1
200
1
-
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/1/134/Mejanes-D104_Devoir-historien-Portalis.pdf
eb7e011a1f043a575bced38c1c13704d
PDF Text
Text
":\ .
]).-/04,
H,
.~
DU D EVOIR
,
t.Ù ·
"
..
;
," \
DE L'HISTORIEN,
,
DE bien considérer {e caractère et le génie
de chaque siècle en jugeant les grands
hommes qui y ont vécu;
/
DISCOURS couronné par l'Académie royale
ùes Inscriptions et Belles-Lettres, Histoire et Antiquités de Stockholm> en
mars 1800:
PAR PO R T A LIS FIL S.
Laudemus Viros gloriosos et Parentes nostros in ge ner3tione
sui; domina ntes in potestatibus s uis; Homi nes magni virtute •
et prudentià suâ pr:editi .... ; Ho mïn es . . .. pulchritudinis studium habcntcs; Pacificantes in domibus suis: omnes uti in generationibus suis gen tis $ U2 p;loriam adepti sunt, et in diebus suis
habentur in laudibus ... .. eUrn semin e eorUrn permanent bona . ....
Sap icntiam ipso rum narrent populi. ECCLESIASTIC .
" . fJ ~']. C, 7. I l tt If.
A
P ARIS,
AN
VII I,
�Dcmni. a. ~ ;5,'J"P~ pid~~
J)v
k J(ilW
!J' auv jJt1+' /
~ {;"Jc i"'~
.
.
,•
,
•
éz,.&~
�.,
.",
; '
..;,
\
~~
DISCOURS
le devoir de l'Historien, de bien
considérer le caractere el le génie de
chaque siècle, en jugeanl les grands
hommes qui y onl vécu, afin d'éviter,
d'un c,sté., de maintenir et perpétuer des
principes faux et nl!isibles à la société;
et de l'autre, de ne point diminuer et
affoiblir, en critiquant les erreurs des
grands hommes, l'estime et l'admiration
qui SOnt dues aux qualités éminentes, à
l'activité, à la fermeté, au courage
d'esprit et aux autres verlUs hùoùjues,
si essentielles à conserver pour l'indépendance et le bonheur des natiolls.
SUR
SA N s le souvenir du passé , l'homme
étranger à lui-même, ignoreroit sa propre
existence; ses jours se succéderoient e t ne
s'encha1neroient pas ; chaque instant le verroit mourir et renaitre ; le sou venir seul
forme un ensemble de sa vie entière. L'histoire est Je souvenir du genre humain; elle
A2
�( 4)
rattache les siècles aux siècles, et nous conserve la filiation des peuples; elle est k lien
commun de la grande famille humaine; elle
instruit les nations de leur origùle , de leurs
progrès, de leur grandeur; en un mot, elle
leur révèle tout ce qu'elles ont été , pour leur
montrer mieux ce qu'ell es peuvent être.
Quelle tilcheque celle del'historien ! Placé
sur les limites des deux mondes , i l attend
que le temps et la mort aient choi si leurs
vicümes. Et ne sem blerait-il p as (lu'au milieu des débris et des ruines, au milieu d e
cette froide poussière, seul reste de tant d e
monumens détruits, il devroit réputer plus
vaine qu'eux , la mémoire de tant de vains
mortels? Mais ces ombres passagères ont
laissé des traces impérissables de l eur course
fugitive. Hier encore, l'homme n 'étoit pas,
il aura disparu demain, et ses actions qui
ne sont plus , portent le sceau de l'immortalité. C'est à l'lùstorien qu'il appartient ici
bas, de prononcer sur le m érite des actions
humaines; il tient, pour ainsi dire, en première instance, les balances de Dieu même,
et l'éternelle équité doit présider à tous ses
jugemens . C'est à lui à p eser l es suffrages,
à examiner les témoins, à écouter dans le
( 5 ),
silence des tombeaux où les passions sont
inhumées , la voix de la vélÛté qui vit toujours. L'impartialité doit être sa règle; mais
qu'elle ne dégénère jamais en incliflërence.
Si la fidélité lui prescrit de rapporter avec
exactitude tous les faits constatés, la sagesse
hà commande de les apprécier avec discernement . Car si l'historien, comme la mémoire , retrace le bien et le mal; comme
la conscience, il doit nouS avertir de l',Ut
et de l'autre. II ne lui suffit pas d 'être sans
crainte, sans haine et sans amour pour des
restes inanùnés; il n 'est point irréprochable
si , lorsque tout l'invite ou le dispose à prononcer , sans acception de personne, il se
passionne pour les choses. Alors l'esprit de
systême le préoccupe. Tl s'arme de vaines
citations contre les plus fortes probabilités,
et de vagues probabilités contre les témoignages les plus authentiques. Il ex~rce sur
les faits une autorité arbitraire. Ses recherches n'ont pas leur source dans l'amour de
la vérité, mais dans celui de ses propres
pensées. Sous le voile imposant de la plùlosoplùe, ou de l'érudition, les erreurs, les
ta. usses opinions se propagent; elles minent
sourdement les institutions les plus respec-
A3
�( 6 )
( 7 )
tables, et préparent des changemens funestes à l a société.
Mais tout n'est p as fai t lorsque l'Iùstorien connol't ses d evoirs , s'il ne connol't
aussi ses moyens. Quelle immensité sans·
bornes, son ~nie ne lui découvre-t-il pa1>
dans le vaste ch amp d e l'histoire ? Tous les.
siècles écoulés.depuis la naissance du temps,
sont présens. pour lui ; tout Je genre humain
s'offre à ses regards . Semblable à un homme
qui du haut d'mle montagne , verroit un
fleu ve abondant j aillir de son hum ble source,
rouler ensuite hlmultueusement ses eaux
"rossies dans l a plaine, et courir avec rapi:lité les d écharger dans l 'Océan , il voitles
générations qui suivent, presser en murmurant les générations qui précèd ent; il les
voit se confondre et s'engloutir , ne laissant
sou vent, après elles , auCunes traces de l eur
passage. L'ensemble du tableau égareroit
son imagination fatiguée , si les grands
hommes n 'arrê toient ses regards de dis..tance en distance , n e les fixoient et ne fai"
soient rejaillir sur ce qui les entoure, l'at.tention qu'ils commandent.
Ils sont comme des points d 'appui, à l'a ide
desquels nous pouvons franchir l'espace sans
incertitude. Nous voyons se grouper autour d'eux les nations et les événemens. Si
par le génie d'un peuple, nous jugeons
celui d es hommes qui le composent, nous
n e devons jamais oublier que l e génie d'un
seul homme devient souvent celui de tout
un peuple. Ce n 'est point sans fondement
que l a sage antiquité vénéroit comme des
d emi-dieu x les vérita bles grands hommes:
elle r endoit hommage à cette grande vérité,
que l'intervalle immense qui sépare le ciel
de la terre, a besoin d 'être comblé; et elle
croyoit entrevoir dans ces hommes bienfaisans, dont se servoit la Providence suprême
pour t irer les peuples du n éant, des intelligences supérieures, 'lui, d ans lu ch aîne
des êtres, se rattachoient au trÔne d e Dieu.
En efIet, c'est principalement 'ce q-ue
l'histoire nous rapporte, non seulement des
actions des hommes cé lè bres, mais encore
de leur caractère, de leu rs erreurs, d e leurs
opinions et de leur influence, qui nous explique quelle a été , dans chaque conj oncture, la part de la sagesse , d es passion s, du
hasard Ou de la té mérité. C'est ainsi qu'elle
t ransmet à la postérité la plus reculée, le
Tich e héritage clu passé, et prépare d'avance
.A 4
•
�.
( Il )
les événemens fumrs. Mais un homme n'est
jamais lm être isolé. S'il influe sur les autres,
c'est parce que les autres influent sur lui;
il n'est point étranger à la terre qu'il habite; il Y tient par une multitude de fils. Si '
l'atmosphère physique a de grands effers
sur la force ou sur la foiblesse de son corps,
l'atmosphère morale qui l'entoure ~ agit sur
son ame , l a presse de toutes parts, y pénètre par tous les pores, et d étermin e plus
ou moins ses penchans et ses habitudes.
Donc, si le génie des grands hommes entre
pour beaucoup dans la composition de cel ai
de leur siècle, le caractère et le génie de
chaque siècle doivent à leur tour être pesés
par l'historien qui juge les grands hommes
de chaque siècle. Ce n'est que par le soin qu'on aura d'observer cette sorte d 'action et de réaction des
grands hommes sur leur siècle et de leur
siècle Sur cm!:, que l'on pourra, conformément aux vues profondes du sujet proposé,
· d' /tn cot
Aé ,el! bie/l considérant le1 caé vlter
ractère et le génie de chaque siècle. et en
jugeant les grands hommes qui:y ont vécu.
de maintenir et perpétuer des principes
faux et nuisibles à la société. et éviter
( 9 )
d'autre part de ne point affaiblir, en critiqua/lt les erreurs des grands lwmmes ,
l'estime etl'acbniration qui sont dues auX
quatités éminentes, à l'activité. à laferllL eté -' au courage d'esprit et aux autres
vertus héroïques si essentielles à conseryer pour le bonheur et l'indépendance des
nations.
Mais quels sont ces hommes éminens qui,
sans titres h éréditaires, apportent en naissant, des droits à la souveraineté du monde?
Ce sont ceux qui, doués d'une vaste intelli baence et d'une volonté forte, saisisseut
comme par une soudaine illumination, l es
principes et leurs conséquences les plus
éloignées, et domptent, par une constance
in é branlable, leurs passions, les événemens
etles hommes. Je les vois, pour ainsi dire,
se partager la terre; et semblables il. ces
grands corps de hunière qui roulent majestueusement dans les cieux, ils r èglent
Jes temps, d éterminent les époques et ré.
p::l lldent au loin la c1~rté , la chaleur et la
vic. Leur nom devient la renommée des
nations; leur gloire couvre tout un p euple;
�•
(
,
10 )
et même au-delà du trépas, ils continuent
à faire honorer leur patrie.
Mais qu'ils sont rares ces véritables grands
hommes! La Providence qui les réserve
pour donner une nouvelle impulsion à l'univers moral, ne l es dispense à l a terre
qu'avec épargne. Car, je n'entends point
parler ici de cette foule innombrable de
personnages dont les noms se pressent Sur
les pages de l'histoire, gui sont, comme le
vulgaire des grands hommes , auxquels on
accorde trop facilement ce titre.
Il est des hommes illustres, et ce sont ceux
~u'une action brillante, un événemen"t glorIeux, une distinction honorable, ont immortalisés. Il est des hommes célèbres, etce sont
ceu~ dont les méditations appliquées aux
amures, aux sciences et aux arts, amènent
les changemens, opèrent les réformes font
, l
'
ec ater l es révolutions. L e hasard peut mener
à l'illustration; la célébrité est fille du gélùe,
On s'illustre par ses hauts faits· on se r end
' conseils.
ce,l e'J)re par ses écrits ou par ses
~e ne parlerai point des hommes qui n 'ob tlnrent que de la renommée; moins encore
de ceux qui ne furent que fameux. Oit est
renommé par ses talens ; on devient fiune=
(
11 )
par ses relatiqns, ses foiblesses, ses vices
et même ses forfaits. Le grand homme est
ceJui qui veut, qui peut et qui exécute. Il
f''';t dans un moment tout ce que l es hommes
médiocres flui se succèdent dans un siècle
n'opèrènt jamais. Les talens qui fontla renommée, le génie qui donne la célébrité,
quelques actes de force ou de vertu qui
procurent l 'illustration, ne sauroient con stituer le grand homme. Il tire ses principales
ressources de l'energie de sa volonté. Souvent fort de sa seule résolution, il accomplit
avec de petits moyens, de grandes choses,
Entrainé, comme par un ascendant invincibl e clans la route que lui a tracé la n ature,
les révélations d 'un génie caché, semblables
au feu du ciel qui sillonne l'horizon pendant une nuit obscure, sont le flambeau
qui le guide. Sa magnanimité supplée à tout.
Une ardeur immense de remplir sa destin ée ,
embrâse, élève son ame, et la m et au-dessus
des caprices de l a fortune. Il agit, il p eut
encore lorsque les ames foibl es sont réduites
à se r ésigner. Quelquefois pl us puissant,
quand il r encontre plus d 'obstacles , présentant le spectacle sublime de la vertu aux
pnses avec l'adyersité, il fixe les regards
�( 12 )
( ,3 )
d'l ciel et force les respe cts de la terre. Hégulus retournant dans l es prisons de Carthage, a plus fait d e patriotes que Paul Emile
triomphant. Socrate buvant la ciguë, a plus
ramené de cœurs à la vertu que la persuasive éloquence de Platon. Aussi l'historien
profond assignera-t-il à chaque individu,
son rang et ses titres, dans cette hiérarchie
de gloire, et par cette sage distribution, il
p én étrera plu s avant qu' on ne sauroit le
croire , dans la connoissance d es mœurs et
de l'esprit général d'une nation.
L es actions grandes et généreuses appartiennent, sans doute, aux h éros qui les ont
f8..ites. Les vertus sont la noble propriété
des sages qu'elles décorent; la justice d 'Aristide, étoit Aristide lui-m êm e. Mais les
productions du génie, comme ces plantes
é trangères qui fleurissent bientôt sous tous
les climats, entrent dans la m asse des rich esses communes . On a osé eu conclure
que jamais ' aUCun homme n 'avoit par ses
seuls eHorts, soudainement é tendu le domaine des arts e t des sciences; que les découvertes sont l'ou vrage d es gén érations qui
se sont succédées, et que l'on doit en faire
hommage à l'esprit humain, loin d'en p ro-
<liguer la gloire à. des hommes q~ m é~on
noîtroient leurs travaux, et serOIent m strnits par leurs disciples dans leur propre
doctrine (,).
Quel est donc cet esprit humain que l'on
veut séparer de l'esprit de l'homme et qu'on
transforme en ame universelle du monde ?
l'ourquoi ne le trouve-t-on pas planant sans
cesse sur la multitude, et rendant ses oracl es
au milieu d 'elle, tandis qu'il inspire avec
complaisance l'homme solitaire et contemplatif? Dans le siècle où les sciences exactes
e t expérimentales furent ctùtivées avec le
plus de succès, les hommes attentifs , j a loux
d e connoître , habiles à comparer, qui consacroient leurs veilles à de continuelles recherch es, ne proclamoient que de vûns
r ésultats. N e,yton naquit, et la terre apprit
à. connoître l es lois qui maintiennent l\mivers. Newton n 'apportoit point en naissant,
de nouvelles lumières; mais un génie plus
puissant. Je sais que le génie n e crée p as ,
il invente . L'homme ordinaire ignore les
( 1) :Mcrcier, l\1.émoire s lu s à l'Institut national de
France 1 clJSSC des sciences morales et politiques pendant le dernier trimestre de l'an 5.
�( 14 )
•
rapports d es choses : 1'1.1Omme ingénieux
nous en présente la fictlOn l'homme de
o-énie en saisit l a r éalité.
" C'est le h asard, dit-on, qlÙ est le père
des découvertes. Disons plutôt que c'est la
no~chalance des hommes qui ne leur permet d'étudier la nature que par hasard.
Elle ouvre ses trésors à tous ses enlans,
mais il n'appartient qu'aux ames industrieuses d'en faire valoir les richesses. D'autres
avant Pythagore avoient entendu l'enclume
retentir sous les coups redoublés des forvu
b"erons ,' d'autres avant Galilée avoient
_
.
tomber des corps, mais aucun n'en aV OIt
conclu avant eux, les règles proportionnelles de l'harmonie, ou les lois de l a chûte
des corps.
Qu'importe il la gloire de Platon et
d 'Aristote, de Descartes , de Newton et
de L eibnitz, que !eurs disciples en développant l eur systême, l'aient enrichi de leurs
idées r en sont-ils moins les fondateurs des
écoles qui portent leur nom, et qu'ont-elles
gagné pour l a plupart à s'écarter des routes
qu'ils leur avoient tracées r Si leurs su ccesseurs se couvrent de nouveaux lauriers,
dans la même carrière , ils moissonnent
( 15 )
ce qu'un autre avoit semé. Ah! payons un
'uste tribut de louanges aux hommes labo)rieux et utiles qUl.preparent
,
1es matél'laux,
.
ainsi qu'aux disciples habiles qni snivent
o-lorieusem ent l es traces de leurs maîtres;
~ais gardons· nous bien de confOndre jamais Viette avec NeV\1:on, Pythagore avec
Lysis.
,
Oui, il existe d es hommes dont le gérue supérieur est la source m ère de nos l."~è~es •
comme il en est dont les ames pl'lvilég,ées
sond' exemplaire de toutes les vertus. Apprenons à connohre par ses effets, l'influence
qu'ils exercent Sur tout ce qui les entoure.
Et d'abord, si nous remontons le fleuve du
temps jusqu'à l'antiquité la plus reculée,
n'arrivons-nous pas dans toutes les contrées,
au souvenir d'un ou de plusieurs hommes
instituteurs ou législateurs des peu pies r L 'étabLissement des sociétés, l'origine des gouvernernens supposent partout l'ascendant du
petit nombre sur la multitude, e t quelquefois d'un Sur tous. Les fondateurs des polices
primitives , tirèrent de l a barbarie et de
l'ignorance les premiers hommes agrestes
et cruels. A leur voix, le feu du ciel descendit et vivifia leur ouvrage , la sensibilité
�( 16 )
respira d ans tou s l es cœu rs, lme lumière
dou ce éclair a tou s les esprits , une industrie
active mit en m ouvem en t t ou s les bras. Les
peuples qu 'ils avoien t ci \~isé s , su r pr is de
se trouver si supérieurs à eux -mêmes , les
r egardèr ent comme d es h ommes divins e t se
gl orifièr ent d'en descendre .
Si l es élé men s d ',m art en COre " rossier
"
,
ont souvent, d an s l' en fan ce des n a tions ,
d éterminé leurs mœurs, leur s h abitudes et
leurs lois , sach ons resp ec ter ces premier s
âges; n ou s n e vivon s que d e l eurs bienfaits.
Nous oublion s , au sein de nos sociétés vieillies, qu e les arts industrieux qui ont construit , p our ainsi dire , d ans l e monde d e la
n a ture , le m onde factice qu e n ou s h abit ons , sont fondés sur ces découvertes m é p risées qui furent le huit du génie , et
qu'wle vaine ignorance déd aigne . Ce sont,
en tous lieu x , l es constru ctions informes
d es hommes sauvages , qui on t servi de b ase
au x arts p erfectionnés; et l'Osiris qui fut
le véritable inventeur d e l a ch ar r u e , eilt ,
en d'au tres temps, plus fait pour la science,
et moins p our l'humanité .
Ainsi, dès ]' origine de l'histoire , au milieu
des ténèbres de la fa ble , n ou s trouvons la
preu ve
( 17 )
preu ve de l'influen ce de quelques hommes
éminens sur la multitude des hommes.
D escendons dans notre ame , elle r end
un é clatant témoignage à cette importante
vérité . U n p en ch ant d écidé pour l'imitation
l a domine d ès le ber ceau, e t devient l e principe actif qui h â te son développem ent. C'est
l'imitation qui donne cours aux inventions
util es: comm e ces canaux d 'arrosage qui, distribuant , en tou s lieu x , les eaux a bondantes
d 'un fleu ve fécondateur, font circuler avec
elles , la fertilité , qui le sui·t, l'imita tion prop age les vertus dans toutes les classes , et
rép and sur lUI p euple entier la b én édiction
quiles aocomp agne. L a providen ce , en n ou s
crém1t plus sen sibles que r aisonnables , n ou s
disp osoit à être gou vernés p ar d es exemples
plutôt que p ar d es préceptes. Que d eviend rions-nou s , si nous étions moins d ociles à
l'impression cle l' autorité? Au milieu d es
fatigu es et des distractions de la vie , que
saunons-nous, s'il nous faIloit tout d écouvrir ? Les grands h ommes sont pour nou s ,
d ans le m ond e mor al, ce que les hardis
~laviga teurs sont d m1s le monde physique ;
Ils nou s montrent l'é tenclue de n otre héritage ; et, p arcourant le vaste chrunp de la
B
�( 18 )
perfectibüité humaine, s'üs semblen~ n.ous
dire avec Alcide : Vous pouvez verur JUSqu'ici, ils nous laissent entrevoir qu'on peut
aller au-delà. L es doctrines d es moralistes
peuvent être belles; les bonnes actions sont
ainlables ; les actions sublimes reculent les
bornes de notre ame; elles nous revèlent
tout ce qui est entré de divin dan s notre
composition. L'exemple, armé d 'un pouvoir surnaturel, semble convaincre mon
ame pa, mes sens , et dompter mes sens par
mon ame ; il donne , pour ainsi-dire, aux
grandeurs morales, tille r éalité physique, et
sa magie change les cœurs en changeant les
habitudes. Il arme les passions contre les
passions, et une honte salutaire, une émulation douce et bienfaisante, deviennent le
sign al et l'occasion d' une r égénération morale.
Ce que les grands hommes ont pu par leur
exemple, durant leur vie, leur mémoire
le peut après leur mort. Leurs actions,
comme ces éclairs rapides qui percent toutà -coup l'obscurité d'une nuit profonde, et
qui, en fuyant révèlent au voyageur incertain sa route et ses péril s , produisent encore d'utiles effets lon g-temps après qu'elles
( 19 )
ne sont plus. Tandis que les superbes monu~
mens des arts, n'éternisent que nos regrets ,
l'histoire fait revivre les grands hommes tout
entiers. C'est un Élysée, où nous voyons agir
encore leurs ombres saintes, où nous les
entendons converser, d'où nous pouvons
les évoquer sans cesse. C'est l'histoire de la
patrie qui, peut-être, bien plus que les institutions , forme l'esprit et les mœurs des
peuples; et les grands écrivains, en faisant
é tinceler les cendres du passé, vivifient déjà
l'avenir. L 'histoire, d'abord consacrée à
perpétuer le souvenir de l'établissement des
religions et d es lois, devint bientôt leur unique base. Mais en conservant le texte des
sages maximes de l'antiquité , ell e l'enriclut d'un précieux commentaire d'exemples. Toutes les nations ont eu des temps
h éroïques , etla tradition fa buleuse des événemens de ces temps influe encore sur les
mœurs du nôtre. Plus on est fier de ses ancê tres , plus on craint de dégénérer. Les
Romains s'entouroient des images de leurs
p èr es; et ces dieux domestiques, qui étoient,
pour-ainsi-dire , l'lustoire en relief, maintenoient parmi eux les mœurs sévères
des premiers temps. C'est aussi l'intitation
B2
�( 20 )
des grands caractèr es que les grandes ames
se proposent pour m odèles. L 'Achille d 'Homère fut le véritable précepteur d 'Alexandre. L'aspect de la statue d'Alexandre donna
l'éveil au génie de César, et l'histoire d e sa
vie embrâsa l'rune de Charles X II. Le Cyrus
de Xénophon façonn a Scipion à l'exercice
d e toutes les vertus. Charl es-Quin t émuloit
Lonis XI, et Rich elieu ri valisoit avec Xim enès ( 1).
Mais ce ne sont p as seulement l es h ommes
vertueux qui influent sur leur siècle et sur
la postérité. A de certaines époques, notre
globe livré à l'empire des mauvais génies ,
semble m enacé d'une subversion totale.
(.1) No n seulement il l'im ita dans sa politique, en
régentant les princes, en abai ssanL les grands, en com- "
mandant des armées; mais encore il rele.ya IR. Sorbonne,
parce que le mini stre espagnol avoit fond é l'université
d'Alcala; il écrivit des ouvrages de pi été et de co ntro"erse, parce qu e Ximenès avoit composé des traités
de th éologie ; enfin il voulut persuader à l'imprim eur
Lejay de mettre son nom à la tête d'une bible qu'il
imprimait, parce que l'archevêqu e de T olède avo it
placé le sien à la tê te d'une Polyglotte. Voyez l'abbé
Lenglet Dufresnoy~ M éthode pour é tudier l'histoire,
tom e
I.
( 21 )
Mahomet paroit, et le monde r étr ograde.
La violence le précèd e , la fraud e l'accompagne et l a fa talité le suit. Il éteint dans des
flots de sang les lumières de l'orient qu'il
ravage. ProphètG! et tyran, il érige le d espotisme en r eligion, e t d étrnit la liberté de
l'homme, pour mieux anéantir cE\lIe du citoyen. Ce qu'il n'ose attendre de l a soumission, il le commande à la foi. Ses lieutenans ,
pontifes et généraux déchaînentles plus viles
passions pour enchaîner tous les peuples. La
volupté qui tue le courage endevientl'aiguillou chez ses soldats; et les. plus efféminés,
les plus indolens des hommes, bravent les
travaux et la mort par ardeur pour l'oisi-.
ve té et pour les plaisirs. Partout où cette
race barhare a porté ses pas , tout disparoit
après elle. Les monumens s'écro ulent, les
livres sont consumés , les villes d é truites, l es
ames avilies.. Ni les d escendans d es invincibl es Romains , ni ceux ù es Parthés indomptables, ne suffisent pour arrêter cette h orde
d'Arabes vagabonds . Ils ne rencontrent què
des hommes énervés par une longue civilisation, trop attachés à leurs j ouissanc~s
pour les défendre , redoutant trop le mal
l,our le prévenir, trop accoutumés à l a .s uc-
B3
�( ;2, )
cession méprisable des petites révolutions
du palais pour rien voir au-delà; égoïstes,
jaloux, divisés, n'ayant plus rien de commun que leurs vices, leur lâcheté et leur
-<létresse. Le fléau dévastateur frappa la moitié de l'Asie.
Bientôt., cette Égypte, toujours célèbre
-dans les annales du mORde, qui l'éclaira
dès sa naissance, le conquit sous Sésostris,
brilla sous Alexandre et ses successeurs,
maintint son indépeJ:J.dance aussi long-temps
que Rome sa liberté, et conserva son lust re
et sa gloire sous les Césars; cette Égypte,
dont les beaux jours s'étoient écoulés, devintJa proie des farouches Musulmans, et
ses ruines attestent leurs ravages. L'Afl'ique
éprouva bientôt le même sort. La mer n' étoit
plus qu'une vaine barrière. L'Espagne avoit
subi le joug. Les Pyrénées étoient franchies_
Cen étoit fait de l'Europe, lor.squ'un prince
d'Austrasie se rencontra. Charles déploye
contre l'ennemi commun, ce génie ;vaste et
entreprenant , l'ame de l'empire français. JI
rassemble ses compatriotes, les anime de son
courage, défiüt les Arabes SQUS les murs de
Tours, et acquiert le glorieux surnom de
Martel.
( 23 )
Ainsi fut préservée l'Europe méridionale
de cette terrible révolution qui menaçoit à
la fois sa religion, ses lois et ses mœurs, ct
qui pèse depuis plus de mill e ans sur l'Afrique et sur l'Asie. Telle fut alors l'influence
de deux hommes sur le genre humain. Un
marchand de chameaux des environs de
Médine, donne du fond de l'Arabie, une
impulsion nouvelle aux opinions et aux
choses. Des sociétés policées, florissantes,
aussi anciennes que le monde, sont bouleversées; et le chef d'un petit district des
Gaules, dont les ancêtres sortent à peine
des forêts de la Germanie, oppose une digue
au torrent, et soutient seul l'uni vers qui
çhanceHe.
Mais' n'attribuons pas tou t aux h01nmes.
Ne semble-t-il pas qu'à ces époques désastreuses, et lorsqu'un déluge de sang vient
peut -être régénérer l'univers, un Dandeau
fatal couvre tous les yeux? Ne semble-t-il
pas que toute l'énergie soit du côté des assail·
lans, tandis que les peuples attaqués ne leur
opposent qu'une masse inerte d'hommes
sans chefs, et dont toutes les ames semblent rabaissées au même niveau?
Eh! que l'on n'en cherche point la cause
B4
�( 24)
dans une tyrannique nécessité, que l'on Il'accuse point la providence de tout sacrifier à
ses mystérieux desseins! Les progrès du
commerce et du l uxe confondent les classes,
amollissent les individus, procurent aux l'Îchesses la considération qui n'est due qu'aux
vertu s. Alors l'égoisme isole toutes les ames
et déssèche tous les cœurs. Une éùucation
corruptrice détruit l'homme dans l'enfant
même. Semblable à une terre inondée pal'
le ruisseau qui l'arrosoit et qui se change
en un marais infect, où ne croissent désormais que des plantes aqueuses et sans vertu;
la société trop perfectionnée ne produit plus
de ces ames élevées, de ces caractères énergiques qui en étoientles orne mens etles soutiens. Si quelques-uns encore échappés à la
corruption générale, viennent au secours
de la patrie défaillante, hais de ceu x qu'on
appelle les bons, qu'ils inculpent par leur
exemple, ermemis nés des méchans dont ils
déjouent les complots, ils périssent ab andOlmés de tous. Ainsi fut condamné au nom
de la patrie qu'il voulut sauver, ce noble
Phocion, le dernier et peut-être l'un des
plus grands hommes d'Athènes. Ainsi p érit
à la fleur de son âge, le vertueux Agis, cou-
( z5 )
pable d'avoir voulu rendre à Lacédémone
son antique splendeur et sa première austérité. Ainsi l'on vitl'inflexible Caton forcé de
s'arracher la vie , pour avoir seul osé défendre la liberté contre César et la fortune.
Mais la mesure est comblée lorsque le
sang des justes a coulé. S'il se trouve des
libérateurs pour les nations asservies, qui,
sous le joug de l'esclavage, nourrissent des
vertus dignes de la liberté; pour l es nations
corrompues qui, sous le semblant d'une
vaine indépendance, ne recèlent que des
cœurs serviles et dépravés, il ne reste que
des tyrans. C'est alors que les Attila, les
Tamerlan, les Aureng-Zeb viennent châtier
l es peuples, et partout où la corruption
étendit ses progrès, ils étendent leurs conquêtes. Telle on voit la flamme rapide couvrir soudain de ses ardens tourbillons un
édifi ce dès Ion g - temps dévoré par '-m fim
caché; tels dans les grandes crises du monde,
ces hommes qui n'ont que le génie de b. tyrannie et de la dévastation, manifestent l'incendie et consomment l'embrâsement. Le
mal qu'ils font éclater n'est point leur ouvrage, et souvent ils
arissent les sources.
Ils profitent de la mollesse de leurs contem-
�( 26 )
porains ; et ils usent de toute la violence
des passions déchaînées pour conduire des
llOIlllllCS qui méconnoissent l'empire de la
vertu.
Il est des ambitieux qui secouent les peupIes, sans avoir les moyens de les subjuguer,
ni des intentions assez pures pour les servir.
Les grands hommes font naître les circonstances, ou savent les maîtriser; ceux - ci
naissent, pour ainsi dire, des circonstances
mêmes. Leur cœur n 'est point au niveau de
leur esprit, et une infatigable activité les
porte sans discernement vers tout ce qui
tend à le'!r but. Souvent ils font faire aux
talens une honteuse alliance avec les vices;
quelquefois même ils ont recours aux crimes,
toujours employant les basses menées de
l'intrigue, ils rampent pour s'élever. L'avenir n'est rien à leurs yeux; ce sont les matérialistes de la gloire. Heureux encore si
1'ambition n'est point chez eux, la lâche
auxiliaire de passions plus brutales ou plus
viles! comme ces insectes allés qui nés au
sein de la corruption, s'en nourissent et
l'accroissent, ils entretiennent et perpétuent
le mal moral ou p . 'que qui devint l'occasion de leur grandeur. Leur langage etleur
( 27 )
conduite d.iftërent selon l'esprit du temps et
celui des hommes. La perte de la considé,
ration publique, suit toujours pOUT eux oelle
-de la vie et souvent elle la précède. Mais
leur nuisible influence, comme le venin
subtil d'un philtre empoisonné, circule ra.pidement dans tout le corps politiqu.e, en
cléprave Les organes et en précipite la destruction.
A force d 'amabilité et de licence, Alcibiade s'empara du gouvernement d'Athènes,
et l'entraîna dans sa chute. En rompant, à
son exemple, le frein salutaire des mœurs,
les Athéniens forgèrent les fers dont les
trente tyrans les accablèrent. Antoine élo_quent, valeureux et dissolu, crut régner en
se donnant un mattre , et gouverner Rome
-en proscri vaut les Romains, il périt, et sa
mort consolida leur asservissement. De Retz
qui n'avoit que de petits moyens, et qui ne
'Vouloit faire que de petites choses, confondit
si bien les affaires et les idées, que Turenne
et Condé furent tour-à-tour rebelles sans
honte et fidèles sans gloire. Il acq1.ùt aux
remmes et aux intrigues une prépondérance
inconnue jusqu'alors, et passa le reste de
sa vie oublié des unes et étranger aux autr,:s.
Albéroni, esprit souple et remuant, entre-
�( 28 )
1)]'enant et r omanesque, prétendit à la foù;
d étrôner le roi d'Angleterre, bouleverser la
l' rance, rétablir les affiùres de la Suède et
conquérir l'Italie, il ne r éu ssit qu'à compromettre l'Espagne. Il peJ'ditle ministère qu'il
devoit à la faveur, et se consola d e la tranquillité de l'Europe en u surpant au nom du
Pape son nouveau mahre, le p etit territoire
de Saint-Marin.
Faudroit-il parler d e l'influen ce de ces
monstres dont le nom seul déshonore l 'humanité? La terreur qui fonda leur empire
en sape les fondemens; car la terreur qui
fait p eser sur chaque instant d e la vie, le
sentiment de tous les maux, est eUe-même le
mal le plus insupportable. Elle est l e terme
fatal où finit la patience et commence le
désespoir. Elle fait é clater enfin une conspiration universelle, dans laquell e l'égoisme
même concourt au salut commun e t l'im moralité au r établissement d es m œurs . Phalaris et Néron ont reçu le prix de leurs
forfaits .
Dans ce premier moment d'une délivr ance
inattendue, une inspiration divine semble
animer la multitude et purifier toutes les
ames . T ous les vœux sont pour le bonheur
commun ; on n'invoque plus que la paix, la
( 29 )
.
jusLice et la bienlaisance; on rompt .les !tens
de ses habitudes; on s'arrache à sm-même ;
on est transporté dans un meilleur siècle.
Thébes secouant le joug de ses tyrans , fit
trembler La cédémone. La Suède brisant le
sceptre sanglant de Christiern II, obtint un
rang distingué p armi les puissances de l'Europe. La Hollande renversant les échafauds
qu'avoit dressé le duc d 'Albe, conquit son
indépendance e tle commerce du monde. A
la mort de Caligula on vit refleurir !a libe:té
romaine; et, si j'ose rappeler cet exemple
encore r écent, à la chute de Robespierre,
la France s'embla rena1tre à l a nature et à
elle - même. On se félicitoit sans se con noltre; une confiance sans bornesremplaçoit
une d éfianc e sans bornes. Si l'on r efu soit
auparavant des larmes à la pitié , alors
tous les visages étoient baignés de pleurs
d e tendresse. La d élivrance de chaque infortuné retentissoit dans le peuple entier,
comme dans une seule famille. Une sorte
d' en chantement d éroboit à tous les regards
J'avenir et le passé. On ne vivoit que pour
s'abandonner aux élans spontanés d'une
sensibilité comprimée naguère jusqu'à l'anéantissement, et cette jouissance si vive
sembloit ne devoir jamais finir. Tout ce qui
�( 30 )
étoit bon, tout ce qui étoitmoral, tout ce qui
étoit religieux étoit accueilli avec ivresse.
Les lielL't publics retentissoient des sermens
volontaires et sacrés par lesquels on s'engageoitlibrementà prévenir de toutes ses forces
le rétablissement d'une tyrannie aussi avilissante que sanguinaire . L'injustice et l'oppression sembloient bannies du sol françois.
Qu'il seroit à desirer que les salutaires
effets que produisent ces grandes secousses,
fussent également durables chez tous les
peuples qui les éprouvent! Mais chez ceux
dont le luxe et la corruption ont dénaturé
le caractère, ces accès d'enthousiasme pour
le bien, fruits de l'irritation d'une crise
violente, ressemblent à cette vive lumière
que jette avant de s'éteindre un flambeau
déjà consumé. Le renversement d'un tyran
n 'est plus que le signal de l'élévation d'un
autre .. La corruption du gouvernement a
consommé la corruption des mœurs. L es
idées , le gol'tt, le sentiment, tout s'est altéré. Il ne reste plus rien d'humain dans
l'homme; et la nature est bannie de la
société. Mais, par une effrayante réaction,
les despotes sont à leur tour les jouets de
leurs esclaves. Leurs cadavres défigurés deviennent les marches sanglantes du trône
( 31 )
de leurs successeurs. Les malheurs de la
nation qu'ils oppriment, appellent de nouveaux malheurs. Plus les forces de l'État
s'épuisent, plus les convulsions qui le déchirent, deviennent insupportables; il se
démembre, il va se dissoudre, si le génie
secourable d'un libérateur n'en rassemble
les débris épars, et ne lui prépare, sous une
forme nouvelle, de nouvelles destinées.
Telle est la remarquable influence de ces
farouches dominateurs; ils raniment par
leurs excès, les vertus des peuples qu'ils oppriment, ou sont eux-mêmes les victimes
des passions qu'ils excitent et de l'esprit
qu'ils propagent. Leurs traits conservés par
J'histoire,épouvantentla postérité et "lacent
d'effroi jusqu'à leurs imitateurs. C~ n'est
point le nom fameux du féroce MallOmet II
que le.s sultans d'Asie, si prodigues du sang
humam, associent à leurs noms redoutés
,
'
c es t celui du respectable Caagon (1) , dont
(J) Le nom de ce roi de la Chine, que les rois de
1" Orient ajoutent
.
:\ leu r nom, comme les empereurs ro-
mains se faisoient appeler Césars, a encore en persan la
même signification qu'Auguste en françois; car lorsque
l es Persans veulent exprimer quelque chose de grand et
de roy.1 , ils disent Caagonié. Voy. Chardin, Voyages
en Perse J tome 1.
�( 32 )
la justice et les vertus p acifiques sont en
vénération dans tout l'Orient. La vertu ne
perd jamais ses droits , le crime d ésintér essé lui rend hommage , et le souvenir
exécré des tyrans devient le gage d e la modération des rois, e t l'égide de la liberté
publique.
On accuse l' lù stoire de n e retracer à nos
yeux que l 'o dieux sp ectacle de nos vices et
de DOS fureurs . Mais ce que les hommes
oublient le plus facilemen t , c'est l 'imp erfection de leur nature . L 'lùstoire doit les
y ramener sans cesse. Elle les montre irrécon ciliables ennemis du rep os et du bonhe ur, et lâch es esclaves d'un orgueil incommensurable qui aspire ·à tout usurper, ou
à tout détruire. Au milieu des ténè bres du
polythéisme, les Ath éniens incertains dressèrent un autel au dieu in connu; à l'aspect des forfaits qui souillent les annales du
monde, l'homme sensible dédie un temple
a u x vertus modestes et ignorées. Si les vertus obscures n 'ont p as le droit de servir
d 'exemple à la posté rité, ell es sont l'armure
invisible qui préserve le genre humain. Les
bonnes actions isolées , semblables à ces
p étillantes étincelles qui attestent l a présen ce
( 33 )
sence d'url fluide mystérieux, son t au tànt
de preuves éclatantes que le souffle divin
ne s'est point enfui du milieu des hommes.
Ce n 'es t pas seul e ment une r écapitulation
de crimes que J'histoire nous présente, c 'est
surtont l'utile tableau des calamités qui les
sui l'ent ; et les leçons du malheur ont un
caractère de force et d 'univer salité qui leur
est propre. Diffër entes cau ses concouren t
à n e rendre un p euple illustre que l orsqu'il
comm en ce à s'agiter et à se corrompre. Cousolons-nou s d e cette appar ente fa talité qui,.
loin de ca lomn ier la nature hum ain e, contribue à son amélioration. L es cœurs d é _praYés dédaign ent l 'innocente félicité de la
vertu . L es hommes qui ch erchent t ous le
bonheur s'accord ent mal sur J'objet de leurs
poursuites, et la p einture de SOh inaltérable ~nilormi té , n e seroit pour l a plupart
que l'Im age de l'imm obile n éant. Mais tous
r edoutent également ce qui fait souffr ir ou
périr, et la voix d'un instinct commun nous
en seigne à fuir le mal , avant de DOUS en gager à la · recherche du bien. Ne reprochons don c plus à l'histoire de s'appesantir
sur les mau x et de garder l e silence Sur les
temps prospères et h eureux. Si, dérou lant
C
•
�(34)
( 35 )
les complots anciens, elle fournit des plans
aux conspirateurs à venir, elle apprend aux.
bons à les déjouer. Chaque catastrophe funeste devient une grande instruction; et,
si d'atroces exemples fournissent quelques
conseils à des scélérats déjà formés, ch aque
"rand et sublime caractère suscite une gé"nération entière de caractères vertueux.
Non, généreux Epaminondas, les victoires
de Leuctres et de Mantinée ne sont point
t a seule postérité; tous ceux qui, remplis
d'admiration pour ta vie h éroïque, se sont
élancés sur tes traces; tous ceux qui, saisis
de respect pour ta mémoire inspiratrice,
se sont proposés tes travaux et tes vertus
pour modèles, sont encore tes enfans et ta
gloire!
L 'influence qu e les hommes illustres, les
hommes célèbres et les grands hommes doivent à leur supériorité, se modifie d e mille
manières, suivant les circonstances. Parmi
ceux qui ne tiennent que d'eux-mêmes l'importante mission de diriger l eurs semblables, les uns r éforment le cœur humain
par la sainteté de leurs mœurs et leur douce
éloquence; d'autres sauvent les p euples par
leur valeur, ou les délivrent par leur cou-
rage . Il en est enlin qui frayent d e nouvelles routes à l'intelligence et à l'industrie. Mais il est réservé à cellX que l e hasard
place sur le trône ou associe 'à l'autorité,
de prêter à l'influence salutaire de leurs
grandes qualités, Jo. sanction puissante d es
institutions et des lois.
Parcourons rapidement les faste s du genre
ilUmain. En proie aux épaisses ténè bres de
l'erreur et aux saillies tumultueuses des
passions, il semble se d ébattre vainement
<lans le sombré abime du .chaos. Tout-àcoup des hommes extraordinaires s'élèvent,
e t l'a lumière luit sur quelques contrées . C'est
-ainsi q"-e P ythagor e r éfléclùt sur la Grèce
e t sur l 'Italie, le jour qui commen çoit à
poindre dans l'Orient. Il rendit aux Crotoniates leur antique discipline, aux villes de
Sicile leur ail tique liberté . Archytas , Zamolxis, Charondas, Zaleucus, sor tis d e
~on école, appelés 2t donner d es lois iL leur
l)atrie , p r opagèrent ses sages m aximes et
iondèrent d'utiles inslitutions. Son disciple
~ysis, devenu le maître d'Epaminondas,
prépara les beaux jours de Thèb es . Empédocle, Tim ée, Epicharme, proclamèren t
~ a doctrine; et sa doctrine fut, pendant
C2
�( 36 )
long-temps, la seule lUorale de plusieurs
peuples de l'occident. Enfm Pythagore alluma le flambeau qui éclaira dans la suite
Socrate et Platon.
Une si grande révolution opérée fit croire
à quelques-uns d'entre l es anciens, qu'il
exerçoit un pouvoir mystérieux et surnaturel sur les esprits et sur les cœurs. C'est
<Iue le spectacle de sa piété sublime, remplissoit toutes les ames d'un saisissem ent
involontaire, et que ce fi'ont vénérable in~
cliné devant l'Eternel se couronnoit d'un
rayon de la majesté divine. C'est que le
tendre époux, le bon père, le disciple reconnoissant, le maitre affectueux, l'ami
constant, le vrai citoyen, l'homme sensible,
commandoient encore l' amour après 'avoir
forcé au respect; c'est que sa fidélité ne
connoissoit point de borI\es, et sa justice
point d'é cueils; c'est que la pudeur sévère
qui sanctifie toutes les actions, l a sobriété
préservatrice de la raison et des mœurs le
silence ami du sérieux et du recueilleme~t
l'environnoient sans cesse comme un cor:
tège, et communiquoient à tou tes ses démarches, une grace qui prévient et une aravité qui en imp ose; c'est enfin qu'un génie
(37 )
inventeur et une science profonde sembloient lui découvrir les secrets de la nature
et le rapprocher de la Divinité.
Telle est sur les hommes la force de la
vérité et l'ascendant de la vertu. Chassé de
Samos par un tyran, banni de Crotone par
des factieux, éloigné de Locres , poursuivi
dans Tarente, massacré par la populace à
M étapont, Pythagore fut révéré comme
un dieu par la postérité. Pour justiLier un
dogme aux yeux des Pythagoriciens, il suffisoit de répondre: il L'a dit. Long-temps
après sa mort, les Romains lui élevèrent
une statue de bron,\e , comme au pl)ls sqge
des G~~cs . Isocrate disoit encore, du temps
de Phil.'P.pe; n~us admirons plus un PythagOrlC,en, meme quand il se tait, que
les plus éloquens, quand ils parlent.
~ans ce temps-là Socrate parut. Platon,
ArIstote et Xénophon furent ses disciples.
:out ce que l'homme peut apprendre à
l homme sur sa nature, sur ses droits sur
·ses devoirs, l'école de Socrate l'apprit au
monde. Les vils calculs de l'utilité abrutissoient toutes l es ames, à sa voix, elles prirent un nouvel eSsor et s'élancèrent vers
l'honnête. Cette tranquille résignation, ce
C3
�( 3&)
détaChement absolu, ce mépris de la Inort,
ou plutôt de la vie, que l es rigides Stoïciens
r édlùsirent en m aximes , Socrate les avoit
pratiqués . Jusqu'au christianisme, rien de
plus parfait ne devoit concourir au bonheur
du genre humain; et l'OUI' qu'il participât
tout entier à ce grand bienfait, Alexandre
ne Vint qu'après Socra,te. La langne d'un
petit p euple européen pénétra jusqu'au
golfe persique , et , n atllTa lisée sous tous
les climats, naturalisa partout la saine morale. C'ésr ainsl que les con qu érans , sembl a bles à ces vents impétueux qui jettent au
loin d'utill!s semences , répandent parfois
aù sein de la destruction même, des germes
d'actiVIté et de d ével opp ement qui pompen- "sent les m au x qu'ils ont fa its :
Cependant il existoit au fond de l'Asie,
un peuple séparé de tous les p euples. Une
tradition fldeHe et pure y conserva durant
long-temps, la pra tique et les dogmes de
l a religion naturelle. Mais l'intérêt f l'ambition et 1a sensualité, tristes fruits 'des pro"
grès briUans et r apides de la socillté, obsL
curcissen t bientôt les vérités l es plus ûaires
et dénaturen t les sentimens les plus, purs.
On ne voyoit plus :lIa Chine que de peti tes
(39 )
peuplades d ésunies et rivales, ne fond ant
leur repos mutuel que sur la corruption
universelle. Confucius , comme un autre
Socrate, vint y rétablir la morale; et quel
homme exerça jamais sur un peuple une
plus puissante influence? Sa sagesse se manifesta dès son enfance. Sa vie entière fut
consacrée au bonheur des homm es. Premier mandarin du roi de Lou, il eut, en
moins de trois mois, régénéré ses peuples et
sa cour. Errant e t persécuté, il ne déploroit
que l'aveuglement et l'infortune de ses perBécu teurs acharnés. Passionné pour la vérité , souvent il résolut de passer la mer pour
faire r ejaillir sur le reste du monde, ce tte
lumière qui luisoit en lui. Plus d e trois mille
disciples s'attachèrent à ses pas; il en dispersa cinq cents sur tous les points de l'em,.
pire. Ils étoient chargés d'annoncer que,
pour rendre à sa beauté primitive la nature
humaine dégradée par la violence des passions ) il filloit obéir au ciel , aimer l es
hommes, et se confo1'mer aux préceptes de
la raison. Cette doctrine, deux mi:lle ans
aprèssa mort, est l'unique morale du peuple
chinois, l a seule religion des lettrés et l a
raison publique de l'empire. -Après le Dieu
C{
�( 40 )
du ciel, au-dessus de l'empereur père, on
place le maître des mœurs. On lui a cons.
truit des temples, et sa m émoire est l'objet
d'un culte particulier. Mais, au sein des égaremens monstnleux de l'idolâtrie, son Ombre immortelle préserve son tombeau de
l 'outrage d 'une criminell e adoration. Elle
plane sur tout l'empire, e t l'anime comme
un vaste corps. A son inspiration, des mollumens publics couronnent des vertus privées, et le langage muet et persuasif des
signes, reproduit sous toutes les formes les
pl'incipes sacrés de la morale. Enfin Con_
fucius semble avoir scellé le livre des destinées de la Chine, et nul n'a osé, après
lui, porter à SOn ouvrage une main hardie.
Lorsque les temps furent accomplis, la religion chrétienne vint consoler et sanctifier
la terre. Parmi les moyens humains (lui concoururent à sou établissement, il faut placer
au premier rang l'influence de ces illustres
personnages qui décorèrent l'église par leurs
vertus, et méritèrent de gouverner l es peuples pal' leur sagesse. Les annales du christianisme sont pleines des grandes choses qu'a
produit l'imitation de ces grands modèles.
Les barbares même et les infidèles cédèr~Pt
( 41 )
. . n' ble de lo.ur
à l'ascen d ant .
lrreSiS
,. caractère
sim ple et sublime. On vit Genseric irrité,
marchant sur Rome à la tête des Vandales,
pour en exterminer les habitans, se laisser
fléchir par le vénérable Léon, et la horde
entière s'abstenir du meurtre et de l'incendie . On vitlefitrouc he Totila ne se présenter
cr u' en trem bl ant dans l'humble oell ul~ du
solitaire Benoit; le paisible vieillard lUi reprocha ses crimes, et le tyran l'écouta s~s
impatience; il sortit pénétré d'une religieuse émotion, sans moins de vices peutêtre, mais avec plus de remords. On a vu
dans tous les siècles, des hommes de oharité
et de miséricorde, tels que Hugues de
Lincoln, modérer les princes dans l'exercice
de leur pouvoir; ramener les chré~ens,
comme Am broise, à cet esprit de douceur,
d'union et de patience, véritable esprit de
l'évalHrile . braver les fléaux, en arrêter les
ravages "et en adoucir les horreurs, conlme
Charles Borromée; enfin par un d évouement ans bornes se consacrer au soulagement de l'humanité souffrante, il la répa~a
tion des suites affreuses du libertinage et du
vice, à la guérison d e toutes les playes d e
la nature et de la société, comme le céleste
" ,
�( 42
)
Vincent de Paule. Ah! les œuvres de sa piété
subsistoient encore au milieu de nous; esda ves volontaires de la c harité, ses enfans
selon le seigneur tendoient à la triste infortune, leurs bras fratennels. L'autel propitiatoire énoit au milieu du peuple ; la pureté,
le désintéressement, la·tendre humanité, y
oŒroiep.t un perpétuel sacrifice d'expiation,
et la foudre vengeresse étoit suspendue!
Notre siècle si fier de ses progrès et de ses
conquêtes en tout genre, regarde comme un
de ses plus pvécieux avantages, cet esprit
de tolérance universelle qui seml)le s'être
propagé dans tous les états. La grande révo,
IUt\on religieuse qui s'opéra en Europe vers
Je milieu 'd u quinzième siécle , en rallumant
pou'rlmtempsles bûchers de la persécution,
préparoit leunextin cùcm totale. Lcs hommes
divisés par les dogllles de lareJigion devoien1;
sans cesse être rapprochés par Jes diverses
combinaisons de la politique, Jes clulllces du
commerce et les orages de la société . Désabusés de leurs préjugés hainelU par j'expérience et réunis par l a nécessité, il s ont eulin
oublié dans l'usage de la vie ce que leurs
opinions ont de di,'ers, pour ne se souvenir
que de ce qu'elles ont de cOlUorme.
( 43")
Cependant deux hommes ' de, ~r~1an~e
différente, onn puissamment.accelere la fin
du règne de l'intolérance. L 'un d'eux fpt ce
Guillaume Penn qui à. la
du siècle dernier,
alla fonder dans les forêts de l'Amérique
septentrionale une république qui fleurit de
nos jours. Il commença par traiter comme
des hOlnmes, ces indigènes infortunés que
l'on ravaloit au-dessous des brutes. ll à.ch.et.a
d'eux les terres qu'il prétendit posséd er; il
d éfendit de les troubler dans leurs.cltasses, de
l es corrompre ou de les tromper.llacco:rda
à ses colon s la liberté religieuse la plus illimitée. Il suffisoit de' crpive en Dieu pour
être tolé\:é ; il suffis oit d'être chréllÎ.9p3pour
parvenir am.: magistrat~e;s. Du .fond de
l'Irlande et de la Suèdw, 'de da 'Rolande; dl!
l'Allema!TRe
ct de la flihl=de , on accourut
h
vers cetteJtetrê,èCasyle. La Caroline, la V~roO'inie et le Màssach<nset imi.tèrent bienOOtoet
utile exemple . L'Europe eR ressentit la réaction salutaire, et 1'·Amérique à qui ell e devoit tant de fléaux , lui donna cette fuis des
leçons de philantropie.
A-peu-près à. la même épGque, UR évêque
fra.nçais respecté des étrangers qui révél'oient en lui l 'ami de i'humanité, plus grand
nn
�( 44 )
encore, s'il est possible, par son humilité
que par ses talens; qui, dans un temps
d 'injustice et de violence, ne fandale succès
,de ses missions que SlU l'a utorité d e l'évangile e t la force de la persuasion; l'instituteur
et l'ami d'un jeune prince en qui la France
vit p érir toutes ses espérances; Fénélon, en
un mot, prêchoit la re~igion en esprit et
en vérité. La conversion du cœur étoit l'uruq'Ue objet de ses souhaits e t l'unique but
d e ses travaux. Selon lui c'était empiéter
SU!l' les droits de Dieu même \lue de pré~endre exe:cer sur les consciences l'empire
mcommurucable qu'il s'est r éservé . La violenceproduiû~pocrisie, jamais elle ne com.
mande l'amo=, et la r eligion ne consiste
q~~ dans_ce culte du cœtu , qui seul peut
vlvlfier les signes' sensibles et l es secours
-salutaires qu.e nous ménage l e culte extél'ieur, pour soulager nQtre faiblesse , nourrir no~re piété et nous retenir ,dans l'ordre
l'union et l'obéissa nce. Si le Duc d e Bou r.'
gogne eût vécu, l'âme aimante de Fénélon
eût. peut-être changé la face d e l'Europe
entIère. Son T élémaque eut ull e grand e infi uence Sur les affaires e t su r ies esprits. En
France , les parl emens opposoient ses maxi-
( 45 )
mes aux édits des rois. Partout il répandit
un esprit de mod~ration et de r éforme qui
adoucit toutes les mesures, et tourna toutes
les pensées vers un plan d 'amélioration géu érale .
Mais dans toutes les classes et dans toutes
les professions , on compte d es hommes vertueux qui réagissent sur la postérité. N'en
doutons p oint, Châtillon, Duguesclin.
Bayard, Montmorency, Turenne , ont maintenu parmi nous lafai, la bravoure, la franchise et l'honneur . Les noms de Hampden >
Clarendon, Falkland e t Strafford r appellent au x Angloisla sagesse etle zèle , l'amour
de la liberté et la h rune de la licence. Les
h éros de Morgarten avoient inspiré aux
Suisses leurs descend ans , ce courage calme
et ce tte intrépidité invincible, qui leur permirent quelquefois de laisser échapper la
victoire quand ils étoient las de vaincre.
m ais jama.is d'ê tre vaincus. C'est ainsi que
quelques hommes , riches en verlus, ornés
d e prudence , épris avec ardeur de la véritable beauté , ont acquis Sur l es peuples
une bienfaisante autorité qui se perpétlJ.e
,
cl "age en age.
Au milieu des secousses violentes d'un
�( 46 )
tremblement de terre impétuetp:, un athl ète renommé soutint, dit - on, un édifice
chancelant, et sauva par sa vigueur ceux
que menaçaient ses ruines; lorsque le m onde
.politique ébranlé jusque dans ses fondemens
semble prêt à se dissoudre, des âmes d'une
·trem})e forte et d',m courage intrépide vienn ent l'affermi.r sur sa base, et conjurer la
tempête.
L'époque où la puissance royale, journellement accrue des débris de la féodalité
expirante, se saisissait du maniment des af·faires, et s'arrogeait la souveraineté sans
partage, devint celle d'un péril imminent '
pour toute l'Europe. L'autorité qui se déplaçait, n'appartenait· à personne; les sei gneurs nela possédaient plus ;les monarques
·ne la possédaient point encore . L'esprit de
chevalerie s'éteignait; l 'esprit de controverse ne faisoit que de nahre et déjà le sang
couloit pour des querelles religieuses. Chaque' ville avait son prince; chaque famille
noble, son chef; et il y avait autan t d'intérêts divers que de chefs et de princes. Cependant l'Europe qui, deux siècles auparavant,
se précipitait sur l'Asie, semblait à son tour
livrée sans défense aux Asiatiques qui l'en-
1
C 47 )
ahissoient. Les Turcs, après avoit secoué
le joug des Arabes et renversé leur empire,
après avoir rendu les chrétie~s d'Asie, e~cla
ves ou tributaires, menaçOlent à la fOlS la
Grèce, Venise e t la Hongrie. Une suite de
sultans éclairés avaient p erfectionné l eur police et leur discipline; leurs fortifications servoient de modèle aux Européens; leurs machines de gu erre les glaçoient d 'effroi; leur
tactique étoit supéri.eure et leur courage indomptable. La bataille de Nicopolis auroit
dû révéler IL l'Europe toute l'étendue de ses
dangers; mais c'était vainement que le pape
sans autorité appeloit les chrétiens désunis
au secours de la chrétienté; personne ne
voulait sacrifier l'honneur du commandement àla gloire de J'obéissance. L'empereur
étoit sans pouvoir; l 'Angleterre et la France
ne posoien t plus les armes depuis longtemps; l'Espagne était divisée; la Bohême
éta it en feu; la Prusse épuisée ou mécontente; l'Ecosse rebelle; le Danemarck aux
prises avec l a Suède, et peu sûr de l a N orvvège. La Pologne et la Hongrie, exposées
aux premières attaques, fu;.ent les seules à
prendre les annes ; mais leu rs guerrie'rs indisciplinés, aussi incapables de subordination que de lâcheté, connoissoient d'autant
�( 48 )
{ 49 )
moins de frein, que l'autorité royale étoit
chez eux bornée par plus de limites.
C'eu étoit don c fait du monde chrétien et
tout eflt cédé au génie d 'Amurat, de MallOmet et de Soliman, si Huniades et Scanderb eg n 'eussent mis un terme àleurs succès.
Huniacles d'une origine obscure, s'étoit fait
connohre en Italie, sous Je nom du Ch evalier
'blanc de. Valachie. Vainqueur des Turcs en
Hongrie, il mérita le titre et l'office de Va.lvode de TransilvaJùe. Après la mor t ü 'Uladis las , il fut choisi pour administrateur du
Toyaume, etun règne de dou ze an s, au milieu
des troubles de toutes espèces et de guerres
continuelles, dépose en Iayeur de son génie ,
autant que de sa valeur. Partout où il ne
d éfit pas les Turcs, il balança leur fortune;
jamais il ne les perdit de vue . Ass aillant s'il
n'étoit assailli; vainqueur ou "aincu également redoutable; il sauva par sa mort la
Hongrie, l'Allemagne et l'Itnlie, en ferçant
Mahomet II de lever le siége de Bel grad e .
Une fête(l) fut insitÎtuée pour éterniser la
mèmorre de cet exploit, on célébraàes pdères
p ubliques pour déplorer sa mort glorieuse;
mais l'Europe ne demeuroit pas sans défèmseur, Seanderbeg viv·oit. encore. Fils d 'un
petit prince d'Epire nommé Jean Gastriot,
livré aux Turcs en ~tage d.aJls son enfance'
,
'
élevé par Amurat II, Scanderbeg avoit
servi sous lui. et s'~toit avancé ùans J'armée
parsa v ail lance. Le despott:l!ie Servie, les em.
pereurs grecs eUes pdnces asiatiques a voient
fait la funeste épreu.ve qu'oen traitant avec
l~s Turcs, on alloitau.devant de tout ce que
l'esclavage.a de plus révoltant et la conquête
d e plus affreux. Toutefuis la litche indolence
des cours , fertile en illusions, cherchoit des
crilUes.alUi m~heurellX, etgoiltoit sous cette
barbare garantie, une ckngereuse sécurité.
Le déplûTable prince d~Epii'e devint la triste
victime de cette crueHe expérience. A sa
mort Scarul.erbeg réso1UJ: de secouer le jon
et de délivrer s.a patrie. Il entraîne l'armé~
uttomane dans sa fuite, se fuit livrer Croie
capitale de l'Epi-re
et de l'IU"rl'
cl e'1'Ivre ces'
•
'
J
O"
(1) La fè le de
la Transfigurati on, ins litu ée Pannée
il e la prÎse de Belgrad e) fnt pl ncée le 6 Aoùt t en mc5moire de ce t heu re ux é vé neme nt . Voyez la contin uat ion
de FleUl-y , Ris t. eccles ias t. T o rn . 23.
Inémoire
6
p~ovinoes e~ un mois, en .assemble les prin-
rç'paux
habItans et leur fait conclure
une
'gue dont il est déclaré le chef. Venise 1
. d'A
, e
ra} ~rragon , le pape, le roi de Hongrie ~
D
�( 50 )
le duc de Bourgogne, le fëlicitent et le secourent. Le roi de Cappadoce, l'empereur
de Trébisonde et le sultan de Caramanie
lui proposent une utile diversion Sur les
bords de la mer Noire. Mais les défiances et
les dissentions se réveillent en Europe. Scanderbeg est forcé de conclure une trève:
Trébisonde et 10. Paphagonie passent sous le
joug. Durant vingt-trois ans, avec quin~e ou
vingt mille hommes , Scanderbeg soutmt le
choc de tout l'empire oL1:0man. L es plus
braves aventuriers de France et d'Allemane étoient accourus sous ses drapeaux. Ses
se croyoient
sous s.a
conduite et en avoient convamcu 1 elmeml.
Habile à tirer parti d'un pays de montagnes, il distribuoit la nation entière dans
tous ses postes. D es signaux donnoient
l'alarme, et prompts à ladéfÈmse des rochers
qui les défendoient, les Albaniens, du haut
des sommets escarpés jusqu'au forid des
plus affreux précipices, s'aprêt~~ent.à Combattre avec cet acharnement qu illsp,re aux
énergiques montagnards l'aspect sublime de
leur patrie. Le nom seul de Scanderbe.g
protégoit l'Archipel entier, et s~ prodi~
gieuse bravoure força ses ennemIS à lUI
~ompatriotes
inv~cibl~s
( 5, )
rendre après sa mort une sorte de culte superstitieux.
Les noms d'Huruades et de Scanderbeg
répétés par toutes les bouches, donnèrent
l'éveil à toutes les vertus chevaleresques qui
larmoient l'esprit général des siècles précé , dens. La Castille et l'Arragon attaquèrent
les Maures. Les PorLugais descendirent en
Afrique. Dans Rhodes le cardinal d'Aquilée
d éploya l'habileté d'un grand capitaine. Une
jeune fille sauva Lesbos parsa vaillance. Une
paysanne suisse contribua à la défense de
N égrepont. Plus tard, une jeUIle Vénitienne
en retarda la chute par ses eHorts h éroiques
etpréféragénéreusementla mort il. l'infamie
du sérail. En Chypre, les femmes volèrent
sur la brêche et sauvèrent glorieusement
leur patrie. Une fille de Lemnos, armée du
bouclier et de l'épée de son père, mort en
combattant, repoussa les Turcs jusqu'au
rivage. Les femmes et les enfans se signal èrent en Hongrie et en Bosnie dans nombre
de siéges et de batailles, On cite une fem me
de Tran silvanie qui tua dix janissaires de
sa main. A Rhodes e t à Malthe elles secondèrent les chevaliers, endurant la mort avec
courage et les fatigues avec patience. Toutes
D2.
�(.52 )
les arnes furent aggrandies et· tes ca:ractère~:
'e xaltés
. , l'héroïsme de la religion., se joignit
à .oelui ete l'hOlineut, et l'Eur-opa fut sauvée
du plus redoutable péril) au· prix. de son
sang le plus -pur:
Un nouveau' "ours d~événemens COmmençait ede .nouvelles destinées ab l'univers.
ébranlé avoit changé d'attitude. La Suède
asservie au: joug de l'étrange!', pOl:toit im-.
patiemment le poids de ses fers_ Mais ses
efforts.. inlpuissans r e tomboient sur ellemême et aggravaient rhorFeur de sa situation- Vainement Engelbrecth, TorkeL
Knutssonet Sten- Sture Il av'Ûient-ils pris.
les armes, leu!!' sang avoit coulé glorieusement, mais sans utilité pour le. patrie. Leur·
mort consolida la domination d,auoise, où.
plutôt'l'usarpation d'un tyran que le Dane_
marck h aissoit et qu'il répudia pm.u ses,
crimes. Stockholm r etentissoit des réj ouissances qui sui virent ~on couronnement; la .
pompe des f~tes duroit encore, lorsqu'uIL
sombre deuil l'enveloppa de toutes parts_
Les citoyens sont consignés dans leur domicUe , l"airain menaçant interrompt toute&
les communications etco=andeun affreux>
&.len<le . Les.sénateurs ,Je& évêques. les ma-
'\ 53 ')
~istrats, 'Ulle foule
de seigneurs, salIt arrêtés
encore revê tus des ornemens de leurs di.gn ités , dans ce même palais eù ils venoien.t:
.de recevoir les sermens sacrilèges de leur
.meurtrier. Une prétendue bulle du p"pe
·est alléguée, ·deux évêques danoi s les con.damnellt-sans jugement, leur tête tombe, et
Ja viHe est livrée -a ux fureurs . br utales des
,s oldats qui cherchent de nouvelles victimes.
Le cadavre de Sten - Sture II oot el<.humé;
'Sa veuve est condamnée à la mort. Les corps
:sanglans des condamnés SDnt exposés sur
.les places publiques.; on défend rigoureu.sement de leur donneda sépulture. Chris,..
·ti ern repalt ses rega.rds de cet affreux spec:tacle, et comme s'il prétendait détr.ui.re dans
tous ,Ies -Gœurs la voie de la nature que le sien
avoit étouffée, il in,vente des supplices qu'il
,inflige à la pitié, et croit, dans l'horreur des
.tourmens, ·é teindre l'horreur de ses crimes.
Les bourreaux se· pal'tagem les dépouilles
.des proscrits. Le hrigandage et la tyrannie
montent à leur-comble, et la Suède privée
.de tous ses chefs ",semble, par l'excès même
,de ses maux, condamnée à n'en voir jamais
Je terme. Christiern qui préludoità lacruauté
~ar la. tl'ahison. ., s'était emparé par surpl'ise
.Dl
�( 54 )
( 55 )
de Gustave, fils du sénateur Eric Wasa,
neveu du roi Charles VIII Knutsson, et qui,
dès son adolescence s'étoit distingué dans
les combats par son intelligence et par sa
valeur. Echappé, comme par miracle, à la
mort et aux fers, il parcourut la Suède sous
le plus vil déguisement, cherchant à réveill er partout l'amour de la patrie et de J'indépendance, et Il: susciter des vengeurs au
sang de son père et de tant de h éros qu'un
bourreau venait de répandre. Vains efl'orts!
Loin d e trouver des secours, souvent il
manquoitd'asyle. Il se réfugiadansles mines
-de la Dalécarlie, et se confondit parmi les
ouvriers. Ce h,t au milieu de cette nature
sauvage, parmi ces hommes simples, fiers
de leur indépendance et prodigues de leur
vie, que son éloquence et la noblesse de
ses manières lui formèrent un parti. Un gros
.de paysans fut d'abord taule sa force; bientôt cinq petites provinces se soulevèrent ;
son armée grossit; les proscrits vinrent le
joindre, et il se fortifia dans les montagnes.
Bientôt il descendit dans la plaine; Ves,
te ras , Upsal, tombèrent en son pouvoir, et
il forma le siége de Stockholm. L'indiscip line et l'inexpérience de son armée, qui
combattait r ég'ùièrement pour la première
fois, et avec des armes nouvelles, billit Il:
lui arracher la victoire que Christiern n'osait lui disputer. Mais son activité; sa
résolution, son ascendant remédiaien t à
tout; il franchissait toutes l es distances,
et durant des courses continuelles qui n e
laissoient jamais son épée oisive, son espritsuivait les combinaisons les plus vastes et
les plus profondes. La doctrine et l es prédications de Luther remplissaient tous les
États de dissentions intestines. Christiern
redoutoit le mécontentement des Danois ,
et ne se ven gea de la Suède que par des
atrocités nouvelles. Cependant l'infatigable
Gustave , après l a conqu&te d e la Gothie
occidentale, fut proclamé administrateur
du royaume, aux états de Vadestan. Les
places que sa valeur ne pouvoit soumettre,
se rendaient à sa politique. Il désespérait
de prendre Stockholm, .sans marine; une
alliance ayec la r épublique de Lubeck lui
fournit une flotte et le mit en état d e tenir
la mer. Tout-à-coup le soulèvemen,t des
Danois contre Christiern, prête ,à çustave
~' . he,:,"reux appui , et les fo.rtere.s~e~ qni
rCslstolent, se rendent. Stockholl11..seul tient
D4
�( 56 )
ent:ore , et le h éros qui veut affermir' sol}
autorité et le repos de sa patrie, est péu
jaloux d' el\. presser la chute. Il assemble
les états à -8trlibuneZ. , rut remplâa:er' ]es 'sénateurs, est élu r@i et 'prenel Stockholm.
D e nouyeaux' états l'alit(}risèrent" bientôt à
tout e ntreprendre-pour la conservation de,
sa dignité-. Un' clel'gé la-ctietix e t'trop' puissant, cause 'principale' des 'malheu:rs 'de 'la
Suède , par son ~gn'opance et son ambition .
fut l'en "ersé par' la ferme té' d u<nO'u veau roi.
et la nation r ecDnnoÏl;sante déclQIa- la €ouronn e h éréditaire dans sa .fàmille, 'La COnfédération de Smaicalde' rechercha' son alliance" François 1, roi de Franc&-, conclut
avec lui une lig u e ~Uensive et dékmi,ve .
Durant tout ' son r ègne", il . go'u~roa 'S'aJ1&
ministres, comme il 'av~it fait la guerrè.
sans généraux. Il détruisit'le' ole~é ( J} et
subordonna la noblesse ,au ttône: he eommerce fleurit sous son règne-; la SU'è de heureuse au-dedans fut respectée Ilu-dehots ' ~
'r
1
(J.) Sans
"'
•
dout~ G~tave~ dé truisit, lorsq~'il ~'eflt fallu:
que réformer; 11 entama la fo~ e n atta quant les abus ..
C'est 'que la plupart des réformateûrs, pour extirperle mal , tarissent la Vte. eNot"e postérieure d /'rnPO';:
du disc~T~) ...
( 57 )
~lle 1ai doit encore son rang et sa puissance.,
t
et elle bénit tous les jours la mémoire de
son bienfaiteur.
Heureux les hommes illustres dontle bras
est le rempart d'un empire et de tout U!Il
peuple; destinés .par la Providence à' mettre
un terme aux ravages et à la dé vastation.
ils tournent la ·gu erre contre' elle -mêm e , et
elle devient , par eux" la puissante au xiliaire
de la-paix.-Ses moyens destructeurs se trans~
forment dans leurs mains en sauve-garde
tutélaire. Ain si Ja Grèce envahie vit les.
fl ots de ses conq uérans venir se briser aux
pieds de Miltiade et de Thémistocle., et se
dissiper devant leur génie, Ainsi Bélisaire
et Narsès<) tous deux victimes de l'envie et
favoris de la victoire " retinrent" pour un
te mps, sur les bords du précipice l'empire
romain qui s'abîmoit. Ainsi -Pélage disciplinant lès pâtres des Asturies , jetoit au milieu
d'eux les ' fondemens de la nouvelle monar~
chie espagnole; le Cid ·en étendoit les fron~
tières par ses 'oonquêtes, et Gonsalve de
Cordoue en achevoit la délivrance dans les
' Flaines de Grenade. Tels' on vit Dem-Juan
d' Autriche délivrer la Méditérannée ; Guil _
Jamne <I.e N as,sau fOJl<l.er l'iudépendance ba-
�( 58 )
tave par sa rare valeur et la sagesse de ses
conseils; Alexandre Farnèse r ép8Jld:re en
Italie et dans l'Europe entière, la terreur
de ses arm es; George Washington enfin,
guerrier modéré, citoyen vertueux, assur er la liberté d es Améri cains , et m ériter
l'estime d e ses enn emis.
Mais il est d es hommes qui n e s'élè,'ellt
au-dessus d es autres que par la supériorité
de leurs conception s , et ce son t ceux qui
portent dans la société l a plus grande mise
de fonds. Car l es pensées sont les rich esses
mobiliaires de l'ame , elles deviennent la
propriété de tous ceux au xquels on les Communique, e t le plus ignorant ouvrier peut
fonder l'espoir de sa 'S ubsistance sur le chefd 'œuvre des plus h abiles mécaniciens. Les
découvertes , les opinions, les écrits peuvent bouleverser le monde.
Quel homme qu'un Christophe Colomb!
par un seul calcul géographique, il chan ge
la politique et les mœurs d es nations, et frut
tomber aux main.s d e l'industrie le sceptre
de la puissa:nce et les priviléges de la vertu !
Une longue expérience hIi apprend à connoître le Cours des vents; il appuie l es COnséquences qu'il en tire sur quelques mOllU-
( 59 )
m ens inexplicables de l'antiquité et ~ur
1 es traditions obscures des voyageurs
que qu
â e Insensible à tous les refus.
du moyen g.
surmon tant touS les dégoûts, luttant contre
.
la fureur des flots et la r évolte des SIens,
s'exposant à devenir le martyr de sa con.'
il cm' gle sou s un ciel inconnu, sur
vlctlon,
une l'n er sans rivages, vers une terre nouvelle qu'il pressent sans la conno~tre. Il y descend le p l:emier, et l a terre s'accr"oît sous
ses pas. Aussitôt Vasco de Gama double le
cap de Bonne-Espérance , Magell~ s'élance
"v ers les terres australes, Drake faIt le tour
du monde l'astronomie se perfec~ionne.
la navigati~n s'éclaire, la géograpl~e. s'étend les arts mécaniques se multIplient.
les ~lciennes manufactures fleurissent."
on en é tablit de nouvelles; de nouveaux
arts, de nouvelles professions viennent aj Outer au développem en t .de la société en Europe. Les idées ch angent à mesure que les
connoissances augmentent: l a physique et
l'histoire n aturelle s'enl'Îchissent ; et comme
on aime à tout rappor ter à ce que l'on sait
le mieux, c'est p~ les principes qui les
gouyernent, que l'on ren<il rais€ln de chaque
chose. Les peuples se mêlent et perdent
�t 60 )
~'espHt qui 'les distinguoit, pour premL'e
-cet esprit de calcul qu'engendre le com_
merce et qui les rabaisse tous au B~ême ni.
veau. Les vices et les malnclies circulent
avec les richesses. ·Les Espagnols 'conqué.
Tans de déux grands empires en Amérique,
et les Portugais dominateurs de l'Inde .,
jettent les fondemens 'd'une puissance re.
èoutable qui doit bientôt 'Sortir de leurs
mains. Les Français ' triomphent un instant
dans les deux Indes . Mais les Anglais, au
milieu des truubles civils qui les divisent,
éclipsentdéjà lagrandeuresp agnole en Amé·
rique, etles Hollandais, expulsan t les Portu.
gais du golfe persique, présentent dans
l'Inde le plIénomène d'll11e république toute
puissante dans ses colonres, durant l' Oppres.
sion de la métropole. Enfin un État indépen.
dant s'élève en Amérique ·s ur les débris de la
, domination anglaise, tandis que les Anglais,
maStres des possessions hOl!andaises, et conquérans de l' em piremogol détruit, comptent
au nombre de leurs provinces, les contrées les
plus populeuses, les plus fertiles et les plus
riches de l'Asie. La Chine est révélée au
r~ste de l'univers, et le tiers de la popula_
. tion du..g,lobe réuni en une seule société
•
( 61 )
()'ffre le prodige satisfaisant d'un État fidèle.
à ' la paix et au bonheur durant une longue.
suite de si..ècles. Cependant au milieu des.
exploits lër.oces des Corter. et des. Piz~,e •.
la religion chré tienne se repandoH: SI 1 a ....
vetlale cupidité guida tant de naYIgateurs
et devÎJ~t l'ame de tant d'é.tablissemens ..
l~évangile et la morale eurent aussi leurs.
araonautes et leurs.propagateurs. La décou-.
b
1<€rte
des deux Calilornies n'eut pour 0 b'Jet
que la cOlll'ersion des peuples, et le gou-.
1<€rnement paternel d'l Par<l.guay, que leur
amélioration et leur bonheur. L'esprit gé~
néral s'étant. adouci , on yit, aux descerites
intéressées des premiers voyageurs, succé~
der les. yisites. paisibles de Cook et. de la
Pl'yrouse "laissant dans toutes leurs.stations.
des semences utiles, d~ animaux domes-,
tiques) et-d.es arts nécessaires. Enfin, tout;
recemment '. le vertueux Wilson ressaisissant dans sa. ;vieillesse le gouvernail qu'il
avoit aballcloruJé ,. vient de nous présenter
le touchant spectacle d',Ul cœur pén étré de
cette charité p arfaite qui se dévoue au service de l'humanité, sans condition et sans
r éserye. Déjà l'abolition des sacrifices huFl.ain.& chez les Otahitiells 1. a couronné se&
�( 62 )
travaux. Heureux celui qui, s'endormant
dans le sein paternel de son Dieu, pourra
se rendre le consolant témoignage de l'avoir
fait conno1tre aux hommes, et d 'avoir rendu
les hommes dignes de 1ui !
La découverte de Colomb n'a pas eu Sur
l'Afrique tille moindre influence que sur les
autres parties du monde. La traite des N ègres déjà cQmmencée , fut portée à un plus
haut point d'activité. Un peuple entier arraché à sa patrie, fut condamné par un
peuple usurpateur, à fëconder par ses travaux et à baigner de ses larmes, une terre
fumante encore du sang de ses premiers
habitans. La nature humaine fut abrutie
par les plus vils traite mens ; et des mrutres
impitoyables, plus dégrad és que leurs esclaves, méconnurent jusqu'aux lois grossières de l'instinct, qui font que l'animal
même respecte sa propre image dans SOn
semblable . Une partie des plus brillans établissemens des Européens vient de succomber à nos yeux sous le poids de l'iniquité.
Les Caraibes inoHensifs exterminés par les
Espagnols, ont été vengés sur les François
de Saint-Domingue, par des Africains furielL'C. Effrayante réaction, tombée sur des
( 63 )
innocens , provoquée par des séditieux in.
.humains, sous le prétexte spécieux d'une
meurtrière philantropie , et qui menace,
comme un feu souterrain, d'éclater à l 'improviste et d'embrâser toutes l es Antilles!
Mais déjà l'on s'occupoit de tarir les sources
du mal, et cette funeste catastrophe n'eth
l)robablernent jamais eu lieu, sans les détestables menées d'U1;te secte aussi sanguinaire qu'absurde. Des réglemens plus doux
venoient partout alléger l'esclavage. Sur les
bords brûlans de Sierra-Leona on donnoit
à d~s Nègres affran chis les premières leçons
del,berté. En Pensilvanie, lareligionla l eur
avoit rendue; dans les Antilles elle venoit
consoler leur servitude. On a yU des frères
Moraves partager leurs chrunes et leurs travaux, pour leur administrer plus sûrement
les seCOurs efficaces de la religion. Le Da'lemarck, la France, l'Anuleterre pre.
l'
b ,
nOl~nt engagement solemnel de ne plus
trafiquer de la vie et du sana des hommes
et s'
"'.
à
b
,
appretolent ' fair e goûter par dearés
~ux Nègres esclaves, les douceurs dOl~es
tlques de la ci vilisation et le bienfait dl"
d'
cl
e lD.epen ance. Pourquoi faudroit-il que les
CIrconstances actuelles suspendissent l'effet
�( 64)
de ces sages r é-sol ut ions ? Ah ! ne punissons.
point des innocens, d e nos fautes, de nos..
malheurs ou de nos excès. Si l'on a massacré les hommes au nom de l'humanité 1 ne
les opprimons pas au ·nom.de la justice. Fai....
sons le bi'en lentement e~ sans secousses;
mais gardons-nous d'y renoncer. Eh! qui
pourroi.t consentir à gouverner les foible$
mortels, s'il falloit perdre l'e&poir de les
rendre heurelL,( ?
.
Que ne pourrions-nous pas dire des inventeurs de la bou ssole , d e l'imprimerie, de la
poucke à canon ?L'aiguiUe aimantée, COmme
le javelot d'Abaris , efface Jes distances et
rapproche les points les plus éloignés. La
pensée sans cesse renaissante sous les presses
i n-futigables de Furst, de Guttemberg et de
,schœffer p énètre en cles climats inconnus à
son auteur , e~ devient ind·estructible par la
reproduction çontinuelle des fragiles monum ens qui la rendent sensibl~. Deux moines
p acifiques·du {i>nd de leur solitude , donnent
ù l'art militaire une forme nouyelle . La
mollesse peut désormais s'allier à la bra"\fou re , et le courage n'est vainqueur que
sous l'égide d e la science . Ces importans
cfl~ts. OI.lt ~lJ sur la poliùque ct Sur les
mœurs
( 65 )
mœurs, l'influence la plus marquée, et l'état
actuel du monde n'est que le grand résultat
de leurs diverses combinaisons. Les Détracteurs de l'lùstoire moderne, ne font pas
assez d'abtention à l 'intérêt puissant clue
commande ce vaste ensemble. ~e n'est plus
la yie d'un homme , les archives d'une vil1e,
Les fastes d'une proyince, l'histoire d'lm
peuple dont il s'agit, ce sont les annales de
l'humanité qui se déroulent à nos yeux. Tout
ce que la sociabilité peut sur l'hOl'1me , tout
ce que l 'JlOmme peut sur lui-même, l'empire de l'opinion, de la coutume, des lois
anciennes et des idées nouvelles, l'influence des sciences, des arts du COmmerce, du luxe, d e la proIlÙscuité du genre
humain, si j'ose m'exprimer ainsi, tel est le
spectacle imposant que les siècles derniers
nous présentent, et le riche tableau dont
des mains habiles ont esquissé quelques
parties.
Patrice le premier parmi les modernes
s'étoit réyolté Contre Aristote. Nizolius mi:
en ayant quelques principes nouveaux. Gassendi exposa le fort et le foible de la plùlosoplùe des anciens. Enfin Descartes parut et
sa méthode produisit dans les espûts une
E
�( 66 )
révolution universelle. Il n'a pas seulement
inspiré Mallebranche , et ouvert la carrière
à Locke, Condillac et Kant; maisil a fondé
parmi nous la liberté de penser. Les coups
mortels qu'il a portés au despotisme barbare
d 'une routine aveugle et d'une autorité mystérieuse qui puis oit dans ses ténèbres même
la prétentionexclusi ve d'éclairer les hommes,
sont retombés peu-à-peu, sur tout ce qui
étoit antique et accoutumé. D'une sage défiance pour tout ce qui n'étoitfondé que sur
une obscure antiquité, on en est venu à l'amour passionné de la nouveauté. Tout s'est
écroulé devantles réformateurs, et l'univers
moral, comme cette plaine couverte d 'ossemens en poudre dont parle l'écriture, attend
dans le silence de la mort, qu'une voix divine lui dise: membres épars, réunissez
vous.
Tous nos progrès dans la culture de l'esprit et du goût, se rattachent à quelques noms
célèbres. Pétrarque commença les langues
modernes et rajeunitles anciennes. Boccace,
Bembo, le Trissin , fondèrent la langue toscane. Daurat, Ronsard et Balzac, accréditèrent la langue française. Le Tasse éleva le
superbe édifice de la poésie italienne, et ses
( 67 )
successeurs, suivant l'ingénieuse expression de Boccalini, n'eurent d'asyle que dans
le palais de l'imitation . Jac(jues Destaples
avoit réveillé en France le goût des sciences
exactes. Oronce Finé les rendit à leur antique splendeur, en les séparant de l'usage
abusif qu'on en faisuit, et les enrichissant
d'instrumens nOuveaux. Après eux, François Viette jeta les fondemens de l'algèbre
e t fut glorieusement suivi par Aleaume et
Anderson. Fernand Nunnez de Valladolid
apporta en Espagne le goût de l'érudition
<]ui se répandoit en Europe, et Diego Covarruvias de Tolède donna des lois à ses écoles .
Dans les Pays-Bas André Vesal et Roland
LaSsus ont rés suscité l'anatomie et la musique. Malherbe est le fondateur de la poésie
française. Shakespeare le père du théâtre
anglais et l'inventeur d'un nouveau genre.
Cervantes, Adisson et Despréaux ont, chacun dans leur temps, fixé le goût de leur
patrie et influé sur le goût général des nations . Enfin la langue allemande soudainement enrichie de ch efS-d'œuvre de tous les
genres, rend graces de cette illustration subite à une foule d'hommes distingués, presque tous contemporains, et qui donnent à
E2
�( 68 )
l'Allemagne le superbe spectacle que préenta le siècle de Périclés, àlaGrèceétonnée.
S Sila politique de lVIachiavel devintl'ame
de tous les cabinets italiens, si les principes
de Grotius et de Puffendorff adoptés par
toutes les nations, devinrent l es maximes
du droit des gens, les réflexions profondes
de Montesquieu ne son~el1es pas de nos jours,
le code de la sociabilité! L a métaphysique
obscure et imparfaite du Contrat Social,
n'a-t-elle pas donné à J_ J. Rousseau une influence qu'il désavoueroit hù-même. Enfin
Beccaria , en p roclaman t (luelques vues
d 'humanité, n'a-t-il pas appelé la réforme
sur la jurisprudence criminelle de tous les
pays, et renversé, comme d'un souffle, la
législation pénale des Snisses ?
Bornons-nous il ces exemples éolatans; car,
nous ne saurions renfermer dans les bornes
qui nous sont prescrites, l e tableau complet
et raisonné de l'influence des écrivains Sur
les mœurs. Qu'une tête plus forte enfante
cette riche composition, et qu'un pinceau
plus exercé en exprime habilement et les
détails et l'ensemble. Contentons-nous d'observer qu'un principe de philosophie, un
pas de phlS dans les sciences, un art pl us
( 69 )
ou moins perfectiolmé, contribuent souven t
plus qu'on n e pense, à la perte ou au salUt
d'un grand peuple. Colomb réduit il la plus
extrême <lisette ,. ne pou voit obtenir ni par
force, ru pa.r adresse, les vivres que les Indiens lui refusoient. Lalune étoit Sur le point
de s'éclipser. Il prédit ce phénom ène redouté, com me un eHe t de sa colère, et les
Indiens à ses genoux implorèrent l eur pardon, au prix de leur propre subsistance.
MMs si nous ne ùevons pas oublier que les
ra vages de Cortez et de Pizarre, et les progrès de Mahomet et des Arabes, furent plutôt les fi'uits de j'ignorance des peuples que
ùe la courageuse audace.de ces hommes entreprenans , souvenons - nous aussi que ni
les lumières brillantes des. Romains , ni les
arts et les sciences d es Chinois, ne les ont
préservés du joug des I-I uns , des Gots et
des Tarl-ares. Les mœurs seulesrsallvent les
Feuples et maintiennent les empires, Les lu:
lnièressansles mœurs, ne sont qu'une clarte
sans Ghaleur et (lU'UI1 mouvement Sans v~.
Les lumières dirigées contre les mœurs, ressemblent il ces phosphores étincelans qui jet_
tentun éolat séducteur , e tne couvrent qu'un
amas putride de fange ~t de corruption . .
E3
�( 7° )
Les hommes ramenés sans cesse par leur
orgueil au sentiment de l eur impuissan ce,
ont inventé des machines de toute espèce.
Ne pouvant à leur gré, créer d es grands
hommes dont l'influence les conduis~t et la
sagesse les dirigeât, ils son t convenus de
fournir à quelques -uns d 'entr'eux, les
moyens de d evenir grands. Comme i ls ont
dans la m écanique suppléé à leur force naturelle par la longueur des leviers, ils ont
dans la société suppléé à l'autorité morale
-indépendante de leur pouvoir, p ar les dis-tinetions politiques qui sont leur ouvrage.
L es princes, les ministres, les magistrats ,
sont les représeritans des grands hommes
et souvent grands hommes eux-mêmes , ils
remplissent dignement u!J.e mission dont ils
connoissent l'étendue et la noblesse. Alors
la puissance et la bienfaisance s'embrassent,
et cette sainte alliance devient la base de
la relicité publique.
L e nom d e Cha rlemagne , qui remplit
seul l'histoire de cinq siècles, sufliroit
poue d émontrer l'influence d es rois grands
hommes sur le genre humain. Alfred élevé
dans sa cour, devient le glorieux fondateur
de la monarchie anglaise. Il tourne vers la
( 71
)
marine et vers le commerce, le génie de la
nation, et jete dès- lors , les fonde mens de
sa grandeur. Il ranime l'agriculture , introduit les arts , appelle les sciences, donn e d es
lois. L a justice r enalt à sa voix et la sûreté
fai t le c.aractère distinctif de son règne. Il
reconquiert l'État e t l' établit une police admirable, qui dans la suite devint le modèle
de l'institution ùes jurés. La plus saine piété
et la plus d oyce vertu embellissent encore
ses grandes <'J.uaIjté~. Il meurt, et ses derniè res paroles sont recueillies avec enthou~iasJ!le. E lles se gravent au fond des cœurs
ct deviennent la ch arte des droits du peuple:
UnAnglais doit"vivre et mourir libre comme
sa p ensée .
L es vertus et la valeur d'Etienne donnent
un roi à la Hongrie . Il appre;nd à l'Europe
qui l'ignore , cà conno1tre le ;nom hongrois.
et il for ce à le respecter, les barbares qui le
m éprisent. Loin d'abuser de son autorité.
lui-m/lme il en m arque les limites. Il associe
les états du royaume à l'exercice de la souveraineté, proscrit l'usage arbitraire de la
puissance, et assure à sa famille, par sa modération, l'h érédité d'une couronne essentiellement élective. Les Hongrois révèrent sa
E4
1
�( 72 )
mémoire et doivent encore à ses lois qu'ils
ont perdufls , le patriotisme qui les distingue.
Arec Saint-Louis, dit Montesquieu, la
foi, la justice et la grandeur d'ame montent sur le trône de F/aTtce. Son esprit
martial et Son courage héroïque étoien t tempérés par la délicatesse de sa conscien ce et
le désintéressement de ses vue~. Il refusa
deux royaumes offerts à son frère et à son
fils, par ,espect p Our le malheur et pOUF
l 'indépendan ce des co't'ronnes. Il rendit au
roi d'Angleterre ,malgré les mllrlllures de s;'
Cour, une partie d es États èonfisqués paF
Philippe Auguste , et consolida par cette mesure équitable, des aggrandissemens que
des torrens de sang français auroient seuls
pu légitimer. Contre l'avis de son conseil ,et sur les traces à demi eŒlcées d'un vieux
sceau, il rendit à Mathieu de Brie, le Comté
de Dammartin. Enfin des commissaires envoyés par ses ordres dans les diverses pr'ovinces, réparoient, non seulement Jes torts
faits aux particuliers sous son r è =e ;11 ais
encore restituoient jusqu'a ux exactions, commises sou s celui deson aïenl, etdistribuoient
aux pauvres ce qui seroit revenu à des fa-
"
( 73 )
milles é teintes. Il affermit la prérogative
royale par l'abaissement des grands vassaux
qui presque tous a'Voient conspiré contre sa
jeunesse, et rn it enfin un terme à ces guerres
continuell es qui sans cesse ensanglantoient
l'État. Loin que l a stlperstitiû\" comme le
prétendent qu elques philosophes (1), ai!corrompu son entendement et son cœur, et q ne
les pratiques minutiebs'es d'une dévotion
monacal é i'lient rétréci' sbn ame, sa piété
éclairéé flut,la .source de toutes ses vertus, le
mobile de toutes ses grandes actions et l'ornement cie sa ;vie entièré. IL vécut totijours
en présen ce de la m ajestë d"un Dieu; juge
et fin de toutes ses démarches, et soutenu
par cette auguste pensée , il déploya cette
int;épidité dans l'attaque., cette modération
dans la vict{)ire, cette résignation calme et
&ublime dans la captivité, qÙi le placent au
Tang des h éros. Guidé par le zèle de la foi,
il fit rechercher dans les bi blioth èqu es, les
anciens manl jscrits, en multiplia, les eopies
et fonda de bonnes études. Fort de son
amour pour la religion, i1 repoussa les usur])ation s d es papes et promulgua courageu(1)
Gibbon.
�( 74 )
sement cette pragmatique sanction qui main.
tenoit à h fpis l a liberté de l'église, les droits
d e l'e mpire et le dogme catholique dan s sa
p ureté . Enflammé de charité pour ses frèr es ,
il fonda des h ôpitaux sans n ombre et des
asyl es pour l 'innocen ce et la p auvreté . Ses
m ains royales soul agèr ent les mal ades et serviront les indigen ~ , e t son exemple propao-ea l es vertus chrétiennes parmi les p rinces
e t les courtisans , comme ses paroles chanaeoient les cœu rs . jLes mariages furent eJ;l.
~ou, ragé s , le$ ;veuv~s trouvèr ent u":!;l appuI,
~ ~ \1(lblesse n'eu t .plus à se pl aindre de la
f ortUl1p. L a. "yit:illesse des la boureurs fut
l ,
'
ass\U"ée
con tre le besoin. L a SSlen.ce
et l es
hOIlges mœurs devin.rent le ~eul titre d es
de ~cs. L'psu re f ut proscrite , le commer ce
ej1GoUil;ag~. La Fr ance h e)lreuM et paisible
yit .~a popuJat:ion .s'acçroitre aux dépens d e
l'Eur ope ,entière emb rilsée p ar la discorde.
,Admira teurs çle la sagesse d e Louis , les ba.rans anglais l'éluren t pour juge enl:l:'eu x et
lev r r oi. ~es D avesnes et les D ampierr e , le
com te. de Châlons et son fil s, le comte d'Anj ou_et la comtesse d e Proven ce furen t r éconciliés par ses soins. Immédiatem ent après
son r èm e , au m ilieu de la hon teu se disso-
"
"
"
( 75 )
Jution des mœu rs du temps, 1D1 Bertrand de
Cominges qtÙ fut le r estaurateur de sa viUe
épiscopale; un Guill aume de Nevers qui
n ourissoit chaque jour deux mille pauvres;
un Geoffr oy d e Meaux, hé ros de l'humilité ;
un Robert Du Puy, martyr de la vigilance
p astorale; un Yves de Trégiller, défenseur
él oquent d es opprimés, illustrèrent un clergé
qui peut être regardé comme SOn ouvrage.
.P armi la noblesse , un.Eléazar deSal;>ran, un
Guill aume de Porcele ts et un Plùlippe ScaJambre (l ) distin gu és par leur vertu ,obtinr ent le plus éclatan t triomphe qui puisse la
oouronner sur l a terre. On vit enfi n d ans
t outes Jes classes, un ~ multitude d 'h ommes
dont les noms furent peu fameu x , mais les
·vertus ex emplaires e t dignes d 'u'" si grand
mod èle. Il appartenoit,à celui qui futle conciliateur de ses v-oisins et l'a rbitre de ses
v assaux, d 'être aussi le législateur d e son
(1) Ces deux derniers furent les seuls Français épar~
gn és dans les fa meuses V i!p res siciliennes; ils le furent
à cause de l'es tim e e t du respect qu'avo1t inspiré leur
-bonne conduite . Scalnm bre es t devenu la tige des barons
de Sermyalle. La maisoq. de 'P~Tcelets s'-estéteinte de nos
jours. Voyez llurigny, Histoire de Sicile , 'Tome II.
�( 76 )
peuple. Une grande révolu~on s'opéra. dans
l'administration de l a justice: le droIt romain fut introduit, le combat judiciaire
-aboli 1me manière de procéder plus natul'elle: plus raisonnable, plus 'conforme à la
morale, à la l'eligion, à la. paix du royaum~,
fut établie. Louis ôtalemal, enfaisantsentlr
l e meilleur, et, sans prétendre à d ormer des
lois que l'état des choses ne comporto~t p~'S
et que le temps seul devoit amener. La Juns-prudence se perfectionna de j our en Jour,
les triblmaux devinrent plus stables, les
luaximes plus universelles. Bientôt une c?ur
centrale s'éleva, etles élablissemens d e SaMuLouis fuient adoptés par ceux qu'il ne pou, \'oit cont,aindre . Ils devinrent la législation
1,UÙverselie des Français, par l'expérience
4pur~alière qu'on fit de leur utilité . Inspirer
le bien par de bons exemples et abandonner
~ leuFs eHets salutaires la réformation leNte
d es opinions, c'est l'ouvrage de cette sagesse
désintéressée qui travaille au bonheur des
hommes, non pour s'en glorifier, mais pour
les en fâire jouir.
Part~ut
on a vu des souverains distingués, imprimer à leur pellple une grande
impulsion , L'Emir Abou -Youssouf, restau'
( 77 )
rateur ae l'empire des Arabès eu ' Espagne ,
uniquement occupé du bonheur du penple,
tourmenté d'uu ten<l.re am@ur poar l'humanité, érigea l'utiles académies et fonda de
nembreul< hospices. Casimir III doué d'u.u
génie extraordinaire au milieu des ténèbres
de son temps et de Son pays, donna aux
Polonais, des lois, des tribUnaux, une constitution , fonda ou rétablit leurs cités et protégea si puissamment l'agriClllture et ses
utiles travaux, qu'i! mérita d'associer au
surnem de grand , titre "trop souvent équivoque , celui de roi des cultiyateu,.s . Le
grand Akber donna aux Mogols des lois
justes et sages, jalliais le cri de l'opprimé ne
retentit contre lui, et ses soins paternels
étendirent leur bienfaisance jusqu'à border
les voies publiques d'arbres touililS pour le
soulagement du voyageur épuisé. Côme de
Médicis {lue Florence nomma le père de
la patrie et que l'Europe .entière nomme
le pèr.e des lettres, voua ses richesses au
service du genre humain et Jit le bonheur
des siens en préparant l'instruction de tous.
Solim an le magnifique , légi.sl~eur révér é
des Turcs, assura leur supériorité daus les
armes , établ it l'ordre dans leurs finances,
�( 78 )
et une police réglée dans la distribution des
terres. René d'Anjou, comte de Provence ,
institua des fêtes nationales, il lia la religion aux mœurs, la chevalerie à la religion
et communiqua au caractère de tout un
peuple, les nuances de son car~ctère. Berthold V, duc de Zeringue, ouvnt des asyles
contre la tyrannie féodale, fonda des villes
libres et posa ainsi . les fonde mens de la
liberté helvétique. Fo-Hi retira les Chinois
de leur barbarie , Chin-Nung leur eu seigna
l'af,riculture et le commerce, Hoangti ~er
fectionna les arts et les sciences; les actiOns
d'Yao sont devenues des maximes de morale , et la piété filiale de Chun est la source
de ce respect pour les parens, cause principale du uonheur et de la tranquillité des
Chinois. Louis XII , Henri IV, noms sacrés
qu'il m'est doux d'ajouter à ces noms illustres, si le surnom d'Auguste nous rappelle aussitôt ce génie audacieux qui délivra
la France du joug honteux de l'étranger, le
titre plus glorieux encore de pères du peuple,
de bienfaiteurs de la patrie ne sauroit d ésigner que vous !
Toutes les grandes révolutions se sont
opérées sous la conduite ou par l'u1f[uence
( 79 )
de quelques hommes puis sans et entreprenans. Guillaume le Conquérant porte le
joug des Normands en Angleterre, comme
Canut le Grand lui avoit jadis imposé celui
des Danois. Maximilien I change la politi.,
que de l'Europe; il attaque les privil èges
de l' empire , et l'étranger qu'on appeJJe à
leur d éfense , s'immisce d ans SOn admin istration. LOllis XI élevant en France la puissance royale il Son comble, sème en Europe
les divisions et le s haines, et meurt victime
de ses SOup çons. Charles - Quint conçoit
le projet de la monarchie, ou plutôt de
la supériorité universelle, et marche à
SOn but ,' surmontant les obstacles de toute
espèce, et triomphant de toutes les résistances. Philippe II est l'ame de la ligue et
le fl éau de la France. Ferdinand II sur le
p~int de transformer l'aristocratie germaIllque e n une monarchie absolue, traversé
par Rich elieu, s'arrête tout-à-coup devant
le h éros de la Suède. Gustave Adolphe pal'oit, combat, triomphe, mem't, et l'Europe enl~ère pleure sur son tombeau. Rkhelieu prétend bouleverser l'Europe comme il
a changé la France; il humilie l'Autriche
ct déchire l'Angleterre. Cromwell sorti de
�( 8i j
( 80 )
la. poussière, et monté sur le trône des
Stuarts, couvre des qualités d'un grand roi
tous les crimes d'un usurpateur. Un duc de
Savoie, laisse une courOlme à sa postérité,
pour prix de son sang et de ses travaux. Le
prince d'Orange balance les destinées de
Louis XIV, et le force de compter avec la
fortun e . Jean Sobieski a le d ernier l'honneur de vaincre l es Turcs encore redoutables, et sauve la capitale de l'empire.
Frédéric crée dans le nord une nouvelle
puissance, et donne 11 la maison d'Autriche
une nouvelle rivale. Heyder- Ali Sur les
ruines de l'empire mogol, élève un empire
formid able qui seul a pu contre balancer la
puissance anglaise dans l'Inde. Pierre l,
après des siècles d'obscurité et de chaos ,
tire du néant le plus vaste empire du monde,
et CatheriJ1e II, termine par sa politique
encore plus que par ses armes, les d estinées
etles malheurs de la Pologne.
Avons - nous dit que Sully, digne ami
de Henri le grand, est associé p~r l'histoire
il ses biellfflÎts comme :\. ses exploits, qu'il
s'occupa le premier de l'économie politique
et de la police militaire , et que l'agriclùture
etl'armée furent créées par ses soins? Avonsnous
nous peint Ximenès, véritable fondateur
de la monarchie espagnole, donnant un
centre d'unité il des provinces naguères rival es , et renforçant l'autorité royale en
assurant la liberté publique? l'infant Dom
Henri de Portugal encourageant les déco'uvertes , protégeant les "Sciences, étendant
ses vues bienfaisan tes sur les hommes de
t ous les climats? Enfin l'illustre Oxenstiern ,
ame des conseils de Gustave Adolphe, faire
bénir par sa sagesse, un règne que les
exploits de ce grand prince avoient immor"
talisé?
L'inHuence des grands hommes agit don~
dans tous les sens, sur la masse du genre
humain. Leur moralité, leurs lurnière3, leur
puissance, leurs àimes même, donnent il
tout Ge qui les entoure et de proche en
proche, une commotion plus ou moins salutaire. Semblables il ces rochers énormes que
les fureurs d'un volcan font voler en éclats j
et qui, s'engloutissant pour toujours dans le
sein d'une eau dormante, troublent subite~
ment le calme de ses flots; d'a bord l'onde
qu'ils ont ±endue, j'l-Ï,llit avec impéhlOsité,.
et bientôt des vagues circulaires et sans cesse
r enaissantes, portc!lt jusqu'aux bordj; les
F
�( 82 )
plus éloignés la nouvelle de leur chute, et
le mouvement qu'ils ont imprimé.
Que l 'historien saisisse ce grand point de
vue, et qu'on ne reproche pas à l'Iùstoire
d 'exagérer le mérite de ses héros par le
d éveloppement qu'elle dOD1Je à leur caractère. Ses expressions auroient-elles jamais
le pouvoir magique de peindre cette complication de sentimens, cette multiplicit.é
de vues, que renferme l 'mùté d'une grande
action, d'un élan sublime, si elles ne représentoient Co=e successives, les opérations
simultanées de la nature? C'est par instinct
que le génie choisit le grand, le bon et le
beau; et, sans démêler d'avance tous les rapports qu'il saisit, tous les sentÏmens qui
l'agitent. Hom ère chantant pour la premi ère
fois, dans un saint transport, les vers inspirés
de l 'Iliade, ne songe oit point aux règles d e
l'épopée ; il les créoit n éanmoins. Ce qui lui
sembloit convenable, étoitle convenable par
. excellence; et les règles de l 'art épique ont
été plutôt llÙses en œuvre que promulguées.
Que l'lùstorien nous associe :\ la supériorité des grandes am es , qu'il nous introduise
dans ce sanctuaire voilé où des éclairs de la
majesté d:ivine, manifestent subitement au
( 83 )
génie le parti qu'il doit prendre et la route
qu'il doit tenir; qu'il nous peigne, en un
mot, le sublime de l 'humanité, les grands
hommes baignés d es pleurs du sentiment,
mais inébranlables dans leurs résolutions,
accomplissant à la fois leurs devoirs et leurs
destinées. Qu'il suive leur trace morale ou
politique et qu'il nous dise, à l'aspect de ce
sillon lumineux qui indiqu e leur passage:
il naquit un homme, et telle vertu devint
l)opulaire : il naquit un homme, et le bonheur de vingt générations commença: il naIquit un homme et un vaste ernpire fut préservé de l'incursion des barbares : il naquit
unhomme enfin, etdes multitudes d'hommes
apprirent à servir l e vrai Dieu.
C'est une erreur dangereuse de transporter ,\ d'autres temps et à d'autres lieux,
les lllaximes d'un autre pays ou d 'un autre
siècle. C'es t une erreur non moins dangereuse, de transformer sans examen, en règles
absolues de conduite, les actions des grands
hommes dont nous admirons les vertus. Il
seroit fUneste surtout d'abstraire de leur
Fz
�( 84 )
vie entière, un systême général de philosoplue pratique, applicable à toutes les. éfoques et dans tous les cas.La nature, qm n est
partout qu'un vaste assemblage de ressemblances et de rapports , ne nous offre des
p arités nulle part. Chacun est soi et non pas
un autre. Tout événement, toute conjoncturc, a des caractères qui lui sont propres ,
et se lie sans se confondre à ce qui précèd e
et à ce qui suit. L'iustorien plulosophe qui,
pour l'instruction de ceux qui vivent, évoque ceux quine sont plus, saisit avec sagacité,
en quoiles choses et les p ersonnes diΏrent,
en quoi elles se ressemblent. C'est alllsi qu'il
d éml!lera quels sont les vices, les erreurs,
les vertus, ou les grandes p ensées qu'un
grand homme tient de son siècle ou qu'il
trouve en lui-même .
Qtuconque méditera attentivement l'lust oire des n ations , se convaincra par le triste
sp ectacle des m all,eurs du genre humain.
que les systêmes a bsolus et l'exp érience du
p assé m a l appliquée, sont devenus pour les
peuples, une source int~rissable de fl éaux
et de calamités. Les jours qui ont fUi ne
reviennent plus, et les lois générales et uniformes d e la nature ramen.ent sans cesse à
( 85 )
nos yeux des phénomènes toujours semblables et toujours divers. Le genre humain,
comme Protée , échapant à tous les liens,
survit à toutes les formes, et son activité
morale se déploie dans tous les climats et
sous tous les gpuvernemens.
_ L e mal est (lue l'on a considéré l'Iùstoire
d'une marùère trop littérale ou sous un
point de vue abstrait et systématique. Les
uns transforment chaque exemple ou chaque fait particulier en une loi générale, les
autres se font un systême gén éral auquel ils
veulent ramener impérieu sem ent tous les
faits et tous les exemples.
En signalant à l 'lùstorien ces deu x écueils
principaux, traçon s-lui la route qu'il doit suivre, pour faire rentrer l'histoire dans le sein
delamorale" dont elle n'est que la partie expérimentale et qu'il n'en faut jamais séparer.
Veut-on (lue l 'exemple des graodshommes
soit utile? qu'on se pén ètre de l'esprit qui les
anima. Il ne suHit point, p our maniher sur
les uaces d'Aristide ,d'écrire soi-même SOIl
nom sur la coquille fatale; il faut être juste
COmme lui. C'est sa vertu toute entière qu'il
faut imiter. Il faut connaître dan s qu elle
situation il fut placé, et quels f,uent les
1"3
�( 86 )
prin cipaux mobiles qui, enflammant et sout enant sa vertu, l'élevèr ent au-dessus de son
siècle.
La vie d 'un grand homme est un appel à
notre conscience, à l'énergie de notre volonté. Qu'il soit Grec , Roma in, ou barbare,
il est homme, et tous les hommes ses semblables par l a nature, peuvent devenir ses
l)areils par la vertu. Les temps et l es lieux
sont changés, mais le cœur humain est le
m ême . Si Guatimozin , comme Comus, n e
put se dévouer pour son peuple , il sut s ouf~
!Tir avec patience et mourir avec dignité .
Ne confondons point ce qui tient aux
localités, à l'opinion, à la coutume, avec ce
qui con stitue la moralité inême des hommes
et des choses. Chaque peuple tient du génie
de ses premiers fondateurs et du cümat qu'il
habite, un esprit général qlÙ règl e la marche
de ses idées, de son goftt et de ses mœurs.
L es sociétés naissantes, diversement modifi ées par la variété de leurs besoins et de leurs
ressources , varient dans leurs arts et dans
l eurs habitudes . Le desirde conserver form e
les unes, le desir d 'acquérir forme les autres.
Les premiers principes de morale qui les régissent 1 sont appropriés à leurs m œurs. L'in-
( 87 )
flu cn ce des grands hommes commence avec
le genre ]lulnain; mais , COlnme ces monllm cn s m ajestu eux , vainqueurs du tempset de
ses outrages, et ~é moins irréproch ables de
l' état florissant de l'humanité dans l'allticruité
10. plus recu lée, ils portent l'e mpreinte d'l
goftt et des mœurs d e leurs contemporaiJl s_
Ce n'est effectivement que d an s son siècle
CJne l'on existe et que l'on vit. L a plùssance
de l'éducation, l a force de l' exemple, je dirai
même la fittalité de l'inùtation, se r éunissent
pour donner à l'ame n aissante ,_nne form e
locale qui détermine SOIT élan sans gê ner
son activité . Au milieu de l'anarchie d espotique qlÙ Ouvre €n Asie, le ch emin du
trône à tous l es audacieux , on eût vu M aurice de Saxe être un autre Thamas-KouJiKan, et Tharnas -Konli-Kan, au sein de
nos socié tés paisibles , se-fll t content é d e défendre glorieu sement le trône qu'il usurpa .
Bayard ic R o me, se seroit montré l'ardent
ennemi des rois; et Caton dans une monar-chie se fût enseveli sou s les débris du trône.
Les devoirs ne sont pas les mêmes danstoutes les positions ; mais, dans toutes les
positions , l a fidélité à r emplir ses devolrs
est insép arable d e la vertu. C'est pourquoi
F4
�( 88 )
l'étu de d e l'histoire offre des leçons u tiles
à toutes les conditions.
L'emploi des tal en s varie comm e les modifications diverses d e la socié té . T el snisit
l es cr ayons de R aphaël, dans Rome modern e,
qui jadis eût fait r etentir le F OTwn de sou
éloquente voix . Mais Socr a te.. Conii.lci u s et
Vincent d e P aule eu ssent partout ser vi de
modèle aux h ommes . Si l'on retrouVe d an s.
l eurs idées et dans leur l angage , la teinte d es
opinions d e leur temps et de leu r pays ,leu rs
actions et leur conduite n 'ont été détermin ées que par les saintes inspirations d e ce
sen timent moral qui estl'am,e univer selle du
genre hum ain .
C'est sur-tou t l'homme de génie qui est
inséparable de SOn siècle; car c'est par son
siècle e t pour son siècle clu 'i l opèr e d e
grandes ch oses. Ce qui le distin gue é ll1 ilJemm ent, c'est qu'il saisit d 'u n coup d'œil
l'éta t des esprits; c'est qu'il développe jusqu'au x moindres germ es ; c'est qu'il r éduit
e n corps les connoissan ces disp ersées , qu'il
en tire des consé'lu en ces fécondes , e t que ,
de ces r ayon s épars i l fOrme un nouyeau
foyer de lumières. L es matériau x se m euyent à sa voix , se disposent avec ordre , ~t
~Ont r ecr éés , en quelqu e sorte, par la main
( 89 )
qu i les emploie. C'est ainsi qu 'Aristote ch ez
les an cien s, r ecu eillant tout ce Clue le p é riode le plu s brillant p ou r l'esprit humain
lui fournissoit d e richesses , je ta dans des
ou vr ages prodi gieu x , les fonde men s d'une
d omination d e vin gt siècles. C'est ainsi 'lue
Newton, dans une époqu e essentieJJ ement
COllsacr ée au x scien ces exactes e t exp ér im entales , don n a un corps au x sp écu lation s
d es physiciens , et un n ouvel esprit à la
ph ysique même. C'est ainsi que Saint L ouis,
m ettant à p rofi t ch aque conjoncture p our
l' a/Iim nissement de l 'au tori té royale , et I, âtan tla chu te des institution s barbares , anarchiques e t immorales qu'avaient produit
les idées ch evaleresques p ort ées à l'excès ,
forma , du mélange des lois saliques , d es
l ois romaines , et de quelciues lois nouvell es ,
la législ ation qui a gou verné l a France ju s'lu'à présent! C'est ainsi que Gu stave W asa,
s'arIUant d es r é be llions du clergé p ou r le
d étruire , des n ou veautés r eligieu ses pour
assu re r sa PUiSSaJl ce , et des p assion s du
p euple entier pour p erpétuer son autorité ,
fixa d ésorm nis le sor t de la Su èd e. C'est
ainsi que tous les législateurs h abiles, r as semblant les leçons de l'expérien ce pour les
<~dlùre en un code , ont tracé daJ,ls les mo-
-
�( 9° )
numen s de leur sngesse , l'histoire d es progrès de l'intelligence humaine , et dormé ,
pour ainsi dire , l'invelltaire exact de ses
trésors .
Rien ne d émontre plus é videmment l'influ ence , ou la tyrannie de l'esprit géuéral
du temps SUl' les esprits e t Su r les aCli.ons ,
<l'le les efforts impuissans de ces h ommes
hardis et singuliers, qui s'élevan t au-dessus
d e toutes les opinion s reçues, p arlent un e
langu e étrangère à l eur siècle. Toujours
une passion favorite domin e la multitude.
E lle l'apporte tout à cette passion, ou l'app lique à tout sans discernement; et un déluge d'idées nouvelles, faus ses ou clisparates se répandent dans la société. Un nouveau lan gage s'établit, une nouvelle manière
de raisonner, même des métaphores inusit é es , s'introd lUsent parmi les h omm es; enfin
tous les signes r eprésenta tifs d es pensées ,
ou des sentimens, sont frapp és à un nouveau
coin , symbol e d'une domination nouvelle.
C'estalorsinutilement quequelques hommes
extraordinaires luttent contre le torrent;
leurs eflorts sont infructueux . Les sages discutent en vain, et la multitude d écide. Ce
n'est point en heurtant de front les préjugés,
que l'on p eut espérer de les abattre. C'est eu
( 9i )
les minant sourde ment. Il doit y avoir quelque chose de commun entre l es hommes qui
veulent instruire et les hommes qni doivent
être instruits . Prouver que l'on comhat l'errenr, ce n' est point encore étahlir que l'on
délendla vérité . C'est détruire sans édifier.
II faut p etsuader pout' è tre utile, et pour
:rersuader, il fflut fléchir. :La p ersu asion
com ble l'intervalle qui sépare les opinions.
Son empire èst le plus ùoux de tous les empires; car il laisse aux hommes le senlÎment
de leur indépendance. La vérité est venue
à eux plutÔt qu'il s n e sont allés vers elle.
Ils ne savent s'ils l'ont jadis repoussée, mais
ils sont g lorieux de la reconnohre maintenant. Moins on leur montre de chemin à
faire , pIns ils s'avan cent r apidement. Le
grand art d e 'pers\lader, consiste donc à
1aire concourir les passions et les opinions
des hommes, au changement qu'on veut
opér er en eu x. Il con siste à leur faire trou"
ver la vérité d esirahle, b eaucoup plus qu'à
10 leur rendre évid ente. Sans l'artdepenua'der , c'est-à-dire , sans quelque condescendance apparente aux opinions, aux p:réjugés, et surtout aux expressrons reçue~
de leur temps, il n 'y a point d linll'1lenoe
�( 93 )
ses ennemis, ell e se contente de les mépriser.
( 92 )
Ce fut sans effe t pour le bien général de
possible pour les grands hommes_ Scipion
l'humanité , que le vertueux Las· Casas fit
t ombe , en sautant de son vaisseau sm' le
retentir l'Esp agn e pendant dix·htùt ans , des
gémissem en s douloureux des habitans du
ri vage d'Afrique, ce funeste présage remplit
Nouveau-Monde, On l'a vu, retournant de
d 'effroi les intrépides Romains; leur général
ces bords désolés , d emander à grands cris
se r elève , et prenant de l a terr e dans ses
justice au 'con seil de Valladolid, p eindre
mains, il s'écrie: J e te tiens, ô terre d'Afriq ue ; au ssitôt le courage des soldats rel'ach arne men t des bourrealLx, la timidité
na1t à sa vOLX, Qu'il eût, au lieu de ces
des victimes , l a pudeur, l a nature et la
religion égalem ent outragées; en vain faiparoles inspirées , démontré l a vanité des
soit-il entendre la voix tonnante d'un Dieu
augures, et l'exp éclition é toit m anquée,
Hippocrate et D émocrite ch erch èr ent à étade justice e t d'amour que des passions sablir sur l'observation et l'expérience, une
criléges osoient r endre complice de leurs
philosophie flottante entre l'eHthousias(Il'
crimes; en vain. prouvoit-il à des inhumains
d e la poésie et l es abstractions de la métaque le saint évangile d ont ils se di soient les
apôtres,
contenoit l'arrêt formidable de leur
physique. Archim èd e appliqua à la méca,
propre condamnation; l'intérêt et l'esprit du
nique, son admirable géométrie_ R amusa~
t aqua avec h ardiesse , l'autorité d'Aristote, telllpS, transformèrent la violation de toutes
et souleva contre lui toutes les autorité~
les lois n a turelles , divines 'e t humaines en
:Bacon tenta d e reprendre par la base , l'édi- un problème théologique , Un docteur de
fice des sciences, surchargé d'erreurs et de
Cordoue , J ean Ginés de Sepulveda, dont
faussetés, Galil ée Osa dire ce qu'il é toit dé, l'histoire atteste la bonne foi, osa justifier
fendu de penser , N i les un s , ni les autres
au nom de la religion et du droit public,
ne purent rien contre l'empire universel de les infames traite mens exercés sur les rnl'esprit du temps. L'opillion publique est iliens. On u soit du droit de la guerre, disoitune puissance qu'il faut apprendre à diri- il, et, tel est le sort des esclaves, d'êtresoumis
g er, mais qu'il est inutile de combattre et
de braver; car, trop vaine l'om' repousser
�( 94 )
sans recours e t sans r éserve aux volontés
de leur mrutre. Comme si la guerr e auro.
geoitla mora le, et l'esclavage, l'hurnruùté!
Las-Casas et l'évêque de Ségovie s'oppo.
sèrent à l'impression du livre de Sepulveda.
Les ùléologiens d'Alcala e t de Salamanque
furent assemblés. Ils se livrèrent à de longs
débats; le sang cOlùoit en Amérique, el
l'on disputoit en Espagne. Enfin l'esprit du
christianis me l'emporta; et la doctrine de
Sepulveda fut désapprouvée. Sepulveda recourut à J;l.ome pour y faire imprimer SOn
li \'Te . Ch arles · Qu in t qui l aissoit faire les
bourreau x, intervint parmi les controversistes. On établit en Espagne u ne dispute
publique, entre Las-Casas, l 'évêque de Sé·
govie et Sepulveda. Les plus célèbres théologiens y assistèrent ; et après avoir donné
à l'univers le scandale d'une pareill e con·
troverse, au pied d es autels du d ieu de
paix et du r édempteur (les hommes , Sepulveda fut d ésapprouvé de nouveau, et le
zèle ardent , la tendre ch a rité de Las-Casas,
n'ob tinrent pour ses malheureu x cliens que
lieu x décisions théol ogirjues sans force el
sans effets. Il se retira dan s la solitude, et
n'attendant plus au cun secours de la terre,
( 95 )
répandit en sil en ce l'amertumede ses larmes
' Id u trone
'
d e l'Eternel.
"
,
au plee
Ceux qui n e cessent de confondr e les institu tions considérées en elles -mêmes et dans
I:obj e~ essentiel de leur établissement, avec
1 espnt du temps qui n 'est souvent que l'abus
de ces institutions, ont attribué aux idées
re ligieuses tout ce que de pareil s exemples
a voie.n t d'odieux . Super stition, ig norance ,
fanati sme et religion sont devenus SYllony_
m es. Comme cette man ière d'envisaaerl'his_
"
b
tou'e aUl'olt le pernicieux effet d'attribuer
à l'influence des hommes et des choses ce
qui n 'est la Su ite que de l'esprit général' du
temps dont l'in flu ence n'est pas moins puissante, attachons-nous à en démontrer la
fau sseté, Des h Oll1mes de mauvaise foi ont
vu daJ'ls ces siècles d e ténèbres où des scènes
in term inables de carnage et de destruction
glaçoient d'horrenr toutes les ames, le fan a:
tisme se r épandre avec la férocité. Ils l'ont
r egardé comme la suite du christianisme
r enaissan t parmi les barbar es. Ils n'ont pas
c onsidéré que ce fur ent l es barbares qui vinrent troubler e t conquérir les chrétiens , les
réduire en esclavage, éteindre leurs lumiè res e t ra.mener en Europe les suites funestes
�( 96 )
d'une ignorance profonde. Ils n'ont p:J.S
considéré que tant que l e sacerdoce au milieu des usurpations des vainqueurs, demeura entre les nlains des vaincus , une
piété éclairée prévint les abus dont ils se
plaignent, et qu'au ssi lon g - temps que le
clergé fut composé des anciens sujets de
Rome, l'église n'eut point à rougir de ses
ministres. Ils ne se souviennent plus qu'Am.
broise rompit ouvertement avec (luelques
évêques des Gaules, qui appe loient la mort
sur la tête d es h éré tiques , et que les idées
grossières et les mœurs plus rudes de leur
pays entra1noient. Ils ne se souviennent plus
que ce sont des payens qui ont pour la pre·
mière fois appelé les supplices au secours
des autels menacés , que si la persécution
ravagea l'Afrique, ce furent les Vandales
(lui l'y portèr ent, enfin que ce furent les
Goths et les Lombards ; qui introduisirent
sur le beau sol de l'Italie et de l'Espagne la
sanglante intolérance. lis oublient que ce
fut pour avoir, Comme ils le font mal à propos, cité des exemples (lui ne prou voient
r ien , que les docteurs du moyen llge allu- .
mèrent le feu dévorant des guerres de rel igion; que c'est en s'autorisant des rigu eu rs
exercées
( 97 J
exercées par les Dioclétien, les Julien, les
Décius, que l es princes chrétiens se sont
arrogé le droit de tyranniser les consciences , si le christianisme enfin, n'a pas subitement guéri les hommes ni de. leur inconséquence, ni de leur cruauté, on ne pent
l'accuser de les avoir rendus incon séquens
et barbares. Long-temps avant la naissance
du christianisme, Régulus fut-il le martyr
de ses dieux ou de sa patrie? Suivez la trace
de tous les conquérans; lisez l 'histoire des
peuples demi-civilisés. Les Romains massacrés en Asie par ordre de Mithridate, furentils sacrifiés à l'esprit de prosélytisme? Les
Fran cs furent·ils plus cruels après Clovis?
Attila, Tamerlan, Gengis-Kan, combattoient - ils pour la religion? Quand leurs
vassaux n'étoient point hérétiques, les rois
vivoient-ils en paix avecleursvassaux? Étaitil croisé ce duc de Bourgogne qui remplit
Paris de sang et de meurtre? Ces Français,
massacrés par les Anglais après la bataille
cl' Azillcourt, étoient-ils des infidèles? Les
chevaliers teutoniques ont-ils plus ensanglanté l'Allemagne que les querelles ambitieuses des Saxons et des Bavarois? Les
guerres de la Jacquerie, de la Rose-Blanche
G
�( 98 )
et de la Rose-Rouge , d es Guelphes et des
Gibelins é toient - elles causées par des opinions r eligieu ses ? Si quelquefois l es queTelles p olitiques dégénér èr ent en querelles
ùe r eligion, presque toujours les querelles
d e r eligion ne furent que des querelles polit iques. Le moyen fige étoit fana tique, parce
qù 'il étoit fécond en guerriers viQiens et
'à mbitieux qui n e savoient que la religion et
la savoient mal, et qui portoient sans cesse
la guerre dans l a r eligion, et la r eligion
dans la guerre . C'est que dans le moyen
-âge, un certain esprit r eligieux se m êloit
aux passions , aux vices Inême , comme nous
y mêlons un certain esprit philosophique .
-:Au milieu de ces mœurs barbares qui COrrompoient la religion m ~ m e , la religion et
ses ministres se sont constamment occupés
"de l'amélioration d es mœurs. Ils ont publié
des trêves forcé\,s au nomde la divinité; ils se
sont déclarés contre les épreu ves judiciaires ;
Ils sont in tervenus pour protéger les Juifs
opprimés; l'esclavage s'est aholi à leur voix;
le mariage est devenu mi~uxrégl é ; le peuple
a ét é mieux instruit. Enlin la société a é té
gouvernée par d es maximes plus douces et
plus sociables .
( 99 )
Si le m oyen âge é toit superstitieu x c 'est
qu 'il fut précédé p ar d es temps d 'ig no;'ance
a bsolue , où l'on n e connoissoitd'a utres rap p orts de la cau se il r eflet, que la simulta_
ll éité ou la co-existen ce. Un m étéore , un
évén ement p olitique frappe-t-il l'attention
d ans l e m ême in stant ? Ch ez les h ommes
g rossiers , la plus obscure de ces d eu x choses
c onsidérée comme la plus sublim e , devient
1a canse de l'autre . L'esp rit étonné d e l'intervalle immense qui les sépa r e , e t des liens
secrets (lui les unissent, est frappé soudaine_
m en t d 'u ne t!!Tr eUr r eligieu se. Les d emilumières sont suj ètes à ne jeter que de faux
jours sur tou s les objets. L'ignorant exige
d e la scien ce , l'exp lication d e tout ce qu 'il
voit, et les cau ses occultes qui surprennent
l'espri t en ém ou vant le cœur, triomphent
d'tille r aison mal éclairée. D ailleu rs dan s les
t em ps de crises et de tempêtes politiques, On
est prê t il saisir tout ce qui ranim e l'esp éran ce , tout ce qui d onne une e mp reinte
extraordinaire au x m alh eurs que l'on subit.
On recu eille les prédiction s de l' avenir , p ar ce
que le présent est insupportable ; on croit
facilement aux prodiges , p arce qu'on n 'esp ère plus son salut des moyens humains; on
G .2
<
�(
100 )
aime li regarder les calamités présentes
comme essentielles dans l'ordre des décrets
de Dieu, parce qu'alors la main (lui frappe
est celle qui soutient, qui protège et qui
venge. Et comment au milieu des horreurs
de l'anarclùe et de la tyramùe les plus sanguinaires , l'imagination des hommes ne se
seroit-t-elle point enflammée? Mais cette
exaltation même avoit ses bons eHets. Les
asyles pour l'innocence et pour la faiblesse
se mlùtiplioient ; chaque pratique dont la
religion fut surchargée , chacun des a bus
qui lui devinrent funestes par la suite, fut
dans fia naissance, une digue opposée à la
violence et à l'inj ustice. Le malfaiteur ,
avant de commettre un crime, entendoit
une voix plus qu'humaine retentir autour
de lui et l'arrêter au bord du précipice.
L'avoit-il commis, des spectres sanglans,
des fantômes échevelés troubloient le repos
de ses nuits, le poursuivoient durant sa vie
entière, et s'attachoient à son existence,
pour la tourmenter sans relâche. Mais la
superstition. des temps ne IiIt point propre
à la religion. La théurgie et la cabale, les
sortilèges et l'astrologie ne devinrent-ils pas
le partage de la science? ne furent-i ls pas
(
101 )
principalement cultivés par les incrédules?
Ne les vit-on pas sur les traces de Julien se
,
'
tra.ille~ au fond des antres secrets, pour y
contraIndre les génies à dévoiler l'avenir à
force de. sacrifices et d'évocations magiques?
Ne les vrt-on pas s'égarer avecles Juifs, dans
les calculs incalculables de l'art cab"alistique, et prétendre commander au destin par
des' am ulètes, des talismans et des caractères mystérieux? Ne les vit-on pas invoquer les démons avec- Agrippa, fille le déno~ brement des puissances diaboliques, et
crOIre les enchaîner par des paroles f'Hales,
des cercles et des figures ? Ne les vit-on pas
rendre raison de' tout avec Cardan, par la
situation diverse des astres, et soumettre
les intelligences célestes aux mouvemens
des cieux matériels?' Faudra'-t-il accuser
Platon, l'algèbre ou l'astronomie, des excès
comm is par des hommes qui n'entendoient
pas Platon,
qui ne savoient
pas l'alaèbre
.
.
b
J,
oU· qUI corrompoient l'astronomie?
Le moyen âge h,t ignorant. Mais qui conser~a le dépôt des conn(}issances antiques ?
qUI préserva d'un oubli" total les langues de
la Grèce et de Rome au milieu du mélanae
confus de tous les dialectes du nord? Ce
G3
�(
10 2
)
furent les ecclésiastiqu es; ils m aintinrent
l 'histoire et la chronologie; ils form èren t
des bibliothèques. Tandis que les làiques
du plus haut rang é toient plon gés d ans la
plus stupide ignorance, tandis que Je penple
languissoit dans une sorte d'abrutissement ,
le clergé n e cessa de produire d e beaux
génies et des savans qui auroient illustré
tous les âges . Tels furent le vén érable Bède,
Gerbert, saint Bernard , J ean d e Salis buri,
Abailard, Roger Bacon, AEn eas Silvius. Il
n e fall oit ch er ch er a lors les talens , les vertus , les connoissances que parmi les cler cs ;
ils é toient presque les seuls don! l'esprit
r eçût qu elque culture, car ils r emplissoient
l'unique profession qui n écessitât d es études .
Ils étoient les seuls dontla manière de vivre
favorisât une réflexion calme et continue ,
e t habituât à un certain ordre ; e t c'étoit
l' esprit de la religion qui commandoit cette
r éfl exion et cet ordre salutaire . La théologie
enfin reposoit principalement sur d es mollumens grecs ou latins. L'intér ê t de la religion for çoit ses ministres à s' ln struire de
t out ce qui r egarde l'intérêt d es hommes.
Cette religion que l'on prétend exclu si ve
des vertus publiques , produisit AJIi'ed et
(
103 )
saint Louis , Thomas Mnrus et l'abbé Suger,
le cardinal d'Amboise et Ximenès, Pedro
de la Gasca et Julien Cesarini. Cette religion intolérante fut celle de Las Casas,
d 'Ambroise et de Fénélon. Elle demanda,
d es bords du Congo, par l'organe du capucin Joseph, l'abolition de la traite des
N ègres . Ell e la sollicite dans le parlement
d 'Anglete rre, par la vOL'< de ses ministres,
et des politiques, des philosophes la défimd ent. Cette religion qui ne s'est, dit-on,
propagée qu'au sein de l'ignoranse, dans
les temps les plus épurés d e la philosophie
p ayenne , lui enle va les hommes les plus
distingués ; je parle du siècle des Antonins
e t d 'AJexandre Sévère, et je nomme les
Athenagore, les Justin, les Minutius Felix.
Ne confondons point les époques:: la religion est pour tous les temps, au-ssi fut-~lIe
utile dans'tous ; mais elle est entre les mams
d es hommes, e t les hommes abusent de
tout.
L'injure qu'on a frute à la religion, la
liberté la partage . Comme si les maladies
étoient les symptômes de la santé, on s'est
obstiné à n e r econno1tre la liberté qu'à ses
convulsions violentes qui la mettent en
G4
�( 104- )
p éril. L'exemple et les vertus d e qu elques
!'rands hommes ont séduit; mais il est des
:xemples inimitables. Un cœur h é roïque ,
rempli d'une vertu sublime, qtÙ r edoute
de s'arrêter en-deçà des bornes du d evoir,
les franchit quelquefo\s dans ses élans génér eux . Cet excès, produit p ar l'exaltatioll
(l'une o!'rande
ame, serait un crime pour '
.
l'imitateur servile. Brutus condamnant ses
:fils , lorsque la loi ne l' obli ge~it pas à Iltr.a
leur juge, n 'es t qu'un père denaturé.; mais
cet homme qui craint , en laissant tomber
d e ses mains le glaive des lois, que la ven<xeance de l'État ne soit trallie ; cet homme
~ui immole les plus vifs sentimens de la
nature il l'intérêt de son pays , . qui verse
son sang à grands flots , et dé truit en un
instant ses plus. douces espérances , pour
préserver la yie et le bonheur de ses conci.
toyens; cet homme a tracé la ligne fatale
que J'amour de la patrie et le désintéressement humain ne franclliront jamais. Je fré.
mis, j'admire et me tais. Mais que l'on ose
avancer que tel est le devoir d 'un citoyen.
je r ecule d'horreur et je dis, Non, tels ne,
sont point les droits de la p atrie; ta patrie
est l'Quvrage de l'honlI!le, les sentimcns de
( 105 )
la nature sont l'ouvrage de Dieu. 0 vous
(Jui prétendez transformer tou s les citoyens
en h éros ! craignez de n'en faire que des
monstres. Malheur à celui qui entendant
le récit d 'une action magnanim e , ose froidement se prom e ttre d'en faire autant; car
il ne conn oît ni son cœur, ni 1a sublimité
d e la vertu. Rom e même, qui devoit son
salut cl Brutus , Rome qui le nOmma son
libérateur, ne consacra point son exemple.
La loi romaine défendait en justice de dem ander le témoignage du p ère contre son
:fils. Un romain convaincu d'un crime capital, fut condamné à mourir de faim , sa
fille s'introduisit dans sa prison, le nourrit de son lait, et obtint par cet acte touchant de pié té filiale, la grace de ce fortuné
coupable. C'étoit en propageant les vertus
domestiques, que Rome propageoitle patriotisme. Ce n 'etoit pas le plus utile qui étoit
le plus estimable à ses yeux, c'étoit le plus
vertueux. Elle comptoit pour rien les Services (Ju'on lui rendoit, s'ils l'étoient aux
dépens de la vertu. J'eu appelle à vous,
Fa bricius et Camille, ombres illustres qui
r efus âtes des moyens faciles de vaincre sans
com lwttre , et qui préfërâtes à la victoire
�(
106 )
l 'lJOnneur et la probité ! On semble croire
que ces vertus anticlues tiennent à quelques
paroles sacrées. C'est la form e du gouvernement, dit-on, qui détermine le oaractère
d es peuples. Mais Carth age ne fut-eHe pas
comme Rome républicaine et libre? Retrouve-t-on chez elle cette r eligion du serment, cette fru galité, cette sim plicité de
m œurs? Rome ne compta-t-elle point de
grands citoyens sous ses rois , et parmi ses
rois même? Les Horaces combattirent-ils
sous les consuls? Brutus et Publicola furen tils les élèves de la république ou ses fondateurs? Athènes ne fut-elle pas vendue par
ses orateurs, et Sparte protégée par ses rois?
Ne fut-il pas roi ce Codrus qui se d évoua
pour SOn p euple ? Non, ce n'est point la
forme du gouvernement, c'est l'esprit invisible qui l'animoit qu'il faut ram ener parmi
nous. C'est en vain qu'on dresse pompeusement l'autel du sacrilice , c'est la disposition du cœur, et nOn l e sang de la victime, qui fait descendre le f,m du ciel. Il
faut d'autres formes pour d' autres hommes
et un nouvel esprit. La grandeur et la pros-.
périté des nations s'écroulent avec fracas, et
des gén érations entières traversent le goufre
)
elfrayant du chaos. Elles marchent sur des
dé bris , su r des ru ines de toute espèce, et
ce passage inévitable les conduit à une nouvelle vie. C'est ainsi que l'Europe renaissante après Charlemagne, et voyan t s'écouler peu-à-p eu les flots des barbares qui l'avoient inondée , prit, comme l a terre , api'ès
Je déluge , une face nouvelle, De nouvell es
formes modifièr ent l'hu~anité , et ses fi,cultés I ~s p lus nobles prirent un autre essor,
Les vertus ch evaleresques succédèrent aux
vertus patriotiques, On mit à tout plus d e
d élicatesse ct de sensibilité; c t une mlvtitu de d 'intérêts , d'aHections , de nuances
inconnues aux anoiens, compliquèr ent encore les ressorts déjà si compliqués de la
société , Nous sommes placés Sur le d éclin
de ce p ériode : soutenons ce qui s'écroule,
dirigeons ce qui s'élève; mais n'ayons ni la
p ré tention de dé truire, ni celle d'édiiier;
gardons-nous Sur - tout de p enser à é tablir
des insl~tution s qui contredisent nos mœurs,
nos opinioIlS, n os préjugés. L'univers ancien diffère trop de l'uni"ers moderne; l'esclavage aboli, le nou veau m onde découvert, des religions nouvelles établies, le,
COlllmerce florissant, la na,'iaation
perfec,.,
(
10 7
�°9 )
Le fauteuil élevé de Sully m e r etrace son
amour de l'ordre e t l'austérité d e ses mœurs.
Bayard mourant veut en core faire face à
l'ennemi , e t confesse ses péch és à Son vale t
de pied ; je r econnois à ces traits le chevalier sans peur et sans r eproch e . Ch arl es X II
continue sa l ettre m alg ré l a bom be et l'ef, froi de son -secrétaire , et ce tte in trépidité
o bstinée , le p eint mieu x que ses conquêtes.
Philippe II en désordre , h appe h ors d e luim êm e il la p orte de l'infante sa fill e en lui
criant : Anye rs est à nous . J e saisis d ans
cet élan spontané de SOn ame , l e secr et de
sa profonde dissimula tion , l orsqu'il p arut
app r endre , sans trouble , la destruction de
l'invincible armée. L ouis X I deman dant à
sa petite sain te vier ge de plomb, la pennis sion d e commettre en cor e un crime , trallit
à la fois ses pen chans , ses r emords et sa
sup er stition . D ans L ouis X I V , apprenant
la dévastation du Palatin at , exécutée m algré
ses ordres , et poursuivant L ouvois ses pince ttes il la main , j'aime à voir la col ère se
transform er en p assiOJ';' bien veillante. I.a
d ou ce r éprim ande d e Turenne à son valet,
m e dévo ile tou te l a sérénité de sa vertu.
L a p r ofonde mélan colie d e M au rice de Saxe,
•
( 108 )
tionnée , l'art de l a gu erre r enou,'elé , l'étendue des em pires , l'imprimerie , l a facilité des com munications , sont autan t d 'obst acles au r etour des idées an cierules , a utant
d e cau ses qui concourent à créer un n ou vel
esprit et des form es n ouvelles. C'est en nous
r essemblant à nous-m êmes que n ous ressemblerons aux anciens. É rmrlolJ s.dans leur
zèle un Timoléon, un P élopidas , un Tr asybule , mais n e nous astreigu ons pas à' uneservile imitation.
On r ab aisse trop les modernes quand On
les compare aux grands hommes de l'antiquité , et c'est la faute de nos ~~t~riens. U~
r ejettentles d étails , ceu x-là pre"lsement qm
P ei un ent les h ommes , comme indignes de
b
l a majesté
prétendue d e l 'h.istoire. Comme SI..
l a vérité étoit jamais au-dessous de l'homme,
e tque la postérité n e dih conno/tre que l'app arence officielle et pu blique des év~ne
m en s ! J e n e sais quelle bienséance mmutieuse retient leur plum e , mais ils n e nous
montrent que des scèn es d 'appar eil et de
r eprésentation, e t une insipide étiq~ è ta
décolore tous leurs r écits. Ce sont les petites
ch oses, les mots fugitifs , les ac tions,ind éli.
b érées qui peignent les grands car actèr-es.
(
1
�(
11 0
)
la veille de la bataille de Raucou.x, exprime
le saisissement d'w1e ame généreuse que
our de la aloire n e rend point étranl 'am
"
ère au sentiment de l'humanité . Ce sont
g
" 1 f'
. ,
ces détails caractéristiques qu l aut1SaISIr.
.
C'est ainsi que Plutarque e t Joinvil e pelet leur
in o-énue nàiveté sera tou-.
. t'
gnolen
b
j ours préférée à cette dignité d'apprêt qUl
n e nous montrant les homm es que sous leur
costum e public, nous présente l'abstraction
d'un roi d'un prince , d 'un général, dont
on pOUl';oit échan ger les noms san s faire
souffrir la vraisemblance.
Nous venons de voir quelle a été, sous
plus d'un rapport, la puiss:mte infh:ence
de l'esprit du temps; exammons m amtenant de quels élé mens se compose ce gén ie
de ch aque siètle qui influe si puissamment
SW' les destinées des grands h ommes.
L 'histoire commence avec la société , et
la société commence avec l'homme . C'est
Uru1S la société que l'homme entier se d ével oppe. Au milieu des occupations servil es
'lui absorbent la plus grande partie du genre
humain , que deviendroit l a perfectibilité
qui est le caractère particulier de notre
espèce, si les travaux et les progrès de
(
III
)
quelqu es-uns n'étoient reversibles sur la
multitude? C'est ici que r emonte cette inégal ité des conditions, SOurce de l'lurmonie
sociale, et l'unique moyen de la civilisation humaine; inégalité fondée à la fois sur
les plus nobles prérogatives , et les plus
touchantes aflections de l'humanité : le
génie et la bienfrusance.
Outre le caractère des premiers fondateurs , Outre les circonstances qui déterminent le but de l'association, il faut remonter aux traces profondes que l aissent
d ans les ames , le souvenir du passé, et les
aspects divers de la n ature , pour bien Connohre cet esprit général qui r ègle l a m arche
d es idées , détermine les formes du goilt, et
se manifeste principalemen t dans les manières e t les mœurs d'un p euple . L e passé
doi t sans cesse influer Sur le présent. Ce
sont les vieillards qui forment la jeunesse.
Les impressions d e l'enfance s'oublient peu;
e t les images, les r écits qui entourent notre
berceau, déterminent d 'avan ce l es inclinations de nos cœurs. La beauté du ciel, la
pureté de l'air, l a coupe du pays , le voisinage de la mer, diversifient les gOîl~, et
nuancent la sensibilité.
-
�( lU )
l
C· t ainsi que les premlers habitans dé
~ te et du pays de SeJlnaar, f rappes
'
'É
gyp
d
. 1
' le souvenir encore récent es gHUlC es
pal
l'
catastrophes de la nature, et ra~pe es par
1
hénomènes qui les entoUrOlent, à la
es p
. . 'bl
.
"rande pensée d'une puissance UlVlSl e (lut
'"
.gouvernOl'tl'unl'versentier , s'aba.nclonnèrent
'"
' .
sans réserve à l'instinct re l Iglenx
e t con~a·
crèrent 'Ul sacerdoce permanent et h éréditaire au maintien du culte divin. Dans un
uni et sou s tUl ciel S:UlS n.uage,
radieux cles astres, clevolt attIrer leurs 1 e
gards, lorsque la nuit ramcnoit la ~raicheur
sm' leurs campagnes brlliantes. Agn~ulteurs
et pasteurs, les premières connOlssances
astronomiclues s'associèrent à. leurs travaux.
Bientôt, comme dit Platon, le soleil et la
lune leur apprirent la science cles nombres,
et la supputation des jours devint la base du
calcul. Le Nil par ses débortlemens annuels
força les propriétaires de créer la géométrie ,
L 'as tronomie en élevant les ames par la contemplation de l'immensité , renforça ce penchan t pour l e merveilleux que le dogme
d'une divinité cachée fillsoit nfdtre. La géométrie lui prêta ses figures symbo1ifjUeS ,
l'aritlunétic[ue, ses combinaisons multipliées,
~ays
l'éc:a~
( 113 )
~liées. De cet ensemble, il résuita un esprtt
d'ordre, de méthode et de gravité, tin esprit
contemplatif et ardent qui rattachoit les
eflets aux causes p ar des rapports secrets,
ét supposoit en tout tUl sens mystiquè et
figuré , dont la déCouverte étoit le but et la
récompense de la science et de la s"gesse.
D e-là ces profohds mystères des prê tres de
M emphis et de T llèbes . De -là cette classification exacte des hommes etdes biens , cette
vie régulière des rois; enfin la pompe de
tant de cérémonies, qui consacroientchaqtie
époque remarquable. Une certaine tournure
énigmatique domina dans les sciences. On
vit beaucoup d'initiés , mais peu de savans.
Les sciences exactes se conservèrent parce
'
,
qu'eU es n e sont pour la plupart, qu'une
série de vérités figurées; les autres perdues
pour la l)ostérité, demeurèrent ensevelies
sous les voiles obscurs qui les d éroboient
aux yeux des profanes, Les arts gagnèren~
en élévation, ce qui leur manquoit en COr.
rection et eH grace . On retrouva dans leur
style 1 cette imagination colossale et mystique qui dominoit tout , ils présentèrertt la
réunion d'idées éloignées ou disparates.
Les temples, les palais, les édifices, furent
H
�( 114 )
gigantesq1l.es; on Yit s'élever des obélisqu es
audacieux et des pyramides énol'Illes; des
souterrains immenses furent oreu sés ; des
labyrinthes tort ueux furent construits. On
n e vit qu'ornemens bizarres, h yéroglyphes
singuliers, figures allégoriques. D es jardins
furent suspendus au milieu qes airs; des
{leuves furent d étournés . On creusa des
m ers , e t d es gén érations entières furent
consumées par ces inconcevables travaux.
Comment Orphée et P ythagore n 'auroientils p as rapporté avec la doctrine des Égyptiens, cet enseignement mystérieux et ce
langage allégoriq1l.e qui sembloient ne
faire sortir la hunière que du se in de l' obscm-ité et des omb,es, n e la d estinant qu'aux
es.p~·its doués d'assez de p énétration pour
percer les nuages qui les voiloient? comID eJ;lt n 'en auroient -ils pas rapporté une
foule de préceptes symboliqu es, qui caohoient sous certaines images d es r ègles de
c.onduite et de mœurs?
L es Grecs , dont l a première institutiol1
fut le gouvernement domestique, furent
çivilisés par l'io sti,nct moral bien plus que_
p a~ l'instinct religieux. L es lois de l'union
conj1;lgale vi)J.rent adou cir leu,rs p emes,.
•
( 11 5 )
,
donner un but à leurs travaux , e t les arracher à la barbarie. De petites sociétés se
f~"'mèrent ensuite par la réunion de pluSIeurs f~milles . On s'accoutum a à regarder
cell es - C l Comme faisant partie d'un plus
g~alld corps ~ qui étoit le corps de l'État. Les
p eres. nournssoient leurs enfans dans cet
esprIt, et les enfans apprenoient dès le berceau , à regarder la patrie comlne UIle n1ère
commu~l e à qui ils appartenoient pllls enco:e qu à leurs parens. L'amour etla reconnOlssance enfantèrent bient8t le- dévouem ent et l'héroïsme. Une contrée riante
fle~ie et pittoresque , un clim at tempéré
qUl rendOIt les hommes plus sensibles aux
charmes de l'harmonie, l'élégance et la r é.
gularité des form es humaines, tou.t COntribuoit à reQlplir les cœurs d e ce sentiment
du beau si f,worable à la morale, qui donne
des ailes à r ame, e t qui l'élève p ar deQ'J'és
jusqll'à la source vivifi ante et sublim= de
toute beauté. Mu sée, Linus, Orphée cr éent
les arts e t les p euples. Les doux accens de
la musique peuvent seuls adoucir les fëroces
Arcacliens. Les chants m spirateu rs d e la
poésie rappell ent la victoire qui désertoit
ies rangs des Spartiates intrépides .Les bea1lX
H ..
�( 116 )
arts fais oient un e h eureu se alliance avec les
vertus sociales. La Grèce étoit comme un
vaste Muséum d e grandes actions écrites en
monumens durables , sur le sol même d e la
p atrie . Les h éros renaissans sous la bal?"ette
du génie, devenoient les contemporams de
toutes les générations . Les mausolées , les
tableaux, les statues, les cénotaphes, les
poëmes, les jeux public~ , les temples même
étoient consacrés au patriotism e , à la reconnoissance et à la gloire. Toutes les aHections du cœur hum ain d éifiées , plaçoient
la morale sous la puissante protection de la
divinité. L es lois atteignoient les vices. Des
tribunaux redoutables punissoient l'ingratitude. L'égoïsme et l'insen sibilité étoient
frapp és du mépris public. Faut-il don c s'étonner si les philosophes gr ecs , con sidérant
l'ame humaine comm e un abrégé de l'univers , ont transporté dans la physique toutes
les 'lualités morales ; si Empédocle a joint
aux quatre élémens , d ans la formation du
m on de , l'amour qui unit leurs parties, et
la haine qui les sé pare ; enfin si d 'autres
physiciens ont appliqué l'horreur du vide à
l'élasticité, et la paresse à l'inertie?
Chez les Romains, qui n'étoient dans
l' oricine
que des barbares épars que R ob -
( " 7 )
mulus, Tatius et Numa réunirent dans l'intention de leur donner des lois, ce fut la
politique qui fit tout. Des bandits errans
dans les forêts , n'étoient guères susceptibles
d'être conduits par les saintes inspirations
de la conscience, ou l'aimable impression
du sentiment. Ils ne virent, ils ne durent
voir que l'intérêt de cette société naissante
qui leu r donnoit une patrie et les r éhabilitoit
dans leur dignité d 'hommes qu'ils avoient
p erdue. Numa sut inspirer la crainte des
Dieux à ce peuple qui ne craignoit rien.
Dan s le midi, où l'imagination est plus vive,
les hommes sont portés à donner un corps
et des form es à tous les obj ets de leur vén ération ou de leur amour; les impressions
sont fortes, mais peu profondes, et le
l~gislateur qui veut agir Sur l'ame, doit
la presser par tous les sens à la fois. Une
r eligion cérémonieuse, mais dans le fond
toute politique , donna des mœurs et une .
morale au p euple romain. Des prodiges,
des prédictions signalèrent son enfance;
et ses Dieux lui annoncèrent une grandeur
que ses législateurs préparoient. La destinée
de Rome devint le centre unique de toutes
les pensées e t de toutes les entreprises.
H3
�( Ill! )
Toutes les vertus, toutes les action s avoient
pour but d 'avancer l'inst~t desir~ de sa
domination univ~rselle . POInt ùe SCien ces,
point d'arts parasites; rien ne de voit distraire du grand obj et. Les temples des Romains étoient moins consacrés aux Dieux ,
qu'au géJùe protecteur de Rome; l:s ~asi
liques étoient les temples de la ]Ustl.ce ;
les nombreux arcs de triomphe semblOlent
autant de gages q\le leur avoit donn é la victoire de sa c'o nstante fidélité . Leurs ponts.
l eurs colonnes milliaires, leurs voies pompeuses étoient consacrés à l'usage public:
Tous leurs monumens étaient dédiés à la
gloire ou à l'utilité de la n ation. N'accuson~
donc point de superstition les magistrats 'luI
punissaient un "énéral pour n'avoir pas '
suivi les présag~s. IL importoit de faire
voir au peuple, dit Montesquieu, que les
mauvais succès n' étoientpoint l'effet de la
mauvaise constitution de l'État. N'accusoris
point d'impiété l'illu stre Fabius, lorsqu'il
disait que ce qui était avantageux à la rép~'
blique , se fais oit touj ours sous de bons aus·
pices. N'accusons point, ennn , tant de Rbmam
' s b"énéreux , de ces tl<'lierres injustes ,
d e ces alliances hostiles, de ces protections
( 119 )
tyranniques , 'l'li furent moins leur ouvrage
que celui des lois de l'esprit et de la religion
de leur temps. Rome devait commander à
tout l'univers; Rome le crui fortement, et
l'ulù,'ers fut subjugué.
Les p euples septentrionaux qui se partagèrent les cfépouilles de Rome, n és sur des
bOl'ds glacés, parmi des rochets Ilienaçans
Ou dans l'o mbre des forêts silencieuses,
teçurent avec le jour un sentiment profond
e t mélancolique. Il devint li source del
leurs vertus guerrières, et dé ces affections
d élicates (lui les distinguèrent. ils ne s'associèrent 'lue pour les combats, et la bravouré
devint chez eux la première des vertus. Le
moindre soupçon de foibfesse entra1noic
le m épris général. La ~,;eil1esse était redoutée comme la. décadence de la vie. Les
femmes, leurs compagnes inséparables et
lellrs épouses chéries pouvoient seules temp érer leurs caractères- arùens et féroces. Ces'
hommes violens, prompts il céder à la passion, commé' il revenir à la nature, obéi soient au charmé secret de leur voix enchanteresse. Leur rare beauté, leur allie
pure comme Yonde des lacs paisibles de
leurs forêts, les idées guerrières d'honneur
H4
�(
1 2" )
et de gloire qu e 1eur sexe avoit empruntées
du nÔtre , ch angeoient l'amour, parmi ces
barbares, en un e passion noble e t délicate,
qui élevoit l'ame et enRammoitl e courage.
Les hommes devinrent des h éros. et les
femmes acquirent une fi erté qui ne nuit
point à la vertu. Souvent poète et guerrie.
le Scalde ou le Barde chantoit sur sa lyre et
comb attoit avec sa l ance pour la beauté qu'il
a doroit. Les arts n 'étoient qu'un inconcevable m élange de bizarrerie et d e grandeur. Telle fut la source de cet esprit de
chevalerie, qui daJls Ull temps d'anarchie et
de confusion, associa l a religion, l'I, éroïsm e
etl' alUour, pour suppléer à l'absence de toute
force publi,!ue ; qui refondit toutes les idées
et retrempa tous les santimens ;. qui acheva
l a clv.ilisat;iOll d e l'Europe et m aintint sou
indép endance . Ah l blâmons plus modérém ent ces.intrépides croisés que les plus puissans et les; plus nobles nlotifs arn u;hoient à
leurs trÔnes et à leurs p euples ! Un saint
zèle arma S:Unt Louis; l'ardent amour de l'a
gloire entraîna Richard. C'est de nOs jours
l a soifde l'or qui déplace Les hommes pOUl;
les a,}:>rutir , et notre froide philosophie ose
reprpcher à nos pères le sang qu'ils versèrent
(
I21
)
en Asie, ' tandis que l'Amérique fuman te
n ous accuse devant la postérité.
Enfin deux siècles en viron avant l a renaissan ce des lettres , au sein de l'ignoraJlce
universelle, il s'éleva d e nouveaux doct eu rs dans l'église. Ce fu rent ces ordres
r eli gieux, destinés à la prédication, et condamn és à la mendicité; mais qui se glorifie"t avec raison d 'avoir produit Thomas
d 'Aquin e t Bonaventure. Leur pauvreté ne
leur p ermettoit guères d 'ach ete r des livres
très-chers , leur 'vie ambulante ne leur permettoit pas de les transcrire eu x-mêmes. Ils
em ployoient un temps con sidérable à méditer et à se perdre en de vaines spéculations.
U n goilt prédominant pour l'allégorie, et
qui provenoit de leur ignorance du sens
littéral de l'écriture, devint la source de
mille subtilités. Chacun d'eux r eprenoit la
théologie par sa base, et l a reconstrllisoit
d 'après ses propres raisonnemen s, en négligeant les leçons que l'esprit de la plus pure
antiquité nous avoit t ransmises par la tradition. Ils r emirent tout en question, et résolu rent par des probabilités et des vraisembl ances, ce qu'un p eu de scien ce eilt facilement décidé sans h ésitation. Il arriya de -là
�(
12 2 )
que des livres faits pour servir d'instruction
dogmatique, n' oHroient qu'tille suite de
conjectures plus ou moins fondées , e t devinrent le sujet d 'interminables disputes.
.Ainsi uac!uit cet esprit scholastique et Con- .
teutieux qui attaque indistinctement le vrai
Ott le fimx, qui met toute SOn habileté à
rétorquer un argument, ou à éluder une
objection, qui compte pour rien le fond de
la doctrine, pourvu que le docteur soit invincible, et qui le rend invin cible pourvu
qu'il soit infatigable. Je laisse à penser jus<lu'à quel point, l'influence de cet esprit pré.
vaut même dans notre siècle. La renaissance
des lettres en suspendit pour cluelques instans les effets. La raison fut totalement
écartée, et l'autorité régna en souveraine.
Ce fut alors que l'on vit Marsile de Padoue
d émontrer par les principes de la politique
d'Aristote, que l'empereur avoit droit de
borner la jurisdiction des évêques et du pape
même . Mais lorsclue la liberté de penser
fut rétablie, lorsqu'on discuta sans préjugé
les opinions des anciens, J'habitude d'ergotiser qui s'étoit maintenue dans les écoles,
se glissa dans la philosophie. Chacun a repris
au pied l'édifice des sciences. On a par-
( 123 )
couru toutes les faces d'une idée pour l'aclapter à son systême. Le doute .est deven.u
scepticisme, la parole , o~ ~a raIson marufestée est demeurée une epee à deux tranr
chans, on a VOIÙU tout soncler pour to:,t
mesurer, tout détruire pour tout rebatIr.
Qu'on ne reproche donc pas à Descartes,
av ec tant d'ai<Treur, de n'avoir secoué le
"'
' tyran
joug péripatétigue
'lue pour d
everur
à son tour. S' il retarda les progrès de la
' l'analyse
physique expen. mentale, lL crea
.
.
logique. Tout ce que la science pouvOltterur
de l'esprit et de la raison, Descartes nous
l'a enseigné. S'il s'est égaré dans les abstractiollS et les termes vides de l'école, c'est
qu'il vivoit dalls son siècle. Ce fut beaucoup
qu'il sentît le besoin de remplacer ses an, .
ciennes opmlOns,
par desopllùonsnouvelle~
.
Le temps n'étoit pas "en~ 011 .1'0bservatto~
et l'expérience devoient servIr de base à
toute saine philosophie.
Appliqu ons encore al). plus grand homme
de not·re siècJ.é, je parle de Pierre-le-Gra~d,
lie noUS venons de dire, touchant l m~
ce g
l'
ds
fluence de l'esprit du temps sur ame e
<Trands hommes même. S'élançant sur le
,.,
. dè s sa plus tendre
trône au péril de sa Vie,
�(
124 )
j eunesse, il s'atfralkhit de l'avilissante tutelle des Strelits, il appela les al'ts Sur le
sol barbare de la Russie, il créa une armée
de terre et de mer, et des jeux furent le
prélude d e cette grande r évolution, Venant
de donner la paix à la Chine et des lois à la
Turquie, il entra triomphant dans Moscou,
de-là il envoya dans l'Europe entière de
je~nes Russes destinés à l'apprentissage des
SCIences et des arts, On le vit bientôt luimême, s'environnant d'artistes J devenir
leur élève , et même leur rival, et réclamer
au milieu d'eux, le salaire de SOn travail
personnel. La pompe et la grandeur de
Louis XIV en imposoient au monde' la
politique et la sagesse du roi Gui1la~me
soutenoient seules l'Europe; lorsque le czar
Pierre vint se faire recevoir maitre chal'pentier à Sarlam. Du fond des chantiers
de la Hollande, il promettait trente mille
hommes au roi Auguste, et dirige oit les
mouvem~ns de sa propre armée, occupée
en Ukrame à contenir les Tartares, Mais
Pierre, étranger aux opinions comme aux
arts, de l'Europe, s'apercevoit à peine qu'il
y eut quelque chose d'extraordinaire dans
sa conduite, et tout glorieux d'être caporal
( 125, )
ou lieutenant dans nn de ses nouveaux
régimens, il ne connoissoit point cette
sorte de dignité qui enchaînoit 1a valeur de
Louis XIV et le rendoit spectateur immobile du fameux passage du Rhin. S'il fut
despote et populaire, humain et farouche,
équitable et cr uel, c'est qu'il devoit J e ses
vertus (luelque chose à la nature, beaucoup
à ses propres efforts, et tous ses vices à
l'éducation et aux mœurs de sa patrie.
Les plus allreux supplices, les plus sanglantes exécutions, n'étoient pour lui que
des moyens de police ordinaire. Il vouloit donner à son peuple un nouvel esprit,
et il cédoit lui-même à la tyramue des ancielmes formes, Il défendit aux Moscovites
de s'honorer du tihe d 'esclaves, et il les
força à coups de bâton à, raser leur barbe,
et à raccourcir leurs robes. Il les assujétit
dans leur intérieur à des règles de politesse ,
et promul gua un code p énal pour les incivils et les discourtois, C'est qu'il retrouvoit
dans ses habitudes , l'intolérance qu'il avoit
bannie de ses opinions, et que l'obéissance
servile lui sembloit la plus prompte méthode
pour arriver à l'obéissance libérale. Faisant
à la fois la guerre en Suède, en Pologne
�( 126 )
et contre les Turcs, il se m e ttait à la tête du
clergé , attafjuoitles privilèges des Boyards,
fondait des hôpitaux, des collèges et <les
manufactures , creu sait des canaux et ouvrait des routes, jetait erulu les fondemens de Pétersbourg et de l'influence russe
en Europe. Mais au sein ùe tant d e nouveautés , ram en é sans cesse à ses m œurs
anciennes , on le vit à Narva eu ' 704, ponr .
arrêter la licence de ses sold ats , les poursuivre le sabre levé , et en tuer deu x de sa
propre main. On le vit en Russie ré pandre
fi'oidement le sang , et se li vrer à d es orgies
honteuses et barbares. Tandis que des académiens se formaient à sa voix, que l e COIllmerce enrichissoit des con tr ées n aguères
inconnues à ses traliquans , que les monarques d 'Asie recher choient son alliance , que
le nord de l'Europe recevait ses lois , et que,
l e midi lui décernoit le titre d'Empereur;
tandis que passionn é pour la gloire, il faisoi b
con sister la sienne à r égén ér er ses p euples,
père dénaturé , il osa demander compte il
son fils de ses pensées les p lu s secr ètes ,
et le condamner pour ses intentions. Si des
ma..times despotiques et d es exemples sanguinaires ont pu l' entraîner, gardons-nous
( ) 27 )
de le juger avec cette rigueur sévère qui
convaincroit tout autre prince de l a plus
fëroce inl mruanité. Souvenons-nous que les
lois de Hussie ne permettent pas au fùs du
souverain d e sortir de l'empire malgré son
p ère, et qu'une pensée criminelle y peut
ê tre du r essort d es tribunaux; ruais n 'imitons pas aussi ces philosophes complais ans
qui le louent d'avoir cimenté ses lois par
le sang d 'un fils ignorant et fanatique, convaincu à leurs yeux du crime inexpiable
d'avoir aimé le clergé et protégé les moines.
Ils soutiennent que le despotisme n 'est pas
un gou vernement, et ils ne craigoent point
de justifier l'un de ses actes les plus cruels,
parce qu'il a préyenu peut-être la chute d 'une
académie. Hendons justice à Pierre premier:
il fut le fondateur d'un grand empire, en
lui les vices privés influèrent peu sur le
grand prince. S'il a forcé la n ature en tout,
en tout il l'a forcée pour l'embellir. Le plus
pUiSSaJlt empire du monde, dont il fut
comme le créateur, éternise le souvenir de
son nom en déployant les forces qu'il en a
reçues; mais l'le dissimulons l'as que, s'il
obtintpanni nouS des louan ges immodérées ,
c'est qu'on crut ne pouvoir jamais assez.
lou er un souverain qui fit descendre la ma-
�(
12ll )
jesté royale dans les atteliers du mécanic:en
et dans le laboratoire des savans. Les philosophes ont rendu à sa mémoire le tribut
d'hommages qu'il avoit payé il leur vruuté.
Observons que plus l'esprit du siècle a d'influence sur les hommes, moins les h01l1mes
ont d 'inllu ence sur leur siècle. Lorsque les
lumières se r épandent, le systême de l'éga.lité des esprits se propage, une sorte d'=arclue morale en estla suite funeste. Certaines
opinions reçues et généralement adoptées,
donnent insensiblement la loi. On n'écoute
pas ceux qui combattent les préjugés dominans; en applaudissant ceux qui les prée 0"
nisent, c'est à soi-même que l'on rend hommage. Il faut alors de bien grands hommes,
ou de bien grandsévénemens pour changer
le cours des idées .
On se vante de vivre dans le siècle des
principes, et ch acun se eroyan t une puis"
sance, craint de d éroger il sa propre majesté.
L'enthousiasme pour un individu avoit cela
de bon que chacuns'oublioit soi-même pour
songer à son parti; l'enthou siasme pour les
principes a cela de mauvais, que chacun ne
pense à Son parti que pour s'occuper de
soi-même. Alors les homm es n'ont plus
l'len
( 129 )
!·ien de com)1lun, ils on~ brisé tous les fùs
cie soie qui les lioient les uns aux autres, le
prestige du rang est détruit, la supériorit~
des talens méconnue, l'autorité de la ver~
:rejetée, le respect ponr la vieillessé oublié.
I~a crainte et la cupiJité font tout; c'est en
vain clue l'égo'isme s'isole. Autrefois quand
un h omme hardi prêto it le flanc, la mlùti~
tude é toit sous le bouclier; alors l'oppression
p èse sur tous, elle atteint le moindre individu jusques dans son imperceptibilité.
Aux hommes qui envisagent l'Iustoire
d'une façon trop littérale , nous pouvons
<;lonc répondre: consiJérez le génie et le
caractère de chaque siècle en jugeant les
gr=ds hommes, et vous apprendrez à les
séparer des erreurs et des préjugés de leur
temps; et vous saurez quelle est dans chacune de leurs actions la part de la sagesse ,.
de la magnanimité ou des circonstances.
Fuyez, dirons-nous encore à l'lustorien,
cet esprit de systême ou de prévention, nUlle.
fois plus drulgereux que l 'ignorance. L'ignorance grossit ses narrations de fab les absurdes . et puériles; l'e~prit de systême dénature la vérité. Les chroniques les plus
informes olIfent au critique éclairé une
1
�( 130 )
moisson abondante. L es recits que dicte la
partialité sontinadmissiblesdans leur entier.
Sbns la plume de certains auteurs, l'histoire
se chan ge en une épopée, oil. tout doit tendre
vers un objet unique. Tout ce qui s'écarte
~hi but qu'ils se proposent, leur semble
épisodique et accessoire , et ils donnent
libre carrière à leur imaginatiolil. sur tout ce
qui peut y concourir. Quelques aveux leur
êch appen t, quelques contradiotions nous
éclairent; mais il peut d evenir dangereux
d e s' en prévaloir. Irri té par leur m auvaise
foi, on court risque de sortir des bornes de
la modération. Le sort de la vérité historique est commis alors à une espèce de
d'uel polémique qui ne prouve que l'ach arnement des deux p artis. Ainsi les exagérations des -philosophes contre l'intolérance
religieuse produisiren t l'Apologie de la
Saint-Bartltelemy par Caveyrac. Voltaire
avoit voulll cha.rger la reEgion des crimes
&e ].a- politique; Caveyrac pré tendit justifier
la politique, et ne repou ssa 'p oint les coups
qu'on portoü à la religion. La p assion accueille également les témoignages mens01lgeTS des poètes , et les amplifications
hyperboliques -des oTatel1rs. Elle exhum e
( 13 1 )
les anecdotes oubliées et rejetées par l es
contemporains, tout ce qui est conforme iL
!les vu es, lui paroh concluant. E Ue repousse
sans exa men tqut ce qui la contrarie; quelquefoi.s elle agit sans motifs apparens , et
un YaJ.ll rullour propre l'anne pour la défen se des bizarres caprices d'une imaainat ion déso rdonnée . On comprend po~rq~oUe
tyran P olycrate composa l'éloge de 13usiris .
" .
JJ:a1S glU pOUfrOlt e"pliquer pru' qu.eJle~
raisons le plùlQsophe Cardan entreprit celui
.de Néron? Souvent l'esprit de parti r épand
ses poisons sur l'histoire. P eu importe alor~
qu'un document soit vrai, s'il es t u tile. On
ne manque jamais de pré~extes pour justifier son o bscurité . La vérité, dit-on, est si
mal r eçu e qU3lld elle se montre parmi les
hommes. L a puissance l'opprime toujours
_e t ne la tue que trop souvent. Avec ces mi§érables argumens, on a r essuscité <Je nos
jours tous les libelles odieux enfantés par
l a fureur des guerres civiles, soit en Anale.
b
terre, SOlt en Fr=ce. On a tenté de justifier
l e panicide Ravaillac, et d 'imputer des
crimes aux monarques les plus vertueux.
D ès la naissance du christiruùsl1le , Etmape
'èt Zozime écrivirent des rumales =ti-eccléI 2.
,
�( 13 2 )
si astiques ; plus d'un écrivain dans ce siècle
a marché sur leurs traces, et la méthode
d'isoler quelques faits ch oisis , et de les considérer Gomme l'ossilication de l'histoire,
est le plus grand coup, p eut-être, que l'on
plùsse porter à la certitude lùstorique ; c'est
l'art d e con struire des faits fau x avec des
faits vrais. Quelques-uns s~ prévienn ent
pour leur h ér os et le peignent toujours hors
de l a nature, pour le montrer au-dessus de
l'humanité. On a r eproché à Xenophon
d 'avoir dans sa Cyropédie , tracé le portrait
du modèle des rois, plutôt que ,celui du
Cyrus. On allègue quelcjue chose d 'approchant contre le peintre de Ch arles X II .
N'être pas exactement fid èle à la vérité, c'est
l'outrager. On a quelquefois pour la taire
des motifs que la p lù losophie avoue. Celui
qui prétend l' emb ellir, l a déguise ou l a travestit; celui qui la dissimule ou clui la combat, m:mque il. ce qu'il doit au x autres, et
à ce qu'il se doit à lui-même. Philostrate
n'écrivit l'histoire d 'Appollonius de T yane
'lue pour opposer aux miracl es , q ni fondoient la doctrine des chrétien s , les miracles
fabuleux de ce soplùste célè bre . Un Anglais
l'a de nos jours traduit et commenté dans le
( 133 )
mê me esprit. Paul J ove a plutôt composé le
p a négy ri'jue d e Léon X , que l'histoire de Son
t emps, et sa plume vénale distribuoit la
l ouange et le bl âme au gré de son avarice .
Enfin Solis, trop aveuglé par l'intrépidité de
Cortez , cherche il. le la ver de tous ses crimes,
et ose ouvertement reprocher à Las Casas
d'avoir soulevé l e voile qui couvroit tant
d 'horr eurs. .
'
Il ',,,s~ une autre espèce d'aveu glement.
Quand un grand événemen t change la face
du monde, et qu'une grande révolution
é~late ~ les ~)arties intéressées envisagent
d un œI l clifferent ce terrible spectacle. Les
nns n e le regardent que comme l'ouvrage
de quelques con jurés méprisables et l'attribuent tout entier à des causes accidentelles
et il. cles circonstances particulières. Les
autres le représentent comme une crise nécessaire au hien-être de l'espèce humaine
et que les événemens antérieurs amenoien;
ll~fai.llible rne,lt . C'est pour eux le signal d'un.~
regénération l ong-temps attendue , l'aurore
d'un nouveau jour et Je commencement
d'un monde n ouveau. Les uns et les autres
se trompent. Chaque révolution est sans
doute la conséqu en ce inlmanquable d 'tille
13
�( 134 )
foule de causes moral es qui la préparent
lentement et sans bruit; mais lorsqu'elle
fond actuellement Sur un peuple ou SUI"
plusieurs, c'est toujours par le concours au
moins fortuit de quelques causes occasionnelles. Les passions et les intérêts humaiIl s
y ont toujours lme plus grande part que les
principes. Mars ce sont les principes qui
fournissent am, intérê ts et aux passions, les
moyens qu'ils employent et les a rmes dont
ils se servent.
Enfin des sophistes non moin S dangereux
mais plus séduisans, transformeljlt l'histoire
en systême de philosophie .
Buffon a dit: la nature s'embarrasse p eu
des indù'idus, elle lIes'occup e que de l'espèce. Cette pensée de naturaliste appliquée
à la politique et à la morale, a produit d es
maux incalcul ab les. Toutes les dispositions
naturelles de l'homme , a-t-ol1 dit, en assujétiss~nt l'histoire il cette é tran ge maxime ~
ne d oivent point se d évelopper entièremYft
dans l'individu, mais dans l'espèce entière.
Ce sont les ch ocs, les oppositi ons, les discordes, abl'tne de m aux quand on les considère sans but, qui dans l'ordonnance d'un
soge createur, opèrent le développement
( 135 )
des dispositions de l'espèce . Nous sommes
civilisés jusqu'au dégoût, et cette culture
excessive est le préalable nécessaire de la
moralité parfaite. Le temps viendra enfin
où le but de la nature sera rempli, et la
félicité du genre humain complète sous
tous les rapports.
Mais la base de ce systême qui déroule à
nos yeux le livre des destinées, et qui . lie
tous les événemens lùstoriques à la perfectibilité imaginaire du geNre hUlllall, porte
sur un abus de mots. L 'espèce humaine,
dit-on, est susceptible d e perfectibilité, et
J'insociable Hsociabilité des hommes la conduit ù sa perfection. J'accorde que l'espèce
humaine est perfectible, puisqu'elle est
composée d'individus qui le ~ont; j'accorde
encore que l'homme est S0ciable, et que
sa sociabilité est le plus puissant véhicule
de son perfectionnement. Mais je ne sépare
point la perfeotibilité de l'espèce de celle
des individus; car les indi·v idus ne sont
jamais , avant l'expérience etl'observation,
ce qu'ils ne peuvent devenir que par elles.
Un peuple n'est plus éclai.é qu'un antr",
que parce que les hommes qui1e composeut,
sont eux-mêmes plus éclairés; car tous les
14
1/~
�( 136 )
individus nai;sent également igrior ans. Lè
inot peuple comme le mot somme, ne me
présente d 'autre idée que le résultat d'une
addition, c'est-à-dire, d 'u ne opération de
mon esprit; puisque dans la nature, il n 'y
a que d es unités. P our qu'il y ait perfectibilité , il faut qu'il y a it persistan ce. Or
l'espèce naît et meurt à ch aque in stant.
Pour qu'il y ait p erfectibilité , il faut qu'il
y ait identité , et l'espèce n'est qu'une su ccession constante d'individus . Pour qu'il y
ait perfectibilité, i l J::mt qu'il y ait volonté,
or de (Juelle volonté le genre humain peutH être capable? P our qu 'il y ait perfectibilité, il faut qu 'il y ait conscience, et
. quelle peut-être la conscien ce de l'espèce?
Pourquoi l'expérience des p ères est-eUe p el"
due pourleurs enfaos? C'est que les hommes
ne vivent p as d 'un e vi" commune; c'est qu e
ch aque individu a le sentiment distinct de
SOn existen ce séparée; c'est enfin que quand
même un concours prodigieux de circonstances donneroit les m êm es combinaisons,
nous n'aurions jamais l a con science de cette
identité. Chaque individu il sa fin en luimême, et c'est là l e but de la nature. Qu'on
ne confonde pas l es moyells avec la fin,
( 137 )
L 'h omme n'existe pas pour la société, la
société n 'exis te que pour l'homme; ell e fut
formée p our aider et protéger le développ ement de l'individu: la perfectibilité de
l' espèce même , n'a donc que l'individu
p our obj et.
E n eHet, si le genre humain p ris en
m asse , sem bJe clemeurer imm obil e , certain es sociétés se distinguent par leurs progrès.
L'influence de quelques grands hommes ,
l ong-temps après leur mort, vivilie des
peuples entiers . Mais comme le mouvem ent
qui diminue quand il se communique, elle
s'é teint par degt'ès , et tout retombe dans
l'inertie et Je ch aos .
Au reste , l'esp rit h umain, ainsi perfectionné, répand comme l'astre du jour, une lu'
mière é trangère à ceu x qu' elle éclaire, C'est
le bien fait de lasociété , queles foibl es y jouissent de la protection des forts, les pauvres
des secours d es riches, les ignorans des
travau x laborieu x de la scien ce, M ais les individu s n'en sont pour cela ni plus forts,
ni pins riches, ni plus instruits. L'artisan de
P aris ou de Londres qui croit sur parole
'lue c'est la terre qui tourne, n'Rst pas plus
é clairé que celui de Rome ou d'Ath ènes ,
�( 138 )
qùÏ croyoit qu'elle étoit fixe. L'un n'est pas
l'lus silr de son fait que l'autre n e l'étoit du
sien. D'ailleurs si l'on l ègue à la postérité
des iJées toutes faites, c'est le secret de
leur formation qui seroit utile. Ce sont donc
des préjugés qui gouvern ent les siècles
éclairés au ssi bien que les siècles barbares .
Parcourons les bibliothèques' la valeur
la conqu ête, le luxe et l'anarchie , tels sont ,
nous dit-on, les différens périodes de la vie
politique des États. L 'érudition, les talens.
l~ philosophie, telle est la marche progresSlve de l'esprit humain. Nos liVTes sont remplis des preuves de l'antiquité denossystêmes
et de nos découvertes modernes, ainsi que
des regrets des savans sur les arts et les Connoissances anciennes que nous avons perdues . .N otre espèce, comme notre globe, en
tourms~ant sa carrière, n 'entrevoit jamais
la lumlère qu'à demi. Les connoissances
~lmnaines sont un e chn1ne presque toujours
lllterrompue. Les hummes , en sortant de
l'ignorance, sapent les restes précieux des
m?nnm.ens qu'avoit élevé la sagesse des premlers slècles. Ils rebâtissent sur le même
plan, et l'on se trouve, après bien des travaux, au point d'où l'on é toit parti.
,
.
( 13 9 )
Mais la moralité qui a saM en tille-même,
la moralité qui est incommuùÏcable comme
l e sentiment dont elle émane, pourrait-elle
<ltre le produit du développement progressif
de la raison? L'expérience nous présente1: - elle les siècl es plus éclaarés comme les
moins corrompus? La philosophie morale
qui a voit fait tant de progrès dans Cicéron,
d ans Memmius, dans Possidonius, dans
M. Brutus, et dans les esprits de tant d 'autres dignes Romains, ne put rien contre les
violences des guerres civiles. C'est ainsi 'lue
du temps de la ligu e , les Montaigne, les
Charron, les De Thou, les Lhospital ne
purent s'opposer au torrent de crimes dont
let Fran ce fut inondée. Néron fut l'élève de
Sén èque, et Commode le iils de MarcAurèle. Lés Chilpél1ic et les Clotanre, les
RodFigue et les Al boin, furent moins dis,solus et moins orue ls peut- être pumt les
Francs, les 'Visigoths et les Lom bards à
demi sauvages , que ces pTinces odieux de
R ome polie e t savante . .Ah! si c'est au tra'
vers d e tant d'horreurs. si c'est du sein de
la corruption même que la vertu doit sortir
triolnphante, si tant de calamités , tant de
flots de sang répandus, sont les moyens né-
�( 140
)
cèssaires de notre fëlicité finale , il faut donc
écraser les hommes pour m ériter d es autels.
Nos bourreau x seront nos bienfaiteu rs et
la morale d e l'histoire se r éduira à ce déso.
l antrésultat : hommes! c'est en vain que vous
vous efforcez d e faire l e bien, la nature
sait le faire sans vous. Vos vices , vos for.
faits même sont utiles . L a vanité fih-eUe
r am e de vos travaux, qu'importe à la pos.
t érité que vos travaux ont éclairée. Une
am bition san guinaire Et voler l a mort devant
vous , et votre trôn e élevé sur d es monceaux
d e cadavres , fut cimenté de sang et de
larmes. Vous fûtes cruels, san s doute , mais
graces à votre inhumanité , le gen re humain
s'es t avancé ver s l'époque desirée du r epos
universel. Vous n 'avez qu'un ~ul r egret
à former, c'est celui d'être n és trop tôt.
Plusieurs millier s d 'années plus tru'd, une
gén ération favorite foul er a vos cendres
é pru'ses, se r ira de vos malheurs inévitables, et jouira d'un bonheur parfait gui
sera d'autant plus vif qu'il sera moins mé .
rité .
C'est ainsi que la philosophie qui ose demander compte à l a r eligion d es p rofondeurs
d es d écr ets d e Dieu, adopte le systême
(
14 1 )
révoltant d'une prédestination arbitraire.
C'est ainsi qu' elle aime mieux prêter à la
divinité ses vu es r étrécies et bornées , que
d 'adorer l'incompréhensibilité d e ses d esseins.
R ésumons -nou s : que l'on bannisse de
l'histoire , l'esprit de systême , si l 'on veut la
r endre util e ; que l'on ex amine tour-àtour l'influen ce d es grands hommes sur les
mœurs , e t l'influence des mœurs Sur les
"rands h ommes ; mais que l'historien sach e
~ue son premier devoir consiste à choisir
attentivement ses m atériaux. Il est d es r ègles
gén érales qui fondent la certitude historique
e t au xquelles il doit savoir se conformer.
Il doit sans cesse en faire l'application à tout
ce qu'il r ecu eille , à tout ce qu'il choisit.
L 'lùstoire est un cours d'expériences morales
faites sur le l:)"enre humain . Pour que les exp érien ces soient utiles , il faut scrupuleu sem ent constater l'état des choses au m oment
où ces exp érien~es ont eu lieu. Il fau t suppléer aux observations des au.tres p al' ses
propres obse rvations , et n e se laIsser re b~tcr
n i dans ses rech erch es , ni dans ses médita tions , parce (lue rien n 'est p etit dans un ~ i
!!l'and intérêt • On se plaint de ce que la vrrue
l:l
�( '42 )
cause d'un événement échappe souvent am:.
regards les plus exercés , on se récrie contre
l'assurance de l'historien, qui ne laisse pas
d 'attribuer à une cause morale, un dénouement produit hien sou vent p ar une circonstance physique . Ne nous en laissons pOillt
imposer par ces reproches plus spécieux que
fondés . Quelle utilité peut-il revenir aux
hommes d'apprendre qn'un arbre de plus
ou demains , un rocher à droite ou à gauche,
un tourbillon de poussière élevé par le vent,
ont décidé de l'événement d 'un combat,
sans que personn e s'en soit aper çu ? Qui
pourra l'apercevoir avant J'événement, si
l'issue de l'événement ne la révèle m ême
pas ? Le lecteur devrait-il conclure d'une
décou verte de l'historien , que l 'influence
du champ de bataille est plus puissante
que la disposition morale des combattans 1
M ais dix Juille Turcs sou s les murs d e Pla~ée ou d ans les c,hamps de Marathon vaincront-ils cent mille Russes ? Mariu s dént
les Cimbres paI·ce que son armée m anquait
d'eau, com bien une paI·eille circonstance
n'a-t-eJle p as fait perdre d e ba taiU es ou manquer d'expéditions? Le monde physiclue est
indépendant de nous , c'es t le rapport moral
( 143 )
des choses qu'il nous importe de conn01tre.
Ce n'étoit ni à sa forme de colonne serrée
et hérissée , ni à la bonté de ses armes que
le bataillon sacré des Thébains de voit sa
supériorité dans les combats; c'é tait au sentiment moral clui en unissait les memores ,
et qui animait la troupe entière. Il est possi ble , sans d oute , que le phénomèn e 'lue
l'on veut explicJuer, ne soit pas uniquement
produit p al" des causes morales , mais ce
s ont les plus puissantes d e toutes. N'est-ce
pas la mauva ise conduite des croisés clui fit
perdre l'Égy pte à saint Louis , plutih que
l'influence pestilentielle ùu climat qui consomma cependant ra ruine de son armée?
Que l'historien n e se décourage point, et
qu'il expose à ['impartiale postérité , dont
la reconnaissance récompensera ses travaux, le concours et l'enchaînement des
c auses morales, qui étendent leur influence
sur les événemens qu'il décrit. C'es t ainsi
que l'histoire se distinguera de cette duonologie armée de dates et pauvre d'événemens, qui n'offre que les figes des peuples;
c 'est ainsi qu'elle se distinguera de ces compilations indigestes, qui ne sont que des
gazettes amoncelées où les faits .nagent aIL
�( 144 )
liasard et sans connexion; enlin, c'est ainsi
qu'appré'ciant les événemens à leur juste
valeur, eUe offrira aux nations comme aux
individus, le meilleur traité de plù losophie
fratique , comme le recueil des expél~en ces
médicinales de tous les âges forme l a partie
l a plus in stru ctive de l'art de guérir .
. C'est dans les lùstoires partietùières, dans
l es d ét,aiIs biograplùques, dans les cllroniques peu COJUlUes , que l'historien doit
rechercher les traits épars qui caractérisent
le génie d'un siècle et d"Lille nation. C'est
l'avantage des écrits histor1clues Sur tous les
autres écri ts, qu'il n'yen { l point de parfaitement inutiles. Les plus fabuleuses légendes renferment des détails précieux sur
l es usages et l'orclre établis dan s les anciens
t emps. Un fait isolé ne prouve rien, un seul
caractère n e marque pas; c'es t la répétition
d e plusieurs faits sem blables ou analogues ,
c'est le m ême pli de caractère commun à
d es générations entières , qui seuls peuyent
donner une n otion générale dn goût et des
mœurs d'un p euple. L 'historien rassemble
hborieusement ces débris dispersés, sa main
les affermit et les rapproche; sem bl able à
.cet antiquaire, qui des fragmens mutilés
d'un
( 145 )
d ' un monument détruit, doit extraire le
plan originaire de l'édifice, et tracer h abiJ ement ~"lS superbes <lontours. Il recueille une
mu ltitude de d ocu mens dispersés, iden·t iques , il les combine , il les enchâsse l'un
dans l'autre , et ces matériaux imparfaits,
fugitifs , deyiennent entre ses mains, les élémens d'une construction régulière et solide.
C'est sur-tout dans les auteurs contemporains qu1il faut puiser tout ce qùi ooncel-ne l'esprit général d'un siècle·. Littérateurs, p lùlosophes, sayans, tous peuvent être
mis à contribution par l'historien. Il n'est pas
d e panégyrique flatteur, ni de dédicace ram1'ante, 'lui ne fou rnisse son tribut, et ne
:figure dans l'ensemble du tableau. S'il faut
s'en défier pour la vérité des faits, on peut
s'en rapporter à eux p our la p einture des
mœurs. Les mœurs se trahissent dans le langage , se peign ent dans le style, se retrouvent
dans la forme des louanges, des imprécations. E lles se m êl ent ù tout. L 'llypocrisie
pt la fausseté même en sont des témoins
:fidèes. Mais il faut placer moins de Con:fiallcé\.ans les contemporains, r elativement
à l a maJière d'ench a1ner les faits qu'ils rapportent. 1;.a postérité en sait toujours plus
K
\
�( 146 )
'ju'em< sur les ressorts secrets ùes événemcus
même où ils ont figuré comme acteurs. Justlfibns cette proposition qui peut paroître
lih paradoxe. Presque toujours l'ensemble
,l'un fait embrasse plusieurs lieux et plusieurs temps, et j'homme n'existe que Sur
1.111 point. La vivacité des émoticims présentes
l'absorbe, et plus que jamais il ne voit les
·é\Ténemens qu'en profil. Chacun sait mieux
ce qu'il a vu , ce qu'il a entendu, mais personne n'a tout entend u, ni tout vu, personne ne sait le tout de l'ieu , comme dit
Montaigne. La postérité est riche de toutes
les révélations ; elle possède toutes ces esquisses d 'après nature. Il y fi des choses
qu'on ne voit que quand elles ne sont plus,
et le silence des tombeaux révèle plus de
Vérités que les discours étudiés des vivans.
Les ane'cdotes s'oublient , mais l'ensemble
se prononce mielLx , tout reprend sa place
et sa grandeur naturelle. C'est la mort qui
phce fes hommes dans leur point de perspective. On voit mal ce qu'ou voit de trop
près. On sait sûrement mieux aujourd'hti
à Stoekholm; les circonstances de 1: conjuration de Catilina, qu'on ne le~ a sues
dans le temps à Brilldesou, à 'Jhessalo-
,
( '47 )
ruque
'
. ' ou meme
que ne les savoie nt les
habltans
, . paisibles de R orne. Q uelque vrai
!~ ~n S~lt d'ailleurs, quelques desirs qu'on
e 1 être, la selùe manière d'
.
1 r·
enVIsager
es LaIts peut les alté'
C
.
é té ( u e témoin
lcr, eux qUI n'ont
à 1
s, so~t naturellement enclins
. .
) amer ceux qUI 0 t
f
n agI, Ils voyent les
'jaute,s (lu'on a faites et les relèvent mais'
l s n ont pas
vu l es obstacles et les ' dif!fic."'tés. Quelques-uns donn ent pour des v6Tlt~ leurs p:nsées et leurs conjectures. Ils
ve ent aVOIr été mieux instruits que les
a~tres , et rien ne leur est demeuré caché
D autres adoptent tous les OU1. - di res, écri-.
le v!ù.,.aire p 1
1vent comme
.
" a r e , et mettent
a .posténté
dans
la
confidence de 1",ur co.
tene , au lieu de l'instruire des faits de Jeur
temps.
Ceux qui ont J'oué un r ôl e~ ne
.
VOlent qu'eux dans la pièce entière. Ce rôle
leur
il n ' ont pas
. semble .le. principal ,ets
tOit tout-à-faIt ,' c'étoit 1e pnnCIp.
' . al pour
eux. Ils ont eu Jeur pa"ti et leur systê
.
me.
1eurs aUXI'1'lau'es
.
' l eurs J'aloux e t 1eurs ennemIS. L~urs récits passent au travers de
leurs • passIOns
et s'y tei""ent
P rell d re acte
•
t')
•
des faIts.convenus
con cil,'er le 6 rapports
.
'
contradictOIres , démêler la vérité dans les
J'.
K2
�( 148 )
le ttres e t les Dl onumen s du t emps , c'est ce
<iu'il n 'appartient de faire qu' à l'impartiale
postérité. T acite , Suéton e , M achiavel ,
Hume , qui ont décrit d es évén em ens réGents , mais d'une certaine distance , ont
seuls p résenté d es t ableaux gén ér aux et
Gorn piets " des déta ils certains et IDcontestabl es , Les auteurs originau l< et c0ntemporains s ont donc des tém0ins que l' histor-ien cite d evant son t ribu.nal , e t qu'il doit
examiner avec sévérité . Il n e taut pas qu'il
oublie qu'il y a des évén emen s qui se r eSst'mblent dans tou s les ~ges , qui frapp ent
vivement les contemporain s , e t qui devien nent indiffér en s pour les gén ér ation s suivantes, parce qu'au moral -comme au physique, tout s'affoiblit et disp ar oÎt d an s l'éloignement. Qu'il se souvienne sur - tout, en
appréciant les tém oignages des contemporains sur lesgrands h ommes , qu'il n 'y a p oint
de h éros pour son temps. Ce n' est pas que
celui qui voit de plus près , admire moins ,
p ar ce qu'il oonnoh mie= . Mais les grandes
vertus ou les grands t alen s n e trouvent p as
à se signaler dans lill exer cice continu . U n
grand h omme suivant l'ordre des distinctions sociales , a des éga= ou des su périe urs .
( 149 )
se dispenser d'avouer leur infériol~té
ils relèvent ces faibl esses , ces n égligen ce;
de tou s les jours , p ar où les plus grands
caractères se r approch ent des hommes com.
muns , P ar un certain retour d'amaur p r opre presque imp erceptibl e , et souvent in,vol on taire , la j9luj9art des hommes se comparent à ce= avec lesquels ils viven t et se
préfer ent sux certain s points, Les am'es ordinaires se h âtent de juger, et le grand
h omm e est méconnu.
Après avoir choisi ses matériaux il fau t
.
'
que l'l11storien étudie sans prévention les
,
'
caractères qu'il veu t p ein dr e , et les évé~
Il.emens qu'il doit juger. La plus délicate
cIrcon sp ection doit présider à cet exa men.
I~ faut ~u'i,l se souvienne constammen t qu'il
n est ru 1 accu sateur ni le complice d es
h ommes dont il aj9précie la conduite . S'il
est in j,u ste de n e vol!- qu e les vices , il est
p artial d e n e voir que les ver tu s. Que l'cm
n 'omette point, en nou s p eignantllll gr and
h omm e , le r écit de ses faibl esses. Si l'on
doit à sa mémoire , d'écarter les traits ell1~ois onn és d e la calomnie , l' exe mple de ses
fautes est n écessaire p eu t-ê tre à ce!>ü de
ses "er tu s , et l'historien écrit pour instnüre.
POUT
K3
�(
150 )
On croira les grands hommes inimitables
s'il les représente infaillibles. On s'est récrié contre la véracité de l'histoire parce
qu'elle dépeint Alfred sans défauts. Il faut
qu'un héros soit homme, s'il doit faire
impression sur d 'autres hommes. Turenne
commet une indiscrétion, pourquoi la dis"
simuler? elle ne sert qu'à faire ressortir sa
loyale franchise. Il pouvoit pèrdre en se
'taisant Louvois qu'il n'aimoit pas, il s'accu se et devient plus granù par l'aveu de sa
f aute que s'il n' eût jamais failli. Que l'historien n 'écarte donc point cette ombre qui
donne du lustre au ta bleau, que son pinceau ne néglige point de saisir cette imperfection originale qui seule nous oHre peutêtre une personne déterminée, au lieu d'un
idéal abstrait.
Mais qu'il se préserve aussi de cette odieuse
exactitude, qui consiste à relever sans utilité, des vices cach és qu'il est si difficile et
·si douloureux de constater. Il nous suffit
de savoir qu'un, grand homme paya par
quelque foiblesse son tribut à l'humanité.
Qu'on ·nous le montre ensuite bienfaisant,
généreux, dévoué , sublime, c'est là que
l 'instru ction git toute entière . Nous voulons
( 15 1 )
c onnoltre tous les détails d 'une bonne action;
car c'est précisément l'histoire du bien <tui
nous mrulque. Qu'est-il besoin de fouiller
les honteuses archives de l a turpitude humaine, pOUT publier avec scandale une
anecdocte dégoihante, qui souillera notre
imagination SalIS nous instruire? PourqllQi
trahir le secret et violer le mystère dont le
vice s'envéloppe? Laissez Tibère à-Caprée ,
et dérobez à l'univers qu'il fuyoit, le spectacle de tant d'horreurs. Ceux-là sont les
amis du vice qui s'arrêtent à le décrire, et
se plaise)1t à l'offrir aux yeux. Ils sont les
lâches complaisalIs des passions des hommes,
ceux qui pour satisfaire leur malignité, entassent des médisances inutiles et outragent
la vérité, en la dévoilalIt SalIS IIudeuf. Les
écarts monstrueux de la licence pellvent
servir à peindre les mœurs, à pe:\,- près Gomme
un cadavre en dissolution, peut servir à mo:
<ieler l'homme. L'homme de génie ape.rçoit
.ces nuances fines et délicates . Ces lignlls
<iéliées et imperceptibles qui seules constituent la physionomie morale des individus
et des peuples; mais les excès .en tout genre
sont des points saiIlalIS que l'esprit le plus
borné peut saisir. Ne révélez le mal qu'autant
K4
�(
152
)
qu'il importe aux lecteurs de le connoltre,
à moins qu'il ne soit publi c et que vous ne
puissiez l'omettre sans infidélité . Les vices
d'un individu ont-ils influé s ur le sort d'un
État, ont-ils f~tit le tourm ent de sa propre
destinée? r évélez-les h ardiment. N'ont-ils
que souillé sa vie secrète sans se manifester dans sa vie publique? qu'un éte rnel
oubli les ensevelisse à jamais. La postéritè
n e vous demandera compte que de ce qui
est digne d'elle.
L 'historien ne eloit pas éviter moins Scrupuleusement de rapporter des calomnies
obscures pour les combattre. Ces sortes de
discussions flétrissen t l'ame , fatiguent l'esprit, dessèchent le cœur. Chaque actiou
vertueuse devient un pro blême , et la vertu
elle-même se résout en certitude. L'historien
doit savoir prendre un p arti. Qu'il dise le
-fait, s'il est prouvé; qu'il le rejette, s'il est
douteux . Le lecteur prétend jouir de ses lumières sans s'associer à ses travaux. Il abandonne aux savans le vaste ch amp des disputes , il veut qu'onl'instntise, etnon qu'oll
l'égare. Ce ne sont pas des opinions, ce
sont des faits qu'il ch erch e d ans l'histoire.
Qu'on se garde surtout de détruire le&
( 153 )
vertus par les vices, et de n e nous montrer
que des hypocrites où nous voyons de grands
hommes. Tout ce qu'une pareille méthode
a d'odieux, retombe sur l'historien. Celui
qui suppose toujours un secre t penchant an
vice , juge d'après lui-même, ses paroles
sont plein es d 'amertume; parce 'lue son
cœur est rempli de fi el. Une ame corrompue,
comme ce peuple fi'appé d'avenglementpour
ses crimes, n e voit plus cet éclat céleste qui
brille sur le front des enfans de lumière .
E lle corrompt tout ce qu'elle tonche, et
laisse partout l'e mpreinte de sa dépravation.
Conuoent oseroit-on d'ailleurs, sur de sim ples présomptions , fl étrir d'un opproLre
éternel la mémoire d'un homme? On ne
risque de simples présomptions devant les
tribnn auxqu'à l'appui de preuves plus fortes,
et qn'en les exposant à la contradiction, et
'l'on pourroit impunément déchirer devant
tous les peuples, celui qui ne peut se dé fendre? Chez les Athéniens où l'injure faite
à un citoyen, étoit ressentie pal' tous, la
loi inlligeoit une peine grave à quiconque
m édisoit d 'un autre après sa mort. Parmi
nous, que l'honnêteté publique venge un
pareil outrage pal' le mépris et l 'infa.m~e _,
�( 154 )
et qu:elle condamne le calomniateur au
silence. L'histoire ne nous doit point le roman du cœur, mais le récit des actions. La
vertu ne doit point être obscurcie par d'injurieux soupçons . Le crime ne doit point
être excusé par de bonnes intentions supposées.
On ne doit pas toujours juger de l'influence des personnages historiques par l'in·
tention qu'ils ont eue. Il n'est pas nécessaire
qu'lm grand homme ait vu toutes les cORsé·
quences de ses eutreprises. Il pressentoit un
granù bien, une grande amélioration, et cela
sufEs_o it pour le déterminer. Certains phi.
losophes qui ne croyoient inventer des mé·
tllOdes que pour certaines sciences, ont
introduit l 'esprit de méthode dans toutes .
Certains hommes d 'État qui ne cherchoient
en apparence que l'accroissement de la pré.
rogative royale, ont avancé le grand ouvrage
.de l'affranchissement des peuples. Ce n'est
pas que leur géuie fût trop borné pour tout
voir, c'est qu'ils se défiaient de leurs propres forces, et de l'esprit de leur temps.
Car si le hazard remplit quelquefois l'office
des grands hommes, ceux-ci ne r emplissent
jamais celui du hazafd. Mais, s'il ne faut
( ,55 )
1
"
pas leur attribuer des événemens qlû ne
sont qu'imparfaitement leur ouvrage, il
faut leur tenir compte de leurs bonnes intentions, lors même que les effets n'y ont
pas répondu. Bao@n n 'est peint fuu-dessous
de Descartes, ni l'Hospital moins grand
que Sully, quo) ~lue l'nn n 'ait presque point
eu de disciples de son temps et que l'autre
ait eu plus de maux à prévenir que de biens
à faire .
Il ne seroit pas moins injuste d'accuser
les grands hommes de tous les maux qui
résultent, à une époque éloignée, de tout
le bien qu'ils ont fait. Le temps dégrade
tout. L'Égypte, autrefois infeconde, ftrt
fertilisée par les infatigables travaux de ses
h a bitans. Cette race d'llOmmes laborieux
a disparu, et les canaux encombrés, les
-r éservoirs changés en marais infects, répan<lent 1a mort sur leurs bords dévastés, où
jadis ils faisaient circul er la "Vie. Faut-il
accuser Mœris ou Jes Ptolémées des tristes
résultats de l'incurie des Arabes ? Le plus
salutaire présent que l 'on 'puisse faire aux
hommes, devient bientôt funeste entre leull6
mains. Chaque institution nouvelle dinit un
abus ancien, l):lais .en commence un non-
\
�( 156 )
veau; jamais on ne d ésabusera le monde;
tant que l'homme sera le faible jouet des
passions. Saint Louis trouve la France sans
lois, il lui donne une jurisprudence;
la France se couvre d'un nombre innombrable de lois et d'une multitude de légistes gui la d évorent. Une foul e d'hommes
de génie tiren t l'Europe d'une ignorance
barbare; elle y retourne à grands pas, à
force d'instruction et de lumière. Jadis on
n e savoit pas assez raisonner ponr savoir
s'instl"uire, on raisorul e trop aujourd'hui
pour le pouvoir. Le grand homme donne
l'impulsion initiale ; mais les hom mes forgent
p éniblement la ch aine de leurs destinées. Il
sait remédier à leurs maux et non les tarir
dans leur source.
C'est ainsi qu'on sau ra maintenir l'admiration pour les grands hommes, sans consacrer de fimsses ma..'<Cimes. Ah! revenons à
cette admiration saluta.ire qui est le principe
.des grandes actions. Environnons la jeunesse des exemples de pudeur, de courage,
d e fid élité que nous ont trall smis nos pères.
Qu'elle craigne de dégénérer à l'aspect de
-ses ancê tres. Exaltons les a mes pour les
( 157 )
élever. Ce n'est point en prouvant froidement aux h ommes que tout est bien, c'est
en les passionnant pour tout ce qui est beau,
tout ce qui est grand, tout ce qui est bon,
que l'on assurera l'indépendance et le bonheur des nations.
Ce 3, décembre ' 799'
De l'Imprimerie d'H Ji.
C Q. v ART
1
rue Gît-te-Cœur • n Q • 16.
�
Dublin Core
The Dublin Core metadata element set is common to all Omeka records, including items, files, and collections. For more information see, http://dublincore.org/documents/dces/.
Title
A name given to the resource
Monographie imprimée
Description
An account of the resource
Ouvrages imprimés édités au cours des 16e-20e siècles et conservés dans les bibliothèques de l'université et d'autres partenaires du projet (bibliothèques municipales, archives et chambre de commerce)
Dublin Core
The Dublin Core metadata element set is common to all Omeka records, including items, files, and collections. For more information see, http://dublincore.org/documents/dces/.
Title
A name given to the resource
Du devoir de l’historien, de bien considérer le caractère et le génie de chaque siècle en jugeant les grands hommes qui y ont vécu : discours couronné par l’Académie royales des inscriptions et belles-lettres, histoire et antiquités de Stockholm, en mars 1800
Subject
The topic of the resource
Oeuvres des juristes provençaux après 1789
Philosophie politique
Description
An account of the resource
De l’influence des grands hommes sur leur siècle.
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Portalis, Joseph-Marie (1778-1858)
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque Méjanes (Aix-en-Provence), cote D.0104
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Bernard (Paris)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1801 (an VIII)
Relation
A related resource
Notice du catalogue : http://www.sudoc.fr/201688689
Vignette : https://odyssee.univ-amu.fr/files/vignette/Mejanes-D104_Devoir-historien_vignette.jpg
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
1 vol.
157 p..
24 cm
In-8
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
text
monographie imprimée
printed monograph
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
France. 18..
Abstract
A summary of the resource.
Joseph-Marie Portalis, premier comte de Portalis, est un homme politique français ayant exercé des fonctions diplomatiques, judiciaires ou politiques durant la succession de régimes que connut la France, depuis le Consulat jusqu’au Second Empire. Il servit de secrétaire à son père, Jean-Etienne-Marie, grand juriste aixois, considéré comme le « père du Code civil » notamment lors de la rédaction en exil de l’ouvrage De l’usage et de l’abus de l’esprit philosophique durant le XVIIIe siècle. Il inséra, dans la troisième édition de cet ouvrage, une notice sur la vie de son auteur (disponible en ligne sur le site de la bibliothèque universitaire).
Louis-Gabriel Michaud, rapportant les paroles de François-Auguste Mignet, en fait un portrait flatteur : « observateur profond, théoricien éloquent de la famille, organisateur judicieux de l’Etat, docte appréciateur de la civilisation, il [Portalis fils] a mis dans [ses] petits traités, dit M. Mignet, un savoir solide, un sens imperturbable et un talent rare ».
Rédigé lors de l’exil de son père entre les coups d’Etat du 18 fructidor an V (4 septembre 1797) et du 18 brumaire an VIII (9 novembre 1799), son mémoire intitulé Du devoir de l’historien, de bien considérer le caractère et le génie de chaque siècle en jugeant les grands hommes qui y ont vécu fut couronné par l’Académie de Stockholm. De l’avis général, Portalis fils y fait preuve d’une bonne érudition. Dans ses éloges historiques, Mignet, tout en portant quelques critiques mineures, considère que « ses aperçus dénotent un penseur et son style annonce un écrivain ».
À peine paru, un journal littéraire en fait un résumé en ces termes : « L’auteur établit d’abord quels sont les droits de l’exemple et l’imitation, sur l’universalité des hommes; il examine ensuite quelle est l’influence des grands hommes, sur leur siècle, et comment les conceptions d’un philosophe, les vertus d’un sage, et les exploits d’un héros déterminent le sort d’un peuple. Il développe l’influence que l’esprit général des nations exerce à son tour sur le caractère des grands hommes, et comment leurs actions empruntent, pour ainsi dire, le costume des tems où ils ont vécu. Il termine enfin par un tableau rapide des différentes règles auxquelles l’historien doit s’astreindre, s’il veut remplir le but qu’il se propose, de rendre l’histoire utile aux nations et aux individus ».
Sources :
Biographie universelle ancienne et moderne, Louis-Gabriel Michaud, Paris, Thoisnier Desplaces, 1843-1865;
Eloges historiques, François-Auguste Mignet, Paris, Didier, 1864;
Journal général de la littérature de France ou Indicateur bibliographique… volume 3, Paris, Strasbourg, Treuttel et Würtz, an VIII 1800, p. 258
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
Bibliothèque Méjanes (Aix-en-Provence)
Rights
Information about rights held in and over the resource
domaine public
public domain
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/134
Historiens
Vie intellectuelle -- Histoire