
érosion de la balance commerciale. Cette envolée parlementaire de cet économiste mais aussi fin
juriste de l'Ancien Régime permet d'englober l'aspect général des assignats. Il ne dévoile pas toutes
les conséquences, que la lecture du Duc d'Aiguillon peut compléter. Ce dernier estime que la
dévaluation influera aussi sur le commerce intérieur, sur le prix de la main-d’œuvre (comment la
payer), sur le prix des denrées222.
219 L'agiotage est un mécanisme très habile qui sera traité un peu plus loin.
220 Cf AP, 1ère série, Tome 10, 21 décembre 1789, p.686
221 Jacques Godechot, op cit, p.175
222 AP, 1ère série, Tome 13, 15 avril 1790, p.51
68
�Il convient de définir plus précisément le mécanisme de l'agiotage. Ce dernier est très
intéressant et ses conséquences se révéleront terribles. Il repose sur la dévaluation des assignats.
L'agiotage consiste à acheter un bien pour un montant X, puis de le payer avec des assignats.
Cependant, les assignats ont une valeur nominale et une valeur réelle. La valeur nominale N est
celle inscrite sur le papier. Tandis que la valeur réelle R est celle à laquelle on achète le billet. Or, on
paye le montant X, à la valeur N et non à la valeur R. Or N n'est égal à R qu'au moment de
l'émission du papier. Par la suite, la dévaluation de l'assignat se résout par la déflation de la valeur
R. Donc, pour un montant X égal à 100, on finit par l'acheter 100 N, en ne payant que 10 ou 15 R.
Un bien d'une valeur X est donc payé en valeur réelle à un prix très sous-estimé. En réalité, cela
revient à indexer le paiement des ventes de biens nationaux sur le cours de l'assignat. Celui-ci
subissant une dévaluation, le montant des ventes suit la même pente. Les agioteurs sont ceux qui
spéculent sur cette baisse, pour en retirer un profit énorme, et qui étalent et retardent au maximum
leurs paiement afin de bénéficier de la baisse constante de l'assignat. Il est inutile de préciser que
cela fit perdre beaucoup d'argent à l’État. En revanche, il faut distinguer les agioteurs, des simples
acheteurs, qui bénéficièrent sans l'avoir recherché, ni même prévu ce résultat. La distinction se fait
généralement en fonction du prix excessif d'une enchère, ce qu'on appelle couramment une folle
enchère. Le but de la folle enchère est de décourager les autres enchérisseurs et donc d'obtenir le
bien préférentiellement, qu'on ne paiera de toute façon pas à sa valeur réelle, grâce à la dévaluation
des assignats. La folle enchère peut prendre deux formes, soit on surenchérit outrageusement. Soit
on soumissionne un nombre de lots incommensurable. Le but est le même, décourager les autres
acheteurs. Le problème est que l'agiotage n'est pas vraiment interdit. On risque la déchéance de son
enchère, si on ne paie pas les termes. Mais, si on calcule bien, avec la dévaluation de l'assignat, on y
parvient toujours, pour peu de ne pas avoir été trop gourmand au départ. On peut alors conserver le
bien et en retirer les fruits, ou le revendre au prix fort. Dans les deux cas, la marge de bénéfice est
considérable. Elle porte en réalité, sur les pertes subies par l’État. L'agiotage revient donc à voler
l’État, mais à le voler avec son autorisation. Son évaluation est difficile, car avec le système des
enchères, on peut rapidement arriver à doubler l'estimation d'un bien. L'incompétence des officiants
ne pouvant permettre à ces derniers de s'apercevoir de la folle enchère, mais voyant plutôt en celleci, une bonne vente. Cela explique sans doute que dans le département des Bouches-du-Rhône, il
n'ait pas été constaté trop de folles enchères, si ce n'est pas du tout. On ne peut en effet, repérer une
folle enchère que dans les cas de déchéances ou dans les soumissions trop importantes223. Si
l'agiotage est habilement réalisé, il est imperceptible, ou indémontrable.
223 AD, L, reg III2, f°344, séance du 8 décembre 1790, (soumission du notaire Seytres)
69
�Pour le département des Bouches-du-Rhône, si la spéculation fut aussi de mise, l'agiotage ne
fut pas non plus perceptible. À titre d'exemple, il fut vendu à Aix-en-Provence, pour 28300 livres, le
5 février 1791, une bastide et son tènement estimée à 9500 livres. Le paiement total avec les intérêts
aurait dû s'élever à 31913 livres, il ne fut, en réalité, en tenant compte de la dévaluation de
l'assignat, de 13971 livres. Ce bien fut donc payé quasiment 2 fois moins qu'il n'aurait dû. Mais il
dépassa quand même le montant de l'estimation, certes très faible 224. Il apparaît que dans ce cas, il
n'y a pas de traces d'agiotage, même si la personne bénéficia de la dévaluation des assignats.
D'autres exemples peuvent laisser pensif, ainsi en est-il de l'auberge du Mouton-Couronné estimée à
61.350 livres, vendue à 220.649 livres, dont le paiement en réalité ne reviendra qu'à 28.564 livres 225.
Le bien fut ainsi payé un peu plus de 10% de sa valeur, et pour la moitié de ce qu'il avait été estimé.
Encore plus frappant est l'exemple d'un bien vendu le 17 floréal an III à Salon pour 6.100 livres, et
estimé 1.890 livres. Le paiement réel ne sera que de 370 livres226.
Désormais, il faut dévoiler les aspects précis qui ont conduit à cet échec. Pour cela, il est
nécessaire de revenir sur les différentes lois régissant le régime de l'assignat et leur application.
Suite à la création de l'assignat vint le problème de savoir s'il fallait lui donner un cours
forcé de monnaie. La remarque du député Roederer est très juste... c'est remplacer un mauvais
papier par un autre papier, dont on vantera les mérites bien supérieurs à ceux de l'ancien 227.
Talleyrand lui aussi considère que '' la mauvaise monnaie chasse la bonne''
228
. On remplace les
billets de la caisse d'escompte par les assignats. C'est déjà partir du mauvais pied... Pourtant pour
d'autres, l'optimisme est de mise, ainsi, le député Cernon déclara que '' l'argent n'est autre chose
qu'un signe. On peut le remplacer par d'autres signes qui lui sont préférables, lorsqu'à l'avantage
d'un moindre volume, d'un moindre poids, ils joignent celui de représenter des valeurs réelles, plus
solides encore, impossible à enlever, contre lesquelles on peut à volonté échanger ces signes''
229
.
Cependant, ce dernier ne voyait ce projet exclusivement que comme mode de paiement préférentiel
des assignats, et non pas comme une monnaie. Ainsi, il n'y aurait '' nul danger de hausse des prix,
car les assignats n'entreraient pas dans le circuit général de la monnaie''
224 Cf Paul Moulin, op cit, Tome 1, p.XXXV (introduction)
225 Cf idem, p.XXXVI (introduction)
226 Cf ibid
227 AP, 1ère série, Tome 13, 15 avril 1790, p.63
228 Jacques Godechot, op cit, p.179
229 Ibid
230 Ibid
70
230
. La garantie solide des
�biens nationaux permettra une extraordinaire stabilité. En théorie, c'est un projet ambitieux et qui
paraît viable...sur le papier. Ainsi, le décret du 14 décembre 1789 créa l'assignat. Et ce qui à la base
ne devait être qu'une hypothèque des biens nationaux prit bientôt cours de monnaie, grâce au décret
du 17 avril 1790. C'est sans doute là que réside la seconde erreur. La première pouvant être l'usage
de la vente des biens nationaux. Ce dernier étant destiné au remboursement de la dette, au lieu de
simplement combler le déficit.
Pourquoi avoir nové les assignats, en assignats-monnaies ? Jacques Godechot l'analyse
finement, c'est la conjonction du manque de numéraire (de plus en plus rare), et de la prise de
conscience que le déficit de 1790 sera bien plus colossal que les estimations fumeuses de Necker ne
le laissaient supposer231. À cela, on peut ajouter que les ventes ne se déroulèrent pas aussi
rapidement, ni aussi bien que prévu. Ce départ ni mauvais, ni excellent, hantera chaque législation à
venir, on essaierai désormais de rendre les ventes, mais aussi les paiements plus rapides, quitte à y
perdre un peu au passage. La capacité de mobilisation de fonds immédiate devant parfois sacrifier
aux intérêts à plus long terme de la Nation. L'urgence et le manque de réflexion qui en découlent,
rendirent des législations brouillonnes, mal pensées. Les conséquences en seront terribles, même si
celles-ci permirent la disponibilité de près de 14 années de revenus annuels.
Le décret du 29 septembre-12 octobre 1790 est particulièrement intéressant à étudier, par la
masse d'information qu'il comporte, mais aussi l'avantage de mettre en exergue les comportements
déviants des révolutionnaires. Ainsi, l'article 2 dispose qu' '' il n'y aura pas en circulation au-delà de
1200 millions d'assignats, compris les 400 millions déjà décrétés'' 232. L'article 3 semble confirmer
cette bonne intention puisqu'il dispose que ''
les assignats qui rentreront dans la caisse de
l'extraordinaire seront brûlés et il ne pourra en être fait une nouvelle fabrication et émission, sans
un décret du Corps Législatif'' 233. On pouvait comprendre dans l'article 2 que l'émission d'assignats
n'irait jamais au-delà des 1200 millions, soit la valeur grosso modo de la totalité des biens du
clergé234. Passée cette limite, les assignats ne seraient plus garantis, et donc ne vaudraient rien...
L'article 3, lui, prévoit déjà l'exception à cet interdit, sous la surveillance du Corps Législatif...
231 Cf Jacques Godechot, op cit, p.181
232 Jacques Duvergier, op cit, Tome 1, p.391
233 Ibid
234 L'estimation est de 3 milliards chez les plus ambitieux des historiens actuels. ( Cf introduction). Néanmoins, les
contemporains, dont les députés estimaient qu'il y avait une valeur de 5.610.000.000 livres à vendre encore en 1792.
Ce qui ne prend donc pas en compte ce qui a déjà été vendu. On s'aperçoit que les contemporains de l'époque étaient
soit déconnectés, soit hypocrites. En tout cas, ils furent les dupes de leur propre assertion, car la confiance ne
s'installa jamais durablement.
71
�certes... mais exception tout de même. On vient ensuite rajouter une contrainte, '' toujours sous la
condition qu'ils ne puissent excéder la valeur des biens nationaux, ni se trouver au-dessus des 1200
millions en circulation'' 235. Pas au-dessus des 1200 millions en circulation, mais rien n'empêche une
émission de 5 milliards...mais pas en même temps, ils doivent être glissants, étalés. Il n'y a donc pas
de limites de ce côté là. Cela ne doit pas pouvoir excéder la valeur des biens nationaux...
l'affirmation est aisée, quand ils n'ont jamais été estimés, et que c'est le corps législatif ( au travers
de commissions) qui s'en charge ou la valide. Dire que quelque chose est limitée par une notion,
sans définir celle-ci, ce n'est pas mettre des limites...mais au contraire s'autoriser à les déplacer à sa
guise. Fatalement, c'est ce qui arrivera. On fera tourner la planche à assignats, sans limites, jusqu'à
ce que les assignats perdent le peu de confiance qu'ils inspiraient.
Ainsi, il fut fait des émissions nouvelles, notamment le 28 septembre 1791236. Le plafond
sacro-saint de 1200 millions d'émissions fut même porté à 1300 millions le même jour. Ce dernier
passa à 1600 millions par le décret du 17 décembre 1791. Assez rapidement, la pénurie de
numéraire prévue par l'abbé Maury, et le député Bergasse arriva. En plus des assignats, il fut
constitué dans les districts, des caisses de confiance qui émettaient des billets de confiance gagés
sur les assignats-monnaies. La caisse conservait les assignats en grosse coupure de 50 à 2000 livres,
et accordait des billets de confiance en petites coupures, pour l'usage quotidien. Cependant, il arriva
que les assignats conservés dans la caisse de confiance furent utilisés. Cela entraîna d'une part, une
augmentation de la masse monétaire vile, et d'autre part accéléra la décrue de confiance déjà
amorcée quand la supercherie fut découverte. D'autant que de fausses caisses de confiance se
montèrent, sans l'autorisation du Corps Législatif, et sans les attributs officiels. Tout cela força le
cours de la dévaluation. Enfin, par le décret du 30 mars 1792, l'Assemblée Législative fit cesser
l'hémorragie en faisant interdire les caisses de confiance...un peu trop tardivement néanmoins. La
situation ne pouvait que s'améliorer, s'il n'était la guerre qui se profilait déjà.
La guerre cassa les bonnes intentions de retirer le plus de monnaie-papier possible. Les
dépenses extraordinaires réclamèrent l'émission par vagues de nouveaux assignats afin de pourvoir
aux besoins pressants. Il apparaît que l'usage de la planche à billets ne fut plus voilé, mais
nécessaire. Ainsi, 400 millions furent émis le 24 octobre 1792, puis 800 supplémentaires, le 1er
février 1793. En quelques mois, l'émission dépassait celle faite jusqu'alors. On tombait de plus en
235 Ibid
236 Cf Jacques Godechot, op cit, p.184
72
�plus dans le cercle vicieux de la facilité. Jacques Godechot relève très justement que les assignats
paraissaient être '' considérés comme une ressource normale de la trésorerie'' 237.
L'effort ne devait alors plus porter sur le retrait des assignats, mais sur le maintien de son
cours. Une trop forte dévaluation serait désastreuse. Pour cela, il fut établit par le décret du 11 avril
1793, le cours forcé de la monnaie-papier. Son établissement ne se fit pas sans douleur. Ainsi, pour
Laborde de Méreville, '' toute circulation de papier forcé est un grand mal''
238
. Cette politique
permet de faire cesser provisoirement la dévaluation de l'assignat. Cependant, il est nécessaire dès
le 7 mai 1793 d'émettre pour 1200 millions d'assignats supplémentaires.
Le changement de régime amenant les jacobins au pouvoir, change la donne. Celui-ci entend
faire payer le coût de la guerre aux plus aisés. Il tourne également le dos, autant que possible aux
émissions massives d'assignats, et miraculeusement ou pas, en rétablissant une assiette d'impôts
touchant les plus riches, et en rationalisant la dette parvient à briser l'inflation et à stabiliser la
monnaie.
La politique montagnarde vise au retrait progressif des assignats. Ainsi, Jacques
Godechot note que '' le 11 ventôse an II (1er mars 1794) la circulation-papier ne dépassait pas cinq
milliards et demi'' 239. L'autre mesure phare qui influera sur le cours de l'assignat et sur la courbe des
prix, fut la loi sur le Maximum, qui établit une économie dirigée, avec un passage obligatoire par
des commissions pour chaque transactions avec l'étranger, mais également des salaires maximum,
des prix fixés par l' État 240. Ce système ne pouvait fonctionner que grâce au pouvoir de coercition
fort des jacobins. À leur chute, il devint impossible de maintenir ce système, et de toute façon, cela
n'était pas le but recherché241.
La chute de Robespierre, le 9 thermidor an II provoqua un retour aux pratiques anciennes. À
titre d'exemples, la masse d'assignats en circulation passa d'environ 5 milliards à 11 milliards en
l'espace de 4 mois. Pourtant, il apparaît que si de nouveaux assignats étaient émis, certains des
anciens étaient brûlés, comme la séance du 9 ventôse an III, où il fut détruit pour 10,5 millions de
237 Jacques Godechot, op cit, p.390
238 AP, 1ère série, Tome 12, 11 avril 1793, p.206
239 Jacques Godechot, op cit, p.396
240 Elle fut votée le 29 septembre 1793. Elle fut bien accueillie, mais provoqua une recrudescence du marché noir. Rien
n'est parfait. Dans le Danton d'Andrzej Wajda, on s'aperçoit que le Danton joué par Gérard Depardieu se fournit au
marché noir. Robespierre paraissant même choqué par cet étalage.
241 Il faudra quand même attendre le décret du 20 vendémiaire an II-11 octobre 1794, pour qu'il disparaisse
officiellement. Mais officieusement, sa perte était déjà consommée dès le 9 thermidor an II.
73
�livres environ, comme le note précisément le moniteur universel 242.
L'effet de la dévaluation des
assignats, allié à une législation faible provoqua devant tant d'abus, et d'incohérences la loi du 28
ventôse an IV. Une résolution fut adoptée le 26 ventôse an IV ayant le mérite de mettre en exergue
les faiblesses législatives passées, et l'origine de celles-ci. Mais pas toutes. Il convient donc d'en
rapporter les propos pour les analyser.
Ainsi, '' dans toutes les parties de la République, l'industrie et le commerce sont entravés
par le défaut de confiance dans le principal signe d'échange ; que le discrédit des assignats a
rompu tout rapport entre les obligations particulières et les moyens de se libérer ; qu'il en est
résulté, dans l'acquit des contributions, dans le paiement des loyers et des fermages, et dans toutes
les transactions, un embarras nuisible à tous les intérêts. Considérant que la dépréciation des
assignats prend sa source dans leur trop grande abondance, dans la disproportion entre la quantité
en émission et la valeur du gage ; dans les exagérations de la malveillance et les manœuvres de
l'agiotage ; qu'il faut y porter un prompt remède, et toutes les précautions propres à garantir pour
l'avenir de pareils inconvénients'' 243.
On y constate que si le discrédit des assignats fut préjudiciable aux commerces et industries,
cela ne fut dû qu'à une assise du gage insuffisant, à une érosion monétaire, à la malveillance de
l'étranger et aux manœuvres de l'agiotage. Alors, certes le gage fut insuffisant. Mais s'il le fut dès le
début, ne peut-on dire que le fait de ne pas retirer systématiquement, voire même de remettre en
circulation, les assignats ayant servis au paiement de biens nationaux, n'a pas aggravé cette
insuffisance du gage ? Très certainement, cependant, cette faute imputable au Corps Législatif
n'apparaît pas. Cela entraîna une érosion monétaire, mais celle-ci ne fut-elle pas accentuée par
l'émission constante d'assignats ? Cet usage immodérée de la planche à billets, cautionnée, voire
même imposée par le Corps Législatif en est responsable...mais là encore nulle trace n'en est
trouvée dans la résolution.
Quant aux actes de malveillances, ne sont-ils pas un peu trop grossis ? Quant à l'agiotage,
l'abbé Maury, tout comme Bergasse mirent en garde contre ses effets néfastes. Là encore, le Corps
Législatif voit le problème, mais nie implicitement sa responsabilité, ou plutôt son imprévoyance. Il
faut bien tirer des enseignements des erreurs passées, mais surtout ne pas s'en repentir. La
242 Réimpression du moniteur universel , tome 23, Paris, Henri Plon, 1862, p.552
243 Jacques Duvergier, op cit, Tome 9, 16 mars 1796-26 ventôse an IV, p.63
74
�responsabilité en revient aux autres, aux malveillants, pas à eux...et pourtant, peut-être est-ce là
l'enseignement principal qu'il aurait fallu en tirer. La loi de ventôse IV qui va être étudiée entend
répondre aux errements passés.
75
�76
�Paragraphe 2 : Les mandats territoriaux : L'échec prévisible de l'avatar de l'assignat
Le mandat territorial peut être à juste titre considéré comme un avatar de l'assignat. Cette
pâle copie gardera donc naturellement toutes les faiblesses de son modèle. Comment alors aurait-il
pu donner des résultats moins piteux ?
La loi du 28 ventôse an IV dispose dans son article 1er qu'il ''Il sera crée pour deux
milliards quatre cent millions de mandats territoriaux''
244
. Ce premier article pose déjà un premier
problème, l'assise totale des biens nationaux était au mieux estimée à 3 milliards. Or avec le nombre
important de ventes déjà effectuées, comment pouvait-on imaginer que les biens restants
s’élèveraient à plus de 2 milliards. Le premier article montre déjà que la volonté de surmonter les
erreurs passées est non respectée. L'article 2 dispose quant à lui que '' ces mandats auront cours de
monnaie entre toutes personnes dans toute l'étendue de la République, et seront reçues comme
espèces dans toutes les caisses publiques et particulières''
245
. Ainsi, les mandats auront aussi cours
de monnaie. Mais qu'est-ce qui les différencie des assignats ? À part leur nombre...rien. Le ''prompt
remède'' de la résolution du 26 ventôse 246 est donc novée en un ersatz d'assignats dans la loi du 28
ventôse.
Cependant, il faut se garder de juger trop rapidement, après tout, il est aussi dit qu'il faudra
apporter une résolution à '' de pareils inconvénients''247. Celle-ci apparaît nettement dans l'article 3 :''
précautions pour constater que la fabrication n'excédera pas les deux milliards quatre cents
millions, seront réglées de la manière la plus convenable''
248
. On doit éviter de faire perdre
confiance aux citoyens avant même l'entrée en circulation des mandats territoriaux. Pas de surplus,
est-ce sans doute une promesse de ne pas faire tourner la planche à billets ? Cela reste peu
convaincant néanmoins lorsqu'on sait que '' 34 milliards d'assignats [étaient] en circulation (sur 45
milliards qui avaient été émis'' 249.
244 Jacques Duvergier, op cit, Tome 9, 18 mars 1796-28 ventôse an IV, p.63 (article 1)
245 Jacques Duvergier, op cit, p.63 (article 2)
246 Jacques Duvergier, op cit, Tome 9, 16 mars 1796-26 ventôse an IV, p.63 (résolution du 26 ventôse an IV)
247 Ibid
248 Jacques Duvergier, op cit, Tome 9, 18 mars 1796-28 ventôse an IV, p.63 (article 3)
249 Jacques Godechot, op cit, p.508
77
�Mais que deviennent les assignats ? '' À dater du 1er germinal an IV ( 21 mars 1796, le
papier perdait cours légal)''250. L'article 9 de la loi précitée y répond aussi, '' tous les porteurs
d'assignats les échangeront contre des mandats dans les trois mois de la présente''
251
. Le trait n'est-
il pas un peu grossier ? Remplacer les assignats par des mandats territoriaux, il y a là un fort risque
d'amalgame auquel les mandats n'échapperont pas. De plus, cela entraîne un coût administratif
comme financier. Il aurait été préférable de supprimer purement et simplement les assignatsmonnaie afin de rompre le lien implicite entre mandats et assignats. Cela aurait peut-être provoqué
une banqueroute, néanmoins celle-ci s'avérera nécessaire par la suite. Cela n'aurait été qu'une
anticipation salutaire pour préserver le peu de biens nationaux encore disponible252. Là encore, la loi
apparaît dangereusement faible.
À leur retour, les assignats ''seront biffés , en présence de celui qui les remettra, pour ensuite
être brûlés '' 253. On se doute bien que les assignats ne seront pas conservés puisqu'ils perdront toute
valeur au bout de trois mois254. Cependant, il apparaît que ce travail n'avait pas été fait
systématiquement auparavant, car beaucoup d'assignats furent réintroduits dans la circulation après
avoir servis de moyens de paiement préférentiel pour les biens nationaux. L'erreur est donc
reconnue et la leçon en est tirée par l'article 12 qui dispose que '' les mandats qui rentreront par la
vente des domaines nationaux seront aussi biffés en présence du payeur, pour ensuite être brûlés''
255
. C'est le seul article opportun dans toute une loi mal faite et mal pensée. Autre exception
bienvenue, celle de l'article 13 qui prévoit une annexe des biens gagés par les mandats territoriaux.
Néanmoins, on voit mal comment il serait possible de trouver suffisamment de biens pour gager une
telle somme. L'idée est bonne assurément dans le principe, mais sa réalisation ne pourra que
déstabiliser un peu plus des mandats territoriaux vains.
Enfin, ultime salve, celle de l'article 14 de la loi précitée qui dispose qu'il ''ne pourra, sous
aucun prétexte, être créé de nouveaux mandats sur le même gage'' 256. Cette disposition est
essentielle, mais les assignats d'origine prévoyaient la même disposition. Certes, les assignats
acceptaient une dérogation à cet interdit, celui du vote d'une nouvelle loi par le Corps Législatif257.
250 Jacques Godechot, op cit, p.509
251 Jacques Duvergier, op cit, Tome 9, 18 mars 1796-28 ventôse an IV, p.64 (article 9)
252 Une disponibilité faible en proportion du nombre de biens déjà vendus.
253 Jacques Duvergier, op cit, Tome 9, 18 mars 1796-28 ventôse an IV, p.65 (article 11)
254 Cf l'article 9 précitée
255 Jacques Duvergier, op cit, Tome 9, 18 mars 1796-28 ventôse an IV, p.65 (article 12)
256 Jacques Duvergier, op cit, Tome 9, 18 mars 1796-28 ventôse an IV, p.65 (article 14)
257 Cf l'article 3 précitée du décret du 29 septembre-12 octobre 1790, Jacques Duvergier, op cit, Tome 1, p.391
78
�Mais finalement, si cette dérogation n'est pas comprise dans la loi de ventôse an IV, qu'est-ce qui
empêche le législateur d'y revenir dans une autre loi ? Une loi a le pouvoir de défaire une autre loi,
il n'y a pas de hiérarchie imposée. On peut quand même supposer que les mots « sous aucun
prétexte », qui sont assez forts, avaient pour but de dévoiler les intentions pures des législateurs.
Cependant, même si la masse populaire n'eut pas forcément conscience de ces subtilités
juridiques, il n'empêche qu'ils n'auraient pu faire confiance aux simples bonnes intentions des
législateurs. L'expérience leur ayant montré les inévitables dérives. Au final, ''sa dégringolade est
quasi-instantanée et il est démonétisé onze mois plus tard en toute discrétion. Au final, un créancier
qui aurait reçu 3000 francs-assignats de l'État en 1791 n'en aurait plus retiré qu'un franc en 1796''
258
.
En conclusion, il apparaît que les intentions primaires du Corps Législatif étaient bonnes,
mais les moyens usités, eux, étaient dépassés. En effet, comment faire en sorte qu'un papier fort
similaire aux assignats ne subisse pas la même perte de confiance et donc une dévaluation
inévitable ? La réponse est simple, aucune. La seule solution était de changer de système et de
revenir au numéraire.
258 http://www.herodote.net/30_septembre_1797-evenement-17970930.php
79
�80
�Paragraphe 3 : Le retour au paiement en numéraire : Chronique d'une banqueroute recherchée
Une fois, l'inconséquence des assignats et des mandats territoriaux révélée, il ne restait plus
qu'une solution...le retour au numéraire. Cependant, ce retour ne peut être détaché de la banqueroute
des deux tiers. On peut à juste titre penser que celle-ci fut recherchée par le Corps Législatif.
Ainsi, le 13 thermidor an IV (31 juillet 1796), les mandats ne furent plus reçus qu'à leur
valeur au cours. Le Directoire chargea aussi la compagnie Dijon de retirer tous les mandats 259.
Cependant, si appeler au retour du numéraire est une chose simple, en revanche, le faire revenir
physiquement dans le pays est beaucoup moins aisé. On a vu précédemment que le numéraire avait
transité hors des frontières, par le biais du commerce extérieur. La solution la plus rapide et la plus
efficace était de lever des contributions extraordinaires dans les pays occupés 260. Cette solution ne
sera pas suffisante. On paiera donc encore en bons '' d'acquits d'impôts ou d'achats de biens
nationaux'' les fournisseurs261. Dans certains pays occupés, comme la Savoie, il n'est donc pas rare
de retrouver les noms de fournisseurs des armées qui consolident l'assise de leur créance en la
novant en bonnes terres non susceptibles de dépréciation. On s'aperçoit que les assignats puis les
mandats territoriaux dans une moindre mesure ont aggravé la situation et rendus dépendant l’État de
ces ressources. L'usage de bons pour achats de biens nationaux est un ersatz d'assignats, mais non
monétaire. La situation est désespérante et on comprend mieux la facilité dans laquelle les autres
gouvernements sont tombés, en émettant toujours plus d'assignats et de mandats262.
Ces mesures ne furent pas satisfaisantes, le manque de numéraire était criant. Les assignats
et les mandats disparus, on ne parvenait ni à faire revenir suffisamment de numéraires, ni à les
compenser par autres choses. Pouvait-on alors emprunter ? Non c'était chose impossible, l'étranger
n'aurait pas prêté, les aisés de l'intérieur auraient eu trop peur de ne pas récupérer leurs biens dans
ces temps troublés. Voilà le résultat de la politique des assignats. Plus de prêteurs. Mais alors que
faire ? L'économie dirigée des jacobins avait connu un certain succès et avait permis de juguler la
259 Cf Jacques Godechot, op cit, p.509
260 La Hollande, une partie de l'Allemagne et l'Italie.
261 Jacques Godechot, op cit, p.510
262 À l'exception des jacobins qui commencèrent à juguler cette tendance.
81
�crise. Cependant, il y avait encore des assignats à ce moment. Alors que leur retrait brutal avait
laissé un vide difficile à combler. De plus, un retour à cette politique n'était pas envisageable pour
les directeurs. Il restait néanmoins une solution. L’État était très endetté. Ce problème ne pouvait-il
pas devenir la solution ?
''Par la loi du 9 vendémiaire an VI (30 septembre 1797), le ministre Ramel consolide le tiers
de la dette publique et «mobilise» les deux autres tiers en les représentant par des bons au porteur
de 5% pour les rentes perpétuelles et de 10% pour les rentes viagères'' 263. En réalité, ces bons
ressemblent tant aux assignats, qu'ils ne dupent personne. Logiquement, leur valeur s'effondre
rapidement.
Afin de mieux comprendre ce système, il faut s'attarder sur les deux éléments le composant.
Les jacobins, avant leur chute avaient refondu toutes les différentes dettes de l’État en une seule,
inscrite au grand livre de la dette publique. Ce dernier sera la base de l'opération de banqueroute
organisée. En effet, c'est un outil fiable qui permet d'évaluer avec précision la dette publique, et
donc d'en consolider un tiers qui demeurait inscrit dedans. Tandis que les deux autres tiers seraient
remboursés avec des bons dits « de remboursement des deux tiers de la dette publique ». Ces
derniers permettront d'acheter des biens nationaux. Ce sont donc eux aussi des assignats déguisés
n'ayant pas cours de monnaie. Encore...
Cependant, la dévaluation rapide de ce nouveau papier était prévisible, et là ce n'était pas les
biens nationaux qui encaissaient uniquement le choc, mais aussi ces fameux deux tiers de la dette
publique. Celle-ci s'évanouissait donc à bon compte. Cela entraîna inévitablement la ruine des
créanciers de l’État. Jacques Godechot la qualifiera de '' spoliation'' , de '' faillite''
264
. Néanmoins,
cela a pour effet miraculeux d'assainir la dette de l’État, au prix d'une banqueroute terrible265.
Jacques Godechot relève ainsi que la dette '' était réduite de 250 à 83 millions''
266
. On serait donc
plutôt tenté de la nommer, « jeu d'écriture providentiel et génial ». Cette banqueroute, désormais
célèbre sous le nom de banqueroute des deux tiers était inévitable. Il est même regrettable qu'elle
263 http://www.herodote.net/30_septembre_1797-evenement-17970930.php
264 Jacques Godechot, op cit, p.511
265 ''En 1726, peu après la mémorable faillite de Law, le cardinal de Fleury, Premier ministre de Louis XV, convertit
l’État à la rigueur. L’économie du royaume ne s’en porte que mieux. Mais ses bonnes intentions ne résistent pas à la
défaite de la France dans la guerre de Sept Ans, en 1763. L’abbé Terray, contrôleur général des finances, convainc
Louis XV d'annuler une partie de la dette''. http://www.herodote.net/30_septembre_1797-evenement-17970930.php
266 Jacques Godechot, op cit, p.510
82
�n'ait pas eu lieu plus tôt, évitant ainsi un gaspillage inconsidéré des biens nationaux. Peut-être est-ce
un juste rééquilibrage, puisque l’État après avoir perdu des millions par l'usage du papier-monnaie,
en gagnait rapidement plusieurs grâce à lui. À ce propos justement, Ramel aurait dit '' j'efface les
conséquences des erreurs du passé pour donner à l'État les moyens de son avenir'' 267.
Pour conclure sur ce point, il semble nécessaire de retracer l'évolution de ces fameux bons.
Selon l'éminent Jacques Godechot, au bout d'un an, ces bons ne valaient plus que 37% de leur
valeur initiale, et en l'an VIII, à peine 1%. Le pourcentage en devient si ridicule, qu'il en devient
risible. De plus, et c'est là le plus amusant, et ce qui sans doute révèle les intentions profondes du
directoire, dès l'an VII, ces bons ne pouvaient plus servir à acheter des biens nationaux. Ce qui eut
pour effet de les rendre inutilisable. Par la suite, même si cela sort de notre période traitée, ces bons
seront transformés en rente perpétuelles au 1/400ème de leur valeur initiale en capital 268. À titre
d'exemple, 28000 francs de capital constitue une rente perpétuelle de 70 francs269. Ridicule.
Après les moyens de paiement, il faut voir les modalités d'adjudication et de paiement.
Ceux-ci dénote sans doute le mieux des différents régimes s'étant succédés.
267 http://www.herodote.net/30_septembre_1797-evenement-17970930.php
268 Jacques Godechot, op cit, p.511 ( Godechot précise que cela eut lieu en l'an IX
269 28000/400=70
83
�84
�Chaque crise '' donne
naissance à de nouvelles
régulations qui ne nous
protègent pas des crises à
venir ''270
270 Michel David-Weill, op cit, p.99
85
�86
�Section 2 : L'opposition entre le caractère social et le caractère financier dans les
modalités d'adjudication et de paiement des ventes de biens nationaux
Les modalités d'adjudication et de paiement sont primordiales pour analyser l'évolution
sociale ou financière de la législation de la vente des biens nationaux. Elles reflètent la tendance des
différents régimes politiques qui se sont succédés. On peut ainsi relever que la vente des biens
nationaux put être considérée comme un moyen de combler le déficit, mais qu'elle devint
rapidement une manière de combler la dette271. Ce qui est très différent, car dans le premier cas, on
en aurait fait un usage ponctuel, et donc pas nécessairement basé sur des exigences financières,
mais plutôt sociales. Alors qu'en considérant la vente comme un moyen de combler la dette, on en
fait un usage intensif, qui par son excès de célérité entraîne une perte patrimoniale. Celle-ci doit
dans ce cas être compensée par une intensification des ventes, et une exacerbation des critères
financiers au détriment des critères sociaux. Le curseur social a eu tendance à s'estomper devant le
curseur financier.
Cependant, l'évolution ne fut pas linéaire, elle fut composée de flux et de reflux. L'étude
exhaustive de toutes les législations serait trop longue. Il paraît plus avantageux de les diviser en
grands régimes, et donc d'assimiler un ensemble de lois ou de décrets comme une évolution vers de
différents régimes légaux de vente, miroir de divers régimes politiques. Pour cela, une étude des
archives parlementaires permettra d'éclairer d'un nouveau jour ces législations. De même le recueil
de Jacques Duvergier apportera un supplément textuel précis, permettant d'éviter les erreurs de
transcriptions inopportunes, dans la mesure du possible.
Trois régimes seront étudiés, cette délimitation est avant tout chronologique. En effet, il n'est
pas possible de traiter de toutes les périodes dans un espace si restreint. De plus, l'essentiel des
ventes se réalisant durant ces trois régimes, il n'apparaît pas trop grave de laisser sous silence leurs
successeurs. Il est primordial d'étudier le régime de 1790, car il est le plus long et de loin le plus
complexe. Les législations girondines et jacobines y apporteront des modifications conformes à
leurs idéologies respectives, néanmoins, la structure restera fondamentalement la même (Paragraphe
271 Jacques Godechot note que cette évolution se fit en l'espace de quelques mois, et que dès juin 1789, le comblement
de la dette avait pris le pas. ( Cf Godechot, op cit, p.175-176)
87
�1). En revanche, le régime de ventôse de l'an IV apparaît plus uniforme, et si son corpus législatif
est plus restreint, il modifie en profondeur la structure des ventes donnant un tournant clairement
financier à celles-ci, et éclipsant le volet social (Paragraphe 2). Le régime de l'an VII est clairement
le plus abouti de tous, son corpus est cohérent malgré quelques imperfections. Et si le volet social
reste toujours faible, la voracité financière semble reculer, sans doute grâce à la purge de la
banqueroute. Cette dernière rendant le volet financier moins urgent et donc plus efficace
(Paragraphe3).
88
�Paragraphe 1 : La faiblesse des influences girondine et jacobine dans la structure globale du
régime des ventes de biens nationaux de 1790
Les influences girondines et jacobines sont très présentes dans la finition du régime de vente
de 1790, néanmoins, contrairement aux idées reçues, elles ne modifièrent pas en profondeur la
structure globale des ventes.
Le régime de 1790 préconisait de passer par le biais des municipalités, afin de réaliser la
vente des biens nationaux à hauteur de l'émission des 400 premiers millions d'assignats. Le décret
du 18 mars 1790 dispose que '' les biens domaniaux et ecclésiastiques seront vendus à la
municipalité de Paris et […] aux municipalités du Royaume''
272
. Ce premier article est intéressant
car il montre le recours aux municipalités dans la vente des biens nationaux. Ils agissent comme
intermédiaires privés privilégiés, et non pas en leur qualité de représentant du royaume au niveau
local. Pourquoi ? Selon le député Thouret, ce recours a trois avantages. Le premier est ''
d'exproprier le clergé définitivement''
273
. En effet, il y a mutation de propriété, de l’État à la
municipalité. On n'acquiert plus auprès de l’État, mais auprès d'une municipalité, ce qui dissout
encore l'origine ecclésiastique du bien convoité274. Purger la première nature du bien est donc le
second avantage. Cela diminue les scrupules, mais aussi les craintes...à la garantie de l’État s'ajoute
celle de la municipalité275. Enfin, cela doit avoir pour effet '' d'accélérer les ventes particulières'' 276.
L'article 4 du titre 3 du décret du 14 mai 1790 dispose que '' les acquéreurs n'entreront en
possession réelle qu'après avoir effectué leur premier payement'' 277. Ce dernier devra avoir lieu dans
'' la quinzaine de l'adjudication'' et être à hauteur de 12% à 30% du montant de l'adjudication en
fonction de sa classe278.'' Le surplus sera divisé en douze annuités égales payables en douze ans''
272 AP, 1ère série, Tome 12, 18 mars 1790, p.212
273 AP, 1ère série, Tome 12, 18 mars 1790, p.210
274 Cependant un bien immeuble ne pouvant être déplacé, l'acquéreur ne peut se dissimuler le fait que le bien acquis
avait une origine ecclésiastique, les spoliés n'en perdront pas non plus la trace, et il sera assez aisé de savoir qui a
acquis des biens nationaux ou pas. La répression de la terreur blanche contre des acquéreurs de biens nationaux en
Provence le démontra bien assez. L'argument est donc en partie fallacieux. Ce qui explique sans doute qu'il sera
abandonné dans les motivations des législations suivantes.
275 La garantie des municipalités sera moquée par certains députés, ce seront les mêmes qui s'opposeront à cet usage
des municipalités. Parmi eux... Mirabeau
276 AP, 1ère série, Tome 12, 18 mars 1790, p.210
277 AP, 1ère série, Tome 15, 14 mai 1790, p.508
278 Ibid
89
�dans lequel sera compris un intérêt à 5%279. On peut constater que le paiement est grandement
facilité par cette division en douze annuités. Cela permet bien évidemment de séduire plus
d'enchérisseurs. Ce sont là des modalités de paiement fastidieuses qui prennent plus d'intérêt dans la
suite de l'article 4 précité. En effet, celle-ci dispose que '' les enchères seront en même temps
ouvertes sur l'ensemble ou sur les parties de l'objet compris en une seule et même estimation ; et si,
au moment de l'adjudication définitive, la somme des enchères partielles égale l'enchère faite sur la
masse, les biens seront, de préférence, adjugés divisément '' 280. Ce passage est essentiel car il
favorise clairement la division des lots et donc la possibilité offerte aux petits acquéreurs d'acheter
préférentiellement aux gros. Le caractère social de la vente des biens nationaux semble donc
affleurer...permettre l'accès à la propriété pour les moins aisés. Malheureusement, par diverses
manœuvres spéculatives, il est possible d'annuler ces bonnes intentions. De plus, ce cas de figure se
produira rarement à l'avantage des petits enchérisseurs. D'autant plus que le décret du 2-17
novembre 1790 disposera que le regroupement sera favorisé, et non plus la vente par division des
lots.
Cependant, le mode de la vente par soumission des municipalités n'était pas suffisant, en
raison du nombre '' de soumissions des particuliers''
281
. Le député rapporteur La Rochefoucauld
présente donc un nouveau décret qui permettra '' de mettre le plus de citoyens possible à portée
d'acquérir des biens nationaux, et d'obtenir un meilleur prix par une plus grande concurrence''
282
.
Le plus important est l'idée d'obtenir une plus grande concurrence entre bourgeois. Comment ? En
créant une voie dérogeant aux soumissions des municipalités. On peut directement acquérir auprès
du Corps Législatif. Ainsi, il sera vendu parallèlement des biens nationaux, par les municipalités et
le Corps Législatif. Mais alors pourquoi passer par les municipalités ? L'inflation législative
révolutionnaire fait et défait en quelques mois des raisons ou des motifs primordiaux un jour et
abscons le lendemain. On pense régler un problème en légiférant, tout en ne s'apercevant pas que la
dérogation nouvelle va à l'encontre même de l'esprit de la première loi. Cela provoque une
confusion des genres préjudiciable.
279 Ibid
280 Ibid
281 AP, 1ère série, Tome 16, 25 juin 1790, p.455
282 Ibid
90
�De plus, plusieurs questions s'imposent ? Ces ventes diminuent-elles l'assise totale de la
garantie accordée aux assignats ? Ne vont-elles pas fragiliser les assignats ? À l'évidence, le bien
une fois vendu ne peut plus être utilisé comme garantie d'une monnaie-papier. Celle-ci tire sa valeur
de l'hypothèque de biens nationaux qu'elle représente. Un achat en-dehors de ce système en diminue
forcément la valeur, et la confiance qu'on en a 283. C'est néanmoins inquiétant. L'abbé Maury montre
bien dans son discours que cela favorisera l'agiotage. En effet, la mise en vente de tous les biens
nationaux diminue mécaniquement la valeur des assignats. Ces derniers acquis à moindre coût,
permettent néanmoins d'acheter à la valeur nominale des assignats (non décroissante elle) des biens
nationaux. Ces derniers seront donc payés en-dessous de leur valeur réelle, au prix de la valeur
nominale284. L'agiotage consiste donc à profiter de la valeur nominale constante de l'assignat pour
acheter un bien en usant de la monnaie-papier, tandis que l'achat d'assignats basé sur sa valeur réelle
diminue.
Néanmoins ses paroles ne seront pas entendues, on cherchera même plutôt à lui faire quitter
la tribune. Le député Le Deist de Botidoux ira même jusqu'à dire que la tribune fut '' souillée'' par
ces '' impostures''
285
. Il est intéressant de voir que l'argumentaire de l'abbé ne sera pas démonté en
lui-même. La critique ne portera que sur les intentions impures de l'abbé Maury, son désir de ne pas
voir la vente se réaliser afin de préserver l'espoir que l'église récupère ses biens selon le député Le
Chapelier286. Ou bien des attaques directes, voire des insultes contre le prélat, jamais contre la
justesse de son propos, qui s'éteint par « l'ignominie de son auteur ». Et pourtant, cet argumentaire
sera confirmé par les faits. Et le pire c'est que le phénomène de l'agiotage sera implicitement
légalisé, puisque le paiement en assignats deviendra prioritaire. C'est pathologique chez les
révolutionnaires français de dénoncer comme antipatriotes ceux qui émettent des réserves censées
sur la vente des biens nationaux. Le côté sensé de la crainte de l'agiotage sera reconnu quelques
années plus tard dans la résolution du 26 ventôse an IV, qui énumérera différentes causes à la
dévaluation de l'assignat dont '' les manœuvres de l'agiotage'' 287. La résolution en tire le constat que
cela fut source d'un '' embarras nuisible à tous les intérêts''
288
. Néanmoins, cela n'apparût pas
évident à tous en 1790.
283 Ce point a été développé dans la partie sur les moyens de paiement.
284 La valeur nominale est celle inscrite sur l'assignat, elle est donc la valeur réelle d'origine, avant sa dépréciation.
285 AP, 1ère série, Tome 16, 25 juin 1790, p.456
286 Ibid, p.458
287 Jacques Duvergier, op cit, p.63 ( résolution du 26 ventôse an IV)
288 Ibid
91
�De cette erreur découle le décret du 25 juin 1790 qui dispose que '' tous les domaines
nationaux, autres que ceux dont la jouissance aura été réservée au roi et des forêts […], pourront
être aliénés en vertu de ce présent décret''
289
. Les assignats-monnaie seront préférentiellement
admis comme moyens de paiement. La défaveur des petits enchérisseurs sera si criante concernant
la vente des biens de première origine que le Corps Législatif prendra des mesures plus fortes
concernant les biens de seconde origine.
Ainsi, le décret du 14 août 1792 préconisera par la parole de François de Neufchâteau, la
vente '' par petites portions de deux, trois, quatre arpents'' des biens290. L'objectif recherché était de
trouver '' un moyen d'attacher les habitants des campagnes à la Révolution''
que les pauvres puissent en avoir (des terres) ''
292
291
. Mais aussi, '' afin
. Renforcer la fidélité et étendre la propriété aux
plus démunis, de bien pieux objectifs. Par quels moyens ? En usant des biens de seconde origine, ''
susceptibles de division en faveur de l'agriculture''
293
. Donc pas tous les biens non plus...ni tous les
biens des émigrés. Seulement certains, majoritairement des biens ruraux. Certes, on divise les lots,
ce qui permet à plus de personnes de concourir aux enchères, les prix étant plus bas. Pourtant,
encore faut-il répondre à un certain minima. On est encore loin des mesures des jacobins. Les
girondins dominent encore, et leur logique se porte non pas sur un don, mais sur un mode d'enchère.
Les plus démunis sont donc visés, mais en réalité, cette loi ne vise que les plus petits bourgeois. Les
démunis ne pourront pas enchérir, car ils n'en ont pas les moyens. Il ne suffit donc pas de dire que la
division des lots en petites portions favorisera telle classe, alors que la procédure (l'enchère), l'en
exclut matériellement. Leur vente est décrétée le 27 juillet 1792. Cependant, le régime de la vente
des biens des émigrés est insatisfaisant. Les ventes sont donc suspendues par le décret du 11
novembre 1792 provisoirement294.
289 AP, 1ère série, Tome 16, 25 juin 1790, p.458
290 AP, 1ère série, Tome 48, 14 août 1792, p.118 (on relèvera ici l'erreur de frappe de Jacques Godechot qui estime la
date à 1793, alors qu'après plusieurs vérifications dans les Archives Parlementaires, il apparaît que c'est bien l'année
1792 qui est visée)
291 Ibid
292 Ibid
293 Décret du 14 août 1792, AP, 1ère série, Tome 48, p.118
294 AP, 1ère série, Tome 53, 11 novembre 1792, p.354 (là encore Jacques Godechot indique l'année 1793 au lieu de
l'année 1792, aux pages 404-405, ce qui le conduit à critiquer fortement les Jacobins, en partie à tort.)
92
�Le décret du 1er mars 1793 énumère les différents cas d'émigration, et surtout les peines
encourues. Le plus intéressant est qu'ils sont considérés '' comme mort civilement''
295
. Leurs
successions sont donc ouvertes...mais au profit de la Nation. Tous les testaments, legs et autres sont
déclarés '' nuls''296. Il y a là sûrement matière à s'interroger plus longuement, car le sujet est vaste et
intellectuellement curieux, mais ce n'est malheureusement pas le propos de ce travail 297. Si cela ne
suffisait pas, la peine de mort est aussi dissuasive.
Puis le projet de décret du 4 mars 1793 vient poser les différentes conditions de ventes.
L'article 1er dispose que ''les biens immeubles des émigrés seront vendus au plus offrant et dernier
enchérisseur, conformément à ce qu'il est prescrit pour l'aliénation des domaines nationaux''
298
. La
division des lots semble encore être de mise selon l'article 6 qui dispose que '' chaque lot ou portion
sera mis en vente séparément'' 299. En revanche, il apparaît que le modèle de l'intermédiaire
municipal soit définitivement abandonné, puisqu'on n'a pas '' besoin de soumission préalable''
300
.
Pour le paiement, l'article 22 de la section 3 du décret du 4 mars 1793 dispose qu'ils seront '' en
assignats et monnaie''
301
. Le tout se fera en '' dix annuités''
302
. Ce projet ne sera finalement jamais
voté303. En revanche, le décret du 24 avril 1793 condamna les coalitions d'acheteurs. Cela avait pour
but d'empêcher les acheteurs de faire baisser artificiellement les adjudications, et donc de
défavoriser les petits acheteurs.
La montée progressive au pouvoir des jacobins inspire de nouveaux objectifs, de plus en
plus sociaux. Ainsi, l'article 2 du décret du 3 juin 1793 dispose que '' dans les communes qui n'ont
pas de biens communaux à partager, et où il en trouvera des biens appartenant aux émigrés, il sera
fait sur les dites terres un prélèvement suffisant, pour en donner un arpent, à titre d'arrentement, à
chaque chef de famille qui ne serait point propriétaire d'un fonds de terre de cette étendue'' 304. Il n'y
a pas de dons gratuits de terres, mais il y a une face préférentielle qui se dessine. Marc Bouloiseau
note ainsi très justement que l'opposition entre la vente aux enchères girondine et le système de
295 AP, 1ère série, Tome 59, 1er mars 1793, p.518
296 Ibid, p. 518-519
297 On renverra sur ce point particulier à la récente thèse de Denis-Serge Dibanjo Nintcheu, La privation totale des
droits civils : La mort civile, de la Révolution à son abolition en 1854, Lyon 3, Thèse soutenue le 28/09/2012,
Ressource électronique BU Lyon 3
298 AP, 1ère série, Tome 59, 4 mars 1793, p.592
299 Ibid
300 Ibid (article 6)
301 Ibid, p.593
302 Ibid
303 Cf Jacques Godechot, op cit, p.404
304 AP, 1ère série, Tome 66, 3-13 juin 1793, p.10
93
�l'arrentement jacobin résultait de la lutte entre '' le point de vue financier'' de la Gironde et '' le côté
social'' des montagnards305. Puisque l'arrentement fut retenu, on peut donc avancer que ce fut le
volet social des jacobins qui l'emporta. Néanmoins, sur ce point, il paraît nécessaire d'en relativiser
les effets. L'intention est excellente, le cadeau, lui l'est beaucoup moins. Ce décret complète le
partage des communaux formalisé dans le décret du 10 juin 1793. Les deux décrets sont donc
intimement liés. Sur ce point, Jacques Godechot précise que '' les lots furent trop petits pour
permettre aux indigents une exploitation rationnelle'' 306. Finalement, ces derniers incapables de
mettre la terre en exploitation, la revendait aux plus aisés... véritables bénéficiaires. Une mesure à
vocation sociale qui fut un échec. Le constat peut être étendu à la part des biens des émigrés qui y
sera consacrée, puisque la taille des lots en était similaire. Donner un bien sans accorder le moyen
de l'exploiter, ce n'est pas servir la paysannerie sur le long terme. De plus, Jacques Godechot le
relève très justement, '' rien ne garantissait que les arpents donnés aux pauvres seraient choisis
dans les bonnes terres''
307
. De plus, Jacques Godechot relève que seul le département de Seine-et-
Oise l'appliqua308. Cette assertion pour le moins surprenante semble néanmoins se confirmer dans le
département des Bouches-du-Rhône. On ne saurait s'avancer pour les autres.
Mais dès le 13 septembre 1793, ces mesures furent révoquées au profit de la délivrance d'un
bon de 500 livres remboursable en 20 ans. Jacques Godechot relève encore avec justesse, que bien
peu de ces bons furent utilisés309. Néanmoins, les jacobins tentèrent une dernière fois de donner un
caractère social aux ventes. Pour cela, ils usèrent des biens des suspects, pour en faire une
distribution aux indigents. Une liste de ces derniers devait être faite dans chaque département, afin
de pouvoir commencer la distribution ou la vente des biens à leur profit. Ce sont les fameux décrets
de ventôse an II310. Cependant, ces décrets ne recevront pas vraiment d'application en France, car la
chute des jacobins surviendra trop tôt. Sur la réforme proprement dite, le caractère social est
indéniable, mais le raisonnement est aussi politique. Il suffit pour cela de se rapporter aux paroles
de Saint-Just qui estime que cela '' est le moyen d'affermir la Révolution que de la faire tourner au
profit de ceux qui la soutiennent et à la ruine de ceux qui la combattent''
311
. Sur cet éclaircissement,
305 Marc Bouloiseau, op cit, p.7
306 Jacques Godechot, op cit, p.401
307 Ibid, p.404
308 Jacques Godechot, op cit, p.404
309 Ibid
310 - Le décret du 8 ventôse an II-26 février 1794 dispose que '' les biens des personnes reconnues ennemis de la
Révolution seront séquestrés au profit de la République''
- Le décret du 13 ventôse an II-3 mars 1794 dresse ''un état des patriotes indigens (sic)'' (article 1)( AP, Tome 86, 3
mars 1794, p.23). L'article 2 prévoit l'indemnisation des indigents avec les biens des '' des ennemis de la
Révolution''. ( ibid)
311 Ibid, p.22 ( Discours préliminaire de Saint-Just qui est le rapporteur de la loi).
94
�on doit comprendre que seuls les indigents patriotes doivent en bénéficier. Les premières listes de
suspect ne furent faites que le 1er thermidor an II, quelques jours plus tard, c'était la chute de
Robespierre et des jacobins. L'application ne se fit pas non plus dans le département des Bouchesdu-Rhône, même si des listes de suspects commencèrent à être élaborée. Ce projet de redistribution
foncière fut immédiatement enterré par les nouveaux maîtres, les thermidoriens. Seul Gracchus
Babeuf devait encore y penser. Cela lui coûta la vie. Le terme de cette dernière marqua également
l'éclipse totale du volet social au profit du volet financier.
95
�96
�Paragraphe 2 : L'éclipse totale du volet social par le volet financier dans le régime de la vente
des biens nationaux de Ventôse an IV
Le régime de ventôse an IV ne s'est pas construit de rien. Certes, il s'est construit en
opposition à la dernière évolution du régime de 1790, mais il est surtout issu d'une évolution
postérieure aux jacobins. Il marque la fin du processus socialisant des biens nationaux. Désormais,
l'aspect financier est de plus en plus exacerbé. Tandis que les aspects politiques et sociaux tendent
eux à s'estomper. Cela ne veut pas forcément dire que les mécanismes législatifs seront plus
efficients.
Ce premier élément est le décret du 24 février 1795- 6 ventôse an III qui dispose dans son
article 3 que '' les acquéreurs solderont dans le mois, et avant d'entrer en possession, le quart du
montant de leurs adjudications;le surplus sera payé en six années par portions égales, un sixième
chaque année, en y ajoutant l'intérêt à cinq pour cent sans retenues, et en suivant les formes
actuellement usitées'' 312 . Ce qui ne change pas, c'est la nécessité de régler une partie du montant de
l'adjudication avant d'entrer en possession. La différence est que l'acompte représente un quart de
l'adjudication au lieu de 12% pour les biens de première classe pour le régime de 1790. Le paiement
se fera en 6 années au lieu des 12 années dans le régime de 1790. Il y a donc une accélération du
mouvement, on veut vendre vite, très vite, trop vite. Cela répond aux besoins financiers pressants de
l'époque.
Cette tendance est confirmée par l'augmentation des intérêts progressifs pour chaque terme.
Il est néanmoins possible d'anticiper le dernier terme avant les premiers, afin de bénéficier d'une
remise d'intérêts plus importante313. Afin d'éviter le paiement d'intérêts de plus en plus fort sur
chaque échéance, on peut être tenté de payer par anticipation. C'est clairement le but visé par le
312 Jacques Duvergier, op cit, Tome 8, 24 février 1795-6 ventôse an III
313 Le premier terme est de 2%, le second de 4%. En répétant cette occurrence n+2, on parvient à un intérêt de 12% sur
le sixième et dernier terme. L'anticipation du paiement du sixième terme permet de s’exonérer de l'intérêt assorti.
Pour des raisons évidentes, on a tout intérêt à anticiper le paiement du dernier terme par rapport aux autres. Et même
à en anticiper plusieurs afin de payer moins. Un intérêt de 8% ou 10% étant encore énorme, on a tout intérêt à
anticiper le paiement, même en empruntant. En effet, l'intérêt de l'emprunt pouvant être plus faible que celui de
l'échéance. Si on est en fond, on peut régler par anticipation et donc économiser 12% sur le dernier 1/8 ( 75%/6=1/8)
et ainsi de suite.
97
�Corps Législatif. C'est une incitation à payer par anticipation, et donc un moyen de faire rentrer plus
rapidement des fonds dans les caisses étatiques. De plus, à partir de 1795, les ventes se déroulèrent
aux chefs-lieux de chaque département, et non plus à ceux des districts. Ce détail paraît de moindre
importance actuellement, mais il eut pour effet, en raison de la difficulté de se déplacer, de
restreindre l'ouverture des enchères aux plus aisés. Le caractère social s'estompant de plus en plus.
Ce caractère est confirmé par la loi du 12 prairial an III-31 mai 1795. En effet, celle-ci
permet d'obtenir sans enchères, un bien dont on paierait 75 fois le revenu de 1790. C'est un
changement radical, puisqu'on supprime le système d'enchères, qui avait toujours prévalu. Autre
accélération, il faut payer le tout en quatre termes de trois mois. En un an, tout doit être payé. A
priori, le paiement par anticipation autorisé par le décret du 24 février 1795- 6 ventôse an III ne fut
pas suffisant. Il fallait donc trouver un moyen plus efficient.
Plusieurs conséquences doivent être tirées de la loi du 12 prairial précitée. La première est
que seuls les plus aisés peuvent hypothétiquement payer de telles sommes. Les pauvres sont donc
de facto, exclus. Le caractère social s'estompe donc au point de disparaître. La seconde conséquence
est le mode d'estimation qui avec la dévaluation des assignats le rend franchement ridicule. Même
en payant un bien 75 fois le revenu de 1790, on en revient à ne le payer que 4 fois sa valeur réelle
en numéraire314. On paye donc le bien approximativement 18,5 fois en dessous de l'estimation faite.
Celle-ci même fausse n'a que peu d'importance face à cette dévaluation. La perte inacceptable de
numéraire pour l’État était prévisible315. Pourtant, cette loi inique fut réalisée, et entraîna
inévitablement des abus.
Néanmoins, l'inconvénient a dû apparaître rapidement car les ventes furent suspendues par la
loi du 19 prairial an III-7 juin 1795, soit 7 jours plus tard. Et selon l'article 2, les '' effets des
adjudications faites'' le sont aussi316. Encore une fois, le Corps Législatif a confondu célérité et
précipitation. Ce n'est pas très sérieux de suspendre au bout de 7 jours, une loi qui apparaît si mal
faite. Elle n'aurait jamais dû exister.
314 Cf Jacques Godechot, op cit, p.404-405
315 Le fait de surévaluer le coefficient multiplicateur (75) n'en tenait pas pour autant compte.
316 Jacques Duvergier, op cit, Tome 8, 7 juin 1795-19 prairial an III, p.133
98
�La loi du 28 ventôse an IV entend amener plus d'efficience à ce système de vente avec un
succès tout relatif. Comme modalités de paiement, l'article 4 de la loi précitée dispose que '' les
mandats emporteront avec eux hypothèques, privilège et délégation spéciale sur tous les domaines
nationaux situés dans toute l'étendue de la République ; de manière que tout porteur de ces
mandats pourra se présenter à l'administration de département de la situation du domaine national
qu'il voudra acquérir, et le contrat de vente lui en sera passé sur le prix de l'estimation qui en sera
faite, à la condition d'en payer le prix en mandats, moitié dans la première décade, l'autre moitié
dans les trois mois'' 317. Ces dispositions sont intéressantes, et il convient de les analyser pour mieux
en saisir la portée. Il apparaît que les mandats territoriaux seront le nouveau mode de paiement
préférentiel des biens nationaux. Il n'y là rien d’extraordinaire, cela était une évidence puisqu'on
avait déjà précédemment conclu que les mandats étaient des avatars d'assignats318. En revanche, on
s'aperçoit que le mode d'enchère n'est toujours pas rétabli, ce qui revient à accorder une importance
croissante à l'estimation, notoirement sous-évaluée. Cependant, la vente en est encore accélérée, et
il n'y a pas non plus à organiser d'enchères, ce qui permet une économie de « bouts de chandelles ».
Une vente plus rapide, un paiement aussi plus prompt. La moitié doit être versée immédiatement, ce
qui a pour effet d'écarter définitivement les citoyens les moins aisés, et le reste dans les trois mois. Il
faut donc une capacité de mobilisation de fonds importante. On se détourne encore un peu plus du
caractère social des biens nationaux, au profit d'une visée strictement financière. Une logique
déplorable. Cette dernière sera en partie remise en cause dans le régime de l'an VII.
317 Jacques Duvergier, op cit, Tome 9, 18 mars 1796-28 ventôse an IV, p.63
318 Voir supra, p.64-67
99
�100
�Paragraphe 3 : La primauté vacillante du volet financier sur le volet social dans le régime de la
vente des biens nationaux de l'an VII
Le régime de l'an VII repose sur deux lois consécutives. La première est la loi du 26
vendémiaire an VII. Elle apporte plusieurs changements, et apparaît avec celle qui la complète, la
loi du 27 brumaire an VII comme le corpus le plus cohérent, et le mieux construit de la législation
révolutionnaire de la vente des biens nationaux. Il apparaît aussi que la primauté du volet financier
sur le volet social est vacillante. Cependant, ce constat doit être dressé avec prudence.
Ainsi, l'article 2 de la loi du 26 vendémiaire an VII dispose qu'il '' sera vendu dans les
formes ci-après réglées, une quantité suffisante de domaines nationaux, autres que les bâtimens
(sic) affectés au service public et les bois non aliénables par les lois précédentes, pour fournir en
l'an 7, en numéraire et valeur effective, la somme de 125 millions''
319
. La première mesure à relever
repose sur les mots « numéraire » et « valeur effective ». Il n'y a plus de traces de mandats ou
d'assignats, on en revient à un paiement strictement en numéraire. Par conséquent, il n'y a pas de
problème de garanties ou d'hypothèques. Seule la vente est à prendre en compte, ce qui constitue
une simplification des paramètres à prendre en compte. Cela permet également de limiter l'agiotage,
l'érosion monétaire, bref, tous les risques de la monnaie-papier. L'article 6 de la loi précitée
confirme cette interprétation, car désormais '' le montant de la première mise à prix et des enchères
sera payé en numéraire métallique''
320
. Les mots « numéraire métallique » ne peuvent laisser de
place aux doutes321.
319 Jacques Duvergier, op cit, Tome 10, 17 octobre 1798-26 vendémiaire an VII, p.367
320 Ibid
321 On peut noter que la loi du 16 brumaire an V-6 novembre 1796 (articles 11 et 13) avait réintroduit le paiement en
numéraire. La division se faisait ainsi, on devait payer 1/10ème de la mise à prix en numéraire, et 4/10ème du
montant de l'enchère en numéraire. Ainsi, un bien mis aux enchères pour 30000 livres et vendus 50000 livres, était
payé (( ((30000/10)=3000)+ ((50000*2/5)=12000)= 3000+12000=15000) 15000 livres en numéraires. Avec la loi
de vendémiaire an VII, le paiement en numéraire est total.
101
�L'article 3 de la loi précitée dispose que '' les ventes seront faites à la chaleur des
enchères''322. Il y a donc un rétablissement des enchères, ce qui est une bonne mesure, à condition
que le montant de la mise à prix ne soit pas trop bas non plus. En réalité, la loi du 16 brumaire an V
avait déjà rétabli ce système323. Or on a vu dans le développement sur les modes d'estimation, que
celui prévu par les articles 4 et 5 de la loi du 26 vendémiaire an VII est plus avantageux324.
Le paiement se divise en deux phases, celui du prix de la mise à prix, puis ensuite celui de
l'enchère. Ainsi, l'article 7 accorde '' aux acquéreurs à dater du jour de l'adjudication, dix-huit mois
pour payer la première mise à prix, et un délai égal, après expiration du premier, pour le montant
du paiement des enchères''. Cet article confirmé par l'article 9 fixe le délai maximal de paiement à 3
ans. Ce qui est plus long que celui du régime de ventôse an IV. On recherche l'efficacité, de plus les
problèmes de dévaluation n'existant plus, il n'est plus nécessaire d'accélérer inconsidérément les
délais de paiement. Néanmoins, il est laissé la possibilité de payer par anticipation, et si celui-ci est
important, d'obtenir une prime sur le capital et l'exonération du paiement d'intérêts sur les termes.
Les articles 8, 9, 10 et 13 de la loi précitée les exposent. Il apparaît que leur mécanisme ressemble
fortement à celui des régimes précédents, il serait donc fastidieux et inutile de l'exposer à nouveau.
La loi du 17 novembre 1798-27 brumaire an VII ne change pas fondamentalement le régime,
mais vient le compléter. Désormais le paiement sera unifié en 6 termes, sans distinction de première
mise à prix et de montants des enchères. Ainsi, l'article 11 de la loi précitée dispose que '' le
montant total du prix de l'adjudication'' tiendra lieu de base de recouvrement 325. Rien
d'extraordinaire, si ce n'est que le montant garanti dès le premier versement, qui tient lieu de mise
en possession, est désormais plus faible. Cela dénote deux choses. La première, c'est que le montant
était trop élevé pour être réglé par tous les acquéreurs sérieux. Ce qui signifie implicitement que les
prix étaient relativement convenables. La seconde est que les législateurs sont relativement
confiants dans le système et n'ont plus peur de ne pas en retirer un prix raisonnable. Les besoins
financiers sont aussi sans doute moins pressants.
322 Ibid
323 Cf Jacques Duvergier, op cit, tome 9, 16 brumaire an V-6 novembre 1796, p.219-221 (article 9)
324 Voir supra, p.45-48
325 Jacques Duvergier, op cit, Tome 11, 17 novembre 1798-27 brumaire an VII, p.49
102
�Cependant, le changement fut important pour les ventes des maisons-usines. En effet, la loi
du 27 brumaire an VII établissait une mise à prix équivalente à 40 fois le revenu de l'an VII 326. Or, le
revenu de l'an VII libéré des charges et dîmes supprimés, est équivalent à 2 fois le revenu de 1790.
On en arrive donc à payer 80 fois le revenu de 1790 327. C'est extrêmement intéressant, car on en
revient à une mise à prix équivalente à celle du régime de prairial an III 328. Si la certitude d'en retirer
un prix raisonnable permet de prendre le risque d'étaler les paiements. En revanche, la voracité
financière interdit de laisser le bien partir à bas prix. Les pertes ont déjà été considérables sous les
autres régimes. Il ne faut plus que cela se reproduise. Le directoire a toujours été en quête
perpétuelle de subsides, cette manière d'agir est donc logique. On constatera encore la préférence
donnée à la vente au lieu de la gestion du bien. Les solutions à court et moyen termes primant sur le
long terme. Il aurait été intéressant, à titre de curiosité, de calculer combien les biens nationaux
auraient rapporté à l’État, s'ils n'avaient pas tous été vendus. Le loyer ou l'exploitation aurait
sûrement permis, en quelques décennies, d'atteindre des sommes équivalentes aux ventes. Et l’État
vivrait peut-être encore de ces rentes. Mais peut-être que la restauration aurait entraîné une
restitution de ceux-ci. Auquel cas, il aurait été perdu. Les ventes restent néanmoins un affreux
gâchis.
Afin de compléter l'étude, il faut désormais s'intéresser à la partie contentieuse des biens
nationaux. Celle-ci ne se voudra bien sûr pas exhaustive.
326 Article 8 et 9 de la loi du 27 brumaire an VII ( Cf Jacques Duvergier, op cit, tome 11, p.49)
327 40*2=80
328 En l'espèce, on a vu que cela représentait 75 fois le revenu de 1790.
103
�104
�TITRE 2 : L'omniprésence du concept d'intérêt général dans le
contentieux de la vente des biens nationaux : Études sur la
contestation de la propriété ecclésiastique
L'étude contentieuse de la vente des biens nationaux permet d'illustrer les difficultés
juridiques engendrées par celle-ci. Néanmoins, ce n'est là que la face visible de l'iceberg la plus
évidente. Cette lapalissade trouve sa raison d'être dans les motivations des autorités administratives.
Face aux divers contentieux, il a paru préférable de les distinguer en fonction de la dichotomie, ou
de la confusion entre d'une part la motivation d'intérêt général, et d'autre part la déchristianisation,
ou la fin des corporations.
Ainsi, il apparaît dans le contentieux de l'annulation, et parfois dans celui de l'opposition,
que seul l'intérêt général gouverne les motivations administratives. Ce constat général est de plus
marqué par la concorde entre le national, le département, et le district (Chapitre 1).
En revanche, et principalement dans le contentieux de l'opposition, on remarque que
l'intérêt général n'est pas la seule motivation retenue. En effet, à ce syntagme indéterminé, et
englobant une généralité, se greffe une motivation politique plus nette, plus précise, la
déchristianisation, mais aussi la fin du système des corporations. Cette confusion dans les
motivations ne fait pas l'unanimité, et on constate alors un isolement de la position départementale
face au national, et même face au district (Chapitre 2).
105
�106
�CHAPITRE 1 : l'intérêt général au centre des motivations
administratives dans les contentieux de l'opposition des autorités
publiques et de l'annulation
L'intérêt général est donc au centre des motivations administratives dans le contentieux de
l'opposition, et de l'annulation. Cependant, ce syntagme ancien, mieux connu sous celui d'« utilité
publique » sous la Révolution n'est pas une innovation des autorités départementales. Il existait déjà
sous l'Antiquité, où son invocation par les empereurs du Bas-Empire Romain fut courante329.
Au Xème siècle, il était selon Julien Broch '' un principe cardinal de gouvernement''330. Il
était pour les autorités municipales leur raison d'être331. Alors que son invocation par les légistes
royaux, '' dans un domaine, les rapports féodaux-vassaliques '' a conduit à '' un renforcement de
l’État''332. Julien Broch rapporte ainsi que '' les civilistes et canonistes italiens […] du Moyen Âge
avaient hautement proclamé que l'utilité publique [devaient] toujours être préférée à l'utilité
privée''333.
Le raisonnement est similaire avec celui des administrateurs du département des Bouchesdu-Rhône pendant la Révolution qui invoquèrent l' utilité publique comme une raison supérieure
prévalant sur l'intérêt particulier. Julien Broch relève également que le recours au concept d' utilitas
publica avait '' pour but de réguler les intérêts particuliers'' 334. Ainsi, cette idée ressort
particulièrement dans le contentieux de l'opposition des municipalités, où l'intérêt général national
primait sur l'intérêt général local, et particulier ( Section 1).
Jean-Louis Mestre note que '' la satisfaction du bien commun sert […] de fondement au
pouvoir normatif du monarque''335. Sous la révolution, le Roi , puis ses successeurs auront toujours
en vue ce « bien commun », vision qui se réfractera sur les autorités locales. Julien Broch ajoute que
'' l'utilité publique entrait dans l'arsenal des justifications alléguées pour permettre aux
329 Jean Gaudemet, '' Utilitas publica'', Revue Historique de Droit français et étranger, n°29, 1951, p.465-499
330 Julien Broch, '' l'utilité publique sous l'Ancien Régime'' ( à paraître),p.8
331 Ibid ,p.8-9
332 Ibid, p.10
333 Ibid, p.11
334 Ibid, p.16
335 Jean-Louis Mestre, Introduction historique au droit administratif français, Paris, PUF, 1ère éd, 1985, p.101
107
�représentants de la puissance publique d'agir en marge de leurs compétences normales336.
Cependant, curieusement le contentieux de l'annulation illustre le dépassement de la raison
juridique par l'intérêt général (Section 2). On constate ainsi que les mécanismes juridiques de
raisonnement usités par les administrateurs départementaux ne sont pas neufs, mais puisent leurs
racines dans des temps plus anciens.
'' L'intérêt général constitue à la fois le fondement, et la limite des prérogatives royales''
selon le Professeur Mestre337. Il n'est pas extravagant de dire que l'intérêt général l'était aussi pour
les prérogatives des administrateurs révolutionnaires.
336 Julien Broch, op cit, p.16
337 Jean-Louis Mestre, Introduction historique...op cit, p.103
108
�Section 1 : l'opposition des municipalités : la primauté de l'intérêt général sur les
intérêts locaux et particuliers
La primauté de l'intérêt général sur l'intérêt local, et particulier, apparaît sensiblement dans
le contentieux de l'opposition plus particulièrement dans les cas, où c'est la municipalité qui
s'oppose à l'adjudication d'un bien national. Deux hypothèses doivent être retenues.
La première repose sur la volonté d'une municipalité de se voir attribuer gratuitement un
bien national, c'est un cas très général aisément résolu n'ayant plus vocation à se reproduire, sauf
changement de législation. Une municipalité déboutée une première fois n'aura donc pas intérêt à y
revenir.
La seconde dénote d'un certain particularisme, car elle repose sur la contestation du droit de
propriété de l'église au profit de la municipalité. Une analyse au cas par cas est donc nécessaire.
Malgré tout, on peut encore en tirer une leçon générale commune aux deux occurrences. L'intérêt
général prime les intérêts particuliers. C'est le critère retenu par l'administration départementale.
Ainsi, le 6 mai 1791, la municipalité d'Ansouis a demandé l'autorisation '' de ne point vendre
la chapelle du prieuré de St-Pierre '', en vue d'y établir'' un hôpital ''
338
. Dans l'esprit de la
municipalité on devine le souhait de se la voir attribuer gratuitement, afin de répondre à un besoin
sanitaire, sans doute légitime. L'administration départementale lui a opposé un refus net. La
demande de la municipalité motivée par l'intérêt local de la population apparaît insuffisante, face à
l'intérêt général de la Nation, décliné dans le profit de la vente des biens nationaux, qui est
manifestement prioritaire. La situation économique, et budgétaire de l’État devant primer, sur des
scrupules d'ordre social. Dans l'ordre des priorités, le redressement de la France tient le haut du
pavé.
338 AD, L53, 6 mai 1791, Ansouis, f°126
109
�L'instruction du 12 août 1790 est très claire à ce sujet : '' il est essentiel surtout de faire en
sorte que les municipalités ne puissent apporter le plus léger retard aux adjudications'' 339. Il sera
toujours temps une fois ces problèmes résolus de s'atteler à venir en aide aux nécessiteux. La vente
des biens nationaux n'étant pas inépuisable, et les problèmes économiques si prégnants il n'est pas
inconsidéré de penser que les priorités ne changeront pas avant quelques années, et certainement
pas avant l'épuisement de cette ressource miraculeuse.
La jurisprudence pouvait donc apparaître immuable en cette matière, d'autant plus que
l'exécutif national ne remettrait certainement pas en cause une situation conforme à ses instructions,
lui apportant une manne bienvenue. Cette hypothèse est confirmée par ces mots employés par le
procureur général syndic qui insiste sur '' le rétablissement des finances, sur l'affermissement de la
Constitution, et sur la prospérité de l'Empire ''340. Une autre affaire confirme cette prise de position,
la municipalité d'Apt demandait la concession prioritaire '' du séminaire d'Apt '' afin d'y établir '' un
collège particulier et un collège national ''341. Le directoire de département répond sans ambages ''
qu'il n'y a pas lieu à supercéder à la vente du séminaire ''342.
En revanche, il autorise la municipalité à '' concourir aux enchères pour en faire
l'acquisition ''343. Cependant, les municipalités si elles ne peuvent obtenir des biens nationaux
gratuitement ont néanmoins la possibilité de soumissionner pour un bien, afin d'en faire un usage
d'intérêt local ou pas. Le coût étant inférieur à la valeur réelle du bien, la municipalité rend service à
sa communauté à moindre coût en y établissant '' l'hôpital qui luy est nécesaire (sic)'', mais apporte
aussi à la Nation344. Tout le monde peut donc y trouver son compte. Aucune loi ne semble les en
empêcher, néanmoins ils doivent en demander l'autorisation au procureur-général-syndic 345. On peut
d'ailleurs se demander si cette demande d'attribution gratuite n'est pas faite dans cette vue. En cas de
succès il y aurait pu avoir attribution gratuite, ou préférentielle, alors qu'en cas d'échec la
municipalité obtenait l'autorisation de soumissionner, et de '' concourir aux enchères sur la
chapelle'' de ''Saint-Pierre d'Ansouis''346. La municipalité n'avait donc rien à perdre.
339 Instructions du 12 août 1790, Chap V, section II, Annexe 1
340 AD, L38 p.185
341 AD, L53, 7 avril 1791, Apt, f°54
342 ibid
343 Ibid
344 AD, L53, 6 mai 1791, Ansouis, f°127
345 AP, 1ère série, Tome 15, 14 mai 1790, p.506 ( décret du 14 mai 1790 : article 1)
346 AD, L53, 6 mai 1791, Ansouis, f°126 et f°127
110
�Cependant, il faut également relever que la municipalité peut obtenir la '' jouissance
provisoire, et gratuite '' d'un bien national dans certaines conditions 347. La demande faite par la ville
d'Aix était motivée par l'intérêt général, celui d'y installer provisoirement une '' nourricière pour les
enfants trouvés ''348. En effet, elle doit motiver d'un usage d'intérêt général, et cela uniquement après
l'autorisation expresse des autorités départementales, conformément à la loi du 28 octobre-5
novembre 1790 sous '' peine de dommages et intérêts '' 349.
Ainsi, le principe majeur de l'administration départementale des Bouches-du-Rhône est
l'invocation de l'intérêt général, pour refuser une attribution gratuite, ou la jouissance provisoire
d'un bien national au profit d'une municipalité. On remarque ainsi une hiérarchie, où l'intérêt
général sous l'égide de la Nation prime sur l'intérêt local. Actuellement, cet état de primauté est en
partie remis en cause, parfois l'intérêt local peut prendre plus d'importance que l'intérêt général
national350. Néanmoins, les décisions récentes prennent en compte des critères inexistants sous la
Révolution351.
Enfin, il arrive aussi que pour se faire attribuer un bien national, une municipalité vienne
contester le droit de propriété originaire de l'église. C'est là une solution imparable, si elle est
reconnue. Car revendiquer avec succès la propriété d'un bien, revient à en déchoir rétroactivement
l'église, permettant de la sortir automatiquement de la catégorie des biens nationaux, et ainsi de
l'obtenir à moindre coût352. C'est le procédé tenté par la commune d'Apt, où celle-ci contestait la
propriété du '' couvent des cordeliers et de ses attenances'' sur la '' propriété dite Viginière '', en
arguant du fait que le '' couvent n'avait qu'une jouissance précaire''
de cette propriété
communale353.
347 AD, L72, 21 juin 1792, f°203, Aix-en-Provence
348 AD, L72, 21 juin 1792, Aix-en-Provence, f°204
349 Cf, Annexe 2, Loi du 28 octobre- 5 novembre 1790, Titre 1, Article XXII
350 CE, « Commune de la Courneuve », 1999, '' en dépit de l’intérêt qui s’attache à la réalisation du projet de
l’autoroute A 16 , les importantes nuisances qu’il est susceptible de provoquer tant en ce qui concerne le bruit que
la qualité de l’air dans les parties très urbanisées de plusieurs communes traversées et l’atteinte qu’il porte au parc
de la Courneuve constituent des inconvénients excessifs de nature à lui retirer son caractère d’intérêt général en
l’occurrence national ''.
351 On parle là d'espaces naturels protégés.
352 Le coût des frais de justice étant matière négligeable, devant la potentialité du bien récupéré.
353 L53, 2 avril 1791, Apt, f°45-46
111
�Cependant, devant une telle demande, qui si elle s'avérait véridique reviendrait à dénier le
droit de propriété de la municipalité, doit-on suspendre l'adjudication jusqu'à ce qu'il soit apporté la
preuve du droit de propriété ? L'administration départementale, par la voix du procureur général
syndic, donne un début de réponse, '' la prompte exécution influera essentiellement sur le
rétablissement des finances, sur l'affermissement de la Constitution et sur la propriété de
l'Empire''354. '' La vente des biens nationaux est la clef de voûte de la constitution, […] enfin elle
affermira le patriotisme en multipliant les propriétaires''355. Cette dernière affirmation contestée par
Marcel Marion, sans doute avec raison, reposait néanmoins sur la conviction du moment de ces
administrateurs persuadés de leur efficience. Ces derniers sont ainsi plus que favorables à cette
opération, car pour le président Martin ces ventes permettront ''de rendre à leurs véritables
propriétaires, des biens dont ils n'avoient été privé (sic) que par la combinaison de l'erreur, de la
faiblese (sic) et du vice'' 356. De plus, Kennedy dans son ouvrage '' The jacobin club of Marseille''
démontre qu'ils y ont pris part avec leurs deniers personnels357.
Au final, il faut surtout retenir la volonté de '' prompte exécution''358. Cette prise de position
est actée par l'affaire d'Ansouis, dont l'on tire l'enseignement que la suspension de l'adjudication
doit être évitée, et que celle-ci doit se poursuivre. La municipalité devant concourir à l'adjudication,
quitte à obtenir le remboursement du prix d'adjudication si la preuve de la propriété de la
municipalité est apportée359. Après tout si celle-ci est fondée à agir elle peut surenchérir sans crainte,
car elle en obtiendra le remboursement. Cela aurait l'avantage de rebuter les municipalités tentant de
faire obstruction à cette adjudication, puisque celles-ci ne prendraient pas le risque de participer à
ces dernières si elles ne possèdent pas un titre certain. Et si le titre se révèle insuffisant, ou
incomplet, c'est autant pour les caisses de l’État. Cette solution du département des Bouches-duRhône (qui ne manque pas de cynisme) prend donc la justification de l'intérêt général pour ne pas
suspendre une adjudication, quitte à rembourser le montant de celle-ci s'il apparaissait que le bien
n'avait pas la qualification de bien national, et que la demande municipale était fondée.
354 AD, L 38 p.185
355 Ibid
356 L40, 15 novembre 1791, Discours d'ouverture du président Martin, f°2 verso
357 Cf Michael .L Kennedy, the jacobin club of Marseilles, (Ithaca and London), 1973, p.149-151 (On ne sait pas
pourquoi l'auteur a mal orthographié le nom de Marseille)
358 AD, L 38 p.185
359 AD, L53, 6 mai 1791, Ansouis, op cit, '' il leur sera tenu compte du prix de la partie de la terre sur laquelle elle
justifiera de sa propriété ''
112
�Mais, n'est-ce pas là nier ( certes temporairement ) le droit de propriété protégé par l'article
17 de la DDHC ? En effet, on use en l'espèce du recours à une fiction juridique permettant d'en
suspendre la sauvegarde, jusqu'à présentation des titres. Même s'il faut tenir compte de la remarque
pertinente d'Anne-Marie Patault précisant '' qu'aux yeux des révolutionnaires, la propriété des
personnes morales n'est pas de même nature que la propriété des particuliers et peut lui être
sacrifiée ''360. On peut donc constater que cet article protège prioritairement les biens des particuliers
face aux propriétés des collectivités361. Il y a là, un peu de précipitation de la part du département
visant sans doute à limiter efficacement, les demandes infondées. On tente ainsi de limiter le
nombre d'affaires à traiter afin de ne pas surcharger inutilement les instances administratives. On
s'aperçoit ainsi que la volonté de ne pas encombrer les tribunaux existait déjà sous la Révolution.
Peut-être doit-on aussi l'analyser comme une tentative de se défausser, en faveur de l'ordre
judiciaire, qui après tout, reste compétent en matière de droit de propriété 362. C'est une manière de
lui renvoyer potentiellement le dossier, sans se prononcer sur le fond, tout en permettant aux
adjudications de se poursuivre. Ce qui en raison de l'intérêt général est le but principal.
360 Anne-Marie Patault, introduction historique au droit des biens, Paris, PUF, 1ère éd, 1989, p. 190
361 Jean-Louis Mestre, ''la déclaration des droits...op cit, p.241 (distinction entre personne « physique » (le particulier)
et personne « morale » (la collectivité))
362 C'est là que réside le 38ème parallèle entre la compétence de l'ordre judiciaire et de l'ordre administratif à propos du
contentieux des biens nationaux
113
�114
�Section 2 : le contentieux de l'annulation des enchères : La dérogation de l'intérêt
général sur la procédure d'enchère
Le contentieux de l'annulation qui sera examiné porte essentiellement sur des irrégularités de
forme. La non-conformité à une règle juridique entachant une vente, ou une enchère d'un vice
devrait normalement provoquer sa nullité. Or, parfois la raison juridique, et l'intérêt général de la
Nation entrent en conflit. Dans un « État de droit », le principe est que ce dernier est tenu par les
lois qu'il fait, et ne peut les écarter comme bon lui semble. L'exception, c'est lorsque l'intérêt général
est en cause, alors il est possible de déroger à une loi. Cependant, on voit mal comment une
irrégularité de forme sur la vente d'un bien national pourrait porter atteinte à l'intérêt général de la
Nation, car noyée dans la masse des adjudications cela serait risible. En revanche, cette irrégularité
acquière une toute autre dimension, quand elle atteint toutes les adjudications faites sur les villes de
Marseille et d'Aix sur une période couvrant plusieurs mois 363. Parfois, l'intérêt général supplante la
raison juridique, et doit la dépasser.
En l'espèce, le vice reposait sur la procédure d'enchère. Il y avait eu usage de la procédure
d'enchère judiciaire au lieu de celle prescrite par l'instruction de l'assemblée nationale du 31 mai
1790. Cette dernière prescrivait que '' l'adjudication prononcée sur la dernière des enchères faites
avant l'extinction d'un feu sera seulement provisoire, et ne sera définitive que lorsqu'un dernier feu
aura été allumé et se sera éteint sans que, pendant sa durée, il ait été fait aucune autre enchère''
364
.
Ainsi, les officiers chargés des adjudications n'avaient pas tenu compte dans le cas présent des
enchères faites lors du second feu, rendant ainsi la dernière enchère retenue (normalement
provisoire) définitive dès l'extinction du premier feu. Le second feu devenant une simple formalité
inutile. Cette manière de procéder avait pour désavantage de limiter le nombre d'enchères, mais
aussi leurs valeurs. Cela avait pour effet de léser les intérêts de la Nation dans les deux cas,
puisqu'elle en retirait des sommes moins grandes365.
363 L942, 8 février 1791, Marseille, p.283 (de décembre à février)
364 Instructions de l'Assemblée nationale du 31 mai 1790, Titre 3, in Pierre Caron et Eugène Desprez, Recueil des
textes législatifs et administratifs concernant les biens nationaux, Paris, Ernest Leroux, 1926, p.24 (le feu doit durer
''un demi-quart d'heure''(p.23).
365 Ainsi que les intérêts des adjudicateurs évincés lors du second feu
115
�Quand on sait que '' la vente des biens nationaux est la clef de voûte de la Nation ''366pour le
procureur-général-syndic. On comprend aisément la crainte ressentie par les administrateurs
départementaux face à l'incompétence municipale. Cet aspect uniquement financier était
relativement désagréable, mais peu préjudiciable en raison du nombre d'adjudications forcément
limité lors de ces trois mois. Le plus grave reposait sur la base légale des adjudications faites, car ''
il pourroit naître à l'avenir quelques protestations [pouvant ] aboutir à ne rendre que provisoire des
adjudications réputées définitives''
367
. Ce qui pourrait '' préjudicier aux intérêts des adjudicateurs
qui ont acquis de bonne foi ''368. Et par ricochet, porter atteinte à la confiance en la vente des biens
nationaux, mais aussi au prestige de la Nation, et plus particulièrement aux administrations locales
qui s'en trouveraient totalement discréditées. Les administrateurs de district en ont pleinement
conscience, et réclament donc le soutien des administrateurs départementaux, afin d'obtenir une
purification des vices. Ils invoquent plusieurs arguments peu pertinents qui méritent d'être retracés,
car ils sont pathologiques de leur inexpérience. Alors que les motifs invoqués par les
administrateurs départementaux sont plus cohérents, et dénotent en même temps de l'extraction
juridique dont ils sont issus.
Ainsi, le district de Marseille invoque donc sept motifs, dont cinq seulement méritent d'être
étudiés369 :
-1) '' la mise en possession et pleine jouissance '' de la majorité des adjudicataires
-2) dépenses déjà engagées de '' réparation et d'exploitation ''
-3) existence de '' conventions signées entre les propriétaires et des entrepreneurs ''
-4) '' rétrocessions de parties de propriété de la part des acquéreurs engagés et liés par des
conventions privées ou publiques ''
-5) Paiement déjà effectué dans plusieurs cas
366 AD, L 38 p.185
367 L942, 8 février 1791, p.284
368 Ibid
369 L942, 8 février 1791, p.284-285
116
�Tout d'abord, le premier argument expose une situation de fait, qui n'a pourtant rien
d'inextricable, car ce qui a été mis en possession par erreur peut être repris. La protection de l'article
17 de la DDHC ne tient pas puisque juridiquement les vrais propriétaires sont les adjudicataires
légitimes. Or, ils sont les derniers enchérisseurs dont les enchères n'ont pas été pris en compte. Il n'y
aurait donc pas de violation de la sacro-sainte propriété privée.
Selon, le second argument il peut y avoir une indemnisation sur le principe de l'action « de
in rem verso », celle-ci n'était pas encore consacrée par la Révolution 370, mais le principe n'en est
pas inconnu. Cette notion issue de l'antiquité, se retrouve dans le '' concept d'enrichissement injuste
[qui] trouve sa place dans les traités et ouvrages d'auteurs aussi éminents que Dumoulin, Domat, et
Pothier'' rappelle Julien Broch371.
Ensuite, sur le troisième point stipulant qu'une convention ne prend effet qu'en cas de succès
dans l'adjudication. En l'espèce, puisqu'il n'y a pas succès la convention est caduque. La
rétrocession d'une partie du bien aux autorités publiques est une convention contenue dans les
obligations de l'adjudicataire envers une municipalité, souvent pour des raisons d'urbanisme. Elles
auraient été valables quel que soit l'acheteur, et vaudraient aussi pour le nouvel adjudicataire.
L'argument ne tient donc pas non plus.
Pour ce qui est de l'existence d'un accord préalable entre plusieurs citoyens. Celui-ci relève
de l'entente, or cela est assimilable à une manœuvre spéculative. L'argument tombe de lui-même,
car cette manœuvre est interdite.
Enfin, sur le paiement déjà effectué il suffit d'effectuer un remboursement, car les assignats
ne manquent pas vraiment. Évidemment, cela a un coût financier, mais qui serait largement
compensé par les nouvelles adjudications qui seraient nécessairement plus élevées avec le nouveau
mode d'enchère.
Cependant, la solution juridique pertinente serait l'annulation des enchères viciées, et la
tenue de nouvelles enchères. C'est d'ailleurs la solution retenue par François Omer Granet pour le
cas d'Auriol (deux adjudications seulement), où il retenait que le vice '' rendait nul toutes les
opérations et qu'en conséquence il désirait qu'on se décidât à ordonner des nouvelles affiches pour
370 Cour de cassation, Chambre des requêtes, arrêt Boudier, 15 juin 1892
371 Julien Broch, '' le droit romain contre les modernes : matériaux pour une histoire du concept d'enrichissement sans
cause'', in J-M. Pontier (dir), Les Principes du droit, PUAM, 2007, p.145
117
�les enchères '' 372. Ainsi, le directoire départemental suit la procédure normale, lorsqu'il est confronté
à des cas isolés d'erreurs de procédure.
Malgré ces excellents motifs, l'optique est différente dans le cas de Marseille, où le 8 mars
1791 il décide de valider '' pour cette fois et sans tirer à conséquence '' toutes les adjudications
faites, en motivant qu' '' il n'en ait résulté aucun préjudice pour la Nation '' 373. De plus, il n'y a eu ''
ni réclamation, ni plaintes de la part des acquéreurs et de leurs concurrens(sic) sur la forme et
l'effet de ces adjudications ''374.
Ainsi, les intérêts de la Nation ne sont pas lésés, et ceux des citoyens non plus, ou du moins
ceux-ci ne s'estiment pas lésés. Il n'y aurait donc pas d'injustice commise. L'intérêt général
commande au nom de la sécurité juridique, mais aussi du repos des acheteurs de biens nationaux,
qu'il y ait purification des vices. C'est ce que le directoire du département réalise. Que doit-on
comprendre ? Si une adjudication viciée sur la forme, mais pas intrinsèquement sur le fond ne lèse
personne, alors elle peut être validée.
D'ailleurs, le cas d'Auriol précité même s'il porte sur deux ventes démontre la cohérence de
cette position, car en l'espèce il y a eu un dépôt de plainte '' par plusieurs citoyens actifs de la ville
'', ce qui a conduit à l'annulation de la vente375.
Malgré tout, le département doute de la légalité de ces validations-purifications, et prend
donc les devants en s'adressant au Corps législatif, et plus précisément '' au président de l'assemblée
nationale''376. Les motifs invoqués sont sensiblement les mêmes que ceux susmentionnés. L'enchère
ne peut être annulée pour une simple omission de formalité, sans intention malveillante, alors qu'il
n'y a point de réclamation, ni de particuliers, ni de ''l'administration de district'', ni de ''la
municipalité soumissionnaire''377.
372 L52, 24 Janvier 1791, Auriol, f°37-38
373 L51, 8 mars 1791, f°224
374 L942, 8 février 1791, p.284
375 L52, 24 Janvier 1791, Auriol, f°38
376 AD, L122, Lettre de Villardy au président de l'assemblée nationale du 12 février 1791, f°305
377 Ibid
118
�De plus, les '' ventes ont été faites à des prix infiniment plus chers que les estimations'', et
beaucoup ont '' payés la totalité du prix''378. De ces trois arguments « pertinents », il ressort
principalement que le souci de l'autorité départementale repose dans la préservation de l'intérêt de la
Nation, ainsi que dans celui des particuliers. Cependant, on remarquera le choix délibéré de
présenter l'intérêt de la Nation avant celui des particuliers dans l'énoncé. Comme si ce dernier devait
confirmer une tendance, et non l'impulser...
Cependant, on notera que l'argument, selon lequel les ventes auraient tiré un prix supérieur,
par rapport aux estimations des biens ne tient pas. En effet, on sait que les estimations étaient faites
sur la base d'un calcul des baux, ou du revenu de la terre, et qu'ils étaient tous les deux
volontairement, et notoirement très inférieurs à la valeur réelle des biens379.
Comme cela a déjà été dit précédemment, le système d'enchère vicié avait aussi pour effet de
parvenir à des adjudications plus faibles, que celles envisagées avec le système légal, ainsi il y a
perte de chance d'un revenu futur pour la Nation; elle est donc bien lésée.
Ensuite, il faut également remarquer que le syntagme « intérêt général » n'est jamais usitée,
puisque le président Achille Villardy emploie systématiquement le syntagme « ''intérêt public'' »380.
Celui-ci complète son propos en invoquant le découragement, et le caractère néfaste qu'une décision
punissant '' avec sévérité'', et ''sans indulgence'' une ''erreur'', ne manquerait pas de provoquer chez
les acheteurs potentiels de biens nationaux. Ce serait là dénigrer '' un exemple utile aux défiants'', et
encourageant pour ''les timides''381. Ce serait là ''mal récompenser leur patriotisme''382.
Ainsi, cette lettre est précieuse, car elle vient éclairer clairement les motifs du directoire du
département pour ratifier les ventes. Car au-delà, des justifications juridiques, ou pseudo-juridiques
avancées, les vrais motifs essentiels sont les derniers invoqués. Ils sont d'ordre politique, social, et
financier. Ce sont ceux-ci qui permettent de définir la justification d'« utilité publique », et son
socle. C'est ce qui leur permet de déroger à la règle générale. Invoquer les intérêts particuliers de tel
ou tel acquéreur mis en difficulté ne devrait jamais suffire à écarter une règle légale. En revanche, si
le cas met en danger l'avenir de la vente des biens nationaux, puisque dans cette hypothèse c'est
l'intérêt général qui est menacé, alors il est nécessaire de déroger exceptionnellement à la règle
378 Ibid
379 Valeur sous-estimée dans les baux ( Cf Jacques Godechot, op cit, p.182)
380 AD, L122, Lettre de Villardy au président de l'assemblée nationale du 12 février 1791, f°305
381 Ibid
382 Ibid , f°308
119
�légale.
De plus, cette lettre permet de deviner certains particularismes locaux. Ainsi, on comprend
implicitement qu'au niveau local, la vente des biens nationaux n'aurait pas toute l'envergure qu'on
lui souhaiterait. On constate également que faire acquisition de biens nationaux, c'est faire preuve
de patriotisme (même si l'appât du gain ne doit pas être négligé), car il y a un danger à en faire
acquisition. Cette crainte préfigure les violences exercées par les contre-révolutionnaires sur les
acquéreurs de biens nationaux en Provence, et plus particulièrement à Aix-en-Provence383.
Face à ses raisons d'intérêt public, l'Assemblée nationale a une réponse originale, par la voix
de Creuzé-Latouche. Elle estime que puisque le directoire de département a reconnu '' la validité
des ventes faites par le directoire du district de Marseille, elles sont ratifiées de droit et de fait ''384.
Elle reconnaît aussi la justesse du principe, puisqu'elle estime que ''c'est à [eux] de vérifier par la
connaissance précise[qu'ils peuvent avoir] des faits, et si l'intérêt de la nation n'a pas été lésé dans
des actes d'adjudication ''385.
Ainsi, il faut bien recourir à la notion indéterminée « d'intérêt de la nation », afin de
déterminer si celle-ci est lésée, et en tirer les conséquences. On remarquera que les intérêts des
particuliers ne sont même pas invoqués, ce qui confirme qu'il y a une hiérarchisation tendant à
exclure du raisonnement l'intérêt non général. Il faut aussi relever que le Corps législatif, renvoie
cette décision à l'administration départementale. Sans doute car il ne s'estime pas compétent pour
résoudre une affaire administrative, et donc ne relevant pas du pouvoir législatif. L'autorité
hiérarchique compétente aurait été l'exécutif. Cela relève de la compétence du contrôle des actes
administratifs.
À ce propos, Roland Debbasch précise que '' la convention exerce un contrôle sur le
comportement politique des administrateurs locaux […et vérifie] que leurs actes sont conformes à
la légalité révolutionnaire''. Ainsi, ce contrôle politique n'est pas '' systématique''. Il affecte donc
les actes considérés '' comme les plus nuisibles à l'autorité de la Convention ''. Ainsi, Roland
Debbasch relève que le Corps exécutif en fait part au Corps législatif dans les cas les plus délicats,
alors qu'il est '' théoriquement seul détenteur du pouvoir de les annuler '' 386. On peut aussi,
383 Cf la terreur blanche, cible prioritaire les acquéreurs de biens nationaux, cf histoire dune ville, aix en provence
384 L122, Réponse de Creuzé-Latouche, f°307
385 Ibid
386 Roland Debbasch, Thèse pour le doctorat, Le principe révolutionnaire d'unité et d'indivisibilité de la République,
Aix, PUAM, Collection Droit public positif, ed economica, 1988, p. 148
120
�constater dans le cas illustré par l'administration des Bouches du Rhône, que les corps administratifs
eux-mêmes s'adressent directement à la Convention. Cet oubli « volontaire » de la compétence
hiérarchique est donc courant, mais non systématique. Il répond à la demande d'un avis, d'un
éclairage. La compétence du Corps législatif, sur le contrôle de conformité des actes par rapport à la
législation révolutionnaire, est donc étendue à l'interprétation de cette législation.
Après s'être intéressé aux personnes publiques, il faut envisager l'opposition des personnes
privées.
121
�122
�CHAPITRE 2 : Le contentieux de l'opposition des personnes privées :
La convergence de l'intérêt général avec la déchristianisation et la
fin des corporations
Contrairement, au contentieux précédemment analysé l'intérêt général seul n'est plus au
centre des motivations administratives, néanmoins il persiste, mais s'accommode de la
déchristianisation recherchée, mais aussi de la disparition voulue des corporations. Le terme
« accommoder » est révélateur de la difficulté de cette confusion. Ainsi, si le national, et le district
s'y rangent sans difficultés, le département persiste à ne voir que l'intérêt général. Cette position est
marginalisée. Il convient cependant, de catégoriser les différentes situations. Cette dernière venant
affiner, mais aussi modérer le propos.
On assiste à une convergence de la motivation d'intérêt général, et de celle de la
déchristianisation, particulièrement dans le contentieux de l'opposition par un ou plusieurs
particuliers (Section 1). Il est à ce titre particulièrement intéressant de noter que le phénomène de
déchristianisation préexistait à la Révolution de 1789, déjà sous l'Ancien Régime.
Néanmoins, il faut ménager le culte, et si déchristianisation il y a, alors celle-ci apparaît au
niveau local, plus comme le rejet du clergé insermenté, et l'assujettissement du clergé assermenté.
Cela transparaît nettement dans le contentieux de l'opposition par des membres du clergé . On
assiste là à un isolement d'un district trop zélé, face aux instances nationale, et départementale. On
oserait même dire qu'il y a une redéfinition de l'intérêt général (Section 2).
Cependant, cette redéfinition ne résiste pas à la volonté nationale, vis à vis des corporations.
On sent alors poindre le chant du cygne des corporations dans le contentieux de l'opposition d'un
corps de citoyens (Section 3).
123
�124
�Section 1 : l'opposition d'un ou plusieurs particuliers : la convergence de l'intérêt
général et de la déchristianisation
Le contentieux de l'opposition caractérisé par la requête d'un ou plusieurs particuliers se
déclarant propriétaire d'un bien mis en vente confirme, au niveau local, les prémices de la
déchristianisation au-delà de la constitution du clergé. On ne veut pas seulement la brider, mais en
limiter le culte au maximum, en déboutant les tentatives « oiseuses » de fidèles tentant de sauver
leur église ou chapelle.
Contrairement, aux cas d'opposition d'une municipalité, on sursoit à l'adjudication. Le
directoire de département accorde ainsi à la municipalité '' un délai suffisant pour prouver son droit
de propriété''387. Mais, il est nécessaire de '' justifier légalement'' de sa propriété388. Le respect de la
propriété privée passe donc cette fois-ci avant l'intérêt général de la Nation. L'autorité
administrative départementale, créant avec ce sursis à l'adjudication une exception à sa ligne de
conduite à propos de l'opposition des municipalités. On peut aussi conjecturer qu'elle pose plutôt un
principe. L'ancienne exception deviendrait le nouveau principe, et l'ancien principe, la nouvelle
exception. Cette dernière hypothèse est la plus probable...Elle accorde également une jouissance
provisoire jusqu'à ce que des éléments nouveaux soient dégagés389.
Cependant, il faut témoigner des discordances existant entre les différentes instances locales.
Le cas des chapelles rurales de Marseille est particulièrement intéressant, car il permet de les
illustrer. C'est le cas de pétitions d'habitants de Marseille demandant la conservation de leur église
comme chapelle de secours sur le fondement de ( l'exception prévue par le décret du 2 juillet
1790?). Suivant le principe dégagé précédemment, il doit donc y avoir sursis provisoire à
l'adjudication, afin d'évaluer sereinement le bien-fondé de la demande. La municipalité y est
favorable, et elle appuie ainsi la pétition auprès du district de Marseille. Ce dernier rejette la
pétition, au motif qu'il serait alors tenu de priver '' ainsi la nation de trente-trois chapelles sises
dans les quartiers de Marseille'' 390.
387 AD, L72, 16 mai 1792, f°78 en l'espèce sur la chapelle de Saint Jean- du-désert
388 AD L53, 5 avril 1791, Puyloubier (Demande du sieur Jouvencel rejetée faute de preuve légale)
389 AD, L956, 28 juin 1792, p.87, Marseille, quartier des contes
390 AD, L956, 19 mai 1792, p.8 (quartier des accates)
125
�Quant à eux, les administrateurs départementaux, fidèles à leur jurisprudence, décident de
surseoir aux ventes, en estimant que ces chapelles rurales ne sont pas concernées par le décret
d'aliénation du 21 décembre 1789-janvier 1790, car ils relèveraient de l'exception prévue par le
décret du 2 juillet 1790 les excluant de la catégorie des biens nationaux. Le district de Marseille
s'insurgea devant cette décision dangereuse selon elle, car pouvant conduire à la conclusion que
l'ensemble des biens de l’Église ne pouvait être considéré comme biens nationaux. En effet, en
devant répondre au besoin des fidèles '' d'un secours spirituel de la religion '', à ce titre tous les
biens nationaux devraient être réhabilités, en églises de secours391. Ils relèveraient alors tous de
l'exception précitée dans un cas absolu. Et même, si dans la réalité ils n'auraient pas tous été
conservés, cela retarderait immanquablement les ventes, et risquerait de décourager les potentiels
acheteurs.
Face à ces arguments de bon sens, l'administration départementale ne change pas de
position. Elle marque ainsi son inclination à préserver le culte catholique. Pire, elle annule même la
vente d'une chapelle que ses fidèles avaient souhaité conserver comme église de secours392.
Néanmoins, dans une autre affaire, elle est moins catégorique, et '' arrête que l'église des
habitants du quartier des accates sera conservée provisoirement comme […] église de secours '' 393.
Les frais seront cependant à la charge des pétitionnaires 394. Par cette dernière invite, elle répond à
l'argument défavorable du district, qui estimait à juste titre que les coûts d'entretien léseraient la
nation. Le caractère provisoire étant valable '' jusqu'à ce que l'assemblée nationale ait
définitivement statué sur cet objet''395. Le directoire de département précise néanmoins que c'est aux
pétitionnaires d'adresser '' leur pétition pour être deffinitivement( sic) maintenus en leur possession
''396.
391 AD, L183, Lettres d'Amelot du 26 novembre 1792, f°93
392 AD, L956, 28 juin 1792, p.79-81 ( ces églises de secours peuvent rappeler les églises '' succursales'' de l'Ancien
régime Cf Jean-Louis Mestre '' A propos de la déchristianisation de la Provence au XVIIIème siècle'', in Mélanges
Jean Dauvillier, Université des sciences sociales de Toulouse, 1979, p. 525)
393 AD, L956, 11 juin 1792, Marseille, p.8, (quartier des accates)
394 Ibid, '' de fournir à toutes les dépenses relatives à l'entretien''
395 AD, L956, décision du 4 juillet 1792, p.87
396 Ibid
126
�Cependant, le caractère provisoire pourrait se prolonger indéfiniment, si aucune pétition
n'est envoyée à l'assemblée nationale, ce qui semble être le cas...Une conservation provisoire
pourrait très bien devenir définitive. On sent bien là une volonté de protéger une forme de culte.
Cette décision est dangereuse par le caractère provisoire de la jouissance, surtout si elle inspirait
d'autres habitants d'autres quartiers de Marseille. Crainte confirmée, lorsque le district marseillais
reçoit une pétition analogue relative à une chapelle déjà vendue, dont la propriété est contestée
après un '' réveil tardif'' et donc douteux397. Pour l'anecdote, une compulsion méthodique de cette
courte période me permet d'affirmer que cela se répéta maintes fois398.
On remarquera qu'une fois la vente effectuée, le bien n'est plus disponible, et que par
conséquent il n'est plus possible d'obtenir une jouissance provisoire de ce bien, de manière directe.
La requête classique se fondant sur la motivation de l'établissement d'une église de secours, afin
d'obtenir une jouissance (gratuite), est par conséquent fermée. Le seul moyen d'en obtenir la
jouissance passe donc par la remise en cause de la propriété initiale de l’Église. Habilement,
l'autorité de district rejette la demande en appuyant son raisonnement sur le fait que '' la vente de la
chapelle […] a été annoncée, et publiée par des affiches placardées aux lieux coutumiers […], et
que les habitants de ce quartier […] instruits longtemps à l'avance, [ont] gardé le plus profond
silence, sur cette vente avant qu'elle eut été opérée'' 399. Le cas est intéressant, et mérite de plus
amples développements.
Tout d'abord, il faut relever que le syntagme « plus profond silence » dénote l'hostilité du
district face à une action opportuniste. Son sentiment de l'existence d'une manœuvre est conforté par
l'inexistence de preuves légales, et l'invocation d'un simple constat '' verbal ''400. Il considère ainsi, à
juste titre, que cela sert à arrêter ''la marche des corps administratifs dans la vente des biens
nationaux dont la réalisation est une de ses principales ressources '' 401. C'est donc aussi agir contre
la révolution en lui ôtant une manne providentielle, avec pour effet de limiter son action. En effet,
une propagation de cet opportunisme aurait pour résultat de corrompre toutes les ventes de biens
nationaux.
397 AD, L956, 28 juillet 1792, p.88-89
398 AD, L956, 25 mai 1792 (quartier Saint-Henri) p.20-21 ; 29 mai 1792, (quartier Saint-Barthélémy), p.24-25 ; 11 juin
1792, ( Bonnevière), p.47-48 ;12 juin 1792, ( quartier de Saint(Monnet) p.50-51 ;13 juin 1792 (quartier de SaintFart), p.51-52 ;21 juin 1792 ( quartier de la Capelette), p.61-62 ;23 juin 1792, (Plan de cucques), p.79-81
399 AD, L956, 28 juillet 1792, p.88-89
400 Ibid
401 Ibid
127
�Enfin, cette rancœur du district s'explique par la '' notoriété publique ''
de demandes
similaires adressées par d'autres habitants de divers quartiers de Marseille, voyant dans la
jurisprudence du département l'opportunité de se faire restituer leur église même temporairement 402.
Comme on l'a dit précédemment, dans l'espoir de voir ce provisoire se nover en définitif.
Cependant, le directoire départemental dans ces cas fallacieux, où aucune preuve légale n'est
avancée, avec simplement un témoignage verbal, devrait normalement rejeter leur demande403.
Néanmoins, par peur de voir la situation s'étendre, le district de Marseille avait déjà adressé
une lettre dénonçant cet état de fait à ses députés de l'assemblée nationale, (négligeant la voie
classique du recours hiérarchique), afin d'obtenir un appui clairement politique 404. C'est bien le signe
que la motivation des deux côtés est idéologique, et que si, les premiers cherchent à obtenir un
maintien du culte, les seconds sont les chantres de la déchristianisation.
Encore une fois, on notera que la négligence de la voie hiérarchique pour s'adresser au Corps
législatif, peut passer par une voie non officielle, par l'invite à son député. Ce cas est également
généralisé par Roland Debbasch dans sa thèse précitée, ''
indépendamment même de toute
transmission officielle, il arrive qu'ils soient dénoncés directement par un ou plusieurs députés '' 405.
Ce dernier a dégagé plusieurs occurrences quant aux actes attentatoires à l'unité et à l'indivisibilité
de la Nation, l'illustration du département des Bouches-du-Rhône démontre, quant à elle, la
prégnance de ceux-ci en matière de vente des biens nationaux, contentieux primordial à l'époque.
Le Corps législatif charge néanmoins un administrateur de fournir la réponse, celui-ci étant plus
compétent pour répondre juridiquement mais aussi légalement.
Ainsi, par le biais de l'administrateur de la caisse de l'extraordinaire Amelot, la réponse est
cinglante et sans appel : '' je me flatte, citoyens, que vous seriez bientôt convaincus, que les
chapelles rurales font partis(sic) du domaine national et qu'en conséquence, elles doivent être
vendues comme les autres biens nationaux''406. Celui-ci reprend l'argument avancé par le district, du
danger de l'extension de cette interprétation du décret du 2 juillet 1790 pour le futur de la vente des
biens nationaux, car cela aurait pour effet de '' conclure que les biens ecclésiastiques ne devraient
402 Ibid
403 Cf AD, L53, Puyloubier, op cit
404 Lettre du district à Baille, député à Paris, AD L125, 27 juin 1792, f°142
405 Roland Debbasch, op cit, p.148
406 AD, L183, Lettres d'Amelot du 26 novembre 1792, f°93
128
�point être compris dans la classe des domaines nationaux, puisqu'ils avaient tous été donnés à
l'église par des particuliers ou des communautés d'habitants''407.
De plus, celle-ci serait fausse, car le décret autoriserait l'aliénation de tous les biens, ''
excepté les chapelles actuellement desservies dans les enceintes des maisons particulières [...] à la
disposition du seul propriétaire''408. Tous les biens non compris par ''l'article premier de la loi du 15
mai 1791 ''comme un oratoire doivent donc être ''vendu(sic) comme biens nationaux''409. La
justification d'établir une église de secours ne doit donc jamais tenir.
En conséquence, le département doit annuler ces arrêtés, et confirmer les décisions du
tribunal de district de Marseille, et permettre ainsi aux autorités municipales de reprendre au plus tôt
les adjudications. Il y a là une claire volonté de maintenir les ventes, en dépit de toute humanité ou
de respect du culte. La volonté nationale, mais aussi celle du district de Marseille, marquent
clairement leur préférence pour une réduction du culte, et donc pour une déchristianisation
masquée.
Au travers de cette erreur d'interprétation, sans doute volontaire, de l'administration
départementale, on perçoit la persistance du culte, pour peu qu'il soit constitutionnalisé et non
réfractaire. Ce caractère ressort particulièrement par les mots choisis par l'administration
départementale dans sa décision cassée par les instances nationales : ''à la charge pour les
pétitionnaires de la faire desservir par un prêtre assermenté''410. Ce caractère est aussi présent dans
la décision du 4 juillet 1792, dans les mêmes termes 411. Ce n'était donc pas une occurrence isolée,
mais maintes fois réaffirmée.
Néanmoins, cette persistance moralo-religieuse doit s'effacer devant l'exigence nationale.
Cependant, Amelot ne conteste ni le principe de surseoir à statuer, ni celui d'accorder une jouissance
provisoire, en revanche, la mauvaise interprétation d'une loi provoque son ire.
407 AD, L956, 11 Juin 1792, Bonnevière, p.47
408 AD, L183, Lettre d'Amelot du 20 juillet 1792, f°58
409 Ibid
410 AD, L956, 11 juin 1792, Marseille, p.8 (quartier des accates)
411 AD, L956, 4 juillet 1792, p.87 (Partie droite)
129
�Mais l'administrateur Amelot ne s'arrête pas là, il va aussi répondre définitivement aux
contestations des particuliers sur la propriété de tel ou tel bien national. Il évoque deux hypothèses,
conduisant toutes les deux, à la reconnaissance de la domanialité nationale.
La première est que si ces chapelles ou églises étaient la propriété de particuliers, avant
''l'édit de 1749'', par l'effet de ce dernier, elles sont devenues '' des fondations pieuses à la charge
de ceux qui représentaient les fondateurs''. Ainsi, malgré leurs vocations pieuses, elles demeuraient
à la charge des particuliers. Cependant, ''elles n'ont pu s'en acquitter sans le concours de la
puissance ecclésiastique '', et '' par leur usage participaient de la nature des choses ecclésiastiques
qui tenaient à l'ordre public'' et ne peuvent donc '' appartenir privativement à personne ''412.
Ainsi, le caractère « public », de ces propriétés, leur dénie donc la protection de l'article 17
de la DDHC. En effet, l'édit royal de 1749, enlevait les biens à vocation d'utilité publique de la
catégorie des biens privés, pour les faire entrer '' au rang des établissements publics et
ecclésiastiques ''. Une fois ce principe intégré, il apparaît évident qu'ils ''sont soumis aux
dispositions des loix relatives à la vente de ces établissements ''413.
En conséquence, les chapelles rurales doivent être aliénées, et s'y refuser deviendrait alors le
motif de ne plus éloigner aucune contestation de vente de biens nationaux, surtout quand on sait
qu'il '' est peu de ses monumens(sic) qui n'offrent des témoignages '' similaires414. Il ne peut donc
subsister '' aucun doute que les chapelles et en général, les monumens(sic) religieux[...] ne peuvent
être une propriété particulière et privée, mais font parties des biens mis à la disposition de la
Nation''415.
Ensuite, l'administrateur de la caisse de l'extraordinaire Amelot, énumère les différentes lois
concernant la vente des biens nationaux, martelant et répétant, comme à un enfant une leçon. Il
rappelle par la suite pour plus de sûreté, ce qu'il avait dit dans sa précédente lettre sur la fausse
interprétation des exceptions aux nationalisations416. Il fait de plus la leçon au département, en
412 AD, L183, Lettre D'Amelot du 26 novembre 1792, f°93
413 Ibid
414 Ibid, f°93
415 Ibid
416 Cf AD, L183, Lettre d'Amelot du 20 juillet 1792, f°58
130
�expliquant que les différentes lois qu'il a énoncées, ne réclament '' aucune interprétation''417. Et qu'il
n'y a donc pas lieu à ce que eux les interprètent, il leur fait ainsi comprendre implicitement qu'il ne
sera plus toléré d'errements en la matière. Et que le fait d'en réclamer l'interprétation pouvait laisser
penser que '' les décisions nombreuses retenues sur ce même sujet, soit au comité d'aliénation ou
dans les autres départements ont été arbitraires ''418.
Ainsi, de manière à peine voilée, il leur fait comprendre que ce type de décisions peut être
perçu comme une remise en cause des autorités hiérarchiquement supérieures, ce qui là encore ne
sera pas toléré et donc sanctionné. Il ajoute qu'on ne peut pas faire une loi répertoriant
nominativement chacun des biens à vendre '' d'une manière plus précise '' que celle déjà
employée419. Pour toutes ces raisons, c'est donc une '' nécessité de rendre toute sa force à l'arrêté
du district de Marseille ''. C'est un rejet total des mesures prises par le directoire départemental des
Bouches-du-Rhône.
De plus, afin de bien marquer le pas, l'administrateur Amelot précise qu'il leur sera bien ''
obligé de [lui] faire connaître le résultat des mesures [ qu'ils voudront] bien prendre à cet effet '' 420.
Il n'y a donc pas de doute sur la démarche à suivre, et leur comportement sera désormais
étroitement surveillé. C'est aussi un encouragement pour le district de Marseille, à persister dans ses
dénonciations, même si celles-ci n'emploient pas la voie hiérarchique. Clairement, la persistance du
culte n'est plus une priorité, désormais la guerre qui fait rage, malgré la victoire de Valmy 421, ou
encore plus par elle, réclame que la manne financière tourne à plein régime 422, et non qu'on la
remette en cause.
Ainsi, les anciennes traditions sont en train d'être remises en cause, et à cette époque déjà, le
roi a été suspendu423. La répression contre les émigrés débute aussi avec le décret du 14 août 1792, ''
mettant en vente les biens des émigrés''424. Le mouvement de déchristianisation se poursuit donc
avec une vigueur renouvelée, et la persistance de l'autorité départementale est peu appréciée. À ce
417 AD, L183, Lettre D'Amelot du 26 novembre 1792, f°95
418 Ibid
419 Ibid
420 Ibid
421 20 septembre 1792
422 Surtout que déjà le 21 avril 1792, on estime que l'assignat s'est déprécié de 50% par rapport à la valeur de l'or (cf
Jean Tulard, Jean-François Fayard, Alfred Fierro, op cit, p.342)
423 Cf décret du 6 août 1792, suspendant le roi ( Jean Tulard, Jean-François Fayard, Alfred Fierro, op cit, p.345)
424 Ibid, p.346
131
�propos, le professeur Mestre, a démontré que ce mouvement existait déjà bien avant la révolution425.
En conclusion, il faut remarquer que dans les cas présentés, la déchristianisation révélée se
confond avec l'intérêt général de la nation. L'argument phare de cette confusion est celui avancé par
le directoire selon lequel, maintenir un culte de proximité en favorisant la jurisprudence du
département, c'est '' conclure que les biens ecclésiastiques ne devraient point être compris dans la
classe des domaines nationaux, puisqu'ils avaient tous été donnés à l'église par des particuliers ou
des communautés d'habitants pour rapprocher d'eux les secours spirituels de la religion''
426
. Cet
argument revient régulièrement à partir du 11 juin 1792 427. D'Amelot, dans sa lettre précitée évoque
le même problème, à savoir qu'il est peu de ses monumens(sic) qui n'offrent des témoignages ''
similaires428. Ouvrir la voie à des exceptions sur le fondement du « secours spirituel » revient à
ouvrir la boîte de Pandore. Il faut donc s'y refuser. Il est intéressant de relever que ce syntagme
« secours spirituel » est nouveau, mais s'inspire fortement de l'idéologie de la fin de l'Ancien
Régime, ainsi pouvait-on relever en 1760, l'emploi similaire visant à '' procurer aux habitants ce
secours dont ils ne sauraient se passer'' dans l'obligation de célébration de messe ''les dimanches et
jour de fêtes''429.
Si les particuliers tentèrent de sauvegarder leur lieu de culte, les dispensateurs de ce dernier
ne furent pas en reste.
425 Jean-Louis Mestre, '' A propos de la déchristianisation...op cit, p.519-530, voir infra, p. section2 para 2
426 AD, L956, 11 Juin 1792, Bonnevière, p.47
427 Quatre autres décisions l'évoquent dans des termes identiques AD, L956, 12 juin 1792, ( quartier de Saint(Monnet)
p.50-51 ;13 juin 1792 (quartier de Saint-Fart), p.51-52 ;21 juin 1792 ( quartier de la Capelette), p.61-62 ; 23 juin
1792, (Plan de cucques), p.79-81
428 AD, L183, Lettre D'Amelot du 26 novembre 1792, f°93
429 AD, C2583, f°31 verso, permission de plaider du 21 mars 1760
132
�Section 2 : l'opposition des membres du clergé : la redéfinition de l'intérêt général
ou l'aménagement du culte
Jusqu'à maintenant, on a vu sans discontinuité un mouvement de déchristianisation, il
convient cependant de modérer le propos, car l'on peut s'apercevoir que le clergé a dans certaines
espèces, la faveur départementale, mais aussi la tolérance nationale. Ces caractères ressortent dans
le contentieux de l'opposition à la vente des biens nationaux par les membres du clergé.
Ainsi, il apparaît que certes s'il faut vendre les biens nationaux avec la vision de l'intérêt de
la nation les sous-tendant, il ne faut cependant pas négliger de laisser un minimum vital aux
membres du clergé. C'est le pendant à la nationalisation des biens de l'église...la prise en charge des
frais de culte430. Normalement, il doit leur être versé un salaire conséquent, mais aussi un pécule
nécessaire à la célébration des offices, mais aussi un devoir de leur conserver leurs logements et
biens attenants. Le respect du traitement versé aux prêtres transparaît dans une décision originale du
7 avril 1791, où le directoire de département, fait droit à la demande du curé Berluc, demandant à ce
que l'erreur administrative, lui accordant un traitement de '' mille trente livres'', soit réparée afin qu'il
obtienne les '' mille soixante livres'' prévus431. Cette obligation transparaît également dans la
décision inédite du directoire de département du 5 mai 1791, sur la demande des '' religieuses de la
Visitation'' sises dans le district d'Arles432. Ces dernières souhaitaient '' conserver la jouissance des
bâtiments de leur monastère''. Elles fondaient leur demande sur la loi d'octobre 1790 433 qui réservait
la jouissance des monastères '' à toutes les religieuses qui voudraient persister dans la vie
commune''434.
Néanmoins, la question que doit se poser le directoire est de savoir si ''quatre greniers'' endehors du monastère, peuvent être considérer comme ''partie de '' celui-ci435. En se basant sur des
caractères de proximité, le directoire parvient à étendre la réserve de la loi aux quatre greniers. Pour
plus de sûreté, il précise que ces derniers ne pouvaient donc être '' soumissionnés par des
particuliers, ni être mis aux enchères ni délivrés par le directoire du district'' d'Arles. Il martèle
430 Constitution civile du Clergé, Titre III, article 2 ( notamment '' un logement convenable'')
431 AD, L53, 7 avril 1791, Marseille, f°55 (Prêtre Berluc)
432 AD, L53, 5 mai 1791, Arles, f°121
433 chercher
434 AD, L53, 5 mai 1791, Arles, f°121
435 Ibid
133
�ainsi que '' toute soumission ou vente des dits greniers est déclarée nulle et illégale'' 436. Les autorités
départementales prennent là des mesures conservatoires contre l'avis négatif du directoire de district
afin que ce dernier ne passe pas outre437. C'est une sécurité qu'elles octroient aux religieuses.
Ainsi, seul leur consentement peut entraîner une soumission, ce qui reste anecdotique, on
voit mal comment elles y agréeraient. Il y a donc clairement, une protection des religieuses, par le
directoire départemental, pour un bien non essentiel, car un grenier aurait pu suffire au lieu des
quatre. Cela peut donc apparaître comme une faveur départementale. Les volontés personnelles des
constituants peuvent paraître modérées, par leur souci de ne pas heurter des populations encore très
proches de leurs curés, mais aussi du culte. Monsieur Jean-Louis Mestre, à ce propos, relève ainsi
que vers la fin de l'Ancien Régime, plusieurs cas de plaintes par des villageois sur la suppression de
certains offices religieux ont été émises 438. La religion tient donc encore une place prégnante, visible
dans le contentieux de l'opposition par un ou des particuliers, où ces derniers usent de tous moyens
pour sauver leur église. L'expression ''secours spirituel de la religion ''439 est pathologique de cet
attachement. Pour éviter, des troubles similaires à la Vendée, il faut donc éteindre progressivement,
et non brutalement les religieux, afin de suivre l'évolution naturelle déjà amorcée sous l'Ancien
Régime440.
Sur ce dernier propos, Monsieur Mestre montre que la déchristianisation s’opérait plus dans
un mouvement de rejet du clergé, et surtout des décimateurs de ce dernier 441. L'optique est donc
différente, on passe d'une déchristianisation passive sous l'Ancien Régime à une déchristianisation
active mais encore voilée dans les prémices de la Révolution. La déchristianisation active et non
masquée n'apparaissant clairement qu'avec les jacobins et le culte de l'être suprême.
Cependant, ces premières intentions départementales, louables par leur humanité, n'écartent
pas toutes les inquiétudes des religieuses. Cela transparaît dans la correspondance de la Sœur
Thérèse Mareschal du 3 janvier 1792, à son neveu Joseph-Raymond Mareschal, rapportant son
inquiétude quant à sa subsistance, et devant le danger d'être expulsée, de lui demander le secours de
436 AD, L53, 5 mai 1791, Arles, f°121
437 AD, L... 9 avril 1791, Arles
438 Cf Jean-Louis Mestre, '' A propos de la déchristianisation ...op cit, p. 520-521 et p.525
439 AD, L183, Lettres d'Amelot du 26 novembre 1792, f°93
440 Cf Jean-Louis Mestre, '' A propos de la déchristianisation...op cit, p.519-530
441 Ibid
134
�sa maison442. La situation varie en fonction des districts, cependant, il apparaît encore une fois que
le plus virulent, le plus excessif, et le plus antireligieux, et donc le plus « patriotique » est celui de
Marseille.
Ainsi, cette tendance se dessine dans la lettre du ministre concernant les religieuses des
Bernardines du 12 mai 1792, où elle révèle que ces dernières se plaignent que le '' district veut les
priver de leur église, de leurs ornemens (sic) pour le culte de leur autel, de la liberté même du
culte, d'une partie de leur domicile, des caves, et des officines de leur jardin'' 443. De plus, on leur a
enlevé '' la seule cloche'' de leur couvent444. Elles en profitent pour se plaindre '' des visites ''
apparemment régulières, et intempestives du district 445. Sans tomber dans le complexe de la
persécution, on sent de l'exaspération face au traitement subi, mais aussi le malin plaisir des
autorités du district de Marseille, notoirement anticléricales.
Sans équivoque, le ministre répond que '' rien ne paraît autoriser aucune entreprise sur leur
église, sur leur ornemens (sic), leur autel, sur la liberté de leur culte, et sur leur cloche '' 446. Il se
base pour cela sur la mention de l'article 4 de la loi du 26 mars 1790... et sur l'instruction de la loi du
10 juillet 1791...Là encore on sent de la part des instances nationales, l'humanité, et la volonté de
ménager les religieux en Provence.
Cependant, l'extrémisme du district de Marseille paraît constant, car le ministre est obligé le
27 mai 1792, pour le cas des religieuses de la Miséricorde, de modérer encore la fougue du district.
Ces dernières ont ainsi à se plaindre qu'elles ne peuvent plus avoir '' de secours spirituel faute de
pouvoir supérieur, comme elles le désirent [par la faute] de prêtre n'ayant pas prêté serment ''.
Au premier abord, cette phrase obscure laisse penser que l'on ne les laisse point exercer leur
culte, tant que leur prêtre n'aura pas prêté serment. Ce serment n'étant pas de leur ressort, elles
demandent à ce qu'on leur permette de continuer l'exercice de leur culte. Le ministre Roland
demande au district de vérifier ces dires, et d'appuyer s'ils s'avéraient ''qu'ils font vrais'' de '' tout
442 Cf, C7, fond Norbert Rouland, lettre du 3 janvier 1792
443 AD, L143, Lettre du 12 mai 1792 du ministre de l'intérieur, f°121 (cf annexe n°3)
444 Ibid
445 Ibid
446 Ibid
135
�leur pouvoir une demande qui n'intéresserait alors qu'à jouir comme tous les citoyens
tranquiles(sic) de la protection de la loi'' 447. Les religieuses du couvent de Sainte-Claire dénoncent
quant à elle, le fait qu'elles soient '' exposées aux insultes et aux mauvais traitemens (sic)''448. On
apprend ainsi que '' leur aumônier en butte aux mêmes traitements, a été obligé de s'enfuir, […]
pour se soustraire au danger imminent qu'il a formé pour sa vie'' 449. Là encore, le ministre ne peut
que condamner ces actes. Ceux-ci ne faisant que s'ajouter aux risques de dépossessions de leurs
couvents. Tout cela entraîne une décision générale du directoire de département, concernant '' les
religieuses de la Miséricorde,[...] de l'abbaie (sic) de Fion, celles des dames Bernardines, celles
des dames Lyonnaises, toutes de la ville de Marseille, tendant[...] à être maintenues en la
possession des logemens (sic) par elles occupés dans leurs couvents respectifs'' 450. Cette décision
s'oppose à la volonté de la ville d'expulser les religieuses451.
Malgré les recommandations expresses du ministre Roland dans sa lettre précitée du 12 mai
1792, il semble que le district de Marseille persiste dans sa volonté de persécution des religieuses.
Le directoire reprend ainsi les arguments du ministre, et les met à l'amende. Il décide qu'il '' fera
surcis (sic) à l'exécution de la délibération de la commune de Marseille'' précitée. En bénéficieront
les demanderesses, mais aussi '' celles des divers autres monastères existants'' qui '' font
provisoirement maintenues en la possession du logement qu'elles occupent''452.
Sur ce point, on remarquera que les autorités départementales ne se contentent pas des
religieuses demanderesses, mais étendent la portée de leur décision à toutes. Ce fait marquant
mérite d'être mis en exergue, car il démontre la volonté généralisée, et protectrice du directoire
départemental, mais aussi la persistance dans ses positions du directoire de district de Marseille,
profondément opposé à ces vues.
447 AD, L143, Lettre du 27 mai 1792 du ministre de l'intérieur concernant les religieuses de la Miséricorde, f°132(cf
annexe n°4),
448 AD, L143, Lettre du 27 mai 1792 du ministre de l'intérieur concernant les sœurs Ste Claire, f°132 (cf annexe n°5)
449 Ibid
450 AD, L72, 20 juillet 1792, Marseille, f°308
451 AD, L956, 18 juillet 1792, ...Marseille
452 AD, L72, 20 juillet 1792, Marseille, f°308 (verso)
136
�Néanmoins, il faut préciser que la décision finale appartiendra au directoire de district, mais
que s'il voulait les déposséder, il lui faudrait une motivation légale( ce qui ne peut être, comme le
rappelle le directoire en invoquant pour la protection des religieuses, ''la loi du 10 février 1790''453 ,
ainsi que la lettre-instruction du ministre). C'est donc un pied de nez que de leur rendre compétence,
tout en les subordonnant à leurs vues. C'est une compétence liée.
Cependant, il convient de préciser que cette bienveillance nationale, et départementale ne
valent que dans les cas de religieux assermentés. Dans le cas contraire, les demandes sont
déboutées, ou alors doivent être en cas de doute soigneusement examinées. C'est l'usage de termes
particuliers qui permet de dégager ce constat, où le ministre précise qu'il ne doit être fait droit à la
demande du couvent des Bernardines, que si ''le comportement des religieuses est tel que l'expose la
supérieure'', ou bien qu'il faut vérifier, s'ils sont assermentés454.
Enfin, la méfiance se métamorphose en rejet total, lorsque l'opposant à la vente est membre
d'un clergé non assermenté à la nation, car en-dehors de son territoire. Pour les biens de l'église de
France hors du territoire de la nation, il n'y a pas de problème, '' ceux qui sont en usage de les faire
valoir par eux-mêmes continueront de les exploiter'', en vertu de l'article 2 du décret du 21-25 juin
1790455. Mais ce n'est là que quantité négligeable.
En revanche, lorsqu'il s'agit de biens de l'église de France se trouvant sur le territoire
français, mais revendiqués par une église non gallicane, alors il y a un vrai problème. C'est le cas
d'espèce de l'enclave d'Avignon. C'est un cas propre à la Provence, et aux autres régions limitrophes
aux états pontificaux. En l'espèce, '' le chapitre de l'église métropolitaine de la ville d'Avignon'',
s'oppose à la vente de '' l'église, du couvent et des dépendances de St-Paul'', dans le '' district de
Tarascon''. Le directoire départemental, attaque d'entrée, en précisant que le chapitre d'Avignon, ''
ne produit aucun titre de propriété sur les biens dont il s'agit''456.
453 Ibid, (recto)
454 AD, L143, op cit, f°132
455 Cf décret du 21-25 juin 1790, in Pierre Caron et Eugène Desprez, Recueil des textes législatifs et... op cit, p.29
456 AD, L53, 19 avril 1791, Tarascon, f°79
137
�A priori, en s'en tenant à ce seul postulat, l'opposition est sans motivation juridique, et la
vente peut donc se poursuivre sans problème, car on doit tenir comme '' non existant tout acte non
représenté''457. Mais se limiter à cette réponse reviendrait à ne répondre qu'au cas en présence. Or le
directoire de département veut aller plus loin, et régler le problème. Pour cela, il étend sa réponse à
tous les cas possibles. Il évoque ainsi l'argument d'un bail emphytéotique, concédé le '' 9 août
1705'', par les états pontificaux, et l'écarte en disant que la nouvelle loi la '' regarde comme une
aliénation''458.
Ainsi, on peut remarquer que l'humanité envers le culte ne s'exerce qu'au profit du clergé
constitutionnel, et que le clergé réfractaire par volonté, ou par nature ne voit jamais ses démarches
aboutir. Au contraire, suite notamment à la révolte arlésienne, il est sommé aux ecclésiastiques
insermentés de se retirer dans leur lieu de naissance, comprenez loin de leurs paroissiens 459. Cette
faveur départementale n'est pas totalement désintéressée, quand on sait que dans les campagnes
illettrées, c'est le curé qui relaie le message de l'exécutif national, voire local 460. Ménager le clergé
constitutionnel, ou plutôt le subordonner, comme le laisse entendre Solange Ségala, est donc
primordial461.
Ainsi, la déchristianisation doit s'accommoder d'une redéfinition de l'intérêt général, non
plus uniquement financier, mais aussi autoritaire, car le '' meilleur moyen d'assurer l'exécution des
décrets de la Constituante de la part des habitants des campagnes, est leur publication au prône'' 462.
Le prône étant l'instruction chrétienne que le curé ou le vicaire, voire l’évêque fait tous les
dimanches à la messe dans les paroisses. La population étant illettrée, le prélat est le relais du
message gouvernemental. Cette conception autoritaire transparaît nettement dans la décision du 31
janvier 1792 du département, où il est précisé que l'enlèvement d'ornements religieux assurant le
faste du culte, pourrait donner lieu '' à des sujets de scandale et […] même altérer la confiance
publique à l'égard des fonctionnaires''463. L'intérêt général est clairement en jeu, maintenir la
confiance du peuple en ses fonctionnaires, revient à sauvegarder leur assise, et donc indirectement,
457 Ibid
458 Ibid
459 AD, L56, 28 juin 1791, f°57
460 AD, L122, 29 août 1790, p.104 '' le nouveau clergé, enfant de la Constitution[...] se fera un plaisir et un devoir de
concourir de toutes les manières à l'instruction publique dont dépend le bonheur des peuples'' et '' le peuple n'est
pas instruit parce qu'il ne sait pas lire et que l'ancien clergé ne peut pas encore se persuader que le catéchisme
politique est aussi essentiel que le catéchisme religieux''
461 Cf Solange Ségala, op cit, p.210
462 Ibid
463 AD, L60, 31 janvier 1792, Marseille, f°6
138
�il est nécessaire de s'accommoder du culte catholique assermenté.
Un aménagement du culte est donc consenti grâce aux efforts de membres du Clergé. Ce
succès temporaire464 prendra une forme plus amère dans le cadre des corporations.
464 Robespierre y mettra fin
139
�140
�Sous l'Empire, les portefaix de
Marseille envoyèrent une
députation à Louis Napoléon
pour réclamer la restitution
d'une propriété qui avait
appartenu à leur corporation
et dont l’État s'était emparé du
temps de la révolution.
L'empereur promit d'examiner
l'affaire.
La députation allait se retirer
lorsqu'un des portefaix qui en
faisait partie, s'avance vers
l'Empereur et lui dit:
— Sire, vous n'êtes pas
beaucoup aimé à Marseille.
Faites droit à notre demande
et vous y compterez au moins
quelques partisans dévoués.
Napoléon fut charmé de la
franchise de cet homme et il fit
droit à la réclamation des
portefaix qui rentrèrent ainsi
en possession d'une importante
propriété465.
465 http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k54597988/f8.textePage.langFR
141
�142
�Section 3 : l'opposition d'un corps de citoyen : le chant du cygne de la corporation
des portefaix de Marseille
Le mouvement de déchristianisation apparaît donc plus modéré qu'au premier abord, mais
elle n'est pas la seule motivation éminemment politique. En effet, le chant du cygne des
corporations est acté par le contentieux de l'opposition d'un corps de citoyen. Ce type de
contentieux très particulier, pouvant se rattacher au contentieux des simples particuliers, mérite
cependant une place à part, en raison de son caractère original. Le traiter, de manière isolée, répond
donc à une visée pédagogique qui ne le détache pas du contexte général du contentieux des
particuliers dans la vente des biens nationaux.
En l'espèce, ce cas repose sur la délicate distinction entre une corporation religieuse de
bienfaisance, et une association de bienfaisance. Dans l'hypothèse de la corporation religieuse, les
biens sont considérés comme des biens de l'église. Sur le fondement légal du décret d'aliénation, et
sur le fondement jurisprudentiel des recommandations d'Amelot à propos des chapelles rurales de
Marseille466, ils rentrent dans la catégorie des biens nationaux, et peuvent donc être vendus comme
tels. C'est cette définition que retient de manière stricte le district de Marseille, dans son avis du 5
juillet 1792, dans le cadre d'une '' pétition des anciens prieurs de la dite corporation des Portefaix
de la ville de Marseille qui demandaient le maintien de l’œuvre de bienfaisance établie dans ladite
corporation en faveur des pauvres portefaix hors d'état de travailler'' 467.
En l'occurrence, il est nécessaire de distinguer « corporation de travailleurs », et « œuvre de
bienfaisance ». Le district de Marseille la reconnaît d'ailleurs, puisqu'il rappelle que '' l'assemblée
nationale en supprimant les corporations n'a pas entendu supprimer et détruire les établissements
de bienfaisance qui s'étaient élevés en son sein'', ou du moins les effets bénéfiques de ces
derniers468. Antonin Rondelet rapporte que '' dès l'origine, la société des Portefaix eut un double
caractère, […] c'était à la fois une association industrielle et commerciale, […] et une confrérie
religieuse''469.
466 Cf AD, L183, Lettres d'Amelot du 26 novembre 1792, f°93
467 AD, L956, 5 juillet 1792, Marseille, Portefaix de Marseille, p.94
468 Ibid, p.95
469 Antonin Rondelet, '' une corporation ouvrière au XIXème siècle : les portefaix de Marseille'', in Revue
contemporaine, 1862, volume 61, p.664
143
�La première mention est celle qui a été supprimée au titre des corporations, tandis que la
seconde qualification a perduré au titre de la fondation. Cependant, si elle est une « confrérie
religieuse », ses biens rentrent dans la qualification du décret d'aliénation des biens ecclésiastiques.
Cette seconde composante avait pour vocation de faire '' œuvre d'assistance et de charité […]
envers ses membres'' rappelle Antonin Rondelet470. Ce but louable n'est pas contesté par le district
qui lui reconnaît que '' les revenus n'avaient d'autre emploi que le soulagement des pauvres et
qu'ainsi la Justice et l'humanité, quand même la loi serait muette à ce sujet, ordonneraient que de
tels fonds ne furent divertis de l'emploi sacré qu'ils ont eu jusqu'au moment de la suppresion(sic) du
corps''471.
Arrivé, à ce point du raisonnement du district, on peut alors espérer une exception
permettant à cette confrérie de conserver ses biens de manière à pouvoir continuer d'en dispenser les
revenus. Après tout, on peut lui reconnaître la qualification d'une '' fondation perpétuelle'', dont les
membres '' s'imposaient volontairement''472.
Cependant, l'intérêt général est supérieur, malgré ces considérations louables que l'autorité
du district rappelle, comme pour magnifier encore le bien public. Ce dernier ressort dans l'esprit des
administrateurs par le fait que '' nulle considération ne peut arrêter la vente des immeubles'' 473. Le
district prend ici justification de l'intérêt général, alors que l'évocation seule des articles 1 et 2 de la
loi du 26 septembre-16 octobre 1791 aurait suffi, puisqu'ils disposent respectivement que '' les biens
dépendant des fondations faites en faveur […] de corporations qui n'existent plus dans la
constitution française […] font partie des biens nationaux''474. Peu important d'ailleurs que les
fondations aient pour objet les dites corporations, ou '' les individus qui pourraient en faire
partie''475. Le cas présent étant l'intérêt des individus.
470 Ibid
471 AD, L956, 5 juillet 1792, Marseille, Portefaix de Marseille, p.95
472 Ibid
473 Ibid
474 Loi du 16 octobre 1791,concernant les biens dépendant des fondations faites en faveur d'ordres, de corps et de
corporations qui n'existent plus, article 1, in Pierre Caron et Eugène Desprez, Recueil des textes législatifs et ...op
cit, p.220-221
475 Ibid, p.220
144
�Ainsi, la loi, elle-même, dénie un droit à l'exception aux biens des confréries, et a forciori
pour les biens de ses fondations, peu important la destination de leurs fonds, même si elle est à
vocation humanitaire. L'article 2 vient compléter logiquement l'article 1 en disposant que '' les biens
desdites fondations seront en conséquence administrés, et vendus comme les autres biens
nationaux, nonobstant toutes clauses de réversion, qui seraient portées aux actes de fondations'' 476.
La volonté du législateur est donc de casser ces corporations issues de l'Ancien Régime, afin de
permettre un accès libre aux emplois, et de briser l'ancienne société d'ordres.
Afin que celles-ci ne survivent pas de manière occulte, il leur retire leur puissance
financière, et se l'approprie sans ambages. Le fait de ne reconnaître aucune efficience aux « clauses
de réversion » en est la preuve flagrante. Sans cela, la corporation aurait pu survivre par des moyens
détournés, en se finançant avec ces biens. En leur absence, elle n'a plus aucun poids, et donc
disparaît réellement.
Ainsi, nul besoin de l'invocation de l'intérêt général, la loi seule suffit. Mais, peu importe, le
district arrive à la même conclusion. Il '' estime que les immeubles dépendant de la ci-devant
corporation des portefaix de Marseille doivent être vendus '' 477. La décision du district peut paraître
dure, tout comme la législation, car ils abandonneraient ainsi les miséreux à leur sort, la caisse de
bienfaisance ne pouvant plus y pourvoir.
Mais, ce serait là mal présumer de la prévoyance du législateur, et de l'humanité du district.
Les dispositions de l'article 4 de la loi du 16 octobre 1791, disposent ainsi que '' les individus qui
jouissaient de quelque partie desdites fondations uniquement à titre de secours pour subvenir à
leurs besoins continueront d'en jouir personnellement aux termes desdites fondations '' 478. Cela
signifiant que les individus ayant « cotisé »479 pour la caisse, pourront percevoir un pécule
équivalent, de manière personnelle, et jusqu'à leur mort. Ce qui permettra note le directoire de
district de '' concilier la rigueur de la règle avec l'intérêt de l'humanité réclamé par les
pétitionnaires''480.
476 Ibid, article 2, p.221
477 AD, L956, 5 juillet 1792, Marseille, Portefaix de Marseille, p.95
478 Loi du 16 octobre 1791, article 4, in Pierre Caron et Eugène Desprez, Recueil des textes législatifs et ...op cit, p.221
479 Le terme cotisation étant utilisé par facilité de langage, mais totalement anachronique
480 AD, L956, 5 juillet 1792, Marseille, Portefaix de Marseille, p.95
145
�Mais alors quelle différence alors avec l'ancienne coutume ? La différence, c'est que c'est
l'état, par l'entremise de son district, qui dispense ces pécules, grâce au '' bénéfice de l'intérêt à 4%''
conservé sur le produit de la vente des biens481. De plus, la « fondation » survit, mais en étant
administrée par le district. La différence, est donc que la puissance publique se substitue à la
corporation et à la fondation en tout point. C'est très habile. De plus, ce n'est qu'un système de
transition, car puisque il n'y a plus de corporation, il n'y aura donc plus de nouvelles « cotisations »,
et donc pas de nouveaux ayant-droits. La mort des derniers éteindra l'obligation de l'état, mais aussi
la fondation qui n'aura alors plus d'objet juridique. C'est réellement, un nouveau système qui
apparaît. Mais cette belle mouture est mise en danger par l'autorité départementale.
Ainsi, le concept d'association de bienfaisance est en effet celui retenu par l'autorité
départementale, '' considérant que les contributions volontaires des portefaix de Marseille ont eu
moins pour objet de former une corporation et une confrérie que d'établir une masse que l'on
nommait bourse commune de bienfaisance''482. On serait alors en présence d'une association formée
par des personnes privées à vocation humanitaire, chargée de gérer des biens, dont les revenus
seraient reversés aux chômeurs.
Tout d'abord, l'autorité départementale illustre sa position, en disant qu'il '' n'est pas [...]
défendu aux personnes du même état de faire des charités en commun''
483
. La bourse de
bienfaisance, permettant de les centraliser, cette situation était cependant plus courante pour des
habitants d'une même section. L'autorité cherche à l'étendre à des membres d'une même profession,
ce qui pourrait laisser penser à une survivance des anciennes corporations de métiers. Ce qui n'est
pas la visée du législateur. L'extension apparaît donc douteuse.
Néanmoins, si l'on part du postulat que cette extension est permise, et en ce cas seulement,
ces biens appartenant à un corps de citoyens n'auraient donc pu simultanément appartenir à une
corporation, (malgré le fait qu'elle fut administrée par cette dernière). Ils ne seraient alors pas
concernés, par le décret d'aliénation des biens de l'église, et a forciori, ne pourraient pas être vendus
comme biens nationaux. C'est la conclusion logique, mais à la base erronée, à laquelle le directoire
de département parvient en '' considérant que les immeubles appartenant à ces portefaix doivent
481 Ibid
482 AD, L72, 18 juillet 1792, Marseille, f°300(verso)-f°301( recto)
483 Ibid , f°301 recto
146
�être regardés comme des possessions particulières'' 484. La démonstration est peu satisfaisante...
Ainsi, le seul argument juridique à mettre au crédit de la décision départementale, est celui
avançant que '' cette masse des particuliers n'ayant jamais été fondée en jurande, ni autorisée par
des lettres patentes, ne doit pas être regardée comme une corporation, mais comme une association
particulière qui se cotise volontairement''
485
. La bombe est amorcée, il convient d'en évaluer
l'impact avant de tenter de la désamorcer.
En effet, en l'absence de lettres patentes, le corps formé n'est ni une confrérie, ni une
corporation, ni une jurande, et reste donc une association privée, exclue de la catégorie des biens
nationaux. Dans le cas contraire, elle est une corporation religieuse, et sera donc soumise au régime
des biens nationaux. La présence ou l'absence de ces lettres peut donc a priori, conforter ou briser
l'avis pourtant éminemment cohérent politiquement du directoire de district de Marseille486.
Le premier réflexe, en l’occurrence, doit être de vérifier si une lettre patente royale est venue
l'autoriser. On remonte là, aux autorisations royales de l'Ancien Régime, Claude-Joseph de Ferrière,
dans son dictionnaire de droit et de pratique, précise ainsi qu' '' il n'appartient qu'au roi d'autoriser
les statuts des corps et communautés, et leur octroyer lettres, art 99, qui doivent être vérifiées
entérinées et enregistrées aux cours souveraines, fur ce oui M. le procureur général. Et il est
défendu aux présidiaux d'en faire publier, s'ils n'ont été enregistrés et publiés en la cour'' 487.
Antonin Rondelet explique avoir retrouvé un enregistrement auprès '' du greffe de police et
homologués par les échevins ''
488
. Les archives ne semblent pas en garder trace. La dégradation ou
plus simplement la non-existence peut justifier cette absence. Charles de Ribbe pouvait ainsi dire
que '' les portefaix figurent au nombre des vieilles confréries provençales, mais ils échappèrent au
joug de la corporation civile, aux jurandes et aux maîtrises'' 489. La justification trouvée est
intéressante, comment demander un apprentissage et un chef-d’œuvre à des gens pour qui leur
industrie consistait en la seule vigueur de leurs reins. Ils auraient ainsi obtenus le remboursement de
484 Ibid
485 Ibid
486 AD, L956, 5 juillet 1792, Marseille, Portefaix de Marseille,
487 '' Statuts'' in Claude-Joseph de Ferrière, Dictionnaire de droit et de pratique contenant l'explication des termes de
droit, d'ordonnance, de coutume et de pratique avec les jurisdictions de France, 4ème éd, Tome 2, 1758, (Gallica)
p. 672
488 Antonin Rondelet, op cit, p.665 (verifier page)
489 Charles de Ribbe, la société des portefaix de Marseille : son histoire et sa constitution actuelle, Extrait du bulletin
de la société internationale des études pratiques d'économie sociale, 1865, séance du 7 mai 1865, p.186
147
�droits de maîtrise indûment perçus par l’État en mars 1740490.
Cependant, au-delà de l'absence ou de la présence de lettres patentes royales, créant
confrérie ou corporation, qui finalement ne ferait que sanctionner juridiquement un état de fait pour
une organisation multiséculaire (la première occurrence remontant à 1525). Si on s'en tient au
raisonnement instigué par le législateur, celui de rénover l'ordre social en supprimant les
corporations, ce dernier n'a t'il pas voulu par là-même, acter la suppression de ce qui pourrait s'en
rapprocher dans les faits ? Car que juridiquement, les portefaix de Marseille, soit une association,
ou une corporation, on ne peut nier qu'ils ont le même objet juridique, la même organisation qu'une
corporation. Seules, leurs natures juridiques les différencient. Et
la nature juridique est-elle
immuable et doit-elle respecter impérativement la qualification choisie par les fondateurs ? En effet,
actuellement le juge est libre de requalifier la nature juridique d'un contrat. Il n'est pas tenu par la
qualification des parties491. N'est-ce d'ailleurs pas logique ? Si les parties n'ont pas donné la bonne
qualification juridique à leur contrat, celle-ci doit être rétablie par le juge.
En l'espèce, seule la sanction juridique manquerait à conférer la nature juridique d'une
corporation au corps des portefaix, nature pourtant clairement recherchée lors de la fondation.
Antonin Rondelet, relève ainsi que le nom de la '' confrérie'' a été enregistré auprès du greffe de
police et homologué par les échevins ''
492
. Il y avait donc la volonté de créer une confrérie, cette
volonté n'a pas été parfaite faute à un défaut de formalité, sans doute dû à l'ignorance. La nature
juridique obtenue n'était donc pas celle recherchée.
De plus, pour des motifs d'intérêt général, à savoir l'efficience des nouvelles institutions, il
peut donc y avoir une raison supplémentaire, et supérieure à requalifier en sa vraie nature juridique,
un corps que la pratique pluri-séculaire aurait seule suffi à nover. Car, en effet, dans l'optique de la
loi, qui doit être entendue largement si l'on veut réformer efficacement les institutions, les portefaix
de Marseille, qui ont vocation à être une corporation, doivent donc disparaître. Et par ricochet, la
fondation issue de ce corps493, si l'on est fidèle à l'article 1 de la loi du 16 juillet 1791 précitée, [ ''
490 Cf Charles de Ribbe, op cit, p.187
491 Ainsi est-ce le cas de la requalification d'un contrat de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée
indéterminée, lorsque le contrat apparaît être différent de ce que les parties ou une partie se prévalent. ( Cour de
cassation, soc. - 19/05/1998 )
492 Antonin Rondelet, op cit, p.665
493 ''Association de charité dite la congrégation des pauvres malades gagne-deniers fondée le 14 mars 1659'' Charles
de Ribbe, op cit, p.195
148
�les biens dépendant des fondations faites en faveur […] de corporations qui n'existent plus dans la
constitution française […] font partie des biens nationaux''494], doit être assimilée par la nation. La
loi Le Chapelier les prohibait donc. Finalement, leurs biens furent aliénés comme biens nationaux et
vendus respectivement le 9 messidor an IV (27 juin 1796), le 14 thermidor an IV (1er août 1796) et
le 17 Brumaire an XII ( 9 novembre 1803), confirmant donc cette hypothèse 495496. Malgré cela, si
l'on en croit, les héritiers des portefaix de Marseille, à savoir le syndicat des transitaires de
Marseille-Fos, leurs prédécesseurs, ''forts d’une identité marquée, d’une organisation plus tacite
que formelle et d’une solidarité interne reconnue, résistèrent à cette interdiction et bénéficièrent
même d’une reconnaissance préfectorale en 1816''497. (Ainsi, même les héritiers des portefaix se
considéraient comme descendants d'une corporation.) Charles de Ribbe se demandait '' par quelles
causes elle a survécu à la loi de 1791, qui frappa d'arrêt de mort les corporations ouvrières''498.
Elles sont pourtant simples, puisque l'auteur relève lui-même que les portefaix fournissaient, 650
députés du corps qui ''devaient prendre part à l'assemblée électorale du tiers-état '' 499. Cette
corporation avait donc une forte assise politique. C'est cet élément qui leur a permis de survivre.
Ainsi, on s'aperçoit aisément de l'erreur de jugement volontaire ou involontaire de l'autorité
départementale, qui conduisit à la survivance de cette corporation de manière occulte, « tacite », car
on lui en avait donné les moyens.
494 Loi du 16 octobre 1791,concernant les biens dépendant des fondations faites en faveur d'ordres, de corps et de
corporations qui n'existent plus, article 1, in Pierre Caron et Eugène Desprez, Recueil des textes législatifs et ...op
cit, p.220-221
495 Cf Paul Moulin, op cit tome 3, p.248-249, p.261, p.281
496 L'intérêt de la suppression des congrégations et de leurs fondations n'est pas anodin dans le cas présent, et il peut
être considéré comme aussi important que celui des corporations au moment de la Révolution. Pour approfondir, on
renverra à Jean-Paul Durand, La liberté des congrégations religieuses en France, Paris, Le Cerf, 1999, Tome 1 :
Une situation métamorphosée ? Droit français des congrégations religieuses et droit canonique de l'état de vie
consacrée et Tome 2 : Régimes français des congrégations religieuses : congrégations simplement licites et
congrégations reconnues, qui montre que le but de la loi Le Chapelier était d'interdire l'existence de tout écran entre
État et individus. L'existence de corps intermédiaires entre les deux étant réprouvée par les jacobins, principalement
Robespierre.
497 http://www.stm-marseille.com/le-metier-de-transitaire/origine
498 Charles de Ribbe, op cit, p.189
499 Ibid, p.195
149
�150
�151
�152
�''La raison se prononce dans un sens,
l'événement solutionne dans l'autre, et
l'homme continue gravement à tirer des
conclusions et à émettre des
pronostics''.
La Philosophie de Georges Courteline
153
�154
�CONCLUSION
La vente des biens nationaux est un sujet vaste qui fut loin d'être traité de manière
exhaustive par le passé. Actuellement, les plus proches de cette tentative sont sans doute Éric
Teyssier et Bernard Bodinier. Ce dernier y ayant consacré une bonne part de sa remarquable carrière
universitaire. Toutefois, eux-mêmes n'ont pu atteindre cet objectif indépassable en une vie. Le sujet
de cette étude n'était donc pas de les surpasser, cela aurait été impossible. En revanche, deux
objectifs furent recherchés.
Le premier fut de reprendre les principales lois et les principaux décrets sur la législation de
la vente des biens nationaux, afin de les analyser, mais aussi d'en révéler des aspects méconnus
grâce au soutien des archives parlementaires. Des exemples ponctuels du département des Bouchesdu-Rhône vinrent illustrer ces propos. Évidemment, là encore, l'exhaustivité aurait été souhaitable,
mais plusieurs empêchements s'interposèrent. Tout d'abord, pour une question de temps, il fallut se
limiter à ne traiter que de la période s'étendant du début de la Révolution, jusqu'à l'ouverture de
celle du Consulat500. Enfin, dans un souci de concision et de clarté, il fallait aussi se limiter dans le
nombre de lois citées, et ne rapporter que les principales pouvant soutenir notre propos.
Ce dernier a tenté de montrer que les origines des ventes de biens de première origine et de
seconde origine n'étaient pas les mêmes au départ, mais qu'elles ont fini par converger. Ainsi, celle
des ventes de première origine avait une vocation essentiellement financière comprenant
implicitement un but idéologique, politique. Celui-ci ne transparaît pas clairement dans les textes, il
faut le deviner, en revanche, il est bien présent dans les débats parlementaires. Pour les biens de
seconde origine, la visée était clairement idéologique à l'origine, mais par la suite, cela devint une
véritable aubaine financière, néanmoins, l'usage s'en voulut parfois social, notamment sous les
jacobins, mais avec un succès relatif remis en cause par leur chute.
Il a aussi été traité de la législation sur les estimations des biens nationaux. Sur ce point, le
mécanisme en a été expliqué. Ils étaient manifestement sous-évalués au départ, néanmoins la
500 Sur ce point, on regrette de ne pas pouvoir traiter le sujet jusqu'à la loi sur le Milliard des émigrés.
155
�législation évolua vers plus d'efficience. Cependant, cela était d'un intérêt moindre du fait de la
dévaluation des assignats qui rendait, les pertes dues aux faibles estimations, dérisoires.
Pour les moyens de paiements, on peut dégager trois périodes. La période du début des
ventes jusqu'au 1er vendémiaire an IV qui constitua celle des assignats. La deuxième période est
celle qui s'ouvre pour les mandats territoriaux de vendémiaire an IV jusqu'au 26 vendémiaire an
VII. La dernière période est celle du paiement en numéraire, jusqu'à la fin de l'Empire. La
dévaluation des assignats, l'usage constant et immodéré de papier-monnaie, ou d'ersatz similaire,
ressemblait fort à de l'inconséquence de la part des législateurs. Les biens nationaux furent ainsi
gaspillés, et utilisés comme palliatifs, jusqu'à leur presque complet épuisement. En revanche, la
touche finale est amusante, celle du retour au numéraire, impossible instantanément, qui accoucha
d'une mirifique banqueroute.
Les législations sur les modalités d'adjudication et de paiements sont révélatrices des
différents régimes s'étant succédés. Si l'intérêt financier prima souvent, il finit après l'intermède
jacobin, par supplanter totalement l'aspect social. On ne manquera pas de s'extasier devant les
nombreux procédés usités par les législateurs pour favoriser telle ou telle tendance. La prolixité des
moyens étant sans limites. Il est vrai qu'au début, il y eut quelques ratés. Mais peu à peu, le Corps
Législatif se perfectionna dans l'usage de ces outils, malgré quelques rechutes. Le morcellement ou
le non-morcellement des lots en fut un. Le lieu d'établissement des enchères en fut un autre plus
subtil. Plus évidents furent ceux qui augmentaient ou abaissaient les délais de paiement, ou encore
le montant des mises à prix. Sur ce point, l'ingéniosité législative n'avait pour limite que la voracité
financière. Néanmoins, l'impuissance fut constante à maintenir le cours des assignats. Seul
l'intermède autoritaire des jacobins et les mesures énergiques le purent. Mais cela aurait-il pu
durer ? C'est là une question sans réponse.
Le second objectif était de sonder le contentieux de la vente des biens nationaux. Là encore
toucher à l'exhaustivité tenait de l'impossible. Deux bornes furent donc posées. La plus évidente est
celle géographique. L'étude se limita donc au département des Bouches-du-Rhône. Enfin, là encore,
la masse contentieuse semblait trop importante pour être épluchée en quelques mois. Il fallut donc
se limiter à un type de contentieux. Celui qui traitait des cas qui auraient pu faire obstacle ou mettre
en danger la vente des biens nationaux. Pour cela, il fut tenté en prenant plusieurs occurrences de
156
�montrer plusieurs facettes possibles d'opposition aux ventes. D'une part, le cas délicat de
l'annulation des enchères pour défaut de procédure. D'autre part, les différents types de plaignants
contestant la propriété de biens de l'église à leur profit. Cette contestation ayant pour effet de sortir,
en cas de succès, ces biens de la catégorie des biens mis à la disposition de la Nation. Souvent,
l'intérêt général prima seul, parfois, d'autres paramètres rentrèrent en compte. Pour cela, les archives
départementales furent précieuses.
Plusieurs aspects furent susceptibles de constituer un corps dans les développements
précédents, cependant, pour différentes raisons, il fut impossible de les traiter. Il convient
cependant, de leur redonner leurs places ici, de la manière la plus concise.
Il aurait ainsi été intéressant d'évaluer la proportion de contentieux par rapport aux différents
biens mis à disposition de la Nation 501. Parallèlement, il aurait était intéressant d'établir un
pourcentage des différents types de contentieux, ainsi que des motivations dont ils furent l'objet, et
de leurs évolutions respectives. Cela aurait été un travail titanesque rien qu'au niveau départemental.
Il aurait été aussi intéressant de traiter des manœuvres spéculatives dans la partie
contentieuse, et des cas de folles enchères. Néanmoins, après évaluation dans les archives de Paul
Moulin, il s'avère qu'il n'y eut que de rares cas de déchéances. Il y eut ainsi 21 cas de déchéances
sur les ventes de biens de première origine à Aix-en-Provence 502, et 23 pour les ventes de biens
d'émigrés503. Le plus haut montant du fut de 21600 livres, le reste se cantonna généralement en
dessous des 2000 livres voire des 1000 livres. On peut donc dire qu'à Aix-en-Provence, il n'y eut pas
beaucoup de folles enchères. Arles n'en compta que 5504. Aubagne, une vingtaine505. À Marseille, on
en compta 72506. Et 54 pour les autres villes 507. En tout et pour tout, on dénombra 195 déchéances
sur un total de 5067 adjudications. Il y eut donc 3,8% de déchéances. Ce qui n'est pas énorme.
Néanmoins, cela aurait pu laisser espérer un développement intéressant.
501 On parle ici du contentieux concernant les différents biens mis à la disposition de la Nation et non pas seulement du
contentieux des ventes de biens nationaux, car ainsi, l'étude en serait plus complète, car portant sur un rayon d'action
plus large.
502 Cf Paul Moulin, op cit tome 4, p.242-244
503 Ibid, p.244-246
504 Cf ibid, p.247
505 Cf ibid, p.247-248
506 Cf ibid, p.249-255
507 Cf ibid, p.255-260
157
�Cependant, après vérification des biens, on s'aperçoit assez rapidement, que la plupart des
déchéances touchent des veuves de condamnés ou leur famille, qui tentent de sauvegarder le
patrimoine familial, ou qui tout simplement rachètent aux enchères le bien foncier dans lequel ils
vivent. Ils furent dans l'impossibilité de régler les termes et furent ainsi déchus de leurs enchères, et
donc sûrement livrés à l'indigence. Ce constat est bien triste humainement, néanmoins il ne peut pas
constituer à lui seul, des déchéances dues à de folles enchères. Il n'y a pas là de spéculation, mais
simplement une tentative de survivre.
Un seul cas aurait pu être traité, celui de Cosme Moutte qui acheta le 14 frimaire an III pour
240480 livres de biens nationaux. L'enchère paraît énorme pour une seule personne, et sa déchéance
aurait pu révéler un fol enchérisseur Néanmoins, après vérification, le Sieur Cosme Moutte se
révéla un acheteur important, dont tous les autres biens furent dûment réglés. Il n'apparaît donc pas
qu'il soit un fol enchérisseur. Comment se l'expliquer ? Est-ce dû à l'excellent travail en amont des
autorités repoussant les soumissions trop considérables pour être honnêtes 508. On voit mal comment
les administrateurs des Bouches-du-Rhône auraient été plus efficaces et plus vigilants que tous les
autres départements. Un mystère plane donc sur ce point. Cependant, on peut légitimement penser
qu'il y eut plusieurs cas de folles enchères, ou même d'agiotages qui ne purent être dévoilés. Pour
cela, il faudrait étudier les différentes ventes, et isoler celles dont le paiement se réaliserait de
manière disproportionnée en assignats. La disproportion naîtrait d'une trop grande différence 509. Par
la suite, en relevant les ventes rapides de ces biens, on pourrait confirmer avec un pourcentage
fiable de réussite un type d'agiotage. Pour le reste, cela serait trop hasardeux.
Un autre point intéressant aurait été de pouvoir évaluer le nombre de biens de première
origine revendus comme biens de seconde origine. Cela aurait permis de savoir avec précision si les
aristocrates avaient pris part à l'aubaine que les biens nationaux constituaient. On peut seulement
sur ce point certifier qu'il y eut plusieurs cas. L'évaluation en serait possible au niveau
départemental en s'astreignant à consulter l'ensemble des ventes faites, soit quelques milliers.
L'effort aurait été trop disproportionné et chronophage, pour une question somme toute secondaire.
508 Cf soumission du notaire Seytres ( AD, L, reg III2, f°344, séance du 8 décembre 1790)
509 À partir de trois fois plus que la moyenne semble être une bonne fourchette. Il faudrait cependant se livrer à un
calcul sur ce point, pour estimer la fourchette la plus juste, mais aussi la moyenne. Travail titanesque.
158
�Il aurait aussi été important de faire une évaluation sociale des acheteurs des biens
nationaux. Cependant, Paul Moulin le relève très justement, l'origine des acheteurs est incomplète
dans le décompte des ventes, soit elle n'est pas indiquée, soit un même acheteur est référencé avec
deux professions totalement différentes selon le type de documents consultés, ou bien les noms et
prénoms sont trop courants pour être attribués avec certitude à une même personne ou à d'autres
distinctes entre elles510. Néanmoins, ce dernier estime que ces ventes profitèrent largement aux
petits agriculteurs et à la petite bourgeoisie 511. On notera que cela ne donnerait qu'une vision
partielle de l'aspect social de la vente des biens nationaux.
En effet, un aspect similaire et nettement plus intéressant aurait été de s'intéresser à la
revente des biens nationaux, car cela aurait permis une véritable évaluation sociologique de la vente
des biens nationaux. On aurait ainsi pu dire à qui ils ont réellement profité. Sur certains points, on
sait que le partage des communaux entraîna de massives reventes aux bourgeois de la part des
paysans. En revanche, l'étude de la vente des biens fonciers par leurs acheteurs initiaux
réclameraient un effort conséquent, afin de dépouiller les fonds notariaux de l'époque. Pour cela, il
faudrait d'abord situer chaque bien, puis aller fouiller dans les archives des notaires notoirement
voisins du lieu. Cela ne se ferait pas nécessairement avec un succès certain. Cependant, il est estimé
que les fonds révolutionnaires des notaires sont assez complets. On peut les trouver aux archives
départementales à Marseille512. Ces dernières précisent qu'elles regroupent les fonds de 87 des 102
études existantes ou ayant existé.
Un autre aspect de la vente des biens nationaux aurait pu être, d'étudier la gestion des biens
nationaux et leurs réparations, en attendant leurs ventes. Ainsi, peut-on relever que les
administrateurs départementaux furent très réservés, voyant ces dépenses comme des pertes de
fonds superflues513. Les réparations devaient donc être faites à peu de frais, '' attendu sa modicité et
son urgence'' 514.
510 Cf Paul Moulin, op cit, Tome 1, p.XLIV (introduction)
511 Cf idem, p.XLV (introduction
512 Il faut éplucher le fonds 300E à 426E. Il faut bien évidemment rechercher l'année adéquate.
513 AD, L62, 24 février 1792, Tarascon, f°46 '' considérant que en même temps qu'une bonne administration demande
que les bâtiments soient entretenus et qu'il y soit fait toutes les réparations convenables, elle demande aussi que ces
réparations ne puissent avoir lieu que préalablement qu'il n'ait été constaté qu'elles soient utiles et même
indispensables''
514 AD, L53, 22 mars 1791, Aubagne, f°2
159
�Enfin, il ne fut traité que des biens fonciers, et non de tous les autres, comme les biens
meubles. Cette restriction provient encore de la nécessité de limiter le propos afin de ne pas se
disperser, dans un souci de concision.
160
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-Michel David-Weill, '' De la vertu des crises'', in Le Point, numéro double n°2101 et 2102 du 20 et
27 décembre 2012
-Jérôme Ferrand, '' Aux confins du politique et du juridique ou du bon usage des déclarations des
droits par les corps administratifs et judiciaires de la Révolution '', in Clio et thémis
-Guy Martinet, '' Quelques aspects de l'émigration dans le district de Marseille pendant l'an III '', in
L'information historique, mars-avril 1961, n°2,
168
�V) Sites et divers
-Charles Kunstler '' Un résumé satirique du système de Law'', Historiana, in L'information
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- http://www.stm-marseille.com/le-metier-de-transitaire/origine
-http://www.herodote.net/30_septembre_1797-evenement-17970930.php
-http://www.archives13.fr/archives13/CG13/pid/426
169
�170
�INDEX LEXICAL
Index lexical
Abbé Maury..................................................................................72, 74, 91
Agiotage........................................................18, 26, 68-70, 74, 91, 101, 156
Assignats. . .17-19, 51, 63, 67, 68, 70-74, 77-79, 82, 89, 91-93, 98, 99, 101,
117, 162, 166
Babeuf........................................................................................................95
Banqueroute................................................................14, 19, 59, 78, 82, 88
Basire.........................................................................................................44
Bergasse.............................................................................63, 67, 68, 72, 74
Biens communaux.....................................................................................93
Biens de l'église........................................15-17, 33, 39, 133, 137, 143, 146
Biens des émigrés......................20, 21, 43, 45, 46, 52, 55, 92, 94, 131, 165
Biens des suspects.....................................................................................94
Biens du clergé..............................................................................11, 38, 71
Biens ecclésiastiques.........................15, 20, 35, 36, 39, 128, 132, 144, 164
Biens nationaux....1, 7, 13, 16-19, 21-23, 25-27, 29, 31, 33, 35, 38, 47, 49,
51-53, 59, 63, 64, 67, 69, 71, 72, 74, 77, 78, 81-83, 87, 89-91, 97, 99, 101,
103, 105, 109-112, 116, 118-120, 126-130, 133, 143-147, 149, 153, 154,
156, 157, 159, 161, 164, 165
Biens nationaux ........................................................................................13
Biens nationaux de Ventôse an IV..........................................................97
Biens nationaux de l'an VII...................................................................101
Cahiers de doléances................................................................................68
Caisse d'escompte.....................................................................................70
Caisse de l'extraordinaire........................................................71, 128, 130
Confrérie..........................................................................................143-148
Corporation des portefaix de Marseille................................................143
Corporations..............................................37, 105, 123, 143-146, 148, 149
Corps législatif..........71, 72, 74, 78, 79, 90, 92, 97, 98, 118, 120, 121, 128
Culte ....................................37, 39, 125, 126, 131, 132, 134, 135, 138, 139
Culte de l'être suprême..........................................................................134
D'Amelot....................................................................................37, 132, 143
DDHC.....................................................................20-22, 46, 113, 117, 130
Déchristianisation............105, 123, 125, 128, 129, 131-134, 138, 143, 165
Domaine national........................................................................52, 99, 128
171
�Étrangers...................................................................................................68
Folles enchères..........................................................................69, 155, 156
Gensonné...................................................................................................46
Girondins...................................................................................................92
Hôpitaux....................................................................................................38
Hypothèque.........................................................38, 55, 67, 71, 91, 99, 101
Jacobins......................................................................25, 73, 92-95, 97, 134
Municipalités.........................................55, 89, 90, 107, 109, 110, 112, 125
Notables.....................................................................................................14
Papier-monnaie...................................................................................18, 68
Prêtres......................................................................................................133
Robespierre.........................................................................................73, 95
Roederer....................................................................................................70
Saint-Just...................................................................................................94
Sédillez.................................................................................................43, 45
Serment....................................................................123, 129, 135, 137-139
Talleyrand...........................................................................................15, 70
Thouret......................................................................................................89
172
�TABLE DES MATIERES
Table des matières
REMERCIEMENTS
..............................................................................................................................
5
SOMMAIRE
..............................................................................................................................
7
INTRODUCTION
..............................................................................................................................
13
TITRE 1 : Les modalités de vente des biens nationaux : la fusion d'intérêts politiques et
financiers..............................................................................................................................29
CHAPITRE 1 : La phase préparatoire de la vente des biens nationaux..............................31
Section 1 : Les motivations financières et politiques dans le choix de l'assise des biens
nationaux ..........................................................................................................33
Paragraphe 1 : Étude des caractères financiers et politiques dans l'évolution
asymptotique des ventes de biens de première origine...........................35
Paragraphe 2 : Les biens de seconde origine : La transformation d'une confiscation
juridico-politique en opportunités financières et sociales.......................43
Section 2 : Les formalités préparatoires à la vente des biens nationaux : l'estimation
controversée et les nécessaires formalités de publicité.....................................49
Paragraphe 1 : L'effet relatif de l'estimation des biens nationaux : Une valeur réelle
sous-estimée jusqu'à la fin du Directoire.................................................51
Paragraphe 2 : Les formalités de publicité : La protection contre la fraude
administrative et l'attractivité du bien.....................................................55
CHAPITRE 2 : La réalisation de la vente des biens nationaux : Étude des critères politiques et
financiers dans l'évolution législative..................................................................................59
Section 1 : Étude sur les raisons des échecs successifs des moyens de paiement des
biens nationaux.................................................................................................63
Paragraphe 1 : La dévaluation de l'assignat : Chronique d'un échec annoncé ..........67
Paragraphe 2 : Les mandats territoriaux : L'échec prévisible de l'avatar de l'assignat
.................................................................................................................77
Paragraphe 3 : Le retour au paiement en numéraire : Chronique d'une banqueroute
recherchée................................................................................................81
Section 2 : L'opposition entre le caractère social et le caractère financier dans les
modalités d'adjudication et de paiement des ventes de biens nationaux...........87
Paragraphe 1 : La faiblesse des influences girondine et jacobine dans la structure
globale du régime des ventes de biens nationaux de 1790.....................89
Paragraphe 2 : L'éclipse totale du volet social par le volet financier dans le régime de
la vente des biens nationaux de Ventôse an IV.......................................97
Paragraphe 3 : La primauté vacillante du volet financier sur le volet social dans le
régime de la vente des biens nationaux de l'an VII.................................101
TITRE 2 : L'omniprésence du concept d'intérêt général dans le contentieux de la vente des
biens nationaux : Études sur la contestation de la propriété ecclésiastique.........................105
CHAPITRE 1 : l'intérêt général au centre des motivations administratives dans les contentieux
173
�de l'opposition des autorités publiques et de l'annulation ...................................................107
Section 1 : l'opposition des municipalités : la primauté de l'intérêt général sur les intérêts
locaux et particuliers.........................................................................................109
Section 2 : le contentieux de l'annulation des enchères : La dérogation de l'intérêt
général sur la procédure d'enchère....................................................................115
CHAPITRE 2 : Le contentieux de l'opposition des personnes privées : La convergence de
l'intérêt général avec la déchristianisation et la fin des corporations..................................123
Section 1 : l'opposition d'un ou plusieurs particuliers : la convergence de l'intérêt général
et de la déchristianisation..................................................................................125
Section 2 : l'opposition des membres du clergé : la redéfinition de l'intérêt général ou
l'aménagement du culte.....................................................................................133
Section 3 : l'opposition d'un corps de citoyen : le chant du cygne de la corporation des
portefaix de Marseille.......................................................................................143
CONCLUSION
..............................................................................................................................
155
SOURCES
..............................................................................................................................
161
BIBLIOGRAPHIE
..............................................................................................................................
163
INDEX LEXICAL
..............................................................................................................................
171
TABLE DES MATIERES
..............................................................................................................................
173
174
�RESUME
La vente des biens nationaux fut un événement majeur de la Révolution. Il acta de manière
définitive la dissolution de la société d'Ancien Régime, en dispersant les puissances immobilières
mais aussi mobilières des deux principaux ordres, à savoir le Clergé et la Noblesse. L'analyse
juridique de cette vente, rapportée au seul département des Bouches-du-Rhône sur une période
fermée (1789-1799), imposait de suivre deux axes majeurs. Il fallut donc produire une analyse de la
législation en vigueur, avant d'en tenter un traitement contentieux.
Ainsi, d'une part, grâce au soutien des Archives Parlementaires (1789-1799) et de la série L
des Archives Départementales des Bouches-du-Rhône, une introspection de la législation
révolutionnaire fut réalisée. La logique réclamait de s'intéresser successivement aux aspects
juridiques de la phase préparatoire (détermination de l'assise des biens nationaux), puis à ceux de la
réalisation de la vente des biens nationaux (moyens de paiement et modalités d'adjudication et de
paiement). Ainsi, il fut démontré que les raisons politico-idéologique et financière ayant conditionné
les législations du choix de l'assise de biens de première origine et de seconde origine (Clergé et
Noblesse), différèrent avant de converger. Un autre aspect révéla l'influence des régimes politiques
successifs sur les évolutions juridiques. On remarquera sur ce point, l'efficience progressive de la
législation, malheureusement couplée à la réduction de son champ d'application.
Enfin, d'autre part, il fut réalisé un sondage du contentieux de la vente des biens nationaux
dans le Département des Bouches-du-Rhône. Il se limita aux contentieux traitant des cas qui
auraient pu mettre en péril les ventes de biens nationaux. Ainsi, le cas délicat de l'annulation des
enchères pour défaut de procédure créa un certain émoi au début de la vente des biens nationaux. En
effet, les implications politiques et financières d'un échec dès les premières ventes de biens
nationaux auraient eu pour effet d'en détourner la population. Mais, on relèvera aussi l'astuce des
différents types de plaignants (Municipalités, particuliers, membres du Clergé, et corps de citoyens)
contestant la propriété de biens de l’Église à leur profit. Ces contestations auraient eu, en cas de
succès, pour effet de déqualifier ces biens de la catégorie des biens nationaux. Face à ces menaces,
on constata que les administrateurs départementaux durent souvent faire primer l'intérêt supérieur
de la nation au détriment d'intérêts locaux et particuliers, qui apparaissaient pourtant plus légitimes.
�
Dublin Core
The Dublin Core metadata element set is common to all Omeka records, including items, files, and collections. For more information see, http://dublincore.org/documents/dces/.
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Monographie imprimée
Description
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Ouvrages imprimés édités au cours des 16e-20e siècles et conservés dans les bibliothèques de l'université et d'autres partenaires du projet (bibliothèques municipales, archives et chambre de commerce)
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A name given to the resource
Analyse juridique de la vente des biens nationaux dans le département des Bouches-du-Rhône, 1789-1799
Subject
The topic of the resource
Département des Bouches-du-Rhône
Description
An account of the resource
Mémoire réalisé sous la co-direction de Monsieur le Professeur Christian Bruchi et de Monsieur François Quastana, et présenté pour l'obtention du master 2 recherche en "Histoire des institutions et des idées politiques", année universitaire 2012-2013
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Stahl, Hugo
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence), cote
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Université Paul Cézanne (Aix-Marseille)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
2013
Contributor
An entity responsible for making contributions to the resource
Bruschi, Christian, directeur de recherche
Questana, François, directeur de recherche
Rights
Information about rights held in and over the resource
soumis à copyright
restricted use
Relation
A related resource
Notice du catalogue : http://www.sudoc.fr/20184687X
Vignette : https://odyssee.univ-amu.fr/files/vignette/Hugo-Stahl_vente-biens-nationaux-BDR-vignette
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
1 vol.
175 p.
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
text
monographie imprimée
printed monograph
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
France. 17..
Abstract
A summary of the resource.
La vente des biens nationaux fut un événement majeur de la Révolution. Il acta de manière définitive la dissolution de la société d'Ancien Régime, en dispersant les puissances immobilières mais aussi mobilières des deux principaux ordres, à savoir le Clergé et la Noblesse. L'analyse juridique de cette vente, rapportée au seul département des Bouches-du-Rhône sur une période fermée (1789-1799), imposait de suivre deux axes majeurs. Il fallut donc produire une analyse de la législation en vigueur, avant d'en tenter un traitement contentieux.
Ainsi, d'une part, grâce au soutien des Archives Parlementaires (1789-1799) et de la série L des Archives Départementales des Bouches-du-Rhône, une introspection de la législation révolutionnaire fut réalisée. La logique réclamait de s'intéresser successivement aux aspects juridiques de la phase préparatoire (détermination de l'assise des biens nationaux), puis à ceux de la réalisation de la vente des biens nationaux (moyens de paiement et modalités d'adjudication et de paiement). Ainsi, il fut démontré que les raisons politico-idéologique et financière ayant conditionné les législations du choix de l'assise de biens de première origine et de seconde origine (Clergé et Noblesse), différèrent avant de converger. Un autre aspect révéla l'influence des régimes politiques successifs sur les évolutions juridiques. On remarquera sur ce point, l'efficience progressive de la législation, malheureusement couplée à la réduction de son champ d'application.
Enfin, d'autre part, il fut réalisé un sondage du contentieux de la vente des biens nationaux dans le Département des Bouches-du-Rhône. Il se limita aux contentieux traitant des cas qui auraient pu mettre en péril les ventes de biens nationaux. Ainsi, le cas délicat de l'annulation des enchères pour défaut de procédure créa un certain émoi au début de la vente des biens nationaux. En effet, les implications politiques et financières d'un échec dès les premières ventes de biens nationaux auraient eu pour effet d'en détourner la population. Mais, on relèvera aussi l'astuce des différents types de plaignants (Municipalités, particuliers, membres du Clergé, et corps de citoyens) contestant la propriété de biens de l’Église à leur profit. Ces contestations auraient eu, en cas de succès, pour effet de déqualifier ces biens de la catégorie des biens nationaux. Face à ces menaces, on constata que les administrateurs départementaux durent souvent faire primer l'intérêt supérieur de la nation au détriment d'intérêts locaux et particuliers, qui apparaissaient pourtant plus légitimes.
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence)
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
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Vente des biens nationaux -- France -- Thèses et écrits académiques