Histoire de l'université]]> Enseignement supérieur]]>
Pourquoi Alfred Gautier est le mieux placé pour défendre ce dossier ? Parce qu'il connaît bien la maison et plaide pour sa propre paroisse : licencié en droit à Aix en 1866, docteur en 1868, professeur agrégé à la Faculté de Grenoble en 1871, puis à la Faculté de droit d'Aix de 1872-1876 où il devient titulaire de la chaire de droit administratif de 1876-1893 et y enseigne également l'histoire du droit, à partir de 1879. Il se mettra en congé de la faculté à partir de 1893.

Être juriste (et politique...) n'oblige pas à recourir à des arguments spécieux. Si on regarde la chronologie sous le seul angle institutionnel et administratif, les choses semblent assez équilibrées :
  • 1808, création de l'université impériale, à Aix, l'École de droit devient une Faculté
  • 1809, toujours à Aix, la Faculté de théologie est rétablie. Elle sera supprimée en 1885 (mesure nationale de suppression des crédits à toute les Facultés catholiques)
  • 1818, une Ecole de médecine est fondée à Marseille (pas une Faculté)
  • 1854, la cité phocéenne est dotée d'une Faculté des sciences
  • 1856, la Faculté des lettres est créée à Aix
Après la réforme de 1885, la carte universitaire paraît équitable. A ceci près que l'évolution démographique des deux villes au cours du 19e siècle a suivi deux voies très différentes, voire opposées. En 1790, les statistiques officielles du Département des Bouches-du-Rhône comptabilisent 106 000 habitants à Marseille contre 27 000 à Aix. Près d'un siècle plus tard, en 1886, période du rapport municipal, la population de Marseille est passée à 375 000 et celle d'Aix à 29 000 (en 1905, Marseille franchira la barre des 550 000 habitants, alors qu'en 1906, Aix atteindra péniblement les 30 000 (chiffres du Ministère de la Culture). Pour les experts, le bilan démographique est sans nuance : la population aixoise a stagné durant tout le 19e siècle alors que celle de Marseille a plus que triplé. Si cette blance n'est pas le seul facteur explicatif, elle constitue au moins une source de frustration. Ainsi, entre la fin du 18e et le début du 20e siècle, le rapport proportionnel Marseille/Aix passe de 4 à 13, une disproportion qui pourrait justifier un cliché : l'ancienne capitale provençale traditionnelle, bourgeoise, rentière et frileuse tourne le dos à sa bruyante voisine portuaire dynamique, cosmopolite et populaire. Un avant-goût moins littéraire de deux mondes qui s'opposent, Giono vs Pagnol.

Rapport sur la Faculté des sciences : la petite phrase qui fâche... (Dieulafait, 1885)

Et Aix fait tout pour cela avec une première justification d'ordre historique : en raison de leur ancienneté, le transfert des Facultés serait injuste (on était là les premiers). La seconde justification est d'ordre géographique : l'avenir de Marseille n'est pas intellectuel mais économique et commercial avec les transports maritimes méditerranéens et coloniaux (à chacun sa place). La troisième justification est culturelle : Aix est un centre de ressources, avec sa magnifique bibliothèque Méjanes, notamment (on a le patrimoine). La quatrième justification est financière : Aix s'est endettée pour entretenir les infrastructures universitaires, elle en attend un juste retour sur investissements (justificatifs de dépenses à l'appui).

S'il insiste peu sur cet aspect (une citation minimale en bas de page), le rapport est une réaction d'urgence au projet présenté par Louis Dieulafait, professeur de géologie à la Faculté des Sciences et membre du conseil municipal de Marseille, projet qui ne vise rien d'autre que de rassembler toutes les Facultés en un seul grand centre universitaire (4).

Le plaidoyer de Gautier sera repris deux ans plus tard par ses anciens collègues (qui abandonneront les statistiques des effectifs étudiants des grandes villes françaises glissées en fin de rapport, statistiques mollement convaincantes) : peu imaginatifs, ils répèteront les mêmes arguments alors qu'au cours du 20e siècle, Marseille ne renoncera jamais totalement à certaines revendications...

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1. Statistique du département des Bouches-du-Rhône, avec Atlas. Dédiée au Roi Par M. Le Comte de Villeneuve, Maitre des requêtes, préfet des Bouches-du-Rhône, membre de l'Académie royale de Marseille, de la société d'Agriculture, Sciences et Arts d'Agen, de la Société royale des Antiquaires de France, de la Société des Amis des sciences, des Lettres, de l'Aggriculture, des Arts, séant a Aix, correspondant de l'Académie royale de Turin. Publiée d'après le voeu du Conseil général du département - Tome 3, Livre 5, ère section Etat civil, Chapitre 1 Population - Odyssée
2. Archives départementales, 1886 - Recensement de la population - AD BdR
3. Charbrier, Cabassol et Baron. - Mémoire en défense de la ville d'Aix, dans la question du transfert des Facultés, 19?? - Odyssée
4. Dieulafait, Louis. - Rapport sur la Faculté des sciences et l'enseignement supérieur... (mise en ligne prochainement sur Odyssée). Polémique maudite ? Un an après la publication du rapport de Gautier, Louis Dieulafait décèdera.
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1885]]> fre]]> Aix-en-Provence. 18..]]> Marseille. 18..]]>