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CHOIX
DE DISCOURS
IlT
D'OPINIONS
DE M,
,
LE
COMTE
SIMEON,
PARIS ,
DE L' IMPRIMERIE D'HACQUART ,
RllE CtT-LE - CœuR, ft ·
8.
�TABLE DES MATIÈRES.
PÙCOltl'3
prononcé à A Lt-)
pOUl'
la célébration de la fe'te
jùnèbre dtlcrétée en t'!tonneur des marl)'rs de
la tyrannie. • . • • . •••••. . . . . . . . . . . P<.IAC
5
Sur la conlribu,tion/oncière. ........... ... ... ~n
Sur l'alnnistie ... ...•... . . .•. '.' • • . • . . . • • . . 42
Rappol't~ relatifs au. condamné Lesuroques . ... . . . . . . ..
.Discours sur le ditJol'ce .. . . • • . • • ..... . . ... ... . • • •• • .•• l'
Sur la répression des délits de La presse. . • •. 84
Su.r la qlfeslion si l'aIL doit admettre contre
les fonctionllaires p itblics, la pl'ellPe par
'.7
exception de la vérite de l'injure dont ils
se plaignent. . • . • • • . . . . . . . . . . . . • . . • . •.
Sur la ,'iuspc1Jsion d'annulation de c,erlaines
ventes ousounûs,r;ion
de~
1 00
biens..nalionau:r , . LJ'9
Sur les sacl'étés s'occupant de fjue6tiolls politlques • ...................................,. . . • . • ...
Sur l'e.'l:putsion des commi.s:;aires du Dirt'c-
16:1
loù'e exécutif enfJoyé& à t' Isle-rle-France. 1 Rl
Rapporl~;urle Concordat de ]801 ...................... 193
.~Disc()llrS sur J'instruction publiq.lI.e... .. • • .. • . .. . . . .. . . ... :1 11
Rnpport 6u.r le titre du Code CifJil relatif' aux actes de
•
l'état civil . . . '.' ... •. , •• . ~ ..• .. .•..•.••.
Sur te titre du, Code CÙ.1 il;1 de ln manière do nt
on acquiel't la proerieté . ... .. . .. ...... . .. ..
Sur le titre du Code Civil J du contrat ùe mariage et des droils rc.spectit's des t:pOIlX .......
Sur le titre du, Code Cil-iL J des conU'a.ts aléatoires . . .... , ... .. ................ . _ ..
.JJiscOUI'S plolLon cé cl Ca8~'e/ Sit,. la tombe de f t:(w i.l JÛl1('1' • • ••• • , .... _ ... . . . , .. • ... . • ... . • • • • • • • • • •
235
2(j:l
308
,.35
.3li
r
�( vi )
nis~'7 prortoncià Lille~ en qualité de préfet du. NO I·d,
à l'occasion du serment à prêter au. Roi par
tes fonctionnaires publics . . . . . ... • . . . Püge 372
Obul ,'alioRS pour les créancù:/'s el au.tres ùtttireôsés aux
actes da. G ou,verlJetnfm,t da, I vyaume de
f17'estplUtlie . , . : •• . .. ... •• . .. . ...•• , 374
Di$Cours GLU ' ta question si te Roi peut fai'oc retirer
un p ' ojetde loi qu'il alai tproposer •.. • • 384
Su"/'·"",uisliede .S IG• • . • .. . ..• • ...••••• 395
&a,r i'aIJancel1unt 'dans J'a 1'lnée • • •••.•••••• Ill 5
Sur la liberté de la l" "'" ... ............ 1145
Sur la l écOmpt!l1S8 natiAmaLe à accorder à l1f. te
due de nich""ieu .••• • . • •.•• . •• • .• •• . 476
P rou,once à l'ollverture du, cuncou,.,.; pour une
chaù'e dans la faculté de droit de Paris . 493
8l1,r t'aooliti.')1l, de "aubaine • • • •. • •• • ••• " 501
Sur ta question sl) darr,s la lOi répressipe des
déLit l d e ta pre/ue ) on ne devait P«$ 'men. tionn-el' expressemell/l les outrages f(lit~ à la
religion,: . . . . • . • .. . • . . . . . • • • . • • . • • . . ..
E:çposé des motif$ d.u projet de loi SU I' la censure des
j oul'rlaux'O .... .. .. ...... .. . ........ . .. "
Discours prononcé lors de la pose d e la pl'cm.iere pierre
dit simùwire d e Saint- S ulp ire • .. . •.•• . .
OpùUon coutre La disp osition de la loi relative à la
p resse pèricxliqae, qu,j, autorise à supen,dre
les juu rn aux .•• •• ••• . • . •• . .•• • .••••••
SUJ" Le p rojc:t de resolution telLdant ci provoquer
une loi POl/.,. la révùiou, des p,·ocè.. crimùuds
Sur l e projet de résolutiolt relatif à l'exercice
d e la contra~n tc par corps; cOntre les Pairs
S u·r le p rojet de i oi relatif aux communautes
religieuses. . • • • • • • • • • • • . • • ... • • . • • • • • .
559
580
5"84
59(
607
622
6.34
JE n'ai pas la prétention de former ce Recueil pour le public. Il n'est destiné q.u'à ~es
amis et aux personnes qui m'ont donné des
témoignages de leur estime. J e l'offre à la
bienveillance des uns , à l'indulgence des autres. P eut- être y trouveront-ils quelquefois
des preuves que si je n'ai pas le droit d'être
placé parmi les premiers orateurs des Chambres, je n'ai pas non plus mérité d'être rejeté
dans l'oubli auquel il a plu à quelques écrivains partiaux de me vouer. C est ce que je '
crois être leur injustice qui m'a suggéré l'idée
de rassembler quelques-unes des pièces sur
lesquelles d'autres, parmi lesquels je pourrais citer Chénier et M. de Maistre , m'avaient
jugé moins sévèrement. Ce n'est point un sentiment de vanité qui m'a dirigé , je sens qu'il
ne serait pas fondé, mais le désir et le droit
de m e défendre, et de me montrer tel que je
suis. Il n'est d'ailleurs peut-être pas inutile.
lorsqu'on a traversé une révolution, et que ,
�CHOIX
( viij )
dans plusieurs occasions, le public nous a entendu nommer, de mettre dans la main d~
ses enfans et de ses amis, la preuve des principes qu'on a professés.
ET
D'OPINIONS
DE
M.
1
LE
COMTE
SIMEON.
DISCOURS
ProfloTwé à Aix, le I l vendémiaire art f, (23
octohre 1796), en qualité de procureur général
syndic du départ ement des Bouches-du- Rhone)
à l'occasion de la célébration de la f ête funèbre
décrétée par la loi du. 14 prairial précédent, en
l' honneur des martyrs de la. tyrannie, et de ft,
puhlicatùm de Ir, paix avec le Roi d'Espagne el
te Landgrave de Besse-Cassel.
'
Si nos jours les plus sereins sont toujours ornbrag~s de quelques nuages, il en es t que la providence
semb le entièrement abandonner à l'iul'Ol'lune, à la
•
�(
(
10 )
douleur , au désespoir ; il en est où la terreur acca ble d'angoisses ce ux que la fau x d e la, mort n'a
pas encore atteints; où les sens g-Iacés et le cœur
desséché , on demeure insuffisant au sentiment de
ses maUlj: .
C'es t ainsi que d epuis le 51 mai 1793 jusqu'au 9
thermidor de l'an 2) la France plongée Jans la
stupeur ne parul qu'un cadavre insensible que l'on
mutilait à plaisir. Celle époque marquée d' un
cl'ayon floir dans presque toutes les familles, sera
gravée en traces dé sang d ans les annales du monde.
Elle y attestera la perversité de l'espèce humaine,
les dangers d es révolutions ) et les convulsions
milieu d esquell es un peuple usé se
cruell es
form e uue Constitution : l e~on terrible qui nous
apprend combien il est nécessaire d e s' unir, de demeurer serrés contre les a ttaqu es de ceux qui voudraient nous diviser; combien il es t essentiel d'oubliel' d ans le péril commun , des diIT'é rences d'opini on et d'intérê ts, pour ne s'occuper qu e de la sûreté des individus et d e la tranquillité générale,
Avec plus d' union , la liberté nous eût coùté
moins de sacrifices et d e pertes. La tyrannie aur;,it
eu moius d e p rise sur nous ; nous n'a urions point il
regretter les nombreuses victim es dont nous honorons auj o urd' hui la mémoire,
Cé rémoni e touchante , son institution sera toujo urs précieuse à tout homme sensible ! La pa tri e
au
.
I l
)
uons appell e à je ter publiq uement des fl eurs sur d es
tombes qu 'il ne nous futperm is, pendant long-temps,
'<lue de mouill er d e quelqu es larmes fu rtives. La loi
sanctionnant le se n~ime nt , nous in vite à donner '
,aux mor ts qu e nous "egrettons, la vie que les
homm es peuvent r endre dans leur cœur et dans
le ur souvenir. Nous passerons comme eux; lDais
nous aurons transmis à nos enfans le réci t de leurs
vertus et de lenrs malh eurs . Nos enfa ns répéteront
a nnuell ement cetle cérémonie. Elle aura le double
'avantage d e leu!' faire déles ter la tyran nie, de quel~u 'ha hit q u'elle se couvre, et de leur apprendre il
honorer l'infortune.
.
Quel vaste champ à d'é tern els regrets! Des villes
de l'intérieur assiégées comme cell es des ennemis;
leur enceinte couverte d e décombres; les édi fices
p ublics renversés de sa ng-froid , avec la barbarie
du vandalisme le plus grossier! Taudis qu e,po ur gag ner un détestable sal aire, le manouvrier q ue l'on
nourrissait de d émolitions , détruisai t len tement les
tem ples de la relig ion , la demeure des riches , les
monumens des art s, le ca non foudroyait en un
instant des hommes que l'on e ntassait so us sa bonche. L a bache était trop lente au g ré de l' avide
c ruauté des tyrans; ils tremblaient de ne pas faire
d'assez prom ptes et d'assez grûndes hrêches à la
population et à l'humanité.
A côté de ces carnages qui :;o\lillaÎen t les armes,
�( r~ )
insl.rumens de nos triomph es) s'élevaient ces ll'ibtrnaux révolutionnail'es, repaires d'assassins , antres
de la mort, qui d évorèrent un peupl e de victimes.
C'es t là que le vice pronoll(p it des arrêts co ntr~
la vertu, l'ignorance contre les lumières , l'impéritie contre les talens. Là, sans respect , ni de l'âO'e
0
'
ni des services, ni du sexe, on frapp ait indistinctement le ministre d es autels et ce lui des lois'
,
'
l'homme d'E ta t, qui avait servi la patrie de ses
veill es, et celui qui l'avait défendue d e son sang ;.
le paisible citoyen, le négocia nt uüle , l'art~all
industrieux ) le laborieux cullivateup ; on souillait
les cheveux blancs du vieill ard vénérable, et les
roses de l'innocente jeun esse. On envoyait à la mort
des familles entières ; l'aïeul caduc, le' fils dans la:
maturité de l'âge, son épouse et leurs en fan s à- peine
adolescens.
Telles furent les horribl es suites des 51 mai, I·e"
e t 2 juin , et de l'attenta t qui fut 'porté à cette époque à la représentation nationale. La dispersio n
d 'un g rand nombre de ses membres, la déten tion,
Je supplice de plusieurs, ne pouvaient ètre qu'un
signal d e d ésolation . Jamais o n ne frappe les cheCs
du corps social, que toute la masse ne s'en ressente.
Nous avions bien la conviction de ce prin cipe ,
lorsque, dans ce d épartement , nous nous élevâmes
co ntre les premiers actes de la tyranni e : mais hélas ~
DOS voisins ni la fOrlu\l e ne nous secondèrent; il
( ,3 )
•
fa llut payer de la ruine , de l'exil et de la mort , nos
efforts pour la liberté. L a calomnie du fédéralism e
fllt inventée, et l'exécrable montagne nous écrasa
de son poids .
Ombres chéries de nos concitoyens, de nos amis
et de nos parens ) qui nous eût dit) lorsque la tyrannie paraissait sceller à jamais votre tombe , de son
bras de plomb ) qu'il nous serait sitôt permis de
yous évoquer parmi nous , de ·vous inviter il recevoir
le tribut de nos larmes et de nos louanges! Nous vous avons perdu; mais vos vertus rendues
plus toucbantes par l'infortune, vous survivent. L e
vide que vous avez laissé ne sera de long-temps
elfacé.
Les Hugues, les Seyman di , les Rabaut , lesPayan
manquent à toute la France autant qu'à Marsei ll e
même. Le respectable 'farteyron , le gé nére u~ Samatan, qui toute leur vie avaient fait le plus nobl e
usage de leur fortune et de lenrs lumières, reçurent
pour récompense , la mort dans la commune qu'ils
avaient nourrie, et à la vue des magasins · qu'ils
avalent remplis.
Ce jeun e homme à qui la nature prodigue avait
donné, avec toutes les grâces xtérieures, la force
d' un esprit prématuré et les charmes d'une éloquence entraînan te; ce fils chéri d'une tendre mère ,
justement orgueilleuse de lui avoir donné le jour,
qlll voulait avec raison Je racheter de tout Je prix
�( 14 )
ùe sa grande fortune, qui relit payé de son sang.
et se serait encore estimée hellreuse, pourquoi est-il
conduit devant des juges ? Infortuné Vence 1 quel
est donc ton crime? A la fleur de ton âge tu as mérité la confiance de ta commune et de ton département; ils t'ont désigné pour leur député) et tu es
moissonné comme les p'avols abattus par le glaive
du superbe Tarquin.
Je n'oublierai point ceux qui, ayant les mêmes
droits à cette fête funèbre, en ont eu de plus particuliers sur nous, comme nos concitoyens, les deux
Perrin, les Sil vi , les Barbezieux. Je crois vous entendre nommer dans votre juste impatience Bertet
et Meriaud, hommes sages et vertueux, que la sécurité de. leur conscience perdit. Ils ne pouvaient
croire à d'atroces injustices, et ils en furent les victimes. Ils pensaient trouver dans le peuple qui les
avait choisis, des défenseurs', au mOins des IOterces~eurs; et le peuple abattu et consterné vit en silence
tomber leur tête_
TI n'est presque pas de commune qui n'ait eu le
triste honneur de fournir des victimes, presque pas
de maison que le gé,nie exterminateur ~'~it frappée
ou menacé!;!. Je ne puis pas appeler ICI la longue
suite des martyrs dont le sang fut versé dans cette
véritable contre-révolution de la tyrannie contre la
liberté, de l'anarchie contre l'ordre soci;d, de. la
cruauté contre tons les sentimens humains. Mais,
( 15 )
chaque citoyen peut, en jetant les yeux sur les vides
'lu'il trouve dans sa famille) se dire: l'objet de mes
regrets l'est aussi de ceux de la patrie. Aujourd'hui
mes concitoyens partagent plus spécialement ma
douleur, et mes pertes sont comptées au rang des
pertes publiq.ues.
Triste, mais dO\Jce consolation ~ car si l'inévitable
mort a un remède, il est sans doute dans le souvenir de nos contenlporains, et dans le jugement
de la postérité. Puisque nous devons tous mourir)
heureux celui qui a m.érité que son nom ne soit
point enseveli dans la tombe. Cest la plus belle récompense de la vertu et le plus grand dédommagement du mal beur.
Vous il vez. a ussi votre place dans cette fête civique, vous que 1'on peut appeler les confesseurs
de cette même cause dont nous célébrons les mar_
~yrs; vous qui soulfrîtes dans les prisons, dans les
cavernes, les bois, ou dans d'ohscurs asiles, la
pesanteur de leur sort, et la douleur du vôtre; qui
trembliez à la fois pour vos jours et pour cellx des
hôles généreux qui vous recdaient au péril de leur
vie.
. Oh! combien à côté du crime se sont développées
de vertus! queUe immense matière l'espèce humaine rournit à la fois à l'horreur et à l'atlmiration!
PIns la tyrannie devint inquisitoriale et féroce,
plus la bienfaisance fut ingenieuse et hardie. Si la
/
�( ,6 )
cruaulé ful prodigieuse , l'amitié fut héroïque. Des
contrées enlières se signalèrent par ulle hospitalité
qui exigeait autant de courage qu e de sensibilité.
Forêts et rochers du Rove, el vous ses généreux
hahitans, 'vous serez à jam.ais célèbres dans les annales de l'humanité et de la re.:onnaissance.
Et ce sexe à qui , ,dans les jours de notre bonheur, nous n~avions cédé que l'empire des grâces
et les droits de la faiblesse; ce sexe que nous ne
croyions qu'aimable et léger , parce qu'il n'avait
pas besoin d'être autre chose, comme il a développé du courage et de l'énergie 1 comme il s'est
muntré supérieur à la crainte 1 comme il 'a bravé
les obstacles, soutenu ses maux , et adouci ceux
des autres! Que d'épouses qui ont sauvé ou secouru
les époux, sans la protection desqu els on eût cru
autrefois qu'elles n'a uraient pu supporter la moindre
disgrâce ! Que de mères tendres qui ont donn é une
seconde fois la vie à leurs fi ls! Le hâle du malheur
a fl étri leur teint ; les sollicitudes, la doul eur , peutêtre la misère, ont sillonné leurs visages, des traces
d'une vieillesse préma turre: mais, à la place d'une
beauté passagère qu e le temps seul eû t détruite,
elles sont parées de l'éclat durable de leurs sentimens et de ,leurs actions. Comme nOns, plus d'une
a bravé la mort; plus d'une l'a subie avec une intrépidité dont Sparte et nom e se seraient honorées.
Moins que IIOUS, elles ont fl échi sous le sceptre de
( 17 )
•
la tyrannie; et le sexe que nous appeUions faible
s'est montré le plus fort.
A. ces souvenirs consolateurs, vient se joindre la
certI tude de la paix avec l'Espagne et avec le LandgTave de Hesse-Cassel, que nous venons de publier.
Pourquoi se plaît-on à répandre des doutes sur les
évènemens beureux ? Pourquoi ne croire et n'exagérer que ~es désastres ? Y aurait-il des citoyens qui
ne vo udraIent pas fm re avec la France, la paix
que les Potentats sont forcés de so uscrire?
De nouveaux succès au delà du Rbin, passé sur divers points par nos armées victorieuses, nous promettent une nouvelle paix qui serait bientôt générale.
Nous touchons au terme . Ne désespérons pas de la
patl'ie , ce serai t désespérer de nous-mêmes. Nous
n'avons qu e deux partis ; ou de nous attacher au
Gouvernement qu e nous venons d'adopter, ou de
nous plonger dans le plus horrihle des fl éaux la
guerre civile. Ceux qui l'appellent , ne calcuÎent
ni nos intérêts ni les leurs. Ils s'abusent à la fois et
s~r les ~1O!enS q:l,i son t faibles, el sur les effets qui
n aboutIraient qu a consommer notre ruine. Cest à
l'aide d'un poison violen t et mortel, dont la plupart même seraient déchirés, qu'ils proposent de
nous g uérir.
Les subsistances sont chères; mais les plaintes et
les mouvemens qui achèveraien t d'intercepter les
canaux qUlles apportent, ne les rendraient ni plus
2
�( 18 )
abondantes , ni moia s eollteuses. Le crédit de la
monnaie de cours es t presqu e perd u : mais que g'agnerons-nous à l'atténu er encor e par des d efiaoces
exagéréei ? Nous subs titu erons à peo , le néa nt,
Ce ne sont pas des divisions int es tin es qu'i ramèneront la paix, le commerce et l'abond ance . De la
patience, d e l'espoir) de l'union , voilà les se uls
.spécifiqu es d e l'état Oll nous somm es . Ceux qui
suggéreraient des mouveme ns violens, au lieu de remé(lier à nos maux , les envenim eraient. Semblables
au frénétique qui ne veut rien attendre du temps
ni d'un régime dont il accuse la len teur , nous atTacherions les bandes qui peuvent ser vir à consolider
nos blessures, nous rou vriri ons nos pl aies, nous répandrions de nouvea u des torrens de sa nO'
et nous
0'
nous prticipiterions dans les d erni ères convulsions
de la mort.
Croyez-moi , c'est la passion qui ne raisonn e pas ,
qui crie vengea nce, et qui jette dans les mesures
extrêmes . Ce sont les divisions qui houl eversent les
em pires: le ca lme les rét:.blit. Un orage détruit
en une heure les travau x d 'un e année : et il fa ut
une ann ée pour co uvrir la terre de nouvelles moissons. Im age journali ère et fra ppante d e la rapidité
du mal ) et dt la lenteu r d u bien .
Si ces bons et vertu eux citoyens aux qu els nous
avons cO llsacré cette journ ée, pouva ient se raire entendre, il ne sortirait de leurs tombea ux que des
( 19 )
leçons d'union . " Voul ez,vous, nous diraient-ils
" vous assurer le prix de vos sacrifices et le succès'
" d e vos. victoires , voulez-vo us tromper les der" nières espéran ces de vos enn emis, et les lorcer
" tous à vous demander cette paix qu e vos triom" phes leur r endent si nécessaire) demeurez unis.
" Vous diviser , vous déchirer de vos propres mains,
" est leur dernière ressour ce. La circonstance est
" critique. Il 1:1 ut mettre en acti"ité une Constitu" tion nouvelle. Des droits cont estés et IIl éconnus
" peuvent d evenir la pomme de discorde." Tous les
" partis épient vos déterminations et vos sentimens.
" Déjouez-l es to us : fa ites à la paix int érieure un
" dernier sacrifice. En politiqu e, les prin cipes abs» traits sout touj ours dang'ereux . Souvent les con" séqu ences rigoureuses dépassant la suprême loi
" d e la tranquillité publique, sont suj ettes à mille
" inconvéniens. Il ne suffit pas de sa voir ce qui de" l'rait être, il faut encore peser ce qui, dans telles
" circonstances données, sera le moins nuisible au
" grand nombre et le plus utile à to us. "
Puissent ces idées dépouillées de tout esprit de
parti , être senties par la mal" orité des Francais
, ,
nous défendre de nouvelles pertes, et nous éparg ner de nouveaux r egrets.
�( 20 )
( H
OPINION
la Contribution foncière, prononcée au Conseil des Cinq-Cents, le 14floréal an 4 ( 23 avriL
1796 ).
SUI'
Quoique cette opinion soit contraire aux idées à présent généralement reçues, je l'ai conservé-e , parce qu'elle rappelle
un genre d'imposition usité en Provence, qui y était utile J
et que, peut-être, on y regrette encore.
LA Commission des finances vous propose de faire
payer la contribution de l'an 4, savoir: la moitié
en mandats, et l'autre moitié par la quantité de
mandats nécessaire pour se procurer le blé-lromen t
qu'on eût acheté en 179u avec la moitié de la contribution foncière.
Lecointre a prouvé que cette division de la contribution , en mandats représentatifs de leur valeur
fixe et en mandats représentatifs d' une quantité de
blé dont la valeur varie) est insuffisante; il a proposé de faire payer les fermages et la contribution
en telle somme de mandats, qu'elle puisse représenter ce qui sera nécessaire pour acquérir la quantité de blé qu'on se serait procurée en J 790 avec
)
la totalité du fermage ou avec la totalité de la contribu/ion.
Ce système paraît être une conséquence plus
exacte des principes posés par la Commission, que
le projet même qu'elle a adopté, et qui menace de
laisser le Gouvernement au dessous des besoins et
des circonstances malheureuses qu'elle a prévues,
et auxquelles eUe ne remédie qu 'à moitié.
Belfroi, Dubois-Crancé et d'autres, veulent que
l'imposi/ion et les fermages soient acquittés en nature. Ce projet, qui n'est pas nouveau, qui a pour
1ui l'autorité Je l'un des grands génies don tla France
s'honore; ce projet que J'esprit fiscal fit avorter,
qui depuis plus d'un siècle a des adversaires) en a
trouvé encore aujourd'hui. J e viens le dérendre,
après avoir dit un mot de l'insuffisance de celui de
Lecointre, et à plus forte raison de cel ui de la Commission, qui donnerait unproJuitbeaucoup moindre.
Ou le crédit public, qu 'on ne ranime pas aussi
facilement qu'il se détruit ) donnera aux mandats la
valeur qu'ils doivent avoir et qu'ils ont, lorsqu'on
veut les transformer en terre, ou l'opinion ne leur
accol'dera pas ce/te valeut' dans les échanges et les
transactions. Je raisonne dans les deux cas.
Au premier , Jes mandats, transrormés en terre
avant un an, éteints par leu t' gage) laissent les <:ontrib~ables sans moyens d'acquitter les impositions,
et l'Etat sans monnaie.
�( 23 )
( 22 )
Au second cas, la difficulté augmente: les mandats se précipiteront avec d'autant plus de rapidité
sur les biens qui leur sont affectés, qu'on les estimera moins pour d'autres emplois; la quantité nécessaire pour qu'ils représentent la contribution,
s'auO'mentera à raison de leur dépréciation; ils manq~e~ont beaucoup plutôt aux contribuables et à
l'Etat.
Cette réflexion suffirait seule pour faire préférer,
dans les circonstances olt nous nous trouvons, l'impôt en nature. Que sera-ce, si , comme on peut le
démontrer , il est le meilleur el le plus doux de tous,
même dans les temps ordinaires ?
Il n'est point d'imposition qui n'ait ses partisans
et ses détracteurs, parce que toutes ont leurs incon véniens, leurs imperfe€tions et leurs avantages:
il faut cboisir cell e que le raisonuement et l'expérience indiquent comme la moins mauvaise.
La contribution foncière en argent a pour premier défaut d'être assise d'une manière infiniment
arbitraire, non-seulement de département à départem ent, mais encore de canton à can ton et de fonds
à fonds dans la même commune. Lors même qu'on
aurait un cadastre génét'al , auquel on est encore
bien loinc1e parvenir, il y aurait toujours une grande
inégalité dans l'estimation des terres; et quand même
on aurait pu s'en défen dre dans les premiers temps
du cadastre, les hasards des saisons, le changement
des possesseurs, et la succession des temps, la rameneraient bientôt. On en avait l'exemple dans la
ci-devant Provence, olt il existait un alFouagement
généra l , c'est-à-dire, une répartition généra le des
impositions, sur laquelle il avait fallu revenir plusieurs fois; il Y existait aussi des cadastres particuli ers à cbaq'le comlll un e; il fallait les refaire de
temps à autre, o u les abandonner, pOlir substituer
à la taille, clont la répartition était devenue trop
inég-a le, un autre genre d'imposition.
2°. La contribution fonci ère, qui n'esl.autre chose
q u'une taille r éell e, a ce vice, que le propriétaire
es t obligé de payer cbaque aimé" la mêm e. somme,
soit qu'il recueille bea ucoup, soit qu'il retire peu.
Il a la ressource, il est vrai, des dégrevemens ; mais
on sait combien ell e est len te, pénib le et difficile à
obtenir. Elle exige, si le dégrevement doit être
perpétuel, une con naissance approfondie, non-seulemen t du produit du fonds, mais de celu i des fonds
limitrophes. Si le dégrevement doit être passager ,
il ne peut être appuyé que sur des cas fortuits et
extraordinaires, sans lcsq nels un propriétaire peut
cepeml<lrlt ne pas recueillit" quelquefois ce qui cst
nécessait"e au remboursemen t de ses avances, anx
besoins de Sil famille et à l'impôt.
De là s'ensuivent des arriérés dans .la contribution , tr0.isième vice de l'impôt en arge nl. 1:a rriéré
nuit il l'Etat, dont il "etarde les revenlls; il éct'ase
�( 24 )
le propriétaire , qui voit sa dette s'accumuler et s'accroître par des intérêts. SOllvent deux années de
mauvaise récolte le mettent hors d'état de se libérer
à jamais; alors sa situation s'ag'grave : les sergens,
les saisies arrivent J et le malheureux père de famille est expulsé de son champ.
<?n remarquait dans la ci-devant Provence, que
j'ai dèjà citée et que je citerai encore, parce qu'elle
fournissait l'exemple des deux g enres d'impositions
entre lesquelles le Conseil doit choisir, et je n'ai
pris la parole que pour ajouter à des réflexions que
tout le monde peut faire mieux que moi, le résultat de mon expérience; on remarquait, dis-je, que,
dans les communes qui avaientpréférèla taille réelle
on contribution foncière à l'impôt en nature, les.
trésoriers des communes élevaient toujours leurs
fortunes, et s'enrichissaient aux dépens de plusieurs.
contribuahles. Ils les laissaient s'arriérer, acquéraient sur eux des créances et des obligations, avec
privilége sur les fonds; et si quelqu'un de ces fonds
était il leur convenance, ils .s'en mettaient bientôt
e~ ~ossession , ou par vente- volontaire, ou par
saISie.
L'impôt en denrées n'a aucun de ces incofl·véniens:
son assiette est toujours égale à l'égard du propriétaire; elle est faite par la nature elle-même. A mesure qu'elle lui offre ses productions, elle lui fournit la part qu'il en doit à l'État: a-t-il beaucoup,
( 25 )
il pa yera beaucoup; peu, il payera peu; rien J il
ne devra rien.
Lorsqu'un orage détruit sa moisson, lorsque la
terre, plus sourdement ingrate, a trompé ses espérances, et n'a payé qn'avec avarice ses avances
et ses sueurs, il n'a pas la dou leur d'ajouter à ses
pertes nne dette qu'il n'a pas le moyen d'acquitter;
il n'est pas tenu de mettre en réserve pour lepercepteur ce qu'il v~rserait dans son fonds pour le rappeler à sa fécondité première.
La contribution fonci ère est toujours accompag'née d'elI'orts, SOllvent de larmes. Il faut payer eu
monnaie qu'on a péniblement acquis, et dont on
aurait mille emplois; on paye en un temps où l'on
a oublié en quelque sorte ce qu'on a reçu. L'impôt
en naturese payant au contraire sur le fonds même,
il paraît moins lourd; il n'épuise jamais le redevable qui emporte la plus grosse part. C'est un
partage: un partage est toujours moins pénible que
le paiement d'une dette. Les moyens n1anquent
quelquerois pour la dette, elle épuise souvent tout ce
qu'on a; la matière ne manque jamais au partage.
L'impôt en nature est donc plus doux pour le propriétaire, parce qu'il l'acquitte ail moment où il
lui est plus facile de se libérer, parce qu'il n'a plus
à craindre ni arriéré, ni intérêt, ni contl'ainte. Ce
qu'il serre dallS ses greniers et ses caves, est tout
à lui.
�( 26 )
D'a utre part, l'Etat reçoit à l'échéance tout ce
qui lui est dû. Il Y a donc ici avantage réciproque
entre le débiteur et le créancier.
Mais si cela est, comment tant d e bons esprits
qui se so nt occupés du meilleur mode d'impositions}
n'ont-ils pas adopté celui-là? Parce qu'on ne parvient au bien que lentement , parce que mille intérêts divers le croisent: l'inhabitude suffit pour l'éloigner. Mais lorsqu' une grande r évolution arrive,
lorsqu e tout est éga lisé et nivelé, alors le moment
est venu d'introduire de grands et salutaires changemens.
•
Ce qui détournait, dans l'ancien r égime, de
l'impôt territorial, c'é tait la crainte d'une subversion dans le système des impositions. Nous ne sa urions en être frappés, puisqu'a vec le Gouvernement
nous avons en même temps tout changé. Mais il
faut répondre avec plus de d étail à certaines objections.
Vous avez, dit-on , supprimé la dîme comme un
impôt onéreux, et vous allez la rétablir! Ne prévoyez-vo us pas le mécontentement du peuple? Non,
certes: le peuple es t trop éclairé pour confondre la
dîme ecclésiastique ou seigneuriale al'ec la dîme civile dont il s'agit ici. Les propriétaires étaient grevés d'une double chargoe, de l'imposition qu e tout
citoyen doit à l'État, etclecelle qu 'on exigeait c1'eux
à titre de religion ou de seig neurie . L'égalité a
•
"
( 27 ')
proscrit les seig neurs. La philosophie, en ~t~blis
sant la liberté des religions, n'a laissé aux mlll15tres
d es cultes que des salaires; elle ne leur a a,ba~don.né
que d es dons privés et volontaIres. Il ne s ag'lt pOlnt
de toucher à ces réform es. Mais en affranchissant .
les propriétaires de la dime ecclésiastique ou ~ei
g neurial e, on n'entendit pas les délivrer .de, l'Impôt. Si maintenant ce t !mpôt est conve~ tI , a l e~r
avantage et à celui de l'Etat , en dîme CIvIle, le benélice de la suppression de la première dîme ne
subsistera pas muins. La double charge n'existera
jamais. Peu importe le nom de l'impôt, qu'on ne
propose même pas d'appeler dîme} pOtIrVU qu e le
sort des contribu ables ne soit pas aggravé.
On fait à l'impôt en nature trois reproches principaux . Il a aussi ses inégalités; la perception en est
coûteuse ; il pèse sur l'industrie.
.
Il a ses défauts sans doute; mais toutes les Impositions en ont; il est impossibl e de parvenir à u~e
répartition mathématiquement juste. Qu'est-ce d'ailleurs que l'inégalité de l'impôt en nature? SI vous
prenez, dit-on, le di xièllle SUl' les g-raIns dans le
nord de la Fr ance, vo us prenez moi il S que lorsque
vous exigez la même qu otité dans le midi, Oll les
grains sont moins abondans el. plus cbers. Il y a des
pays où la terre exige plusd'avaoces et rend mOIns:
L'impôt eo nature pesera davantage snI' c~u x -I a
que snr les autres. Cela n'est vrai que Jusqu a lin
�( 38 )
certain point , et de briefs calculs nous ramènent
bientôt à cette égalité qui n'est point mathématique,
mais qui est approximative et morale, s'il est permis de parler ainsi, où quelques défauts doivent
être négligés.
Un champ quelconque coûtera dans les départemens féconds 1,000 1. d'avances. Il produira deux
cents quintaux de grains. Le propriétaire en payera
vingt à l'État) si l'impôt est au dixième. Dans les
départemens stériles) le champ qui exige 1,0001.
d'avances , ne rendra que cent cinquante quintaux
de blé. Le propriétaire n'en devra que quinze: la
proportion est conservée. Elle l'est encore si l'on
considère le prix des grains; car si le quintal de
blé est plus cher dans le midi, le revenu du propriétaire) quoique_moindre en quantité que dans
le nord, est toujours dans un juste rapport avec
l'impôt. A quelque prix que soit le blé, qu'il vaille
10 ou 20 francs, le partage en nature exclut toute
dill'érence essentielle.
Mais les frais de perception! Le génie fiscal ne
répondrait qu'un mot: c'est le contribuable qui les
paie. Celle réponse ne conviendrait pas à des législateurs auxquels la fortune de leurs commeLtans
doit être chère. Les frais de levée tombent toujours
en augmentation d'impôt; ils sont donc toujours à
considérer. Mais 1 0 ces fraÏs ne sont point aussi
considérables qu'on le pense; 2" le redevable en
( 29 )
<,
est dédommagé par la douceur de J'impôt, par
la facilité de son acquittement) pal' la suppres.
sion Je l'arriéré tt de ses interêts, et des frais de
saISIe.
T/'oisieme reproche. L'homme industrieux qui
fait valoir avec soin son champ, payera plus que
l'insouciant qui le néglige et qu'il faudrait punir! Cela est vrai, mais l'homme iudustrieux est
plus riche. Et comme le négociant vous paie le
tribut de son industrie, pourquoi l'agriculteur ne
le payera-t-il pas aussi ? Ce n'est pas par l'impôt que
l'on corrigera les mauvais cultivateurs; et ce n'est
pas l'impôt en nature qui découragera les bons. Ce
qui décourag'eait, c'est ce que la révolution a supprimé, la taille arbitraire et personnelle : ce qui
décourage ou écrase, c'est l'inégalité bien ,lUtrement forte de la contribution foncière; c'est l'obligation de payer quand on n'a rien perçu; c'est l'arriéré; ce sont les frais de contrainte et de saisie,
tous les vices, en un mot) de la contribution foncière.
Je passe rapidement sur ces objets susceptibles
de dévelQPpemens, qui ont été donnés ou qui peu·
vent l'être par d'autres orateurs : je me hâte de
joindre à l'exemple de la Corse, où l'impôt en
nature avait été introduit. sous l'ancien régime,
a l'ec succès et à la satisfaction des redevables, l'exempie , l'expérience d'un nombre de communes de la
�( 30 )
ci-devan t Provence, formant aujourd'hui les départemens des Basses-Alpes, du Var etdes Bouchesdu-Rhône.
Les comm uues de ces contrées avaient le droit de
choisir le mode d'imposition qui leur comoenait le
mieux. Les habitans pouvaien t déterminer chaque
année) dans un conseil g'énéral , comment ils se
procureraient le contingent que leur trésorier devait verser dans les caisses générales du pays. Certaines communes adoptaient la taille réelle: c'était
la contribu tion foncière; d'autres imposaient sur les
consommatious : c'étai t ce que l'on connaissait ailleurs sous le nom d'octroi; d'autres enfin levaient
l'impôt en nature. TI est si constant que c'est l'impôt le plus productif et le plus doux, qu'il était la
ressource des comm unes les p lus obérées. On a YU
des communes commencer par s imposer Jusqu au
quart de leurs fruits, parvenir, dans peu d'années,
à ne payer que le quinzième, le seizième. Il y avait
quelques comm unes Oil \'on payait moins d.e. la
vingtième partie des fruits: tant cette imposition
est douce, tant elle est loin de décourager l'agricu lture. C'est cette expérience qui me démontre
que l'imposition en nature est la moins importune
de toutes.
Pour ne pas abuser de la parole, je laisse à d'autres le soin de développer la manière dont elle doit
être appliqu ée à la totalité de la France; mais j'en
"
•
_J
(3i )
Viens à prouver que, si elle serait pre/érable
dans tous les temps, elle est indispensable dans
celui-ci.
NO Ud avions un signe monétaire immense, il va
disparaître. Dans moins de deux mois, tous les assignats seront retirés. No us avons créé pour ce retirement, et pour remplacer une partie du vide que
laisseron t les assignats, des mandats territoriaux;
mais ces mandats ne sout, par leur nature, que
l'intermédiaire entre le papier-monnaie et le retour
tles espèces. Les mandats, destinés à se transformer
en terre, en ayant à tout moment la f,1cu lté, peuven t , comme je l'ai dit en commençant, disparaître bientôt. TI fant prévoir ce moment, où le
numéraire n'ayant pas encore reparu à suffisance,
et le mandat étant trop l'are, la circulation lang'uirait. Sans doute, on ne voudrait pas faire de nouveaux mandats, le régime du pJpier-monnaie doit
avoir un terme; et quand on devrait en faire encore 1
il est bon de garnir le trésor public de valeurs
réelles, qui le mettent à l'abri de tous les évènemens.
JI faut prévoir aussi le cas d'un discrédit; car,
quelqu'improbable qu'il dût être, quelque mesure
que l'on puisse prendre pour le prévenir ou l'arrè·
ter, il en est de la sagesse des l~gis l atel1rs comme
de celle des généra ux qui, en préparant tous les
moyens de la victoire) doivellt aussi combiner
�( 32 )
ceux de la retraite } et les ressources contre le malheur. Le Gouvernement, si il a dans sa disposition
une quote-part eu nature de tout le produit du territoire francais,
est sûr de soutenir la valeur de
,
ies mandats, s'ils restent en circulation sans que les
biens nationaux les absorbent ; car dans ce cas, il
ne sera pas contraint à des achats immenses et ruineux qui aviliraient sa monnaie, parce qu'il serait
forcé de la prodig uer. S'ils disparaissent , il a des
valeurs r éelles de première nécessité que la nature
reproduit chaque année, et qui peuvent les suppléer à plusieurs égards; s'ils se discréditent, il ne
souffrira point directement du discrédit, ou iJ en
souffrira moins, et alors les citoyens qui en souffriraien t entr'eux auront intérêt à le faire cesser.
On a dit: faisons payer lïmposition en mandats
pour rendre le mandat nécessaire et précieux; et
moi je dis : laissez le mandat pour l'extin ction des
assignats, pour le p,\yeU1ent J es impositions arriérées} pour acquitter les obligations du Gom'ernement et les transactions des citoyens; il aura là un
emploi plus que suffisant; et <l ss urez-vous de la ,'éritable richesse, de la richesse r éelle. Dans d es
temps ordinaires, le sig ne représentatif équivaut
à la chose représeutée ; d ans des circonstances difficiles, la chose vaut tou jours mieux : song'ez à
toute l'ulilité dont a été le payement en nature de
la moitié de la contribution; vous en avez l'expé-
( 55 )
rience, et vous hésiteriez 1 vous seri ez arrêtés par
quelqu es incon véni ens, par qu elqu es gaspillages,
qu elques dégâ ts qu'iL y il eu , et qu'il est facile de
prévenir! Malgré ces inconvéniens, vous avez recueilli des avantages imm enses: vous pouvez les
aug menter en rendant la contribution qn erable , au
lieu d e portable qu'e ll e était par les derniers dé.
crets ; en afferman t la r ece tte dans chaqu e ca nton,
au lieu de la faire régir; en laissan t aux fermiers
jusqu 'à disposition et pour un certain temps le soin
de l'emmagasinement et de la conserva tlOll . Autant
il serait dangereux qu e des parti culiers ou unecompagnie eussen_t en main un e gra nde portion des
denrées d'un Etat tel que la France, autant 11 sera
avantage ux qu e le Gouvernement en soit saisi; nonseulement il trouvera à approvisionner avec beauconp moins de Irais ses armées, à pourvoir à la
subsistance des grandes communes, mais il sera
l'arbitre du -prix de toutes choses . Maître de œtte
quantité de denrées de pre mi ~l'e n éce.ssi té , !oi~ que
le co urs du papier ou des especes pUIsse lUI faire la
loi comme par le passe, il comm andera au crédit
et à l'opinion : à mesure qu'il sera le mieux a p_
provisionn é des propri é ta~re~, il pourra vendre ou
consommer ses denrées, ainSI que les C lrconst~nces
le rendront plus convenahle à ses intérêts. Ce qui
serait monopole dans nn particulier } sera, dans
les mains du Gouvernement , un gTand moyen d'é .
3
�( 34 )
( 35 )
cOllomie et de richesse, un levier puissant pour, 1'0pinion , une arme mortelle contre les agioteurs et
les fourni&seurs.
Je vote pour le projet de Dubois-Crancé, sauf
les amendemens dont il sera susceptible.
Il est facil e à l'austère prévoyance des uns, à la
bienraisante sensibilité des autres, de tracer des tableaux propres à émo uvoir et à tenir les opinions
en suspens; mais il s'agit ici de se décider bien plus
par la conviction de son esprit qu e par Je penchant
de son âme: laissons don c les orn emens de l'art et
les mouvem ens des passions, pour discuter avec
calm e et précision un e question si intéressa nte.
C'est. précisément parce que l'a mnistie es t une
réconciliation, CJu'ell e ne peut echoir pour des délits commis isolément par des individus contre d'autres individus.
Pour qu'il y ait lieu à une juste et solide r éconciliation , il faut qu'il pr éexi~t e des rapports communs entre ceux qui se réconcilien t; il raut que
tous les intéressés y intervien nent , et qu'o n ne fasse
pas le préjudice d li ti ers: ca r celui qui se r éconcilierait avec l'auteur d'une offense, au préjudice
de l'offensé, serait plutôt un complice qu'un conciliateur.
L'a mnistie qu'on vous propose associerait en quelque sorte la loi au délit , à mesure qu'ell e en remettrait la pein e.
Elle appliquerait à des d élits privés, dont la r épression n'appartient ni à la législature, ni ~u Gouverneil lent ) à moins qu'on ne le considère com me
chef de la justice , ce qui n'est applicable qu'aux
délits politiques et généraux.
OPINION
Sur le Projet de L oi portant Amrustie ) prononcée
au Conseil des Cinq - Cents) le I l fructidor
an 4 ( 29 août 1796)Le mot amnistie réveille des sentimens contraires
selon qu'on est disposé à l'indulgence on à la sévérité.
Celui que l'horreur du crime épo uvante plus que
la rigueur des châtimens infligés a nx co upabl es,
s'écrie que l'on va par l'impunité livrer les citoyens
à de nouvea ux désas tres. Celui que le spectacle d'une
révolution trop sanglante a ('atig ué) demande qu'on
écarte ces priso ns , ces jugemens, ces supplices qui ,
bien qu'ils aient repris l',lU guste cara ctère de la juslice , lui rappellent d'afFrem.:. souvenirs : il s'étonne
que l'on s'oppose à ce qu'il croit devoir opérer une
réconciliation générale , et qu'on dispute au Corps
législatif le droit de pwnoncer une amnistie.
�( 36 )
(37 )
Il n'y a que ces délits qui soient sU5ceptihies
d'amnistie. Par exemple, on la donne de tem ps à
autre aux déserteurs: comme le crime de désertion
n'offense que le public el le Gouvernement, le public et le Gouvernement pardonnent leur offense.
On accorde une amnistie après une guerre civile;
le vainqueur traite avec générosité le vaincu. C'est
un parti qui pardonne à un parti; c'est un être collectif qui se réconcilie a,'ec un autre être collectif.
On accorde encore une amnistie à la suite d'une
insurrection) qui est une sorte de guerre civile imparfaite.
Mais dans les matières ordinaires .. c'est - à - dire ,
dans les délits commis isolément par des individus
contre d'a utres individus, c'est renverser toutes les
idées que de parler d'am nistie. Les crimes privés
sont, dans les mOllarchies, susceptibles de lettres
de grâce) d'abolition, de rémission , selon les circonstances. Dans les 'républiques, où le droit de
faire grâce n'appartient à personne, ils ne peuvent
être excusés que par les jurés.
En France, l'action publique) qui a pour objet
de punir les atteintes po,.tées à l'ordre social, appartient essentiellement au peuple (1); elle est
exercée en son nom pa,. des fonctionnaires spécia-
lem ent établis à cet qJèt : d'où il suit nécessairement qu'il est hors de la puissance du Corps législatif' de suspendre celle action; il entreprendrait sur
le pouvoir judiciaire, que la Constitution lui défend d'exercer.
Si, nonobstant la division des pouvoirs, il lui est
permis de prononcer un e amnistie, ce ne peut donc
êlre : co mme je l'ai déjà indiqué, que dans les matières générales et politiques, tenan t plus au Gouvernement qu'à la manutention unive"selle et à la
justice qui ne, prononce qu'eutre de~ individus.
Ainsi il y a lieu à amnistie pou r des affaires telles
que celles de la Vendée, de Valenciennes, de Lyon ,
de Toulon. Là on voit une portion du peuple élevée
contre la majorité ou contre une autre portioll du
peuple; il Y a matière à réconciliation; il Y il même
nécessité de se réconcilier pour la paix et la tranquillité génerale : c'est là où, seloll la beUe expression de notre collègue Jourdan , l'amnistie est
le fleuve qu'il faut verser dans un gou{fre emflamme. Cette g ranJe meSUl'e peut êlre dans les pouvoirs du Corps législatif , parce qu'elle est nécessaire, et qu'elle est moins encore dans les pouvoirs
des deux autres puissances cons titutionnelles.
Mais entre un individu qui souffre une offense et
un individu qui la fait , il ne peut y avoir d'autre
arbitre que la loi, parce qu'il n'y a entr'eux d'autres l'apports qu e ce ux de la justice.
(1) Code des Délits .t de. Peines , art. 5,
�( 58 )
Ici il n'y aurait pas réconciliation , mais im punité. L'impunité n'es l du moins qu'une amnistie de
fait qui peut cesser à tout illslallt; mais l'amnistie
ell matière privée serait une impunité légale, véritablement sca ndal euse.
I:individu offensé est un tiers al! préjudice du'qu el le public ne peut se récollcilier sa ns détruire
les fondemens m ême de l'ordre social. Dire qu'enpareil cns le Corps législHtifpeut acco rd er des amnisties, c'rst l'autoriser à dispenser par voie de g'ouveruement de l'observ atioll des lois; . c'est détruire
la garan tie Je la sù reté que chaqu e citoyen trom'e
dans la loi; garantie qn'il ne peut être en la puissance de personne de lui ùtt:!!' ponl' les faits qui se
so nt passés, tant qu e la loi qui le protégeait et lui
promettait vengeance était en ,'ig ueur.
L'effet rétroactif qui rcmeurait la peine provoqu erdit l'injustice, le crilll e et le désordre, comme·
l'elfet rétroac tif qui prononcerait des peines après
co up , introduirait la perfidie, l'oppression et la·
tyrannÏe.
Quelle sûreté existera -t-il dans la société, si
quelqu'un peut se dire : la loi qui me menace et me
contient, pou rra vraisembl ablemen t être rendue sans
effet quand je serai devenu c.oupable.
Voyez qu els ont été les désas tres qui ont suivi les
premières amnisties; voyez si ce tte réco nciliation ,
cette paix , qui en furent l'honorable 'motif , en sont
(39 )
sorties: au contraire, les crimes onl été en crOIssant; les crimes pardonnés en ont enfanté d'autres;
les méchans n'ont plus eu de frein; ils ont renouvele et suivi leurs pl'ojets , comptant sur le succès,
et, en tout cas, sur une amnisti e. Comme le génie
de Iii France il déçu leurs premièr'es espérances . la
loi ne doÏ t pas rem plil' les secondes: les unes et les
au tres sont criminelles.
C'est le délimt de la poursuite des coupables après
le 9 thermidor, c'es t le relard de la loi du 22 /loréal, et ensuite la crainte d'une amnistie, qui firent
violer l'asile des prisons.
L'amnistie, en m~tière politique, prouve la générosité du GouvErnement ; en matière ordinaire,
elle ne prouve que sa l'aib-Iesse : elle donne l'éveil à
la méchanceté et à l'audace; eUe détruit d'un seul
co up le lien te plus lort de tOtltes tes sociétés .. ce
principe, qu'il existe une volonté au dessus de toute
volonté humaine et de tous les efforts, une votonte
puissan te, inaltérable, invincible, celle de la loi .
.L'amnistie ramène l'arbitraire; elfe place t1an~
l'Etat un :tete de gouvernement absol u; elle attente
donc à la Con~titulion.
D'autre part , elle corrompt l'esprit public : il n'y
a plus de cl'ime ni d'innocence, plus de morale , si ,
par un acte' du' Corps législatif, on peut décréter
l'impunité, Les remords resteront, dit-on: et à qui
jlrète-t-ou des remords ~ Et p1'lis, les lois n'ont-elle~
�( 41 )
( 40 )
besoin que de cette sanction invisible et si ~ffaiblie
de la conscience? Il faut contre les actes extérieurs
uue sanction exttirieure. L'am nistie, en détruisant
la sanction des lois , menace l'ordre social.
Ah ! si pour notre dignité nous devons respecter
les lois, [JOliS devons les respecter sur-tout pOllr la
sûreté comnwue et particulière.
Une amnistie fut prononcée le 4 brumaire dernier; sans doute elle est irrévoca ble. On ne peut
pas plus se j9uer des gTâces que des châtimens. Elle
a besoin, dit-on, d'interprétation. Il faut l'interpréter, Pllisqu'on ne peut la révoquer; mais il ne
faut pas l'etend re, comme le fait le projet de la Commission, aux assassillats et aux vols, sous le vague
prétexte qu'ils ont été commis pendant le cours et
à l'occasion de la révolution.
J,a révolution a entraîné des mouvemens, causé
, des insurrections et des délits gé néraux et publics ;
ceux-là sont susceptibles d'amnistie; mais la révolution n'a commandé à per,onne le vol et l'assassinaI. Ces délits privés sont inexcusables. Les hommes
qui se les ont permis n'on t pas suivi l'esprit de la
révolution, ils l'ont infec té de leur propre corruption; ils so nt doublement nilllineis. Je les compare
à des brigands qui profitent du déso rdre d'un incendie pour se livrer il toute sorte d'excès. Quoique
cet incendie casuel soit l'occasion de leurs ('fimes,
leUl's crimes ne sout pas la suite de l'incendie.
1
On a dit qu'une amnistie doit être entière. Ce
principe est moins sûr que celui de l'irrévocabilité;
car dans les gouveroemens où l'action de la loi peut
être arrêtée par la clélllence , on connaÎt la modération ou la commutation des peines, qui est une
amnistie imparfaite; on connaÎt l'abolition, qui est
une autre manière d'alDnistie et plus entière; mais
celle-ci est uu bienfait qu e l'on peut restreindre il
un seul ou étendre à plusieurs , et re/user à d'autres.
Si cela choque nos prio ci pes d'égalité, c'est, comme
je J'ai prouvé ) qu e J'aOluistie en deliLs privés contrarie tous les principes de notl'e Gouvernement.
Si la loi du 4 brumaire n'existait pas, nous ne la
proposerions pas. Elle existe; elle est irrévocable;
il faut dune la prendre telle qu'elle est. Sous le prétexle que la Convention) qui réunissait tous les
pouvoirs, a accordé amnistie à lell e ou tell e classe
de délits, il ne faut pas porter l'a mnistie sur ceux
qu'elle crut devoir excepter, ni même sur ceux que,
contre son intention, elle aurait oublié d'excepter.
L'amnistie n'est point l'ouvrage du Corps législalir;
il est celui de la Convention, qui pouvait plos que
lui. Nous devons le maintenir et le faire exécuter;
nous ne saurions y ajouter; cela est hors (le nos
pou l'01rs.
Je vote donc contre le projet de la Commission.
et je demande qu'elle combine un uourean projet
011 J'amnistie dn fI brumaire soit exp li(I'H~ e et res-
,
�/
( 4l )
( 43 )
treinte dans les cas prévus, et non étendue aux: cas
exceptés.
désistement p:::rtiel , quelqu efo is une commutation
de peine. Elle reçoit ces divers noms , pour caractériser ses dilférelltes es pèces ) sans cesser pour cela
d'~tre amnistie.
De là vient que, pal' le projet de résolution , el
cet article n'est pas combattu, les amnistiés, quoiqu'exempts de poursuites et de peine, restent sous
une sorte d'incapacité.
Ceci rappelle les commutations de peine. Notre
législation ne les J pas admises, non qu'elles soient
contraires a ux princi pes de l'équité, mais parce
qu e, d Jns notre constitution, personne ne pourrait
les pronoll cer : la justice y est uu pouvoir indépendant; on n'y a pas même pu prévoir une amnistie
com me possi ble so us des rapports lég'a ux. Elle ne
peut être prononcée par le Corps Jég'islatif que sous
des l'al' ports politiques, comme un traité Je paix
après des dissenti olls civiles. Or, il est de l'essence
d'un traité de paix de recevoir plus ou moins de
<:onditions et d'étellllu e. On cesse d'être en g'uerre
avec tous les ennemis auxquels on se récon cilie;
mais il en est à l'ég·'Il'd de qui l'on r este dans un
état de neutralité; il en es t dont on se fait des alliés;
il en est à qui l'on accorde des droits ou des faveurs. On rend ou l'on ga rd e plus ou moins ce
qu'on a conquis et que l'on t'st maître lIe dOD ner
ou de refuser.
Ce qui est vrai à l'égard des eun emis étraug'ers
,
REFUTATION
D'une Opinion de Lamùrque) dans la séance du
16 brumaire an 5) Sur ce que "amnistie ne devait pas être l'ifusée pal' exception à ceux qui
avaient été nominativement condamnés.
Cc discours ne fut point prononcé, parce que le Conseil
passa de suite à rordre du jour sur la demande de Lamarq ue;
il fuL imprimé dans un journal du 19 brumaire an 5.
te préopinant se fonde sur une prétendue règle
dont j'avais déjà indiqué l'inexactitude dans la discussion qui eut lieu sur l'amnistie, en fru c tidor dernier. JI dit que l'amnistie doit être entière; cela
n'est vrai ni en théorie ni en pl'atique.
Qu'est-ce que l'amnistie ? Un oubli, une réconciliation; les elFets de la récoll ciliation peuvent être
plus ou moins étendus, saus que l'essence de la réconciliation en soit altérée .
On peut se réconcilier pour ne plus poursuivre
sans contracter amitié. On peut remettre la peine
sans abandonner les dommages et intérêts. L'amnistie qui n'est pas entière est un e transaction , un
'1
�( 44 )
( 45 )
que l'on reçoit en un tel degré de faveur ou en tel
autre, l'est bien davantage il l'égard des ennemis
intérieurs et des diverses classes de coupables.
TOlls les hommes sont égaux aux yeux de la loi ;
mais c'est quand ils sont dans les mêmes circonstances; car, certainement l'innocent et le coupable
ne sont pas éga ux.
Les coupables sont ensuite disting ués et c1as~ és
par le genre de leurs délits.
Tous sont égaux, en ce qu'ils ne doivent tous être
punis que d'a près la disposition des lois. Mais tous
son t diJférens si leurs crim es sont divers. Comme
il est ùes crimes contre lesqu els 1" loi prononce de
plus g rand es peines, il en est aussi qui sont susceptibl es de plus ou moins d'indulgence ou de rémission.
Ennn, il Y a une g-radation de clémence ainsi
qu' un e gradation de châtimens. On est innocent ou
co upable. Mais ou est un coupable pills ou moills
excusable; d loin que la pratique ait confirmé cette
prétendu e règle d'une am nistie pleine, en tière et
sans excep tion , l'histoire ne nous en présente aucune qui n'ait eu ses restrictions.
On pardonne au vulgaire, à la multitude égarée,
aux instrum ens aveugles. On livre les chels en exemple. On joint ainsi à la douceur ct il l'utilité du pardon, les avantages d'un e juste sévérité, et ce qu'il
y a de plus essentiel dans le châtiment: l'irupuis-
sa nce il laqu elle on rédllit des homm es dangereux .
On ne les punit point par haine, sentiment étranger il la loi tlui es t impassible; mais celle même
utilité, ce but politique qui sollicitent le pardon
d'une Dlultitude , qui ne veulent pas qu 'aux désastres sanglans des dissentions civiles succèdent des
carn;'ges judiciaires, command ent aussi de ne point
épargner les moteurs des sédiLionsou des malheurs
publics.
Une amnistie qui est un bienfait dev iendrait une
ilDprudence, si on J'accordait sans distinction et
sans réserve. Elle semit un déiit envers la société,
si, sous le prétexte absurde qu'elle doit être généra le, elle lui rendait généralement tous les élémens
qui J'ont bouleversée.
Deux mille famill es peut-être attendent l'amnistie qui avec la sécurité ramènera dans chacune un
membre que des excès r évolutionnaires égarèrent
et qu'un sage et nouvel ordre de choses a rendus
à la raison et à la vertu. l\Il ais deux millions de familles frémissent au nom de certains hommes malheureusement trop fameux; ils évitèrent la hache
sous laquelle ils avaient précipité tant de victimes:
et si une amnistie devait les ramener au milieu de
nouS. et leur restituer une existence cil'ile, au lieu
d'ètre un bienfait elle serait un fléau public.
En un mot , quel est le principe d'une amnistie?
Ce n'est pas la justice, puisqu'elle en arrête le cours.
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Cest "humanit é qui met un terme ù des châtimens
trop nombreux; c'est l'utilité publique qui veut que
)'on se concilie par la clémence un grand nombre
d'hommes susceptibles de repentir ou présumés tels.
Or, l'humanité et l'utilité pub lique ne permettent
pas d'embrasser, dans le même bienfait, des gens
dont les principes) le caractère, les actions , ne
laissent rien espérer et fout tout redou ter.
Loin donc que l'amnistie doive s'étendre à ces
hommes, les principes qui la dicten t les en excluent.
Elle doit être générale pour les coupables de la
même classe, mais uullement pour les coupables
éminens qui sont en première lig'ne, qui ont à rendre compte bien moins de leurs crimes que de ceux
qu'ils ont fait commettre.
C'est leur châtiment qui permet l'amnistie; c'est
leur grâce qui la déshonorerait, qui la tournerait
au détriment de la société et de la paix a uxquelles
ell e est consacrée.
Avant d'être universelle ,l'amnistie doit être pure;
elle doit être innocente, essuyer les pleurs, ca lm er
les alarmes, et Don en faire r enaître; ell e doit être
un traité d'alliance avec les faibl es, avec les déserteurs de la bonne cause, et non un pacte de complicité avec les scélérats.
Nota. 00 trouvera plus bas un autre discours sur l'amnistie proposée après la restauration.
RAPPORTS
Concernant le Condamné LESURCI(UES.
J'ai co nservé ces deux rnpports, quoique relatifs
à Ulle affaire particulière, parce que j'ai été, à ra ison de
cette affai re, injustement (>t Silns nécessit1 altaqué rians
ùeux brochures publiées, en 1822. et 1823, par ~1 . Salgues .
Il a entrepris, avec un zele louable auque l j'applaudis autant
que personne, de justifier un co nd amné qu'il croit innocent;
mais parce qu'il voulait démontrer l'erreur où seraient tombés les jurés ct les ma gistrats qui conco ur uren t à l'arrêt,
qu'avait-il besoin de s'en prendre à Uloi, de ce que le Consei l des Cinq-Cen ts reconnut à l'unanimite qu'il etait hors de
ses pouvoirs d'oJ'ùonncr la révision de cet arr èt ? Il m'accuse
de prétJention et d' hostilitd inspirles il ne sait pal' quel motif. Je crois bien qu'il ne SD;t quel molif me prêter. Lesurcques m'était illconnu, ainsi CLue l'accusa tion sous laquelle ilavaÎt succombé. Je fus appelé par le hasard, qui me
constitua rapporteur cIe sa pétition, il examin er, avec deux
de m es. collêguC's J si la déc1nralion d'un homme condamr.é
avec lui, faite après le jugement, étaitsulfisante? Si eUe éfait
accompagnée de prt!.somption5 assez graves pour fuire proceder à un e révis ion SUl' laquelle la législation etait muette?
Si J pour suppléer au silence des lois, il ne fallait pas une
évidence qui ne se montrait pas ct que bCùucollp de m agistrat.s n'ont pas même aperçue depuis qUe;! J plusieurs années
après, on eût découvert un homme pour qui L esurcque3 ayait
.été , dit-on, pris ct co nd am né? .Tc pourrais à mon tour
NOTA.
,
�( 48 )
dire que je ne sais par quelmolif rd. SaIgues m'a calomnié.
Ce n'est pas pour l'utilité de la ca use qu'il a embrassee ; raT
l'obstacle qu 'il a TC'nconlre à la J'evision, ne nait pas de lllon
rapport, Illais de l'art. l!43 Ju Code de Procéd ure criminelle,
el des lois antérieures, à tout quoi je n'ai cu aucune part,
quoiqu'il lui plaise de Die prêter un r. grande Pl'êdil ec tion pour
ceUe législation à laquelle je n' étai.s point en position de
concourir, <piand elle e'st in1 ervenue. Il aurait voulu , dit-i l,
m'associer à l'honneur de plaidf' l' la cause de L es urcqucs. Je
n'ai dû en être ni le défenseur ni l'adversaire. J'ai dû me maintenir dans l'impartialité que j'a pportai clans m es rapports;
ils sont insèr es en enti er dans le Monil~ur du 10 ' brumaire
an 5, nO 40. Je prie tous ce ux qui voudront prono ncer entre
M. Salgues et moi J de les lire j ils jugeront si celui qui se
plaignait d'avoir à entretenir le Conseil de charges dont la
connaissance était étrangère aux fon ctions législatives, de
ne pas r encontrer ces ci rcon ~ tan c:es singulières et extraordinaire! qui auraient forcé à r eco urü- à des moyens nouveaux,
et à r emplir une lacune qu'elles aUM.i ent signalée dans notre
procédure criminelle, etait prp.venu? S'il était hostile, celui
qui refusait de combaltre les observations que l'on venait de
distribuer au Conseil, qui trouvait qu e c'était bien assez d'avoir eu à soutenir les larmes et le désespoir d'une femme et
de deux jeun es enfan!' ; qui déclarait qu'il n'était ni le juge
ni l'adversaire de leur man et de h·ur père, et qu'i l désirait
que Lesurcques pût obtenir du Conseil des moyens et un
secours dont la Commission n'entrevoyait pas la poss ibilité;
qui enfin r emplissait dans son rapp or t un triste devoir, COOlme
l'avaient rempli les jurés, les juges de la Cour d'assises et ceux
de la Cour de cassation? Sïls se tromp èrent , leur erreur fut
innocente. Pou rq uoi la mienne ne le serait-elle pas, lorsque
je n'avais pas même à d onner mon avis sur la culpabilité;
( ~9 )
mais à savo~r seuleukn si les circonstances, moins favorables alors à Lesurcq ues q ue celles qui sont survenues depuis,
et nonobstant lesquelles la r evision a été plusieul'8 fois r ejetée,
ét.1ient suffisantes pour l'ordonner ou même l'introduire?
J'ai déjà dit que la législation présente, que M. Salgues trouve
imparfaite, ét!1 i. t alors lout·à-fait muette sur la ]"evision des
.
.
Jugemenr ",",1;V y. .J"'l';
.tl.APPORT
Au Conseil des Cinq-Cenis, sur les Messages du
Direc taire exécutif, relatifs au condamné Lesurcques} du 2 bl'umairean5 ( 23 octob/·e 1796 ).
A côté des crimes atroces qui allligeot et attaquent la société, il est beau de voir la sévérite des
lois occupée à les réprimer , et la bienf"isante humanité veiller auprès des tribunaux pour ,lider à la
déCense des accusés et au Iriom phe des innocens.
En remontant à l'ancienne institution des jurés ,
la représentation nationale anit pensé que tout
était Cait pour la d écouverte de la vérité en matière criminelle. Cependant un cas rt:cent semble
se jouer de la prévoyance du législateur.
La loi, égarée peut-êtl·e , prête il frapper lin citoyen ,victime, dit-on , de sa funeste ressemblance
avec un coupable; un grand pouvoir craignant Je
4
�( 50 )
( 51 )
passer ses limites, même pour suspendre ce qui lui
était prr.senté comme une injustice irrépa rable et
sang lante; une section du Corps légis latif surprise
un momen t, cherchant dans les lois , des moyens
qu'elle n'y aperçoit pas, ruais cédant à ce mouvement d' hu l11H uité et de justice qui, comm e la nécessité, s'élève au dessus d e to ules les lois , et défend à grands cris de verser le sang innocent; tel
est J'inléress;ml tableau qu 'a présenlé votre séance
du 27 vendémiaire.
Ces t dans de pareilles circonstances qu'a ucune
disposition léga le ne saurait enchaîn er la première
impulsion du sentiment; c'es t alors que la Joi , qui
p ardon ne à uu père d e défendre son fils , même
par un meurtre , enjoint à tous ses magistrats de
sauver , s~ils le peuvent, Ull citoyen , des erreurs
qu 'elle a pu commettre. Qu'est-ce, en effet, que Ja
nécessité d'exécuter un jugem ent crilllin ei dans les
\'ing t-qu atJ'e heures, à côté du d evoir de conserver
la vie à un bo mme injustement cond am né?
j' élicilons-nous donc comnJ e d 'un e bonne action ,
d'a vo ir io(liq ué au Directoire exécutil' ; que dans
des circonslances aussi extraord in aires, il est dans
ses pouvoirs de surseoir) non à un jugemen t dont
il ne peut conuaÎtre, mais à une exécution dont
ses agens son t cha rgés .
Il es t possible qu'une com bi naison adroite,
qu'une collusion officieuse entre un coupable et
ses complices, aiellt tend u un piége à votre sensibilité : n'importe; il vaut mieu x se convaincre qu'on
a été trompé) que refusel' ) de peur de l'être , de
s'éclairer, et que de s'exposer à des regl'ets. Nous
compterons le 27 vendémiaire au nombre de nos
jours heureux , si nous avons pu, ce jour, sauver
un mnocent.
La Commission nommée pour l'examen du message du Direc toire exéc utif relatif à Lesurcques,
frappée, comme le Conseil, de l'importance du sujet, a dévoré, avec autant d'attention que d'avidité) les pièces qui lui étaient présentées. Deux
g randes pensées l'occ upaient : apercevoir clairem ent l'innocence du condamné) trou ver des moyeus
légaux de pourvoir à son sa lut , et J e garan tir en
même temps celui des infortunés qui pourraient
tomber dans un semblable malh eur. Avec quelle
douleur, au lieu Je l'évidence qu'e lle espérai t r encontrer, elle n'a vu que la décla ration d'un condamné, nommé Couriol, en date du 19 thermidor
dernier, lendemain de son jugemen t! Elle porte
qu e Lesurcques et llernard , condam nés avec lui à
la mort, comme co nva in cus du 1'01 et de l'assassinat du co urrier de Lyou , et du postillon co nduisant
la brouette, commis le 8 floréa l vers trois heures
du soir, ne so ut point co upables; que Richard CO IJdamné aux fers pour l·ecèleme>IIl., Il e l'es t pas non
plus > EUe désigne , à la place de Lesurcques et de
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( 53 )
Bernard. deux autres individus , Duhosq ct .Je:tn Baptiste . dont il n'a pas été question dans le CO tt r'
du procès.
.
Cette première déclaration est suivie tI till e declaration plus étendue. faite le 21 thermid or, ,Ul'
la delllande et d'ilprès une lettre Je Les urcques,
au bureau central. Couriol y nomme et désigne
COOl me ses \l'ais complices, non deux , mais quatre
individus. A Dubosq et Jean-Baptiste (dit Loborde )
son t joints un Italien nOtltm é llossi et Lalleur.
A l'appui de Cf'S d éclarations. quatre individus
on t été, le 17 vendémiaire. chez un juge de paix.
f'.ire) d'office, et pour r endre, disent-ils. hommage à la vérité. les déclarations suivantes.
Jean-François Perrin . portier d'une maison sise
l' Ile des Fontaines. racoute qu'il y a environ quatre
mois un nommé Vidal vint prendre dans la maison où il est portier , un appartement de quatre
cents livres par année; qu'au bout de quinze jours
il vendit ses meuhles, et partit , dit-il, pOlit' Lyon,
olt il avait perdu son père; qu e pen dant les quinze
jours qu'il est demeuré dans la maison, trois hommes,
dont Perrin donne le signal ement , sont venus souvent le voir.
On ne sait ce que c'est que ce Vidal. Ni le procès, ni les déclarations de Couriol , n'ont fait· mention de lui. Rieu dans la d éclaration de Perrin qui
paraisse relatif il Lesurcqu es.
Deux autres témoins . Canchnis , menuisi er, Gou10ll , cordonnier, ont ouï dire; le premier, chargé
de la garde de la tille Bréb,tnt, maîtresse de Couriol, que, des mis ell jog'ern ent , son amant seul
était coupable; qu e les aut.res étaient innocens; que
les vrais coupable, s'élilienl ec happés avec des passeports preparés à Paris lors de l'assassinat.
G-oulon a ouï dire la même cbose à la tille llrébant; et de plus . que Lesurcques avait été pris
pour un autre; que la méprise venait de ce que Lesurcques a des cbeveux blonds, tandis que l'autre
avait une perruque blonde.
Enfin la fille 13 rébant affirme que Lesurcques n'a
jamais é té chez Couriol , 011 elle a vu tous ceux que
Couriol accuse. Elle dépose que Lesllr cques, qu'ell e
n'a HI qu'une seule fois après le vol, chez Ri ch;trd ,
un des condamnés, ressemble beaucoup à Dubosq.
C'est sur cette ressemblance ainsi attestée qu'il filllt
croire que se sont trompés sept tém oins qui ont reconnu Lesurcques pour un des quatre l,omm es
qu'on a vus à Montgeron et à Lieursain t, il la plus
grande darté du jour , le 8 flor éa l , jour du "01 et
de l'assassinat, et qu'ils ont confondu un homme à
cheveux blonds avec le nommé Dubosq . signalé
ayant les ch eveux châtains ) mais porlant une perruqu e blonde .
Le 26 vendémi;tire , le Dil'ectoire vOUS" enl'oyé ,
par uu second tJl ess"ge ) une troisièlll e déclaration
,
�( 54 )
( 55 )
du même jour à tui adressée, dans laquelle Couriol
publie, à la face du ciel et de l'univers, que les
condamnés ne sont pas coupabl es , et entr'autres le
r.om mé Lesurcques , qu'il n'a vu qu 'un e seule fois
et nn seul insta ut : il avait cru , dit-il , se sauver à
la fave ur de leur innocence , et il ne veut pas les
entraîner dans le tombeau.
Votre Commission s'est demandé quelle peut être
la force d es déclarations plus ou moins répétées
d'un condamné en /i[veur de ses cocondamnés ,.
quelle valeu r peuvent avoir des déclarations ex trajud iciaires de témoins qui se présentent d'euxmêmes après un jugement ?
l ,a réponse n'était pas di ffici.1e. Quel est le condam né qui , pour un e somme d'argent qui serait
assurée à sa f:J1nille, ou même par une générosité
qui ne lui coûterai t rien , ne se prêterait pas à décharger un complice dont la mort ne saurait lui
être utile, et empêcher la sienne ? Cela pourrait
même devenir bientôt 11n pacte enll'e les scélérats;
ils co nviendraient de celui ou de ceux qu'en cas de
cond am na tion il li\ udrait innocenter.
Quel est le condamné qui, après avoir épuisé
tontes les ressources que la loi fournît à sa défènse, ne trouverait pas les moyens de se procurer ,
après so n jugement) quelques témoins , sur-tout
s'il était riche , sur·tout s'il s'agissai t d'un vol tel
que celui.ci , de7,ooo,ooo en assignats, de 15J oooliv.
en numéraire , d'une grande quantité de rescriptions et de mandats ? Lui serait·il difficile de fitÏre
renaître en sa fa veup les dou tes repoussés et éclaircis contre lui par les jurés ?
Nous espérions, lorsque nous avons été appelés à
examiner la pétition de Lesu rcques, rencontrer
quelqu'un d e ces traits de lumière qui , en manifestant évidemmen t une grande erreur, forcent à
créer, s'il en est besoin , des remèdes pour la réparer. Nous espérions qu'il sera it dém ontré que des
condamnés, le seu l Couriol était cou pable; que
Bernard , Lesurcques, et Richard, allaient faire
toucher au doig t leur innocence; qu'ils n'avaient
aucune liaison avec Couriol; que sur-tout) à l'époque du crime, ils étaient loin de lui ; qu'ils justifiaient de la maniève la plus précise, la plus lrappante, de lenr aliJJi : au. li et! de cela, c'est Couriol
qui, consentant à mourir seul , parce que, pour
mourir, on n'a pas besoin d'associés comme pour
un vol important et pou!' l'assassin at de deux
hommes co urageux ) substitue à Se!> cocondamnés
des individnsqu'il désigne et dépeint h son gré, qui
peuvent a, oir eu ou n'avoir pas eu pnrt au crime,
s<:ns que ,. pour cela, ceux que l'accusa teur public
a poursuivis n,'cc lui soient innocens.
Nous voyon l'officieux Cenll'iol absoudre par sa
déch ralion , et le recélt'llF Ric n:,rd, et les complices du vol et de l'assassina t , Bern:" 'd et Lesurc-
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ques, sans que ni Richard ni Bernard song'ent 8. réclamer. C'est Lesurcqu es qui suit seul un e tentative
qui serait si profitabl e à Lous, Berna rd et Ri chard dédaigneraient-ils donc les bienfaits de Couriol ? ou
ne les y a-t-on compris qu e parce qu e, pour sauver
Lesurcqu es , il fall ait substituer à tous les acteurs
en ,'ue, une troupe entièrement Il ouvelle ?
On accuse des hommes absens eLsuspects , déjà
plnsieurs fois prévenu s et repris de justice, qui, diton , on t qnitté Paris peu de temps après le vol.
Cette ind ica tion est bien choisie : mais est-elle concl uante? est·eUe décisive ? j us tifi e-t-elle Lesurcques ?
allègue-t-on des raits relatifs. à sa déchar ge? détrnit-on les témoig nages produits conLre lui ?
Nous concevions con~ment l'atroœ Couriol , indiIfér cnt à la mort ou à la vie de ses coaccusés,
avait pu consentir à les égorger par son silence pendant tout le cours de la procédure, et qu'e nüII )
à la veille de passer dans une autre vie, saisi de
remords, il avail pu se cléterminer à déclarer une
,'érité qu'il avait trop long-temps étouffée : mais
nous nous ùema udions comment un citoyen riche ,
ll it-ou, et sur-tout innocent, n'avait pas, avec ce
ton to ul puissan t et subli me de la vérité, interpell é
Cou ri ol ; l"omment il ne lui av~ it pas arracbé) en
pl'ésence des jurés et du trihunal , cette déclaration
obsrure et si t.ardiv e; com n.ent , avec ce t accent si
persll<isif de l'innocence calomniée, il n'avait pas
( 57 )
r endu compte à ses juges de toutes ses ac tio ns, de
tous ses mo mens , à l'époqu e du 8 floréa l ?
Pour ne rien ome ttre, po ur veiller à sa dérense,
autant qll'il nous paraissait l'avoir négligée, nous
avons voulu savoir ce qui s'était passé au tribunal de cassation et dans les débats au tribunal
criminel.
Au tribunal de cassa tion oU, a plaidé son inn ocence, fond ée SUl' les déclara tions extrajudiciaires,
et qu asi pos tll mes, de Co uriol et des quatre témoins
dont j'ai rend u compte . On a all égué des nullités
chimériqu es . .I.e tribun al de cassa tion , qui n'est
point des Lin é à con naltre <.lu fond , ne les ayant pas
trouvées réelles) a débouté Lesurcques. Mais nous
penso ns q ue, si une inn ocence évidente eôt frappé
ce tribunal , alors empm ntant de la force ùes faits
quel<[u e couleu!' pour les moyens de cassa tion , il
aUl'ait équitabl ement vu dans les g riefs les plus légers une ressource précieuse et décisive; peut-être
tout lui eiÎ t paru bail po ur casser , parce qu e tout
es t bon puur empêcher un assassinat juridique. Ou
si l'austél'ité de ses de,'oirs et les bornes de ses f'onctions ne lui avaieut pas permis cette pieuse Lardiesse, il eût fait au moins un réréré au Corps législatif pour l'avertir de l'impu issance des lois , el
l'appeler au seCOtU'S de l'innocent qu'elles ne pouv.1ient sauver .
Le tribunal de cass~ tion n'avait donc pas v U cette
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lumière que nous cherchions et dont nous étions
avides.
Quelques rayons se seraient-ils échappés dans le
tribun al crimineL? y auraient-ils été obscurcis? et
les déclarations postérieures, trop insuffisantes,
qui nous étaient fournies, pouvaient-elles , en se
réunissant à eux, nous fournir un faisceau suffisant?
Hélas! nous avons vu que les déba ts ont duré
deux ou trois jours et à peu près trois nuits ; nous
a vans vu que quatre-"ing ts témoins à d écharge ont
été entend us pour Lesurcques ; que tou ~ a.vait été
dit , excepté d e substituer à lui et aux autres accusés, recounus par des témoins non suspects , des
hommes qu e l'on n'a point Vil S, e l qu'on n'a nommés, désignés et chargés qu'après coup .
Lesurcques a été reconnu par sept témoins qui
l'(')nt " u , ta nt à Montg'eron qu'à Lienrsaint , faisant
partie des quatre voyageurs sig nalés comme auteurs
des Jssassinats.
L'a ubergiste de Lieursaint et sa femme l'ont spécialement désigné pour celui à qui appartenait un
éperon argenté trouvé auprès d es cadavres. La
femme lui avait donné du fil à Lieursaint pour r accommoder cet éperon ; ell e a r econnu le fil qu'elle
avait eUe-même filé et retordu.
Lesurcques a déjeuné le 12 floréal avec Cauri 01
et Guesnot , coaccusés, chez Richard , autre accusé-.
( 59 )
Lesurcques n'avait point de carte de sùreté en
son nom ; il en avait une au nom de son cousin ; il
en avait une autre en blanc ; il n'avait qu'un passeport suranné.
Il a été arrêté au bureau central , où il se trouvait avec Gu esnot , autre accusé. On a fait valoir
dans son mémoire qu e s'il eût été coupabl e, il n'eût
pas été se mettre dans les mains d e la police. Mais
qu'allait-il faire au burea u central ? Et n'allait-il
pas, sur-tout éta nt avec Guesnot , e t après le d éjeun er du 1 2 chez Hichard avec G uesnot et Couriol , n'allait-il pas savoir ce qui se passait à la police ? N'est-il pas à craindre' qu 'il y eût un grand
intérêt ?
Cette rotation autollr du bureau central est donc
bien loin d'être à sa d écharge; et quand on la joint
au vice de ses papiers):\ so n déjeuner avec Courial ,
Guesnot et Richard , avec la reco nn aissa nce de son
éperon joint à la procéd ure, avec cell e d e sa personne par sept témoins, on n'a que trop à redouter
de ne pas tro uver un inn ocent.
Il a voulu pro n ver son alibi ; pendant les débats ,
d es témoins on t attes té qu'il était resté le 8 floréal ,
depuis neuf heures du malin jnsqu'à deux, chez
Je citoyen J~eg r~ nd . Le citoyen Legrand et d'autres
témoins on t all égué en preuve un e négociation
Jitite dans ce lem ps- là p,tr Leg t'and en p,'ésence de
Lesurcques. Le registre de Legrand a été produit.
�( 60 )
( 61 )
Le tribunal a été frap pé d'une SUl dhlrge p"r la quelle on avait d'un <) véri rable date de la négociation, fait un 8. ) )"'" "xper ls ont vérifié ce faux ;
l~egr" ud lui-même r. reconnu , il a avoué) ainsi
que les autres témoins, que c'était son registre qu i
l'avait trompé sur Je jour, et que son registl'e avait
été à son insu ["lsifié dans sa boutique. Lesurcques
lui-m ême est comenu que t011 > Je:; ténroig mlges sur
sa présence chez Leg rand Je 8 Itoréal, depuis neuf
heuresdu nwtin jusqu'à deux , Jevaient être rejetés .
illa is à défaut de ce premie,' alibi un autre a été
proposé. Il a passé la soirée du 8 floréal chez une
fille nommée Dargence . On a voulu savoir si cette
date du 8 était une leçon r épétée machinalement
par cette jeune fille, ou si c'était l'expression d'un
fail vl'ai. On h,i a demandé si elle connaissait le
nouveau ca lendrier, qu el mois précède, quel mois.
suit celui de floré"I, combiell il a de jours? Elle l'a
ignoré. Cette fille Dm'g'ence e6t une incoullue que
l'o n ne trou ve poillt au don,icile qu'ell e s'est donné.
Bernard, autre condamné que Couriol justifie
aussi "près coup, avait voulu également prouver
son ah"i par des témoi gnages qui se sont trou vés
faux et con tradictoires.
Et c'es t après ces honteux tssais, après que tToi s
jours et trois nuits ont été épuisés en débats , après
que les jurés Ollt pl'ooollcé qu e les accusés étaient
cOllvain CUs., qu'on essaye de substituer à d'inutiles
et fausses défenses produites légalement, des déclal'., lions iliég'ales, eL, ce qui es l pire, insig'oifialltes .
Il nous en a coù té de vous rappeler ces tristes d étails. Autant nous eussions plaidé avec force et satisfaction la cause de l'innocence opprimée, autant
il nous a été douloureux d'a voir à vous entretenir
de charges dont la connaissance est élrangère à vos
fonctions. Le Co nseil n'a puint à exercer le pouvoir
judiciaire : il ne veut point J'exercer. Mais il fallait
sa voir si cette accusation, jugée le 8 thermidor ,
présentait , cornille on VOliS l'a dit. ùes cil'constances assez sing uli ères, assez extraordinaires, pour
exiger ,'otre inter vell lion, et pour vous lourllir le
douule avantage, en sauvant nn homme ) de remplir une lacune que l'on supposait dans notre procédure criminelle.
Plût au ciel que ces circonstances existassent) et
que nous eussions des efforts à fair e pour sa voir
comment, sans renverser de fond en comble l'institution des jurés, on pourrait établir des revisions
de procès criminels!
Mais ces circonstances n'existant pas , sans prononcer si Lesllrcques est innocent ou coupable,
problême qui n'est point de notre compétence,
nous vous dirons: Lesurcques est jugé; il est valablement jugé. Le recours en cassation dunt il a
usé , et qui ne lui a point réussi , l'atteste. Un moment on a pu puvrir l'oreille à ses cris ; la justice,
•
�( 62 )
( 65 )
dont. l'action n'a point été suspendue ) mais dont
1a rig ueur a été différée comme eUe l'est dans
certain~ cas . dans ce lui , par exempl e) de la grossesse d une femm e co ndam née. la justi ce doit r eprendre son cours. L'évidence qui devait sortir des
pièces que l'accusé a prése ntées) n'est point appanIe .: son attente et la nôtre ont été trompées : tou t
rentre dans l'ordre acco utum é.
Nous devons maintenant, en nous élevant il des
c~ nsidéra tio o s générales d 'ord re et de bien public,
faIre remarquer , puisque les cir co nstances nous le
permetten t ) combien il serait dangereux d'introduire après co up d e nouveaux moyens j ustin catifs
en fave ur des accusés . On se fonderait en vain sur
le prix inestimable d e la vie; il faut considérer le
bien g'énéral : pas un acc usé qui ne se créâ t bientôt
des moyens d'éluder sa con da m nation ; qui n'obtînt de la commisération ou d e l'intérêt , des déclarations offi cieuses.
Qu'on eût établi d ans l'ancien r égime des lettres
de revision , les formes inquisitoria les d e la procédu re. les nom breuses erreurs qu'elles en traînaient,
l'exigeaient peut-être. Ma is à ces laveurs obten ues
bien plus souvent par le cr éd it ou la fortune que
par la justice, nous avons su bst itu é une manière
de procéder si favorab le aux acc usés , qu'il est facile qu'elle sa uve bea ucoup de co up,. bl es, et qu'il
est presqu'impossible qu'ell e frappe un inn ocent,
Où s'a rrêtera-t·on , si les j ugemens ne peuvent être
définitifs; si , lorsque trois jurés sm' douze ptuVtnL
absoudre, l'accusé qui n'a pu obtenir son absolution vient, au prétexte de nouvea nx témoig nages
en sa faveur , r éclamer un nouvea u jugement ?
La décision du jury, dit le Code des Délits et
des Peines) ne peut j amais être soumùe à l'appel.
Néanmoins ell e ouvre encore une resso urce à l'accusé . " Si le tribun al es t un animemellt d'avis que
" les jurés , ~o ut en obser vant les form es, se sont
" trompés au fon d , il ord onne que les trois jurés
" adjoints se réuniront avec les douze premiers
" pour donn er un e nouvelle déclaration aux quatre
" cinquièmes des voix.
" Nul n'a le droit de provoquer cette nouvelle
" délibération ; le tl'ihllnal ne peut l'ordonnee que
" d'o ffice, et immédiatement après qu e la déclara" lion du jury a été pronon cée il l'auditoire. "
C'est par conséqu ent avant le jugement qu e cette
espèce de recours a lieu ; mais, après le jugement,
Lout est consomm é : à moins qu 'il n'appar ût cette
évidence qui est au dessus de toutes les règles; qu e
le corps du délit , par exemple, fùt anéa nti ; que
l'homme prétendu assassin é parût vivant sans blessure ni cica trice . •. . ,. Mais lorsque le délit est
constant , lorsque les jurés en ont décla"é l'acc u..se
convain cu , le recevoir à disputer encore sur cette
conviction, c'est détruire toutes les règles de l'ordre
�( ()4 )
judiciaire; c'est préparer de vastes bases à l'impunité; c'est livrer la société à J'audace des scélérats,
et la justice à lenr d érision.
D'après ces motifs, votre Comn~ission m'a chargé
<le vous proposer de passer à l'ordre du jour snI'
les messages du Directoire , en date des 27 et 29
vendémiaire, et, comme il lui a été fait un message
pour lui faire connaître que le Conseil allait s'occuper de la réclamation de Lesurcques, de lui faire
un second message pour l'instruire de la détermination prise.
SECOND RAPPORT
Sur l'af!àire Lesurcques, du 5 brumaire (In 5
( ~6 octobre 1796).
Le Conseil a recu hier et a renvoyé à la Commission dont je sui; l'orga ne , une quatrième déclaration du nommé Couriol, en date du 3 brumaire.
Celle-ci es t adressée au Conseil, com me celle du
29 vendém iaire l'avait été au Directoire exécutif. ..
Conriol continue à p rotester que, des quatre condamnés pour le vol et l'assassinat du courrier de
Lyon , il est le seul coupable; il continue à désij ner pour ses véritables coopérateurs, Jean-Bap-
( 65 )
tiste dit Laborde , Rossi, Lalleur et Dubosq. Il n'y
a rien de nouveau dans cette quatrième attes tation,
si ce n'es t qu'il d éclare que le partage pu vol fut
la it chez Dubosq, et qu e sa mallresse , la fille Brébant, y eut un e part. Il dem<lncl e qu'un membre
du Conseil soit nomm é pour l'en tencl re, se co nvaincre de l'innocence des co-co ndamn és, et leur
donner le temps de litire la recbercbe et la découverte des co upables.
Celte déclaratiou es t accompagnée d'une adresse
de Lesurcques, q ui peut. dit-il , so us pen de jours,
donner les preuves matét-ieUes et les plus complètes
de so n innoce nce.
Au moment où j'entraisà la séa nce, un e lettre du
ministre de la j L1stice ,en date cependa nt du 5 brumaire m'a été remise; elle contient un mémoire
envoyé par Couriol le 28 ve nclémiaire à ce ministre : c'est la ré pé~ition des déclarations des '9 et
2 l th ermidor , 29 vendémiaire et 5 brumaire. C'est
la troisième en date; c'est la cinquième en nombre.
I ,e Ministre de la justi ce renvoya ce mémoire au
bureau central, qui lit one réponse sans date, que
le Ministre de la justLce nous a LL',msmise, et que
je vais lire an Conseil.
Le Conseil s'aperçoit sa ns doute Otl l'entra îne ce
mouvement d' hum anité qui , snI' le premier message du Directoire exéc utif , le porla à nomm er
nue commission. On lui présentait cOllJ me très-ex5
�( 67 )
( 66 )
tl'aordinaire un cas qui) malheureusement ne l'étant pas) deviendrait bientôt si commU Il , que la
marche de la justice en serait entravée.
Vous voyez que déjà Couriol vous demande de
preposer nn de vos membres il l'entendre, c'est-à·
dire , à exercèr .(les fonctions judiciaires; vous
voyez que Lesurcques vous demande quelques
jours pour faire des preuves.
F"ire des preuves après un jugement, et quand
il faudrait au moins les présenter toutes faites , et
brillantes de cette lumière qui dissipe tous les
nuages et forme le jour de l'éyidence ! Des preuves
encore à faire, lorsqu'on a produit daus les débats
quatre-vingts témoins à décharge; lorsque de l'accusation aux débats il s'est passé près de trois Illois;
lorsqne du jugement à la réclamation auprès du Conseil, il y a eu encore deux mois et neuf jours ! Depu is
plus de cinq mois Lesureques es t en péril de la vie,
eb ses preuves ne sont pas faites; depuis deux mois
et demi il tient la première des déclaratiolls par
lesquelles il prétend démontrer l'injustice de sa COIldamnatiou , etil lui faut encore aCt:order du temps!
Est·il au pouvoir du Corps législatif de lui en
donner? Le Corps législatif peut-il s'immiscer des
jugemells ? Et lorsque les jurés ont fait leurs dé·
clatations, lorsque les juges ont prononcé, lorsque le r econrs en. cass<ltion il été épuisé, le Corps
législatif devenu tribunal reviseur, sans s'arrêter au
refus du tribunal de cassation, ni il un jugement
légal et sans appel , rélormera-t-il la décision du
jury, ou, ce qui a le même vice, permettra-il
qu'on la revnie, ou plutôt qu'on la tienne non avenue? Vous sentez dans quels inconvéniens vous jetterait cette marche; et si le prétexte du salut d'un
homme en couvre un moment le danger, vous le
découvrez bientôt en considérant les droits de la
société entière à la nécessité de conserver la stabilité des jugemens, et sur-to ut la division des pouVOirs.
Votre Commission es! péniblement froissée entre
la crainte de dissimuler des principes d'ordre public , et le sentiment de la compassion, la répugnance de jouer le rôle qui ne lui convient nullement d'accusate ur.
Ce matin, des observations nous ont été distribuées pour Lesurcques; sans doute, les membres
du Conseil se seront empressés de les lire: on n'attend point de moi que je l ~ combatte; c'est bien
assez d'avoir eu à soutenir les larmes et le désespoir d'une lemme et de trois jeunes enfans. Je ne
suis ni l'adversaire ni le juge de leur mari et de
leur père: tant mieux s'il peut· obtenir des membres du Conseil, des moyens que la Commission
n'aperçoit pas.
Elle vous l'a dit, ce n'est point ail C:orps législatif
il juger Lesurcques : il l'a été dans [es forllles pres·
�( 68 )
crites p~r la Constit.ution ; il l'a été comme le sont
tous les citoyens mis en accusation; et s'il est vrai
que son jugement est injuste, il ne nOl1s appartiendrait pas plus d'en connaître que de nous immiscer
d'un acte de m~ul'aise administration. Dans tous
les cas nous serons sans regret à son égard, parce
que nous sommes sans pOllvOlrs.
Ceux que uoils a,'ons acceptés et peut-être ga rdés
trop long -temps, nOli s les tenion s d'une espèce de
nécessité qui nous rorça de les prendre. Le Directoire exéc utir présentait it notre exa men lln cas singulier et une innocence évid en te J disait-on : quoiqu'il eû t é té lég'al , il eù t été bien sévère de se refuserà la voir; mais cett e évidence n'apparaît point.
Ce ne sont pas des preuves que l'o n vous présente ;
mais des déclarat.ions d'un coupable conrès, mais
des allégations qui ne sont même soulenues d'aucune circonstance concluante.
Si avant le j.ugemeut , r.ouriol ·e llt dit: ce n 'e~t
ni Lesurcques ni Bernard qui sont mes co mplices;
ce sont J non-seulement Labord e, qui était con nu
et accusé pour êlre dans la voiture avec le courrier ,
mais Rossi , Lafleur e t Dubosq : pense-t-on que
cette allégalion eût suffi pOUl' délruire l'~sserti o n
des témoins qui reco nnais~e nL et Lesurcques et
Bernard ? Pense-t-on qu'il n'eût pas fallu pour justifier ceux-ci, présenter ce ux qu'on leur substituait et les convaincre? Or ce qui n'aura·i t pas suffi
( 69 )
avant le jugement peut - il être propnsé après?
Il n'y aurait pas eu J dans ce qui nous est présen té , même de quoi motiver dans l'ancien régime des lettres de revision; et vous savez combien la revision est incompatible aveo la procédure
verbale et de conviction morale et personnelle qui
a lieu devant lts jurys: vous savez qu'en Angleterre le condamné peut avant l'exécution à laquelle
les ju O"es ont le droit de surseoir à temps, plaider
qu'il ~'est pas la personne condamnée. Il peut disputer sur son iden tité. Alors " on enregistre de
" nouveaux jures J non plus, dit nta/:kstone, pour
" jUD"e r s'il est coupable ou innocen t, car c'est
" chose décidée, mais s'il es t véritablement ou s'il
" n'est pas l'accusé qu'on a jugé; et les jurés doi" veut prononcer sur -le - champ : on n'accorde
" point de temps au prisonnier pour préparer sa
" dérense, ni pour faire entendre ses témoins (1),"
C'est I/esurcques qui a été mis en jugement ;
c'est lui qui après une longue défense 0 été eondamné: il vient disputer sur son innocence; il ne
la démo ntre pas en détruisant le corps du délit J
car alors il n'y aurait plus de coupable ni de jugement. Il dit: laissez-moi prom/t'r que je ne sllis
pas .coupable, que d'autres le soot : il vous pro( 1) Code criminel d'A ngleterre. 'radnclÎon de Coyer,
ehap. 31.
�( 70
)
pose de l'admettre à r equète civile contre sa condamnation.
Que n'est-il en votre pouvoir de lui accorder ce
qu e toutes les lois anciennes et r.!centes lui refusent, et d'épuiser toutes les r essources et tous les
prétextes que 1ui suggère son salu t ! Mais la Constitution est là , qui ,'ous défend de vous immiscer
du pou voir judiciaire; mais la société es t là, qui
vous avertit que bientôt elle n'a ul"ll it plus de sa uv egarde dans les jugemens crimin els, si une fausse
et cruelle pitié vous arrachait un e loi qu e des circonstances prodigieuses pourraien t seules autoriser .
Si vous érigea nt en tribun al d'~ quit é , vous vous
exposiez à ce que chaqu e condamné vînt impétrer
votre bienfaisance comme autrefoi s celle des princes)
comme eux , vous seriez flau és et trompés; et mettant des intentions et des sentimens à la place des
règles, vous introduiriez aujourcl 'hui , sous Je prétexte le plus séduisant , nn arbitraire dont l'exemple
profiterait bientôt aux passions pour des innovations moins excusables .
Votre Commission persiste à ,"ous proposer l'ordre du jour , et un message pour en instruire le
Directoire.
OPINION
Sur la Suspension du Divorce par incompatibilité ,
prononcée au Conseil des Cinq-Cents , le 5 pluviose an 5 ( 26 j anvier 1797 J.
Deux questions sont à traiter: es t- il en notre
pouvoir de suspendre l'exercice du divorce par inco mpatibilité d'hum eur ? Devo ns-nous le suspendre?
J e remarqu e qu e depuis un certain Lemps beaucoup de doutes s'élèvent sur nos pouvoirs. S'agit-il
d'arrêtés du Directoire exécutif qui paraissent empiéter sur les fon ctions du Corps législê,tir , on demand e si ,nous pouvons les annuler . S'agit-il J e décrets de la Convention national e, ou nous dispute
la faculté de les rapporter . Il se présente à présent
un e matière purement législative, on prétend qu'il
ne nous est pas permis d'y staluer provisoirement.
Cette circonspecti on nous honore. Elle garantit au
peuple français combien nous sommes éloignés d'u sUl'per des fonctions qui ne nous aient pas été déléguées; mais en louant le motif qui l'inspire, je ne
saurais en approuver l'applica tion au cas présent.
Celui qui peut faire les lois el les rapporler, peut
aussi les suspendre.
,
�( 72
)
On ne suspend pas , comm e on ne rapporte pas
toutes les lois. Ce serait , ainsi qn e J'a dit un des
préopinans ) l'é tabLssement de J'anarchie; ce serait
un hors loi général , un e désorga nisa tion compl ète;
mais de même qu'on rapporte un e loi parti culi ère
qui est évidemment mauvaise. on suspend celle dont
les effets paraissent abllsifs et dangereux , sauf à examiner plus à loisir s'ils sont suffisamment co uverts.
par les avantages qu'elle procure.
C'est ainsi qu e la Convention nationale avait suspendu I"effet rétroactif de la loi du J 7 nivose, sur
les successions; la loi de 1l0réa l , re lative à la portion héréditaire des émig rés à prendre sur leurs
ascendans encore vivans; c'est ainsi que nous a"ions
nous-mêmes suspend u les remboursemens.
ta suspension d'une loi en retarde l'exercice et
ne l'ahroge pas définitiv ement ; tous les droits sont
conservés. Etquand il s'agitcl'une qu es tion de mœurs
tell e qu e celle-ci , le g rand m al qu e le divorce, sans.
cause d étermin ée, soit retardé de quelques mois!
tes partisans même du clivorce son t forcés d'avouer qu e nos lois l'ont rencl u trop facile. Il es t qu estion de resserrer cette facilité en un seul point : jusqu 'au Code Civil il ne r estera encore que trop de .
lati tud e à ce terribl e et mortel remède des mauvais
D1'lri<lges; et on cri e à l'in compétence , au sca ndale!
. I.e scanrlale serait de n'être pas sensibles, je ne
dis pas à ce nomhre de pétitions qui nous assaillen t ,
( 75 )
et que l'on suppose bien gra tuitement commandées
par un intérêt péc uniaire, quand elles le sont évidemment par le sentiment e t par l'honneur; mais
en les oubliant, le scandale serait de n'être pas sensibles auX abus dont cha cun de nous es t témoin, à
la sollicitude, à la dou leur) à la houte d es familles ,
il la dissolution d es mœ urs légalisée par une vaine
formul e qui litit du pl us sérieux et du plus nécessaire des contrats, un engag'ement passager dont un
seul des contractans peut se jouer avec plus de facilité que de la moindre d es associations.
t es lois son t les r emèdes moraux de la socié té
hum aine. Quaud un babile médecin a employé
un r emède dont il éprouve d e mauvais effets , il
s'arrête, il tâtonn e; s'il ne le cond am ne tout-àfait, il le suspend du moins : ainsi fait le législateur.
Si dès à présent nous ne vous proposons pas le
refus définitif du divorce par la seule allégation d'incompatibilité, c'est bieu plus par égard pour la loi
portée, qu e pour ce moyen en lui-même qu'aucun
peuple n'avait encor e aùmis. C'est aussi parce qu'à
la veille de décr éler le Code Civil , il faut laisser aux
partisans du di vorce ce tte lice où ils se préparent il
le d éfendre. Nous ne refuserons Ilas de les y suivre; mais qu'ils accordent au r espec t des mœurs
et au bien de la société un sursis dont les mœurs
IIi la société ne peuvent so uIT"rir , quell e que soit
�( 74)
( 75 )
la disposition que consacrera à ce sujet le Code
Civil.
En elfet, ou le divorce sur allégation d'incompatibilité sera proscrit , ou il sera conservé. Au premier cas, vous aurez d'ava nce arrêté un grand scandale. Au second, les épou x reprendront l'exercice
de leurs droits que vous n'aurez qu e suspendus. ~I
vaut mieux qu e quelques époux lég'ers et impatiens
soupiren t après la coufection du Code, s'il les au·
torise à dissoudœ leurs liens, que si, pendant que
vous formerez ce Code avec lenteur et maturité, des
divorces sans cause, des divorces capricieux et criminels se multiplient. Il n'y a point de remède i des
divorces faits; il Y en au rait pour ceux qui ne seraient que dilférés; etsi l'on m'objecte que tels époux
peuvent se trou ver dans une situation si insupportable, qu'o n l'a comparée au supplice de Mézence,
je répondrai à cette exagération hyperbolique,qu'avant la loi du divorce les époux n'étaient pas meilleurs , et qu e cependant ils savaient se supporter.
Je répondrai qu e, quoique nous n'admettions plus
de stl paration légale, il en existe beaucoup de faiL;
ennn , en suspendant J'alléga tion d'incompatibilité,
nous laissons à des épo ux trop malheureux, et ponr
qui le divorce serait d'une nécessité pressante, tous
les moyens nombreux que la loi fournit dans les
causes déterminées . Ceux qui n'en voudraient pas
ne méritent rien . Ils prérerent une dissolution arbi-
traire, facile et sans discussion , à des preuve$ qui
exig'eraieu t qu elqu es soins, et qui cepe ndaut sont
la garde du contrat de mariage.
En prouvant qu e nous pouvons suspendre uue dis, .posftion d'une loi positive qu e nous aurions le droit
de r apporter, j'ai prouvé que fl OUS devons suspendre le clivol'ce par simple allégation d'incompatibilité, puisque la suspensiou de ce moyen n'a aucun
inco nvénien t sérieux jusqu'à la con fec tion prochaine
du Code Civil, au lieu que son exercice est rempli d'in convéniens. Mais c'es t so us des rapports plus
essen tiels que je veux prouver encore la nécessité
d'une loi snspeusive.
Qu'ils se trompent grossièrement, ceux qui voien t
dans la défense de se vendre et d'aliéner sa personne
la dissolubilité du mariag'e ! comme si les époux
étaient des esclaves, com~e si le don mutuel de
leur foi était une aliénation , comme si le contrat
naturel par lequel les deux époux ne font qu'un J
et par lequel chacun d'eux double son existence et
acquiert un autre soi même, pouvait être comparé
à cet abus de la force qui introduisit la servitude
contre les droits de la nature et de l'égalité!
Que ne disait-on aussi que la Constitution défend
le mariage. En effet, si le mariage est un esclavage
dont le divorce soit l'allTancbissement, comme J'esclavage a été aboli nonobstant l'espoir qui resk~it à
l'esclave d'être alfranchi, il aurait fallu abolir le
�( 77 )
mariage ; car , en a tlen dantle divor ce il serait une
. d e.
)
ser vltu
Ceux · là ne son~ g uèr es plus raisonn ables) qui
VOlent dans le m arIag'e) des vœux religieux on un
eagagemeut contraire aux droits naturels de l'homme , et qui préseulent son indissolubilité comme une
iu veutiuEl sacerdotale .
Quoi de plus naturel que le m ariage ! J e ne parle
pas de la cohabitation passagère d es deux sexes; eli e
a un autre nom: je parle de cette société qr:i unit
l'~omme et ~a lemme p our toute leur vie, que le
desir prepare, qu e les plus dou x sacrifices commencent , que des soins mutuels entretienn ent , q ue
des gages chéris viennent raffermir et perpé tu er.
Quoiqu'il suit ~trange d'entendre dire au milieu
d' une nation qui a tant lait d'usag'e d es seMllens
qu e l'homme ne peut promettre ni de haïr ni d'a:'
mel' touj ours , je conviens qu e l'a mour est un seutiment violent qui se dévore lui.même; et c'est pour
cela que la sage et bien faisante nature a donn é le
mariage à J'es pèce humaine, qu'ell e a substitué à
ardentes qui s' usent et s'éteio'nent
d es
des passions
,
b
,
sentlmens et des devoirs qui sont les vrais liens du
manage.
De tous les temps, chez toutes les nations ces
liens ,furent respec tabl es et sacrés; s'il fut p ern:is tle
les dIsso udre, ce fut par des excepti ons rares qui
pr o uvent que, de sa natu re, et par le consentement
unanime de tous les peuples, le mariage est indisso lubl e .
Ul'est pour l'avantage d u sexe, qui déjà a perdu
un d e ses principaux attraits, un e fois qu'il s'est
donn é; pour le sexe , qui voit tous les jours sa bea uté
se fan er ) que sa lëcondité vieilüt prématurément ,
et qui , par sa faibl esse et par ses s,lcrifices , a des
droits à l'appui , à la reconn aiSSance et à la cons·
ta nce de so n époux.
Le mariage es t indissoluble pour l'ava ntage des
enfa ns qu'il faut élever . Il n'y a qu 'une cohabitation
passagère c hez les ani maux, par ce qu e leurs petits
n'ont besoin q ue de l'allaitement. Une l'ois qnïls peuvent se suffire à eux-mêmes, ils ne con naissent pl us
ceux de qui ils sont nés; ils n'e n son t plus connus.
Il existe au contraire en tre l'h omm e et' la femme et
leurs en fans , des rapports perpétu els de senti mens ,
de moralité et presqu e de hesoins. Aux besoins de
l'enfance si prolongée dans notre espèce, su('cèden t
ceux de l'éducation , ceux d'nn établissement , d'un
secours mutuel. Comm e les enfans sont à la famille
qui le ur donna le jour , cette fanù lle leur appartient ; ils sont des tiers au préjudice de qui ell e ne
peut être dissoute. De qu el droit les priverez - vons
d e leur p ère ou de leur m ère? C'est les en pri,'er
que de rompre l'union de laquell e ils son t nés, de
d onner à leurs par ens la überté t1'a ll er form er d'a utres familles , et de coooamn er les en fans à voir un
�( 78 )
étranger dans le lit de leur pere ou de leur mere
vivans encore.
C'est pour épargner des dissensions entre les
époux, que l'on vante le divorce: et ne craint - on
pas les querelles et les haines en lr!" ces en lims de
divers lits partageant l'ini ure faite à l'un des auteurs
de leur naissance, détestant et le pere qui chassa
leur mère, et les frères qu'il leur a donnés d'une
étrangère, ou méprisant la mere qui les .. handonne
eux et leur père pour a ll er sans pudeur donner d'autres enfans à un homme peu délicat?
Que si vous n'avez pas encore beaucoup d'exemples de ces dissensions domestiques, c'est que le divorce est encore récent; ma is s'il continuait avec
ce débordement, n'en doutez pas, on verra it bientôt
les enfans de Sara et d'Agar, les descendans d'Isaac
et d'Ismaël se déchirer en se disputant l'h éritage
de leurs pères.
Enfin le mariage est indissoluble pour l'intérêt de
la société. Concevez-vous une société sans famille?
Concevez-vous une société sans mariage ? Et qu'estce qu'un mariage qui n'a de durée que cell e que lui
permet le caprice de l'un des deux époux?
Une société de commerce, un bail à ferme, un
bail à loyer, se font au moins à temps; on ne peut
les rompre prématurément sans s'exposer à des dommages et intérêts, qllelCJIlf'fois même il les ('ontiml er
jusqu'à leur terme; et le rremitr, le plus essentiel
( 79 )
des contrats, vous le tenez à jour, à tous les
mens! L'épouse est enceinte; le mari, épris d'une
aulre lemme , peut la renvoyer sans attendre même
ses couches. Une épo use a acheté au prix de sa
santé la satisfaction d'être mère: le mari, dégoûté
des incommodités dOllt, par ses soins, il lui devrait
le dédommagement, la renvoie. 11 passe dans les
bras d'uue aulre; et l'infortullée qu'i l a délaiss~e ne
pourra trouver personne qui la console de l'ingratitude qu'elle éprouve.
Une femme que l'indissolubilité du mariage défendait d'une passion naissante qu'elle ne pouvait satisfaire sans honte, voit dans le divorce un moyen
de s'y livrer sans remord; elle changera de mari
comme de parure: il ne llli en coùlera que de déclarer qu'elle ne peut compatir avec j'homme qu'eUe
avait préféré il y a un an. Cette facilité du diverce
n'est autre chose qu'une sorte de polygamie; ell e ne
permet pas, à la véri té, d'avoir il la fois plusieurs
maris ou plusieurs femmes; mais elle autori,e à
passer successivement d'un mari à un autre; elle autorise à chaJ;lgel' d'épouse chaque année: autant vaudrait la communauté des femmes et des hommes.
Elle <luvait même cet avantage, que ne laissant plus
subsister de mariag'e , on ne se jouerait pas du premier, du plus naturel et du plus saint des contrats.
Si vous voulez des mœurs, vous voulez des mariages_ Or, concevez-vous des mariages avec ce tte
mo-
�( 80 )
( SI )
facilité de divorcel' qui les ant:antit ? Car l'un des
deux époux a beau remplir ses devoirs avec exaclitude, même avec charme et amabilité, si l'autre
époux, insensible pour lui , veut all éguer l'incompatibilitt:, tout est rompu , le mariage est dissous.
Quel est donc l'être qui ne redoutera pas, en se
mariant , ce terl'ible hasard? Quel est le père qui
ne verse pas tous les jours des pleurs sur sa jeune
tille. lorsq u'il songe qu'il ne peut plus lui assurer
un établissement durable; que le mari qu'il lui choisira peut n'être bient.)t qu'un ravisseur cruel qui
l'aura reçue pure, et qui la lui rendra, quand il lui
plaira, flétrie et abandonnée?
On a voulu, dit-on, all éger la chaîne du mariage:
disons qu'on l'a rompue; et qu'au lieu du mariage ,
on a introduit, sous un nom honnête , une véritable
prostitution,
Qu'on ne m'accuse pas d'exagération, Je sa is qu'on
se marie encore: c'est la loi de la nature, on a beau
la contrarier et l'a ltérer, il faut lui obéir toujours,
Comme on peut vivre au mili eu des tombeaux, la
société se soutient même avec de mauvaises lois;
mais ell e empire, elle languit.
Les mœnrs furent-elles jamais plus mauvaises ?
Les mariages lilrent-ils j<l mais moins heureux? On
a supprimé le scandale des séparations; mais on y
a substitué celui des divorces sans ca use déterminée,
mille fois plus grand, car il a été mille fois plus
nombreux; on y a substitué de seconds mariages
J 'époux dont la compagne ou le mari son t encore
.
"lvans .. , . ...
Cette moralité qui f"it pour l'espèce hum ai ne le
plus g-ra nd prix de l'a mour, ce sent im ent de l'âme
par lequel les deux sexes y sont unis, celte iJée d'exclusion qlli <tugrnen te tant leu ,' féli ci té, ce l:te pudeur qui nous distingue si émin emment des animaux, même dans ce qui nous est cO 'llmun avec
e llx; tout cela a,,~it persuad é aux peuples les plus
;ll1ciens et à une g-r;, nrle partie des habitans de la
lerre, qu'une Vèu,'e ne dev;,it pas même passer à de
seco ndes noces: opinion sans doute exagérée, mais
qui a sou fond el11p.nt dilns des idées très-n aturell es,
e t qui prouve combien nOlis ;, von~ (;,it de progrès
vers ces fausses lumières, compagnes assid ues de la
corruption, lorsque nous au toriso ns les femmes à
changer d'époux. avec p lus de fa cilité que les courtis;lJ1es qui se piquent de qllelque moralité, n'en
mettent à cha nger d'amans.
Mais laissons ces tristes tableaux , et revenons aux
prmClpes.
C'est parce qu 'il est dans la nature du mariaO'e
"
J'être un con trat solide et durable, qui ne doit être
rompu (s'il peutl'êtl'e autrement que p~r la mort )
q"e p;,r des causes extrêmemen t g raves et très.prouvées, que chez tous les pellples on prit b divinit é
à témoin de sa durée.
,
6
�( 82 )
( 85 )
Le serment de s'aimer IOUjOUl'S est l'expression
de la passion ; il s'évanouit avec elle.
Le serrnen t de rester toujours unis comme époux
est l'oblig ation d 'un contrat par lequel la famille se
forme; il doit durer autant que la famille.
Il y a dans ce contrat d es stipulations réciproques ; une se ule d es parties ne peut s'en délier. Il Y
a des tiers inté,'essés, les enfans) les parens des deux
époux, la société gé nérale. La loi doit veiller pour
tous ces tiers, et ne permettre la rescision d'un
contrat qui est à la foi s privé et public , qu e pa r des
motifs de la plus haute importance. Il vaudrait mieux
que quelques mariages fu ssent malheureux par leur
indissolub ilité, qu e si tous étaient relâc hés, et les
fa milles troubl ées par la facilité des divorces.
Ces t pour cela qu e l e~ législateurs de to utes les
nalÎoll sse so nt emparés du mariage , l'Ollt environn é
d e cérémonies , de prérüga ti ves, de respect et d'indissolubilité. Us n'ont e n cela rien fait que suivre la
nature et flatter les hommes J ans leur plus do ux et
l eur plus sag'e pench ant.
C'est pour cela que t';lUtes les religÏùns ont consacré et bén i le mariage.
Il n'est pas vr ai que sa perpétuité tienne chez
nous à des vœux religieux. J'ai prouvé que le vœ u
de la perpétuité du ma riage est le vœu naturel, qu'il
est fond é sur les r apports du rables et suivis qui sortent de cette union : et comme le VŒU d'aimer sa
patrie et de la servir Il' est point un vœu passager
clonl un caprice dispense; de même le vœu de res ter
uni à sa corn pagne, à la mère de ses en fans , à la
f:,mille, à la soci'; té domestiqu e par laqu elle on
tient à la grand e socié té, es t un vœu qu'il ne peut
pas être permis de rompre.
C I!st bien m~d conn aître la th éorie des relig ions
que de croire que tout ce qu 'ell es ont san ctionn é
o u établi est mauvais et méprisable.
Même en les rega rd ant comme l'ouvrage des
hommes , on doit voir qu e leurs fond ateurs, auxqu els on ne peut re fu ser de l'habileté, ont cherché
à les appuyer sur ce qui pouvait le plus attacher les
hommes ou les servir .
Blasphêmera-t-on le prin cipe d e J'égalité, parce
que la religion chrétienne le proclame avec une
étendue que nous n'avons pu surpasser ?
Il en est de même de l'indisso lubilité du maria ge;
elle ne devint un dogme religieux qu e parce qu'elle
é tait déjà un dogme naturel et politique.
Lorsqu e nous disc uterons le Code Civil nous examinerons si cette iudissolubilité qui a des fo ndeDlens si an ciens et si profonds, est susceptible de
qu elques exceptions, ce qui ne la détruirait pas.
Mais pour le présent , il doit ê tre certain qu'assez et
trop de causes d étermin ées de di l'oree res teront encore , pour qu'on puisse sa ns in convén ient slIspend re
celle 'lui est tirée de la simple alléga tion d 'incom-
"
�( 84 )
palibiJité; pOlir que l'on Joive arrèter l'a bus d'un
moyen qui, en trois ans, a produit plus de di,'ol'ces
que l'Europe n'en avait vu en trois siècles. EL qu'on
ne dise pas que tout le mal est fait: chaque jour de
nouvelles p assious de tous les genres peuvent profi ter de ce moyen facile et ach ever la perte déjà si
avancée de~ mœurs et du mariage.
OPINION
Sltr la Répression des délits de la Presse, prononcée au Consl?il des Cin9-Cents, le 20 plllviose an 5 (9février 1797')
Je ne viens point suspendre un e délib érat.ion
don t chacun sent l'importance et la nécessite; mais
je viens prier le Cuuseil de se pro llo nce(' sur un e
question de la décision de laque ll e dépend un bon
nombre d'articles du p,'oie l d e réso luti on : C'tst la
quesLinn de savoir si l'on perme ttra au défendeur à
l'action de calomnie de faire la preuve de ses assertions.
Je pense qu'on ne le doit pas, à moins qu'il ne
s'agisse d' un délit qualifié crime pal' le Code Péna l.
J'établirai mOn op inion après a,'oir présenté quelques réflexions génl'l'a les S U I' la ca lomnie.
( 85' )
On lit dans un aute ur politiqu e profond, et qu'ou
a l'éllt-ètl'e trop calolll nié. ,. qu'il faut, dans une
République, que l'on pu isse accuser facilement et
jamais calomnier.
" La calomnie .. dit-il , est à la portée de tout le
monde; on la dirige con tre qui l'o n yeut, et p artout où l'on veul ; 011 choisit le Lcmps, le lieu et
J'occasion. Le ca lomnia teu r n'a beso in ni de preuves
ni de témoins; il a/Jirme avec audace et légère té .
L'accus,l lioll est plus dilJJcile à manier; elle exige
des preuves, des témoin. ; il faut la porter aux Il'ibunaux. La calomnie se répand par-tout) dans les
lieux publics, dans les carrefours, clans les cercl es : ell e "s t fréqu en te dans les Répub liques mal
ordonnées, et où il n'y a poillt de mûde légitime
d'accusa tion.
" Celui donc qui voud ra bien régicr un e Hépublique, s'appliquera principalement il y rendre les
accusatious fa cil es) libres et sûres; et ~ n ssi t ôt
qu'il aura étab li ce lle facilité) il prohibera la
calomn ie el punira sévèrement les ca lomniateurs;
car, tandis qu'ils peuven t légitimeme nt et sans
honte accuser ceux qu'ils dépt i",ent, ils sont
inlpnrùonnables d'aimer mieux les difI'amer lâchement.
" Ne pas pou noir Ù cet abus, ce sel'ait ouvrir la
porte à mille lI!a ux. !.il où la calomnie est tolérée,
les mauvais citoyens sont moins inquié les qu e les
�( 86 )
bons ne sont tourmen tés et vexés : de là les haines,
les troubles et les di~se n s ion s.
» 'Plus d'une fois chez les Homains de grands
périls que la calomlJie avait attirés sur la République, furent détournés par un e accusatiou à
pr.opos intentée , et par la défense que l'on put y
opposer. On en trouve un exemple r€marquable
dans le sixième livre de Tite-Live.
» Ce fut lorsque Maulius Capitolin , jaloux d~
l'im mense considéra tion de Furius Camille, chercha
à exciter contre lui et le sé=t J - la, harne du peupl e.
li rt!pandait que l'or livré aux Gaulois pour le ra chat de Rome J et que Camille leur avait ensuitearraché, était à la disposition de Canülle et de
de quelqu es autres sénateurs, qui finiraient par se
l'approprier , tandis qu e ce trésor serait plus. q.uesuffisant pour éteindre les dettes des cite-yens; il fut
aveuglément cru par la multitude, et bientôt onlut menacé des plus g,rands dé50rdres. Le sénat en:
prévit les suites, il Cl'éa un dictateur , et le chargea
d'y pourvoir, en prenant connaissance des imputations de Manlius.
» Le dictateur lui demande chez qu els sénateurs.
étaient conservés ces prétendus trésors; le sénat et
le peuple veulent , l'un et l'autre, en être instruits _
» Manlius n'a rien de précis àrépondre; il cherchedes subterfuges; il ne doit pas faire connaître publiquement ce qu'il sait.
( 87 )
" L e dictateur le fait conduire en prison ; et en
le punissant de sa calomnie , il appaise les dissensions qui menaçaient Rome, et délivre les sénateurs du soupçon honteux dont ils avaient été
chargés.
» Il n'en eût pas été ainsi, (wntinue l'auteur,
si l'on n'avait pas eu à Rom e cette ressource de l'accusation.
» C'est , au contraire, (lit-il, la licence de la
calomnie et le défa ut ou la négligence des accusations qui , après al'oir désolé notre R ép~blique,
"idèrent à la faire tomber sous le joug des Médicis.
" En elfet; tous les citoyens qui avaieot fait quelqu e chose de gra no ou d'utile, étaient exposés aux
dilfamations. De l'uo on disait qu'il avait détourné
à son profit les deniers publics; de l'autre, que,
corrompu par l'or des ennemis, il avait évité de
les combattre. Tous, quoiqu'ils eussent f.1it, étaient
accusés de quelqu e motif d'ambition J on de quelque
autre sentim ent plus pervers: de là les hain es secrètes et puhliques, les inimitiés, les factions; enfin , les séditions et la guerre ci vile qui renversèrent
la République. »
Je me suis permis cette lon gue ci tation , parce
qu e l'histoire est un miroir dans lequel chacun est
maître de se voir autanL et aussi pen qu 'il lui plaît ;
c'est un témoin qui parle sans passio n, qui peut se
faire entegdre sans haine et sans envie , d'après le·
�( 88 )
quel 0 11 peut juge,r le présent par le passé et prévoir
l'al'enir,
Je suis loin d e croire gue la ca lomnie, plus d angereuse dans les petits Eta ts que dans les gr ;llld , ,
puisse ren verser seul e une Hépub liqu e aussi fortement fond ée que la R épublique fran caise , cimentée de tant d e sang, et so utenu e par 'de si puiss,llls
et de si nombreux intérêts. Mais si l'on jette un
coup d'œil sllr les maux qu e la ca lomnie nous a
causés; si l'on peut soute!),il' lin moment le spec tacle
de ses nombreuses victimes dans chaqu e parti , depuis le commencement de la révo lution , chac un
se rénnil'a sans doute à séparer so ig neusemen t ce
poiso n amer et mortel d'avec les fruits util es de la
liberté de la presse .
Plus la presse est libre et doitl'ê tre, plus es t coupable celui qui , pros tituant ce p aLLadiu m de la
constitution ) pervertit la liber té en li cence; substitue l'inj ure à la discussion , la diffitma tion à la censure; met à la place de l'i ntérê t l:tublic, qui lu i
ouvre la plus vaste et la pl us noble carrière, qui
l'associe à toutes les q uestions de go uver nement , de
législation et d'administra tio n , de méchantes et
d'inutiles personnalités.
Loin qu e la répression de la calomnie soit un e
gêne à la liberté de la presse, ell e est un hommage
à celte liberté qu'il faut conser ver ntile et pure;
ell e en est la sauve-garde: ca r c'est touj ours. pal"
( 89 )
leurs abus qu 'on 11 all a(JlI ' ct détrui t les instituti ons
util es. On les r allh mit lorsqu'on en écarte, avec les
excès, les prétex tes q ue la malveillance ne manqu era it pas d'en déduire.
ltien n'es t dor,c plus sage qu e de forcer l'homm e
qui impute un délit ù un autre, de devenir so n d é noncia teur , pour le f;tire punir , ou de subir les
pein es de la ca lomn ie: toute liberté est laissée ;
mais on es t respo ns,l bl e ci e l'li sage qu'on en lait.
Maint ena nt , la liber té de déno ncer des crim es
susceptibles de pei ll e af1li cti ve ou infamante irat-ell e jusq u'à cell e de dénoncer s;! ns preuve, déjà
acqu ise, des cIélits de poli ce correc tionnelle o u de
simpl e police, ou n. ème des ac tions 0 11 des vices
qui ne seraien t so umis qu 'à 11n trib unal de cen- .
seurs? Ce tte magistrature, qui ne convien t qu'a un
penpl e neuf, et dans des E tats resserrés; cette magistrature que les Homains n'e uren t avec quelqu'effet que dans n ome . perm ettra-t-o n à ch,\cllll de
l'exercer ? J'y vois beaucoup plus d'inconvéniens
qu e d'ava ntages.
E t déjà on a reconnu dans les discllssions qui ont
eu lieu à la Com mission , qu e les imputations relatives aux devoirs domestiques) à la bravo ure et aux
devoirs d es m ili tai" es, à la pucieUl' et à la chasteté
des femmes, devaient être interdit es, il moi ns
qu'e ll es n'eusse nt don né lieu à un jugement . Je pense
qu'on doit assimiler il ces imputati ons toutes cell es
�( go )
portant sur des faits de police correctionnelle ou de
simple police , a u lieu de les favoriser à l'égal de
celles de délits qualifiés.
Voici sur quoi je me fonde :
Il importe à la société que les crimes soient punis; il importe) dans un gouvernemen t représentatif, que les hommes qui ont encouru note d'in ramie soient connus. L'intérêt général est préfërabl e
au repos et à l'impunité d'un coupable: c'est pour
cela que nous avons presque repris l'action populau'e des Romains, que nous avo ns introduit la dénonciation civiqp e; c'est pour cela que , dans le
projet qui vous est so umis, on reçoit à convertir en
dénonciation à prouver , l'imputation d'un crime.
Les mêmes motifs n'existent pas pour les faits de
police correctionnelle, et , à plus forte raison, de
simple police; il n'y a dans leur publication aucune
utilité réelle pour la société.
En effet , qu'importe de lui réveler un !;Iit oublié
et presque toujours ancien, et écbappé à la surveillance de la partie lésée et des officiers de police? Les délits les plus gra ves de la police correctionnelle, n'emportant point Ilote d'in lamie, celui
qui les a commis reste susceptible de tous les droits
de citoyen: ne pouvant être acc usé, il n'en peut
être suspendu; on l'inquiète donc inutilement; on
l'inj urie sans profit pour le public,
Pour sa propre conservation , la société a obligé
( 91 )
les ci toye,!s à lui <Iénoncer les crimes. Il n'y a point
de dénonciation civiqu e pour les délits de police
correctionnelle,
Sans doute on peut en donner avis aux officiers
de police et exciter leur surveill ance; mais c'est
quand le fait est récen t, c'es t quand il existe encore
un intérêt à sa répr ession; et cet int érêt diminue à
mesure qu e le fai t s'éloigne; et cet intérêt est nul ,
lorsqu e le fait est allégué , non pour le faire pour·
sui vr e, mais pou r inj nr ier celui à qui on l'impute;
lorsque la preuve du fait ne sera plus proposêe
principalemen t. pour la punition) mais incid emment, et par exception à la plainte en diffamation.
n y a, disent les partisans du système qu e je combats ) il Y a un cornm[ssaire du pouvoir exécutif à
la police correctionnelle; il Y a donc une partie
publique. Oui, comme il y en a dans toutes les
parties de l'ordre administratif et judICiaire; mais
il ne s'ensuit pas que ch acun puisse se créer le substitut de ces homm es cbargés de surveiller et de
requérir l'exécution des lois; il s'en~uit moins encore qu e cha cun puisse porler au tribunal du public ce qui a échappé à la vigilance du tribunal
compétent.
L'action de frapper sans mission ou sans nécessité quelqu' un dans sa réputation, estdéjà si extraordinaire qu'eUe ne peut être tolérée qu e pour un
�( !P )
( 9° )
gr:lOd intérêt: or, ct't intérêt ne se trouve pas
~ans les faits qui, supposés vrais, ne rendent pas
Inca pable des fonc tions publiques.
Il y a donc dans l'alléga tion de ces fi,its un
abus de la liberté de la presse, un attentat à la
liberté J à la sûreté individuell e dOllt cbacun
doit jouir dans sa maison et dans sa couJuil e
privée.
Cela est évident d'abord pour les simples particuli ers.
De qu el droit va-t-on porler un œil malin d ans
leur intérieur , révéler au public des faits in cu lIlllis
qui éc bappèrent à l'attention de la police, et que la
mécbanceté exhume?
Un homme , jouissa nt de l'estime et de la confiance de ce ux qui le connaissent, sel'a troubl é dans
la jouissance de ces biens précieux, sous le prétex te
de délits assez lég'ers pour que la loi n'" it pas voulu
en occuper les tribuna ux criminels: et s'il est assez
sensible ponr s'en inquiéter et s'en plaind re , vous
éta blirez t'ntre lui et so n diJJ'amate ur une preuve
vocale dans laquelle ses mœurs ou sa conduitt' seront discutées, livrées à la méchanceté du diffilln ateur et à la corruption de qu elques ténlOi ns : et ce
serait dans un état libre qu e s'é tablir"i t ce lte
inquisition! Ne voit-on pas quell e nouvelle force
on donnerait à la calomnie qu e l'o n veut cependant réprimer? C'est alors qu e le mépris passe-
rait pour lin aveu. JI n'ose pas se plaindre, dirait
le diffilOlateur , car il sait bien qu e je ferais la
preuve.
Les Romains étaient bien plus sages. Cbez eux la
,éri té de l'in; ure ne l'excusait pas ( 1). Il fa li ait qu' elle
( 1) On
il
dit que c'était la ,'è~le de Ro me..: asservie sous les
j'mpereu rs, m ais qu e Home libre et rcpublicain C' admet lai t )ôl
preuve de la vérit é de s injures ; ('t l'on
il
c it é c(' t te loi du Di-
gest!. : Eum qui nocenlem ù!/ùmnvit non esse bonlfm~ œquum
ob eam rem condamna1'/,' : peccn.ta eni"" nocentiurn nota esse
et oppol'tel'e et expedire .
1
On n'a pas bien pris le ~ t'n s de la lo i. L es inte rpl'êtes
0 •
du droit la rappo rt ent ôl l'homm e qu,i nuit, dont on re,,:oil ùu
pl'ej lldi ce, et qu e l'on repousse pUI' sa proprc iHfdl11ie. Pot hier
ranne
o celt\:! loi dans. la classe des in ju res qu 'o n a droit ùc fa ire,
quœ juJ'e JiU/I l .
2
Quand il faudra it traduire ici le m o t nocentem par ce0
•
lui de co upabl e , lu loi s'appliquerait aux crim es
j
qu'il t'st permi s de reprocher des crimes.
n e trou\'(:'-
NOliS
ell e disait
l'ions pas encore qu 'elle eùt permi s la preuve de la veri te dn
n>proche, et moins enco re q ue cett e p'r cuvc s'é len,lît à des
i mput ati ons qui portent sur ùes faits non quali fi \:s c rim es.
Pui squ'on a rait des rech c:: rches ùans le Droit romain, on a
pu voir dans le m ême titre du Di ges te', de injuriù' et famosis
iibellis ~ à côté de la lo i citée, avec quel soi n Rome lepublicai ne poufsuivaitla ca lomnie. Si quis libnun ad illjà,miam
aLiclijus p ertill,entem 8cripserit, t:omposuerLt J ediderit,
t!tiamst aiteriu,s Itomine edideritJ vt!t sin.e nomine: uti de
ea re agerc liceret; et si cOIl,demflatus sit qlti ill ficit ~ in.tes-
�( 95 )
( 94 )
fû~ ~i~tée par la n~cessité , au moins par une grande
uhh,te, p."r le drOIt de la défense personnelle.
. ~ adrrurable u~lité que cell e d'établir ou l'impumte des dIffamatiOns, ou de substituer aux duels
sanglans, qui dépeuplaient, il Y a deux siècles
la France, et qui avaient an moins quelque chos;
de gr.and. et de chevaleresque, des duels judiciaires
et mInutt~ux, des controverses dans lesquell es
c.haq~e cIL~yen ~erait forcé de mettre. sa réputa1l0~ a la dIscussiOn et à la merci de quelques témOIns!
Espère-t-on que ces diffamations , qu'il sera permIS de sou tenir de preuves , nous rendront meilleurs? Le sommes-nous devenus depuis six ans
q~'eJJ~s sont si fréquentes ? Un vice de plus s'est
10IDt a nos anciens vices. Le peuple le plus poli le
pl~s sen.s~le à l'honneur, le plus fécond en é~ri
vaIns delrcaLs, est devenu le plus licencieux et le
pl~~ gross.ie~ dans ses imputations. A la plaisanterie
qu Il .ma.maIt avec tant d'esprit et de grftce, on a
substItli e Je ne sais quelle prétendue énergie les
" 1ures, les assertions les plus outrageantes;
'
P1us VIï es 10
tabili
• .• a1 Lege ...e jubetur• (L • 5
r.
ib.llis.)
1
§ 9 If U,'6 UYUTLL6
. . ..
, .
et
Janw S18
On s~it que, rlans les premiers temps de la République, les
calommateurs étai ent marqu es ail fro nt de la leltre K et que
dans la suite, ils furent Ptt"t', d
' ss erncnL
u b
anOi
"
et on les consacrerait, en autorisant ceux qui se les
permettent, à les maintenir naiei et à en offrir la
preuve! UnepareiUe loi n'exista chez aucun peuple.
Ce n'est pas au dix-huitième siècle qu'une nation
éclairée en oil'rira le sca ndaleux exemple .
Mais s'il faut laisser en paix le simple citoyen,
s'il ne doit pas ètre permis de 1ui arracher, mème
par la vérité, la consid éra ti on dont il jouit et 'qui
est son bien) comme sa maison et ses domaines ,
sera-t-il permis tI'insulter aux fonctionnaires publics ? .
N'est-ce donc pas assez de la censure qu'on a
tirait d'exercer sur leurs opinions, et sur leurs actes
et sur leur conduite publique ? Importe-t-i1 à la liberté que 1'011 puisse scru ter et dénoncer leur conduite privée?
On a fait quelques exceptions dans le projet;
mais combien de places restent encore livrées aux
coups acérés de la méchanceté! Par combien de
pores on peut saturer tle vinaigre et de fiel le fonctionnaire dont l'âme sensible n'a pu acquérir ce
sloïcisme qui supporte l'injure comme les venLs qui
sou[1Jent sur sa route, et qui ne l'empêchent pas
de la suivre! Il est peu d'hommes entourés de ce
triple airain de la philosophie: ceux qui n'en sont
pas couverts doivent-ils être abantlonnés par la loi ?
Il serait bien étrange que, quand elle s'est tant
{lccupéede laconservation des pl'Oprit!tésmatérielles
�)
1
( 96 )
( 97 )
qu'on ne peut perdre sa ns un e sorte tl e fO,rce ou d e
violence, ell e li vrât au x attentats, s~ n s d e fense, ou
avec un e sauve-gard e dérisoire, l' bo nneut' qu e le
moindre soufJIe altère, cette propriété incorpol'elle, cesentiment de l'âme , qui se compose mOInS
de l'opinion qu 'on a de soi qu e de cell e qu'en ont
les a utres .
Si j'ai prouvé qu'il est d é raiso ~n a ble d 'ex pos~r
un particulier à discuter a,'ec un (l ilfa l~1a t.e ur la verilé d'un outraD'e, qu and il ne J Oi t s agll' que d e
son iucon \'en an~e , d eso n inutilité, du droit qu'on
n'a pas de le faire, et c'es t dc lù qu e vient le mot
injure , nonj ul'e diclum, il est bien plus a bs~rde
d'exposer à des procès de ce genre des fon c tIOnnaires puhlics ,
Trouve-t-on qu'il y ait d éjà trop d'empressement
à remplir les fonc tions publiqu es, et a-t-on beSOin
de le rall enLÎI' ?
Le bel enco uragement il rroposer a u milieu d'un e
nation à lnqu ell e il faut plus de ce ut mille fo ~ ctlon
naires, que de les dévo uer tous à dévorer les Inlures
don t quico nqu e dai gnera les acca bl e ~ , ou d ~ les
li vrer aux s0Uicitu des d' nn e co ntestatIon el dun e
enquête , s'ils veul ent éca r ter d'e ux les g u ~ p ~s qui
les laLÎ oO'uent de leurs alg'udl o ns empOIso nnes..
!\lais, dit- on , il im porte au peupl e qu e ses Juges,
qu e ses a clrnin i~ tr ~ t e urs, qu e ses représenta", ~01ent
vertu eux . Sans doute cela uu porle, et la CO llsh-
tution a déjà pris le meilleur des moyens , les élec ti ons et la liberté J es choix.
Si les fon ctions publiques étaieut , comm e autrelois, donn ées à la naissa nce ou à la fortun e, il Y
aurait plus de prétexte à a ttil qu er sans piti é les privil egiés , les présomptueux qui ne tiendraient leur
llIission qu e d'un vain hasard .ou de leur or . Ma is
depuis qu e les fon ctionnaires pn blics sont appelés
par le peupl e, et consacrés par so n choix, il faut
vénérer le sace rdoce qui leur est co nféré. I.e peupI e, en les honorant, les ~ jugés et abso us de tout
ce qlli n'es t pas crim e, de to ut ce qui altérerait la
considération dont ils ont beso in . C'es t parce qu'ils
li vrent à un e gTande responsabilité leur vie publiq!le,
qu'il faut leur ga rantir plus qu'a llx autres citoyens
,
le respect de leur vie pri vée .
Ils ont su , qu and ils ont accepté, qu 'ils s'imposaient de grands devoirs, qu'ils s'exposaient à voir
censurer leurs négligences, leurs erreurs , qu'ils répondraient de lenrs fantes; mais ils n'ont p as dû
s'attendre à ce qu e tous les citoyens qui ont droit
de veiller Sur leurs fonctions, eussent aussi celui de
rech ercher leur vie privée , de dévoil er leurs erreurs p~ssées ou leur, faibl esses présentes; et qu 'un
ad ministrateur intègre, assidu , éclairé, pû t être
dénoncé à l'opinion p" hlique, parce qu e peut-être
il aim e ou aurait aim é la table, le jell ou les femm es , ou p~ rce (IU'il aurait jadis COIllI1IJS qu elqu e
\
7
�( 98 )
( 99 )
vivacité ou quelqu'autre acte susceptible de la répression de la police correctionnelle.
Ici nous n'avons pas les mêmes motifs que pour le
délit qualifié. Il est de l'intérêt de la société que le
crimesoit puni; elle n'en a point à ce qu'o n réveille
et poursuive un délit léger qui ne donne pas lieu à
accusation crinJinelle, pour lequel il n'y a, par
conséquent, pas celte action publique qui, dans
une république . apparti ent à tous les citoyens.
Mais pourquoi, si un fonctiounaire public s'est
perlllis quelqu'action repréhensible, ne pourrait-on
pas le dire, et lui faire perdre la con6ance dont il
peut abuser?
Parce qu'il est plus important de la lui laisser
que de la lui faire perdre, que de l'inquiéter pour
un fait léger et hors de ses fonctions, Car si d'aillems le fait a été commis dans ses Jon ctions, il est
du ressort de la censure qui est permise.
Parce qu'on doit cet éga rd aux délégu és du
peuple de ne pas les avilir sans y être autorisé, sinon
par la nécessité, du moins P,il' la preuve écrite et
acqui$e; si 00 ne l'a plS , qu'on se taise. 0" l'aura
demain: qu'on attende donc à dema in pour le diffamer .
.
permettre sur leur vie une recherche inquisitoriale .
LeGouvernementétantle biende tous les citoyens,
lous on t droit de le surveiller, de le denoncer dans
ses agens, ses luagistralS, ses adm inistrateurs et
ses juges. Mais nul n'étant comptable de ses actions
privées qu'à lui-mênie, ou à la société, si elle en
est blessée, toute action qui n'est pas lésive de la
~ociété à 110 œrtain degré, qu'elle soit vraie ou
ülusse, ne saurait être reprocbée saos qu 'il y ait atten Lat à la sûreté indi"idu ell e.
Cette sûreté doit être respectée plus encore dans
les fon ctionnaires publi cs que dans les simples particuliers; c'est un égard qui appartient à leur cal'actère; c'est une protection qui leur est due par la
société à laquelle ils consacrent leurs tra' aux. Elle
est sans inconvénient, puisqu'on a sur eux, par
le droit de censurer leurs opinions, leurs actes et
leur conduite publique, toute la prise nécessaire
pour les cou tenir dans leurs devoirs.
Je demande donc qu'on ne soit pas reçu à faire
la preuve de la vérité d'une imputation qui n'est
pas d' un délit qualifié, et que l'on punisse celui
qui se la permet, toules les Jois qu'il n'en a pas
déj à la pl'eu"e écrite. TI vaut mieux qu'il soit circonspect que téméraire.
Il faut que les délégués du peuple soient probes
et irréprocl.ables dans lenrs fonctions; mais hors
de là , il est absurde d'exiger d'eux une perl'ection
qu'on eù t à pei ne imposée à des cénobites, et de se~
J'eus occasion de soutenil' la même opinion dar.s la Chambre
des Dl'putés J le t er avril 1819 - Je pInce It.: Di scoLlrs que je
prononçai alors, à la suite de celui-ci.
�( 100 )
( 101 )
DiSCOURS
Prononcé dans la Chambre des Députés, le 28 avril
181 9, sur la 'luestion : si l'on peut Jaire contre
les fonctionnaires publics la preuve) par exception, de ta vérité de l'injure dont ils se plaignent.
]\rota. Cette opinion qui neréussit pas lors de la loi du 17 lDal
181 9, a prévalu plus lard ùans celle du ~5 mai 18~ 1 .
Quand ·jamais été porté à adopter sans amen~ement ,l'~rticle que nous disçutons, j'avoue que
1aurats ete effrayé des principes de l'un des 'préopillans, lorsque ·je l'ai en tendu se plaindre que
rOll détruisait la liberté de la presse, parce ql:l ' on
ne ).,vrmt pas à sa discrétion la vie privée des citoyens ; lorsqu'en déplorant qu'on lui arrachât
cette proie, il en a conclu -qu'il Callait au moins
lui ab~ndonner les fonctionnaires publips. Alors je
~e SlllS demandé ce qu'on voulai t ; si ce qu'on
reclame '. au nom du bien public, ne lui sera pas
au .contraIre préjudiciable; e t si parce qu'on conqOlert la hberlé de la presse, ou n'est pas prêt il.
abuser de celle conquête ?
Je parle de la liberté de la presse) parce que je
m'occupe de ce qui est la matière principale de la
discussion. Le projet de loi embrasse, je le sais.
tous les genres de p\lblic~tion , toutes les manières
d'exprimer ses pensées, par paroles, par écrits,
par emblêmes et gravures. Mais si l'on n'avait pas
à cr~indre les abus de la presse, on n'aurait pas
song'é aux trois projets de lois qui nous ont été présentés. C'est le droit de faire imprimer ses opinions
que l'article 8 de la Charte a reconnu; ce sont des
lois pour la vépression de l'abus de ce droit qu'il a
annoncées. Si l'ordre public peut ~tre troublé par
des pro,'ocations orales, on sait bien que le Code
Pénal réprime les discours. JI s'agi t dans la dis€ussion actuell e de la diffamation; et certes la diff.1mation inlprimée est à la diffamation orale, ce
qu'est l'éclat du tonnerre il un bruit sourd et coocentré. La dilfamatiQn imprimée s'étend et frappe
par-tout; la diffamation orale est passagère, ell e
s'envole; la <Iiffamatian imprimée reste, elle est
éternelle. Si ell e est dtl même geore que 1:1 diffamation 0rale, elle est d'une espèce plus dangereuse, plus intense, ell e mérite de nous oceupet'
davan tage; c'est donc vela ti vement à la presse que
je la considère.
Pourqt10i tout le monde désire-t-i) la liberté de
la presse? Pourquoi la Charte a-t-ell e déclaré que
les Français ont le droit de publin el. de faire imprimer leurs opiniol'ls ? C'est pour l'avancement de
l'esprit humain et de ses CODtwiss<Jnces. C'est pour
�(
102 )
que de nouveaux Arnaud puissent nous éclail'er
sur la religion , des Montesquieu sur la po litiqlle.
des lHably sUl' le droit p"blic et la science des gO llvemeroens, C'es t pOlir que toutes les vérit és soient
découvertes et dites] toutes les erreurs comœ ttues.
C'es t pour que le Prince puisse ètre averti des injustices commises à son insu et des abus à réformer, pour que ses age ns soient tenus dans les
i ustes limites de leurs lonctions , pour que les Chambres soient promptemen t instruites des abus dont
ell es ont à provoquer la reformation ] des amé lior3tions à soll iciter, des entreprises faites sur les
drùits de la na tion t:t sur la' liberté individuelle des
particuliers,
Cette ca rrière ouverte à la liberté de la presse
n'est-elle pas assez l' aste? Et si, non content de
publier ses opinions sur les choses, on veut en pu-'
blier aussi SUl' les personnps, il faut examiner le
droit qu'on peut en avoir et la manière dont il est
permis d'en user; car, sans qu'il y ait d'obligation
d'être poli , que l'un de nos co ll èg'ues refu sa it hier
de reconnaître, il Y a celle de ne pas ou trager et
de ne pas diffamer.
Il Y a diffamation et injure tontes les fois qu'on
publie ce qu'on n'a pas droit de publier , ou qu'on
le publie d'un e manière injnrieuse. Non jure dictum : c'est la significa tion et la définition du mot
lDJure.
( 103 )
-
Chacun a le droit, sans doute , très-indépendam.
lllen t de la liber té de la presse, d'attaquer en justice et dans les form es ét.iblies l'homme qui lui fait
tort] et de lui reprocher les actes dont il souffre ,
que cet homm e soit simple particulier ou fonctionnaire public; mais peu t,on , sa ns avoir UDe action ,
un intérêt à pOUl'suil're, et so us prétexte de la liberté des opinions] publier des opinions co ntre les
pcr.'onnes comme contre les choses ? La différence
es t imm ense. Les choses ne s'offensent pas, L'aLtaque
et la discnssion ne sont pas personnell es , JI y:.urail
outr"ge, qu'il serait bien loin encore de celui par
lequel on b lesse, on déco nsidère 110 indil'idu , auqnel on lait d'a ntan t plus de préjudice, que pur son
état il a plus de besoin de cOtlsid éra tion.
Je crains qu e la liberté de la presse, qu'il fant
sa ns dout"C chérir et protéger . n'ait bientôt son
culte et son fimatism e : rem<,rquez qu'en hà éri ge
un vaste tribun al où cll e pourra faire comparaî tre
les cent mille fon ctionnaires publi cs dont la France
est co uverte. Du moins dans les répub liqu es anciennes où il y avait une censure publiqu e , elle
n'éta il exercée que pal' quel'q ues m<'gistrats \ éné·
l'ables par leur ,'cr tu plus encore que pal' leur dig nit é. On ,'ons propose de la laisser usurper p.. r
qui conq ue voud ,'" se l'.. rrog'er. Et si vous recnl ez
dev'1l11 J'id ée d'éri ger un tribunal de censeurs dnns
.chaqu e dépar tement , pe"lllett "ez·I'OIlS Ù qui l'on qu e
�(
,
1 0l )
de se co nstitu er juge de tous ceux qm exercent
quelqu'a utorité, no n , il es t vrai , pour les punir ,
mais pour user d'une sévérité plus grande à certains égards qu e cell e des tribunaux ; car les jugeme ns ne sont g uères connus qu e des parties intéressées et dans 110 cer cle étroit , tandis que les diffama teurs publient par-tout ce que chacun i"'norait_.
Ainsi, à cô té d e l'institulion qui} si elle ~e nous
es t pas particnlière, a du moins pris naissance chez
nous, et a été j ustemen t louée pur les publicistes,
à côté de l'inslituti on d 'un ministère public chargé
de pou rsui vre les cri mes, les délits et même les
~ontra"en tions, la liberté de la presse va créer un e
Immense magistratu re qui, tenant sa mission J 'ellemême, dénoncera à J'opinion publique tout ce qui
ne mérite pas J'a nima dvel'sion des lois, et viendra
glaner tout ce qu'ell es dédaig'nellt.
Oui, a-t-on l'épondll } les fonctionnaires publics
exploitent le champ national. Ils ne sont pas sur leur
domaine, il faut qu'il soient observés et tenus en
éveil. Sansdoute: aussi sont-ils sous la surveill ance
de leurs su périeurs; aussi son t-ils responsab les t à
ces supérieurs et it quico nqu e ils lont tort ; mais fautil encore que mille foue ts soien t levés sur leurs
têtes} et qu e chaqu e parcell e de ce champ puisse
se soulever con tr'eux ?
Prenez-garde q u'à force de m ultiplier les surveillances et les préca utions, vous ne dégoû tiez ces ou-
( 105 )
vriers dont ,'ous avez beso in ; que ,'otre défi ance
écartant les meill eurs ne vo us laisse qu e les mauvais . Il faut sur veiller , ma is aussi il faut proléO'er
" ,
et ne pas sacrifier à la liberté de la presse la dig nité
des agens publics ; et parce qu e, suivant J'expression énergique de l'uu des préo pin aos, on ne leur
il pas inféodé le territoire, il ne faut pas en la ire les
serfs des écri vains.
Que dis-je des écriva ins ! Ce ne seront pas des
homm es à talens, de véJ'itables écrivains dont les
nobl es travaux, se portant vers l'a mélioration de
la chose publiq ue, embrassent dans leurs vues ce
qui est géneralement util e; ce sera dans chaque
,.ill e, dans chaqu e commun e, tout homme qui , sachaut un peu écrire ou le croya nt , imprimera un e
ou deux pages contre le maire} le juge de pllix,
le membre du tribunal} le sous-préfet, le préfet ,
d ônt à tort ou à raiso n il sera mécontent.
On le punira, répondra-t-on , s'il n'a pas dit vrai .
J e ne D./ e born erai pas à remarqu er qu'ici on dévie
du sys lème principal de la loi déjà adoptée el du
projet de loi qu e nOlis discutons, On a effacé de
la loi le mot calom nie pour n'y laisser qu e celui
de diffa mati on ; on a voulu qu ' indépendamment de
la fausseté d es laits J laquelle constitu e la calomnie,
l'imputation des faits même vrilis, mais publiés
dans l'intention de nuire, fût réprimée; et maintenant on excuse la diffamation si elle n'est l'as
•
�( 106 )
calomnieuse , on l'enco ur age même en l'invitant
à donner ses preuves. On dit que c'est une ex- '
ception ; que la diffamation même vraie à l'égard des particuliers est punissa ble , mais qu'e lle
doit être autorisée contre les fonctionnait'es publics.
Elle doit l'être si j'en crois les préopinans , parce
qu'on ne peut pas empêcher de dire et de pub lier
ce qui a été dit et fait ; et parce qu e cela est utile ,
parce qu e cela d érive de la nature du gouvernement représen tatif'.
Est-il absolum ent impossibl e de défendre de dire
el de pnbEer ce qui a été dit et f"it ? Non. Car on
convient qu e l'on peul et qu 'on doit le d éfendre en
tout ce qui co ncern e les parti culiers Ce sera it don c
relati vement aux foncti onnaires publics que celte
défense serait impossibl e , c'est-à-dire injuste ou
illégale.
Ici il faut s'entendre.
Qu oiqu e je pense qu e la liberté de publie,' ses
opinions ait é té et ait d û être donn ée pour l'utilité
publique et générale) pour qu'on p ût traiter toute
sorte de suj ets, et null ement pour exercer la cen~ure suries personn es vivantes , je suis loin de prétendre que l'on ne pu isse parl er des fon ctionn aires et
même des particuli ers, Il ne s'agit pas, ainsi que
l'a dit un préopinant, d'interdire l'histoire el de fermer le Moniteur , Il n'y a pas de dilTamation à publier
( 10 7
)
ce qui déjà es l public; mais elle peut ex ister dans
l'intention et la manière de le publier de nouveau )
et dans les conséqu ences qu'on en tire, L' histoire
est un miroir , il ne faut ni le voiler , ni le salir et
le noircir. La qu estion n'es t pas si l'o n pourra parIer d es ron ctionn aires publics, mais si on pourra
les diffamer; c'es t-~ -di re les décri er , les déshonorel', les perdre de r éputit ti on : lel est le sens, à
ce que m'a pprend le Dictionnaire de l'Académie,
du mo t di ffamer,
Or , si l'o n pu bli e d' un fonctionn aire pnblic ou
d'un particnlier , UII discours, un e acti on qui ne
soit pas difranu,toire, il ne sera pas fonùé à s'en
pl aindre. JI ne sera pas nécessa ire d'en offrir la
preuve co ntre lui , car il devra être débouté de sa
plainte. Si malgré l'oubli tant préconisé par les zél ~ teurs de la presse, l'on l'appell e llD rail coupabl e,
un crim e auquel il particip e, le Moniteur qu'on a
cité me suggère des exem ples, il n'a ura gard e d,e
se pl aindre; et , en cas de plainte, la preuve se ralt
faite par le M oniteur s'il a été fid èle. L'am endement adm et la preuve écrite; la plamte sermt repoussée . Lit q uestion est , si un fait non encore p'.'blic ét,lOl diffamatoire , le prévenu pourra en offl'lr
la preuve qu'il n'a pas ?
Je dis qu'il n'y doi t pas être reçu.
Ou il il intérêt à publier ce fait diffamatoire parce
qu'il en a SOli ffert , ou il n'" qu e cel intérêt général
�( 108 )
clont on veut investir quiconque aura le désir d'';''
An premier cas, pourquoi ne pas prendre la voie
directe et licite de la plainte ? Car si le fait est diffamatoire, il emporte un tort gTave, un déni de
justice, un excès de pouvoir , nn acte arbitraire.
La plainte autorisera des écrits qui l'appuieront et
la développeront. li n'y ama injure ni diffamation;
car comme pour sa défense il est permis de blesser
et de tuer, il est anssi permis de se défendre aux
dépens de l'honneur et de la réputation de son adversa ire , lorsque cela est nécessaire ou utile. Il n'y
a pas injure lorsqu'il y a droit, et le droit naît de
l'intérêt.
Mais llU second cas, si, sa ns qu'il y ait plainte de'
la personne lésée, on se constitue le défenseur offi_
cieux de cette personne qui, n'attaquant pas, n'a
p~s besoiu d'avocat; si l'on se fait le réparateur
d office. des torts que les intéressés laissent tomber.
c'est bien le moins qu'on n'écrive et ne publie
qu'ayant à côté de soi ou en main la preuve de ce
,qu'on avance.
Eh bieu ! c'est tout ce que demande J'amendemen~ de ,M. Favard que j'appuie. Ce qu'il veut, ce
que )e.deslre avec lui, c'est que l'on ne puisse opposer a la plalDte en diffamation d'un fonctionnaire
public que la preuve écrite.
J'ai ouï dire à quelqu'un qn'on aurait beau inter-
( 109
)
direb preuve, qu'elle se lerait toujours, et il citait
un .procès célèbre et récen t où l'on a apporté une
foule de pièces. Il y a ici une erreur: ce ne sont
pas les preuves apportées dans fa défense que nous
voulons interdire, il ,est très-vrai que cela serait
impossible, injuste tt même absurde. Ce qui ne
doit pa~ être permis, c'est la preuve avant dir"
druit , l'interLocutoire. Ceux qui connaissent la
marche judiciaire m'entend en t, les autres me comprendront bientôt .
Une plainte est rendue en diJI'aruation. Le plaignant répond, il donne ses défenses par tous les
moyens qu'il lui plaîttl'employer. Il établit que ce
qu'il li publié n'est pas dilfamatoire , qu'il a eu le
droit de le publier, qu'il a dit vrai, et il produit
tout ce qu'il croit utile à l'appui de sa défense. Ses
moyens, ses preU\'es sont appréciées par I~s juges
Oll par les jurés, et détermineront le deg.ré de sa
culpabilité; mais le prévenu a allégué des faits dont
il ne produit point la preuve écrite. Il n'en a pas,
il dit qu'il se la procurera} et il demande pour cela
un délai; ou n'ayant point de preuve écrite, il dit
Ifll'il fera la preuve par témoin. S'il est question
d'une preuve écrite il rapporter, l'amendemen t
l"ldmet. S'il s'agit d'une preuve par témoin} il la
refuse. Pourquoi?
Parce que, ainsi que l'a dit 1\'1. Favard, la preuve par
témoin est dangereuse et suspecte, que la j usLÏce ne
�(
110 )
l'admet qu'a regret et par nécessité dans la recherche des crimes et des délits. E t qu'o n ne dise pas
que nous invoquons d e vie ux principes qui ne s'accorden t plus avec les institutions nouvelles . Avant
la 1iberté d e la presse , la di ffa mation était moins
com mune 1 mais elle n'était pas inconnue; et chez
les l\ omains , qu'on ne soupçonnera pas de n'avoir
pas aim é beauco up la liberté) la vérité de J'injure
ne l'exc usait pas ; nous avons suivi ce lte maxime
jusq u'à présen t e t je n'aperçois pas la nécessité,
l'utilité même de nous e n tlépa rtir.
1\1. Hoyer-Collard a dit que depuis que nous
avons des jurés on ne doit plus admettre .Je distin ction entre la preuve écrite 'et la preuve vocale; qu'il ne s'agit que de parvenir à la conviction
du jury qui s'opère par toutes voies et de toutes
manières. Il a raison ; mais il fait, ce me semble,
de cette vérité, une fausse a pplica t~on .
Il est nécessaire de distinguer entre la qu es tion
portée au jury et celle qui ne l'est pas.
Lorsqu'il y a uu déba t devant le jury, sa ns doute
il n'y a plus de distinction entre les preuves. Toutes
lui son t produites; il les prend ou les r ejette dans
son esprit, selon qu'il lui co nvien t : il les apprécie
à SOD gré . Mais ce n'est pas l'hypothèse qu e nous
trai tons: la voici:
On est plaignant en dilI'amation devant le jury.
11 apprécie la p lainte e t ce qui la j uSlifie, la défense
(
111 )
et ce qui l'appuie. Il déclare selon sa conscience et
sa conviction , qu'il y a dilI'a 0l3tion ou qu'il n'yen
a pas. Mais au Leu de laisser le présid ent des assises
poser la qu estion à présenter a ux jurés, le prévenu
derllande à faire preuve de la vérité des laits , à
être renvoyé pour cela à nne autre assise. Cette
preuve, soit qu'il la dema nd e quand l'~lI'aire est
por lée aux assises, soit qu'il la propose avant que
J'a mlÎre y soit appelée, ~s t-e lle recevable ? Ceci n'es t
point une ques tion appartenan t à des jurés. Le jug ellient des preuves qu 'on lenr so umet dans les débals, es t de leu r resso l·t, mai~ li on l'admission de
tell e 011 teUe preuve. Cette adèu ission est un e question de droit. Les lois règlent quell es son t les preuves
à recevoir ou à refuser, en lei ou lei Ca S. Or ) la
règ le esl de ne r as admettr'e la preuve voc<rle de la
vérité de l'injure. C'es t par exception qu e l'on veut
l'"dmettre contre les lonctionnaires publics. Et je
soutiens que cette exceplion ne doit pas êlre établie.
Ici se reproduit le dil emme que j'ai déjà fait ?
Ou le prévenu aura intérêt aux faits qu'il a publiés . La plainte qu'on ose porter contre lui aggrave
les torts qui lui ont été faits et qu'il a révélés. Au
lieu de demander à ell raire preU\'e par voie d'exce ption et de r"its justifica tifs, qu'il la fasse par voie
direc te d'accusa iion ou de dénonciation , il sera sursis de droit à la poursuite en diffi,mation. La prem'e
pm' témoins sera reçu e. Non-seul ement il se lera
�(
11 2 )
abso udœ de di!l'a mation , ma is il fera cond amner
l'accusateur co upable qui le poursui vait comme calomniateur .
Oul es faits allégués étaient étrangers au prévenu ,
el alors la liberté des opinions ne l'a u torisai t pas à
parl er et à écrire sa ns avoir ses g'a rans tout prêts.
Il ne d'evai t pas se hasarder à co nd amner et frapper
le diffamé, sa uf à le conv ain cre ensuite.
C'es t 1avoriser la d iffama tion qu e de lui ou vrir
l'exception que les faits so nt vrais et d'en autoriser
la preuve. Il est tel méchant ( et tout diffamateur
est digne de ce nom ) qu i, sans être sûr de se procurer quelques témoins, sa tisfera sa malig nité par
le plaisir d'a jouter à la diffamation , après la tournure piquante de sa défense, les long ueurs d'une
enquête, espérant bien qu e même quand il succombera, il r estera au pl aignant , après ce doubl e procès , qu elqu es cicatrices.
Quel homme déli ca t voudra, a-t-on dit , se plaindre de dilfamation , s'il ne peut co nvaincre le
p révenu de calom nie,; si celui-ci peut lui dire :
vo us m'accusez hardiment de diffamation " mais
vous n'oseriez m'accuser de mensonge, car j'olfre
de prouver que je n'ai dit qu e la vérit é ? Va in e d élicatesse de la part du- p laignant, vain subterfu ge
de la part du préven u. JJa loi ne doit se prêter
ni il l' un ni à l'autre; sinon c'est à tor t qu'elle a embrassé le système de ne pas distinguer la diffamation
(
11 5 )
<le la calom ui e , et de ne
l'autre séparémenl.
•
piiS
pourvoi r à l'un et à
Par~li ,les bomm es déli cats, il Y en :, bea ucoup
qUI d erl mgneront de se pl aindre de diffamation
par ce qu'ils auront o ul a conscience ou l'org ueil d;
pe~se)' qu'ell e esl sa ns effet à l e u ~ éga rd . Quan t à ceux .
~U1.' ~on m~ins délica ts .. mais plus susceptib les,
c rOIraIent qu il est de leur honn eu r de ne pas laisser impunie un e imputation diffiJllla toire, je pense
qu'on les en détournerai t en rend:lllt la sa tisfact;Îon
q u'ils demand ent plus difficil e , so us prétexte de
la leur préparer plus compl ète. II est évident qu e
SI vous donn er la fllculté au Pl'évenu d'!Jffrir la
preuve, vous oblig'erez le plaignant à le somm er
d~ la faire., Quiconqu e ne l'en requerrait pas, seratt regard e comme redoutant la preuve} comm e
d emand ant Ulle satisf<lc tion qui lui es t léga lement
due , mais qu'au fond il ne mérite pas} et qu 'il obh ent par nn de non-recevoir contre son adversaire.
Dès-l ors tous les procès én diffama tion tourneraient
en enquête; vous verriez les tribunaux continnellement occupés à entendre des témoins , Don -seulement , ce qui est indispensable} sur l'existence des
crim es ou des délits qLii b lessent la société ou les .
p~rticuliers, mais sur les actions qu e les lois ne pumssent pas.
On ne voudra pas , dit-on } se plaindre en diffama tion, s'il peut res ter douteux qu'ell e soit ou non
8
�( 114 J
calomnieuse. Je crois, peut·être avec plus de raison, qu 'o n ne voudra pas s'en pl ai ndre, s'il fa ut
commettre la réputation qu'on veut défendre et
venger, aux. hasards , aux dangers d'une preuve
par témoio. Ignore- t-oo co mbi en de tous les temps
la législation s'est défiée de 1" preuve voca le ? Ell e
ne j'adme t que clans les cas de nécess ité, il défaut
de preuves écrites, ou pour les comp lète,'. Dans un e
q uestion d ,: dilfamati on. il s'agit d' un e vél'itahl e
q uestion d'Etat. Su is-j e ou ne suis-j e pas un h pmm e
jo.nissant d'un e bonn e ,'enommée? Ce n'est pas par
des imputations, ce n'es t pas par des témoins, bors
les cas d'accusa tion, que ['on peut me troubl er dans
ce tte possession ; ce n'es t pas m ême pa.· voie d'exception co ntre la plain te que je fo.'me.
En effet, comme celui qui es t en possession d' un
bi en corporel n'a r ien à p" ouver , et q u'il repousse
les attaqnes en réponda nt j e possède parce qlle j e
possède,' de même ce/u i qui jouitd e sa réputation,
n'a poillt à pro,rver qn'il l'a mér itée. C'est un bien
qui lui apparLient parce qu'il l'a . On De peut l'y trou bler, saDS dl'Oit; et lorsqu'il se pl aint du troub le qu'il
épro uve, on ne duit pas avoir la fa culté de lui dil"e :
votre réputation es t fausse ; le tro uble qu e)'y ai dOIlné est fQnd é sur des fails do nt je donn erai la preuve .
Serait-il vrai que le régi'ne représentatif exige
que le prévenu en di.ffamation soit adOl isii la preuve ?
Il ne l'est en Angleterre que pou r se défend re des
(
J J
5 )
dommages et intérèts. Si on ne lui cn .rlem anJ e
point, s'il e:, t attaque au crimin el , il n'est pas admis il la preuve. Il faut remarqu er ici un e grJnde
dilférence dans les mœurs des deux nations. En Ang leterre on poursuit plus la réparation du dom01:lge
qui r ésulte de j'offense, que la répar'l lion de l'offense
ell e-même. On ne dédaig ne pas d'exiger le prix
des torts qu'on a éprouvés, et qu 'o n évalue trèshaut. Pour nous , au con traire, ce ne sont la plupart du Lemps que des réparations d'hon neur que
nous recherchon s; et quand nOlis dem,md ons des
dommages et intérêts pour des lorts qui intéressent
l'honn eur , nous refu so ns de les toucher et nuns en
demandons l'applicati on à des œ uvres pi es. Ce D'est
dunc pas l'essence d u gouvern ement représeulatif
qui fait admettre en Ang leterre la preuv e par exceptiOD à la plainte en d iJI'a ma tio lj , c'es t J'appréciaLion des dommages et intérêts.
Mais , dit-on. c'est le droit, c'est sOOl'ent le devoir de chacun de reprocher publiquement aux
fonctionnaires publics leurs torts et leurs fautes .
J'ai peine à croire qu e la déDonciation ci,>iqu e établie par le Code des de/il< et des Peines de Dotre
Républiqu e éph émère ait été implicitement l'établie, et .que parce qu e notre Code Pénal enjoint ,
sans y joindre aUCllDe pein e, il ceux qui auroDt
conDaissance de qu elque crime de le dénoncer aux
magistra ts, il soit du devoir de le dénoncer au pu-
�(
Il
G)
blie, et <le dénon cel' mèm e tl es ac tes qui ne so nt
pas punissables , mais seulemen t blùm"b les, j'ai
peine à croire, ainsi que je l'ai exprimé au commencement de ct: discours, qu e celte dénoncia tion
soit un droit, Mais en le supposant, il resterait toujours qu 'il faudrait en user COillme de tout autre
droit , sa ns outrage, sans diffamation ; car la diffamation n'est pas un droit, ca!' la véri té même n'est
pas toujours bonn e à dire) n'est pas toujours bien
dite: c'est un axiome vulgaire .
Maintenant pour en 6nir, je demanderai si J'on
n'a pas assez de gara nti es contre les fonctionna ires
publics , dans leur responsabilité envers leurs supé·
rieurs, qui peuvent destituer ceux qui sont amovibles , et faire raire le procès à ceux qui ne le sont
pas ? Dans leur responsabilité envers les particu liers
auxquels üs font tor t et qui ont clroiL de les attaqu er directement? dans l'opinion de la contrée où
ils exercent, et qui sail bien les juger sa ns être provoquée ou excitée par des publications diffa matoires ? enfin, dans ce q u'a joute à tout cela, la liberté
de la presse, la facu lté de parler d'e ux avec fran chise, de discuter leurs actes, leur conduite publique , mais sa ns diffamation ; de le; diffamer
même, si la diffamation est appuyée d' une preuve
écrite? Aller p lus loin, vouloir encore des preuves
par témoins, c'est , ce me semble) pousser les
choses à l'ext.rême .
(
1 17
)
Loin de nous ces id ée, d' ulle perfect ion chi IlH!•
rique qui) en II OUS laissant co urie aprb le mieux
nous ferait ma~q u er Ct! qui es t bien, et oous pOl"
terait au delà du terme ,
En autorisant la preuve de la vél'ilé des inju res
dites aux fon ction naires publics ) il est douteux que
oous les re ndions nl eill eurs. es t ce l'tain qu e II0US
les avilirons; il es t sùr qu e noos les dégolllel'Ons
d'emplois Irop pénibl es, ct que nous détourn erons
beaucoup tl e person nes qui s'y destinera ient , s'il
faut qu'ils su ivent dcs procès , où , par un e nouve ll e
injure , l'o n essaiera de faire la preuve des imputa.
tions qui auront exci té leur sensibilite.
Conçoi t-on bien le sca ndale de ces procès et leurs
fune,tes effets ? Un fonctionnaire public, quittant
son poste, all ant dans un e a udience entend re des
témoins pour et co ntre son honneur et débattre
leurs dires , exposé aux dangers des témoignages ,
aux incertitud es de l'a ppréciation d'un e preuve)
non parce qu e qu elqu'un qu'il ait lésé l'ait ap'
pelé a\1 tribunal , en portant une plainte contr e
lu.i , mais parce qu'il a été sensible à uue injure ?
Un homme qui
diffamé dirige contre lui par
\'oie d'exception, une preuve que personne n'avait
songé à fai l'e directem,en t! Ces procès seron t rares,
a dit le dernier préopioan t ; dussent-ils être plus
rares encore. je crois qu 'il vaut mieux leur fermer
Ir
ra
�(
Ils )
la porte , et qu'on le doit à la proteclion due aux
fonctionnaires publics.
Quelque sùr qu'il soit de sa moralité, un homme
délicat n'aime point à la voir compromise par les
imputations impunies des méchans , ou par les hasards d'one preuve, ou même par les seuls désagrémens d'un procès dont il devrait cependant sortir
victorieux.
Il vaudrait mieux établir en principe qu'il est
permis de verser le ridic ule ., l'injure et la diffamation sur tout fonctionnaire public, sans qu'il puisse
s'en plaindre et que c'est là un des émoll1rn:ens
de SOI1 emploi. Cela vaudrait mieux que d'admettre
que s'il se plaint on sera reç u à raire la preuve de
la vérité des implltations qui le hlessent. Du moins
alors l'injure serait décréditée par la loi qui , en déclarant qu'elle ne peut être poursuivie, la tolérerait comme un de ces maux in é vitables qu'il faut
supporter et mêml' eutretenir dans un e g rande société ,- et par cela mème ell e la neutraliserait.
J e crois qu'il n'est pas nécessaire , qu'il est plus
daugereux. qu' utile, de to lérer qu e, parce qu' un
citoyen est fonctio nnaire public, il soit exposé en
b utte aux sa rcasmes , a ux impu ta tio ns de quiconqu e
voudra l'insulter , et lui offri r la pre uve de la vérité des injures.
Ce qui disting ue les goul' ero emens libres, ce n'est
( Ll9 )
pas la fa c ulté d'injurier leul's agens , c'es t le dro it
de lils accuser ou de les déuonter légalement ; c'es t
le droit de parler d'eux avec fran c bise mais sans
Hllure.
L' honneurdes fonctionnaire$ publics devrait avoir
les mêmes garanties qu e celui des partic uliers. Ce
serait un égard qui appartiendrait à lenr caractère;
un e protection qui serait du e à leurs trav;lUx, et
cependant nous consentons qu' à leur plainte on oppose la preuve écrite , nOIl pas co mme le vtut à
présent le Code P énal , une pre uve léga le et au·
th entique , c'es t-à-dire) une expédition en forme
de l'acte dénon cé au public, mais une preuve écrite
d e quelque nature qu'ell e soit , authentiqu e o u
pri vée.
Je vote pour l'amendement.
O~INION
SUI :le Proj et de R ésolutiol/ relatif aux Suspensions
et Annula/ions de certa ines V entes on Soumis·
sions de Biens nationaux, prononcée au Conseil
d"s Cinq-Cents, Le 1 2 germinal an 5 ( i" al'ri t
1797 ).
E n ent ran t d ans ce lle disc ussio n, il faut en écar-
�(
(
12 0 )
1 21 )
leva aucun uoute SU I' leur pouvoir il ce t égard , on
eût même blâmé d es~a dminis tra tc tlrs qui) au préjudice de la nation' el au mépi'is des lois, auraient
laissé subsister des ventes fraudul euses ou présum ées
telles; et celte présomption est de droit toutes les
fois que les formes prescrites par les lois n'ont pas
été observées.
On "int ensuite à la confiscation des biens des
émigrés; la vente en fut ordolln ée SO l1 S les mêmes
formes que celle des bieus de première origine; elle
fut donc soumise aux mêmes moyens dc cassa tion,
pour l'intérêt même de la nation, et pour l'exëculion des lois.
Tant qu'on ne porta sur les listes que les véritables émig-rés, tant que l es administrations furent
dans des mains pures et amies de la liberté, les ventes
étant justement et légalement faiLes, peu Je fassations furent à prononcer; et , lorsqu e l'occasion s'en
présenta, personne ne s'étonna de ce moye ll reçu
de lous les temps) d~ maintenir l'exécution des
lois, de punir leur infraction.
Ce fut apri!s le 31 mai, lorsque les clubs et les
comités rèvolutionn;lires débordèrent dans les adminis trations , l? rsqu'elJ es firen t des émissions d'émigrés, et que l'on porta sur ces tabl es de proscription aussi légèremen t qu' 011 envoyait a ux tribu naux
révolutionnaires et à l'échafaud, que les biens na tionaux furent dilapidés; que les hommes qui n'ai-
t,el' d'abord les épines pal' lesquell es il semble que
Ion a voulu en fermer l'accès.
Sans doute les biens nationaux ont fourni de
grandes ressources , et ils en prolflellent encore;
mais s'opposer à ce qu'on aliène comme bien national ce qui n'apparti ent point à la Ilation, ce qne
réclame le droit de pt'opriét'é toujours plus sacre
que l'intérêt du fisc, ce que l'utililé publique ou
politique revendique; disting uer les ventes juste.s et
léga Les de celles qui ne le so nt pas, Loin que ce soit
seconder Les vues de nos ennemis, et ê tre , sans le
vouloir, contr e-révolutionnaire) c'est asseoir la révoLution sur ses véritables.tJases, celles d e la justice j
c'est rendre à chacu n ce qui lui appartient. La punition de la fraude, la répression d e l'illégalité n'o nt
j.amais effrayé la bonne foi. C'est la rassurer au contraire et l'encourager, que de l'isoler de ce qui est
nul et vicieux .
Laissons donc des craintes chimériques , des considérations ex,lgérées, et examinons li vec calme el
sans prévention les ques tions qui nous sont soumises.
L'Asse!llblée constituante déclara que la natiou
ék1it propriétaire des biens du clergé; el le en ordonna la vente; elle régla les forru alilés de ces ventes.
Harement ces formalités fut'enl om ises dans les wst ricts; mais lorsqu'ell es le Iii l'en t . les ad ministrati ons départemental es ca&5èrent lcs ventes. On n'é-
,
�•
(
122 )
maient la révolution que COlUme un moyen de 101'tune, qui ne caressaient la liberté que pOUl' la violer,
devinrent, sans formalités ou avec des formalités
dérisoires et tronquées, adjudicataires des biens des
proscrits, et firent, au gré de leur ambition et de
léür convenance, comprendre ùans ces biens des
domaines qui n'en avaient jamais fait partiè.
Avec le retour de l'ordre, le 9 thermiùor devait
amener des réclamations nombreuses. Il avait été
sag'ement statué que les victimes échappées à la proscription, ou leurs héritiers J respecteraient les ventes
légalement faites , et en recevraient le prix de la nation: mais si la vente était illégale, aucune loi n'avait déclaré qu'elle serait inattaquable et impunie, il y eut donc alors beaucoup de revendica tions.
Elles excitèrent réciproquement beaucoup de
plaintes. L'expérience de tous les temps 1I0US apprend que la plupart des homm es voient, dans ce
qui contrarie leur intérêt , le renversement de toules
les lois et de tous les principes. En conséqu ence,
on cria qu e la r ' volulÎon etait alléa nti e, si le respect légitime dù a ux ventes léga les n'était p<lS aveug lément étendu à celles 'lue la li'a ud e ou la nullité
déshonorait. On accusa les administrations et les tribunau x de favorisel'llavantage lesréclama taires que
les acquéreûrs, et la Co nvention nationale attribuv,
le 1 " fructid or an 5 , la co nnaissance de toutes les
(
·t
•
123 )
questions relatives à la v,didité ou à la nullité des
adjudications, à son comité des finances.
Du moins on ne prétendit pas alors que la garantie due par la nation, des 'l'entes légales qu'elle
avait failes, dût embrasser) au preindice des propriétaires dépouillés, tes vl!lltes nuUes.
L'établissement du gouvernement consti tutionnel,
en séparant le pouvoir adtninistr,ttif du pOli voir lé"o-islatif, anéantit tous les comités. La question s'éleva à qui des administrations ou des ttibunaux
seraient portées des contestations de propriété entre
l'acquéreur et l'ancien possesseur. Une Commission
vous proposa de l'envoyer aux tribunaux: je partageai son avis, et îe soutins ici que c'était le moyen
le plos légal, le plus solenn el, le plus rasSurant
pour toutes les parties intéressêes : mais le conseil
en décida autrement, et passa à l'ordre du jour.
La vente des biens nationaux , qui certainement
est un acte d'administration tant qu e ces biens sont
dans les mains de la nation, est donc encore ( a~nsi
vo us l'avez voulu ) consid érée comme acte d' administration, lorsqu'i l s'agitd e disc uter, entre deux
particuliers, la jnstice ou la validité de telle on telle
vente à laqu ell e la nation ne consj:!rve pourtant plus
aucun intérê t. Il a Jonc fallu qu e l'on s'adresstl t aux
administrations, et en dernier degré au Ministre des
finances, pOOl' avoir la justice que sans donle l'aD
doit recevoir de quelql1'lIn,
�( 124 )
Les administrations et le lHinistl'e des finan ces ont
conlirmé \!t entretenu beaucoup de ventes: ils eu
ont cassé et suspendu; et ceux que ces cassations
ou suspensions contrarient, recouren t au Corps lé.gislatif contre ces actes) qu'il a pourtant jugés d'administration, et n'appartenir, par conséquent, ni
à·lui ni aux tribunaux.
De quel droit nous immiscerons-nous donc dans
l'administration ? De quel droit écouterons-nous des
plaintesque l'intérêt particulier élève contre le Gouvernement? On a beau les réunir, et prétendre qu e
les faits qui les excitent ont porté un coup mortel
au crédit national. C'est une couleur fausse dont se
parent des hommes injustes, puisqu'il résulte de
J'ét.1t des·soumissions que le directoire vous a fourni
par dive~s messages, qu'elles ont toujours été en
croissant, ainsi que les ventes consommées qui en
ont été la suite. Les acquéreurs sont si pen découragés, que, le 16 ventose, on a délivré à Versailles,
au prix de 2,445,000 livres, des biens qui n'avaient
eté estimés que 600;000 livres ; un autre objet, estimé 200,000 livres, a été délivré à 1,400,000 liv. ,
ce ne sont certainement pas là des preuves de rlécouragement pour les acquisitions des biens nationaux.
Si le total des soumissions n'est pas termin é par
les ventes, c'est qu'un grand nombre portait sur le ·
même objet , c'est qu'il y en a eu d'abandonnées .
•
( l 25 )
N'importe, tlit-on il y en a eu beaucoup de suspendues par le fait du gouvern ement ou Jes administrations. Cela se peut ; mais celle suspension nous
l'egarde-t-elle ? Et quan d elle nous regarderait,
n'est-elle pas juste ?
Quoi! nous dit-on, lorsque plusieurs lois consé.
cutives ordonnent la vente des hiens nationaux, en
promettent l'adjuclication à ceux qui les auront soumi,siollnés; lorsque la Constitution proclame comme
garantie de la foi publique, qU'li près une adjudication légalemeltl consommée de Liens nationaux ,
l'acqu éreur légitùne ne peut en être dépossédé, nous
sou {J'ririons que les administrations se jouassent impunément et des lois. et de la Constitution 1
Non, sans doute; mais il faut prendre garde d'abuser de ce sentiment, et des devoirs que l'on croirait en naître, pour renvel'ser le plus puissant étai
de notre Gouvernement, la division des P0l.lvoirs.
Les administrations sont sous la surveillance du
Directoire exécQtif, et non sous la nôtre.
Le Directoire s'il manque à ses devoirs , peut être
accusé par le Corps législat"ir: mais jusqu'à ce que
la violation de la loi soit assez grave, et sur - tout
assez éviclente pour mérit er l'accusation, il est censé
n'autoriser et ne faire que ce qui lni est permis; et
si, sous le prétexte que, saus l'accuser, nous,devons
pourvoir à l'exécution des lois, nous examinions et
nous jugions ses arrêtés, il est manifeste que nous
�( 126 )
deviendrions ses reviscurs en matière d 'adnlinistration, nous serions, en dernier ressort , le pouvoir
exécutif.
L'accusation est, dit-on , un remède si extrême,
si dangereux, que s'il n'y a que celui-là, le Directoire deviendra -despostique. !\lais il serait .si facile,
sous prétexte de v.iolation des lois , de,s'ériger en tribunal de cassation des arrêtés dlL Directoire exécutif; la pente qui porte à se mêler d'administration
est, si rapide, qu'il faut y opposer un gt'and obstacle.
La crainte de l'accusati~n suffit pour contenir le Directoire exécutif; il'ne faut rien moins que la nécessité d'y recourir préalablement, pour surmonter
l'habitude encore bien ré~ente dans la représentation nationale d'administrer et de gouvern er.
Appliqnons au cas pr~sent cette théorie bien clairement établie dans les articles 46,147, Igl et Ig3
de la Constitution.
Le Directoire a-t-il soulfert que J'on d épossédàt
d'une adjudication légalement con ommée de biens
nationaux un seul acquéreul' légitime? Il a manilestement ,permis la violation de l'ac te constitutionnel; il est responsable et envers le propriétaire dépossédé , et envers la nation.
Mais, dit le Rapporteur, c' est sans in tention , c'est
par erreur: il a cru que l'adjudication n'était pas
légalement consommée; que l'acqu éreur n'était pas
légitime. Ah! je vous entends : la question est dou-
( 12 7
)
leuse. Non-seuleml!nt l' acc usa tion ne serait pas admise, Itlais le C.onseil des Cinq-Cents 4e penserait
pns qu'il y a lieu à exa m en ; et cepend,!ot vous accueillez, conlt'e le Gou1leroement qui a pronon cé
sur une qu es tion administ.rative, et qui a plus que
personne intérêt à l'exécution genérale ~es lois , la
pJainte d' nn particulier qni , pour son utilité privée ,
le taxe d'erreur: vous voilà donc , ce qu e la Cons- litntion ne veut pas, pon voir rev iselJr en administra tion.
IJes lois ont ordonné de li vrer les biens nationaux
aux soumissionnaires. Si le Direc toire exécutif tolère qu e les so umissions ne soient pas reçues , ou
(lu'e1l es soient sans effe t , il est coupab.le de l'in exécution d' une g ,';\nde mcsm e; il es t responsable. Mais
la loi es t exéc lll ée, s'il y a plus de cellt mille soumissions de re çu e~, s'il y a plus de quatre-ving t-trois
mille délivra,l ces faites ou consonln\ées .
TcUes ou téll es soumissions ont-e ll es oll être suivies 'e t se termin er par un e ve nU' ? Ce'pe sont plus
(lue des qu estions de détail , du ressort de l'administ ra tion , et qu'il ne nOl1s appartient pas de juger ,
Quand on ne voudr;,it pas s'en rappo:·ter à la fid élité que le Direc toi~e exécuLif doit avoir pour ses
devoirs, on pourrait s'en ner à l'intérêt qu'il a plus
qu e personne , comme Gouvernement, à ce qu e la
vente des bi ens n n tion ~ ux soit la plus active et la
plus productive possible. On peut donc opposer ce
�( 12 9
( 1 28 )
grand inle L'è l à J'i nt~ rê t pL' ivé de parLiculi el's, qm
se plaig nent de ce qu'on ne donne pas suite à des
soumissions jugees injnstes par le Gouvernement, et
que nous devo ns prés um er tell es, Il en est des actes
suprêmes d'administration, comme de la chose jugée : les uns et les autres passent pour la vérité, jusqu'à ce qu'ils soient poursuivis comme des délits. Je
ne veux pas flatter le Directoil'e ; mais je ne doit pas
non pIns flatler le Corps législatif, et) sous le prétexte de l'exécution des lois, lui donner des pouvoirs qui ne lui appartjennent pas.
J e pense donc qu'il faut passer à l'ordre du jour
sur le pro jet qui nous est présenté, parce qu'il ne
nous apparait pas que les lois sur les ventes et les
soumissio ns de biens nationaux ne soient pas exécutées . Les plaintes qui nous sont portées, sont des
plaintes p articulières et .de détail , inévitables dans
une matière qui embrasse tant d'obj ets.
Il n'y a pas de lois dont l'appli cation, à mesure
qu'elle s'étend à une multitud e de cas, ne donne lieu
à des décisions qui , en blessant les int érêts de tel
particulier, favorisent ceux de tel autre. Cette application appartient au pouvoir administratif ou judiciaire : elle ne nous concern e pas; nous n' en somm es ni les ministres, ni les appréciateurs en dernier
ressort. Les principes de la Constitution nous défendent d onc de 1I0US occuper de ces détails: le maintien des prin cipes, touj ours utile lors même qu'il
1
)
entrainerait quelqu e in co nvéni ent particulier , exig-e
qu e nous nOlis en l'apportiolls au Directoire exéc utif ; que nous le laissions juge de toutes ces réclamations: nous les avons mises dans ses attributions',
il Y prononcera <J vec le soin qu'exige l'imp0J'tance
J e l'obj et , et que lui prescrit de plus fort l'attention
que nous avons d'abord cru devo ir y donner ; il en
jugera enlin so us sa responsa bilité. C'est à ce prix
que le p euple l'a élevé à la grand e magistrature dont
il est investi : il y exerce en administration et en
go uvernement la souveL'aineté , comme nous .l'exerçons en législation. Nous Il e pouvons pas plus entre.
prendre sur lui , qu'il ne peut entreprendre sur nous.
Si nous voul ons qu 'il reste dans ses limites, restons
J ans les nôtres (1).
On répond qu'il ne s'agit ni d 'entreprendre sur les
arrêtés du Directoire exécutif , ni de les réform er .
On ne propose qu e d'interpréter les lois dont on lui
r eproche d'avoir susp endu ou relâché, à plusieurs
éga rds, l'exécution. On veut le mettre à portée de
corrige r ses erreurs. La tOUL'nure e~ t ingénieuse. Il
(1) On sent bien que tou t ceci n'est relatif qu"aux arrêtés
pris en administration , et ne lo uche poin t à l'hypo th èse où le
Directoire prendrait des arrêtés sur les mati ères qui ne lu i
appar tiennent pas. Celle im portan te et diffir ile qu estlon} soumise à j't'xame n d'u ne Comm ission } est élrangèreà la présenle'
discuss ion .
9
�(
~ 50
)
est possible, en elfet , que le Corps I~gisla.~, san ~ réform er particulièrement des actes d admml~ tratIOn ,
mais pour en faire cesser l'abus, ~a rque. d Ull ~ manière plus précise le sens d'une 101 dont Il crol~ que
l'on s'écarte ou en ordonne de plusfortl'exécuuon :
mais je vai~ prouver maintena~t que,' si cela était
nécessaire , il faudrait y pourvOIr en d autres termes
ue ceux qui sont proposés par la Commission ; et
qu e cela n'est point nécessaire, parce. qu e le
Directoire n'a généralement rien fait que de bien sur
l~obj et qui nous occupe.
.
. ,
Le projet de résolution est mOIDs ~n e 101 qu un e
déclaration des principes plus ou mOIDs exacts qu e
la Commission s'est faits ; tout s'y r essent du doute
olt elle était sur notre compétence, etd es entraves olt
la tenait le respect de là Constitution. Les lois peu·
vent-elles êU'e conçues en pareilles terme.s : on a da
délivrer) on n'a pu refuser ; les suspenSIOns ou annulations seraient contraires aux lois) elles ne pourraient avoir eu lieu que p ar une f ausse interprétation elles n'o nt p as pu être autorisées ? Quoiqu'on
ait c~rrigé quelques-unes de ces expressions dans
nouvea u projet , il Y en res te encore assez pour lm
donner la couleur d'un avis arbitral plut.ô t que cell e
de la léo-islation . S'il é tait besoin d'un e loi, vous
la vou cIriez en termes convenables. Voici comm ent
je la concevrais.
J'en écarterais d'abord tout ce qui concerne les
~nsuite
1:
( , 51 )
annulations déjà faites: justes ou injustes, elles sont
intervenues entre les parties réclamantes ; il a été
prononcé sur leurs différends par l'autorité suprème
et déclarée compétente. Nous n'avons pas le pouvoir
de casser ses décisions, et droit est acquis aux parties. Le GOllvernement ( lorsqu'on le défend , il est
plus que jamais convenable de marquer ses erreurs) ,
le Gouverqement n'a pas non plus le droit de rapporter ces sortes J'arrêtés : je n'en excepte que le
cas où il y serait obligé pour l'exécution d'une loi
qui , en développant un principe déjà promulg ué ,
lui ferait connaitre qu'il a violé ce principe : mais
il faudrait que la violation fùt manifeste , et presque indépend ante des circonstances de Laits , dans
l'appréciation desquels la lég'islation ne doit point
entrer , et qui sont du ressort du pouvoir exécutif.
L'im puissance lég'ale olt es t le Directoire de rétracter ses arrêtés, est fond ée sur les motilS sui vans.
Lorsque l'administration juge entre des citoyens ,
elle prononce sur leur sort , sur leur intérêt , sur
une question contentieuse : dans ce cas, ses décisions doivent être aussi irréfragables puur elle, que
le sont pour les tribunaux les jugemens qu'ils ont
r endus. Cela doit être: premièrement , parce que
la décision administrative en matière contentieuse,
étant de même nature que les jugemens, doit avoir
le même elfet ; secondement , parce qu'il twt qu 'il
y ai! un terme aux dill'érends et aux incertitudes,
�(
13~
)
une stabilité pOlir ce qui touche les propriétés.
Si le Directoire pouvait rétracter les arrêtés qu'il
prend entre particuliers, si aujourd'hui c'était. pour
corriger une erreur , ce pourrait être demain pour
rétracter uo acte de justice . La faculté de varier serait uoe so urce abondante d'intrigues et de vexations.
L'administration peUL et doit so uve nt varier dans
les actes de O"o uvernernent et d'administration suc" qu e là Je but n'est pas de prononcer
cessifs, parce
sur des intérêts parti culiers, mais d'arriver au bien
général et public par la meilleure voie; et quand ,
éclairé par l'expérience, on s'aperçoit qu'on a p ris
une fausse route, on doit en changer et revenir sur
ses pas. Mais les contrats et les décisions de l'administration à l'égard des parLiculi ers ne peuvent
ê tre r évoqu és par eIJe. Dans les uns, ell e est li ée
comme le sont les simples citoyens; dans les autres,
comme le sont les tribunaux, qui ne peuvent plus
rctollcher à leurs jugemens.
Il n'y aurait donc de susceptibles d' une loi ~u e
1e6 cassations en ~ore en iostance, et les suspensIOns
qui , par leur nature, sont toutes provisoires, et
attenden t une décision ultérieure. Dès-lors, deux
articles suffiraient pour une loi , si , ce que je ne
pense pas , il en était besoin .
.
.
" L'annul ation des ventes de bIens natlO naux ne
sera désormais prononcée qu'a ut ant que ces ventes
( 133 )
seront trou vées infec tées de tell es et tell es null ités.
.. Toutes Jes s u ~p e nsio n s accordées HI préjud ice
des soumissionn aires soot révoqu ées, à compter de
la publication de la présente résolution, à moins
qu'ell es n'aient été accordées pour tell es ou tell es
causes. ))
~iais
cette loi es t inutile, parce qu e nOliS devons
croire qu e le Directo ire ne casse ou ne suspend qu e
les ventes qu i so nt ail cas d'être cassées ou suspendu es : nous en avons ponr preuve la quan tité de
ventes faites, et l'i ntérêt q u'il a de les f:lÏre. Des
plaintes qu e J'inl érêt privé rend suspectes, sont loin
d'affaibli r ces garans de notre confia nce.
SlIi vons ma in te nant la Commission dans la division qu 'ell e a faite des ca uses ri e sllspension ou
d'annulati on , pour les com battre; et nOlis tl'Ou verons qu'ell e fait au Direc toire des reprocbes lion
mérités, et qu'elle nous propose un e résolution ioutile et injuste.
1 0 • Des ventes de maisons ont été suspendues par
des motifs de convenance ou d' utilité publique. Volre
Commission pr étend qu e ce motif , qu'elle n'oS» p~s
cond am ner ouverlement, est contrai re ~ ·Ia Jonfni
exigea it , a-t-ell e dit , un e loi particu lière pour chaq ue édifice . Ce n'es t poi llt ce q ue je lis J"ans ta loi
du 6 floréal : la Commission a on peN forcé les
termes .
La loi , § 1", pag. 2, fait exception des hois et
•
�( 154 )
( 155 )
forêts au dessus de trois cents arpens , et des maisons et édifices destinés pal' la loi à un service public: or, beaucoup de destinations générales avaient
été faites; celles des presbytères pour les écoles primaires, celles de certaines églises appartenantes à
des commnnes pour les convertir en hospices de
charité, ou autres édifices publics.
Une loi du 16 vendémiaire dernier vent que l'on
rende aux hospices civils, des biens nationaux en
échange de ceux qui leur appartenaient et qui ont
été vendus. Comment sera exécutée cette loi, si les
administrations et le Directoire sont forcés de tout
vend re et de ne rien réserver?
Cette loi , postérieure au 6 floréal, a donc reconnu ou supposé que, lorsque la loi du 6 floréal
avait employé ces mots, destinés pal' la loi au service public) elle n'avait pas pu entendr ~ uniquement
une destination spéciale faite nominativement ou col·
lectivement par une loi expresse) mais toute destination résultante des besoins et des obligations de
la nation. La loi du 16 vendémiaire est inexécutable ,.,si les administrations et le Directoire exécutif
eru Jérnier degré ne peuvent pas suspendre la soumission de tel fonds de terre qui est à la convenance
d'un hospice auquel il faut le donner en remplacement.
De plus, la loi du 6 floréal autorise par ses termes
les administrations. Il y est flit qu'elles jugeront)
lorsqu'il s'élèvera des difficultés, si l'objet soumissionné doit ou non être compris dans les exceptions
de la destination au service public.
A la fin de la page 9 et dans la page 10) l'instruction du 6 floréal continue à prévoir le cas où
l'administration décidera que l'objet soumissionné
n'est pas susceptible d'être aliéné) et celui Où la
décision est réformée pal' l'autorité supérieure.
L'instruction laisse donc aux administrations une
certaine latitude ~ elle leur doone la faculté de rejeter la soumission, et à plus Curte raison de la suspendre. Les administrations doivent user de cette
faculté, non-seulement lorsque l'édifice est nominativement destiné à un servir.e public, ce qui ne
présenterait aucun sujet d'examen; mais encore lorsque, par quelque raison du même genre, devant
être compris dans la même exception, il n'est pas
susceptible d'être sonmissionné.
La loi a pu Caire quelques destinations g'énérales;
m:ais ensuite, c'est dans chaque localité que l'on sait
ce qui convient, ce qui est nécessaire au s~rvice public. Voudrait-on réduire la nation à cet acte de la
plus imprévoyante administration, tle vendre un
édifice qu'elle serait forcée de racheter ou de remplacer à une valenr décuple?
Combien, dans celle grande commune de Paris,
de maisons qui sont occupées par le service public,
sans qu'une loi les y ait expressément consacrées ?
�( 136 )
Trouverait-on bon et utile qu 'un SOUlTI1sslOnnaire
eŒronté, préférant ses spéculations au hien général,
fût en chasser les employés , les serviteurs de l'État ?
C'est une prérogative du public, reconnue de
tous les temps, de forcer le propriétaire à aban'donner, sauf indemnité, sa propriété pour l'utilité
générale: il semble que rOll veut prendre ici le
contre-pied de cette sage règle; c'est \lU particulier
que l'on veut donner le droit d'évincer le public;
de b propriété dont le public a besoin!
On a senti tout ce que ce résultat a d' étrange , et
on a dit qu'il serait d'un grand danger politique
d'examiner si l'idée du Ministre a été bien concue;
•
qu'il faut voir seulement si la loi a été exécutée.
On s'est doublement trompé. Premièrement il ne
faut pas raisonner snr les lois administratives comme ..sur les lois judiciaires. Ces dernières ne permettent
rien à l'arbitraire des tribunaux; elles commandent,
elles forcent leur jugement. Les lois d'administration) au contraire, sont des règles de conduite qu'il
est impossible d'appliquer, sans que l'administrateur n'ait uue certaine lati tude. C'est là que l'esprit
de la loi est qu elquefoi s préférable à la disposition littérale; c'est là que la lettre tue. Le magistrat qui veut mieux juger qu e III loi , est inj uste.
L'administrateur qui) sans con tredire la loi, sans
la trop restreindre ni la trnp étenùre , consu he l'intention qu'elle a eue , et se dirige par elle sans s'ar-
( 13 7 )
rêler juùaïquement à ses term es, cet administrateur
Sans doute il
est un homme intelligent et éclairé.
,
doit administrer selon les lois; mais il doit les manier avec adresse, et n'en pas blesser , par un e obéissance servile, l'intérèt public) qu'elles sont destinées à promou voir et il consolider.
Je développerais davanta ge celle théorie, si je
ne devais rappeler en second lieu qu e la loi même
du 6 Horéall'a suppnsée, lorsqu'ell e a indiqué que
les administrations décideraient si l'obj et est susceptible de soumission. J'ai déjà ril ppelé ce texte.
On n'a donc point agi contre la loi lorsqu'on a
pour le public suspendu des ventes; lorsqu'au lieu
de lui procurer un e som me assez modique par une
aliénation) on lui a épargné une dépense considérable par la conservation d'un édifice nécessaire.
Le Ministre des finances a eu raison de dire: il est
~vai q~e j'ai eu peu d'égard à la spéculation de ce
particulier qui m'accuse. Je ne lui eusse dû qu'accneil s'il eût été fond é dans ses poursuites : mais je
devais à J'État tous mes soins, toute ma vigilance;
j'ai dû lui conserver ce qui lui était nécessaire; j'aurais rouo'i
d'imiter le sauvage qui vend auiourd'hui
b
.
les provisions qu'il sera obligé de racheter demain.
Qu'oppose-t-on à cela ? Une argumentation minutieuse quand elle ne serait pas fausse, fondée sur
ce que) lorsqu e la loi a permis aux adminis~ations
de décider si l'obj et était susceptible de soumiSSIOn,
�-
( 158 )
( 159 )
elle a supposé qu'il n'yen avait d'insusceptibles
que ceux que la loi avait déclarés tels...... Mais
quoi! la loi a-t-elle pu tout prévoir pour des objets et des besoins si multipliés? - Ce n'est point
aux administrations ni au Gouvernement à suppléer
à la prévoyance de la loi.-Je le suppose, quoiqu'en
administration ù soit permis, il soit utile, nécessaire et de devoir, d'appliquer aux cas semblables
la décision des cas prévus. Eh bien! de ce que le
Gouvernement ne nous aura pas demandé d'être autorisé à ne pas délivrer, par exemple, un édifice
propre à devenir, à peu de frais, le siége de l'école
centrale d'un département, en conclurions-nous que
l'on devra délivrer cet édifice à un particulier de
qui il faudra ensuite le racheter à grand prix? Je
ne crois pas que le Conseil avoue cette conséquence.
Quand les administrations départementales ou le'
Ministre auraient, ce que je ne crois pas, manqué
aux formes en ne nous demandant pas une loi pour
chaque objet particulier, et en se <:royant suffisamment autorisés par la disposition de la loi du 6 floréal, et par la nécessité d'exécuter en faveur des
hospices la' loi du 16 vendémiaire dernier, nous
manquf:rions, nous, cruellement au fond) si, pour
cette omission, nous privions l'État de l'avantage
de suspensions utiles , à la suite desquelles on examinera si l'objet dont la vente est en suspens, est
nécessaire ou non au public.
Tout au plus) si nous poussions la jalousie du
pouvoir jusqu'à ne pas souffrir que les administrations fussent juges, sous la surveillance du Gouvernement. du besoin que le service public peut avoir
de certains édifices, pourrions - nous exiger, non
que ces édifices [lissent li vrés sans 'examen à des soumissionnaires , mais que, dans un délai déterminé.
le Directoire exécutif nous fit présenter un tableau
des édifices qui sont jugés nécessaires au public da!ls
l'étendue de la France? Nous les placerions par une
loi dans l'exception que jusqu'à présent les administrations ont cru pouvoir faire; et ainsi nous associerions au bien que le Gouvernement a fait en
couservant ces édifices , la légalité que la Commission, dont je ne partage pas d'ailleurs l'avis, croit
manquer aux arrêtés de suspension.
Cette mesure, nous l'avons même dejà prise par
l'article 4 de la loi du I l fructidor dernier. Il serait
absurde que, pendant son exécution, l'on vendît ce
qui doit être potté dans le tableau des biens que la
nation doit conserver. Nons n'avons donc rien à faire
relativement aux éd ifices dont la vente a été suspendue, si ce n'est de presser le Directoire pour
l'exécution de la loi du 11 fructidor.
Ce que j'établis ici, vous l'avez déjà jugé par la
loi qui ordonne la vente des bâtimens nationaux
payables en inscriptions au grand-livre. La loi excepte Jes bâtioens r éserv6 au service public. On
�( 140 )
( 141 )
,'ous proposa d'ajouter pal' une loi expresse, vous
rejetâtes cet amendement.
La seconde classe de suspension que votre Commission a blâmée, est relative aux bitons particuliers
des Français attacbés à Malte, et y résidant.
Le Directoire a approuvé ces suspensions, parce
que les lois ne lui ont pas paru claires à l'égard de
ces biens: la Commission prétend qu'elles le sont
beaucoup.
Elle s'appuie d'abord sur la loi du 19 décemhre
'792, qui a ordonné la vente des biens de l'ordre
de Malte ; mais elle remarqu e ell e - même que les
biens de l'ordre sont au tre cbose qu e ceux des particuliers.
EUe cite avec plus de confiance la loi du 28 mars
179 3 , qui déclare qu'o" ne pourra opposer comme
excuse ou prétexte d'absen ce) la résù:lence à JIlla lte ,
ou sur tout autre territoire qui, quoique limitrophe
ou allié par des traités et "elations de commerce)
nefait p as partie intégrante de ta France. Cette
loi prouve que l'onlre de Malte est notre "alli é; que
l'on craignit que , sous prétexte de cell e alliance ,
eL des relations si util es qui ex i~tent entre lui ct
nous , bi en des Français, chevali ers ou non, se
crussent , en y résidant , exempts des peines de l'émig ration. On décida qu'il n' était pas plus permis de résider à Malt e qu' à Nice et Monaco) dont
nous n'avions pas encore alors fait la conquète :
mais on "ne prononça point nommément contre les
cheva liers de [vIa lte; ils n'étaient point l'objet de
la loi qui statuait sur tous les pays ne faisant pas
partie intégrante de la Feance. Il est donc possible
que les chevaliers de Malte soient encore dans une
exception, et peut-être allons-nous la trouver.
Les étrangers ne peuvent être émigrés. Ne le sont
pas non plus, aux termes de la loi du 25 brumaire
a" 3, les Français établis ou naturalisés en pays
é trangers antérieurement au premier juillet 1789'
Examinons si les chevaliers de Malte ne peuvent
pas être considérés sous celle double qualité.
Le 30 j ni Il et 1791 : l'Assemhlée constituante décréta que tout Français qui conserverait l'affiliation à uu ordre J e chevalerie, perdrait la qualité
el les droits de citoyen l"ran çais, mais qu'il pourrait être employé au serv ice de France comme tout
au tre étrang·er.
En conséquence, les premières lois sur l' émigration , qui datent du 1cr août 1791, 4 janvier et 9
mai 1792 , ne furellt point exécutées contre les chevaliers de Malte ; au contraire, à mesure que les
biens formant la dotation de leur ordre. eurent été
déclaré nationaux comme ceux qui composaient
la dotation du clergé , la loi du 19septembre 1792
porta que les Français attachés à l'ordre de Malte ,
qui établiraient leur résid ence il IVla lte, seraient
payés de leur traitement par le receveur du district
�( 142 )
de Marseille. Si la nation leur accordait à Malte
~n . tra.ite~ent, elle ne les regardait pas comme
errugres; SI elle leur accordait un traitement à raison des ~énéfice~ dont elle les privait, à plus forte
raison n entendaIt-elle pas se saisir de leurs biens
propres.
Aucune loi n'a confisqué directement les biens
des par~iculiers , membres de l'ordre de Malte; aucune 101 ne les a placb; dans la classe des émigrés,
dont c~lIe du 19 septembre 1792 les exceptait. J'ai
fait VOIr que la loi du 28 mars 1795 , en déclarant
que la résidence à Bouillon , Malte et Mouaco,
n'est pas une excuse d'émigTation , concerne les
França.is en général, et n'atteiut pas ceux qui se
trouvment dans une exception que cette loi n'abroge
pas,.et que la 101 du 25 brumaire a conservée pOUl'
les etrangers, et pour les Français naturalisés en
pays étrangers.
Or les chevaliers de Malte furent déclarés étrangers le 50 juillet 179 1 ; nous .. vans sur cela , nonseulement le texte de la loi de ce jour que j'ai déjà
rapporté, mais les déclarations les plus fortes des
ora teurs qui y conco ururent .
Camus: Qu'ils restent s'iJs veulent dans cet ordre
Ifi~ qu'alors ils sachent qu'ils ne seront plus Fran~
çalS.
Regnaud : Tout homme qui sera mem bre de
l'ordre de Malte , pourra bien conserver ses proprié-
( 145 )
tés en France , parce qu'il n'aura pas perdu ce droit
qui est sacré; mais il aura perdu le droit d'être
membre du souverain , et d'avoir une {onction politique ou publique en France.
Chahroud: Les chevaliers de Malte Francais font
p;lrtié du souverain de !l'laite, et ne peuv~nt plus
être citoyens français.
Il est donc évident qu'après comme avant la loi,
les chevaliers de Malte n' étaient et ne sont pas citoyens fran çais.
L'agrégation à l'ordre de Malte rendant l'agrégé
membre d'un état souverain, et dépendant de son
gouvernement, le naturalise à Malte , le rend
étranger à son pays natal.
Vous pourrez, si vous le voulez, éloigner de
notre sol les chevaliers de Malte , comme les autres
étrangers; mais vous ne pourrez pas plus confisquer leurs biens personnels, que vous ne confisquez ceux des autres étrangers sujets ou membres
d'un État avec lequel vous n'êtes point en guerre.
Ces raisons si puissantes pour déclarer que les
membres de l'ordre de Malte ne sont point émigrés , je vous les présente, non comme des motils
d'une décision définitive, mais avec le Direc toire
exécutir, comme des raisons d'examen , et de suspension de la vente des hiens , non de l'ordre, mais
des particuliers de l'ordre. On ne peut qu e s'étonner que la Commission n'en ait pas été tou chée;
�-
( 144 )
( 11\5 )
une Commission dont Rouzet nous a fait le rapport ,
y a eu plus d'egard
La troisième classe des suspensions et cassations
est motivée sur des droits de propriété ou de copropriété indivise.
La Commission se fonde d'abord sur la loi du
l " floréal an 3; elle assuj éLissait les copropriétaires
par indivis, à produire leurs titres dans trois mois,
jàute de guoi les biens seraient vendus en totalité,
sauf' les droits de copropriétaire dans le prix de la
Mais si par bon heur le bien indivis est encore
dans les mains de la nati on , quand les coproprié.taires viennent l'a,'ertir de leurs droits , où serai t
le motif de consommer à leur égard un e expropriation inj uste , so us prétex te d'u ne déchéance que
la loi n'a pas même prononcée? E ll e a dit qu'après
les trois mois les biens seraient vendus en totalité.
Mais elle n'a pas dit qu e s'i ls n'étaien t pas vendus,
on ne serait plus reçu à justifier de ses droits ; elle
n'a pas dit que pour se procurer le prix: de la portion de l'émigré qui ne peut lui manqu er , elle nuirait à un ci toyen innocent , lui enl everait son patrimoine, et ferait d'un propriétaire utile, un rentier
misérable.
Ces sortes de lois ne sont jama is que comminatoires , jusqu'à ce qu e leurs menaces se soient réalisées. Qu ancl l'in térèt public commande de Jaire
un préjudice à des particnliers) ils sont tou jours
recevables à le pr';venir tant qu'il n'est pas consommé, et que les choses sont encore en leur entier.
La nation veut vend re ses domaines et non ceux des
citoyens ; elle ne veu t pas être gênée par leurs droits'
mais loin de les usurper, ell e veut , autant qu'il es;
en elle, les respecter.
Le soumissionn aire conservera tous les siens sur
la portion qui rev ient il la nation. An li eu de Ini
délivrer la totalité du domaine , on lui délivrera
vente .
Cette loi est si claire , que je suis certain qu'aucune veute n'a été annulée sous prétex te d'indivis ,
à moins qu'elle n'ait été faite avant l'expiration du
délai accordé au copropriétaire ; et dans ce cas, la
loi même autorisait la cassation, car ell e ne permettait la ven te qu'après le délai expiré.
Quant aux ventes non consomm ées) et contre
lesqu elles il y a réclamation de la part de copropriétaires par indivis , il Y avait motif de les suspendre, quoiqu e les copropriétaires n'eussent pas
produi t lenr titre dans les trois mois.
Consultons l'esprit de la loi ; elle n'a pas voulu retard er la vente des biens, ell e a vo ulu connaître
les prétentions anxqu elles ils pouvaient être assujétis, elle a menacé ceux qui ne les feraient pas connaître; et si celle menace est exécu tée, ils ne peuvent que s'accuser eux-mêmes de leur négligence.
,
10
,.
�( .46 )
ce que la nation peut y prétcndl'e (.). Pourquoi
faudrait-il rendre le soumissionnaire, acquéreur de
la totalité, lorsqu'avant le contrat la nation est
avertie qu'elle n'est propriétaire que d'une portion?
Quant aux annulations ou suspensions motivées
sur des droits de propriété en totalité , pour ne point
partager l'avis de votre Commi~sion , il suffit d'avoir entendu le rapport de notre collègue Thibaudeau, sur la pétition de la veuve Rouville. l,a Commission dont il a été l'organe , a pensé tout différemmeut de celle dont nons discutons le projet.
Il me serait impossible de rien ajonter à ce qu'a
dit T;,jbaudeau : je dirai senlement que lorsque
la Constitution a garanti l'adjudication légale des
biens nationaux, en faveur des acquéreurs légitimes, elle a voulu dire que si, tandis qu'un citoyen
était sur la liste des émigrés, son bien a été vendu
légalement, c'est-à-dire, dans les formes prescrites
pa.' la loi, le citoyen rayé depuis de cet.te I~tale liste
ne peut pas déposséder l'acquéreur; il n a de recours que contre la nation qui lui restitue le prix
(,) C'est la wspo.ition de l'artide '9 de la loi du le, juin
179 3 . te Lorsqu'un émigré aliTa des droits indivis avec dei tiers
,> dans des maisons, domaines, etc., lesdits droits seront
» mis en vente tels qu'ils sc compor tent, sans qtt6 t'adjud~
» cataire puisse prétendre autres et plus grands droits que
») l'emigré.)'
( IL'i7 )
qn'elle a reçu. Vacquél'eul' est un acquéreur légitime qui tient de la nation, laquell e avait droit de
lui vendre des biens alors confisqu és ,
Mais celui-là n'es t pas un acquéreur légal , qui a
acquis contre les formes prescrites. Celui-là n'es t
pas un acquéreur légitime, qtl i a acquis du non
propriétAire. TI n' est pas plus permis à la nation,
qu'à un simple particllli er , de vendre rc qui ne lui
appartient pas; elle le doit, c1le le peut moins qn'un
p~rticnli er ; car plus l'intérêt oules passions égarent
l e~ individus, plus on attend de la nation les mesures qui doivent les ramener à la justice, et d'abord l'exemple du respect des principes. Jamais la
nation ne peut balancer entre son intérêt fiscal et
celui de maintenir les droits sacrés de la propriété.
Elle les a garantis à tous les Français , avaot de
g-llrantir les droits particuliers de ses acheteurs;
leur a promis de maintenir leurs acqnisitions légitimes : mais elle n'est pas descendue à celle immol'alite, de regarder comme légitimement vendn le
bien d' un citoyen qui 'ne soit ni condamné, ni pré,'enn d'émigration ; de tol érer que des propriétés
immobilières soient transpor tées, des mains de leurs
maîtres, dans d es mains étrang'ères, comme par une
sorte de magie opérée par ces deux mots, bien
national.
Si des administratenrs imbécill es on (J'ipons , j'en
co nnais des exemples, ont vendu les biens d'un
�( 148 )
père de famill e, .'olTIme s'i ls eussent appartenu à
son fils, révolutionnairement co ndamné , eL qui
n'en avait jamais eu la p1'opriété, la nation s'indignerait qu'un lui pruposât de gara ntir à <.les acheteurs de si mauvaise foi , des acquisitio ns dont il
J:tudrait les pnnir (1). La nation ga rantit l' exécution des lois, elle ne cunsacre ni la {'ra\lde ni l'nsurpation,
(1) Entre mille fails , il, se rü util e d'en citer deux . Un fi1s
de famill e , no n lD,u'ié est I~vo l ll i ionna j rement ro ntl amn é à
J
Marseille; il n'avait point de biens; 011 vClld CeuX Je son
père qui avait été résider à Lyo n ; et ce père, déjâ trop
malheureux d'avoir p(:o rdu ~on fi ls 1 l'evendique in utilement ,
depuis plus .te deux ans, deux maisons rt un bien-fonds 9ue
]'uulorite judiciaire du tribunal, et ensuite l'..lUtorité aJminis..
lralÎve du dt-partemenl, ont déclaré devoir lui être rendus.
2° . D es negocians de Lyon possédaient il Gra ll e, dan s le
deparlc;nrnt de la Drôme r un ~ vaste rubri.que à so ie: clk fut
mise en .sêques tr e r.ornme les effcls ap l)a .-tenant aux Lyonllu i.;
ce séquestre operait nantis~{'men t , et li o n co nfi sca ti on_ Cependant, le mobilier et
1 00,000
francs de soie, \ alcur nUlD é~
nire, qui y étaient , furent vendus , nonobstant la rér.loma ti on
des propriétaires; la ven te de la fttbr iq uc même ne larda pa~
à suivre: et quoiqu'un arrêté de l'ad lllinistration du département réél u, confir mé par une decision molivee du Mini stre des
fin,m ccs, et un jugement du tribunal civil de Valence aient
recon nu la null ité de la ven te , uu arrêt'; contra ire du dépar-
tement de rempla cement, soumis de nouveau au Minis tre ùes
finances!, suspend encore leur réin tégration .
( 1/\9 )
Ell e l'avait déclaré dans la loi du 3 jnin 1795;
l'ar ticl e 26 es t ainsi conçu: il y aura lieu ft résiliation lor.qu'on aura cO ll/pris dans une 1Jente I/n bien
ou une portion de bien quelcollque J non susceptible
d' titre ?Jendu. Je ne coo nûs aocun e loi qui ait ré"oqIJé cette disposition: en Lout CilS, le prin cipe en
est in eJI'il ça bl e, je le troll ver" i, toujours dilns votre
justice _ Loin de blà .ller le Direc toire, féli citons- le
de ce qu'il ne l'" piiS non plus o ublié .
• Des questions de propri été, a dit le R"ppor" teur , qui. dans le caS même ol. il eùt été per,"is
" de les agiter, étaient si importan tes, si diffi cil es ,
" et eussent exigé un e discussion l'"bliqlle el con» IradiClnire J des ageos subaltern es d'exécution
" s'en sont prétendu s les jnges clans le secret des
" burea ux. » Ce reproche, que je ne relève pas
sa ns intention , n'est pas même (ondé_ Vous avez
vO lllu ôter aux tribunaux la co nnaissa nce de ces
qu es tion de propriété entre particuliers, quoiqu'elles
dussent , ce me se m hi e , leu.' appartenir ; ,'o ns les
avez renvoyées aux administrati ons : '1\1 'on ne s'éto nn e don ~ pas qu'ell es soient décid ées en administrali on ; le pire serait qu e personne ne rendit justice. Sans dOllte vous n'avez pas entendu qu e les
adm inistrations et le Go uvernement dussent préferer un :.cqu éreul' avide et injust e, à un propriétaire an cien et sans reproche , une l'ente vi ciée
par la nég'li g'ence ou par la com pl icité, aux lois de
�(
150 )
tous les temps, qui réintègrent les possesseurs dépouillés sans titre 011 saus formalités.
Dans son nouveau projet, la Commission semble
être reœnue) par J'article 2, à une disposition plus
conforme aux principes que je viens d'établir.
Quatrièmement, les allnulations ou suspensions
pour vices de forme sont au torisées par les mêmes
motifs que je viens de déduire.
Pour qu'une acquisition soit lég itime, il fautqne
celui de qui on la tieut ait titre; pour qu'elle soit
légale, il faut qu'ou y ait observé les lois qui ell
r èglent le mode. Tout ce que nous avons décrété
r econnait ce principe. La loi du 17 prairial dernier rade des soumissions vaLabLement faites; ell e
ne suppose d'erIet qu'à ce ll es-là. On pent donc suspendre cell es qui sont accusées d'invalidité.
On reg'arde ici la réclamati')l1 des formalités établies par les lois comme une ch icane dont se seryent les propriétaires, Je ne conçois pas pourquoi
on préfère à des propriétaires qui ont pour eux les
moyens de la loi , des acqu éreurs dont ell e désavoue le titre, Mais sans établir des comparaisons
entre ces deux classes, élevons - nous aux considétions d'ordre et de justice.
Les form alités des ventes ont été établies d'abo rd pour l'inlél'(~t de la nation , afin de J'assurer
qu'ell e aurait le pr·ix qn e dans les circonstances
c1le pouvait espérer. 'foul e, les fois qu e ces lorma-
( 15. )
lités ont été omises ou violées , il est présumable de
droit qu' elle a été lésée, Elle reviendrait donc de
la ven te , si elle y avait illtérêt ; et parce qu'elle n'en
a plus, parce que le prix ou plutôt le poids de la
vente concerne un propriétaire, la nation ne permettra 'pas que la loi qui lui profiterait serve à ce
propriét.aire 1 Ainsi, la loi n'est donc pIns égale
pour tous. Les procureurs généraux syndics) les
ag'ens nationaux, à présent les commissaires du
pouvoir exécutif, poursuivraient, à peine de nég'lig'ence et de responsabilité , la cassation d'un e
,'ente lésive, à la su ite de laquelle on pourrait, pal'
une nouvelle vente, retirer un profit pour la nation; et parce que la cassa tion ne lui profitera pas ,
la loi qui eùt servi pour le fise, sera inutile à l'intérêt privé d'un citoyen! Cela ne saurait être ; les
lois existent pour tous; ell es n'ordonnent point en
vain: et comme chacun peut profitee de leur observation , chacun peut se prévaloir des droits qui
naissent ,le leur infraction.
Mais, dit votre Comm ission, les formalités de la
vente ne sont pas l'affaire des acquéreurs; elles conceruent les administrateurs. Les principes du dro.it
sont donc bien changés! Ils étaient, et ie me plais
à croire qu'ils sont encore , que, qu;mcl \loe loi
prescrit à tel acte t elle forme , il est nul si cette
forme n'est pas remplie.
ia nullité est commune nou -seulement all X par-
�( 152 )
lies qui y ont contracté, mais aux tiers qui ont intérêt de la réclamer.
C'est le tutenr et le juge qui sont chargés des
formalités de la vente d'un bien de mineur. Mais si
elles n'ont pas été observées, l'acqu éreur est dépossédé ; il doit s'imputer de n'avoir pas veillé à ce
que l' acte fût en règle.
Ce qui est nul ne peut point produire d'efIet en
fav eur de la partie même in~ocente.
L'acte nul étant comme s'il n'existait pas, les
cboses doivent être r emises dans le même état Oll
elles étaient auparavant. Voilà pourquoi l'acquéreur
est dépouill é, pourquoi l'ancien propriétaire est réinvesti . Aucune loi n'a dérogé à ces principes ; et certainement l'intérêt du Ii~c est moins qu'un autre un
mol if d'y déroger. Nous devo ns rég,l er nos linances
sur les principes de la justice, et non pas accommoder les principes de la tustice sur l'état de nos
finances .
Au reste J qu'on ne pense pas que les arrêtés du
Directoire aient cassé ou suspendu beau coup de
ventes par défaut de forme. S'il y a un reproche à lui
faire, c'es t de n'être touché de presqu'aucun vice
dans ce genre, quelque relevant qu'il soit. Il faut
donc encore, sur cet articl e, laisser le Directoire
exéc utif gouverner et admin is trer.
Je parviens à la dernière classe des suspensions J
celles qui sont relatives au x biens des princes étran-
( 155 )
gers possession nés en France. Que ces biens soient
séquestrés J si ces princes sont en guerre avec nous ,
rien n'est plus juste; mais que ces biens soient
vendus, je m'étonne qu'on blâme le Directoire de
s'y refuser, et d' écarter cet obstacle il d~s nég'ociations bien autrement avantage uses à l'Etat et à
nos finan ces même, que le produit de quelques
ventes.
On oppose une loi du 5 juin 1795, qui oçdonne
la vente de ces biens. Ne voit-on pas que si , depuis
quatre ans de dale qu' a celte' loi, elle n'a point
r eçu d'exécution , c'est qu'elle est contre ces princes
une de ces mesures hosti les dont on menace ses ennemis , mais qu 'il n' es t pas toujours de l'intérêt politique d'exécuter ?
Ne voit-on pas qu e la plupart de ces princes ayant
fait la paix avec nous , ou étant à la veille de la
faire , les motifs ne sont plus les mêmes , et que la
disposition citée n' est qu' une loi de circonstance
que le temps a inlirmée ?
Combien ne serait pas imprudent et blâmable le
Directoire, si , pour "eLirer 2 millions plus ou moins
de ces possessions dans le département du llasRhin, il exposait l'Etat à rembourser 4 millions
aux princes propriétaires, ou à retarder les, traités
particuliers qu'il peut faire avec eux?
Votre Commission l'a bien senti; elle se retranche à dire que si ùes raisons politiques exigeaient
�( 154 )
une suspension J ce 0' était point au DirectoÎl'e à la
prononcer, il devait s'adresser au Corps législatif.
J'ai déjà établi dans ce discours, trop long sans
doute, mais dont la longneur est lorcée par celle
même du rapport que je combats; j'ai établi que
les lois d'administration sont dans les mains du Guuvernement des moyens qn'il ne doit pas détruire
ou contrarier, mais dont il peut et doit, selou les
circonstances, différer ou modérer l'emploi, l'bis
quand même on ne conviendrait pas avec moi de ce
principe, de ce que le Directoire aurait omis de recourir au Corps législatil', omission sage, parce que,
dès que sa conduite avait un molif politique J il fallait du secret, s'ensuivrait-il que nous devions ordonner la vente de biens que nous trouverions utile
de ne pas vendre, si l'on nous en demandait la dispense ? Pousserions - nous par humeur une aliénation qu'avec calme et sagesse 1I0US suspendrions?
Nous en sommes certainement incapables. Que nous
blâmions ou que nous tolérions le silence que le
Directoire a gardé, la suspension étant bonne en soi,
nous ne la ferons pas cesser.
Dans la nouvelle édition de son projet, la Commission s'est occupée d'une autre classe de suspension qui lui était échappée, et que qnelque intéressé
aura rappelée à son souve nir. Il s'agit des domaines
engagés.
La Commission prétend que ces domaines ayant
( ,55 )
été réunis par la loi du 10 fi'imaire an 2, pour être
administrés J régis et ,'endus comme les autres domaines natiouaux, il n'y a pas de motif d'en retarder les soumissions. Elle aurait raison , si la loi du
22 frimaire an 5 n'avait pas suspendu l'exécution de
celle du 10 l'rimaire.
La Commission ditque l'objet de la loi du 22 frimaire ne filt pas d'abroger ceIJedu 10: celase peut;
mais enfin elle la suspendit en entier. Cela est si
vrai, que les engagistes qui n'avaient pas été dépouillés dans l'i ntervall e du 10 frimaire an 2, au 22
frimaire an 5, jouissen t encore de leu rs eogagemeos.
Or J comment recevoir et lerminer des soumissions
sur des biens qui non-seulement ne sont pas séquestrés et régis par la nation, mais qui sont dans les
mains de particuliers qui 'en ont, en force de la loi,
la jouissanœ, qui ne doivent la perdre que sous nu
mode qui n'est pas décrété ?
Ces biens sont nationaux J dit-oR; oui, puisqu' ils
sont domaniaux: mais jusqu'à ce que vous ayez décrété de qnelle manière vous dépouillerez et vous
illdernniserez les engagistes, vous ne sauriez justement confondre leurs possessions avec les biens nationaux que les lois des 28 ventose el 6 floréal an 4
ont eus en vue. Ces lois ont aJfecté au;-.: mandaIs,
ont exposé aux soumissions lous les domaines "alionaux; mais le mol/ous, quelque g'énéral qu'il
�,
( 15G )
soit , n ~ s'entenn cepend ant pas d e ce q lli n'est pas
suscephhle d'y être compris. T ous les domaines lIationaux) cela veut d ire tOIlS les domaines dont la
nation a l'actu elle dis position , qu'elle n'a pas exc~ptés pal' des lois) ou qui ne le sont pas par des
Circonstan ces ayant force de lui 011 de nécessité. P r,
~er~a in e m e nt des biens dont les an ciens possesse llrs
JouISsent encore, en vertu de la loi du 2 2 frimaire
an 3 ; des biens sur lesquels üs ont à prendre des
jouissances, des améliora tions, des sommes capitales; des biens à l'égard desqu els on n'a pas encore
prononcé quel serait le mode de dépossession ; J es
biens sur lesquels on a p rononcé un tout en état ,
le statu quo , ne son t pas sOllmissionn ables .
. Une Comm ission particu lière est nomm ée ) relatlvement à cette nature de biens; il (aut donc les
faire sortir du travail de cell e - ci , qui d'a ill eurs se
décide) comm e vous voyez, par des motifs peu justes; pilr ce principe qu'il fallt tout sacrifier aux so umission n;lÏres , tandis q u'au vra i , il ne HlUt pas q u'ils
so ien t privilégiés par dessus les autres citoyens. La
loi doit être éga le pOli r tous. A utant les soumissions
justes et léga les doiven t être en tretenues et activées,
autan t sont peu intéressa ntes ce lles qui , en contrari ant les principes de l'équ ité, de la justi ce, de la
propriété . co ntrari en t l'intérêt ma jeur de l'Éta t ,
lequel est bien moins de vendre quelques arpens de
( 15 7 )
terre de plus; qu e de maintenir , nonobstant tout e
considération fisca le) l'intégralité des droits d e propriété .
La Commission n'a l'ien dit des suspensions qui
ont dû être ordonnées pour la vente des biens qui ,
n'étant qu e séqu estrés , ne sont point confisqu és, et
qu e la nation li'a sous la main qu'à Litre de dépôt.
De ce geure sont les biens des déportés, ceux des
coutulllltces , ceux des Fra ncais sortis du territoire
•
a l ant le 14 juillet 1789 . 0 1') quoiqu e les f;tiseurs de
listes les aient grossies des noms de presqu e tous les
individus qui for ment ces trois classes) les lois ne
les réputent point émigrés; et comme la Constituti on nous défend d'introd uire de nouvell es exceptions en faveur des émigrés) elle nous défend d'être
plus sévères qu'elle, et d e détruire des exceptions
laites par des lois qu'on n'accuse pas de trop d'indulgence.
Or, les Français absens avant 1 78 ~ pourront rentrer à la paix générale. Ainsi le déclare la loi du 25
brumaire an 3.
Les déportés et les contumaces ne peuvent pas non
p lus être réputés émiO'rés
. Les uns ont obéi à la loi ,
o
les autres se sont dérobés à un€ accusa tion. A l'égard des prem iers, vous avez déclaré qu'il n'y a
point de confisca tion ; à l'égard des seconds, elle
ne pourrait avuir lieu qu'autant qu'elle sera portée
par une cond amnation.
�( 158 )
( 15 9 )
On ne peut donc pas vendre les bi cns de ces trois
classes de citoyens : et croyez que , pa l'mi les suspensions , il Y en a ' beaucoup qui les concernent.
Combien de spéculateurs se sont jetés sur les biens
des absens, sans discerner l'immense fonds que la
naLion leur offre , d'avec- ce qui n'en fait pas partie!
n ~ bien fallu pourtant, pour être juste , que , tandis que la nation vend ce qui lui appartient, elle
conservât intact ce qu'ell e n'a que comme séquestre
et dépositaire. Le Conseil n'entend pas sans doute
faire cesser les suspensions qui ont ces motifs. Eh
bien! croyez qu'ell es contribuen t en g rand e partie
aux pl aintes dont vous assa ill e l'intérêt particulier,
masqué sous le voile de l'intérêt général.
Le Directoire a dû accorder ou maintenir ces
suspensions, qu e votre Commission ne paraît pas 011
ne pourrait pas condamner. Je crois avoir prouvé
qu'il a pu aussi llccorder les autres; qu'il n'y a rien
d~s les bases du proj et qui ne reçoive une r éponse
qm me semble satisfaisante; qu'llU cune loi n'est à
Caire; que, s'il en fal\"it une, ell e d e,'rait être conçue en termes dilfércns , plus analogues à la nature
des lois , et composée de dispositions plus justes.
Mais les lois sur la vente des biens nationallx étant
généralemen t exécutées) nous n'avons point à nOlIS
occuper des réclama tions particulières.
La plupart sont mal fond ées: vous l'avez vu d'après la discussion des diverses classes sous lesqu elles
la Commission les a rangées. T outes nous sont étrangères; ce sont des détails d '.,dminislration dans lesquels nous ne pouvons enlrer sans dépasser nos limites et confondre les pouvoirs.
Nous n'avons point à r éformer les arrêtés du Di.
rectoire; on en convient.
Nous n'avons rien à interpréter: les fois sur l'aliénation des biens nationaux sont claires; elles sont
généralement exécutées, Quand elles éprouveraient
en détail quelqu es infractions, ce serait un incon,'éni ent inséparable de toule grande société et d'une
mu ltitude innombrabl e de cas. Le remède en serait
pire que le mal, parce que , sous le prétexte d'interprétation, il nous mènerait à reviser les actes du
Gouvernement, ou à lui imposer une gêne et des
entrm'es qui , sous la couleur d' un e exécution plus
stricte de la loi, entralneraient mille fois plus d'injustices qu'on n'en veut corriger.
L'intérêt privé lend ici un piége au zèle de la
Commission pour le hien public; cent acquéreurs
in\ustes viennent exciter sa sollicitude et la nôtre,
Ils aiment mieux obtenir une loi qui , par sa généralité, couvrira les abus qu'ils redoutent de voir dévoiler, que de poursuivre auprès des administrations et du Directoire la confirmation de leurs soumissions, qui ne leur sera pas refusée si elles sont
justes .
Les ventes sont paralysées, disent-ils , le crt;dit
�(
160 )
national dans celte partie est perdu , c'est -ù - dire
que leurs spéc ulations ne tournent p~s à leur g ré_
l\fai~ que sont-elles d an~ celte immensité d'actes de
même na.ture ? Est-ce par ceux qui ne s'occupent que
de ce lJUi les toucbe, que vous pouvez savoir quel
est rét,1t des soumissions et des ventes? Le Gouvernement seul peut en connaltre l'ensemble et vous en
instruire, et le Gouvernement en est satisfait, et il
vous en a rendu un com pte ava ntage ux .
On l'accuse ; mais devez-vous croire facilement à
des plaintes dictées par l'intér êt particulier , et démenties officiellement par les faits, et par l'autorité
qui en a sous les yeux le tableau général ?
Cent acqu éreurs , mille, si l'on ,'eut , attendent le
succès du projet qui vous est présenté) pour se mettre en possession des biens qu'ils convoitent, nonobstant le besoin qu 'en ~ le public: nonobstant/es
droits de eitoyens ql,i ne so nt point réputés émigrés;
nonobstant les droits sacr és de propriétaires non accusés; nonobst,1nt les nullité., qui vicient leurs soumissions ou leurs ac tes; nonobstant les conseils etles
raisons de la politique. Mais voyez de cel autre côté
deux cen t mille acquéreurs plus légitimes, appuyant
aussi de leu r intérêt les intérêts du public et la voix
de la justice.
Ils vous prient de ne pas ébranler leurs titres et
leurs possessions en les conrondant avec des acquéreurs illégitimes. Ils vous conjurent de rarrermir et
(
16\
)
de consacrer la garan tie que la Constitu tion leur
promet, en ne la prostituant pas à tout venan!·.
Couvrir toutes les soumissions de la même protection sans discernement, c'est les avilir toutes, Laisso ns donc juger cell es contre lesrjl,ell es il y a des
r éclamations, et songeons qu e la c~ssation de quelques-unes devient l a confirmation et la g'aralltie de
toutes les autres .
La mauvaise foi et la cu pid ité en rrémiront , mais
la bonn e foi sera rassurée. Les lois seron t ex';cutées salis un e interpréta ti on officieuse qui contrar ier:'it le bien généra l et le Gouvernemen t , loin de
les servir. Le créd it national se raffermit et se ci ,
mente bien mieux par la justice distributive, que
par ces opérations en masse sous lesquelles se cachent les vices et les abus.
Je demande l'ordre du jour sur le projet, sauf
d'en conserver les articles 21 et 22, où l'on règle
l'indemnité à payer aux propriétaires obligés de respecter les ventes ou soumissions qui ont été. r~tes
de leurs biens, ou aux acquéreurs et sourrusslOnnaires évincés . Les dispositions de ces deux articles
son t sages, et elles son t nécessaires, car on n'il point
encore de règle à cet égard.
11
�(
1
Gz )
OPINION
Sur les Sociétés pal'ticuliè,.es, s'occupant de questions politiques, pl'ononcée ml Conseil des CinqCents, le G thermidor an 5 (z5 juillet ' 797. )
JE ne viens point vous présen ter de hideux ta·
b1ea ux, et ,lécriel' les clubs par leurs abus. Quoique
l'eXpérience que no us en avons, ne soit point un
argument a négliger , il me suffit de vo us rappeler
qu'ils effrayèrent les rondateurs mêmes de la République qu i s'en étaient si puissamment aidés; et qu'il
n'est pas ici un des membres q ui les dérende~ t J qui
n'ai t eu la gloire de les fermer.
La q uestion est de savoir si vous leur per mettrez
de se rouvrir; si , tandis qu'il n'en existe aucun lég,ùement, si, tandis q ue les sociétés, se disa nt
populaires , son t à jamais proh ibées, vous leur permeUrez de se relever sous uu autre nom , mais nécessairement avec les mêmes effets ?
La Commission parait adop ter , dans son nouveau
rapport , cette idée déjà pr(')clamée par quel ques
ora teurs , q ue les clubs en g-énéral ont une existence constitutionnelle; q u'il est permis de la régler,
mais non de la suspen dre, et qu'il apparlient aux
( 165 )
autorités ad ministra lives d'interdire tel ou tel club
comme contraire au droit public. J'établirai , au
con traire:
Que les clubs n'ont rien de co nstitutionnel ;
Que, comme on convient que c'est au Corps lég islatif à les régler en général , à lui se u,l il apparti ent aussi de les prohiber à touj ours , ou à temps;
Et qu'il n'y a que ce moye n de nous assurer la
tranquillité intérieure.
Le mot conslitutio"nel peut être pris sous deux
acceptions.
Ce qui est essen liel à l'orga nisation de la Hépublique, ou ce qui a été régle et déterminé comme
tel, est constitutionnel.
Cela l'est aussi qui, indépendamm entde ce qu'on
a ppelle la Constitution de l' É tat, existait avant
elle , par les tlroits de l'homme, par la liberté
individuelle J base essentielle de la Constitution
francaise.
,
Les clubs ne sont certainement pas dans la première classe . Leut existence n'a pas été jugée nécessaire, ils n e sont pas des corps constitués.
Ils ne peuvent pas même être placés dans la seconde classe; car ils ne sont point un de ces actes
nécessaires à la liberté, et sans lequel elle ne serait
qu' un vain nom: leur formation est seulement un
acte indifférent et volontaire J a uquel ou peut se
porter , par suite de la liberté, qui jouit de toute
�( 164 )
la latitude qu'on ne lui a pas ù!ée, et par ce principe que tout ce qui n'es t pas défendu est permis.
J'aperçois, en eIFet, dans la Consti !u!.iondeuxsorles de dispositions. Les un es expriment, établi"sent
et garantissent les droits essentiels de l'homme) dc
la liberté et d11 citoyen ; les au tres prévoient seu lement l'exercice possible de certains droits moins essentiels, permis) parce qu'ils ne sont pas prohibés,
les soumettent à de certaines règles, en interdisent
ou en modèrent l'usage. Ainsi je trouve, dans l'article 353 de la Consti tuti on, la garant ie form ell e
de dire, écrire , imprim er et publier sa pensée. Ce
Il'est, eu eIFet , que dans les pays esclaves que la
pensée peut être contenue ; elle est l'essence et la
liberté de l'àme. Je ue vois , au contraire , sur les
associations des citoyeus , d'abord dans l'art. 360 ,
qu'une prDhibition générale de toute corporation
ou association contraire à l'ordre public ; et ensuit e,
quant aux sociétés particulières qui n'auraien t p<lS
ce vice essentiel , pour qu'ell es ne l'acquièrent pas ,
la Constitution leu r défend de se qualilier sociétés
populaires, de correspondre entr'elles, de s'affilier) etc.
n suit .de cette analyse qu e la faculté de se réunir
en sociétés particuli ères n'est essen tiell e ni à la
Constitution , ni à ces premiers actes de la liberté
que rien ne saurait con traindre; c'est une de ces
facultés dont on peut user ou ne pas user ainsi qu'on
( 165 )
le ve ut , ou que l'ordre public le perUl et on le défend; c'est une Cacnlté sem blable à celle d'all er et
de venir. Elle peut être suspendue , limitée, ou
astreinte à des règles, selon que l'exige la liberté
publique, qui se cO lupose so uvent des sacrilices
pris sur la liberté individu elle.
Les clubs n'étant don c men lionn és dans la Constitution, ni comme nécessaires, ni comme un droit
inaltérable; ne s'y trouvan t que comme un lutur
contingent qu'illau t prévoir pour régler ses effets ,
il est évident que les astreindre à plus ou moius de
suj étions; que les interdire même absolument , ce
n'est point attenter il la Constitution , ni à Lln des
ac tes essentiels de la li berté. Si l'on prohibait à
temps les sociétés particulières s'occupant de queslions politiques , on r entrerait dans l'article 360 ,
qui défend tOLlte association contl'aire il l'ordre public. On jug'erait que dans ce momen t ces associations peuvent lui nuire ; on rerait une loide circonstance; et que ce Dtot n'elI'raye pas : tonte loi de
police est essentiellement une loi de circonstance;
elle est le remède ou le pré,erv atil' d'un mal que
l'on découvre on que l'on prévoit. Les lois de circonstance sont aussi inévitables que les évènemens
qui les réclament; elles ne sont injus tes. et même
criminelles que lorsqu'elles immelent à des circonstances qu'ou exagère , des principes éternels de
justice on d' humanité . La Co nstitution li prévu, dan s
�( J66 )
plusieurs articles , les lois extraordinaires que les
circnnstances autorisent.
Prohiber des assemb lées innocentes d'abord >
mais qui peuvent facilement devenir dangereuses >
ce n'est pas être plus injuste et plus inconstitutionnel que de prévenir des attroupemens qui> commençant à être de plaisir ou de simple curiosilé ,
peuvent se terminer par la sédition . Il n'est pas plus
IDjUste et plus inconstitutionnel d'interdire des assemblées politiques, que de déCendre de sorlir de
la République. Si les citoyens doivent à la paIrie
le sacrifice du droit naturel à l'homme d'aller habi.
ter ~ù il lui plaît , pourquoi ne pourrait·on pas
leu~ llllposer le sacrifice du droi t moins nalurel, plus
soclal, et par conséquent plus dépendant de la loi
civile , de s'assembler pour s'occuper de matières
politiques? .
Ici j'entends une objection. Le Conseil a refusé
de limiter la libérté de la presse ) pourquoi gênerait-il les citoyens dans la fa cu !té de se rapprocher,
de se communiquer leurs pensées ) de s'éclairer
mutuellement sur les qu estions qui les intéressent ?
Les réponses se présentent en foule.
Premièrement , la pensée conslitu e l'essence de
l'homme ; par ell e il a la conscience de son existence ~ndi ~idueUe; par la communication qu'il en
faIt, 11 eXISte en société : penser c'est donc vivre'
et manifester sa pensée c'est 115er , à l'ég'ard de se~
( , 67 )
semblables , d' un droit nalurel et réciproqu e qui ne
saurait soulfrir de limile , et dont l'abus seul peut
être prohibé et puni.
." .
A ce droit on ne peut comparer cel Ui de~ sO,c,~~es
particulières, nécessairement subordonnees a 1mtérêt de la société gén érale.
Mon assertion est appuyée par la plus respect.able
des preuves, par la Constitution. Tan~is qu' el1 ~ clé~
clare expressément que nul ne peut etre empe~b e
de dire , écrire, imprim er et publier sa pensee ,
elle prohibe les associa tions contraires. ~ I:ordre pnblic; ell e pres crit des règles aux sO cl~tes particulières , s'il vient à s'en form er; elle nes lllterdltcer·
.
tainem ent pas , comme à l'égard de la pensee et
.
de la presse, de fe1'J11 er ces sociétés.
En second lieu, la liberté de la presse est. blen
moins dall<Yereuse que les sociélés particuli.ères s'oc·
cupant de ~uestions politiques. 11 en est delavirulence de la presse , com me de ces mau x qm VLClent
le corps humain; on peut les gu érir s'ils font éruplion au dehors ; ils deviennent morlels s'ils fermentent secrètement au dedans. C'es t au délire anarchiq ue de quelqu es papiers publics que nous dp.vo lls
peut-être l'éve il du Gouvernement sur des proi ets
qui eussent été plus red o utables s' ils n'eussent pas
été ma nifestés. La liberté de la prcsse est utile ,
même par ses excès . E ll e dénoncc et signale les
CL'l'curs flu'ell c n'ut propager. cOJum(' ell e dévoil e
�( 168 )
celles qu'elle combat ; elle avertit le mao·istrat de
"
ce qui es t à craind re et à préven ir ; elle appelle
les
écrivains bien intentionnés, sur le point où ils doivent accourir pour défendre la raison et la vérité.
An contraire, la fermentation qui se lorme et se
développe dans un cl uh, peut ne se manifes ter qu'en
éclataut. De là, des hommes r éunis, échaulfés par
l'esprit de parti, entraîn és par lesdisconrs d' un ora.
teur véhément, peuvent sortir pour exécuter de
suite, et sans que l'on soit prévenu , ce qn'i]s ont
délibéré. Tête a tête avec lin écrit , qnelqu e séditieux qu'on le suppose, un indil'idu ne [orme point
de com plots. C'est en société, c'est dans les rassemblemens qu'on les prépare; c·est par les rassemblemens qu'on les exécute.
Pourquoi , me dira-t-on , calomnier les clubs?
Pourquoi supposer qu'après avoir été si utiles à la
révoluLion, ils voudraient 1il renverser? Parce que,
lorsqu'on délibère sur un établissement , il faut en
considérer non-seulemen t les services et les avan
tages, mais aussi les in convéniens; parce qu e nous
sommes avertis, par l' expéri ence, du passé; parce
qu e déjà deux fois, depuis la révolution , il a fallu
recourir à la mesu re q ue l' on vous propose.
L'a rc triom phal de thermidor subsisterait-il encore, et am'ait-il servi de base à la Constitution s'il
n'avait été fortifie des ruines d u telllpl e des Jacobins?
L'année dernière le Panthéon ne fut-il pas fermé pal'
)
( 169 )
le Directoire ? N'a pplaudites-vous pas à sa vigil ance?
Des conjurations s'en étaient échappées; mais, séparées de ce foyer redoutabl e, elles dllrent avorter.
J e ,ais que tous les nouvea ux clubs ne para~sent
pas s'ouvrir sous d' au,si fâcheux auspices; mais les
Jacobins aussi avaient eu des fond ateurs estimables.
C'est le sor t de toutes les sociétés de dégénérer.
D'ailleurs ) à cô té d' un cercl e où l'on n'aurait vé.
ritahlement que l' esprit constitutionn el , et oi! Je
suppose qu'il ne s'altérer:üt jamais , quinous a pro·
mis qu'il ne s'en éleverait pas d'a narchiques, tournant leurs re<Yards et leurs effor ts vers cette préten"
.
du e Constitution de 93, idole de tous ceux qm
n'aiment de la liberté qu e ses abus; qui , prostituant à leurs gr ossières et féroces passions les prin.
cipes les plus sacrés , tyrannisent au nom de l'égalité, 'sPQlient en pro cl am~nt la garantie des prop,'ié·
tés, et tuent en parl ant d' humanité? Qui nous a dit
que d'autres sociétaires non moins redoutables,
quoique sous des dehors moins hideux, qui s'apitoyent sur les maux de la révolution , pour nous
en donner une autre, ne s'occuper<lient pas de relever la Constitution de 91 , que le peuple a également rejetée? Qui nous a promis que ces hommes, en apparence si contraires, ne conspireraient pas en comm un , au moins chacun par leurs
moyens, contre la seule et véritable Constitution ?
U ne fois que vous a urez des cl ubs constitution-
�( 17 0 )
( 17 1 )
nels, vous en aurez nécessairement de Jacobins et
d'anri-constitutionnels_ Toutes les opinions politiques
sont libres comme le sont tou s les cultes _Niles cul tes
ni les opinions ne sont dang'er eux tant qu'ils so nt
individnels. Des hommes, qu and même ils se rassemblent pour prier, n'ontde rapportqu'avecle cid,
auquel ils s'adressent à leur manière. La pratique
de leur religion n'est relative qu 'à leur morale et à
leurs actions privées : mais des hommes qui délibèrent sur des matières politiques, n'ont point un
objet spirituel e'1 vue, ni m ême un but privé ou
particulier . La politique touche à la société, au
public. Est-il possible qu'ils s'en tiennent à de vain es
spéculations, à de simples bypothèses?
Que les catholiques et les prote5tans disputent
sur les dog mes qui les divisent , c'est dans l'empire
de la foi q ue se passent ces combats. Depws que
nous sommes neutres en matière de religion , ils
,sont hors de notre sphère, nous n'en avons rien à
craindre : mais que des hommes rassemblés délibèrent sur la llatu re du Gouvernemen t et sur ses actes,
nécessairemen t ils voudt'Ont tirer quelques fruits de
leurs déli bérations. Ce n'est pas pal' un vain jeu
d'esprit q u'ils s'en occupen t : c'est pour servir leurs
vues, leur ambit.ion , et ce qu'ils noient être leur
bieu, Voyez s'il est raison nahl e de co ul'erainsi, dans
quarante mi ll e foyers, des germes de division et de
g uerre civile ; s'il con vient à uue Constitution nais-
sa nte de s'exposer à de pareils dangers , à de semblables tiraillemens ?
On fermera , dit la Commi ssion , celles de ces
sociétés particulières qui pal'a1tront a ux administrations locales cont.raires à l'ordre public. Mais
c'est moins deux ou trois socié té~ que je crains ,
leur esprit, fut - il détes table, qu e Ce5 milliers de
sociétés qui vont s'élever SUl' tous les points de la
l' rance, et la couvrir de corps délibérans.
J e crains la lutte qui va s'élever entre les autor ités qui inhiberont , et les citoyens qui seront
inhibés.
Je crains la faiblesse de ces administrations réduites par la Constitution actuelle à six membres ,
contre des sociétés de plusieurs cent'llinesd'hommes
délibérant sur des intérêts politiques. Les trois
qu~rts des administrations ne pourront lutter avec
eux .
De la part d'autres qui seront plus hal:die~ ~u
pLus courageuses, je crains l'arbitraire des ad":,~n~s
trateurs qui protégeront ou dissoudrontunesoclcte ,
selon qu'ils en seront membres ou ennemis.
Je crains l'arbitra ire: car , à quels signes certains reconnaîtront-ils q uc teLl e association es t contraire à l'ordre public?
Ce qui menace l'ordre public, ce n'est pas, je le
répète, J'existence de tell e ou de telle société, c'est
cette multitude de l'assemblemens q ui va fournu',
1
�( ' 72
)
dans ch aque commune, un riva l ou un auxiliaire
dangereux à chaque administration.
Vous aurez bea u , pour diminuer leur influence,
leur interdire, avec d e nouvell es précautions., ce
que déjà la Constitution leur dé/end , de correspondre, de s'affilier ; elles t\lud eront tous vos rèo·lemens. La correspondance officiell e et de sociélt\ à
société , n'en exister a pas moins sous le titre de correspondance particulière ; et des d élibt\rations concertées formeront , d' un bout de la France à l'autre ,
une ligue redoutabl e qui ne tardera pas à usurper
l'administration et le Go uvernement , à les dirig·er à
son gré, ou à les r enverser .
L'exécution eles règleme ns dépendra de l'esprit ,
de la facilité, des intentions des adminislrat.Îons.
Les clubs protecteurs , et il y en aura, solliciteront
la destitution des administrateurs favorabl es ou contraires à tel club favorisé ou eun emi.
Ind ~pendamment de ces in convéniens , ne conçoit-on pas le danger de r éunions olt se disc uter ont ,
tous les jours, tout ce qu e Ja n t les corps constitués,
la législature et le Directoire exécutif, lout ce qu e
l'on croira qu'ils peuvent ou doivent faire ·? Là , si
l'on était moins no uvea u à la véritable liber lé , si
l'on était plus éloig né des 1U0uvemens et d e l'e(f'el'vesceuce qui nous ont bouleversés, pounait sa ns
doute s'exercer un e censure, (lu elque/ois ulil e, et
jamais danger euse pour un gouvernement a/I'ermi .
"
( ' 75 )
Ma is à présent , q uand no us sommes encore dans
la crise de notre renaissa nce; qu and tous les partis
en lumulte sont encore en présence, on verra se développer leur esprit dans les sociétés particulières.
On se plaint des journ a ux : ce so nt des soldats isolés, auxquels, par les sociétés particuljères, on va
donner des corps qui les appuyeront. De ces associations, les unes adopteront, ouvertemen t, les principes de tel ou tel papier anarchiqu e; ell es les appuyeront de lellr masse et de leur ,lction ; les.autres
suivront , peut-être moins ouvertement , malS avec
non moins de danger , des insinuations perfides, el
prépareront sourdement le renversement que les
premiers tenteraient peut-être avec VI olence.
Là, les citoyens qui ne peuvent exercer leurs
droits politiques que dans les assemblées primaires,
se dédommageront de ce Lte sage prohibition par
l'i mportance et l'attacheJn ent qu'ils mettl'ont aux résultats de leurs assembl ées; là, ils délibéreront tous
les jours , conformément a~x i~ ées et au.x ~as~ions
de qu elques meneurs. Et s en tlell~ront-lls a d ;nuliles délibérations ? Ne prendront-lis pas blentot le
droit que l'on veut leur laisser.comm e na t~rel , pour
ce tlroit politique dont l'exercIce leur est SI pruclemment interdit hors des assemblées primaires?
Un É tat bien affermi peut supporter ces inconvé niens et ces dangers; ils sont plus éloignés, ils
n'ont ni la même éteoùue ni la même intensité; et
�( 174 )
( 17 5 )
tandis que d'une part ils sont moins violens , le Gouvernement a de l'a utre plus de moyens de les réprimer. Mais y exposerez - vous celui qui sort tout
sang'lant de dessous les coups de diverses factions?
Livrerez - vous son adolescence à de nouveaux pél'ils ?
Comment, il faut le r épéter , ne redouterait-on
pas les mouvemens de deux cen t mille clubistes ré.
pandus SUf la sm{ace de la [<'rance? Croit-on qu'il
ne se glissera pas parmi eux et des émig rés et des
jacobins et des cordeliers, et de tous ces sectaires
diJférens denom) mais tendant tous au même but,
au renversement de la Constituti oll nouvelle ? Une
fois qu'il aurait été décidé que les sociétés particulières s'occupant de questions politiques ne peuvent
être interdites, pense-t-on qu'il ne s'en rormerait
que dans un bon esprit ? Les feuillans et les mon archiens n'auraient-ils pas leurs associations comme
les vrais répnbLcains?
Mais quoi! dans nn État libre) les citoyens seront privés de s'occnper des questions politiques
auxqnelles ils ont un si gr and int érêt! le souverain
sera étranger à ses prop res aJfaires !
C'est précisément ce principe de la souveraineté,
dont l'abus est si facile, et dont la Constitution a
ci rconscrit l'exercice dans les assemblées primaires
à des époqu es marqu ées; 'c'est ce principe, dis-je,
qUi eXIge que , dans le premi er âge de la Constitu-
tion , on ne permette pas aux citoyens de s'occuper
habituellement , en sociélés particulières, de questions poliLiques, Bientôt les sociétaires se regarderaientcommedes sectionn aires; bientôt on les verrait
vou loir dominer les asseu)bl ées primaires lors deleur
te n ue , ou leur Laire la guerre; les suppléer pendant
leur ajon rnement , influencer les autorités constituées, et se créer un pouvoir redoutable,
Les citoyens on t assez de moyens de s'éclairer et
de former leur opin ion sur les qu estiolls politiques
dans la publicité des séa nces du Corps législatir, et
de ce ll es de tous les corps administl'a tirs. La lilierté
de la presse ajoute encore à ces moyens un e immense ressource. P ins cette lilierté es t grande, moins
il est nécessaire d'y joindre cell e des rassemblemens
où l'on commenterait ensembl e ce que chacun peut
discuter en particulier; oi! l'on substitu erait à la
froid e lenteur de la lecture et de la méditation, la
ch aleur de la discussion et le torrent des opinions
ré unies.
J'ai prou vé que les associations s'occupant de
qu es tions politiq ues ne tiennent point à la constitution, Elle ne s'en est point occupée pour les mettre au ran b" des droits essen lÎels, mais uniquement
,
•
comme d'un e facnlté clont il rallait préVOIr et prevenir les abus, qu' il fallait circonscrire dans des
bornes qui ne sont point exclusives de plus gra~des
gênes, ni d' une suppression ou d'une suspenSIOn ,
,
�( 17(; )
( 177 )
~a Constitution Ile s'oppose donc point à ce que les
plus dans votre r essort ? Depuis quand ne pourriezvous pas r estreindre des facultés naturell es doot l'usage peot être dangereux à la société, tandis qu e
tous les jours vous les resIJ'eig.iez p OUl' des ob,ets
bien moins essentiels , pour l'av3utage du fisc ou du
commerce?
Ce que je propose , vous le pouvez don c; j'ajoute
qu e vous le devez: qu el es t l'estimable but de ceux
qui s'y opposent ? oe raviver l'esprit publIc , dont
quelques faits qui les frappent exclusivement leur
lo nt craindre le dépérissement : mais si ce moyen
est insuffisa nt et dange reux, ils l'"balldonneront
CIrconstan ces vous dema nd ent ; la Constitution vous
l~sse toute la latitude q ui appar tient à la légi~la
tlOn , laquelle peut , selon les occurrences, permettre ou défendre tout ce qui n'est pas inhibé, ou
tout ce qui n'est pas expressément donné ou garanti
par la Constitution.
EUe vous a donn é l'exempl e de ce pouvoir, relativement mêml! à des droils essentiels qu'ell e garantlt , ceux de la liberté de la presse, du commerce et de l'industrie. Quelqu'illimités que soient
ces droits par leur nature , vous pourriez les g'êner
selon les circo nstances. EU e a dit , articl e 355 :
T oute loi prohibitive en ce genre) quand les circonstances la rendent nécessaire, est essentiellement provisoire J fond é sur ce texte, je vous propose de prohiber provisoiremen t les sociétés particulières s'occupant d'a1l'aires politiques.
. Vous le pou vez, sans craindre, comme des préopmans vous l'ont dit , d'entreprendre sur le pouvoir
exécutif, administratif ou judiciaire : car il ne s'a!ri t
poiot de juger que tell e ou telle société es t contraire
à l'ordre public; il s'agit d'une mesure général e
dont l' exécution appartiendra sans dout e au Directoire) ou sous sa surveill ance, aux tribunaux mais
qu'il appartient à la loi seule de prendre et' d'ordonner .
Depuis quand les lois de police ne seraient-elles
sa ns doute.
Or, l'ins uffisa nce résulte de ce qu e toutes les sociétés ét" nt permises, nous aurons des disputes polémiques de soci ~té, comm e nous avo ns des disputes polémiqu es de journaux; le Ce ~cl e constitu~
tian ne! publiera des discours, des puolesslO ns de IOL
r épublicaine ; le Cercl e de fer affichera des déclamations co ntre la Constituti on , qu'il appell era aristocratique] de l' ao 3, et des regrels pour la Constitution de 1793: un autre club provoqu era la revision de la Co nstitution , pour nous ramener , dirat-il , à un meilleur ordre. Nous n'a uroos fait qu e
jeter de nouvell es controverses politiqu e~ dans cet
océan d'écrits, au mili eu duquel nage IDcertmne
l'opinion publique.
Le danger résulte de ce que les cluhs sont des
12
�( '7 8 )
liasses fa"iles à s'echauffer; il est üupussible qu'elles
oe se lasseot pas de la force morte du poids del'opioioo) et qu'elles oe prérerent pas bieotôt la force
vive de l'actioo. li/n auteur ne compte que Sur sa
plume; des corps comptent sur leur inil uence morale et physique, et ne tardent pas à exercer leurs
b!'as : on le sait, et on se p!'épa!'e il les prévenir.
Voyez déjà ce qui se passe. On vous a dit qu'à
Auxerre les sociétaires constitutionnels d'aujourd'hui sont les membres du comité révolutionnaire
de '793, et l'on se ('éunit pour les dissiper. Je suppose que ceux qui s'opposent il leur rassemblement
soienf des hommes exagérés dans un autre sens, il
n'en sera pas moins vrai que des citoyens plus modérés pourraient être effrayés de voir les exclusifs
de '793 se rassembler sous un rlom constitutionnel.
Ce n'est ni l'h;tbit, ni la couleur qui peut rassurer
sur les hommes, c'est le caractère: ce qui arrive il
Auxerre) arrive dans plusieurs autres communes,
et peut arriver dans tontes.
Deux cent mille citoyens, victimes des anciens
clubs, craignent de les voir renaître) vous conjurent de ne pas le permettre; poussés au désespoir, ils
peuve,n~ empêche.r le retour des délits passés, par
des del!ts et des Vlolences. A leur tour, les clubiste5,
persuadés qu'on leur dispute un droit dont ils n'ont
cependant,
joui depuis la Constitution, désirant
de reprendre leur ancienne influence) voudront
( '79)
peut-être se mainleni!' par la force: quels germes de
dissensions dans la renaissance de ces clubs, €t quel
augure pour les suite~ et les effets de lellr existence!
Non) dans l'espoir iucertaiu de raviver l'esprit pub lic par des sociétés qui, ne pouvant pas être exc1usives, auraient bien tôt des sociétés rivales, l'OUS
n'exposerez pas la France au danger imminent d'une
guerre d'upinion qui ne tarderait pas à dégénérer
ou en tyrannie ou en guerre çj I,ile.
Vous aimerez mieux que chaquecitoyen s'occupe
isolément, dans ses foyers, de questions politiques,
que de laisser former des rassemblemens don t l'OUS
n'avez [ait jusqu'à present qu'une fâcheuse expel'ience; vous attendrez que nous soyons assez forts
pour digérer cet aliment qui, jusqu'à présent, n'a
produit que fièvre et corruption.
Il en est de celle théorie des clubs comme de la
liberté des noirs: bonne en soi, son usage inconsidéré et précoce alluma des inGendies. Nous ;'l'ons
eu le bonheur d'éteindre, depuis deux ans, le feu
dévastateur des clubs, ayons la sagesse de ne pas le
rallumer.
Ah ! s'il faul raviver l'esprit public, il est des
moyens moins dangereux et non moins énergiques;
ils sont dans l'union des représentaus du peuple, de
laquelle on n'a jamais tant parlé que depuis qu'elle
semble s'éloigner davantage; ils sont dans le sacrifice mutuel de ces défiances qui font regarder comme
�( 180 )
des erreurs coupables et des cUlllplots, des dillërences d'opinion; qui persuadent aux uns qu'abroger des mesures violentes, désormais inutiles ,c'est
rétrograder dans la révolution; aux autl'es, qoe la
circonspection de ceux qui craignent de voir abattre
les étais dont l'édifice de notre liberté n'a plus besoin, décèle un penchant invincible à la terreur :
tandis qu'au vrai nous ue ,·oulons tous que le règne
de la justice, de l'humanité et l'immutabilité de nos
lois fondamentales.
(',e ne sont pas les clubs qui soutiendront l'État,
c'est la Constitution; ce sout de bonues lois, c'est
la paix intér.ieure : les clubs la troubleraient. Depuis deux ans ils étaient fermés, il faut les ajourner
encore à des temps plus calmes. On y véut recourir
comme à un remède; en supposant la nécessité d'un
remède que nous trouverons dans le calme , le repos et l'abstention de toutes les exagérations et de
toutes les calomnies, c'est un remède violent que
la France n'est pas encore en état de supporter.
( 18" )
DISCOURS
Prononcé dans le Comité secret des Cin'l·Cents, à
l'occasion dit renvoi 'lue les tles de France et de
la Réunion (Bourbon ) avaient fait des deux
Commissaires du Gouvernement Burnet et Baco
en l'an 5.
Je suis étranger aux colonies; mais je n'ai pu me
défendre d'un grand interêt à la lectm'e dcs papiers
que les îles de France et de la Réunion 1I0US ont
adressés. Je dois présenter au Conseil le tribut de
mes réflexions.
Deux sentimens m'ont paru partager le Conseil.
U ne partie peu familiarisée avec les résistances, accoutumée à les surmonter, criaitàl'indépendance et
àla révolte. L'autre, bien sûre de la puissancedu Gouvernement, s'occupait moins de venger le pouvoir,
que de l'éclairer; et bien plus de conserver par une
conduite modérée et prudente les deux seules colonies importantps qui nous restent, que de s'abandonner à d'impolitiques rigueurs. Je crois que c'est
à ce dernier sent'Î1neut qu'il faut s'arrêter , qne
J'autre conduir~it à l'injustice e l à <.les pertes irré·
pnrables.
�(
18~
)
Je ne veux pas faire J'apologie de ce que l'on
s'est permis à J'île de France à l'oigard des agens
du Directoil'e. Les présomptiolls sont toujours contre ce qui a la couleur J e J'insubordination ; et
quand J'exportation des a gens du Directoire eût
été nécessaire, c'est une circonstance aggravante
que de l'avoir dirigée vers les Philippines.
Mais dans toutes Jes ülUtes, il faut considérer
J'occasion qui les amène; da ns quelles circonstances
se trouvaient ceux qu'on accuse; quel est le but de
la répression, et qu elle sera l'issue du châtiment.
Les îles de France et de la ltéunion avaient été
impénétrabl es l\UX ourag-,lns de la révolution qui
ont boul eversé tOIlS nos autres domaines de l'an cien
et ùu nouveau Monde. Comme en toucbant leurs
bords heureux , le voyageur accablé de fatig ues et
de maux recouvre hi entôt sa force et sa santé , de
même la liberté que nous y transplantflmes s'y développa avec vigueur, étouffan Iles germes dévastateurs dont nous l'avions inlectée.
Nous n'avious plus de commerce en Europe et
anx Antilles; réfugié dans les iles de France et de
la Réunion, il les enr.ichissait. Les flottes de la métropole étaient incendiées, désarmées nu bl oqu ées
dans nos ports; et les courageux marins d e l'île de
France et de la Réunion soutenaient contre les Înso lens dominateurs des mers l'honn eur du pavillon
national.
(
1~3
)
Ces hommes qui avaient sacrifié nos colonies
d'Occid ent, non à la sagesse d'un prin cipe) mll is
à sa violence et à sa roideur, ne purent ou n'osèrent
envelopper , dans la même subversion, celles d'Orient; soit qu'elles aieut été sauv«ies par leur éloignement, soit que la Prm'idence ail voulu nous
donner une preuve, au mili eu de tant de malheurs,
que l'arbre de la libert«i ne prodl,it des poisons et
la mort que par la raute de ceux qui le cultivent.
Parmi les justes éloges que les colons des îles de
France et de la Réunion méritèrent de la Convendans
tion , le plus écllitant sa ns doute est consterué
o
l'article l33 de la Conslirution : tandis qu'il regarde
les autres ('olonies fr ançaises incapabl es, jusqu'à la
paix, de se donner des fonctionnaires publi cs, il
excepte les îles de F'rance et de la Réunion . Belle
et juste récompense du calme dans lequel elles prosp«iraient.
Peut·être les circonstances heureuses où elles se
trouvaient auraient-elles dû les faire excf'pter aussi
d e l'art. 106 de la Constitution, qui déclare qu e le
Corps l«igislat i rpeut autoriser le. Directoi re à envoyer
d:ms tontes les colonies rrancaises,
su.ù'onl l'exÎ,
gence des cas, un ou plusieurs agens particuliers.
Autant il paraissait nécessaire de donner aux
Antilles des cemmissai res propres à éteindre les
restes de l'in ce ndie qui :lcltevai t de les dévorer,
autant il J'ttait peu d'en nomm er pour des tles dont
�( 184 )
( 185 )
l'Etat ne laissait rieu à Jésirer que sa continuité.
l\lalheureusement cette réflexion ne se présenta pas; et le Directoire fut autorisé à envoyer des
agens dans toutes les colonies.
Je ne veux pas accuser le Directoire; mais c'est
un principe de raison et de politique qu'il semble
avoir bien négligé, qu'ou ne doit pas coniier
des fonctions importantes et de g rands pouvoirs, à
des hnmmes qui ont des vengeances à exercer ou
à prévenir. L'autorité se (;{)mpromet) elle provoque
à la désobéissance, lorsqu'elle méprise assez le peuple, pour revêtir de sa coufiance ceux pour qui le
peuple a de justes motifs de mépris ou de haine.
L'écharpe tricolnre ne convre pas plus les vices que
ne les déguisaient autrefois les robes et les cordo ns.
Il n'y a qne des tyrans qui se fassent un jeu de donner pour magistrats à des ci toyens, leur persécuteurs ou leurs ennemis.
On sent que je ne veux pas parler de Baco. Je
ne le connais pas plus que Jlurnel. Mais tandis que
le premier est parti environné d'une bonne réputaLion, le second allait réveiller à l'île de France les
souvenirs fâcheux qu'il y avait laissés. Tel qu'on le
dépeint, il ne devait être envoyé nulle part, mais
plutôt par-tont aillelll's qu'à l'He de France. Quand
je le vois associé avec Baco, je me demande pal'
quel manichéisme politique le Directoire voulut
unir , dans cette mission, Arimane et Oromase,
Il faudra peut-être aussi demander de quels pouvoirs le Directoire avait revêtu ces agens? La Constitution dit qu'ils exerceront les mêmes fonctions
que lui. Quelqu'étendues qu'elles soient, elles ne
sauraient cependant être tout à fait directo;riales.
Néanmoins, si l'on en juge parce que nous con naissons, de l'arrivée, des premières démarches, des
premiers discours des agens à l'Ile de France, on
croi t suivre plutôt des intendans, des commandans
de l'ancien régime, des vice-l'ois, que des agens
d'un Directoire républicain ayant le pouvoir de surveiller les adm inistra ti ons, cie faire exécuter les
lois, et nullement de les violer, ni même de les
en tourer de ces formes d ures qui répugnent à r ég-alité.
Combien les_sinistres augures qui accompagnaient
le nom de Burnel durent être confirmés, lorsqu'on
le vit, lu'i et son cotlèg'ue, se refusel'. même avant
d'être reconnus et d'avoir exbibé leur commission,
à une loi qui existe dans tous les ports: cell e de ne
communiquer avec personne que la faculté n'en soit
accordée pal' les intendans ou commissaires cie santé.
Cette loi, dictéed 'llbord pour écarter les maladies
contagieuses, est utile aussi à la politique. E lle est
plus nécessaire que jamais en temps de guerre. Dans
les États même oil l'on reconnaît des pri viléges ,
personne n'en est dispensé.
Les discours. les menaces des agens ont ré-
�( 186 )
pondu à ce début. Les républicains , comme les
favoris des Roi$, sont donc susceptibles de l'ivresse
du pouvoir. Et tandis que, souvent, les ordres de
ceux-ci sont amollis par l'habitude d'une senile
urbanité, les alltres révoltent par le ton farouche
qui les accompagne.
Au reste} c'est moins la pOlence dont on accuse
les agens d'avoir menacé ceux qui contrarieraient
leurs ordres, que le péril imminent qui planait sur
la colonie, qu'illiLUt considérer.
On ne peut pas le dissimuler; c'est à l'affrancbissement subit des noirs que sont uues la subversion
de nos colonies occidentales, et ces épouvantables
atrocités dont elles ont été le tbéâtre, qui ont
vengé, sur la race des blancs, les crimes qui siO'nalèrent, il Ya trois siècles, leur arrivée dans le Nouveau-Monde.
Je ne suis point l'ennemi des noirs. C'est parce
que je les aime comme des hommes que j'aurais
vouln qu'en ameliorant leur sort, on les prépad 1,
par .degré, à une liberté utile pour eux. profitable
à l'Etat, et sans danger pour leurs anciens maîtres,
qui, après être devenus leurs patrons, les aUFaient
bientôt appelés au droit de cité et de confraternité.
Quoique la Convention nationale eut décrété sans
ménagement la liberté des nègres, ses comités. instruits par une trop fatale expérience, aVilien>t reconnu qu'il fallait exécuter ce grand changement
( 18 7 )
avec pruuence et sobriété. Le priucipe était bon;
mais il exigeait de l'adresse, de la leu leur, des gradations uans l'applicaLion.
Quand tout ce qui s'était passé aux Antilles, quand
le contraste de l'état florissant des îles de France et
de la Réunion} n'auraient pas suffi pour en avertir
le Directoire; quand il ne se serai! pas cru autorisé
par l'exemple des comités du Gouvernement sous la
Convention, il eût dû consulter le Corps législatif.
Il ne l'a pas fait: nous ignorons quelles instructions
il avait données à ses agens ; mais il est facile de
raisonner dans tous les cas.
Ou, comme j'aime à le croire} il n'avait pas répélé l'arrêt aussi atroce qu'insensé , pùissent les colonies plutôt que d'abandonner un 'principe j ou il
avait poussé à cet excès le fanatisme de la liberté,
Au premier cas, ses agens sont intxcusables de
n'avoir pas autrement r<lssuré les colons que parues
déclarations vagues de sûreté pour les propriétés,
et par des protestations de leurs bonnes intentions
et de leur responsabilité personnelle. Des hommes
sages devaient répondre catég>oriqueruent aux explications qu'on leur uemauu<tit sur les lIoirs.lI ne
s'<lgissait pas de meUre de l'orgueil à se taire, de
s'irriter de ce qu'on était interpellé; il ne fallait pas
agir en despote que le lIoute olfense. De quelque
pouvoir que l'on fût revêtu, on devait se souvenir
que par·tout , ceux qui jJ~deut jJou,>It:urs plOpriétés
�/
( 188 )
( ltlg )
et leurs vies soot quelque chose; que, dans un gou-
quel ils ne sont pas préparés, à peu puès comme si
l'on ouvr~it un parc immense où se trouveraient
contenus des hons irrités de leur servitude, et excités par les nombreux appâts que leur olfI~rait la
carrière clans laquelle ils iraient se lancer! Pour
me servir d'une autre comparaison: livrerait-on sans
précaution une ville à une . soldatesque indisciplinée? Ouvrirait-on à une grande quantité de prisonniers de guerre le lieu où ils seraient retenus, dans
une contrée olt leur nombre serait centuple de celui
des habitans? S'abandonnerait-ou à cette imprudence, sur-tout si l'on était averti, par une expérience fnneste , des maux qui doivent en résulter?
Et si les babitans de ces contrées avaient des moyeus
quelconques de les prévenir, qui oserait les blâmer?
Sans doute nous avons bien fait de supprimer,
dans un gouvernement organisé, la théorie si dangereuse de l'insurrection et de la résistance à l'oppression. !\'lais nous n'aurions pas voulu, nous n'aurions pas pu elIacer ce principe gravé par la nature
dans le cœur de tous les hommes, cet ordre qu'elle
leur intime, cet instinct par lequel elle les pousse à
leur conservation et à celle de leurs femmes et de
leurs enfans.
L'homme, placé entre la nécessité de recevoir ou
de donner la mort, est excusé du meurtre. On
aurait beau nous apporter, au nom de la loi, le
pillage, l'incendie, le viol, l'assassinat; Ilne loi plus
vernement représentatif, ils sont autant que ceux
qui ont droit de les commander, et que si la loi
donne à ceux-ci le droit de se faire obéir, ils doivent éclairer l'obéissance.
Le silence des agens ou leurs réponses va"'ues et
insignifiantes équivalaient à la déclaratio: d'apporter dans la colonie un bienfait danD'ereux dont
l'usage subit, inùiscret et immodéré allait la déchirer. Alors, soit qu'ils aggravassent de leur orgueil
ou de leur imprudence la sévérité de leurs instructi~ns, soit que ces instructions ( ce que je ne saura~ crOIre) ne leur laissassent pas la laculLe de prodlllre, avec ménagement, le chanD'ement qu'ils ve"
b
nalent operer) mettons-nous à la place des colons
et demandons-nous ce que nous eussions fait.
Même sous des monarques absolus, nous n'étions
pas accoutumés à tenclre notre tête aux couteaux et
à b~n~r no~re trépas quand ils l'avaient prononcé.
MalS a present que nous nous sommes ressaisis cie
nos. droits, que la liberté a retrempé nos âmes ,
mOIDS que jamais on doit s'attendre à une obéis!k1nCe servile. Malbeur sans doute à ceux qui se revo.ltent; mais malheur aussi à ceux qui portent des
lOIS ou des ordres qui excitent à la révolte.
Eh quoi! on vienclra, au nom de la loi inoculer
la séditi.nn dans une colonie florissante, al;peler une
populallon nombreuse d'esclaves à un biell/ait au-
�( 190 )
( '9' )
puissante nous crierait: " Écartez et cette loi ctlleUe
et SèS promoteurs. Entre la nécessité de périr par
eUe ou d'être accusés de révolte, n'hésitez pas; car
la perte est imminente et certaine; elle est universelle; elle va engloutir un grand nombre d'hommes
et de propriétés, faire des plaies irréparables à l'humanité et à cette France au nom de laquelle on
agit. Au contraire, l'accusation de révolte est douteuse, incertaine; l'autorité abusée ouvrira les yeux.
La raison qui ne veut pas qu'on exige des hommes
des sacrilices au dessus de leurs forces, se lera entendre et plaidera pour vous. En tout cas, quelques
hommes seront punis; victimes honorables de l'in.
flexibilité des lois et de leur zèle pour le bien public, on les accusera; mais ils auront sauvé leur
patrie, ou du moins retardé sa ruine. "
Oui, c'est dans celle fâ cheuse alternative que se
sont trouvés les colons des îles de France et de la
Réunion. Que ceux qui ne se seraient pas comportés
comme eux, se lèvent et les condamnent.
Jugeons-les par la conduite de l'amiral et des
principaux officiers qui accompagnaient les agens.
Ces officiers, partis de nos ports avec eux, ne pouvaient pas être imbus des préventions et des préj ugés
des colons, et de ces idées d'indépendance que quelques hommes leur prêtent. Eh bien! ces officiers se
sont rangés du parti de.< colons. Il faut supposer que
deux hommes ont eu raison et !lontre les quatre na-
vÎl·es de leur escorte, et contre deux colonies entières) agissantHecautantde calme que de fermeté
et d'énergie.
Je sais que les formes sont contre elles. Mais je
crois leur assemblée excusable, je la crois excusée
par la nécessité et par le salut des deux colonies
qu'elle a opéré, Au moment où je parle) elles seraient en feu comme Saint-Domingue) ou le désespoir les aurait jetées dans les bras de nos ennemis
envieux d'une si belle possession.
J'ai entendu dire que peut- être les Anglais en
étaient déjà les maîtres. Si cela était, en détestant la trahison qui les leur aurait liITées, en déplorant les imprudences qui en auraient fourni le
prétexte, nous n'aurions point à délibérer, nous
n'aurions qu'à les reconquérir.
Mais si les colons des Iles de France et de la Réu"iOll ne sont point des traîtres; si, en écartant avec
énerg'ie le déluge de m<lUX qu'on allait "erser sur
eux, ils Ollt compté sur la sagesse du Corps législatif et sur la justice du Gouyernement, en un mot,
s'ils sont encore l"rancais,
que faut·il
•
• faire?
Se défendre de cette jalousie du pou"oir et de la
puissance) dont le premier instinct est d'écraser la
désobéissance. Hélas! il est aisé de frapper et de détruire; c'est J'art de gouverner, de conserver, et de
se faire aimer qui est difficile.
Si le Gou,'ernement nous appartenait, nous nom-
�( 19 2 )
( 19 3 )
merions une Commission pour examiner il fond l'affaire et nous présen ter des projets. Le Gouvernement
est au Directoir'e, : ce sera à 1ui de prendre un parti
à l'égard des îles de Franœ et de la Réunion. Mais
quoiqu'é trangers au GOU\'ernem ent , nous ne le
sommes pas à la France dont nous sommes les représentans. Nous avons le droit, non de dirig~r le
Directoire dans les opérations qui lui sont commises, mais de les connaître) de lui demander des
renseignemens par écrit, et de juger, d'après ces
renseignemens, s'il y a quelque mesure législative à
prendre. Quand il n'yen aurait point, et sur l'exécution de la loi pour la liberté des noirSJ et sur les
mesures pour rendre à l'autorité le r espect qui lui
est dû, sans poursuivre trop sévèrement une faute
util e et presque nécessaire: quand il faudrait tout
abandonner à la prud ence du Directoire , il conviendrait toujours de lui fail'e connaître la sollicitude
du Conseil) de lui signaler les écueils au milieu desquels il marche, et l'imm ense responsabilité qu'il
encourrait si , au nom d e la liberté, le r este si précieux de nos cOilonies venait il être détruit, ou jeté
par le désespoir dans les mains des enn em is. Nous
partagerions nous·mêmes cette responsabilité si nous
demeurions spectateurs i"d,lI'érens de ce qui s'est
passé et de ce qui peut slùvre.
J e demande qu'il soit nomm é lme Commission
spéciale pour examiner les divers l'enseignemens et
papiers qui sont parve nus ail CO liseil stll· les dcrniers
évènemens passés da ns les îles de France et de la
R. éunion. Cette Commission doit être distincte de
celle qui il été nomm ée pour les co lonies (J'Amériqne. L'un e et l'autre auron t assez il faire. Cell e
que je propose sera chargée de faire rapport au Conseil de cette affaire, la plus illlportante qui lui ait
été présentée jusqu'il pt-ésent , rela tivement à notre .
situation polLl:ique et co III mercia le, et ci e proposer
ce qu'exigeront les circons tances. com binées avec
ce que permettent la division des pouvoirs et la
Constitution.
RAPPORT
le projet de loi relatif au Concordat, à ses
articles organiques, et à ceux des cultes protestans ,fait au Tribunat dans la séance du
17 gerhzinal an 10 ( 7 av,.il r 802 ).
SUI'
Parmi les nombreux traités qui depuis moins de
deux ans viennent de replacer la France au rang
que lui assignent) dans la plus ' bell e partie du
monde, le gé nie et le co m'age de ses' habita ns, la
convention sur laqu elle ie suis chargé de vous raire
un rapport, présente descaracteres et doit produire
des elI'ets bien remarquables.
�( '9 ~ )
( ' 95 )
CesL un contrat avec un souverain qui n'est pas
redoutable par ses armes, mais qui est révéré par
une grande partie de l'E urope, comme le chef d e
la croyance qu 'elle professe , et que les Monarques
même qui sout sépart!s de sa communion ménagen t
d recherchen t a vec soin.
Lïnfluellce que I"ancienl'le Rome exerça sur l'uni·
vers par ses forces , ROllle moderne l'a obtenue
par la politique et par la relig ion. Ennemie dangereuse, amie utile, ell e peut miner sourdement
ce qu'elle ne sau.rait attaquer de front. EUe peut
consacrer l'autorilé , fa ciliter l'obéissance, rournir
un des moyens les plus puissans et les plus doux de
gouverner les hommes.
A cause même de cette influence, on lui a imputé d'être plus ravorable au despotisme qu 'à la libel'té; mais l'impul ation porte sur des abus dont
les lumi ères, l'expérience J e t so n propre intérêt
ont banni le retour.
Les pril~cipes de Rome sont ceux d'un e religion
qui, loin d'appesantir le joug de l'a utorité sur les
hommes, leur apprit qu'ils ont une origine, des
droits communs, et q,ùls sont frères; elle allégea
l'csclavage, adoucit les tyrans, civilisa l'Europe.
Combien de ' fois se' ministres ne réclamèrent-il s
pas les droits des peuples? Obéir aux puissa nces,
reconn'aÎlre tous les g-ouvernemens, est sa maxime
et son précepte. Si elle s'en ":cartait, on la repous-
serait, on la conliendrait par sn propre doctrine.
Elle aurait à craindre de se mon lre!" trop inlé,'ieure
aux di"erscs ser ies chl'él ienn es 'Iui sont sorties de
son sein , et qui dé jà lui ont ca usé tant de pertes.
Elle a sur eUes lesav;l lltagesdel',tÎn esse; mais toutes
sont recommandables par la Lige commuEe à laqu ell e elles remontent J et par l'utilité de la mora le
qu'ell es enseignent unanim ement avec Rome ; ell es
lui imposent, par leur ex istence et leur riva lité,
une g-rande circonspec lion.
Des législateurs n'o nt point il s'occuper des dogmes sur lesquels ell es se son t di\'isées ; c'est une arraire de liberté individuelle et de conscience: il s'agit , dans un trai té, de politique et de gouvernement. Mais c'es t déjà un beau triompbe pour la 10lérance) dont Rome fut si souvent accusée de manqu er) que de la voir signel un concordat qui ne
lui donne plus les préroga tives d'une religion dominante et exclusive) de la voir consentir à l'égalité
avec les autres religions, et ne vouloir dispu ter
avec elles qu e de bons exempl es et d'utilité, de fidélité pour les 'gouvel'Demens, de respect pour les
lois, d'efforts pour le bon beur de J'hum an it é.
Un concordat rut sig'llé J il Y a bientôt Iroissiècles ,
entre deux hommes auxquels les leures et les ar ls
durent leur renâissance, et l'Europe l'aurore des
be;lUx jours qui depuis l'onl éclairée, je vcux dire
Fra ncois 1er eL Léon X, C'est aussi ù un e gr;lIlde
1
•
�( 19° )
époque de restauratio n et d e perfectionnement que
le concord at nouveau au ra été arrè té.
Les premiers fond e mens de l'ancien co ncordat
rurent jetés à la sui te de la bataille de Maris'nan :
,,'était la dix-hu iti è me bataille à laqu elle se tronvait
le maréchnl de Trivulce; il disait qu'elle avait été
un combat de géans, et qu e les autres n'étaient auprès que des jeux d 'en (;\ns , Qu'eût-il dit de celle de
i\laringo " Quels autres qu e des géa ns eussent monté
et descendu les Alpes avec cette rapidité, et couvert
en un moment de lenrs forces et de leurs trophées
l'halie qui les croy,lit si loin d'elle ? Le nouveau concordat est donc aussi , comme l'ancien, le fruit
d'nne victoire mémorabl e et prodigieuse,
CombiclJ les maux inséparables des couquêtes
on t par u s'adoucir aux yeux de la malheureuse
Italie , lorsqu'elle a vu ce lte re lig ion dont elle es t
le siége princip"l , à laqu elle elle porte un si vifattacbeme ut , non-seulement protég'ée dans son tel'ritoire, mais prête à se rel el'er chez la nation victorieuse qui , jusque-là, ne s'était l1'\ontrée intoléraute qu e pour le catholicisme?
'Nous n'aurons pas seulemen t consolé l'Italie : toutes les nations ont pris part à nolre retour aux institutions religieuses.
Effrayées de l'essor qu e notre rél'olution avait
pris, et des excès qu 'il avait entraînés, elles avaient
craint pour les deux liens essentiels des sociétés )
( 197 )
l'autorité civile et la religion. JI leur paraissait que
nous avions brisé à la lois le frein qui doit contenir les peuples les plus libres , et ce régulateur
plus puissant, plus universel qu e les lois, qui modère les passions, qui suit les hommes dans leur
intérieur, quine leur d éfend pas seulemenLle mal ,
mais leur commande le bien ; qui anime et forLifie
toute la morale, répand sur ses préceptes les espérances et les craintes d'une vie à veuir, et ajoute il
la voix souvent si faible de la conscience, les ordres
du ciel et les représentations de ses ministres.
Comme il a été nécessaire d e ra1l'ermir le Gouvernem ent a1l'aibli par l'anarchie, de lui Jonn er
des formes plus simpl es et plus énergiqu es, de l'entourer de la puissance et d e l'éclat qui conviennent
à la suprême magistrature d'un gnmJ peupl e, de
le rapprocher des usages établis ch ez les autres nations , sans rien perdre de ce qui es t essentiel à la
liberlé, il n'était pas moins indispensable de revenir à cet autre point commun à Ioul es les nations
cil'ilisées , la r eligion.
Comme le Gouvernem ent avait élé ruiné par l'abus des principes de la démocrati e, la religion
ava it été perdue par l'ab us des principes de la 10 léranceL'un avait introduit clans le Gouvernemen t et
l'administr ation , l'ignoran ce pré"olllptueuse, l'in conséquence, le fanatisme politique el la tyrannie
�( 19B )
sOllsdes form es populaires ; l'autre avait,lmenél'indilférence et bientvt l'oubli des devoirs publics et
privés, déchalné toutes les passIons , dévelClppt!
toute l'avidité de l'iutérêt le plus cupide, détruit
l'éducation, et menacé de corrompre à la fois et la
génération présente et celle qui doit la remplacer.
Rappelons-nous de ce qu'on a dit chez une uation, notre rivale et notre émule dans tous les genres
de connaissances, et qu'on n'accusera point apparemm ent de manquer de philosophie. Quels reproches des hommes célèbres par la libéralité de leurs
idées et par leurs talens , n'on t-ils pas faits à notre
irréligiou ? Et quand on pourrait penser que leur
habileté poütique les armait contre nous d'argumens
auxquels ih ne croyaient pas , n'est-ce pas un bien
, de les leur avoir arrachés , et de les réduire au silence sur un objet aussi important ?
S'il est-des hommes assez forts pour se passer de
religion, assez éclairés, assez vertueux pour trouver en eux-mêmes tout ce qu'il ÜlUt, quand ils ont
à surmonter leur intérêt , en opposition avec l'intérêt d'a utrui ou avec l'intérêt public, est-il permis
de croire que le grand nombre aurait la même
force?
Des sages se passeraient a ussi de lois; mais ils les
respectent , les aiment et les maintiennent, parce
qu'il en HlUt à la multitude. Il lui faut encore ce
qui donne aux lois leur sanction la plus efficace;
( J99 )
ce qui , avant qu'o n puisse Les mettre dans sa mémoire, grave dans le . cœur les premières notions
du juste et de l'injuste ; développe, par le sentiment
J.'un dieu vengeur et rémunérateur, l'instinct qUI
nous éloigne du mal et nous porte au bien. L'enlimt, en <1ppl'enant tlès le berceau les préceptes
de la religion, connaît, avant de savoir qn'il y a un
Code criminel , ce qui est permis, ce qui est délendu. Il entre dans la société tout préparé à ses
institutions.
Ils seraient donc bien peu dig nes d'estime les lé ·
crisbteurs anciens qui tous fortifi èrent leur Ollvrage
du secours et J e l'autorilé de la religion 1 Ils trompaient les peuples , dit-nn. Comme s'il n' était pas
constant qu'il ex iste dans l' homm e un SenllflJClI1
religieux qui fait partie de son caractère et qui ne
s'eUace qu'avec peine; comme s'il ne convena1t pas
de mettre à pr06t cette disposition naturelle; comme
si l'on ne devait pas s'aider, pour gouverner les
llommes , de leurs passions et de leurs sentimens ,
et qu'il v,alllt mieux les co nduire par des abstrac-
lions!
Hélas' qu'avions-nous gagné à nous écarter des
oies tracées, à subslituer à celle expérience universell e des siècl es et des nations> de vaines théories ?
L'Assemblée constifuan te qui avait profité de
toutes les lumières l"~p,,"dues par la philosophie;
celle Assemblée, où l'on comptait tant d'homm es
�( 200 )
( 201 )
distingués dans 10us les genres de tal ens et de connaissances , s'était gardée de pousser la tolérance
des religions jusqu'à l'indiffére nce et à l'abandon
de toutes. Elle "vait reconnu que la religion étant
un des plus anciens et des plus puissans moyens de
gouverner, il fallait la mellre , plus qu'eUe ne l'ét,lit, dans les mains du Gouvernement; diminuer
sans doute l'influeuce qu'elle avait donnée à une
puissance étrangère ; détruire le crédit et l'autorité
temporell e du clergé qui formait un ordre distinct
dans l'État) mais s'en servir en le ramenant à son
institution primitive et le réd uisant à n'être qu'uue
classe de citoyens utiles par leur instruction et leurs
exempl es.
L'Assemblée constituante necommitqu'une faute ,
et la convention qoi nous occupe la répare an jourd'hui: ce fut de ne pas se concilier avec le chef de
la religion. On re ndit inutile l'instrument dout on
s'était saisi, dès-lors qu'on l'empl oyait à cO lltre-sens,
et que, malg ré le poutife, les pasteurs etles ouailles,
on formait un schisme au li eu d'opérer un e ré/orme.
Ce schisme jeta les premjers germes de la g'uerre
civil e que les excès révolutionnaires ne tardèrent
pas à dévol opper,
C'est au n.ilieu de nos villes et de nos famill es
dil,ïsées, c'est dans les campagnes dévastées de la
Vendée qu'il faudl'ait r 'pondre à cc ux qui re~rettent
<lue le Gouvernement s'occupe de religion.
Que dem~ndait-on dans toute la France, même
dans les départemens où l'on n'exprimait ses désirs
qu'avec circonspection et timidité? La liberté de
conscience et des cultes; de n'être pas exposé à la
dérision, parce qu'on était chrétien; de n'être pas
persécuté, parce qu'on prérérait au culte abstrait et
nouveau de la raison humain e) le cu lte ancien du
Dieu des nations.
Que demandaient les Vendéens les armes à la
main ?Leurs prêtres et leurs autels. Des mall'eillans,
des rebelles et des étrangers associèrent, il est vrai,
à ces réclamations pi euses, des intrig ues politiques.
Mais la Vendée-a été pacifiée aussitôt qu'on a promis de ,'edresser son plus grand grier. Un bon et
juste Gouvernement peut être imposé aux hommes,
leur raisoo et leur intérêt les y atta chent promptement: mais l~ conscience est incompressible; On
ne commande point à son sentiment: de tous les
temps, chez tous les peupl es, les dissensions religieuses furent les plus animées et les plus redoutables.
Ce n'es t point la religion qu' il raut en accuser,
puisqu'elle est uoe h ahitud e et un besoin de l' homme; ce sont les irupruo ens qui sc plaise nt ;' con trarier ce besoin , et qui, sous prétexte cl' éclairer les
autres, les olfen ent ) les aigrisse nt et les persécutent.
NOLIS ré trog rado ns , disent-ils ; nous all ons re-
,
�( 202 )
( 205 )
tomber dans la barbarie. J'ign ore si le siècle qui
nous a précédés ék1it barbai'e; si les hommes de talens qui ont préparé] au delà de leur volon té, les
co ups port~ au christianisme étaient plus civilisés
que les Arnaud, les noss uet et les Turenne. Mais
je crois qu'aucuu d'eux n'eut l'inteution de substituer à l'intolérance des prêtres contre lesquels ils
déclamèrent si éloquemment , l'intolérance des
athées et des d éistes. Je sais que les philosophes les
moins créd ules ont pensé qu'une société d'athées
oe pourrait subsister long-temps; que les hommes
ont besoin d'être unis en tr' eux par d'autres règles
que ceUes de leur intérêt, et par· d'autres lois que
celles qui n'ont point de vengeur lorsque leur violation a été secrète; qu'il ne suffit pas de reconnaître un Dieu ; que le culte est à la relig ion ce que
la pratique est à la morale; que, sans culte, la religion est une vaine théorie bi ent ôt o ubliée; q u'il
en est des vérités philosopbiq ues COlll me des initiations des anciens : tout le monde n'y est pas
propre.
Et si l'org ueil , autant que le zèle de ce q u'o n
croyait la vérité, a porté à dévoiler ce qu'on appelai t des erreurs, on ne pensait certain ement pas
aux pernicieux eIT'eLs que produirait cette manifestation. Qui aurait voulu acheter la destruction de
clu elques erre urs non démontrées, au p"ix ,dll sang
de ses semblables et d e la tranqu illité des E taLs?
A l'h omme le plus convaiucu de ces prétendues
erreurs, je dirai donc : Nous ne rétrogradons pas;
ce sont vos imprudens disciples qui avaient été trop
vi'te et trop loin. Le peupl e, resté loin d'eux, avait
refll sé de les suivre; c'est avec le peuple et pour le
peuple que le GO ll vernemen t devait marcber: il
s'est rendu à ses vœux , à ses habitudes, à ses beSOlOS.
l ,es cultes, abando nnés par l'État, n'en existaient pas moins; mais bea ucoup de leurssectate urs,
oIT'ensés d'un abandon dont ils n'avaient pas encore
contrac té l'habitude, et qui était sans exemple cbez
tout es les nations , rendaien t à la patrie l'indiIT'érence qu'ell e témoig nait pour leurs opinions religieuses . On se les ratta che en org'a uisantles cultes;
on se donue des partisans et des amis , et l'on neutralise ceux qui voudraient encore rester irréconciliabl es. On ôte tous les prétex tes aux mécontentemens et à la mauvaise foi ; on se donne tous les
moyens.
Comment donc ne pas applaudir à uu traité qui ,
dans l'intérieur, rend à la morale la sanction puis.
sa nte qu'ell e avait perdu e; qui pacifie, co nsole et
sa tisfait les es prits; qui , à l'extéri eur , rend aux
nations un e garanti e qu'e ll es nOlis reprochaien t d'avoir ôtée à nos conventions avec eUes; qui ne nous
sépare plus des autres peuples, pal' l'indiffùence
et le mépris pour un lien commun auq uel tous se
�( 204 )
( 205 )
van tent d'être attachés. C'est au premier bruit du
concordat que les ouvertures de cette paix qui
vient d'êt.re si heureusement. conclue, furent écoutées. Nos victoires n'avaien t pas suffi; en attestant
notre force, elle nous faisai ent craindre et haïr.
La mod ération , la sagesse qui les on t suivies, cette
grande marque d'égards pour l'opinion gé nér~le
de l'Europe, nous les ont fait pardonner, et ont
achevé la réco ncili ation universelle.
Le concordat présente tous les avantages de la
religion, sans aucun des incom'éniens dont on s'était fait con tre elle des arg umens trop é tendus et
dans leurs développemens et dans leurs consé·
quences;
Un culte public qui occupera et attachera les individus sans les asservir, qui réunira ceux qui aimeront à le suivre, sans contraindre ceux qui n'en
voudront pas ;
Un culte soumis à tous les règ-Iemens que les
lieux et les circons tances pourron t exiger.
Rien d'exclusi f: le chrétien protes tan t aussi libre ,
aussi protégé dans l'exercice ue sa croya nce qu e le
chrétien ca thol ique.
Le nom de la fi épublique et ce lui de ses premiers
mag'istrals preunent, uans le templ es et dans les
pL'ières publiques , la place qui lem' appartient, et
dont. le vide en tr etena it des prétentions et cles espérances.
J.es ministres de tous les cultes sont placés partic ulièremen t sous l'iufluence du Go uvernement qui
le choisit ou les approuve, auquel ils se lien t par
les promesses les plus so lennelles, et qui les tient
da ns sa dépendan ce par leurs salaires.
Ils renoncen t à ce tte antique et ri che dotation qlle
des siècles avaient accumu lée en leur laveur. Iisreco nnaissent qu'elie a pu être alié née) et consoliclent
ainsi , jusque dans l'intérieur des consciences les
pIns scrupuleuses, la propriété ~ t la sécuri té de
plusieurs milliers de ramilles.
l'jus de pretexte aux inquiétudes des acquéreurs
des domaines naLionaux, plus de crai nte qne la richesse di straie ou corrompe les ministres des cultes;
tout puissans pour le bien qu'o n attend d'eux , ils
sont constitnés dans l'impuissa nce du mal.
On n'a point encore oub lié les exemples touchans et sublim es q ue donnèrent so uvent les chefs
de L'égl ise gallica ne; l"éné lon remp lissant son pa ·
lais des vicLimes de la guerre, sans distinction de
nation et de croyance; Belzunce prodiguan t ses
so llicitudes et sa vie au milieu des pestilùés; d'Apchon se précipitant au travers d' un in cendie) plaça nt
au profit d'un enrant qu'il anache aux flamm es, la
somme qu'il avai t offerte en vain à des hommes
moins courageux que lu i.
Ils marcheron t sur ces traces honorables, ces
pasteurs éprouvés par l'adversité, qui , ayant déjà
•
�( 206 )
fait à leur foi le sacrillce de leur /0' rtuil e, viennent
'
tle l,lire à la paix de l'église celui de leur existence,
Ils y ,m,~rc~eront éga lement ce ux qui Oll t aussi obéi
aux lIlvltahons du sOlll'crain Pontife dont ils n'entendirent jamais se séparer, ut qui, reconnaissan t
sa ,VOL-':, lui ont abandonné les ,sie'
o'es q U "l 1S OCC U0
patent, pour obéit, a la loi de l'Etat. Tous réconciliés et r~unis, ils n'attendent que d'èlre 'appelés
pOI~r lustt~er et lilire bénir la grande mesure qui
va etre prISe,
L'humanité sans doute peut inspirer seul e de
b~Ues actions; mais on ne niera pas que la religion
n y aloute un graud caractere. La d iO"nité du ministre répand sur ses soins qu elq ue chose de sacré
et de, céleste; eUe le lait appal'aÎ tre corn ille un ange
au miheu des mallieureux. L'hum anité n'a que des
secours ournés, et trop souvent insulIisalls : là Ol!
d le, ne peut plus rien , la l'elioion
devient toute
b
pmssante; eUe dOlin e des es pérances et des promesses qui adoucissent la mort; elle filt tonjours
chez tons les penples le refuge commun tl es m,ùheureu~ contre le désespoir, Ne fltt-ceqn'à ce titre,
11 auratt faUu la rétabli r comme un portsecourable
après tant de tempê tes.
Et les pastenrs d'un autre ordre, je parle des Jllin~stres p~o,teslanscumllle des curé." ca tholiqu es , qui
n a pas ,ete 0temOln de leurs sel'v ices mulLipliés et
Jour naliers: QUl ne les a pas VlIS illstrui, ant l'en-
( 20 7
)
rance, consei llant l'tIge viril , consolan t la caduci té, étouffant les dissensions, ramenant les espril s ?
Qui n'a pas été témoin des égards et du respect que
leur concil iait l'utilité de leur état; égards que leur
rendaient ceux même qui, ne croya nt pas à la religion ) ne pouvaient s'empêcher de Feconnaître
dan s leurs discours et leurs ac tions sa bienfaisanle
inlluence? Ces bienfaits de tous les jours et ile tous
les momens, ils é taient perdus, et ils vont être ren,lus à nos villes et à nos cpmpagnes qui en étaien t
altérées.
A côté de ces éloges on pourrait, j'en conviens,
placer des reproches, et opposer, aux avan tages clont
je parle, des ioconvéniens et des abus; car il n'est
aucune institution qui n'en soi t mêlée; mais où la
somme des biens excède cell e des maux, où des
précautions sages peuvent restrcindre celt/e - ci et
augmenter cell e·là, on ne saurait balancer.
Les abus repr0ch és au cler gé ont été, depuis di.,,,,
ans, dével0Ppés sans mesure; on a lait l'expél'ience
de son anéa ntissement. Les vingt-neuf trentiènles
des Fl'ançais réclament con Ire ceLte expotrience ;
leurs vœux, leurs affec lions rappellent le clergé;
ils le déclaren~ plus utile que dangereux; il leur est
nécessaire. Ce cri presqu'unanime réfl,.te toutlls les
tbéories.
D'ailleurs le rétablissement, leI qu'il est, sa lislaisa n ~ pour ceux qui le réclamenb, ne gênera en "ien
•
�( 208 )
la conduite. de ceux qui n'en éprouvent pas le beSOlO . La r ehglOn ne contraint personn e; elle ne demande plus pour elle que la tolerance dont jouit
l'in crédulité.
Que ceux qui se croient Lorts et heureux avec
Spin osa et Hobbes, jouissent de leur force et de
leur bonheur; mais qu'ils laissent à ceux qui le professent le culte des Pascal ) des Fénelon ou celui
des Claude et des Saurin ; qu'ils n'cx igent pas que
le Gouvernement vive d;ons l'mdilfér ence des reliligions, lorsque cette indifférence ali énerait de 1ui
un. grand nombre de citoyens, lorsqu'elle elfraieralt les nations, qui toutes me ttent la reliO'ion au
.
0
premier rang des arFaires d'Etat.
e' es ~ ~rincipalement sous ce poin t de vue qu e la
ComnusslOn que vous avez nonllDée il pensé qu e le
~on cordat mérite votre pleine et en tière approbation.
Il me. reste à vous entretenir des articles organiques qUl accompagnent et complètent le concord at.
Je ne fatiguerai pas votre atlen tion par l'examen
minutieux de chaq ue dé tail : ilssortent tous, comme
autan t de corrollaires, des pri ncipes qui en ont été
la base. J: ne vous ferai remarquer que les diposlnons prin cI pales; vo us y apercevrez, je crois ,
de nouvea u,x mo ti fs d'adopter le projet de loi qui
est soumis a vo tre examen.
Quoique les entreprises de la COur de ROllle,
-
--
)
g râces aux progrès des lumi eres et il sa propre sagesse, puissent être reléguées parmi les vieux f'li ts
historiqu es dont on doit peu craindre le retour , la
Frauce s'en était trop bien défendu e, ell e avait tl'OP
bien établi ) même soùs le pieux Louis IX, l'indépendance de son g'o uvern ement et les lihertés de
son église, pour que l'on pût négliger les barrières
déjà exis tan tes.
Comme auparavant , aucun e huil e, bref , r escript , ou quelqu'expéditi on qu e ce soit venant de
Rome, ne pourra être reçne, imprimée, publiée
ou exécutée sa ns l'autorisation du Gouvernement.
Aucun mandataire de Rome, quel que soit son
titre ou sa dénomination ) ne pourra êlTe reconnu ,
s'immiscer de fonctions ou d'afI<lires ecclésiastiqu es,
sans l'a ttache du Gouvernement,
Le Gouv ern emen t examtn era, avant qu on pUIsse
les publier , les décrets des sy nodes étrangers et
même des conciles g'énéraux. Il véri6 eL'<I et repoussera tout ce qu'ils aurai ent de contraÏt'e aux lois de
l' Etat , il ses franchises et à la tranquillité publique.
p oint de co ncile nati onal ni aucun e autre assemblée ecclésiastique sans sa per mission expresse.
L'appel comme J 'abus es t rétabli co ntre l'usurpation et l'excès de p o u ~' o ir , les contra,'entions aux
lois et règlemeus de l'E tat, l'inreuction des ca nons
l'ecus
, en France, l'attentat aux liber tés et franchises
de l'église galli cane, con lee tOllte en trep,'jse ou pl'Odf
(
..
,
20 9
•
J '
•
�,
(
2 10
)
cédé qui compromettrait l'hollneuL' des cit oyens,
troubl erait arbitra irement leur conscience} tournerait contr'eux en oppression ou en inju re ,
Ainsi, toutes les précautions sont prises et pour
le dedans et pour le debors,
Les arcbevêques et évêqu es seront des hommes
mûrs et déjà éprouvés , Us ne pourront être nomm és
ava nt l'âge de trente ans,
Jls devront être originaires Fran çais.
Ils seront examinés sur leur doctrine par nn évèque et deux prêtres nommés par le prémi er Consul.
Ils feront sermen t , non-seul ement cl'obéissance
et de fi délité au Gouvern ement établi par la Constitution , mais de ne concour ir directement ni indirectement à rien de ce qui serait co ntraire à la
tranquillité publique, et d'averti r de ce qu'ils cl écoy vriraient ou apprendL'aient de préjudiciable il
l'Etat.
Les curés , leurs coopérateurs, prêteront le même
sermentJlsdevron t êtreagréés par le premi er Consul.
L'orga nisa tion des séminaires lui scra soumise.
Les professeurs devron t sig ner la déclaration de
1682 , et enseig ne1' la doctri ne qui y est contenu e.
Le nombres J es étudians et des aspirans il J'état
ecclésiastiqu e sera annuellement comm uniqué au
Gouvernement ; et pou r que cette milice uti le ne
se m ultiplie cependant pas ou tre mesure, les ordinations ne pourront être lait es sans qu e le Gou-
(
211
)
'fel'nement n'en conn aisse l'étendu e et ne l'ait approuvée.
La dilférence des lituurg ies et des ca techismes
avait eu des iocon vé niens qui pouva ient se repro duire; elle semblait ro mpre l' unité de doctrin e et
de culte. Il n'y aura plus pour toule la France catholiqu e qu'un e seule litburg ie et un même ca técbisme.
On reprochait au culte romain la mult ipli cité de
ses fêtes: plus de fètes sa ns la permission du Gouver nement , à l'excepti on du dima nche, qui est la
fète uni verselle de tous les chrétiens.
La pompe des cérémonies sera retenue plus ou
moins dans les temples, selon que le Gouvernement
jugera qu e les localités permett ent une pins grande
publi cité , ou qu'il faudra r especter l'indépendance
et la liberté des cultes diJférens.
Des places disting uées seront assig nées cl ans les
temples aux autorités civil es et militaires: à la tête
des citoyens, dans les solennités relig ieuses , comme
dans les fêtes civiles, leur présence protégera le culte,
et contiendrait au besoin les indiscrétions du zèle.
Trop long-temps on a l'ait confondu le mariage,
que le seul consen teme nt des époux consti tue, avec
la bénédiction qui le co nsacre; désormais les ecclésias tiq ues, ministres tout spir itu els, étrallgers il l'union naturelle et civil e, ne pourro nt répa nd re leurs
priè res et les bénédictions du ciel que sur les m~ -
�( 2 '2 )
( 2,5 )
riages contractés devan t l'o fli cier qui doit en être ,
au nom de la société, le témoin et le rédacteur.
Le progrès des sciences physiques lIOUS il don né
un calendrier d'équinoxe et decimal ; beaucoup
cI' bommes res taient attacbés au ca lendrier d es so l ~
tices par babitude: c'e ùt été un lég'er in convénient ,
si cette babitude ne s'était fortifiée de la répugnance
pour des institutions nom:ell es plus importantes , ~ i
ell e n'avait form é dans l'Etat comme deux peuples
qui n'avaient plus la même lang ue pour s'entendre
SUl' les divisi ons de l'a nn ée; l'exemple des ecclpsiastiq ues entretenait ce lte big'arrure : ils suivroll t
le nouveau calendrilT, ils pourront seulement désigner les jours, par les noms qui leur sont donn es,
depuis un tem ps imm émorial , ch ez tou tes les nations.
Il importait peu à la liber té que le jour du replIS
Cùt le ,lixième ou le septième; mais il importait m.x
individus que le retour ci e ce jour rcü plus rapproché. Il importait aux prot estans comme aux ca th oliqu es, c'est-à-dire à presque tous les f rauçais, qui
célèbrent le dim aucbe, de n' en être pas détourn és
par les travaux dont ceux qui étaien t fonctionnai res
publics n'avaient pas la fac ulté de s'abstenir , même
dans ce jour; il impor tai t à l' Etat, qui doit cra indre
la multiplicité des fètes, que l'oisiveté et la déballche ne se saisissent pas de tOlit es J et ne .l éshon orassent pas tour à tour la décade et le dimanche.
Le dim anch e amè nera donc le repos général. Ainsi
tout se concilie, tOl,t se rapprocLe; ct jusque dans
des détails qu'on allrait d'abord crus minutieux, on
,lécouvre une pr%nde sagesse et un ensemble parfait.
Cbacun vit de son travail ou de ses fon ctions;
c'est le droit de tous les hommes: les prêtres ne
sauraient en ètl"C excllls. De pieuses prodigalités
avaient comblé de r ichesses le clergé de l"rance , el
lui avaient créé un immense patrimoine. L'Assemblée constitu ante J'appliqu a aux besoins de l'Etat ,
mais sous la promesse de ,salarier les fonctions ecclésiastiques. Celte obliga tion , trop néglig-ée, sera
remplie avec justi ce, éco nomie et intelligence.
IJes pen ions des ecclésiastiques établies par r Asse mblée constitu ante s'élèvent environ à 1 0 millions.
On employera de préférence les ecclésiastiques pensionn és; on imputera leurs pensions à leurs trailemens, et eu y ajoulant 2,600,000 fI'. tont le culte
sera soldé . Il n'e n coù te pas au trésor public la
quinzième partie cie ce que la nation a gag-né à la
réuuion des biens du clergé.
L'ancien traitemen t dr.s curés à cong-ru e, qui
étaient les plus nombre ux, est amélioré.
Distribués en deux classes J ils recevront les appointemens de la première ou de la seconde, selon
J'impor tance de leurs paroisses . P lus de cette scandaleuse dilférence eutre le curé simple congrlust8
�( 2 14 )
et le curé C/'os décimaleu/'. A lI cun ecclésiastique
ne viend ra dîmer sur le champ qu'il n'a pas C' uILivé,
et disputer au propriétaire un e pal' ti e de sa récolte.
Cette insti tution , à laqu elle les députés du clergé
_r enoncèrent dans la célèbre nuit du [ f ao ùt , ne reparaîtra plus: c'est de l'État seul qu e les ecclésiastiques , comme les autres fonctionn aires publics ,
recevront un honorabl e sa laire. Quelques oblations
légères et proportionnées seront seulement établies
ou permises, à raison de l'administrati on des sacremens.
La richesse desévêquE's est notablement diminuée.
Ce n'est pas du fas te q ue l'on att end d'eux, c'est
l'exemple, et ils le promettent , de la modération et
des vertus.
Si des hommes pieux veulent étahlir des fond ations et redoter le clel'gé, le Gouvern ement , auqu el
ces fondations seront so umises , en modérera l'excès. D'avance il est pourvu à ce que des biens-fonds
ne soient pas soustraits à la circulation des ventes,
et ne tom bent pas en main-m orte. Les fond ations
ne pourront être q u'en rentes co nstitu ées sur l'État.
Ingénieuse conception, qui achève d'attacher les
ecclésiastiqu es à la for tun e de l'É tat, et les int éresse
au main tien de son crédit et de sa prospérité !
Tels so nt les traits prin cipaux qui nous ont paru
recommander les articl es org'aniqu es du concordat
il ,'otre adoptioll el à la sanction du Corps It gisla-
( 21 5 )
tif. Le résultat eo est , l'accorJ heureux) et , ce me
sembl e, imperturbable de l'empire etclu sacerdoce;
l'église placée et protégée J ans l'É tat pour l'utilité
publique et pour la co nsolation in dividuelle, mais
sans danger pour l'É tat et sa Constitution ; les ecc1 ésias tiques, in corporés avec les citoyens et les
fonctionnaires publics, so umis , comme eux, au
Gouvernement ) sa ns aucun privilége. Ils pourront
sans doute enseig ner leurs dogmes) parler avec la
franchi se de leur ministère au nom du ciel) mais
sans troubler la terre.
C'est avec un bien vif sentiment de plaisir qu e
l'on voit ce bel ouvrage couronné par un e semblable orga nisa tion des cultes protestans .
La même protection es t assurée à leur exerrice,
à leurs ministres ; les m êmes précautions sont prises
contre leurs abus, les m êmes encouragemens promis à leur couduite et à leurs vertus.
Ils sont donc enti èrement elfacés ces jours de
proscription et de deu il , o ù des citoyens n'avai ent
pour prier en co mm un qu e le désert au milieu duqu el la fOl'ce venait e ncor e dissiper leurs pieux 1'assembl emens !
Ell es avaient , il est vrai , déjà cessé , mêm e avant
la révo lution. ces vexations odieuses, et dès son
aurore elles avaient fait p lace à un e juste tol é ra n c~ .
Les protestan purent avoir des templ es; mais l'Etat était resté étran ger et indiJférent à leur cult e.
�( 216 )
Ce n'est qu e d'aujourd'hu i qu'il leur rend les droits
qu'ils "yaient à son atten tion et à son intérè t , et
que la révoca tion de l'édi t de Nautes , si malhe ureuse pour eux et pour to ut e h France, est entiè.
rement réparée.
. Catholiques ! protestans ! tous citoyens du même
E tat J tous discipl es du Christianism e , divisés uniquement sur quelques dogmes, vous n'avez plus de
motirs de vous persécuter ni de vo us haïr. Comme
vous partllgiez tous les droits civils, vous partagerez la même liberté de conscieuce, la même protection , les mêmes faveurs pour l'OS cultes respectifs.
Arnes douces et pieuses qui avez besoin de prières
en commun J de cérémonies , de pasteurs, r éjouissez-vous, les temples vont être ouverts, les ministres
sont prêts.
Esprits indépenùans et forts, qui croyez pouvoir
vous affranchir de tout culte, on n'a ttente point il
\'otre ind épendance: réjouissez-vous, car vous aimez la to lérance. E lle n'était qU'lin sen timen t, tout
au plus un e pratique assez mal suivie, elle devient
une loi. Un acte solennel va la consacrer. Jamais
l'humanité ne fit de plus belle co nquête.
OPINION
Sur le Projet de Loi concernant l'Instruction publique Jprononcée au Tribunat Le 8jloréal an 10
( 28 avriL 1S02 ).
Il n'est pas un philanthrope qui ne sourie il l'image
des premiers élémens de l'instru ction introd uits dans
la chaumière du cultivateur , charman t ses loisirs,
aidant à ses besoins, fécondant les cam pagnes et
les ateliers; et si ces rêves d' un homme de bien
viennen t à être adoptés dans la tribune publique
par quelqu'un de ces or ateurs à l'opinion desquels
on a cou tume de se rendre, ils prennent une consistance qui peut les rendre dangereux; ell e ferait
croire qu'après dix ans d'essais, la législation va
s'égarer encore sur l'important suj et de l'instruction
publique.
Est-il vrai que le projet de loi qu e nous avous à
discuter soit trop favorable aux jeun es geus que leurs
parens ont d"jù pu placer dans des écoles secondaires, et qu'il n'accorde pas assez à la classe nombreuse qui n'a besoin lu e d'apprendre il lire, écrire
et compter? C'est ce que j'entreprends d'examiner
contre l'opinion de mOll honora bl e coll ègue J\!I. Duchesne.
�( 21 9
( 218 )
L'instruction est , dit-il , un droit ùe tous les hommes. Ouï, sans d oute. Il reste à savoir si ce n'est
p~s un droit que la société doive simpl ement proteger et encourager , comme elle protège et encourage d'autres droits , ou si elle en doit faire tous les
frais; et si, comme 1'0 11 t dit quelqu es bomm esd'ailleurs très-respectabl es ) elle est une dette de la société ,
En admettant même qu'ell c soit un e dette, la société n'a point envers elle-même, à la dilI'érence de
ce qu'eUe doit comme un p articulier à d'autres particuliers, la société, dis - je , n'a point em'ers ell emême de dette absolumen t rigoureuse. T out ce
qu'eUe doit au public est t o uj ours modifi é par ses
moyens, par les circo nstan ces, le temps et les mœurs.
Elle ne lui doit que ce qu 'ell e peut payer et ce qu 'il
peut utilement recevoir.
C'est par ce principe qu'il a fallu renoncer au
projet , d'abord arrêté au commencement de la révoluLÎ.on , d'établir dans c h aque commun e un instituteur assez lar gement sal al'i é pal' l'É tal.]] fut reconnu que la dépense était sans mesure et hors de
proportion ,
Prem ièrem ent ) avec les fin ances de l'État ;
Seco ndemen t , avec son but: c'était payer bien
chèremen t le moye n ~' appl'e nd l'e bien peu de chose;
T rqisièmement , l'Etat cù t dépensé bea ucoup pou r
une multitude qui n'en au rait ' pas profité.
1
)
Le préopinant que je réfute n'a songé qu'à l'objection tirée de l'état des finances.
Après ce tte maxim e générale que l'or n'est rien
quand il s'agit ùe l'intérêt public, maxime trèsfausse en politique, où 1'01' est la mesure de tout)
où il faut malheureusement, mais nécessairement )
apprécier jusqu'à la vie des hommes, il a proposé
de consacrer à l'instru ction primaire ce qu e la loi
des tine à l'instru ction dans les lycées et les écoles
spéciales. Ce déplacement lui a paru obvier à des
inconvéniens qui l'elfr aient , el ass urer les avantages
qu'il désire pour la classe la moins aisée du peuple.
Il me semble qu'il s'est trompé dans l'une et l'autre
de ses propositions.
Il vo it , dans les places gratuites , une source d'intrig ues et de fa veurs . N'aurait-il pas trop oublié que
ces places seront d onn ées au concours; qu'il est
rare que ce moyen produise des injustices; que
même , quand il en produirait quelqu es-unes , il a
l'avantage d'exciter une grande émul ation, qui anime tous les concurrens, et que lors même que le
plus dig ue est écarté, l'instruction ne manque pas
à celui qui obtient la préférence ? Malgré l'abus, il
resterait donc touj ours uu bien quelconqu e.
Une objection plus grave , est que quatre mille
places gratuites étant donn ées aux élèves choisis dans
les écoles seco ndaires et les lycées, les bmilles aisées
proliteront seules de ce lte libéralité.
�( 220 )
Il faut supposer pOUl' cela qu'il n'y aur~ Jans Ics
écoles secondaires que des enfans nés de p~rens aisés.
Or, il suffit de se rappeler ce qu'on a vu dans les
anciens colléges , pour se com'aincre qu'à l'exception de la classe absolument indigente toutes les autres y envoyaient leurs enfans ; ceux qui ne pouvaient pas y ê tre placés comme pensionnaires y
étaient reçus à titre d'externes: et comme les externes ne seront pas exclus du concours avec les
pensionnaires, tous serQnt susceptibles du bienfait
de la loi.
Tel père même qui autrefois hésitait cl' envoyer
son fils au collége) attend u les lougueurs de l'éd ucation et l'incertitude de ses succès, encouragé pal'
le prix proposé à l'application el aux efforts, espérant que son fi ls obtiendra bientôt le profit et les
honneurs d'une place gratuite, s'empressera de le
pousser dans une carrière pleine d'espérances, et
où il y a toujours à gagner, même pour ceux qui
n'y sont pas couronnés.
Je n'ai pas besoin de parler de l'émula tion des
maîtres, principe si fécond de la bonne instruction,
laquelle inspire à 50n tour, par son éclat, un désir
généra l d'en profiter.
Ce n'est pas la richesse qui excite aux études,
ce sont les bonnes éludes ell es-mêmes. Par- tout
où il y a, avec une bonne in~ll'uction , un certain
fonds d'élèves, les élèves abondent en.foul e : il n'y
( 221 )
a Llonc qU':l formel' un noyau, et leI est le but J e
la loi.
On s'est aperçu qu'en vain on avait placé dans les
éco Les centraLes, des professeurs pour des auditeurs
bénévoles. Des homm es très - capables d'enseigner
voyaient leurs auditoires déserts: maintenant on dé·
l'raiera quelques élèves pOlir les fréquenter; d'autres viendront en plus grand nombre à leurs propres
f"ais , et l'instruction s'y établira et se propagera:
voilà Le bien de l'institution des places gratuites. Il
prolitera aux maltres et aux élèves par J'émulation;
iL fondera la population des écoles . Retranchez ce
,
.
moyen, vous n aurez que ce que vo us avez aUJourd'bui, des professeurs sans élèves, des écoles déser tes.
Le Gouvernement propose de faire, pour l'ins-'
tl'Uction publique , ce que J'on fait pour un commerce que l'on veut ouvrit· ou faire revivre: il donne
des primes d'encouragement.
Voyons maintenant si, co mm e le pense mon ceLlègue, il vaudrait mieux em ployer les fonds de ces
primes à solder des instituteurs primaires.
Ce ne sont pas comm un ément les choses de première nécessité qu'oo est obligé d'encourager ou de
fournir gratuitement. Le besoin y porte; et elles son t
ordinairement si peu coù leuses que chacun peuL se
les procurer.
Si tous les cuLtivateurs ct tous les artisans ne sa-
�( 222 )
vent pas lire et écrire, ce n'est pas que leurs parens
n'aient pu faire les modiques frais dc cette première
instruction ; ce n'est pas qu 'avant la révo lution il n'y
eût, presque dans chaque village, un homme qui ,
sous un titre moins l)ompeux que le titre d'instituteur primaire, nefût en etat de montrer, à très-bon
compte, à lire et à écrire aux en fans qu'on lui envoyait. Mais le goût des parens ne s'était pas tourné
de ce côté. Ils étaient peu jaloux que leurs enfans
apprissent ce qu'ils ne savaient pas eux - mêmes.
L'école était nécessa irement éloignée de leurs habitations éparses dans la campagne. Leurs enrans ue
pouvaient y aller seuls; on n'avait pas le temps de
les y conduire et d'aller les r eprendre. Lorsqu'ils
étaien t en état d'y all el' sans y être conduits, ils
étaient utiles à la maison ; et l'on aimait mieux un
service présent , quelque modique qu'il fût , que des
études dont le fruit était éloig né, trop souvent même
incertain, par l'inapplica tion des enfans ou pal' leur
peu d'assiduité.
Si , comme l'a observé mon collègue, on est plus
instruit dans les pays de montagnes que dans les
plaines , ce n'es t pas que l'on y soi t plus riche, ou
qu e l'État y ait salarié plus de maîtres; c'est qu'il y
existe dès lon g-temps nn e instru ction qn e) daus les
lon oO's loisirs d'un hiver rigoureux, les pères transmettent à leurs enfans. C'est ici une circonstance
loca le quine prouve ri en pour le système qu e je com-
( 225 )
bats: tout cc qu'un en pent conc lure) c'est qu 'il serait à so uhaiter qu c les pères pussent êt" e les premiers instituteurs de leurs enfans.
Et si l'on m'obj ecte qu e, pour y parvenir , il f.1ut
Jonc instruire les enfans, afin qu'ils puissent, quancl
i ls seront pères, transmettre à leur famille ce qu'ils
auront appris, je répondrai que ce lte instru ction,
Irès-désirable sans doute, ne dépend pas de ce que
l'État établirait et payerait dans chaque commune
un instituteur primaire.
Elle dépend du progrès des lumières , sur-tout de
l'aisance dans les campagnes. L'aisance, qu e la révolution y a augmentée, tandis qu'ell e l'a diminuée
dans les villes, y amènera le goù t et le désir des
con naissa nces élémentaires. Elle permettra aux pères
de reconnaître que les services modiques et souvent
prématurés qu'ils retirent de leurs jeun es enrans, ne
sont point un véritable bien quand ils sont acbetés
pal' la perte irréparable de la première instruction.
Alors ils agiront d'un commun accord auprès du
maire et des conseils municipaux pour qu'un instituteur primaire soit établi.
_
Ce n'est pas une somme de cent éc us que l'Etat
donn erait à cet instituteur , qui exciterait les cultivateurs à lui confier leurs enrans; cette somm e diminuerait de bien peu la modique rétribution qu e
chaque enfant lui devrait. L'obslacle n'est pas dans
les frais de ce lle éd uca tion modique; il n'es t presque
�( 234 )
( 225 )
personne qui ne puisse les supporter. Il es t daus la
difficulté d'envoyer les enrans à l'école ; il est dans
les mœurs et les habiLu des q ue le temps) le progrès
des lumières et l'aisance améli oreront , mû s qu e ne
changerait pas to ul de suite l'établissement d 'instituteurs salariés par l'É tat.
Nous aurions dans les campagnes ce que nous
voyons dans beaucoup de villes, des instituteurs
payés, sans élèves.
L'instruction g ratuite n'est un appât que dans
deux circonstances; lorsqu'elle est proposée à ceux
qui la désiren t , et lorsq ue , sans ce moyen , ils ne
pourraient atteindre à l'objet de leur désir. L'instru ction gratuite sera sans for ce et sans aUrait pour
ceux qui senti raien t assez peu les avantages d e
l'instruction en elle-même pour n'y pas mettre uu
prixmodique, qui est à la portée du comm un des
hommes.
Ou les culti,'ateurs et les artisans les moins aisés
désireront qu e leurs en fans soient instruits, et dans
ce cas ils trouveront assez de facilités dans les encouragemens q ue la loi propose, da ns l'établissement , par le conseil m unicipal , d' un instituteur ,
auq uel on fait l'avantage d' un logement, et qui en
donnera à meilleur prix ses peu coû teuses leçons;
ou s'ils restent encore inclifIërens a ux avantages de
l'instru ction , alors l'entière dispense de qu elqu es
menus frais ne les d éciderait pas; alors l'É tat dépcn-
serait en vain quatre millions pour solder d'inutil es
institu teurs.
Voici la différence qu'il y a entre le système de
mon cullègue e t celui de la loi.
La loi propose l'instructio n gratuite pour des
études coùteuses; elle la propose à des hommes
qui sentenl le prix de l'instru ctiun en elle-même;
elle propose des encourage mens et des réco mpenses
aux premières avances qu 'ils co nse ntiront de faire;
ell e rétablit ce qu'on appelait autrefois des bourses,
d ont on a éprouvé l'utilité dans tous les pays où
l'édu ca tion es t soignée ; elle propage et améliore
l'instruction par un heureux wélange de gratuité et
d e payement , qui offre des chances ava ntageuses à
toutes les classes de la société , aux familles, aux
disciples et aux maîtres.
1\lon collèg ue substÎLu e à la réalité de ces avantages, dont il veut distraire ailleurs le foncls ca pitaL , le roman d'une instruction gratuitement offerte
à une multitude qui n'en proGtera pas , et qui , si
elle désirait l'instruction de ses enrans , n'aurait
pas besoin qu'on lui éparg nât trente sous par mois
pour les faire instruire. Il offre gratuitement ce que
tout le monde peut acheter quand iL s'en soucie ;
il veut vendre ce que heaucoup de gens désirent
et ne peuvent atteindre fante de facultés.
Il jetterait inutilement dans les campag nes quatre
millions , dont le grand nombre ne proGter;LÎt pas,
,5
�( 22 6 )
à moins qu'on ne contraignît , il peine d'"mend e ,
les parens à pnvoyer leurs enCans à l'école, comllle
ou les [orcait autrefois d'all er eux -mêmes à la co r•
vée. Il pri\'erait l'iustru c tion secondaire (l e c"s
quatre millions qui vont la fécon der ; il 1l0US laisserait dans l'état Oll nou s somm es depuis dix ans:
sans instruction dans les villes, parce que les do tutions des colléges et des bourses ont été dissipée~,
et l'émulation détruite; sans instruction dans les
campagnes, parce qu e J'av anta ge de s'y présenk r
gratuitement , quoique tr ès-coû teux pour l'Ét"t ,
est si petit pour chaqu e père de famill e, qu'il ne
saurait vaincre l'insouciance et les h~bitude5 . Elles
ne pourront être surm ontées que par l'aisance des
babitans des campagnes , et par l'amélioration d es
~ tud es dans les villes. C'est donc d e ('ette am él ;0ration qu'il a lililu s'occuper ; ell e r ép"ndra dans
les campagnes une salutaire influence que n'y auraient pas des maîtres obscurs, qu elque gratuits
qu'ils fussent.
Les aig uillons de l'émulation ne sont pas dans
des facilités com munes et gé nérales , dans une bien[aisance banale et modiqu e qui n' émeut ni la raison , ni le cœur . Ils sont dans l'éclat , les succès,
les récompenses montrées à une distance assez
proche pour ne p:lS d écourager , assez éloignée
pour exciter il qu elqu es efforts.
L'utilitc ahsolue des premiers élémens d,'instru c-
( 2 ~7
)
tion frappe moins le vulgaire qu e les ava ntages a ttachés à leurs dével oppemens. Dites à un paysan
qu 'il serait utile qu e son fils sût Iirc; il n'en discon viendra peut-être pas , mais il Ile se donn era
pour cela aucun soin . Dites-lui que, s'il lait un
léger sacrifice, son fils pourra participer aux
avantages gratuits d'une éJuca tion libérale qui pent
conduire à tout ; il mettra avec empressement à
cette loteri e, dont les chances /latteront son imag ination et sa tendresse paternelle.
Cette uLile loterie, où personne ne peut perdre
et tout le monde peut gagner , es t établie par la
loi. Tout solder était impossible.
Mettre tout au premier degré de l'instruction,
el rien au second , ce serait manqu er le but.
Nonohstant sa dotation , l'instruction primaire
sel'ait déserte comme par le passé, parce qu e ce
n'est pas le défaut de dotation qui en éloignait.
Faute de dotation , l'instruction second aire languirait comme auj ourd'hui, et l'on serait privé des
avantages que les encom agemens qu'on ,'a lui donner offrent à une multitude de familles presqu'<lUssi
nom breuses que cell es qlli peuplent les campagnes.
On a donc saisi le meill eur mode) lorsqu'a u lieu
d e solder entièrement le premier degré d'instruction , auquel il est si facile, mème pour l'indigence,
de parvenir , on s'est born é à l'encourager; et l'on
a porté surie second degré des favcurs qlli lui étaient
�( 228 )
nécessaires, et qui , rejaillissant sur le premier , profitent il tous.
Je vote pour le projet.
,
DISCOURS
Prononcé nu Corps législatif , en qualité d'orateur
du Tribunal , SUI' le proj et de loi concernant
l'organisation de l' Instruction publique , du 11
floréal an la ( 2 mai 1 8 02 ).
Lorsqu'on est appelé à discuter devant vous la loi
sur l'instruction publique, on éprouve cette sensibilité et ce sentiment de bonheur qu'ont excité les
nombreux traités qui, en constatant la gloire du
peuple français , viennent de fonder sa félicité. En
e1I'e t, cette loi met un tel'me au x: maux qu'entraînaient J'organisa tion imparfaite des études et leur
dépérissement. Elle va donner la paix aux leUres
et aux arts , et joindr.e aux lauriers de la victoire
roli ve de Minerve.
L'assenlÏment presqu' unanime du Tribunat, les
motilS de son vote si bien présentés par mon collègue, les ,développcmens donnés par l'orateur du
Conseil d'Etat , et la refutation des objections que
( 229 )
Je projet avait éprouvées, ne me laisseraient rien à
dire. Hier je n'eusse pas retard é votre délibération :
~nais ~uisque vous avez jugé il propos de l'ajourner :
Je crOlS nécessaire , non à votre conviction, mais il
l'importance de la loi, à la solennité dont elle est
digne , d'en proclamer en peu de mots la sagesse
et l'utilité.
Elle ne réalise pas , sans dou t,e , ces romans philanthropiques qui , envisag eant la nécessité des'instruire à l'égal de celle de se nourrir J ou vrirait dans
chaque commune un e source pure et gratuite d'enseig nement o~ chacun pourrait puiser ; qui supposent que la sOlf en serait générale J et qu'il suffit de
I~lire des établisse mens utiles, pour que la multitude se hâte en foule d'en profiter.
L'expérience dément ces brillantes théories. Si
cl"
,
, un.e part, aU,cun Etat ne serait assez riche pOlir
S y hvrer , de 1autre part, on es t consolé de cette
impuissance par la connaissance cl u caractère des
hommes.
Combien d'établissemens olI'e rts en vain à l'oisiveté ~ t à l'in s ou ci~ n ce ? Co mbien de bibliothèques
pub!tques on ver les utilement, sans doute, pour quelques-uns, et null es pour un si grand nombre ? L'in(1ifJérence qui déshonore t~ nt d' uabitans des villes
es~ indig'ène dans les ca nlpag'nes. Les individus pl u;
~res ~e la natUl'e , plusoccupés cl'elle, y sont llJ oins
Irappes des avantages de l'instruction , même été-
�( 2 30 )
mcntaire. Avant de la leur offrir il gra nds frais pour
l'É lat , il faudr ait donc la leur (aire désirer.
Or ce désir , le projet de loi l'inspire, par les faveurs graduelles répandues sur les divers d egrés de
l'instruction . Il ne les prodigue pas dès l'entrée,
parce qu'elles n'y sont ni possibles ni nécessaires ;
parce que ce qui est facile et à portée de chacun,
u'exige pas de grands encouragemens.
Les habitans d'une commuue rurale désireront-ils
un instituteur primaire ? lis le demanderont au conseil municipal) auprès duquel ils ont, outre les droits
de citoyens , tous ceux des liaisons , des relalions
journalières et d' un intérèt commun. Cette demande seule sera le garant qu'ils enverront leurs
en (ans à l'instituteur primaire sans que l'État Je salarie.
Les habitans d'une autre commune plus indifférens , ne feront· ils au cune demande? Un maire, un
conseil municipal plus éclairés teront d'office l'é tablissement; et si l'ind ifférence continu e, si l'instituteur reste sans élèves, ce sera une preuve que
l'État a sagement fait d e ne pas le salarier.
Enfin, le maire et le conseil municipal partageront-ils l'apathie de leurs administrés? Le sous-préfet , qui a la sllrveillance des écoles primaires, provoquera l'établissemen lIl Y aura donc des écoles primaires par-tout où
elles seront désirées, et même par-tout où eUes pa-
,
(
23 1 )
raÎtront dés irabl es aux agens du' Gouvern ement )
'lui alors les établira.
.Te vois là tout ce qu ' iJ était pr,ssible de faire; je
vois tout , excepté ce lte co ntrainte qu e l' un des adversaires du projet aurait so uhaitée. Mais comment
lurcer des pères de famill e il envoyer leurs enfans
à l'école ? Le culte des Jettres ne se commande pas
l'lus que celui de la re ligion. T out y est libre) toul
doit y être de sentimellt et de persuasion.
Le premi er titre du projet ainsi justifié, on ne
r encontre plus une obj ec tion sérieuse. Rien ,,'est
plus à dérendre, tout est il applaudir.
Cette loi , prenant ce qu'il y a de plus sage d ans
l'o pinion des meill ellrs publicistes) qu'en mati ère
d'instru ction , il f;lUt ueauco up laisser raire aux
particuliers) cummanue moins qu' ell e n'exhorte et
invite; eUe I~lvorise bea u co up plus q n'elle n' établit.
J"e Gouvern ement s'associe pour l'exécution, et
les communes et les particuliers; il les met en part
d e son pouvoir. C'est un règlement de ramill e où il
les ilPpcll e tous· pour pourvoir il leurs besoins eL ~
leurs intérêts. JI ne se réserve que la sun'eillance et
les encouragemens.
~es conseils municipau x étaJJliront les écoles primaires.
Qu ant aux écoles second aires, des particuli ers
en ont ouvert avec succès : on respec te cell e propriété rondée par leurs taleus) consacrée pa r la
�( .32 )
( 253 )
confiance des citoyens. Non-seulement ils continueront d'en jouir, mais ils participeront aux en couragemens accordés aux établissemens publics du
même genre,que les communes sont invitées à faire.
Ces encouragemens , principe fécond d' ému lation, pour les parens ) pour les discjples, et pour
les maîtres, vont donner aux études sur tout le sol
de la France une activité qu'ell es n'avaient jamais
eue autrefois qu'à Paris.
Dix colléges , tous membres de la même université , rivaux de gloire, unis de principes et d'instruction , s'y disputaient à qui produirait le plus
d'élèves dignes d'être couronnés dans un concours
solennel : ce concours sera général dans loute la
France pour les places nationales destinées aux
jeunes gens les plus instruits.
Sans doute ces lycées, ces écoles spéciales qui
en sont le complément et le sommet, forment une
grande amélioration dans le système d'enseignement. Mais , plus nous sommes riches de cette invention, moins peul-être d evrions-nous déprécier
les richesses ancienn es auxquelles nous sommes redevabl es des progrès que nOlis avons faits. Ne soyous
pas ingrats envers ceux qui furent nos maîtres; et
parce que nOlis perfectionnons l'enseignement, ne
méprisons pas ceux qui nous apprirent à les surpasser.
Si l'éloquent ami des mères de lamille et de leurs
cnrans a trouvé dans les deux triJ)unes nationales de
dignes défenseurs, j'en désirerais aussi pour ces universités d'où sortirent tant d'hommes instruits et
célèbres: le nom seul de Rollin et de quelques-uns
de ses successeurs les recommande il la reconnaissance publique. Où enseigna-t-on mieux les belleslettres, les principes d' un goût pur et exquis? Si
les sciences exactes y brillèrent d'un moiudre éclat,
ce fut bien plus la faute des temps que celle des
hommes estimables qui présidaient à l'instruction.
On ne songe pas que depuis dix ans, les universités sont dans le tombea u , qu'eUes y ont élé jetées
au moment où, d'une marcbe lente, mais sûre, elles
allaient profiter des découvertes nouvelles.
C'est de leur sein qu e sont sortis en gra nd nombre la plupart de ces bommes qui ont conservé dans
nos écoles secondaires et cen trales, qui porteront
dans nos lycées et nos'écoles spéciales, ces connais·
sances profolldes, ces traditions certaines de la
bonne liltJ rature et de l'excell ente instruction . Faisons mieux que nos devanciers, puisque les progrès
d es luruières et la raveur des temps nous le permettent; mais respectons ceux qui ouvrirent la route,
et nous y ont laissé de si beaux monumens.
Un des ava ntages les plus remarquables du projet ,se trouve dans celte école speciale et militaire,
où les prodig'es enranlés par une g uerre sans exempIe, et dont les causes ne peuvent plus renaître, se-
�( 254 )
( 255 )
ront fixés , réduits Cil art el en principc. Les inspirations subites du courage ct du génie y seront
conservées et transmises pour l'honneur il la fois et
la défense de la patrie. Si jamais nous étions forcés
de reprendre les armes, de jeunes défenseurs marcheraient il l'ennemi, forls de leur propre vigueur
et de l'expérience de capitaines qui ont 'épuisé tout
ce que la guerre peut lournir de hasards et de difficultés .
Enfin le grand bienfait du projet, celui qui, ce
me semble, lui donne le prix sur tout ce qui a été
conçu jusqu'à présent dans ce g'enre, c'est l'ét<lblissement de ces élèves nati onaux qui, en fondant 1"
population des écoles, en assurent l'existence el
l'accroissement.
JI faut des encoma gemens aux étud es: à qui les
donner, si ce n'est il ceux qui ont le beso in et le
désir de les suivre? A quoi bon des pro fes.'eurs ,
s'ils sont sans discipl es?
N'approuvera-t-on jamais que ce qui est loin de
soi? On loue Sparte d e son éd uca tion publique. Un
insensé même ne pourrait p<lS so nger il élever aux
frais de l'É tat tous les enfllDs d'u n ,mssi va ste empire que la Ff1lDce. Ma is on imite, :tut'lOt qu'il est
possible , cette institution, lorsqu e) e~ se chargca nt
de six mille qu atre ce nLs élèves . l'E tat propose il
tous les pères de famille.' l'accès de ces places pOlir
leurs enf<lns. Tous en seront susceptibles; ies plus
dignes seront admis: ainsi le bien f"it ri e l'éducation nationale se répandra immédiatelllentsur beaucoup, et médiatemen t sur tous.
.
.
Tels sont les principaux avantages de la 101 qUI
est présentée à votre sa nction. Le Tribunat, censel~r
né des proj ets de loi, doit être avare d'éloges. MaiS
puisqu'iL parLe pour le peuple , il peut) sans blesser
l'austérité de ses devoirs, applaudir à une loi lorsqu'elle est aussi bien combin ée. Il peut remarquer
avec satisfaction qu'elle est le fruit hâtif d'une paix
à peine conclue; qu'elle promet il l'instruction des
encouragemens précieux) aux citoyens de grands
avantages, et il l'État une immense utilité.
RAPPORT
Fait au Tribunat, au nom da la seclion de Législation. , SUT' le litre Il du Code CiviL) relatif aux
Actes de l'état civil, dans la séance du 17 ventosa an 11 ( 8 mars 1803).
La nécessité de conserver et Je distinguer les familles a, dès long-temps, introduit chez les peuples
policés d es œgistres publics oll sont consignés la
naissance) le mariage et le décès des citoyens.
On a écarté ainsi la difficulté el le dang'er des
preuves t<!slimonia!cs; on a donné nU titre 3ulh en·
�( 206 )
tique à la possession, garanti les citoyens con Ire la
perte, les omissions ou l'inexactitude des titres domestiques. La grande famille s'est constituée gardienne et dépositaire des premiers et des plus essentiels titres de l'homme: il ne naît pOInt en elfet
pour lui seul ni pour sa famille ~ mais pour l'État ( 1).
En constatant sa naissance, l'Etat pourvoit à la lois
à l'intérêt public de la société et à l'intérêt privé de
l'indi vid u •
Ces registres sont communs à toutes les familles,
par quelque rang, quelques fonctions, quelques richesses qu'elles soient distinguées. Destinés à marquer les trois grandes époques de la vie, ils nous
rappellent que nous naissons , que nous nous reproduisons, que nous mourons tous selon les mêmes
lois; que la nature nous crée égaux (2), sans nous
faire pourtant semblables, pares magis quam similes; que les dissemblances proviennent d'une
organisation plus beureuse ou mieux cultivée, du
droit de propriété, des institutions et des conventions sociales qui, si elles ne sont pas du droit
naturel proprement dit. n'en sont ni moins respectables ni moins nécessaires.
( 1) IVOn, tantùm parenti Cltjus esse dicilar, ve,.ùm etiam
reipublicœ n,ascitur. L.
1 ,
§ 15, fi' D e vent in poss. mittend.
(2) Quoad j us naturalc altÙl.et J ornJU:8 homines œquales
IJUIlJ.
L. 32 , fi' D e regul . jurii.
( 23 7 )
La révolution trouva les œgistres de l'état civil
dans les mains des curés. li était assez naturel que
les mêmes hommes dont on allait demander les bénédictions et les prières aux époques de la naissance,
du mariage et du décès, en constatassent les dates,
en rédigeassent les procès-verbaux. La société ajouta
sa confiance à celle que déjà leur avait accordée la
piété chrétienne. Seulement on les assujétit à remettre le double de leurs reg'istres aux greffes des
tribunaux, protecteurs et juges de l'état civil, dont
les prêtres ne pouvaient être que les premiers dépositaires.
Il faut avouer que les registres étaient bien et fidèleruent tenus par des hommes dont le ministère exigeait de l'instruction et une probité scrupuleuse;
leur conduite, surveillée par les lois, comme celle
de tous les autres citoyens, était garantie par la
sanction plus spéciale de la religion qu'ils enseignent. Ils n'ont pas toujours été heureusement remplacés dans ceLte fonction im.portante ; on a fréquemment remarqué , dans plusieurs communes,
des inexactitndes, des omissions, quelquefois même
des infidélités, parce que , dans les unes, ce n'était
plus l'homme le plus capable, et dans d'autres le
plus moral qui était chargé des registres.
Néanmoins on doit espérer que les inconvéniens
assez nombreux qu'on a éprouvés disparaîtront. Ils
eurent leur cause dans ùes choix qui s'améliorent,
�-.
•
( 23 9 )
Le premier co ntient les dispositions générales
communes à tous les actes civils.
Trois chapitres sont relatifs aux trois espèces
(l'actes destinés il faire preuve de la naissance, du
mariage et du décès.
Un cinquième chapitre traite de ce qni concerne
l'état civil des militaires hors du territoire de la
France.
Enlin, malgré les préca utions prises pour la meilleure rédaction des actes de l'état civil, il est pos$ible
qu'ils aient quelquefois besoin d'être rectiliés. C'est
l'objet dn sixième chapitre.
Tel est le plan de la loi. En voici les principaux
détails.
Elle ne considère ici la naissa nce, le mariage, le
décès, que comme des faits dont la sociét.é recueille
la preuve au moment où ils arrivent: c'est à d'autres époques qu'on en jugera, s'il y a lieu , la vérité
e t les conséqu ences. llien donc ne doit être inséré
dans les reg'istres qu e ce qui appartient essentiellement il ces raits eux- mêmes . Aucune circonstance
lJui en altérerait l'uniforme simplici té, qui ferait
l'avant.age ou le préjudice soit des parties qui y ont
intérêt , soit des tiers qui y so nt étrangers, ne doit y
tro uver piace.
J,es officiers de l'état civi l , rédacteurs et conservatenrs ri e ce que les parties leul' déclarent, n'ont
qu'un ministère passif il l'emplir . Quelques fOl'm a-
( 258 )
il mesure que les citoyens éclairés el propriétaires
sont appelés aux emplois.
La relig'Ïon catholique rom aine n'étant plus dominante, on ne peut pas obliger les familles qui ne
la suivent pas, à recourir à ses ministres il l'époque
des évènemens qui excitent le plus leur intérêt. La
nation , qui ne doit pas , comme les individns, se
diviser en sectes, a dû établir , pour tous les citoyens, des registres et des officiers dont ils pussent
tous se servir sans répugn ance.
Quand même tous les Français professeraient le
même culte , il serait bon encore de marquer fortement que l'état civil et la croyance religieuse n'ont
rien de commun; que la r eligion ne peut ôter ni
donner l' état civil; que la même indépendance
qu'elle réclame pour ses dog mes e t pour les in térêts spirituels, appartient à la société pour r égler et
maintenir l'état civil et les intér êts temporels.
C'est donc avec raison qu'on a conservé l'institution des officiers de l'état civil , conçue par l'Assemblée constituante, et exéc utée par la Législative.
Le principe en es~ juste et bon; l'exercice s'en perfectionn era par les qualités des hommes qui en seron t chargés, par l'iutérêt de tous les citoyens , empressés de surveiller des ac tes d'une si grande importance pour toutes les famill es, et par les sages
précautions prises dans la loi qui est proposée.
Elle est divisée en six chapitres.
,
�( 240 )
( 241 )
lités leur sont imposées pour la clarté et la perfection des actes; mais aucune déclaration de leur cheJ:
aucune énonciation , aucnne note ne leur est permise. Ils ne sont point juges; ils sont greffiers, commissaires enquêteurs; ils ne peuvent écrire que ce
qu'on leur dit, et même uniquement ce qu'on doit
leur dire.
Souvent par un zèle inconsidéré, d'autrefois pal'
un sentiment plus répréhensible) les rédacteurs des
actes civils s'étaient permis de contrarier ou d'affaiblir les déclarations qui leur étaient faites. On en
avait vu suspecter la légitimité qui leur était certifiée, nier ou révoquer en don te le mariage dont on
leur disait qu'un enfant était né, en demander les
preuves, et changer en inquisition des fonctions
simples qui se bornent à recueillir des déclarations.
L'article 35 du projet prévient cet abus que l'ancienne jurisprudence avait déjà réprimé, et qu'il
faut à jamais proscrire. II contient même une grande
amélioration, lorsqu'en prohibant toute énonciation
on note quelconque du cher des officiers de l'état
civil, il a soin J'exprimer qu'ils ne peuvent écrire
que ce qui CÙJit leu/' être déclaré parles parties.
C'est-à-dire, que si l'eurant qui leur est présenté
est né de parens qu'on leur dit maries, ils le déclareront; que s'il est né hors du mariilge , d'un père
qui l'avoue, ils le déclareront; que s'il est né hors
du mariage, J'un père qui ne l'avoue pas, ils ne
feront pas mention du père : car ce qui doit être déclaré par les parties ) c'es t un père certain , ou par le
mariage) ou par son aveu ; ce n'es t point un père
qui se c~che et dont la loi ne perm et pnint la recherche.
. Nous trouvons ici la solution d'une question qui
fut, l'année dernière, vivem ent débattue dans le
Tribunat.
D'après cette règle, qu e l'offi cier de l'état civil
n'en est point le juge , qu'il est le rédacteur des déclarations à rec ueillir sur le fait qui doit être constaté, on avait pensé que si, en lui présentant un
enfant né hors du mariage , on en désig nait le père,
cette désignation devait être écriLe, toutefois avec
la mention formelle qu' elle était faite par la mère.
On voulait conserver ainsi au prétendu père Lous ses
droits, contre une assertion fau 5se el injurieuse.
On opposa à cette disposition l'espèce de fl étrissure qui en pourrait résulter pour le père désigné ,
le trouble qu'elle jetterait peut-être daus un ménage
bien uni, l'encouragement qu'elle donnerait à la
calomnie et à l'audace des prostitu ées.
On la défeudit par la nécessité de constater le fait
de la naissance: elle suppose toujours un père : s'il
est connu, de qU f'I<[u e manière qu'il le soit , il doit
être désigné . On disait qu 'il esLjU5tede permettre il
une femme malheureuse de flomm e .. à la société
l'homme qui la .. endit mère; qu'il serait cruel de
t6
,
�( 242 )
lui inlposer un silence qui la confondrait avec les
femmes perdues, qui ne connaissent pas même ceux
à qui elles s'abandonnent. On faisait valoir l'i.ntérê,t
de l'enfant; il lui importe de connaître un Jour a
qui il pourra s'adresser, et de quel homme il pourra
p,l usparticulièrement réclamer la tendresse, au '
moins la pitié.
.
Si la r echerche de la paternité hors le marlage
était admise, la désig nation du père, faite au nom
de la mère dans l'acte dt: naissance, en serait sans
cloute une base désirable et essentielle. Mais la recherche de la paternité non avouée devant être interdite hors du mariage .il faut convenir que la désiO'nation du père serait sans but. L'intérêt moral
,
de" la mère et J e l'enfant ne peuvent pas etre
un motif suffisant pour le législateur qui s'occupe principalement des intérêts civils. Il est d' ailleurs mille
rapports moraux sous lesquels il est bon de prohiber
la recherche de la paternité hors du mariage, et
par conséquen t d'interdire des déclarations qui,
malgré la loi, commenceraient celte recherche, en
marquant aux yeux de tout le monde l'individu
désigné comme père.
Vous voyez que ceux qui out concouru à la préparation de la loi ne sont res tés attachés ni à leurs
premières idées, ni à des rédactions arrêtées: n'ayant
pour but que la justice et la vérité, ils sont revenus
avec empressement sur leurs pas.
( 24 5 )
L'article 55 règle donc, avec une louable précision, les devoirs de tous ceux dont les actes civils
sont l'ouvrage. Les officiers rédacteurs ne peuvent
ajouter ni diminu er aux déclarations qui do"~ent
leur être faites; mais les parties ne do"~e"t déclarer
que ce que la loi demande. Si ell es vont au delà,
l'officier public peut et doit refuser ce qui , dans
leurs déclarations, excède ou co ntrarie le désir de
la loi.
L'article précédent indique tout ce qui doit être
énoncé dans les ac tes de l' état civil: l'année , le
jour , l'heure où ils seront reçus; les prénoms, noms,
âge, profession et domicile de tous ceux qui y seront dénommés, ou de lenrs procureurs spécialement fondés, si les parties ne comparaissen t pas en
person~
(1) .
Les actes de l'état civil ne son t pas livrés aveu glément à la fo i des offi ciers publics; ils doivent
être certifiés par des témoins mâles , âgés de vingtun ans au moins, et c1:lOisis par les parties intèressées . n sera fait mention de la lecture qui leur en
aura été faite , ainsi que de la cause, s'ils n'ont
pas signé, qui les en aura empêchés (2).
(1) Article 36 .
( 2) Articles 37 , 38 ct 39'
�Les actes seront inscrits sur des registres tenus
doubles (1).
Ces doubles répéteront tout ce qui aura été originairement inscrit sur les premiers registres, et
tout ce qui pourra y être ajouté par addition ou correction (2).
Pour la sûreté des registres, ils seront paraphés
sur chaque feuillet par le pré5ident du tribunal de
première instance: les actes y seront inscrits de suite
sans aucun blanc; les ratures et renvois seront signés et approuvés. On n'y employera ni abréviations
ni chiH'res (3).
Ils seront clos et arrêtés tous les ans, et déposés,
l'un au greffe de la commune, l'autre au greffe du
tribunal (4).
Les procurations et autres pièces dont il y sera
mention y seront annexées, et déposées, avec le
double des registres, aux greffes des tribunaux (5).
La sollicitude d'une tendre mère qui veille sur
l'existence de ses enrans, ne leur prodigue pas plus
de soins que la loi n'en a donné à la confection des
(1) Art. 40.
(2) Art. 49.
(3) Art. l, l, 42.
(4) Art. 43.
(S) Art. 44.
( 245 )
actes civils. On ne peut imaginer aucune sûrete
qu'elle n'ait prise.
Ces actes n'appartiennent pas seulement aux parties et à leurs familles; ils son t à la société entière. Les registres où ils sont inscrits et conservés
seront donc ouverts à tout le monde; chacun en
pourra prendre communicati.on et en demander extrait (1).
Si, malgré l'injonction de la loi, il n'a pas été
tenu de registres; si la malice des hommes ou l'injure des temps les ont soustraits, alors la preuve
légale et authentique qu'ils sont destinés à fournir
sera suppléée par la preuve testimoniale: alors les
registres et papiers émanés des père et mère seront
consultés (2) . Malgré la juste répugnance des lois
pour la preuve testimoniale, la première chose
avant tout, est l'assurance ou le rétablissement de
l'état des hommes. Après leur avoir préparé les
moyens les plus authentiques de le constater, il faut
leur accorder au besoin des moyens subsidiaires.
Par le même principe, si un Français n'est pas à
portée de recourir aux registres de sa patrie, s'il se
trouve en pays étrauger, il pourra, à son choix,
employer les formes et les registres établis dans le
(1)
(2)
Art. 45.
Ar! . 46.
�(
~46
)
pays , Ou s'adresser aux agens de sa nation qUi y
résident (l).
Tant de soills pris en faveur des citoyens pour
leur état tourneraient cependant contre eux, et
contrarieraient l'intentiun de la loi, si de lenr
omission il en pouvait résulter des nullités. A moins
donc que les actes ne soient r econnus faux, leurs
imperfec tions ne les laisseront pas sans force: ils
donneront toujours aux citoyens un titre quelconque ; mais les officiers négügens ou coupables seront
punis selon l'eJcigence des cas, et seront responsables des négligences et des fautes qu'ils auront
commises; et si les dépositaires de ces registres les
laissaient altérer, même sans connivence avec les
auteurs de l'altération, ils ser a;'~ nt civilement tenus
du préjudice qui en pourrait résulter (2).
La sollicitude de la loi n'est pas encore épuisée,
il lui reste un dernier moyen . A la fin de chaque
année, au moment où le double des registres est
remis au greffe des tribunaux, le commissaire du '
Gouvern ement les vérifiera; il déno ncera et poursuivra les con traventions (3), non pour les faire
réparer: il faut , dans une matière aussi délicate,
attendre la réquisition des parties intéressées; mais
(,) Art. 47 et 48 .
(2) Art. 50, 51 ,52 .
(3) Art. 53 .
( 247 )
il fera punir l'officier négligeut pour le ramener à
l'observance de ses devoirs.
Voici maintenant les règles particulières qlle trace
le .chapitre II, relativement aux naissances.
D'abord la naissance doit être déclarée dans les
Irois jours de l'accouchemen t (1). Je ne répéterai
pas les motifs expliqués par l'orateur du Gouvernement au Corps législatif, qui ont déterminé à supprimer la peine que la loi de 179 2, sur l'état civil,
pronon çait en cas de relard; ils sont d'une évidente
sagesse. J'ajouterai seulement que, quoiqu'on n'ait
pas voulu menacer ceux qui dissimuleraient la
naissance d' un en fant, (le peur que la crainte du
châtiment ne leur deviot uo motif de persévérer
dans leur faute , 0 0 o'a pas eotendu néanmoins
laisser impunis des r etards où un silence qui dégénéreraient en suppression d'état. Seloo les circonstances, il Y aurait lieu à poursuite, soit civile, soit
c~iminelle, de la part des parties intéressées ! 0\1
même de la partie publique.
La naissance est un fait; il doit donc être justifi é
à celui qui en donne acte. L' enfant sera p~ésenté à
l'officier de l'état civil (2).
L'acte de naissance doit faire connaître le sexe
(.) Art. 55.
(2) Art. 55 .
�( 248 )
de l'enfant, ses noms el prénoms, ceux de ses père
et mère, leur profession et domicile ( 1).
De l'obligation de nommer le père, on n'induira
point qu'il doit être nommé s'il ne se déclare pas,
ou s'il n'est pas con nu par son mariage avec la mère•
•
Ainsi que je l'ai dit en expliquant l'article 35, ce
sont des faits certains qui doivent être déclartls.
t'existence de l'enfant est un fait; l'accouchement
es t un fait; la mère est certaine et conn.ue. Sans
Joute la naissance suppose un père; mais quel est-il ?
il est incertain , à moins que son mariage ne le manifeste, ou que, d échirant lui-même le voile sous
lequel le mystère de la génération le lient enveloppé, il ne se monlre et se nomme. Le sens de
I"article 57 es t donc qu'on n'énoDcera que le père
qui veut ou qui doit êlre déclaré.
L'enfant qui naît dans le mariage, est un présent
que ses parens font aux mœurs et à l'État: fruit et
réco mpense de l'union des époux, il est par eux accueilli avec allégresse et traus port ; leurs amis, leurs
voisins prennent part a leur joie, et la société consigne honorablement dans ses registres son avènement à la vie et l'accroissement d'un e famille.
Mais le mariage ne produit pas seul des enfans ;
il en naît d'unions furtiv es et illégitimes: les uns
sont avoués par leurs deux parens; à d'autres il ne
( 249 )
reste que leur mère; d'autres enfin, orphelins dès leur
naissance, abandonnés par leur père, qui peut-être
n'a conservé aucune relation avec leur mère, repoussés du sein qui les porta, paraissent n'appartenir
à personne. Ce ne sont pas moins des hommes: plus
ils sont isoles, plus la grande famille leur doit de
protecti.ou et d'assistance.
Quoique le but principal des registres ait été de
conserver et de distinguer les familles, de préparer
et de former les preuves de la paternité et de la filiation, ils seraient incomplets, s'ils ne contenaient la
mention de tous c~ L: -: ui naissent.
Appartenir à une fa;-~ùe, être legitime, être reconnu par un père hors du mariage, ce sont là des
modifications de l'état, et des distinctions purement
civiles et arbitraires, uniquement fond ées sur les
mœurs de chaque peuple, ou sur la volon lé absolue
du Législateur (1); c'est l'état particulier ou l'état
de tel individu. llbis avoir droit à la liberté, à la
cité, à la protection de ses lois, c'est l'état public,
l' état du citoyen. Tous les membres de la société
en sont investis, de quelque manière qu'ils y viennent, c'est dans ce sens qu'ils sont éga ux.
C'est pour cela qu e la loi ordonne d'enoncer
avec le même soin et dans les mêmes registres, la
(1 ) D 'Asnesseau ~ E86ai sur Pétat d e3 personnes} t. V,J
P·4 1 7·
�( 250 )
naissance des en fans légit,mes ou illég,times, présentés par leurs parens, quels qu'ils soient, ou recuelllis par une main bienfaisante, ou par la commisération publique.
, Si une rig'ueur justement adoptée pour l'intérêt
et le repos des familles, interdit à ces enlans la recherche de leur père, la loi n'en prescrit pas moins
de décrire avec exactitude, tou"t ce qui leur a été
laissé dans leur abandon. Un simple vêtement un
,
'
hallion pourront quelquefois aider à un retour de
t endresse . à des remorùs, et r endre des enfans à
des parens qui les voudraient retrouver, ou auxquels
un heureux hasard les fera reconnaître (J) ; ici la loi
n'est pas seulement prévoyante , elle est affectueuse
et pa ternelle.
Elle pourvoit avec la même sagesse (2) à ce que
les naissances et les décès arrivés dans un voyage de
mer soient constatés, et que les actes en parviennent
aux officiers de l' état civil charo-és
du d épôt b
O'énéral
b
'
où tout se conserve et se doit retrouver. Ainsi, on a
renfermé dans un même cadre tout ce qui concerne
l'état civil , et l'on sera dispensé d'aller chercher des
d.is~ositio n s éparseS dans di verses lois. Déjà notTe
legJSlatlOn avai t statué sur les naissa nces et les d écès
(1 ) Ar!. 56.
(2) .AIt. 59, 60, 86 el 87 ,
( 2ih )
arrivés en mer ; mais on l'améliore beaucoup en
exigeant que les actes en soient rapportés aux registres généraux de l'éta t civil où ils seront inscrits.
Des circonstances et des ruotifS don t il vous sera
rendu compte dans le rapport sur le titre de la paternité et de la filiation, laisseront notre législation, à
l'égard des enrans naturels , non pas aussi relâchée
qu'elle le fut pendant le règne d e la Convention nationale, mais moins sévère qu'elle ne l'avait été
avant la r évolution. Il continuera d'être permis de
reconnaître des enfa ns naturels: cette reconnaissance
assure et adoucit leur sort, elle leur donne une naissance civile; ell e doit donc se trouver dans les r egistres de l'état civil ; et il en doit être fait mention
en marge d e l'acte de naissance , s'il en existait un,
qu'elle vient si puissamment appu yer: c'est à quoi
pourvoit l'article 62, qui termine le chapitre des
naissances.
Nous naissons pour nous reproduire , c'est Je vœu
de la nature et le besoin de la société; en ruême
temps qu'elle encourage les mariages, elle doit donc
veiller à leur preuve. C'est l'obj et du troisième chapitre.
Un mariage n' est pas seulement l'affaire des deux
individus qui le co ntractent , il intéresse et leurs familles et la société; il est susceptible d'oppositions
et d'empêchemens; il ùoit elllporter une possession
publique de l'état d'épo ux: il" faut douc qu'il soit
�1
1
( 2!b )
connu; il faut qu'il le soit (lvant même d'avoir contracté, afin que s'il souffre des obstacles légitimes
ils aient leur effet.
De là vient la nécessité des publications.
Comme elles appartenaient autrefois aux curés
qui étaient les ministres dù contrat civil de mariage
ainsi qu'ils étaient les dispensateurs du sacrement ,
elles appartiendront aux officiers de l'état civil , à
présent que le contrat est tout-à-fait séparé et indépendant du sacrement.
La loi du 20 septembre 179~ n'avait exigé qu'une
publication. Avec raison la loi nouvelle en impose
deux. C'est le supplément de ce qu'avait autrefois
de plus éclataut et de plus vulgaire, la publication
aux prônes. Dne grande foule entendait malgré soi,
ce que personne n'est contraint d'a~Jer lire à la porte
de la maison commune. Le bruit de la publication
pouvait facilement parvenir à ceux m~ me qui n'y
avaient pas assisté : parce que cela peut ne plus être,
il y aura deux publications.
Afin qu'on ne profite pas scandaleusement de
publications surannées, o u qu'on n'élude pas des
oppositions dont la cause serait postérieure, les publica tions n'auront de va leur que pendant un an,
après lequel , si le mariage n'a pas été célébré, elles
devron t être renouvelées (1).
( 255 )
En vertu du principe que le3 officiers de l'état
civil en son t les ministres et non les juges, les oppositions, pourvu qu'elles soient en forme régulière,
les arrêteront. Ils ne feront pas l'acte du mariage,
que les tribunaux n'aient donne main-levée des oppositions. Il devra donc leur consler qu'il n'y a point
eu d'oppositions, ou qu'elles ont été levées (1).
L'âge des époux doit être exprimé; et si l'un
d'eux ne peut rapporter son acte de naissance, il y
sera suppléé par un acte de notoriété. De peur qu'il
n'y ait dans le défaut de pré5entation de l'acle de
naissance quelque fraude à l'autorité paternelle ou
à la loi, le mérite et la suffisance de l'acte de notoriété supplétoire seront jug'és par les tribunaux( 2).
Les droits des parens sur les mariages sont conservés; l'officier de l'état civi l ne peut en dresser
acte qu'il ne Lui apparaisse de leur consen tement on
des actes respectu eux par lesquels on l'a requis, ou
demand é leur conseil (3), et il en fera mentioo.
Enfin, le domicile, quant au mariage, est déterminé par six mois d'habitation continuelle dans
la comm un e. Le mariage ne pourra être célébré
que dans la commune olt l'un des deux '"poux aura
son domicile (4).
(1) Art. 66,
or ,68,69'
(2) Art. 7°,71, p.
(3) Art. 13, 75.
(4) Art. 74·
�( 254 )
( 255 )
J,a loi qui veille sur nous dès le moment de noire
naissance, nous suit jusqu'à notre mort, et nous
protège encore dans le tombeau.
Le chapitre IV commence par une disposition
importante de police, et ne permet l'inhumation
que· sur l'autorisation de l'oŒcier de l'état civil. En
s' assurant de la certitude du décès, il en empêche
la supposition, et par le délai de vingt-quatre heures
qu'il doit faire observer il écarte les dangers d'une
précipitation trop funeste (1).
S'il Y a des signes, des indices, ou des soupçons
de mort violente, un officier de police sera appelé
pour eu dresser procès-verbal, car s'il y a un délit
il faut saisir le dernier moment qui reste pour le
constater (2).
l,es actes de décès, comme les autres actes de
l'état civil, doivent contenir tout ce qui sert à désigner l'individu, à constatér son identité, à faire
slilte à sa naissance, à son mariage, à compléter
les actes de son passage sur la terre (3).
Les décès dans les hôpitaux et au tres maisons
publiques y seront consignés dans des registres particuliers, mais sans préj udice de l'obligation de les
rapporter et de les insérer dans les registres généraux et communs (1).
Les actes de naissance, de mariage et de décès
ne devant contenir que ce qui est essentiel à la
preuve de ces fails, le genre de mort sera soigneti.
sement excln des actes de décès: il ne s'agit point
de recueillir des notes pour l'éloge ou la censure du
défunt; on ne veut, on ne doit constater que le
jour où il a cessé de vivre. On n'affligera donc point
les (amilles d'une mention qui irait hors dn but.
L'infamie du supplice ne poursuivra pas jusque
dans le tombeau l'homme qui a satisfait à la loi(z).
Cette disposition renouvelée d'une loi de l'Assemblée constituante est digne d'une natiou humaine et éclairée. Elle peut servir à éteindre le
préjugé qui étend à une famille entière la honte d'un
seul de ses membres; elle ménage, en attendant,
l'honorable délicatesse qui est un des traits les plus
marquans dn caractère français.
Le chapitre V des actes de l'état civil, concernant les militaires hors du territoire, est une créaLion nouvelle.
L'accroi~ement que notre état militaire a pris,
la loi qui y appelle tous les jeunes Français sans
exception ont dû la déterminer.
(1 ) Art. 77.
(2) Art. 8 r.
(3) Art. 79·
(1) Art. 20.
(2) Art. ~5.
�( 256 )
( 25 7 )
Quand on soignait avec une attention si scrupuleuse l'état civil au dedans du territoire , il ne fallait pas l'abandonner au dehors à l'égard de ces
nombreux bataillons qui vont soutenir au del à des
fronti ères la gloire des arm es et du ' nom Crançais.
La patrie pour laquelle ils combattent, sera toujours avec eux dans leurs camps et sous leurs drapeaux; s'ils lui prodiguent leur sang, elle leur
prodiguera tous ses soins. Ils préCèrent la gloire à
la vie, l'État à leurs famill es , ilsafl'ron tent lamort:
la loi recueillera tout ce qui concerne leur état civü, dont ils s'occupent trop peu d ans leurs immenses
sacrifices; elle veillera à ce q~l e leur honora ble trépas ne reste pas inconnu dans la poussière d'un
champ de bataille et sur une terre étran g'ère.
Des registres seront tenus par leurs officiers dans les
mêmes formes que les r egistres de l'état civil ordinaire. Les expéditions des actes qui y se ront reçus,
seront adressées à l'officier de l'état civil du domicile des parties intéressées, lequel les inséreradans
les registres généraux et comm un s à tous les citoyens.
Cette"institution est plein e d'avantages. D'abord
elle protège et assure mieux qu'il ne l'avait jamais
été, l'état civil des militaires et les int érêts de leurs
familles.
Elle oppose un Crein nécessaire au tumulte et à
la licence des camps. Elle met obstacle à des ma-
riages abusifs, et à la supposition de ceux qui n'existèrent même pas abusivement.
Elle fournit de meilleurs moyens de constater et
les décès nécessairement si multipliés, et les naissances aussi; car on en rencontre qu elqu efois dans
les camps, comme ces fleurs rares dont la uature
égaie les monumens funèbres , et couronne les arcs
de triomphe.
Enfin les militaires invités, assujétis même, au
milieu des armées, à des form es ci,'iles, seront rappelés à cette id ée dont il est si esseutiel qu'ils se
pénètrent , qu e 1:1 profession des armes , sans contredit la plus brillante de toutes, n'est pas l'état naturel de J'holnme et du citoyen ; que la société,
les droits individuels et la prop"iété se conservent
habituellement par des voies, des form es et des
professions plus douces ; que la guerre est un remède violent, un état de crise; qu'on est soldat
par accident , qu'on est continu ellement citoven,
et, à ce titre , toujours soumis aux lois , toujours
protégé par elles.
Le chapitre VI , de la R ectification des actes de
l'état civil, complète la loi.
Cette recti/icHtion que des erreurs, des négligences, quelquefois même des délits , peuvent
rendre nécessaire, ne dépendra jamais de ceux qui
dressent les actes , ni de ceux qui les conserven t. Ce
qui est écrit est écrit. Il ne leur est pas permis de
'7
�( 258 )
( 25 9 )
toucher au dépôt qui leur est cou fi é. Les tribuu,lUx
seuls, en grande connaissance de cause, à la réquisition des parties J après avoir appelé tous ceux
qui y ont intérêt J et entendu le commissaire du
(;ouvernementpour l'intérêt public, peuvent ordonner la rectification.
Telle est l'analyse du titre que je suis chargé de
vous présenter.
Je ne vous ai pas rendu compte du travail de votre
section de législaLion sur chaque article, sur chaque
terme des dispositions; je ne vous ai pas parlé de
ses utiles communications avec la section correspondante du conseil d'É tat , et des efforts faits en
commun pour portel' la loi à une perfection digne
de la sanction du corps législatif et de la reconnaissance de la nation .
Ce que je vous dirais à cet égard , est commun
à tous les titres du Code 1 est semb lable à ce que
vous faites chacun dans les sections du Tribunat J
relativement aux matières qui sont dans leurs attributions.
Une discussion moins éclatante, mais plus approfondie, qui laisse moins de champ aux talens
oratoires, mais qui produit une utilité plus réelle,
est le résultat des travaux préparatoires du 'fribu. nat dans ses sections. Comme Minerve qui sortit
toute armée du cerveau de Jupiter, la loi se présente pour subir ses dernières et publiques épreuves,
épurée et perfectionnée dans des épreuves particulières.
Le droit civil et la jurisprudence de la Fmnce,
malgré la diversité et la bisarrerie de plusie1.!rs couturnes, étaient déjil les meilleurs cie l'Europe. La
sagesse de ses tribunaux, les talens de ses jurisconsu ites, l'observance du droit romain dans une
grande partie de son territoire, Je respect et l'autorité de la raison écrite qu'il avait obtenus dans
les provinces même où il n'était pas reçu comme
loi, les travaux des l'Hôpital , des Lamoignon ,
des d'Aguesseau , et de tant d'autres illustres magistrats, tout cela avait concouru à corriger, autant qu'il était possible , ce que le droit posiLifprésentait de défauts plus saillans. Tout cela avait fait
mieux connaître les véritables principes de la j ustice distributive , el facilité leur application par des
règlemens et des orclonnances qui ont plus d'une
lois servi de modèle il d'autres nations.
Deux choses rest.aient à désirer, une grande et
belle uniformité qui , par la communion des mêmes
droits civils , resserrerait l'union politique de tous
les citoyens fran çais. Un corps complet de lois où
seraient rassemblées en un même volume les règles
fondamentales relati ves aux personnes, aux biens
et aux conventions; où l'on trouverait les décisions
principales sur chaque matière, jusqu'à présent
éparses dans des milliers de volumes.
�( 260 )
( 261 )
Cest la même entreprise qui immortalisa Justinien ; mais elle est renouvelée avec les avantages
que le siècle présent a sur le sien, par l'esprit mé
thodique, la clarté, la précision, qui le distinguen t
par dessus tous ceux qui se sont écoulés.
Ils n'en seront pas moins respectables, ces antiques
jurisconsultes qui furent à la fois des savaus, des orateurs, des magistrats, des philosophes, dont Rome
s'honora dans toutes les époques de sa grandeur, sous
ses l~ois,sous ses consuls, et dans le siècle d'Auguste.
Ceux qui leur refusent l'hommage que l'univers leur
a rendu, ne connaissent pas les nombreux oracles
de raison et de sagesse que contiennent leurs décisions; ils s'arrètent superficiellement à l'espèce de
confusion qu'ils remarquent dans la collection qui
nous les a conservées; dél'lUt qui ne leur appartient pas, et qui est dû autant à l'abondance et à
la richesse des matières qu'au temps où elle fut
raite.
Sont-elles bien plus méthodiques, sont-elles surtout plus équitables ces coutumes, débris des lois
des barbares et des Visig'o ths, établies au gré de la
féodalité, dans l'enclave de chaque comte ou de
chaque haut-justicier, suivies par ses vassaux, inconnues hors de ses domaines, et variant d'une contrée à l'autre, parce qu'ayant peu de principes fixes
elles étaient arbitraires?
Mais il ne s'agit point d'élever entre le droit cou-
tumier et le drQit romain, nne guerre dès longtemps terminée par le cousentement unanime des
natiQns : il ne s'agit point de consacrer dans notre
Code des dispositions, parce qu'elles appartenaient
aux lois d'Athènes ou de Home, ou d'en dédaigner
d'autres, parce qu'elles remontent à des époques
moins anciennes et moins brillantes. Les coutumes,
les ordonnances des Rois, la jurisprudence des parlemens, les décrets des Assemblées nationales, fournissent à l'envi d'excellens matériaux. Il faut puiser
avec choix et impartialite dans ces mines abondan tes , prendre, de chacun des droits qui ont régi
successivement la France, ce qui conviendra le
mieux à nos mœurs présentes, ce qui ménagera le
plus des préjugés et des habitudes qui se combattent , ce qui sera le plus approprié à cette transaction qu'il faut établir, entre des contrées dont on
change et modifie les usages pour les amener
toutes aux mêmes règles.
C'est le but que se sont constamment proposé les
estimables rédacteurs des premiers projets dn Code,
et tous ceux que le Gouvernement a appelés à revoir et à perfectionner avec eux lenr plan. Il ne
tiendra pas à votre Section de législa tion , à vous ,
auxquels elle soumet le jugement de ses travaux ,
au Corps législatif, qui médite, rejette ou adopte
les vœux formés dans votre sein, et sanctionne les
lois, que ce grand ouvrage ne s'accomplisse d'une
�( 262 )
manière digne de la nation, et du siècle, et des
époques où il aura été sérieusement entrepris et
terminé.
JI me reste à vous dire, pour en revenir à ce qui
fait le sujet particulier de mon rapport, que le titre
des actes de l'état civil est dig'ne, tel qu'il est. d'être
admis dans notre Code; c'est le recueil le plus complet et le plus parfait de ce que les ordonnances,
les arrêts de règlement eL la loi du 20 septembre
1792 avaient statué sur cette importante matière.
Les dispositions anciennes ont été encore améliorées quand elles ont pu l'être; des dispositions nouvelles y ont été ajoutées: en un mot, la prévoyance
eL les précautions ont été poussées aussi loin qu'elles
peuvent l'être sans devenir pourtant minutieuses et
embarrassantes.
DISCOURS
Prononcé en qualité d'orateur du Trihunat, au
Corps législatif, sur le titre du Code cù-il:
De la manière dont on acquiert la propriété, du
29 germinal an 11 ( 20 avril 1802 ).
Si J'instinct et la nature de l'homme ne J'avaient
pas porté d'abord à la société, sa raison i'y aurait
( 263 )
amené. Sa sûreté individuelle et sa propriété, les
deux choses qui le touchent le plus, prennent en
elfet, dans l'état social, une fort:e immense.
Sans la société il serait réduit à ses seules forces,
ou fortuitement à celles de quelques individus qu'un
intérêt passager lui réunirait. Aucune prévoyance
en commun de l'avenir; point de cette vigilance publique qui s'occupe des individus sans qu'ils y songent; point de propriété, que de la chose dont on
serait réellement et physiq1lement saisi.
La société seule peutgaran tir à l'homme le champ
qu'il a cultivé et qu'il ne saurait gar~er : ,la propriété ne serait qu'un rêve et une, p~etentlOn ch,mériques, si la société ne la consohdalt et ne la soutenait.
C'est donc pour être libre de sa personne et maître
de sa chose que l'homme s'est mis en sociéte _ H
toutefois il n'y naquit pas originairement) et si eile
,n'est pas un bienlait q~ e le ciel lui accorda avec
l'existence,
La sûreté et la propriété) bases de la société , doivent l'être aussi du Code civil.
La sûreté individuelle ne se borne pas dans l'état
oe société à la faculté d'aller, de venir, oedisposer
de soi; elle se compose de tout ce qui tient à l'élat
de la personne, à ses droits de famille, à sa ma.
nière d'exister social ement: c'est pour ce 1a que l'elat des personnes a dû être le premier objel du Code.
..----
�( 264 )
( 265 )
Le second, celui qui va vous occuper maintenant,
est la propriété.
La propriété s'acquiert et se transmet.
Avant de régler comment elle se transmettra, il
faut déterminer comment elle s'acquiert.
Si l'occupation fut le mode d'acquérir le plus na~
turel et par conséquent le premier, il ne saurait
être considéré dans l'état social. En effet, l'occupation n'est qu'un fait, qui cesse avec la détention de
la chose.
Un autre peut occuper ce que j'occupais tout à
l'heure. Il faut, pour empêcher ces occupations successives qui seraient une source de dissensions et de
querelles quelquefois sanglantes, que l'occupation
reçoive un caractère légal , et que le fait qui la
constitue soit cOlIVerti en droit.
L'occupation, sans autre titre, d'un immeuble,
ne sera donc pas un moyen de l'acquérir.
La propriété immobiLièr~ s'acquiert et se transmet, par succession, par donation, par contrats ,
ou par suite des contrats (t).
Elle s'acquiert aussi par l'accession qui vient s'a-'
jouter ou s'incorporer à ce que nous possédons
déjà (2), et par la prescription qui consacre la
posseSSIOn.
La possession est une détention de fait et de droit,
qui dispense de la détention contilluelle et lui substitue la détention de volonté (1).
La détention de fait appartient à l'ordre naturel;
l'ordre social ne peut la reconnaître qu'en la légalisant.
fi n'y a donc de moyen d'acquérir ce qui a déjà
un maître, que par son consentement, par son
obligation, ou par prescription.
Ce qui n'a point de maître est réservé à l'usage
commun de tous, d'après des lois de police qui règlent la manière d'en jouir (2).
Quant aux choses mobilières, quoique par leur
nature elles soient, même dans l'ordre social sus.
'
ceptlbles de l'occupation et de la détention continuelles , la société a dû régler aussi la manière dont
~n les acquerrait. C'est pour cela que l'occupation .
SImplement et proprement dite n'est pas mentionnée
même à leur égard.
L'état social ne permet pas que la chasse, la
pêche, les trésors, les effets que la mer rejette., les
choses perdues, soient, comme dans l'état de nature, au premier occupant. L'usage des facultés
(1) Arlicle ,er.
(~) Article ~.
(J) Lieet p08sessio mula anima acquiri non possit, tomen
'8010 aldmo retinel'i potese. L. N Cod. De acquiT. et l'etin.
pOGse.
(~) Article 4.
�( 26 7 )
( 266 )
naturelles, les faveurs du hasard el l'avantage de
la primauté ne doivent pas être en c~ntradictio.n
avec une propriété préexistan te et mieux fondee
en droit.
Ces notions préliminaires, qui auront leur développement dans des règles particulières, ont dû
être placées à la tête du livre qui traite des di1f~
l'entes manières d'acquérir la proprit\té (1); ces lOIS
seront hors du Code, parce qu'elles ne sont pas
d'un intérêt aussi important et aussi général que
les successions, les donations entre-vifs ou testamentaires, et les obligations.
On pourrait s'étonner que de ces trois grands
moyens d'acquérir et de transmettre la propriété,
les successions soient le premier dout on s'occupe.
Il semble qu'il faudrait d'abord régler ce qui se fail
pendant la vie'avaut de songer à ce qui arrive quand
elle est terminée.
Nt\anmoins il y a plusieurs raisons de cette préférence.
Les successions sont réglées et (léft\rées par la
loi. Il faut statuer sur ce qu'elle veut avant d'en
venir à ce qu'elle permet.
20. La succession est une espèce de continuation
du domaine du défunt en faveur de ses proches.
Elle opère une moindre mutation de propriété que
10.
(1) Articles 5 , 6 ct 7·
A
les donations entre-vifs, testamentaires, ou que les
obligations.
Enfin, on a pour ce que l'on veut faire pendant
sa vie, les règles de sa raison et les droits de sa volonté; mais il faut que la loi dispose SUl' ce qu'on
n'a pas fait. 'fous les jours on meurt, tous les jours
on succède; les successions étaient l'objet le plus
urgent à régler, celui qui rendait le Code plus désirable et plus nécessaire.
Quelque important que soit l'état des personnes,
quelque prééminence qui lui appartienne sur les
biens, on n'a eu qu'à rassembler et améliorer des
lois déja bonnes. L'état des personnes n'avait pas
été subverti autant que les successions, bouleversées
d'abord par l'effet rétroactif J morcelées ensuite par
des divisions et des subdivisions infinies, qui, pour
donner quelque chose à chacun, auraient fini par
ne laisser rien à personne.
La matière des successions est immense. Rassembler en quelques pages les principes qui doivent y
présider, choisir les meilleurs modes de succéder,
ceux qui sont les plus conformes à l'équité et les
plus simples, qui prévi~nnent le plus les contestations, ou qui en rendent la décision facile; faire
connaître clairement aux citoyens, des règles qui
les intéressent tous individuellement, puisque tous
sont appelés à recueiUir el à transmetlre des successions: lei est le but qu'on devait se proposer.
..
�( 268 )
.T'espère, que vous jugerez, comme le Tribunat
dont j'ai l'honneur de vous apporter le vœu, qu'il
a été heureusement atteint.
L'ouverture des successions, les qualités requi5es
pour y parvenir, les divers ordres de successions,
les modes de les accepter 011 de les répudier, ceux
de les partager, sont les principaux objets sur
lesquels le titre des successions devait statuer.
Aussitôt que nous mourons, tous les liens qui
tenaient nos propriétés dans notre dépendance se
rompent; la loi seule peut les renouer. Sans elle le>
biens destitués de leurs maîtres seraient au premier
occupant. Chaque décès ramènerait l'incertitude et
les désordres que l'état social a fait cesser. La succession est donc une institution civile, par laquelle
la loi transmet à un propriétaire nouveau et désigné
d'avance, la chose que vient de perdre son propriétaire précédent. La' mort seule ouvre la succession (1) : il ne saurait y avoir de succession d'un
homme vivant.
On ne regarde point tel ce coupable qui, gdces
à l'humanité des lois, a conservé sa tête, mais marquée du sceau de l'infamie. Il respire; il n'est point
séparé de la nature, il l'est de la société qu'il a
grièvement olfensée; elle lui a retiré les préroO'a.
, li
C
tlves qu e e donne, : elle protégera encore la vie
(,) Article 8,
( 26 9 )
qu'elle lui a laissée, mais comme celle d'un esclave
de la peine, qui Ile peut rien posséder, qui n'a ni
existence ni droilS civils. La mort civile comme la
mort naturelle ouvre donc la sllccession (1).
La mort naturelle est un fait physique et irrévocable qui frappe les yeux. La mort civile est une
privation morale qui a besoin de jug'ement et d'exécutiou. Prononcée contre uu coutumax qui n'a point
été enteudu, qui peut·être serait absous s'il se présentait et se'laisait entendre, elle n'est définitivement
encourue qu'après un délai que les lois ont déterminé. Ce n'est qu'à l'expiration de ce délai qu'elle
donnera ouverture il la succession du condamné;
car les lois aiment à le réputer encore capable des
effets civils, tant qu'il est dans les délais qu'elles lui
accordent pour se représenter et se justifier (2).
Quoique la mort naturelle soit un des failS les
plus éviJimset les plus faciles à constater, elle arrive
quelquefois au loin sans qu'on en trouve de témoin.
D'autres fois elle s'étend au même iustant, dans un
grand désastre, sur plusieurs personnes, sans que
l'on sache quelles sont celles qui ont 'succombé les
premières. Ce mystère est indilFérent à éclaircir, si
elles n'ont entre elles aucun rapport de successibilité.
Mais si un père et un fils, si une sœur et un Ii-ère
(1) Article 8.
(:1) Article 9.
�( 27 0 )
ont péri dans le mème naufrage ou le même incendie,
il importe de déterminer quel est celui qui est décédé avant l'autre; car celui qui a survécu, ne fûtce que d'un instant, a succédé; il a transmis à ses
héritiers et sa propre succession et celle qui passa
un moment sur sa tète. Selon que l'on présumera
la survie de l'un ou de l'autre, les héritiers seront
ditférens. fi a liliu statuersurce cas, que les voyages
d'outre-mer et mill.e accidens rendent commun. On
a cherché à mellre autant qu'on l'a pu, les présomptions constantes de la loi,à la place des suppositions et des argumens intéressés des parties. On ne
pouvait cependant pas exclure les circonstances du
fait; elles auront le premier rang dans cette discussion (1) : car les faits sont au dessus des présomptions, qui ne peuvent en être que le supplément.
Ainsi, quoiqu'il soit présumable que dans une
ruine commune le plus lort aura péri le dernier,
cette présomption serait écartée, s'il était prouvé
que le danger c<opital a d'abord et premièrement
investi le plus fort ,want de s'étendre au plus faihie: les conjectures tirées de la force de l'âge ou
du sexe, seront toujours suborJoimées aux circonstances du fait (2).
M3is si l'on n'en connaît aucunes, ou si elles ne
( 17 1
)
sont pas suffisantes , on les combinera avec les présomptions de la loi. Elle les établit avec une grande
• .
sagacité.
Tontes choses égales entre des enfans J le plus age
est présumé avoir survécu.
Entre des sexagénaires, la présomption est toute
contraire: elle est en faveur du plus jeune.
Entre un enllint et un vieillard, la présomption
est encore pour la jeu nesse (1).
A égalité d'âge, elle est pour le sexe le plus fort ( 2).
La mort, soit naturelle, soit civile, à l'instant où
eUe frappe dénnitivement, ouvre donc la succession.
Elle l'ouvre au pront des héritiers légitimes; elle
. les saisit de plein droit du patrimoine du défunt,
sans qu'il soit besoin (l'aucune demande de leur
part (2) : utile et belle conception, au moyen de
laquelle la propriété ne reste jamais en suspens, el
recoit malgTé les vicissitudes et l'instabilité de la
'
vie, nn caractère d'immutabilité et de perpétuité.
L'homme passe, se~ hiens et ses droits demeurent.
Il n'est plus: d'autres lui-même continuent sa possession, et ferment snbitemeilt le vide qu'il allait
laisser.
A défaut d'héritiers légitimes (on nomme am Si
.
(1) Article 10.
(1) Artièle 11.
(:>.. idem.
(:>.) Article 1:>'.
(3) Article '4.
�( 172 )
ceux que les lois désig nent pour recueillir de plein
droit les successions ) , le Code appelle un autre
ordre de personnes ; d'abord les enfans naturels ,
s'il y en a ; sinon l'époux survivant, enlin l'État (l),
Mais attendu qu'ifs ne sont pas des héritiers légitimes proprement dits, ils ne sauraient être saisis
de plein droit comme le sont les héritiers légitimes
et réguliers; ils doivent recourir à justice et se faire
en voyer en possession (2).
~laintenant
qu e la mort ou naturelle ou civile a
ouvert la succession, et qu'elle en a saisi de plein
droit les héritiers légitimes , il faut reconnaître ces
héritiers, et savoir quelles sont les qualités dont ils
ont besoin pour recueillir (3).
La première , c'est d'exis ter au temps où la succession s'ouvre; car s'il n'y a pas de succession
d'un homme vivant, il n'est pas possible non plus
qu'il y ait transmission du défunt à un autre défunt,
ou à un être qui n'existe pas encore : pour être saisi ,
il faut être vivant.
On présume tel, l'enfant qui croît au sein de sa
mère : il est en effet ou le lils o u le parent du défunt ; et s'il naît viable, il ser ait contraire à l'équité
(1) Article 13.
(2) Article 14.
(3) Chapitre JI.
( 27 3 )
et à la r aison que son existence certaine -' q uoiqu'elle
ne fût pas entièrement développée, n'écarta pas des
parens plus éloig nés.
Comme un fiât physique s'oppose à ce qu' un héritier qui n'a pas existé ou qni a cessé de vivre soit
sais\ , nn fait léga 1empêche que le condamné à mort
civile ne le soit aussi. Il (ilUt avoir, pour succéder,
la double capacité naturell e el civile (1).
La capacité civile appartient à tout Français jouissant de ses droits civils, et même aux étrangers
dans les mêmes cas et de' la même manière qu 'ils
nous l'accorden t chez enx (2).
En vain on aurait la ca pacité de succéder si l'on
s'en était rendu inilig ne. Les Romains avaient multiplié les incapacités : nous les réd uisons à trois.
La condamnation pour attentat à la vi e du défunt.
On n'hérite pas de ceux qu'on assassine.
Une accusation capitale et calomnieuse portee
contre lui.
L'indiJIér ence pour son assassina t qu'on n'a ni
poursuivi ni dénoncé, à moins que le devoir de
venger sa mort n'ait été étouffé par un devoir contraire, celui de ne pas se rendre dénonciateur d'un
parent (3).
Ar ticle 15 .
(2) Article II, .
(3) Artidcs 17 el 18.
( 1)
IS
/
�( 274 )
Vhéritier exclu par indignité est il l'instar d' un
possesseur de mauvaise foi. S'il avait joui de la succession, non-seulement 6n la lui ôterait j mais 011
lui en arracherait les fruits (1).
Les faut es sont per sonnelles. L'indignité du père
ne nuira donc pas à se s e!lCans, s'ils peuvent venir
de leur chef à 1il sucee ssion, et sans y représen ter
son odieuse tête; mais aussi la justice qui leur es t
acco rdée ne lui pro fitera pas. : il ne pourra prékndœ, en vertu de sa puissance paternell e, aucun
usp fruit sur les biens de cétte succession, de laquelle
il a mérité d'être immédiatement repoussé (2).
Après avoir réglé les qualités des héritiers, il umt
déterminer l'ordre dans lequel ils sont appelés (3).
Les bonnes loi~ ne sont guère que des déductions.
de la raison naturelle, appuyées sur l'équité, et dirigées par l'eXpérience des besoins de la société et
dçs particuliers. Ce nç.sont donc pas des innovations qu'il faut principalementattendredansun code;
0';1. aimera au con traire à y retrouver ce qu'on savaii,
ce qu'on prati'i{uai t , ce que l'usage avait prouvé bon "
on ce que l'habitude avait rendu commode et fap:J.ilier) on, n'y: d ésirer~ qll~ la réforme, des vices de'
législation bien consta ns , ct les améliorations qtl e,
( ,) Arlide ' 9 .
(2) Article 20 ,
(3) Chapitre III.
( 27 5 )
réclament é'videmment le p-rngrès des lumières, et
les changemens survenus dans les mœurs et dans la
position des fortunes.
La raison indique pour les premiers héritiers d'un
défunl ses enfans; à leur défaut, ses ascendans et '
ses collatéraux . Cette notion sera {Ionc la première
base de l'ordre' des successions légitimes (1).
Mais disting uera-t-ou dans les successions la nature et l'brig-ine des biens ? Chaque successeur
viendra-t-il prendre les biens auxquels il pourrait
prétendre ' pl us de droits, sous le prétexte qu'ils
étaient provenus de sa ligne? Les biens paternels
iront-ils aux héritiers paternels ? Adjugera-t-on aux
h éritiers maternels les biens maternels ? distinguerat-on des acquêts, des propres, et des biens en te~
nant lieu ?
Ce fut l'usage d'nne partie de la France jusqu'à
la loi: du 17 nivose an 2; c'était la règle commune
des pays coutumiers. l\<loins heureux en c~l a que les
pays de droit écrit, la distinction de la nature etde
l'origine des biens les latiguait de procès et' de contestations so uvent épineuses et subtiles. La liquidation et le partage dés successions, même quand ils
n'étaient pas contentieux, devenaient difficiles, exigeaient presque toujours l'intervention des hommes
de loi. On simplifia la jurisprudence en abrogeant
(1) Article
~ 1.
(
�( 276 )
celle distinction; et ce ft.t un des bienf.1its de la loi
du 17 nivose, loi s~ge ct louable à beaucoup d'égards, qu'on aurait beaucoup plus .. ppréciée, si
J'injustice de son effet rétroactif n'el. t soulevé contre
elle de trop j listes ressentimens.
En enlevant aux parens paternels et maternels,
à chacun les biens de leur ligne, on crut leur devoir
une indemnité : le principe de la distinction des
biens était équitable; c'étaient les difficultés de son
application qui avaient d,î la faire abrogèr. On y
substitua un partage égaL entre les deux lignes,
sans égard à la nature et à l'origine des biens.
C'était une innovation dans les pays de droit écrit,
où l'on ne faisait jamais qu'une masse des biens,
recueillie en entier par les héritiers les plus proches.
!lIais cette innovation avait pour elle l' équité du
principe de la distinction des biens paternels et ma':
ternels; elle avait l'avantage de prendre un milieu
entre les usages trop subtils des pays coutumiers et
la trop grande simplicité des lois rom:lÎnes à cet
égard. On a de. laisser subsister ce mode qui, en
ôtant à chacun des deux usages différens ce qu'ils
avaient d'excessir, les rapproche et les concilie (1).
Par les mêmes motifs) le pri vilége du double
lien reste aboli, comme il l'avait été par la loi du
17 nivose. La division de la succession entre les
( 277 )
deux lignes donne à cl1 .. cun e une portion égale. Les
parens germains fi g urel'OIJ t dans le, d t:ux lignes
où ils sont placés; mais ils n'excluront pas enti èrement des pareos qui , pour n'avoir pas J e Jroits
dans l'une des lig nes, n'en ont pas moins J'incontestables dans l'autre.
Une [ois la division opérée entre les lig nes paternelle et matern ell e, il n'y am'a plus de subdivision
entre les diverses branches sorties de ces lignes( J) .
0" tarit ici une source fécond e et funeste de préte ntions et d'jnconvéniens. Dans qu elques coutumes, on
avait poussé le scrupule , pour les droits de chaque
ligne, jusqu'à chercher Jans des subdivisions mul·
tipliées, des parens paternels et maternels. 0" remontait jusqu'à ce qu'on en trouvât: c'est cequ'on
appelait la re[ente . Cette minuti euse subtilité avait
passé dans la loi du 17 nivose, et p'lCai,sait y avoir
été adoptée. Cependant plusieurs jurisconsultes ,
profitant de la rédaction quelqu efois peu claire de
celle loi, et désirant prévenir les incon véniens d'une
division presqu'infinie, avaient trouvé, dans le
texte même, des arglJmens contraires. La sagesse
du tribunal de cassation a sanctionné leurs elJ'orts ,
el préparé dans le Code la place de cette décision
qui vient proscrire à jamais un système monstrueux ;
il pouvait appeler un millier d'individus en partage
(1) Article. ~, et ~3.
(1) Article ~(,.
�( 27 8 )
d'une succession, et la dévorer cent fois en recherches de titres, en tableaux de généalogie , en frais,
en contestatjons de toul genre.
Pour reconnaître les Léritiers, et leur,!:listribuer
leurs droits, il faut fixer quels étaient leurs rapports avec le défunt. Le Code définit de la maniè~e
la plus claire ce que c'est que le degré et la ligne.
Chaque généL'ation s'appelle un degré ( L).
La suite des degrés form e la ligne (2). Le nombre
des degrés établit la proximité ou la parent!!.
On avait auLrefois deux manières de compter les
degrés. Le droit civil en donnait une, le droit canonique en fournissait une autre.
Le droit canonique, bon pour régler la discipline
intérieure du rit de l'ég'lise romaine, n'a pointd'autorité extérieure. Notre droit civil doit nous suffire.
Sa computation est d'ailleurs la meilleure et la plus
ancienne. Elle sera uniformément et uJliquement
suivie (3).
J:équité et la loi appellent aux successions les
parens les plus proches, à l'excl usion des plus éloignés. Il a fallu , dès long-temps, statuer sur un cas
qui , dans certaines circonstances, aurait rendu
injuste l'application de ce principe.
( ,) Article 25 .
.C!» Actide .26,
(3) Arlidcs 27 ct 28.
( 279 )
Un père avait plusieurs en rans; il en a marié un,
qui l'a pré.:iécédé , laissant lui-mème des en fans.
L'héritage paternel se divisera-t-il entre les enfans
du père, sans que ses petits-enrans , sous prétexte
qu'ils ne sont qu'au second degré, y prennent'aucune part? Au malheur d'avoir pertlu leur përe ,
joindront-ils celui d' être prives de la portion qu' ilaurait eue dans les biens de leur aïeul? St leur
père eût véc u, ses frères, leurs oncles, auraient
partagé avee lui, pourquoi ne partageraient-ils pas
avec eux ? A défaut de leur père, leur aïeul ne leur
devait-il rien ?
Le droit avait in trad nit pour ce cas la représentation , et le Code a dû la conserver. C'est nne fiction dont l'effet est de considérer le représentant
comme le représenté, de le faire enlrer dans la
place, le degré et les droits de celui qu'il représente: fiction heureuse J qui répare les torts d'un
sort cruel, protège des orphelins, et réalise les espérances dans lesquelles ils ava ient été conçus (1).
J.a représentation n'a point de terme dans la ligne
directe descendante. Qu'importe, en effet, que l'on
soit petit-fils , arrière-petit-fils? Ou (,'appartient pas
moins au malheurenx vieillard dont les yeux affaiblis ont vu nne branche de sa descendance se dessécher snccessivement dans scs prolongemens el
(1) Article 2g.
�( 28 t )
( 280 )
n'oJFrir qu'à uue ex trémité éloig née etd'a utant plus
précieuse à son cœur arfligé, Ull reste de reproduction et de vie (1),
La successibilité des descendans est autant naturelle que légitime; mais celle des ascendans est
contre la marche ordinaire d es évènemens ; on croit
voir remonter un fleuve vers sa source; l'ordre de
la natu re est troubl é: il n'y aura donc point de représentation pour ce cas extraordinaire. L' ascendant, plus proche dans chaque lig ne exclura le plus
éloigné (2).
L~ représentation se borne en lig ne collatérale
aux enrans des frères et sœurs et à leurs descendans: nouvea u bienfait du Code, exclusion de la
représentation dans les degrés ultérieurs , parce
qu'en effet un n'a urait su Où s'arrêter ; par ce qu e les
dl'OÎls des collatéra ux au troisième deg'ré Il e sont
plus assez for ts pour q u'on leur a pplique la fiction
introduite d'abord en faveur des peti ts.fils, et étendue ensuite aux neveux et à leurs descend ans (3).
On ne représentera pas un e personne vivante (4) ,
car on ne peut pas occ uper un e place qu 'elle l'emplit. E Ue aurai t bea u ne vouloir pas user des droits
q u'eUe lui donne; dans ce cas, elle y renonce; ell e
(,) Article 30.
( 2) AJ'licie 3 ..
(3) A,'tjcle 32 .
(4) Ar ticle 34 ·
-
les abjure: sa renonciation nuit à ceux qui la r eprésenteraient,
Mais , pour représenter qu el qu'un , on n'a pas
besoin d'ê tre son héritier ; on peut même avoir refusé de l'être. La raison en e.; t qu'on ne représente
pas un défunt dans une succession Où il serait appelé s'il était vivant , parce qu'on est son héritier ;
car, comme tel , on n'a urait aucun droit sur un e succession ou verte après son décès. On le représente,
parce qu'o n prend sa place da ns la famille; on remplil le degré qu' il eû t occupé. Ce droit est un droit
dt: parenté que l'on tien t du sang; ce n'est pas un
droit qui dépende de l' héritage du représenté .
Après a voir établi les priucipes géll ét'aux de l'ordre
des successions, le Code décide comment elles sont
délërées, d'abord dans la lig ne descendan te.
Les enfans ou leurs descendans succèdent à leurs
ascendans par ég'ales portious. Plus d'injustes distinctions , ni de sexe, nide primogéniture, ni même
de lit (1). Les femmes Ile sont ni moins nécessaires
ni moins précieuses it la société que les hOlllmes, les
cadets que les aînés, les enfans d'un seco nd mariage
que ceux d'un premier, La loi les voit Lous d'un œil
éO'al et leur donne à tous les mêllles droits, C'es t
<> '
aux parens qu'il apparLÎelldra de les dis tinguer salis
injure, de marqu er à ceux qui l'auront méritée une
( 1) Article 35.
�( 283 )
( 28 2 )
. juste prédilecLion . Leurs d ispositions seront le jugement domestiqu e, la loi parti culière de leurs fa, milles; elles pourront y introduire un e inégalité
. raisonnable et m odérée. Mais l'ég'a lité sera le droit
co mmun, le vœu et la disposition g'énéral e de notre
droit civil.
A défaut de d escend ans , et de rrères èt sœurs du
défu nt ou de leurs descendan s, le Code ~ pp ell e les
ascendans, et les préfère aux collatéraux plus' éloigués (1).
La succession co ll at érale ne vient en général
qu' après la succession ascendante et en troisième
orùre. Il y a cel'encbn t des cas où ces deux successious ont réciproquemeut la prélërence l'uu e sur
l'autre. Il y a des cas où elles se mêlent , ol1 'les ascendans et les collatéra ux concouren t ensemble.
Ainsi les frères et sœ urs et leurs descend aus excluent les ascend ans a u second degré, c'est-à-dire
leurs aïeuls (2) .
Ils n'excluent point les ascend ans au premier
degré; ils succèden t avec leurs père et mère. La
succession fratern ell e se partage da ns ce cas entre
la ligne aseenda nte e t la ligne colJatér:de (5).
Mais toujours les pères et mères, et même des
(.) A rticle 36.
(2) Article 40.
(3) Art icle 38.
,.
ascendans qui d'ailleurs ne seraient pas successibles , reprennent les ell'ets qu'ils avaient donnés au
J éluut ( . ) ; c'est un retour légal que l'équité commande.
Les pères et mères ne seront donc pas écartés de
la succession de leurs enrans prédécédés, par leurs
autres enfans. Le. Code les rétablit dans les droits
natnrels que l'ancienne jurisprud ence leur avait reconnus, etque la loi du 17 nivose avait injustement
étouffés. Les mêmes mo tifs qui réservent auxenfa ns
une portion sur le pa trimoine de leurs pères et
mères, en assig nent pareillemen t une à ceux-ci, sur
les biens de leurs enfans prédécédés sans postérité.
Ce n'est pas, comme on l'a dit quelquefois , pour
les consoler de la perte qu'ils on t fa ite. Quelle
somme d'argent peut en ell'e t consoler de la mort
prématurée d' un enla nt cbél'i ? C'est parce que les
droits d' aLimens sont réciproques entre les enfans et
les auteurs de leurs jours ; c'est parce qu'à défaut
de la ligne descendante il est équitable de faire
conLourir le premier degré de la ligne ascendante
avec les frères et sœurs.
C' était un étrange motif de la loi du 17 nivoseque
de dire que les pères n'avaient pas dû prévoir qu'ils
survivraient à leurs enfans. De ce qu'ils n'auraient
(.) Article 37-
�( 285 )
( 284 )
P'IS dei s'attendre à ce malheur, cependant trop
commnn, en sont·ils coupables ? Et sur une succes.~ion dont ils n'ont certaineI1lent pas désiré, dont ils
n'unt pas dû prévoir, si l'on yeut, l'ouverture, devront·ils perdre les droits que la nature leur accorùe,
ce que, dans leur vieillesse ou dans leurs besoins ,
ils auraient recu
, de leur enfant, s'il eùt vécu? Avec
raison le Code se I1let à la place de cet enfant, el
remplit pour lui un devoir qu'il ne peut plus acquitter. D'ailleurs la portion que le Code accorde
aux pères et lUères en concours avec les frères du
défunt qui sout leurs Léritiers naturels, ne leur r eviendra-t-elle pas ? On ne peut qu'applaudir à celte
correction de la loi ÙU 17 nivose.
A défaut de frères ou de sœurs qui excluent les
aïeuls et qui concourent avec les pères et mères; à
défaut d'ascendans qui, en quelqu es degrés qu'ils
soient, pourvu qu'il y en ait ùans les deux lig'nes ,
excluent les collatéraux qui ne sont ni frères ni
sœurs, ni descendans de fr ères ou de sœurs, la succession appartient à ces proches éloig nés .
Mais toujours, soit que les successions, en suivant l'ordre naturel, descendeut avec la filiation ,
soit qu'elles rétrograden t en rernon tant dans la ligne
ascendante, soit qu'elles se répandent en collatérale,
eUes sc divisent entre les deux lignes paternelle et
maternelle: c'est un prindpe commun à tous les ordres de succ.:ssion.
•
Il sera utile .le ,'ésumer maintenant. en peu de
mots les règles des successions ascendantes et collatérales .
Le défunt a-t-il laissé son père et sa mère, etdes
frères et des sœurs? sa succession se partage par
moitié entre la ligne ascendante et la ligne collatél',de (1),
Ne reste-t-il dans la ligne ascend ante que le père
ou la mère? la moitié d u prédécédé . qui est le quart
de la totalité , se réunit à la portion des frères: ils
auront les trois quarts (2).
N'y a-t-il ni frères ou sœurs, ni descend ans de
l'l'ères et sœurs, et se trollve -t-il dans la lig ne asce ndante des parens paternels et maternels ? ils
succèdent et partagent exclusivement aux collatéraux (3).
N'y a·t-il dans la ligne ascendante qu'un parent
paternel ou maternel ? il a la moitié, les r.ollatéraux
ont l'antre: mais si cet ascendant est le père ou la
mère, il prend en usufruit le tiers de la moitié dévolue à la ligne collatérale; c'est lin préciput que le
Code lui accorde sur des collatéraux éloignés (4) .
Après le douzième degré, on ne connaît plus de
(1) Article 38.
(2) Arti cles 39 et 41.
(3) Artidc 3G
(!,) Article 4' .
�1
( 286 )
parenté pour la successibilité (1). EneH'et les preuves
en deviendraient trop difficiles. Cest l'orgueil bien
plus que J'intérêt qui conserl'e les généalogies: le
commun des hommes, étranger aux vanités de la
naissance, est incapable tles soins nécessaires pour
remonter à une origine trop ancienne; et c'est pour
le commun des hommes que les lois sont faites.
D'ailleurs, outre la difficulté des preuves au delà
du douzième degré, le Code a dû prendre un terme
quelconque: sinon, en remontant à l'infini, on ,'errait les familles se confondre, la parenté deviendrait innombrable; et, sous le prétexte d'être-plus
juste, on tomberait dans des partages et des embarras inextricables. Après le douzième degré, on
est si éloigné de la soncbe commune, les sentimens
d'affection et de famille sont si usés , que la plupart
du temps on nt! se connaît pas, et l'nn n'a respectivement pas plus de droits que les autres hommes.
Tout ce que l'on a pu , dans ce cas , accorder
de faveur à la· très - ancieune parenté, a été de
donner à un parent qui serait unique au douzième
degré, la portion de sa ligne et celle de la ligne
défaillante (2).
li peut arriver que l'on meure sans descendans,
sans ascendans, sans collatéraux: que deviendront
(.) Article 4:i.
(2) Article 45 .
•
( ~87 )
les biens? il Y aura lieu alors il la succession ir·régulière .
On appelle ain,i la succession que la loi (lt%re
quand elle ne tW!Lve plus personne dans la famille
qui soit. l'béritier légitime et de droit. Ici la succession qui e"t, comme nous l'avons vu, d'institution
civile , devient encore pl us arbitraire; c'est-à-dire,
plus dépendante de ce droit positir, pan lequel le
législateur;, placé entre diverses manières de statuer, choisit l'une plutôt que l' autre , en cherchant
néanmoins à se rapprocber, autant qu'il le peut,
des bornes immuables de la justice et de l'èquité.
Ces deux sentimells lui indiqlIent, à défaut de
successeurs légitimes, les enbns naturels. Le Code
ne les place~a .pas 1 comme les lois trop peu morales
du 4 juin 1793 et du 12 .brumaire an 2, à côté des
enfans nés d' une union respectable , et sanctionnéc
par toutes les lois domestiques, publiques et rdigieuses; il ne les honorera pas du titre d'héritiers,
il ne leur accordera que des droits; il leur garantira la delte que leur père et leur mère contractèrent en leur donnant la. naissance, et qu'ils a,'ouèrent en les reconnaissant. Les enr.ms naturels n'e..""terceront pas des droits de famille; ils sont hors de la
famille. : maisJe.sang ~le.Jellcl)èr6 et de leup mère
coule daus leurs veines. Ce sont les droits dn sang
que le Code leur ad juge.
Ces droits ne sauraient s' étendre en collatérale
�( 288 )
aux biens de la f.1milJ e dont ils ne sont pas ; ils se
bornent aux biens des père et mère (1) .
A côté des droits hérédüaires des descend ans légitimes, la créance des enlans naturels .sc réduit au
tiers de la portion qu'ils auraient reçue s'ils eussent
été légitimes.
Elle monte à la moitié de cette portion , s'il n'y
a point de descendans légitimes; mais seulement
des ascendans ou des frères.
Elle parvient a.u x trois quarts quand il n' y a que
des collatéraux plus éloignés (2).
l'lais jamais l' enfant naturel n'aura la totalité, à
moins que l'on ne trouve plus de parens successibles (3).
Alors il exclura le fisc, qui est aussi un successeur irrég ulier, mais le dernier de tous.
Si , pour la tranquillité et le repos de leur famille, les père et mère ont eu soin d'acquitter de
leur vivant leur dette envers leur eufa nt natul'el ; si,
en la payant par anticipat.ion, ils ont déclaré ne
vouloir pas qu'il vînt après eux troubler leur succession, le Code maintiendra cette disposition, lors
même que ce don anticipé n'arriverait qu'à la moitié
de la créance: mais si le don était resté au dessous
(1) Article 46.
(2) Article 47.
(3) Article 48.
( 2~9 )
de la moitié, l'enfant pourrait en réclamer le supplément (1).
Une pareille donation es t utile et pour l'enfant
naturel qu'elle fait jouir plus tôt , et pour la ümliUe
qu'elle débarrasse d'un créancier odieux; il est bien
de la maintenir, mais so us la condition équitable
qu'elle n'aura pas été excessivement lésive.
Quant aux enfans adultérins ou incestueux, ils
n'ont pas même de créance; ils n'ont droit qu'à la
pitié : elle ne leur a jamais obten u que dts alimens (2) .
Si nous nous occupons d'eux , ce n'est pas qu'il
soit permis de reco nn aître les frui ts de l'in ces te et
de l'adultère comme ce ux d'une cohabitation illégitime , mais tolérée. Le Code Ci vil a pu permettre
l'aveu d'une faiblesse, il ne souffre pas la reconnaissance d'un crime .
Mais) quoique les enfans adultérius ou in cestu eux
ne puissent être légalement reconnus , leur existence est un fait , et le vice de leur naissance peut
quelqu efois être évident.
Un enfant aura été valablement désavoué par un
mari; il aura été jugé le fruit adultère de l'épouse:
le crime de sa mère ne saurait la dispenser de lui
donner des alimens .
(1) Article 51 .
(2) Article 52 .
�( 290
)
Un homme aura sig né romme père un acte de
naissance sans faire connaître qu'il est marié à un e
autre femme que la mère ou nouveau-né, ou que
la mère est sa sœur; il aura voulu faire fraude à la
loi: l'enfant, ignorant le vice de sa naissance, se
présentera dans la succession ponr y exercer les
droits d'un enfant naturel ; on le repoussera par la
preuve qu 'il est né d' un père qui ne p0uvait légalement l'avouer; mais l'aveu de fait , écrit dans son acte
de naissance, lui restera et lui procurera des alim ens.
Cette disposition est conforme à l'ancien droit; il
était nécessaire de la conserver : car enlin les enfans adultérins ou inces tueux n'en sont pas moins
des hommes; et tout homme a droit de r ecevoir , au
moins des alimens, de ceux qui lui ont donn é la vie.
La succession aux biens des enfans naturels, s'ils
n'ont pas de descendans légitimes, est dévolue aux
pères et mères qui les ont reconnus (1).
Si les pères et mères sont prédécédés, les biens
qu~ les enrans naturels en avaient reçus font retour
aux enfans légitimes des pères et mères (2).
Tout le surplus des biens des enrans naturels ap'
partient à leurs frères ou sœurs naturels, ou aux
descendans de ceux-ci, s'il en existe.
A leur défaut , l'en fant naturel n'a pointd'béritier
(1) Article 55.
(2) Article 56.
( 29 1
)
r~gulier : sa succession appartient à ses héritiers irregulIers. qUI SO?t, premièremen t , ses enrans nat~rels ~ SI, trop fid èle imitateur des vices cl e son
~ece , il ne s'est perpétu é que d'une manière illégit:l!le; secondement, sa femme; et troisièmement
1Etat.
'
Le conjoint survivant et l'État forment en elfet
le second et le troisième ordre de successions irrégulières.
.
. Le conjoi~t s.urvivant , quelqu'étroit que fClt le
hen. qUI 1 umssmt avec le défunt , appartient à une
famtll~ é~r~.n gère . la nouvell e ülmille qu'ils étaient
a .ormer vient à manquer , (
l a 10'l , sanfI es
destmes
,
.
temolg nages d'amitié qu'ils pourron t se donner ne
les appell~ à se succéder qu'à défaut de paren~ de
leurs famIlles respectives; mais si ces parens man~uent, plutôt que d'appeler le fisc, qui est l'h éritIer
onere
pre'fi 1e con. . de ceux qui n'en ont point ,
JOInt survivant (1).
. Le fisc ou le trésor de l'État recueille les succesSIOns auxquelles pe~so nn e n'a le droit de se présenter " p~r . cette rmson que ce qui n'appartient à
aucun
mdlVldu
appartient. (au corps de 1a SOCIete
., ,1
.
.
,.
qUI re~rese nte 1 ulllversalité des citoyens. Jouissant
po?r 1 a:anta?"e commun , il prévient les désordres
qu entralfleralent les prétentions de ceux qui s'ef-
S!
(1) Article 57'
�( 29 2
)
force r~ie nt d'être les pre mi ers occ upans d' une suc-
cession vaca nte.
Les successeurs ir réguliers ne suuraient ê tre,
comme les successeurs rég u liers, saisis de plein
droit.
Us doivent demander l'envoi en possession . I l ne
leur est accordé qu'après des publica ti ons, des lormalités, et sons des précanLi o us propres à conserver les droits des héritie rs r éguliers, s'il veOl,it à
s'en présenter (1).
l\laintenant que le Code a d éterminé qllelS sont
les h éritiers légitim es o u ab intestat ) réguli ers o u
ir récruliers
o
) il va s'occup er des elfets des suceessions, des obligations qu'ell es emportent , des précautions à prendre pour q u'elles ne so ient pas on ér ellses.
D'abord , recueillir une succession est un droit ;
chacun est libre , sauf la fraud e qu ' il ferait aux d roits
du tiers , de renoncer à son droit ; de là une ancienne règle : n'est héritier qui ne veut. Ce tte r ègle
a dù être conser vée (2).
L'acceptation d' une succession peut être onéreuse
comme elle peut ê tre lucra tive . L' béritier saisi des
droits du défunt est, par cela même, soumis à ses
obliga tions : il est son image active et passive.
(1) Articles 60 , 6 , , 62 ct 63.
(2) Article 65 .
( 29 3 )
Il resulr ait de ce pl' iu cipe que beaucoup d'héritiers, craig nant de s'e ngager dans une succession
ruineuse, la refusa ien t. Les Romain s, nos modèles
en ta nt de c boses et nos meil leurs maîtres en législa tion, a vaient vu de l'i nco nvenance dans ce relus.
Ce peuple qui e ut to ujours pour hut principal et
première passion l'immortalité, qui voul ait qu e chaque citoyen p li t di c ter des lois domes tiques qui réglasspr, laprès lui so n patrim oin e, qu'il se survécû t
il lui- même, et fùt to uj ours représenté; ce peuple
rega rd ait comme une in r:lm ie 'lu e l'on mo urût sans
héritier, q u'il ne se tro uv(l t pas quelqu'un qui se
lît un 11Onorable e t génére ux devoir de r ec ueillir les
dl'Oils et de remplir les oblig'atiolls d' un défunt :
opiniou dig ne de la p,'emièr e simplicité de s~
mœurs et de la noble gé nér osité de son carac tère.
A m esure qu e les mœurs s'alfaiblirent, que le
luxe et les dettes qu'il e ntraîne se mu ltipli èrent, il
ne rut plus possible d'espérer , de la part des héritiers, un dévouement qui serait tro p lésif. Cependa nt , pour faciliter , autant qu' il serait possibl e,
l'acceptation des successions , on déterm ina li n llélai pendant lequel les b él'iliers pou l'raient p re ndre
con naissa nce de l' héréd ité, ct délibérer s'i ls l'accepteraient.
Au terme de ce déla i, ils n'eul'ent d'a bord qu'à
~c l'cp ter ou répu d ier. C'est Justinien qu i , perfectionn ant ceLLe idée, Cl'éa le bén éfice d'inven laire)
,
�( 294 )
au moyen duquel l'héritier ne s'oblige pas personnell ement, et ne peut jam,lis être contraint au delà
des forces de la succession.
?ette institutio n 'était trop util e pour n'être pas
unIverselle: elle passa des pays de droit écrit dans
les pays coutumiers. Quel dommage que la multi~I icité des formes et l'avidité des gens de palais
ment falt tourner si souvent à la ruine des successions un moyen qui avait été Leureuseinent imaO'iné
b .
pour l eur conservation et pour la sû reté des héritiers 1 Mais l'abus que l'on peut restreindre en simpl~an t les formes, en r éprimant ceux qui les explOItent. comme une mine abondante pour eux,
qu and Ils ne devraient les faire servir principalement qu'à l'avantage de leurs cliens, l'abus n'empêche pas que l'institution ne soit bonne en soi.
Nous trouvons ici en qu elques articles toutes les
rè~les d~ l:ac?e~tation pure et simple, de l'acceptatIOn benenclalre, et de la r épudiation.
. L'acceptation est expresse, lorsqu'on prend le
titre ou la qualité d'héritier; elle est tacite, lorsqu'on fait des actes qu'on ne pourrait faire sans être
dans l'intention de recueillir (1).
, Les ac~es co~servatoires ne sauraient produire
1 acceptatIOn tacIte ou de fait; ils ne supposent que
(1 ) Article 68.
( 29 5 )
le dessein louable de pourvoir à quelque chose
d'urgent (1).
La donation ou la ven te de ses droits successifs
est une disposition à titre de maître; elle ~'aut donc
acceptation (2).
La renonciation au profit même d'un cohéritier
a le même effet; car elle est une espèce de don
qu'on lui fait. Pour ne pas accepter, il faut répudier ou s'abstenir absolument, s'eu rapporter à la
loi pour la transmission du droit qu'on abandonne,
et n'en pas disposer soi-même.
Les renonciations doivent être connues et publiques. On établit utilemen t , dans les greffes des tribun~lIx de première instance. un registre où elles
devront être inscrites.
Le renonçant est comme s'il n'avait jamais dù
hériter; il ne transmet pas ce qu'il n'a pas l'oulu
recueillir. On ne le représente point. S'il cst seul
héritier, celui qui est dans le degré suivant vient
de son propre chef à la succession. Si le renonçant
a des cohéritiers, sa portion leur accroît (3).
J,a renonciation n'est pas irrévocable; on peut se
repentir tant que les choses sont entières, c'est-àdire, tant que d'a utres n'ont pas accepté, ou qu'on
(1) Article 69'
(l) Article 70 .
(3) Articles 75 et 76.
/
�( 296 )
n'a pas laissé é teindre son droit par la prescrIption (1).
On ne peut r enoncer d'avance à un e succession,
ni en vendre sa part; il raut connaître son droit et
savoir en quoi il consiste pour y r enoncer valabl em ent.
Cette disposition p<l r3Ît contra.i re aux règles du
contrat de ven te, qui permettent de vendre des
choses à venir, tell es qu e d es fruits à recuei llir , des
animaux qui peuvent naî tre, et d'a utres choses semblabl es, quoiqu'ell es ne soient pas encore en nature (2) . On peut vendre un e espérance, un coup
de filet par exemple, un e l iquidation de profits qui
ne sont pas assurés (5) ; mais , dans tous ces cas, le
vendeur est propriétaire. L'espérance qu'il vend a
un fondement réel dans le champ, dans le troupeau,
dans le co up de fil et , d esquels il est le maître; au
lieu que l'espérance d' un h ériti er présomptif d ans
un e succession future n'a po int de base r éell e) et
ne porte que sur la présomption , so uvent rautive ,
qu'il succédera: d'aill eurs, en établissant qu e tout
ce qu e l'on peut avoir , posséder ou r ecouvrer , est
( 297 )
susceptibl e de vente, le peu pl e sage, le conquérant
e t le législateu r du monde excepta les ventes qui
seraient con traires à la nature, au droit des gens)
ou aux honnes m œurs (1).
Or , la vente d e la succession d'un homme vivan t
offense les convellan ces ; ell e suppose autan t le de sir que la trop active prévoyance de sa mort. La
r enoncia tion , si elle es t payée, es t un e vente qui a
les m êm es vices qn e la ,'ente elle-même; si ell e est
gra tuite, elle est une sor te de m épris, une offense
raite à celui d ont on répllcue d 'ava nce l' héritage;
ou s'il la solli cite lui - même, ell e peut ê tre rorcée
par l'autorité qu'il exerce; ell e peut entraîn er pour
le renonçant une lésiou que la loi ne doit pas soufrril"
On avait cependant admis, dans les pays coutumi ers , la renon ciation d es filles: ell e avait pour
m otirs les avantages présens qu'ell es trouvaient d ans
leur dot et leur établissement , et su r - tout l e désir
de conserver les biens dans les ram ill es.
Mais un établissemen t était dû aux fi lles comme
aux mâles; la d o t ne devait être, pour ell es comme
pour eux, qu'un avancemen t d'hoirie. C'était leur
(1 ) Articles 79 el 80.
(2) Fructus et partU$futuri rectè emuntur. L. VIII, If D e
eont. empt .
(3) Spei emptia est, veLuti rnpcu.t GtJium vel ptscium.
1 er , If D e cont. empt.
L . VIII, §
(1) Omnium rerum quas quis 1mbere, vet posswere, vel
p ersequi potest, v enddio rectè fit. Quas v",à natura, vet
gentium jus vol morel)' civitatis commel'cio e". uel'unt , eallun
",ulla vendÙio est. L . JL~lV, § 1 cr, (f D e (:ont. empt.
J
1
�( 298 )
vendre, avec injustice et chert~, un eîablissemenl,
que de le leur faire acheter par la perte de leur
portion héréditaire.
La conservation des biens dans les familles, précieuse à beaucoup d'égards, ne l'est pas assez pour
qu'on y veille au détriment d'une partie de la famille elle-même. Les filles y sont nées ainsi que les
mâles. niai heur à la société, si la nature, adoptant
ces injustes preferences, devenai t plus prodigue de
mflles que de filles, et rompait, dans les naissances,
cet équilibre des deux sexes, si nécessaire à la propagation et à la tranquillité. de l'espèce humaine!
On aperçoit que le droit romain valait mieux, à
cet égard, que le droit coutumier, et l'on ne regrettera point qu'il ail prévalu (1).
Si l'on ne veut accepter la succession que sous
bénéfice d'inventaire, on en fera la déclaration au
greffe (2).
Elle ne sera utile qu'autant qu'elle concourra
avec un inventaire fidèle et exac t qui garantira la
probité de l'héritier et l'intérêt des créanciers (3).
L'infidélité volontaire de l'inventaire, ou les recelés, priveront du bénéfice d'inventaire (4).
( 299 )
J.es délais pour procéder à l'inventaire et pour
délibérer, sont restés tels qu'ils ont été observés de
tous les temps.
L'héritier bénéficiaire est un administrateur pour
les créanciers et les légataires; il leur doit compte.
Il ne peut rien faire de l'elatir il la succession, que
de leur connaissance, et dans les formes prescrites
par les lois sur la procédure civile (1).
Mais aussi, comme un administrateur, il ne
s'oblige point personnellemen t (2).
Une succession à défilUt d'acceptation ou par r~
pudiation, devient vacante.
Si ceux que la loi y appelle ne sont pas connus,
ou si aucun d'eux ne ,'eut la recu eillir, on nomme
un curateur qui l'administre. La section IV du chapitre V du titre dont je VOllS rends compte, traite
des succe~sioDs vacantes. Les règ'les en sont trop
simples pour avoir besoin de développement: il
sufIit de dire que le curateur doit faire tout ce que
rerait l'héritier béné/:iciaire.
U ne fois les héritiers reconous et l'hoirie acceptée, il Y a lieu à partage s'il y a plusieurs héritiers;
c'est le sujet d'un sixième chapi tre , qui traite:
De l' actinn en partage et de sa forme;
(1) Article 81.
(2)
Article 83.
(3) Article 8f,.
(4) Articles 82 et 9',
( 1) Articles 93 et 96.
(2) Article 9'.
�( 30 1
( 300 )
Des rapports ;
Du pa)'emcn t des dettes;
De la garantie des lo ts ;
Et de la r escision en matière d e partage.
Le partage est nécessaire, p arce qu e souvent
J'in division ne convient à perso nn e : en tOllt cas )
il suJlît qu'ell e d épl aise à un seul pour qu 'il ait droit
de la faire cesser.
On ne peut pas m èm e s'o bliger à dem eurer toujours dans J'i ndivision. Une société étern ell e n'es t
pas compatib le avec la mohilit é dc nos intérê ts. Le
Code li mi te très-sagement à cinq .m s la conventi on
cIe suspend re le partage . Après ce débi , ell e est
sans force ; ell e a besoi n cl'è tre renOlll'elée (1).
Il n'y a jama is de par tage pal' le seul fai t; il faut
touj ours un acte qui le règ le, il moins qu e la possession séparée qu 'o n aurait eue ne soÏltr ansform ée
en titre par la prescripti on (2).
La minorité, l'assuj étissem ent à la puissan ce maritale o n patern ell e) ne font p as obstacl c au p artag-e. Ces circonstances cxio'en t seul ement cl es ror"
0
1l1<l li tés et des préca nti ons que le Code prcscr it , et
q ui ne sont p as nécessa ircs qu and to u, les cohéritiers so n t majeu rs (5) .
( 1) AI·ti cte 105.
:2) AI'liclc l oG.
(3) ArlicJe. 1°7, 108 ct l Og.
)
Le juge ment de l'actio n en partage appar tient
autribuual du lieu Ult la succession sera ouver te( 1) .
On a simplifié la décision des d iŒicultes qui peuvent naître dans les partages, en les so umettant à
uo jugement so mmaire; en faisa nt prési der les parlages, s' il y a lieu , pal' un juge (lui , so uvent , sera
un médiateur, et qui , co to ut CilS, me ttra le trib unal a portée de pl'O no l1 cel' pro mptement et équitabl ement (2).
La base du partage éta nt l'éga li té, chaqu e cob ér itier l-a pporte à la masse les dons qu ' il a reçus ou
les sommes dont il es t débi teur (3)_
Ces ra ppol' ts se ront en natu re ou e n
m o in ~
prena nt. En nature, si le d éra ut de ce mode de r" pport emportait une in éga lité imposs ibl e :l rép arer;
en moins prenant , si les co hérili crs trouven t des
immeubl es équiva lens (4).
Ce qui ' a péri sa ns la fau te cl u do nataire, et les
d o ns qui sont plutôt des l\cvoirs ou des marques de
tendresse que des avantages co nsidél'ables, ne se
l'a pportent pas (5) .
( 1) AJ' ti cle 11 2.
(2) Arti cle 11 3 .
(3) A rl icle " 9.
(4) Arti cle 120 .
(5) Arti cles 145 ct
1/,2 .
�( 502 )
Le partage, en divisant les biens, les transmet
à chaque copartageant avec leurs charges.
Chaque cohéritier contribue aux dettes dans la
proportion de ce qu'il recueille ( 1 ).
Il n'est tenu personnellement que de sa part contributive, sauf de souffrir les hypothèques qui porteraient sur le tout (2).
Le légataire à titre universel, qui est une espèce
de cohéritier, contribue proportionnellement aux
deues avec les cohéritiers (3). Le légataire particuüer n'y contribue pas; mais il est sujet aux hypothèques de la chose léguée, parce qu'elles sont
une charge de celte chose même.
Les créanciers porteurs de titres exécutoires peuvent les faire valoir contre l'héritier personnellement, parce qu'il est l'image du défunt; il suffi t'a
que préalablement les créanciers lui en aient donné
connaissance (4).
C'est ici une amélioration introduite dans les
usages suivis à Paris, où l'on faisait déclarer exécutoires contre l'héri tier les litres qu'on avait contre
le défunt: formalit é superflue, qui entraînait des
fi'ais inutiles et contrariait ce principe, que l'héri(1) Article 160.
(.) Articles 163 et ,66.
(3) Article 61.
(4) Article 167'
( 505 )
1
tier est saisi de plein droit, qu'il représente le défunt, et que, par l'acceptation pure et simple, il
s'oblige personnellement, et confond ses biens avec
ceux de la succession.
Les cohéritiers étant des associés qui ont partagé
une chose commune, ils se doivent garantir des
vices et des évictions procédant d'une cause antérieure au partage (1).
Ils sont d'ailleurs propriétaires de leurs lots,
comme s'il n'y avait jamais eu d'indivision ; -et ils
supportent chacun les pertes qui ont des causesjlostérieures au partage, comme ils profitent seuls des
augmentations.
Enfin un partage peut avoir été malfait; il peu t
être lésif. On a conservé l'action en rescision, telle
qu'elle était établie généralement pour lésion de plus
du quart (2).
Quoique les lois nouvelles aient proscrit la rescision en matière de vente, on a dû la maintenir relativement aux partages, parce que les principes
en sont différens.
Le vendeur demande le plus haut prix, l'acheteur aspire au moindre: étrangers l'un à l'autre,
ils ne se doivent rien; leurs intérêts. loin d'être
communs, sont contraires; le plus habile ou le plus
(1) Article ' 74.
(.) Chap. VI, .cct. V.
�( 504 )
( 5u5 )
heureux fait le meilleur marché. Il n'y a poiot de
raison suffisa nte de les recevoir à rescision, puisque
l'essence de leur contrat est de livrer et de prendœ
une chose vénale au prix dont ils seraient d'accord.
Le prétexte de réparer une lésion énorme que le
vendeur aurait soufferte, entraînait des procès dispendienx , dont on a bien fait d'extirper la racine.
On sera plus attentif dans les ventes, quand on
n'aura plus d'espoir de restitution.
On est libre de ne pas vendre, on n'est pas libre
de oster dans l'indivision . La base de la vente est
l'avan tage qu e chacun des contractans y cherche aux
dépens de l'aulre; celle clu partage est au contrail'e
l'égalit é, Le partage est dpnc rescindable de sa nature; car il cesse d'être partage, s'il n'esl pas égal,
sinon mathéma tiquem ent , du moins jusqu'à une
certaine proportion.
!\fais si le premier acte fai sa nt partage, de quelque couleur qu'on l'ait déguisé, est rescindable,
il cesse de l'être, lorsqu'un second acte l'a consacré,
ou lorsqu'on a disposé de son lot. Il n'y a d'exception que dans le cas du dol qu'on n'aurait déco uvert qu'après l'aliénati on, Si on le co nnaissait auparavant, on a renoncé à s'en prévaloir , puisqu'on
a vendu (1) .
T elles sont les principales règles que ce titre du
Code vient tracer aux citoyens, Ils y trouveront
daus quelques pages tout ce qu'il est utile de savoir
sur les successions, ce qui est répand u dans de
nombreux et volumineux traités, dont ce titre est
le r és umé et la quintessence.
Heureux le temps oll la science du droit est assez
avancée pour r éduire ainsi en un petit nombre de
dispositions claires et pl'écises) ce qui a donn é lieu
à tantde discussions, à tant d'ouvrages, à tant de
jugemens!
Heureux le peuple qui, après avoir repris, par
sa valeur, son rang' à la tête des nations les plus
brillantes et les plus policées, se donne encore en
exemple et en modèle par l'excellence de ses lois
civiles?
La sécheresse de l'a nalyse que j'ai été forcé de
vous présenter, ne sera-t-elle pas adoucie par l'importance de la matière?
Des d iscussions politiques ou de droit public agiteraient plus vivement les esprits, mais elles ont leur
danger. Ici tout est profit. On es t froid et tranquille,
parce qu'il ne s'ag'it que d'une utilité jourualière
et d' un bonbeur plus paisible qu'éclatant. C'est du
droit privé, des affaires domestiques et de fam ille ,
que nous traitons; mais tous les citoyens individu ellement y ont intérêt. Cet intérêt est sans doute
d'un assez g'ra nd prLx.
N'admirera-t-on jamais que ce qui est lOin de soi?
( 1) Arlicles '78 et 182.
20
�( 506 )
Lor.sque Rome envoya recueillir ~cs lois tlela Grèce,
pour s'approprier ce qu'elles aViuent de meilleu~ ;
lorsque les lois des Douze Tables Curent exposees
dans la place publique, et oflertes à l'examen et
aux observations de tous les citoyens, Horne ne
presenta pas un spectacle plus imposant que ces
discussions soleDnellcs dont le résultat et Je Jugement vous son t soumis.
Louis XIV et d'Aguesseau, qui avaient tant perfectionné la législation française, appelèrent à la
récbction de plusieurs lois, des hommes habiles, de
s"vans magistrats, de célèbres jurisconsultes. ~e
Gouvernement n'a pas négligé ces moyens, mms
notre nouvelle Constitution a permis davantage;
elle revêtira nntre Code civi l d'une sanction qu'aucun Code n'a reçue depuis les lois des Douze-Tables:
13 sanction du peuple, par l'assen timent de ceux
qui sont appelés à le représenter. Les lois civiles,
pal'Liellemeut rendues par les pré~édentes Assen~
blées, n'eurent ni cet ensemble ni cette matunte.
Elles n'ont pu fournir que quelques élémens à l'ouvrage dans lequel nous avançons si heureuse~ent.
Ces obsel'vations doivent nous être permises,
moins pour nous énorgueillir, quoique justement,
de concourir à ce beau travail, que pour indiquer le
respect qui lui sera dù, lorsque vous l'aurez adopté;
pour nous féliciter de ,'oir élever de nos jours ce
monument auguste, tlu haut duquel des lois sim-
( 50 7 )
pies, autant que le permet la complication des intérêts dans un peuple immense, régiront uniformément trente-deux millions d'hommes.
Quand je temps qui ne pourra effacer le souvenir
de nos victoires, en 'Iura pourtant usé les trophées,
sa faux dévorante n'aura pu encore entamer notre
Code civil. On y recourra, comme depuis tant de
siècles on recourt à ces lois romaines, Où nous nous
honorons d'avoir abondamment puisé, mais que
tout esprit impartial avouera que nous avons améliorées et perfectionnées,
Soit que nous goutions le repos d'une paix glorieuse que tous les Français souhaitent de conserver,
soit qu'on les force à une guerre qu'ils ne désirent
pas plus qu'iJs ne la redoutent, le nouveau Code
civil sera l'un des plus beaux ornemens de la paix,
ou j'une des plus grandes consolations de la guerre.
Tandis qu'elle se ferait loin de nos frontières, il
nous assurera au dedans le bonheur qui est toujours
le fruit des bonnes lois. Il préviendra ou terminera
promptement les procès, espèces de dissensions
moins éclatantes, mais non moins préjudiciables
aux familles que les dissensions politiques qui quelquefois ne les atteignent pas.
Le Tribunat a voté l'adoption du titre du Code ,
intitulé: Des differentes manières dont on aC'Iuiert
la propriété, et l'a cru digne de votre sanction.
�( 308 )
DISCOURS
Prononcé au Corps législatif, en qualilé de ['un
des orateurs du Tribunat, SUI' le titre X du
livre III du Code Civil ( du Contrat de mariage
et des droits respectifs des époux), du 20 pluviose an 12 (19février 1803 ).
Le mariage est le premier et le plus fort des liens
qui rapprochèrent les hommes: sous ce rapport J
il est à la tête des contrats. Cher à ceux qui le forment et dont il double l'existence J il est également
précieux à la société qu'il perpétue; il n'appartient
pas moins aux états qu'aux familles et aux individus; il est à la fois un bien privé et public.
Les conventions dont il est l'occasion se placent
comme lui au premier rang des engagemens; plusieurs sont pourtant plus anciennes. L'échange dut
naître presqu'aussitôt que la propriété, au lieu que
-l'on put long-temps se marier avant de stipuler des
dots , des apports, des reprises. La vente, qui est
un échange plus perfectionné et plus simple, le
louage, le prêt, se présen tèrent tout de suite comme
d'eux-mêmes aux besoins, aux désirs, aux spéculations 1 à la bienfaisance. Les conventions matri-
( 309 )
moniales ne sont dans le ma.·iage qu'un accessoire
dont il peut se passer , et que l'augmentation des
richesses J l'inégalité des lortunes et les précautions
à prendre contre les défauL~, les vices et l'injustice
ne durent introduire que dans les sociétés déjà loin
de leur adolescence.
Le mariage emporta d'abord, sans qu'il fut be~ oill de stipulation J communauté de biens, comme
~l établissait commulJauté tle "ie et d'existence. L'épq use mil tout ce qui était en son pouvoir sous la
main du protecteur qu'eUe avait recherché J ou aux
pieds du bien-aimé à qui elle se donnait. L'époux
partagea tout ce qu'il possédait avec la plus belle
et la meilleure partie tle lui-même, avec l'économe,
l'ordonnatrice de sa maison, la mère de ses enfans.
Ceux-ci lorsqu'ils vinrent à perdre l'un tles auteurs de leurs jours, ou continuèrent à vine en
communion avec le survivant, ou lui dounèrent en
sc séparant une part dans les biens dont ils l'avaient
vu JOUIr.
Telle est l'origine de la communauté. Elle remonte aux premiers âges de la société; elle se rattache aux idées les plus simples et à l'instinct primitif.
La dot et ses prérogatives s'éloignent davantage
de cette confusion de sentimens, d'intérêts et d'existence qui semble devoir naturellement emporter
celle des biens. Il ne s'agit pas de celte dOl que l'on
�( 510 )
( 311 )
paye aux pères pour acheter leurs fiU es, citez les
nations où les femmes sont les premières esclaves
de leur maris; je parle de cette porlion de biens
que la lemme apporte en mariage pour en partager
les ch<lrges, mais dont elle se r éser ve, ainsi qu'à ses
enfans, la propriété.
Le régim e dotal suivi et soigné a vec tant de scrupule par le peuple législateur a deux bases ; la persuasion où étaient les Homains qu'il importait à l'État de conserver les biens des famill es ; et la réserve
dans laqu elle vivaient les femmes romaines. On ne
pensai t pas que les devoirs d'économie qu'elles remplissaient dans l'intérieur de leurs maisons leur donnassent des droits sur le pécule que leurs époux acquéraient dans les cam ps, lIU barreau , dans le commer ce. Brillantes de l'éclat de leur mari , heureuses
de ses richesses pendant sa vie, elles n'y avaient
d'a utre part après sa mort que celle qu'elles avaient
mérité qu'il leur donnât par so n testament. Mais si
elles demeuraient étrangères à sa fortune, elles reprenaient toute la leur. P our la chance de partager ses acquêts , elles n'avaient pas couru le risque
qu'il dévorât leurs apports et le patrimoine maternel de leurs enfans.
Dans les contrées où l'on avait craint les sédu ctions de l'amour , même dans le mariage , la comm unauté était une juste indemnité de l'inca pacité
des femmes à recevoir des libéralités de leurs maris.
D,. ns les contrées où ['épouse était susceptible Je
recueillir , à la mor t de son époux , d' utiles el d'honorables témoig'nages de sa tendresse , on n'avait
pas eu besoin de lui donner d'aV/lOce , sur la fill'tun e de son mari , des droits que peut-être elle ne
mériterait pas. Chaque usage , chaque sys tème a ses
raisons, ses avant<t ges et ses inconvéniens. S'il eût
r",llu choisir entre le régime de la COlDmuu auté et
le régime dotal, on n'a ura it pas eu seulementbea llco up d'embarras, un aurait violerlllDent heurté une
,,'rande masse d'habitudes et de préj ugés , dans une
o
matière qui intéresse tous les iudi vidus. Plusieurs
ont un double ou un triple intérêt aux conventions
matrimon iales; mais tous yeu ont un quelconqne,
car tous so nt pères ou enfans.
C'est ici que la sagesse du projet qui vous es t
soumis devient principalement remarquable; elle
a consist é à ne pas se montrer trop sévèrement jaloux de cette unifot'mité à laquelle tend si constamment notre législation , à reconnaître qu e si '
l'uniformité plaît à l'esprit , la condescendance pOUl'
les mœurs et les usages, satisfait les cœurs. '
D'ailleurs la variété n'est qu'apparente. Les qu estions nombreuses que produisent et la commun~ u t é
cl le régime dotal si diversement jugées jusqu'à prése nt dans cl!aque ressor t , reçoivent des règ'les communes; et si l'on se marie à so u gré en commu" ", uté ou sans communauté, sous une communauté
�( 512 )
( 315 )
plus étendue ou plus restreinte, avec dotalité ou
sans dotalité, le prillcipe d'unilormité n'en sera pas
plus ,ùtéré qu'il ne j'est par l'immense diversité des
conditions des sociétés et des autres contrats. Les
conventions matrimoniales sont un contrat; il est
de la nature de tout contrat de recevoir toutes les
stipulations qui couviennent à ceux qui le forment,
pOllrvu qu'elles n'aient rien de contraire aux lois
qui intéressent l'ordre public et aux bonnes mœurs.
Il est indifférent à l'E tat , pourvu que l'on se marie, qu e les époux metten t leurs biens en communauté ou so us le rl!gime dotal. QU'OIl stipule tout
ce qu'on voudra, pourvu qu'on ne stipule rien que
ce qui est honnête et permis, et qu'on le stipule
clairement; voilà le premier précepte et tout le désir de la loi.
Imposer la communauté à ceux qui ne la veuleut
pas, ou la dotalité à ceux qui la croient moins assnrtie allx droits respectifs des épo ux , c'eùt été
introduire la tyrannie dans le co ntrat qui doit être
le plus libre; c'eû t été substituer des abstractions
théoriques aux convenances particulières. La loi
doit régler la forme des coutrats et leurs el.fets; elle
doit en procurer l'exécu tion ; mais les stipu lations
en appartiennell t à la volonté des contra ctans. Ell es
font partie de cette liberté que la Constitution politique 1e.'Jr gara lltit , de cette propriété que le
Code ciVIl protège et organise.
Des jurisconsultes et des législateurs disputeraient des années entières sur les avantages et les
inconveniens de la communauté et du régime dotal
sans pouvoir s'accorder. Pour en être juge impartial et éclairé, il raudrait être né bors des pays où
ces régimes sont en vigueur, et cependant y avoir
vécu assez long-temps pour y acquérir une grande
expérience de leurs résu ltats; au contraire, l'indiv~
du qui se marie se décide en un moment. Il VOIt
plus d'avantage dans ee qu'il préfere: s'il lui reste
quelque in conl'én ient à craindre , il. co~sent à l~
braver ,' son contrat termine pour lm et a son .gre
UI1 problème qui n'a ura peut-être jamais de soluoon.
Le principe qui veut qu'il n'y ait dans les contra~
que ce que les parties y déclarent , eût peut-être fUlt
désirer que la communauté ne fût pas présumée de
droit , et que comme il n'y a pas de dot sans stipulation, il n'y ellt pas de communauté sa ns convention. Bien que la communauté soit plus naturelle
qu e le régime dotal , elle s' est compliqué~ de tant
d'inventions civi les, ùe tant d' embarras Inconnus
dans les pays de clroit écrit, qu'on devrait ce semble n'y être assujé ti que par une volonté exp~esse.
Mais d'abord la comm unauté légale est plus sllDple
et moins litigieuse que la commu nauté conventionuelle. De plus , il fallait bien détermin er une règle
pour ceux qui ne s'en seraient ülÎt aucune: et qm
s'en seraient remis à la providence de la 101.
�( 314 )
( 315 )
Quoiqu'en
règle générale on ne soit pas obliO"é
.
0
de dire ce qu'on ne veut pas faire, et qu'on doive
exprimer ce qne l'on veut; quoique communément
il u'y ait d'engagemens que ceux qu'on a pris, il
en est pourtant qui naissent des circonstances et sans
convention. Si une moitié de la France ne croit
point qne le mariage produise, entre les époux,
d'aut.re ~ommunauté de. biens qu'une habitation et
une JOUissance communes, une autre moitié est acco utnmée à regard~r l'épouse comme associée à la
fortune de son mari. S'il est le chef de la maison,
l'épouse ne se persuade pas qu'eUe y puisse être
inutile et étrangère. EUe voit dans ses soins, dans
son économie , dans son industrie quelquefois égale
à celle de son mari, une col/aboration commune
dont elle sait, par tradition, qu'elle partagera les
produits. Exiger qu'elle se réservât en se mariant
ce partage, qu'elle stipulât la communauté, c'eût
été la forcer à faire écrire un contrat; et sou ven t
dans les campagnes on se marie sans contrat. La
loi présumera donc que, quand il n'y a ni contrat
ni stipulation contraire, on a entendu se marier en
communauté.
Cette disposition imposera, il est vrai, aux habilans des anciens pays de droit écrit, la nécessité
d'un contrat de laquell e seront aJI'ranchis les habitans des pays coutumiers. Mais les contrats étaient
plus usités et plus nécessaires sous le régime dotal,
puis'lue la dot exige, de sa nature, une constitution expresse; les h abitans des pays de droit écrit
so nt donc moins grevés par la nécessité d'un contrat , que ne l'auraient été les habitans des pays
cou tumiers.
Dans cette alternative, faudrait-il un contrat pour
dire qu'on veut être en communauté ? En faudraitil un pour dire qu'on n'y veut pas ètre ? On a préféré, sans inconvénient réel, la présomption de communauté en favenr de ceux qui ne l'écarteront pas.
Ces réfleJJOions préliminaires vous indiquent les
deux grandes divisions du projet de loi qui a subi
l'examen du Tribunat. Il n'y a rien vu qui ne soit
digne de votre sanction. C'est en vous présentant
l'analyse de la loi, qu e je vous mettrai à portée de
juger les motif.. qui ont déterminé le vote du Tribunat .
.T e voudrais ne pas fatiguer votre attention et
,lbréger le compte que je vous dois; mais il s'agit
d'un titre bien important. Ce n'est pas à vous, c'est
à la France entière qui a les yeux fixés sur cette tribune, qu'il faut expliquer sommairement des matières nouvelles pour un grand noIlliJre de départemens.
Tandis que le chapitre second de la loi ne portera dans les pays de coutume que des dispositions
claires et faciles, il iutroduira dans les pays de droit
écri t des idées) des termes même insolites, qui
�( 5,6 )
étonneront, et dont l'intelligence exigera une certaine étude. Réciproquement le troisième chapitre
présen tera aux contrées dans lesquelles le régime
dotal n'était pas pratiqué , des notions inconnues;
il faut familiariser les deux anciennes divisions de
la France avec des conventions qui peuveut y devenir communes. -Il faut , malgré la différence des
usages et des habitudes, rendre le langage de la
loi iutelligible et facile à tous les Francais
, ' expliquel' par conséquent aux uns ce qui, aux yeux des
autres, ne paraît pas avoir besoin d'explication .
Le titre du Contrat de mariage et des droits l'espectifs des époux) dont vous vous occupez, contient trois chapitres.
Le premier renferme des dispositions générales;
les deux autres traitent de la communauté et du régime dotal.
Dispositions générales.
Les conventions matrimon ial es doivent être libres
comme le mariage lui - même; la loi ne les rè.ode
qu'à déCaut des contrac tans ; ils peuvent stipuler
leurs intérêts et leurs droits respectiCs comme il leur
convient , pourvu quïls n'établissen t rien de contr<lire <lUX bonnes mœurs, non plus qu 'aux lois publiques et généra les (1).
( 317 )
Ainsi il ne leur es t pas perm is de déroger aux
droits de la puissance paternelle et maritale. La
femme ne pouua stipuler qu'elle agira sans l'autorisation de son mari ; elle ne pourra consentir à être
privée de la tutelle de ses enfans; elle ne pourra
restreindre les droits qui appartiendront à son époux
comme mari et comme père.
Déjà le titre du mariage a mis toutes les femmes
sous ~ puissance maritale , comme le titre de la
puissa nce patern ell e a soumis tous les en fans à l'autorité de leurs parens. Il g' est fait à cet égard une
heureuse communicatiun de ce qu'il y avait de
meilleur dans le droit coutumier et dans le droit
romaw.
La puissance maritale civile , qui ne résultait, dans
les pays de droit écrit , que de l'administration des
biens dotaux, a reçu de meilleurs et de plus solides
fond ernens ; elle est devenu e un e règle oe mœurs,
au lieu qu'elle n'était que la suite d'une convention
volontaire et qui pouvait être limitée. On ne verra
plus des épouses contracter ou se présenter en juS'tice comme libres en leurs actions . Ces termes impliquaient, avec leur état , \lne contradiction que
le cinquième titre du Code, décrété le 26 ventose
de l' année dernière, proscrivit. La nou velle disposition pourvoit à ce qu'elle ne se renouvelle pas (1),
même par un mutuel consen tement.
( 1) Article".
( 1) Article ~ .
�( 518 )
On ne pourra non plus ,,!Lerer , par des comentions matrimoniales, l'ordre légal des successions
au delà de ce que cet ordTe laisse à la volonte et
à la disposition des parties (1).
Mais en faisant écrire les stipulations qui seront
à leur gre, les futurs epoux devront spécifier cl"irement et en détail ce qu'ils veulent, sans se rapporter généralement à des lois ou à des c~: utumes
dont souvent ils ne connaissent pas sllffisafument
les dispositions J et qui d'ailleurs sont abrogées. Au
lieu de s'en remettre à des interprètes banaux et
oubliés, on devra énoncer précisément ses intentions. Il n'y aura de stipulations génerales permises
que pour se placer sous l'un des deux régimes dont
les règles sont tracées dans les chapitres II et III (2).
A défaut de contrat de mariage ou de déclaration du régime sous lequel il est passé , les règles
de la communauté détermineront les droits respectifs. La communauté sera le droit éommlln de la
France (5). J'en ai déjà donné les raisons. Personne
ne pent s'inquiéter ou se plaindre d'être soumis à un
droit qui ne l'obligera que parce qu'il n'a ura pas
daigné déclarer qu'il veut s'en affranchir et se marier sous d'autres règles.
(1) Article 3.
(,,) Articl ... 4 "t 5.
(3) Article 7.
( 51 9 )
Les conventions matrimoniales devrout être re9ues
par des notaires, antérieurement au mariage ( 1);
l'usage conservé dans quelques contrées de les rédiger sous seing privé est abrogé. Si l'on prive les
familles de l'avantage d'épargner des frais d'enregistrement auxquels le fisc avait pourtant autant
de droits que sur les autres actes dont la foi publique a la sauve-garde, elles en sont bien dédommagées par le nOlI)bre des fraudes que l'on prévient, par la meilleure garantie que J'on donne
li ux droits et à la fortune des époux et de leurs
enrans.
Le même motif de leur sûreté réciproque, de
celle de leurs parens et des tiers, écarte tous changemens, déroga tions ou conlre-leUres aux convenlions matrimoniales. On ne pourra y toucber qu'avant la célébration du mariage, du consentement
et avec le concours de toutes les parties. J.es amendemens seront écrits à la suite de la minute du contrat
pour ne faire qu'un corps avec elle, pour être insérés
dans les expéditions qui en seront raites J sans POIlvoir jamais en être séparés, à peine de dommages
et intérêts , et même de plus gra nùe peine contre
les notaires qui les omettraient (2).
Comme il n'y a pas de minorité pour le mariage,
(1) ArlicleS.
(,) Articles 10 et
ll.
�( 320 )
il n'yen a pas pour les conventions qui en sont
l'accessoire. Il serait étrange que celui qui dispose
de sa personne ne pût pas, dans celle occasion,
disposer de ses biens. L'autorisation du tuteur ou
tles parens, qui consacre son engagement, sulftt,
à plus forte raison, pour ' CIl affermir les pactes ,. et
exclure tout regret et toute restitution (1).
De ces principes communs à tous les contrats de
mariage, nous descendrons maintenant à ce qui
est particulier, à ce qui dépend de la volonté des
époux.
S'ils n'ont pas stipulé le contraire, iis sont en
communauté.
Il y a deux sortes de communauté : la communauté légale, et la communauté conventionnelle.
Communauté légale.
La communauté entre époux est une espèce de
société Iondée sur le mariage même. Puisque les
Romains l'avaient définie l'union d'un bomme et
d'une femme qui se proposen t de mener à toujours
une vie commune, ils avaient posé, dans cette définition, le principe de la communauté, que cependant ils ne connurent pas. Ils admettaient bien les
femmes à partager le rang , l'éclat, les avantages
(1) Art. 12.
( :h 1 )
de leurs époux, mais ce n'était qu'en usufruitières
ou plutôt en usagères. Comme les enfans, ell es étaient
dans la main du mari, n'ayant à ell es que ce que
sa tendresse ou son orgueil leur accord ait , à moins
qu'elles ne se fussent réservé des biens paraphernaux .
Des peuples moins avancés en législation , les uns
veulent que ce soient les Gaulois, les autres les Germains, pensèrent qu e de l'union des personnes s'eusuivait la co nfusi on du mobilier des époux, de leurs
revenus , des fruits de leurs é pargnes et de leur commune collaboration.
La loi déterm ine, dans la section première, ce
qui compose la co mmunauté légale activement et
passi vemen t.
J_a communauté n'est point une société universelle de tous les biens ; ell e ne comprend que le
mobilier et les immeuoles acquis pendant le mariage.
Le mobili er commun se compose de lout celui
que les époux possédaien t au jour du mariage, et
de tout celui qu'ils ont acquis ou qui leur est échu
depuis.
Les meubles, fruits , revenus, intérêts, arrérages,
deItes actives, même les capitaux de renIes constitu ées , font partie du mobilier (1) .
( 1)
Article 15.
21
�( 52 l )
Jusqu'à present les r entes constitu ées, r éputées
immeubles, n'cntraien t pas d ans la communauté,
si ce n'est pour le reven u. 11 y a donc ici un changement dans la législation .
Il a été dé ter miné, 1 ° par l'ar ticle 520 du titre I"',
livre II du nouveau Code, qui a déclaré m e~bles
les rentes perpétu ell es ou viagères, soit sur l'Etat ,
soit SUl' les particuliers.
2 0. Depuis que les rentes fo ncières ont été déclarées rachetables , e t qu e le prêt à intérêt a été permis, il n'y a plus de dillé r ence bien ma rquée entre
les ca pitaux de rentes constituées et les obligations
à terme. L'usage des constitutions de rente est même
presque entièrement tombé, et s'elface,:a bien tôt
tout-à-filit. IL n'en restera plus que sur l'Etat; mais
la facilité et l'avantage de les négocier les ont rend ues le plus mobile de tous les biens.
0°. Il n'y avait pas de jurisprudence générale et
uniforme sur la nature des r entes; toutes les coutumes ne s'accordaient pas. IL a fallu établir une
règle générale. On a pris le parti le plus simple; il
est sans danger . Ceux qui ne voudront pas mettre
en comm unauté leurs capitaux à· constitution de
rente , les excepteront.
Hors de la comm un auté se trouvent et les immeubles que les époux possédaient avant leur mariage , et ce ux qui leur obviennent par su ccession
ou donation; car ceux-là ne sont point le produit
( 525 )
de la coll aboration comlllune; ils sont dus à la libéralité d'un tiers ou à des droit; de succession ,
étrangers aux gains de la commu nau té ( J).
Le capit<tl de la comm una uté lég'ale se forme
donc de tont le mobilier des époux et de tout ce
qu'ils achètent ou acquièrent en mobilier de qu elque manière qu e ce soit ; il s'accroît des immeubles qu'ils achètent ou conjointement ou séparémen t ) mais non de ceux qui étaien t propres à l'un
d'eux avant le mariage, ou qui lui obviennent
depuis.
Cette règle, que les im meubles achetés pendant
le mariage font partie de la communauté) avait
donn é lieu à une question.
L' un des époux avait en propre la moitié dans
un immeuble qu'il possédait par indivis avec un
tiers .
Cet immeuble était licité; l'époux copropriétaire
en devenait acquéreur .
La moitié par lui acquise entrait-elle en communauté?
E lle semblait devoir y entrer, puisqu e l'acquisition fait e penda nt le mariage ava it le carllctère d'un
conquêt de ~ommunaulé .
Mais alors l'indivision qu e la licitation devait
faire cesser aurait continu é ; l'époux copropriétaire
�( 024 )
,
( 025 )
de la moitié et acquel'eut' de l'autre aurait eu en
commun avec son conjoint l'autre moitié acquise.
communauté contre le conjoint débiteur, s'il y a
lieu (1).
On décidait que l'époux acquéreur se rendait
propre la portion qu'il achetait, à la charge d'indemniser la communauté de la somme qu'il y avait
prise pour son acquisition.
Cette décision) que la jurisprudence avait bornée
au seul cas de la licitation sur une succession, a été
justement étendue à tous ceux Où l'un des époux
réunit une part d'immeuble à celle qui déjà lui était
propre (1).
Mais lorsque c'est la lemme qui avait une part
indivise, et que le mari, comme chef de la communauté, a réuni l'immeuble, attendu qu'il ne doit
pas faire le préjudice oe sa femme, elle aura le
choix ou ses héritiers, à la dissolution de la communauté, oe prendre l'immeuble entier en payant
le prix de l'acquisition, ou de l'abandonner en se
taisant indemniser de la portion qu'elle y avait.
Les dettes que la femme avait contractées avant
le mariage doivent résulter d'actes authentiques ou
ayant date certaine, afin qu'elle ne puisse pas éluder, par des antidates, la défense d'engager la communauté sans le consentement de son mari (2).
Le passif de la communauté se compose de toutes
'I~s dettes qui grevaient au jour du mariage les biens
entrés en communauté, et de toutes celles oont ils
ont été chargés depuis, ou par le mari seul, 0U
par la femme, du consentement ou mari, sauf
récompense ou indemnité lors du partage de la
(t) Article 2t.
Cette règle est particulière à la femme; elle n'est
pas réciproque à l'egard du mari qui, en sa qualité de maître de la communaute, peut s'en jouer
et la dissiper. Nous verrons dans la suite les remèdes
que la loi accorde à son épouse contre sa mauvaise
administration (3).
Puisque les immeubles propres, c'est-à-dire, appartenant à l'un des conjoints avant le mariage,
n'entrent point dans l'actif de la communaul.é, les
dettes de ces immeubles n'en grossissent pas le passif(4).
Quand les successions échues à l'un des époux
sont en partie mobilières et en partie immobilières,
la communauté en supporte les dettes proportion-
(1) Article 03.
(.) Article 04.
(3) Article 0 1,.
(4) Article ,6 .
�( 326 )
neHement à ce dont eUe profite, d'après l'inventDire du mobilier que le màri doit faire (1).
A défaut de cet in ventaire, la femme ou ses héritiers seront reçus, lors de la dissolution de la communauté, à (aire preuve de la consistance du mobilier. Le mari ne sera jamais admis à une semblable preuve; elle n'est réservée qu'à la femme comme
supplément d'un devoir que le mari n'a pasrempli
eUl'ers elle, et de l'omission duquel il doit souffrir
passivement et activement (2).
Administration de la communauté.
Que la société des époux so it légale , qu'elle sait
conventionnelle, elle a un chef; ce ne peut être
. que le mari sous la puissance duquel la femme est
mise par la nature et par la loi (3).
Le mari administre donc seulles biens de la <:ammunauté. Il peut les aüéner, les hypothéquer sans
le concours de son épouse; mais il ne peut, si ce
n'est
. pour l'établissement des enfans communs
dISposer à titre gratuit ni des immeubles de la com~~nauté, ni même de l'universalité ou d'une quohte du mobilier (4) : la raison en est évidente.
.
(.) Article ~8 .
(2) Article 29,
(3) Arlicle 35.
(4) Article 36 .
( 32 7 )
Lorsque le mari hypoLl.lèque ou aliène J on présume que c'est P,Il' besoin. Il reçoit un prêt ou le
pr-ix d'uue vente; on croit qu'il en fera un emploi
utile. Hypotbéquer, vendre, c'est administrer; mais
donner, sous certaius rapports, c'est perdre. La
disposition à titre gra tuit excède les pouvoirs de
l'administration ; car administration et conserva tion
sont des termes corrélatifs; et si l'administration
exige des sacrifices, i ls doivent avoir une indemnité que la disposition à titre gratuit ne peut pas
donner.
L'hypothèque et l'aliénation des biens de la communauté par le mari, sans le concours de sa femme,
est l'une des plus grandes dilférencf's qui se font
remarquer entre le régime dotal et celui de la communauté. Dans l'un et l'autre le mari est également
chef et administrateur; mais, dans le premier, il
ne peut hypothéquer ni aliéner, même du consentement de sa femme, les biens dotaux; il n'a que
les pouvoirs d'un tuteur. La dot, dont il est le gar.lien, est immuable comme la pierre ang'nlaire sur
laquelle reposent la maison des époux etla fortune
de leurs enfans . La femme, pour la chance de profiter dans la communau té, ne court pas le risque
de perdre ses immeubles. On :\ préféré moins d'espérances et plus de sécurité; on s'est défié davantage du mari.
Il jouit de plus de con fiance dans le régime de
�,
( 028 )
la communauté. On a moins redouté ses dissipations qu'on u'a craint que, par l'inaliénabilité des
immeubl es de la communauté} il ne perdît des occasions d'am éliorer le sort de sa femme , le sien et
celui de ses enfans. D'ailleurs, n'y ayant dans la
communauté que les immeubles acbetés pendant sa
durée, ou qu'o n a voulu y mettre, comme le mari,
cbef de la communauté, a pu les acquérir, il peut
les bypo théquer et les aliéner; ils ne sont jamais
propres il la femme comme le so nt les biens dotaux C'est par une suite de ce principe qu e la disposition des immeubles de communauté doit appartenir an mari qui en est copropriétaire.
Une conséquence plus hardi e et plus dangereuse
de l'ad ministration du mari en communauté, c'est
qu'il peut h)'p~théql1er et aliéner les imm eubles person nels à sa femm e en prenant son consentement (1).
On a mieux présumé de la force de la femme et de
la sagesse du mari qu e dans le régime dotal où aucun consentemen t de la femme ne peut valider les
aliénations que son mari ferait des biens dotaux.
Mais qu'on ne se bâte pas de condamner des règles
sanctionnées par l' usage de plus de la moitié de
l'ancienne France, et par l'autorité de j l1risconsuites et de magistrats respectables. Les immeubles
personnels à la femme, qui ne sont poi nt en com(,) Articl<42.
( 02 9 )
munauté, peuvent être comparés aux biens extradotaux ou parapbernaux tl es pays de droit écrit, si
ce n'est que dans les pays coutumi ers le mari avait
l'administration des biens personnels de sa femme;
tandis que dans les pays de droit écrit il était absolument étranger aux biens paraphernaux, et que
la femme en était mai' tresse abso lu e co mme si elle
n'é tait pas mariée. Or, si ti ans les pays de droit
écrit la femme mariée pou vai t seule, et sans Je concours de son mari , hypoth équ er et aliéner ses paraphernaux , il ne faut pas s'é ton ner qu e, dans le
régin1e de la commu naulé} elle puisse consentir à
ce que son mari fasse une. al iéna tion de ses biens
personnels qu'ell e aurait faite seul e dans le régime
dotal. Il y a ici plus de protection pour elle contre
J'inexpérience et la faihlesse de son sexe.
Au reste, la femme a garan tie, ind emni té ou récompense sur les biens de son mari en cas d'insn(~
fi sa nce de ceux de la communauté, toutes les fois
qu'il n'a pas été fait emploi à son profit de la valeur
de ses biens personnels aliénés; au Leu que si le
mari a aliéné un imm euble personnel à lui , il
n'exerce son indemnité ou sa récompense que snr
les biens de la comm unauté (1). En elfet, la communauté qui est censée avoir profité de l'aliénation
en est garante , mais jamais la femme personnelle( 1) Article 50.
�( 330 )
( 531 )
ment, qui n'a pu veiller au remploi, et qui n'est
que passive dans l'administration de la communauté.
Un des actes les plus importans de l'administration conjugale est l'établissement des enfans. Les
Homains en avaient fait un devoir spécial aux pères:
Paternum est officium dota,.e filiam. La mère n'était obligée de doter qu'à défaut du père. De là il
était de la jurisprudence romaiue que si le père
constituait seul une dot à sa fille, quoiqu'il déclarât
que c'était pour droits paternels et maternels, la
dot se prenait tout entière sur son patrimoine, à
moins que la femme ne l'eût constituée avec lui,
ou qu'il n'eût désigné quelle portion il constituait
sur les biens maternels.
Dans les coutumes, au contraire, quoique le
mari eût, ainsi que dans le régime dotal , la prépondérance pour l'établissement des enfa ns) en
force de sa puissance maritale et paternelle, comme
les biens étaient communs ,le devoir naturel de doter était commun aussi aux deux époux; je dis le
devoir naturel, car on n'en avait pas fait une obligation civile, au lieu qu'elle existait dans le droit
écrit; la fille majeure pouvait demander une dot,
disposition que vous avez abrogée par l'article Ig8
de la loi sur le mariage.
On a consacré dans le projet de loi l'ancienne et
sage jurisprudence coutumière: si le père et la mère
dotent conjointement l'enfant commun sans exprimer la portion pour laquelle ils entendent y contribuer, ils seront censés avoir doté chacun pour
moitié (1).
Cette règle a été étendue au régime dotal; on
n'y a conservé la disposition du droit romain que
pour le cas où la dot aura été constituée par le
père seul (2). Quoiqu'i l dise qu'il constitue pour
droits paternels et maternels, et que sa femme soit
présente, si elle n'a pas parlé dans le contrat, si
sa contribution n'est pas déterminée, elle n'est obligée à rien.
Dissolution) acceptation) renonciation, partage
de la communauté.
Comme toutes les autres sociétés, la communauté se dissout par la mort naturelle ou Fivile, et
par le fait des associés dans trois cas: le divorce ,
la séparation de corps et celle de biens (3).
A la dissolution d'une société il en faut connaître
la consistance: de là l'obligation d'en faire inventaire.
La coutume de Paris, étendue par la jurispru(,) Article 52.
(. ) Arli cle ) 58.
(3) Article 55 .
�( 552 )
( 333 )
dence à d'a utres pays, punissait le défaut d'inventaire par une continuation de communauté avec le
con joint survivant, s'il con l'emtit à ses enfans mineurs de la prétendre : cette institution avait beaucoup d'inconvéniens et entraînait des procès; elle
est justement abrogée. Il n'y ama plus de continu ation de communauté; le défaut d'inventaire,
auquel on suppléera par titres et par enquête de
commune renommée, entraînera . pour le conjoint
négligen t , la perte de l' usufruit que la loi de la
puissance paternelle lui accorde sur les biens de
ses enrans, et con tre le subrogé-tuteur la solidarité
des dommages ou r esl1tutions qui seront adjugés
aux enfans (1).
Ladissolution de la com munauté par ~':para tion
de corps ou de biens ne peut être volontaire: il faut
un jugement de séparation rendu en connaissance
de cause (2).
De sages précautions sont prises pour qu'on n'élude pas la surveillance des tribunaux ) pour rendre
les séparations plus publiqu es et plus solennelles,
pour qu'elles ne deviennent pas un moyen de fraude
contre les créanciers (5) .
La communauté éta nt dissuute par séparation de
corps ou de biens, la femme recouvre la libre a.~
ministration de ses biens ; mais elle ne peut les ahener sans le consentement de son mari ou sans l'autorisation de la j tlstice (1) : la sépara tion ne détruit
pas la puissance marit:de , elle en diminue seulement les effets: la femme séparée est à l'instar d'un
mineur émancipé qui peut gérer ses biens, consommer ses revenus , mais sans disposer des fonds.
(,) Article 56.
(2) Article 57 .
(3) Artic:c. 58 , 59 cl 60.
•
La dissolution de la communauté par séparation
ayant une cause qui peu t cesser) la communauté
peut revivre entre les épo ux r approchés) pourvu
qu'ils en conviennent par un ac te qui devra être authentique afin de prévenir les contestatIOns et les
fraudes (2).
C'est une règle particulière à la société entre
époux, que, lors de sa cl issol ution , la femme a ~a
faculté de l'accepter ou d'y renoncer (3) : ce prlVllége , que l'autre associé ne partage point , es~ un
secours qu'il a fallu donner àJa fem m"e pour qu une
communauté désavantageuse ne la ruinàt pas. Il
s'.ensuit q.ue la c_ommunauté, qui l'associe à la moitié des profits, ne l'expose point à la moitié des
pertes: elle s'en décharge en renonçant à tOll~e
espèce de droit sur les biens de la communaule ,
(1) A"lielc 63 .
(2) Article (,5.
(3) Articlc 67'
�( 554 )
( 555 )
même sur le mobilier qu'elle y a "ersé, sauf le linge
et les hardes à son usage qu'elle reprend (J).
La renonciation exige un inventail'e préalable (2) ,
et que la femme ne se soit pas immiscée dans les
biens de la communauté (3) ; à plus forte raison si
elle en avait diverti ou recelé les elfets , elle serait
privée d'une prérogative dont sa mauvaise foi la rendrait indigne (4).
Sur l'actif ainsi composé, et de ce qu'ils rapportent et de ce qui existe en nature, les époux ou
leurs héritiers prélèvent , 1 0 chacu n leurs biens personnels , qui n'étaient en communauté que pour les
revenus;
2 0 • Le prix des immeubles qui ont été aliénés et
dont il n'a pas été fait remploi;
5°. Les indemnités qui leur sont dues par la communauté (1).
Les prélève mens de la femme s'exercent avant
ceux du mari (2) . Elle lui es t préférable, parce qu'il
a joui des avantag'es d e l'administration, et qu'il
doit , en /iu de cause, en avoir la responsabilité.
Par la même raison, tandis que la femme exerce
ses prélèvemens , d'abord à d éfaut d'argent comptant et de mobilier sur les immeubles de la communauté, et ensuite sur ceux de son mari , celui-ci
ne peut jamais porter ses reprIses sur les biens personnels de la femme (,».
Après les prélèvemens faits, le surplus se partage. Ce partage est sujet aux mêmes lormes , aux
mêmes elfets, aux même5 règles que les partages de
successions (4) .
La faculté de renoncer se transmet aux héritiers
dela veuve avec les mêmes charges et conditions (5).
Lorsque la communauté est acceptée, il en faut
partager l'actif et le passif.
Dans le partage de l'actif, les époux ou leurs héritiers rapportent tout ce qu'ils doivent à la communauté, à Litre de récompense ou d'indemnité,
pour les choses qu'ils en ont retirées à leur pro/it ou
disposition personnelle (6).
Ils rapportent également les sommes ou les biens
qu'ils y ont pris personnellem ent pour doler leurs
enfans (7)'
(1 )
(.)
(3)
(4)
Article 106.
Article 70.
Article 68.
Article 74.
(5) A,ticle 67.
(6) Articte 8,.
(7) Article 83.
(1) Article 84.
(.) Article 85.
(3) Aliicle 86.
(4) Ar.icle 90.
�( 55ô )
Quant aux dettes , elles se diyise~t pal' moitié. On
met au rang des deLles tous les frms que la dissolulion et le parta oo-e de la communau té entraînent (1).
.
Le deuil seulement de la vell\'e esL, comme partIe
des frais funéraires , un e llett e des héritiers (2). La
femme, qu'elle accepte la communauté ou qu'elle
y renonce, a droit de le J emander.
Dans le partage des dettes, la lemme a encore sur
son mari des prérogatives qui dérivent de ce même
principe, qu'elle ne doit pas sou{I'rir trop notablement de l'administration qU'li a eue.
Ainsi elle ne peut être poursuivie par les créanciers de la communauté que pour la moitié des
dettes , à moins qu'elle ne se soit obligée solidairement (3).
Ainsi elle n'est tenue même de la moitié des dettes
que jusqu'à concurrence de son ém~lum éi~t : ta~dis
que son mari est tenu de leur tota~ite '. saul d eXig'er
d'elle ou de ses héritiers sa contributiOn (Li)'
Telles sont les principales règles de la communauté léo-ale : elles peuvent être modifiées par la
volonté des parties; alors la communauté devient
conventionnelle.
(1) Article 96.
(~) .>\rliclc9 5 ,
(3) Arlicle 10 r.
(4) Articles 97 et 98 .
Communauté conventiollnelle.
Outre les modifica tions parti culières dont il était
impossible que la loi s'occupât au trement qu 'en disant qu'elle permet tout ce dont on voudra convenir, l'usage a introduit huit modifications principales
qui avaient leurs règles. JI il faJlu rappeler ce qui
en sera conservé :
1 0. On peut convenir que la communauté sera
réduite aux acqu êts.
. Dans ce cas, rien n'entre en communauté au jour
de la célébration du mariage. C'est une société de
biens à acquérir pendant sa durée; mais le mobilier , dont l'existence avant le mariage, ou dont la
survenance par succession n'aurait pas été coustatée,
serait réputé acquêt (1).
2°. On peut exclure de la communauté le mobilier en tout ou partie.
Point de difficulté, s'il est exclu en totalité.
S'il y en a une partie mise en comm unau té, l'apport doit en être justifié , de la part du mari) par la
déclaration qu'il en fait dans le contrat de mariage;
la quittance que la femme ou ceux qui l'ont dotée
en auraient reçue du mari, serait suffisante pour
elle (2).
(1) Articles 112 et 113.
(2) Articles 11 (" ll5 et 116.
22
�( 5:;8 )
Lors Ju p,lrtage de la communauté, chacun reprend dans le mobilier la part qui excède ce qu'il
a voulu y mettre (1 ).
Le mobilier qui échoit à l'un des époux pendant
le mariage doit être inventorié.
A défaut, il est prés umé acquèt contre le mari:
la femme a la ressource des preuves et de la commune renommée (2).
1')0. Les immeubles propres aux futurs époux n'en·
trant pas dans la communauté légale, qui ne se
compose que de leur mobilier présent et à venir,
de leurs revenus et des immeubl es qu'ils acheteront pendant leur uuion , s'ils veulent mettre en
communauté les immeubles propres, ils les ameublissent.
L'ameublissement est déterminé ou indéterminé.
L'ameublissement déterminé désig ne les immeubles qui en sont frappés, ou total ement, ou jusqu'à
concurrence d' une telle somme (3).
L'ameublissement déterminé de la totalité d'un
immeuble donne le droit au mari d'en disposer
comme d'un meuble.
Si l'ameublissement n'est que jusqu'à concurrence
d'une somme, l'immeuble ne peut être aliéné que
,
( 1) Article " 7'
( 2) Article ilS.
(3) Article
1'0.
,
( 339 )
comm e le serait un bien personnel à la ft!mme, de
son consen temen t ; mais il peut ~ tl'e hypothéqu é
par le mari seul, jusqu'à concurrence de la portion
.ameublie (1).
L'ameublissement ind étermin é, qui est l'''pport en
c011lmunautédes immeubl es en généra l du conj oint,
jusqu'à concurrence d'une cel'tain eso mm e, ne rend
point la communauté propriétai re de ces imm eubl es. Son effet se réduit à obliger J'épou x qui l'"
consen ti à compl'endre dans la masse, lors de la
llissolution de la comm un au lé J qu elqu es.uns de ses
imm eubl es, jusqu'à concurrence de la somme par
lui promise (2) .
4°. On peut convenir qu e les époux, quoiqu e
com muns en biens, payeront chacun séparément
leurs dettes . .
Cette clause exempte leurs apports desdetres antérieures au mariage, mais ne les dispense pas des
intérêts et arrérages qui ont couru peod ant le mariage (5). Ils onl dû être acquitrés par la com munauté, puisqu'elle a joui des revenus.
5°. La femm e peut stipu ler qu'el le reprendra son
apport franc et quitte J c'est- à-di,'e, qu'e]Je peut
avoir p art : IUX ga ins si la commun auté prospère,
(1) Arli cle I ll.
(2) Article 122.
(3) Aniel", .,5 et
1 ~6.
�( 5Lio )
et que} dans le cas contraire} elle ne supportera
aucune perte. La faveur du e aux contrats de mariage a seul e pu fa ire admettre ce pacte, si contraire
aux règles ordinaires des socié tés. Aussi est- il de
droit très- étroit.
Ainsi la fac ulté de reprendre le mobilier que la
femm e a apport" lors du mar iag'e} ne s'étend point
an mobil ier qui serait échu pen dant le mari age.
Ainsi la faculte accordée à la femme ne s'é tend
point aux enfans; et cell e accordée aux enfans ne
profite pas aux héritiers (1).
6°. SOllvent on convient que le survivant fe~a
avant le partage un prélèvement ; c'est le préciput
conventionnel. Cet avantage es t une véritable donation de survie, qui n'est point suj ette aux formalités de l'insinuation exigée pour les donations abso lu es (2).
Les cr"anciers de la comm lln auté ont toujours
le droit de faire vendre les effets compris dan5 le
préciput , sa uf le recours de l'époux donataire sur
les au tres biens de la commun auté (5).
Le préciput n'est dù que lorsqu'on accepte la
comm unauté} à moins qu e le contraire n'ait été
stipulé . Il ne se prend donc q ue sur les biens de la
(1) Ar ti cle 128.
( 2) Arti cle . 30.
(3) Ar ti cle 133.
( 341 )
commun aute, et poi nt sur les hiens propres au survivant , à moins q u'il ne les y ait soumis (1).
7°. Quoiqu e de droit commun la commun aute
se partage par moitié} on peut convenir que les
conjoints ou leurs héritiers y auront des parts in égal es. Dans ce cas la contribution aux dettes suit la
même proportion (2) .
Si , au lieu d' un e part } on convient d'une somm e
pour tout droi t de communauté} c'est un forfait qui
donne droit à la somme, que la communaute _so it
houne 0 11 ma uvaise, suffisan te ou non pour acquitter ce qui a été promis (3).
Si c'est le mari qui reti ent toute la commuuauté
moyennan t un e somme payée à la femme ou à 'ses
héritiers, les créanciers de la com mun aute n'ont
aucun e action contre la femme ni contre ses héritiers.
Si c'est la femme qui a le droit de retenir toute
la communauté moyennant une som me convenue,
ell e a le choix de payer aux heritiers de son mari
cette somme, en demeuran t obligée à toutes les
dettes } ou de renoncer à la communauté, et d'en
( 1) Ar ticle 129,
(2) Ar li clc 1 ~ 5 .
(3) Article 136.
)
�(
34~
)
( 543 )
abaudonner aux hériti ers du mal'i les bicns et les
charges (1).
8°. Enfin les époux peuvent établir entr'eux une
com munauté universelle de tous leurs biens présens
seulement, ou de tous leurs biens à venir (2).
Cette communauté n'a pas d'autres règles que
celles des sociélés universelles.
Nous avons déjà dit que ces diverses modifications ou ampliations Je la communauté ne sont exclusives d'aucun pacte qui serait à la convenance
et au gl'é des époux, sauf ce qui leur est enjoint,
au cnmmencement du titre, de ne point contrarier
les bonnes mœurs et les lois d'ordre public. Par le
même motif l'articl e 141 défend toutes les convenlions, dans les seconds mariages, qui seraient conh'aires aux droits des enfans du premier lit.
C'est le sujet de la section IX du chapitre second.
L'exclusion de la communauté n'établit pas seule
le régime dotal auquel il faut se soumettre expressément (1).
Elle ne donne pas à la femme l'admiuistration
de ses biens (2), car les droits du mari à cette administration sont indépendans de la communauté;
elle ne pourra Jonc aliéner ses immeubles sans son
consentement ou sans l'autorisation de la justice (5 ).
J,e mari percevra tout le mobilier qu'elle apporte
en dot, ou qui lui éc herra pendant le mariage,
sauf la restitution qu'il en devra lors de la dissolution du mariage (4).
Puisqu'il joui! des biens, il acquittera toutes les
charges des usufruitiers (5).
E xclusiolt de la communauté.
On peut non-seulement exclure la communauté,
mais se marier avec clause de séparation de biens.
Celte clause a plus d'effet que l'exclusion ·de la
communauté; elle laisse à la femme l'entière administration de ses biens et la jouissance libre de ses
Si, lorsqu'on se marie, on se soumet par le fait
seul à la communauté légale; si l'on peut déroger
à la commllnauLé léga le, la restreindre ou l'étendre
par telles stipulations qu'on veut, on peut aussi exclure la communauté qui est de droit commun,
mais qui n'est pas ("orcée.
( 1) Article 1/,3.
(0) Artiele 145.
(3) Article
( 1) Arti cle 138 .
l ') Arü cle 140.
14 9,
(4) Article )(,.5.
(5) Article 147.
.,
�( 344 )
( 345 )
revenus (1 ). En ce cas le ma.ri n'a. que la puissance
qui résulte du mariage selù J et qui défend toujours
à sa femme d'aliéner sans son autorisation, ou J à
son rerus , saus celle de la justice (2).
L'a nalyse de tout ce qui concerne le régime de
la communauté est terminée. Elle aura montré combien ce régime est susceptible de combinaisons desquelles il est impossible qu'il ne naisse pas des
questions et des difficultés, combien il exige de
formalités, d'inventaires, de liquidations, de partages : il lui reste neanmoins pIns d'avantages qu e
d'in convéniens , puisqu'il es t en usage dans tant de
contrées; puisque des hommes dont les talens et
l'expérience font autorité y sont attachés jusqu'à
s'étonner que la communauté entre époux ne soi t
pas universellement adoptée.
Je n'ai garde pourtant d'adjuger une préférence
qne la loi n'a pas pronon cée . Ainsi qu e je l'ai dit en
commencan t , la sa gesse de la loi brille éminemment d,lOS l'option qu'eUe offre aux contractans.
D' une part, un e dot inaliénabl e dont la conservation es t gara n Lie par tous les moyens possibles , qui
Nous parvenons au "ég'ime dotal , non moins che!"
à ceux qui en oot l'habitude, et auxquels il se présente sous des formes plus simpl es. Ici la femme est
créancière de sa dot J le mari en est le débitelll';
elle la reprend sans qu'il soit besbin ni d'inventaire
ni de liquidation. Il n'es t pas nécessaire de recouril'
à des bom mes de loi pour régler les intérêts des
époux, et de faire intervenir, souvent à g-rands
Irais, des étrangers dans les secrets de la famille.
Ar ti cle 150 .
(2) AI·ticle 152.
( 1)
.
sera certaineluent transm ise aux enHms, nlals sans
1
autre prout pour leur mère, que l'assuran ce qu'ils
trouveront dans ses bi ens les rt:sso urcesJ qui peuven t
leur manquer qu elqu e/ois dans les biens paternels ;
De l'autre côté, un e association qui , en [,lisant
co urir il la femme quelqu es ch.lDces de perte, lui
en promet de plus grandes de gain , et peut lui reco mmander plus d'économie, plus d'attention aux
int érêts de la maiso n et de la famille.
Ce ne sont pourtant pas des prodig ues et des dissipatrices, ces femm es qui, dans nos déparLemens
méridionaux et dans tout le sud de l'Europe, n'ont
d'autres droits sur les biens de leurs maris que la
reprise de leurs dots; ce n' est pas en ell es que l'on
remarque moins d'économie, de tendresse conjuga le et d'amour matern el; ce n'est pas dans ces
conll'ées que l'esprit de famille est le plus éteint,
que l'union entre les p.lrens, les enf,lDs et les frères
est le plus an:,ibl ie. L'épouse, lorsqu'elle y perd
son guide et son appui, n'es t pas distr,lite de sa cloulem pal' l'attention qu 'ell e doit donn er à des intérêts com pliqués; 1'111l10Ur de ses enlilns n'es t pas
�( 346 )
réfroidi par un partage qui entraîne souvent des
discussions , et presqu e toujours des ventes) scandal euses pour des hommes qui n'en ont pas l'habitud e, et qui portent un sentiment si vif et si tendre
aux lares paternels, au patrimoine de la famille, et
à tout ce qui en fait partie.
Régime dotal.
Il me reste peu de choses à dire pour développer
les principes du projet sur le régime dotal.
L'épouse n'y est pas moins que dans la communauté la compagne de son mari. Elle lui confie sa
personn e et sa dot ; il la r eçoit au partage de son
état, de sa dignité, de ses richesses; il l'associe à
son existence. Comme dans la communauté, les revenus sont confondus; mais lorsque la mort sépare
les époux, les biens se séparent aussi et retournent
à leurs propriétaires.
Le mari était usufruitier ; il rend la dot.
La femme avait un droit d'usage des biens de
son n;ari et sous son administration; ce droit finit
"
avec le mariage.
Le mari) puisqu'il n'es t qll'usufruitier, ne peut
aliéner ce qui ne lui appartient pas. De là l'inalié·
nabilité de la dot. Il n'y a pas de prétexte à ce que
le mari vende. puisqu e si la vente était il vil prix,
il hl esserait le; int érêts de son épouse) et si la ven te
était avantageuse, il en profiterait seul.
( 547 )
L'inali énabilité de la dot) modifiée par les causes
qui la rendent juste et nécessaire et q,ue la lo~ e~
prime (1), il J'avan tag'e d'empêcher qu un man dISsipateur ne consume le patrimoine maternel de ses
enfans; qu'une femme faible ne donne à des emprunts et à des ,"entes un consentement que l'autorité maritale obtient presque toujours, même des
femmes qui ont un caractère et un courag'e au dessus du commun.
L'inaliénabilité ci e la ùot a tous les avan tages des
suhstitutions sans aucun des inconvéniens qui les
ont fait proscrire. Ell e co nserve les bi ens dans les
familles sa ns en empêcher trop long- temps la diSposition et le commerce. Sans gêner l'administration du m ari, elle oppose une harrière salutaire à
ses abus.
La dot emhrasse, au gré des parties, tous les
biens présens et à venir de l'épouse, ou les biens
présens seulement, ou telle espèce de biens (2) .
Ceux que la femme ne se constitue pas lui re~tent
libres et forment ce qu'on appelle des paraphernaux, c'est-à-dire, des biens hors de la dot: elle
en a l'administration et la jouissance (3).
(1) Articl e. ' 7' "72,173,
(,) Article .56.
(3) Arlicles ,88 et '90'
�( 548 )
( 349 )
Elle pouvait même les aliéner ou les hypothéquer, elle pouvait ag'ir en justice pour les défendre
ou les revendiquer comme elle l'a nt'ait f~it avant
d'ètre enga,g'~e dans les liens du mariage. La loi
n,ouvelle IlU ote cette faculté (1), Joa puissance maritale a laquelle il n'est pas permis de se soustraire
pour tout ce qui sort des bornes de l'administration, exige que, la femme soit autorisée par son
man ou par 1usllce, mème à raison de ses paraphernaux, comme doit l'ètre hors du régime dotal
la femme séparée de biens. La réserve des paraphernaux est uue séparation de biens, limitée.
Le droit écrit permettait des augmentations de
dot pendant le mariage , La nom.elle loi les prohlne (2), afin de prévenir les abus et les fraudes:
cette disposilion est plus sag'e,
Si la ,dot a été constituée de tous les biens présens, et a \'emr, tout ce qui surviendra sera dotal,
~1 la ~ot a été bornée aux biens présens , tout ce
qUI surv1ent après le contrat est extra-dotal. Il n'
a, aucun in~onvénient à se régler par le contrat ~
cest un e 101 qu e l'on s'est faile, elle doit être irréfra gable.
La dot consiste en urgent, en meubles ou en immeubles,
Si elle est constituée en argent, le mari en est
débiteur; si c'est en effets mobiliers mis à prix , le
mari en est censé acheteur, à moins qu'on ne déclare que l'estimation n'a pas été (aile pour opérer
vente (1). Les effets mohiliers estimés sans cette
clause seront donc à son profit et à ses périls et risques : le cas de restitution de dot arrivant, il ne
devra que le prix porté au co ntrat.
La r ègle est contraire si la dot consiste en immeubles estimés. Leur estimation n'opérera pas
,'ente en faveur du mari, à moins qu'on ne déclare
que l'estimation a été faite pour le rendre acheteur(2),
On tarit ici une grande source de procès. La
maxime du droit romain était que l'estimation du
bie 1 constitué en dot opère vente, et que le mari
est débiteur du prix de l'estimation.
Mais les Romains n'avaient pas des droits d'enregistrement qui les obligeassent à des estimations.
Chez eux elles étaient libres, chez nous elles sont
forcées.
De là il arrivait que l'on disputait souvent dans
les pays de droit écrit, sur l'intention dans laquelle
l'estimation avait été fait e.
Avait - elle eu pour but la perception des droits
Article 190.
(,) Article 157.
(1 )
(1) Article 165,
(,) Article 166.
�( 550 )
fiscaux? elle ne devait pas investir le mari et le rendre acheteur.
Quelquefois aussi J'estimation pouvait être faite
dans la vue d'exprimer comment la dot était payée;
par exemple, un père constituait 100,000 Ir. à sa
fille; savoir) un immeuble évalué 80,000 rrancs et
20,000 fI'. comptant. L'immeuble était-il dotal, ou
le mari en étai t·il acheteur?
Il fallait discuter et deviner quelle avait été l'intention des parties; ces controverses n'auront plus
lieu. Les immeubles constitués en dot seront toujours dotaux, nonobstant qu'on leu r ait donné une
valeur dans le contrat, à moins qu'on ne déclare
que celle valeur est mentionnée pour rendre le mari
acheteur et propriétaire.
Les immeubles constitués en dot sont donc dol taux de leur nature, c'est·à-dire inaliénables.
Ni le mari seul, ni la femme seule, ni tous les
deux ensemble ne peuvent ali éner le bien dotal (1).
Des tiers ne peuvent le prescrire , il moins que la
prescription n'eût commencé avant le mariage (2).
Le bien dotal aliéné sans juste cause peut être
revendiqué, même par le mari, pendant le mariage. li peut l'être par la femme après le mariage
( 351 )
seulement, parce que ce n'est qu'à ce moment qu'elle
peut agir(,).
A la dissolution du mariage la femme rentre de
plein droit en possession de ses biens dotaux, comme
un propriétaire grevé d'usufruit y rentre par le décès de l'usurruitier (2).
Si la dot consiste en sommes ou en elfets estimés
qui n'établissent qu'une dot en argent, les héritiers
du mari ont un an pour la restitution (3) : pendant
celle année ils doivent les intérêts de la dot, ou, si
la veuve l'aime mieux, ils lui fourniront des alimens
proportionnés à l' état et à la fortune du défunt. La
veuve a de plus, dans tous les cas, le droit de continuer pendant un an son habitation dans la maison
conjugale et de faire payer son deuil (<\),
L'empereur Justinien avait accol'dé aux sollicitations de son épouse Théodore, qu'il aimait éperdumeut, plusieurs lois ravorables aux l'e mm,es. On
distingue parmi ces lois celle tlui donnait aux dols
une bypothèque préférable aux créanciers du mari
antérieurs au mariage même: cette loi n'était observée que dans l'ancien mais vaste ressort du parlement de Toulouse; elle était exorbitante: pour
(1) Article 171,.
(,) Article IGa.
(,) Article 175.
(2) Artir.le 178.
(3) Article ' 79 ,
(4) Article 184·
�( 352 )
( 553 )
favoriser la dot elle faisait injustice à d~s tiers. Elle
est spécialement abrogée par le titre du Code que
nous l'OUS presentons (1).
Uue disposition plùs dig ne de la sagesse de la
législation romaine a été conservée. Si un père a
marié sa fille il un insolvable , s'il a livré la dot il un
époux qui ne présentait aucune sûreté ni dans ses
biens, ni daus l'exercice d'un art ou d'une proJession, sa fille ne rapportera pas dans sa succession
l'inutile don qu'elle a perdu par l'imprudence de
son père; elle n'y rapportera que l'action qu'elle a
contre son mari pour se faÏre rembourser (2).
Enfin dans quelques pays attachés au régime dot.1! , notamment dans le ressort de Bordeaux, on
formait souvent entre les époux une société d'acquêts : l'usage en aurait été tacitement conservé par
la faculté si positivement accordée de faire telles
conventions que l'on voudra; mais afin de marquer
encore plus d'égards pour les habitudes dans une
matière aussi importante que les conventions matrimoniales, la loi a soin de réserver expressément
la société d'acquêts (3) : c'est une espèce de communauté restreinte et qui sera r égie par les dispositions énoncées dans le chapitre du régime de la
('ommllnauté) pour la cOUlmunauté réduite aux
acquêts.
Telles sont les règles que le Code Civil donne aux
conventions matrimoniales.
Ce titre termine tout ce qu e la nouvell e législation devait au plus important, au pIns nécessaire
des contrats, à celui sans lequel la société se dissondrait, ou ne se perpétuerait que par des unions
vagues, obscures et fugitiv es.
Les solennités civiles du mariage et ses preuves
on t été augmentées et conso lidées, les autels relevés
en faveur des époux pour qui ce n'est pas assez d'appeler les hommes en témoignage de leurs sermens
et don t la délicate sollicitude réclame la garantie
du ciel.
Le divorce, ce dang'ereux auxiliaire de l'inconstance et des passions, ce terrible rem ède des unions
malheureuses , et qui en avait scand"leusement dissous un si grand nombre de tolérabJ ~s . environn é
maintenant de sages difficultés , arrach é aux allég'ations et aux abus qui en avaient fait un e véritable
prostitution, confié au jugement des famill es, il
l'examen des tribunaux, est uniquement réservé à
ces cas graves et rares Ol! la faiblesse humaine implore un secours extraordin aire.
La séparation de corps est rendue aux époux à
qui leur religion défend de rompre un nœud
elle
déclare indissoluble , mais que, d'accord. véc les
ûi
(1) Arlicle 18G.
Al1icle 185.
(3) Article '95.
(2)
�( 354 )
lois civiles et d'après leur jugement} eUe permet de
relâcher.
Les femmes sont rappelées à l'obéissance qu'elles
doivent à leurs maris; les maris à la protection, à
la fidélité, au secours, à l'assistance que leurs femmes
méritent.
La puissance maritale et la puissance paternelle
rétablies, proclamées, étendues, promettent un
meilleur ordre, des mariages plus heureux, plus
d'union et de félicite dans les familles.
La paix intérieure y reçoit une nouvelle sanction
par les dispositions dont je viens de vous rendre
compte. En présidant avec tant de soins et de clarté
aux conventions des époux, elles pourvoient aux
intérêts de fortune, comme les lois lIe l'année dernière ont pourvu à l'intérêt des mœurs.
Que manque-t-il donc pour qu'on s'empresse de
donner à l'État des enrans , et de leur transmettre
ce beau nom de Français, devenu plus g'lorieux
que jamais? Auguste excita au mariage par des récompenses en faveur des époux, et par des peines
contre les célibataires; nous y serons plus puissamment encouragés par de bonnes lois : espérons
qu'elles ramèneront entièrement les bonnes mœurs,
l'union, l'économie domestique, véritables sources
de la prospérite des États.
•
( 355 )
RAPPORT
Fait au Tribunat , le J 7 ?Jentose an '2 (9 mars
,804) , SUT' le projet de loi relatif aux Contrats
aléatoires (Code Civil).
Le besoin dicta les premiers contrats: l'échange
la vente et le louage. !liais l'a uJacieuse activité de
l'esprit humain ne se renferme pas dans le cercle
étroit des besoins. Ne se bornant pas même à l'im·
mensité des choses que la nature et l'industrie ont
mises à notre disposition , elle a entrepris de soumeUre à sescalc uls et à ses speculations ce qui ne
nous appartient pas, ce qui est hors Je notre dépendance, le hasard lui - même. Il est devenu la
base des contrats aléatoires, produits d'une civilisation déjà bien avancée, et qui , à mesure qu'ils
sont plus doignés de la nature ) exigent davantage l'intervention du droit positif.
Le Code Civil vient aujourd'hui tracer la rèO'le
o
de ces contrats.
On en reconnaît quatre principaux.
Les deux premiers, l'assurance et le prêtà grosse
aventure, sont dignes du plus grand intérêt. C'est
�( 356 )
par eux que le commerce , agrandi et fortifié, est
parvenu à lutter avec avantage contre les élémens
déchatnés.
L'armateur pauvre a trouvé des fond s. S'ils périssent , ce n'est pas pour lui ; s'il les co nserve jusqu'au terme de son voyage , il s'acquiue envers
ses prêteurs , et leur paye avec joie le gros intérêt
auquel il s'est soumis pour les risques dont ils l'ont
déchargé.
L'armateur opulent peut commettre à l'infidélité
des mers et aux capri ces des vents son entière fortune;on lui garantit J'effet des tempêtes etdes naufrages . P our une modique prime, de paisibl es spéculateurs prennent sur eux, au sein de leurs foyers,
les terribles dangers de la navigation. En vain les
/lots irrités auront englouti de riches cargaisons, la
prudence trompe leur furie; la perte, répartie sur
un grand nombre d'intéressés, de"ient presq" e insensible : le navigateur répare ses va isseaux fra cassés, et ses assureurs sont prêts à couri r avec lui de
nouveaux hasards.
Ces deux ad mirables contrats appartiennent au
Code maritime: ils ne peuvent qu'être désignés
dans le Code Civil ; ma is il est impossible, en les
n ommant , de ne pas s'i ncliner devant leurs effets
sa 1utaires.
J"e sujet des autres co ntra ts aléatoires n'inspire
ni les mêmes sen timens, ni le même respect.
( 35 7 )
D'une part , c'est le jeu et le pari ; de l'autre , la
rente , iag-ère.
Le jeu! celle fun este passion , source de tant
d'angoisses, de désord res et de crimes , pourquoi
faut-il qu'elle soit l' obj et d'un e loi ? Parce qu 'il est
de l' objet des lois de contenir et de régler les passions : les étouffer entièrement n'appartient pas à
la législation humaine_
Le jeu est UII de ces in co nvéniens inséparables
d' une gTande société , une de ces maladies incurables contre lesquelles il n'y a qu e des palliatifs. La
police doit en modérer la co ntag-ion , la police correctionnell e en répr im er les déli ts. Le Code ne s'occupe qu e de la qu estion civil e: s'il y a action pour
le payement de ce qui a été gagné au jeu ou dans
un pari ?
Le jeu et le pari sont-ils des causes licites d'obligatiou ?
I.e jeu de hasard , qui n'exerce ni l'es prit ni le
corps, qui est même peu propre à les délasser, a
pour principe l'amour du g,ün . Ce mo tir, déjà peu
honnête lorsqu'il ne s'il pplique pas à des obj ets
utiles, porte souvent à de tels excès, qu'il était impossibl e que les lois ne s'occupassent pas d'en tarir ,
au moius d'en contenir la source.
Comment tolérer , dan s un e société bien ordonnée , qu e les citoyens metten t leur fortune au hasarel d'un co"p de dez; qu'une épouse , des enfans
\
�•
,
•
(
( 358 )
( 359 )
voyent s'évanouir en uu e heure toutes leurs ressources et leurs espérances, avec le patrimoine d' un
mari ou d'un père dissipateur ?
Tacite nous ~pprend que nos pères) les Germ~ns,
aimaient le jeu avec une telle passion , qu'après
avoir joué tous leurs biens, ils finissaient pal' jouer
leurs personnes et leur liberté.
Il ne nous est plus permis d'alié ner notre personne: mais qui ig nore combien souvent elle est
avilie par le jeu ? A combien d'humiliations et de
bassesses il en traîne ses malheureuses victimes! On
ne joue plus sa liberté, mais on compromet son
bonneur.
Les lois romaines avaient interdi t de jouer de
l'argent à quelque jeu que ce fùt, si ce n'est à ceux
qui tiennent à l'adresse et à l'exercice du corps. Les
capitulai"es de Charl emag'ne, les ordonnances de
saint Lo uis et de bea ucoup de l eurs successeurs
c0ntien nent les mêmes disposit.ions. En les reno uvelan t dans le projet de loi qui nous occupe, on
n'a fait qu'appliquer un remède ancien, à un mal
invétéré.
- Le jeu n'est pas une cause licite d'oblio-ation
o
,
parce qu'il n'est pas nécess~re, qu'il n'est pas util e
et qu'il est extrêmemen t dangereux.
De ces motifs mêm e naissent de raisonoables exception . Les jeux d'excl'cicc . ceux qui ne sont pas
Jürrd és SUl' le pur hasard , el auxquels se mèlent des
calculs et des combinaisons, ces jeux SOllt utiles ;
les mIs à d évelopper les forces physiques, les autres
à exercer les forces intellectuelles : ils offrent un
délassement avantag'eux et qu elquefois nécessaire.
Ils Ile sont pas dangereux , parce qu'ayant un attrait
qui leur est propre, on n'a pas besoiu de leur en
créer un dans un prix excessif; et si on venai t à
l'y mettre, les tribunaux pourraient le retrancber,
et traiter , _comme prohibés, des jeux licites dans
lesquels on se serait exposé, comme dans ceux de
hasard, à des pertes ruineuses.
JI n'y a donc pas d 'action pour le payement d'une
dette des jeux de hasarJ , ou même pour une dette
trop considérable r ésultante d'un jeu licite(l). Mai s
s.i le joueur , pIns sévère à lui-même que la loi , s'est
tenu pour oblige; si , fid èle à sa passion et délicat
dans sou ég'arement, il a acquitt.é ce qu'il avait temérairement engagé , il ne sera pas reçu à répéter
ce qu'il a payé (2).
La g'ageure ou pari a les mêmes vices originels et
les mêmes dangers que le jeu : comme lui ell e ne
donne aucune action (3) lorsqu'elle n'a de base que
la recherche et l'amour du gain; comme lui elle est
(1) Ar,ic) .. 2 et 5.
(2) Arliole 4,
(3) A rLicle ,."
�( 560 )
( 56 1 )
tolérée lorsqu'eUe a un objet raisonnable ou plausible, des actes, par exemple, de force ou d'adresse,
et qu'eUe n'est pas immodérée.
La quatrième espèce des contrats aléatoires es t
la rente viagère.
Ou c'est une pension qu'on établit libéralement
au pront de quelqu' un tant qu'il vivra; ou c'est un e
une presta tion annuelle que l'on constitue moyennant une valeur ou un capital qu'on appeUefonds
pe,.dlt, parce que celui qui le livre ne le prête
pas, il le donne; il ne peut le répéter comme un e
dette, ni être contraint à en recevoir le remboursemen t.
C'est de la vie plus ou moins longue de l'individn
sur la tête duquel la rente es t cons titu ée) que dépepdent l'avantage ou le désavantage de ce contrat.
Il est essentiell emen t aléa toire, puisqu'il est fond é
Stll' une si gra nd e incertitude.
Lorsque la renie viagère es t établie a titre g-ratuit , ~Ue est une libéralité sujette aux formalités
et ;,lux règles des donations ou des les tamens (1 ).
Lorsqu'elle a un prix, celui qui le reçoit vend
pour ce prix une prestation an nuelle dont la durée
est incertaine, et dont la quotité es t fi xée entre
lui et l'acquéreur , en raison de leurs couvenances,
de leurs ca lculs , de leurs espérances et de leurs
volontés; le tau x en est donc arbitraire (1).
( 1) Articles 6 el 7.
La rente viagère peut être co nstituée sur une ou
plusieu rs têtes; sur celle du bailleur de fonds) ou
sur celle d'un tiers qui ne fournit rien , dont on
em prunte même la tête, quelcIu efois à son insu, et
cfui n'aura aucun droit à la reute.
On peut aussi la constituer au profit de quelqu'un
qui n'en fournit pas le capital. Quoiqu'elle soit il
son ' égard un e libéra lité, ell e n'es t pourtant pas
assujéti e auX formalités des dOlla tions ( 2). Il est essen tiel de remarquer que cette dispositio n, contenue dans l'article 10 du projet, n'est point en contradiction avec ce lle de l'articl e 6, qui assujétit la
rente viagère à titre gratuit aux form es des donations ou des legs.
li s'agit, dans l'articl e 6, d'une ren te que l'on
crée sur soi ou sur ses héritiers) au profi t de qu el-qu'uo qui ne l'achète pas. On lui fait donation ou
leJs d'une rente viagère ; il lilUt recourir aux formalités des donations ou des legs, parce qu'il n'y a
pas d'a ntre con trat qu'une libéralité.
Au con traire , dans le cas de l'article 10 , la libéralité n'est qu'accessoire à un autre co ntrat , à l'achat
(1) Article 13.
(2) Articles 8, 9 el 10.
�( 562 )
que l'on fait de la reule, au profit d'un tiers. Il se
passe une véritable vente entre le bailleur de Conds
et celui qui s'oblige à la rente. On jugera donc le
contrat par les règles de la vente, et non par celles
des donations.
La base du contrat de rente viagère étant l'existence de celui sur la tête duquel on l'assied , il doit
être vivant au moment de la co nstitution, sinon le
contrat serait nul, puisqu'il n'y aurait pas matière à risque; et c'est le risque et l'incertitude de
l'évènement qui forme l'essen ce des contrats aléatoires (1).
Par le même principe, si la personne sur la tête
de laqu elle la rente est constituée est atteinte, au
moment du contrat, d' une maladie dont elle est
morte dans les vingt jours , le contrat est annu lé
comme n'ayant pas eu une base suffisante (2).
Telles sont les règles qui président à la formation du contrat de rente viagère.
Quant à ses effets, ils sout de donner droit au
propriétaire de la rente de l'exiger tant que la tète
sur laquelle on l'a constituée est existante.
Le débiteur ne peut s'en libérer en offrant la res.
titution du prix ou du capital; car il ne doit pas
ce prix qui a cessé d'appar~nir au cr éa ncier , et
( 1) Article Il.
(» Article Il.
( 565 )
qui lui est devenu propre. Il s'es t soumis à une prestation annnelle qui est irrachetable, dont la durée
doit être plus ou moins longue, et qui n'a de terme
que la mort de l'individu sur la tête de qui elle est
constituée (1).
Le remboursement dénaturerait le contrat, puisqu'il ferait cesser l'in certitude et le hasard qui en
SOllt la base.
De là il suit que ni le débiteur fatigué de payer
une ren te qui ne s'éteint pas conform ément aux
calculs qu'il aVilit fails, ni le créancier qui se repent d'avoir perdu son fonds, ne peuvent, à moins
d'un commun accord , offrir ou exiger le rembour·
sement.
A défaut de payement , le créancier n'a que le
droit de saisir les biens du débiteur, et de les faire
vendre pour obtenir} sur le produit de la vente,
l'emploi d'une SOUlme suffisante au setvice des a,r rérages (2).
1
Ce principe ne reçoit d'exception que dans le <las
où l'on ne donnerai t pas au créancier de la rente
viagère les sûretés qu'il a ex igées. Dans ce cas, le
contrat n'es t pas consommé; la restitution naît de
la contravention il ces conditions: au contraire,
lorsque le contrat a été accompli , la négligence
Article 15 ,
(,) Articl e 14.
( 1)
J
�( 364 )
dans la prestation de la l'ente n'est pas une cause de
résiliement ; elle ne donne qu'un e action en contrain te pour l'exécution d' un contrat parfait, et qui
ne peut être éleint que par l'é,'ènement qui en est
la base,
La rente viagère dépendant de l'existence de la
tête snI' laquelle ell e est fond ée • n'est due aussi
que sur la preuve de cette existence, et à proportion des jours qu'elle a duré; c'est-à-dire, que si
l'individu SnI' la tête duquel la rente est constituée
meurt au milieu d'un terme, on ne payera au propriétaire que le nombre de jours que la personne
a vécu, à moins qu'on n'eùt stipulé que la rente
sera payable d'avan ce. Dans ce cas le terme dans
lequel on est en tré sera gagné (1).
La jurisprudence était différente en certains liellx.
Du principe que la rente viagère est attachée à la
vie, on déduisait qu'elle n'était due que jour par
jour; que la mort la faisait cesser. même quand on
aurait stipu lé qu'eUe serait paY,lbJe d'avance. Cependant. si. en exécution de ce pacte, elle avait
ét': payée, on n'admettait pas la répétition; il en
résultait cet inconvénient . que le débiteur négligent
à remplir ses eng"gemens gagnait une partie du
terme qu'il n'avait pas payé d'avance , au lieu que
(.) Arlicle ,6.
( 565 )
le débiteur exact le perdait. n a paru plus conséquent d'établir d'abord le principe que de droit
commun la rente n'est due que jour par jour , et
proportionnellement an temps qu'on a ,·écu ; mais
que l'on peut stipu ler qu'ell e sera payée d'avance.
Dans ce cas, c'est une prime que le créancier gagne.
Dès que l'individu sur la tête de qui porte la rente
a vécu un jour dans le trimestre ou le semestre,
que la rente ait été payée ou non] elle est acquise.
La mort civile n'éteint pas la rente viagère , parce
quO elle n'est pas entrée dans les calculs des contractans ; ils n'ont pu ni dû la prévoir (1).
La rente viagère que l'on donne, peut être déclarée insaisissable; c'est un e libéralité qUi' l'on rait
sous cette condition qni ne nuit à personne: les
créanciers du donataire de la rente n'ont pas dû
compter sur une libéralité qui leur proG!;it malgré
le donateur.
Mais la rente viagère que l'on achète ne peut être
insaisissable; ce serait un moyen de frauder ses
créanciers] en plaçant sa fortune , qui est leur gage,
à rente viagère (2).
Telles sont les principales règles de cet étrange
contrat, où le vendeur spécule surla mort prompte
(1 ) Article) a.
(,) Article) 7·
�( 366 )
( 56 7 )
de celui auquel l'acheteur augure et souhaite une
longue vie.
La rente viagère offre quelquefois une ressource
à des individus trop peu fortunés pour que des
biens plus durables, mais plus modiques, suffisent
à leurs besoins.
Quelquefois elle a enrichi des spéculateurs assez
sages pour en conserver les arrérages, ,et recouvrer,
en les accumulant, le capital qu'ils avaient abandonné à fonds perdu; en sorte qu'au bout- de
quelque-s années ils jouissaient gratuitement de la
rente.
Le plus souvent elle a servi la dissipation et l'égoïsme; elle est devenue une sorte de jeu funeste et
ruineux pour les familles. Sous ce rapport, elle a
mérité des reprocbes d'immoralité que trop de faits
ont appuyés.
Mais l'abus que les hommes font de ce qui n'est
pas mauvais en soi n'est pas une raison suffisante de
proscrire ce dont ils abusent; il faudrait donc aussi
leur ôter leur liberté. Les lois civiles organisent les
conventions; elles présument qu'on les fera avec
raison et sagesse; e Ues ne peuvent prohiber que
celles qui sont directement contraires à l'ordre public et aux bonnes mœurs.
Telles ne sont point les constitutions de rentes
viagères quand on n' en use point avec excès, quand
on sait porter ses principales vues au delà du cer-
cie étroit du présent , et qu'on a assez d'âme pour
Ile pas exister uniquement pour soi.
CourIe et fugitive comme la vie, la rente viagère
n'offre point de stabilité; le bon père de üunille ,
jaloux de transmettre à ses enrans son nom et sa
fortune, ne met pas tou t sur sa tête, biens et honneurs; il ne veut pas mourir lout entier; il sait que
la prospérité des familles . de laquelle se compose
celle de l'État, exige uoe certaine perpétuité dans
leur patrimoine. Il regarde la coostitu tioo de reote
viagère comme un de ces jeux licites dont 00 ne
doit user que modérément; c'est un contrat aléatoire. L'bomme sage brave quelquefois le hasard
pour de grandes causes; mais à moins d'y être
contraint, il ne s'y abandonne jamais tout entier.
DISCOURS
Prononcé à Cassel sur la tombe de Jean Müller,
le ih mai 180g.
L'Allemagne, toute l'Europe littéraire el savante, donneront il la mort de M. Jean Müller, ancien Ministre secrétaire d'État, conseiller d'État et
directeur général de l'instruction publique, de vifs
regrets, et à sa vie les justes louanges que méritent
•
�( :5(; 8 )
ses travaux et la célébrilé qu 'ils lui Ol.t acqu ise.
L'éloge d'un tel homme n'est pas l'affaire J 'un lU Oment. C'est au très - petit nombre de ses émules
de science el de gloire qu'il appartiendra de parler
dignement de lui , et avec J'étendue qu'exige la
variété de ses connaissances. Nous n'avons, nous
qui sommes les premiers à le pleurer , que le triste
droit de jeter à la hùte qu elques fleurs sur sa tombe;
ni le temps , ni la douleur qu'excite une per te si
imprévue et si prompte , ne nous permettent de
longs discours. L'hommage du cœur est moins pro.
lixe que celui de l'esprit ; quelques mots et des
larmes plus abondantes seront nos derniers adieux
au savant aimable qui nous est enlevé à l'âge de
cinquante-sept ans.
Qui de nous, n'a pas r emarqu é dans le commerce habituel que nous avions avec lui , gu'il
joignait à une "asle érudition , à un e mémoire
prodigieuse qui l ui r end ait présens tous les évènemens anciens et mod ern es , toutes les époques
de l'histoire , toutes les dates, tous les noms , celle
vivacité d'imagination , celle gràce qu e l'érudition
semble presque trop souvent exclure et même dédaigner ? Sa conversation plein e d'instruction , d'esprit et de feu , offrait, en même tem ps, celle d'un
savant qui aurait passé sa vie dans le cabinet, et
celle d'un homme du monde qui n'aurait étudié
que les cours et les sociétés, où l'on prélère J es
( 3(j9 )
,
1
1.
anecdotes, des observa tions fin es et des traits, à
d es r aisonnemens approfondis.
Qui de vous n'a pas été Ii'appé de la simplicité
de cet homme qui } bien qu'il sentit quelquefois sa
supériorité , était habituellement si modeste, si
empressé de faire valoir tous ce ux auxquels ils reco nnaissait quelque mérite?
II écrivit l'histoire de la Suisse avec la complaisan ce d'un citoyen qui aime sa patrie, et cepenJant avec l'impartialité d'un sage, l'élégance d'un
lit térateur } et la profond eur d' un homme d'État .
Cet ouvrage, quoiqu'il n'ait pas été termin é, le
pl aça dans les premiers rangs des historiens les
plus dis ting ués des temps modern es, et presqu'à
côté de ceux de l'antiquité.
Ses lettres familières sont un monum ent à la
{ois de science } de goût et de sentiment. L'ou.:.
vrage qu'il composa en li'anyais , sur les voyages
d es papes, est remarqu able par son intérêt et par
l'absence de tout préjugé de politique et de relig ion.
Quoiqu'il entretint un e correspondance très-élendue } il ne laissait pas s'écouler un jour sans revenir à ses précédentes .études , ou sans ell faire de
nouvell es; il s'é tait prescrit de grossir , chaque jour,
de quelqu e acquisition nouvell e, le trésor de ses
connalSS3 l1Ces.
Que d'extraits , que de notes il laisse, destinés
24
�( 37 0 )
les uns à compléter son histoire de la Suisse, les
autres à nne histoire universelle dont il avait fait
cnnnaître le plan et un , essai; d'autres à la vie de
Frédéric ~ Hélas! la main qui les aurait rassemblés
est glacée; l'esprit qui devait animer et colorer ces
immenses matériaux, s'est évanoui: ils ne serviront qu'à augmenter les regrets de sa mort prématurée qui l'empêche d'élever de nouveaux monumens à sa gloire et à l'utilité publique qu'il eut touJOI Nl devant les yeux.
Mais il en laisse d'assez précieux pour immortaliser sa mémoire, pour triompher de cette frag'ilité qui détruit les hommes plutôt que leurs œuvres ,
qui éteint le génie, et nepeut heureusement ensevelir avec lui les écrits qu'il a tracés.
M. Müller a recueilli dans sa vie des honneurs
qui ne sont pas ordinairement le partage des homme~ de lettres; les deux plus grands hommes de
notre siècle le distinguèrent: Frédéric l'avait accueilli. Son successeur le fixa à Berlin en qualité
d'historiographe, et l'Empereur Napoléon ne manqua llaS de le discerner parmi les conquêtes les plus
précieuses qu'il faisait sur la Prusse. En l'attachant
au Roi, il lui céda un homme dont la grande réputation en Allemagne n'était pas même étrangère
aux affaires publiques où il avait été plus d'une
fois employé.
Il fut chargé du ministère de la secrétairerie
( 37 1 )
d'Élat ; mais son goût dominant pour les lettres ,
lui fit désirer un poste où il pût s'y livrer avec
plus de liberté.
A qui pouvait-on, avec plus de motifs, confier la direction de l'instrucl1on publique? Qui
pouvait) mieux que lui, fournir à la fois des préceptes et des modèles ? Avec quel intérêt religieux il veillait sur les Universités célèbres dont
il était à la fois le protecteur e: l'ornement,
et qui doivent autant de reconnaissance à sa tendre affection pour elles, que de respect à ses ta•
lens?
les sciences perdent en lui un de leurs favoris
les plus assidus; .les lettres, un homme qui les
avait illustrées; l'Etat, un bon serviteur; nous , Un
collègue, un ami; mais son souvenir et ses œuvres
nous le rendront; il ne meurt point tout entier celui
qui) en quittant la vie, laisse au milieu de ses semblables une partie de ses lumières, et paye, par des
ouvrages utiles etqui resteront, les larmes qu'il fait
verser.
�( 3,3 )
DiSCOURS
Prononcé à Lille , en qualité de préjet du département du N ord, le 5 septembre 1814 , à l'occasion
du serment spécial à préter au R oi p ar les fon ctionnaires publics.
Chaque jour, depuis le premier avril , a été signalé
par quelqu'acte utile à la restauration de la France
et tend ant à la compléter. J,a solennité qui nous
r assemble vient y mettre le dernier sceau.
Il s'ag-il de renouveler le serm ent. qu e DOU S avions
prêté avant la révolution, et qui va reprendre, a,'ec
sa force première , celle que lui donn ent le débordement des maux dont nous avons été couverts pendant l'absence du Roi , et tous les avantages , toutes
les espérances qui accompagnent son r etour.
Ce serment ne sera pas seul ement une promesse
de fidélité ; il sera un gage d'amour et de réconciliation , si on peut se servir de ce terme, à l'ég-ard
d'un Roi qui n'a pas cessé de chérir son peuple, et
de la part de suj ets qui , entraînés par le torrent des
circonstances , ont fl échi sous le joug de la nécessité, mais que tons leurs sentimens lui ramènent.
Ce serment est la fédération de tous les fonctionnaires publics qui s'engagent par les mêmes expressiolls el dansle même esprit, à demeurer constamment
dignes de la confiauce qui leur es t accordée . Il est
le pacte relig ieu" qui les lie irJ'évocabl ement à leurs
devoirs , le baptème politique qui efface les ta che~
contractées pendant le maihelll' des temps , et qui ,
régénérant tous les fon ctionnaires, leur donne un e
nouvelle vie. à consacrer tout entière à leur légitime
et bon maître.
N O li S promettrons à Dieu qui nous l'a conservé
et rend" , de lui ga rder obéissance et fidélité, de ne
participer à rien de ce qlli serait contraire à son
autorité tutélaire et paternelle, et de lui laire connaitre tout ce qui serait préj ndiciahle à ses droits.
Ah ! c'est conserver les nôtres; c'est rentrer
comme lui dans notre patrimoin e , dans l'antiqu&
fidélité de nos pères , dans cet attachement à leur
Roi qui les distinguait par dessus toules les autres
nations ; c'est jurer notre bonheur; car il ne peut
être (une bien cru elle expéri ence nous en a r.o~
vain cus) que dans les mains sages et fidèles aux quelles, de siècles en siècles, Dieu en a transmis
le dépôt par une si longue suite de Rois .
�OBSERVATIONS
Soumises à la justice des hautes Puissances alliées1
pour les Créanciers et autres intéressés aux
actes du Gouvernement du Royaume de Westphalie.
Le sort passager des armes avait créé le royaume
de Westphalie; des traités solennels le formèrent;
son Gouvernement fut reconnu par toutes les puis.
sances, à l'exception seule de l'Angleterre. Des
triomphes qui seront plus durables, parce qu'ils
~ont à la fois le fruit de la force et de la modération , et qu'ils étaient dans les secrets de la Providence, qui se plaît à briser les instrumens dont
elle se sert, dans sa colère, pour châtier les peupIes, ont entraîné ce royaume dans l'épouvantable
chute de son aveugle fond ateur: mais la dissolution
du Gouvernement westphalien emportera-t-elle la
nullité des actes qu'il a faits comme Gouvernement
légitime et reconnu ? Anéantira-t-elle, au préjudice
des particuliers, les acquisitions qu'ils ont faites, les
créances qu'ils ont acquises de bonne foi , au prix de
leur fortune, de leurs avances , de leurs travaux ?
La justice qui règne dans les conseils des hautes
( 37 5 )
puissances alliées , et qui éclate daus toutes leurs
opérations, répond déjà négativement à cette question. Mais dans les grands intér~ ts qui les occupent,
cet objet, si' important pour les personnes qui ont
contracté avec le Gouvernement westphalien, et
pour ses créanciers, tien t bien peu de place et pour·
rait échapper, si l'on ne prenait la liberté de le désigner à leur attention.
Il n'est pas même relatif au seul royaume de
Westphalie. Dans les déplace mens que l'ambition
démesurée d'un seul homm e avait fait éprou ver à
l'E urope , combien J e pays envahis comme la '-IVestphalie, cédés ou non cédés qui seront remis à lel1r
place , ou disposés de manière à consolider l'équilibre et la paix ? Quel bouleversement troublerait
cet acte de sagesse, si ce qui a eu lieu en Italie,
en Hollande, dans le duché de Varsovie, clans
les départemens appelés Anséatiques, était regardé
comme non avenu? Si, pour restaurer le présent
et assurer l'avenir, on réagissait sur le passé, et si ,
en remettant les pays aux mains des anciens rn~,îlres
ou de nouveaux Souverains, on ne les prenait pas
dans l'étato'l ils se trouvent , et avec leurscharg'es !
Le passé n'est pas même en la puissance de Dieu:
il peu t en prescrire l'oubli , en effacer la mémoire,
mais il ne saurait faire qu'il n'~it pDS existé, puisqu'ill'a permis. Les Souverains qui sont son image,
et qui exercent sa puissance sur la terre, ont pour
�( 57 6 )
principe constant qu e leurs luis, en chaugean t les
droits pr':sens, et déterminant ceux à venir, laissent subsister les droits acquis. Cette règle est du
droit civil de toutes les nations, parce qu'elle dérive de l'équité naturelle et des lumières de la
simple raison; mais elle appartient aussi et peutêlre plus particulièrement au droit des gens. Les
conquêtes, la politique opèrent des ch angemens
dans les États: ces changemens > qu'ils soient plus
ou moins durables , étab lissent une situa tion léga le,
lorsqu'ils sont reconnus: et le Souverain de six <I ns
n'a pas été moins légitime, s'il a été reconnu pal'
des traités, que celui dont l'a utorité remonte à plusieurs siècles.
Ce qui est vrai de Gouvernemens à Gouvern emens qui se sont reconnus, l'est plus encore des
particuliers aux Gouvern emens. Les GouverneOl ens
se jugent entieux. Ils s'allient, se dés unissent . se
comba ttent, se renversent ·; mais les particuliers
n'ont qu' à se soumelLre > à subir le sort que leu!'
impose la volonté des Souverains, qui les cèdent
ou les abandonnent. Les particuliers, lorsqu'ils
obéissent à un nouveau maître, lorsqu'ils se prêtent
aux actes de son administration, remplissent le
même devoir que lorsqu'ils obéissaient à leur 'lQ_
cien Prince; même fid élité , même co nfiance sont
due, il ceux qui exercent la puissance; et si cette
règle est dans le devoir des sujets, elle est aussi
( 377 )
dans l'intérêt des Souverains, car tous peuveut faire
des acquisitions nouvell es, et il leur importe que la
crainte qu'ell es ne soient pas durables , n'entrave
pas les mes ures et les actes de leur administration,
ne paralyse pas leu,'s opérations, ne les prive pas
du crédit dont ils ont besoin: tous doiven t aux peuples la garantie que les ch<lngell1ens qui pourront
survenir dans la domination , n'influ eront point sur
les actes légitimement raiL< so us la domination précédente. Ainsi ce qui es t juste Ir l'égard des particuliers , est aussi profit:,ble aux Gouverllemens.
Ce que nous diso ns n'a pas seulemen t son fonde'
ment dans l'équité et les vues d'un e saine politique,
tous les exemples que fournissellt l'histoire et les
traités le con6rment.
l,es actes faits sous le Gouvernement de Cromwel
eurent la même force que ceux faits SO ll S Charles 1er
et ses prédécesseurs) la même que ce ux faits depuis sous Guillaume III et ses su ccesseurs.
Il est déjà convenu qu'on n'attentera pas aux engagemens pris par Bonaparte, aux actes de son
Gouvernement qui touchent à la fortune des particuliers, aux aliénations qu'il a faites ou qui étaient
l'ouvrage du Gouvernement répuhlicain auquel il
se su bsti tu a.
Sa domination en France , n'a eu que quelqu es
années de plus, qll e ce lle de Jérôme, S UII li'ère, en
Westphalie. Les mêmes molils de COJJserver les
�( :17 8 )
actes de l'un ) réclament pour conserver aussi les
actes de l'autre.
Pourquoi donc fait - on craindre que des ventes
de domaines de chapitre sécularisés ou d'autres domaines publics, faites en Westphalie, à l'exemple
de ce qui s'est pratiqué en divers États de l'Allemagne, soient regardées comme nulles; que des
dettes contractées pour les besoins de ce royaume
ue soient pas reconnues?
Ont-elles été faites par quelqu'un qui n'en eut
pas le pouvoir? Ce n'est pas sans doute au nom de
~ . M. le Roi de Prusse qu'on le dirait) puisqu'en
cédant, pour la formation du royaume de 'iVestphalie, les pays qu'elle possédait au delà de l'Elbe,
Sa Majesté adressa aux habitans des territoires cédés, une proclamation pleine de bonté par laquelle
eUe les déliait de leur .serment et les exhortait à
reconnaltre et servir leur nouveau Souverain: ce
ne serait pas au nom de Sa Majesté l'Empereur
de Russie , puisque , par les traités de Tilsit , il
concourut à la formation du royaume de \<Vestphalie et le reconnut. Ces deux Monarques sont
garans par ces traités et par la reconnaissance qu'ils
ont faite du nouveau Roi, de la compétence des
actes de son Gouvernement, c'est-à-dire, du droit
qu'il a eu de les faire , et il est de leur justice, afin
que leur reconnaissance ne soit pas vaine, de les
faire mainteuir.
( 379 )
011 opposera peut - être que les Souverains du
Hanovre, du duché de Brunswick et de Hesse-Cassel n'a,aient pas reconnu le royaume de Westphalie.
Mais, 1 0 ce qui aurait été fait parle Roide Westphalie, dans les pays cédés par la Prusse, ne serait
point atteint par cette objection et se trouverait
dans la catégorie des pays cédés, où l'autorité nouvelle fut reconnue par l'ancien Souverain. Il importerait peu que depuis, la Prusse ait cédé au
Hanovre une parlie des pays qu'elle a reconquis
avec le royaume de "Vestphalie ; elle n'a sans doute
voulu les céder qu'avec les droits qu'eUe y avait;
et son Gouvernement est trop juste pour mettre au
nombre de ces droits celui d'annuler) comme faits
tl non domino, les actes d'un Gouvernement en faveur duquel eUe avait consenti à se dépouiller.
2°.00 peut dire, à l'égard même des alién<ltions
faites dans les pays appartenant originairement au
Hanovre, au duché de Brunswick ou à l'État de
Hesse·Cassel, quela non·reconnaissance du royaume
de Westpbalie, par les Souverains de ces pays, ne
doit être d'aucune considération dans la question
présente, aux yeux des hautes Puissances alliées.
Toutes, l'Ang'leterre exceptée) ayant reconnu Je
nouveau royaume , ont, par cela même, regardé
ces Souverains comme expropriés. II est sans doute
de leur justice autant qUI:! de leur magnanimité de
�( 380 )
les remettre d,ms leurs droits tem porairement efFacés. Mais une équitable condition de celle réintégration est qu'ils maintiendront lf's actes d' un Guuvernement reconnu par ell es et par la très-grande
majorité des Souverains d'Europe.
l'eut-être même pourrait-on ajouter que la reconnaissance des Souverains qu i furent dépossédés
par le traité de Tilsit, n'est pas plus nécessaire à la
légalité des actes du Gouvernement de Westpha lie
formé par ce traité, que ne le serait il leur réintégration le consentement du Hoi de Westphalie J
maintenant précipité de son trône.
La réintégration ne peut pas être plus dUl'e que
la conquê te. Si, dans la conquê te, on respecte les
propriétés particulières, comment la r éintégr'1t ion
dans les pays conquis poulTait - ell e les trotlul~r ?
Les domajnes aliénés sont devenus des propriétés
particulières. Les Princes dépouill és rentrent , par
la réintégration dans leur Souvel'aineté , dans le domaine Pllhlic, dans le domaine de l'État; mais ils
ne sauraient justeUlent se saisi r des bi ens ou domaines qui sont passes dans le domaine privé des
particu liers, à moins qu'i l n'y eut un e loi d'inaliénabilité : le Sou, erain pal' lequ el ils furent remplacés avait les mêmes droits qu'eux, puisqu'il avait
été recunn'lI ; il tenait dans la classe des Souverains
le ranI{ q1J'i ls y avaient et qu'ils y r ep renn(~ nt. Il
e~erçait tous les droits de souveraineté. Sic agebat,
( 38 l )
sic contrahebat. Si, à raison des vicissitudes de la
fortune, on méconnaissait ce qui a été fait par un
l' rince reconnu, si l'on annulait, au préjudice des
particuliers, les actes de son Gouvernement et ses
cngagemens J on affaib lirait la foi due aux Souvel'ains et les ressorts de leur administration. Ce n'est
point aux particuliers qu'il appartient de juger les
Rois; il est de leur devoir de reconnaître pour légitimes ceux que les autres Rois reconnaissen t. Jls
contractent alors avec leur Souverain, sous la foi
et la garantie de la souveraineté en quelque main
qu'elle passe.
On ne dira pas, sans doute, que la création du
royaume de "Vestphalie ne fnt que l'ouvrage de la
force; les conquê tes sont-ell es autre chose? Mais
une fois qu'eUes ont été sanctionnées par des traités,
la conquê te J qui est le droit de la guerre, se change
en droit civil ; les traités peuvent être détruits par
de nouveaux évènemens, les combinaisons des
Etats peuvent être changées, mais les traités n'ont
pas moins légitimé ce qui s'est fait pendant leur
durée. Les traités sont les conventions des Souverains. Ell es peuvent être résiliées J mais ce qui s'est
fait pendant qu'elles avaient leur force, est valable.
I! suit de ces principes , que le Gouvernement
westphalien a eu, depuis son établissement jusqu'à
sa destruction , les droits qui appartiennent à tous
les Go uvernemens , celni de faire des a li énation~
�( 582 )
( 585 )
pour utilité ou nécessité publique, de disposer des
fiefs, de lever des impôts , d'accorder des pensions
pour services rendus au Gouveroement, de conIracter des engagemens, soit pour emprunts, soit
pour fournitures; que toutes ces choses sont des
actes ou des charges qoi ne sont pas personnelles
au Prince détrôné, mais au Gouvernement; qu'elles
y sont adhérentes, et que les Gouvernemens anciens
ou nouveaux qoi ont ou auront la possession des
pays constituant le royaume de Westphalie; en sont
débiteurs. Res transit cum SIlO onere.
On ose donc supplier avec confiance les hautes
Puissances alliées de faire maintenir dans l'arrangement définitif des affaires de l'Allemagne, tous
les actes du Gouvernement westphalien , notamment de faire maintenir, 1 0 les aliénations des domai~~s vendus au profit de l'État et pour ses m!cessltes, ou de faire restituer le prix qui en a été
payé;
0
2 • Les concessions de fiefs vacans ;
50. L'allodification des fiefs',
4°. De déterminer que les pensions accordées
pour services seron t payées ;
50. .Que les ordonnances ou traités et décomptes
souscrits par les autorités compétentes, seront acqoittés;
6 0 • Que ce qoi reste à rembourser des emprunts
forcés sera payé;
70' Que les cautionnemens versés au trésor par
les fonctionnaires publics seront remboursés.
Aucune de ces charges n'ont tourné au profit du
Roi, elles ont été contractées par l'État.
L'allodificationdesfiefs a été faite moyennant des
l'entes que le Roi s'était attribuées, mais que l'État
percevra.
Les diverses charges que l'on vient de mentionner, et qui peuvent s'élever à 15 ou 16 millions,
sont la plupart passagères; elles intéressent la fortune d'un nombre infini de particuliers qu'on ne
voudra pas ruiner. Elles pourraient être réparties
proportionnellement entre les divers Princes parmi
lesquels se distribuera le royaume de Westphalie.
Quoique l'Angleterre n'ait pas reconnu ce royaume, sa coopération dans celte grande restauration,
avec leurs lVIajestés les Empereurs de Russie, d'Autriche et le Roi de Prusse, la justice et la libéralité
connues des principes de son Gouvernement, donnent la confiance respectueuse qu'elle accueillera,
avec ses hauts alliés, la juste demande que l'on ose
présenter à tous les Ministres de cette grande et
belle fédération formée pour la paix de l'Europe.
�( 58t, )
OPINlON
Prononcée à. la Chambre des Députés . en mai
J 8 J 6) sur la guestion si le Roi p eut faire retirer un projet de loi gu'il a fait proposer.
Parmi les questions d'un si grand intérêt que
présente la discussion du budget, il en est une
qui me frappe davantage , parce qu'elle ne tient
pas seulement aux finances, mais à l'autorité du
Roi, et aux pouvoirs de la Chambre. Je crois de
mon devoir d'en dire mon opinion et de l'offrir en
tribut à l'examen de la Chambre et à la discussion
des orateurs qui peuvent percer la foule que le zèle
et les lumières rassemblent en si grand nombre autour de la tt'Ïbune.
Le titre IV de la loi sur les finances, proposée
par le Roi, a été retiré; Sa Ma jeslé y a fait substituer un nouveau titre , contenant des dispositions
di1férentes. La Commission nommée pour l'examen
du budget a déclaré qu'elle n'en continuerait pas
moins à suivre son premier pl an antérieur à ce reIrait, c'est - à - dire, qu'elle procède comme si le
titre IV n'al·aiL pas été retiré et qu'elle ne tient aucun compte de l'ordonnance du 25 février dernier.
( 385 )
De cette manière de procéd er , il résulte) ce me
semble, les deux qu estions suivantes :
Le Roi peut-il retirer un e loi qu 'il a proposée ?
La Chambre peut-elle la retenir ?
Une proposition appartient il celui qui l'a faite ;
il peut donc la reprendre tant qu'elle n'a pas été
ôlcceptée et qu'il ne s'es t pas formé un contrat ou
\lne obligation par le consentenlent de celui auquel
il l'a présentée. Je ne crains pas qu'on me reproche d'appliquer ,Jans une matière de droit pub lic
uue règle vulgaire du droit civil) parce que celte
r ègle résulte des plus simpl es notions, et que la
raison l'avait suggérée avant que la loi l'eut écrite.
Il serait trop étrange que l'on contestât au Roi le
droit que l'on reconnaît à chacun: et si on le fait
en cette occasion, ce n'est qu e par des raisons particulières et par uue exception d0nt j'examinerai
tout-à-l'beure la valeur.
' '
Si le Roi peut retirer sa proposition} c'est ùne
conséquence nécessaire que la Chambre ne peut la
retenir, car si elle la retenait, le Roi serait privé de
cette facult é; et de quel droit pl'étendrait-on délib érer sur ce qu'il ne jugerait plus à propos de 'IJ1ettre en délibération ?
Id"
,
Que elirait-on d'un tribunal qui voudrait juger
une demande retirée par celui qui. l'a formée , et
qui ne subsisterait plus devant l!Ji Q if: l relOal'quons
que la Chambre n'est point un triliuuai , 'lue le Ro~
25
,
�( 586 )
n'est point une partie; qu ',l est le chef suprême de
l'Ét<lt, Je premier el le dernier anneau ou pouvoir
législatif, puisqu'il a l'initiative et la sanction des
lois, auxquelles la Chambre est seulemeut appelée
à concourir. Sans son concours il n'y a pas de loi,
mais elle 'ne peut se créer la matière ou le sujet
d'une loi qu'on ne lui demande pas .•
Prétendrait-on que l'initiative du Roi, une fois
qu'ill'a prise, est irrévocable; qu'elle le lie, qu'eUe
investit la Chambre, de manière qu'elle ne puisse
plus être dessaisie que par la délibération qui adoptera ce que le Roi ne veut plus proposer, ou qui
rejettera ce que le Roi, mieux éclairé, a oéjà reconnu ou intempestif ou inutile? Qui ne voit combien cela serait meséant pour l'autorité royale? La
Chambre se constituerait, de force, j lige d'une pensée ou d'un projet dans lesquels le Roi ne persiste
pas; elle prendrait une résolution sans base; car
elle n'a que deux bases de délibéra tion : ou les propoûtions du Roi, ou celles de ses membres. La proposition du Roi retirée, il ne reste donc pas de
matière à délibération, à moins qu'un membre ne
propose de supplier le Hoi de faire présenter de
lIouveau la même loi ou la même partie de loi que
Sa Majesté a retirée, et, dans ce cas, les formes et
les effets de la résolution sont différens.
Il suit de là qu'il est inconstitutionnel et hors cl es
pouvoirs de la Chambre de continuer ou d'entre-
( 58 7 )
prendre une tlélibération sur une proposition reti,'ée par le lloi. Voyous maintenant s'il ya exception
à cette conséquence, en matière Je finance.
On a dit que le budget doit contenir toutes les
recettes el toutes les dépenses de l'année. TI faut
s'entendre sur cette assertion qui, par sa généralité, favorise la fausse déduction que la Commission
en a tirée.
Le budget est le bilan de l'État; il doit présenter
les articles et la balance de ce qu'il aura dans l'année, de revenus et de dépenses. lIIais les dlipenses
auxquelles il a déjà été pourvu par les budgets précédens , les sommes provenant de ventes déjà autorisées par des lois antérieures, n'ont pas besoiu d'être
reproduites. Sans doute elles devront entrer dans les
comptes du trésor, mais autre chose sont les comptes à rendre et les budgets à arrêter. Si l'on replaçait
dans chaque budget toutes les dépenses dont les
fonds ont été précédemment faits , toutes les recettes
résultant non d'impositions, qui ne peuveJ;lt qu'être
annuelles, mais de ventes qui ont été ordonnées ,
et qui, n'ayant été assujéties à aucun terme, peuvent embrasser plusieurs almées, on ne ferait qtiembarrasser les budgets. Il est inutile de porter dans
le nouveau budget, des dépenses pour lesqnelles
on n'a rien à demander , pour lesquelles il a ét~
créé des ressources indépendantes de l'impôt allnuel à accorder. La Commissi01l ne réclame l'ar-
�( 388 )
riéré de 1814, sur lequel il a été statué par le dernier budget, que pour révoquer les dispositions de
ce budget, et r;'pporter en cette parLÎe la loi du
z3 septembre; or, avons-nous le droit de la rapporter de notre propre mouvemen t, et serait - ce
de celte manière?
Il est si vrai, dit la Commission, que la loi du
23 septembre ne nous a pas dessaisi de tout ce qui
tient à l'arriéré, qu'au contraire elle a semblé, par
son article 33, nous appeler d'avance à nous en o~
cuper.
Qu'est-ce à dire? l'article 33 porte, que si les
ressources affectées au payement de l'arriéré clos au
l or avril 1814 ne sont pas suffisantes, il sera accordé,en réglant le budget de 1816, tous supplémens
nécessaires, La réserve de demander un supplément
nous saisit-elle, quand on n'en use pas, et nous autoriserait-elle, si on en usait, à retirer le principal ?
Un supplément de cent mille hectares de bois à
vendre nous avait été demandé par l'article 18, dans
le titre IV qui a été retiré: sans doute nous pourl'ions, si nous avions à délibérer sur cet article,
fllfuser ce supplément; mais le Gouvernement ne
le demande plus, parce qu'il sépare l'arriéré de
,815, pour lequel il en aurait eu hesoin , de celui
de 1814. La iiemande d'un supplément, maintenant retirée, ne fournit donc pas le -prétexte, d'ail-
( 389 )
leurs futile, de revenir sur ce qui avait été accordé
en 1814.
, La Commission ne s'est pas dissimulée cette objection, que la loi de 1814 ayant fait les fonds de
l'arriéré antérieur au Tor anil, on n'a plus à s'en
occuper, Elle a essayé d'y répondre de deux manières,
D'abord, a-t-elle dit, une loi peut en abroger
une autre, et sur-tout une loi telle que celle de
1814; une loi qui, réglant la manière dont l'État
payera ses dettes , n'est au vrai qu'une affi,ire d'administration, un ordre donné aux Ministres de liquider l'arriéré suivant le mode prescrit, ordre
qui ne subsiste que jusqu'à révocation, Enfin, cette
loi est abrogée par les évènemens, par la nature
même des ch0ses, puisqu'on ne peut plus espérer
une vente avantageuse des trois cent miMe hectares
de bois, quand même on ne devrait pas leur donner une autre destination, puisque l'excédant des
recettes sur le budget de 18-15 est perdu, puisqu'il
faut se garder d'aliéner les biens des fommunes,
On pourrait s~étollner de voir confondre une loi,
c'est-à-dire, ce que nous avons de plus solennel et
de plus respectable , ce qui lie même le Souverain,
car les Rois se f0nt un devoir et un honneur de se
soumettre aux lois , on pourrait s'étonner, dis-je,
de voir conlooore une loi avec un simple règlement
d'administration, avec un ordre intérieur qlle le
Gouvernement se prescrirait et changerait à volonté_
�,
( 390 )
Ah ! si c'était le Gou,'ernement qui se permît une.
telle erreur, a vec quelle force et quelle raison on
la repousserait.
.
En erret, la loi est le commun précepte, le pacte
universel de la société. Commune pf'œceptum c0"lmunis sponsio cù'itatis, disaient les jurisconsultes
romains, dont plusieurs étaieu! de profonds philosophes et de grands publicistes. Comme les conventions tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites,
les lois sont des conventions générales auxquelles
chacun est soumis, le Gouvernement ainsi que les
particuliers.
Les Gouvernemens ont trois manières de s'engager : par des contrats comme les particuliers, par
des règlemens ou ordonnances et par des lois. La loi
est le plus solennel, le plus f<Ht , le plus irréfragable des engagemens. Ceux qui sont chargés de
son e~écution ne peuvent pas plus s'en écarter que
ceux qui doivent lui obéir; elle est la plus sûre des
garanties, ou il n'yen a aucune dans la société_
Lors donc qu'une loi a af!'ecté des fonds au payement d'une dette, les créanciers ont le droit d'y
compter comme sur une chose définitivement et irrévocablement arrêtée. De là, on a eu raison d'af~
firmerque le Gouvernementne peut se dégager seul,
d'une loi par laquelle il s'est engagé avec ses créanciers; et la Commission n'a pas répondu d'une manière satisfaisante, en disant qu'il ne faut pas regarder une affectation de bien il un payement comme
,
( 59 1 )
un acte translatif de ce bien. Oui, chacun sait que
l'hypothèque qui donne un droit réel dans l'immeuble qui yest alfecté, n'en transfere pas la propriété_ Mais qu'est-il besoin d'un transport de propriété pour rendre l'hypothèque irrévocable, pour
ôter à celui qui l'a consentie, la faculté de changer
les sûretés qu'il a données il ses créanciers? '
La Commission a été jusqu'à nier que la loi qui
établit un mode de payement pour les créanciers
de J'État, constitue une obligation à leur profit; ils
ne sont pas appel és, a-t-elle dit , ils n'ont rien à accepter, ils n'ont que leur titre primitif de créance.
Ils ne sont poillt appelés! Ils l'ont été solennellement par la proposition de loi faite à la branche
du pouvoir législatif, chargée de stipuler en matière de législation, l'intérêt des citoyens_ Ils n'ont
rien à accepter! La Chambre accepte pour tous
ceux auxquels les lois qu'elle consent, don"" des
droits: elle fait plus, elle les leur gar •.ntit. La loi
est synallagmatique; l'exécution de ses promesse,
est corrélative de l'obéissance qu'on lui doit: comment concevoir qu'elle ordonne, dérende, permette , punisse irrévocablement et qu'tlle promette
.
C"n vam . ___ .
La Commission convient que l'obligation primitive de l'État} comme débiteur, est irréfragable ;
mais eUe refuse le même caractère à la promes:.e
,
�( 39 2 )
d'acquitter la dette de telle ou telle manière;
comme si cette promesse n'était pas aussi obligatoire que la première; comme si la manière de
payer n'était pas un accessoire de la delte et de l'obligation du débiteur ! Et ce qu'il y a de plus étrange
dans le cas présent, c'est que la dette ne résultant
que d'un . contrat} et le mode de l'acquitter étant
fixé par une loi , on donne moins de force à la loi
qu'au contrat 1 Et c'~st quand on a besoin d'un crédit public, quand on veut J fonder , que l'on proclame celte assel,tion meurtrière de tout crédit :
qu' un e loi qui règle la manière de payer les créanciers de l'Etat n'a joute rien à leurs titres, ne lie
point l' Etat et peut être changée annuellement.
Mais, dit·on , la loi du 23 septembre est inexécutable, mauvaise, injuste, abrogée par les évènemens. Ell e ne méritait apparemment pas ces reproches lorsque Je Roi la proposa et que le Corps légisJatiI l'adopta. Je remarquerai que cette loi tant
blasphêmée a reçu le triple assentimen t du Roi,
1° par la proposition qu'il en fit en 1814; 20 par
l'exécution qu 'il a voulu lui con tinuer en la mentionnant dans le budget de cette année comme chose
arrêtée; :')0 enfin , par l'ordo nnance du 25 février ,
qui n'a évidemment d'autre hut qu e de mettre cette
loi à l'abri des atteintes qu'o n lui veut porter. Le
Gouvernement ne la juge donc pas inexécutable
( 59 5 )
'1
puisqu'il veot la conserver; et comme il est chargé
de son exécution, il est meilleur juge que nous de
sa possibilité.
Au reste, je ne discuterai point s'il faut se préserver de vendre les biens des communes et ce qui
reste des trois cent mille hectares de bois. Je n'aurai garde d'appeler spoli atrices des lois que le Corps
l égislatifde 1814, et la sagesse du Roi ont adoptées
et sanctionnées, et si je pensais qu 'elles doivent être
rapportées comme nuisibl es, je Jes attaquerais avec
circonspection et défiance; car si la chose jugée
passe pour la vérité, la Joi qui est bien plus qu'un
arrêt, qui éma ne d'autori tés hien autremen t é l e"é~
etsupérieures, la loi qui, jusqu'àsa révocation, commande l'obéissance, commande aussi le r espect.
il'Iais en supposant la r éalité de tout ce qu'on a dit
contre la loi du 23 septembre 1814, en admettaut
que quelqu'irréfragabl e qn e doive être une loi qui
fixe des payemens, il est cependant des cas où l'on
reçoit ùe la nécessité , la faculté de la rapporter, je
demande si} dans ce cas, il ne ra ut pas, pour la
rapporter, une grande connaissance de cause et
suivre scrupuleusement les rorm es prescrites? Et si
la grande connais,ance de cause pouvait r ésulter
suffisamment d e ce qu'on a dit et de ce qu'on dira
con tre la loi du 23 septembre, il resterait encore à
prendre la voie consti tutionnelle ... Quelque mau,'aise que puisse être un e loi} elle a les mêmes ga-
�( 394 )
ranties ~ue les meilleures, afin que celles-ci ne puissent pas devenir le jouet de l'instabilité et de l'inconstance des opinions.
Une loi, quelle qu'elle soit, ne peut cesser d'a"oir force qu'elle n'ait été expressément rapportée;
c' est une loi nouvelle qui peut seule lui donner la
mort.
Or, quelle est la manière de rapporter une loi?
On la rapporte sur la proposition du Roi, faite de
propre mouvementou sur la priere qu'une des Chambres lui a adressée, d:après la demande qu'elle a
adoptéedel'undesesmembres, de faire proposer une
loi qui prononce lerapport. Sans proposition du Roi,
une loi existante est immuable; on l'a reconnu à l'égardde la loi du divorce. J'ai prouvé qu'il n'ya pas
de raison de faire exception aux principes pour les
lois de finances qui, au contraire, ont besoin de
plus de stabilité pour en donner au crédit, et surtout lorsqu'elles contiennent des engagemens. Il est
donc impossible que la Chambre s'occupe de l'arriéré clos au 1er avril 1814, tant que la loi du 24
septembre n'aura pas été rapportée. Jusqu'alors il
n'y a de soumis à sa délibération et à ses pouvoirs
que l'arriéré postérieur. Elle a droit de discuter les
dispositions relatives à cet arriéré et contenues dans
le nouveau titre IV du budget. te titre IV ancien
ne lui appartient plus; il est mis hors de sa connaissance puisqu'il est retiré.
( 39 5 )
Je vote pour écarter toute d.;Iihération sur le
titre rdirt! et contre toute disposition du projet tendante à statuer sur l'arriéré clos au l,r avril 1814.
OPINION
Sur le Projet de Loi d'Amnistie, prononcée à la
Chambre des Députés, le 2 janvier 1816.
S'il est vrai que les Rois sont l'image de Dieu sur
la terre; s'ils tiennent, comme lui, dans leurs
mains la vie et la mort, ils doivent, suivant l'inspiration de leur sagesse, être justes, sévères ou
miséricordieux. La grâce est le corrélatif du cbâtiment. Celui qui peut punir , peut aussi pardonner.
De là vient qu'on ne disputa jamais au Souverain
le droit de grâce; a-t-il celui d'amnistie?
Cette question pourrait paraître oiseuse dans la
discussion qui nous occupe, puisque le Uoi propose,
en forme de loi, l'amnistie qu'il pourrait donner de
sa propre puissance. Cependant, il ne sera pas inutile d'indiquer en peu de mots les principes; ils
peuvent servir à écarter les modifications que votre
Commission veut apporter à l'amnistie.
La gdce étant incontestablement un droit de souveraineté, ce droit me paraît enfermer essentielle-
�( 596 )
ment celui d'amnistie. La gTâce est une faveur particulière; l'amnistie, \lne faveur générale, un bienfait public. La grâce remet la peine après le jugement; l'amnistie remet la poursuite, et prévient le
jugement. C'est une gràce anticipée, mais c'est toujours une grttce; et, comme telle, elle est dans les
droits du Souverain.
Que le Roi pardonne à un condamné, cela importe peu à la société qui n'a point d'intél'êt à ce
qu'un homme de plus, périsse ou soit conservé.
L'exercice de ce droit appartient plus à la bontédu
Souverain qu'à sa sagesse. Mais une amnistie est un
grand acte de gouvernement, d'administration et
d~ politique; une amnistie est aussi importante à
l'Etat après une révolte ou une guerre civile , que
lui est indiIFérente la grâce d'un ou de quelques
individus. Livrera-t-on aux tribunaux des milliers
de coupables? Le pourrait-on sans danger pour la
tranquillité publique?Le pourrait-on sans que l'humanité se révoltât de la multitude des châtimens ?
Ne paraîtrait-on pas faire succéder aux maux de la
ré.volte ceux d'une sorte de guerre judiciaire qui,
faIte. dans un temps de calme et de sang-froid J n'en
seraIt que plus cruelle?
Si la grâce est toujours volontaire, l'amnistie,
on peut le dire, est forcée; c'est le seul moyen
connu de mettre un terme aux troubles civils. Je
ne rappellerai pas seulement nos guerres de la ligue
( 597 )
et de la Fronde; que l'on jette les yeux sur l'histoire de toutes les Dations, par - tout où il y a eu
sédition, révolte. guerre civile J une amnistie plus
ou moins générale est intervenue. C'est un fleuve
qu'on se hâte de répandre sur un vaste incendie.
Parlons sans figure: qu'est-ce qu'une amnistie?
C'est un pardon général que le Prince accorde à
ses sujets; c'est une déclaration qu'il oublie le passé ,
le tient pour non avenu, et promet de n'en faire
aucune recherche. A qui appartient ce grand acte
d'administration , si ce n'est au souverain administrateur , au chef suprême, à celui qui déclare la
guerre, fait les traités de paix et d'alliance, les règlemens et ordonnances nécessaires pour la sûreté
de l'État?
L'amnistie) SI elle est un acte d'administration J
est dans les droits du Souverain.
EUe y est encore, si elle est un édit de pacification ; car, si le Roi ü\Ît, ainsi qu'il le juge 'coovenable, la paix avec ses ennemis extérieurs,' corn,
ment n'aurait-il pas le droit
la faire avec ses ennemis intérieurs, de les ralüer à lui par sa bonté,
après les avoir réduits par sa puissance? Comment
contester au père de la grande famille d\! se réconcilier avec ses enl~lns ?
Enfin, tout e justice n'émane-t-elle pas du . Roi?
11 rait poursuivre les crimes; )] est, paT ses procureurs généraux, l'accusateur public, la partie pu-
de
-
�( 398 )
blique. C.omme accusalt:ur, comme partie, il peut
se désister; il peut remeUre l'offense faite aux lois
dont il est le gardien, à la société dont il a la tutelle et la conservation.
Ce que je dis était incontestable et incontesté aux
prédécesseurs du Roi, à lui-même avant qu'il nOI1S
eût donné la Charte. L' établissement des deux
Chambres a-t-il altéré son droit à cet ég'ard? Je ne
le pense pas.
Pour les avoir admises au partage du pouvoir
législatif, le Roi ne s'est pas départi du droit d'amnistie , à moins qu'elle ne soit, de sa nature, un ~
acte essentiellement législatif. Or, elle ne l'est pas
s'il est vrai qu'elle soit un acte d'administration et
de gouvernement, de la nécessité et de l'é tendue
duquel le Roi est juge, comme chargé du maintien
de la paix publique.
Elle n'est pas essentiellement léO'islative, s'il est
vrai, qu 'Il
e e soit un traité de paix et0 de réconci liation, un désistement de plainte. La loi , qui est impassible, n'a besoin de se r éconcil ier avec personne'
elle punit ou absout; elle ne pardonne pas. Elle es;
u~e règl~ que la puissance exécutive applique ou
fait appliquer. L'amnistie est donc plus essentiellement du domaine de la puis~aDce exécutive, que
de, I~ pUissance législative ; et si , qu elqucfois , elle
a ete prononcée par une loi, c'est pour lui dOllner
plus de force, plus de solennité, et non par nécessité.
( 399 )
Ici, je dois prévoit' une objection: le Roi, dirat-on, pourrait donc suspendre l'action des lois ?
Une réponse affirmative et sans distinction serait
aussi fausse qu'une négative absolue.
Le Roi ne peut et ne voudrait pas suspendre, de
sa seule autorité, les lois fondamentales de la Constitution du royaume, les lois protectrices de la liberté et de la propriété des citoyens. Il ne peut et
ne voudrait pas non plus suspendre les lois au préj udice soit du public} soit des particuliers, et même
ses grâces emportent toujours la restriction, sauf
les droits du tiers.
Mais lorsque la suspension ne préjudicie à personne; lorsque, au lieu de nuire ou d'imposer une
privation, elle est un bienfait pour ceux qui en profitent} sans être un mal pour ceux auxquels elle est
étrangère, il serait bien extraordinaire qu'on la
contestât au 'Roi. On accorde au président d'une
cour criminelle un pouvoir discrétionnaire, et on
le refuserait au Prince de qui émane toute justice !,
Il a la poursuite des crimes par ses procureurs généraux ; à eux seuls, comme ses délégués, appartient l'action publique, et il n'aurait pas la faculté
de décider si} dans tel et tel cas, il n'est pas préférable de ne pas exercer celle action! Le Monarque.
serait donc réduit à n'être qu'une machine aveugle
d'exécution , ohligée de pousser sous le glaive des
lois tous ceux qu'elles en ont menacés!
/
�( 400 )
Sans doute le Monarque qui déclarerait que la
révolte ne sera plus à jamais poursuivie, ne sortirait pas seulement des limites de ses pouvoirs, il
violerait celles de la raison . Mais celui qui , sans
abroger la loi, sans la SilS pendre pour les cas à
venir, déclare que ', dans telle révolte, où il l'ient
de triompher, il n'agira pas contre les coupables
avec la sévérité des lois , celui-là est un Monarque
prudent et éclairé; il n'excède point ses pouvoirs,
iJI les remplit dans toute l'étendue que lui donne le
drmt de veiller à la sùreté de l'E tat , soit en laissant
aux lois pénales leur cours habituel , soit en modér ant ou détournant même leur applioation, lorsqu'il est évid ent qu'elle ajouterait de nouvelles plaies
à celles qùil faut cicatriser.
L'amnistie est donc autant un droit d e la souveraineté que le droit de griÎc~ ! et il est plus important de le reconnalt,'e au Roi , parce qu'il lui offre
un grand moyen d'administration 'et de paix inté"
l'Jeure.
Mais, supposons qu'il restât des doutes à cet
égard: le Roi les a écar tés . Tout en déclarant, par
la bouche de ses Ministres, que le droit d'amnistie
est inhérent à la souveraineté, 'il' a ,'oulu nous as,ocier à ce grand acte de pacifi ca tion et de bienfaisance; il a voulu nous faire parta ger les bén édictions que la sécurité qu'il ,'a rendre à un grand
nombre de familles a déjà fait éclater de toutés parts.
( 40 l )
L'amnistie deven ant l'ouvrage des trois pouvoirs,
prend un caractère plus solennel ; émanée du Roi,
qui est la so urce des grt,ces , empreinte du sceau
'de sa bonté et de son pouvoir qui auraient été sufnsans, elle sera encore revêtue, pour plus de sécurité et de stabil ité, de la ga rantie et de la sa nction de la loi.
Maintenant la Cbambre doit-elle apporter, dans
cette loi , les scrupules et les rigueurs développés
par le rapport de la Commission et par les amelldemens qu'elle a proposés ?
Avant la concession de la Charte, le Roi aurait
pu, de sa pleine puïssance, frapper d'exil des sujets dont il aurait jug'é la présence dangereuse. Depuis que, par la Charte, il a étab li que person ne
ne sera poursuivi qu e dans les cas prévus par la loi .
et dans les formes qu'e ll e prescrit , le Gomernement est privé du moyen qu elq uefois sa lutaire de
l'exil; il demand e qu'il lui soit rendu pour cette
fois. Les mêmes motifs qui ont fait donner, par la
101 du 29 octobre dernier, à ses préposés, la faculté
d'arrêter, sans les traduire devant les tribunaux
les prévenus de crimes politiques, applIyent l'exil
des trente-huit. Cette mesure est le complémen t de
la mesure de sû reté que vous li vez déjà adop tée
contre un bien plus gra ud nombre.
J,a Chambre n'a, dit-oD, aucune compétence
pour Juger . Aussi n'est -ce pas un jugement qu'on
26
�( 402
)
lui propose. Juger , c'est examiner, absouJre ou
condamner après conviction , et prononcer une
peine légale. JI ne s'agi! poinl ici de bannissement,
c'est improprement qu'on en a parlé ; il s'agit d'une
mesure de police. La loi ne porte qu'un exil dont
la durée e6t laissée à la volonté du Hoi ; point de
déclaration de culpabilité. Les personnes frappées
cie cet exil ne sont éloignées que pal' des raIsons
d'État qui ne sont point soumises à la discussion
de la Chambre; elle ne s'en plaindra pas, puisqu'elle ne doit ni ne veut juger.
La marche régulière et constitutionnelle serait
le renvoi a\lX tribunaux : mais le Gouvernement
estime qu'il ne faut pas la suivre, soit que les raits
qui lui font préférer l'éloignement des trente-huit ,
pussent ne pas fournir de bases suffisantes d'accusa lion criminelle, soit que les preuves qu'il aurait à
produire à l'égard de quelques-uns pu,sent ne pas
opérer une conviction entière, soit qu'il pÎtt résulter
de l'instruction de trente-huit procès, surajoutés à
tant d'autres du même genre, des inconvéniens qu'il
est facile d'apercevoir, et, par conséquent, superfiu
de développer.
Si un Gouvernement, suspect par sa dureté et
son despotisme, venait demander une telle mesure,
vous vous montreriez, en la repoussant, ce que
vous devez être habituellement , les défenseurs des
droits et de la liberté des citoyens. Mais elle est pro-
( 403 )
posée pal' un Gouvernement que l'on taxe au con iraire de trop de modération et de douceur; la
Chambre, en l'adoptant , lui donnera uoe preuve
de sa confiance; ell e prouvera que nous savons
consentir aux sacrifices passagers qu'exige la consfrvatioo de l'É tat, et reconnaître les cas où il faut,
.. insi que le dit Montesquieu: " mettre, pOlir un
moment, UII voile sur la liber té, comme on cache
les statues des Dieux." Refuser l'exil des tren te-huit,
ce serait prendre sur nous le hasard des j lIgemens ,
s' ils venaient à être accusés , ou le scandale de l'impunité, s'ils ne l'étaient pas.
La Commission ne s'est pas dissimulée ces difficnltés . Elle a cherché à s'en dégager par l'amendement qui, au lieu de prononcer contre les trentehuit la sortie du royaume, conlere au Roi la faculté
de la leur enjoindre. La Commission a eu deux
,>ues : la première, de fournir au Gouvernement le
moyen de ne pas exil er ceux qu'un examen ultérieur ne lui montrerait pas assez dangereux, et de
laisser à ceux qu'il fera it mettre en jugement la ressource de se justifier; la seconde, de ne pas occuper la Chambre, des personnes , de ne pas la faire
en trer dans l'examen de leur conduite, et prononcer
sur ce qu'elle ne peut examiner.
On ne saurait qu'applaudir à l'intention de tendre
une main secourable à des hommes dans une situation pénible; mais elle est superflue ; J'équivl1lent
�( 4u4 )
( 405 )
existe dans le projet de loi, puisque le Roi peut
modérer l'exil à volon I·e ) et au toriser la rentrée en
France.
Quant à la crainte que la Chambre ne sorte de
ses attributions) n'y a -t-il pas} dans ce scrupule,
plus de subtilité que de justesse '? Le Roi ne peul.
plus exi ler } comm e autrefois, cle sa seul e autorité.
Dès- lors, qu e la loi Ini en défère la faculté, ou
qu'eUe prononce elle-même l'exi l } n'est- ce pas la
même chose? Si la loi permet ou ordonne, elle n'en
statue pas moins sur ce qui est permis ou ordonné.
Si le Roi exile} en force d'une faculté qu'i! tiendra
de la loi , c'est en vertu de la loi que les trente-huit
seront ex.ilés ; car, sa ns elle, ils ne pourraient pas
l'être. C'est donc la loi qui les exile, et une loi faite
à leur occasion.
On croit que l'ex.il c; tant facultatif, la Chambre
en laisse la responsabilité au Gouvernement} on se
trompe. S'i l y a une responsabilité morille du Go uvernement dans la rédaction J e la liste, il Y a un e
responsabi lité morale de la Chambre dans la factùté
qu'elle donnera J 'écrire au bas un ordre d'ex il. Si
eUe n'a pas confiance à la 1iste, eUe ne doit pas
l'approuver , même en accordant une facull é d'exil.
Si elle y a confiance, ell e doi t la prendre telle
qu'elle est , et concourir franchement et directement à une mesure que la Commission elle-ruême
reconnaît utile et nécessaire} puisqu'elle propose de
l'adopter inJirectement. Ceci ne serait donc plus
qu 'uu jeu de mots. Nous aurions à délibérer en tre
l'exil à permellre et l' ex il à ordonner, en laissant,
dans tous les cas, sa durée à la volonté du Roi.
On veut, a dit la Commission, nous associer à
un e mesure qui appartient beaucoup plus à l'adminislration publique qu'au domaine de la loi. Oui ,
la mesure est en elle-même essentiell ement administrative, excepté dans la partie où notre concours es t
indispensabl e, l'exil. Ma is, puisqu'en consentant il
le permettre, la Com mission Je reconnaît utile; puisqu'il y va du maintien de la tl"anqu illité publique,
prêtons notl'e appui dil"ectement, franchement; ne
nous bornons pas il permellre, lorsque nous pouvons ordonner; lorsque la permission et l'ordre
ayant le même effet, ne présente"t qu'une différence vaiue et sans réalitEO; ne nous séparons pas du
pouvoir qui réclam e le nôtre, et donuons à la nécessi té J ' un coup d'État , dounons ouverlement et
avec plénitude , la sa llction de la loi , que l"amend emen t proposé donne, mais sem ble n'oser donue '~
qu'à demi.
Je viens à présent aux amendemens d' un autre
genre, à ceux de rig'ueur.
La Commission excep te de l'amnis tie cinq classes
ou catégol"ies énoncées dans l'art. 4 de son projet.
Je ne m'étonne point qu'après une long ue ag'italion et de grands malheurs, il existe de gTa nds res-
�( 406 )
( 4u 7 )
senLÎmens; le souve nir des mall x qu'on a épl'Ouvés,
ct q ui ne son t pas g'uéris , la crainte de leu!' relom ,
poussent beaucoup d' hommes vers la sévérité; ils
s'indignent même contre ceux qui (lrélèrent l'indulgence, et ils provoqu ent il grands cris toute la
rig'ueur des lois . Mais, fortes contre les individus ,
elles deviennent impuissa ntes co ntre une multitud e.
On ne r.~ it pas succéder un débordement de supplices au déluge de maux qu'entraînent les troubles
civils. Il ne peut être terminé que par l'apparition ,
sur l' horizo n poli tique , d'un signe de paix et de reconciliation, c'es t l'amnistie.
Sans doute , ell e est susceptible d'exception: la
q uest-io n est, si le proj et du Go uvernemen t n'en contien t pas assez, et s'il y fa ut joindre celles qui sont
proposées par la Co mmission ?
D'"bord , l' amnisti e étant un droit de souvera ineté, ainsi que je crois l'avoir établi en commença nt, il est , ce me semble) hors des pouvoirs de la
Chambre de la res treindre. La clémence du Roi n'a
de bornes que dans sa prop re sagesse, ou dans celles
que la loi y aurait déjit mises. C'es t ainsi que nos
Hois s'é taient interdits de pardouner le duel , et en
faisaien t le serment ù leur sacre. Nul n'a le droit
de pl aider , contre la miséricorde du Roi ) la cause
des échafauds, et de revendiq uer pour eux les victimes que sa clémence l'e ut leur so ustraire.
Mais, sans traiter ce tte question, dont s'occupe-
l'Ont peut-être d'autl'cs orateurs, qu'il me soit permis de remarquer qu e jamais amnistie publiée en
France ne Ht <lutant d'exceptions qu'en contient
cclI e que le Gou vem ement nous propose.
Trois jugemells capitaux ont été rendus à Paris,
seize ne tard eront pas à l'être , ou contradictoireme nt ou par contumace. Il en a été pronon èé à
Bordea ux et dans plusieurs départemens. Enfin , le
projet de loi excepte tous ceux contre lesquels des
poursuites sont déjà dirigées, et l'encombrement
des prisons , dans certains lieux, atteste que le nombre n'en es t pas petit.
N'est- ce don c pas assez de dix-neuf têtes marquan les, toul es élevées en grade, qui ont été ou
sont abandonn ées il une accusation de haute trahison ? N'est - ce pas assez des trente - huit qui , sans
être traduits aux tribunaux, sont exceptés aussi du
pardon , et parmi lesquels se trouvent , en majorité,
des hommes fameux par les r ôles qu'ils ont joué
dans la révolution et daus les derniers désordres ?
Sa vons-nous mieux qu e le Gouvernement, ceux
dont il peut se plaindre) ceux contre lesquels
il a des preuves? Qui osera substitu er ses propres
soupçons, même ses conn aissances personnelles ,
aux renseig nemens qu e le Gouvernement possède ,
et que lui seul a pu se procurer entièl'e~eIlt , à
charge et à décharge?
Mais ceux qui ont favorisé le retour de l' usurpa-
�( 408 )
teur, ses ministres , ses conseillers , et cette Ioule
que la CommissiOIl a pris soin de comprendre dall s
l'article 4 de son projet, pourquoi seraient-ils alll nistiés?
Pourquoi, Messieul'S ? parce que ces vastes catégorÎes, ajoutées aux exceptions déjù proposées pal'
le Gouvernement, mutilent et annulent en quelque sorte l'am nistie !
Parce qu'elles détruisent son but principal , la
tranquillité, la paix publique, en men aça nt une infinit é de personnes.
Parce qu'elles joignent, à trente généraux déjà
portés Sur les deux listes de l'ordOlwunce du 24
juillet, on ue sait combien d'autres géuéraux et de
fonctionnaires publics.
Défions-nous d'un zè le trop ardent. Ce n'est pJS
tle sang qne la France a soiC , c'est d e tranquil lit é ,
de pardon , de sécurité. Le Hoi ouvre et l'épand les
sources de sa clémence, Il nous invite à en faciliter
le cours , à l'embellir de la maj es té de la loi, et
uous le refuserions , parce que ses gr'lces nous paraîtraient trop abondantes ! Nous nOlis renferm erions dans une stoïq ne rig ueur , si étrangère aux
mœurs fran çaises, lorsque nous pou vons secouder
et suivre, comme nous eu avions autrefois l'habi tude, les moul'emens généreux , héréditaires dans
la race de nos Rois! Non, ÏI1essieurs, l'amnistie
( Q0 9 )
entière, pleine, sans restrictions que celles que le
Roi a jugé convenable d'y mettre.
Votre Commission n'a I)U se t1issimuler à eUemême tous les inconvéniens de ses vastes exceptions; elle a cherché à les dimiuuer , en abrégeant
le temps des poursuites qu'elle ne veut pas interdire; elle a placé au bou t de trois mois la sccurité
que la prescription n'apporte qu'au hout de dix ans;
elle ne s'est pas aperçue que de cette préca ution .il
sort un argument bien pressant contre ce lle parue
de son projet.
Que serai t-il besoin, en elfet, tI'a bréger le cours
de la prescription pour des crimes qu e leur gravité
porteraiL plutût à regartler imprescriptibles ? Pourquoi celle innova tion eÀ traordinaire dans la législation, si ce n'est que l'on sent qu'il faut abréger
le mal qu'on propose? Il est bien plus simple, bien
plus sage de s'en abstenir , de marcher deoit au but
qui est de ne pas proruger de trois mois l'anxiété
où, depuis six mois , se trou vent et ceux qui sont
compris clans ces vastes ca tégories, et ceux qui
craindraient qu'on ue les leur appliquât; car on a
eu !Jean cherch er à les préciser , mille personnes
seront exposées il voir mettre en question si ell es y
sont ou non cOlll prises. Tons leurs pat'ens, tous
leurs amis partageront pendant trois mois eucore
leur soli iritude ; pendant trois mois encore, ce tte
imm eusité de citoycns qui craint, non sans raison ,
�( 410 )
( 411 )
Je vOIr s'éloigner le l'epos et la tranq uillité publique
par des rigueurs multipliées, demeurera incertaine
et inquiète: le crédit public vaci ll era, et ceux qui
épient nos mom'emens, qui comptent sur les mécontentemens intérieurs, recevront un nouvel aliment de leurs espérances: vous ne le leur donnerez
pas, Messieurs; vous cimenterez la paix intérieure
par cette silge mesure d'indulgence et de sévérité
que renferme la proposition du Roi.
Mais ceux qu'il ne couvre pas de sa clémence et
qu'il abandonne à la justice, ne satisferont-ils aux
lois que de leur sang ou de leur personne ? le fisc
ne devra-t-il pas revendiquer lellr dépouille ?
Ah! Messieurs, quoiqu'on ait évité de prononcer
la confiscation, ell e est tout entière dans cette indemnité que 1'011 voudrait prendre sur les biens
des condamnés, indemnité dérisoire vu l'immensité
du dommage :' ce serilit une g'outte d'eau dans
L'Océan '; mais indemnité dangereuse, parce que ,
sous un nom moins odieux, elle nous ramènerait
à une chose fun este,
Il ne faut pas appliqu er aux crimes d'État et dans
les troubles publics , les lois civiles et ordinaires.
Un particulier ca use uu préjudice il un autre particulier , il lui en doit le dédommagement. Il ne peut
en être ainsi pour les dommages causés il l'État par
des troubl es on des g uerres civiles: il y en a plusieurs raisons .
D'abord, parce que les dommages ne sont souvent que la suite médiate de la révolte, et l'on ne
doit le dédoIllmagement, même en droit civil et
ordinaire, que du mal qu 'on a fait immédiatement ,
et non de œ lui qui est survenn à L'occasion et par
une suite éloignée ou indirecte de l'acte qu'on a
commIS.
Ensuite, parce que les dommages qu'on voudrait
faire réparer sout inappréciables; la plus grande
fortun e n'en pourrait acquitter CClI'une portion imperceptible; l'ind emn ité sera it la confiscation, et
la confica tioll sel'ait encore insuJJisa nte.
Lorsqu'on s'est décidé à ne pas excepter les crimes d'É tat de l'abolition de la confiscation, on a
renon cé à l'indemnité quelconque qu'elle pourrait
fouruir ; on en a ülÎt le sacrilice, parce qu'on n'a
ras voulu dépouiller des enl,lOs innoccns du crime
ùe leurs pères, et détruire des lamilles lorsqu'il ne
s'<lO'it
que de punir des criminels. On a ,'oulu suro
,
tout qne le fisc n'eût point d'intérêt à la poursUIte
des coupables, et que le Gouvernement ne fùt pas
suspect de rechercher des crimes pour se procurer
de l'argent.
Le dernier exemple que nous avons de ces répétitions an Dom de l'État lésé, est du temps de la
régence, dans la chambre ardente érigée pour dédommager le trésor, des gains illicites des traitans .
Les recherches qui en furent le résultat, d'a Lord
�( 412 )
agréables à ceux qui aiment les apparences d'une
justice sévère , ne tard èrent pas à être blâmées, et
ne produisirent pas la sixième partie de ce qu 'on
s'en était promis. Eucore s'agissait-il là de restitution pOlir des avantages illicites, pour un mal directement fait, et non d'indemnil és tell es qu'on les
voudrait établir, et qui ne con;'iennen t ni à la nature des crimes dout il s'agit, ui aux prin cipes généralem ent adoptés contre la confisca tion, et qu'on
violerait en adoptant J'amendement .
Enfin, il est une dernière disposition que la Cornll1issiot:J a présentée dans le nO 2 de l'ar ticle 7 de
so n projet. Je n'exa min erai point s'il es t vrai qU'lin
crime, <lifférent de celui pour lequ el on a été amnistié, fait peL'dre le bénéfice de l'am nistie, ou si ce
crime nouveau , qu'on ne peut qua lifier de récidi ve,
est susceptible d'u ne peine qu 'on ne pronon ce pas
contre ce ux qui l'ont aussi commis. J e n'ai garde
d'entrer en discussion sur un tel suj et, je n'exprimerai qu'un sentiment. !iorl'cur, cen t fois horL"eur
pour le régicide: mais respect mi ll e fois pOUL' le tes tament clu saint Hoi qui le pardonna;, respect inviolable pour SOI1 auguste frère qui po uvait sa ns
doute contester ce legs de bonté, et qui a miellx
aimé l'acquitter en entier , plus admirable, COtUlJl e
Dieu , dans son innnie tnisél'icol'de, qu e dans l'équit é de ses justes vengeances.
Je rote pour le projet de loi tel qu'il a été pré-
( 4 15 )
sen té pal' le Gouvernement} avec le seul amendement de l'article 4, consistant au retranchement de
la mention des alliés de la famille de Bonaparte.
OPINION
Prononcée à la Chambre des Députés, le 4 f évrier 1818} SUI' le titre r I ( de l'Ava ncement)
dans lo projet de Loi relatif au R ecrutement de
l'Armée.
Puisque la discussion se rouvre sur le titre de l'avancement , je viens à mon tour le défendre ; je remarque que la Commission qui en écarte les principales dispositions ne les écarte pas comme injusles; au con traire, son honorable rapporteur a dit
" qu'ell e en approuve hautement quelques-unes ;
" qu' elle désiL'e qu'une partie de l'avancement soit
" donn ée à l'ancienneté, qu'on ne puisse parvenir
" à un grade supérieur qu'après avoir exercé un
" certain nombre d'années l'em ploi immédiatement
" inférieur ; mais qu'elle est d'avis, à ull e forte ma" jorité, que les bienfaits annoncés dans le titre VI
" du projet de loi, ne peuvent ètre accordés que par
" un règlement émané de l'autorité royale , parce
1
'1"
•
�( 41 4 )
" qu'au monarque seul appartient le droit de nom" mer aux empl ois. N
J'admire le scrupule qui porte il refu ser ce qu'on
reconn alt com me un bienfait, pour cela seul qu 'il
est accordé de la manière la plus auth entiqu e et la
plus stable; je le respecte puisqu'il a son prin cipe
<Jans un zèle louable pour l'aut orité roy ale; mais
avant de le partager je Veux. examin er s'il a de solides fond emens.
De ce que l'ordonnance du 5 aoû t 1815 a dit que
le mode d'ava ncement serait r églé par uu e ordonnance ultérieure, on conclut que la loi ne devrait
pas fixer une base de cet ava ncement. Je conçois
très-bien que si l'ordonna nce d u 3 août avait di t:
une loi réglera le mode d'avancement, on pourra it
se plaindre de ce qu'a u lieu de la loi ann oncée, il
ne serait rendu qu'nne ordonnance; la promesse faite
n'aurait pas été remplie; mais loin de là elle est
plus largement acquittée, et il est facile de faire
connaitre les motifs de cette li béra lité ai nsi qu e cl'écarter les obj ections q ui tend ent à la repousser.
En rédigea nt le projet sur le recrutement , le
Gouvernemen t a d û sentir qu'il serait utile d'en
adoucir les rigueurs, de p lacer il côté du service
forcé, la perspective des aVlmtagcs qu'nn y renco ntrerait ; qu'il était juste de garantir aux fa.m ill es ,
dont on enlèvera les enfans, qu'outre les récompenses à obtenir parla uonne co nduite, il Y en aura
(
.
,
~
1
5 )
pour l'a ncienneté , qui est aussi un méri te; car elle
suppose l'instruction et l'expérience, et dôi t être
lin titre et un appui contre les empiète'lIens trop
communs de la faveur. Alors on a jugé qu'il fallait
p ublier dans la loi ce qui , sans doute, aurai t pu
être énoncé dans une ordonnance; que de ces deux
modes le plus solennel était préférable, et que l'ava ncement pouvait et devait même former une
condition avantageuse du recrutement. Alors le Roi,
chef et père commun des soldats, a voulu. dans la
d isposition qui lui appartient de ses gr,îces entre ses
enlilOs, assigner un e réserve légale qui , sans établir en tr'eux un e égalité impossible, sans lui ôter
à lui-m ême le droit de mieux traiter ceux qui en seront plus dignes , assure qu'a ucun ne sera déshérité
et fait la part de chaque genre de mérite.
On ne disconvient pas que cela ne soit ulile et
sage, mais on prétend qu e cela est irrégulier ; qu e
ce qui pourrait être fait par voie de règlement et
par ordonnan ce , ne peut l'être par une loi.
Ainsi ceux qui craignent d'affaiblir l' au torité royale,
la restreig nent dans un autre sens. Le Gouvernement
pense qu'il appartient au Roi de proposer toutes les
lois qu'il juge utiles; au contraire, ils so utiennent
qU'lI ne peut faire présenter une loi qu and il peut
faire une ordonnance; que lorsque la loi n'est pas
d'une nécessité absolue il se départ de ses prérogatives s'il la propose, et qu'il vaut mieux régner par
�( 41G )
des r èglemens arbitraires de leur nature , que par
des lois.
Je croyais an contraire que la prérogative du Roi
est autant d'être le législateur que le chef suprême
de l'Etat; car bien qu'il exerce la puissance législative coll ectivement avec les Chambres, il est le
principe et la nn de lal égisla tion, puisqu'il en a
l'initiative et la sanction; puisqu'une loi ne peut
être ni proposée ni complétée et promulguée que
par lui , et qu'il n'y a point de loi s'il ne le veut
pas.
Les lois sont donc un acte de sa volonté , elles
n'eu émanent pas moins que les ordonnances; elles
en sont l'expression plus réfléchie , plus certaine,
plus authentique. Je vois des bornes à ce qu'on a
appelé le domain e des ordonnances} je n'en connais point d'autres que l'injustice, au domaine des
lois , Les ordonnances ont pour but l'exécution des
lois ; ce sont des r èglemens d'administrlltion publique; eUes ne sa uraient obliger au delà de ce que
prescri vent les lois; elles son tincapables de les suppléer; mais les lois peuvent pourvoir à tout, parce
qu'elles sont d'un ordre supérieur } parce qu'à la volonté du Roi qui leur donne l'existence et la force ,
se joint l'assentiment des Chambres qui représentent à cet égard les grands et le peuple. Lexflt
volontate R egis consensu p opuli. C'é tait l'ancienne
maxime de la monarchie, consig née dans les cllpi-
( LI 17 )
, t 1e prillcipe foncl atulaires de Charlemagne; ces
mental de la Charte.
Le Roi a deux manièr es de filÏre connaître s~ v~i
nté ou al' des ordonnances ou par d e5 100S.
:oint à sa prérogative, il en fait un usage
dilférent lorsqu ,au l'leu d e l'endre une ordonnance,
,
'il
il 1'0 05e une loi, Il est étrange de pretendre qu
PP
,
' l orsqu'il en exerce la
abandonne
sa prerogative
~oe dé~oge
plus émineu te fonction.
"
a'
la
maJ'esté
de
la
101
ne
dOIt
p
,
,
Veut-on d 1re q u e ,
"
malS
descend re a' cel' tains dé tails ? J'en conviens;
"
,
la loi ne deviendrait pas pour cela lOConstlltutlOnnell e ni dérogatoire à la prérogallve ,de i a cou- •
' . t d'ailleurs ce n'est pas un detal IDlOUronDe, e
1 l ' ' lateur
'
'd Igne
'
de la prévoya nce Cil egls , l' ,
tleux
et ln
ue d'assurer des droits et des récompenses a an~
q
t ' à mesure qu'il appelle tous les Français a
clenne e,'
'
1 1 elle
r
'
la, moins libre
1a prolesslOn
, de to uLes e t c ans aqu
la vie est le plus exposee,
,
C' t au Roi elit-on, à distribuer les em plOIS et
es' "
J'lStl'l' b uera- t ,1 1
"
a s doute: les
les recompen,es,
sn
"
l '
' 1
''[ les distribu era cl apres un e Ol OH
moms orsqu 1
l' e e t l'au
d'a près UD e ordonnance, ouvrages un
,
'?
Ire de sa vo lonte,
"
JI est le chef de l'armée , sans doute. Il 1est aussI
'stice , de l" <Iclm ioistraLlon des finances
cl e l li JU
1 h ; ceLI
•
h
.
'1
"
1
"l
it
réo'lé
beaucoup
(e
c oses,
emper e-t-l q Il 1 n <
"
•
�( 41S )
dans toutes ces diverses_branches de son gouvernemen t, par des lois?
En lui reposent tous les pouvoirs; mais il les délègue et les fait exercer. Dérogera-t-il à sa prérogative lorsqu'il délèguera quelques nominations il
la loi , en prescrivant, par elle J à ses Ministres ,
de lui présenter , dans les promotions qu'i l doit faire ,
un certain nombre d'anciens serviteurs, et qu'il se
donnera ainsi à lui-même, à ses troupes, à tous ses
sujets, une garantie con tre les surprises qui seraient
faites à ses Ministres ou que ceux-ci voudraient lui
faire ?
Ce n'est point sa préroga tive que le Roi abandonne ; il n'abandonne point ce qu'il délèO'ue· il
,b
" ,
n a andonne pas plus ce qu'il grave dans une loi ,
que ce qu'il écrit (bI llS une ordonnance; il ne déroge pas à sa prérogative, il en règle l'usage. Il déroge aux prétentions des solliciteurs et des courtisans .
Serait-ce parce qu'une ordonnance a moins de
stabilité et peut être plus facil ement révoquée ou
éludée, qu'on ne voudrait pas que l'avancement
fût réglé par une loi? Je n'ai garde de le penser.
Ce n'est ni de la faveur ni de l'arbitraire que l'on
~ellt plaId~r la cause; c'est la préroga tive royale que
1 o~ se falt bonneur de défendre, en suppliant le
ROI de reprendre son bienr.1it. On la croit blessée
si , a vec le conCOurs des Chambres, il fait ce qu e
( 419
)
l'on reconnalt, qu'il peut taire tout seul J ce qu 'on
proclame qu'il est de sa justice de faire, car c'es t
à cela que se réduit toute la difficulté.
Ce que j"ai déjà dit me paraît l'avoir suffisamment éclaircie; au risque cependant de revemr snI'
qnelques idées, j'essaieratde la résoudre encore plus
complètement.
L'administration est dirigée par des lois , des rèO'leorens
ou des ordonnances. Les lois établissent
b
les prin cipes de l'adm Lnislration ; les règlemens et
les ordonnances pourvoyent aux déta ils. RLen n'appartient aux règlemens ou orc1o"l nances que ce qui
leur est laissé par la loi. Ell e peut renvoyer à des
règ1emens; eUe peut les faire; ell e les fait , sur les
points qu'ell e ne veut pas abandonner aux seules
vues de ['administration.
L'autorité rOY'lle n'est pas pour cela diminuée,
car le Roi est autan t le suprême législateur que le
souverain et uniqll e admLnistrateur . Tous ceux
qu'on appelle de cenom, neso ntqueses délég'ués,
administrateurs inférieurs et responsables.
C'es t comme admio Lstrateur qu e le Roi fait les
ordonnances nécessaires pour l'exécution des lois;
c'est comme législateur qu'il propose, sanctionne
et promulgue les lois. Il n'a pas besoin de faire des
Ol'donoances sur les matLères dont la loi a disposé;
et ceux qui, afin qu'il fasse des ord onnances, ne
veul ent pas qu'il statue législativemen t , res treignent,
�( 42U )
( 42 1 )
pour étendre sa qualité tI 'administrateur , sa qnabté
de législateur. Le vrai , c'est qu'il peut , à son gré .
agir en l'un e ou l'autre qualité. Comme législaleur ,
il demand e l'assentim ent des Cll<lmbres j comme administrateur , il agil seul , mais relativement et conform émeIlt aux lois. S'il juge préférable de faire
une loi , qui aura le droit de lui dire qu'il ne peut
r;,ire qu'un e ordonnance?
Pourquoi donc es t-il si comruull d'entendre dire,
et ce n'est apparemm ent pas sans raison, que ce qui
est réglementai re Ile doit p as être inséré dans les
lois? Ce n'est pas qu'il y e"' t à une telle insertion.
inconstitutionnalité ou même irrégularité . Hien n'a
circo nscrit la puissa nce de la loi j ell e est la suprême
régul atrice, la so urce des règlemens qui ne peuvent être faits que pour son exécution , et 'lui n'en
auraient que plus de force si ell e les conten[tÏtj mais
il faudrait trop de lois, et ell es seraient clitr.lses si
elles s'occupaient de ce qui es t réglement aire ,: les
cuangemens util es que la pra tiqu e peut ind iqu er
clans la ma nière de les appliqu er deviendraient trop
rliffi('iles. Les règlemens, en gé néral, sont donc uti.
lement abandon ués aux so ins et à l'expérience de
l'admin istration qui est p lus à portée de connaltre
ce qui est nécessaire pour assurèr sa marche dans
l'execution des lois. ~'la is vo us voyez en même tems,
que cette espèce de principe) qu e ce qui est réglementaire, ne doit pas être mati ère à loi, es t un prin-
cipe de pratique, J e co nvenance) mais nullement
de justice ou de néces5ité . En elfet, les règlemens ne
pouvant jamais être co ntraires aux lois , ne devant
en être qu e les corollaires et les conséq uences, ce sont
des consid érations de plus de brièveté et de plus
gTanJe Jignité qui s'opposent uniquement à ce que
les lois contiennent des dispositions réglementaires.
Mais lorsque l'administrateur qui a le pouvoir de
faire ces dispositions les ùemande à la loi , lorsque
cet administrateur es t le législateur lui-même qui
pré 1ère sur un certain point une règle plus solennell e, la refu ser ) c'est à la fois dénier à l'administrateur j'appui qu'il réclame, et restreindre le pouvoir du législateur suprême.
J e lis dans le rapport de la Commission que la
royale volonté exprim ée dans les ordonnan ces a
toute la stabilité des lois (1 ). Comme citoyens et
sujets, nous partag'eons ce respect et cette confian ce j mais comme membres J e la Chambre, nous
avons à nous défendre de nos sentimens personnels j
~e ne sont point les qualités, les verLus du P rince,
c'est la nature des choses que nous avons à considérer . Sans doute les ordonnances ne sont pas faites
avec le dessein de les révoquer , mais elles sont facilement révocables , cL souvent enes sont r évoquées. Les lois sont plus stables., leur stabilité n'est
pas seulement dans nos espérances et Dotre con -
�( 422 )
fiance, eUe est dans leur essence, et c'est pour cela
que les bons princes se son t tou jours plu à prérérer
dans les choses essentiell es, les formes les plus solen nelles et les plus irrévocables.
Qu'on cesse donc de reg'arder comme au dessous
de la dignité de la couronn e, ce que tous les bons
princes ont fait en posnnt eux-mêmes des limites ou
des sauves-gardes Légales à l'exercice de leurs pouvoirs et à la distribution de leurs fav eurs; qu'on
cesse de s'écrier que la couronne doit être transmise comme ell e a étérecuesans aucune diminution
ni altération, Il y a sans doute dans le pouvoir royal
des choses incessibles, ce sont celles qui, si elles
en étaient séparées, changeraient l'essence de la
souve.raineté telle qu'ell e est constituée dans chaque Etat; mais ce qui n'altère point cette essence,
ce qui, sans ôter le pou l'oir) en règle l'exercice)
est à la disposition du monarque, parce qu'il peut
tout ce qui est utile et bon à son gouvernement.
le Roi ne cessera pas d'être ce qu'il doit toujours
être, ce que seron t ses successeurs, le chef suprême
de l'armée, le dispensateur des grades et des emplois) parce qu'il aura prescrit dans une loi quel .
ques règles à cette dispensa tion (1).
(1) Dans la séance du 5 janvier, un des membres de la
Chambre a présente, comme une dêmonstralion de l'abandon
de la prérogative royale, Pargument suivant : le Roi ne
pourra plus toucher aux règles .sur l'avancement qu'il établ it
( 425 )
Autrefois nos Rois avaient, comme les autres
propriétaires, la libre disposition de leurs domai-
dans la loi que par une autre loi; jusqu'à pr~ent il avait le
droit de les poser et de les changer par une ordonnance. Donc
il abandonne ce droit.
Cet argument peut se rétorquer ainsi : les lois bornent la
puissance arbitraire du Roi. Arbitraire n'est pas pris ici dans
un mauvais sens. La volonté , toute sage qu'elle soit , est
arbitraire quand elle n'a point d'autre règle que la pensée et
le libre arbitre de celui qui la déclare. Je dis donc les lois
borncut la puissance arbitraire du Roi; donc lorsqu'il fait Wle
loi, il déroge à sa prérogative, au droit qu'il nurait de statu er
seul; donc il ne pellt faire des lois .
l\1ais rétorquer, dit - on communément 1 ce n'est pas ré.
pondre. Voici donc un e réponse.
Lorsque l e Roi, au li eu de rendre une ordonnance 1 statue
par une loi, Sa Majeslé ne déroge pas à sa prérogative, elle
en use d'une manière différente. Elle fait avec sa main de
justice ce qu'ell e pourrui t faire avec son sceptre; ell e n? renonce pas au droi t dt} stntuer ultérieurement sur l'objet de la
loi) Car son droit d'initiative lui conserve le moyen d'en pro·
poser le changement ou l'abrogati~n ; mais elle se constitue
volontairement dans l'impuissance d'y statuer dans une forme
arbitraire. Elle s'engage à y statuer de nouveau , s~il en est
besoin, d'une manière solennelle .
La question es t ,si parce que le Rvi est le souverain administrateur 1 ct peut faire des règlemens d'administration ~
la digni té de sa couronne lui défend d"cn faire quelques - uns
a'Vec les Chambres et de leur donner le call1ctère de loi ? S'il
Y n une telle opposition euÙ'e su double qllali t~
souverain
.,
:r:
�( 424 )
( 425 )
nes, et ils en usaien t avec la m'agnificence qui sied
aux souverains, Lorsqu'on s'aperçut que ceux dont
ils étaien t entourés abusaient de leur générosité, le
chancelier d e l'Hôpital proposa l'édit de 1566.
A-t-on reproché à Charles IX d'avoir abdiqué une
de ses prérogatives en se garantissant, et ses successeurs, de l'obsession, en sacrifian t un droit à l'uti lité de conserver ses domaines ?
Le droit de grâce est un des droits les plus
éminens de l"souverain et é; a-t-on reproché à
J,ouis XIV de l'abdiqu er, lorsque, pour arrêter la
fureur des comhat~ singu liers, il s'imposa, à lui et
à ses successeurs , sous la foi du serment qu'ils prêteraient il leur sacre, de n'accorder aucune grflce
aux duellistes ?
Si , lorsqu'un prince règle de lui-même s~ pouvoirs dans une loi, pour l'avantage de son Etat , et
pour le bien de ·ses sujets, il peut être accusé
arhnlni:,h'ateur et de suprêolC législateur, qu'il ne puisse placer un e règle d'adminis tration clans une loi? Or, les lois sont
pleines de ces règles Jet, en effet, l'administration ne pouvanl
être que cooforme aux lois, il es t naturel qn'elles en déterminent quelques principes el n'abandonnent à Parbitraire de
l'adm inistration que les règlemens secondaires. P eut - être
pourrait·on en prendl'e quelqu'ombra ge pour l'autorit~ royale,
si le Roi n'était à la foi s le législateur et l'administrateur souverain j mais poser soi-même des règles à sa volonté, ce n'est
pas y r enon cer j déclarer la manière dont on veut user de son
droit , ce n'est pas l'abdiquer.
Le Monarque pourra donc , disent ceux qui l'aiment mieux
mitÎlre absolu que législateur souverain, se départir cn faveur
rl e la loi de tout ce qu'il peut faire seul. Où sera le terme
auquel ses concessions pourront s'arrêter?
Je ne r épéterai plus qu e lo rsq u'il se départ en faveur de la
loi, il se départ en faveur de lui-même, puisqu'il estl'a utew',
le conservateur de la loi, et qu'il peut en proposer la réCol'mation; mais je dirai qu e le terme 'lue l'on cherche est dans
la raison, dans la nature ct l'essence des choses; que , pO Ul'
une loi, il Y aura touj ow's cent ordonnances; que 1er. droits
de la souverainete et les préroga1ives de la couron ne,) qui
sont incessible!',) sont le droit d'exercer seul la puissance exécutive, de command er les forces de t erre et de mer de dé'
cJa rer la guerre , de fai/;e les traités ùe paix , d'alliaoce et de
commerce, de nommer aux emplois, de faire des ordonnances
pour l'exécution des lOIS el la sûreLé de l'État, de proposer ,
de sanctionner seul et 1 promulguer les lois j mais autre chose
..
est de stntuer sur la mnnière d'exercer ces droits J au1recbose
de s'en dép ouiller. Pour w c renferm er Ilans le sujet qui donnc
lieu à ce débat) le Roi ne transfè re ù personne le droit qu'il
a de nommer aux emplols , qua ml il déclare qu'il fcra de t ell e
ou de telle manièrt: les choix et les nominations qui lui appartiennent. L 'essence du dr oit de choisir et de nommer n'el' t
point altérée ; l'exercice seul en es t modifié; une cf' rtaine
partie cs t ôtée il. l'arbitraire. Or, le Roi peul , sans blesser la
prérogative de sa couronne, .régler sa volonté arbitraire par
sa volonté legale; loin d'affaiblir son autorité} c'est la r endre
pl us resEcdable cl pl us sacrée .
�( 426 )
d'abdiquer ses prérogatives et de faire le détriment
de ses successeurs, qu'on soumette donc li cette accusation presque tous nos Rois; notre histoire est
pleine d'actes de ce genre, auxquels ils ont donné,
avec les formes qui étaient alors les plus solennelles
l'irrévocabilité qui nous en fait jonir.
'
Qu'on accuse Louis-le-Gros, qui affranchit les
~om~nunes; Saint-Louis et Philippe-le-Bel qui confirmerent et augmentèrent les droits qu'elles avaient
obtenus. Que l'on repousse cette Charte où le restaurateur désiré de la monarchie a déclaré que
l'
'
·
« blen que autorité tout entière résidât en France
" dans la personne du Roi. ses prédécesseurs n'an vaient point hésité à en modérer l'exercice suiu vant la dill'erence des temps. n
Loin de se plaindre de ces honorables aliénations, et d~ repousser ce noble héritage de justice
et de bienfaIsance, le Roi a fait, à leur exemple,
le~,concesslOns que réclament les progrès des luffile~es ~t la direction imprimée aux esprits. Il en
a. f<ut d lillmenses; ne craint-on pas de les ébranler,
SI ',.sous un faux prétexte de respect, on soutient
qu Il ne peut pas donner la force et la sanction de
la loi à un règlement d'ailleurs avoué juste et utile ?
Non, .un tel système ne prévaudra pas. Lorsque
vous preparez une armée à la France, lorsque
vous all ez appeler par une loi ses jeunes citoyens
sous les drapeaux, vous voudrez que la loi leur
( 42 7
)
montre et leur garantisse quelqu'avancement. Un
grand nomhre parmi nous l'aurait, je c~ois: ~e
mandé, si le Roi ne l'eût proposé. MalS Ii00uallve
de tout ce qui est bon appartient encore plus aux
sentimens deson cœur qu'aux droits desa couronne;
et lorsque lui-même il a placé quelq~es règles importantes de l'avancement dans leprolet de lOI, les
Députés des départemens ne les en effaceron t pas;
ils ne frusteront point leurs enCans, des promesses
du légis lateur pour les renvoyer à de simples or-
donnances.
DISCOURS
Prononcé à la Chambre des Pairs, en qualité de
Commissaire du Roi , pour la dijense du projet
de loi relatif au Recrutement de l'armée.
Je n'entreprendrai point d'embrasser en son enlier la discussion du projet de loi; moins encore répondrai-je aux amendemens qui vienn~nt d'être proposés: j'en laisse le soin il ceux qUl connaIssent
mieux que moi les choses militaires. Je ne me propose de traiter que la question relative au titre VI,
et de répondre aux objections qu'il a déjà éproll-
�( 428 )
,'ées: cette quesrion est du droit public; ell e est
d'un intérêt plus étendu qu e le proj et lui-même;
elle peut se présenter chaque fois que l'on disputera
sur ce qu'o n appelle le domain e des lois et celui des
ordonn ances; ell e mérite, sous ce ropport, une disCUSSlOn particulière. Je viens l'offrir à la Chambre.
L'histoire nous montre plusieurs exemples de peupIes en lutte avec leur So uverain pour limiter so
pUIssance: pent-être n'avait-on pas encore vu les
Députés et les grands d'un e nation reCuse r nne concessiun utile, spontanément offerte par le Monarque ,
et repnusser son bienCait sous le prétexte qu'i l est
contraire à la dig nité de sa Couronne· comme si
c'était l'obscnrcir que de l'ornel' de l'éel:t de la bienfaisance , et de la majesté de la loi!
Aucu~ des ~otables assemblés à Rouen en 15 9 6 ,
ne re~r~sentalt au grand, aù Lon Henri, qu'il dérogemt a sa prérogative et à celle de ses successeurs
lorsqu'il leur disait: " Si je fi,isa is g-Ioire de passer
u pour un excell ent orateur , j'a urais apporté ici
u plu~ de belles paroles que de bonne volonté;
» maiS mo~ ambition tend il qu elque chose de plus
u ~u~ de bIen parler. J'aspire au titre glorieux de
u liberateur et de restaurateur de la France . ... . .
u Je ne vous ai point ici appelés, cornille faisaient
u mes prédécesseurs, pour vo us obliger d'approuu ver aveuglemeut mes volontés; je vous ai fait asu sembler pour recevoir vos conseils, pour les croire,
(
4~0
)
» pour les suivre; en un mot , pour me meUre en
" tutelle en vos mains. C'est une envie quine prend
" guère aux Hois , aux barbes grises , aux victo» rieux comme moi; mais l'amo ur qu e je porte à
» mes su jets, et l'extrême désir que j'ai de conser» ver mon État, me font tl'Ouver tout facile et tout
" bonorable. "
Le du c de Sully ne déconseillait pas à son maître
et à son ami de recbercher avec J'élite de ses suj ets
les meilleurs règlemens qu'exigerai en t les circonstances, de leur promettre de les faire exécuter , et
de se mettre sous la tutelle des lois qu'il ferait de leur
aViS.
L'amour que le descendant de Henri IV porte à
so n peuple , les encouragemens qu'i l juge convenab le de <Ionn er aux troupes qu'il a besoin de lever ,
les consolations qu'il veut offrir aux fam iDes dont
il appellera les enfans sous les drapea ux, 1ui feraientils donc assez d'illusion pour lui inspirer le sacrifice
de droits essentiels à son autorité? Et serait-il nécessaire que ses fidèles serviteurs opposassent un respec tu eux refus à sa trop grand e bonté? C'est la q\uestion qui s'est assez long -temps agitée dans la Chambre des Députés, et qui occupe maintenant celle
des Pairs. Ce combat de géllérosité fixe tous les
yeux de la France, et n' est peut-être pas indigne de
l'attention de l'Europe, s'il s'agit en effet de déroger aux lois fondam ental es de la plus ancienne de
�( 400 )
( 45. )
ses monarchies , à la co ns~l'vation de laqu ell e elle
a un si grand intérê t.
Mais la question ne perd-elle pas beaucoup d e
son importance, si l'on n'invoque les grands principes de l'inaliénabilité de la préroga tive royale, qu'à
l'o:ccasion de quelques règ'les de l'avancement dans
l'armée) et lorsqu'on ne se débat que pour savoir
si les droits que l'on reconnaît à l'ancienn eté seront
consacrés par une loi ou par une ordonnance?
Le gouvernement du Roi , qui doit naturellement
avoir à cœur, plus que personne, le maintien de
son autorité, a pensé qu 'il la fortiliai! , en conseillant à Sa Majesté de placer dan s la loi indispensable du recrutement Jim:é , un e disposition qui en
adoucisse la rig'ueur , qUi attache les militaires à
leur état, et ne laisse aucune espèce de service sans
récompense certaine. Le Gouvernement du Roi croit
mieux défendre la prérog'ative royale en ne donnant pas à sa puissance législative des born es étroites
et fantastiques) qu e ceux qui prétendent qu'il ne
doit en user que lorsque sa puissance ~xéc utive est
insuffisante , et qu'il ne peut pas, sa ns affa iblir celleci, la fortifier du seco urs de l'autre.
Cherchons à démêler de qu el côté est la vérité.
L'erreur de ceux qui prétenden t que le Roi ne peut,
sans déroger à sa prérogative, proposer des lois sur
ce qui peut être matière à ord olluance, vient principalement de ce qu'en s'arrêtant à la distinction
des puissances législative et exécutive, ils se les représentent comme deux pouvoirs séparés et rivaux.
lis ne font pas attention que ce sont deux fa cultés
rénnies sur une seule et même tête, deux puissances , ainsi que les appelle la Charte, et non deux
pouvoirs , lesquelles appartiennent toutes les denx
au Roi ; ils oublient que la souveraiueté est une et
indivisible, non - seulement dans la per~onne du
Roi) mais dans ses moyens et sa puissance; ils n'aperçoivent pas qu'ils di visent la souveraineté en deux
parts, s'ils prétend en t que la puissance exécutive ne
peut s'aider de la puissance législative, s'ils établissent dans le Roi deux person nes en défi ance l'une
de l'autre, et qui ont chacun e des droits exclusifs
il conserver et à défendre.
Grâces au ciel , notre Charte ne présente pas une
telle incoh érence. Le Roi exerce les deux puissauces
pour l'utilité de son Gouvernement, et pour les employer l'une ou l'autre à son gré , suivant qu'il lui
paraît plus convenable, et que le permet leur nature et leur destination.
La puissance législative est la volonté , la pensée
du Souverain, acceptée par les Chambres, sanctionn ée et promulg uée pal' lui. La puissance exécutive a pour but , ainsi qu e son nom l'i ndique ,
l'exécution des lois. Elle ne peut les I"ire, mais seulemen t les règlemens et ord onnan ces nécessai res
pour cette exécution. C'est ce que porte l'art.icle .4
�( 4·12 )
( qoo )
de la Charte : le Roi est le c"if suprême de
l'État. . . .. il fait les J'èglemens et ordonnances
nécessaires pour l'exécution des lois.
La puissance législative est donc au dessus (le la
puissance exécutive, comme la cause est au dessus
de l'elfet; et cette assertion ne blesse en rien t'autorité royale qui , réunissant les d eux puissances,
retrouve dans l' une ce qui lui manque , ou ce dont
elle croit ne devoir pas user dans l'exer cice d e l'autre . Ce sont deux instrumens à sa disposition, l'un
crée, l'autre applique. La loi est le souverain muet,
le Souverain est la loi vivante et agissante: par les
lois il se trace à lui-même sa route ; il la suit dans
toute son étend ue, et c'est parce qu'il l'a tracee
qu'il y peut joindre au besoin les ordonnances qui
en m arquent et en assurent, avec plus de d étail la
direction.
'
une loi, pourquoi le Iloi n'aurait-il pas la facul é ,
je dirais presque le devoir, car il met au rang de
ses devoirs ce qui est meilleur et plus utile , de préférer une loi.
La loi et l'ordonnance sont l'une et l'a utre l'expression de la volonté roya le; l'ordonnance en est
une expression moins solennelle. Soutenir qu e le Roi
ne peut à son gré, et suivant ses vues, préfërer le
moyen le plus puissant à celui qui est moindre,
c'est à peu près comme si l'on prétendait le .gêner
dans le développement qu'il veut donn er à ses forces,
et le réduire à n'en employer jamais que le minimum. Sous apparence de r espect , c'est lui ôter le
choix des moyens qui lui appartiennent; sous prétexte de fortifier la puissance exécutive, c'est la
priver de la force qu'elle veut tirer de la loi.
On n'aurait jamais eu une telle idée , si Je Roi ne
partageait pas avec les Chambres l' exercice de la
puissance législative. Parce qn'en leur accordant
une part dans le pouvoir législatif', il s'est réservé
de faire des règle mens pour l'exécution des lois , on
imag ioe qu'il est devenu de sa dig nité d 'être avare
de lois, de craindre qu'il ne se mette trop dans leur
d épendance; et l'on aime mieux qu'il r este , même
malgré lui , abandonné à la d épend ance d e l'arbitraire, de la faveur , des surprises auxquelles sa sagesse lui suggère de se soustraire; 0 0 ne veut pas
Les lois et les ordonnances étant les moyens du
Gouvernement) le chef suprêm e use de ces moyens
selon leur nature et selon sa s~gesse. Il juge les cas
où il a besoin d e proposer d es lois J et r,eux où des
ordonnances ne peuven t suffire Mais la suffisance
des ordonnances ne r éou lte pas seulement de ce
qu'elles statueraient sur un e matièr e r églemen taire,
elle dépend encore du plus ou moins d'ellet que ces
ordonnances procluiraient. Si le r èglement qu'elles
contIendraIent sur une chose importante d evait
avoir une exécution plus assurée en le portan t dans
28
�( 434 )
voir que s'il se soumet à la loi, il se soumet à sa
vo.lont';, L'observance des lois est, Ile la part des
sUJets, un acte d'obéissance envers l'autorité, elle
est, de la ~art. du Souverain, uo hommage rendu à
sa propre Jusltce .
. Mais, dit -on, si l'on n'oppose aucune limite a
lusilg~ de la pu.issance législa~ive, un prince déb~nnmre pourraIt proposer des lois 'qui diminueraI~nt: gêneraient et paralyseraient sa puissanœ
executlve. Il flwt donc renfermer ces deux puissances, chacnne dans des limites qu'elles ne puissent dépasser.
Ces limites ne sont pas difficiles à découvrir. Remarqno~s d'abord, ce que j'ai déjà dit, que les
de?x pUissances dont il s'agit ue sont point rivales,
qu elles sont deux attributs confondus sur la même
tête, et qui. n'y ont été réunis que pour s'aider
et .se forti~e~ mutueJlement. Remarquons que la
pUissance leg'lslatlve est la pensée, la tête, s'il est
pe~mis de s'exprimer ainsi, du Souverain; que la
pUISsance e.xé~utive est sa main: en sorte que l'on
pourraIt redUire la question à savoir si la main
parce . ~u'elle peut agir de Sil propre force, ne peu;
pa,s.deslrer de se mouvoir conformément aux conseils et aux préceptes de la tête.
, ~lais entrons plus avant dans cette question des
limItes. Les limites des ordonnances sont là où
(
4~5
)
commence tout ce qui est an dessus de leur ponvoir, c'est-à-dire, tout ce qui ne tombe pas dans
l'exécution des lois.
Les limites des lois sont uniquement dans leur
opposition avec des lois supérieures, telles que les
lois divines et naturelles, les lois fondamentales
de la monar~hie , et dans ce qui dérogerait véritablement aux prérogatives de la couronne. y a-t-il
,
"
ici rien de pareil ?
Les lois fondanlentales de la monarchIe sont 1Inviolabilité du Roi, la loi salique, la loi de la succession au trône, la Charte.
Les préroO'atives de la couronne sont tous les
" pourraient être aliénés sans a1terer
.
droits qui ne
l'essence de la souveraineté telle qu'elle est constItuée en France. Ainsi le partage de la souveraineté)
<l'où il résulterait qu'elle ne serait plus une et indl'
visible dans la personnne du Roi, l'a \land on du
commandement suprtlme sur les forces de terre et
de mer, l'abandon du droit de faire la guerre, la
paix, les traités, et de régler seul au dehors les intérêts de l'État, l'abandon des pouvoirs ~égislatif et
exécutif, l'abandon du droit de grace, de battre
monnaie, de lever des impôts suivant les formes
réglées. celui même de nommer aux emplois.
Sur cette dernière prérogative, qui est le fondement des objections, deux observations sont à
faire.
�( 437
( 43G )
1°. La nomination aux emplois doit s'entendre
des emplois en général, et non de chaque emploi
en particulier jnsqu'au plus infërieur. Cela est si
vrai, qu'il est certains emplois auxquels les adminÎ.>trateurs supérieurs nom men t; cela est si vrai qn e
l'on demande de toutes parts que la nomination des
membres des conseils généraux des départemens ,
quoique faite jusqu'à présent par le Roi, soit aban donnée aux départemens; et ceux qui font celte
demande ne sont pas suspects de vouloir aff'a;bli ..
l'autorité royale; si le Roi vient à y accéder, je ne
pense pas que J'on réclame , contre sa concession ,
la prérogative de la couronne.
2° . Je sais que rien de pareil ne doit être demandé
et fait pour l'armée; que toutes les places et les
commissions y doivent être distribuées de J'autorité
du Roi; mais émaneront· elles moins de lui lorsqu'il
les donnera d'après quelques règles qu'il se sera
prescrites par une loi, plutôt que de se les imposer
par une ordonnance?
li n'abandonne pas le droit de nomination, il ne
l'exercera pas moins. Seulement il l'exercera dans
certaines limites. Il nomme d'avance en reconnaissant le droit d'ancienneté, mais il nomme. TI peut)
on en convient, assurer ce droit par une ordonnance, il le garantit par une loi. Où est la diff'érer:ce? En ('e1a senl crue J'ordonnance serait plus
facile à éluder ou à révoquer.
)
~lais dit-on, le Roi soumet il une délibération
COnliU~ne ce qu'il peut laire par sa seule déli~éra
tion' il diminue donc sa prérogative: car aUJourd'hu'i il peut donner à J'avancement t.elle base qu'il
lui plaît, demain il peut la changer: Il ne ~e pourra
plus une fois qu'il l'aura jetée d:\Il5 u~e 101, tl Y ensevelit donc une partie de sa prerogatIve.
Qu'il me soit permis de montrer jusqu'à. que~~~
conséquence conduirait cet argument qw, deJa
dans l'autre Chambre, avait été présenté comme
une démonstration qui ne l'a pas frappée. Cet argument tendrait à prouver que le Roi ne doit faire
ni loi ni ordonnance.
En elfet, il a le droit incontestable et incontesté
de nommer à tous les emplois. n peut les distribuer à son gré sans aucune règle écrite. Pourquoi
donc s'en imposerait-il par une ordonnance? Bien
qu'une ordonnance ne soit pas irrévocable, elle
n'est pourtant pas fait!;! dans le dessein d'être révoquée; elle est publiée comme chose stable; l'ordonnance gêne donc la volonté du Roi, et si sa
prérogative consiste à n'avoir aucune gêne, il ne
peut pas faire d'ordonnance. Moins encore pourrait-il faire une loi, car quoique la loi n'existe que
par sa volonté) dans sa proposition, sa sanction etsa
promulgation, elle doit être acceptée par les Chambres, elle est plus gênante qu'nne ordonnance. D'oi.
il suit que, pour conserver toute la plénitude de son
•
�( 438 )
( 439 )
arbitrair~, toute l'intégrité de sa prérogative, si
elle c~nslste dans le plus grand arbitraire possible,
un droit. Ainsi la restriction utile d'une préro" gt.tù,e ,fondée SUI' l'utilité publique, est le plus
" digne exercice de celle prérogative. »
En conseillant au Roi quelques dispositions législatives régulatrices de son pouvoir sur l'avancement,
les Ministres de Sa Majesté n'ont donc pas adopté,
comme on ['a prétendu, de nouvelles maximes; ils
ont suivi des principes professés, pratiqués de tous
les temps; et si L'on venait à reproduire encore ce
reproche, déjà ce me semble complètement réfuté,
je le repousserais une dernière fois par ces pareles
d'un autre fameux publiciste, Grotius, dans son
traité du droit de la guerre et de la [><1ix, chapitre
de la souverain té (1).
o C'est une grande erreur de s'imaginer, comme
» le font queLques-uns, que lorsqu'un Roi déclare
» que certaines choses qu'il fera ou qu'il ordon» nera seront Ilulles si elles ne sont approuvées par
» un sénat, ou Far quelque autre assemblée, il y a là
» un vrai partage de la souveraineté; ear les actes
» qu i sont ainsi annulés doivent être censés annulés» par L'autorité du Roi même, qui a voulu de cette
» manière empêcher qu'on ne prît pour sa volonté
" quelque chose qui aurait été obtenu par une sur-
le ROI met en péril sa prérogative, toutes les fois
qu'il fait des ordonnilllces) et sur-tout des lois,
S,ans p.resser davantag'e les conséquences de ce
systeme, Je remarquerai qu'il est incompatible avec
la saine intelligence de la Charte avec la nature
d'
'
. un~ monarchie qui n'est pas despotique;
que
lam31s un tel système ne fut adopté, même dans les
monarchies absolues; qu'il est contraire à l'opinion
de tous les publicistes, et à l'exemple de tous les
bons princes, qui toujours se sont honorés de chercher dans les lois, des garanties contre l'abus qu'ou
pourrait leur faire faire de leur autorité.
« C'est une grande chose, "disait dans ses Recherches de la France, un savant magistrat dont
les descendans ont perpétué jusqu'à nous les lumleres et les services; " c'est une chose diO"ne de la
» ~ajesté du prince, que nos Rois aient, ~ar d'an» clennes institutions, voulu soumettre leurs vo" lonlés générales à l'empire de la loi, et faire pllS» ser leurs édits par cet alambic de l'ordre public.
" Voulaot se garantir des importunités de ceux qui,
>1 pour leurs intérêts particuliers, abusent de la
» bonté de leur maître. »
Avant lui le chancelier de L'Hôpital avait dit: "Si
" l'ex.ercice ~'un droit de la couronne pouvait de• vemr nUiSible au bien public , ce Ile serait plus
»
li
prlse.
»
Grotius cite en exemple plusieurs souverains qui
(Il Liv. le< , ch.p,
m, De la Sou.eraineté ,
§ XVIII •
�( 440 )
( Ml )
avaient pris cette précaution ..l'y joindrai l'exemple
de DOS Rois qui n'exigeaien t l'obéissance à leurs lois
que lorsqu'ell es avaient été vérifiées et enregistrées
dans les co urs, et je dirai avec Grotius) que le Roi,
en déclarant par une loi qu 'il accordera à l'ancienneté une portion dans certains grades) qu'il pourrait lui réserver par une simpl e ordonnance, ne
déroge point à sa prérogative; qu'il ne partage ni
sa souverain eté , ni son droit de nomination avec
personne; qu'il en met seulement J'exercice, dont
il ne se d épart pas, sous la protection et la sanction
de sa puissauce lég islative, et qu'il corrobore de
celte manière les actes de sa puissance exécutive.
Si c'est déroger à la prérogative royale, il/aut dire
qu'elle consiste à ne pas se prémunir contre les surp,'ises, à ne pas rechercher des moyells légaux
toutes les fois qu'elle peut user de moyens arbitraires.
n . seul la fait exécuter par ses déléroyale ? Le 1'01
Un écrivain a dit que si l'on conne l'avancement
à la loi , la force publique cesse d'être royale)
qu'eUe d evien~Jllinistérielle, qu'elle sort du Gouvernement pour tomber dans l'administration , qu e
le commandement de l'armée doit rester entre les
mains du Roi, ann qu'il ne puisse s'élever de rivalité entre la force militaire et la force civile.
Serait-ce donc que la loi n'est pas royale ? elle
naît , s'achève et se promulgue par le Roi.
Esft.ee à dire que son exécution ne serait pas
~6.
.
Comment la force publique del'iendrait-elle ministérielle au lieu d'être royale, si des bases d'ava~
cement sont réO'lées par la loi ? J.,'exécutlOn des lms
o
' 1eme~..
t dans, les
et des o rdonn ~lUces
n'est-eIle pas ega
. s des Ministres? et leur responsabllite n est(1evmr
'1s ,.
t t
ell e pas au moins aussi grand e lorsqu 1 s ecar en
des lois que lorsqu'ils éludent le. ordonnanc.es ?
Il ne faut pas sans dou te qu'il y ait f1v,~llt~ en tre
h fa rce mili taire et la (arce pubhque; IllalS ou VOI;, . . 1 so urce d'une telle rivalité ? N'est·ce pas e
. dl"
cution
on ICI a
Ministre de la D'uerre (lui sera charge e exe
de la loi, corr::ne il le serait de l' ordo nuance ?
à la préroga0 u, est donc enfin cette dérogation
. ?
tive royale dont on fait tant de brmt .
Elle. n'est pas dans 1a d 'ISpOSlt iOn, puisqu'on avoue
ue l'ancienneté a des droits , puisqu'on approuve
qqu'ils soient reconnus) pmsqu
. 'en les reconnaJ~ant
d
'
le Roi suit l'exemple de l'un de ses plus gran s predécesseurs, Louis XIV.
.
La prétendue dérogation n'étant pas dansdlal,~I~. d e d a n s le mode e. et,l1
POSltiOn ' ne serall one qu .
, e quesLIon (e
blir. La question n'est au vral qu un
h'
t otre
rorme.
Or parce que les form es monarc Iques en,
, .autorisent 1e n,,01. a, r.aIr
. e des rèo-\emens,
s opCharte
0
�( 442 )
posent-elles à ce qu'il revêtisse de la sanction de la
loi, quelques-uns de ses règ-Iemens?
Demander que le Roi ne statuât que par des lois ,
ce serait gêner sa puissance exécutive; ce serait en
ralentir la marche, en diminuer la force; mais pretendre qu'il ne peut, lorsqu'il le juge utile, provoquer pour un règlement essentiel, le concours des
Chan~bres, refuser ce concours, c'est supposer que
la pUIssance législative, au lieu d'être la source de
la puissance exécuLive, n'en est qu'un auxiliaire et
un supplément qui ne doit jamais in tervenir qne
lorsque la puissance exécutive est à bout de ses
moyens.
Si ce système vient à prévaloir, il faudra à celte
disposition de la Charte: Le Roifait les règlemens
et ordonnances nécessaires pour l'exécution des
lois ... Il propose la loi, ajouter celle-ci: Il ne peut
proposer de lois Sur les matières qu'il peut régler
par des ordonnances.
Ainsi, dans une monarchie modérée, gouvernée
d'après des lois, les lois deviendront J'exception-,
et les ordonnances le droit commun. Il serait établi
qu'il faut laisser à l'arbitraire du Monarque tout ce
qu'on peut absolument soustraire à la dispositiol>
de .la loi; que le Roi doit taire exécuter les lois ,
malS sur-tout agir, autant quïlle pourra, sans lois,
et d'après sa seule volonté. Je ne me persuade pas
qll' une telle théorie puisse être adoptée.
( 445 )
Au reste, Messieurs, vous êtes le rempart le plus
voisin de ce Trône que tant de vos ancêtres ont défendu; vous êtes les grands parmi ce peuple qui
toujours partagea dans cette défense leurs efforts,
les soutint de toute sa force et répandit son sang
avec eux. Lui aussi il a produit une foule de grands
capitaiues, aussitôt que la faveur eut fait place au
géllie et à la valeur, de quelque côté qu'ils se montrassent. Il s'agit maintenant de seconder la voix du
Roi qui appelle les en fans de ce peuple il former
une armée digne de toutes celles que tant de triomphes ont illustrées, et qui ont été dévorées par l'excès de leurs victoires et de leurs conquêtes. Il s'agit
de réveiller le courage, non pas éteint, mais refroidi
par de revers presque aussi inouis que les succès qui
le._ ont amenés. Il faut rallumer l'amour du serVlœ ,
et, pour cela, placer quelques avantages à côté de
la o'loire si souvent stérile du soldat. Le l\oi vent
les baccordeL' avec toute la solennité de ses plus éminens pouvoirs; il veut parler à l'aTmée, non seulement comme son chef, mais en législateur; se montrer à elle, armé à-la-fois de l'épée qui commande, et du sceptre qui protège. Lili direz-vous, que
,'ous refusez l' honneur quïl veut vous raire en vous
associant il cet acte non moins de politique que de
bienfaisance ... ? Direz-vous à ce peuple, à ces vieux
soldats qui attendent pour leurs enfans quelqlles~
uns de ces encouragemens qui naguère ont SUSCite
�(
~44
)
tanl de prodiges : " Le Roi attache trop d'impor" lance et de solennité à vous consoler de l'appel
" forcé. Qu'il donne, il en est le maître , des droits
" à l'ancienneté; mllis il a beau désirer que les lois
" les garantissent, nous pensons que c'est une
" errew' de ses ministres qui lui est dérob~e par la
" bonté de son cœur. La loi ne consacrera pas ce
" bien[;üt. A la vérité vous ne le tiendriez janlais
" que du Roi, puisqu'il a la pensée, la proposition
" et la sanction de la loi; mais nous estimons que
» c'est trop, et que vous devez être satisfaits de
» recevoir de sa puissance exécutive ce qu'il yOU" lait assurer du sceau de sa puissance lëg'islalive.
" Les Pairs de France n'y donneront pliS les milins.
" Vous resterez soumis aux inconvéniens si long• ~emps éprouvés dont vous alliez être défendus. »
Voilà, si je ne me trompe , Messieurs, ce ql1'exprimerait le refus de cODlPl'endre dans la loi les
dispositions sur l'avancement. C'est à vous de juger
si vos devoirs vous imposent un langage si sévère,
s'ils vous forcent à voir autrement que la Chambre
des Députés. Bien que vous soyez la parLie aristocratique du Gouvernement, les défenseurs plus spéciaux des droits de la couroune, ces droits établis
pour l'utilité de l'État qui doit fleurir sous son ombre, ne sont pas moins cher. ,lUX Députés des départemens. Se serai ent-ils ahusés en pensant que
la prérogative royale n'a d'autre intérêt dans cette
( 1445 )
question que celui de se rendre plus populaire,
plus faCilement
.
Sa l\'l (al'es te' , d'wolr
sans ab rosser
c
des soldats, et de bons soldats ? Le G ou~ern e llJen t
ne le pense pas; il se flatte que, da ns cet) m porL:mt
projet. ilne s'établira point ent:ele~ .deux Chamb:es
un dissentiment qui ne pourrait qu etonner , .afflloer
I.a nation, et retarder la formation de l'armee dont
elle a besoin pour assurer son indépen~ance, et
, . en pal. x des bienfails de la resl~uratlOn.
JOUIr
DISCOURS
, la.Chambre
des Dépurés, le. 13 dé-~
P rononce• a
.
• de
cem br e 18 17 , comme commissaire du ROI, charg
de la défense du projet de loi SUI' la Merte e
la presse.
TI n'est personne qui ne chérisse la liberté de la
presse; le Gouvernement ne la veut pas ~~lOS que
. ['lers', le Roi J'a donnée:
1es partlcu
" et SI Ion 1lette
les yeux sur la quantité d'écrits qUi depUIS qu~ .qu es
.
t ' té publiés sur toutes sortes de matIeres.
molS on e
l'h
l ' Ile
(Jn devra convenir que la presse est 1 .re, e qu ~I
est affranchie de toute censure. La 101 que Sa 1 ajesté fait proposer ne restreint la liberté de la presse
�( 446 )
( 447 )
que quant aux journaux. Toutes ses autres dispo.
sillons tendent à la fa,'oriser, en corrig'eant des rigueurs qu 'on s'était plaint de rencontrer dans la
P?~r.suiL~ de s~s abus , en restreignan t la responsabill te qu Ils dOivent eu lraîner, Pourquoi donc esteli e COOl ba !tue?
On n'y trouve pas tout ce qu'on <Iésirerait . Mais
la presse naît il peine depuis deux ans à la liberté .
y <Jurait-il un si grand mal à ne la d ébarrasser qu ~
par gradation des langes qui l'entouraien t et dont
elle a déjà rompu la plus grande partie ? N'avonsnous pas assez éprou vé avec qu elle précipitation et.
quel abandon nous nous jetons sur tout ce qui est
nouveau ) et combien les ch angemens subits entraînent d'inconvéniens d'abord imprévus?
On reconnaît que les délits de la presse doivent
être réprimés, mais on sou tient qu'ils ne peuvent
l'être avec impartialité et justice qu e sur la déclaration d'un jury. On demande qu'i l soit dérogé aux
règles de l'instru ction criminelle, qui n'appelle des
jurés que lorsqu'il peu t échoir un e peine afflictive
ou infamante, On demande p our la r épression des
abus de la presse la même solennité que pour le
châliment des crimes.
Sans doute un si grand changement dans notre
jurisprudence exige de puissp. ns motifs; ils ne
manquent pas à ceux qui le réclament) je me 111'en
dissimule point la force ou l'apparence; ils m'a-
vaient même , dès le premier abord, entraîné ; et
si j'ai changé d'opinion, c'est pa,· un ex~ m en plus
" pprofondi où sans doute j'ai pu m'égarer , mais
auquel j'ai procédé avec la mê[uebonne foi que les
personnes qui professent l'opillion con traire. La
,'ésolution de la Chambre nous éclairera tous définitivement, sur la vérité ou l'erreur du parti que
nous avons embrassé,
La classification établie par notre Code, des contraventions, des délits et des crimes, l'attribution
qu'il en a faite à trois espèces de tribunaux, la manière diverse de les constater, de les juger et de les
punir, ne touchent point les partisa ns du jury. Cette
classification, honne en gé néral , disent-ils, pour la
plupart des actions qu'on ya distribuées et classées,
ne sa urait être excl usive d'un perfecti onnement
utile. S'il est des délits qui ne puissent pas être convenablement et sûrement jugés par les tribunaux
correctionn els, ou qui le seraien t mieux avec le concours des jurés, où est l'inconvéni ent de les retirer
des attributions de ces tribunaux et de les porler il
un Jury? Quel est le préjudice de ce déplacement
dont les juristes s'effraient?
L'inconvénient est qu e bientôt ) pour des délits
dont il n'est pas moins important d'être "bsous que
de ccux de la presse, on pourrai t ) a l'ec des motifs
non moins apparens) réclamer le même perfectionnement) et l'on serait ainsi amené de proche en
�( 41\'3 )
( 1\49 )
proche à une chose à peu près impraticable) la formaLion de jurys pour le grand nombre d·,tlJaires qui
occupent tous les jours la police correctionnelle.
La plupart des théories sont brillantes ; eJJes frappent par leur éclat J mais à l'application, on en découvre les difficultés.
Quoiqu'il en soit, on ne propose encore d'exception que pour les délits comm is à l'aide de la presse;
on la restrein t ruème aux délits poursuivis à la requête du ministère public. Cette exception est-ell e
nécessaire? Est-il vrai que ces mêmes tribunaux ,
ces mêmes cours qui, sans appeler des jurés, jugent
tant d'espèces de délits, ne méritent pas la même
confiance quand il s'agira d'un délit de la presse?
Elle n'a été déclarée libre, dit-on , que par la
Charte et l'abolition de la censure ; jusqu'a lors ell e
a été inoŒensi,'e) parce qu'eJJe était esclave; les
abus qu'elle pourra commettre ne sont que la suite
de son émancipation; ils constitu ent des délils nouveaux, qui ne peu ven t être soumis aux règles d'instructiou prescrite par un Code qui leur est an térieur.
Si la malice humaine pouvait inventer quelque
délit innui qui ne rentrerait pas dans le nombre de
ceux dont la peille a été déterminée , sans doute il
faudrait décerner une peine qui menaçât pour l'avenir ce délit ou ce crime imprévu; mais s'il y a
une instruction réglée pour la poursuite de toutes
les actions répréh ensibl es, qllelqu e nouvell e que
fût un e action de ce genre, ell e trouverait sa place
assignée dans l'instruction criminell,,; elle serait
déférée à la déclaration des jurés) si elle était susceptible d'une peine alllictive ou infamante) aux
tribunaux correctionnels , si la peine était moins
grave.
Mais il n'est pas vrai q ne les délits de la presse
soient nouvea ux et qu'ils doivent leur origine à SO li
émancipation: même dans ses entraves, comme
ell e lut souvent capabl e de courage, elle le fut
aussi d'audace et de licence. Ses abus ne sont ni
plus ré cens ni plus incon nus que ses hienraits; ils
sont prévus dans plus ùe l'mgl artIcles du Code
pénal ; et , en leur assignant lem châtIment, 11 a
indiqu é ceux qui d evai~nt être jugés da?s la form e
déterminée pour les debts. Le Code d InstructIOn
criminelle j'in si que le Code pémll , peuvent donc
continuerà leu\' êlreappliqués. C'est lin changement
plutôtqu'une institution Ilouvelle que l'on demande.
On se (onde prin cipal ement sur la nature des delits dela presse. C'est, dit·on, auxop~nions.saines qu'ils
attentent c'est à l'opinion publIque a les Juger. '
Les ' ures' en sont les organes bien mieux que les
)
1. L . ,
l ,.
juges qui sont ceux de la 01. es Juges, qu e. qnllldépendans qu 'on les proclame, sont mO.lIl~ Impa r~
ti aux qne les jurés sur des questIOns Ou 1autorll ~
est partie.
�( 450 )
Les délils de la presse sont pl us intellectuels que
matériels. Les jurés en reconnaîtront mieux l'existence que les juges.
Tels sont les principaux argumens dont on appuie
l'innovation que l'on propose.
Réclamer le concours des jurés pour déclarer le
sens et l'inten tion d'un écrit, c'est, à ce qu'il me '
semble J s'appuyer de ce qui devrait plutôt les exclure.
Qu'a-t-on recherché, en effet, dans l'institution
du jury? De défendre les accusés, des subtilités de
fancienne jurisprudence criminelle. On n'a pas
voulu que la vie ou l'h onneur des citoyens dépelldissent de la sagacité de magistrats accoutumés à
combiner les diverses circonstances d'affaires compliquées, et à résoudre des problèmes difficiles; on
a voulu que la condamnation à des peines affiictives
ou infamantes fût le résultilt, non d'u ne vérité qui
ne serait aperçue que par des yeux exercés, mais
d'une éviqence capable de frapper le commun des
hommes. Les jurés sont interrog'és sur la culpabilité
d'un accusé mis en leur présence, avec les témoins
du fait dont il est in culpé; on demande aux jurés
si l'accusé en est l'auteur; ils n'ont pas besoin pour
répondre d'entrer dans l'examen de la moralité de
l'action. Le crime est défim par la loi et, avan t elle,
par la saine raison , par l'instinct mème naturel qui
répugne au meurtre et au vol.
( 451 )
Mais la loi n'a pas pu, elle ne pourra jamais définir les délits de la presse , pas plus qu'on ne peut
définir, si ce n'est d'une manière générale, ce que
c'est que l'injure J ce que c'est que la calomnie, ce
que sont les discours séditieux; tont cela est susceptible de mille nuances , dont l'appréciation ne saurait être confiée, sans la commettre au hasard, à
des hommes tirés au sort parmi la foule des citoyens.
Ce que je dis des délits de la presse J je le dirai
de beaucoup d'antres délits: le crime est un attentat
qu' il est facile de caractériser,. il Y ~ un corps d.e
délit matériel; le meurtre eXlSte , 11 est comffilS
avec ou sans préméditation; le vol, avec ou sans
violence sur les personnes, avec ou sans effraction,
avec ou sans des circonstances aggravantes que la
loi a pu définir. ~lais la plupart des délits ne sont
pas susceptibles de cette détermination précise;
leur appréciation n'ayant pu être faite d'avance par '
la loi, il n'a pas été possible d'établir qu'il serait
<lemandé à un jury si la loi a été violée. Il a faUu
laisser aux magistrats applicateurs des lois cette appréciation qu'elles n'ont pu faire. C.est pour, cela
ne les magistrats remplissent, en matlere de deltts ,
q
d . .
,
la double fonction de juges et e Jures; c est poUl'
cela que la loi leur a donné, en matière de .délits.'
uùe g'1'ande latitude, en tre cmq ans. et. trOlS .molS
d'em prisonnement. Or, ceUe apphcatlO n dlscre-
�( 452 )
tion uaire de la peine , qu'il a fall u Jaisser aux j u ""es ,
est inséparabl e de l'appréciation du delit , et si (;~tle
appréci" Lion leur appartient jusqu 'a présent en toute
matière de d élilS, pourqu oi faut-il la leur ôter quan,l
il s'ag ira des délits de la presse?
Donnez celle appréciation à des jurés , vous Il e
dérogerez pas seul ement à l' une des bases prin"ipales de l'instr uction criminell e, vous dénaturel'ez
doublement l'institution du j IIry ,
D'abord, en soum et/anl à des homm es pris au
hasard dans la foul e, juges compétens de l'existepce d'un crime et de sa commiss ion par l'acc usé,
une question difficile d'int erpréta tion. L'un des défenseurs les plus redoutabl es du jnry a dit : " Le
sens d'un li vre est un f"it J un fi,it commis avec
préméditation ; or , les jurés so nt juges du fait et
de la préméditation . n
Le sens d'un üvre est un fait , o ui , mais ce n'es t
pils un rait matériel et palpable, c'est un fail intellectuel qui dépend de ce q u'on y aperço it , non par
les yeux qui üsent les paroles à juger , mais par
l'interprétation que leur donne le lecteur J par l'impression qu'elles lui fon t etl e jugernentqu'il en porte,
Le fait est que le livre contient tel passage; mais
quell e est la moralité, l'inn ocence ou le d:on ger de
ce plissage ? Voilà ce qu i ne tomb e pas sous les sens '
voilà ~n, fait intell ectuel qll e les jurés n'ét:lient pa~
appeles a Juger avant 1792, même dans le pays où
,
( 4:>3 )
les jurés sonl consultés till!' les délits, comme sur
les crim es, et même en ma tière civile.
Vous déna turez donc l'institution du jury, si de
j li ges de faits naturels J simpl es, pal pabl es, side juges
de ce qui est évident, vous raites des interprètes
du sens d' un lil're, les juges, non d'un fait crimil'l ei , m ~ is d'une opin ion.
Vous la dénaturez encore sous un autre rapport .
Il est d~ l'es, ence du jury d'être réputé infaillible.
S" décl aration I) 'es t pas réformabl e ; les jug'es n' ont
q ll'à lui obéir, en prononça nt la peine précise que la
loi a décer née cnntre le CI'ime, dont les j lIrés ont reconnu l'a uteur . Faites prononcer le jury sur le sens
d'un écrit dtno ncé, non comme criminel , mais
comme dang'ereux , que le jury reconnaisse la cu lpabilité de l'auteur , rien ne sera fait encore ; les juges
auront à examiner , de leur côté, le sens du livre
pour appliquer la peine qui est laissée à leur arbitrage . L'écrit aura paru très-répréhensibl e aux jurés; ils eussent , si la pein e était en leur puissance,
prononcé cinq ans d'em prisonnement ; les juges Il e
prononceront peut.être que trois mois , Ull e autre
rois le délit aura paru léger <lUX jurés, ils n'auraient
ordonné qu e le plus court emprison nement , les juges estimeront qu e le plus long èst encouru. Ai nsi,
ils pour rout réform er le jugemen t irréfor mable du
jury. D'où il suit , ce me semble, que l'attribution
J
�( 454 )
que l'on veut faire au jury est incompatible avec la
nature de son instituLÎon.
Elle ne l'est pas moins avec l'institution des tribunaux correctionnels. La loi les a créés juges du
fait et applicateurs de la peine en matière de délits,
parce qu'elle ne pouvait définir cette multitude d'actions répréhensibles, qui ne descendent pas jusqu'au
crime. Elle a été forcée de s'en rapporter, pour leur
estimation, aux magistrats qu'elle a investis de sa
confiance J et qui, sans doute, sout bien plus capablesdes méditations et desrapprochemens qu'exig'e
l'interprétation d'un écrit, que ne le sont des gens
qui n'ont pas comme eux l'habitude des recherches,
et de discerner ce qui , dans ces matières indéfinissables, est permis ou ne l'est pas, est plus ou moins
excusable ou punissable.
L'estimation de l'intensité des délits étant nécessairement arbitraire, l'arbitraire des hommes instrui~ est préférable à celui des hommes qui ne le
sont pas.
La presse est, sans doute, le plus utile, le plus
noble desinstrumens. Ce serait tomber dans des redites inutiles que d'en faire l'éloge; mais à l'aide de
ce noble etsi utüe instrument on peut blesser, comme
on le peut avec l'épée qui sert si glorieusement à
la défense de la patrie. Les crimes de la presse,
comme ceux de l'épée, seront soumis à l'examen
( 455 )
du jury; mais si, ail lieu de tuer ou de hlesser volontairement avec une épée, on se borne à frapper
avec mépris un citoyen, on sera traduit à la polic!!
correcLÎonnelle. Pourquoi, si le' délit, si l'insulte sont
commis à l'aide de la presse., faudra-t41 appeler des
jurés?
Ce n'est donc pas la liberté de la presse que l'on
demande, c'est une prérogative que l'on sollicite
pnur elle. Les ddits .le la pre~s~ seron~, .co?,me al~
trefois, les cas royaux, les dehts pr;Vllegles. La hberté de la presse consiste dans l'égalité, et non
dans les exceptions et les prérogatives. . '
, .
Mais les délits de la presse sont des dehts d Opinion', ils doivent être jugés par elle.
.
Elle devrait plutôt en rendre phunte comme partie , qu'en être juge. C'est ainsi qlle, l?rsque l'or~
dre public est offensé, le magIStrat .qUl est charge
de le surveiller et de le défendre, denonce, accuse
et ne juge pas.
.
Mais passons. Est-il vrai que douz~ h~~mes, pfls
au hasard, seront les organes de .l ?plUlOn ~ubh? Il
a sans doute, une oplOlon publique;
que.
y ,
hl"
mais où est cette reine du monde? C acun JOvoque, chacun prétend la suivre, et se t~~gue de son
assentiment; et cependant personne n ,~nore que
l'opinion d' un faubourg n'est pas celle d un autre;
que celle de tel département di[J"ere de celle de tel
aulre. Je n'oserais affirmer J malgré le respect que
�( 4:1ü )
( 4'57 )
je porte à la Chambre, qu 'elle soit l'organe de l'opinion publique J si ce n'est dans les choses Où
elle est constituée teUe par la Charte, c'est-à-rure,
sur l'impôt à conselJ li" et les lois à rendre; et si
l'on a plusieurs fois refu sé de reco nnaltre l'opinion
publique dans le vœu mê'l]e de la majorité de la
Chambre, comment en supposer l'expression dans
la déclaration de douze premiers venus, qui n'ont
pas mêm e besoin d'être ullanimes? Se trouvera-telle plus vraisemblement , demandera-t-on , dans le
jugement des trois juges correctionnels et dans L'arrêt des cinq juges d'appel ? Oui, je croirai plutôt
que huit hommes instruits , par état, par l'habitude
de réfléchir et de i uger , que L'o n r egard erait comme
d'excell ens jurés, si on ne se plaisait à les récuser
co~me magistrats , discernent mieux ce qui, dans
la liberté des opinions, est licite, et ce qui ne l'est
pa~, que des homm es, la plupart du temps, vulg'al res. ,Je crois que le double examen du tribunal
correc tionnel et de la cour d'appel , que les deux
débats successifs , publiquement ouverts devant les
magistrats, donnent plus de garantie à la société
et aux écrivains qu e la déclaration unique, irréformable des jures, Sur un fait intellectuel SUr ua
délit qui dépend du sens et de l'interprétation d'un
ouvrage qui exige J comme le disait hier un honorable orateur, des conn aissa nces morales littérai'
res, g rammahcales.
Mais est-il vrai que l'opillion publique doive être
intelTogée sur les cas qui lont la matière des jugemens? Combien d" fois l'opinion publique) qui
s'égare r arement, j'en conviens, sur les principes)
et qui tôt ou tard reconnalt et embrasse la vérité,
n'a-t-elle pas erré sur tles faits récens) et entraîné
même l'impartialité des juges? N'est-ce pas l'opinion
publique autant que de trop déplorables arrêts qui
poussa les Galas et les Sirven à l'éch~faud? L'opinion publique se forme lentement. Ce n'est que lorsque les pass ions se sont appais~es qu'ell e se dégage
des opi nions particu lib 'es, dans la fermentation desqu elles elle était enveloppée; alors elle s'élève et surnag'e; elle fait justice, mais un e j us lice tard,ve que
les déli ts etles crim es, dont la répression est toujours
urgente, ne peuvent attendre. Ell e est sur la terre, si
je l'ose dire, ce que la justice divine est dans une
autre vie et un autre monde , une justice inévitab le,
infaillible, mais dont les arrêts sont l'ouvrage du
temps , Il n'est donné à aucun contem porain de les
écrire comme tels, ils ont besoin d'un a"sentilll ent
en qu elque sorte universel qui les homologue et les
,
consacre.
L'opinion publiqu e sur des faits récens n'est donc
pas un e base de jugement, c'est une b ase e~core
mobile qui n'est pas form ée. Les Jugemens dOivent
ètre appuyés sur les preuves du fait, su r les témoi·
g nages, et s'il s'agit de délits intellectuels sur Je sens
�( 458 )
ql~'y aper?oi;:ent, .non les organes de l'opinion pub~lque ~11l, s ils el(Jstent quelque part, sont disperses, .meconn~ ou contestés, mais les hommes que
la 101 a comnus à cet elfet. Or, ces hommes, toutes
les fois qu'il ne s'agit pas J 'uu crime) dont J'existeuce et l'auteur peuvent être évidemment consta~és,. ce sont les juges et ce ne doivent pas être les
Jures, parce que ce n'est pas à tOute personue que
l'on doit confi\!r l'appréciation d'un acte dont la moralité et l'intention ne tombent pas sous les sens
dont l'estimation et la peine sont et doivent être plu~
tôt remises à la sagacité du magistrat faisant à-Iafois , dans ces occasions) l'office de j lige du droit et
du fait, comme il l'est dans toutes les affaires civiles , comme il l'est dans toutes les préventions de
délits qui n'emportent pas peine afllictive ou infamante, comme il l'est, sans qu'on le COll teste encore
d~ns le jugement des écrits non imprimés et de~
d,scours répréhensibles.
. Si u~ écrit dangereux n'est publié qu'à la main,
il sera lugé par les magistrats; c'est donc de l'impression qu'il tiendra le privilége d'ê tre porté à
l'examen du jury.
Les discours sont bien plus difficiles à apprécier
que les écrits; ce n'est pas seulement leur sens et
leur ~nten~on. qu'il ~aut découvrir, c'est le corps
du del ,t IUl-meme; c est la parole, qui est ru o-itive
invisible) qu'il faut saisir èt apprécier. Un o~ateu;
( 459 )
indiscret, ou mal intentionné, se sera livré dans des
réunions publiques à des déclamations répréhensibles et dangereuses, jusqu'à présent on n'a pas
demand é qu'il soit traduit devant le jury; ce ~'est
donc pas la nature du délit qui, dans le systeme
des adversaires du projet de loi, constitue la com- ·
pétence nouvelle qu'ils réclament) ~'es tla circonstance de l'impression; c'est la preroga tive de la
presse qui) comme un plus noble instr~ment ~ue
la parole) aura le privilége d'avoir des ~uges d exception' ou si pour n'être pas lDconsequent, on
,
,
d
di
veut attribuer aux jurés la connaissance e tout s~
cours de tout écrit , manuscrit ou imprimé quI
aura ~té dénoncé) on fera une plus large brèche à
notre législation.
.'
,
.Te crois avoir prouvé que cette mn?VatlOn n est
sollicitée ni par la nature du délit, ni ~ar les mOI1~s
de l'instilution du jury; voyons Sl eUe 1 est par la recusation que l'ou élève contre les tribunaux.
.
Le Gouvernement est, dit-on, partLe dans l ~s delits de la presse: mais il l' est daus tout~s les denonciations faites par le ministère public; I~ faup~a ~onc
. és dans toutes ces denonclatlOns.
. '
appe1er d es Jur
Alors il faut leur délërer la connaLSS,allce UOlvers \le de tous les délits: il y aura consequence dans
1: système;
y aura-t-il possib~té?
Le Gouvernement est partLe dans toutes I~ con.traventioDs, les délits elles crimes, parce qu il dOlt
�( 4Go )
veiller à l'ordre publjc; mais il est , par cela même,
,parti e d';sintéressée, Ce n'es t pas pour lui qu'il réd ame , et dans son intérêt, mais uans l'a ccomplissement de ses devoirs , dans l'intérêt de la société,
Les attaqu es dirigées contre les principes et les
,actes du Gouvernement, qu and elles sont répréhensibles, ne sont jamais uniqu ement personn ell es;
ell es attentent à l'autorité publique, Ce n'est pas
son injure qu'il poursuit, il la mépriserait ; c'est
l'jnjure qui est fuite à l'ordre publi c , et qu'il ne lui
est pas permis de remettre .
Ce n'est pas qne je veuille clire , je n'en ai garde,
qu'attaquer les Ministres et les autres agens de l'autorité , c'est attaqu er le Gouvern ement ; qu e publier
leurs actes arbitraires , s'ils en commeltenl, que
discuter leurs décisions avec les ';ga rds qu e l'on
doit à tout individu , même lorsqu'il n'a pas d'autre
dig'niLé que celle d'homme et de citoyen en possession de sa bonne renommée , c'est attaquer indirectement le Gouvernement ; je suis loin de partager
cette opinion . Mais je dis que, qu and il y a une
pl ainte juste ou apparente portée coutre un disco urs ou un écrit , la circonstance du tort personnel qu'un agent du Gouvern ement peut en recevoir ,
est la moindre chose à consid érer ; qu'elle disparaît
deva nt le préjudice 'lue peut éprouver la chose publique , et que c'est pour cela qu e le Gouvern ement
n'y est pas plus perso nnellemen~ intéressé que tout
( 46 1 )
le publi c , ,lont il est le tuteur et le conSCl'I'a teur,
pas plus que la sentLnelJ e quj crie à l'alarme, mo ius
parce qu'on l'allaque , que parce qu'on menace le
poste dont elle est ch argée de gara ntir la sûreté.
Quand il serait vrai que, dans les dénonciations
de ce genre, le Go uvern ement ,a un. intérêt plus
particulier qu e dans les autres ùenon c~atlOns commises au rnini, tère publi c, ce t intérêt serait-li assez
cOllsid érabl e ponr raire suspeo ter les tribu naux,
parce qu:ils sont insti tués par le Gml ~ern eme nt ,
parce qu ds exercent la just1<:e du Ha l .
, .
Les R ois eux-mêmes Il e se sOll t-ds pas sounus a
cell e justice pour leurs affaires parti culières? Ceu~
qui plaiJ ent avec le domain e ~.11 R OI ,ont-ils ) amal~
suspecté les tribun aux. qumqu JOSl1tLl ~ ~ar ~e ROI .
Le G/)lI verneme nt n'a-t-il pas un Interet reel dans
les affaires de douanes et de toutes les autres perceptions qui remplissent le trésor ? A-t- o n hésité
pour cela de délërer aux tnbunaux les lltlg'es qUl,
en naissent ? Tous les jours les tl'lbun aux ne prononcent-ils pas contre le domaioe , les douanes: le
6·sC,au profit des particuliers? Ne sera ient-lis lm'1
tiallx mIe dans les affaires civiles? Se meltellt-I s
,
d '1
par
en opposition avec le Gouvernement quan l s ne
font pas droit à ses demand és ? Non , le Gouvernement ne voit point d'opposition dans l'ac tlO~ de la
, .
TI doit aux. SU)' ets l'ex.emple de
lustlce.
, .s y ,011mettre; il se doit à lui-même cette soumiSSIOn ; car
�( 462 )
s'il l'eut que les lois soient exécutées, il faut qu'il
les exécute lui-même. Cet amour-propre irrité qu'on
lui prète , s'il venait à succomber dans la poursuite
d'un délit de la presse, que le plus souvent il n'a
pas même provoqu ée, n'est donc qu'une supposition qui n'a rien d'assez réel pour ren verser les règles établies.
Je défends le Gouvernement de ces petites passions qu'on lui attribue, et qui ne trouveraient pas
même de place dans la plupart ùes hommes tant
soit peu .!levés qe caractère et de sentimens; mais
ne dirai-je rien de ces tribunaux qu'on veut dépouiller ? de ce respect dû à la justice , laquelle doit
être Je sûr garant de la liberté de la presse comme
de la liberté mdividuelle et de toutes les autres libertés ? Est-ce dans cette tribune, où furent prononcés de si éloquens discours sur l'inamovibilité
des juges , source et garantie de leur ind épendance,
que cette indépendance devrait être suspectée?
D' Aguesseau, et plusieurs de ses ill ustres prédécesseurs , se faisan t r etirer les sceaux plutôt que de les
apposer contre l'intime co nviction de leur consciellce, étaient-ils les instrumens serviles du Gouvernement ? Et si l'on veut attribuer leur courag'e
à leur éminente digni té, à l'autorité et à la l'oree
de l'ancienne magistrature, ne trouvera i-j e pas des
exemples dans la nouvelle et parmi des magis trats
moins élevés? Le Courbe et Clavier cédèrent-ils
( 463 )
aux insinu ations d'un Gouvernement despotique et
passionné? Pourquoi ne pas attendre, en des occasions moins périll euses) la même indépendance de
leurs successeurs? fo urguoi avilir des magistrats
par des so upçons? La confiance est l'un des aiguillons qui excitent le plus puissamment aux devoirs.
.E t que penseront les citoyens , si les juges, qui disposent tous les jours sur leur fortune et leurs droits,
sont déclarés incapables par les Chambres de jug'er
si un imprimé est dangereux , si son auteur est répréhensible ou ne l'es t pas ?
Et ces jurés que l'on veut substituer aux magistrats; ces juges impromptus de questions difficiles
qui exigent des conna issances acquises et l'habitude
de j oger; ces hommes appelés au hasard comme
les organes de l'opinion, ont-ils, pour répondre à
l'opinion, la même consistance qu e les magistrats?
Tires de la foule, ils y rentrent après leur déclaration. Un écrivain qu e j'ai déjà cité, trouve qu e c'est
un avantage: il me semble, au contraire, que c'est
un inconvénient de plus dans le système que je combats. Que le juré prononce bien ou mal, il n'est
responsable à personne, personne ne le connalt.
On ne le retrouvera peut-être plus sur le tribunal.
Le magistrat , au con traire, est perp~tuellell1ent en
vue, Chaque jour il a besoin de la considération
publique, de la bonne opinion de sa justice et de
son impartialité; il est donc à présumer qu'il cé-
�( 404 )
( 4.65 )
dera bien moins, contre sa comcience , à des insinuations étrangères, qu'un homme qui u'est produit qu'une fois sur la scène.
Enfin , si l'on suspecte les juges parce qu'ils sont
institués par le Gouvernement; si on les suspecte
parce qu'ils ont pu se faire des théories et une jurisprudence qui, certes, lorsqu' ell es ne sont pas
fausses, sont ntil es et même nécessaires; car dans
cette Angleterre, que J'on cite si souvent, la jurisprudence en toute lu.atière, et notamment sur les
lihelles, n'est fond ée que sur les précédens , c'està-dire , sur ce qui a été fait et jugé; si vous suspectez les juges parce qu'i ls sont institués par le Gouvernement, et parce qu'ils se formeront tlne jurisprudence, prenez gard e que bientôt cette suspicion que vous aurez prononcée pour la presse,
n'e soit proposée pOllr d"\Utres a(J'aires non moins
importantes, et dans lesquell es ces motifs am'aient
all moins la même gravité.
La Chambre va s'occuper incessamment de la loi
qui rend l'appel coml1)e d'abus aux co urs royales,
pensez -vous que les hommes qui redoutent cette
voie contre les abus d'un pouvoir, aussi sacré sans
doute que la liberté de la presse, que les ultramontains, qui regardent J' appel comme d'abus à l'égal
d' tln e impiété, ne pourraient pas, par les mèmes
rilisons, prétendre qu e des juges institués par le Roi
ne peuvent juger impartialement des appels relevés
~n son nom par ses procureurs généraux; qu'il Y
~ollHlt entre le pouvoi!' tem porel qui prétend
qU,on abuse, et le pouvoir spirituel qui soutient
qu II est dan~ ses limites; qu'il s'établira nne jurisprudence qUI resserrera injustement le pouvoir ec.
c 1"
es~astJ.que; qu'il leur faut des juges spéciaux. Ces
motifs sans doute seraient mauvais; ils seraient cont~~ires à tout ce qui s'est pratiqué depuis plusieurs
sleeles. fis ne sont ni meiIIeurs, ni plus décisifs pour
ch~nger, en fav eur de la liherté de la presse, ce
qUi a été établi et suivi jusqu'à présent.
C'est donc avec raison, ce me semble, que la loi
proposée, en apportant plusieurs améliorations important~s dans l'instruction des délits de la presse,
n'y a pOint introduit le jury. Je ne m'occuperai pas
à présent de défendre ces améliorations injustement
méconnues, il en sera temps dans les débats particoliers sur les articles; mais je dirai nn mot de la
saisie des ouvrages, qu'un orateur distingué a présentée comme inconstitutionnelle.
C'est une inconstitutionnalité nouvellement dé ·
couverte, car la saisie fut non pas introduite par la
loi du 21 octobre 1814, mais autorisée ainsi qu'elle
l'avait été de tous les temps. Elle ne fut point contestée , mais réglée lors de la discussion de la loi du
28 février 1~17' Faut·il maintenant la proscrire ? et
quelles en sont les raisons ?
:l
50
�( 466 )
Avaot d'abuser , il faut, a-t-on dit, user : l'abus
ne peut naîlre que du mauvais usage. Or, l'écrivain
qui n'a point encore publié son ouvrage, n'a pas
usé de la liberté qu'il en a; donc il n'a pu en
abuser.
Ce raisonnement a- t-il toute la solidité que Ini
a prêté, en apparence, l'éloquente diction de l'oratenr ?
Sans doute l'au leur qui confie ses opinions à son
porle-feuille, fussent·ell es criminelles , n'est coupahic qu'en peLlsée, on ne peut lui en demand er
comple. La justice humain e n'a de droit que sur les
actes extérieurs, Mais l'écrit est sorti du porte-feuill e,
il a été livré à l'impression , ce qui certainement
prouve le dessein de le publier: il y a donc ici un
acle extérieur, en dehors non - seulement de la
pensée de l'auteur, mais de sa maison, dans laquelle il ne serait pas permis d'all er fouill er. L'écrit
o'est pas non plus chez un ami à qui la lecLure en
a éte confiée; il est chez un homme don t la profession est de multiplier les écrits et de les divulguer
par l'im pression. L'art de cet homme est soumis à
des mesures de police, comme plusieurs autres professions , dont l'utilité est incontestabl e , mais dont
les abus doiven t êlre garantis. Cet ouvra ge, qui a
été imprimé, dont le d épôt es t fait sui vaut les règles
non encore abrogées de l'imprimerie, pour en au.
( 467 )
toriser la publication, paraÎl dangereux ; faudra.t.i1
a ttendre que la publication soit faite pour en arrêter
le cours?
Faut-il que le délit soit consommé et le mal opéré pour saisir le corps du délù ?
Si cela était, la législation de la presse serait
contraire à tous les prin cipes reçus qui sont , qlÙl
est plus expédient d'empêcher le mal que de le
pumr.
Je sais que la Cbarte n'a sagement parlé que de
réprimer les abus de la presse, Si ell e eû t employé
le terme prévenir, ce mot eùt été le prétexte de la
censure préa lable qu'il f"lI ait écarter. On ne demande pas il uu homme qui use Je la liberté d'aller et de venir, où il dirige ses pas ? On ne le ren ferme point, on ne le garotte point, de peur qu'il
ne foule ou n'écrase ceux qu' il rencontrera su r sa
route; il en est de même de la liberté d'écrire et de
publier ses pensees. On présume qu'on n'enfera qu 'un
usage licite, et d'avance on ne demande pas compte
à un écrivain J e ses ouvrages; mais lorsqu'il a pris
le parti de les l'épandre dans le public , lorsqu'il a
commencé l'exécu tion de son projet par l'impression termin ée et pal' le dépût des exemplaires qu i
est l'acte nécessaire el immédiat pour la distribution, alors si l'o uvrage est mauvais, l'abus commence ; alors il peut être réprimé,
Les écrits son t les alimens de l'esprit. Si l'auto-
�( 468 )
( 469 )
rilé sait que des alimens de mauvaise qualité vont
être exposés en vente, il est de son devoir d'en empêcher la distribution, de les saisir; et ceUe saisie,
si elle empêche le mal, est bien plus utile que le
jugement qui le punirait.
Cela dépend, disent les zélateurs de la presse,
de l'intérêt que l'on met à sa liberté. Il est possible
qu'on aime mieux s'exposer à la divulgation, à la
propagation d'un mal enCOl'e incertain tant qu'il n'y
a pas de jugement , que de risquer de gêner la
presse. Le provisoire doit être donné à la liberté.
Le provisoire lui est donné lorsqu'on imprime
sans censure. Mais lorsque l'impression annonce un
mal dont l'érnption est préparée et imminente, le
provisoire doit appartenir à l'ordre public, auquel
les libertés de tout genre doivent des sacrifices.
Quelqu'incontestable que soit l'utilité de la pl"esse,
elle n'est pas telle qu'on ne puisse retarder la publication d'un écrit. Il ne s'agit point ici de l'éclipse
totale des lumières qu'elle répand, mais seulement
de l'interception momentanée de quelques parties
de ~es rayons, qui blessent les yeux du magistrat
chargé autant de réprimer les abus et les dangers
de toutes les libertés, que d'en protéger le légitime
exercice.
En résumé, écrire ce n'est pas sans doute abuser
de la presse; car on ne s'en est pas encore servi.
Imprimer , c'est user de la presse, et cet usage n'est
pas encore soumis à l'action des lois s'il demeure
inutile et secret; mais l'impression achevée, le dépôt fait à l'autorité désignée, avertissent que la publication va commencer. Là commence aussi le
droit, le devoir de défendre l'ordre public de l'atteinte que l'écrit, s'il est dangereux, va lui porter.
Là commence, sinon le droit de punir l'auteur qui
n'a pas eu le temps de répandre son ouvrage, mais
qui n'en est empêché que·par une circonstance indépendante de sa volonté, au moins le droit d'arrê.
ter l'abus tout formé ou flagrant, et d'en empêcher
1 a propagation .
Vous remarquerez l'amélioration apportée par le
projet, à la législation que la Chambre avait adoptée dans les deux sessions précédentes. La loi de
1815 réputait pour délit consommé la mise en im·
pression; le projet de loi ne place le délit que dans
la publication réelle ou dans la publication d'intentian, réputée avec raison publication de fait, lors·
que l'auteur n'a rien omis de ce qui est néessaire
pour y parvenir .
Prohiber la saisie d'un écrit dénoncé aux tribunaux , c'est établir , en dépit de toutes les règles de
l'ordre judiciaire, qu'il n'est pas permis de saisir
le corps du délit; que les délits successifs et conti·
nus ne peuvent être arrêlés. Par la même raison on
ne pourrait, sous le prétexte de la liberté de vendre, qui est une propl'iété moins noble, mais aussi
�( 47 0
)
réelle que celle de la pensée, saisir des denrées mal
saines; on ne pourrait, sous le prétexte de la liberté individuell e, arrêter on prévenu. Un écrit imprimé est la pensée vivante de l'auteur: c'est une
production qu'il a créée, à laquelle il a donné la
vie, qu'il a mise dans la société, qui pal'[e à tous
les yeux, qui se fait entendre indépendamment de
lui, qui pent donc étre arrêtée comme lui. Un écrit
dangereux n'est pas seulement le corps du délit
co.mmis par son àuteur, il es t complice, délinquant
lUI-même , il est l'instrument animé du mal qu'il
pr.opage J l'incendie qu'il est bien plus urgent d'étemdre qu'il ne l'est d'en poursuivre l'auteur.
. La s~isie d'un ouvrage dénoncé n'est donc point
InconslltutlOnnelle; car elle est conforme à tout ce
~ui se pratique en matièt'e de corps de délit; car
il n: pet~t êtr: dans la vue de [a Constitntion qui
a reserve la repression des abus de la presse, de lt:s
I~iss~r s'étendre et devenir irréparables avant de les
reprlmer.
. Il me reste à dire un mot de ce qui concerne les
Journaux. Je n'ai garde de con tester leur utilité,
.
.
'
maIS cc qUi est utile doit-il être sans règle? Et s'il
est juste d'accorder toul e liber lé à ces hommes qui,
après avoir médité prorondément des années entib-es sur I~ monumens de l' histoire, sur les prinCipes des s~l.ences abstraites ou pr'atiques, snI' l'éco.
nonue politIque, et sur tant d'antres objets, n'as-
( 47' )
pirent qu'à offrir à la société le fmit de leurs travaux, doit-on le même accueil aux auteurs, quelqu'estimables qu'ils soient, des feuilles quotidiennes
ou périodiques ? Ce genre d'écrits me parait former
un genre à part dans les productions de la presse?
Les ouvrages, quelque répandus qu'ils soielit,
n'ont pas autant de lecteurs que le journal lem oins
accrédilé. Un auteur ne s'adresse qu'à un certain
nombre d' hommes curieux de s'instruire; le bien
qu'il fait se 'Conserve avec son livre; le mal, s'il y
en a , reste entre ses lecteurs, et s'éteint souvent
dans leur bibliothèque. Le bien que foot les lOU'tDau x passe et tomhe avec leurs feuilles légères; le
mal qu'ils conliennent se propage en un moment
parmi les milliers d'abonn.ls qui attendent ayidement, chaque jour, les idées qu'on leur apporte.
Les défenseurs de l'indépend ance des j"Ournalix
voient en eux des proresseurs d'histoire, cie politique, de morale, des échos et des propagateurs
de l'opinion publique: plus ils seront convaincus de
la réalité de ces titres, moins ils devraient, ce me
semble , répug'ner à ce que les joul'naux ne paraissent que sous l'autorisalion du Gouvernement, à ce
que leurs auteurs soient assimilés à tous les autres
llOmmes qui font profession d'enseigner et d'instruire.
Que celle assimilation soit plus ou moins jusle ,
il u'cn est pas moins cerlain , ce me semble, qu'il
�( 47 2
)
ya une grande différence entre le droit de publier
des ouvrages, ou de distribuer des nouvelles et des
articles. Cette différence nait de la nature même
de ces deux genres d'écrits et de leurs effets; elle
ne fut pas méconnue lorsque les Chambres adoptèrent b loi qui, séparant les journaux des autres
éC1'its, mit les uns sous l'autorisation du Roi, dont
les autres sont affranchis. Cette autorisation est-elle
encore nécessaire? Ceux-là le croiront qui, sans
accorder même une trop grande confiance au Gou,'ernement, considéreront ce qui se passe autour de
nous.
Qu'il me soit permis, en finissant, de m'étonner,
non de ce que le projet éprouve des contradictions,
tous en sont susceptibles, et tous doivent être plus
ou moins contestés, soit pour les soumettre à la salutaire épreuve de la discussion , soit pour exercer
cette utile opposition, qui est un des ressorts principaux du gouvernement représentatif, qui tient
les Ministres en éveil et les avertit que rien n'échappera à l'œil scrutateur et quelquefois jaloux de la
censure; mais je m'étonne que le projet soit combattu par quelques - uns avec une amertume à laquelle on ne devait pas, ce me semble, s'attendre.
A en croire certains orateurs, le projet est un acte
additionnel aux lois les plus inconstitutionnelles ,
c'est l'abus du despotisme; Uonapal'te lui- même
n'avait rien fait de pareil) et le projet ouvre un
( 47 3 )
abîme où se précipiteront le trône et la patrie.
D'autres ne pensent pas que les Chambres puissent
exister sans être éclairées et soutenues par un nombre illimité de feuilles périodiques, publiées par
quiconque voudra, de sa propre autorité, se cons:
tiluer directeur de l'opinion publique; d'autres, a
l'occasion d'un projet qui n'est au fond qu'une loi
de procédure, faisant suite et amélioration à des
lois qu'ils ont approuvées, font, au nom des honorables membres avec lesquels ils votent, leur profession de roi, avertissent les Ministres que le système politique qu'ils ont embrassé ne peul se soutenir, que la France est en péril, et qu'elle n'est
plus disposée à se lancer de nouveau sur la mer orageuse des révolutions. lVlais quels sont doncles dangers où le projet va plonger la Franee? Quel germ,e
de désordre contient-il? Quelle révolutIOn se prepare, si les délits de la press~ continu~nt à être
jugés par les tribunaux correchonnels, SI les j~ur
naux, qui sont trop souvent de~ armes, de part~ et
des fermens de révolutions, contmuenta ne paraltre
que sous l'autorisation du Roi?
Vous écarterez dans votre jugement toutes ces
exagérations oratoires, et vous reconnaîtrez qu~,
loin de restreindre la liberté de la presse, le projet
n'a pour but que des adoucissemen~ (l~os la répression des abus dont elle peut deVeDll' 1HlstrumenL;
qu'elle amende les lois des 21 octobre 1814, 9°0-
•
�( 474 )
velnbrc 181 5, 181ëvrier 1817 , qui) biel! qlle rigoureuses, à certains égards, ne sont point des
actes additionnels aux décrets de Bonaparte, puisqu'eUes furent l'ouuage d es Cbambres délivrées de
son influ ence, et assemblées sous l'autorité légitime
du Roi . Vous verrez que les imprimeurs reçoivent,
pour l'exercice de leur profession, une garantie
qui Jeur manquait; que la procédure contre les
abus de la presse et conLre ceux qui en sont responsables, est adoucie et abrégée dans ses formes,
que les peines son t atténuées. Vous ne verrez surnager dans cette discussion, si animée, que deux
questions importantes et principales; la liberté de
la presse sera ·t·elle perdue, si l'on peut em pêcher
la circu lation des écrits dénoncés et mis sous la main
<le la justice?
La liberté <le la presse sera-t-elle perdue, si les
délits dont elle peut être l'occasion sont jugés comme
tous les autres délits) et ne son t pas recon nus par
des jurés?Cette question, in cid ente a u proj et, exige
non les éloges pompeux des bienfaits de la presse,
que personne ne contes te, non des déclamations
'Sur les att eintes que l'on parLerait à sa liberté, et
Gant personne ne la menace, mais les méditations
~es plus profondes sur un grand chang'ement dans
Tlotre Code d'Instruction criminell e, sur les conséquences de ce changement, soit relativement aux
autres délits , soit rela tivement à la corn position du
( 47 5 )
jury. Tout se tient dans un Code, et l'on ne,peuly
faire un déplacement que cent autres peut-etre n,e
se présentent à faire. Un tel changement , quand il
serait permis par forme d'amendement, vous paraîtrait exiger , par son importance, toutes ~es solennités d'une proposition à présenter au ROl.
Quant à l'émancipation des journaux: ,vou,s pouvez estimer, d'après l'agitation et le peril on plusieurs orateurs prétendent que se trouve la France ,
, pour e t con tr'eux , dans le
' ce quO on a dlt
d ,apres
d' . r t
, d e la Chambre et au dehors)
sem
, ' et apres ate n'te des partis, si cette émanCIpatIOn est urg~nt~l '
si elle es t prudente. Sans doute, l~ tem ps ou e e
.
sera sans d an ger est désirable " bien plus encore
, ' 1 que pour les Journa,ux euxour le repos genera
~êmes' mais il ne sufIit pas qu'une chose SOI t bonne
'bonne à supporter,
en soi , ,il faut encore quO eIl e SOit
et ü\Îte à propos.
-
�( 477 )
DISCO URS
Prononcé en qualité de Commissaire du Roi , à
la ClLamhre des Députés, le 28janvier 181 9,
à l'appui de la proposition d'accorder une récompense nationale à M. le duc de Richelieu.
Vous n'attendez pas, sans doute J que je réponde
à ce que le préopinant a trouvé bon de dire du
changement du ministère, des pamphlets qui exalte~t les Ilo~veaux Ministres, et de la marche qu'ils
d~lve~t SUivre. Chargé de défendre le projet de
101 , Je me renfermerai dans l'honorable mission
qui m'est confiée, et j'aurai soin d'écarter tout ce
qu'il peut y avoir d'individuel dans cette discussion.
Nous.ne sommes pas en un tempsoü il soit d'usage
de faire l'éloge des Ministres, vous venez d'en avoir
la preuve. Et même autrefois ce n'était pas les MiDlstres en retraite que l'on louait. Cherchant donc
~. généraliser la question J j'examinerai d'abord,
s 11 est quelque principe qui lasse obstacle à ce
'
.
qu une recompense nationale soit accordée à de
grands services ?
Si celle qoÏ est proposée est contraire à la Charte
ou à quelqu'autre loi?
Enfin, si les services auxquels il s'agit de la décerner en son t dignes?
Les monarchies doivent - elles encourir le reproche d'ingratitude que l'on rait communément aux
États démocratiques? La république dont nous
avions liât le si déplorable essai, fut tour à tour
cruellement inrrate envers cette foule de généraux
et de Députés ~ll'elle envoya aux échafauds , et libérale à l'excès, lorsqu'elle destina un millIard aux
défenseurs de la patrie ; promesse que celui qui la
renversa avait acquittée en partie, par la dotation
de la LéCTion-d'Honneur et par l'institution de ces
majoratsoqu'il distribua entre ses c.ompag~ons d'armes. Peu de gens voient avec enVie ce qlll a pu se
conserver de cette munificence; le très-grand nombreaime que des noms illustrés par la victoire soient
soutenus par la fortune, qu'ils se perpétu~nt ave.c
éclat, et que la gloire honore quelquefoIS les richesses.
Sous J'ancienne monarchie, nos Rois avaien t accordé de grandes récompenses à de grands servi~es.
C'est de là principalement qu'étaient ven.us les fiefs
et les duchés-pairies. Combien je pourrais rappeler
de dons justement faits par nos Ruis à d'anciennes
familles, et qu'il ne faut pas confondre ~vec ceux
que la lilVeur leur surprit peut.être aussI souvent.
�( 47 8 )
L'édit de 1561 , en établissant à jamais l'inaliénabilité du 'domaine, quelqu efois plus anciennement reconnue, d'aulrefois incertaine, mit un ter·
me à ces libéralités même les mieux motivées; mais
la loi du 1cr décembre 1790, qui a déclaré que le
domaiDe peut ètre vendu et aliené à titre perpétuel
et incommutable en vertu d'un décret form el du
Corps législatif, sanctionné pllr le Uoi, a plus sagement pourvu à la conservation du domaine et en
même temps à la possibilité d'aliénations utiles et
louables.
Après 1561 et avant la loi de 1790, le Roi n'au.
rait pu , même par des lettres paten les dnemcut vérifiées et enregistrées, concéder à titre irrévocable
lin bien domanial; mais attendu la disposition qu'il
avait du trésor, il aurait pu donner une so=e suffisante pour une granue acquisition. Et si l'opinion,
qui était alors presque la seule mod ér:l trice du pou.
voir, s'éleVdit contre les largesses obtenues par les
courtisans, elle ne condamnait point ceJJ es qui
étaient laites aux maréchaux de Vi ll ars et de Saxe.
Le pouvoir de recompenser les services est inhérent à la sou~eraineté. C'est un des droits les plus
précieux q~e le Monarque exerce, bien plus au
profit de l'Etat etdes sujets qu'au sien propre. Car ,
que lui en revient-il, si ce n'cst la satisfaction d'être
j usteetg-énéreux ? Pourvu que celte générosité n'aillc
pas jusqu'à la profusion, elle n'est qu'un emploi
( 479 ).
sa~e , utile, et qui peut être fécond, du trésor de
l'Etat. Loin que cet antique pouvoir ait été affaibli
par les changemens que notre Gouvernement a subis, n'est-ce pas pour l'exercer que l'on met annuellement à la disposition du Roi plusieurs millions,
à distribuer en pensions ? Le principe qu'il peut,
qu'il doit récompenser est donc incontestable. Il
l'cste à savoir dans quelle mesure ? La loi l'a déterminée en fixant la somme totale des pensions et
le max imum auquel une pension peut être portée.
lIIais cela est dans le cours ordinaire de l'administration. Une fois les lands accordés, le Roi les distribue d'après sa volonté et sa sagesse. Rien n'a été
prévu pour des services suréminens. Et parce que
rien n'a été prévu, parce que les lois ne devant
s'occuper que de ce qui arrivecoIDIDlInément et nullement des cas rares, sont muettes il cet égard , s'en·
suivra-t-il que l'on peut et doit récompenser les ser·
vices c@mmuns, et que ceux qui s'éleveraient à
lrtle hauteur insolite resteront sans récompense?
Quelque stoïcien dirait peut·être que la plus belle
des récompenses est d'être mis au dessus de toutes ,
et que les couronnes de chênes valurent long-temps
celles d'or. Cependant il n'est personne qui ne sente
que de telles assertions sont plus propres à orner un
discours, et le récit des mœurs antiques, qu'à s'appliquer il l' élat présent des sociétés européennes. Il
est filcile de voir qu'une dotation dont le motif e.st
�( 480 )
dcperpétllcr lesouvenir d'un grand service, d'avertit.
ceux qui la recueilleront d'imiter celui qui la mérita;
qui, ne s'éteignant pas avec lui, s'attache à l'un de
ses titres , si importans à co nserver dans une monarchie, et qui sont de l'essence constitutionnelle
de la nôtre , est une récompense digne à la fois de
l' homme qui l'obtient, et du Hoi et de l'État qui la
donnent.
On a dit que les lois doivent être générales, et
n'ont point à s'occuper des particuliers. Cela est
vrai toutes les fois qu'il s'agit de commander, de
prohiber, de permettre et de punir, mais lorsqu'un
cas particulier et extraordinaire sortira des attributions du Gouvernement, ou il faudra que le
Gouvernement reste injustement indifférent dans
son impuissance, ou qu'il réclame une loi. Il se
fera autoriser à accorder une récompense extraordinaire, comme il se fait autoriser à une aliénation,
à un échange, à la concession d'on péag'e, pnur la
construction d'nn pont) d'un canal pour un objet
d'utilité publique. La loi doit être générale lorsqu'elle peut se composer de dispositions communes
à tous, Alors eUe ne voit point les individus; elle
laisse aux tribunaux ou au Gouvernement, à chacun
suivant ses attributions) le soin de son application.
Mais elle peut être spéciale et individuelle lorsqu'elle
a un objet qu e les lois générales n'ont pu atteindre,
et qui a besoin d'~lDe disposi tion expresse. Qu'on se
( 481 )
o-;lrde de con rondre les lois particulières avec les
~is d'exception; celles·ci sont des dérogations
aux lois comm un es, p<lr conséquent elles sont
dangereuses, et l'on doit s'en abstenir;. mais
des lois particulières peuvent n'être que l app l1ca tion de prin cipes généro ux pour laquelle ces
principes mêmes exigen t une disposition expr:sse,
Le principe général est ici que les ser~ices dOlv~nt
être récompensés; et le besoin d'une 101 par~lcu"ere
nal! de ce qu e la mesure des récompen,ses a la dl~
position du Roi est au desso us des servIces dont Il
s';;lgit.
.
Je reviens don c à la plus simple expressIOn de la
première "questio·n que je me suis proposee, Y a-Hl
un prin cipe qui s'oPPos,e à ce qU'lll~e grande nallon
décerne une grande recoOlpense a un grand ser, ') La nation qui peut sans doute ordonner,
mœ:
,
.
"
'
,
Jans les formes constitu tIOnnell es, 1erec tlOn cl ~n
monuruentstérile par lequ el elle consacrera sa g'IOlre
ou sa délivrance, ne peut·eUe pas en élever lin en
q uelque sorte vivant, q~i pa!: ~haque lour aux
1'5 de celni qui 1a mente, le prIx des sersuccesseu
,
,. '
,. d'f.
'
VIC~
qu "l 1 a rendus?' A moins qu
, on n erJge lm 1férence et l'ingratitude en maXIme, co~,m:~t contester une tell e faculté, Il me serait fa Cile d etabhr,
par des exemples pris en différens temps chez ?OS
d 'un
VOlsms, q U 'ell e d érive de tous les prmclpes
, ' .
Gouvernement qui met quelque pri X a etre bien
51
�( 483 )
( 482 )
servI, de tous les sentimens de générosité et ,le
reconnaissance qui se trouvent dans le cœllr des
hommes, et qui ne sont pas étrangers aux nations.
On a vOlllu opposel' un exemple auguste et national.
Il suffit de r épondre qu'outre la différence des circonstances, les héritiers présomptifs du trône sont
:\ tous égards, au dessus de comparaison, et
peuvent fournir à aucune.
Que resle-t-il ? Se rejeter<oit-on sur la crainte d'ouvrir une voie dans laquelle on pourrait entrer dans
des occasions moins importantes? On aurait rilison
si l'on n'avait la plus forte des garanties dans le
concours
nécessaire des deux Chambres et' d u Rm..
,
~fms lorsqu'il fau t que les trois pouvoirs s'accord ent
a reconna1tre la justice d 'une r écompense
1
J' '
"
,que e
\01, premlequge des services ren dus à sa couronne
1
.
,
~s prese,nte comme sortant du cercle orJinaire et
d,Ig nes d une attenti~n particulière , et qn e.les deux
Chambres ,en conçmvent la même opinion, on est
bien cer tam , d'une part) qu e le trésor serait défendu par la surveillance des Chambres contre la
générosité si naturelle à un Monarqu e et " d
, l
' qUI sie
a a grand eur du trône où il es t placé' et
d'
,
que,
une autre part, le Monarque saurait mettre
1 f d
'
, par
'
"e re us e son mitiatil'e ou de sa sanct,'on , un r
lreln
a 110 en thOUSIasme populaire.
donc' .avoir suffi samment
ét,(1bl 1' , qu ,en
. Je, crois
l
gener a et sans l,ure encore aucune al)pl,'C'lt'
,
( Lon, rIen
n;
ne s'oppose à ce qu'une l'écompertSe nationale soit
<lécern ée pour un grand service, Seulement le Roi,
qui aurait pu la donner tout seul avant la révolutiun , ne le peut plus qu'avec le concours des
Chambres, lorsqu'il faut une récompense plus
grande que celles qui sont à sa disposition. C'es t
pour cela qu'il a ordonné quO un projet de loi vous
/'û,t présenté.
Voyons maintenant si ce projet est contraire à la
Charte ou à quelqu'autre loi?
Le projet propose l'érection d'un majorat à composer de biens immeubles choisis par le Roi parmi
les domaines assignés à la liste civil e. Il a souffert
d eux objections. L'une est prise d' une -prétendue
incompatihilité des majorats avec la Ch ~ rte; l'autre,
de ce que rien ne doit être distrait de la liste civile.
Votre Commission a repollssé la première; elle a
cédé sur la seconde, et proposé de prendre le majoratsur le domaine de l'État. Je répondrai à toutes
les deux .
La Charte ne parle pas des majorats ; c'est par
induction que l'on prétend y voir leur inconstitutionnalité.
Ils sont contraires, dit-on, à l'égalité des Français devant la loi.
Cette égalité ne me paraît null ement altérée par
la mani ère dont on peut posséder et transmettre certains biens, L'égalité co nsiste en ce que la propriété
�( 1184 )
de cha culI , qu.elque grande ou modiqu e qu'elle
puisse être, SOit ass urée el garantie par les lois
~o~mun~s aux propriétés de la même espèce. L'égalite consiste en ce qu'aucun ne peut se soustraire
a~lx lais ~~ ord~nnellt, défendent, permettentet pumssent: L egahte entre les citoyens n'est puint rompu~ , SI tous ceux qui ont les moyens dç faire un
ma jorat I~eu\'ent en.obtenir la permission prescrite
par la 101. Les majorats r ésultent des conditions
~ Ltach é~s aux bie~s ~~i les forment. Ils sont sujets
a des regles partLculieres de success ion. Mais ces
règ'les soo t établies par le Code Civil qui resteen vigueur en tOllt ce qui n'es t pas contraire à la Charte.
Or, elle n'a pas prohibé les maj orats. Et quand les
arg umentations par lesquell es on cherche à établir
qu '~ls SOll.t en opposition avec ses principes, devraient
un Jour etre accueillies, il faudrait alors abroO'er
I~ dernière disposition de l'article 896 du Code CiVIl. Car cet article est exprès, et depuis la Charte
comme auparavant il a eu son exécution et doit le
conserver,
La question si les majorats sont utiles ' est (
asse
•
Z
etrange dans un e monarchie où il existe une Cbamb~e de Pairs héréditaires. Faut-il s'exposer à voir
laisser tomber, par l'éga lité de partage, ce tte dignité
dans la pauvreté? ou faudrait-il par un sa laire :ltleu ter à son indépendance?
.
. Rien n'est P1us co nvenable aux fon chons de la pairie et a' so n essence
( 485 )
qu' un revenu qui J soit attaché. En sortant d e la
république, 130naparte le comprit , lorsqu'il dola
le sénat , simulacre d'une Chambre des Paris. La
dotation des séna teurs était à vie, parce qu e leur
dig nité était viagèr e. Les Pair~ étant héréditaires,
on doit leur accorder tous les moyens de transmeUre à leur fils aînés, avec leur titre , les moyens
de le soutenir.
Ce n'es t pas ici le lieu d'examiner à fond, si les
majorats qui sont, j'ose dire, indispensables pour
les di o'nités héréditaires, n'ont pas aussi des avantab
ges pour les familles qui ne jouissent pas des honneurs de la pairie; si l'éga lité des partages n'est pas
aussi nuisible à la conser va tion des famill es en génér aI et au bien de la société qu'elles composent,
qu'elle paraît favorable et juste pour les individus.
Si l'on l'eut un jour entrer dans la discussion de
cette matière, on reconnaîtra que les substitutions
telles que les avait réduites l'an cienne lég'islati on, à
deuxdeg-rés, J'institution non comprise, peuven t être
autorisées avec l'agTément du Hoi et les conditions
prescrites pour J'obtenir ; que c'est ainsi que l'on
peut maintenir U'fl certain nombre de familles dans
leur fortun e, et fond er l'aristocratie de la propriété,
élément nécess~tire d'un gouvernemen t mixte. Onl'econnaîtra aussi que les substitution~ perptituelles
appelées majorats , sont une conséquence de l'hérédité de la pairie. Mais en attendant que ces qu es-
�.
( 486 )
( q87 )
tions soient débattues) si toutefois elles ont besoin
de l'être, il suffit) ici où elles he seraient qu'incidentes , que ~ daus l'état actuel de la législation, les
majorats soient autorisés. Ils le sont par la loi du 1>
septembre 1807, en force de laquelle fut ajoutée à
l'article 896 du Code Civil la disposition restri ctive
de la prohibition des substitutions.
Des majorats existent; souvent le Roi a permis
d'en établir de nouveaux , et lors même que la loi
qui les antorise devrait un jour être abrogée, ce
ne serait pas une raison de ne pas l'ex écu ter lorsqu'elle est en vigueur. Dans la supposition , qui
n'est guère probable, d'une abrogation, le majorat
dont il s'agit serait supprimé avec tous les autres;
éteint comme le furent les substitutions, c'est-à-dire,
en laissant libres dans les mains de ceux qui les possédaient les biens substitués. Un des accessoires de la
récompense serait dé truit , mais elle ne serait pas
révoquée; à qu elques égards elle serait plus étend ue,
quoique moins utile sous des rapports de haute considération. Que le don soit J,lit avec une condition
qui le rend plus solennel, qui en perpétue la mémoire et les effets, ou qu'il soit plus personnel et
plus disponible, aucune loi , aucune raison ne s'opposent à ce qu'il soi t {ait.
de l'État mise à la disposition du Monarqu e pendant toute la durée de son règne. Il s'ensuit que le
Monarque qui n'a qu e J'usufruit de la liste civile: ne
peut la démembrer au préjudice du retour qu elle
doit faire à l'État, sauf une nouvelle affectatic;JD à
faire en faveur de son successeur.
Il s'ensuit aussi, que la législature qui a fixé pou r
lin temps la lis te civile, ne peut y tou cher ~,,-ant
qu e ce temps ne soit arrivé. Le !\'lonarq~e et l~tat
sont donc dans les rapports d'un u ~u rruiller et d ~~
propriétaire qui ne pe uve~ t altérer , l' un la propm:té, l'autre la pl eine et en llère JOUlssance .. , .
!\'lais lorsqu e l'usufruitier et le proprletarre se
mettent d'accord sur une disposition qui les touche
tous les deux et qu'ils ne pourraient prendre seuls;
lorsqu e l' usufruitier propose au propriétaire ~e di.minuer son usufruit et demand e son acceSSiOn a
une aliénation qu'il juge convenable à leur.s communs intérêts, sans doute le propriétaire, s'il ne la
voit pas du même œil, peut s'y re.fuser; maIS ce sera
d ans ce cas, parce qu'il ne le crOtt pas utlle , et nullemen t parce qu'elle serait contraire à leurs drOlts
Je passe à l'au tre obj ection , qui ne me paral t pas
avoir la force que vo tt"e Commission Ini a reconuue.
Qu' est.cequelaliste civile? Une portion du domaine
réciproques.
.
'
J e reco nnais qu'il ne faut pas eillder les I~LS. par
des interprétations arbitraires et subtlles; maIS il ne
faut pas non plus, sous prétexte de respecter leur
teneur les réclamer au delà de leurs sens, d e leurs
vues, :t les dénaturer ..... Quel est le jurisconsulte
�( 488 )
qui déclarerait nuU e un e aüénation faite du mutuel
consentement de l'usufruitier et du propriétaire ?
Les lois civiles veulent, comme la loi du 8 novembre 1814 , r elative à la liste civile, que l'usufruitier conserve la substance des choses dont il a
droit de jouir, Si les biens de la liste civile ont éte
déclarés inaüénables par la loi du 8 novembre 1814,
c'est parce que le Monarque n'en a que l'usufruit ;
mais si le propriétaire consent il l'aliénation, où est
la raison de l'empêcher et à qui appartiendrait le
droit de réclamer ?
Qu'on Il e dise pas qu'on ne doit pas appliquer au
droit public les règles du droit civil. Sans doute,
quelques nuances séparent ces denx droits; mais ils
ont une source comm une, la justice et la raison.
Or , où est la raison de s'opposer à ce que le Monarque, qui peut déjà , par sa seule volonté, diminu er pendant sa vie sa liste civile et la o'!'ever de
l
"
e
Clal'ges Jusqu'à son décès, ne puisse pas, du con~entem:nt ~e, la législature, proroger ceUe charge
ayerpetlllte , Cette pe~pétuil~ ne pourrait co ntrafier que les intérêts del'Etat.l'Etat peut donc, par ses
organes constitutionnels dans cette matière, con .
sentir à la charge ou à l'aliénation, s'il n'en doit
éprouver aucun préjudice réel.
Or, où est le préjudice ? Les biens immeubles de
la lis te civile seron t diminués de 50,000 francs de
!'even us, Ces biens, considérabl ement au O'mentés
"
( 1\.89 )
par des acquisitions attenantes, faites par le dernier
possesseur J peuvent supporter cette diminution. Et
qnand on vo udrait supposer que lorsque l' époque,
puisse le ciel l' éloigner pour long-temps, sera venue
de nxer de nouveau une liste civil e, il faudrait
rempl acer l'immeuble qu'il s'agit d'en distr,aire, ne
le reprendrait-on pas sur le domaine de l'Etat ? On
veut donc faire d'avance ce que peut-être, ce que
vraisemblablement on ne sera pas obligé de faire
dans un temps il venir. On aime mieux imposer à
l'E tat une cbarge présente que de consentir à \a
munificence, à la générosité du Roi , qui veut J par
un nouveau sacrifice, et il en a fait de plus grands ,
co ntribu er non-seulement de son opinion, de ses
sentimens, de SOIl initiative, mais sur ses propres
jouissances, à un acte solennel!
Loin d'apercevoir dans l'abandon par lequel le
Hoi demande le consen tement cles Chambres, rien
qui blesse ni la Charte, n~ la loi du 8 novem~re
18r!" ni les intérêts de l'Etat , je vois au contraire
un grand avantage, celui d'ajouter à la récompense,
de la rendre il la fois royale et nationale; nationale
par 1a loi qui la décerne, royale parce que Sa
Majesté olI're d'en faire les la nds:
.
Au reste, il était de mon deVOlr , comme cbarge
de soutenir le projet, de le délimdre du reproche
d'inconstitutionnalité, Les conseils clu Roi s'écarteraient de ses intentions, s'ils lui proposaient quel-
�( tlg o )
que chose de contraire à celte Charte, qu'il aime
cornille son ouvrage et le gage Ju bonheur de la
France.
Maintenant que je crois avoir établi que l'on peut
a~corder une grande récompense à de gra nds serVICes; que celte récompense peut être prise aussi
hi en .sur les domaines de la couronne que sur ceux:
de l'Etat, don t les premiers font partie, il me reste
à prouver que cette récompense est due aux: services
pour lesquels elle est demandée.
~e rencontre d'abord une objection qui s'est prodUite dans les discussions particulières que la proposition a [ail ouvrir. On a dit , tout ce qui se lait
de bien appartient au Roi, le mal seul lui est élranger et n'est que l'ouvrage de ses Ministres. Je souscris v~lontiers à ce principe, mais il quoi sert-il ici,
à ~OlOs qu'o~ ne ~euille en Jéduire que le Roi n'a
qu a pUnir et JaillaJs à récompenser? Quoiqu'il soi t
l'auteur de tout bien, serait-il de sa justice de ne
pas encou rager ceux: qui l'aident à le faire, à Je
propager, de ne pas reconnaître leurs travaux et
leu,rs succès ?On .est susceptible de récompense quoiqu on mt r~mplt des devoirs, toutes les fois qu'on
les a rempl15 avec honneur et habileté.
Sans doute la présence de Louis XV et de son fils
sans doute la bravoure héroïque de la maison d~
Roi eurent une grande part à la victoire de Fonte-
( 49 1 )
noy, le maréchal de Saxe n'en fut pas moins le
héros de la journée.
Sans doute les instructions données à d'habiles
négociateurs par nos Rois qui les employère.n~, sans
doute la contenance et le caractère de ces ROls contribuèrent beaucoup aux avantages que d'heureux
traités avaient procurés à la France; ceux qat y
avaient. concouru n'en ont pas moins obtenu une
"rande porlion de gloire.
'" Sans doute c'est tout premièrement à la sagesse
du Roi, c'est à la résignation courageuse des ~ran
çais, aussi fermes dans l'adversité que dans les trtO~
phes, qu'est due l'évacuation de ~a France. MalS
cette évacuation , le traité permettait de la retar,der
de deux ans; on pouvait nous en faire payer 1anticipation. Cette évacuation sitôt conclue : pa~~e
qu'eUe avait été d'avance e.t lo~g -te~lpS neg?clee
pal' le département des afl'atres etrangeres, . 1010 de
nous coùter un e rançon, a été accompagnee de ~e
mises importantes d'argent et de délais pour aC~U1t
ter ce que nOlis restions devoir. Plus le tr31t~ de
1815, souscrit sous l'inévitable ernptre de la ne~es
sité, nous avait imposé de charges, plus celul d.e
1818 nous a apporté de sou lagement. Je p~~rralS
dire de biens, car le terme de maux presqu LDSUpportables est un bien immense.
Le traité de 1818 est remarquable sous deux ra~
ports. C'est une grande aflàire de finances , une de-
�( 49~ )
cI.al'ge Je dépenses près d'excéd er tous nos moyens;
c'est une vaste conquête puisqu'il affranchit nos provinces et relève dans nos citadelles nos étendards
abattus. Nous r essaisissons l'intégrité de notre territoire et notre indépendance. Quel est le plus grand
bien, d'acquérir ce qui ne nous appartient pas, ou
de recouvrer ce que nous avions perdu? Ne nous
souviendrons· nous de nos douleurs que pour rester
indiJférens envers la main qui a puissamment aidé
à les guérir? La chose est telle que j'ai pu ne pas
nommer le noble duc à qui elle est due. Ce sont les
faits , les résultats qui parlent , qui crient pour quiconque en serait l'auteur. On demande des pièces
pour connaître et mieux juger; quelles pièces plus
décisives que le traité lui-même et les nouveaux
adoucissemens qui l'ont suivi? Qu'est-il besoin de
pièces,où est l'évidence?Jetez les yeux sur nne carte
du royaume, et vous verrez ce que nous avons recouvré. Entrez dans ces villes et ces maisons débarrassées dela présence d'étrangers, qui usaient au
milieu de la paix d'une partie des droits de la g uerre.
Entendez les cris d'allégresse qui on t reten Li dans
les départemens. Des millions de témoins et d'opprimés célèbren t leur délivrance, toute la France y
a pris part. Ses Députés, remplis de son esprit et
de ses sentimens , pourraien t.ils refuser de consacrer , par une récompense nationale, un si grand
évènement ?
( 49 5 )
DISCOURS
Prononcé, en 1820, à la première séance publique
du Concours ouvert dans la Faculté de Droit de
P aris pour la chaire de P,.océdu,.e ?Irtcante par
le déc~s de M. PIGEA u, en qUidité d'Inspecteur général des études pour les E coles de D,.olt,
et Président du Concours.
Toutes les parties de la science du droit sont recommand'lbles par la source commune dont ell es
" nt et le but vers lequel eUes tend ent. Elles
d el'lve
,
. l'
' b
le sont aussi par les avantages parncu Jers a c acun,e
d'elles. Maintenir la propriété , les drOits et la l~
berté des ci toyens, assurer le repos des b~ns ~ re, er les me'chans
rendre
à chacun ce qmlm .apprtm
"
.
, t . c'est le but de la )'ustlCe ,que
pat'tlen
' les Rommns,
nos nlaîtres en législation , définirent: Constans
et perpe tua vo luntas j'us sllum cuique trlbuend,.
L . 1, If. De J ustitiâ et Jure.
, se d;~ige
par les lois et, pal' les rormes
La )· usuce
~,
,
qui en r èo'lent l'applica tIOn pour qu ell e ne sOJ~ pas
arbitraire~ Les form es sont les compagnes neces-
�( <'194 )
saires et in5ép~r~hles des lois qui , en sta tuant sur
les intérêts civils, durent prescrire en même tem ps
la manière dont elles seraiellt invoquées. Ex his
cœpitfluere jus civile ) et a.ctiones compositœ sunl.
L. 2, § 6, ff. De Origine juris.
En effet, les lois n'a gissent point d'ell es-mêmes:
eUes sont un e force morte qu'illaut mettre en mouvement. Leur appui est promis à tous, mais il veut
être réclamé; leurs ministres ne l'accordent pas sans
connaissance , sans que ceux con tre lesqu els on le
sollicite soient entendus ou appelés. De là les citatians, les formalités qui en constatent l'ex istence et
la légalité, l'obligation de les libeller , les défenses
qui y réponden t , ou !)our les écarter comme nonr ecevables, ou pour les repOtlSSer comm e ma l fondées . J,a procédure n'est autre chose que l'art de
demander , d'obtenir, et de faire justice.
Ceux qui s'étonneraien t qu'eUe soit un art , oublierment qu e, dans les rapports des hommes en
société, rien ne doit être arbitraire et fai t sans r ègles. La civilisation en a donn é à tout. Comme ell e,
elle a créé des arts pour chac un de nos besoins,
pour nous nourrir , nous vê tir , nous abriter, ell e a
créé aussi un art de réclamer ou de défendre ce qui
nous appartient , afin que, comme dans l'état de
nature, on ne se l'it pas justice à soi-même) et pour
qu'o n l'obtînt régulière, éclairée, sans précipitation et sa ns surprIse.
( 4~5 )
La marche mesurée de la procédure a salivent
excité J'impatience et l'hum eur de ceux qui, uniquement occupés de leurs poursuites, ne songent
pas aux droits de la défense, ne voient pas que si ,
à leur tour , ils avaient à repondre à une dem-ande,
ils regretteraient de n'a voir pas tous les moyens et
tous les délais nécessaires pour la repousser.
Le reprochp., que la /i)rme emporte souvent le
fond , est encore plus frivol e qu'il n'est ban al. Si la
form e prévaut au fonu, ce n'est point qu e l'on préfère des formalités aux droits) c'est que , sans la
form e, le fond n'est point éclairci et justifié: c'est
qu e, sans la forme, il Y aurait bientôt voies de fait
et violence entre les parties, ou l'arbitraire, au
moins ses apparences) de la part des juges. La procédure occupe ,.dans l'application des lois, la place
que tiennent, dans les sciences mathématiques, les
formu les destinées à faire trouver plus facilement la
solution d'un problême. Son but est de régler ,
d'une manière générale et aussi simple qu 'il est possible , la marche des parties , dans l' exposition de
leurs dema ndes ) de leurs défenses) et cell e des tribunaux dans leurs j ugemens. Tou t ce qui s'en écarte,
es t une faute qui pourrait conduire à l'erreur , et qu'il
faut redresser. Si la par tie qui a droit au fond , souffee qu elquefois d'une nullité , tonte la société en prolite pal' le maintien des règles qui empêchen t que,
�( 406 )
soit au civil , soil au criminel) personne ne soit condamné que dans les formes légales.
Louis XIV, éclairé des lumières de savans magistrats , avait beaucoup amélioré, par son ordonnance de 1667, la procédure civil e; il l'avait r endue la meilleure et h~ plus simple de cell es qu e l'on
suit d aus les divers Etats de l'Europe. Notre Code
de 1806 l'a encore perfectionnée. Le bienf"it en est
dû en grande partie à feu ~I. Pigeau, dont vous
venez disputer, dans cette école, l'honorable héritage. li fut un des rédacteurs du projet de Code ,
qui est devenu la loi de procédure civile , et qu'il
professa ensuite dans cette chaire où vous aspirez à le
r emplacer. Imbus de ses leçons, vous reproduirez,
dans les épreuves auxquell es vous vous présentez ,
ses lumières. Elles désig neront pour son successeur
celui dans les mains de qui elles jetteront le plus
d'éclat; elles seront votre guid e et celui de vos juges . Puisse un [our eelui qui sera appelé il le remplacer) le faire revivre tout enlier , nous co nsoler
de la perte que nous avons faite pal' sa mort , donner un dig ne coopérateur à un professeur célèbre,
que la commission de l'instruction publique a appelé d'une faculté riche de science et d'enseig nement, et se placer) sa ns trop d'inéga lité , à côté
des maîtres qui l'ont instruit!
Toutes les f" cultés de droit du royaume tienn ent
( 497 )
de plusieurs de leurs professeurs et des ouvrages
qu'ils ont publiés) de gTa nds droits à l'estime et à
la confiance publique; mais la faculté de Paris join t
à ses titres, co mmuns à toutes, l'honn eur d'avoir
élevé, d'élever chaque jour dans son sein cette foule
de suj ets distin g'ués, dont les uns hrill ent déjà ùans
le barreau ou dans les tribunaux de cette capit ale,
et dont les autres promettent qu'ils ne la isseron t
pas ternir la g'loire de leurs prédécesseurs et de
leurs modèles . Leurs succès sout en partie son ouvl'age; ell e en es t la sou rce; ell e peut, avec un juste
orgue il , mont rer ses enfans.
Si nous a vons perfec ti onn é la procédure civile)
d ans laqu ell e la France avait déjà la supréma ti e
sllr les autres nations, nous avons fait , etil en était
beso in, de notables change mens dans la procédure
crimin elle.
L es améliorations que l'ordonn ance de 1670 y
avait apport ées , n'en a vaieut pas effa cé les vices
d'une instruction secrète , d'un jugement sans débats publics, et d'un e défense imparfaite. L'appel
du jury, dans les jugemens crimin els, a donné aux
accusés une juste garantie, sa ns affaiblir celle qui
est nécessaire à la société con Lre les coupables. Les
jUrt!S ont autant d'intérêt à reco nuaÎtre le crime qu e
l'innocence. Si l' bnmanité et la pitié les portent il
l'indulgence , la sûreté publique qni réclame leur
juge ment , les avertit qu e l'impunité la met en dan-
52
�( 498 )
gel', qu'ils auraient à se reprocher l'encouragement
que leur faiblesse donner,ùt aux malfaiteurs, et les
nouveaux crimes que pourrait commettre celui qu'ils
auraient injustement absous.
L'institution du jury a semé dans le champ aride
de la procédure, des questions importantes qui le
fécondent et le d écorent. A qui la loi donne-t-elle
le droit et impose-t-elle le devoir d'être juré? Comment et par qui doit être formée la liste de jurés
convoqués pour les assises? Quelles récusations
compètent à l'accusé et au ministère public? Quelles
sont les questions il soum ettre à la délibération des
jurés? En quel nombre peuvent-ilsabsouclre ou condamner ? Tout cela est d'un intérêt général , parce
qu'il n'est presque personne qui n' ait à r emplir les
fonctions de juré , à exercer cette mag'istratul'e politique qu'i! tient de sa qualité de citoyen, et qui
est r éservée à tous, pour leur commune garantie
contre les accusations privées et publiques.
Ces obj ets fixent en ce moment J'une manière
particulière l'attention gé nérale. Ils sont traités dans
divers ouvrages, aux quels se joignent chaque jour
de nouveaux écrits ; ils seront vraisemblablement
un des principaux sujets dont les Chambres s'occuperont dans la session qui vient d e s'ou vrir . 11 en
résultera sans doute d e nouvelles am éliorations',
Dlais l'école d?Ît les attendre : elle est chargée d'apprendre et d'enseig ner ce qui est, et non ce qui de-
( 499 )
l'rait être _Ce n'est pas sa doctrine qu'u n professenr
a mission d'enseig ner ; c'es t celle de la loi_ TI aimer a
toujours mieux parler d'après elle que d'a près luim ême ; car , dans le premier cas, il investit ses paroles de la dig nité et de l'autorité même de la loi;
dans le second , il ne présente à ses auditeurs in certains qu e son autorité perso nnelle. Il devient personne privée , de personne publique qu'il était. Cette
règle de l'enseig'nement n'est pas sa ns applica ti on à
celles qui sont à suivre dans le co ncours. J,es lois,
respectables en tous lieux, doivent être sacrées, là
sur-tout où on les étudie et les enseig ne. _
De ces lieux ne devraient non plus jamais approch er les opinions et les agitations politiqu es : ils offrent à l'attention une matière assez vaste ponr exclure tout autre sujet. Ceux quiles fr équ entent , ne
peuvent ignorer qu e les écoles ne sont ouvertes que
pour leur instru ction; qu'elles ne sont des lieux ni
de rassemblement ni de délibération , et que ceux
qui les poussent à en changer la destination, les
trompent et les égarent. Ce serait un e bien mauvaise disposition à l' étude d es lois , que d e les enfreindre dans un de leurs sanctuaires , et d e venir
y puiser l'enseignement , sans vouloir eD re~pec ter
l' ordre et la disciplin e.
Bons jeun es gens ! sou ffrez qu' un vieillard qui a
beaucoup vu et beaucoup épro uvé, saisisse cette occasion de vous prévenir contre des in si nu ations dan-
�( 500 )
gereuses et vraisemblablement étrano-ères'
o
, de vous
confirmer dans l'excellente conduite que vous avez
dernièrement tenue, et de vous inviter à maintenir,
de vous-mêmes, le bon ordre auquel vous avez le
premier intérêt. Celle école est votre berceau: écartez-en les troubles; soyez jaloux de sa tranquillité et
de son honneur. Outre l'instruction publi'lue dont
vous y êtes nourris, vos professeurs vous ouvrent
leurs cabinets; ils sont toujours prêts à vous donner
les conseils particuliers que vous désirez pour vos
études. Ne veuillez pas être ingrats envers eux et
envers le Gouvernement, qui se plaît dansl'illuslration de cette école; qui l'enrichit de nouvelles ch~i
l'es, afin qu'eUe n'ait rien à envier aux plus célèbres
universités de l'Allemagne; qui n'en dispose qu'avec lenteur, afin d'apporter plus de maturité dans
ses choix; qui compte avec plaisir votre nombre et
les riches espérances que vous lui donnez: ne les
alfaiblissez pas. Observez une discipline nécessaire,
utile à votre instruction, honorable pour votre ca·
ractère. Ne vous départez jamais de celte urbanité
qui caractérise la jeunesse francaise
et lui donne un
,
tact si délicat des convenances.
Cette snlennité doit frapper l'attention de tous
cenx qui se destinent à l'étude du droit. En exci~nt un~ noble émulation, elle augmenter;" je l'espere, 1attachement aux études et à tous les devoirs
réciproques, sans l'observation desquels elles ne peu-
( !SOl )
vent prospérer. Les professeurs redoubleront de
zele, les élèves de respects et d'égards. Un professeur célèbre sera remplacé par le plus digne de ceux
qui aspirent à lui succéder. La lice est ouverte; le
nombre des concurrens qui la remplissent prouve
le grand accroissement qu'ont pris les étude~, et
combien elles sont florissantes. Vous vous y presentez déjà décorés chacun de quelques titres d'honneur et de gloire: vous y développerez autant de
courtoisie que de science. Rivaux sans être enn~
mis , vous combattrez en frères d'armes, que le prIx
proposé à leur émulation sépare momentanement,
mais ne désunit pas.
.
RAPPORT
Fait à la Chambre des Députés, dans le comité
secret du I l mars 1819 , au nom de la Çommission charaéede l'examen d'une proposition de
la Chambre des Pairs, tendant à l'entière aboli/.ion du droit d'aubaine et de détraction.
La Chambre des Pairs a résolu de supplier le
Roi de proposer une loi portant abolition entièr~
du droit d'aubaine et de détractlOu. VOliS avez a
�( 502 )
( 505 )
délibérer si vous l'adopterez. J e viens vous soumettre
le trav1Il1 de la commission centrale nommée par
l'OS bureaux.
de représailles, n fa ut , disen t-ils) faire aux étrangers le tort qu' ils nous font à nous-mêmes.
Mais si) loin de nous faire du mal, les étrangers
ne nous portent aucun préjudice en tenant à leurs
coutumes; si, au li eu de leur faire du mal en con·
servant l'aubaine) nous servons leurs intérêts et
nuisons aux nôtres; si, au contraire, en la détruisant , nous faisnns notre avantage, où serait la
raison d'appliquer le principe de réciprocité?
Ce principe frap pe d'abord par une g rande apparence d'équité; j e vous traiterai comme V OllS m e
traiterez vous-même, semble devoir être la première décla ration des hommes et des nations qui
veulent se metlre en relation; mais on ne tard e pas
à s'apercevoir que celte règle a des exceptions suggérées par le sentiment même d'intérêt personnel
qui la dicte,
La réciprocité est juste , elle est nécessaire dane
les ven tes, les échanges, dans tous les con trats corn·
mutatifs où l'on donne pour recevoir; mais on peut
donner ou concéder à titre gTatuit. J"a concession
peut êtl'e d étr rminée par un sentiment d'alfection,
d'humanité, de libéralité, elle pent l'être par un
avantage qui sort de la concession elle-même , sans
que l'on exige rien de celui auquel on la rait,
Ainsi, la renonciation des Ang'lais à la traite des
noirs, l'invitation qu'ils ont adressée à toutes les
nations , de sacrifier les avantages qu'elles eu reti-
~~s .m~tériaux ne manquaient pas. La question
a ete SI bleu débattue dans l'autre Chambre elle
é~ait déjà si éclairée par des discussions pIn: anclenn es, q~e la Commission n'a eu qn'à choisir
e?tre I.es raisons qui appuyent on combattent la
res~l.utlOn. La majorité s'est décidée à l'adopter .
VOICI ses motifs;
Personne ne défend le pur droit d'a b' .
d'
,
n alOe, ce
l'Olt, qUI confisquait au préjudice d es héritiers
naturel~, même des enfa ns, la succession de l'étrau~er c;n on ava it laissé vivre libre, plutôt que de
I,ex~uls:r) afin de le traiter en serfà sa mort et de
s enrlchll' de sa dépouille.
, Long-temps a vantles décrets de l'Assemblée cons-
tttua~t,e, ce droit avait été attaqué; une foule de
p~bltclstes, Grotius, Montesquieu, Wolf Watel
R.eal de Re
1 l'
"
'
,
, yneva, aVaIen t Irappé d'anathême.
,
ee
co nstituante ne nt ) en l'ah 0 li,
L Assembl
,
•
ssant, ,
que SUIvre a cet égard , comme à beaucoup d'aut,res, le progrès des lumières. Ce ux même ui
, e~,le~t encore maintenir le droit d'aubaine) i el
qu II s exerce, ne le soutiennent que par Je p ' ,
de "
'.
rlOclpe
reclproclte établi dans le Code CivI'1 L d '
d
. '
,
, e l'Olt
e reClproclté devient, dans leur bouche, un droit
--
�( 504 )
raient polir leurs colonies, sont dus les uns
disent à un pur sentiment d'humanité, le~ au tres à
des vues moin~ d~intéressées, et ceux-ci pensent
q,~e les Anglms n eussen t pas été si généreux, s'ils
n etal~nt pas maî~res de l'Inde où ils n'ont pas be~oln ~ esclaves nOIrs. Sans doute ils u'av3ient point
a cralOdre que l'Afrique vînt acheter des ùommes
SUl' leurs côtes , ils n'a vai ent pas besoin de demandeI' la l'éciprocité. Il n'e n est pas moins vrai et
c'est ce que je veux prouver, qu'un grand cha~O'e
ment s'est~~ér~ dan~ les babitudes de l'Euro;e,
par le mottl predoIDlOant de se departir d'lin abus
de !a forc~ ~t de la richesse J et d'un usage inbumam; et SIl abandon qui en a été fajt par l'AnO'leterre, n'est pas tout-à-!iIit désintéressé, il l'est ~er
talllement pour la France , l'Espagne, le Portugal
et la Hollande.
~ors~ue ~ll1sieurs de nos Rois renoncèrent au
d:ol~ d aubame et accordèrent les priviléges des
regmcoles aux ouvriers qui viendraient travailler
aux manufactures de tapisseries de Flandre (1) d
Beauvais (2), des ?o~elins (3), à celle des gla ces (4) ~
aux hommes qlll Viendraient dessécher des ma( 1) Edit de janvier 16 ° 7.
(,) ,664.
(3) 1663 .
(4) Octobre 1665_
( 505 )
rais (1), à quiconque s'établirait à Dunkerque où à
Marseille (2), ils ne s'enquirent point si les étrangers
appelaient des ouvriers français, ou s'ils ouvraient
des ports fran cs. Au contraÏre) il est des cas où les
gouvernernens, comme les n}arcbands, doivent, au
lieu de l'égalité de prix et d'avantages, tantôt offrir
au rabais et accroître ainsi leur chalandise, tantôt
proposer d'acheter plus cher. C'est ce que savent s~
bien Caire les Anglais; ils ne ch erchent pas ce qlll
est réciproqu e, mais ce qui leur est avantageux.
Tant mieux , si des rivaux ou des voisins ne faisant
pas ce qu e nous !;Iisons, ne se mettent pas en concurrence, et n'établissen t pas en tr'eux et nous une
compensation de pertes et d'ava ntages .
Ce n'est pas avec un gou\'ern emen t qu'il est nécessaire de traiter pour attirer ses sujets et ses capitaux. fi est plus simple de s'adresser aux sujets euxmêmes. Au li eu ne concer ter pénibl ement nes conventions diplomatiqu es) il ne filUt que publier des
lois qui perm ettent et enco uragen t ; c'est une faute
de faire dépendre de négociations longues et incertain es, ce qu'on peut faire tout seul, par des lois,
et de mêler le droit civil avec le droit politique.
Il est vrai que nous avo ns , avec un très-grand
nombre d'E tats , des traités réciproques d'abolition_
(1 ) 1607 .
( ,) Novembre 16r, 2 , mars 1669 '
�( 506 )
( 5°7 )
Lorsqu'ou a pu, d'uu COllllllun accord, aoaHre cette
barrière qui isole les peuples, les hommes et les
familles, les prive du droit qui est commun à tous
de disposer de leurs propriétés, d'avoir pour successeur~ leurs enfans ou leurs parens, on n'a pas
manque de le frure. Cela prouve qu e l'abolition est
reconn.uejuste par le consentement presqu'unanime
des natlOns ; cela ne prouve nullement qu'elle ne soit
pas juste à l'égard même de celles qui veulent conserver le droit d'aubaine.
Aucun étranger ne peut posséder en Angleterre
un héritage en biens·[onds : il suit de là que l'étranger ne pouvant y posséder, nepeut transmettre. Nous
n'avons point une telle loi. Nous sommes donc déjà
hors du principe de r éciprocité, ce boulevard des
ad versa ires de la proposition, puisqu'à l'exemple
des Anglais, nous n'interdissons pas aux étrangers
(l'acheter, de posséder et de vendre, puisque nous
ne confisquons pas de leur vivan t leurs immeubles.
Les Anglais sont plus conséquens, ils ne permettent
pas de disposer de ce qu'on a acq uis con tre la prohibition des lois; mais nous nous interdissons de
léguer, de laisser à ses héritiers ce qu'on a régulièrement et librement acquis et possédé. Si nous faisons un si grand cas de la réciprocité, pourquoi ne
défendons-nous pas aux Ang-lais de posséder des
biens-fonds chez nous à peine de confisca tion; ou,
si nous n'en venons pas là, reconnaissons que la
r éciprocité inexistante, quant à la possession et à
la propriété, peut aussi n'être, ni juste, ni nécessaire, quant à la succession .
C'était l'opinion généra le du Gouvernement avant
la révolution , lorsque furent données les leUres
~I'exception de quelques petits états d'Allemagne
qUi ne sont d'aucune importance, il n'y avait, à
l'époque où le Code Ci vil établit le principe de récip~ocité, que la Prusse, le Pape, le Grand-Turc
I:Etat de Gênes et l'Angleterre avec qui nous n'eus~
SlOns pas de convention; nOlis en avions une avec
la Suède relativement aux successions mobilières'
elle vient de proposer de l'étendre aux succession~
immobilières . Tout droit d'aubaine a été aboli avec
la Prusse le .2 décembre 1811. Gênes ayant passé
sous la domlDatlOn du roi de Sardaioone, ce d"oit
s'ytrouve éteint comme dans tous I~ autres États
d,e ce so uverain; il ne reste donc d'~ssujétis au droit
d auba:ne que les sujets du Grand-Turc, du Pape
et de 1 Angleterre (1).
ment, quant à l'Angleterre; car nous avions a\'ee ellc, pOUl'
les successions mobilières, le traite d'Utrecht et la déclara -
lion dll Hoi, du 17 juillet 1739, cru·.gistrêe le 4 août sui-
(1) Ceci doit .'entcndrcdes succession. imm b'i"
1
o 1 Jcres seu e ..
vant.
•
�( 508 )
palentes du 18 janvier 1787, le'qllell es abolirent,
en filveur des SU)' els du Roi de la Grande-BretaO"ne
o
,
le droit d'aubaine, rela tivement aux successions
mobilières et immobilières, qui , soit par tes tament,
soit ab intestat, pourraient s'ouvrir en France à lenr
profit.
On a dit que le parlement et la chambre des
comptes, qui enregistrèrent ces lettres patentes sans
uifficulté, comptaient suda réciprocité; que c'était
aussi l'espérance du cabinet de Versailles: c'est une
erreur. Il res ulte des r enseig nemens que je me suis
procurés, que le Conseil du Roi s'était, depuis assez
long- temps, tout-à-fitit et un animement déter1l1iné
à étendre l'abolition du droit d'aubaine sur les sn jets
de toutes les puissances, sans aucune exception. Un
projet en avait été dl'essé et co mmuniqu é à M. le
Garde des Scea ux , qui avait écrit en marge: " Il
" faut espérer que cela eugagel'a les autres nations
" à suivre un exemple aussi co nforme aux principes
" de l'humanité; matS l'Angleterre swi'/"a-t-elle
" cet exemple ? "
M. de Vergennes fit la réponse su ivante:
" L'obj et de la loi proposée est d'~'ppeler les
" étrangers en }<'rance, de leUl' en faire chérir le
» séjour, qui , d'ailleu l's, a tant d'a ttrai ts pour eux
" et d'y form er des établisse mens permanens.
" Nous n'avons aucun intérêt à désirer que noire
" exemple soit su~vi par les puissances étrangères_
( 50 9 )
,.
"
,.
"
"
Bien au contraire, si nous avons qu elque vœu à
former à cet égard , ce serait qu'ell es voulussent
bien multiplier les gênes qu e les suj ets du Roi
éprouvent en fixa nt leurs demeures dans les pays
étrangers, et qu'au lieu de les attirer chez elles
» par des faveurs, elles les repoussassent p"r des
" exactions et par des vexations_ C'est ici l'un des
" C,IS où le dé fa ut de réciprocité de la part des
" autres cours tourne essentiellement à notre avan) tage. )
,
Ce qui fut fait par les lettres patentes de 1787 a
l'égard des Anglais, ce que M. de Vergennes voulait faire à l'égard de toutes les nations, M. Necker
l'a vait déjà proposé en 1785 .
.
" Le gouvern ement britannique, disait-il, ~OI t
" desirer, plus que jamais, qu e tou tes les nallons
" maintiennent les lois et les usag'es propres à éloi" gner les étrangers de chez elles. Ainsi, ce n'es t
" pas sur la demande du ministère ang'laIs ~u ' 11
" faut se proposer d'abolir en enher le drOIt d au" baine; c'est pu:tdt m algl"~ lui qu':lfaul le fa~r~:
" cette suppreSSIOn ue dOIt pas etre conSIderee
" comme un acte de co ndescendance, mais comme
» une vue de politique. . . .. Les emprunts ont
» accru en Angleterre le nombre et la fortune des
" homm es indépendans, c'est-à-dire, de cette classe
" de citoyens dont la richesse est toute mobilière,
" et qui peul'ent plus aisément chang'er lie dOIllI-
�( 510 )
cile. En même temps les impôts ont été si fort
» multipliés, que le prix de la plupart des objets
» utiles et agréables a considérablement augmenté.
" Ces deux circonstances combinées peuvent enga" ger beaucoup d'Anglais à dépenser leurs revenus
" hors de leur pays .... La proximité de la France,
» ses productions particulières) l'aisance et les
" plaisirs de la capitale, la douceur du climat dans
" les parties méridionales du royaume, et d'autres
» avantages encore, pourr,tient engager plusieurs
" habitans de la Grande-Bretagne, et sur-tout les
" catholiques) à venir séjourner plus ou moins en
" France, et la suppression totale du droit d'au" haine servirait à les encourager.
" Si ce droit s'établissait chez quelques nations
" à l'égard des Français) ce ne serait pas un mo« t([pour en agir de même avec elle J car la réci" procité n'est jamais raisonnable quand elle ne
" peut exister qu'à son propre dommage; ..... .
" et le droit d'aubaine est enCOl'e plus pl'éjudicia" ble aux nations qui l'exel'cent, qu'aux étl'an" gers dont on usul'pe ainsi la fortun e . .... "
» Toutes sortes de considérations semblent donc
» inviter à l'abolition entière d' un droit il la fois im» politique et sauvag'e .... »
C'est d'après ces principes llue l'Assemblée consLitua~te rendit les deux décrets des 6 aoùt 1790 et
8 avril) 79 1 • Plus heureuse clans cette circonstance
»
( 511 )
que dans beaucoup d'autres, elle accomplit ce que
le Gouvernement méditait depuis plusieurs années
avant la révolution. C'est Bonaparte qui vint effacer ces deux lois honorables et utiles.
Le système de réciprocité devait être dans les
goûts d'un homme qui, venant de s'élever il la
hauteur du trône, voulait dès lors traiter d'égal à
égal avec tous les potentats, et ne leur accorder
que ce qu'ils lui accorderaient à lui-même. li est
vrai qu'il put s'appuyer de l'opinion si grave des estimables rédacteurs du Code Civil , Tronchet J POI'talis , et Ml\<1. Bigot de Préameneu et de Malleville
qui se declarèrent pour la réciprocité. Mais ce ne
fut pas sans de grandes difficultés que leur autorité
prévalut, le 8 mars 1803, par l'adoption du titre le<
du Code Civil. Ce titre avait déjà éprouvé un échec
dans le tribunat , en frimaire an 10 (novembre
1801). La question de réciprocité y avait été coudamnée par une Commission dont je fus le rapporteur, et par divers orateurs, dont l'un siége maintenant aux Pairs, et l'~utre dans cette Chambre,
lU. le comte Boissy d'Anglas et M. Ganilh. On ne
trouve rien de cette discussion dans le Moniteur,
parce que Ronaparte, qu'elle contrariait J ue permit pas de l'y conserver. n tenait à la réciprocité ,
nonobstant les documens anciells et nouveaux que
lui fonrnissaient les archives des affaires étrangères.
Il semble cepelldant que, dans ce département,
�( 515 )
( 512 )
on ~u~a~tdû être plus pOl'té,si , avant tout, l'on n'y
avmt e te Juste et éclairé, à faire des trailés et des
conventions, qu'à solliciter des Jois.
En 1802 encore, la succession d'un Ano'Jais s·é" OUo ,
tant ouverte en France , on avait écrit à M.
notre Ministre à Londres. Il avait envoyé un rapport
du procureur g'énéral et du so llici teur général de
S. M. Britannique, et l'avait accompagné d'une
note.
~e rapp~rt du solliciteur généra l portait qu e, d'a pres les lOIs de ce pays, aucun étranger ne peut
posséder un héritage en biens-fonds; qu'il est confisqué au profit du Roi , d'après certaines formalités , etque, conséquemment, l'h éritier d'un étrang:r ne pe~t lui succéder dans ses propriétés foncleres;5 u Il en est aulrement quant à la propriété
moblhere; que les .lois perm ettant à un étran crer
d'aVOlr
. des b'lens mobiliers, il peut aussi les trans"
mettre.
"
"
"
»
"
»
"
"
M. Otto disait dans sa note: " Qu ant au point le
pl~s e,ssentiel , celui des propriétes fon cières, je
SULS ~Ien persuad é qu e le gouvernement anglais
ne recla~nera pas co ntre les lois rigo ureuses que
nous ferlons à cet égard , parce qu'il verrait avec
pl aisir tout ce qui peut empêcher ses sujets de
pl,:~er l,eurs capitaux en France; mais je doute
qu ~l SOIt de notre illtérêt d'établir cette réciproCite. Un grand nOlllbre de liunilles de fortune
.. moy enne, attendent avec impatience le rétab lis" sement comp let de la tranquillité sur le con tin ent
» pour all er se fix er en France; et ces familles en
" seraient détourn ées par une pareill e loi. D'a illeurs,
» la réciprocité ne serait pas exacte , par ce qu·ell e
" opposerait à une loi ang laise générale contre tout
" é tran ger, une loi spéciale contre les sujets bri" tanniques, et parce qu' ell e enleverait aux héri" Liers étrangers, d es biens-fonds qu e d'autres lois
" avaient permis à leur parens d 'acquérir. Or,
" l'a cquisition légitime sem ble emporter Je droit
de disposer de so n bieu. "
JI
C'est au mépris de toutes ces considérations répétées, renouvelées llepuis vingt ans, qu e la préférence fut accordée au syst.ème de réciprocité.
Voyons pill' quels motifs. Je les puiserai à leur source
dans le discours du conseill er d'É tat chargé de pré.
senter le premier titre du Code.
"
"
"
"
"
" Premièrement , disait-il , l'aclmission indéfinie
d es étrangers peut avoir qu elques avan tages; mais
nous ne sa l'ons que trop qu'on ne s'eu ri chit pas
toujours de la cléser tion de ses voisins, et qu·un
enn emi peut faire quelquefois des présens bien
fun estes.
" 2°. La réciprocité établie par les traités, a cet
" avantage, que les traités étant suspe ndus par la
" g uerre, chaqn e peuple devient le maître, dans
55
�( 5·4 )
ces circonstances criLiques, de preDtlre l'intérêt
du moment pour règle de sa conduite.
» 5". Pourquoi donner à nos voisins des priviy
léges qu'ils s'obtineraient à nous refuser?
" 4°· Arriveront-ils ces opulens et précieux
n étrangers, si , par leur établissement en France,
» ils devien nen t eux-mêmes étrangers il leur pall'le
n et y perdent les droits qu'ils viendraient acq uérir
<!bez nous ?
» 5°. L'abolition absolue du droit d'a ubaine,
n prononcée par l'Assem blée constituante, ne dé» cid a aucun des peuples qui n'en avaient pas eny
core traité avec nous, à changer sa législation .
En sorte que, si l'on regarde comme de l'intérêt
général des peuples de provoquer l'en lière abon Iilion de l'aubaine, il fau t, pou r ce même intérêt,
" étahlir une loi de réciprocité, parce que seule
" eUe peut amener le grand rés ultat que l'on dé»
»
u
y
y
uSITe. ))
Veuillez remarquer que le premier motif ne
touche pas à la question. Donner à des élrangers
le droit de disposer des immeubles qu'ils posskdent en France, et de recueillir ceux auxquels ils
seraient appelés par testament ou ab intestat,
ce ,,'est pas nous exposer, plus que nous ne le
sommes, à recevoir quelqu es mauvais sujets . Il en
]Jeut veni l' dans l'état actuel de notre législation.
Le changemenl propo~é ne tend pas à modifier
( 515 )
les lois de police sur J'arri,'ée et le séjour des
drangers, E ll es resteront tell es qu'ell es sont. 11
concerne ceux qui, étant déjà au torisés à résider,
voudraient acquérir des immeubles avec la certitude de les transmettre. Or ce ne sont pas des possesseurs nou vell emen t étab lis, disséminés 'Sur un
vaste territoire, et qui ne jouisse? t pas des droits
politiques, qui peuvent agiter un Etat. Ce n'est pas
la propriélé, une des mei ll eur(~s conseillères du
repos e t de l'ohéissance aux lois, qui fait de funestes présens. Si 'l uelql1es étranger3 priren t part
à nos troubles, on sail bien que ce n'étaient pas des
propriétaires, Dunkerque et Marseille ressentirentell es jamais aucun ma l de l'assimilation deS étrangers aux régnicoles? Le commerce en appelle par
milliers; seront-ils plus dangereux lorsqu 'ils seront
appelés et retenus par le so l ? Leurs terres ne serontell es pas une meilleure caution de leur c6nd uite,
qu e leurs porte-feuill es ?
Ils peuvent s'intéresser dans nos fonds publics, y
verser d'imm enses capitaux, profiter de la hausse et
de la baisse, la J~ir e peu t-être à leur très-gL'aud bénéfice : on n'a pas im aginé de le leur interdire, Ils
tran smettent leurs richesses mobilières, et l'on redouterait qu'ils pussent tl'ansmettl'e Ou recueillir des
immenbles, g'enre de pl'opriété dont les profits se
partagentavel: une fou le de gens qu'il rautemployer
et avec l'Etat qui cn l'elü'e l'impôt et s'enrichit de
�( 5JG )
l'augmentation des productions terrj tol'ia les! Un capitaliste étra nger ne paie rien à l'E tat; son revenu
est net et n'exige auclllle a vance, aucune partlclpation à accord er à des tiers. Si son capi tal aug mente
de valeur , elle est tout entière pour lui ; il en jo uit,
il la transporte par-tout. L'étrangeJ' propri éLaire
n'emportera pHS ses terres sur ses épaul es. S'il les
am éliore, il aura acheté les amélioratio ns par des
avances répandues SUl' notre so l : cen t Camilles en
~nront vécu. Si nons admettons les étrangers dans
l'achat et la dispositi on de nos rentes , où les ga ins
sont exclusifs et sans partage , pourquoi ne pas les
admettre dans l'achat et la libre disposition des
terres, où le bénéfi œ net qui leur appartiendra ne
peut être produit qu e par les bénélices préa lab les
qu 'ils seron t forcés de donuel' à tons ceux qu'ils emploieront à l'exploi t<t ti on? Ce qui était reconnu utile
en 178~)en ' 787, en 179 1, CIJ 1802, l'es t bien
plus auj ourd'hui que les t!trang-ers possédent un e
masse énorm e de rentes. Leur donn er la facu lté de
les employer en acquisi tions foncières, c'est à la
fois diminuer leur tro p grande influence sur nos
fonds publics , et f,lire passer dans les mains ues nationaux une partie de ces fonds qui y seront mieux
que dans des mains étrangères.
Voyons le second motif.
" N'accorder la snccessibilité à .-l es étrangers que
" pardes traités , a cet avantage qu e l'exécution d es
( 51 7 )
» traités n' étant pa~ perpétuelle comme celle de8
" lois, et se trouvant suspendue par la guerre, on
" a le moyen, eu cas d 'hostilités, d'exclure les
" étrangers. "
On con fond enoore ici les lois de police avec les
loi civil es, l'arrivée et le séjour des étrangers avec
la capacité de transme ttre et ue succéuer . On peut ,
sans être gêné pal- ce tte capa cité , leur ferm el', en
temps de g uerre, les rrontières; on le peut même à
certains) en temps de paix. Ceux qui ne seront pas
en France , n'y seront pas reçus pendant la g uerre;
c'es t l'usage général de tous les peuples. Ceux qui s'y
trouveront lors de la d éc bralion de g uerre, qui Y
son t ou y sero nt propriétaires, dussent-ils momentanémen t sortir , neserai en t pas, pour cela) dépouillés
de leurs propriétés . Dans l'état actuel de la législ ation ) ils peu vent, nonobstant le cas ue g uerre, acheter, posséder, vendre des biens-fonds. Quel changem ent opérera la success ibilité et la transmissibilit';
qu 'on pl'opose de leur rendre ? La g uerre ne les en
priverait pas, ne l'eussent-ils qu e pur ues traüés, dont
el le ne Caitque suspendre l'exécu tion; et quand eUe
anea ntirait les traités, ce ne sera il jamais au préj udice des droits acqu is. Si des traités avaien t accord é
la successi bilité, un e succession qui s'ouvrirai t pendant la guert'e, au profit d'un étranger, pourrait être .
seq ues trée, si toutefois les bieus des étrang'ers étaient
sequestrés; mais elle ne serait point confisquée ni
�( 519 )
( 5.8 )
atlribu ée à un h éritier régnicoleplus éloigné: car la
g uerre n'autorise point la confiscation d~s biens territoriau x des particuliers . Elle n'altère pomt non pl us
leul'sdroits de propriété , seulement elle en gêne que.l.
quefois l'exercice, par l'interruption des commumcalions.
La successibilité accordée par des lois n'a donc
pas plus d'inconvéniens pou r le cas de guerre que
celle qui est stipulée par des traités. Ni l'une ni l'autre
u'em pêchent qu'on ne prenne) à l'ég'ard des étran gers, les mesures que les hostilités peuvent eXiger.
Troisième motif : « PourquoI leur accorder
" des 3\'antages qu'ils s'obstin eraient à nous re" fuser ? " Parce qlIe , nonobstant leur refus, que
nous ne provoquons pas, puisque nous ne leur demandons rien, nous y trouvo ns notre avantage;
parce que nous n'avons pas besoin d'all er nous établir chez eux , et qu'il nous est profitable qu' ds
vienn ent chez nous.
« C'est un e illusion, s'écrie-t·on, dans le qua" trième motif, ils ne viendront pas. " S'ils ne
viennent pas, nous leur aurons ofFert un e facilit é
inutile, nous aurons fait une vain e tentative; nous
ne nous serons porté aucun préjudice, et s'ils viennent nous nous serons fait un grand bien.
« Nullement, réplique-t-on , ne les voyeZ-TOUS
" pas devenir maîtres de notre sol, exercer , dans
" leur voisinage, une immense influ ence , amener
..
"
"
"
"
à leur suite Ulle foul e de pauvres qui ne. peuvent
subsister dans leur patrie, accaparer oos proùuctiOllS, notre commerce, simuler des expéditions
<1,us uos ports, devenir enfin les dominateurs
presque exclusifs de nos terres et de nos mers! "
Si l'on a reproché aux partisans de la proposition de s'abuser par de trop riantes images, je puis,
à mon tour , accuser ses ad versaires de s'abandonner il des craintes exag'érées.
D'abord, quant aux richesses mobilières, quant
au commerce, tout le mal, s'il y en avait, serait
fait. La plupart tl es étrangers ont les mêmes droits
qu e nous pour la lib re disposition et la transmission des meubl es et des rentes. Ils peuvent contracter des sociétés dans nos villes, y former des établissemens, et si l'Oll voulait restreindre le nombre
cle ces établissemens, la loi sollicitée n'y ferait aucun obstacle. P resqu e toutes les objections sont à
côté de la qu es tion et ne la touchent p~s. Il ne s'agit
point d'accorder à tout étranger le droit de s'é tablir en France sans l'autorisa tion du Go uvern ement.
il s'agit de donn er à ceux qui y sont ou seront éta~
blis avec celle autorisation, qui ont acheté ou acheteront des terres, tous les droits d'une entière et
pleine propriété. Jl s'ilgit, à présent que les évènemens , peut-être plus encore que les proD'rès de la
ci"ilis3tion , nous ont mêlés davantage'" avec les
autres nations, ont donné lieu à plusieurs mariages,
�( 520 )
( 5n )
de ne pas rompre les liens et les droits de la parenté) de ne pas excl ure l'héritier légitime, sous le
prétexte qu'il n'est pas Français. En est-il moins le
fils ou le descendant d'un Francais
, ou d'une Wançaise (Ir
Il ne s'agit pas non plus de déroger aux lois maritimes sur l'armement ou sur l'expédition des navires. On ne demande pour les étrangers ni les
droils politiques ni aucun des aulres droits qui sont
mais uniexclusivement réservés à des Francais,
,
quement le droit nalurel de dispo~er à cause de
mort et de succéder . J e dis naturel, sans entendre
toucher à la question , inutile ici, desavoirsi la transmission par mort et la successibilité ne sont que des
(1 ) On a déd uit un e obj ection des mariages plus nombreux
qui pourraient se contracter cn lre Français ct étrangers. IL
faudra, a-t-on dit, en r égler les effets. Où serait la difficulté
que la loi sollicitée p01l1' l'abolition du droit d'aubaine co ntînt qu elques dispositions à ccl égu rd, si elles êtaient néces·
saires? Mais comme Lou t est r églé à présent sous le principe
de la 'réciprocité, il me semble que Lou t le sera par la seule
abolition de ce principe.
En effet J lorsq u'un étranger a mai.ntenant des droits à une
succession ouv er te en 'France, ou di spose des lJien s q u' il y
possède, les tribunaux r echer chent, d'après lrs artides 1:l6
et 9"2 du Code Civil, tes traités qui exislent avec le pays
de cet étranger, et ils le ju~ent ù'après ces traités .
l.orsqne l'a bolitioo sera prononcée. il s j ugeron t les héritiers ct les testateurs elrangers d'a près notre loi commLlne et
co mme ils jugeraient des h i:!ri ti er s et d es tes tateurs français;
toule différence éta nt t-ffacée J il ue M"ra pas besoin de faire de
loi ou de disposition particulière.
Mais, dit-oD, les hérili ers'françai'\ ne succéderont pas aux
immeubles délaissél par lew', pareos dans certains pays, tandis que les héritiers élra ngers recueilleront les i UHD tubles situés
en France. Cela est vrai, mnis cela est indifferen t pour l'État,
si l'aboli ti on de la réciprocité lui p" ofi te, Cela es t m ême indifférent aux particuliers, en ce qu e, lorsqu'ils con tracteront
de ees mariages mi - partis, ils conn attron t quels en 6eront
!es r ésultats, et les différences que les lois des deux pays mcl~
tent dans la manière de succéde r. C'est leur aifaire de tout
peser et de calcu ler leurs intérèls; personne ne peut en être
meilleur juge qu'eux-m êmes.
Avant qu e 110US eusr::ions établ i l'uniformité de législation,
n'éprouviolls-nous pas la même chose lorsque deux personnes
habitant dans d es pays de coutumes diverses. ou dans des pays
coutumiers et des pllyS de droit ecrit se mariaient? N'y ilvai til pas, pOUl' eux. et leurs paren!;, tIcs différences de succéder, des
exclusions et des avantages, sui"ant que les biens qui leur
appartenaient ou uuxquels ils etaien t arpcl~J étaien t si tu es
dans tell e ou tcll e co utum e? Ici, l'on ne succédait qu'aux llCquéls; là, aux propres el aux ncqu ~t s; ici, il Y avait des
préciput s; ailleurs, il n'yen 8\'ait point. Avait... on imagine
d'établîr la r~cîprocité d'UIie province à l'autre" Non, sans
doute, on se reglait par la loi de chaque province. On S~ réglera à présent comme un l'n,'ait rait depuis 1787 pour l'Angleterre, et depuis 1790 pOUl' tous los pays, pi11')a loi (le c11aque Etal où les biens sel'ont situés. Cela ne presrnte ni embarrils, ni inconvénient réel.
�( 522 )
droits civils, Quelque opinion qu'on aità cet égard,
on Ile peut disconvenir qne ces dellx choses sont
une suite de la propriété etde la parenté qui, toutes
les deux, out leur premier fondement dans la nature; et que , si le droit civil a donné le dl'oit de
tester et de recueillir ab intestat, il n'a fait que reco nnaître et consacrer les droits bien antérieurs de
la propriété et ceux des filmiUes.
Pour ce qui es t d e J'influence que de grands propriétaires pourraient ob tenir , sera-t-elle si prompte,
sera-t-elle aussi puissa nte, aussi dangereuse qu'on
la craint? Auront-ils intérêt à corrompre l'esprit
public dans un pays qll'ils auront cboisi pOllr leur
établissement et daus lequel si quelque mo uvemen t
ven nit à s'élever , ils ser;uen t les premiers signal és
etles prem iers comprom is? Quand ils le voudraient,
pourraient-ils troubl er la tranquillité? Que seraient
quelques centaines de propriétaires répa ndus sur
le ,'aste territoire de la France? Dans un pays de
mœurs moins douces, je craindrais bien plus, pour
eux, les préventions nationales que leur crédit, S'ils
en acquièrent, ce sera par leur bonneconduile, par
les exemples de bonne culture et dé perfec tionnement qu'ils donneront, Ce tte iufluence loin d'être
redoutable est sa lutaire, La comm unica tion, le
mdan ge des peu pl es en tr'eux , a ton jours eu plus
d'av;lntages que d'in conve niens, Ell e adoll cit les
mœurs, elle prqpage les lumières, Les mœurs les
( 523 )
plus douces , les lumières les plus vraies prévalent.
Le petit nom bre ne tarde pas à se con form ~r aux
manièl'es et à l'espril du plus graml. Nos h ablludes,
nos gOClts, nos mœurs pénètrent même, chez les
é trangers et sur leur sol, comment pourr,lOns-nous
craindre qu'ils altérassen t ou corrompissent les
nôtres d aus notre propre territoire, et que nous
cessassions d'être Français pal'ce qu e qu elques étran' de nous,?
gers s'é tabliraien t au ml'l leu
Unç craiute plus ch imérique encore , est ceUe de
voir à leur suite un e foule d'ouvriers et de paysa ns
qui en leveraient aux nôtres le travail qui leur est
destin é, et nous surcbargeraient d'une parhe de
ce lte population pam're, fléau de l'A ngleterre, O~
tre qu'il n'est pas perm is d e supposer que l'Aol(lalS
qui emploiera ses capitaux à l'achat d',u~e terr ~ ou
à l'établissemen t d'un e manufacture, lomdra a un
maître d'œurre ou à un chef d'a teli er, qu'il aOlénera peut-être ) une co lon ie qu',il, lui ~audratl so utenir , je répéterai qu e la propoSlllOn n emporte aucune dérogation aux lois de police relatives aux
étranO'ers, que les prolétaires ne trouveront pas
plus de facilité à venir qu'ils n'en on t à présent;
ue ce n'est pas' de ce ux qui n'ont rien et auxquels
France n'offre aucune attrait, que nous nous occupons, mais de ceux qui on t des successions à laiSser ou à recueillir,
En un , cinquième et dernier motif; " après les
G
�(
~b4
)
" décrets de l'Assemblée constitll ant e, les ét"angel's
" ne s'empressèrent pas d'imiter l'e xemple de phi" lanthropie que nons avions donné. Si l'abolition
" de l'aubaine est un si grand bien , c'est par la ré" ciprocité qu'il faut y provoquer . Elle a fait aban" donner le droit d'a un'line dans un grand nombre
" de pays; l'abolitio'l) sans réciprocité n'a eu aucun
" elI'el. EUe n'est donc pas bonne; peut-être même
" si nous la renouvelons. loi n d'être imitée, feran t-eU e rétracter les abolitions convenues. "
Je répon ds que ce tte rétracta tion n'aura pas lieu)
car les décrets de ' 790 et de 179 ', pendant les
douze ans qu'ils conservèrent leur force, ne produisir ent pas cet elI'el. J e réponds que) quand le retour
il ces décrets viendrai t à 1e prod uire, nous devons
y être indilI'érens; car ce n'es t pas pou r que nos
concitoyens aillent s'étabür ailleurs qu e nous abolirons l'aubaine, c'est pour que des étrangers viennent chez nous} et qu'y trouvant tous les avantages
dont ils jouissent daus leur pntrie} il. s'a ttach(~nt à
la nôtre. Vabolition est bonne est juste en soi; mais
ce n'est pas pOlir eux , par amo ur de la justice et
de J'bumanité que nous nous y (léterll1in erons ,
c'est pour notre ava ntage. Si nous nous trompons
tIans nos espérances, si nous n'en recueilloos pas
tous les frui ts que J'on prétend qu e nous nous exagérons, nous aurons touj ours aholi un droit to ndamn é par la raison. Si c'est sans profit, ce sera
( 525 )
sans domm age, et nous aurons gagné d'épurer notre
léo.... islation des restes d'une coutume barbare, et ,
comme le dit Montesquieu, insensée.
J'ai réfute, ce me semble , les motifs qui furent
d onn és à l'article 11 du Code Civil. Jl Ill e reste à
répondre à qu elques objections qui sonl venues s'y
joindre.
" A 1.. bonne heure, dit-on, qu'on eût pu , en
,. 1803 , ne pas abroger par une disposition conn traire, les lettres patentes dUl8 janv ier ' 78 7 ,les
.. d écrets de '790 et ,le 179 ' , mais à présen t c'es t
.. chose faite. Irez-vous toucber à ce corps d e lois
" qui , malgré un très-petit nombre de détracteurs,
" jouitd'un eestime générale ? Introduirez-vous ùans
" la législation une versatilité qui , s'exerçant au" jourd'hui Sur une di~pusiLion , s'exercera demain
u sur une autre , et qui excite au désir des changen mens tous ceux qui peuvent y entrevoir qu elque
" avantage pour leurs intérêts ? "
Je ne doute pas que notre Code Civil, malgré
quelques imperfections in évitab les dans tous les ounages des hommes, ne so it le meilleur qui jama is
ait été publié. J'en attribue moins l'honneur à ses
quatre estimabl es rédacteurs et aux ,discussions profondes qui le préparèrent, qu'a ux immenses et riches matériaux que fourni ssaient le Jroit romain ,
les ol'donnances de nos Rois, la jurisprudence des
parleJlleus et les traités de nos jurisconsultes . Mais
�( 526 )
quelque pad:.it qu'il so it , avec qu elqu e npp,'éhension et quelque réserve qu'on doive y tou cher , encore ne faut-il pas être l'etenu par un respect superstitieux, et se refuser à un amendement é"idemment
utile.
En général , on ne doit pas revenir sur les lois.
Mais une grande différence est il r econnaître ~~tre
les lois politiques et les lois civiles. Les pl'emleres
ayant des racines prolondes et qui tiennent à tout
l'ordre social, il vaut mieux les observer avec leurs
défauts que de les changer. Les autres étantd'une
moindre importance peuvent être , Je ne d,s pas
plus mobiles, mais moins inalt érabl es ; les unes sont,
en quelqu e sorte, inviol abl es et sa.crées, elles dOL:
vent avoir la stabilité de la conslLtutwn socLa le a
laqu elle elles appartiennent; lesautres, relatives à
des intérêts privés , peuvent varLer avec eux, lorsqu'il y en a une raiso~, ~ t un ~ utilité évi~l ~nte, s~r
tout lorsque cette uttl,le s; h e à, un mteret, pub11:.
Rema rquons de plus qu tl ne s agit pas d une veritable innovation. Ce qu e l'on propose c'est le retou r à la disposition des décrets de 1790 et de 17';) 1
pour tou tes les nali ons, et il ln dLSposluon des
lettres patentes de 1787, il l'ég'ard Je l'Augleterre.
Ce que l'on demande, c'est la p~éférenc~ pour une
léo-islation quifut récemmen t SLHVle pendan t dou ze
o
"
et seize ann ées , sans qu'on en r essent,t aucun p re judice , sur un e législation qui n'a pas plus de temps,
( 52 7 )
et qui nous est Iluisihle Cil écartant les étrangers ,
en les éloignant de porter sur nos terres les millions
qu'ils ont dans nos la nds publics, et pour lesquels
il serait si avantageux de leur ouvrir ce tle issue.
« Mais qu el bouleversement ne va-t-on pas faire
" dans le CQde! Ce n' est pas seulement J'articl e 1 l
" qu'il faudra elFacer, ce sont les articles 726 et
" 9 12 ! » Ne nous laissons pas effrayer par la prétendue grandeur de celte réform e: les trois dispositions ne sont que la même qui est répétée l'elativement à chaque matière. L'art. I l pose le principe
de la réciprocité pour les droits civils en général.
L'article 726 applique ce.principe à l'étranger qui
serait appel é à recueiJJir une succession par les liens
du sa ng et ab intestat. L"lrticle 912 concerne
l'étranger appelé par la volonté d'un testateur ou
d'un donataire: en sorte qu'il n'es t besoin qu e
d'une seule disposition pour co rriger les trois articles qui ne donnent eux-mêmes qu' une seule règle,
la réciprocité.
" Mais si les étrangers désirent de venir chez
" nous , un e voie leur es t ouverte, cell e de la na" turalisa tion. Pourquoi, s'ils la dédaig nent , leur
)) en ouvrir un e autre? ))
D'abord parce qu e la privation des droits civils
et l'inca pacité de succéder el de disposer à cause
cle mort, sont un e injustice et un mal. Ne pouvoir
di sposer à cause de mort de ce qu'o n possède et de
�( 528 )
ce qu 'on peut vendre de SO Il vivant , es t uue Lizarrerie, c'est nn attentat à la propriété. Ne pouvoir
recueillir les biens au xqu els o n est appelé par le
sang, c'est un attentat a ux lois de la parentoi . La
naturalisa tion serait , j'e n conviens , un remède.
Mais iL vaut mieux exLlrper ce mal et préserver
d'uu e injustice, que de renvoyer à l' usag'e d' un
remède.
En second lieu , cet usage a ses difficultés d ans
les formes à suivre pour se le procurer, et da us ses
conséq uences pour celui qui y. recour t. On peut
êtl'e propriétaire en plusieurs E tats, on n'est suj et
q ue d'uD seul ; on n'a qu' une patrie. Quelqu'a ttrait
qu'on éprouve pour un pays, on ne ve ut pas, de
premier abord , et parce q u'on y deviendra proprié taire , renoncer à celui où ou a pris naissance,
à sun Roi , il ses droits politiq ues et à la successi• bi lité, si , dans le pays qu'on aban donnerait par la
natura lisation , ell e est refusée a ux étrangers . Avant
de se faire naturaliser , il fa ut essayer de la résidence dans le pays où l'on acquiert ; il fa ut prendre
des arrangemens pour ses affaires dans celui qu e
l'on quitte. De premier abord, la naturalisation
r épugne, elle a ses embarras. C'est cet obs tacle
qu' il est utile d'apla nir; elle n'in vite pas suffisammen t les étrangers. Il faut qu'ellc ne soit pas plus
obl ig'ée pou r tes ter et r ecueillir, qu'elle ne l'est pour
acheter, posséder et vendre.
( 529 )
Oui , c'est une voie d e p l uS t1 éjà ouverte en 178 7,
en, 179 0 , en 1~91 , que l'on l'eu t rouvri r, parce
qu elle est plus sImple, plus facile que celle de la
na~ura lisa tion, qui a existé de tous les Lemps , et
qUl ne condUIt pas si bien ct si tôt au but qu'on
veut atteindre.
Avant l es éJits sur la franchise de Dunkerque et
d e Marseille, des étrangers pouvaient s'y établir en
se fais ant naturaliser ; mais ce n'é tait pas assez: on
les appela par la franchise. Ce qu'on fit avec succès
pour ces deux villes, on propose de le faire pour
toute la France. Les étrangers qui y vivent francs y
mourront /rancs; leurs pa rens, bien qu'é trangers,
leur s uccéderont , et ne se verront pas préférer , ou
le fisc, sous le prétexte d' un e fausse deshérence, ou
des parens fran çais plus éloig nés.
Le Code, en prenant les traités pour base des
droits des étrangers , a mal à propos mêlé le droit
pulitique a ec le droit civil, a condamn é les tribu..
naux à c?nsulter soixante-dix-huit lettres patentes
rendues a toutes les dates, et cinqu ante-neuf traités
ou conventions , signés à diverses époques d epuis
1540 jusqu'à ces derniers temps. Il n'y a 'pas une
d e ces lettres qui r essemble aux autres, et les traités
d e la diplomatie sont aussi divers que le sont les
l.oi~ civi l ~. Voilà le doidale dont la jurisprud ence
etaIt sortie par le décret du 8 avril 179 1, et dans
lequel l'a r ejetée l'article 11 du Code Civil.
34
�( 550 )
Ce que les décrets de 1790 el 1791 avaient manifesté de disposiLions bienveillantes et généreuses à
l'égard des étrangers, n'était que J'exécution pure
et simple des vues que, peu d'aunées auparavant)
une politique éclairée et sincèrement libérale avait
inspirées au Conseil du Roi. Les promesses de l'Assemhlée constituan te à cet égard n'on t pas élé stabIes. De nou velles r ègles) rigoureuses dans leur
objet, difficiles dans leur <'pplication , sont veuues
remplacer une législation simple) évitlen te et juste,
suus les auspices de lalJuelle des liens de famille,
des établissemens utiles et des associallons d'intérêts
de tous genres étaient formés et se formeront en
biell plus grand nombre, s'il plaît au Roi de la
rétablir.
Enlin, et pour résumer ce rapport, dont j'espère que vous excu~erez la long ueur , il ca nse de
j'importance et de l'intérêt de la matière, en nous
dérentlant de nous livrer à ce qll'on appelle l'idéal
du projet, en nOlis défiant éga lem ent de l'espérance
des grands avantages qu e les uns attendent de la
suppression entière du droit d'aubaine, et de la
crainte des maux que les autres en voient sortir,
demandons·nolls ce qui arrivera si notre législation
est ramenée aux dispositions des lires paten tes de
177 8 , et des décrets des6 août 1790 et 8 avril 179 1?
Nous aurons, sans aucun préjudice réel, effacé de
notre Code une disposition injuste qu'on ne peut
( 551 )
dérendre que par un principe de réciprocité qui
n'est ici qu 'un droit de représailles dont nous meuacons, en vain, des gens qui ne les craignent pas,
et qui les désirent; des représailles qui retombent
sur nOliS, car elles écartent de la France beaucoup
d'acquéreurs étrangers; elles leur ferment un grand
débouché pour les immenses capitaux qu'ils possèdent dans nos fonds. En un mot, la disposition
qu'il s'agit de faire tomber ne nous donne aucun
profit, elle nous en ôte, et son abrogation peut
nous procurer de grands avantages.
Par ces motifs, la Commis~ion est d'avis, à la
majorité, que la résolution de la Chambre des
Pairs doit être adoptée.
RESUME
Fait ft la Chambre des Députés, dans le comité
secret du 17 mars 1819, sur l'examen d'une
résolution de la Chambre des Pairs, tendant à
l'entière abolition du droit d'aubaine et de détraction.
Les objections faites contre la proposition sur
laquelle vous avez à délibérer, peuvent, la plupart)
se renfermer dans trois assertions principales.
�( 532 )
La réciprocité est le principe de tau te bonne Mgislation.
Nous ne gagnerions rien à abandonner ce principe, au contraire, nous y perdrions.
Nous toucberions à notre Code Civil; ce qu'il
ne faudrait pas faire ; même pour se procurer des
avantages moins incertains que ceux don t on se
berce.
Je m'occuperai , d'abord , de cette derni ère objection; car, si réformer une disposition du Code
est une chose dont il faudrait s'abstenir, nous
sommes arrêtés par une fin de non-recevoi r ; et si
elle ne peut être éca rtée, il es t superflu d'entrer
dans l'examen de la question au fond. Je considérerai donc l'immutabilité dont on veut environner
le Code] d'abord en général] ensuite dans le cas
particulier.
Je souscris à tous les éloges donn és à notre Code
Civil. Je reconnais que , même lorsqu'il en mériterait moins, il ne faudrait pas y apporter légèrement
des altérations, à moins d'une g-rande utilité; mais
on devra convenir aussi qu e le droit civil ne réglant
-que les intérêts privés, il est moins dang'ereux d'y
tou cher qu'au droit politique sur lequel se funde
l'intérêt public, Pour juger cette question , il ne
faut que se demander quel sera l'elfet d' un chan,gement si une loi civile est attaquée ou modifiée?
Les jurisconsultes, les magistrats, les gens d'alI'aires
( 533 )
seuls s'en occuperont'; le publi.c y restera indilférent. Mais qu'il s'agisse d'une loi constitution nelle
chacun es t en émoi, empressé de la défendre ou de
l'a ttaquer, a u moins d'apprendre qu el sera l'évènement. Ce ne sont pas quelqu es opinions qui s'entrechoquent, ce sont des partis; nous en avons un
exemple frappant sous les yeux.
Quoi q1ù1 en soit, notre législation ancienne,
qui n'était pas mauvaise puisqu'e lle a fourni la meilleure partie de ce nouvea u Code, qu e l'on vante
avec tant de raison , était pleine de déclar ations,
d'édits révoca toires ou interprétatifs les uns des
autres. On n'entrevoit tant de difficultés à corriger
un e disposition du Code, que parce qu'on regarde
le recueil des lois dont il est form é, comme un seul
corps indivisible , mais anse trompe. Quoiqu'il n'y
ait qu'uu volume, il ya trente-six lois. Pour la facilité des citations , il n'y a qu'une série d'articles,
mais ces articles n'ont la plupart du temps de relations entr'eux. CJue dans le titre de la loi donl ils
font partie. Notre Code est cOlllme le Code. de·J ustinien, comme le Digeste] comme le recueil de nos
coutumes, une collection tle lois sur toutes les matières du droit civil. Cela est si vrai , que les trentesix titres qui le composent , ont été présentés, disclltés à par t , et promulg ués sous diverses dates. Il
n'est don c pas vrai qu'on ne puisse changer une
disposition sans les ébran ler tOlites. Je voudrais bien
�( 534 )
savoir ce qu'a de commun le titre de la jouissance
des droits civils, avec celui des servitudes ou celui
des hypothèques, et ainsi des autres; et si, en supprimant le titre du divorce, nous avons ébranlé
toute notre législation civile?
N'exagérons donc pas les difficultés. Respectons
nos lois, mais d'un respect éclairé; ne les. changeons
pas légèrement, mais changeons les plutôt q.ue de
ne. pas les ramener à ce qui est évidemment plus
raISonnable, plus avantageux, à ce que les circonstances réclament.
Dans le cas particulier , le chuDgemen t proposé
D'est point une innovation proprement dite, c'est
le retour à notre législation antérieure et même récente. Un des orateurs qui m'a combattu avecl'avantage que lui donne son zèle pour le Code dont il requiert journellement l'exécution, a beaucoup vAnté
les hommes qui firent abroger cette législation . Leur
autorité estsansdouteimposanteo Je l'avais reconDU,
et qui, plus que moi, peut se plaire à admirer Je
bea~ travail de celui à qui l'amitié , encore plus que
les "ens du sang, m'unissaient si étroitement? Mais
s'il ne fallait opposer que des noms à des Doms,
dans une question de la nature de celle-ci, des
publicistes, des hommes d'État, Grotius, Montesquieu J Wolf, Vatel , deRaineval, M. Necker, M. de
Vergennes balanceraient les rédacteurs du Code
et les rapporteurs dll conseil d'État, quelque res:
( 555 )
pectables qu'ils puisseQt être. Aux procè~-verb~ux
du conseil de Bonaparte J j'oppose les resolullons
du conseil de Louis XVI, les archives des affaires
étrangères; et aux décrets du Corps législatif,
les décrr.ts de l'Assemblée constituante.
Le rapport dans lequel l'oraleur que je viens de
désigner a puisé un e partie de ses argumens, est ~e
thermidor an go Il était connu lorsqu,e, le 25 f~l
maire an 10, le Tribunat, au nom dune commlSsion dont j'étais aussi le rapporteur, car je n'aurai
pas la présomption de citer mon a~is pers?nnel,
déclarait que l'opinion de l'Assemblee c~nstlluan~e
était de beaucoup préférable; que le systeme de r~
ciprocité adopté dans le projet de loi, et auquel 11
reconnaissait d'abord une grande apparence de
justice et de raison, ne convenait pas à notre situation.
Il est vrai que le Tribunat, en se prouon.çant
con tre la réciprocité , n' en faisait pas un mohf de
rejet. Il supposait que le Gouvernement avaIt apparemment quelque raison politique qu'on ne savalt
pas, et qu'il ne pouvait pas Faire connaître au ~lW
ment. Il n'en est pas moins constant que le Tribunat n'adoptait pas le principe de la réciprocité, et
~u'il ne fut admis que deux ans après, en 1803,
lorsque le Tribunat eu t ét.! affaibli par la perte de
plusieurs de ses membres. Il n'est pas ,lonoi,ns nai
que ce principe ne prévalut que lorsqu il n y avaIt
�( 556 )
( 557 )
pIns de lfiscussion sérieuse qu'entre les comités du
Tribunat et ceux du Conseil d'É tat, et lorsque
Bonaparte, croissant en puissa nce, croissait en prt:tenlLon, et voulait la réciprocité comme une chose
qu'il r egardait bien plus comme lui étant due , que
nécessaire ou utile à la France. En effet, M. Treilhard, orateur du Conseil d'É tat au Corps législatif,
en 1805, n'y donna pas un motif qui ne fut extrait
du rapport fait en 1811, au Conseil d'État, par
111. Rœderer, rapport qui , à celte époque, n'avait
pas entraîné l'assentiment du Tribunat.
Je crois avoir réfuté dans· mon rapport chacun
des motifs de l'article Il du Code, dans la loi du
8 mars 1 ~05 J qui en forme le premier titre ; je n'y
reVl.endral pas . .Mais à présent qu e je vous ai rappele, que le decret r endu par l'Assemblée constituante) le 8 avrill791, et qu'il s'a"'it de faire revivre
,..
l'
b
)
1) etmt que
application généralement prononcée à
l'égar.d de tous les peuples) des lettres pa ten tes
d.o~nee~, en 1787, eu faveur des Anglais; que la
leglslahon de 1805, qui n'a qu e seize ans d'ancienneté '. en a abrogé une aussi ancienne; que , par
c~ns:quent, ~e. n'est pas un désir d'innover qui a
dicte la propositIOn accueillie dans l'autre Chambre
mais la conviction que le Code Civil nous avait e~
ceci, fait retrogradel', et nous avait privés des a:anLages qu'une législation plus politique et plus éclail'eenous promettait, j'examinerai queUe est la force
de la base sur laquelle le Coele s'est appuyé: la réciprocité.
La réciprocité, a dit un des préopinans, est de
droit naturel. Elle est de droit naturel comme les
représailles. Elle est d e droit naturel, si elle est u~
moyen de défens e; mais eUe n'est ni naturelle, n~
raisonnable, si elle ne repousse aucun mal, et SI
elle nOlis en fait.
Un autre a dit qu'elle est lIne suite de ce princ ipe : N e fais p as à autrui ce q~e . tu n~ ~oudr~i~
pas qu'on te fit à toi-même. MalS 11 n.e s 11gtt pas lCl
d'un préjudice auquel nous ne voudrIOns pas nous
exposer . Il s'agit, au contraire, de nous rrocu~er
des avantages que nous atteindrons, que lon SUlve
ou non nolre p-xempl e, et qui même n'en seroutque
plus grands si on ne l'imite pas.
Si l'on disait que nous nous trompons dans les
avantages qu e nous espérons, qu'au li eu d'en r ecueillir lIOUS nOllS préparons des préjudices , Je le
co ncevrais. Mais que l'on pose en principe que la
r éciprocité doit être la base de toutes les lois qui
peuvent concerner les étrangers, je n~ le comprends pas. Dans les traités mêmes. qUl sont des
contrats commutatifs, la réciprocité est souven t
imparfaite , quelqu efois nulle sur ~ertains o.bjets.
Mais lorsqu'on ne trai te pas, lorsqu on ne fatt pas
de conventions J lorsqu'on statu e sur ses propres
affaires et dans .son inlérieur, ou n'examine pas ce
�( !l38 )
que font les autres, on ne consulte que son intérêt:
et, s'il est d'appeler des étrangers, on les appelle
sans s'embarrasser de savoir s'ils nous ferment leurs
portes. Cela est évident.
J'ajouterai que la réciprocité est si peu à considérer dans ce cas, que déjà, dans la matière même
dont il s'agit, nous nous en sommes écartés en plusieurs points, C'est le dernier pas qu'on nous conteste,
.En effet, nOlis permettons aux étrangers d'acheter
et de posséder en France des pro prié tes foncières;
les Anglais ne le permettent pas.
Chez ks Anglais, le fils d'un étranger, s'il naît
il n'est Francais
chez
en Angleterre, est An.,.lais;
o
,
nous que si, à sa majorité, il déclare vouloir l'être.
Chez nous l'étranger, par sa seule résidence autorisée, jouit des droits civils; il n'en jouit point en
Ang·leterre.
Qu'est-ce donc que Je prin cipe de réciprocité auquel on veut que nous nous attachions, et dont nOlis
nous sommes départis tant de fois, lorsque nOlis
avons ouvert des ports francs) ou appelé en masse
des ouvriers et des artistes ? Qu'est-ce qu'un principe qui est entamé par tant d'exceptions et dont il
ne reste qu'un lambeau ? ce lambeau n'es t pas meil1~llr à. cOllserv~r (lue tout ce que nous en avons déjà
separe el re/ete.
C'est ici le vérilable puint de la con lestation a
( 53 9 )
éclaircir, car il importe peu que le Code Civil ait
adopté la réciprocité. Si elle nous est désavantageuse, nous pouvons, nous devons y renoncer,
Elle avait paru telle au cabinet, au conseil de
Louis XVI , et à l'Assemblée constituante. On. .y
avait pensé unanimement dans l'un, pr~squ: generalement dans l'autre) que nous gagnerlOns a favoriser par tous les moyens l'établissemells des ~n
glais en l'rance. La force des ~otifs ~ui triomphaient
alors est maintenant accrue d une circonstance que
j'avais fait valoir, et à laquelle les hon~rab.les me~
bres qui m'ont combattu n'ont pas fait, a ce qu Il
me semble, assez d'attention.
I.es étr3ugers , les Anglais entr'autres, possèdent
une grande partie de notre delte publique. EncouraO'er l'emploi qu'ils en feraient en achats de bJen~
fo~ds) serait un moyen puissant de la faITe sortlr
de leurs mains, de lenr en lever les pl'Ofits de l~
hausse et de la baisse, dans laqu elle ils peuvent SI
uissammen t influer, au préj udice de nos
capila.
P ,
listes et de n'o lre crédit public. Celte C1rco.ns~anc.e
me parait si grave, qu'à elle seu le je la crOIraiS de~
cisive. Elle ajoute un poids immense aux molIrs qU!
avaient décidé, etM. Necker et l\I. de Vergennes,
et l'Assemblée constituante.
Les avantages de la supression du droit d'a~~ine
ne sout donc pas dopleux : voyons les lOconveruens
•
�( 540 )
pa~ lesquels on prétend les co uvrir et même les détrUire.
, ~'abord s.i les étr,mgers viennent en gTande quanlIte, on craInt qu'ils n'influent sur nos mœurs sur
t
'
,
no re caractere, S Ul' notre esprit public; on craint
que nous ne devenions Anglais. Le devînmes-nous
lorsqu'ils possédaien t la Guienne et une partie de
nos provinces? ~ùmes.nous jamais plus Français?
,Nous ~evlendrlOns Anglais parce que mille, deux
~I,llIe '. dIX mIlle Anglais, si l'on veut, viendraient
s etablir chez nous et vo ud raient être, sino n naturels, français, du moins propriétaires en France, y
JOUIr des douceurs de notre climat, de celle de nos
mœurs, de l'abondance et du prix modéré de nos
productions! Nous deviendrions Anglais, parce que
quelques-nns d'eux se marieraient chez nous ou
que nous épouser,i~ns leurs filles ? N'est-ce pas Je
grand nombre qUI Influe toujours sur le plus petit?
Le,s Tartares vainqueurs ont pris les mœurs des
ChInoIs; et nous redouterions que quelques Anglais
nous dommassent, je dis quelques, parce que dans
tel nombre qu'on les suppose , ils seront perdu~ dans
une, populatIon de 28 millions d'habitans. Cette
cramte ne sera pas avouée par l'orgueil national
elle ne l'est pas même par la raison,
'
Mais,,, cet orgueil , n'est-il pas humilié par l'ap" pel que nous leur ferons ? Sommes-nous donc si
" pauvres que nous soyons obligés de mendier
( 541 )
" leurs capitaux? " C'est, au contraire , parce que
nous sommes riches du plus beau territoire de l'Europe que nous l'ouvrirons à ceux qui voudront y
acquérir, Qnand nous appelons des capitaux, nous
ne mendions pas, nous faisons ce que font, chacun
selon ses convenances, tous les gouvernemens éclairés. Il n'y a que ceux qui ne le 60nt pas qui ferment
leurs portes, Ol! ceux qui, tels que les Anglais, ont
, des lois politiques exclusives des étrangers et un
terri toire qlli leur suffit il peine,
A présent, a demandé un des préopinans, que
notre nouvelle Constitution fonde les droits politiqu~s sur la , propriét~, n'y a~t-il pas, ~u, da~ger à
in VIter les etrangers a devemr proprletall'es, Non,
parce que la propriété seule ne d,onnep,as, comme
dans les pays Ol! règne encore la feodal!te, les drOIts
politiques. Il faut tout premièrement être ~it~yen
rrancais. Notre Code Civil et uos 10lS conSL'ltu tlOnnelI;s séparen t avec soin ces deux sortes de droits,
La loi sollicitée n'attribuera point les droits politiques qui ne peuvent résulter, les uns, que de la naturalité, et les autres plus éminens, des lettres de
graude naturalisation.
Mais, " n'avons-nous pas à redouter que nos plus
» riches propriétés, nos forêts, nos vignobles, nos
" oliviers, ne passent dans les mains des étrang'ers?
» Voulons-nous devenir des ilotes ? Serons-nous ,
" COlUme le Portugal, une colonie anglaise ? » On
�( 542 )
a senti l'exag'é~ation où l'on tombait; et pour la colorer, on a dIt que c'est par les extrêmes conséquences que l'on J'uge ùe la, bonte', d' un prmclpe.
"
~on, les ,extrêmes conséquences, lorsqu'e lles parVlenn~nt a des suppositions impossibles, ne prouve~t rien;, elles ne produisent et n'opposent que de
"aIns fan tomes,
, Ce n'est p~s la possession de quelques vignobles
d Oporto ~Ul ont mis le Portugal sous le joug des
AnglaiS, c est le commerce de ce pays dont ils se
sont en?a,ré~; ce s~nt les avantages qu'ils s'y sont
procures,
a 1excIuslOn des autres nations lpar
. ,
eds
trmtes que nous ne ferons pas, Comparer la France
avec ~e Portugal, sous tous les rapports) c'est nous
rapetiSser beaucoup, et puiser un fntile argument
dan~ on l'approche,~ent qui n'a rien de juste.
L Angleterre ~,n tlere ne serai t pas assez riche pour
acheter la mO Itie de notre territoire, Les facilités
que nous voulons donner à ses habitans en appelleront sans doute; mais croit-on que l'AnO'lelerre va
se dépeupler et passer en ma~se le détroi~? Croît-on
que,. ces .lords opulens, si fi ers " avec raisoo d u rang
q,u Ils lienoenl, el de leurs immenses possessions
vIendront en acquérir d'éga les en France? Le;
grands seigneurs resteront chez eux, ils nous visitent, Ils voyagent chez nous et ne s'y fixent p'
C
"
as.
eux ~Ul ,vlenclro~t ~on t des capitalistes ayant des
emplOIS d argent a faIre, et qui les feront en achats
( 5q5 )
de terre avec pins d'avantage que ùans lenr île, C'est
unc qualltité Je familles qui, trouvant à vivre plus
facilement en France, y acheteront ùes propriétés
moyenues, La quantité que la loi appellera, nous
sera utile, soit par leur résideuce et leurs consommations, soit par leurs acquisitions. Elle ne nous
fera ,lUc un tort, parce qu'il est impossible qu'elle
soil assez grande. Quand il arriverait que qllelquesuns d'eux acheteraient pour ne pasrésiJer, que nous
importe qu'ils consommassent tn Angleterre le revenu qu'ils tireraient de France? Ce revenu aurait
son équivalent dans l'intérêt qu'ils auraient payé aux
vend eurs français. 11 serait charge à notre profit des
frais de change nécessaires pour le faire passer hors
du royaume, des contributions que nous aurions
perçues, <les frais d'exploitation qui seraient restés
en France. L'a bsence des propriétaires n'est nuisible que lorsqu'ell e est presque généra le. Elle est
insensible et sans effet, lorsqu'un propriétaire sur
mille est absent, et il n'est pas même possible de
supposer cette proportion. D'abord, parce que tous
1es propriétaires étrangers, en quelque nombre qu'ils
puissent être, seront à peine aperçus dans la foule
des propri étaires fran çais, Ensuite, parce que plus
des trois quarts des propriélairesétrangers n'auront
pas acheté pour ne pas r ésider. Outre l'intérêt qui
appelle puissamment à la r ésidence) l'étranger y sera
plus fortement déterminé. On n'achète loin de soi,
�( 544 )
( 545 )
et dans un pays qui n'est pas lesien) que parce qu'an
a l'intention d'y demeurer.
La discussion n'aurait point de terme si, tenant à
ses espérances ou à ses craintes, chacun exagérait
les avantages 011 les inconvéniens de la suppression
proposée. La vérité, loin qu'eIlesorte des extrêmes,
se trouve presque toujours dans un juste milieu. Il
ne viendra pas assez d'étrangers pour nous dépouiller de nos propriétés et de nos richesses, moins encore pour altérer notre caractère national. Il en viendra assez pour nous apporter des capitaux considé_
rables, pour augmenter la valeur de nos terres, pour
opérer sur notre sol l'effet que produit l'intervention
des capitaux étrangers dans notre crédit et dans
notre commerce.
De quel droit ai-je la confiance d'interposer celte
assertion entre les adversaires de la proposition et
moi? Le droit que certainement je n'ai pas de moimême, mais que je puise da.ns l'opinio n de tùus
les écrivains et de tous les hommes d'État qui ont
traitté de cette matière. La réciprocité n'a trouvé
d'apologistes, la crainte de voir des étrangers propriétaires en France, n'a frappé que lors de la discussion ouverte pour le Code Civil. L'une et l'autre
auraient été écartées plutôt si la restauration eÛt
été plus prompte; si la paix et notre situation eussent permis de considérer ce que les lettres patentes
de 1787 nous promettaient d'avantages. Nous les
aurions abondamment goulés si la révolution n'était
venue nous isoler et nous rendre ennemis de toute
l'Europe. Encore de 1787 à 1793, plusieurs Anglais
étaient-ils devenus propriétaires en France; et nous
ne le savons que trop, puisque le gouvernement du
Roi a dû leur restituer des confiscations dont il
n'avait pas profité.
Mais « pour appeler des étrangers, sacrifierons" nous l'intérêt de nos concitoyens? Une foule de
" Français vont porter leur industrie dans les pays
" étrangers; ils y acquièrent un pécule; plusieurs s'y
" enrichissent, tous avec l'esprit de retour et le dé" sir de se reposer dans leur patrie. Si nous accor" dons la successibilité aux étrangers sans la con" dition de réciprocité, leurs gou vernemens, qui
" n'en auront plus besoin, rétabliront le droit d'au» baine. Le décret de l'Assemblée constituante sus" pendit les nt!gociations alors ouvertes avec la
.. Prusse pour l'abolition de ce droit. "
On attribue mal à propos cette suspension au décret; elle eut une cause plus réelle et plus évidente
dans la guerre qui ne tarda pas à se déclarer.
Nous. n'avons besoin de la réciprocité avec aucune
nation, quant aux immeubles) parce que très-peu
de Français ont le goût d'acheter des immeubles en
pays étrangers, et d'ailleurs notre intérêt n'est pas
qu'ils en acbètent. Sans doute nous en avons un trèsgrand à ce qu'ils puissent porter leur industrie par-
35
�( 546 )
tont 0'" ils en attenden t quelque fruit; mais les successions mobilières ne sont envahies ni disputées
nulle part. La crain te qu'elles pe tentent la cupidité ,
lorsqu'elle pourra s'exercer san risque de représailles de notre part, est chimérique. D'abord, parce
que les décrets de 1790 et 1791 n'eurent pas cet
eIFet; et s'i ls ne l'eurent pas lorsque toute J'Europe
nous détestait et nous combattait, leur rétablissement ne le produira pas, lorsque nous sommes en
bonne harmonie avec tout le monde. Il n'est pas
permis de supposer que les gouvernemens deviendront injustes et absurdes, parce que 1I0US serons
ee qu'on appelle généreux. Enfin, ils ne voudraient
pas se nuire à eux-mêmes. Les Français qu 'ils reçoivent, qui s'enrichissent chez eux, leur sont utiles .
rts u'auront garde de les écarter. Un homme ne fa it
pas de profit dans un pays que le pays ne participe
à ce profit. Quiconque gagne fait gagner. l'État le
plus riche est celui où il ya le plus de produ ctions ,
de quelque genre qu'ell es soient et de quelques
mains qu'elles viennent, soit nationales , soit étrangères.
On a dit que la proposition qui tend à la suppression en tière du droit d'aubaine , n'a pas toute
I!extensiun que je lui ai donnée. Si elle ne l'avait
pas, je l'aurais mal com prise; ce serait ma faute.
Veuillez remarqu er qu e ce n'est pas l'ex tension que,
daqs mon rapport , je lui aurais donnée , que je sou-
(
~q7
)
mets à la délibération de la Chambre, mais la proposition, tclle qu'elle nous es t venue. Comme je n'y
ajoute rien, mes motifs sont indirFérens. Au reste,
il est bien évident par les développe meus qu'elle a
l'ecus dans la discussion de l'autre Chambre, qu'elle
te~d à l'entière abo lition de ce qui reste du droit
tl'aubaine, que cette abolition est excl~sive d.e la
r éciprocité) et qu'ell e a pour but, en faIsant reformer le Code, le retour aux lettres patentes de 17 8 7 ,
et ces lettres patentes portent:
" Nous avons aboli et abolissons, en faveur des
" su jets du Roi de la Grande-Bretagne, le d~oit
.. connu sous le nom de droit d'aubaine, re1allve" ment aux successions mobilières et immobilières,
" qui, soit par testament, soit ab i~ttest~t) ~ourront
" s'ouvrir en leur faveur dans nos Etat~ SitUes en Eu" rope.
" Il sera permis, en conséquence, à tous ces s~" jel~, tant commerçans qu'autres , sans aucune dls" tinction , qui ~oyageroQt, séjour,neront ou seront
" domiciliés dans le royaume, de leguer ou donner,
.. soit par testament, par donation ou aut.re dis" position quelconque, tous les blens mobillers et
" immobiliers qui se trouveront , ou devront leur
" appartenir, en France au jour de leur , ~écès . .
" S'ils y meurent ab intestat) leurs hentlers le" gitimes pourront y recueillir librement leurs sucf' cesslons.
�( 548 )
( 549 )
Les dédarollS habiles à recu eillir les h';rita O'e~
» et biens qui leur serout laissés par testamens cou
" ah intestat) par n~s sujets. »
. ~'aboljt~o?, dans cesens, exigera-t-elle desdispoSluons ulteneures et plus ddaill ée.<? Je ne le cl't>is
pas. En tout cas, le Roi, lorsque la proposition lui
sera .présentée, examinera dans sa suo-esse
de queUe
e
~naOlère il fera ~édiger la loi; et lorsqu'il aura jugé
a propos de la fmre porter aux Chambres, ell es pourront y demander les amendemeus dont elle leur paraîtra susceptible. C'est l'abrO CTa tion entière du droit
d'aubaine et de détraction qui est proposée. Comment cette abrogation sera-t-elle prononcée ? On Je
verra par la suite.
articles resteront intacts. Par exemple, pour ne pas
les parcourir tous, l'article 7 déclare qne la j ouis~
sance des droits civils est indépendante de la quahte
de citoyen; l'article 8 que tout Français jouira de'J
droits civils; l' articl e 9 que tout individu né en
France d'un étran g'er, pourra, dans l'année de sa
majorité, réclamer la qualilé de Français. Qu',eslce que cela et les autres articl es, dont Je ne m occupe pas pour a bréger, ont de commun avec la
,
?
question qu e nOLIs lrallons ,
. '
Mais enfin , pourquoi ne pas dema nder la rec)pro cité aux Anglais , le seul peuple avec lequel nous
»
Il me res,te une,dern ière objection à ré futer , j'osera.l dire q~ elle n est pas dig ne de celles qui ont été
de~eloppees avec tant d'habileté.
Ce n'est pas , a-t-on dit , les seuls articles 11, 7 26
et912 du Code Civil qui seront altérés, ce sera eucore une foule d'autres : les articles 7,8) 9 , 10,12,
18 , '9,20.
J'avai.s remarqué que les articles Il,726 et 9 12
ne c?nt~ennent qu'une seul e et même disposition
appltquee il des cas diŒ'érens, qu 'ils ne donn ent
qu' une seule et même règle: la réciprocité dans
tous les cas. Alors on a cherché des auxiliaires d ans
~ e nombre d'articl es que je viens d'énumérer. C'est
encore un f.1ntôme don t on veut nous elfrayer . Ces
ne l'auron s pas?
Parce qu e nous la demanderi ons en vain. Leurs
lois s'y opposent et l'on ne demande pas à nn peupl e
d'abroCTer ses lois lorsqu'il n'y a point d'intérêt , lorsqu'il aOun intérêt contraire, et que l'on peut arri:er
au bul qu'on se propose sa ns se donner la pelU e
d'entrer en négociation. Je répélerai ce qu e j'avais
dit. C'est mal à propos que l'on mêle le droit civil
au droit politique, qu and le droit civil peu t suffire.
Au demenrant , toutes les objections contre les facilités à donner aux étrangers pour leur é tablissement en France, n'ont pas même pour ceux qui les
font toute la valeur qu'il s leur prêten t , car ils sont
disposés à les abandollne~, si on, leur ~ccorde la réciprocité. Cependant, qu ell e SOIt admIse, beaucoup
plus d'étrangersviend~ont acquérir en France, q ue
-
�( 551 )
( 550 )
de Français n'iront acheter chez l'étranger; il n'y
aura donc pas cette compensation d'inconvt!niens et
d'avantages que l'on recherche. La réciprocité ne
serait donc à peu près bonne à rien.
La question, Messieurs, est, d'une part, entre des
jurisconsul tes qui, sortan t de leur domaine, sont eutrés dans celui de la politique. Ils ont donné, avec
tout leurs talens, à un poten tat qui voulait la rt!ciprocite, un avis favorah le. De l'autre part se trouvent les personnes qui ont fait de l'administration
et de l'économie publique leur étude journalière,
les publicistes, les hommes d'Etat. Us recon naissen t
que leur arme ordinaire, la réciprocité, est insul~
fisante; ils sen tent qu'ils ne peuvent pas l'employer
utilement. Les rôles sont changés; les jurisco nsuli es
, veulent que 1'00 fasse <les tt'ailés; les diplomates déclarent qu'ils ne peuveot pas entamer celui qui seul
resterait à faire. Ceux dont le métier est l'administration des affaires intérieures et ex térieures, proclament
qu'on ne devrait pas faire de traité quand il serait
possible; ils présen tent les lettres patentes de 17 87,
le décret du 6 août 1791 , qu'on leur en leva mal il
propos, Ils réclament une loi qui leur eu rendra les
dispositions. Fions-nous-en à ceux qui, cuargés de
faire les traités, croient qu'il .n'en faut pas faire, et
demandons la loi qui sa tisfera plus facilement et
plus promptement, si non aux besoins, du moins
a ux avantages de la France.
DlSCOURS
Prepa,.e pour la Chambre des Pairs, relativement
, ri'
. de
lo ' sur l'abolition
du drOIt
altau pro'Jet
l
,
. ' en mat' l 81 9 " pal' smte
baine, qui Jilt presente
'
de la résolution des deux Chambres q~t aoat~nt
, °le R 01'de}aireprésenter une loI ace sUJe t .
supp l le
•
0
.- deu',. pièces précédentes, ce que j'avalsl' pré'
t
de la loi à. la Chambre des. a lfS,
re our dcvelopper e sens
Je
"
JOll15
ah......
o
pa . .p
_ qualité. de COlnmi s!uÎre .du ROI ,M.arco
le
où }' accompagnals , en
r c ne prononçai point ce discours, p .
S
Gardc des ceaux.
J
•
s besoin pour determiner
· p., .u tne" avou' p.
b le
d
d 't' b '
q Ue la Ch.Ill
.
.
inutile de l'etar el' sa e l e.
,
' d
son assen tIm ent, el Je crus
l'
ùes notaires avalenl eprouvc, ans
,
ration. J'cl1 su l epuis que
.'
ê tre di, '
d t w' dc!\ embarras qUI aunlleot pu
l'app h ca. tlOn e a l,
~
. ' r." C'est
' q ue J'en avalS lal .
, é5 pa r l'espèce de commentall'e
mmu
.
dans cette v ue qu e "je le conserve.
.
Il fallait, dans l'abolition du droit d'aubaine, falre
, t nécesS'lire pour la rendre ullle , et
~?a~st~:;~e ~~\lt ce q~i, allant au delà ,.~a r:odraiL
o " rs " au pre)uùlce des
tl") avantageuse aux t!tralloe
a ttcIO'noos
ce but.
. p ' l ' Voyons SI' OO\lS
0
regolco e,o
, d O dammenl de
Les étra n"'ers recouvrant , JO epen
o ,
de disposer et de relout~ réciprocltt!, la capaclle
ï
cnei llir, recoÎvent uu grand cnco ur~?emen t ;d~:
'
1eurs prop riétes eu " rance,
obtiel\Den L pOlU'
0
•
0
�( 555 )
( 55z )
droits qu'ils n'avaient pas, et dont la privation les
détournait d'acquérir; ils seront certains de les
transmettre aux héritiers qu'ils voudront se choisir,
ou que la parenté leur donne; ils seront certains
que des héritiers régnicoles, plus éloignés. n'excluront pas leurs héritiers étrang'ers, ou qu'à défaut
d:héritiers régnicoles, le fisc ne prendra pas leurs
biens, sous le prétexte d'une fausse déshérence. Assimilés aux Français, ils n'ont rien à désirer de plus.
S'llsdésirai.ent d'avantage, nous ne devrions pas condescendre a leurs vœux. L'abolition de l'aubaine qui
nous est utlie comme à eux, tant qu'ils ne prennent
pas des avautages sur les régnicoles, nous devien~ai~ nuisible; c'~t pour qu'elle ne le soit pas, que
1 artICle 2 du projet a été introduit.
La première idée en a été fournie par la discussion
ouverte
,
, " dans cette Chambre " sur la propOSl't'IOn
d abolitIOn. L un des nobles Pairs qui la combattit.
demanda, comment seraient réglées les succession~
dont les etrangers propriétaires en France allaien 1
re~evoir la libre disposition, ou auxquelles ils sera~ent appelés ? JI supposait avec raison que des cas
frequens ~: présenteraient; il s'elTrayait même du
nombred etrangersqne l'abolition de l'aubaine aHait
a,ppeler) ceq~, aux yeux des partisans de la proposihon,. prouvait combien elle était utile. Il était juste
de repondre à sa demande, et de pourvoir aux elTets
que dOit prodUire l'abolition.
Deux cas principaux se présentent.
Premier cas: l'étranger propriétaire en France,
n'a que des héritiers étrangers: ils ne seront plus
exclus, ils recueilleront soit par testament, soit ab
intestat, comme le feraient des Français, et conlormément aux lois françaises. On n'avait point à
statuer sur ce cas; il y est pourvu par l'article 5 du
Code Civil, qui dit: les immeubles) même ceux
possédés par les étrangers. sont régis pal' la loi
française; en elfet, la loi étrangère ne peut avoir
:lUcun empire sur notre territoire. On sait que les
étrano-ers
sont assimilés aux Francais,
quant à la
o
•
capacité qui leur manque et qu'on leur rend. Ils
disposent et recueillent comme les Français; l'article l c r du projet est suffisant pour ce cas , cela est
expliqué dans l'exposé des motifs de la loi (pa-
ge 9)'
, .
Mais, il Y a nn second cas, qui peut se subdiVISer
en plusieurs hypothèses, c'est celui ou l'étranger a
des cohéritiers, dont les uns sont étraIlgers) et les
autres son t fran çais ou réguicoles. Si l'on ne statuait
pas sur ce cas, il arriverait que le cohéritier fran çais,
exclu de la succession aux biens étrangers, perdrait,
sur les biens de France, la portion que le cohéritier
étranger y viendrait prendre en vertu de l'article l · r,
et de laquelle il est exclu par la législation actuelle.
Dans ce cas nous accorderions Lrop aux étrangers,
�( 554 )
et nou! ferions tort aux Français, c'est à quoi l'on
a voulu pourvoir par l'article 2.
Supposons, en effet J un étranger qui a deux enf~ns: l'un dans son pays J l'autre devenu Français,
SI c est une fille par un mariage, si c'est un fils
pour avoir acquis les droits civils en l<'rance. La loi
de son pays lui permet de laisser tous ses biens im~e.ubles à un de ses enfans, sans qu'il y ai t de légl.tlme ou de réserve légale pour les autres. Il a,
par exemple, dans son pa ys, 600,000 fr. de biens;
il en a 500,000 en France: il laisse tous les biens
qu'il a dans son pays à son héritier: auquel il donne
encore, ou qui a droit de prendre, à titre d'héritier
insti~ué, la portion disponible en France, qui est
un tiers pour le cas où il n'y li qu e deux enfans.
L'héritier étranger aura oonc tous les hiens étrangers
. . .. .. . . . . . . ... . . . . . . . . . . . . . . .. 600,000 fI'.
Le tiers de ceux de France ....•.. 100,000
La moitié des deux autres tiers à
titre de partage ........ . . ....... . 100,000
Total .................. 800,000
Son frère ou sa sœur n'aurait que 100,000 fI' .
La même chose, ou à peu près J peut arriver
dans la succession ah ùLtestat. Il est des lois dans
divers pays qui avantagent l'ai né; il en est qui excluent les filles au profit des mâles.
,
( 555 )
Eh bien! pour remédier au désavantage qu't!,.
prouverait le cobéritier fran çais, pour dirllinu er~
autant qu'il est en nous , les avantages que la 101
étranuère donne au cobéritier étranger, l'articl e 2
o
du projet de loi dit: Que le cohéritier fran~ se
vengera sur les biens de France de ce que lU! feraient perdre les lois locales sur les biens étrangers.
Ainsi, dans l' exem pIe que je viens de proposer ,
le cohéritier français prendra tous les biens de
Fi'ance, valant 000,000 fr., parce que le cohéritier
étranger en a 600,000 hors de France. Dans ce cas,
le partage sera rait comme si l'entièrc succession
était en France. La portion disponible sur goo,ooO f.
serait un tiers, 500,000 fr.; le reste à partager donnerait 500,000 11' . à chacun .
Dans ce cas, les choses se passeraient comme si le
droit d'aubaine n'était pas supprimé . L'héritier
li-ançais prendrait tous les biens de France et excl~
rait l'étranger. Mais reruarquez que ce ne seraIt
plus à cause de l'extl'anëi té, mais par suite dt! la
composition et de la consistance de la suc ession :
pour s'en co m'ain~re, il n'y a qu'à COlllp~ er la uecession d'une autre manière.
Les biens étrangers , au lieu d'ètre de 600,l1oo fr.
ne seront qu e de 000,000 fI'. J t ceux de Frau~
vaudront 600,000 fI". r dans ce c~s r étrall ''>'er hèritierinstitué, prendra dans son pay Ics30 ,ooor.; l'l
sur les 600,00u fr. de France, il prcllllra la pl.lrti \li
�( 556 )
disponible 200, 000 fr. Il prétendra ensuite le partage du restant , ce qui lui donnerait 7 °°,000 fr .
Mais le cohéritier franca is lui dira : la loi de votre
•
pays me prive sur les biens qui s'y trouven t de la
réserve légale qui serail d'un ti ers; je la retiens sur
les biens de l"r ance : c'est 100, 0 0 n fI' . qne je dois y
prendre avant vous. Dans ce cas, le cohéritier français auraitd onc 300 ,000 fr . et l'étra nger 6 00,000 fI'.
On voit que, dans ce cas, et dans mille autres, qu e
l'on peut supposer, l'abolition du droit d'a ubai ne
profite aux étrangers, pu isqu'ils succèdent en
France, et qu e ce n'es t qu e par un hasard rare et
r ésul tan t de la consista nce de la succession qu 'ils se
trouveraieut privés de recueillir en France. Ils ne le
seraielJ t pas de droit , mais de fai t, ils ne le seraient
pas pour ca use d'incapacité, nous l'effaço ns, ruais
à ca use des reprises que nous réservons aux cohéritiers nationaux; ils seraient touj ours héritiers,
mais avec un titre vain et sans effet , et seul ement
dans un e hypothèse rare qui peut même ne se
r.enco ntrer jamais.
Il y a une autre hypotb èse, cell e des successions
collatérales. No tre Code laisse l'enlière disposition
en collatéra le. S'il y a un testament , le cohériti er
fra nçais n'a ura donc rien à prétendre que ce qu e
le testament lui anra don né; dans ('e cas, l'abolilion de l' aubain e a tonte son étendu e. Mais si la
succession S'ouvre ab intestat , il peul résulter, de
( 557 )
la situation des biens en di vers pays et des lois différentes qui les r égissent , des inéga lités auxquelles
nous avons cherché à remédier .
Ainsi , un étranger décédera sa ns enfans , laissant en pays étra nger un frère ou des n ev~ u x et en
F rance de petits. neveux , descenda~s . ~e l ~n de ses
frères ou sœurs predécédés. Le coherther etranger,
s'il es t dans un pays qui n'admet pas la repr ésen ~a
lion ou ne l'admet qu'a u premier degré, r ecueillera 'tout seul les biens étrangers, et viendrait parlaO'er les biens de France. L'article 2 de la loi veut
q~e, dans ce cas, les co h éritie~s français exclus de
l'hérédité dans l'étranger, se retlenn ent dans le parlaO'e sur les biens de France, ou tre leur part, celle
o
dont ils so nt privés dans l'étranger ., .
"
Le but, le résultat de la loi est d obliger ,1etrangel', a, qm. eIle accorde le droit de succederh' en
.
d'y faire le r apport de la valeur
lens
F'r,\Dce,
l des
'
l'
de
son
p
ays
Ini
donne
exc
U
Slvement
,
que 1a 01
' .
"
t
a fin que son cohéritier fr ançais pre ~n e en ~reclpu
snr les biens de France, tout.ce qu il .auraIt sur les
biens étrangel's d'après les 100S françaises. ,
Cela est équitable, parce que .cel~ tend ~ donner
autant qu'il est possible des drOllS egaux a des cohéritiers.
Cela ne restreint pas trop l'abolition du droit
d'a ubaine, car ell e aura tout son . e~et t,outes
1es f"OIS qu"11 n'y aura que des hentlers etrun-
�( 559 )
( 558 )
gers, et qu'il n'y aura pas de cohéritiers rrançais. Dans le cas même où il y aura des coLél'itiers français, elle aura so n effet, puisque, dans
l'état présent, les héritiers français excluen t les
étrangers. Par la nouvelle loi les étrangers ne seront plus excl us; mais nous mettons à leur admission une condition. Ne pouvant exiger d'eux la réciprocité , ne voulant pas même la demander parce
qu'elle ne nous est pas nécessaire) nous usons du
droit qui appartient à toutes les nations de régler
les successions qui s'ouvrent dans leur territoire.
Nous ôtons à l'aubaine ce qu'elle avait d'odieux et
de nuisible , même pour nOI1S, l'exclusion des héritiers étrangers; mais nous protégeons les nationaux contre la rigueur des lois étrangères. NOliS
concilions par cet équitable tempéramment ceux
qui regrettent le principe de réciprocité dont nous
nous départons et ceux qui en ont demandé l'abaudon, Nous accordons assez de faveur aux étrangers pour qu'ils ne redoutent pas de ,'enir faire des
acquisitions en France; nous pourvoyons à ce que
cette faveur ne fasse pas préjudice aux héritiers
qu'ils auront en France.
DISCOURS
Tendant à établir qu~il ne suffisait pas de mena,cer
les outrages faits pal' la voie de la presse, a la
· e , qu'il ""'allait
menaoer
exp resmora le pu bl'qu
,
. .
sément les outrages faits ~ la relLgLOn.
L'article 8 du projet de la loi du 17 mai 1819' punis .. it le.
lique et aux: bonnes mœurs,
. sans
s à la mom 1e pub
outrag.::
f·1 à la reljnÎoD que l'on prétendaIt comrler de ceuX al S
t)
d
t
pa . d
1 mora 1e pli hl·lque. On proposa un amen emen
prise a~s a t'
cr expresscment la religi.on. J'étais prêt à
tendant a men 10nn
.
.
d
.
demE'nt
dans
la
séance
des
D
eputes,
u 17
outeOir cct amen
• ï 81g Des mo u·rs , qu'il est inutil e Je ra conter, me.
avrl 1
.
à la parole que j'avais demandée. Je retablis
~lI~ent r~nonc~r
ne "'avais prepare. La religion II obtenu ~n
u s
ICI le d,sco : q. 1 } er ùe la loi du ::15 mars 18:l2, la mentIon
·le dans la"Uc e l
1· d
SUl
,
.
"t
f sée dans la discussion de la 01 U 17
qu'on lUI ava l rc u
lDai 1819.
. a' laquelle dODne lieu
La questlOD
. l'article que
J
.
e
, C!,t d'une bo-rande lIDportance.
•
nous dIScutons
,
. d'· d 1 traiter, de peur de paraltre trop
lU abstIen r.llS e a
,. .
.
'i!
si J. e Detais convaInCU qn
· .
ou trop peu re1Igleux ,
.
. fi d
.
. que tout Y soit dIt et pese,
est necessaire
. a n. .e
. connaitre
,
faIre
que, si la Chambre se determInmt
�(' 56" )
à réprimer les publications licencieuses et ontrageautes envers la religion, elle n'entendrait gêner
ni la liberté de conscience, ni la controverse, ni
les discussions sérieuses et de bonne foi élevées entre
les divers cultes, et qu'elle ne placerait le d.:lit que
dans l'abus à déclarer par un jury; que si, au contraire, elle venait à juger qu'il est impossible de
discerner la ligne qui, dans cette matière, sépare
ce qui est licite de ce qui ne l'est pas; que si, ne
pouvant donner au jury aucune règle qui détermine
la culpabilité de l'écrit dénoncé J elle est forcée de
s'abstenir d'une disposition dont l'application deviendrait arbilraire, elle n'en est pas moins pénétrée d'un profond respect pour la religion J de la
nécessité et du devoir de veiller à la répression de
tous les actes qui la troubleraient dans l'exercice
des divers cultes parmi lesquels elles se divise, mais
qu'il n'est pas dans la compétenre des lois humaines
de condamner les erreurs et les hérésies.
Je pense qu'en efTet il ne pourrait appartenir
qu'à un tribunal que la France a toujours repoussé ,
de se constituer juge en matière de foi , de rechercher et de punir les déceptions de l'esprit et de la
conscience. Mais est-il si difficile de donner au jury,
ou plutôt à l'accusateur public, une règle sur laquelle il puisse motiver ses poursuites contre un
écrit irréligieux ? II me semble que, sans restreindre
la liberté des opinions, et punir les simples erreurs,
( 561 )
la loi peut interdire l'outrage. Chacun sent ~ue
l'outrage est une injure atroce qu'aucune liberté
bien ordonnée n'autorise. Je ne crois pas qu'il soit
plus licite d'outrager les êtres moraux que les individus; pas plus l'autorité royale que le Roi; pas p.lus
les lois que ceux qui les font; pas plus la religIOn
que ses ministres ou ses sectateurs. Un Jury pourrait donc décla rer si un écrit contient ou ne contient
pas des choses, non pas seulement contraires à la
religion )mais inj urie uses jusqu'à l'outrage.C' est dans
ce sens que j'exposerai avec défiance, cependant, les
motifs qui me font pencher vers l'ameudement proposé.
.
Un des honorables préopinans, dans la seance
du 14 de ce mois a conclu, du juste homma~e
qu'il a rendu à la religion, qu'elle n'a pas be;olll
d'être mise à l'abri des outrages; et ) parce qu li a
établi qu'il est naturel et raisonnable de l'aimer, il
en a déduit qu'il ne lui raut pas d'a utre sauve-~a~de
que cet amour, et la conduite vertueuse, moder.ee,
pleine de tolérance et de charité) à, laquel~e 11 a
invité ses ministres. Il ne veut pas qn on pUOlsse l:s
outraO"es faits à la religion, de peur que) sous pretexte de les poursuivre, on n'attente à la li~~rté des
cultes, et l'on ne fasse la guerre aux op1llions et
aux consciences.
Par la même crainte, les au teurs du p~ojet ont
. ' t ' le mot de reli.,.ion. Cependant, ayant reeV1 e
0
36
�( 5(h )
connu qu'il e~t des t!CI'itS et des publications que la
loi peut toujours réputer provocatoires, et , par cela
même J interdire et punir, tels que l'alla que formellecontre l'ordre de successibilité au trône, contre
l'autorité du Roi et des Chambres , ils ran gent dans
cette classe, et au premier rang , avec beaucoup de
raison, les outrages faits à la mora le publique et
aux bonnes mœurs. L'exposé des motifs nous apprend que, par ces termes la morale publique, on
entend les principes fondam entaux de la morale
que tous les cultes professent. La relig ion est donc
enveloppée dans cette expression plus génlirale: on
,'eut punir les outrages à la r eligion, prise dans ce
sens général et étendu.
Contre cette intention de la disposition qui l'ex prime, s'lilevent donc deux opinions: l'une regarde
comme insuffisant le terme de morale publique J
et veut que l'on nomme la reli gion; l'autre J repousse à la fois le term e empl oyé d ans le projet ,
et celui que l'on propose d'y joindre.
Pour moi, j'ai pein e à me persuader que, dans
nne loi destinée à préserver la société et les particuliers des abus de la liberté de la presse , on puisse
passer sous silence la relig ion.
Les Anglais J sur les pas desquels nous DOU S piquons d e marcher d ans la carrière de la liberté,
et qui ne sont pas moins jaloux qu e nous-mêmes de
l'indépendance de la presse, punisse.nt comme un
( 565 )
tort public la violatioll J e J'ordre lita hli , et l'ex.citation au mépris des devoirs sociaux Ils classeut,
d ans cette ca tégorie du droit public , les attaques
à la r eligion d'abord , ensuite à la morale , puis à
la constitution , au Roi , etç. Serons-nous plus sa ges
qu'eux , si nous nous abstenons J e réprimer la. licence qui s'attaqu erait à la religion ?
Pour répondre à ce tte qu estion je me demande
s'il est bon que les hommes aient une religion ? Je
ne dis pas telle ou telle religion , mais, en génliral,
une r eligion qui reconnaisse un Dieu vengeur et
r ém unérateur , nne autre vie, et par conséqu ent
l'immortalité de l'âme ? Personne ne niera, je crois,
qu'une r eligion qu elconqu e es t nécessa ire , au moins
utile; et lorsqu'o n connaît à peine quelqu es peuplades qui n'ait pas un e notion de la divinité, et ne
lui rende un culte, je ne pense pas qu e l'on mette
la r eligion au nomhre ci e ces préj ug'és qui ont co uvert le monde, et qu e les progrès du temps et des
lumières ont dissipés .
Si la r eligion est util e, si elle a été regardée
chez toutes les nations civilisées, ancienn es tt mod ernes, co m me l'un des plus solid es remparts de
la société, com me prêtant a ux lois un ap pui surnaturel, en inspirant l'amour des devoirs, la pratique des vertus, en avertissant celui qui se flatte
d'lichapper à l'animadversion des I~orn m es J qu'il
ne se soustraira pas à l'œil de r Etre suprême ,
�( 564 )
( 565 )
la société a intérêt de la maintenir, intérêt de la
défendre des outrages qui, en l'insultant, troubleraient J'ordre publlc dont elle fait partie, et affaibliraient en même temps son ressort.
On est d'accord sur les outrages de fait. Tou~e
violence, tou t trouble commis envers un cnlte
quelconque sont punis, ils sont hors de la question. Mais n'y a-t-il que des outrages de [ails? N'y
en a-t-il pas de paroles et d'écrits? Faut-il mettre
la dérision, le ~arcasme et le blasphême au nombre
des simples erreurs qu'il suffit de réfuter? ou ne
les imputera-t-on qu'à un délire qui ne mérite que
mépris ou pi tié ?
J'en serais d'avis si des outrages écrits, faits à la
religion, il ne résultait pas un trouble et un mal
réels. ~lais il y a trouble pour cette grande partie
de la population, qui s'étonne de voir qu'on se joue
<.le ce qu'ell e respecte, qu'on attaque les bases [ondamentales de la religion qu'elle professe, et des
cultes que la loi protége . A quoi bon celle protection des cultes et des actes religieux, s'il est
permis d'en outrager publiquement les principes?
Que sert de défendre les branches quand on laisse
couper les racines?
Toutefois il y aurait injustice à ne pas reconnaître la pureté des intentions de ceux qui ne
veulent pas nomm er 1a religion; ils craignent
qu'elle ne soit compromise si l'on donne ouverture
à des accusations portées par un zèle indiscret, et
sui vies de jugemens, tan tôt rigoureux, tantôt indulgens, toujours dangereux par le scandale que
produiraient des condamnation.s pour erreurs théolog'iques et involon taires, ou des absolutions pour
des hardiesses dont se seraient effrayées un grand
nombre d'âmes pieuses et timorées. Ils disent, la
religion se sépare en di verses branches : quoique
dérivées de la même source, elles varient dans leur
cours et même se contrarient; elles sont divisées
sur certains dogmes. De là il s'établit entre leurs
docteurs des controverses; ils se condamnent ou
se désapprouvent mutuellement. S'exposera-t-on à
condamner lin écri t publié en faveur d'un culte au
préjudice d'un autre? Ils ne doivent se donner aucun trouble contraire à la tol éra nce, qui est une
loi de l'État; mais ce sont les troubles de rait qui leur
sont interdits, et non les discussions par lesquelles
ils cbercheraient à s'éclairer mutuellement, à se
rapprocher, à se convertir à ce qu'ils croient être
la vérité: c'est pour cela, dit-on, qu'il ne faut pas
permettre que l'on intente des poursuites pour des
écrits sur la religion, toutes les fois qu'ils ne provoqueront pas à un trouble, à un empêchement
de fait.
Ceux qui demandent que l'on mentionne et prohibe les outrages faits à la religion, sont d'accord
de tnut cela. Ils conviennent que la controverse est
�( 566 )
( 567 )
licite; que tout culte toléré a le droit d'ètre professé et de répondre à ses dissidens, sans enfreindre toutefois les lois qui , en prononçant la tolérance,
interdisent nécessairement toute provocation contre
les objets de chaque culte, contre SC'J ministres et les
personnes qui le suivent.
Mais tous les cultes tol érés, en désirant qu'on les
laisse écrire sur leur doctrine, se r éunissent aussi
dans le désir qu'on n'outrage pas le tronc auquel ils
sont tous "ttachés. Ici leur ca use es t commune; et
tout ainsi qu'on regard e comme provocation, une
doctrine qui mettrait en doute la successibilité au
trône, l'autorité du Roi et des Chambres) le libre
exercice pour chacun de sa religion, et l'inviolabilité des propriétés qu'on appelle national es, ils ont
intérè t à ce qu'on envisa ge du même œil les doch'ines qui professeraient l'athéism e et le matérialisme. On répute provocation, toute attaque formeUe
à l'ordre de su ccessibilité au trô ne et aux autres
choses mentionnées dans l'article 4 du projet , parce
que ces attaques ébranlent les fondemens de la monarchie ou de la tranquillité publique, et peuvent
corrompre l'opinion ; parce que ces choses doivent
être hors de controverse et que l'on n'a plus à s'éclairer à cet éga rd. Eh bien! l'existence de Dieu,
el l'immortalité de l'âme, devraient être aussi hors
cie controverse. On ne peut les attaquer form ellement sans affaiblir le plus puissant motif de tous les
devoirs, sanS aitérer les deux principes qui ont civilisé les barbares et les nations qui étaient tombées
sous leur joug, sans corrompre l'opinion, et, ce qui
est pire, la conscience de ceux qui se laissent tromper par de fatales doctrines.
Et remarquez que ce tte corruption est bien autrement dangereuse que celle des opinions poiitiques.
En effet, qu'nn homme, que plusieurs se forment
de fau sses id ées sur la successi bilité au trône, sur
l'auto rité clu l{oi , sur celle des Chambres , ces idées
n'auront ,lUcune influence sur le repos de l'État, à
moins qu' ell es ne se répandent parmi une assez
grande multitude pour opérer un e révolte ou une
sédition. Mais tout individu persuadé qu'il n'y a
point de Dieu et qu'à sa mort tout p~rira avec lui
est dès-lors affranchi de toutes les craintes d'une
autre vie. JI est libre de ce joug salutaire que lui
impose la présence de l'Etre suprême, qui voit et
juge tout. n n'a plus qu e la crainte des lois auxqu elles son in térêt ou ses passions et mille exemples
lui persuadent qu'il échappera. La corruption de la
conscieuce et d es opinions fondamentales de la religion, est donc plus dangereuse que celle des opinions fond ament ales d e la monarchie, en ce que la
corruption J e la conscience opère sur chaque individu, et peut l'encoura ger à de mauvaises actions
qu'il peut <,ommettre tout seul; tandis que la corruption des opinions politiques reste sans effet jus-
�( 568 )
qu'à ce- qu'elle soit devenue épidémique et qu'elle
ait atteint un assez grand nombre de persounes qui
puissent produire un mou ventent. Il y aurait donc
autant et plus de raison à réputer provocation l'attaque Jormelle à la religion, que les attaques mentionnées dans l'article 4. Et cependant ce ne sont
pas des doutes sur ces grands principes, ce n'est pas
une attaque raisonnée, résultant d'un examen sérieux, que l'amendement tend à interdire. On ne
demande pas de mettre la religion à l'abri de!' examen mais de l'outrage. Ainsi réduit, comment l'amendement peut-il être contesté ?
Peut-on se dissimuler qu'il est des choses qui sont
l'objet d'un respect public, et qui l'obtiennent nonseulement de ceux qui les aiment et les ,'énèrent,
mais de ceux qui, sans avoir les mêmes sen li mens, se
respectent assez eux-mêmes, pour ne pas se donner
en scandale à un grand nombre de personnes? La
religion, sans doute, ne se commande pas, mais
autre chose est de ne la croire ni de la pratiquer;
autre chose est de l'outrager, de la tourner en dérision. Remarquez que l'on se sert du mot outrage
qui, dans notre langue , signifie UDe injure atroce.
de fait , d'écrit ou de parole, et qui laisse en dehors ces railleries qui, bien que blâmables, ne sauraient donner lieu à une accusation. Remarquez que
notre Code Pénal punit les chansons, pamphlets, figures ou images contraires aux bonnes mœurs; or,
( 56 9 )
s'ü n'est pas permis d'attaquer les mœurs par de
telles publications, peut-il l'être d'attaquer leur plus
forte gardienne, la religion? Si l'on craint que des
images ou des écrits obscènes ne corrompent les
mœurs, comment ne pas redouter que des écrits
éminemment irréligieux ne corrompent le sentiment
le plus nécessaire à l'homme en société, si nécessaire qu'on a mis en question, si une société d'athées pourrait subsister? S'il Y a une pudeur mol'ale, n'y a-t-il pas aussi une pudeur religieuse, et
l'uue et l'autre ne doivent-elles pas être ménagées
et maintenues ?
L'année dernière ,lorsque l'amendement qui nous
occupe fut proposé, on répondit que la religion
était comprise sous le mot bonnes mœurs. On Ile
le pensa pas dans l'autre Chambre où l'amendement
de faire mention de la religion obtint la majorité
des sulfrages. Cette fois on reconnaît qu'il faut parIer de quelque chose de plus que les bOlllles mœurs,
et l'on propose la morale publique; mais le but
sera-t-il atteint?
Je ne demanderai pas ce que c'est que la morale
publique ? S'il y a une morale publique et une morale privée ? s'il y a une morale publique comme
un droit public ? Je ne veux pas épiloguer sur des
mots, et je crois que l'on entend par morale publique, la morale universellement reçue. Mais la
morale est-elle la religion?
••
�( 5ï O
)
Les hommes religieux ont ordinairement J 'excellen tes mœurs ; mais des hommes très - irreli O'ieux
b
peuven t en avoir de bonnes. La rai on, J'éd ucation, les con venances, e t peut-être celle religi on
dont bous avons tous reçu les principes d ans notre
en fan ce, les leur inspireut. Les mœurs sout la conduite , les habitud es , le respect de la pudeur, l'eloiguement d es vices g rossiers et d e la débauche.
La religion est un des principes des bonnes mœurs
qu'elle commande, mais elle n'es t pas les mœ urs.
La morale mêm e qui est la d octrine des bonnes
mœurs, qui a plus d'extension que les mœ nrs , en
ce que cell es-ci ne consis tent qu'en l'absten tion des
choses déshonn ètes, au lieu qu e la moral e de plus
que les mœurs porte à des ac tes lo uables, la morale
n'est pas non plus la religion. Je pourrais nommer
des athees, d es matérialistes qui ont vécu dans une
honorable réputation de morale et de bonnes mœurs.
La religion est la croyance en Dieu et un cu lte
quel conque qui lui est r endu. La croya nce et le
culte doivent être persuad és : ils ne peuvent être enjoints. Mais le consentement un anime des peuples
les a mis au Tang des fonde mens les plus essentiels
de la société. De là le r espect de toutes les lecrislations pour la reli gion , la protec tion des cul~es,
leur tolérance e tablie chez toutes les nations de
J'Europe, deux seules exceptées, et la défense par tout de les oulra .~el' et de les troub ler. Or, il ya
( 57 1
)
deux sortes d'outrages et de troubles, l'outrage et
le trouble particulier, l'outrage et le trouble général qui, ne s'attaquant sing ulièrement à aucune
chose, attaquent et ébranlent ses prin cipes.
Les Anglais qui, ainsi qu e je l'ai déjà dit, ne
sont pas moins que nous jaloux cI'exprimer librement leurs opinions sur toutes sortes de su jets,
regardent et punissent comme des délits, d e nier
l'existence et la sagesse de Dieu, d e parler du Chris t
avec irrevérence, de commen ter ind écemment les
saintes ecritUl'es, de saper la doctrine en attaquant
ses bases . J'en trou ve les exemples dans un ouvrage
esLimable que 1\1. Hubert a publié en 18,. 7 . C'est
un traité sur la répression de la licence d ans les
ecrits, les emblèmes et les paroles, extrait de l'ouvrage de M. Slarkie, sava nt juriscons ulte anglais.
On y voit qll e la législ ation anglaise ne confon d
point la religion et la mora le, et sépare les délits
qui les outragent, On y lit ce passag'e de M. Erskine:
" Tout homme a le droit de faire usage d e sa r ai» son pour exam iner les points de contro verse de
» la religion c1.rétienne; mais aucun homme ne
» peut invoqu er l'autorité des lois pour prétendre au
» droit de nier la va lidité de lellr principe com• mun qui est la religion. Il y aurait incohérence
» à ne pas protéger la base de tou tes les lois. »
Que si l'on dit que tout ce que je désire est d ans
les mots morale publique) bien que je pense avoir
�( 57 2
( 57 5 )
)
prouvé le contraire) je demand erai, en admettant
un moment cette assel'tion) pourquoi on ne veut
pas exprimer ce qu'on entend) et satisfaire ceux qui
désirent une expression plus form ell e?
On a peur d'ouvrir une voie à l'intolérance qui,
sous r.rétexte d'outrages faits à la religion, provoquera des poursuites inquisitoriales. Je répondrai
d'abord que la crainte qu'on n'abuse d'une loi n'est
pas une raison de ne pas la faire, si d'ailleurs elle
est juste et convenable. La législation es t toujours
entre ces deux écueils: le défaut d e répression , si
elle reste muette; la rigueur ou l'a bus de la répression, si elle la prononce. l\lais l'impunité par le silence de la loi est un mal public, a u lieu qu'une
fausse application n'est qu'un accident particulier,
c'est un mal hypothétique , et l'abseoce de la loi es t
unmal certain. D'ailleurs, c'est multipli er à l'in nni les
difficultés de 111 législation, que de se d élier à la fois
de ceux contre qui il est nécessaire de porter une
loi et de ceux à qui l'applica tion en est confiée.
Outre les lumières et l'intégrité des magistrats, qui
sont présumées d e droi ~, on a pris à leur égard
toutes les garanties possibles lorsqu'on leur a donné
pour base de leur jugemen t la déclara tion du jury.
« TI est impossible, a dit l'écrivain que j'ai déjà
» cité, de déterminer les limites exactes au delà
" desquelles le degré de tendance au mépris des
» principes religieux devient criminel. La loi, en
,.
,. prévoyant les désordres dont il est possible qu'un
" libelle impie soit la source) ne peut i~diquer par
» des signes distincts la lig ne enlre l'absurde à dé" daig ner et le pernicieux à punir . C'est pour ob" vier à son impuissance qu'ell e a d éféré le droit
" de distinction et de coercition aux sentimens de
" justice et de convenance, dont sont nécessaire" ment pénétrés les officiers publics, les mag istrats
" et le jury. "
Quant à la crainte dont quelques-uns pourraient
être frappés, que suivan t les impressions et les
préjugés locaux) le jury d'un pays ne voye un outrage à la relig ion, qui ne serait pas reconnu dans
nn a utre pays, je répondrai que si l'outrage n'est
pas évident pour tous les pays, il Y aura fausse application de la loi , poursuite con tre ce qu'elle ne
ne répute pas délit, et, par co nséquent, ouverture à
cassation. En tout cas, c'est un inconvénient qui
existe pour toutes les causes d éférées à la justice.
Dès qu'il n'y a pas un jury et un tribunal uniques,
on peut prévoir des difrérences de jurisprudence. Il
faut se résoudre à supporter ce qui est inévitable.
VO Il S recourez aux jurés parce q ue vous leu r accord ez plus de confiance qu'aux magistrats ; ensuite
vous vous défiez des jurés, il ne vo us restera plus
qu'à a ppeler des anges pour juger les crimes des
hommes.
Mais j'ai une réponse plus péremptoire Toutes
�( 574 )
les difficultés qu'on 0l)pose se lroul'eut Jans le tex le
du projet comme dans l'amendement. On convient
que, par la morale publique, on n'exclut pas la religion : au nom de la morale publique il pourra donc
s'élever, comme en celui de la r eligion) de ces accusations intolérantes ou fanatiqu es dont on veut
r etrancher le prétex te. Le changement d'expression ne fait rien à la chose, si la cbose est la même.
JlI~lUt dire, ou qu e les outrages à la relig ion neseront
pas poursuivis, qu'ils ne sont pas compris dans les
outrages à la morale; o u l'o n doit s'a ttendre que
l'on fera de cette expression , que l'on pré tend synonyme, le même usage qu e de cell e qu 'on écar te.
Les deux termes fu ssen t-ils synonymes, il faudrait préfàer celui qui ne doun era pas li eu à une
accusation, même mal foodée, d'indilférence pour
la religion; celui qu e tant de gens se plaig nent de
ne pas trouver un e fois dans nos lois oouvell es; celui qui accorderait à la plus respectabl e des a utorii-és.J.a protection que nous avons soin d'énoncer
pour toutes les autres ,
Je sa is que la relig ion doit se mêler le moins possible dans les lois civiles et crimin ell es; qu' ell e déclare qu e son empire n' es t pas de ce monde ; que
ses pein es et ses vengeaoces sont réservées pnur une
autre vie: mais n'est-ell e pas un auxiliaire descendu du ciel sur la terre p nur aider de ses conseils
et de ses pr~ceptes, les comma ndemens des hommes
( 57 5 )
et l'autorile temporelle? parce qu'elle résiste par sa
propre force au mépris , à l'intolérance , aux persécutions) faut-il J'y abandonner ? Quand il ne serait
pas utile, nécessa ire de la protéger nommément ,
il Y aurait inconséquence à ne pas le faire) puisqu'on ne disconvient pas qu'il faut protéger les
c ulles qui ne so nt que des actes de religion. Il y
,1Orait aussi inconvenance, car la législation ne peut
pas, lorsqu'elle en a l'occasion , Il e pas rendre à la
religion les égards que lui rendent même beaucoup
<l'bommes qui, sans en être pénétrés, la r espectent en eUe-même et Jans céux qui la pratiquent.
Enfin, lorsqu'ell e ne serait pas un e gardienne des
lois et de la société, elle en serai t encore un bel
orn emen t à rechercher et à conserver,
Il y a plus d e mal et de sca ndale il la passer sous
silence, qu'il n'y a J 'inconvéni ens à lui accorder la
sauve-garde qu'on ne re ruse pas aux autres pouvoirs,
Ne serait-il pas dran ge qu e, pour ne pas don ner
prise aux indiscrétions d'un zèle mal éclairé) à la
superstition) au fan atisme , qui son t les abus de la
religion, ou l'abandonnât sans défense à l'impiété,
ou qu'on ne lui octroyà t qu'une d éfeuse clandestine)
cachée sous le voile de la morale publique qui serait son prête-nom ?
Enfin, que veut-on? la liber lé de la presse. Il la
faut sa ns doute, même s ur la controverse, même
sur les matières religieuses, Mais si elle pouvait être
�( 57 6 )
quelque part superflue ~ t ~n.ut.ile, ne serait-ce pas
sur la relio'ion telle que Je 1 al entendue dans toute
cette djsc~ssion ? Qu'avons-nous besoin d' être éclairés sur les points fondamentaux de la religion que
depuis tant de siècl es l'Europe s',bonore d; ~r~fes
sel', et qui s'est répandue Jusqn aux extremlte de
l'uni,'ers? Si qu elque téméraire écrivain ve~lt se
h asarder à les débattre , qu'il accepte du mOInS la
loi de le faire avec circonspection. Que s'il ose y
porter la main, ce soit sinon avec respect , du moins
avec ménagement et sans ou~age.
,
.
L'un de MI'!I. les CommissaIres du ROI a demande
ce qui pourrait caractériser ~'? utra ge en matière
de reliO'ion. Ce qui le caracterise, dans toutes les
discussions sur toutes les ma tières quelconques:
ce qui excède les bornes de la d ~ fen se et de. l'attaque. Les jurés auront,. pour en,Juger, les ~e mes
règ'les ou plutôt le meme senLtment qm eclalre
presq~e tous les hommes, et leur fait reconn,aître
ce qui sort, non pas de ces co nven:mces qu~ e~ ' ge nt
une certaine délicatesse de tact , maIs ce qm depasse
même l'injure. L'o utrage est ce qui blesse ou déconsidère grièvement les personnes ou les choses
contre lesquelles il est dirigé. Il n'est pas plus difficil e de reconnaître un outrage contre la religion
qu'un outrage contre les lois, les autorités ou la
morale publique.
Comme dans l'appréciation de l'injure ou de la
( 577 )
<I ilfamation contre les particuliers, on ne prendra
pas pour règle la susceptibilité des offensés, on ne
s'abandonnera pas non plus aux alarmes d'une piété
scrupul euse. J.es magis trats el les jurés ne seront
pas des inquisi leurs. Il n'est pas pins rai.on uable
de les suspecter de superstition et d'intolérance, que
d'indifférence et d'impiété.
On a dit que les di vers cultes s'accusent mutuellement d'erre ur et de fausseté, et l'on a demandé si
ce n'est pas là un sanglant outrage ? Non, slins
doute, le reproche d'erreur et de 1ausseté dans les
opinions est une suite nécessaire de la discussion.
Tous les jours, sans nous outrager, sans manquer
même à aucun égard personnel , nous accusons dans
nos diosentimens, nos opinions diverses, d'erreur et de
fau sse té. Bossuet et Claude ne s'outragèrentnil'ufl ni
l'autre dans leurs vives disputes sur les deux cultes
qu'ils attaquaien t et défendaient avec tan t de ta lens
et de chaleur. N'exagérons pas les clifficultés, et de
peur de porter en quelque occasion à trop de sévé rité, ne renùons pas la législation molle et insouciante.
Je proposerais même, pour calmer les scrupules,
d'ajouter à l'article qui punirait les outrages à la religion, que les ouvrages de controverse, l'examen
sérieux et la discussion des principes fondamentaux
de la croyance générale, ne sont pas susceptibles
57
�( 57 8 )
de pou l'suite , si celle déclaration ne devenait pa5
superflue. Dès-lors que la loi n'interdit et Ile punit
que les outrages, il s'ensuit que tout ouvrage dans
lequel on jetterait sur la religion des regards hardis
et investigateurs, exempts tontefois d'injure et
d'outrage, pourrait être placé au nombre des erreurs, mais point au rang' des délits. Le mot outrage me paL'alt donc su (lisant.
En résumé, la question se réduit à ceci. Tous,
nons voulons la même chose, le respect de la reliO'ion c'est-à-dire du culte rendu à la Divinité, sans
"
,
'
distinction de ses divers modes , pourvu qu'ils soient
tolérés. Nous ne différons que dans l'expression;
les uns comprenoent la religion sous le mot de
morale publique, les autres veulent qu'on la désigne
par son nom propre.
Les premiers craignent en nommant la religion
de trop partieulariser, de traduire des opinions devant les tribunaux qu'il ne faut pas transformer en
fa cu ltés de théologie.
Les seconds écartent cette crainte en expliquant
ce qu'ils entendent par la religion.
Les premiers disent qu'ain~i {;omprise elle n'est
que la morale publique.
Les seconds le contestent et soutiennent que la
morale publique n'est que la règle des mœurs,
qu'eUe peut subsister, indépendamment même de
( 579 )
5a plus forte sanction, qui est sans doute la croyance
en Dieu et en J'immortalité de l'âme.
Les premiers sont contraints d'avouer qu'ils placent ces deux principes dans la morale publique.
Les seconds répondent que dès-lors on déguise
sous le nom de la morale publique ce qu'ils entendent par religion, ils demandent ce qu'on gagnera
à ce déguisement, si ce n'est de sembler craindre
de prononcer un nom vénérable et sacré, de faire
injustement supposer qu' OD est, au grand scandale
d'un nombre infini de personnes, indifférent pour
la religion?
n est bon d'éviter ce reproche, tout calomnieux
qu'il serait. Ce sera sans inconvénient, je crois J'avoir prouvé, et ce sera avec avanta~. La politique
autant que la morale, les hommes d'Etat autant que
les famittes ont besoin que la religion soit protégée
et défendue, et qu'elle le soit franchement, positivement et à front découvert. Il restera encore assez
et beauconp de place à la liberté, peut-être même
la licence se glissera-t-elle à sa suite, mais du moins
vous aurez marqué l'intention de l'arrêter.
Je vote donc pour que les outrages à la religion
soient punis, et j'appuye, en ce sens, l'amendement
de M. Chabron de Solilhac, mais je l'abrège dans
la rédaction; je me borne à placer le mot de religion dans l'article. Tout outrage, y serait-il dit, à la
•
�( 58u )
l'eligiulL ) à la morale publique, ou aux bonnes
lllŒUrs, etc.
M. Chabroll de Solilhac a dit: Tout outrage fait
à la religion de l'Etat ou à un autre culte. Le mot
religion , pris dans son acception générale, exprime
plus simplement et mieux cette idée. C'est la r édaction qui avait été provisoirement adoptée l'année dernière dans la Chambre des Pairs, ce qui , à
mérite égal, me paraitraitdevoir lui obtenir la prélërence.
EXPOSE DES MOTIFS
Du Projet de Loi sur les J'oumaux et Écrits périodù/ues; présenté à la Chambre des Députés,
dans la séance du 1 er Mars 1820 .
rai conservé ces motifs, parce qu'ils expriment la manière
qont l~ Gouvernement désirait que III eenlure sur les journaux
(ût exécrée ; et quoiqu'cn aient dit les deux parljs qui se
plaignaient également ùe la censure) les hommes es timabl es à
q ni elle fut confiée ne s'en écarUrcnt gu ère. Malgré l'estime
et le respect que je porte aux tribunaux, je crois q ue les retranchemens de la censure é",ien~ préférables aux procès 9 ue
( 581 )
l'on fait aux écrivains pour dt:S ,tendances, c'est -à - dire,
pour des intentions qu'o n leur prê le et que l'on juge suspectes ~
sans qu'on puisse les cO lldamn cr pour les avo ir exprimées,
et en peill e de.squel1es on les prive te mp orairemen t du droit
d'écrire des choses qui pourraient être irr~préh e~sibl es .
..
,
L'émancipation des journaux et des écrits pério.
diques a eu J'elfet qui accompagne souvent l'alI'ranchissement d'une surveillance accoutumée. Parce
qu'on était libre on s'es t tout permis. J'arce qu'on
avait le droit de taire connaître les actes des a utorités, et d'exposer les griefs qui en résu ltaient , on
les a censurés avec amertume, mépris et injure,
Quand on pouvait dénoncer des erreurs, on a accusé les intentions, Trop souvent le Gouvernement
a été avili dans la personne de ses agens , depuis
les plus hauts degrés jusqu'aux plus iu rérieurs,
P lusieurs journaux n'oot plus eté des sen tinelles attentives et de sang froid, qui al'ertissent de ce qu'elles aperçoivent de réel ; ils ont son né l'alarme avec
les sy mptômes et l'acce nt cI'un e terreur pauique et
exagé rée, Quelqu efois mème 00 a pu croire qu e
c'était dans des in tenLiulls du trouble) 0 11 au moins
dans la vue plutô t ci e favoriser des partis que cie
servir la chose publ ique.
Le Roi a jugé qu'i l fa nt appaiserce Lle elI'ervesceoce,
qui ne peut ê tre méco nnue par aucun parti) puis.
(lu e souven t les journaux ) où leurs opimons et leu rs
�( 58:1 )
( 58:1 )
intérêts sont exprimés, se la reprochent sans aucun
ménagement, avecinjllre et âcreté. Un censure temporaire il paru nécessaire: Sa Majesté l'a demandée
par le projet qu'elle a fait proposer à la Chambre
des Pairs. En preuve qu'une liberté bien ordonnée
ne lui est pas moins chère qu'a la nation à qui il l'a
donnée, le Roi avait proposé d'~ppeler à sa conservation et à la surveillance de la -censure des membres des deux Chambres, dont l'interven lion aurait
garanti con tre les rigueurs ou les abus qu'on est si
prompt à soupçonner. La Chambre des Pairs a refusé celle surveillance, comme étant hors des pouvoirs de l'autorité législative et appartenant entièrement au Gouvernement. En vou lant la pm'tager , le
Gouvernement n'avait pas entendu s'en délivrer, il
en accepte la responsabilité tout en tière. Il ne cra int
pas les lumières qui écIai"ent, il les désire; il ne veut
que défendre la multitude, de cell es qui aveu",lent
et brûlent. S'il est des écrivaio$ périodiqu es" que
leur génie, ou seulement leurs bonnes intentions
'lppelJ ent à donner des a~is et des leço ns ~u Gouvernement, qu'ils ne les enveniment pas du fiel de
la satire et de la calomnie; que > sous le prétexte de
guider l'autorilé , ils n'en sapent pas les bases; que.
I~ollr défendre les peuples des erreurs de la sllperstltlon , ou ~es excès dn fanatisme, ils n'a tt'Iqu ent
pas la reltglon . qlll ne les repolisse pas moins elu' ils
ne le foot eux-mêmes.
Lajsser dire tout ce qui est utile dans le but légitime des écrivains, d'après leur propre jugement ,
et quel qu'opinion qu'en ayent les censeurs, mais
rayer les injures et les outrages; tolérer toutes
les opinions, à moins qu'ell es ne soient évidemmeht
con traires aux principes de la morale, de la religion, de la Charte et de la Monarchie ; abandonner
tous les actes d e l'~dministration et des fon ctionnaires à l'investig-ation la plus curieuse, au d éveloppement de tous les g ri efs qui en naissent ; mais protéger les personnes et les ronctions contre des accusations mille fois plus redoutables que cell es qui
sont portées aux tribun aux où l'on trouve des juges,
tandis qu'on est sans défense devant les journaux:
telles sont. Messieurs, les règles que le Gouvernement se propose de donner à la censure qui lui sera
accordée, si VO\1S adoptez le projet qui ,'ous est présen té. La Chambre des Pairs a fait des amendemens.
Tous sont consentis, parce que le Gouvernement
Ile désire que les remèd es qui sont jugés nécessail'es , et qu'il se confie en la sagesse des Chambres.
Sa responsabilité est à l'abri, lorsqu'il a demand é
les moyens d'arrêter le mal qu 'il aperc,:oit, et qu'il
se sert de ceux qui lui sont fournis.
S'il est vrai que la liceuce des écrits périodiques ,
<l\1e la déconsidération que quelqnes-uns ont ,'ersée
sur l'autorité tiennent à l'insuffisance des dispositions
�( 584 )
( 585 )
répressives, on essaiera, pendant le court espace
pour lequel des mesures préventives seront autorisées, de pourvoir à un e répression plus puissante.
En attendant, nous comptons sur l'efficacité des
moyens que nous sollicitons; et, de plus) nous espérons que la manière dont la censure sera exercée )
accoutumera aux allures d'une véritable et utile liberté; que , sans écarter les vérités. elle indiquera
commen t elles peuvent être montrées dans toute
leur force , mais dans celle force que la passion
,.
.
. ,
n enerve pOint , et qUI s accroît par la modération
et la gravité du langag·e.
geaient dans les voies de la science, y rormaient à
entendre, expliquer et publier la parole de Dieu et
la doctrine de l'église, de jeunes lévites , dont les
uns) devenus maîtres il leur tour, perpétuaient
l'enseignement qu'il s avaient reçu) tandis que les
autres, en plus gl'a nd nombre , se répandaient dans
la vigne du Seigneur, la cultivaient avec autant
d'habileté que de zèle, la bisaient fleurir et porter
des fruits abondans. Cette maison tomba avec les
temples auxque ls elle lonrnissait des prêtres. Il est
temps qu'elle se relève avec eux.
Nos Rois , fil s aînés de l'église) ses plus anciens
et ses plus puissa ns protecteu rs, regardèrent toujours de leur devoir comme de leur gloire d'élever
des monumens r eligieux, 01' éclatent à la rois leur
magnificence et leur piété. Marchant SUI' leurs
traces, le Roi , que Dieu nous a ramen é pour rép~rer les ravages d'une horrible tempête) veut
qu'en son nom je pose la première pierre de l'édince où le séminaire de Saint.Sulpice va renaître,
et qui le rendra à l'ég lise de Paris, à presque toules
celles du royaume, empressées d'y venir chercher
des sujets. Puisse ce nouvel édifice, dont la constru ction surpassera en beauté celui qu'il va remplacer , l'éga ler en utilité ! Puisse-t-il être hllcbité
par l'esprit de ces r espectables supérieurs, dont la
mémoire a survécu à la des truction de leur maison,
DISCOURS
Prononcé le
21
novemhre
1820 ,
lors de la pose
de la première pierre du séminaire de Sain/Sulpice .
Sur ce terrain où nous sommes rassemblés, il
exi~it une maison célèbre. Des hommes d' une
instruction proronde et de grande vertu y diri.
�( 586 )
dont les lumières, conservées encore parmi quelques-uns de leurs disciples, formeront un nouveau
foyer ù'inslruction. P uisse, dn sein de Dieu où sans
doule il repose , le vénérabl e Emery, reconnaitre
le séminaire auqu el sa sag'esse é pargna beaucoup
de persécutions, qu'il garda comme un trésor caché, que sa modération empêcha d e lui enlever
tout-à-fait , et qui pent aujourd'hui s'accroître,
s'étendre et se développer dans toute l'étendue et
JI splendeur de sa richesse. Puissent se former ici
d'heureux imitateurs des Bourdaloue et des MassilIon, de l'aigle de Mea ux et de la co lombe de Cambray, ayant l'inflexibililé du premier sur le dog me J
la toiérance et la charité du seco nd. Puisse l'église
gallicane y tronver des défenseUl's de ses liber les ,
soumis au Saint-Siége, cenlrede l'unité catho lique,
mais attachés à nos immunités et à l'indépenda nce
de la couronne ; aussi fid èles snjets qu e bons c hrétiens; ne confondan t point la soumission à l'infaillibilité incontes table de l'église en m a tière de foi ,
avec le respect éclairé dû à son a utorité en malière
de discipline ; rendant à Dieu ce qui es t à Dieu, à
César ce qui est à César; faisa nt d'autant plus respecter la puissance spirituelle J qu'ell e respec le ell emême la puissa nce temporelle; lesalfermissa nt l'une
et l'autre par une heureuse union entre le sacerdoce
et l'empire qui les fait fleurir tous les deux , qui
( 5S7 )
prête à la religion l'appui des lois, et a ux lois la
plus puissante des sanctions, celle du ROI d es
Hois.
Ce ne sont point de vains souhaits que je forme,
j'exprime d es espéra nces déjà en partie réalisées.
Si, au. nom du Roi très-chrétien, je viens poser les
fonù emens de cet édifice, un prince de l'église répand en même-temps les bénédictions du ciel sur
cet ouvrage des homm es, le co nsacre par ses prières J et se prépare à l'orn er de science et de vertus.
De jeunes ecclésias tiqu es, d éjà formés et instruits
par ses soins se pressent autour d e lui . Bientôt leur
nombre s'aorandira
avec cet édifice; ils bén iront
o
la munificence du Roi , et le Roi n'aura qu'à s'applaudir d 'avoir donné à l'église d~ Paris , et à son
vénérable chef J les moyens de Ile pas laisser manqu er les autels de dig nes ministres, et les fidèles
de pasteurs éclairés e l charitables.
Ce discours attira l'att e n1 ion de M. l'abbe de la Mennais.
En saisissant l'occasion de rep rendre un des membres du minist ~rc avec lequel il était en opposition J il tro uva celle de
donn er une preuve de plus de l'espri t ultramontai n dont il fait
professiun. Il prépara , pour le journa l le D éfenseur, un
article in titulé: rijlexiofl s sur la nature et l'éten d ue cie la
soumissivn due au:); lois de l'église en l1tatiè,.,~ de discipline.
Elles furent, à mon insu , repoussées por la censure. li s'en
plaignit en les publiant à part. Je me semis opposé à ce rejet si
j'en eusse ét.é in struit à temps. L oin de craindre la querel le
�( 58 9 )
( 588 )
qu'Il me fai sait, j 'a urais voulu qu 'cll~ fût connue de tout Je
m onde , con va in c l1 que j'étais q uc le très-grand nombre cn
reco nn aî trait l'in j us lice.
En effet, oulrc quehjuf's m ots d e blâ me sur le d ésir que
j'avais témoign é qu ' il se formilt da ns le nouveau séminaire , des
dé fenseurs des liberL es de l'église ga lli ca ne , qui en ont besoiu
plu.s qu e jamais, et mê me contl'e M. l'abb é de la M ennais, luimême, il me reprorh ait principalem ent ù'avo ir opposé l'inflexibilité de Boss uef, sur le dogme, à la toléran ce et à la
t harité de Fénelon, et sur-lout d'avoir dit qu'il ne faut pas
confondre la soulwssion i\ l'iufaillibilité incont.t!stable de l'église en matière de foi, avec le r csped écla ire! dû il SOli autorit':
en matière de disciplin e. Ccs dcux gra nds évêques, dit-il ,
n'daien l pas moins inflexibles l'un qu e l'autrc sur le ùo ome
o
,
el n'avaient pas moins de chari lé e t de tolérance.
J e n'avais ga rde de dout er de la foi de F énélon, plus que
de cell e de Bossue t, J e n'avais vou lu que ca ra ctériser ces deu x
grands hommes, par les qualités qui les di stinguent spécia lement, et, certes, je n'avais en cela ri en fait de nouvea u ,· be."l ucoup d'a utres avant moi les avaient signal és de la même
manière.
Quan t à la distinc tion entre la soumiss ion à la foi et le respectdû à la di scipline) si M. l'abb ~ de la M enn ais m'acclI sed'être
un mau vais th éologien , ce qu e j e n'ili pas même la pré tention
d'être, je lui r ep rocherai de n e pus plus connaître les maximes
des plu,:., illustres magistra ts de Fra nce ~ur celle mat ière, que
je ne co nn ai.;; les cahier s de th éo logie. Cept'nùu n L, sans être
thêologien , on peut avoir; r,omme jurisco nsult e, ronsultt: le
T ra ite de ta disciplin e de ft!gliJ·e ) par le père Thomassin . On
peut ôlvo ir ]u, dans lloss uet , qu e ]ôl di sc ipline peul être différente da ns diff'(rentes égl ises et dôln s diffërens pays; qu 'elle
peut "rier; que l'on p ('ut rdàcher quelqu e chosc de sa sév c:rité. Au lieu que le dog me nt la foi son t invariables; et
comme ils sont de tous l es âgas) ils sont de tOllS les temps.
Sans être théologien , on peut savoir que le dogme a été
r évélé dès le commencement; qu'il vient de Dieu , qui l'a
ré vélé ... ou par J es us -Christ, ou par le Saint-Esprit, et que
nos pères l'ont reçu en tant qu e r évcl é; que la dis cipllne est
un ordre établi pa r d as r èglemens qui ont été Irouvés plus e u
moins convenables par leurs tllllel1rS, qu e la même auto rité
'lui le. a établis p ent les changer ; qu e le dogme a pour objet
ce que nous devon s croire; qu e )a disGiplin e est relative à
ce qui doit être pratiqué, qu'eUt! rcgal·de le go uvern emept
ext éri eur. C'est pour cd:! qu e les souverains y ont intérêt,
qu'LIs peuvent sJopposer fi ce qui) dan s la <1,i;s~ipline, n'est ~
pas ~onforme à leur gouvernement et au bi&:Üi dp leur Etat.
C'est pour cela qu'on n e ùoit à la di sciplinc qu'un respect
éclairé par la connaissan ce du droit public e t des lois, des
usages et des franchises du r oya ume.
Sans êb"e théologien, on peut savoi r qu t! l e co ncile de
Trente prononça anath ême contre ceux qui cr oyent qu e le
Inariage des enfans, contracté sans le co nsentement de leurs
parens, est ouI; et ) sans être jurisconsul te, on peut ne pas
ig norer que nos lois établissent et maintienn ent cette nullité;
que ce d écret du con cile de Trente, et quelques a utres , n'ont
pas été reç us en France, parce qu'ils ne son t qu e des r ègles
de discipline, ct que ce con cile 11li-même n'a été r eçu et ne
fait autorité qu'co ce qui touche la foi.
Sans être plus jurisconsllite que je ne suis théol ogien, M. l'abbé
de la ~f ennais aurait pu savo ir que cette distinction, qu'il
appelle oiseuse) si eUe n'est sacriL!ge, se trou ve en cent CDdroits des plaidoyers des Bignoo , des T aloo, des d'Agues-
�,
( 5i)u )
l!leau, qUI SO:lt mes maî tJ'es, CU UlUl e B O~Slt c t
et Fén dlGh leJ
siens. L e respect êclaire dont j'avais parlé pour l'autorité de
l'église en matière de discipline, était celu i que leuTs ouvrages et la jurisprudence des pal"lcmens m'avaient enseigné.
Je ne méconnalssait p as cette autorité, Ulais je pensais que 10
respect qui lui était dû n'ôlait pas le respect aveugl e que la
religion commande en matière de foi, et qu'il doit être concili~
avec celui qui est dû aussi :\ l'indépendance de la couronne et
à. nos lois. Je dés irais que, sans emp iéter l'unc ~ ur l'autre,
la puissance spirituelle et la puissaoce temporelle s'affermissent toutes les deux: en sc tenant dans leurs limites. P eul-être
le feu que prit l'lI. l'abbédelaMennais, sur undésil'aussi juste J
prouve-t-il combien j'avais raison de le concevoir ct de l'ex..
primer. Il ne fut pas au reste, si mal accueilli par les deux
respectables prelats et le clergé devant lesquels je parlai•.
OPINION
Su,. le Projet de loi relatif à la P olice de la Presse
periodique, prononcée dans La Chamb,.e des
Paù's dans la séance du 11 mai 1822 .
Dans la discussion si animée qui) d epuis six ans,
occu pe les Chambres et le public r elativement aux
jo urnaux, il est presque généralement reconnu
qu'on Ile doit pas les con fondre avec les autres productions de la presse, dont l'elfet. bon ou mauvais,
es t beaucoup plus lent et moins éten du. Les journaux ont, à-la-fois, la promptitude de la parole, la
puissa nce des discours adressés à un imm ense auditoire facile à s'émouvoir, et la fixité des écrits. Ils
peuvent donc, plus qu'aucune alltre publica tion ,
faire ou p lus de bien ou plus d e mal. On le reconnut
au moment même Ol! venait d'être co nsacré le droit
d es Français , de publier leurs opinions) en se confor·
mant aux lois qui doivent réprimer les abus de la
pre5ie. L'esprit des dispositions de la Charte, encore tou le récente) présida à la rédaction de la loi
du 2 1 octobre 18d!. On ne soupçonnait pas alors
que réprime,. ne sig-niliait que puni,.; ou croyai t
•
�( 5~)2 )
qn'oll n'<l I'" it pas besoi n de se réserve., le droit de
punir , qui est de l'essence de tout gouvernement ;
on /:roya it que la plus util e répression du mal consiste bieu mieu x dans le soin de le prévenir que dans
celui de le chtttier. Aussi , en prescrivant des r ègles
sur la publica tion des o uvr ages et sur la police de la
presse, ne confoudant point les journaux avec les
llutres écrits, on déclara que, jusqu 'à la fin de la ses~ion de 1816, ils ne pourraient paraî tre qu 'avec l'a utorisa tion du R oi, sa uf à renouveler ce tte préca ution
si les circo nstances le faisaient juger nécessaire. On
s' ét.ait flatté que deux ans suffir aien t pour r endre le
calme aux esprits ém us par le gra nd évènement qu i
Tenait. de se passer .
Le 20 mars et l'occupat.ion étrangère ne trom pèrent que trop ces espér ances. Les journ aux furent
maintenus sous la surveillance du Gouvernement
par les lois des 28 février et oo décembre I S I7. Ce
ne fut pas sans opposition. Chaqu e par ti vo ulait que
ses journaux , à leurs risq ues et périls, pussent s'exprimer en tout.e liberté, espéril[lt y trouver des
moyens de succès. " Don nez, disaien t-ils, des lois
" sévères et des jurés pour reco nnaî tre les contra" ventions; prononcez des ameud es ruin euses, ga» ra nties par des ca ution nemens, aggTavées par de
" longs emprisonnemens, et VO LIS aurez, pour vous
" défendre contre les ab us, tou t ce qui est raison" nablement nécessaire. "
( 59 5 )
L'essai de ce système fut tenté par les trOis loIS
des 17,26 mai , et 9 juin 1819' Le crime du 13 février 1820; en frappant la France d' une nouvelle
affliction, inspira de justes alarmes , et fit regretter
des précautions qui parurent tr~p tôt ah a nd~ nn ée~:
La censure fut établie par la 101 du 01 mars Jusqu a
la find e la sessiond.e 1820. Vers ce terme le ministère
la crut encore nécessaire et la demanda; il ne l'obtint que pour un temps limité qui a expiré le 0 février dernier . On lui avait inlposé de présenter une
loi plus répressive qu e celles des. 17 ' 26 ~1a i, et 9
J'uI'n 1819
• , il s'efforca
~ de r empl.r cette
" tache par
un projet présenté le .'5 d éce~ bre dermer , ~ alS en
déclarant qu e la censure des Journ aux ,ne lUi en ,par aissait pas moins nécessaire. Il la d.eslralt meme
pour cinq ans. Le projet de r épression adopté da ns
l'autre Chambre avec d'assez graves changemens,
a recu dans celle-ci un am end eme nt qui en retardera' la publica tion. Celui de la ,censu~e a été retiré
et r empl acé par un autre avec hntenhon m al re .~
plie, ce me semble , d'abandonner les mesures pr~
ventives pOlir n'embrasser que des moyens de r epression par lesqu els on espère rem placer effi cacement l'utilité <le la censure.
Ce n'est pas sans raison que j'ai retracé ce tablea u
de notre législation sur les journaux. J'ai vo ulu
montrer que , dès le principe, elle avait recon nu la
08
�( 594 )
nécessité ~des mesures préventives. Je prouvera!
maintenant que les mesures proposées ont encore
pour objet de prévenir, et qu'elles sont pIns contraires à la liberté des journaux, plus illégales et plus
arbitraires que la censure.
L'autorisation du Roi pour l'établissement d'ull
nouveau journal, n'est bien évidemment qu'une mesure préventive. C'est une précaution pour ne laisser
à l'avenir la faculté d'écrire périodiquement qu'à
ceux qui obtiendront la confiance du ministère. Ce
n'est pas que je ne l'approuve; il me paraît du bon
ordre qu'on ne s'érige pas en org'ane et en interpl'ète quotidien de l'opinion publique, sans avoir
l'attache du Gouvernement. Une quantité de professions non moins nécessaires, et dans lesquelles
les abus ont de moindres dangers, sont soumises à
des garanties et à une autorisation. J'acquiesce
donc à l'article 1 cr du projet.
L'article 2 prescrit de déposer au parquet du procureur du Roi le premier exemplaire du journal, à
l'instant même de son tirage. C'est encore une mesure qui, si elle n'est pas tout-à-fait préventive, en
a l'air, l'esprit, et en obtiendra même l'effet. La
première proposition du Gouvernement se bornait
à demander le dépôt d'un exemplaire. Pourquoi,
par un
amendement qu'il a consenti, exio'e-t-on
le
,
0
premIer exemplairt: à l'instantmême du lirage?Cest,
(59 5 )
sans doute, pour arrêter et poursuivre plus promptement le journalpù le procureur du Roi trouvera
quelque chose de répréhensible. Cependanlil avait
élé reconnu durant la session de 18 [7. par les deux
Chambres, que le dépôt n'équivaut pas à publication; que ce n'est qu'après la publication que ['on
peuL poursuivre et saisir. On craignit: à tel point, que
le dépôt ne devînt un moyen de gener la publication, qu'en 1819, la Chambre des Députés ajouta"
par un amendement consenti, à l'article 5 de la 101
du 9 juin, que la formalité du dépôt ne pourrait
ni retarder ni suspendre le depart ou la distribution
du journal. Pourquoi le projet, en renouvelant l'obligation du dépôt, et ne changeant que le lieu où
il doit être fait, a-t,il retranché cette disposition?
On assure qu'on n'a pas entendu y déroger. Il n'en
serait pas moins desirable qu'elle eût été conservée:
on aurait ôté prétexte à beaucoup d'inquiétudes et de
reproches; on aurait d'autant ~iel1x faiL que: si r eellement on ne veut pas prévemr la pubhcawon, on
n'a pas besoin du pre~1 ier exem~l:ir~ à . l'instant
même du tirage. Ce qu on a ajoute a 1artlcle 5 de
la loi du 9 juin 1819, et ce qu'on en a retranché,
peut donc inspirer des craintes fondées. Néanmoins,
comme je ne suis point ennemi des mesurt!s préventives, j'adopte encore celle-ci.
J'en aperçois une dans l'article 5, que je ne PUi5
�( :îg6 )
.admettre ..EUe est préventive au delà de ce qui est
Juste et. raisonnable; elle est pire que la censure;
elle est IOcompatible
avec nos rèo-Ies
sur la d'IVISlOn
..
.
'"
des p0uvOirs judiciaires et administra tifs; elle est
subversl. ve de tous les
principes qu'1 reglssen
,.
.
t 1es
et les peines • Je crains d e repro d Ulre
.
',.
dpoursUites
es Idees qUi ont été déjà présentées, mieux
que le ne saurais le faire, dans l'autre Chambre
et .tout-~-l'heure dans l'éloquent discours du nobl;
Pair ~UI a parlé le premier; mais lorsqu'on est
frappe des n:-êmes motifs, il est impossible de ne
pas l~s exprimer, tant que la discussion n'est pas
f~rmee; seul~ment on doit les exprimer brièvement:
c est ~e que Je :ais t~ch~r de faire avec mes moyens
dont Je sens aUJourd hm plus que jamais la faiblesse.
, On veut ~ue, dans le cas où l'esprit d'un journal
result,ant d une su~cession d'articles, serait de nature a P?rter attelOte à la paix publique ou aux
autres ~bJcts mentionués, qu'on est sans doute COllp~ble d attaquer, les Cours royales puissent} en au~Ience solennelle des deux Chambres, suspendre le
)~u:Dal ou même le supprimer en cas d'une seconde
recidlve
Je dis q U "1
. .
.
•
1 y a ICI une mesure préventive
pire que la censure.
.
En.. effet,
la censure s'exerce sur un p'lss'IO'e
'.
( • 0 qUI
parait
crlmlllel)
répréhensible
0 d,
E
' u dngereux. Ile
1' .
:usse publIer tout le reste. Un journaliste aurait
( Sm ~
millè fois subi les retranchemens de la censure,
qu'il conserverait la faculté de distribuer son journal. On n'avait pas imaginé, parce que mille fois
il aurait laissé percer un mauvais esprit, de le déférer aux tribunaux, pour l'interdire à temps ou il
perpétuité. A présent, on l'affranchit de la tutelle
censoriale qui, en le préservant de commettre des
fautes, lui conservait sa propriété et n'en empêchait que l'abus; mais combien on lui vend cher
son émancipatioll! Si lin procul'eur général trOl1l'e
qu'il a ma ni resté dans deux ou trois articles un
esprit de nature il porter atleinte il ce qui ne doit
point être attaqué, il le poursuivra pour le faire suspendre. Les articles sur lesquels la poursuite sera
fondée ne seront ni supprimés ni condamnés; mais
parce qu'il aura écrit dans un esprit d'une certaine
nature, il ne lui sera pas permis de faire) il J'avenir,
un meilleur usage de ses talens. La précaution préventive s'attache ici, non il ce qu'il ne faudrait pas
publier, et que la censure aurait retranché} mais à
ce qui pourrait être écrit, On retarde ou on étouffe
la pensée, non pas dans son expression, mais dans
son germe; on ne biffe pas ce qui est écrit , mais ce
qui pourrait l'être.
Si, du moins, la suspension ou la suppression devait être prononcée après deux ou trois condamnations, on concevrait qlle l'obstination et l'endurcissement dans l'habitude du mal pourraient entraîner
�( 5g8 )
fa perte de droits dont l'abus aurait été judiciairement reconnu; on ne proposerait rien d'extraordinaire; il esl juste d'enlever à un homme incorriO'ible les moyens de renouveler ses fautes. Mais c':st
lorsqu'aucune faute n'a t:tt: dénoncée et reconnue
qu:on veut pr~venir celles à commettre, et qu'on
presume devOIr être commises d'après des articles
qui n'ont pas paru susceptibles de poursuites! Voilà
l'bypot~èse d~ns laquelle on arme les cours royales
du drOIt de vIe et de mort sur les journaux.
Je suis loin de ne pas rendre aux tribunaux et
aux cours royales la justice qui leur est due • .Nier
leur indépendance, c'est ébranler une des principal ~ ga,ra~ties de la société, et porter une grave
attelDte a 1ordre public. Je leur accorde confiance
parce qu'il importe qu'ils en soient investis; je la
leur accorde aussI parce qu'ils la méritent · mais
quelque dignes qu 'ils en soient, il ne faut pa: dénaturer leurs pouvoirs. On doit faire les lois de justice
conformément aux règles de J'ordre judiciaire , et
les lois de police et d'administration conformément
à leurs principes.
. L~ tribunaux n'ont point de pouvoirs politiques
nt meme la manutention de la police. Ils ne sont
chargés de prononcer que sur les contestations civiles et les poursuites crimin elles. Aucun arbitraire
ne leur est accordé. Ce qui peut en êtrp. nécessaire
dans le Gouvernement en a été réservé à l'adminis-
( 599 )
tration. C'~t il elle d'autoriser les journaux, c'est à
eUe qu'il appartiendrait de retirer cette autorisation.
Lorsque les tribunaux condamnent pour malversation un fonctionnaire ou un homme autorisé par le
Gouvernement, ce ne sont p as eux qui le suspendent
on le destituent. Ils peuvent punir, conformément
aux lois , les abus que se permettent les établissemens autorisés; mais la suppression de ces établissemens n' est, pas plus que leur autorisation, dans
le pouvoir judiciaire. L'innovation par laqu elle on
propose de donner aux cours c.e pOUVOIr ext:aordinaire, qne les auteurs du prolet ne reconnaIssent
ni dans les tribunaux de première instance, Dl
même dans les cours, si deux Chambres ne sonl pas
assemblées, ne peut don c êlre accordé, parce qu'il
faut conserver la division des deux pouvoirs judiciaire et administratif'; parce qu'il s'agit pour un journal, de privilége ou d'autorisation , par conséqu ent
de confiance. L'adminislration peut déclarer qu'elle
n'a pas de confiance} ou qu'elle a cessé de l'avoir
à l'impétrant ou au concession naire; mais les tribunaux n'ont poin t à accorder ou relirer confiance.
Ils jugent les actions et non les dispositions, les
tendances ou l'esprit. Il s sont établis pour pronon cer snI' ce qui est coupable, et non S UI' ce qui est
dangereux; sur le préjudice causé et non sur un
préjqdice futur et incertain. Donner anx c~\lrs la
répression préventive des journaux, ce seraIl donc
�( 600 )
dénaturer leurs pOUl'oirs et les confondre avec les
pouvoirs administratifs. Quant à la répression judiciaire et pénale, les trois lois de 1819 et la résolution additionnelle que les deux Chambres viennent
d'adopter, la leur confient, autant contre les journaux que contre les autres écrits. Ces lois sont apphcables à tous les libelles qu'avec raison on a voulu
atteindre. Si les libelles périodiques sont plus danger~ux et plus coupables, on a les moyens de les
(lumr plus sévèrement, dans l'intervalle qui sépare
le minimum et le maximum des amendes et des
emprisonnemens , et que le projet , dernièrement
adopté, a tant ag-randi. Lorsqu'on punirait, par
exemple, l'outrage ou l'a ttaqu e faits dans un écrit
il la religion, à la dignité royale, etc. , de trois
mois de prison et de 500 francs d'amende, rien
n'empêcherait que la punÎlion de pareils délits ne
fût portée, contre un journal, à l'emprisonnement
de Clllq a~s) et à une amende Je 6,000 francs.
Malgré cette sévère répression qui menace tous
les abus de la presse, par quelque écrit qu'ils soient
com n1!S,{)n proposedep lusla suspension etl'interdic_
tion des journaux: e t à qui la confier, a dit le noble
Rapporteur de vOIre Commission, si ce n'est aux
tribunaux? Aux tribunaux moins qu'à personne,
~arce que ce~te appréciation d'LIU esprit de nature
a porter attelDte, est un e véritable censure une
opération d'administration, qui ne saunit a~,par-
( 601 )
tenir au pouvoir judiciaire; parce qu'ilue pourrait
"tre in vesli du droit de suspendre ou interdire, que
comme d'une aggravation clepeineà prononcer dans
une condamnation pour récid ive ; parce qu'enfin, et
c'est ce qui me reste à établir, un tel pouvoir est
subversif de tous les principes qui r égissent les
poursuites et les peines.
Nul ne peut être poursuivi que pour contr~ven
tion , délit ou crime !)rév us par les lOIs; et Il .ne
peut être condamné qu'autant qu'il en e~t convamcn : et cependant on propose de poursllLvre et con·
da OJ ner les journa listes, non pour les outrages) attaques, excitations , diffamations , . injur,es prévues
par les lois, mais pour nn e succeSSIOn d artl~les de
nature à porter atteinte aux objets mentIOnnes dans
le projet. L'atteinte prévlle par les lois de 1819 , et
par la résol ution dernièremen t arrêtée, n'aura ,pas
été portée , ils n'en seront pOlllt convalllcus Dl ~eme
accusés, et néanmoins leur procès leur sera faIt, et
ils pourront eocouI'ir une peille plus Co~te que s'ils
avaient porté une atteinte réelle et pUDlssable; car
aucune amende, et peut-être l'em prisonnement,
n'équivalent à la suppression ou même ~ la,sus~en
sion d'lin journal; elles en emportent 1aneanl1ssement; elles sont une véritable ruine.
Et pourquoi cette peine ? pour avoir publ.i'; des articles dont aucun n'aurait Condé une accusatIOn, dont
on formera lln faisceau pour en moti,'er \Ille. Ce sera
�( 602 )
nne succession indéterminée, plus ou moins nombreuse d'articles j nnocens, ou tolérables et tolérés,
qui formera L'orage dans lequel un journal sera
submergé. Cette objection s'est présentée aussitôt
que le projet a été connu; 011 n'a fourni aucune réponse suffisante: vous' aUez en juger.
" Les articles, a-t-on dit, qui donneront lieu à
" poursuites , ne seront point innocens; ils seront
» jugés coupables, ou le journal sera renvoyé de la
» plainte. La culpahilitén'estpasdéfinie, parce que
» le délit échappe à tontes les défi nitions. Ne pou» vant désigner l'infinité (le manières et de tour» Dures répréhensibles que l'on peut employer dans
» un journal , on les a caractérisées par leur but
» et leur effet: on fr appera le journal comme li» belle. »
Sans m'arrêter à ce qu'on a omis dans le projet,
c.e. mot de libelle, qui , d'après celle réponse, serait
slllDportant, je reconnais que les délits de la presse
ne peuvent être définis, et qu'on ne pent les dési?ner que par les objets auxquels ils s'attaquent. Les
Juges apprécieraient dans leur esprit et leur conscience s'il y a atteinte ou outrage; ils se détermineraient d'~près l'impression qu'ils recev raient des
passages inculpés ; mais l'article n'est pas jusL1fié
pOllr cela; l'objectio n n'est pas répondue.
En effet, les délits de la presse ne sont pas autrement définis ou désignés dans les lois de 1819, et
( G03 )
dans le projet récemment adopté, quc Ja~s celui
qui lIOUS occupe. Cependant on ~e.~t, on. dOIt poursnivre en force de ces lois, les ecl'lts qlll outragent
ou attaquent la religion, l'autorité ou la. personn.e
du Roi; on peut, et on devrait donc aussI pOU~~Ill
vre le journal qui contiendrait de semblables de lits ;
si on ne le fait pas, c'est qu'on n'y apercel'r.a pa~
l'outrage punissable. Comment donc pourra-t-tl arnver que le délit qu'on n'aura. pas a~erç~ da~s u~
premier, dans un second arl.Jcle, Dl meme Isolement dans le dernier, on puisse le trouver dans leur
succession, et qu' .me réunion de quantités négatives
.•
..?
produise une quantIt e p0.5JtH'e.
.
.
On a, dans les lois de 18/9, et dans le projet recemment discuté, qui y est additionnel, tout ce qui
est nécessaire pour la punition des délits des joUl'naux. Mais en recherchant l'honneur de supprimer
la censure, on a voulu se réserver sous d'autres
formes une partie de ses al'antages, et peut-être de
plus grands encore. Il est évident que l'article:3 du
projet contient un e peine grave qui ne frappe pas
sur des délits , mais sur la tendance ou sur l'esprit
de nature à en commettre; qui punit les intentions
présumées et non les actes accomplis ou commencés, et qui, consistant en suspension ou interdiction d'écrire un journal , a les ell'ets d'une censure
perpétuelle, aveugle et injuste, puisqu'elle sup-
�( 604 )
( 605 )
prime d'a vance J et à raisOll de ce qui a é lé publié,
ce qui pOllrrilit l'èlre à l '~ ve llir.
On ne !leut pas échapper à ce dil emme: ou les
arLicles qui donneront lieu à la poursuite d'après
l'a ,.Licle 5, seront co upables en eux-mêmes, 011 ils
ne le seront pas; s'ils le sont, 011 a contr'eux les
lois de répression; s'ils ne le sont pas , ils ne peuvent pas donner lieu à une poursuite plus grave ,
pluJ solennelle, que s'il y avait d élit.
Etrange législation! Le venge ur public traduira
devant les chambres assemblées un journaliste; il
lui dira; un tel jour vous avez publié tel article, un
tel jour tel autre, je n'y ai point aperçu d'outrage
ou de dérision pour la religion, point d'a ttaque
contre la dig nité roya le, co ntre les droits garantis
par la Charte ; ri en J en un mot, qui vous rend e
coupable et passible des peines portées par les lois
répressives des abus de la presse; aussi je ne r equiers contre VOliS ni amende ni emprisonnement;
j'ai laissé librement circul er ces articles; cependant
ils étaient de nature à porter 'a tteinte à des objets
que VOliS devez r especter; et pour cela votre journal sera sllspendu ou suppr im é. Mais, ne serail-il
pas plus sage et plus juste d e supprimer ou de punir ces articles, qu e de supP"im el' ce qui , n'étant
pas encore écrit, sera peut.être d'une nature toute
différente et parfailement innocenle?
Qu'est-ce d'ailleurs qu'une chose qui ne porte
pas atteinte, et qui est de nature à la porter? Presque toutes nos facultés, tous nos moyens el nos lOStrumens sont lie nature à porter préj udi ce ou atteinte, si nous en faisons un mauvais emploi; on ne
nous les ôte pas pour cela; 0n attend au moins que
le mauvais emploi ait été fait, que l'atteinte ait été
portée.
. . .
Si un écrivain avait publié deux ou trolS ecnts
dans un esprit de nature à porter a tleinte J j'interdirait-on ? Non, sans doute. Pourquoi celte différence entre l'écrivain et le journaliste? Cest, répondra-t-on, que le journaliste est plus dangereux; j'en
conviens; c'est un e raison de le punir plus sévèrement quand il aura porté attein te; mais quand il ne
l'a pas portée, on n' est pas plus fond é à l'interdire
pour ses tendances et son esprit que tout autre
écrivain.
Je reconnais , avec M. le Garde d es Sceaux, qu e
la prudig'ieuse variété des combinaisons du langage
ne permet ni de prévoir ni de d én nir les délits de
la presse; je trouve bon qu'on s'en rapporte à l'impression qu'éprouveron t les juges à la lecture d 'un
ouvrag'e, et qu'ils puissent dire ; il Y a là un libelle
que nous condamnons; mais à cet arbiLrail'e, à ce
jugement discré tionn aire qu'o n est forcé de leur
con fi er, faut·il en ajouter un plus gTand encore,
ce lui de déclarer que, bien qu'il n'y ai t pas eu
�( 6,,6 )
atteinte ni libelle, il Y a eu tendance à porter
atteinte ; que le journal n'est pas encore un libelle,
mais qu'iL est de nature à le devenir.
Législation étrange qui motive une peine sur
des articles qui ne sont pas des délits, qui n'applique pas la répression à ces articles, mais à ceux
que l'on conjecture qui pourraient survenir!
Puisqu'il faut des journaux , puisqu'on ne veut
pas de la censure, de peur que , sous prétexte de
prévenir de dangereuses publications, on n'en empêche d'utiles , que l'on marche franchement dans
ce système, qu'on le suive avec ses avantages et ses
inconvéniens. Sans doute, il ne faut pas rester sans
défense contre les abus, mais ce lte défense doit être
légi time. Qu'à la première occasion, que, sans attendre une succession d'articles, on punisse sévèrement le premier qui aura porté atteinte aux obje ts
r espectables et sacrés mentionnés dans les lois de
1819 et d ans le proj et additionnel; mais qu'o n ne
frappe pas à L'improviste les journaux de suspension
ou d'interdiction pour une suite d'ar ticles dont aucun n'aura pn être poursuivi et réprimé; qu'on
n'é toutlè pas les productions à venir d'un esprit
qu'on jugera de nature à por ter atteinte, lorsque
les productions publiées d e ce même esprit n'ont
pas porté cette atteinte.
Je repousse avec d'autant moins de peine l'article S, que le Gouvernement a tous Les moyens,
( 60 7 )
moins la censure, de se défendre contre les abus des
journaux. Il les a dans les cautionnemens auxquels
ils sont assujétis, dans l'autorisation qui leur sera
nécessaire à l'avenir, dans Je dépÔldu premier exemplaire à l'instant même de son tirage, qui donnera
le moyen de les poursuivre au premier moment où
ils verront le jour; ennn, d ans les lois qui punissent
ce qui paraîtra aux juges porter une atteinte coupable. Le Gouvernemen t ne sera privé que de la
fa culté exorbitante de faire suspendre ou supprimer
les journaux sans qu'ils aient commis un délit, mais
seulement sur leur tendance à en commettre.
OPINION
Sur le projet de l'ésolution tendant à provoquer
une loi pour la révision des procès criminels,
dans certains cas non prévus par le Code, pro.
noncé dans la Chambre des Pairs, dans la séance
du 15 avril 1822.
Les plus généreux sentimens ont inspiré J'éloquent discours que vous venez d'entendre. Le noble
préo pinant ne peut supporter l'idée d'un innocen t
condamné. Il veut, si l'on ne peut le rappeler à la vie,qu'on trouve les moyens d e r evenir sur une si cruelle
�( 608 )
erreur, de consoler Sil famille, de le lui rendre,
~inon yivant , du moins réhabilité, digne d'estime
et d'é ternels regrets, doubl ement co nsacré par le
malheur et par un arrêt so Lennel qui en publie la
réparation. Il n'est personne qui ne s'honore de
partager des souhaits et des desirs si humains; mais
\1 ne nous est pas donné d'obtenir l'accomplissement de tous nos vœux, même les plus légitimes.
On ne fait pas les lois avec son cœur: la pitié,
l'humanité, ont leurs droits ; la société, la justice,
Ollt aussi les leurs. Il n'y a d'infaillible que la justice de Dieu; celle des hommes se r essen t de leur
fai blesse: et lorsqu'ils ont IllÎt tout ce qui est en
leur pouvoir pour la garan tir des erreurs inséparables des hornes de le ur esprit, ils sont arrivés au
terme où ils doivent subir des imperfections qui ne
pourraient être corrigées sans en amener de plus
grandes.
Condamner un innocent est un malh eur sans
doute: c'est pour qu'il n'arrive pas qu'on a entouré
les poursuites , l'instruction et les jug'emens criminels , de tant de précautions, et qu'après une
long ue expérience de la procéd ure écrite, et de la
preuve légale qu'ell e produit aux yeux des magistrats , on a préféré la procédure orale, les débats,
et la conviction morale qu'ils opèrent sur l'esprit
des jurés.
Mais plus on s'est efforcé d'arriver à la perJecLion
( 6°9 )
et à la rertitude des jugemens, plus on a dû leur
accorder d'autorité , les réputer pour chose vraie et
désormais incontestable. Sinon, sous le prétexte
de défendre l'innocence méconnue, de réparer ce
qu'on ne manquerait jamais d'appeler des assassinats judiciaires, la société serait troublée par de
continuelles incertitudes; une pénible défiance décrierait les condamnations, et détruirait en partie
leur plus salutaire elfet : la rorce de l'exemple.
Avant le jugement, tous les efforts doivent être
tentés pour la défense et l'absolution. Après , il est
nécessaire de respecter religieusement l'oracle de la
justice. Il est investi, au moment où il est prononcé, de toutes les présomptions qui avaient d'abord
dû favoriser l'accusé. L'évidence 5eule peut ramener
les doutes que l'arrêt a dissipés. Mais à quoi la reconnaître? Et lorsque, pour condamner, on a exig'é
que la culpabi lité fût ':vidente aux yeux des jurés,
reviendra-t-on sur leur d':claration, à moins qu'elle
ne soit infirmée par une égale évidence , et qu'on
ne puisse espérer de parvenir à une évidence contraire ?
La révision est aux condamnations rég ulières ce
qu'est la cassation aux jugemens infectés de nullité.
Comme l'injustice ne suffit pas, an civil, pour obtenir la cassation, et qu e l'on tient pour juste un
arrêt régulier , de mêm e, au criminel, la déclara39
�( 610 )
tion des jurés ne peut être altérée par aucune allégation, par aucuue preuve, si ce n'est par l'écla t
de l'évidence. Je ne suis pas assez versé dans la
législation anglaise poursavoirsi la révision des jugemens criminels y est admise; mais je sais que, lorsque
l'Assemblée constituante établit le jury, à l'imitation
de la législation anglaise, elle supprima la révision.
Une loi du 15 mai 1795 la permit pour le cas où
deux condamnations seraient inconciliables. Le
Code d'Instruction criminelle y ajouta deux autres
cas. Vous êtes appelés, Messieurs, à examiner si
l'on ne peut pas y apporter quelque nouvelle amélioration propice au malheur. Je croispouvoirposer
en principe incontestable que, pour réviser un jugement criminel, il ne suffit pas qu'il y ait des présomptions d'erreur, car les présomptions de vérité
prévalent en sa faveur; et comme au civil, l'autorité des actes authentiques repousse les allégations
et les preuves, à moins d'inscription et d'accusation
de faux, il faut, au criminel, erreur évidente; il
faut à cette erreur pouvoir substituer la vérité méconnue, et pour cela la découvrir et la rendre manifesle; c'est d'après ce principe que j'examinerai la
proposition dont la Chambre s'occupe.
Je rappellerai auparavant ce que, dans la dernière séance, un noble Pair a déjà dit de notre
précédente législation.
( 611 )
A.vant la réformation de notre procédure criminelle, tous les actes en étaient écrits, les j ugemens
s'appuyaient sur des bases durables dont on pouvait
toujours vériner et reconnaître la solidité. Cela
rendait les révisions plus faciles. On n'nnit '{u a
ouvrir les cahiers des informations, des récolemens
et des confrontations; on pouvait en tout temps
faire un nouvel examen, et reconnaître, par de
nouvelles ou meilleures combinaisons des élémens
inaltérables qu'on avait sous les yeux, si l'on s'était
trompé. On pourrait encore aujourd'hui revoir,
si la prescription ne s'y opposait, les plus anciens procès, celui par exemple du maréchal de
Hiron .
A la procédure écrite nous avons substitué la
procédure orale. La déclaration de culpabilité n'est
fondée que sur les impressions que les jurés ont reçues dans les débats. Les témoignages qui ont déterminé ces impressions ont disparu. Les jurés ont
emporté avec eux, dans leur conscience, les motifs
de leur conviction; elle a pu être erronnée, car il
n'est donné à aucun homme de ne pas se tromper
quelquefois; mais les anciens moyens de reconnaître l'erreur, ne sont plus les mêmes. Serionsnous assez heureux pour joindre aux avantages de
la procédure orale, si favorable aux accusés et à
la certitude des j ugemens, ceux de la preuve
�( 612 )
écrile ! Pou,on,-uous 'Ivoil' le, 'lvantages de deux
procédures essentiellement diIférentes ? En acquérant les moyens de mieux assurer la marche de la
justice dans l'instruction et le jug'ement, d'en écarter mieux et plus souvent les erreurs, nous avons
perdu celui de revenir sur un reste d'erreurs qui,
malgré les précautions prises, peuvent se glisser
dans les jugemens. En cherchant à leur donner,
autant que possible, un caractère d'infaillibilité,
nous avons perdu le moyen d'attaquer celle infaillibilité morale que nous avuns substituée aux preuves
légales.
Cependant les auteurs du Code d'Instruction crimi nelle , aux intention desquels il serait juste de
rendre hommage, :\u moins dans cette occasion,
reconnurent que, nonobstant les garanties que présente une institution, où les accusés sont jugés par
leurs Pairs, et par des hommes que l'habitude de
voir des criminels n'a point endurcis, que des préjugés de profession n'enchaînent pas , qui n'obéissent qu'aux impressions de leur esprit, et à l'impulsion de leur conscience, il est possible que
q,uelqueJois on soit égaré par de fausses apparences,
par des pt'euves trompenses et mensongères, Ils désignèrent donc trois cas où la révision serait admise.
Le premier avait été déjà réglé par la loi du 15 mai
179 5 , mais omis dans le Code du 5 brumaire an 4 ;
( 6t;) )
ils le rétablirent. C'est le cas de deux arrêts qui ne
peuvent se concilier. Ils y ajoutèrent celui où, après
une condamnatiun d'homicide, le prétendu homicidé apparaissant, son existence démontrerait l'impossibilité du crime , et par conséquent l'erreur de
l'arrêt. Enfin, le cas où des témoins à charge,
produits contre le condalllné, auraient été poursuivis
et condamnés pour faux 'témoignage.
Dans ces trois cas les condamnés pouvaient être
encore vivans, lorsque le motif de révision se présentait; ils pouvaieot aussi être morts: on examina
si, dans chacune de ces circonstances , la révision
serait également admise , qu'ils fussent ou non décédés.
On n'aperçut aucune dilliculté pour le cas de la
représentation du prétendu homicidé. Dans ce cas,
n'y ayant point d'homicide, il n'y a pas de meurtrier: rien n'est il débattre avec le ('ondamné; il
suffit de constater l'identité et ['existence du prétend u homicidé. Elle se constate par son interrogatoire, par l'audition des témoins qui le connaissent. Après qu'il est reconnu , la Cour de cass.tion
aunule la condamnation basée sur un fait inexistant , ce qui remet le condamné, ou sa mémoire ,
dans l'intégrité de son etat; et si la Cour de cassation se fait encore quelqu e doute , elle peut, en
('assant, renvoyer l'affaire à une Cour d'assises, où
�( 614 )
le condamné défunt sera représenté par un curateur
avec lequel se fera l'instruction, et qui exercera
tous ses droits: mais on pensa que, dans les deux
autres cas, la mort du condamné f.lit obstacle à la
reVISlOn.
Pourquoi, demande-t-on, cette différence? Si
l'inLérêt d'arracher un homme à la mort n'existe
plus, celui de son honneur, celui de ses parens n'en
acquièrent que plus de force. Une tardive et trop
insuffisante réparation est tout ce qui leur reste. A
quel titre la leur refuser? De quel droit les renvoyer au jugement du publie, qui ne saurait avoir
la même authenticité qu'un arrêt? Pourquoi la justice, qui dQit toujours condamner à regret, ne
s'empresserait-elle pas de s'honorer en avouant et
publiant une erreur involontaire?
Je suis loin, Uessieurs, de croire que, si l'on
pou vait instituer et ou vrir des débats pour ou con Ire
un défunt, on ne dût suppléer à son absence et le
faire représenter. Mais remarquez la différence des
deux cas que l'on veut assimiler. Dans celui, je l'ai
déjà dit) où l'on retrouve le prétendu homicidé, aucune déposition n'est à entendre et à débattre avec
le prétendu meurtrier. Il ne s'agit que d'une vérification, d'une reconnaissance de personne: Pierre
avait-il été assassiné par Paul , qu'on a condamné
au dernier supplice? Non, si Pierre est vivant, s'il
( 615 )
n'a pas été blessé.lci l'erreur est évidente) et la
vérité contraire respire, parle avec PielTe, se fait
entendre avec lui, et détruit l'accusation.
Dans le cas, au contraire, de deux condamnations inconciliables, pour un crime qui n'a été
commis que par un seul ,,le crime existe; l'erreur
ne tombe pas sur le crime, sujet de la condamnation, mais sur la culpabilité de celui qui en est
l'auteur: l'un des deux arrêts est juste. Lequd est
infecté d'erreur? C'est ce qui est à rechercher.
Les deux arrêts doivent être cassés, puisqu'ils
sont en contradiction, et qu'ils forment la preuve
de l'innocence de l'un ou de l'autre des condamnés.
Après la cassation, les deux condamnés, s'ils sont
vivans, sont renvoyés à une cour d'assises, où l'on
procède sur les deux actes d'accusation qui les
concernent. On ouvre des débats contre eux. et
contradictoirement entr'eux. L'innocent repousse
les charges qui avaient égaré les jurés lors de sa
condamnation; il les fait retomber sur celui pour
le fait duquel il a été condamné. Les témoins désignent quel est le véritable coupable, le reconnmssent, et les jurés le déclarent coupable. Tout cela
est facile lorsque les deux condamnés vivent, qu'ils
peuvent à la fois être accu~és de nouveau et se délendre.
Dans ce cas, l'erreur résultant des deux arrêts
inconciliables peut se corriger par la nouvelle ios-
�( 616 )
truction et le nouvel arrêt renJu entre les deux accusés. Mais si les deux condamnés sont morts, où
est le moyen de découvrir l'erreur dont l'un des
deux a été l'innocente victime? où est le moyen de
découvrir la vérité méconnue et de la rendre manifeste? Avec un c urateur) nous dit-on, qui représentera le premier condamné défunt. Votre Commission n'a pas oséseprononcel'sur le cas où les deux
condamnés seraient morts, et proposer que des débats s'ouvriraient entre des curateurs donnés à la
mémoire de chacun d'eux; elle s'en rapporte à ce
que la bau te sagesse du Roi jugera convenable de
faire insérer dans le projet de loi pour la circonstance où les deux condamnés ne seraient plus vivans, Mais les difficultés ne sont pas moins granùes
lorsque le second condamné existe encore.
En effet, est-ce du chefdu second condamné vivant
que sera demandée la révision, ou du cbef des
parens du premier condamné défunt, qui voudront
prouver son innocence par l'arrêt qui frappe le second condamné?
Si c'est du chef du second condamné que la révision
est accordée, on lui donnera un avantage immense.
Outre J'intérêt qui se déclarera toujours en faveur
d'un hommeà soustraire au supplice, de préférence
à un défunt dont il ne faut que rétabür la mémoire,
1e second condamn é n'aura pas manqué, Jans les
débats qui ont précédé sa condamnation, de faire
( 61 7 )
valoir qu'il n'est pas le <.:oupable, puisqu'un autre
a déjà ete couJamné pour le même crime. Si,
nonobstant celte exception puissante, il a été condamné, le dernier état d es choses le déclare coupable. Et cependant on le relèvera de œtte condamnation, on l'adm ettra a la débattre contre un
curateur qui, malgré l'intérêt qu'il prendra à la
canse qui lui est confiée, n'aura pas les moyens
qu'aurait eu le défunt! Pourra-t-il) comme l'aurait
Iiüt celui-ci, déha ttre les témoig nages qui le cbargen t ? Aura'l-il les conn aissa nces personn elles qu'avait l'acc usé défunt de sa propre conduite, des fa ils
r elatifs à l'accllsalion J et par lesquels il polll'rait la
faire retoIllber snr la têle seule du second condamné ? La r évisiou présenterait douc, dans ce cas, des
cbances inégales dans un co mbat qui J evrait ètre
égal; elles seront plus profi tabl es au second conJamné qu'au prem ier , qui cependant pourrait être
l'innocent.
Mais à l'ég'ard même d e celui-ci, les embarras
qui sortent des règles de la procédure sont bien
<lutrement grands.
Les deux arrêts inconciliables doivent être cassés:
par conséquent les d eux condamnés so nt remis a u
mêm e état où ils étaient auparavant, et il f:LUt instruire de nouvea u sur les actes d'accusa tion portés
contre eux. Or, peut-on instruire au criminel un e
accusation a,'ec un procureur ou un curateur ?
�~ 618 )
,
.
Un arrêt devra s'ensuivre qui condamnera le véritable coupable. J.:eut- Oll condamner quelqu'un
par procureur? Pent·on le condamner lorsqu'il est
de principe que la mort éteint l'action criminelle?
,
Les témoins doivent être confrontés avec l'accusé
déposer en sa présence, dire s'ils le reconnaissent,
Peuvent-ils reconnaître ou méconnaître l'accusé
Jans la personne de son curateur?
Aucune de ces difficultés n'existait dans l'ancienne
procédure, parce que, pour la révision, on ne cassait point l'arrêt à revoir. Il subsistait jusqu'après
le nouvel examen. L'instruction n'avait pas besoin
d'ètre recommencée; elle était entière, on n'avait
point à la refaire, on n'avait qu'à la revoir. Dans
notre procédure, au contraire, la révision est une
expression impropre, ou qui a un sens tout différent, On ne revoit pas, on (ait le procès de nouveau, et l'on ne pe'!t faire autrement, puisqu'il n'y
a plus ni témoignage ni confrontation (1). Il faut
donc, dans le cas où l'on ne peut ouvrir les débats
avec l'accusé , s'écarter entièrement de toutes
nos règles de procéd ure) renoncer au jury, ou
~ettre SO,US, ses yeux des débats dans lesquels
1acteur prmclpal manque, oit il est représenté par
.
(1) Notre instruction écrite , prê;:dable à l'accnsation ne
'
la1l
pas preuve, et ne vaut que comme l'cnseignemens. '
( 61 9 )
un curateur, qui ne peut donner aucune idée de
l'impression qu'auraient produites sur l'accusé les dépositions, l'affirmation des témoins, et la reconnaissance qu 'ils auraient faite de sa personne. C'est
établir, ce qui est impossible, des débats à l'égard
d'un contumax. Sa contumace est involontaire,
sans doute, mais l'impossibilité du remède, que
l'on recherche pour lui , n'en est pas moins constante. On est donc forcé., ainsi que le disait l'orateur chargé de présenter au Corps législatif cette
partie du Code d'instruction criminelle, de s'arrêter
devant l'obstacle élevé par la mort contre la recherche de la vérité ; et quand l'erreur n'est plus
réparable, il ne faut pas ouvrir d'indiscrètes voies
aux réclamations. Lorsqu'on a fait tout ce qui peut
l'être, sans nuire au plan général du jury et de la
procédure orale , il faut supporter les rares inconvéniens auxquels on ne peut obvier sans la subvertir.
Cependant, il est une objection dont je ne me
dissim ule pas la force,
Pour le crime d'un seul, Pierre a été condamné
et exécuté; pour le même crime, un autre qu'on a
jugé coupable a été condamné postérieurement; s'il
eût aussi subi son jugement , bien qu'il y eût une
erreur évidente et déplorable dans l'une ou l'autre
condamnation, le désir , la justice de réhabiliter
la mémoire de l'innocent qu'on n'aurait point les
,/
�( 620 )
moye ns de l'eCOnnal'tre, ne pourrait prévaloir sur
ctUe impossibiliLé. Mais si le seco nd condamné est
vivant encore, si c'est Ini qui dema nde la révision;
si le jug'ement qui le cu ndamne est véritablement
inconciliable avec le pl'emiel', cette impossibilité
de les concilier étant reconnue , l'enverra-t-on à
l'échala ud so us le prétex te qu'on ne peut plus recon naître lequel des deux jug'emens est erronné ?
Ou supposera-t-on, sans examen ultérieur, que
l'erreur était dans le premier arrêt? Et parce qu'on
aura immolé uue première victime, en frapperal-on une seconde dans l'ig norance si eHe est mieux
choisie que la précédente ? Je ne vois de remède
dans ce cas que la clémence du Roi, dont l'intervention ne serait pas se ulement ici de faveur et de
miséricorde} mais de justice. Le d"o:t de grâce a
un double motif, celui qui dérive de la bienfaisance
du souverain, et qui est arbitraire, celui d'adoucir
la rigueur des lois , d'avoir égard à des circonstances ,extraordinaires auxquelles elles n'ont pu
pourvOIT.
En applaudissant aux sen timens qui ont dicté la
proposition, je serais porté à ne pas y donner mon
assentim ent , parce qu 'elle tend à solli citer , dans
notre procédure orale el fugitive} un e révision impossible, tontes les fois qu'o n ne peuL pas mettre
en présence les deux co ndamllés} et établir /lntr'eux
le débat nécessai,'e pour reconnaitre le co upabl e et
(
6~ 1
)
lïllnocenl ; parce que, dans le cas où l'un d'eux
aura subi l'arrêt , le second aura recours à la grâce
du Roi. Elle ne lui sera pas refusée, parce que sa
culpabilité, quoique déclarée par le jury, est mise
en problême par une condamna lÏon inconciliable
avec la sienne, et que ce problême ne pouvant être
résolu, à délilUt d'un élément ind ispensable. la
présence de l'autre cond amné, la puissance du Roi
peut seule le résoudre. Dans ce cas, le sang du second condamné ne sera pas répandu; J'humanité
aura à s'affliger d'un supplice de moins. La mémoire du premier condamné, qui pouvait être innocent, ne sera point , il est vrai, j udici~iremen t
réhabilitée, mais un doute fav orable s'élevera pour
elle. Ce n'est pas tout ce qui est désirable, mais
c'est tout ce que la législation permet. Elle ne peut
ressusciter les morts ni revoir des p,'ocès don t les
principaux élémens ont disparu. Il faudrait, non
pas les revoir, puisqu'ils n'exis ten t plus, mais les
renouveler, et ils ne pourraient l'être con tre des
défun ts. La mort a éteint à leur égard l'ac tion criminelle. On a, dans l'incom patibilité des deux ar rêts, une cause de rescision; mais elle est inuti le,
parce qu'on ne peut juger ce qu'on appelle dans
les tribunaux le rescisoire, c'es t-à-dire, le fond du
procès , dont les pièces et un e partie principale et
nécessaire manquent.
�,
OPINION
Sur le Projet de Résolution relatif à l'exercice de
la Contrainte par corps contre un Memhre de la
Pail'ie, prononcée dans la Chamhl'e des Pairs
dans la séance du 115 avril 1822.
Je suis loin de contester les conclusions de la
Commission tendant à passer à l'ordre du jour; j'adopte le premier considérant qui établit qu'un Pair
ne peut
. . être arrêté que de l'autorité de la Chambre.,
malS Je ne pense pas que la Chambre puisse déclarer co~me principe que les Pairs ne peuvent être
contramts par corps pour cause civile. Voici mes
motifs . .
A la dilférence de la législation d'un pays voisin
où l'on peut sans doute chercher des exemples, mais
que trop SOuvent on veut nous Jonner comme modèle, la contrainte par corps qui a lieu en Angleterre pour toutes les dettes ci viles, est abrogée en
France. C'est par exception qu'elle y est établie
pour lettres de change et quelques autres cns qui
sont des ~l'13Si-délits. La lettre de change oblige par
corps qUIconq1Je la tire, la signe ou l'endosse. C'est
une monnaie qui, bien qu'elle n'ait pas cours forcé,
( 623 )
est d"tm usage général et nécessaire dans le commerce et même dans la société, car toutes ses
classes profilent plus ou moins des avantages du
commerce. Comme les pièces d'or et d'argent sont
garanties par la valeur du métal dont elles sont composées, la lettre de change est garantie par la liberté
de celui qui s'engage à la payer. Cest à cause de
cette garantie que les commerçans satisfont à leurs
lettres de change avec tant d'exac titude. Quelques
personnes ont mal conclu de cette exactitude, que
la contrainte est inutile, puisqu'elle est rarement
subie par de vrais commerçans. Elle n'est pas plus
inutile que ne le sont les lois sévères qui détournent
d'enfreindre des devoirs. La menace de la contrainte est un des principaux fondemens de la confiance dont le commerce ne peut se passer, de la
promptitude et de la lacilité si nécessaire à ses opérations. Cette confiance exige que quiconque signe
une lettre de change, en réponde par corps. N'importe qu'il 'ne soit pas commerçant, il s'en donne
les droits en mettant en circulation un papier qui
doit être réalisé en espèces à son écheance; il fait
un acte essentiellement commercial; et puisqu'il
profite des avan tages du commerce, il faut qu'il en
subisse les règl~s et la responsabilité. Cela a été si
constant jusqu'à présent, que bien que les ecclésiastiques eussent été exempts de la contrainte pal'
corps avant qu'elle eût été abolie pour les detles
�( G24 )
civiles, des arrêls qui ne sont pas anciens avaient
jugé qu'un évêque était con traignab le par corps
pour lettre de change. Vous savez aussi que les an~tens ducs et Pa trs du royaume y éta ient assuj éti s.
Un de leurs descendans avait cité dans la discussion
qui eut lieu en 1820 sur cette question, ce llobl;
rèfus du parlement de Paris, qui repoussa des lettres patentes par lesquelles le Roi voulait exempter
ses membres de la contrainte par corps. Il nous a
semblé, ditl'avocat général , Pierre Seguier, que la
Cour de céans, laquelle distribuait à chacun la
justice, devait prendre et "ecevoir la même loi
qu'elle baillait li autrui. P lus tard le premier PréSld.ent , après avoir prononcé un arrêt qni condamnaIt ~ar cor,ps le duc de Candale, ajouta par forme
~e ~eclaratton, afin que la question ne fût plus
elevee, que les ducs et Pairs etaient soumis à la
contrainte par COlpS comme tous les autres citoyens.
Ce n'e~t pas le lieu d'examiner ici s'il est vrai que
la contramte par corps soit un reste de l'ancienne
barbarie, qui livrait le débiteur il son créancier· si
elle n'est pas plutôt un moyen qu'il aurait fa'lIu
~réer ~vec les lettres de change , lorsqu'elles furent
lDveotees, et si les en priver ne serait pas porter au
commerce n~e, att~int~ funeste ? C'est une grande
~ue~tt~n de legtslatlOn et d'économie politique toutqui nous occupe. Il n'y a
a-fatt etrangère à ce
pas heu non plus de dIScuter si, à l'instar des Pairs
Il:
( 625 )
' nglais les Pairs de France ne devraient pas être
a
,
bli '
insaisissables dans leurs personnes pour 0 gallOns
civiles', et si notre Pairie, telle qu'e ll e est, à présent
constituée , et depuis qu'elle est une portIOn essentielle de la puissance législative, exige, de plus
grandes prérogalil'es que, l'a~cienne ,Patrte. ~rs
même que cela serait certam, ,t l faudratt ~ne I.Ot qUl
altribu ât ce privilége à la Paine , ou l~ declarat. On
ne peut partir que de ce qui est. Or, 11 est constant
'lue les Français sont éga/1$ devant la 101) quels
que soient d'ailleurs leurs tttres et leurs rangs.
Il est constant que la lettre de change emport~
contrain te par corps contre quiconque y ~ ,appos:
sa signature, à moins qu'à cause de sU~~OSttlO~ SOtt
de nom, soit de qualité, soit de domtctle, sOtt des
lieux où elle est tirée, où dans lesquels elle est
payable, elle ne soit réputée simple promesse.
Il est constant que la signature des femmes et
des filles, non négocian tes on marchandes p~bh
ques) est la seule que la loi déclare, de drOIt et
sans preuve de supposition, si~pl e prom~e.
Ils'ensuit qu'un tribunal qUi prononceraIt contre
un Pair la contrainte par corps, pour une lettre de
change qu e les juges n'auraient pas recon~ue ne
valoir qu'une simple promesse , prononceraIt conformément aux lois; et que la Chambre d:s ~atrs
déclarerait en vain qu'elle regarde et malOttent,
40
�( G2G )
comme- droit inhérent à la Pairie, et résultant de la
Charte, que la personne d'un Pair est insaissisable, et
à l.'abri de toute arrestation ou contrainte par corps ,
pour raison de simple lettre de change et ponr toute
matière purement civile ou commerciale. Cette déclaraüon ne pourrait faire obstacle à ce que les tribunaux prononçassent la contrainte par corps que
la Chambre ne reco nnaîtrait pas ; et il y aurait cet
inconvénient que la Chambre aurait déclaré en sa
propre cause, et par une conséquen ce qu'il lui aur"it plu de déduire de la Charte, une chose contraire à la loi et qui n'astreindrait pas les tribunaux; une chose qui, si elle est juste, devrait être
décidée législativemenl. La Chambre ne peut pas
plus déclarer que ses membres sont exempts de la
contrainte par corps, qu'elle ne pourrait s'arroger
tout autre privilége plus ou moins fondé en raison
et même en nécessité. C'est donc avec une grande
raison et une profonde sag'esse que, dans sa dernière séance, la Chambre a arrêté qu'elle ne procéderait pas par déclaration, mais qu 'elle statuerait
sur cbaque pétition qui lui serait présentée lorsqu'il
s'agirait d'a rrêter un de ses membres.
Il ne faut donc pas reprendre cette déclaration
abandonnée, et la reproduire dans les arrêtés partIculiers qUi seront à prendre sur chaque cas .
Il ne faut pas déclarer que nous ne perm ettrons
( 62 7 )
jamais l'exéc ution d'un jugement que les citoyens
ont le droit de solliciter et les tribunaux de prononcer.
C'est, dit-on , un droit politique bien supérieur
au droit civil , qui r éclame l'exemption Lie la contrainte par corps à l'égard des Pairs. Je ne contesterai point qu'il peut s'agir d'un droit politique,
mais ce droit politique) qul doil abroger le droit
ci,·il en fa ve ur des Pairs, la Chambre peu t-eUe
seul e l' étab lir, o u existe-t-il déjà?
Le privilége légal , le privilége constitutionnel de
la Chambre es t qu 'a u criminel ses membres ne
soient jngés qu e par elle, qu'au civil ils ne puissent
être arrêtés que de so n autorité. Voilà jusqu'à présent tout ce qu e dit notre droit politique.
Il est trop clair et on a trop bien démontré, pour
qu'il soit utile de revenir sur c:e point , qu e si, à
cause de la nécessité de ses fon ctions nn membre
de la Chambre des Députés ne peu t être co utraint
pal' corps durant la session , et pend an t un certain
temps qui la précède et qui la snit , par la même
raison on Pair ne peut l'être. L'analogie est parfaite, incontestable; seul e elle suffirait pour étendre au Pair le privilége du Député, parce qu e si, dan s
quelque loi , il se trouve un e omission d'une chose
esse ntielle à la loi ) ou qui soit une suite nécessaire
de sa disposition , et Lende il lui d unner son entier
efFd , selon so n motif , on peut ) en ce cas, suppl éer
�( G~9 )
( 628 )
à ce qui manque à l'expression, et étendre à la disposition ce qui manquait dans les termes (1). Voilà
ce qu e dicte la raison écrite 9 ans les lois romaines.
Mais on n'a pas besoin d'y r ecourir. Nous avons un
texte clair et précis: A ucun Pair ne p eut être arrêté que de l'autorité de la Chambre. L'article n'est
point restreint à un e arrestation pour crime ou délit , comme'qu elques-uns ont voulu le dire ; il est
absolu; et quand il y aurait du doute, il serait
éclairci par ce qui est explicitement dit ponr les
Dépn~és . Ille serait par la nécessité d e ce privilége.
Mais dece qu'a ucun Pair ne peut ètre arrêté que de
l' autorité de la Chambre , il ne s'ensuit nullement
!u.e sa sign ~ture sur un e lettre d e change , soit qu'il
1 aIt• apposee. avant d'ê tre élevé à sa dip'nité
soit
0
,
apres , ne vaille que comme simple pro messe. Ell e
comporte toutes les obllga tions, tous les assuj étissemens qu'ell e impose aux autres citoyens. Tant
qu'une. loi ~ivile ou politique n'aura pas déclaré que
les PaIrs , a ca use de leur dig nité, jouissent dL!
même pri~iJ é?e, qu e la fa ihl esse du sexe el la proteclion qmlUl esl d ueont rait accorder aux femmes
ils seront contraig nables par corps comme les au:
(1) Quoties legealiquiù UOtim vd a ltcrulll introd uctu m tst
bona occaslo es t cre tera q uœ tend unl ad ea mde m
Ulilita tct~
vel i~terpretati on e, vel certà jUl'idictimte sup plel'i .. L . 13.,/). r4
L egtbus.
tres citoyens et comm e les Députés. Seulement cette
contrainte ne pourra être exécutée pour la leure de
change ou pour qn el qu 'a utre cause qu e ce soit ,
qu e de l'autorité de la Chambre.
Ceci d ispense d'entrer d ans la distin ction si la
lettre de chang e ou toute autre cause de co ntrainte
est antérieure ou postérieure à l' avènement à la P airie. S'i l est vrai qu' il n'existe à présen t aucune loi
qui exempte les Pairs J e la contraint e par corps;
si , dans l'éta t présent de la législation, un Pair qui
sig nerait auj ourd'hui une lettre de change pourrait
être cond amné par corps par les tribunaux, sa uf
l'exécution de cette contrainte à ob tenir de l'a utorité
de la Chambre, à plus (orte raiso n la condamnation avec contrainte, encouru e ava nt l'avènement
à la Pairie, ser a-t-elle valabl e.
Que r ésu lte-t·il donc de l'article 34 de la Cbarte?
Que tout porteur de contrainte contre lin Pa ir, et
qui voudra la meUre à exécution , devr a s'adresser
à la Chambre. Il ne pent pas être question , sa ns
doute , d'un simple exequatur d'une autorisation de
forme. La Chambre, puisqn'ell e est investie du pouvoir d'autoriser , a celui de refuser: elle exami nera
donc. Nul doute d'abord qu 'elle n'antorisera jama is
l'exécution pend ant la session, ni dans un certai n
délaiqni la précéderait ou la suivra it. Le Pair n'est
pas moins nécessaire dans la Chambre don t il est
_, lembre qu e le Député dans la sienn e. Le privilége
�( 630 )
est pIns altaché aux fonctiuns qlJ'à la personne : il
est cummun à tuutes les lonctions semblables et à
tous ceux qui ont pllrt au pouvoir lég islatif; il a
mêrn~ lie.u pour le témoin que la justice appelle, et
qUI, a C,llson du besoill qu'elle en a. recoit un saufconduit s'il est sous la contrainte.
•
La Chambre permettra- t-elle l'exécution de la
contrainte hors du temps de la session, et pour le
temps seulement où elle ne serait pas assemblée ou
convoquée, soit comme Chambre, soit COmme cour
dt"s Pairs ? Cela dépend des circonst~nces de l'affaire.
Un Pair aurait-il e u le malheur de commettre un
steHionat , ou d'encourir par-tout autre filÎt répréhensi bl e la con traiu te par corps; le lait fù t-il même
pustérieur à son avènement à la l'lIirie) il Sera pos' Ible qu e la justice, la dig nité même de la Chambre, lui persuadent de donn er à tous les citoyens
dans la personne de l' un d e l'un de ses membres}
un exem ple de la répression qu'exige la mauvais;
fOI: et de laisser à la juste sévérité du jugement son
~xecutlon: Yaura-t-il des circonstances qui exc usent
1acte, qUI disculpent son auteur Je mauvaise foi
e~ au.xq~elles il n'était pas au pouvoir des jllg~
d aVOIr egard} . la Chambre refu sera l'exéc ution de
la con trainte , en laissan t d 'ailleurs à tous les autres
Ill.oyells d'exécut!on la force qu'ils ont et qu'il ne
lUI es t pas permIS J e leur ô ter.
Il en sera de ruême ,l'une lettr~ de change: il
( 6.31 )
est teUe circ@nstance où, signée même a près l'avènement à la Pairie, elle devrait obtenir toute s~ rigueur} s'il y avait eu , p'I1' exemple, <.loI , surprise
exercée à l'égard d es preneurs. li serait possible aussi
que , signée avant l'avèDement à la P;JÎrie, et à une
époque 01, il De pouvait pas même être prévu , il D'y
eûtpas lieuà autorÎserune contrainte allciennemeDt
prononcée, 10Dg-temps iDexécutée, et qU'OD De reprendrait que pour !itÎre injure au débiteur et <1l1
t:orps respectable dont il J:lit partie, pour obtenir
de ce corps une force exécutoire à joiDdre à celle
([u'on avait des long-temps et qu'on avait négligé
d'exercer.
Je ne doute pas nOD plus que la Chambre ne
puisse, en accordant l'autorisatioD , l'accompag ner
de moyens qui, sans priver le créant:ier de la contrainte par corps, l'adoucissent et la rendent compatible avec la dignit é du débiteur.
Que si l'on voulait· aUer plus loin , je crois que
l'on rencontrerait d'insurmoDtabl es difficultés.
Par exemple) pour d éclarer que le privilége de
la Pairie exempte même de la con traiDte par corps
encourue antérieurement, il faudrait étab lir préalablement que notre Pairie es t excl usi ve de la contr;linte par corps en matière civile, ce qu'au cun e loi
ne pronon ce, et ce qu'il De nous est pas donné de
prononcer} parce que nous ne pouvons pas faire
..seuls des lois, et sur-tout à notre profit. Nous ne
�(
6j ~
)
po~vons que s.uppliel' le Roi de faire proposer celles
qUI nous para,lssent nécessaire , suit pour l'avantage
du pubhc, salt pour celui de la Pairie, qui rait certainement partie des avantages généraux de notre
constitution, et par ' conséquent de la' société telle
qu'elle est établie.
Le principe général est qu'aucun membre du
pouvoir lég'islatif ne peut être détourné de ses fonct,i ons par la contrainte par corps. Ce principe est
ctabl: pour les membres de la Chambre des Députés
par 1:lfttcle 51 de la Charte, par l'article 54 pour
les memhres de la Ch3mbre des Pairs, l 1Y a de plus
celte différence entre les premi ers et les seconds,
que les premiers, hors du temps des sessions et du
temps marqué pour s'y rendre el revenir dans leur
domicile, rentrent sous la loi commune et peuvent
être contraints par corps de l'autorité des tribunaux
ordinaires; que, dans tous les tem ps , les Pairs ne
peuvent l'être que de l'autorité de leur Chambre.
Corn men t la Chambre usera-t-elle de cette autorité? Sa dignité, sur-tout sa justice, sans laquelle
sa dignité s'affaiblirait et se perdrait, règleront ses
délibérations, Veut-on aller au delà? Veut-on mettre en principe, sous le prétexte que la Pairie est
~ne .d.ignité perpétuelle , qu'en t01l t temps elle rend
IDsal5lssable la personne qui en est revêtue? On peut
mettre ce principe en pratique; on peut en faire une
règle de fait, mais elle seraÎl vue avec critique et
( 633 )
envie jusqu'à ce qu'elle devînt une règle de droit.
Il faut prévenir un combat scandaleux entre la juridiction ordinaire et la juridiction d'exception, Il
faut étendre le privilégè de fait qui peut empêcher
l'exécution des jugemens) à un privilége de droit,
qui donnera aux jugemens une nouvelle règle.
Je conclus à ce qu'une loi soit sollicitée. En attendant, la Chambre ne doit statuer sur les autorisations qui lui seront demandées que par des motifs tirés des circonstances particulières à chaque
cause, Elle ne peut pas, je crois, mettre au nombre
de ses motifs l'inviolabilité de la personne des Pairs
en matière civile, parce que cette inviolabilité,
qu'elle soit ou non utile et même nécessaire, ne résulte nullement de la Charte; elle n'est écrite dans
aucune loi; elle est. contraire aux lois existantes et
au principe de l'égalité de tous les Français devant
la loi, excepté dans les cas où elle y a fait ou y
fera des changemens.
�( 634 )
( 655 )
D'abord sur cette multitude d'associations de trois
o u quatre personnes seulement , qu e forme autour
d 'elle une femme pieuse, qui en devient la fond atrice et la supérieure. Ainsi, par exem pIe, il résulte
du relevé qui nous fut distribué l'année dernière,
des maisons de femm es existantes en 1819, que, .
dans le seul département de la Meurthe , il Y en a
deux cent neuf, outre quatre associations hospitàlières ou enseignantes; et ces deux cent neuf
maisons n'ont qlle cinq cen ts et une sœur, ce qui
ne fait pas trois sœurs par maison; chose contraire aux règles anciennement suivIes, de réunir ou de supprimer les Illaisons dans lesquelles un
trop petit nombre de sujets ne permet pa. de voir
une véritable communauté, et de supposer la surveillance et l'observance de la vie régulière.
:10 . On était frappé de cette diversité de statuts
et de règles , établies au gré d es fond atrices ou de
leurs directeurs, approuvées vraisemblablemént par
l'évêque diocésain, Mais pourquoi , puisqu'on revient à ce qui existait à cet égard arant la révolution, tant d'institutions et de dénomina tions nouvelles? Pourquoi ne pas se réunir sous les règles des
Visitandines, des Bernardines, des Bénédictines, et
d'autres congrégations anciennement reconnues et
respectées? Aurait-on soulFert autrefois que > dans
chaque ville, un homme pieux formât, avec qu elques autres, une association religieuse ? t:t pour-
OPINION
Sur le projet de loi relatif aux communautés reli{Jieuses , prononcée dans la Chambre des Pairs
le 10 juillet 1824.
Lorsque, dans la session dernière, un noble et
très-honorable Pair proposa de solliciter une loi qui
dérJarerait que les communautés religieuses de
lemmes pourraient être autorisées et reconnues par
une ordonnance, la Commission, nommée pour
l'examen de celte proposition , pensa qu'il fallait
disting uer en tre les communautés qui seraient des
d épendances ou des affiliations de communautés
déja' reconnues par la loi, et celles qui formeraient
une association nouvelle, indépendante de to'ute
autre . Pour ces dernières, la Commission jugeait
une loi nécessaire.
. La discussion s'ouvrit sur cette base, qui ne fut
seneusement contestée que sous ce rapport, que
plUSI eurs membres de la Chambre soutenaient que
toute maison religieuse nouvelle, quelle fùt ou non
dépendante d' une association déja reconnue avait
besoin, comme avant la révolution, d'une a~tori
sation legislative spéciale. Mais d'autres difficultés
5' élevèrent.
•
•
�( 636 )
quoi permettre aux femmes ce qui ; dans ce genf'e,
n'était pas permis aux hommes; ce qui ne l'était pas
même aux femmes ? Dans les dix-sept cents quatrevingt-dix-huit maisons de femmes qui existaient
déjà en 181'9, qui sa-i t combien il y a de centaines
de règ'les différentes ?
50, 'On faisait valoir les inconvéniens '<j'ui pOl1~
vaient résulter pour les familles en général) et par
conséquent pour la société, de la capacité'<j'ue conservent nos religieuses de succéder et de disposer)
ce qui peut faire tomber beaucoup de biens en
main-morte , ct à qooi ne remédie p eut-être pas
assez l'autorisalÏon nécessaire du Gouvernement ,
pour que tous les êtres fictirs qui sont sous sa lutèle
puissent acce pter des donations, ~oit entre vifs,
soi t à cause de mort.
De ces diffi cultés princip-ales, et d-e quei'ques autres J on conclut qu'il était besoin d'autre chose que
d'une briève et 'su ccincte loi , qui d(;lDnerait l'existence civile à toute association rdj g ieusede femmes
qui serait ;I pprouvée par ordonnance,
Le Gouvernemen t , usant aujourd'hui de l'initiative q ll i appartient au Roi, n'a point résolu les difficultés qui avaient arrél ~ la Chambre relativement
au vœu qui Illi était proposé . Le projet de loi n'est
autre chose que la proposition de ] 8~5 , sans l'amendèment que la Commission qui en avait fait le
rapport y avait apporté. Il n'y a de diJférence entre
( 65] )
le projet de loi et la proeosition que dans les termes;
l'un el l'autre tendent à donner aux communautés
de femmes la capacité aecordée aux établissemens
religieux. La proposition la leue donnait pa~ voie
de conséqueooe, en ~ertu d'ordonnances qui les au,
toriseraiertt et reconnaîtraient. Le projet de loi la
leur attribue expressément, pourvu qu'elles soient
tléfinitivement reconnues par ordonnances. La question est don c la même qu e celle qui ne vous. parut
pas suffisamment éclaircie l'année decnière. Le
projet n'es t pa~ plus complet que ne l'étai t la pre.position , et, comme elle, il s'écarte des priucipes
qui , a van t la révol uLion , présidaien t à la furmation. cles ét.'lblissemens religieuL.
n ya
deux classes d'établisseml.lns velig ieux : les
tins ~ont de nécess ité première) essen tie lle à toute
religion: l'établissement cie ses ministres> ce qui
eomprend les évêchés> les. cures" les. succursales,
les séminaires, où l'on se prépace au sacerdoce . Ces
établissemens ont l'existence religieuse ,. et on ne
saurait leur refuser l'existence civ.ile sans,repousser
la relig ion. Ce son l <ies établ issemens qu e la loi du
2 janvier 18'7 eut principalement en. vue, pour
joindre à la capacité qll'ils avaient déjà de posséder
et de r ecevoir des biens meubles et des rentes, ceIJe
de recevoir et acqué,'ir des immellbles. Si l'on parco url la discussion qni fut alors o uverte dans les
�( 638 )
deux Chamhres, ou y trouvera con tinuellement
l'expressjon de l'empressement et de la nécessité
d'améliorer le revenu des évêchés, des cures, des
sémi naires . Je n'ai pas vu qu'il y fùt question une
seule lois des établisse mens religieux. qui vienne"t
en 50 us ordre.
Ce tte seconde classe se compose des .congrégations d'hommes et de femmes qui se réunissent pour
vivre dans la retraite, dans des exercices communs
de piéte particulière et surérogatoire , et dont quelques-uns se dévo nent en outre au service des pau"l'es et des malades , ou à l'enseignement de la jeunesse, et même au ~nistère de la parole et à la
distrihution des sacreme ns, sous l'approbation des
évêques; c'est ce qui forme le ,clergé régulier.
Le clergé séculier, qui es t dans la première classedes établissemens relig'ieux, est nécessaire et indispensable, Il existe phlS encore pour la religion qu e
pour lui-même; car illl'Y a point de religion ni de
culte sans ministres, Le clergé régu]jer, au contraire, exis te plus essen tiellement pour lui-même que
pour autrui , li se voue plus particulièrement que
le commun des fidèles à la ,oie chrétienne, presqu'à
l'exclusion de la vie civile, Le clergé séculier est de
néces~i té , et par conséquent de commandement; il
descend des apô tres et des disciples. Le clero-é rét>
gu 1er n'est qu e de zèle et de dévotion .. La religion ,
"
le culle
pourr,rient se passer de religieux et de religieuses; ils ne son t qu'un accessoire , un ornement
( 639'- )
de l'Église, un perfectionnement auquel tend une
piété louable et hors de l'ordre commun .
Quelques nécessaires et indispensables que soient
les év'êches, les paroisses, les séminaires, le Roi,
qui en est le protecteur , a le droit de concourir à
lenr établissement, commele devoir de veiller à leur
maintien. Ce qu'ils ont de spirituel est hors de sa
com pétence; mais ce qu'ils on t de temporel, leur
existence civile, leurs biens, leur conduite , leur
doctrine même, en ce qui n'est pas de dogme et de
foi, et qui pourrait blesser l 'ordr~ public, est sous
sa surveillance. Or, si le chef de l'Eglise ne pourrait
ériger un évêché, un évêque une cure, ou fonderun séminaire, sa ns le concours et l'autorisation du.
Roi, à plus forte raison un établissement religieux.
d'un ordre secondaire, un e communauté régulière
Ile peut s'établir sans cette- autorisation ..
Je sais bien qu'en raison de la moindre importance de ces établissemens , on dit 'lu'ils ont besoin.
d'une autorisation moins solennelle; mais je puis.
répondre que moins ils sont essen ti.e1s à la religion ,
plus ils appartienn es t au pouvoir temporel .. qui ne
pourrait détruire l'épiscopat et les paroisses sans.
détruire la religion; et qui pourrait la respecter, la
protéger, la soutenir, sans admettre les institutionsreligieuses qui ne son t pas de nécessité.
Quoi qu'il en soil , il ne s'agit point de les exd ure; il faut même les favoriser lUS qu'au ~oint 011
�( 1540 )
( 641 )
eUes ne nuisent pas à la société. Il est convenu par
tout le monde qu'il leur faut une autorisation . Le
doute ne consiste qu'à savoir laquelle ? si c'est une
autorisation législative) ou une autorisation administrative ?
La question est décidée si l'on veut 'consulter l'ancienne législation. Sans remonter tràp haut, nous
voyons Louis XlII déclarer , par l'édit du 2 1 novembre 1629, qu'il est obligé de veiller incessamment à ce que les iffèts de la dévo tion soyent employés avec la discrétion nécessaire pour en retù'er
l'utilité gu'il appartient', et défendre, en conséquence, qu'il soit fait aucun établissement de monastère, maison , communauté régulière et religieuse de l'un ou de rautre sexe, même des ordres
ci.devant reçus et établis dans le royaume, sans
l'expresse permission du Roi, par lettres scellées du
grand sceau.
'
du prétexte si spécieux de religion. Cet édit révoqua même les permissions générales qui avaient é té
données, et obli gea toutes les communautés, établies depuis trente ans, de représenter le titre, de
leur approbation et d'en obtenir la confirmation.
Voudra-t-on s'exposer, en introduisant des approbations trop peu so lennell es, à une semblable révocation qui émana d'un Roi dont on n'osera pas suspecter la piété ?
Le savant, l'illustre, et Je religieux Daguesseau
rassembl a, dans l'édit du mois d'août 1749' toutes
les règles précédemment et à diverses fois établies, relativement aux corps et communautés religieux, de guelgue gua.lité qu'ils fussent, et eo composa un corps de doctrine et de loi. La révolution ,
qui renversa toutes les maisons relig ieuses, le rendit
inutile; mais il devrait se relever et revivre avec
elles.
La Commissio n, nommée pour l'examen de la
proposition de l'ann ée dernière, se relâchait déjà
des anciens principes, lorsqu'elle consentait à ce que
l'autorisation administrative suffit à l'autorisation
d 'une maison nouvelle, qui serait une colonie ou
une dépendance d'une maison déjà approuvée. Ce
r elâchement était susceptihle de contradiction , et il
en éprouva; mais combien plus doit être contestée
la disposition unjourd'liui présentée, qui tend à re-
Le 27 juin 1659, Louis X IV renouvela ces dèfenses, Il ordonna aux villes de ne soulTrir aucun de
ces établissemens, sans au préalable avoir vu la permission du Roi, portée NI' des lettres patentes enregistrées dans les cours souveraines.
Un édit du mois de décembre 1666, en renouvelant ces défenses, y ajouta la faculté aux villes
de former opposition aux lettres patentes, même
après leur enregistrement, et cette opposition était
suspensive, tant on se défiait des exci:s du zèle et
•
�( 64l )
( 643 )
connaître, par simples ordonnances, toutesles communautés de femmes sans distinction.
Sans doute il faut protéger la religion dans toutes
ses. institutions, dans celles qui ne lui SOfit qu'accessoires, et en quelque sorte de luxe, comme dans
celles de nécessité esseutielle et dont elle est inséparable; mais pourquoi lui accorder, quant aux congrégations de femmes, une protection différente de
celle qu'avant la révolution J les Rois et le clergé
lui-même avaient jugée suffisante? Pourquoi s'écarter des règles que l'expérience de l'indiscrétion
.
du zèle et de la dévotion avait suggérées?
Si nos Rois avaient pris, dès les quinzième et seizième siècles J des précautions contre la muiliplicité
des congrégations religieuses , s'ils les répétèren t si
souvent, c'est qu'ils aperçurent ce que nous voyons
se renouveler, et ce qui se propagerait , si l'on devenait plus facile qu'autrefois, une foule de petites
associations isolées, ne tenant à aucune des corporations connues, n'ayant le plus souvent que des
moyens précaires et passagers d'existence. C'est pour
leur en procurer que l'on veut leur donner promp-tement et sommairement la capacité de succéder et
d'acquérir. !\lIais cette capacité ne doit être accordée J au contraire, qu'aux établissemens qui ont
déjà des moyens d'existence; elle doit servir à les
soutenir et non à les fondel". Les établir dans J'es-
pérance de donations et de successions futures, ce
serait les inviter aux captations. Voilà pourquoi les
parlemens, lorsqu'ils vérifiaient les lettres patentes
portant autorisation de communautés, examinaient
si elles avaient des moyens présens et suffisans
d'existence. C'est ~e qui leur était recommandé par
l'édit du 27 juin 1659, qui blâmait la licence d 'établir souvent des communautés sans aucun revenu,
qui voulait qu'on eût, outre le cousentement des
évêques, celui des villes où les établissemens devaient
être faits. Il était bon que les villes s'assurassent si
ces ~ tablissemens seraient ou non uue surcharge au
détriment de leursrev.enus, ou ùe la fortune de leurs
habitans, ou des aumônes quelquefois plus utilement 'employées au soulagement des familles de citoyens pauvres qu'à cel ui des maisons de religieuses.
Ces ,' é~ification~ seront faites, dira-t-ol), par l'administration, comme elles l'étaient autrefois par les
parlemens. Tout ce que les formes anciennes avaient
d'utile sera conservé; mais elles seront abrégées,
parce qu'on évitera la discussion des Chambres. On
ne peut pas appeler les parlemens, qui n'existent
plus, à l'autorisation des établisse mens religieux;
ils n'y étaient d'ailleurs appelés que parce qu'ils
avaient la haute police, qui appa~tient aujourd'hui
cxchJsi vement à l'administration; parce qu'ils étaient
juges de la validité des vœux que la légiilation actudle ne reconnaît plus. Enfin, on veut reprendre
�( 644 )
( 645 )
et concinuer ce qui a été [ait depuis vingt.deux ans:.
Il n'est pas difficile , ce me semble, de répond~e
à ces motifs.
D'abord les longueurs d'une disc ussion plus éclairée et publique ne sauraient être d'aucune considération. Une fois que le consentement des évêques.
et des villes, que les enquêtes de commodo et incommodo auront été faites, les statuts vénifiés, et la
loi préparée dans les.conseils du Itoi, toutes chos6s
que l'on reconnaît nécessaires, la discussion législative ne prendra pas plus de temps qu e tan t d 'autres discussions sur des. objets moins irnportans, et
qu'on lui soumet cependant , tels que les autorisa·
lions de canaux, d'emprunts, d'impqsitions ex tvaordinaires. Mais les longueurs dussen t-elfes être
plus grande" outre qu'il n'ya pas dans les établissemens de ce genre un e si gra nd e urgen<:e qu'ils ne
puissent souffrir quelque retard, il faut faire, non ee
qui est le plus court , mais ce qui est le plus régu.
lier .
Si les parlemens concouraient à l'au tooisation des
établissemens religieux, ce n'est pas, comme on l'a
dit, parce qu'ils étaien t juges de la validité des vœ ux
dont les tribunaux et les cours actuelles connaî.
traient encore, si la' loi les permeltait. Autre chose
sont les questions d'État qui , de tout temps, fu rent
judiciaires, autre chose l'établissement des corps et
corporations .
'Ce r{est pas non plus parce que les parlemens
-avaient la haut!; police; car J' établissemen t des maisons relig ieuses était regarde comme d'une plus
'h aute impor tance que les affaires de haute police.
Les parlemens exerçaient la hau te police par leurs
anêts, et non par voie d'enregistrement , sur des
édits revêtus de Jettres patentes qu e le Roi leur
adressait. Ils conco uraien t à l' au torisa tion des é tablissemens relig ieux par voie législative et de vérifi.
ca tion , parce qu'en elfet la capacil'é civile ne peut
être accordée à un être fi ctif et mora l , tel qu 'une
congrega tion religieuse, que par une loi. TeUe était
la max,Îme de l'ancienne monarchie, telle doit ê tre
plus encore ceUe de cette ancienne monarchie, ainsi
que le Roi l'a modifiée d ans sa sagesse. Ce qu'il ne
pouvait et ne voulait faire autrefois qu'avec ses parlemees; il ne veut le faire qu'avec les Chamhres.
A·la-fois législateur et administrateur suprême, il
p'ropose à l'examen des Chambres les lois, et ensuite
les sanctionne etles promulg ue s'il le juge à propos.
H fait seul les ordonna nces qu'il trouve nécessaires
pou r l'exécu tion des lois. Jamais, avant la révolution , le Roi n'aurait autorisé des établissemens religieux par de simples arrêts du conseil ou par des
ord(mnances. Si , depuis la restauration, il a accordé
,d es autorisations dans cette forme, c'es t en suivant
les erremens du Gouvern emen t transi toire , qui s·é·
tait arrogt! plus d' une foi s l'exercice exclusif de la
�( 64G )
puissance législative. Au lieu· de reprendre et de
suivre ces erremens, il est autant d~ la justice que
de la dignité du Roi d'en sortir, ainsi que l'établissait si bien le Rapporteur de la Commission dans la
dernière session (1), et Sa Majesté en est en elfet
sortie par la loi de 1817, qui exige la reconnaissance légale.
On veut maintenant interpréter celle loi et substituer à la reconnaissance légale la reconnaissance
administrative; mais où en est la nécessité, et même
l'utilité?
La reconnaissance légale sera-t-,elle moins éclairée que la reconnaissance administrative? elle le
sera davantage puisque l'administration prépare
les élemens sur lesquels les Chambres ont à délibérer.
La loi elle - même qu'on nous propose, est un
hommage au principe que le pouvoir législatif est
nécessaire pour donner l'existen·ce civile à des établissemens religieux, puisqu'elle tend à donner au
pouvoir administratif la reconnaissance de ces établissemens. C'est une délégation que la loi ferait
de ses pouvoirs à l'autorité administrative. Or ,
pourquoi cette délégation?
Sans doute l'administration est éclairée, je la
respecte; elle est exercée par ceux que le Roi ho(.) Page 3~ de son rapport.
(
G~7
)
Ilore de sa confiance; mais ce sont nos Rois eux.mêmes' qui, en se confiant aux cooseils qu'ils se
sont choisis, ont voulu ajouter dans toutes les matières importantes, aux garanties qu'ils cherchaient
dans les lumières et le zèle de ces conseils, d'autres garanties, dans l'exa~len , autrefois des parlemens, maintenant des Chambres. Je demande
qu'on ne se départe pas de ces garanties, qu'on ne
s'écarte pas de la division des pouvoirs anciennement établie et si solennellement renouvelée et cimentée par l,a Charte. C'est dans cette division des
pouvoirs que se trouvent les garanties mutuelles
du peuple et du Roi contre les surprises ou les erreurs de ses conseillers. Nécessaires de tous fes
temps, elles le sont d'autaut plus dans ces temps-ci,
que les Chambres n'ayant pas l'initiative, n'ayant
pas même la voie de remontran ces qui appartenait
aux parlemens, ne peuvent guères avertir le Roi
que par la discussion des lois qui leur sont apportées. Ou'on ne restreigne donc pas au préjudice du
bien d~ l'État et du Roi qui ,'eut être éclairé, les
mati~res qui sont de nature à exiger leurs délibérations. Les parlemens qui rendirent de si éminens
services à la monarchie, n'existent plus. A leur
place, dans un rang plus élevé, et non moins utile,
se trouvent les Chambres. La Charte leur a départi
le concours à la législation qu'avaient jadis les parlemens. C'est un moyen de veiller commè il~ le rai-
�•
( 648 )
saient à la conservatIon des dl'Oits du Roi, de son
trône, et du droit public du royaume: ne laissons
pas affaiblir ce moyen , et r éclamons peiur la compétence l"gislative tout ce qui lui appartient.
Il est si Hai que r"tablissement des communautés religieuses est une matière' législative , qu'on le
reconnaît pour les con gr~gations d 'homme.s ; Y at-il donc quelque fondement réel dans la distinction
que l'on veut é tablir entre les communautés d' homm es e t de femmes ? Et n'est-il pas à craindre que
d es unes on tente d'aller aux autres ? En effet, quel
est le prétexte d'être plus difficile, ou plutôt moins
relâché, et plus exact à l'égard d es congrégations
d'hommes? Le noble et r espec table auteur de la
proposition faite l'année d ernière disait (1) :
" Qu'on pourrait craindre que des communautés
» religieuses ne se fissent reconnaître dans une
» forme sous laqu ell e elles pourraient déguiser
.. leurs statuts et leurs r ègles; que cette crainte
» était conforme à la maxime qui doit être suivie
» d ans tout É tat bien constitu é; que nulle société
» ne peut admettre ou conser ver au milieu d'elle
» uri État particulier , indépendant du grand État,
" dont il pourrait contrarier la constitution ....
" Mais que c'était contre les· communautés reli.. gieuses d'hommes qu e cette précaution (la pré( 1) Pages 6 Cl 7 de ses D éveloppemens.
( 649 )
..
..
"
.,
cautio ll d'uoe loi ) était dirigée , et qu'il la
c.royait indisp ensahle . Que, quant aux communautés de femm es, un e par eille crainte ne pouvalt porter sur ell es . "
J e ne sais pas si les commun autés de femm es ne
pourraient pas , comme des communautés d 'hommes, d ég uiser le urs statuts et leurs règ les, en avoir
<le patens et de secrets? Si mème ce la Il'arri ve pas
dans certain es maiso ns qu e plusieurs récits accusent
d'austérités et d e macérations, qlli co ntrari ent la
na ture et me ttent en péril La san té el mê me la vie
<les jeun es perso nn es qu'o n y so um et ? Si ce n'es t
pas un déguise ment blâmable Gu e de recevoir des
V Œ UX perpétu els, lorsqu e les statuts patens el autorisés n'e n perm ettent qu e ci e temporaires ? Mais la
c rainte de ces dég uisemens et d'a utres , vrais ou
fau x, ne saurait ê tre le motif de la règ le avo uée e t
proclamée pal' le noble et très-honorab le a uteur de
la proposition, ca r ces déguise mens so nt toujours
possibles, qu'il y ait reco nn aissa nce léga le ou simple reconn aissance administra tive . Le véritable molif est qu e la loi peut se ul e donner l'existence civile
accorder à un être fi ctif la cap acit tE d e posséder ,
de recevoir, d'acqu éri r. Et po ur 'Iu'ell e lui accorde
cette habilité, il fant. qu'elle juge d'abord s'il est
utile d e le créer, et cette utilittE connue , quell es
seront les conditions e t les règles de son existence ?
Sans doute le législa teul' peut être trompé dans la
)
42
�( 65u )
connaissance qui lui es~ donn ée, mais s'il vient à
découvrir la t1'omperie , il re tirera son autorisation;
tout cela est commun aux associa tions de femmes
comme aux associations d'hommes.
]\1. le J\linist,re de l'in térieur ,t d onné d ans l'exposè des motils d e la loi u'ne autre raiso n, Il a dit
que les cQm munautés d'hlll11l11es peuvent être reg~rdées CGmme rempli5sallt en quelque sorte dans
l'E tat des fonctions publiques. Mais les r elig ieux,
si je ne me trompe, n'avaient pas plus d e fo nc tions
publiques que les religieuses. Les uns se dé"ouaient
C0l11 1lle eHes à l'éduca tion de la jeunesse, d'autt'es
il la ,'ie cllntemplative; s i quelques-uns é taient employés il la prédication, il desservir des églises,
comme auxi liaires, c'étai t en qu alité de prêtres,
et sans qu'ils remplissen t des fonc tlons publjques
qui ne sont r elativement au clergé que les fonctio ns épiscopales et curiales. Elles appar ti enne nt
exclusivemen t a u clergé séc uli er, et les simpl es
prêtres ne remplissent point de fonction publiqu e.
La prédication es t un acte public, mais n'est point
une lonc tion publique. Les c urés, leurs vicaires,
sont (les fonctionnaires; les frères prêcheurs ou
d omini cains ne l'étaien t pas. Ainsi il n'y a aucune
dL~tinction réelle à faire entre les communautés
r eligieuses d'hommes et de femmes; point d e raison d'excepter celles-ci d e la règle que l'on reconnaît pour les autres. Au lieu de faire ce qui a été
( 65 1 )
l'ail pendant le Gouvernement transItoIre, il faut
reprendre ce qu'avaien t fait les p,'édécesseurs du
Roi , en revenir aux rèD'les
des édits de Lo uis Xl II ,
o
Je Louis XIV, d e Louis XV, qui ne permettaien t
l'é tablissement d 'a ucune maison r elig ieuse de l'un
et de l'autre sexe qu e sm' lettres patentes duement
vérifiées par les parlemens, c'es t-à-dire, dans la
fo rme législative. Or , ce tte forme a passé dans les
€hambres, le Roi g'ardant l'i nit.i ative, la sanction
e t la prom ulga lion de la loi. Nous étions même
d éjà re nlrés dans cett e voie pac la loi du z janlier
1817. Il n'y a point de r aison d'en sortir et de l'abandonner.
Mais le proj et qui nous occllpe n'èst pas seul ement co ntraire aux règles anciennes de la monarehie, et dont le principe a été succincteme nt renouvelé par hi loi du 2 janvi er 18J7 . Il es t incoll'plet.
Le noble et savan t Rapporteur de la Commission
ehargée d e l'examen de la loi que nous discutons
a exprim é le désir de voir rétablir et reconnaître
bientôt les vœux solennels qui} opérant la mort
civile, écar teraien t Ics inconvéniens qui furent relevés dans la discussion de J'année dernière, et que
j:ai indiqu és en commençan t, Je n'ai garde d 'aborder celte importante et difficile question; mais tan 1
que la lég isl:llion. n'"ura pas permis et légitim é t:C
•
�•
( 65 2 )
pieux suicide, tant qu 'eUe n'autorisel'a que les
,'œux simples, n'y a-t-il rien à faire? Si le nombre,
déjà si considér able, de maisons de femmes , qui,
d'après le r elevé lourni l'année dernière , s'élevait 1
en 1319, à mille sept cent quatre -viug t-dix-huit,
et qui, depuis cinq ans , se sera vr,üsemhlablemenl
accru de plusieurs centain es , doit se mulLiplier encore par les nouvelles litcilités qu e l'on veut donner
à leur établissement ; si elles doivent avoir l'aptitude
de recueillir et d'acqu érir des immeubles, ne lautil pas placer à côté de ces concessions quelques
précautions lég,jslatives, ann qu'en entrant dans cesmaisons, vio gt ou trente mille r eligieuses ne blessent pas à-la-fois J'intérê t social et celui de leurs familles par la disposition de leurs biens?
Sans doute eUes doivent les conserver puisqu'elles peuvent rentrer dans le monde; sans doute
elles doivent en avoir la disposition , comme tons
ceux qui conserventlellrs droits civils; mais, à l'égard même des pel'sonnes qui vivent cla ns le mond e.
la législation a établi des garan ties co ntre la sédu ction,résultant d'un ascendant trop puissan t , tel qu e
celm dt! personnes auxqu elles on croit devoir sa
vie ou son salut : les médecins et les confesseurs.
Les lois anciennes avaient étendu ces "'aranties aux
r eligieux et religieuses, Puisqu e no~s r eve nu ns
en favorisant leur établisse ment , il ce qui se prati:
•
( 653 )
qu ait avant que la révolution les eû t supprimés, il
limt reprendre aussi les lois qu i les concernaient.
Elles leur interdisaient les dispositions en fave ur de
la maison où elles entraient. Ne sera -ce pas assez
qu e les noul'elles religieuses y portent leurs revenus , sans qu'elles puissent leur en donn er ou transporter le capital au détri men t de leurs familles?
On r épond que la disposition des biens, les réser ves légales exceptées, es t libre; qu e si les religieuses pourraien t disposer au préj udice de leurs
parens au profi t d'un étranger , ell es doivent à plus
forte raison le pouvoir en fave ur d'un établissement
qui leur es t cher puisqu'elles s'y sont r etirées,
qu'elles l'ont préféré à la maison d'un père ou d'un
époux, et qu'elles ve ulent y vivre et mourir.
J e l'eux qu'elles aient tout ce qui es t pp.rmis à
chacun, mais qu'elles soient so umises aussi aux
préservatifS qu e le bien de la société a fait prépar er pour tous les citoyens co ntre la sédu ction légalement présumée de l'attacbement et de la r econnaissa nce en vers les person nes qui , sans leur appart enir par les liens du sa ng, peuvent prendre sur
eux une trop forte influ ence, Je crois qu e, comme
autre fois, il faut étendre aux maisons religieuses la
prohibitiou des libérali tés fa ites aux médecins et
aux confesseurs,
Mais, dit- on , si 1'0 0 défend les donations, les
�•
(654 )
institutions directes) 'il Y en u ura d'indirectes ; on
provoque à ùes simulatiuns , à des fid éicommis secrets, à des aliénations prématurées dont le prix.
sera livré au couvent. Cela peut arriver; il n'y a
point de règle et de loi que l'intérêt ou les affections ne cherchent à éluder, et sOln'ent ils l réussissent. Mais de ce que les prohibitions peuvent être
éludées, ce n'est pas un e raison de s'en abstenir,
lorsql~'elles sont nécessaires ou util es. Elles contie~
nent les personnes qui regardent comme un deVOir
l'obéissance aux lois; elles servent à r éprimer la
fraude lorsqu'elle est découverte. Il est plus difficile et moins fréquent de faire ce qui est prohibé
que ce qui est perlll~. TI y a dan s la natur.e même
des donations indirectes et des fid éicommis secrets
queJque chose qui en défend : c'est la <'rainte qu e
le donataire apparent ou le fii.léicommissaire ne
soient infidèles . Quant aux ventes dont on abandonnerait manu ellement le prix , outre qu e l'on hésite davantage à se dépo uill er de so n vivant qu 'à
sa mort, si elles n uisaient au tant aux fam illes quc
des testamens, elles auraient ce t inconvéui en t de
moins relativement à l'État, que les immeuhl es
vendus ne tomberaie nt pas en main-morte, et c'est
à cet inconvénient qu'il es t essenti el de pourvoir en
autorisant des étahlissemens relig·ieux.
On a beau dire qu'ils sont bien loin de celle
( G55 )
o pul ence qui avait éveillé l'atlention ùe nos Rois,
-ct l'avait portée à interdire les acquisitions d'immeubles aux gens de main - morte, il vaut mieux:
prévenir un mal que 'de le laisser rena'î tre) parce
qu'o n a un remède co nnu que l'on pourra appl~
quer lQrsqu'il sera parvenu à un tl'Op haut deg~e ,
On a déjà pris un juste tempéramen t ) lorsqu 011
s'est rehî.ché de l'ancienne règle envers les établissemens ecclésia-s tiqu es, essentiels et ùe première
nécessité, tels qu e les évêchés, les cures, les séminaires, les hôpi taux. Que ceux -là retrouvent dans
de pieuses libéralités une partie des biens dont ils
ont été dt!pouillés, qu'on ne peut leur rendre) et à
défaut desquels l'É tat supplée par un e sub vention
peut-être insuffisante de 55 millions, cela est bon
et juste. Ma is il n'y a ni nécessité ni util ité à ce que
les COllvens de r elig ieuses puissent recevoir et acquérir des immeu bles; et si on veut lem donner
cette aptitude, il faut qu e ce soit à des couvens autorisés et r ecounus par la loi co mme autrefois. Il
faut , COŒme autrefois, que ce soit sa LIs J'empire
d' une léo'islation qui empêch e les abus.
J e ne ~ois pas de préca utions SUffis,1n tes dans l'au.
torisation n écess~ire du Gouvernemen t pour que les
maisons de r eligieuses puissent accepter les donations qui leur seraient faites, parce que cette autorisation prescrite pour Jous les établissemens, même
�656 )
les plus essentiels, est une restriction ùe la fa cult é
(le tester qui a été introduite pour l'intérê t des famill es. Elle ne porte que sur la quotité de la libéralité . Elle es t d'une nature toute dilférente que la
prohibition pronon cée par les lois anciennes et récentes contre les personnes ou les corps qui, par
état, peuvent prendre un trop grand ascendant sur
celles dont elles ont la co nfiance ou l'affec ti on.
Ici il ne s'agit pas de réd uire et de restreindre l'effet
d 'une capacité déjà accordée à un corps existant,
il faut créer ce corps etle r.e1 ever de so n inca pacité.
La loi ) en la faisant cesser, doi t apporter plus de
préca utions et de gêne qu' à l'égard des établissemens de la part de qui on n'a point à craindre de
sédu ction ou d'influence. Il ne suffit pas qu e l'administration examine si la dona tion, raite à un co uvent
par un de ses membres, es t proporti onn ée à l'état
de la fortun e de la donatrice et aux besoins de sa
famille: il faut une loi qui décide si les religieuses
p ourront ùonner, soit en tre-vifs, soit à ca use de
mort, aux maisons clans lesquelles elles entren t ;
et) si elles le peuvent, jusqu'à qu elle quotité? C'est
ce qu'avait désiré la Chambre des Députés lorsqu'elle. proposa, en 1816 , de donner aux établissemens ecclésiastiqu es la ca paci té de recevoir des immeubles. Ces t ce que la Chambre des Pairs entrevit
l'année dernière, lorsque jugeant qu'on n'avait pas
•
pourvu aux difficultés que je viens d'indiquer, elle
prononça l'ajournement de la proposition ; elle nous
revient en forme de loi. J e pense qu'elle n'est pas
plus acceptable que l'année dernière , par ces deux
motirs, 1 ° que la capacité qu' il s'agit d'accorder
aux communautés de femmes n'est pas accompag née des précautions légales dont elle a besoin;
2° parce qu'on veut accorder l'existence civile à ces
communautés par voie administrative, tandis que
la forme législative leur est aussi nécessaire qu'aux
communautés d'homm es que l'on ne propose pas
d'en excep ter .
Je ne conteste en rien l'utilité des maisons de
femmes, sur laquelle il est superflu de s'é tendre. Je
désire qu'on leur accorde tou t ce que lem.' accordait
l'ancien régime , mais rien de plus, parce que ce
qui serait au deià ramènerai t les abus qu e réprimèrent les édits de Louis XIII, de Louis XIV et de
Louis XV.
FIN.
�ERRATA.
lig. 13 , acq!U:~': lisez, acquise.
' 47, lig. 18, leur a p>YJmis : lisez . elt. l.ur a promi•.
168, lig. " 7 , fortifie, lisez, fortifié.
229, lig. 10, ouvrirait: lisez, ouvriraient.
:152, lig. 1 .) d'avoir contracté ~ lisez, été coutraçté ..
355, )jg. 7.) ses cale uls : lisez.) &e8 calcul6 .
443, lig. 15 , de r;efJers. : lisez..l dlls repel's.
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Dublin Core
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Title
A name given to the resource
Monographie imprimée
Description
An account of the resource
Ouvrages imprimés édités au cours des 16e-20e siècles et conservés dans les bibliothèques de l'université et d'autres partenaires du projet (bibliothèques municipales, archives et chambre de commerce)
Dublin Core
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Title
A name given to the resource
Choix de discours et d'opinions
Subject
The topic of the resource
Oeuvres des juristes provençaux après 1789
Philosophie politique
Science politique
Description
An account of the resource
Compilation partielle des très nombreux discours de Joseph-Jérôme Siméon.
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Siméon, Joseph-Jérôme (1749-1842)
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence), cote RES 20602
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Hacquart (Paris)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1824
Rights
Information about rights held in and over the resource
domaine public
public domain
Relation
A related resource
Notice du catalogue : http://www.sudoc.fr/20168795X
Vignette : https://odyssee.univ-amu.fr/files/vignette/RES_020602_Discours-Simeon_vignette.jpg
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
1 vol.
viii-657 p.
22 cm
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
text
monographie imprimée
printed monograph
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
France. 18..
Abstract
A summary of the resource.
Compilation très partielle de ses très nombreux discours, observations, opinions… (divorce, instruction publique, code civil, éloges funèbres, suspension des journaux 11 mai 1822).
Cf. thèse de Pierre Taudou, Joseph-Jérôme Siméon juriste et homme politique, Faculté de droit d’Aix, 2006, 901 p. dact. 1 vol. (viij-657 p.); 22 cm
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence)
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/131